- Mercredi 20 février 2019
- Mission d'information sur les conditions dans lesquelles des personnes n'appartenant pas aux forces de sécurité intérieure ont pu ou peuvent être associées à l'exercice de leurs missions de maintien de l'ordre et de protection de hautes personnalités et le régime des sanctions applicables en cas de manquements - Examen du rapport d'information
- Proposition de loi visant à encadrer le démarchage téléphonique et à lutter contre les appels frauduleux - Examen des amendements au texte de la commission
- Proposition de loi visant à lutter contre toutes les violences éducatives ordinaires - Examen du rapport et du texte de la commission
- Proposition de loi visant à interdire l'usage des lanceurs de balles de défense dans le cadre du maintien de l'ordre et à engager une réflexion sur les stratégies de désescalade et les alternatives pacifiques possibles à l'emploi de la force publique dans ce cadre - Examen du rapport et du texte de la commission
- Projet de loi d'orientation des mobilités - Examen du rapport pour avis
- Jeudi 21 février 2019
- Proposition de loi relative au renforcement de la sécurité des sapeurs-pompiers - Procédure de législation en commission (articles 47 ter à 47 quinquies du Règlement) - Examen du rapport et du texte de la commission
- Audition de M. François Pillet, candidat proposé par le Président du Sénat pour siéger au Conseil constitutionnel
- Vote et dépouillement du scrutin sur la proposition de nomination par le Président du Sénat de M. François Pillet aux fonctions de membre du Conseil constitutionnel
- Audition de M. Jacques Mézard, candidat proposé par le Président de la République pour siéger au Conseil constitutionnel
- Vote sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Jacques Mézard aux fonctions de membre du Conseil constitutionnel
- Dépouillement simultané au sein des commissions des lois des deux assemblées des scrutins sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Jacques Mézard aux fonctions de membre du Conseil constitutionnel
Mercredi 20 février 2019
- Présidence de M. Philippe Bas, président -
La réunion est ouverte à 8 h 10.
Mission d'information sur les conditions dans lesquelles des personnes n'appartenant pas aux forces de sécurité intérieure ont pu ou peuvent être associées à l'exercice de leurs missions de maintien de l'ordre et de protection de hautes personnalités et le régime des sanctions applicables en cas de manquements - Examen du rapport d'information
M. Philippe Bas, président. - Mes chers collègues, après l'exposé liminaire de nos deux corapporteurs, Muriel Jourda et Jean-Pierre Sueur, un exemplaire nominatif du rapport vous sera distribué. C'est à l'issue de notre discussion que vous déciderez d'autoriser ou non sa publication mais, pendant nos travaux, il est souhaitable qu'aucun élément de ce rapport ne fasse l'objet d'une communication vers l'extérieur. C'est en effet à nos corapporteurs, si nous les y autorisons, qu'il appartiendra de rendre public leur travail, non pas par petits bouts, mais dans son ensemble.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Notre commission a souhaité enquêter sur d'éventuels dysfonctionnements de l'État, à la suite de l'intervention de MM. Benalla et Crase dans les opérations de maintien de l'ordre du 1er mai dernier.
Nos travaux portent en premier lieu sur M. Benalla, les faits le concernant étant plus graves. S'il nous a été décrit par sa hiérarchie, d'abord, comme un élément plutôt bon, ensuite, comme un individu moins recommandable, il nous a été présenté, de façon constante, comme un homme agissant seul, sans lien avec ses fonctions à l'Élysée. Or nos investigations - comme les révélations de la presse - ont fait apparaître de nombreuses anomalies, révélatrices de dysfonctionnements dans le traitement de la situation de M. Benalla, depuis son recrutement jusqu'aux conséquences de son départ.
Ainsi la thèse de la faute d'un homme isolé a-t-elle cédé la place au constat d'un dysfonctionnement institutionnel, ayant rendu possibles de multiples situations anormales susceptibles d'avoir affecté la sécurité du Président de la République.
Nous nous sommes attachés à mettre en lumière ces dysfonctionnements pour mieux les corriger. Vous le verrez, nous avançons une série de propositions destinées à assurer un bon fonctionnement institutionnel et une protection optimale du chef de l'État.
Notre rapport s'ordonne autour de quatre thèmes clés, que Jean-Pierre Sueur et moi-même vous présenterons alternativement.
Le premier thème concerne les sanctions prises après les événements du 1er mai. À cet égard, plusieurs défaillances ont été mises au jour dans la réaction des autorités fonctionnelles et hiérarchiques de MM. Benalla et Crase. Nous n'avons pas trouvé appropriées les premières suites données aux agissements commis, ni proportionnées les sanctions prétendument infligées.
MM. Benalla et Crase, revêtus d'insignes de police, selon l'IGPN, et peut-être armé pour le second, ont ouvertement fait usage de la force à l'encontre de manifestants. Des suites judiciaires seront apportées, et nous n'avons pas à prendre parti sur d'éventuelles qualifications pénales. Reste que, pour les autorités et les fonctionnaires, ces faits présentaient tous les indices permettant d'envisager la commission d'un délit. Il leur appartenait donc, en vertu de l'article 40 du code de procédure pénale, de les soumettre au parquet, ce qui n'a pas été fait.
Ajoutons à cela un certain nombre de circonstances assez surprenantes. Ainsi, c'est la présidence de la République qui a été alertée la première de l'existence de la vidéo, transmettant ensuite l'information au ministre de l'intérieur et au préfet de police de Paris.
À cette inversion de la chaîne d'information
s'ajoute une série d'omissions, un certain nombre de services, qui
auraient dû être rapidement avisés des faits, ne l'ayant pas
été : la direction générale de la police
nationale, l'inspection générale de la police
nationale
- qui a eu connaissance des faits, mais n'a pas
été informée de l'identité de leurs auteurs -
et la direction générale de la gendarmerie nationale.
Aucune autorité n'a signalé les faits au procureur de la République, chacune s'abritant derrière son interprétation particulière de la jurisprudence et, finalement, se défaussant sur l'autre de la responsabilité du signalement au parquet.
À rebours d'un traitement hiérarchique normal, qui aurait été rapide et rigoureux, ces dysfonctionnements témoignent d'une certaine fébrilité de l'exécutif face au risque politique lié à la diffusion de la vidéo. Cela donne le sentiment que l'Élysée a souhaité se réserver le traitement de ces incidents pour se préserver d'un possible scandale - en vain, comme la suite l'a montré.
En somme, une chaîne d'irresponsabilités a permis que ces faits restent internes à l'Élysée, au lieu d'être traités comme ils auraient dû l'être.
En ce qui concerne les sanctions infligées, nous nous sommes interrogés sur leur portée réelle. Les éléments que nous avons recueillis nous permettent d'affirmer que les propos tenus par le porte-parole du Président de la République le 19 juillet dernier n'étaient pas conformes à la réalité et exagéraient largement la portée de la sanction prononcée en mai, présentée comme « quinze jours de mise à pied avec suspension de traitement et rétrogradation ».
Si la mise à pied a, semble-t-il, été effective, la sanction financière ne l'a sans doute pas été. Lorsque nous l'avons entendu sur ce point, M. Strzoda nous a indiqué qu'elle ne l'était pas encore et nous avons toutes les raisons de penser - faute de réponse claire - qu'elle ne l'a jamais été.
S'agissant de la rétrogradation, la hiérarchie de M. Benalla a mis en avant le retrait des compétences de celui-ci en matière de déplacements officiels du Président de la République. Mais cette décision était provisoire et compensée par l'attribution de nouvelles tâches. Surtout, cette sanction a été assortie d'importantes exceptions : M. Benalla a ainsi participé à la panthéonisation de Simone Veil, aux cérémonies du 14 Juillet et au retour de l'équipe de France de football - accompagner les Bleus à leur retour en France, je doute que beaucoup de Français y voient une sanction...
De surcroît, l'accompagnement par M. Benalla du Président de la République dans ses déplacements privés a été maintenu et M. Benalla a conservé des moyens inchangés, voire renforcés, puisque c'est à la mi-juin qu'un logement de fonction lui a été attribué. Il a continué à participer à des réunions d'importance sur la mise en place de la future direction de la sécurité de la présidence de la République.
Ce qui est assez marquant, c'est moins l'effectivité de la sanction après le 1er mai que la confiance qui a été maintenue à M. Benalla jusqu'aux révélations de la presse en juillet. Nous estimons que l'ensemble des décisions prises relèvent, en réalité, moins d'une sanction que de la volonté de ménager l'exposition médiatique de M. Benalla, dans un contexte délicat.
Bref, on a cherché à cantonner ces événements à l'Élysée, et la sanction prise après le 1er mai n'en avait que le nom.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Le deuxième axe de notre rapport, ce sont les fonctions ambiguës de M. Benalla à l'Élysée, source de fragilisation du dispositif de sécurité de la présidence de la République.
Du fait du pouvoir qu'on prêtait à M. Benalla, toute une série de dysfonctionnements se sont produits au sein d'un certain nombre d'instances de l'appareil d'État.
À l'opposé de la description qu'en ont faite les collaborateurs de la présidence de la République - un membre de la chefferie de cabinet aux missions traditionnelles -, nous nous sommes forgé la conviction qu'Alexandre Benalla a exercé de fait une fonction essentielle dans l'organisation et la gestion de la sécurité du chef de l'État, au risque d'en perturber le fonctionnement normal, en s'immisçant de façon permanente dans la marche des services de sécurité.
Selon sa lettre de mission officielle - dont nous avons fini par obtenir tardivement et difficilement communication -, M. Benalla était chargé d'une mission spécifique de coordination des services de sécurité de la présidence de la République que, contrairement à ses autres collègues collaborateurs du chef de cabinet, il exerçait seul et sous l'autorité directe du directeur de cabinet. Plusieurs éléments tendent à confirmer que, contrairement aux affirmations des proches collaborateurs du chef de l'État, cette mission ne recouvrait pas uniquement des fonctions d'organisation et de logistique. Selon toute vraisemblance, M. Benalla, fort de la confiance et de la liberté d'action qui lui étaient accordées et à la faveur de l'ambivalence de ses missions officielles, s'est arrogé un rôle central dans le fonctionnement des services de sécurité de la présidence.
En particulier, il est établi qu'il s'est immiscé à plusieurs reprises dans certaines décisions relevant de la gestion du dispositif de sécurité présidentiel, notamment pour la mise en oeuvre d'une cellule de réservistes de la gendarmerie nationale au sein du commandement militaire de l'Élysée et pour le recrutement de plusieurs agents, dont Vincent Crase.
Par ailleurs, il est hautement probable qu'Alexandre Benalla a participé activement au dispositif de sécurité des déplacements du chef de l'État, prenant un ascendant sur les responsables opérationnels et s'imposant comme un interlocuteur privilégié des autorités publiques de sécurité.
Nous avons également réuni des éléments concordants donnant à penser que M. Benalla exerçait dans les faits une fonction de protection rapprochée du Président de la République, pourtant obstinément niée par les collaborateurs de celui-ci. En témoigne sa présence permanente à proximité immédiate du chef de l'État, en position d'« épaule » ; justifié par le besoin de passer des messages au Président de la République, ce positionnement paraît n'avoir été adopté par aucun prédécesseur ni aucun collègue de M. Benalla.
Surtout, celui-ci a obtenu de la préfecture de police de Paris un permis de port d'arme dans des conditions inédites et dérogatoires au droit commun - à tel point que l'intéressé lui-même avait envisagé, à défaut, un arrêté secret du Président de la République... -, ce que seule une fonction de protection rapprochée pouvait justifier.
Le soutien appuyé de sa hiérarchie à sa demande, ainsi que les contradictions devant notre commission des collaborateurs de la présidence pour justifier ce permis de port d'arme - nous publierons dans le rapport les citations en cause -, accréditent l'idée que M. Benalla exerçait bien des missions de protection rapprochée. Il a par ailleurs reconnu avoir porté son arme en présence du Président de la République.
Qu'elles résultent d'une volonté expresse de sa hiérarchie ou d'une vision extensive de ses missions par l'intéressé, il ne fait nul doute que la présence et l'interférence d'un individu peu expérimenté et soucieux d'affirmer son autorité dans un milieu professionnel aguerri ont pu être source de dysfonctionnements et d'une fragilisation du dispositif de sécurité présidentiel.
La liberté et les pouvoirs excessifs laissés à un chargé de mission dans un domaine aussi sensible que la sécurité du président de la cinquième puissance mondiale témoignent à nos yeux de l'imprudence de la présidence de la République dans l'encadrement d'un individu ayant pourtant déjà fait preuve, par le passé, de comportements professionnels inappropriés : chauffeur d'Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif, M. Benalla avait été licencié en raison de son manque de discrétion, de responsabilité et de transparence, notamment parce qu'il s'était déjà abusivement prévalu du soutien de celui-ci pour demander un permis de port d'arme...
Par ailleurs, il apparaît que M. Benalla jouait un rôle important au sein d'une cellule restreinte chargée de redéfinir la stratégie de sécurité de l'Élysée. Selon ses propres déclarations, il s'agissait d'organiser un dispositif ayant quelque autonomie, notamment vis-à-vis du ministère de l'intérieur. Dans une déclaration publique, M. Benalla a d'ailleurs expliqué qu'il y avait selon lui une certaine réticence de ce ministère à l'égard du dispositif sur lequel il travaillait.
Au vu de ces dysfonctionnements, il nous paraît nécessaire que les règles d'organisation du dispositif de sécurité de la présidence de la République soient réaffirmées et clarifiées, nous faisons des propositions de bon sens à cette fin.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Le troisième thème sur lequel nous avons travaillé concerne les défaillances assez graves des autorités compétentes dans la surveillance du retrait effectif des prérogatives de M. Benalla après son licenciement.
Alertés à la fin décembre par plusieurs articles de presse, nous avons mené dès janvier de nouvelles auditions et investigations, qui nous ont confirmé que les diligences minimales nécessaires pour garantir la pleine application du licenciement n'avaient pas été accomplies par la présidence de la République et les ministères concernés, s'agissant notamment de la restitution des moyens mis à disposition de M. Benalla et conservés par lui.
Parmi ces moyens, un téléphone Teorem, matériel hautement sécurisé mais dont personne n'a jugé utile de reprendre possession. Alors qu'un inventaire du bureau de M. Benalla a été réalisé le 2 août, la présidence de la République ne s'est aperçue de la non-restitution de cet équipement qu'en octobre, au moment de l'inventaire de la totalité des téléphones. C'est donc plusieurs mois après le licenciement de M. Benalla que l'appareil a été désactivé à distance, mais non réclamé. S'il a été restitué, c'est sur l'initiative du conseil de l'intéressé, en janvier dernier. Tout cela témoigne d'un manque de diligence regrettable.
Par ailleurs, sur les quatre passeports dont disposait M. Benalla, deux diplomatiques et deux de service, aucun n'a été restitué à la suite de son licenciement. Les passeports diplomatiques ont été utilisés à une vingtaine de reprises entre le 1er août et le 31 décembre 2018.
Ces passeports ont d'abord été attribués dans des conditions anormales : quatre passeports, ce n'est ni courant ni justifié à ce niveau de responsabilités. Cela n'a été expliqué ni par les ministres concernés ni par M. Benalla.
En outre, le motif de délivrance du premier passeport de service, qui nous a été fourni postérieurement, laisse quelque peu rêveur : ce document de voyage devait servir à M. Benalla, alors chef de cabinet à la délégation interministérielle pour l'égalité des chances des Français d'outre-mer, pour se rendre une journée à Munich à l'invitation du président de l'Office européen des brevets - chacun sait évidemment qu'il est nécessaire d'obtenir un passeport pour aller en Allemagne...
Quant au premier passeport diplomatique, il a été renouvelé le jour même du retour de M. Benalla après sa mise à pied. Il est extrêmement étrange qu'ayant été rétrogradé et n'étant plus censé accompagner les déplacements publics du Président de la République, M. Benalla se soit vu renouveler un titre qui ne pouvait pas servir à l'exercice de ses fonctions. De surcroît, selon l'Élysée, cette demande aurait été faite par M. Benalla sans passer par le service du protocole ni l'échelon hiérarchique supérieur.
Enfin, je vous rappelle que l'utilisation d'un faux document pour l'obtention du second passeport de service a été alléguée. La justice doit se prononcer sur ce point, mais sans outrepasser nos prérogatives, nous pouvons regretter que ces faits, connus de l'Élysée depuis l'automne dernier, n'aient été signalés au parquet qu'en janvier, probablement sous la pression médiatique et le matin même de l'audition du directeur de cabinet du Président de la République par notre commission.
Les conditions de restitution des passeports n'ont pas été moins anormales que leurs conditions d'attribution. Faute de démarches efficaces des services, en effet, cette restitution a été très tardive : les différentes administrations ont été incapables de l'obtenir pendant plus de cinq mois ! Les démarches entreprises ont été assez minces, et ce sont les révélations de la presse qui ont conduit l'administration à envisager, très tardivement, des poursuites pénales.
Tout aussi tardive a été l'invalidation des passeports diplomatiques, intervenue au prix de tergiversations nombreuses. Des délais très importants se sont écoulés avant que des diligences efficaces soient accomplies pour empêcher l'utilisation de ces titres. À la première demande d'invalidation transmise par le Quai d'Orsay, en novembre, le ministère de l'intérieur a répondu par la négative, du fait d'impossibilités informatiques. M. Castaner nous a expliqué qu'il n'était pas possible d'invalider ces passeports, ni juridiquement ni techniquement, le logiciel ne prévoyant pas le cas de M. Benalla - ce qui était pour le moins surprenant. Après que la presse eut révélé l'utilisation répétée des passeports, ces difficultés prétendument insurmontables ont immédiatement été surmontées...
On peut admettre qu'aujourd'hui l'informatique régit nos vies, mais il n'était pas impossible de donner une instruction écrite à la police aux frontières pour empêcher M. Benalla d'utiliser ses passeports. Cela n'a pas été fait.
Les services ont ainsi manqué de réactivité, avant de finir par trouver une solution sous la pression médiatique. Les problèmes de coordination entre eux ont permis à M. Benalla de continuer à utiliser ses titres, de façon tout à fait anormale, à vingt-trois reprises.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Le dernier axe de notre rapport concerne les insuffisances - sans doute est-ce un euphémisme - dans le contrôle des collaborateurs de l'exécutif, notamment de l'Élysée.
Souligné dès le début de nos travaux, le manque de précaution et de diligence de la présidence de la République dans la prévention des conflits d'intérêts de certains de ses collaborateurs pendant ou après l'exercice de leurs fonctions s'est confirmé au fil des révélations dans l'affaire dite des « contrats russes ».
Sur ce sujet, notre commission n'a pas eu le temps de demander des informations complémentaires, les pouvoirs d'investigation nous ayant été consentis pour une durée limitée de six mois. Néanmoins, nous vous proposons de tirer des informations réunies plusieurs conclusions.
D'abord, les informations révélées par la presse fin janvier, en particulier par Mediapart, et les déclarations publiques de M. Bernard, président de la société Velours, laissent à penser que MM. Benalla et Crase se sont rendus coupables de faux témoignage devant notre commission le 21 janvier dernier sur trois points principaux : l'implication de M. Benalla dans la négociation et la conclusion d'un contrat liant la société Mars et un représentant de l'oligarque russe Iskander Makhmudov ; l'engagement de ces négociations dès le mois de mars 2018, alors que MM. Benalla et Crase travaillaient encore à l'Élysée ; l'implication de M. Crase dans la reprise du contrat à compter d'octobre 2018 par la société France Close Protection.
Par ailleurs, les révélations sur l'affaire des « contrats russes » tendent à établir l'existence de conflits d'intérêts majeurs. Si elle était confirmée, l'implication directe de MM. Benalla et Crase dans la négociation et la conclusion d'activités privées, qui plus est pour le compte d'intérêts étrangers puissants, constituerait non seulement une faute déontologique majeure de la part des intéressés, mais également un risque considérable pour la présidence de la République. Il ne fait nul doute que les relations indirectes entretenues avec un oligarque proche de M. Poutine par MM. Benalla et Crase seraient, compte tenu des fonctions de ceux-ci et en raison de la dépendance financière qu'elles impliquent, de nature à affecter la sécurité du chef de l'État.
Les ramifications de cette affaire jusqu'à Matignon et au sein de l'armée française à travers M. Chokri Wakrim - présenté comme le compagnon de la responsable du groupe de sécurité du Premier ministre, Mme Marie-Élodie Poitout, qui vient de démissionner, et affecté au commandement des opérations spéciales au sein de la DGSI -, ne manquent pas d'inquiéter quant aux risques de vulnérabilité que ces activités commerciales ont fait courir aux plus hautes institutions de l'État.
Alors que l'affaire des « contrats russes » met en lumière d'importants dysfonctionnements au plus haut niveau de l'État, il est certain que la présidence de la République a péché par manque de précaution, en ne prenant pas toutes les mesures qui paraissaient nécessaires pour s'assurer que les intérêts privés de certains de ses collaborateurs n'interféreraient pas avec l'exercice de leurs fonctions et ne compromettraient pas leur indépendance ni celle de l'institution.
Dès le début de ses travaux, notre commission a souligné que M. Benalla et sept autres chargés de mission employés au cabinet de la présidence de la République échappaient à toute transparence, alors qu'ils exerçaient des missions importantes et une influence certaine sur la réflexion et les décisions du chef de l'État. Ces personnes n'ont rempli aucune déclaration d'intérêts ni aucune déclaration patrimoniale, au mépris de l'article 11 de la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique. Cette négligence a privé l'Élysée de la possibilité de bénéficier des prérogatives de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique pour enquêter sur d'éventuels conflits d'intérêts et sanctionner des déclarations mensongères ou incomplètes.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Les dysfonctionnements que nous avons constatés au sein des services de l'État sont majeurs ; certains ont pu affecter non seulement la sécurité du Président de la République, mais aussi les intérêts de notre pays :
- des pouvoirs excessifs ont été laissés à un collaborateur totalement inexpérimenté dans un domaine essentiel à la continuité de l'État ;
- M. Benalla a bénéficié d'une promotion totalement atypique comme lieutenant-colonel de réserve opérationnelle de la gendarmerie nationale, contre l'avis de la commission compétente ;
- la confiance a été maintenue à M. Benalla et la collaboration poursuivie avec lui après ses dérapages du 1er mai place de la Contrescarpe, dont la qualification pénale sera appréciée par la justice, mais dont la gravité a été reconnue par tous les membres de sa hiérarchie que nous avons auditionnés ;
- la remontée d'informations au sein de l'institution policière et de l'exécutif sur les faits du 1er mai a été tout à fait défaillante, des faits ont été dissimulés à la justice, compte tenu de l'absence de saisine du procureur de la République ;
- la portée effective de la première sanction prise après le 1er mai contre M. Benalla n'est pas établie et paraît faible au regard de la qualification des faits par sa hiérarchie elle-même ;
- un sérieux manque de précaution - c'est un euphémisme - a caractérisé la prévention des conflits d'intérêts de certains collaborateurs du Président de la République ;
- la diligence a été insuffisante pour s'assurer du retrait des moyens alloués à M. Benalla après son licenciement ;
- la réaction a été bien tardive pour s'assurer du respect par l'intéressé de ses obligations déontologiques à l'issue de son contrat ;
- enfin, le contrôle de l'affectation des réservistes au sein du dispositif de sécurité de l'Élysée nous paraît avoir été insuffisant.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Nous vous soumettons treize propositions, pour que tels dysfonctionnements ne se reproduisent plus.
Pour garantir un haut niveau de sécurité du Président de la République, il conviendrait de réformer le cadre réglementaire relatif au groupe de sécurité de la présidence de la République, afin de réaffirmer la compétence exclusive des membres des forces de sécurité intérieure pour assurer la sécurité du chef de l'État et de formaliser les règles et procédures de recrutement.
Nous proposons aussi de maintenir la responsabilité organique du ministère de l'intérieur sur le groupe de sécurité de la présidence de la République, conformément à la tradition suivie depuis le début de la Cinquième République, et de prévoir l'avis du chef du service de la protection sur la composition de ce groupe.
Il nous semble également important de renforcer la transparence dans le fonctionnement de l'Exécutif. Pour ce faire, les règles déontologiques devant régir les relations entre les collaborateurs de la présidence de la République, ceux des cabinets ministériels et les administrations centrales devraient être rappelées par voie de circulaire.
Il convient de mettre fin à l'expérience des collaborateurs « officieux » du Président de la République - ceux dont la nomination ne fait l'objet d'aucune mesure de publicité - et de faire respecter strictement leurs obligations déclaratives à tous les chargés de mission de l'Élysée.
Le recrutement des collaborateurs du Président de la République devrait être conditionné à la réalisation d'une enquête administrative préalable, destinée à s'assurer de la compatibilité de leur comportement avec les fonctions ou missions susceptibles de leur être confiées.
Il faudrait prévoir par la loi des sanctions pénales en cas de manquement aux obligations de déclaration d'une nouvelle activité à la commission de déontologie de la fonction publique.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Un collaborateur du Président de la République s'est immiscé dans des missions de maintien de l'ordre, qui ne relèvent pas de l'Élysée, mais de l'exécutif gouvernemental. C'est le symptôme d'un empiètement regrettable. Nous proposons donc de mettre fin à la pratique des conseillers communs au Président de la République et au Premier ministre, afin de respecter la distinction constitutionnelle entre les fonctions présidentielles et gouvernementales.
Pour une meilleure information du Parlement et du public, l'annexe budgétaire consacrée aux personnels des cabinets ministériels pourrait être enrichie d'un volet supplémentaire dressant un tableau du nombre, des missions et des rémunérations des personnels affectés à la présidence de la République.
La transparence des recrutements dans les différentes réserves de la gendarmerie nationale devrait être renforcée, ainsi que la rigueur de la sélection dans la composante « spécialistes » de la réserve opérationnelle, avec un référentiel de compétences et un niveau obligatoire de formation ou d'expérience professionnelle. Cette réserve comporte de véritables spécialistes, disposant d'un haut niveau de formation, que n'atteignait pas M. Benalla.
Il serait utile de rendre obligatoire l'établissement d'une liste des activités professionnelles exercées par les réservistes du commandement militaire du palais de l'Élysée, afin de prévenir d'éventuels conflits d'intérêt.
Il faut également renforcer le pouvoir de contrôle du Parlement sur les services de la présidence de la République et établir et confirmer la plénitude des pouvoirs d'investigation des commissions d'enquête parlementaires, dans le respect du principe de la séparation des pouvoirs et du secret de l'instruction, y compris dans le cas où la justice enquête sur les mêmes faits. Le contrôle parlementaire doit s'exercer sous l'angle exclusif du fonctionnement de l'État, comme nous nous sommes y efforcés dans le cadre de nos travaux. Il ne serait sans doute pas inutile de clarifier les responsabilités respectives du Parlement et de l'autorité judiciaire.
Enfin, il importe de mieux définir la portée juridique des obligations de signalement au parquet découlant de l'article 40 du code de procédure pénale, et d'en informer largement l'ensemble des élus responsables et des agents publics. En effet, certains se sont prévalus d'interprétations surprenantes de ces dispositions pour se justifier de ne pas les avoir appliquées.
M. Philippe Bas, président. - Merci à nos deux rapporteurs pour leur remarquable travail.
Ce rapport est le fruit de dizaines d'heures de travail, avec notamment l'audition de plus de quarante personnalités. Il procède de l'exploitation d'une trentaine de demandes de compléments d'informations, qui représentent près de 500 pages de documents qu'il a fallu dépouiller et analyser très méticuleusement. Il découle d'un long travail de rapprochement des informations, qui a permis de faire émerger, non seulement une grande partie de ce que nous pensons être la vérité, mais aussi de nettes contradictions dans les réponses apportées.
À l'évidence, les fautes de l'homme - Alexandre Benalla - sont indissociables des dysfonctionnements constatés au sein des services de l'État. C'est avec une grande équanimité que nos rapporteurs ont évité de faire reposer un poids excessif sur un seul individu car, sans la confiance qui lui a été accordée, les pouvoirs qu'il semble s'être arrogé et les abus qu'il a commis auraient été impossibles. En outre, les rebondissements observés au fil des mois n'auraient pas eu lieu sans un certain nombre de défaillances dans le fonctionnement de l'État. Au fond, cette affaire n'aurait simplement pas existé si M. Benalla avait quitté l'Élysée le 2 mai 2018 en rendant tous les attributs liés à sa fonction. Chacun sait que cela n'a pas été le cas.
Aujourd'hui, il appartient à la seule justice d'identifier les fautes commises par M. Benalla, de les caractériser sur le plan pénal et, le cas échéant, de les sanctionner. Ce n'est pas l'affaire de notre commission : notre rôle consiste à mettre au jour les défaillances et les dysfonctionnements au sein de l'exécutif, qui ont permis ces fautes.
L'autorité des conclusions de nos rapporteurs repose sur le caractère très approfondi de leur travail, sur l'objectivité dont ils ont fait preuve, ainsi que sur trois principes fondamentaux, dont nous avons essayé collectivement d'être les gardiens.
Le premier principe, c'est le respect de notre mandat. Contrairement au mandat de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale, qui visait à « faire la lumière sur les événements survenus à l'occasion de la manifestation parisienne du 1er mai 2018 », notre commission dotée des prérogatives d'une commission d'enquête a porté sur les ingérences susceptibles d'avoir été commises par des individus qui ne sont ni gendarmes ni policiers dans le cadre d'opérations de maintien de l'ordre et dans le fonctionnement de la sécurité et de la protection des hautes personnalités. D'entrée de jeu, notre objectif a consisté à tenter d'y voir plus clair dans le fonctionnement de services placés, pour la plupart, sous la responsabilité du Gouvernement, et de services administratifs de la présidence de la République, qui ne sont pas exclus d'office du champ d'action des commissions parlementaires.
Le deuxième principe auquel j'attache beaucoup d'importance est le respect des prérogatives du Président de la République. Celui-ci n'est responsable dans l'exercice de ses fonctions qu'en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat. Or, à aucun moment, les procédures mises en oeuvre par notre commission n'ont visé à engager ce type de responsabilité. Cela va sans dire, mais cela va encore mieux en le disant ! Aucun acte du Président de la République, aucune de ces décisions, n'a été examiné par nos rapporteurs ni fait l'objet de discussions lors des auditions. En respectant ce principe, nous avons contribué à donner du crédit aux conclusions de nos rapporteurs.
Le troisième et dernier principe a trait au respect des prérogatives de l'autorité judiciaire. Cela découle naturellement de notre mandat, mais aussi de la discipline que nos rapporteurs se sont imposés.
Après avoir rappelé la nécessité de respecter les prérogatives des autres autorités, il n'est pas inutile de préciser que nous avons également eu le souci de nos propres prérogatives. L'article 15 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, en disposant que « la Société a droit de demander compte à tout agent public de son administration », fonde le pouvoir de contrôle des représentants de la Nation à l'égard de l'exécutif. Il ne s'agit pas d'une fonction secondaire du Parlement ; celui-ci doit pleinement assumer cette responsabilité, qu'il doit traiter à égalité avec son rôle de législateur.
Notre commission a eu à coeur d'assumer cette mission pendant tout le déroulement de ses travaux, et ce dans la plus parfaite transparence puisque nous avons tenu à ce que nos auditions soient publiques. En définitive, cette décision s'est révélée tout à fait judicieuse : cette transparence s'impose à nous, parce que le contrôle de l'exécutif s'exerce au nom des Français eux-mêmes. Ce point me semble très important pour la démocratie. Chaque Français qui s'est intéressé au sujet - et ils ont été nombreux - a pu se faire son jugement grâce à notre commission.
Les médias ont certes joué un rôle important, puisqu'ils ont divulgué toutes les informations que nous avons eu à traiter par la suite, mais le Parlement a ce pouvoir spécifique de contraindre les personnes qu'il souhaite entendre à honorer leur convocation et de pouvoir les sanctionner, notamment sur le plan pénal, en cas de mensonge.
Pour faire bref, quatre éléments essentiels sont à retenir. Il y a tout d'abord les événements de la place de la Contrescarpe. Nous n'avons pas cherché à caractériser les actes commis par MM. Benalla et Crase, mais à comprendre comment un certain nombre de défaillances avaient rendu ces actes possibles et comment d'autres dysfonctionnements avaient pu apparaître par la suite.
Ensuite, il faut évoquer les passeports de M. Benalla. Là encore, si celui-ci a mal agi en utilisant ces passeports, s'il a commis des irrégularités passibles de sanctions pénales, ce n'est pas l'affaire de notre commission. Notre rôle est de déterminer si l'État a réellement fait le nécessaire pour lui retirer ses instruments de travail.
En évoquant les contrats russes, on touche également à quelque chose d'extrêmement grave. Nous ignorons comment MM. Benalla et Crase sont entrés en relation avec des représentants d'un oligarque russe proche de M. Poutine. Toutes les hypothèses sont aujourd'hui permises, y compris celle d'une approche délibérée des intéressés, destinée à les placer dans une situation de dépendance vis-à-vis d'intérêts étrangers puissants, et ce sans que le minimum de précautions ait été pris, puisque les deux personnes concernées n'ont pas respecté leurs obligations en matière de déclaration d'intérêts, et qu'elles ne sont pas passées devant la commission de déontologie de la fonction publique après leur départ de l'Élysée.
Enfin, j'aborderai la question de la sécurité du Président de la République. Ce dernier incarne constitutionnellement la continuité de l'État, dans un contexte de risque terroriste élevé et dans un monde où les tensions internationales sont extrêmement vives ; il détient par ailleurs des pouvoirs dont peu de chefs de l'exécutif peuvent se prévaloir. Nous considérons par conséquent que la sécurité du Président de la République ne peut pas être la seule affaire du chef de l'État et qu'elle nous regarde.
Cette sécurité doit être assurée selon des critères de qualité qui répondent aux meilleurs standards internationaux. Quand un individu, qui n'a été ni formé, ni sélectionné, ni entraîné, ni même évalué dans des conditions normales, prend des responsabilités particulières dans ce domaine, il y a matière à s'inquiéter. Le fait que M. Benalla ait pu s'ingérer dans le fonctionnement des services de sécurité pose un problème important. Cela ne doit pas se reproduire. Aujourd'hui, la sécurité du chef de l'État est conforme à ce qu'elle doit être. À l'époque où M. Benalla exerçait son emprise sur les services chargés de la protection présidentielle, cette sécurité était affaiblie.
Je me dois maintenant d'évoquer mes propres prérogatives. Nous avons rappelé à plusieurs reprises, y compris devant les personnes auditionnées, que la justice pouvait être saisie en cas de faux témoignage et que les sanctions encourues pouvaient aller jusqu'à 75 000 euros d'amende et cinq ans de prison.
Dois-je mettre en oeuvre la procédure de saisine du Bureau du Sénat en vue de saisir le procureur de la République pour faux témoignage ? Je me suis entretenu à plusieurs reprises avec les rapporteurs, ce qui nous a permis d'arrêter une position commune. Ainsi, nous sommes convenus d'adresser une lettre au président du Sénat pour que le Bureau de notre assemblée délibère de la saisine du procureur de la République concernant les mensonges de M. Benalla à propos de ses passeports diplomatiques.
Sur ce point, il nous semble qu'il y a bien un mensonge caractérisé de sa part. En effet, M. Benalla nous a d'abord indiqué que ses passeports étaient restés dans son bureau. Quelques mois plus tard, il nous a expliqué les avoir conservés au moment de son départ de l'Élysée, puis les avoir restitués, avant qu'ils ne lui soient rendus par une personne et dans des conditions sur lesquelles il a refusé de s'expliquer. M. Strzoda a, quant à lui, fermement démenti ces allégations.
Nous avons également constaté plus que des flottements dans les explications fournies par les collaborateurs du chef de l'État sur la fonction réellement exercée par M. Benalla. Au début de nos travaux, il nous avait été répondu que celui-ci n'avait aucune responsabilité en matière de sécurité. Finalement, le chef de cabinet du Président de la République a reconnu, au moment où les services de l'Élysée se sont enfin décidés - après l'avoir refusé - à nous transmettre la fiche de fonction de M. Benalla, qu'il avait pour mission de coordonner les services en charge de la sécurité du Président de la République. M. Lauch a présenté cette coordination comme étant de nature technique.
Par ailleurs, les collaborateurs du chef de l'État nous ont soutenu, contre toute évidence, que M. Benalla n'exerçait aucune responsabilité en matière de protection rapprochée. C'est tout à fait contraire aux analyses qu'ont faites plusieurs spécialistes sur le fondement d'images où M. Benalla apparaît auprès du chef de l'État. Cela contredit également un certain nombre d'éléments factuels, comme le fait que M. Benalla portait bien une arme lors de certains déplacements publics du Président de la République.
En tout cas, les rapporteurs ont acquis la conviction que l'on avait retenu des informations sur la nature réelle des fonctions occupées par M. Benalla en matière de sécurité, afin d'entraver la découverte de la vérité. C'est pourquoi nous nous apprêtons à saisir le Bureau du Sénat à ce sujet, tout en reconnaissant que la présidence de la République et le Gouvernement ont accepté de coopérer sur la plupart des autres sujets.
Enfin, d'autres éléments mis au jour dans notre rapport pourraient être utiles à la justice. C'est la raison pour laquelle nous demanderons au Bureau du Sénat de bien vouloir délibérer sur la communication formelle de l'ensemble du rapport au procureur de la République : ce dernier doit pouvoir déterminer s'il existe d'autres éléments susceptibles de constituer un faux témoignage, ou des mensonges justifiant l'ouverture d'une enquête judiciaire.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Puisqu'il a été question de notre indépendance à l'égard de la justice, il est particulièrement remarquable de relever qu'un juge d'instruction qui avait saisi un document que le Gouvernement refusait de nous remettre a accepté de lever les scellés pour que nous puissions l'obtenir, preuve qu'il a considéré que notre commission pouvait légitimement en disposer dans le cadre de ses prérogatives.
Chaque terme de la lettre que nous allons adresser au président du Sénat a été longuement pesé. Trois points méritent d'être précisés. Il y est d'abord proposé de saisir le Bureau du Sénat des cas de MM. Benalla et Crase, afin que le parquet soit saisi des faux témoignages dont ils ont été les auteurs.
Ensuite, nous avons constaté un certain nombre de manquements à la vérité dans les déclarations faites par des personnes travaillant pour l'Élysée. Nous souhaitons que le Bureau du Sénat soit également saisi de ces témoignages, afin que le parquet en soit informé.
Enfin, nous souhaitons que la totalité du rapport puisse être communiquée au parquet, dans la mesure où nous pensons que les actes ou les témoignages d'autres personnes que celles que je viens de mentionner - je pense en particulier à un collaborateur de la préfecture de police - pourraient justifier l'ouverture d'une enquête judiciaire. Je vous renvoie à cet égard à la liste des contradictions, qui est annexée à la lettre que nous allons cosigner.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Nous nous joignons au président Bas, dont c'était la prérogative propre, pour transmettre au Bureau du Sénat toutes les contradictions que nous avons relevées. La liste en est annexée au courrier, afin de rendre plus facile l'exploitation de notre rapport par le procureur de la République.
Je souhaite apporter deux précisions. Alexandre Benalla nous a dit avoir fait une demande de port d'arme pour sa sécurité personnelle, alors même que les faits montrent que cette autorisation lui a été accordée en raison de la fonction qu'il occupait à l'Élysée. Le Bureau du Sénat sera saisi de cette affirmation, qui nous paraît mensongère.
L'autre point qui nécessite un éclaircissement concerne l'affaire des « contrats russes ». M. Benalla a déclaré ne pas être intervenu lors de la conclusion de ces contrats. Si cette déclaration était un mensonge flagrant, le parquet pourrait décider d'ouvrir une enquête.
M. Philippe Bas, président. - Prendre la responsabilité de saisir le Bureau du Sénat était loin d'être évident. Ce qui m'a décidé, c'est le souci de défendre les prérogatives du Parlement. J'ai une grande confiance dans la justice à cet égard, d'autant plus que j'ai eu l'occasion de la voir à l'oeuvre durant nos travaux. Alors que nous n'arrivions pas obtenir le dossier d'instruction du port d'arme de M. Benalla par la préfecture de police, un juge d'instruction, ainsi que l'a relevé Jean-Pierre Sueur, a décidé de lever les scellés pour que le Parlement puisse en avoir connaissance.
Dans un contexte qui a parfois été polémique - que n'a-t-on entendu sur de prétendues atteintes à la séparation des pouvoirs ! -, il faut souligner cette bonne coopération et la décision prise par la justice de considérer qu'il n'y avait pas de hiérarchie entre les deux types de contrôle, celui du Parlement et celui de l'autorité judiciaire, chacune de ces fonctions tirant sa légitimité de notre Constitution. Dans la mesure du possible, ces deux fonctions doivent être exercées de manière conjointe, car elles sont nécessaires au fonctionnement de notre état de droit. Parfois considérées comme opposées, la fonction judiciaire et la fonction de contrôle parlementaire peuvent se conjuguer harmonieusement. Aussi, je réclame la protection de la justice pour faire respecter le rôle des commissions qui se voient conférer des prérogatives attribuées aux commissions d'enquête. C'est ce qui motive notre démarche aujourd'hui.
M. André Reichardt. - Il me semble nécessaire de pointer clairement les « responsables » des dysfonctionnements dont vous venez de parler. Un certain nombre de hauts fonctionnaires de l'exécutif se sont renvoyé la balle au sujet de ces défaillances, par exemple s'agissant de la non-restitution des passeports de M. Benalla. Quid de leur responsabilité réelle ? Il n'y aurait rien de pire que d'accréditer l'image d'un système qui, au plus haut niveau de l'État, fonctionnerait sans avoir de compte à rendre, système dans lequel l'opacité resterait la règle.
M. François Pillet. - Je veux dire toute ma considération au président de la commission, ainsi qu'aux rapporteurs. Je tiens à les remercier pour l'image qu'ils ont donnée du Sénat, pour la résonance qu'ils ont donné à nos travaux. Ils ont accompli leur mission sans idéologie, sans obéissance ou complaisance, et sans faiblir. Le Sénat a ainsi montré toute sa perspicacité et sa constance.
Comme Philippe Bas, je regrette tout ce gâchis. Si les sanctions avaient été prises dès le 2 mai, puis suivies d'effets, il n'y aurait pas eu d'affaire Benalla. Les rapporteurs font en outre un certain nombre de propositions qui me paraissent salutaires. Leur rapport fournit des éléments objectifs de réflexion.
Ma seule inquiétude porte sur la récente affaire des « contrats russes ». Elle révèle le risque d'une dépendance d'agents de l'Élysée vis-à-vis d'un État étranger ou de certains de ses ressortissants. C'est évidemment extrêmement grave. Je note que si les dispositions législatives organisant la transparence de la vie publique avaient été parfaitement respectées, nous aurions pu savoir bien plus tôt s'il existait une faille et nous aurions vraisemblablement pu anticiper le conflit d'intérêt très grave que nous avons découvert par la suite.
J'adhère à la totalité des propositions de nos rapporteurs, ainsi qu'à leur décision de transmettre au parquet l'ensemble des informations recueillies et toutes leurs observations concernant d'éventuels faux témoignages devant la représentation nationale. De tels agissements sont inadmissibles et doivent faire l'objet de poursuites judiciaires.
M. François Bonhomme. - Ma question porte sur les obligations déclaratives qui incombent aux responsables publics. La commission a saisi le président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique d'un éventuel défaut de déclaration dont se serait rendu coupable Alexandre Benalla, la présidence de la République ayant considéré jusqu'alors, et à tort, que les chargés de mission de l'Élysée n'entraient pas dans le champ de ces dispositions. Dans l'hypothèse où un tel défaut de déclaration serait avéré, la commission demandera-t-elle que les sanctions prévues en pareil cas soient appliquées ?
M. Philippe Bonnecarrère. - Je remercie les rapporteurs et le président de la commission pour la qualité remarquable de leur travail. Si la vie et les oeuvres de M. Benalla m'intéressent assez peu, je trouve en revanche le volet russe de l'affaire assez perturbant. Je partage en effet l'idée selon laquelle la sécurité du chef de l'État est l'affaire des Français.
Le travail de nos rapporteurs est pertinent et parle à nos concitoyens. C'est pourquoi j'approuve l'intégralité de leurs propositions. Cela étant, j'aurai trois observations à formuler.
La première concerne le rôle du Sénat en tant que contre-pouvoir. La commission a effectivement donné une excellente image du Sénat et de sa liberté de travail, faisant preuve de transparence, d'indépendance et de sérieux dans le cadre de son contrôle. C'est l'occasion de réaffirmer que la République a besoin d'un contre-pouvoir qui ne procède pas de l'élection présidentielle. Sous cet angle, ce rapport est très important.
La deuxième a trait à la manière dont la commission communiquera autour de son rapport. La lecture qu'on en fera dépendra du sens que vous lui donnerez en conférence de presse, notamment en ce qui concerne le respect de la séparation des pouvoirs et la relation de confiance entre les différentes institutions.
Je ne doute pas que les rapporteurs sauront retenir une rédaction qui assure le respect du principe de séparation des pouvoirs. C'est ainsi que les propositions du rapport visent bien les « services » de la présidence de la République, et non évidemment le Président lui-même. De ce point de vue, la communication au parquet d'éléments susceptibles d'être considérés comme de faux témoignages ne pose aucun problème, pas plus que la communication de l'intégralité du rapport. En revanche, la lettre laissant entendre que certaines déclarations de collaborateurs du Président de la République seraient une entrave à la manifestation de la vérité me semble plus contestable. Je ne prétends pas qu'il s'agisse d'une atteinte au principe de la séparation des pouvoirs, mais je ne suis pas certain qu'une telle initiative ne puisse pas être interprétée comme le franchissement d'une limite.
Ma troisième et dernière observation porte sur la nécessité de préserver la confiance entre les institutions. Au-delà de l'affaire Benalla, notre société est actuellement traversée par une grave crise sociale. Celle-ci a suscité la mise en oeuvre d'un grand débat qui, lui-même, entraînera une réponse institutionnelle. Or cette réponse dépend du choix que fera le Président de la République de légiférer par le biais du référendum de l'article 11 de la Constitution ou d'utiliser la procédure de révision prévue à l'article 89. Il me paraît important, dans ce contexte, que la relation de confiance entre nos institutions soit réaffirmée, afin que l'exécutif ait conscience qu'une révision constitutionnelle peut se dérouler dans de bonnes conditions.
M. Philippe Bas, président. - J'attache moi-même beaucoup d'importance à la confiance entre nos institutions. J'ai davantage parlé de l'autorité judiciaire que du pouvoir exécutif tout à l'heure, mais il va de soi que je tiens à ce que la teneur de nos travaux soit bien comprise. Chacun doit savoir que nos travaux ne mettent pas en cause les institutions, mais le fonctionnement d'un certain nombre de rouages. Notre mission est, en quelque sorte, d'alerter le pouvoir exécutif sur la nécessité de prendre davantage de précautions à l'avenir.
J'ajoute que, si des tensions assez vives sont apparues et ont
été relayées par les médias au mois de septembre
dernier, le pouvoir exécutif dans son ensemble a eu à coeur de ne
pas jeter d'huile sur le feu par la suite, notamment au moment où nous
avons procédé à de nouvelles auditions. Cet état
d'esprit contribue à l'approfondissement des liens de confiance entre
les institutions. D'ailleurs, si une part de la vérité a pu
être retenue lors des auditions
- celle qui concerne la fonction
de M. Benalla et son rôle dans la sécurité du
Président de la République -, nous avons en revanche
constaté une coopération étroite de l'exécutif sur
beaucoup d'autres points.
M. Jean-Yves Leconte. - Ce qu'illustrent nos travaux, ce sont les dysfonctionnements des structures de l'État chargées de la sécurité du Président de la République. Le manque de confiance dans les capacités de la police et de la gendarmerie à assurer cette sécurité se matérialise dans le volet russe de l'affaire Benalla.
J'ai été particulièrement frappé d'entendre notre ministre des affaires étrangères reprocher à l'ambassadeur en poste à Ndjamena de ne pas avoir fait remonter l'information selon laquelle M. Benalla était présent sur le territoire tchadien. J'ai du mal à comprendre que l'on révèle publiquement un tel dysfonctionnement, alors que la relation bilatérale entre le Tchad et la France est précieuse et que la coopération entre nos pays demeure stratégique dans un contexte compliqué.
Je ferai une observation plus générale sur fonctionnement actuel de nos institutions. J'ai le sentiment qu'il existe un déséquilibre institutionnel tellement important que plus rien ne résiste à la présidence de la République. Cela fut le cas par exemple pour la préfecture de police de Paris. On peut aussi s'étonner des conditions dans lesquelles certaines perquisitions récentes ont été décidées et menées. Ces considérations doivent être au coeur des réflexions sur la future révision constitutionnelle. Un déséquilibre aussi important et aussi dangereux, compte tenu des dysfonctionnements qu'il engendre, ne peut pas perdurer.
M. François Grosdidier. - Je veux féliciter le travail de synthèse de nos rapporteurs et indiquer que je partage totalement l'ensemble de leurs conclusions.
Le plus gênant est de constater que la plupart des personnes auditionnées ont, au moins dans un premier temps, menti à la commission. Je ne parle pas seulement de M. Benalla, mais aussi du secrétaire général de la présidence, du directeur de cabinet et du chef de cabinet de l'Élysée. Les faits ont rapidement démontré que M. Benalla s'occupait bel et bien de sécurité.
Prenons l'exemple de son permis de port d'arme. Quand la commission a découvert qu'il en possédait une, il lui a été répondu que M. Benalla était chargé de coordonner l'ensemble des services de sécurité de la présidence de la République. L'explication étant insuffisante, le chef de cabinet de l'Élysée a ensuite affirmé que l'arme servait à la sécurité du Président de la République lors de ses déplacements privés, ce qui est complètement faux. Et je passe sur les mensonges à propos des passeports, sur ceux de M. Le Drian à propos de la visite de M. Benalla au Tchad. Toute cette affaire met très mal à l'aise.
J'observe que la saisine du parquet ne se limite pas aux actes et aux témoignages du seul Alexandre Benalla. D'un côté, il faut reconnaître qu'il est difficile de préjuger de la réalité d'un parjure, d'autant que la commission a été confrontée à des vérités changeantes, parfois au cours d'une même audition ; de l'autre, nous ne pouvons pas ne pas saisir le parquet, alors que le Sénat l'a déjà fait pour un pneumologue qui avait menti devant la commission d'enquête sur la qualité de l'air. À la faveur de l'instruction judiciaire, d'autres parjures dont nous n'avons pas forcément connaissance au moment où nous achevons nos travaux pourraient apparaître. Il est donc légitime que le Sénat saisisse le parquet de l'ensemble du dossier.
Mme Nathalie Delattre. - Je félicite à mon tour les rapporteurs pour leur travail méticuleux, ainsi que l'ensemble des commissaires pour la tenue exemplaire de la commission d'enquête qui a assis, s'il en était besoin, la légitimité de l'action du Sénat.
Sur le premier point du rapport - les sanctions prises à l'encontre d'Alexandre Benalla après le 1er mai 2018 - vous avez su mettre en exergue le jeu de M. Benalla et la fébrilité de l'Élysée lors de l'affaire. Je partage votre analyse sur le deuxième point relatif à l'organisation de la sécurité du Président de la République. Pouvez-vous, à cet égard, nous apporter des précisions sur l'arrêté secret mentionné par Mme Jourda ? Le troisième angle du rapport, qui concerne les conditions saugrenues d'exercice des missions de M. Benalla et les dérives observées dans ce cadre, apparaît également parfaitement analysé. Enfin, le quatrième point du rapport fait mention des « contrats russes ». Les faits évoqués paraissent extrêmement graves ; ils échappent hélas, compte tenu du calendrier de nos travaux, au champ d'investigation de la commission. S'ils étaient avérés, ces faits porteraient atteinte à l'éthique de la République. Pensez-vous qu'ils ressortent d'une faute isolée ou qu'ils soient le signe de dysfonctionnements plus importants ? Je souhaite enfin exprimer ma fierté quant à votre décision de saisir le Bureau du Sénat sur les soupçons de faux-témoignage lors des auditions.
M. Alain Marc. - Le travail présenté par nos rapporteurs est d'une grande qualité ; il s'attache aux seuls faits, et pointe une multitude de dysfonctionnements. Muriel Jourda a indiqué que, dans l'affaire qui nous préoccupe, la justice avait souvent agi postérieurement à des révélations de la presse, ce qui pose aussi la question des moyens dont disposent les magistrats. Je salue la démarche des juges qui, preuve d'indépendance, ont autorisé la levée de scellés au profit de notre commission. Le travail mené montre combien il apparaît nécessaire pour notre démocratie de disposer de contre-pouvoirs comme, outre la presse, celui du Parlement. Notre action a valorisé le Sénat auprès de nos concitoyens que nos travaux ont éclairés sur cette mystérieuse affaire.
M. Alain Richard. - Nous ne pourrons hélas lire le rapport que lorsque sa publication aura été approuvée par notre commission. Je comprends votre souci légitime de protéger nos travaux contre une éventuelle immixtion de la presse, monsieur le Président, mais nous y perdons en collégialité. Les textes demeurent muets s'agissant des modalités de délibérations des commissions d'enquête, mais il existe des usages. En l'espèce, le droit des parlementaires de prendre connaissance du rapport en amont a été nié. J'en prends acte, même si votre choix ne me semble pas judicieux. Je ne prendrai, en conséquence, pas position sur le rapport. Les parlementaires ne peuvent se prononcer sur une publication sans en connaître le contenu, quel que soit le rapport concerné.
M. Philippe Bas, président. - Je respecte votre position et en prends acte, mais vous ne pouvez ignorer que nous procédons systématiquement ainsi dans le cadre de notre commission des lois. Les rapports appartiennent à leurs rapporteurs et la commission autorise - ou non - leur publication. Ils sont rendus publics dès que possible, mais les commissaires n'en disposent pas pendant les réunions. Les rapporteurs vous ont exposé de contenu du rapport en détail, sans rien omettre. Au regard des nombreuses interventions, il me semble que tous nos collègues s'en sont approprié le contenu. Prenez par exemple le rapport Sauver la justice, rendu au mois d'avril 2017 par notre commission à laquelle le Sénat avait octroyé des pouvoirs de commission d'enquête : il a été présenté et adopté selon une procédure identique à celle suivie aujourd'hui. J'ajoute que cette méthode de discussion est souvent la seule compatible avec des finalisations tardives, les rapports devant parfois être remis sous des délais contraints. Vous noterez d'ailleurs qu'aujourd'hui le projet de rapport a pu vous être distribué après l'exposé liminaire des rapporteurs.
M. Alain Richard. - Lors de la commission d'enquête sur les autorités administratives indépendantes, il me semble que nous avons mené un travail plus contradictoire...
M. Philippe Bas, président. - ... mais il s'agissait alors d'une commission d'enquête classique, et pas d'une mission d'information instituée au sein de notre commission des lois et investie des pouvoirs d'une commission d'enquête par le Sénat.
Mme Brigitte Lherbier. - Après un long travail d'auditions, auquel nous avons tous participé, il me semble bien tardif de se montrer dubitatif sur le contenu du rapport qui correspond parfaitement à ce que nous avons entendu ! S'agissant de la saisine du Bureau du Sénat, pourriez-vous nous préciser les éléments de délai, de procédure et de contenu ? Les membres du Bureau pourront-ils compléter les préconisations de la commission ?
M. Philippe Bas, président. - Le Bureau fera naturellement ce qui lui semble approprié ; il s'agit seulement du second cas de demande de saisine du Parquet dans un tel contexte.
M. Patrick Kanner. - La commission des lois s'est montrée fort mobilisée sur l'affaire Benalla, mais, pour nous prononcer, il nous faudrait disposer de votre lettre au Bureau, qui ne manquera pas de susciter les questions des médias. Je m'interroge sur la remarque de notre collègue Bonnecarrère s'agissant de la légalité d'une procédure qui ne viserait pas uniquement MM. Benalla et Crase. Je crois, au contraire, qu'il nous faut aller au bout de la démarche, lorsque nous observons, par exemple, le changement de ton intervenu entre la première et la seconde audition de M. Strzoda. Il a fallu le réentendre pour approcher de la vérité.
François Grosdidier évoquait hier, sur un plateau de télévision, les dysfonctionnements et les défaillances qui ont émaillé l'affaire Benalla. J'ajouterai à son constat la complaisance dont a bénéficié Alexandre Benalla de la part de ses supérieurs hiérarchiques.
Le rapport, enfin, ne fait pas mention de l'épisode du coffre-fort et la rocambolesque perquisition chez M. Benalla, qui certes relèvent de l'autorité judiciaire, mais révèlent la façon dont les proches de M. Benalla ont traité le dossier. Le groupe socialiste et républicain approuvera la publication du rapport... dès lors que nous aurons pris connaissance du courrier au Bureau !
M. Philippe Bas, président. - La lettre que vous évoquez vous sera remise, je l'accepte volontiers, mais elle ressortit d'une prérogative personnelle qui m'appartient en tant que président. Je vous en ai informé non pour recueillir votre autorisation, mais pour vous permettre de vous exprimer à son propos. Quoi qu'il en soit, il nous revient d'approuver préalablement la publication du rapport, à l'avant-propos duquel, monsieur Kanner, est brièvement mentionnée l'affaire du coffre-fort. S'ils relèvent de la justice, ces faits n'ont pas, pour autant, été passés sous silence.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - À titre personnel, je trouve d'ailleurs toujours aussi étrange que la justice n'ait diligenté aucune enquête.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Nos rapporteurs ont réalisé un rigoureux travail de synthèse des auditions, conforté sur plusieurs points par des pièces, mais il nous faudra, devant la presse, remettre en perspective les travaux de la commission : sans nous, l'affaire Benalla n'aurait pas tant émergé. Notre action a montré l'utilité du contre-pouvoir que représente le Sénat ; la popularité dont ont bénéficié pendant l'été nos rapporteurs et notre président en constitue la preuve.
Je m'interroge sur le contenu du courrier adressé au Bureau du Sénat. Il y est fait état, avez-vous précisé, des soupçons de faux-témoignage de M. Benalla sur ses passeports diplomatiques, mais qu'en est-il de sa mission dans le domaine de la sécurité présidentielle ? Si MM. Kohler, Strzoda et Lavergne ont tous contesté son rôle en la matière, une note de service en date du 5 juillet 2017 et une note du chef de cabinet de l'Élysée du 19 mai 2018 mentionnent pourtant bien un tel rôle. Il me semblerait dès lors curieux de ne pas nommer ces personnes dans le courrier précité. En effet, ni le Président du Sénat ni le Parquet ne se substitueront à vous, monsieur le président, car la victime des fausses allégations demeure notre commission.
Monsieur Richard, nous sommes tous gênés de ne pouvoir consulter les rapports en amont de notre réunion, mais la procédure, que je ne comprends guère, est identique à chaque fois et pour chaque rapport. Vous ne pouvez donc feindre de vous en étonner aujourd'hui ! En outre, le présent rapport est une synthèse de ce qui nous savons tous déjà, complétée par quelques pièces jointes fournies à l'appui. L'unique groupe politique du Sénat qui soutient officiellement le Président de la République devrait, à mon sens, réfléchir au fait d'adopter le rapport de la commission dont les préconisations apparaissent fort raisonnables. Certains membres de votre parti se réjouissent, devant les caméras, de l'incarcération de M. Benalla ; ce revirement doit être complexe à vivre...
M. Alain Richard. - Votre compassion me touche...
Mme Marie Mercier. - Je félicite également les rapporteurs pour leur travail d'une grande clarté. L'affaire Benalla m'apparaît comme l'histoire d'un gâchis. Ce jeune homme avait un certain talent ! Une lourde responsabilité incombe à ses employeurs qui n'ont pas été suffisamment attentifs à poser des limites à une telle personnalité. Votre rapport comporte en annexe un mot manuscrit de M. Benalla et une brève analyse graphologique aurait permis de faire apparaître les failles du personnage... Plus généralement, il conviendrait de mener systématiquement des études de personnalité préalablement à toute embauche d'un collaborateur du Président de la République.
Mme Esther Benbassa. - Votre rapport ne mentionne qu'une seule fois et de façon peu limpide le contenu de la saisine du Bureau du Sénat. Qui sera concerné parmi les collaborateurs de l'Élysée ? Il convient qu'il soit plus précis sur ce point.
Je partage l'opinion de notre collègue Alain Richard sur la procédure qui nous est imposée. Nous avons souvent, au cours de la présente mission, obtenu des informations par la presse, y compris l'heure de la présente réunion !
M. Philippe Bas, président. - Ce n'est pas exact, ma chère collègue, les convocations des membres précédent naturellement toujours les communiqués de presse annonçant les réunions.
Mme Esther Benbassa. - Un rapport aussi important aurait mérité que nous en prenions connaissance un peu plus en amont. Mais bien entendu, le groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste (CRCE) approuvera sa publication, même si les usages pourraient être davantage transparents, reproche que nous faisons d'ailleurs au fonctionnement de la Présidence de la République.
M. Jean Louis Masson. - Vous le savez, je ne soutiens ni le Président de la République ni M. Benalla et j'estime scandaleuse l'affaire qui le concerne. Pour autant, nous ne sommes pas une véritable commission d'enquête. Dès lors, d'un point de vue pénal, comment les personnes auditionnées pourraient-elles être poursuivies pour leurs propos si elles nous ont menti ? C'est impossible ! En outre, le champ de notre mission m'a toujours semblé se rapprocher dangereusement du périmètre de l'enquête judiciaire. Si nous avions été une vraie commission d'enquête, les chevauchements seraient apparus évidents. Nous ne pouvons pas exiger des réponses de personnes auditionnées qui font l'objet d'une enquête ! Le procédé m'a quelque peu choqué. Enfin, avec la saisine du Parquet, des fonctionnaires honnêtes de l'Élysée vont se trouver dans l'oeil du cyclone. Je suis réticent...
Je félicite cependant notre président et nos rapporteurs pour leur sérénité, leur calme et leur constance au long de nos travaux. Certains collègues, qui gesticulent devant la presse, auraient dû suivre leur exemple... Compte tenu de l'importance du présent rapport, il aurait été souhaitable de nous prévenir davantage en amont du jour et de l'horaire de son examen. Je vous fais confiance quant à son contenu, mais, ne l'ayant pas lu intégralement, je ne puis me prononcer.
Mme Catherine Troendlé. - Je remercie à mon tour nos collègues rapporteurs pour la qualité de leur travail et la présentation exhaustive de leurs conclusions. Il m'importe que l'action du Sénat ait été, à cette occasion, saluée et reconnue. Conservons notre sérieux et notre détermination ! Jean-Pierre Sueur a fait mention d'une annexe au courrier destiné au Bureau du Sénat relatant les contradictions répertoriées pendant les auditions. Pourrions-nous également en disposer ?
Je trouve enfin curieux que certains, qui multiplient en séance publique les rappels au Règlement, ignorent encore que ce dernier et l'ordonnance de 1958 autorisent justement une commission permanente à être dotée en toute légalité des prérogatives d'une commission d'enquête.
Mme Françoise Gatel. - Je salue le travail mené avec sérénité et discrétion par nos rapporteurs. Dans un contexte de critiques exacerbées des institutions, notre travail exprime l'utilité de la réflexion du Sénat face à la spontanéité des réseaux sociaux.
M. Benalla m'indiffère, mais je m'intéresse à ce que son comportement a mis en évidence : l'absence d'application du principe de précaution à l'Élysée. L'accident institutionnel que représente Alexandre Benalla n'aurait pas dû se produire tant il fragilise la Présidence de la République. Cet homme a une belle carrière cinématographique devant lui : ses aventures intéresseront sûrement de grands réalisateurs...
L'affaire Benalla a, quoi qu'il en soit, montré l'utilité de préserver un contrôle parlementaire indépendant. J'espère donc que les Français feront preuve de sang-froid et de pertinence en admettant le caractère indispensable d'une seconde chambre, dans l'intérêt de la République et de la démocratie.
M. Jacques Bigot. - La presse a suivi nos auditions avec assiduité ; le rapport ne révèlera aucun grand secret. En revanche, serait-il envisageable, alors que les Français réclament davantage de transparence, de mener une réflexion approfondie sur ses propositions nos 11 et 12 visant respectivement à conforter le pouvoir de contrôle du Parlement sur les services de la présidence de la République et à établir et confirmer la plénitude des pouvoirs d'investigation des commissions d'enquête parlementaires ? Les hautes autorités se démultiplient, mais le contrôle des institutions ne fonctionne pas mieux.
M. Philippe Bas, président. - L'image positive que notre commission a donnée au cours de cette mission est collective. Aucun commissaire n'a ainsi posé de question hors du champ de notre mandat ou qui aurait nécessité d'expliciter des décisions prises par le Président de la République. Il aurait pourtant été tentant de nous livrer à une instrumentalisation politique. Nous ne l'avons jamais fait, conservons le même état d'esprit devant la presse.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Je rejoins notre président sur la qualité de notre travail collégial. Il y aura, monsieur Reichardt, plusieurs réponses aux contradictions que nous dénonçons : une réponse politique en interne, d'éventuelles poursuites par le Parquet sur le fondement d'une saisine par le Bureau du Sénat et les suites qui seront données à la plainte de l'association Anticor relative à l'absence de déclaration à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP).
Monsieur Bonnecarrère, je partage votre analyse sur le lien de confiance qui doit exister entre les institutions, mais cela implique que le Sénat soit également respecté ! Dès lors, les mensonges proférés devant notre commission doivent être poursuivis comme tels. La perquisition relève de la justice, monsieur Leconte, mais l'avant-propos du rapport en fait néanmoins état. Il peut parfois sembler délicat de résister aux injonctions d'un collaborateur de la présidence de la République. Les représentants de l'inspection générale de la police nationale (IGPN) l'ont eux-mêmes reconnu devant notre commission.
M. Grosdidier nous a interrogés sur l'étendue de la saisine du Bureau : sont nommés dans notre courrier MM. Benalla et Crase - dont nous estimons que les propos en audition peuvent être constitutifs d'un faux témoignage - et MM. Kohler, Strzoda et Lavergne - dont nous relevons qu'ils ont retenu une part significative de la vérité. L'arrêté non publié du Président de la République est en effet un des moyens, madame Delattre, par lequel M. Benalla envisageait de se faire délivrer une autorisation de port d'arme. Nous avons joint en annexe du rapport la note de M. Benalla listant les fondements juridiques possibles en faveur d'une telle autorisation, qu'il réclame depuis 2012 - c'est une constante du personnage. L'idée que le Président de la République signe un arrêté spécial y figure, mais elle ne s'est heureusement jamais concrétisée à notre connaissance.
Ainsi que je l'indiquais, madame de la Gontrie, le Parquet demeurera libre des suites à apporter à sa saisine par le Bureau du Sénat. Madame Mercier, notre rapport préconise effectivement qu'une enquête administrative soit menée préalablement à toute embauche auprès du Président de la République. Si cela avait été réalisé s'agissant de M. Benalla, auraient pu être révélés les difficultés ayant conduit à son licenciement de son précédent poste auprès d'Arnaud Montebourg, alors ministre du redressement productif, ainsi que le refus à sa première demande de port d'arme au motif que la police avait dû intervenir à son domicile.
Madame Troendlé, les annexes au courrier destiné
au Bureau vous seront également fournies. Je vous rejoins, madame Gatel,
s'agissant de la nécessaire application du principe de précaution
avant un recrutement à l'Élysée. Je partage enfin le
souhait de
M. Bigot s'agissant d'une réflexion approfondie à
mener ultérieurement sur les propositions nos 11 et 12
du rapport.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Compte tenu de la précision des réponses apportées par ma collègue rapporteur, je me contenterai de deux remarques. D'abord, nous n'avons pas travaillé dans un esprit partisan. Nous avons d'ailleurs cosigné avec Philippe Bas le courrier destiné au Bureau du Sénat, afin d'afficher notre unité, d'autant plus essentielle que la commission d'enquête de l'Assemblée nationale a explosé en vol. Ensuite, je tiens à préciser, notamment à Mme Troendlé, que la rédaction dudit courrier, en particulier les personnes citées, a été pesée au trébuchet. L'annexe de cinq pages est d'ailleurs indissociable du courrier, dont elle permet d'éclairer la lecture. Une personne de la préfecture de police y est citée pour présomption de faux témoignage devant la commission, sans pour autant figurer au courrier.
M. Simon Sutour. - Il a été fait mention à plusieurs reprises du Règlement du Sénat, régulièrement modifié, notamment sous la houlette de notre collègue Alain Richard. Nous le piétinons pourtant sans le vouloir cet après-midi, où se tiendront à la même heure la séance publique, une réunion de la commission des lois et une réunion de la commission des affaires européennes, alors même qu'il nous est imposé de strictes règles de présence.
M. Philippe Bas, président. - Il me fallait sinon fixer la réunion de notre commission jeudi matin sur le temps réservé à la commission des affaires européennes, solution à laquelle je n'ai pu me résoudre, vous y sachant très assidu.
Mes chers collègues, après ces riches interventions, il m'appartient désormais de vous inviter à voter sur l'autorisation de publication du rapport d'information, ainsi que sur la publication des documents recueillis par les rapporteurs figurant en annexe.
La commission autorise la publication du rapport et des documents annexés.
Je vous remercie, mes chers collègues, et je me réjouis de ce vote unanime, sous réserve de trois abstentions.
La réunion est close à 11 heures.
- Présidence de M. François Pillet, vice-président -
La réunion est ouverte à 15 h 30.
Proposition de loi visant à encadrer le démarchage téléphonique et à lutter contre les appels frauduleux - Examen des amendements au texte de la commission
M. François Pillet, président. - Nous allons examiner les amendements à la proposition de loi visant à encadrer le démarchage téléphonique et à lutter contre les appels frauduleux.
M. André Reichardt, rapporteur. - Une trentaine d'amendements ont été déposés sur le texte.
EXAMEN DES AMENDEMENTS DU RAPPORTEUR
Article 1er bis
L'amendement rédactionnel n° 36 est adopté.
Article 6
L'amendement rédactionnel n° 37 est adopté.
Article 7
L'amendement n° 38 est adopté.
EXAMEN DES AMENDEMENTS DE SÉANCE
Articles additionnels avant l'article 1er
M. André Reichardt, rapporteur. - Neuf amendements sont en discussion commune.
M. Jacques Bigot. - Cher monsieur Pillet, je suis ravi que vous soyez notre président alors que c'est sans doute l'une des dernières fois que vous siégez dans notre commission. Nous vous regretterons.
Mon groupe estime que le texte tel qu'il est proposé ne servira pas à grand-chose et ne protègera pas de façon efficace nos concitoyens contre ce que nous considérons comme du harcèlement téléphonique. Nous avons suggéré une autre voie, celle du consentement préalable du consommateur à être démarché téléphoniquement. Il s'agit de l'opt in. Pour cela les consommateurs indiqueraient à leur opérateur de communications leur accord exprès en vue de faire l'objet de prospection commerciale ; en résumé, qu'ils acceptent d'être dérangés. Le système de l'opt out ne donne en effet pas satisfaction, d'autant qu'il n'est pas contrôlé. L'opt in nous semble la seule bonne solution.
M. André Reichardt, rapporteur. - Les amendements nos 24 rectifié et 3 rectifié sont contraires à la position de la commission qui a approuvé le système d'opposition expresse : avis défavorable.
Je comprends l'intention des amendements identiques nos 8 rectifié ter, 23 rectifié bis et 28 rectifié qui proposent la mise en place d'un préfixe unique de numérotation téléphonique pour les appels de prospection commerciale. Il s'agit de permettre aux consommateurs de mieux identifier ces appels grâce à ce préfixe. Cette proposition a été suggérée lors de nos auditions par les associations de consommateurs, mais il faudrait faire évaluer la faisabilité de ce préfixe par l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) et vérifier l'impact économique pour les entreprises. Au final, les consommateurs qui identifieraient le préfixe ne décrocheraient pas, ce qui se traduirait par des destructions d'emplois, ce que je ne souhaite pas. En l'absence de ces études, je vous propose de solliciter le retrait ou de donner un avis défavorable à cet amendement, d'autant plus qu'à compter du 1er août 2019, dans le cadre du plan de numérotation de l'Arcep, il sera interdit d'appeler depuis l'étranger avec un numéro national. Ce sera un premier filtrage.
Je suis favorable aux amendements identiques nos 10 rectifié ter et 19 rectifié ter, sous réserve qu'ils prévoient que : « L'inscription sur cette liste se fait par voie dématérialisée, postale ou téléphonique ».
M. Alain Marc. - J'accepte de procéder à cette rectification.
M. Jean-Pierre Sueur. - Moi aussi.
M. François Pillet, président. - La commission pourra donc donner un avis favorable à ces amendements lorsqu'ils auront été rectifiés par leurs auteurs.
M. André Reichardt, rapporteur. - Je suis défavorable aux amendements nos 27 rectifié bis et 12 rectifié ter qui permettent au consommateur de donner mandat à son opérateur de téléphonie pour effectuer l'inscription sur la liste Bloctel : l'opérateur aurait tout intérêt à ce que son client ne se fasse pas démarcher par ses concurrents. Ce serait un opt in déguisé.
Néanmoins, je serais favorable à la première partie de l'amendement n° 27 rectifié bis s'il était ainsi rédigé : « ... La faculté pour l'abonné de s'inscrire gratuitement sur la liste d'opposition au démarchage téléphonique prévue à l'article L. 223-1 ». Ce faisant, serait ainsi rappelé à l'abonné dans les clauses contractuelles qu'il peut s'inscrire sur la liste d'opposition au démarchage téléphonique.
M. Jean-Pierre Sueur. - J'accepte cette rectification.
M. Jacques Bigot. - Je ne comprends pas votre position sur l'amendement n° 12 rectifié ter : si l'on veut que Bloctel fonctionne, laissons la possibilité au consommateur de demander à son opérateur de l'inscrire sur ce fichier.
Mme Nathalie Delattre. - J'ai entendu ce que M. Reichardt a dit sur l'amendement n° 28 rectifié. Comment allez-vous obtenir l'étude d'impact qui vous manque ?
M. François Pillet, président. - Si vous arrivez à convaincre notre collègue, il est à parier qu'elle retirera son amendement.
M. André Reichardt, rapporteur. - Nous n'obtiendrons pas d'étude d'impact dans les 24 heures, ni d'évaluation de la faisabilité de l'opération par l'Arcep. Nous pourrons revoir ce point ultérieurement s'il est prouvé que l'instauration d'un préfixé dédié aux démarches téléphoniques ne détruira pas d'emplois. Demain, nous pourrons demander au Gouvernement de s'exprimer sur ce point.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 24 rectifié, ainsi qu'à l'amendement n° 3 rectifié.
La commission émet un avis défavorable aux amendements nos 8 rectifié ter, 23 rectifié bis et 28 rectifié.
La commission émet un avis favorable aux amendements nos 10 rectifié ter et 19 rectifié ter.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 27 rectifié bis.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 12 rectifié ter.
M. André Reichardt, rapporteur. - L'amendement n° 7 est contraire à la position de la commission : avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 7.
M. André Reichardt, rapporteur. - L'amendement de coordination n° 16 rectifié est contraire à l'avis de la commission : avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 16 rectifié.
Article additionnel après l'article 1er
M. André Reichardt, rapporteur. - L'amendement n° 29 fixe directement dans la loi les jours et horaires auxquels peut avoir lieu le démarchage téléphonique. Cet amendement est irrecevable au regard de l'article 41 de la Constitution car il empiète sur le pouvoir réglementaire. En outre, cet amendement sera satisfait par d'autres amendements à l'article 1er bis.
La commission demande au Président du Sénat de se prononcer sur l'irrecevabilité de l'amendement n° 29 au regard de l'article 41 de la Constitution.
M. André Reichardt, rapporteur. - Les amendements nos 4 et 17 rectifié sont contraires à l'avis de la commission : avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 4 ainsi qu'à l'amendement n° 17 rectifié.
M. André Reichardt, rapporteur. - L'amendement n° 26 rétablit la charte de bonnes pratiques : j'ai déjà dit que ce n'était pas du domaine législatif. Avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 26.
M. André Reichardt, rapporteur. - Les amendements nos 5 rectifié et 30 renvoient au pouvoir réglementaire le soin de fixer les jours, les horaires et la fréquence auxquels les appels de démarchage téléphonique sont autorisés. Un amendement de M. Grand allant dans le même sens n'a pas été adopté la semaine dernière par notre commission. Néanmoins, il me semble utile de préciser le contenu du décret qui fixera les normes déontologiques prévues à l'article 1er bis. Je propose donc un avis favorable à l'amendement n° 5 rectifié de Mme Imbert. Je propose aussi un avis favorable à l'amendement n° 30 sous réserve de sa modification pour le rendre identique à celui de Mme Imbert.
Mme Nathalie Delattre. - J'accepte cette rectification.
La commission émet un avis favorable aux amendements identiques n° 5 rectifié et 30.
M. André Reichardt, rapporteur. - L'amendement n° 2 rectifié bis interdit le démarchage téléphonique sur les téléphones cellulaires. Tout d'abord, les dispositions de cette proposition de loi s'appliquent tant aux téléphones fixes qu'aux cellulaires. En outre, les téléphones mobiles disposent d'une option de blocage des appels jugés indésirables. Le démarchage sur les mobiles me semble d'ailleurs moins intrusif que sur le téléphone fixe, au domicile. L'adoption de cet amendement reviendrait à mon sens à mettre en place un opt in encore plus dur que celui proposé précédemment, car cela interdirait purement et simplement tout appel sur un mobile, même en cas de consentement du consommateur. Cela pourrait même poser la question du respect du principe de la liberté du commerce et de l'industrie. Enfin, le démarchage sur les mobiles représente une très forte part de l'activité de prospection commerciale car de moins en moins de personnes ont une ligne fixe. Une telle mesure aurait donc, là encore, nécessairement des conséquences économiques. Une étude de l'Arcep fait état de 13 000 minutes de communications au troisième trimestre 2018 pour les fixes contre 54 000 minutes pour les mobiles. Retrait ou avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 2 rectifié bis.
M. André Reichardt, rapporteur. - L'amendement n° 33 du Gouvernement est contraire à l'avis de la commission. En outre, il a été déposé il y a moins de 30 minutes. Avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 33.
M. André Reichardt, rapporteur. - Même remarque que précédemment pour cet amendement n° 34 du Gouvernement, qui supprime les règles de plafonnement des sanctions que la commission a introduites en cas de cumul, pour assurer la proportionnalité du dispositif. Avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 34.
Articles additionnels après l'article 4
M. André Reichardt, rapporteur. - L'amendement n° 1 rectifié bis est contraire à l'avis de la commission : avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 1 rectifié bis.
M. André Reichardt, rapporteur. - L'amendement n° 9 rectifié ter tend à inclure dans le champ de l'article L. 34-5 du code des postes et télécommunications électroniques les appels de démarchage faisant l'objet d'une présélection automatique. Cet amendement prévoit d'imposer aux professionnels de laisser un message sur le répondeur des consommateurs indiquant le nom de la société et ses coordonnées afin que le consommateur les rappelle, le cas échéant, pour faire valoir son droit d'opposition. Or cet article du code concerne uniquement la prospection commerciale entièrement automatisée, pour laquelle est requis le consentement préalable du consommateur, en application du droit de l'Union européenne et de la directive dite e-privacy de 2002. Le champ d'application ne s'étend pas aux appels devant aboutir à une prise de contact par un téléconseiller.
En outre, cette disposition pourrait même être une nuisance supplémentaire pour le consommateur qui, le soir, découvrirait plusieurs messages de prospection commerciale sur son répondeur téléphonique, ce qui n'est pas forcément agréable. Retrait ou défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 9 rectifié ter.
M. André Reichardt, rapporteur. - Les amendements identiques nos 14 rectifié bis et 32 et l'amendement n° 25 sont contraires à la position de la commission : avis défavorable.
M. Jacques Bigot. - Nous en restons donc au système où le consommateur manifestera son opposition expresse pour ne pas être dérangé. Avec notre amendement, nous proposons, dans l'hypothèse où nous conserverions l'opt out, de limiter les sollicitations des consommateurs aux seuls contrats en cours, afin d'éviter des démarchages en raison de « relations contractuelles préexistantes », car ces dernières peuvent remonter à des années. L'appel doit être en lien avec un contrat existant. Je ne comprends pas la position de la commission.
M. André Reichardt, rapporteur. - Le débat aura lieu en séance. Avec ces amendements, on créerait une distorsion liée à l'activité économique, on détruirait un certain nombre d'emplois et on irait vers des contentieux. L'avis reste défavorable.
La commission émet un avis défavorable aux amendements nos 14 rectifié bis, 32 et 25.
M. André Reichardt, rapporteur. - L'amendement n° 35 du Gouvernement est contraire à la position de la commission : avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 35.
M. André Reichardt, rapporteur. - L'amendement n° 18 rectifié est contraire à la position de la commission : avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 18 rectifié.
Articles additionnels après l'article 8
M. André Reichardt, rapporteur. - La commission est défavorable à l'amendement n° 6, qui tend à interdire les opérations promotionnelles hors soldes lors d'un démarchage téléphonique.
En premier lieu, il ne peut absolument pas être fait référence au terme de « soldes » en dehors des conditions prévues par la loi. En second lieu, je ne vois pas pourquoi on interdirait la mention d'éventuels rabais hors soldes dans le cadre du démarchage téléphonique s'ils peuvent être autorisés pour d'autres types de vente. Je rappelle en outre que le cadre relatif aux pratiques commerciales trompeuses ou agressives s'applique bien entendu au démarchage téléphonique.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 6.
M. André Reichardt, rapporteur. - La commission est défavorable à l'amendement n° 31, qui fait référence à l'article L. 2223-33 du code général des collectivités territoriales, lequel interdit le démarchage en prévision d'obsèques ou pendant un délai de deux mois à compter du décès, sous peine d'une amende pénale.
L'amendement tend à inverser la charge de la preuve en cas d'infraction : ce serait au professionnel attaqué de prouver qu'il n'a pas fait de prospection commerciale auprès de la famille. Cela me semble difficile à mettre en oeuvre, mais surtout je ne vois pas de raison particulière de déroger pour cette seule infraction au principe général d'administration de la preuve, selon lequel la charge de la preuve pèse sur le demandeur. Le cadre étant déjà très rigoureux pour le démarchage en matière d'obsèques, cette modification ne me semble pas opportune.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 31.
Le sort des amendements du rapporteur examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
La commission donne les avis suivants :
Proposition de loi visant à lutter contre toutes les violences éducatives ordinaires - Examen du rapport et du texte de la commission
Mme Marie-Pierre de la Gontrie, rapporteure. - La proposition de loi visant à lutter contre toutes les violences éducatives ordinaires, déposée par notre collègue Laurence Rossignol, s'inscrit dans le prolongement des deux lois de référence en matière de protection de l'enfance, celle de 2007 et celle de 2016.
Nous le savons tous, la violence sur les enfants ne constitue pas une méthode d'éducation. Pourtant, ce que l'on appelle les violences éducatives ordinaires, terme qui désigne à la fois les coups, les gifles, les humiliations ou les insultes, sont encore communément admises aujourd'hui, voire encouragées.
Malgré de récentes études scientifiques qui démontrent qu'elle a des effets néfastes sur le développement des enfants, 85 % des parents auraient recours à la violence dans le cadre de leur éducation. Plus de 50 % d'entre eux commenceraient même à frapper leurs enfants avant l'âge de deux ans.
Depuis une vingtaine d'années, la recherche a permis de comprendre que cette violence était souvent intériorisée, admise comme un mode de relation et de résolution des conflits. Cela peut mener à une banalisation du recours à la violence.
La violence peut également conduire à des comportements antisociaux, des addictions ou des troubles anxio-dépressifs. Depuis quelques années, la recherche en neurobiologie montre que l'exposition des enfants au stress a des effets nuisibles sur leur développement et leurs capacités d'apprentissage, en plus des désordres psychologiques que je viens d'évoquer.
Un grand nombre de pays a déjà légiféré sur le sujet. Le plus ancien est la Suède : dans ce pays, on a observé une forte diminution du nombre de demandes de placements en foyer. En Allemagne, on a également constaté une baisse de la violence des jeunes à l'école.
Contrairement à ce que l'on affirme parfois, les violences éducatives ordinaires ne sont pas interdites par notre droit. Plusieurs articles du code pénal prévoient certes des sanctions lourdes - trois ans d'emprisonnement - pour des violences commises sur un mineur de quinze ans, mais la Cour de cassation a admis ce qu'elle a appelé un « droit de correction » lorsque les violences ont été proportionnées aux manquements commis, si elles n'ont pas eu de caractère humiliant et qu'elles n'ont pas causé de dommages à l'enfant. La jurisprudence crée ainsi un concept de violence « utile » et acceptable.
La France est aujourd'hui en contravention avec la Convention internationale des droits de l'enfant, qu'elle a pourtant ratifiée, et qui stipule que les États doivent prendre toutes les mesures législatives « pour protéger l'enfant contre toute forme de violence, d'atteinte ou de brutalités physiques ou mentales » lorsqu'il est sous la garde de ses parents.
Notre pays a d'ailleurs déjà été condamné par le Comité européen des droits sociaux pour absence d'interdiction explicite et effective de tous les châtiments corporels envers les enfants. L'adoption de cette proposition de loi permettrait de nous inscrire dans ce mouvement européen, et ce d'autant plus que 54 pays ont déjà intégré cette interdiction dans leur législation, dont 23 pays de l'Union européenne sur 28. Cinq pays seulement, dont le nôtre, n'ont pas franchi le pas.
L'article unique de la proposition de loi complète l'article 371-1 du code civil pour préciser les modalités d'exercice de l'autorité parentale, en excluant « tout traitement cruel, dégradant ou humiliant, y compris tout recours aux punitions et châtiments corporels ».
Cependant, en novembre dernier, nos collègues députés ont adopté un texte similaire à celui de Mme Rossignol après de longs débats nourris, qui ont abouti à un quasi-consensus. C'est pourquoi je vous propose aujourd'hui d'adopter l'amendement COM-2, que je vous présente, ayant pour objet de reprendre le dispositif adopté par l'Assemblée nationale, selon lequel « l'autorité parentale s'exerce sans violences physiques ou psychologiques ». Cette rédaction est plus sobre que la nôtre, mais s'accorde avec le texte présenté par Laurence Rossignol.
Le code civil est le pilier de notre contrat social. On y trouve l'énoncé de plusieurs principes comme celui du respect dû à son père et à sa mère, par exemple. Compléter l'article sur l'autorité parentale de cette façon incitera la jurisprudence à évoluer.
M. François Pillet, président. - Ce texte, même de portée symbolique, a un intérêt pédagogique, puisque l'article 371-1 du code civil est lu lors des mariages.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie, rapporteure. - Je propose à la commission de donner un avis défavorable à l'amendement de suppression COM-1 rectifié bis.
M. Alain Marc. - Mon amendement a pour principal objet de dénoncer la portée strictement symbolique de ce texte : il est assez illusoire d'imaginer que la loi suffira à régler le problème des violences éducatives ordinaires. Il faut avant tout travailler avec les conseils départementaux, les travailleurs sociaux et les enseignants du premier degré, qui sont souvent les plus exposés aux symptômes de la maltraitance.
Cela étant, nous sommes tous opposés à la violence et conscients de ses effets sur l'éducation et le développement psychique des enfants. C'est pourquoi je me rallierai à votre démarche et retirerai mon amendement.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie, rapporteure. - Je n'ai pas évoqué dans mon exposé la nécessité d'un soutien à la parentalité, mais il est évident que certains parents ont recours à la violence parce qu'ils se sentent démunis.
M. Yves Détraigne. - Nous ne vivons pas dans le monde des Bisounours. Parfois, seule une bonne tape sur les fesses permet de ramener le calme. Si l'on interdit ce genre de pratique, on va compliquer la tâche de nombreuses familles.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Le texte a peut-être une portée symbolique et pédagogique mais, selon moi, il ne changera rien. Je le voterai, car personne ne peut s'opposer à un texte pareil. Simplement, il ne règlera pas le problème de la maltraitance. Il faudrait plutôt veiller à davantage sanctionner certaines violences corporelles commises sur les enfants, et à travailler en amont avec les familles, les travailleurs sociaux, les éducateurs, pour prendre en charge les difficultés le plus tôt possible.
M. Jean-Pierre Sueur. - J'ai suffisamment protesté sur le temps perdu à voter des propositions de loi qui ne sont finalement pas mises en navette pour ne pas saluer l'initiative de la rapporteure.
M. Loïc Hervé. - La proposition de la rapporteure nous convient également. En tant que père de famille, je pense qu'il faut souscrire à un certain nombre de principes relevant de l'éducation bienveillante, et bannir le plus possible le recours à la violence.
M. Jacques Bigot. - Il est utile que la loi rappelle des principes. Souvenons-nous que, par le passé, les violences étaient vécues comme un système éducatif. Il n'est qu'à voir la jurisprudence de la Cour de cassation.
Il est sain de rappeler que l'autorité parentale doit s'accompagner d'un certain nombre de règles fixées par le législateur. Le texte de l'Assemble nationale est certainement plus doux que le nôtre. J'adhère à la proposition de notre rapporteure de nous y rallier.
M. François Pillet, président. - Dans les faits, chacun sait que le parquet ne poursuivra pas systématiquement les auteurs de violences, le procureur appréciant l'opportunité des poursuites.
Mme Marie Mercier. - Dans une société de plus en plus violente, je ne trouve pas inutile de rappeler certains principes au moment du mariage. Cela contribue à une éducation globale de la société et participe d'une démarche de prévention.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie, rapporteure. - Jacqueline Eustache-Brinio a raison de dire que ce texte ne suffira pas. Affirmer le principe de l'interdiction des violences éducatives ordinaires a tout de même un intérêt, celui d'enclencher une dynamique.
L'amendement de suppression COM-1 rectifié bis est retiré.
L'amendement COM-2 est adopté.
La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
Proposition de loi visant à interdire l'usage des lanceurs de balles de défense dans le cadre du maintien de l'ordre et à engager une réflexion sur les stratégies de désescalade et les alternatives pacifiques possibles à l'emploi de la force publique dans ce cadre - Examen du rapport et du texte de la commission
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteur. - Nous sommes saisis aujourd'hui d'une proposition de loi visant à interdire l'usage des lanceurs de balles de défense dans le cadre du maintien de l'ordre et à engager une réflexion sur les stratégies de désescalade et les alternatives pacifiques possibles à l'emploi de la force publique, déposée par Mme Éliane Assassi et plusieurs de ses collègues du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
L'examen de ce texte s'inscrit dans un contexte social et sécuritaire difficile : depuis maintenant quatorze semaines, nous assistons sur l'ensemble du territoire à des manifestations hebdomadaires qui s'accompagnent d'actes de violences et de dégradations sans précédent. Depuis le 17 novembre, date du premier acte des « gilets jaunes », 8 400 personnes ont été interpellées et 1 800 ont été condamnées pour des délits.
Les conséquences de ces actes, nous les connaissons tous. Des dégradations d'une ampleur inédite ont été commises dans les plus grands centres urbains, y compris à l'encontre d'institutions. Un nombre important de blessés est à déplorer, du côté des manifestants comme des forces de l'ordre.
Dans ce contexte pour le moins inédit, nombreux sont ceux qui s'interrogent sur l'adéquation de la doctrine française de maintien de l'ordre. Il ne fait aucun doute, en effet, que des transformations devront être apportées dans l'organisation et la stratégie de nos dispositifs de maintien de l'ordre pour répondre à l'évolution et à la radicalisation des mouvements sociaux.
La présente proposition de loi s'inscrit dans ce débat, mais adopte un angle précis : selon ses auteurs, elle vise à « apporter à la fois une solution immédiate à l'urgence de la situation et à l'émotion suscitée par l'usage massif des lanceurs de balles de défense, et à proposer des pistes d'amélioration pour le long terme ».
Son objet est triple. Son article 1er - la principale disposition du texte - vise à interdire l'usage des lanceurs de balles de défense dans le cadre des opérations de maintien de l'ordre, quelle que soit l'unité amenée à intervenir. Les auteurs de la proposition de loi justifient cette interdiction par le niveau élevé de dangerosité de cette arme, dite « de force intermédiaire », et par le nombre de blessures qui lui ont été imputées au cours des dernières semaines.
L'article 2 tend à renforcer la transparence sur l'usage des armes par les forces de l'ordre. La police nationale dispose d'un fichier interne, le traitement relatif à l'usage des armes, dans lequel sont recensées les données relatives aux circonstances de l'usage des armes. Le texte tend à permettre l'ouverture de ce fichier au public, au lendemain de chaque manifestation se déroulant sur la voie publique.
Enfin, l'article 3 prévoit une demande de rapport au Parlement « sur les avantages et les inconvénients de chaque type de doctrine au niveau européen, et sur les alternatives à mettre en oeuvre dans notre pays pour pacifier le maintien de l'ordre dans le cadre des manifestations ».
Cette proposition de loi soulève un débat essentiel, mais présente plusieurs limites. Elles sont d'abord juridiques : la plupart des dispositions ne relèvent pas de la loi mais du domaine réglementaire. La liste des armes susceptibles d'être utilisées dans le cadre du maintien de l'ordre est fixée par décret. De même, les conditions d'accès au traitement relatif à l'usage des armes sont déterminées par arrêté du ministre de l'intérieur et ne peuvent, en conséquence, être modifiées par la loi.
Les dispositifs proposés me semblent surtout soulever des difficultés sur le fond. Les personnes que j'ai auditionnées s'accordent pour dire que l'interdiction pure et simple des lanceurs de balles de défense, sans offrir d'alternative, est susceptible de déstabiliser l'organisation des opérations de maintien de l'ordre. Le lanceur de balles de défense (LBD) est intégré depuis plusieurs années à l'arsenal des forces de maintien de l'ordre. Comme l'a récemment rappelé le Conseil d'État dans trois ordonnances de référé, son emploi est néanmoins strictement encadré.
Deux usages sont prévus par le code de la sécurité intérieure. Le premier, dit collectif, est spécifique aux opérations de maintien de l'ordre : il autorise l'usage du LBD lorsque, à l'occasion d'un attroupement sur la voie publique, des voies de fait ou des violences sont commises à l'encontre des forces de l'ordre, ou lorsque celles-ci ne sont pas en mesure de protéger le terrain qu'elles occupent. Le LBD est alors utilisé en groupe, par l'ensemble de l'unité, sur décision du commandement.
Le second usage, dit individuel, repose sur le régime général d'usage des armes par les forces de sécurité intérieure : le LBD peut alors être utilisé, y compris dans le cadre d'une manifestation, lorsque l'usage de l'arme létale est légitime. Il s'agit, par exemple, des cas de légitime défense, d'état de nécessité ou encore de l'action conduite face à un périple meurtrier.
En revanche - et j'insiste sur ce point - le LBD ne peut pas être utilisé par les unités de maintien de l'ordre en vue de disperser un attroupement, après sommations. Son usage est donc purement défensif.
Outre ce cadre légal et réglementaire, une instruction fixe, de manière claire et précise, la doctrine d'emploi du LBD. Celle-ci prohibe notamment le tir à la tête, ainsi que le tir contre des personnes présentant des signes de vulnérabilité.
On ne peut nier que l'usage du LBD, jusque-là assez réduit, a beaucoup progressé au cours des dernières semaines, entraînant parfois des blessures importantes. Ainsi, alors que 6 284 tirs de LBD ont été recensés au sein de la police nationale sur l'année 2017, 13 460 tirs ont été décomptés entre le 17 novembre 2018 et le 5 février 2019. Depuis le début des manifestations des gilets jaunes, un millier de tirs de LBD a été effectué par les escadrons de gendarmerie mobile, contre une cinquantaine seulement en 2017.
Cet usage massif, conjoncturel, s'explique par les violences sans précédent perpétrées à l'encontre des forces de sécurité intérieure dans le cadre des manifestations. Cela ne justifie pas, pour autant, qu'on l'interdise.
Il est tout d'abord essentiel de ne pas confondre l'usage légitime et légal d'une arme, qui est toujours susceptible de blesser, avec le mésusage de la force. Constater des blessures, aussi graves soient-elles, ne suffit pas à établir que l'emploi de l'arme était illégitime. L'existence d'éventuelles dérives personnelles dans l'usage des LBD, qu'il appartient à la justice de condamner fermement, ne justifient pas davantage d'en interdire l'emploi.
On ne peut que regretter que l'usage du LBD puisse, dans certaines circonstances, provoquer des blessures, parfois graves. Mais le nombre de celles-ci reste réduit par rapport au nombre de tirs effectués : sur les quelque 13 460 munitions utilisées dans le cadre des manifestations sur la voie publique depuis la mi-novembre 2018, l'inspection générale de la police nationale n'a été saisie, à ce jour, que de 56 cas de blessures graves.
Surtout, il est essentiel de rappeler que le lanceur de balles de défense constitue une arme de force intermédiaire, nécessaire à la mise en oeuvre d'une réponse graduée et d'un usage proportionné de la force. En interdire l'usage reviendrait à supprimer un échelon dans l'arsenal des moyens à disposition de nos forces de l'ordre, avec deux risques : soit inciter au contact direct entre les manifestants et les forces de l'ordre, qui n'est pas de nature à réduire le nombre de blessés ; soit induire un recours plus fréquent à l'arme létale.
La Cour européenne des droits de l'homme exige d'ailleurs, pour ces mêmes raisons, la mise en oeuvre d'une réponse graduée et d'un usage proportionné de la force dans le cadre des opérations de maintien de l'ordre. Dans un arrêt de 1998, elle a par exemple condamné la Turquie car elle n'avait pas doté ses forces de police d'autres armes que les armes à feu et ne leur avait pas laissé d'autres choix que d'utiliser leur arme létale à l'occasion d'une manifestation.
Ces arguments militent pour le maintien de l'usage du LBD. Pour autant, il demeure essentiel que le ministère de l'intérieur s'assure de son bon usage et du strict respect du cadre juridique. Or, à cet égard, il ressort des auditions que j'ai organisées des marges d'amélioration possibles. La formation des agents à l'usage de cette arme pourrait, tout d'abord, être améliorée : l'obligation d'entraînement tous les trois ans est jugée insuffisante par les policiers et gendarmes eux-mêmes. Par ailleurs, si la mise en place de caméras mobiles pour collecter des données sur l'usage de cette arme constitue une avancée importante, des améliorations techniques mériteraient d'y être apportées pour les rendre complètement opérationnelles.
Passons maintenant aux deux autres articles du texte. Tout comme l'interdiction du LBD, l'ouverture au public du traitement relatif à l'usage des armes est porteuse de risques pour les forces de l'ordre. Outre les difficultés qu'elle soulève en termes de protection des données personnelles, elle pourrait conduire à rendre publiques des données relatives aux conditions d'intervention des forces de l'ordre, ce qui risquerait de fragiliser leur action. En outre, ouvrir ce traitement ne donnerait qu'une vision partielle de l'usage des armes, car il ne concerne que la police nationale. La gendarmerie nationale ne dispose pas, quant à elle, de fichier équivalent.
Enfin, par le biais d'une demande de rapport au Parlement, les auteurs de la proposition de loi invitent à repenser la doctrine française du maintien de l'ordre, en s'inspirant des modèles mis en oeuvre dans d'autres pays européens.
Le débat mérite d'être posé. Toutefois, les pistes esquissées par la proposition de loi ne paraissent pas de nature à répondre aux défis auxquels le dispositif français de maintien de l'ordre est aujourd'hui confronté.
Contrairement à la conception communément admise, les doctrines fondées sur le principe de « désescalade » ne sont pas en effet exemptes, dans la pratique, de tensions avec les forces de l'ordre. Un rapport des inspections générales de la police nationale et de la gendarmerie nationale de 2014 révèle ainsi que la doctrine allemande, souvent donnée en exemple, est en réalité fondée sur une entrée en contact directe et rapide avec les manifestants, qui s'accompagne d'un nombre important de blessés des deux côtés.
Aucune des personnes que j'ai entendues ne réfute la nécessité de faire évoluer notre doctrine de maintien de l'ordre. Néanmoins, d'autres pistes d'amélioration sont aujourd'hui privilégiées : révision de la procédure des sommations préalables, renforcement de la judiciarisation a posteriori des actes de violence et de dégradations.
Au vu de l'ensemble de ces arguments, je vous proposerai de ne pas adopter cette proposition de loi.
M. François Pillet, président. - La qualité d'un rapport se mesure à sa capacité à présenter les informations à charge et à décharge pour permettre à chacun de juger par soi-même - même si cela n'empêche pas le rapporteur de donner son avis. Votre rapport apporte ainsi de nombreuses informations, comme la procédure précise d'utilisation de cette arme, qui est peu connue. Si elle l'était davantage, il y aurait peut-être moins de critiques.
M. Jérôme Durain. - Cette proposition de loi n'est pas dénuée d'intérêt : elle porte sur un sujet au coeur de l'actualité : l'usage proportionné de la force. Vous avez dissipé un doute sur le caractère réglementaire ou législatif des dispositions proposées. La question reste entière : comment faire en sorte que le monopole de la violence légitime ne soit pas remis en cause et conserve un caractère de dissuasion ? Certains veulent fermer le banc et disent : nos forces de l'ordre doivent pouvoir se défendre. D'autres s'alarment du nombre de blessés et veulent prohiber les LBD. Mais nous ne devons pas légiférer sous la pression de l'actualité.
Malgré tout, le Défenseur des droits, plusieurs ONG et un ancien préfet de police ont alerté sur les dangers de cette arme. Mais ce texte ne dit rien de la grenade de désencerclement GLI F4, qui a pourtant causé de gros dégâts. Les manifestants sont de plus en plus radicaux, violents, imprévisibles. Les forces de l'ordre souffrent beaucoup et les priver de cet outil pourrait les mettre en danger sur le terrain. Le groupe socialiste et républicain, qui refuse une position caricaturale, connaît un débat sur ce sujet en son sein. Nous ne prendrons donc pas part au vote en commission, sinon en votant contre l'amendement de suppression qui a été déposé.
Lorsque l'on confie ces armes à des unités non formées, comme les brigades anti-criminalité (BAC), cela augmente les risques.
Davantage de transparence dans le suivi de l'usage des armes serait souhaitable, même s'il peut être difficile d'attendre une décision de justice pour qualifier un emploi. Notre groupe reste donc sur une position de réserve pour que le débat puisse se dérouler pleinement en séance publique.
M. François Grosdidier. - Merci pour ce rapport très complet. S'il n'y avait pas eu d'armes non létales telles que le LBD pendant les récentes manifestations, nous aurions eu des morts, car il n'y aurait pas eu de réponse graduée avant l'utilisation des armes à feu. Les mêmes remarques sont aussi valables sur les grenades de désencerclement. Les policiers ont besoin de la gamme des armes non létales pour pouvoir se mettre hors de danger sans avoir à utiliser des armes létales. La polémique a toujours existé : elle a eu lieu sur le pistolet à impulsion électrique, sur le flash-ball, car on a toujours soupçonné les policiers de les utiliser, non pas en substitution des armes létales, mais beaucoup plus fréquemment.
S'il avait fallu utiliser le tonfa dans le corps à corps, cela aurait signifié une prise de risque supérieure tant pour les policiers que les délinquants eux-mêmes. La polémique est arrivée avec les nombreux tirs occasionnés par des manifestations très fréquentes. Mais en proportion des coups tirés, le nombre d'accidents est faible - même si un accident est toujours regrettable.
C'est un phénomène nouveau. Les BAC ont l'habitude d'utiliser des LBD contre des délinquants violents isolés et en petits groupes mais, il est vrai, pas en situation de maintien de l'ordre. Les manifestants ont dénoncé le fait que les LBD avaient été utilisés comme armes de dispersion. Or elles ne peuvent pas, en théorie, être utilisées en substitution du jet d'eau. Le problème est que les lanceurs d'eau sont peu mobiles et difficiles à utiliser dans des voies étroites. Il faudrait à cet égard des lanceurs d'eau plus souples d'utilisation.
Les enquêtes diront si les LBD ont toujours été employés selon les règles et si policiers et gendarmes ont été suffisamment informés du cadre strict d'emploi.
Il faudrait aussi poser la question de l'entraînement. Policiers et gendarmes ne peuvent pas procéder aux entraînements suffisants pour les armes à feu réglementaires ; ils le peuvent encore moins pour des LBD dont les munitions coûtent plus cher. Leurs tirs sont donc moins précis.
Enfin, problème plus technique : la trajectoire de ces armes est courbe, alors que celle d'une balle réelle est rectiligne. Augmenter les entraînements serait un premier élément de réponse. Mais il faudrait aussi étudier la possibilité d'ajouter des éléments électroniques de visée afin de mieux régler l'angle de tir en fonction de la distance.
Les pistolets à impulsion électrique sont équipés de webcams qui pourraient aussi équiper les LBD. Il y a parfois des investissements indispensables. Cela mettrait un terme à toute polémique sur l'utilisation de ces armes, dont il ne faut surtout pas dessaisir les forces de l'ordre - sinon le résultat serait bien plus grave.
Mme Brigitte Lherbier. - Faire de la politique, c'est se fonder sur ce qu'on a vu. Longtemps adjointe à la sécurité à Tourcoing, je sais que la police municipale et la police nationale sont très souvent placées dans des situations risquées. À Tourcoing, la police nationale était moins bien dotée que la police municipale tant en formation qu'en équipements : la première enviait par exemple à la seconde ses gilets pare-balle dernier cri. Le problème s'est posé de savoir si nous allions équiper de flash-balls les policiers municipaux - qui avaient des armes à feu depuis très longtemps. Cela m'a semblé tout à fait adéquat car moins risqué. Mais je me souviens d'avoir insisté sur la nécessaire formation, voire sur l'adaptation du recrutement. Nous avons ainsi fait passer, au stade du recrutement et en cours de carrière, des tests de contrôle de soi aux policiers. Ceux-ci étaient par ailleurs tous inscrits au stand de tir. Le flash-ball a beau être une arme non létale, elle peut être très dangereuse. Tous les policiers municipaux étaient équipés d'une caméra mobile, pour qu'ils sachent qu'aucune de leurs interventions n'était anodine. Ils ne se sont jamais servis de ces armes, mais ils les portaient sur eux. De même, leurs chiens n'ont jamais mordu personne, mais les rassuraient.
Il y a eu de sévères émeutes dans les zones à urbaniser en priorité (ZUP). Une seule chose les a interrompues : l'hélicoptère, qui photographiait tout le monde. Les émeutiers avaient peur qu'on leur tire dessus. Si l'on veut envoyer les hommes sur le terrain, il faut les protéger.
M. Loïc Hervé. - Le groupe UC remercie la rapporteure pour son travail, qui présente les arguments des uns et des autres. Le débat existe dans la société française ; il était légitime qu'il ait lieu au Sénat. Les violences subies par les policiers sont à la mesure des blessures par LBD. Mais il n'y a pas eu de morts ; c'est donc un moindre mal. On pourrait rêver de CRS ou gendarmes mobiles armés de bouquets de fleurs, mais ce n'est pas ainsi qu'on maintient l'ordre...
M. Alain Richard. - Mon groupe partage l'analyse de la rapporteure et votera ses conclusions.
M. François Bonhomme. - Assurer le maintien de l'ordre est un exercice difficile. Les méthodes ont été améliorées, rationalisées au cours du temps. Mais les conditions d'intervention et la nature des personnes à interpeller ont été radicalement modifiées. Nous avons assisté récemment à un déchaînement de violence de la part de personnes pour qui les forces de police sont devenues une cible. Les LBD font partie de leur panoplie, c'est un élément de réponse parmi d'autres. Les supprimer déséquilibrerait le rapport de forces entre manifestants violents et forces de l'ordre.
Nous sommes dans un pays de liberté : tout le monde a donc le droit de contester. Mais remarquons que toutes les voies de recours ont été épuisées : le Conseil d'État a repoussé les recours. On parle d'ONG, mais toute ONG n'a pas un avis forcément indépendant et éclairé. Ce sont les syndicats les plus minoritaires de la police qui ont pris position contre les LBD. Quant à la Ligue des droits de l'homme, elle parle d'une « violence politique d'État »... Eh oui, l'État pratique la violence, et c'est heureux : je ne sais pas ce qui serait arrivé sans cela.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteur. - On ne peut pas proposer la suppression d'une arme sans alternative ; c'est le principal problème que pose cette proposition de loi. Cela mettrait en danger les forces de l'ordre. Les LBD sont employés selon une procédure. Tous les policiers qui l'utilisent ont une habilitation, qu'ils obtiennent après une formation. Les policiers eux-mêmes posent la question de la formation continue. Mais on se heurte alors à la question des moyens : le ministère de l'intérieur n'a pas les moyens suffisants pour dispenser davantage de formations.
Le lanceur d'eau n'est pas adapté aux petites rues, et il est lui aussi violent.
Madame Lherbier, la police et la gendarmerie nationales n'utilisent plus depuis 2017 de flash-ball, moins facile à manier.
Merci à MM. Hervé et Richard d'avoir expliqué la position de leurs groupes.
Monsieur Bonhomme, j'ai reçu les quatre syndicats de policiers les plus représentatifs, qui nous ont tous dit qu'ils devaient pouvoir continuer à utiliser cette arme, dans le cadre actuellement en vigueur.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteur. - L'amendement COM-1 supprime l'article 1er. Je partage sur le fond l'avis de M. Grand, son auteur. Mais les groupes politiques se sont mis d'accord pour ne pas amender en commission les propositions de loi sans l'accord du groupe ayant demandé leur inscription à l'ordre du jour. Avis défavorable, dès lors, à cet amendement au profit d'un rejet en bloc du texte.
M. François Pillet, président. - Cela permettra à la proposition de loi d'être discutée en séance dans un état chimiquement pur...
L'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi n'est pas adopté.
Le sort de l'amendement examiné par la commission est retracé dans le tableau suivant :
Auteur |
N° |
Objet |
Sort de l'amendement |
Article 1er |
|||
M. GRAND |
1 |
Suppression de l'article |
Rejeté |
La réunion, suspendue à 17 h 15, est reprise à 17 h 40.
Projet de loi d'orientation des mobilités - Examen du rapport pour avis
Mme Françoise Gatel, rapporteur pour avis. - Favoriser la mobilité de tous sur l'ensemble du territoire, c'est l'objectif affiché par le Gouvernement dans ce projet de loi d'orientation des mobilités. Il ne peut être que partagé, quand les oubliés de la République mettent en avant le défaut de mobilité comme un élément de fracture territoriale et sociale.
Le Gouvernement a souhaité rénover le cadre juridique général des transports et leur organisation, fixés par la loi de 1982 d'orientation des transports intérieurs, dite « LOTI », dans ce projet de loi dont la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable est saisie au fond et la commission des lois s'est saisie pour avis. Les acteurs locaux auditionnés nous ont fait part de leur satisfaction quant à la large concertation mise en place par le Gouvernement. Ils nous ont dit que l'essentiel des dispositions leur convenait. Le mouvement social que nous connaissons aujourd'hui a conduit le Gouvernement à reporter l'examen du projet de loi, dont l'examen en séance publique au Sénat est désormais prévu en mars.
Les amendements que je vous proposerai se concentrent sur quatre objectifs principaux : favoriser l'exercice des compétences de mobilité par les collectivités territoriales ; protéger les données personnelles, exigence qu'il faut concilier avec la nécessité d'échanger des informations pour favoriser des technologies de mobilité souple ; garantir l'équilibre des mesures de sûreté et de sécurité dans les transports ; améliorer la cohérence de certaines dispositions au regard des règles de la commande et de la domanialité publiques - ce qui concerne notamment les ports.
Pour ce qui est de la gouvernance, j'ai tout d'abord souhaité améliorer le mécanisme de définition de l'autorité organisatrice de la mobilité (AOM). L'objectif du projet de loi est que des AOM exerçant leurs compétences couvrent l'ensemble du territoire. Leurs compétences sont également élargies. Elles pourront organiser des services réguliers de transport public de personnes, mais aussi des services à la demande, du transport scolaire ainsi que des services de mobilité active (marche ou vélo), de mobilité partagée, comme le covoiturage, ou encore de mobilité solidaire en faveur des personnes défavorisées ou des personnes handicapées. Cet élargissement de leurs compétences signe le passage d'un droit au transport à un droit à la mobilité. Ces droits ne sont cependant pas opposables.
Selon le projet de loi, les AOM sont d'abord les communautés d'agglomération, les communautés urbaines et les métropoles. Nous devrons rappeler notre attachement à l'architecture territoriale et à la philosophie de l'intercommunalité. C'est la commune qui détient la compétence d'organisation de la mobilité et qui, le cas échéant, la transfère à l'intercommunalité. Attribuer directement la qualité d'AOM à ces établissements publics de coopération intercommunale relève d'un souci d'efficacité et de pragmatisme et ne doit pas être vu comme une remise en cause de la logique intercommunale.
Le projet de loi prévoit qu'au sein des communautés de communes qui ne se sont pas vu transférer la compétence d'organisation des mobilités par leurs communes membres, celles-ci conservent initialement leur qualité d'AOM. Ces communes membres devront cependant délibérer avant le 30 septembre 2020 pour organiser le transfert de cette compétence à la communauté de communes au 1er janvier 2021, ce qui est matériellement impossible compte tenu des échéances municipales. À défaut, la compétence serait transférée à la région, à l'exception des compétences déjà exercées par les communes sur leur territoire. Je proposerai donc un amendement qui clarifie le mécanisme de transfert au sein des communautés de communes et qui repousse l'échéance du transfert à la région au 1er juillet 2021. Nous sommes en phase, en la matière, avec la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable.
Une fois la compétence d'organisation de la mobilité transférée à la région, le projet de loi prévoyait une réversibilité dans deux cas : si deux communautés de communes fusionnaient ou si la communauté de communes adhérait à un syndicat mixte exerçant la compétence d'organisation des mobilités. Il me semble nécessaire de proposer un troisième cas, celui d'un accord entre la région et la communauté de communes.
Je proposerai également de définir l'autorité organisatrice de la mobilité sur le territoire des îles monocommunales et des futures communes-communautés - si la proposition de loi sur les communes nouvelles est votée - car elles ont été oubliées dans la rédaction du projet de loi. Celles-ci pourraient décider de conserver la compétence ou de la transférer à la région, comme les communautés de communes.
Le projet de loi prévoit que les plans de déplacements urbains soient remplacés par les plans de mobilité. Je proposerai un amendement portant le délai de 18 à 24 mois pour l'adoption de ce plan par les nouvelles AOM dont le ressort territorial est inclus dans une agglomération de plus de 100 000 habitants.
Je proposerai également d'améliorer la coordination des différents acteurs de la mobilité, par quatre amendements - je rappelle que ceux qui se déplacent franchissent régulièrement les périmètres des AOM. Le premier amendement assouplit les délégations que la région peut accorder à une autre collectivité territoriale ou AOM. Le deuxième a trait à l'obligation faite aux régions de définir des bassins de mobilité. Je proposerai une obligation de concertation avec le département, les intercommunalités et les AOM, mais surtout que l'on sollicite leur avis consultatif lorsque la cartographie de ces bassins doit être arrêtée. Le troisième introduit l'obligation de conclure des contrats opérationnels de mobilité afin de s'assurer que les bassins de mobilité ont bien défini les modalités de coordination des réseaux de transport pour assurer la continuité des services de mobilité. Le quatrième consacre une consultation minimale annuelle du comité des partenaires, créé au sein de chaque AOM.
Ce projet de loi est intelligent et pertinent mais il est d'une grande indigence : on ne parle jamais d'argent. Il conviendrait de rappeler au Gouvernement qu'une sérieuse question de financement se pose si l'on veut que les AOM exercent effectivement leurs compétences. Seul le financement des services réguliers de transport public est assuré par un versement mobilité, qui se substitue au versement transport et qui pourra être différencié selon la densité du tissu urbain et la capacité financière des territoires. Rien n'est prévu pour financer la mise en oeuvre des autres services, comme le transport à la demande ou les mobilités partagées. Le Gouvernement renvoie sur ce point au projet de loi de finances rectificative relatif aux finances locales prévu avant la fin de l'année. Je vous appelle donc à être vigilants lors de l'examen du projet de loi d'orientation des mobilités et de ce prochain projet de loi de finances rectificative, afin que la mobilité de tous soit bien financée sur l'ensemble du territoire.
Le projet de loi vise à assurer l'accès de tous à la mobilité. Je proposerai d'émettre un avis favorable à l'adoption des dispositions relatives à la mobilité sociale et solidaire, qui consistent principalement à rendre obligatoire la mise en place de modalités de transport pour les personnes handicapées, notamment par des mesures tarifaires préférentielles et la prise en compte de la nécessité d'un accompagnateur.
J'en viens aux dispositions du projet de loi visant à faciliter la mise en place de traitements de données personnelles dans le domaine de la circulation des véhicules routiers. Le Gouvernement demande une habilitation à légiférer par ordonnance sur les données des « véhicules connectés ». Il s'agit d'un sujet d'avenir très important : les besoins de mobilité souple peuvent être grandement facilités par ces échanges de données qui permettent à chacun de se connecter à tout moment et de répondre à son besoin individualisé de mobilité. C'est un enjeu économique pour les acteurs privés et une source nécessaire d'informations pour les collectivités publiques. Si l'intention est louable, le champ de l'habilitation demandée semble extrêmement large pour une rédaction imprécise. Il me semble que nous pourrions parvenir avec le Gouvernement à une rédaction plus satisfaisante en vue de l'examen en séance publique. Dans l'attente, je propose de rejeter cette habilitation.
Concernant les dispositifs facilitant la surveillance automatisée des voies ou des zones réservées à la circulation de certains véhicules, un juste équilibre doit être trouvé. Pour vérifier qu'un véhicule répond par exemple aux conditions du covoiturage et peut effectivement emprunter une voie réservée, un dispositif de contrôle automatisé n'est pas absurde. Mais nous devons prendre en compte les préoccupations de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) en évitant la constitution de gigantesques fichiers recensant les allées-venues en conservant les images de nos concitoyens, tout en permettant à un conducteur de contester son infraction. Il faut prévoir un masquage immédiat et irréversible des photographies des passagers et des tiers.
Le projet de loi comprend également un volet relatif à la sûreté et à la sécurité dans les transports, qui vise à sanctionner plus sévèrement les comportements dangereux. Il s'agit de veiller à l'équilibre et à la proportionnalité de ces mesures. Je proposerai de réserver à l'autorité judiciaire, et non à l'autorité administrative, le soin de sanctionner les agressions contre les examinateurs du permis de conduire. Dans la rédaction actuelle, le dépôt de plainte d'un examinateur pourrait entraîner l'interdiction administrative de se présenter au permis de conduire. L'ampleur du phénomène étant limitée et le dépôt de plainte ne constituant pas une preuve de la menace représentée par la personne qui en fait l'objet, cette mesure paraît totalement disproportionnée.
Le projet de loi contient en outre diverses dispositions liées à la sécurité routière qui confortent la répression à l'encontre des conducteurs utilisant leur téléphone. Elles renforcent également les mesures administratives et les sanctions applicables à la conduite sous l'influence de l'alcool ou de stupéfiants. Je proposerai quelques amendements, dont l'un aligne les sanctions encourues en cas de délit de refus de se soumettre aux contrôles par éthylotest sur celles prévues pour le délit de conduite sous l'empire de l'état alcoolique, afin de ne pas inciter les conducteurs à se soustraire à un dépistage. Un amendement revient sur l'extension du champ de la procédure administrative d'immobilisation et de mise en fourrière. L'officier de police judiciaire peut appeler à tout moment le procureur pour qu'il lui donne l'autorisation d'immobiliser le véhicule. J'estime préférable de ne pas trop étendre la mesure d'immobilisation administrative, afin d'éviter tout excès.
Le projet de loi crée un cadre légal spécifique autorisant les opérateurs de transport ferroviaire ou de métro à recourir à des équipes cynotechniques privées, c'est-à-dire à un chien renifleur et son maître, pour la détection d'explosifs. Cela peut faire gagner du temps et éviter de paralyser toute une gare pour un simple bagage oublié. Les compétences de déminage resteront régaliennes. Je vous proposerai d'encadrer cette délégation de compétence aux acteurs de la sécurité privée.
Le projet de loi propose d'étendre les compétences du groupe de protection et de sécurisation des réseaux (GPSR) de la RATP à l'ensemble des lignes de métro, y compris celles qui seraient confiées à d'autres sociétés à l'issue d'une mise en concurrence. Cette disposition ne soulève pas de difficulté, car il apparaît cohérent de maintenir une homogénéité sur le réseau.
Le projet de loi comporte plusieurs dispositions préparant la mise en place des péages à flux libre, c'est-à-dire automatisés. Il introduit un délit d'habitude, sanctionnant de six mois d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende le fait d'éluder de manière habituelle le paiement du péage sur une autoroute. La peine de prison paraît excessive. Je proposerai un amendement préservant l'échelle des peines.
Enfin, l'article 35 du texte du Gouvernement sécurise le recours aux conventions de terminal portuaire et en précise le régime. Le juge administratif a récemment requalifié en concession une convention de terminal prise sous la forme d'une convention d'occupation du domaine public. Il fallait clarifier les choses.
Je souligne que nous avons travaillé en parfaite coopération avec la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, saisie sur le fond.
M. Yves Détraigne. - Merci de cette présentation. S'agit-il d'une loi d'orientation ou d'une loi portant diverses dispositions relatives au transport ? S'agit-il d'un grand bouleversement ou plutôt d'ajustements ? L'intitulé « loi d'orientation » donne le sentiment d'une reconstruction de la politique des transports, mais ce ne semble pas être le cas.
M. Loïc Hervé. - Je félicite Mme Gatel pour son rapport. Bien que technique, ce texte concerne, ô combien, les compétences de notre commission.
La mobilité est au coeur des préoccupations de nos compatriotes. Dans les zones rurales et périurbaines, les mobilités du quotidien vers l'école ou le travail sont pour beaucoup des déplacements difficiles, chers et parfois impossibles à réaliser en transports en commun. Ce projet de loi arrive à point.
J'appelais de mes voeux la révolution du financement par les collectivités territoriales de ces compétences horriblement chères. Le passage du versement transport au versement mobilité était l'occasion d'imaginer un financement qui ne soit pas uniquement basé sur la masse salariale des entreprises de plus de dix salariés. C'est le rôle du Sénat de provoquer ce débat, sur un sujet de fond qui bloque certains projets dans les collectivités territoriales.
Enfin, en tant que membre de la CNIL, je me soucie de la protection des données personnelles. Les véhicules sont des objets connectés roulants. Il faut protéger les libertés publiques tout en accompagnant l'innovation. Le véhicule de demain sera de plus en plus autonome. Trouver l'équilibre entre innovation technologique et préservation des libertés individuelles est un travail très difficile.
Mme Brigitte Lherbier. - Le rapport montre un grand intérêt de notre rapporteur pour les transports. Ce sujet est d'importance : avec notre collègue Yves Détraigne, nous avons visité le tribunal de grande instance de Paris. Celui-ci ne compte pas assez de places de parking car le recours aux transports en commun a été favorisé. Or, ce manque de places est problématique pour la vie du tribunal.
Nous devons faire extrêmement attention aux libertés individuelles. Toutefois, lorsque mes étudiantes utilisaient le covoiturage prévu par la faculté, j'avais une appréhension et j'éprouvais une grande responsabilité à les encourager à y recourir sans savoir avec qui elles allaient voyager. Si l'on peut partir avec qui l'on veut quand on le veut, il faut des traces, même si elles disparaissent dans un second temps.
Mme Françoise Gatel, rapporteur pour avis. - L'enjeu majeur, c'est bien la mobilité du quotidien. Ce projet de loi part de l'idée affirmée par la ministre chargée des transports que beaucoup d'argent a été consacré au déploiement de lignes à grande vitesse au détriment des mobilités du quotidien, ce qui crée une fracture territoriale. Le Cantal est à 1 heure 40 de l'autoroute, n'a pas de train rapide. Et en plus, il y neige !
Aujourd'hui, les Français se déplacent par nécessité et non par plaisir. Il nous faut répondre à ce besoin.
Le projet de loi compte un volet, dont nous ne sommes pas saisis, sur la programmation des infrastructures. C'est donc bien, dans une certaine mesure, un texte d'orientation.
Ce projet de loi signe la prise de conscience qu'il faut mettre fin au désert des espaces ruraux et périurbains. En Ille-et-Vilaine, un bus de la métropole voisine traversait une commune de mon intercommunalité sans s'arrêter, dix minutes avant le passage d'un bus du département qui, lui, faisait un arrêt. L'obligation faite à la région d'élargir ses compétences aux transports collectifs mais aussi aux solutions souples qui mettent fin à l'usage solitaire de la voiture, en utilisant de façon pertinente les nouvelles technologies, a du sens.
Je déplore le grand silence qui entoure le financement. Ne pourrait-on pas autoriser la perception du versement mobilité par la région ? La ministre dit que leur extension potentielle de compétences représente moins de 100 millions d'euros, ce qui ne serait rien comparé au coût des compétences de mobilité qu'elles exercent déjà, représentant plus de 7 milliards d'euros. C'est pourtant un vrai sujet.
Le versement transport devient le versement mobilité car il pourra financer le développement de mobilités alternatives, mais sa levée sera toujours conditionnée à l'organisation d'un service régulier de transport public de personnes.
Comment conjuguer l'innovation technologique, qui est fort utile, et la protection des données personnelles ? Nous avons besoin de plus de précisions sur l'habilitation à légiférer par ordonnance.
L'accessibilité aux transports urbains est encore trop virtuelle, il est vrai.
Je partage le souci de sécurité de Mme Lherbier, qui sera accru par la voiture partagée.
M. François Pillet, président. - Merci. Je peux d'ores et déjà dire au rapporteur que si certains de ses amendements devaient être rectifiés pour s'adapter à des amendements de la commission saisie au fond, elle aurait le mandat de la commission des lois pour le faire.
Mme Françoise Gatel, rapporteur pour avis. - Cet amendement vise à définir l'autorité organisatrice des mobilités sur le territoire des communes isolées, les îles mono-communales et futures « communes-communautés ». Il propose un dispositif inspiré de celui destiné aux communautés de communes.
L'amendement COM-120 est adopté.
Mme Françoise Gatel, rapporteur pour avis. - Cet amendement tend à préciser les conditions de transfert de la compétence d'organisation des mobilités des communes aux communautés de communes, sur la base du droit commun. Il vise également à indiquer que ce transfert doit se faire avant le 1er juillet 2021 et non plus avant le 1er janvier 2021. Cette dernière date est irréaliste, car les conseils communautaires ne seront pas en mesure de travailler avant septembre 2020, il convient de leur laisser le temps d'étudier ce type de projet.
L'amendement COM-121 est adopté.
Mme Françoise Gatel, rapporteur pour avis. - Le présent amendement a pour objet, d'une part, de fixer un délai à l'exercice de la réversibilité de droit prévue au III du nouvel article L. 1231-1 du code des transports, en vue de sécuriser la procédure de transfert à une communauté de communes de la compétence d'organisation de la mobilité exercée par la région. Il a trait, d'autre part, aux conditions dans lesquelles le transfert peut être demandé à la région. Deux cas de réversibilité sont prévus par la loi, nous proposons d'en ajouter un troisième : en cas d'accord avec la région, la communauté de communes pourrait redevenir compétente en matière d'organisation des mobilités.
L'amendement COM-122 est adopté.
Mme Françoise Gatel, rapporteur pour avis. - Cet amendement a pour objet de clarifier l'obligation de planification qui incombe à une autorité organisatrice de la mobilité, afin d'éviter toute ambiguïté sur les obligations qui lui sont imposées en la matière et de s'en tenir sur ce point au droit actuel. Seules les autorités organisatrices de la mobilité dont le ressort territorial est situé dans une agglomération de plus de 100 000 habitants seraient assujetties à l'obligation d'élaborer un plan de mobilité. Les autres autorités organisatrices de la mobilité pourraient, à titre facultatif, élaborer soit un plan de mobilité, soit un plan de mobilité rurale.
L'amendement COM-123 est adopté.
Mme Françoise Gatel, rapporteur pour avis. - Cet amendement propose que la planification de la politique de mobilité de l'autorité organisatrice de la mobilité régionale puisse être intégrée au schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires. C'est pertinent et cohérent par rapport aux objectifs du schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires. J'insiste sur le fait qu'il s'agirait d'une simple faculté.
L'amendement COM-124 est adopté.
Mme Françoise Gatel, rapporteur pour avis. - Cet amendement vise à assouplir les conditions dans lesquelles la région peut déléguer l'exercice de sa compétence en matière d'organisation des mobilités à une collectivité territoriale, à un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre, ou à une autre autorité organisatrice de la mobilité.
L'amendement COM-125 est adopté.
Mme Françoise Gatel, rapporteur pour avis. - Cet amendement tend à supprimer un alinéa ayant trait aux contentieux liés au transfert de la compétence du transport scolaire dans le cadre de la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe). Ces contentieux sont nés en raison de l'imprécision de la loi concernant la prise en compte des ressources allouées par les départements aux autorités compétentes en matière d'organisation du transport urbain. Le législateur avait clarifié son intention dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances rectificatives pour 2016, en indiquant que ces aides libres des départements devaient bien être intégrées dans les charges comprises dans le transfert. Mais cette disposition a été censurée par le Conseil constitutionnel au titre de l'article 45 de la Constitution. L'alinéa concerné reprend cette disposition censurée, mais cela pose notamment une difficulté juridique : en cas de recours pour excès de pouvoir, le juge devra se placer à la date de la décision, prise en 2017. Il faudrait donner une portée rétroactive à cette disposition pour qu'elle puisse être prise en compte par le juge, ce qui est, en général, n'est pas accepté par la commission des lois.
L'amendement COM-126 est adopté.
Mme Françoise Gatel, rapporteur pour avis. - Les bassins de mobilités sont définis par la région, pour correspondre au périmètre de déplacements des usagers. Cet amendement propose une concertation entre tous les acteurs : ces bassins de mobilité seraient soumis pour avis aux différentes autorités organisatrices de la mobilité. L'amendement précise par ailleurs que les bassins de mobilité couvrent l'ensemble du territoire régional.
L'amendement COM-127 est adopté.
Mme Françoise Gatel, rapporteur pour avis. - Nous proposons d'introduire au sein du texte de loi l'obligation de conclure un contrat opérationnel de mobilité à l'échelle de chaque bassin de mobilité, afin que les modalités de l'action commune des autorités organisatrices de la mobilité soient définies clairement.
L'amendement COM-128 est adopté.
Mme Françoise Gatel, rapporteur pour avis. - Cet amendement a pour objet d'indiquer que le comité des partenaires, créé au sein de chaque autorité organisatrice de la mobilité, est consulté au moins une fois par an, outre avant toute évolution substantielle de l'offre de mobilité ou de la politique tarifaire, ainsi que sur la qualité des services et l'information mise en place.
L'amendement COM-129 est adopté.
Mme Françoise Gatel, rapporteur pour avis. - Cet amendement vise à clarifier la portée du nouvel article L. 1214-19-1 du code des transports qui fixe un délai aux autorités organisatrices de la mobilité nouvellement créées pour élaborer un plan de mobilité. Il précise que l'obligation d'élaborer un tel plan ne concernerait que les autorités organisatrices de la mobilité dont le ressort territorial est inclus dans une agglomération de plus de 100 000 habitants. Il porte par ailleurs de 18 à 24 mois le délai imparti pour élaborer ce plan. La ministre des transports Mme Élisabeth Borne, convaincue que la question de la mobilité constitue un enjeu d'importance, veut aller vite. Or, il nous paraît fondamental de laisser le temps nécessaire pour réaliser un travail sérieux.
L'amendement COM-130 est adopté.
Mme Françoise Gatel, rapporteur pour avis. - Cet amendement vise à supprimer trois habilitations sollicitées par le Gouvernement pour légiférer par ordonnances afin de faciliter l'accès aux données des « véhicules connectés ». Il faut être audacieux sur le sujet et notre droit doit anticiper ces évolutions technologiques. Le champ des habilitations demandées est cependant, en l'état, trop large et trop imprécis. Il ne répond pas à certaines demandes des collectivités et ne présente pas suffisamment de garanties - faute notamment de préciser la finalité des traitements de données. Je propose de travailler avec le Gouvernement à une rédaction plus satisfaisante en vue de la séance et, dans l'attente, de supprimer cet article.
L'amendement COM-131 est adopté.
Mme Françoise Gatel, rapporteur pour avis. - Cet amendement est rédactionnel.
L'amendement COM-132 est adopté.
Mme Françoise Gatel, rapporteur pour avis. - Cet amendement vise à étendre aux services de police municipale la possibilité de mettre en place des dispositifs de contrôle automatisé des voies réservées, après autorisation du préfet. Il s'agit d'une proposition qui, je pense, conviendra à toutes les collectivités.
L'amendement COM-133 est adopté.
Mme Françoise Gatel, rapporteur pour avis. - Cet amendement est rédactionnel.
L'amendement COM-134 est adopté.
Mme Françoise Gatel, rapporteur pour avis. - Cet amendement prévoit un masquage immédiat et irréversible des images permettant l'identification des passagers et des tiers lorsque leur photographie a été captée par un dispositif de contrôle automatisé des véhicules empruntant une voie réservée à la circulation.
L'amendement COM-135 est adopté.
Mme Françoise Gatel, rapporteur pour avis. - Cet amendement vise à prévoir ce même masquage immédiat et irréversible pour les passagers et tiers de véhicules circulant au sein d'une zone à faibles émissions.
L'amendement COM-136 est adopté.
Mme Françoise Gatel, rapporteur pour avis. - Cet amendement vise à modifier les dispositions du projet de loi renforçant la lutte contre les outrages et les violences commises à l'encontre des examinateurs du permis de conduire. Le texte qui nous est présenté prévoit à titre de sanction une mesure administrative d'interdiction de se présenter aux épreuves du permis de conduire. Cela semble excessif et je proposerai de supprimer cette mesure administrative car il suffirait d'une simple plainte ou récrimination d'un examinateur pour qu'une interdiction soit prononcée. La nécessité de légiférer en la matière n'est de surcroit pas avérée puisqu'entre 2012 et 2016 seules sept condamnations ont été prononcées. Par ailleurs, l'amendement précise les conditions dans lesquelles le juge pourra ne pas prononcer la peine complémentaire d'interdiction de se présenter au permis de conduire, peine complémentaire rendue obligatoire par le projet de loi
L'amendement COM-137 est adopté.
Mme Françoise Gatel, rapporteur pour avis. - Cet amendement tend à corriger une erreur matérielle, la suspension provisoire du permis de conduire pour conduite en état d'ivresse manifeste n'étant prévue ni par le droit existant, ni par les dispositions du projet de loi.
L'amendement COM-138 est adopté.
Mme Françoise Gatel, rapporteur pour avis. - Cet amendement propose d'aligner les peines complémentaires encourues par tout conducteur refusant de se soumettre aux épreuves ou vérifications destinées à établir la preuve de l'état alcoolique sur celles prévues pour le délit de conduite sous l'empire de l'état alcoolique.
L'amendement COM-139 est adopté.
Mme Françoise Gatel, rapporteur pour avis. - Cet amendement revient sur l'extension du champ de la procédure administrative d'immobilisation et de mise en fourrière à quatre nouveaux délits. La procédure d'immobilisation ne constitue pas une sanction. Elle a pour objectif de faciliter au moment du jugement la confiscation judiciaire du véhicule lorsqu'elle est prévue par la loi. Dès lors que les quatre délits visés sont ou seront punis de la peine complémentaire de confiscation du véhicule, il sera possible de procéder à l'immobilisation et à la mise en fourrière du véhicule utilisé pour commettre l'infraction, après accord du procureur de la République. En effet, il serait excessif de soumettre la confiscation au seul avis d'un officier de police judiciaire.
L'amendement COM-140 est adopté.
Mme Françoise Gatel, rapporteur pour avis. - Cet amendement tend à encadrer plus strictement la possibilité pour des exploitants de transports collectifs de recourir à des équipes cynotechniques privées pour détecter la présence de matières explosives. Il s'agit de raccourcir les délais d'immobilisation du trafic dans les transports publics. Il est prévu que ces équipes ne puissent procéder à aucune recherche d'explosifs sur des personnes physiques et que leur action soit limitée aux emprises immobilières des transporteurs publics. L'amendement prévoit également qu'un décret en Conseil d'État définira les conditions de formation et de qualification de ces équipes ainsi que les conditions de délivrance et de contrôle de la certification technique.
L'amendement COM-141 est adopté.
Mme Françoise Gatel, rapporteur pour avis. - Cet amendement porte sur l'article 35 du projet de loi relatif aux ports. Le juge administratif a récemment requalifié en concession une convention d'occupation du domaine public. Nous devons à la fois veiller au respect de la règlementation européenne et au développement de l'activité portuaire. Il existe des conventions d'occupation du domaine public permettant que des cocontractants construisent des immeubles pour un usage lié à l'activité s'y exerçant. L'amendement prévoit, à échéance, une possibilité d'indemnisation pour ces immeubles qui ne peuvent être vendus car construits sur le domaine public. Cet amendement précise également les cas dans lesquels le recours aux concessions est nécessaire pour les grands ports maritimes.
Mme Agnès Canayer. - Cette clarification qui porte sur l'utilisation du domaine public maritime est très attendue par les opérateurs des grands ports maritimes français. Votre amendement va dans ce sens. Les opérateurs pourront recourir à ces conventions qui sécurisent leurs investissements.
L'amendement COM-142 est adopté.
Mme Françoise Gatel, rapporteur pour avis. - Cet amendement modifie l'article 40 que je qualifierais de « fantaisiste ». Avec la création du dispositif de péage automatique, des contrôles systématiques seront réalisés afin s'assurer du paiement du péage par les utilisateurs. Le projet de loi, qui s'aligne sur le délit de fraude habituelle dans les transports publics, prévoit une peine d'emprisonnement qui nous paraît disproportionnée. De surcroît, peu de personnes sont condamnées à de l'emprisonnement pour le délit de fraude habituelle dans les transports publics.
M. François Pillet, président. - Nous vous remercions de veiller au respect de l'échelle des peines.
Mme Françoise Gatel, rapporteur pour avis. - L'amendement vise également à supprimer l'obligation faite au Trésor public de faire opposition au transfert du certificat d'immatriculation du véhicule en cas de non-paiement d'une amende forfaitaire majorée.
L'amendement COM-143 est adopté.
La commission émet un avis favorable à l'adoption du projet de loi, sous réserve de l'adoption de ses amendements.
La réunion est close à 18 h 45.
Jeudi 21 février 2019
- Présidence de M. Philippe Bas, président -
La réunion est ouverte à 10 h 30.
Proposition de loi relative au renforcement de la sécurité des sapeurs-pompiers - Procédure de législation en commission (articles 47 ter à 47 quinquies du Règlement) - Examen du rapport et du texte de la commission
M. Philippe Bas, président. - Nous examinons la proposition de loi relative au renforcement de la sécurité des sapeurs-pompiers, déposée le 30 octobre 2018 par M. Kanner et plusieurs de ses collègues. La Conférence des présidents a décidé que cette proposition de loi serait intégralement examinée selon la procédure de législation en commission prévue aux articles 47 ter à 47 quinquies du Règlement du Sénat, en vertu de laquelle le droit d'amendement s'exerce, sauf exceptions, uniquement en commission. Je rappelle que cette procédure de législation en commission avait été initiée par le Sénat, d'abord à titre expérimental, avant d'être inscrite définitivement dans notre règlement. Le président de la République a d'ailleurs reconnu, dans son discours devant le Congrès au mois de juillet 2017, que nous avions été précurseurs en modernisant notre méthode de travail afin d'accélérer la procédure législative. Je remercie d'ailleurs les différents groupes d'avoir accepté que ce texte puisse être débattu selon cette procédure très moderne.
La Conférence des présidents a fixé au lundi 18 février à midi le délai limite de dépôt des amendements, et au mardi 6 mars, à 18 h 30, la date et l'heure des explications de vote et du vote en séance sur le texte de la commission. La réunion est ouverte à l'ensemble des sénateurs - seuls les membres de la commission des lois prenant part aux votes - et au public. Elle fait l'objet d'une captation audiovisuelle diffusée en direct et en vidéo à la demande sur le site Internet du Sénat.
C'est la seconde fois en quelques semaines que notre commission examine une proposition de loi en lien avec la sécurité civile, qui est déposée par un de ses membres. La précédente était la proposition de loi déposée par Catherine Troendlé, relative à la représentation des personnels administratifs et techniques au sein des conseils d'administration des services départementaux d'incendie et de secours (SDIS), dont Loïc Hervé était déjà le rapporteur. Cela montre l'attachement profond de notre commission à ces sujets centraux. Nous avons à coeur, chaque fois que c'est possible, d'améliorer les conditions de travail des sapeurs-pompiers et de tous ceux qui les entourent au quotidien.
Mais, nous le savons, le travail législatif, s'il est utile, n'est pas toujours suffisant pour régler tous les problèmes. Ainsi, les incivilités ou les agressions posent aussi la question de l'éducation. En ce qui concerne la sécurité des sapeurs-pompiers, l'aspect pénal, traité par la proposition de loi, est essentiel, mais il n'est pas le seul et d'autres facteurs sont à prendre en compte, comme la formation des sapeurs-pompiers, la coordination avec les forces de police ou de gendarmerie à l'échelle des territoires, l'adaptation des moyens matériels et de leur doctrine d'utilisation, etc. C'est la raison pour laquelle je souhaitais vous proposer de créer une mission d'information au sein de notre commission. Elle aurait pour objectif d'analyser ce triste phénomène sous tous ses aspects afin de proposer la réponse la plus complète et la plus efficace possible, en complément de ce texte. Les agressions à l'égard des sapeurs-pompiers se sont multipliées, comme si, dans notre pays, ceux qui portent l'uniforme du service public étaient devenus une cible pour certains. C'est inacceptable.
M. Patrick Kanner, auteur de la proposition de loi. - « Insultés, menacés, agressés...l'irrespirable quotidien des pompiers » : la Voix du Nord le 10 février dernier, consacrait une page complète à ce sujet qui m'est cher, moi qui suis ancien président du SDIS du Nord, le plus important de France avec 3 000 sapeurs-pompiers professionnels et 4 000 volontaires. La question de la sécurité des sapeurs-pompiers se pose depuis plusieurs années. Les conditions de travail se délitent lentement, alors que les interventions évoluent. Combattre le feu, la mission traditionnelle des sapeurs-pompiers, ne représente plus que 10 % des interventions de ce corps d'élite. Pour le reste, il s'agit essentiellement de missions de secours aux personnes. Les pompiers sont donc en première ligne pour intervenir face aux multiples fractures sociales et sanitaires. Autrefois, nous pensions que ces agressions étaient limitées à certaines zones, les quartiers prioritaires de la politique de la ville. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Ces incivilités et agressions prennent diverses formes. Les guets-apens sont le type d'attaque le plus médiatisé, mais les sapeurs-pompiers doivent faire face, de plus en plus, à des violences individuelles de la part de personnes fragiles sur le plan psychologique, alcoolisées ou sous l'emprise de stupéfiants. Le plus souvent, les agresseurs sont les personnes secourues ou leur entourage. Les agressions ont triplé en dix ans. Les agressions déclarées par les sapeurs-pompiers en intervention ont augmenté de 23 % en 2017, après une hausse de 17,6 % en 2016, selon les derniers chiffres de l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales. En 2018, à Paris et en petite couronne, 293 pompiers ont été agressés durant les onze premiers mois de l'année, contre 198 sur toute l'année 2017. Manifestement, la situation se dégrade, et justifie une réponse publique.
Comme vous l'avez dit, cette proposition de loi ne réglera pas tous les problèmes liés à la dégradation des conditions de travail. Elle ne remédie pas à la stagnation des effectifs dans certains départements, à l'insuffisance des rémunérations ou des moyens matériels, etc. Toutefois, ce texte apporte une réponse concrète à une situation de plus en plus problématique, dans la mesure où un tiers des agressions ne donne pas lieu à dépôt de plainte à cause des risques de représailles. C'est pourquoi les instances représentatives des sapeurs-pompiers demandent de longue date que l'administration puisse faire écran entre l'auteur des faits et l'agent, en élargissant la protection fonctionnelle, de manière à ce que l'identité de l'agent ne soit pas divulguée au cours de la procédure.
Conscient que ce texte soulève des questions juridiques importantes et complexes, qui mettent en jeu des principes constitutionnels et des garanties fondamentales, j'ai cherché à encadrer le dispositif d'anonymisation des plaintes pour concilier, d'une part, le droit à la sécurité, à la protection, et au respect de la vie privée des agents publics agressés dans l'accomplissement des missions de service public d'incendie et de secours, et, d'autre part, les droits de la défense des personnes mises en cause. Compte tenu de l'existence de nombreuses règles de droit positif proches ou similaires et des garanties qu'elles apportent, la protection des sapeurs-pompiers et le respect des droits de la défense sont assurés dès lors que les autorités judiciaires disposent des moyens de connaître l'identité des bénéficiaires des autorisations d'anonymisation et ont la faculté de lever cet anonymat en opérant une analyse des intérêts contradictoires en présence. Il convient aussi de veiller au respect des principes de nécessité et de proportionnalité ; c'est pourquoi le texte prévoit que l'autorisation de recourir à l'anonymisation est délivrée nominativement par le procureur de la République ou le juge d'instruction, sur proposition du responsable hiérarchique, dont le niveau est défini par décret, statuant par une décision motivée, à l'image de ce qui est prévu pour les policiers, les gendarmes, les agents des douanes et des services fiscaux. J'ai entendu les réticences des ministères de l'Intérieur et de la Justice et je crains, n'étant pas né de la dernière pluie, que ces interrogations n'empêche le texte de prospérer dans la suite de la navette parlementaire. Dès lors, la proposition du rapporteur de remplacer le dispositif envisagé par une extension du régime de protection des témoins, en offrant la possibilité pour un témoin de garder l'anonymat pour toute infraction commise sur un sapeur-pompier, est louable. Si elle ne répond pas directement à l'objectif de protection des pompiers et de leurs familles, elle constitue toutefois une avancée, que, pragmatique, je salue. De même, je me félicite que la commission des lois accepte le principe d'une mission d'information pour compléter la réflexion, ce qui pourrait aboutir sur des évolutions législatives et réglementaires dans un second temps. Après l'expérimentation, pour une durée de trois ans, de l'utilisation de caméras individuelles par les sapeurs-pompiers, le Sénat montre à nouveau qu'il est en pointe sur ces questions. M. Allione, président de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France (FNSPF), m'a confirmé tout l'intérêt qu'il portait à la démarche du Sénat. Je profite aussi de la présence du ministre pour rappeler que cette procédure de législation en commission permet au Gouvernement de travailler plus étroitement avec le Sénat. Il est important, en effet, que nous trouvions ensemble des solutions pour garantir la sécurité de nos protecteurs. Les sapeurs-pompiers de France méritent notre attention et la reconnaissance du travail qu'ils accomplissent.
M. Philippe Bas, président. - Je salue votre ouverture d'esprit et le caractère constructif de votre démarche pour aboutir à une solution aussi consensuelle que possible, comme nous aimons à le faire au Sénat. Votre proposition de loi constitue l'amorce d'un travail de longue haleine. Vous accueillez favorablement les propositions de notre rapporteur ; elles s'inscrivent sur un autre plan que vos propositions mais poursuivent exactement le même objectif de faciliter les poursuites pénales en cas d'agression.
M. Loïc Hervé, rapporteur. - Je tiens à remercier Patrick Kanner d'avoir déposé cette proposition de loi. S'il existe un débat sur l'opportunité juridique du dispositif proposé, reconnaissons que ce texte a l'immense mérite de soulever la bonne question : celle de la sécurité de nos sapeurs-pompiers. En tant que chambre des territoires, le Sénat ne saurait ignorer l'augmentation intolérable des agressions dont ils sont victimes.
En 2017, 2 813 agressions ont été déclarées, contre 2 280 en 2016, soit une augmentation de 23 % en une seule année ! Et l'augmentation est encore plus vertigineuse sur une longue période : depuis 2008, le nombre d'agressions déclarées a augmenté de 213 % pour l'ensemble des sapeurs-pompiers.
Il s'agit souvent d'actes de délinquance qui empoisonnent le quotidien des pompiers et traduisent une haine aveugle et profonde de tout uniforme. Il s'agit aussi de confrontations de plus en plus régulières avec des individus à risque, dans le cadre des activités croissantes de secours à personnes. Je fais ici référence aux malades atteints de certains troubles mentaux et dont l'instabilité est une vraie menace pour les pompiers qui les secourent. Le phénomène touche le monde urbain, périurbain, rural.
Non seulement ces agressions mettent en danger nos sapeurs-pompiers, mais elles nuisent à l'attractivité de toute une profession - ou d'un engagement lorsqu'il s'agit des volontaires.
La proposition de loi de Patrick Kanner vise à faciliter le dépôt de plainte des sapeurs-pompiers agressés. Elle tend à rendre ce dépôt anonyme afin de prémunir le sapeur-pompier victime d'éventuelles représailles de la part son agresseur. Elle s'inspire des dispositions récemment introduites dans le code de procédure pénale pour garantir l'anonymat des enquêteurs de la police, de la gendarmerie ou des douanes dans les actes de procédure qu'ils établissent.
L'idée de renforcer la protection dont doivent légitimement bénéficier les sapeurs-pompiers est bonne. Néanmoins, les travaux menés et les auditions que j'ai conduites, auxquelles Patrick Kanner a participé, ont révélé certaines faiblesses profondes. La première d'entre elles est juridique puisque l'anonymat du plaignant fait obstacle à l'exercice plein et entier des droits de la défense reconnus à la partie en cause. Certes, cette proposition prévoit un mécanisme de levée d'anonymat, mais il ne semble pas en mesure de compenser l'atteinte à ces droits tels qu'ils sont conjointement garantis par la Constitution et la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH).
Il n'existe d'ailleurs aucune procédure similaire en droit français. Seuls les enquêteurs qui bénéficient déjà de l'anonymat dans les actes de procédures peuvent jouir d'un prolongement de cet anonymat s'ils doivent se constituer partie civile. Un doute persiste néanmoins sur la constitutionnalité et la conventionalité de ces dispositions encore très récentes.
Ces raisons ont conduit notre commission à s'opposer à l'adoption d'un dispositif relativement similaire lors de l'examen du projet de loi « Justice » il y a à peine quelques semaines. En cohérence, et pour les mêmes raisons, je pense que notre commission ne peut pas adopter les dispositions telles qu'elles sont rédigées.
Néanmoins, nous ne pouvons pas rester indifférents au problème capital que cette proposition de loi soulève.
C'est pourquoi, avec l'accord de Patrick Kanner, je vous propose de substituer un nouveau dispositif à celui qui était initialement prévu. Il s'agirait de faciliter l'anonymat, non plus des victimes, mais des témoins d'agressions de sapeurs-pompiers. Cet anonymat est actuellement prévu par le code de procédure pénale pour les témoins de crimes ou de délits punis de plus de trois ans de prison. Notre amendement permettrait le recours à cette procédure pour toute infraction, dès lors qu'elle est commise sur un sapeur-pompier volontaire ou professionnel. Elle viserait ainsi l'ensemble des agressions dont sont victimes les sapeurs-pompiers, même les plus mineures, telles que l'outrage.
Conscient que cet amendement ne peut être la seule réponse à un problème bien plus large, j'appelle également de mes voeux la création d'une mission d'information. Elle permettrait d'analyser tous les aspects de ce problème complexe, de faire le point sur l'efficacité des dispositifs existants et de proposer des solutions efficaces pour endiguer ces agressions insupportables.
M. Philippe Bas, président. - Merci monsieur le rapporteur de cette intervention très complète et de votre créativité. Vous apportez des solutions pertinentes !
M. Laurent Nunez, secrétaire d'État auprès du ministre de l'intérieur. - Je salue ce texte dont j'approuve l'intention. Dans certains quartiers, les sapeurs-pompiers subissent des insultes, des jets de pierres et doivent faire face à des attaques. Ce sont des conditions très dures et inacceptables. Je suis donc d'accord avec vous : nous devons trouver des moyens pour mieux les protéger. Cependant, même si nous partageons l'esprit de ce texte, il ne semble pas en mesure de répondre à cette préoccupation.
Il vise en effet à permettre aux sapeurs-pompiers victimes d'infractions dans l'exercice de leurs fonctions de ne pas s'identifier par leur nom et prénom, mais par un matricule. Ce dispositif s'inspire directement de celui mis en place dans la loi du 28 février 2017 relative à la sécurité publique et qui offre la possibilité aux policiers, aux gendarmes et aux douaniers de s'identifier par les matricules dans certaines conditions précisées, et uniquement pour des actes de police judiciaire, le but étant de protéger ces agents contre des menaces ou des représailles de la part des personnes mises en cause.
Le dispositif prévu dans la proposition de loi n'est en rien similaire à celui mis en place pour les policiers, les gendarmes et les douaniers. J'ajoute qu'il présente en l'état deux problèmes : d'une part, il n'est pas vraiment applicable, car il demeure incomplet, et aucune procédure n'est prévue pour qu'un magistrat puisse anonymiser une plainte ; d'autre part, il ne permet pas de respecter les droits de la défense.
Un droit à l'anonymisation strictement encadré a été donné aux policiers, aux gendarmes et aux douaniers pour deux raisons : d'abord parce qu'ils sont auteurs d'actes de procédure ; ensuite parce que des gages sérieux ont été accordés pour protéger les droits de la défense. En effet, les magistrats continuent à avoir accès au nom de l'agent et toute partie conserve le droit à demander le nom de l'enquêteur, sur autorisation expresse du juge.
Dans le présent texte, aucune de ces conditions n'est réunie. Même si les sapeurs-pompiers sont exposés, ils ne sont pas des enquêteurs ou des auteurs d'actes de procédure ; ils sont plutôt des victimes. Porter plainte est toujours un acte engageant, qui expose nécessairement. Il faut évidemment protéger les victimes, mais permettre une exception systématique pour les sapeurs-pompiers, c'est ouvrir la porte à d'autres exceptions systématiques. Demain, ce seront les enseignants, les agents des caisses d'allocations familiales (CAF) et les bailleurs sociaux qui demanderont des régimes dérogatoires. Cela pourrait in fine prêter à bien des dérives et serait extrêmement préjudiciable pour les droits de la défense. Nous ne souhaitons pas poser les fondements d'une société où chacun, face à la justice, aurait un matricule !
Au-delà même de cette pente glissante, je souligne que les sapeurs-pompiers sont d'ores et déjà des victimes plus protégés que les autres puisque la commission d'une infraction à leur encontre dans l'exercice de leurs fonctions est plus sévèrement réprimée que si elle était effectuée à l'encontre d'un simple citoyen.
Enfin, si la proposition de loi était votée, nous ne disposerions pas à l'heure actuelle des dispositifs nécessaires pour pouvoir la mettre en place. Je sais que votre commission a été sensible à ces arguments et qu'un amendement unique a été présenté afin de changer l'objet du texte et créer un régime dérogatoire pour les témoins d'agression de sapeurs-pompiers.
Cet amendement est toutefois susceptible de poser un problème d'égalité puisqu'il ne prend pas en compte tous les sapeurs-pompiers : il ne concerne que des sapeurs-pompiers volontaires et professionnels, et ne mentionne pas les sapeurs-pompiers militaires -essentiellement la brigade des sapeurs-pompiers de Paris et les marins-pompiers de Marseille. De plus, la modification proposée du code procédure pénale conduirait à créer des statuts spécifiques pour chaque catégorie de la population. À l'heure actuelle, le témoin d'un délit ou d'un crime passible de plus de trois ans d'emprisonnement sur un sapeur-pompier peut déjà bénéficier d'une protection. Je ne suis donc pas convaincu de l'effet utile de l'amendement.
Par ailleurs, créer des sous-catégories en fonction des missions, c'est prêter le flanc à un code de procédure pénale à la carte, qui perdrait sans doute son caractère d'universalité et évoluerait au gré des circonstances ou des revendications.
Enfin, je ne suis pas convaincu de la constitutionnalité de cet amendement. Le législateur a prévu un seuil de trois ans pour la protection des témoins parce qu'il respecte le principe de proportionnalité édicté par le Conseil constitutionnel. Déroger à ce seuil sans justification particulière serait s'exposer à une possible censure de celui-ci.
Je ne dis pas qu'il ne faut rien faire pour protéger les sapeurs-pompiers des agressions, bien au contraire ! Mais pour ce faire, il convient plutôt selon moi de continuer à appliquer les dispositions existantes. Il convient notamment d'en renforcer l'application. Il nous faut assurer un accueil privilégié des sapeurs-pompiers au sein des commissariats et des brigades de gendarmerie. Des instructions ont été données en ce sens. Par ailleurs, dans une circulaire du 13 mars 2018, le ministre de l'intérieur a demandé à ce que des mesures soient prises pour faciliter et inciter le dépôt de plainte des sapeurs-pompiers victimes d'agressions. Je citerai, notamment, le dépôt de plainte sur rendez-vous, éventuellement au centre de secours, la domiciliation du sapeur-pompier victime à la direction du service d'incendie et de secours, la protection fonctionnelle ou encore - nous y veillons - le suivi de la réponse pénale en lien très étroit avec les parquets.
Par ailleurs, un télégramme ministériel du 14 septembre 2018 a rappelé que ces objectifs devaient être poursuivis avec la plus grande rigueur. Ces mesures sont aujourd'hui mises en place dans le cadre des protocoles interservices départementaux, qui prévoient une coopération opérationnelle accrue entre les forces de sécurité intérieure - police et gendarmerie - et les pompiers : échanges d'informations, possibilité de s'appeler de manière réactive en cas de difficultés, points de regroupement avant une intervention dans un secteur sensible. Ces conventions, que nous rappelons très régulièrement aux préfets, donnent satisfaction.
Enfin, je sais que nous pouvons compter sur l'intransigeance des parquets face à ces attaques particulièrement odieuses. Plusieurs condamnations à des peines de prison ferme ont été prononcées ces dernières semaines pour des agressions de sapeurs-pompiers.
En tout état de cause, j'ai la conviction que ce texte, même amendé, n'est pas la bonne solution. Il présente plus de dangers que de pistes d'avenir. En l'état, il ne permettra pas d'assurer une meilleure protection des sapeurs-pompiers. Certes, je déplore comme vous l'augmentation des agressions à leur encontre, mais je rappelle que leur taux de plaintes demeure significatif. Les pompiers ne craignent donc pas de porter plainte par peur des représailles. Comptez néanmoins sur notre détermination pour appliquer l'ensemble des mesures existantes afin d'assurer une meilleure protection des sapeurs-pompiers, ainsi que celles à venir, puisque nous avons évoqué le déploiement des caméras-piétons.
M. Philippe Bas, président. - Premier élément positif, nous partageons un même constat et une même inquiétude, qui ne peuvent pas rester sans réponse. J'entends que le Gouvernement, conscient du problème, a renouvelé un certain nombre d'instructions et a sensibilisé les parquets à la question. Nous n'ignorons pas les difficultés juridiques posées par l'article unique de la proposition de loi. C'est pourquoi le rapporteur a souhaité présenter un amendement. Le travail n'est pas abouti, ce sera tout l'enjeu de la navette et du débat législatif. Je suis sensible à votre objection sur les sapeurs-pompiers militaires. J'invite le rapporteur à faire une proposition pour tenir compte de votre remarque. J'entends vos réserves, mais j'espère que nous parviendrons à les surmonter.
M. Loïc Hervé, rapporteur. - Monsieur le secrétaire d'État, vous avez précisé que les pompiers bénéficiaient déjà d'un certain nombre de garanties. Il s'agit d'en apporter une nouvelle. L'amendement vise à répondre à une situation spécifique où les témoins d'une agression sont le plus souvent des sapeurs-pompiers eux-mêmes. On ne peut donc nous opposer l'argument de la rupture d'égalité. Je suis tout à fait disposé à rectifier l'amendement, monsieur le président, pour supprimer la mention « professionnel ou volontaire », même s'il s'agit d'une reprise des termes déjà utilisés par le code pénal. Il semble que le juge entend cette expression comme désignant également les sapeurs-pompiers sous statut militaire.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Il est important de protéger les pompiers et de leur donner la possibilité de s'exprimer, mais tout cela ne suffira pas. La vraie question est : pourquoi en sommes-nous là ? J'ai été moi-même victime de ces jeunes de banlieue. Il faut s'attaquer au mal et réinstaller la loi, l'autorité et la règle dans les quartiers. À défaut, on pourra écrire toutes les lois que l'on veut, on n'y arrivera pas ! Cherchons les causes d'un tel échec et trouverons des solutions. La police, la gendarmerie, les pompiers, les enseignants protègent l'ensemble des habitants des quartiers et travaillent pour eux. Ce sont aussi ces habitants qui demandent le retour à la paix.
M. Loïc Hervé, rapporteur. - Je propose de rectifier l'amendement COM-1 et de supprimer la mention « professionnel ou volontaire » pour lever toute ambiguïté. Il devient ainsi l'amendement COM-1 rectifié. Il s'agit bien de donner la possibilité d'anonymiser les témoins d'une agression à l'encontre de tout sapeur-pompier, quel que soit son statut. J'approuve les remarques de Jacqueline Eustache-Brinio. Les auditions que nous avons menées témoignent du désarroi des pompiers qui sont pacifiques, malgré leur uniforme, et ont pour seul souci de porter secours. Par ailleurs, même lorsqu'ils sont agressés, ils continuent le plus souvent leur mission de secours. Parmi les solutions proposées, je ne voudrais pas que nous dérivions sur le terrain dangereux de l'armement, car c'est une piste parfois envisagée.
Mme Nathalie Delattre. - Pour le RDSE, cet article, certes fragile, est hautement symbolique. Nous sommes rassurés par la création d'une mission d'information, car nous avons tous à coeur de protéger nos forces de sécurité intérieure et nos sapeurs-pompiers. Dans les zones de non-droit, terrains de jeu des dealers, de nombreuses agressions ont lieu. Au-delà des sapeurs-pompiers, l'ensemble des habitants demande l'anonymisation des témoignages. C'est une réflexion qu'il faudra mener pour mieux protéger nos concitoyens.
M. Patrick Kanner, auteur de la proposition de loi. - M. le secrétaire d'État a évoqué le risque de « contagion » vers d'autres professions en lien avec le public : enseignants, travailleurs sociaux, infirmiers, médecins dans les hôpitaux. Mais malheureusement, on en est là ! Ne pas prendre en compte ce problème serait ne pas être à la hauteur de nos responsabilités. La proposition de loi n'est pas une solution d'appel : elle exprime la volonté du Sénat de trouver des solutions juridiques pour protéger les sapeurs-pompiers. Laissons le Conseil constitutionnel faire son travail s'il a envie de censurer le texte. La création d'une mission d'information est utile. Les sapeurs-pompiers doivent savoir que la Haute Assemblée prend en considération leur situation qui se dégrade. Ne bradons pas notre message !
M. Philippe Bas, président. - Quel est l'avis du Gouvernement sur l'amendement ainsi rectifié ?
M. Laurent Nunez, secrétaire d'État. - La plupart des agressions dont sont victimes les sapeurs-pompiers n'ont pas forcément lieu dans les quartiers et dans des contextes de violences urbaines. Elles se produisent surtout en raison d'un état de détresse sociale ou psychologique, voire en marge des accidents de la route. Néanmoins, vos remarques demeurent pertinentes. D'où le protocole qui prévoit des zones de regroupement dans certains quartiers afin d'y entrer avec les forces de police ou de gendarmerie. C'est tout le sens de la politique de reconquête républicaine des quartiers que nous menons. Il s'agit pour nous d'y être beaucoup plus présents et de créer des partenariats de sécurité, y compris en engageant des actions de médiation et de sensibilisation. Je citerai l'initiative des marins-pompiers de Marseille, qui recrutent des jeunes issus des quartiers pour faciliter leurs actions. Le ministère de l'intérieur met un point d'honneur à déployer ce genre de dispositif.
L'amendement rectifié prend en compte une de nos remarques. Quoi qu'il en soit, les dérogations évoquées par M. le rapporteur pour les sapeurs-pompiers portent surtout sur la notion de circonstance aggravante. Cet amendement constituerait une première dérogation à la règle selon laquelle on ne peut témoigner sous X que pour des infractions dont le quantum de peine est de trois ans minimum. Elle ne vaudrait que pour les pompiers. Je maintiens donc ma position, car un tel amendement porterait une atteinte injustifiée aux droits de la défense, mais surtout au principe de proportionnalité et d'égalité. Avis défavorable.
L'amendement COM-1 rectifié est adopté.
L'article unique de la proposition de loi est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
M. Laurent Nunez, secrétaire d'État. - Je me félicite de la création de la mission d'information.
Je précise que nous suivons d'heure en heure la situation d'un jeune sapeur-pompier de vingt-et-un ans, brûlé à 50 % ce matin dans un incendie à Aulnay-sous-Bois, qui a fait un mort. Le pronostic vital est engagé.
M. Philippe Bas, président. - J'exprime la solidarité de la commission des lois du Sénat à ce jeune homme et à sa famille.
La commission adopte la proposition de loi dans la rédaction issue de ses travaux.
Le sort de l'amendement examiné par la commission est retracé dans le tableau suivant :
Auteur |
N° |
Objet |
Sort de l'amendement |
Article unique |
|||
M. Loïc HERVÉ, rapporteur |
1 rect. |
Développement de l'anonymat des témoins d'infractions commises sur des sapeurs-pompiers |
Adopté |
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 11 h 25.
- Présidence de M. Philippe Bas, président -
La réunion est ouverte à 12 heures.
Audition de M. François Pillet, candidat proposé par le Président du Sénat pour siéger au Conseil constitutionnel
M. Philippe Bas, président. - Nous entendons en audition François Pillet, que le Président du Sénat envisage de nommer aux fonctions de membre du Conseil constitutionnel, en application des articles 13 et 56 de la Constitution.
Conformément à la loi du 23 juillet 2010, cette audition est publique. Elle fait l'objet d'une captation vidéo retransmise en direct sur le site Internet du Sénat et consultable en vidéo à la demande. Elle est également ouverte à la presse et au public.
Les membres de la commission des lois procéderont ensuite à un vote à bulletin secret. En application des articles 13 et 56 de la Constitution, le Président du Sénat ne pourrait procéder à la nomination envisagée si les votes négatifs représentaient au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés.
Ancien bâtonnier du barreau de Bourges et ancien maire de Mehun-sur-Yèvre dans le Cher - le Berry devrais-je dire - François Pillet est devenu sénateur le 17 décembre 2007, en remplacement de notre regretté collègue Serge Vinçon. Il a ensuite été élu en 2008, puis réélu en 2014. Vice-président de la commission des lois, il a rédigé pas moins de trente-huit rapports législatifs et d'information sur des sujets aussi riches que le droit civil, la justice, la protection des données personnelles, la protection de l'enfance, la fin de vie ou, plus récemment, les « fiches S ». Il est également rapporteur du groupe de travail du Sénat sur la révision constitutionnelle et co-rapporteur des textes afférents. En fin juriste, François Pillet tire, je le sais, une grande satisfaction de son travail de rapporteur de la loi de ratification de la réforme du droit des contrats et regrettera certainement, s'il est nommé au Conseil constitutionnel, de ne pouvoir mener à terme, avec Jacques Bigot, ses travaux sur la réforme du droit de la responsabilité civile.
Au Sénat, François Pillet a toujours défendu les libertés fondamentales, notamment lorsqu'il s'est opposé en 2012 à ce qu'il appelait le « fichier des gens honnêtes ». En 2017, il a publié un ouvrage fort intéressant intitulé Le Sénat, gardien des libertés, préfacé par le Défenseur des droits.
François Pillet représente plus qu'un pilier de la commission des lois ; il en incarne presque la conscience institutionnelle, partageant son attachement viscéral au bicamérisme, à la défense des libertés et à la rigueur du droit. François Pillet préside enfin, depuis 2015, le Comité de déontologie parlementaire avec une autorité reconnue par tous.
M. François Pillet, candidat proposé par le Président du Sénat pour siéger au Conseil constitutionnel. - L'objectif de la présente audition - estimer si la proposition du président du Sénat de me nommer membre du Conseil constitutionnel est justifiée - apparaît pour chacun limpide, mais l'originalité de la situation tient certainement au fait que la tâche de le démontrer me soit confiée. J'avoue compter sur vous pour juger ce que je devrais être sachant ce que j'ai été, avant de vous confier ce que je suis.
Comme membre du Conseil constitutionnel, je devrai prêter serment devant le Président de la République et jurer de fidèlement remplir mes fonctions, de les exercer en toute impartialité dans le respect de la Constitution et de garder le secret des délibérations et des votes.
Je le ferai sans crainte, sans faillir, ayant déjà par deux fois prêté serment : devant la cour d'appel de Bourges pour exercer la profession d'avocat avec dignité, confiance, indépendance, probité et humanité - je n'ai jamais manqué à ce serment - et dans l'hémicycle quand j'ai juré, comme juge à la Cour de justice de la République, de garder le secret des délibérations et des votes et de me conduire comme un digne et loyal magistrat. Là encore, je m'y suis montré fidèle.
Le serment des membres du Conseil constitutionnel est seul à mentionner expressément l'impartialité, laquelle repose, pour partie, sur la confiance. Peut-être aurez-vous la conviction que je puis manifester cette qualité en vous rappelant que, lors des travaux menés au Sénat, j'ai toujours veillé, avant d'établir ma conviction et de vous soumettre une solution, à porter à votre connaissance les éléments nécessaires à la sincérité des débats. Mon attitude fut identique dans le cadre de mes responsabilités de président du comité de déontologie du Sénat, pour l'exercice desquelles le Président Larcher m'a assuré une totale indépendance. L'impartialité des membres du Conseil constitutionnel les oblige à exercer une compétence strictement limitée et à ne jamais écrire la loi à la place du législateur. Je ne crois pas vous avoir donné la moindre raison de vous faire douter de ma capacité à tenir cet engagement.
Je suis un homme libre et je ne changerai pas, comme je n'abandonnerai pas mes convictions. La compétence du Conseil constitutionnel pour garantir la protection des libertés individuelles et publiques confère à ceux qui y siègent une responsabilité majeure. L'idée d'un Sénat gardien des libertés n'est pas le monopole d'un groupe politique, mais la fierté de l'institution sénatoriale.
Pour illustrer ma détermination à rester libre, je vous rappelle qu'en mars 2012, à l'occasion de l'examen de la proposition de loi relative à la protection de l'identité, j'ai estimé qu'en créant un fichier permettant d'identifier toute personne à partir de ses empreintes digitales, le législateur porterait une atteinte grave aux libertés individuelles et, en particulier, à l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Contre l'avis du Gouvernement, pourtant issu de la même majorité, le Sénat a suivi mes préconisations.
Cela a sans doute été l'un des moments les plus forts de mon mandat parlementaire. Je remercie le président Bas de l'avoir cité en introduction.
L'Assemblée nationale se montra plus docile face aux volontés du Gouvernement. Mais, dans une décision du 22 mars 2012, dans des termes qui rappelaient fort ce qui avait été retenu par le Sénat, le Conseil constitutionnel déclara anticonstitutionnelles les dispositions afférentes à ce fichier comme portant une atteinte grave à la protection de la vie privée. Ce n'est pas tant d'avoir eu raison qui me procura une profonde satisfaction, mais plutôt d'avoir convaincu mes collègues !
Je porte une attention particulière aux décisions du Conseil constitutionnel relatives à la protection des libertés et des droits fondamentaux. Je partagerai, et attiserai si nécessaire, sa vigilance sur cette exigence. J'aurai également la préoccupation constante de rechercher la conciliation et, même plus, l'harmonie, entre les libertés, tout en veillant au nécessaire équilibre entre les libertés et l'action publiques. Je veillerai plus particulièrement au respect des prérogatives de chaque assemblée dans la procédure parlementaire et au maintien de collectivités territoriales réellement libres de s'administrer elles-mêmes. Bien entendu, il ne s'agit pas de transformer la République une et indivisible en une fédération de collectivités, mais l'équilibre semble en la matière encore lointain : des réformes, via peut-être des précisions constitutionnelles, apparaissent nécessaires. Quant au bicamérisme, je le crois consubstantiel à la démocratie. Selon les mots du président René Monory : « deux chambres, c'est deux chances » pour la protection des libertés, l'expression démocratique, la qualité de la loi et la représentation des territoires.
Je serai donc libre, fidèle à mes convictions et impartial dans l'analyse de la volonté du constituant. Il m'est impossible de vous assurer d'une compétence absolument éclairée en droit constitutionnel, mais j'apprendrai. Pour éclairer votre jugement et ne rien dissimuler de ce que sera ma conduite, je fais mienne cette devise qui pourrait être celle du Sénat : « jamais non par idéologie, jamais oui par discipline ».
M. Philippe Bas, président. - Votre conclusion me réjouit !
Mme Muriel Jourda. - Vous avez parlé d'indépendance - vous y êtes attaché au point de n'avoir jamais « succombé » à un parti politique -, de liberté - que vous aimez au point d'y avoir consacré un livre - et de votre amour pour le pouvoir de conviction que vous pouvez déployer, ce qui semble normal pour un ancien avocat.
Comment ces traits seront-ils compatibles avec l'obligation de réserve des membres du Conseil constitutionnel ?
M. François Pillet. - Je me suis posé, en mon for intérieur, une question identique, à l'aune de la période troublée que traverse la société française. Lors des voeux pour l'année 2019, je n'ai cessé d'exhorter les républicains et les démocrates à se mobiliser et de rappeler combien les principes fondateurs de la République étaient protecteurs de la démocratie et du bien commun. Face à la montée de populismes sociologiquement mortifères, il me semble nécessaire que les élus s'assignent la noble mission d'enseigner la démocratie. Plus qu'en tout autre domaine, j'aime convaincre en la matière ! Nos concitoyens pourraient mieux connaître la Constitution, notre pacte fondamental. L'adage qui affirme que « nul n'est censé ignorer la loi » paraît autant incantatoire qu'irréaliste. Faisons en sorte, déjà, que nul n'ignore la Constitution ! Est-il envisageable qu'un membre du Conseil constitutionnel participe à cette oeuvre pédagogique ? J'interrogerai sur ce point son président.
En tout état de cause, je respecterai scrupuleusement mon devoir de réserve. Si, à raison de renoncements successifs et de modifications insidieuses, un bouleversement du texte constitutionnel m'obligeait à transiger ou à renoncer à mes convictions sur la liberté, la vitalité démocratique des collectivités territoriales, l'équilibre des pouvoirs et le bicamérisme, je renoncerai alors à poursuivre mes fonctions pour retrouver ma liberté.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Nous vivons une période troublée où d'aucuns remettent en cause nos institutions comme le fonctionnement de notre démocratie. Quelle est, à cet égard, votre analyse sur le référendum d'initiative citoyenne (RIC) ?
M. François Pillet. - La Constitution dispose que le peuple s'exprime par la voix de ses représentants ou par référendum, qu'elle envisage sous deux formes : pour réviser la Constitution avec l'article 89 ou pour faire approuver directement par les électeurs un projet de loi avec l'article 11.
Depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, un référendum d'initiative partagé (RIP) peut être organisé à l'initiative d'un cinquième des parlementaires soutenus par un dixième des électeurs inscrits. L'avis préalable du Conseil constitutionnel est nécessaire.
Néanmoins, le mode de saisine du référendum d'initiative partagé ne permet pas de répondre à l'aspiration du peuple à se faire entendre. Il conviendra, peut-être, d'y apporter des aménagements.
Il faut, quoi qu'il en soit, se méfier du référendum : quel est le champ d'action adéquat ? À quel niveau de participation le résultat peut-il être jugé légitime ? S'il fallait introduire le référendum d'initiative citoyenne dans la Constitution, il faudrait préalablement répondre précisément à ces questions car, et je cite ici le président Philippe Bas, « le référendum, c'est oui ou non, c'est blanc ou noir ; le débat parlementaire, c'est multicolore ». D'autres solutions existent, comme le droit de pétition ou d'autres procédures tombées en désuétude.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Il est particulier de procéder à l'audition de d'un collègue de la commission des lois, dont, pour ma part, j'ai toujours apprécié la liberté, la rigueur et la compétence.
Je m'interroge néanmoins sur le passage de la qualité d'élu, par essence partisane, à celle de juge impartial. Si je suis convaincue de la possibilité d'y parvenir, il me semble qu'il conviendrait de veiller, lors des nominations au Conseil constitutionnel, à ne pas alimenter cette hypothèse.
Le Conseil constitutionnel sera sans doute saisi de la loi dite « anticasseurs », sur laquelle vous avez pris position comme sénateur. Quelle sera votre attitude en tant que membre du Conseil constitutionnel ?
M. François Pillet. - L'avocat devenu magistrat connaît les mêmes difficultés. Dans les deux cas, il convient de se fier à la déontologie. Sous réserve d'une confirmation du président du Conseil constitutionnel, je ferai en sorte de ne pas affaiblir une décision sur un texte que j'aurais voté, et a fortiori amendé ou rapporté. Je me déporterai alors.
M. Philippe Bas, président. - Merci de nous apporter une telle garantie !
Mme Jacky Deromedi. - J'aimerais connaître votre opinion sur la présence des anciens présidents de la République au Conseil constitutionnel.
M. François Pillet. - Historiquement, le fait que les anciens présidents de la République soient membres de droit du Conseil constitutionnel visait à leur conférer une certaine visibilité à la fin d'un mandat prestigieux.
La règle ne me semble pas si choquante : qui mieux qu'un président de la République, garant de la Constitution aux termes de son article 5, pourrait juger de son application et de sa protection ?
D'autres éléments doivent cependant être considérés, notamment le fait que les présidents de la République restent désormais au pouvoir moins longtemps. Dès lors, mécaniquement, le Conseil constitutionnel pourrait compter davantage d'anciens présidents, plus jeunes et en parfaite santé, que de membres nommés.
M. Philippe Bas, président. - J'entends votre argument sur la perspective de voir un nombre élevé d'anciens présidents de la République obtenir une majorité au Conseil constitutionnel. L'hypothèse apparaîtrait toutefois davantage crédible si le mandat présidentiel, ou celui des membres du Conseil constitutionnel, était raccourci.
M. François Pillet. - Comme autrefois au Sénat, la durée des mandats des membres du Conseil constitutionnel s'établit à neuf ans ; cela me portera à un âge au-delà duquel, je le confesse, je n'ai nulle visibilité.
M. Philippe Bonnecarrère. - Être nommé membre du Conseil constitutionnel fait peser sur l'intéressé la responsabilité de veiller sur un texte essentiel pour notre corps social, que je considère, à tort ou à raison, comme une force pour notre pays au regard de la complexité de son histoire. En ce sens, la Constitution de la Ve République est tout à fait remarquable. Si notre Constitution est robuste, c'est parce qu'elle est apolitique et intemporelle, son examen et son contrôle me paraissant relever de cette double caractéristique.
Un candidat aux fonctions de membre du Conseil constitutionnel doit bien sûr disposer d'un certain savoir, au sens juridique du terme, ce que personne ne vous contestera, monsieur Pillet. Il doit aussi disposer d'une autre forme de savoir, qui est un savoir sur la société, ce que votre expérience professionnelle et élective vous donne. Enfin, ce candidat doit posséder une dernière forme de savoir, peut-être la plus importante, qui est une forme de savoir-être. Je ne fais pas référence au mode de vie en société ou à la politesse, mais à cette aptitude au recul sur les choses et sur les hommes. Or je crois que votre parcours au sein de notre institution, en particulier à la commission des lois, nous a largement démontré que vous aviez foncièrement en vous cette modération, cette pondération et cette aptitude au recul.
Plutôt que de poser une question, monsieur Pillet, je tenais simplement à vous dire ma conviction que vous serez un excellent membre du Conseil constitutionnel.
Mme Marie Mercier. - Monsieur Pillet, je voudrais tout d'abord vous féliciter pour votre élégante plaidoirie et vous remercier d'avoir su nous faire partager vos connaissances, nombreuses et précises, au sein de la commission des lois.
Je vous avoue que l'on attendait toujours vos réparties malicieuses. J'attendrai avec une certaine impatience la réponse que vous allez faire à ma question : le Conseil constitutionnel est-il soumis à l'article 1er de la Constitution qui dispose que « la loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu'aux responsabilités professionnelles et sociales » ?
M. François Pillet. - Ma chère collègue, votre question est malicieuse. Non, le Conseil constitutionnel n'est pas soumis à cette obligation, pas plus d'ailleurs que le Gouvernement, qu'une juridiction ou qu'un jury d'assises.
Cela étant, le hasard fait bien les choses même si, en l'espèce, je ne suis pas sûr que ce soit le hasard. Ainsi, vous remarquerez que le président du Conseil constitutionnel, Laurent Fabius, est accompagné de quatre hommes et de quatre femmes - vous m'accorderez qu'il est difficile d'atteindre une parité parfaite avec neuf membres. J'ajoute que, si les trois candidats proposés sont nommés dans les jours à venir, les modifications apportées à cette composition n'y changeront rien.
M. Simon Sutour. - Nous avons eu au sein de notre commission des lois un certain nombre de membres du Conseil constitutionnel : certains l'ont été avant d'entrer au Sénat, d'autres l'ont été après.
Parmi ceux qui l'ont été avant d'être élu sénateur figure notre ancien collègue Robert Badinter, au côté duquel j'ai eu le plaisir et l'honneur de siéger durant treize années. Ma question est la suivante : Robert Badinter disait souvent que le premier devoir d'un membre du Conseil constitutionnel est le devoir d'ingratitude. Je voudrais savoir ce que vous inspire cette phrase.
M. François Pillet. - Il s'agit d'une très belle formule, qui ne m'étonne d'ailleurs pas de la part de Robert Badinter. Ce devoir d'ingratitude signifie, sans doute, que l'on doit être capable de se libérer des autres. Nous en revenons à mon attachement à la liberté, si bien qu'il n'y a pas trop de difficultés sur ce point.
Puisque vous évoquez Robert Badinter, je vous ferai part d'un souvenir qui m'a marqué : la première fois que je suis entré dans la salle de notre commission des lois, je suis immédiatement allé le voir, avec l'émotion, la modestie et le stress que vous imaginez, non pas pour me présenter à lui, mais pour lui rappeler que nous nous connaissions déjà. En tant que président des « Entretiens de Nanterre », rencontres intellectuelles du barreau, j'avais en effet eu l'honneur de diriger Robert Badinter dans des débats, qui avaient lieu à l'époque dans la salle de la première chambre civile de la Cour de cassation.
Mme Catherine Di Folco. - Mon cher collègue, j'espère que vous ne m'en voudrez pas de commencer par une petite anecdote. Un jour, alors que vous veniez de rapporter un texte très technique, notre collègue Marie Mercier et moi-même, qui ne sommes pas juristes, vous avions toutes les deux humblement avoué que nous n'avions pas compris l'ensemble des développements. De retour à votre siège, vous nous aviez répondu que vous n'aviez pas été bon et que, la prochaine fois, vous feriez mieux. Voilà un trait de votre personnalité que nous avons tous pu apprécier. Je vous remercie pour tout ce que vous m'avez donné et appris.
Quelle décision du Conseil constitutionnel vous est apparue la plus novatrice ?
M. François Pillet. - Il est difficile de répondre à votre question, d'autant que vous me demandez de choisir une décision du Conseil constitutionnel parmi beaucoup d'autres. Je tâcherai évidemment d'en retenir une qui a trait à la protection des libertés individuelles, des libertés publiques et des droits fondamentaux.
Dans la mesure où les décisions les plus importantes sont peut-être rendues dans le cadre des questions prioritaires de constitutionnalité, je choisirai la décision du Conseil constitutionnel du 6 juillet 2018, dans laquelle celui-ci a ajouté aux principes à valeur constitutionnelle la troisième composante de notre devise républicaine, c'est-à-dire la fraternité.
Cette décision a fait réagir les médias, dans un sens qui démontre assez clairement que ceux-ci ne l'avaient pas parfaitement lue. Elle était en réalité très équilibrée, puisqu'elle laisse, dans le champ de notre Constitution, la possibilité de la fraternité, que d'autres appelleront la charité ou la solidarité, tout en précisant bien que cet idéal de fraternité ne doit jamais entraver les décisions prises par le législateur dans le but de protéger l'ordre public. Tout en apportant de nombreuses garanties, le Conseil constitutionnel explique ainsi que l'aide au franchissement irrégulier de la frontière revient à commettre une infraction.
M. Philippe Bas, président. - Il est d'ailleurs étonnant qu'il ait fallu attendre si longtemps pour reconnaître au principe de fraternité une valeur constitutionnelle.
Mme Françoise Gatel. - Mon cher collègue, je me suis tout d'abord interrogée sur les compétences requises pour les fonctions auxquelles vous prétendez. Ensuite, je me suis naturellement demandé si l'idée que j'avais de vous était en adéquation avec cette exigence. Quatre mots me sont venus à l'esprit, à la fois conformes au profil d'un éminent membre du Conseil constitutionnel et à l'image que j'avais de vous en tant que membre de la commission des lois. « Conscience », « liberté », « compétence » et « sagesse », telles sont pour moi les qualités que vous avez démontrées comme sénateur, qualités qui vous seront extrêmement utiles et pertinentes dans les fonctions que vous allez sans doute occuper.
J'aurais deux questions à vous poser.
Tout d'abord, je voudrais me faire l'écho de propos qui me perturbent, moi qui ne suis pas juriste. Dans nos débats, j'entends parfois certains de mes collègues regretter la prédominance d'une interprétation a priori des décisions du Conseil constitutionnel, et ce alors même que nous ne l'avons pas saisi, qui nous pousse à nous censurer dans la fabrique de la loi. Selon vous, le Conseil constitutionnel freinerait-il l'allant du législateur ?
Par ailleurs, certaines personnes se sont étonnées de la présence de trop nombreuses personnalités politiques au sein du Conseil constitutionnel, au détriment des juristes. Je ne partage pas cette opinion : il me semble extrêmement intéressant que certains membres du Conseil constitutionnel aient un parcours d'élu pour l'éclairer différemment, la Constitution étant avant tout un projet politique et un projet de société. J'aimerais néanmoins connaître votre avis sur le sujet...
M. François Pillet. - Si le Conseil constitutionnel est chargé d'assurer le respect de la Constitution, c'est au Parlement, c'est à vous, à nous, d'exercer le contrôle de la constitutionnalité des lois dans un premier temps. C'est au Parlement de faire en sorte de ne pas violer la jurisprudence du Conseil constitutionnel, dès lors qu'une décision a déjà été rendue. Cela participe de notre sérieux que de nous soumettre a priori à une décision du Conseil constitutionnel, même si celle-ci ne suscite pas toujours en nous une joie intellectuelle considérable. C'est de notre responsabilité de parlementaire.
Aujourd'hui, différentes institutions sont amenées à contrôler le respect de notre Constitution : le juge judiciaire qui garantit la protection des libertés, le Président de la République, le Parlement, le Défenseur des droits depuis 2008 et, enfin, le Conseil constitutionnel. Nous sommes tous chargés de faire respecter la Constitution ab initio.
S'agissant de votre deuxième question, je ne me réfugierai pas derrière mon obligation de réserve, mais ferai preuve d'un calme olympien. Pourtant, lorsque j'ai entendu dire qu'il n'y avait pas de juristes au Conseil constitutionnel, et que les membres qui pourraient y être nommés n'en étaient pas non plus, je me suis demandé d'emblée si ces propos n'émanaient pas de journalistes !
Tous les membres actuels du Conseil constitutionnel ont fait des études juridiques poussées. Il s'agit souvent de praticiens du droit : le Conseil compte tout de même deux anciennes premières présidentes de cours d'appel. Regardez les parcours des autres membres : ils sont très intéressants.
Le Conseil constitutionnel ne doit pas être un cénacle de juristes un peu asséchés, mais refléter une variété de profils. Quant à ses futurs membres, je pense en tout cas à ceux issus du Sénat, je vois mal comment il pourrait s'agir de mauvais juristes après plus de quarante ans de pratique du droit. Ne cédons pas à ces informations non vérifiées, qui traduisent sans doute le manque de déontologie de certains médias.
M. François-Noël Buffet. - Ma question porte sur le respect du principe du contradictoire, auquel nous sommes tous attachés ici. Au nom d'une volonté de transparence parfois exagérée, certains estiment que le Conseil constitutionnel devrait publier l'ensemble de ses décisions, notamment les opinions dissidentes de ses membres. Je m'interroge sur ce point.
M. François Pillet. - Ma réponse sera ferme sur le sujet : c'est non ! Le Conseil constitutionnel n'est pas une troisième assemblée où doivent se poursuivre les débats politiques. C'est l'institution qui doit trancher une question. Personnellement, je suis totalement opposé à la publication des opinions divergentes, parce qu'elles risquent d'affaiblir le secret du délibéré et l'indépendance du Conseil constitutionnel. Une fois qu'une décision est rendue, poursuivre le débat n'a d'autre effet que d'atténuer la portée juridique de cette décision.
Mme Catherine Troendlé. - D'abord, j'aimerais remercier le président du Sénat d'avoir soumis la candidature de François Pillet à notre vote. Il s'agit à mes yeux d'un éminent juriste, pour lequel j'ai beaucoup de respect et d'admiration, tout simplement pour sa remarquable qualité d'écoute et pour la capacité qu'il a démontré à plusieurs reprises de s'ériger en véritable défenseur des libertés fondamentales.
Que pensez-vous des pays qui accordent le droit à tout citoyen de saisir la cour constitutionnelle ?
M. François Pillet. - Là encore, je répondrai de manière très claire : on est parvenu à un équilibre en France avec la question prioritaire de constitutionnalité, notamment parce que la procédure permet de filtrer les problèmes juridiques soulevés au niveau des juridictions de première instance, d'appel puis de cassation.
Je rappellerai deux dates. En 1971, saisi par Alain Poher, le Conseil constitutionnel a en quelque sorte découvert l'étendue de son champ de compétence en dégageant un « bloc de constitutionnalité » comprenant la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, le préambule de la Constitution de 1946, puis la Charte de l'environnement. À compter de cette date, le Conseil constitutionnel s'érige peu à peu en juridiction.
Depuis 2008, n'importe quel citoyen peut soulever une question prioritaire de constitutionnalité, à condition qu'elle soit sérieuse. Quand la réforme a été votée, je ne vous cache pas que je me suis demandé pourquoi on ne laissait pas au Conseil constitutionnel le soin de filtrer lui-même les recours sur lesquels il aurait à se prononcer. Finalement, la pratique montre que la procédure fonctionne bien et que les tribunaux ne saisissent le Conseil constitutionnel que de questions sérieuses. Le Conseil constitutionnel ne doit évidemment pas devenir le réceptacle de toutes les questions de droit, surtout quand certaines d'entre elles reposent sur des fondements juridiques un peu légers.
En revanche, je ne souhaite pas que le Conseil constitutionnel devienne une cour suprême, c'est-à-dire un mélange de la Cour de cassation, du Conseil d'État et du Conseil constitutionnel. Le système français fonctionne bien et est désormais parfaitement équilibré.
Reste une question de nomenclature. Lors des débats sur la révision constitutionnelle de 2008 au Sénat, Robert Badinter a ainsi défendu un amendement tendant à ce que le Conseil constitutionnel soit qualifié de « Cour constitutionnelle ». En définitive, cet amendement n'a pas été adopté.
Qu'importe après tout qu'on l'appelle « Conseil constitutionnel » ou « Cour suprême », dès lors qu'il a les compétences que nous lui reconnaissons et qu'il les exerce. Seul bémol, je considère que la dénomination de « Conseil constitutionnel » a un petit parfum français, alors que celle de « Cour suprême » a une odeur américaine : en conséquence, je préfère l'appellation de « Conseil constitutionnel » !
Mme Agnès Canayer. - Nous sommes nombreux ici à être convaincus que vous êtes l'homme de la situation et que vous ferez respecter avec brio notre norme fondamentale grâce à votre pensée toujours précise et vos raisonnements toujours aiguisés.
Votre qualité première est d'être un homme libre. Cette liberté ne pourra s'exercer qu'au sein d'une autorité véritablement indépendante : pensez-vous que le Conseil constitutionnel a les qualités d'une juridiction, à l'instar de la Cour suprême américaine, et qu'il s'agit véritablement d'une autorité indépendante qui garantira votre liberté ?
M. François Pillet. - Ma réponse sera très ferme : le Conseil constitutionnel a montré à plusieurs reprises qu'il était bel et bien une autorité indépendante.
Prenons un exemple fiscal : lorsque le Conseil juge contraire à la Constitution une surtaxe de 3 % de certains bénéfices des sociétés mères, il ennuie considérablement le ministre de l'action et des comptes publics, parce que cette décision a des effets budgétaires considérables. Il fait également preuve de responsabilité lorsqu'il donne le temps au législateur de corriger et d'aménager des dispositions qu'il a jugées inconstitutionnelles.
Le Conseil constitutionnel est parfaitement libre, je m'y sentirai donc parfaitement indépendant et resterai ce que je suis. Pour prendre une image que je vais certainement regretter, pourquoi voulez-vous qu'à soixante-huit ans, je commence une carrière de « politicard » ?
M. Philippe Bas, président. - Monsieur Pillet, avez-vous quelque chose à ajouter avant la fin de cette audition ?
M. François Pillet. - Mes chers collègues, je voudrais vous dire à quel point votre rôle de législateur est important, non seulement lorsque vous défendez les libertés, mais aussi lorsque, par humanisme, vous faites en sorte que notre société devienne meilleure.
Nous avons beaucoup parlé de droit. J'aimerais vous dédicacer un vers qui vous va très bien. Il n'est pas tiré des Contemplations de Victor Hugo, puisque je suis avant tout un adepte consciencieux et objectif du bicamérisme, mais des Méditations poétiques du député Alphonse de Lamartine : « l'homme est un dieu tombé qui se souvient des cieux ».
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Vote et dépouillement du scrutin sur la proposition de nomination par le Président du Sénat de M. François Pillet aux fonctions de membre du Conseil constitutionnel
M. Philippe Bas, rapporteur. - L'audition de M. François Pillet étant terminée, nous allons maintenant procéder au vote sur la proposition de nomination du Président du Sénat. Il se déroulera à bulletins secrets comme le prévoit l'article 19 bis de notre Règlement. En application de l'article 3 de la loi organique du 23 juillet 2010 relative à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, les délégations de vote ne sont pas autorisées. Je vous rappelle que le Président du Sénat ne pourrait pas procéder à la nomination de M. François Pillet si les votes négatifs au sein de notre commission représentaient au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés.
La commission procède au dépouillement du scrutin sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. François Pillet aux fonctions de membre du Conseil constitutionnel.
M. Philippe Bas, président. - Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants : 25
Bulletins blancs : 0
Bulletin nul : 0
Suffrages exprimés : 25
Pour : 25
Contre : 0
La réunion est close à 13 h 10.
- Présidence de M. Philippe Bas, président -
La réunion est ouverte à 14 h 20.
Audition de M. Jacques Mézard, candidat proposé par le Président de la République pour siéger au Conseil constitutionnel
M. Philippe Bas, président. - Nous allons procéder à l'audition de notre collègue et ancien ministre Jacques Mézard, candidat proposé par le Président de la République pour siéger au Conseil constitutionnel, en vertu des articles 13 et 56 de la Constitution, à la suite de notre ancien collègue Michel Charasse.
C'est la deuxième fois dans l'histoire récente qu'un chef de l'État fait au Sénat l'honneur de choisir l'un des siens pour siéger au Conseil constitutionnel. Comme nous connaissons tous l'attachement de Jacques Mézard au Sénat, nous mesurons à son juste prix cet honneur que le Président de la République nous fait à travers lui.
Je voudrais rappeler quelques étapes de la vie professionnelle et politique de Jacques Mézard, qui est avocat. Le Conseil constitutionnel compterait donc un juriste supplémentaire si sa nomination est confirmée par le vote des commissions des lois des deux assemblées.
Conseiller municipal d'Aurillac depuis 1983, élu sénateur en 2008, réélu en 2014, il n'a interrompu son mandat parlementaire que pour devenir ministre de l'agriculture et de l'alimentation puis ministre de la cohésion des territoires. Ancien président du groupe Rassemblement démocratique social et européen (RDSE) et membre très actif de notre commission des lois, il a rédigé pas moins de 24 rapports législatifs et d'information sur des sujets aussi importants que les finances locales, les nouvelles technologies dans les territoires et l'aide juridictionnelle. Il est également à l'origine du statut général des autorités administratives indépendantes (AAI), adopté en 2017 dans la continuité des travaux de la commission d'enquête qui a fait date sur le sujet, dont il était le rapporteur.
Durant son mandat parlementaire, Jacques Mézard a consacré une part très importante de son engagement à la défense des territoires, à la préservation du pluralisme politique et à la défense des libertés, notamment dans le domaine judiciaire.
Cette audition fait l'objet d'une captation audiovisuelle. Elle est ouverte au public et à la presse. Nous voterons ensuite à bulletin secret sans délégation de vote sur cette proposition de nomination. Le Président de la République ne pourrait y procéder si les votes négatifs des commissions des lois des deux assemblées représentaient au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés. Nous attendrons l'issue des auditions à l'Assemblée nationale pour dépouiller simultanément les bulletins.
M. Jacques Mézard, candidat proposé par le Président de la République pour siéger au Conseil constitutionnel. - Mes chers collègues - je puis encore le dire - je dois vous faire part de mon émotion d'être parmi vous pour cette audition. Merci au président Philippe Bas, avec qui j'ai souvent travaillé.
Le Président de la République m'a nommé sous la réserve du vote des commissions des lois des deux assemblées. C'est le témoignage de son intérêt pour le Parlement et le bicamérisme, ce qui, dit aujourd'hui, n'est pas anodin.
J'ai accepté cette proposition à la suite d'une carrière que je résumerai rapidement en trois parties : je suis un juriste, un élu local et un parlementaire.
Je rappelle que je suis juriste parce que, comme François Pillet l'a relevé avec justesse lors de son audition, certains regrettent que des sénateurs, et non des juristes, soient nommés au Conseil constitutionnel.
M. Philippe Bas, président. - L'un n'empêche pas l'autre !
M. Jacques Mézard. - J'ai pratiqué le droit pendant 54 ans puisque je suis entré à la faculté de droit de Paris à l'âge de 17 ans. J'y ai passé plus de dix ans comme étudiant, enseignant et membre du Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche. J'ai exercé la profession d'avocat sur le terrain pendant 37 ans, jusqu'à mon élection au Sénat où j'ai rejoint la commission des lois. Dire que je pratique le droit depuis 54 ans ne me donne pas tous les atouts mais me permet de mettre les choses au point.
Je continue à exercer un mandat local, municipal, encore pour quelques jours. J'ai été élu municipal, cantonal pendant plus de quatorze ans, président d'une agglomération de 2001 à 2017, sénateur depuis 2008 et président du groupe RDSE entre 2011 et 2017.
Je suis un citoyen de la République ; je suis attaché à elle. Je dis souvent à mes concitoyens que si tout n'est pas parfait dans ce beau pays de France, nous avons de la chance de vivre dans un pays où l'on a le droit de s'exprimer, où il y a une diversité politique et une tradition républicaine à laquelle nous sommes tous attachés.
Vous connaissez mes convictions. Je n'en changerai pas. Parmi elles, il y a le respect de la République et des différentes sensibilités. Si je recueille votre assentiment, j'exercerai les fonctions qui m'ont été proposées avec la conscience de la nécessité de faire vivre nos principes républicains. Certes, les évolutions sociétales et technologiques sont considérables et nos sociétés doivent en tenir compte, mais il est essentiel d'avoir un cadre de principes fondamentaux qui nous rassemblent. Ce n'est pas pour rien que notre Constitution se réfère à la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, dont la modernité est toujours aussi évidente, ainsi qu'au préambule de la Constitution de 1946 et à la Charte de l'environnement. Nous devons donc rester fidèles aux grands principes ! Personne n'est parfait, je n'ai peut-être pas toujours voté comme il aurait fallu mais je l'ai fait en conscience. J'ai un attachement viscéral à la liberté et à l'indépendance. Si vous acceptez que je siège au Conseil constitutionnel, je resterai un homme libre et indépendant.
Lors de l'audition de François Pillet, notre collègue Simon Sutour a parlé du « devoir d'ingratitude » des membres du Conseil constitutionnel. Je le comprends parfaitement. Le Conseil constitutionnel est un lieu où l'impartialité, la liberté et l'indépendance sont un devoir et une nécessité.
J'ai la connaissance du Parlement comme du Gouvernement au sein duquel j'ai passé dix-sept mois. Il est intéressant de connaître le législatif comme l'exécutif.
Je siégerai au Conseil constitutionnel avec humilité. J'ai beaucoup parlé pendant toutes ces années, comme avocat puis comme parlementaire. Je sais aussi ce que sont le secret professionnel et le silence. Je pourrai m'adapter à ce devoir.
M. Philippe Bas, président. - Je vous ai intégralement retrouvé dans vos propos, tel que vous êtes. La sincérité est une dimension essentielle lorsque l'on a des engagements publics.
M. Jean-Yves Leconte. - Cher collègue, j'ai pu constater votre liberté pendant les travaux de la commission des lois. Je ne doute pas que vous en ferez usage ces prochaines années.
J'aurais trois questions à vous poser.
Au début de la discussion sur la réforme constitutionnelle à l'Assemblée nationale, les députés ont pu considérer que des droits qui n'étaient pas inscrits dans le marbre de la Constitution devaient l'être. Que pensez-vous de la tentation d'introduire des éléments législatifs dans la Constitution ?
En matière fiscale, surtout en tant que représentant des Français de l'étranger, on déplore parfois des contradictions entre les jurisprudences du Conseil constitutionnel et de la Cour de justice de l'Union européenne. En la matière, le Conseil constitutionnel doit-il conserver le périmètre actuel de son action ?
Enfin, quel est votre sentiment sur l'application par notre commission de l'article 45 de la Constitution concernant l'irrecevabilité des « cavaliers législatifs » ?
M. Jacques Mézard. - Je reconnais là la science du sénateur Leconte en matière de questions difficiles.
Si la Ve République a apporté une stabilité à nos institutions, sa Constitution a été révisée à vingt-quatre reprises, ce qui doit nous interpeller. Notre socle très large de grands principes du droit balaie l'essentiel des principes de la vie en société. En effet, la loi est l'organisation des relations entre les hommes. Les évolutions sociétales se sont profondément accélérées ces dernières années. Je n'ai pas d'opposition de principe à l'ajout constant de nouveaux éléments à la Constitution, mais si l'on dit souvent que la loi est bavarde, il ne faudrait pas que la Constitution le devienne aussi !
Monsieur Leconte, vous connaissez la position du Conseil constitutionnel sur le contrôle de conventionalité. Un certain nombre de décisions ont marqué clairement que ce n'était ni son rôle ni sa mission, sauf cas exceptionnel tel que la décision « Jeremy F. » du 14 juin 2013. Je crois au dialogue du droit entre les différentes institutions. Il fonctionne, sans être réalisé de manière formelle. Je crois avoir déposé au Sénat la première proposition de loi sur la garde à vue après l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) sur le sujet en 2010. Il y a eu manifestement une évolution des décisions et une ouverture du Conseil constitutionnel à l'époque pour tenir compte de la jurisprudence de la CEDH. Vous soulevez une difficulté technique, mais je ne crois pas qu'il soit opportun d'aller au-delà du périmètre actuel du contrôle du Conseil constitutionnel.
L'usage de l'article 45 de la Constitution est vécu par
nombre de parlementaires comme une atteinte au droit d'amendement. Étant
parlementaire encore pour quelques jours
- si vous le voulez
bien - et ayant constamment défendu le droit d'amendement, vous me
croiriez difficilement si je disais que je suis insensible à la
question. Néanmoins, il est nécessaire d'atteindre un
équilibre. Le lien, direct ou indirect, avec le texte
déposé ou transmis est sujet à interprétation. Nos
lois sont trop bavardes. Quand un projet de loi de quelques dizaines d'articles
est déposé sur le bureau d'une assemblée, il en ressort
parfois avec quelques centaines d'articles. La loi doit être le plus
intelligible possible. Autant je suis attaché au respect de l'expression
parlementaire, autant je pense que nos assemblées doivent faire un
effort pour améliorer la situation.
Mme Nathalie Delattre. - Il m'est donné l'occasion de vous dire toute ma fierté de vous voir appelé au Conseil constitutionnel parmi les sages. Vous en avez toutes les qualités. Je veux vous dire toute mon émotion, à vous que je connais depuis longtemps, qui m'avez parrainée pour rejoindre le groupe RDSE puis cédé votre poste de vice-président de la commission des lois. Vous allez nous manquer.
L'une des réformes majeures du Conseil constitutionnel a été l'introduction en 2008 de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) qui a rapproché le citoyen de ses institutions. L'actualité rappelle combien il est primordial de mieux les faire connaître. Le président Fabius a fait part de son souhait de délocaliser les audiences de QPC en région, une fois par trimestre, après l'expérimentation réalisée il y a une semaine à Metz sur des questions relatives au code de la sécurité sociale ou au droit locatif. Qu'en pense l'homme de la proximité et des territoires ? Le Conseil constitutionnel peut-il aller plus loin et si oui, comment ?
M. Jacques Mézard. - Tous ceux qui ont des responsabilités dans ce pays cherchent le moyen de parvenir à davantage de proximité avec les citoyens. Le Conseil constitutionnel ne fait pas exception. Je suis tout à fait favorable à la décision de tenir des audiences délocalisées, de communiquer, de présenter un site Internet et des documents sur son action synthétiques et lisibles. Le Conseil constitutionnel effectue manifestement un effort de clarté et de lisibilité dans ses décisions pour être à la portée de nos concitoyens. Face à l'incompréhension exprimée par ces derniers, c'est tout à fait utile.
M. Patrick Kanner. - M. Mézard nous a rappelé ses convictions fortes et intimes, parmi lesquelles, je le crois, la laïcité. Le Conseil constitutionnel est le garant du modèle très original de notre pays en la matière. On sent venir dans l'air une éventuelle modification de la fameuse loi du 9 décembre 1905 qui garantit ce modèle exceptionnel, extraordinaire qu'il faut défendre. Quel est votre sentiment profond sur la place de la laïcité et comment le Conseil constitutionnel doit-il la défendre ?
M. Jacques Mézard. - La laïcité est une valeur fondamentale de la vie de notre République qui est « indivisible, laïque, démocratique et sociale ». C'est la volonté de respecter l'ensemble des opinions et des croyances. Nous avons vécu, dans notre longue histoire, bien des épisodes difficiles. Ce qui se passe dans nombre de pays aujourd'hui fait la démonstration de la nécessité de préserver cette laïcité à la française qui respecte les opinions et les croyances de chacun, en permettant dans la sphère privée de croire ou de ne pas croire, d'exercer ses croyances ou de ne pas le faire.
Moi qui n'ai pas changé d'engagement politique depuis l'âge de 17 ans, je constate que la loi de 1905 a été modifiée à de nombreuses reprises. Ce n'est aucunement un bloc intact depuis sa promulgation. Elle a été changée et pas toujours appliquée - notamment pour ce qui est des sanctions. Le principe d'une modification de cette loi fondatrice pour l'améliorer ne me pose pas de problème si son essence même est respectée et préservée.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Je vous demande, comme à M. Pillet ce matin, quelle sera votre attitude lorsqu'un texte que vous avez porté, voté ou combattu viendra devant le Conseil constitutionnel.
M. Jacques Mézard. - Sans vouloir plagier la réponse de François Pillet, je peux répondre, qu'en fonction de la situation, on est très légitimement amené à se déporter lorsque le Conseil constitutionnel examine des textes que l'on a connus comme ministre ou parlementaire.
Tout récemment, une QPC sur les biens de section a été déposée. Or je suis à l'origine de la proposition de loi que le Sénat, puis l'Assemblée nationale ont votée en la matière. Dans ces conditions, il me paraît difficile d'intervenir sur ce sujet, quand bien même j'en aurais envie. Je ne pense pas que ce soit opportun.
Mme Muriel Jourda. - Que pensez-vous de la présence au Conseil constitutionnel des anciens Présidents de la République ?
M. Jacques Mézard. - Ayant défendu publiquement au Sénat une position visant à supprimer cette présence pour l'avenir, je ne vais pas changer d'opinion, d'autant que le passage au quinquennat a modifié la situation.
Si M. Giscard d'Estaing siège depuis le début avec beaucoup de force et d'assiduité, les autres Présidents de la République ont décidé de ne plus siéger.
À mon sens, il faut mettre fin à cette pratique, non pas que l'expérience d'un Président de la République ne serait pas utile, mais parce que le quinquennat augmente leur nombre au sein du Conseil constitutionnel, ce qui risque de bouleverser l'équilibre institutionnel et de poser problème.
Mme Marie Mercier. - Pour avoir eu la chance de vous côtoyer lors des réunions de la commission des lois, je puis attester que nous avons tous été très sensibles à vos explications toujours un peu corrosives. Je tiens à souligner votre liberté de ton : vous donnez l'impression de n'être enfermé dans aucun dogme.
Je vous souhaite bonne chance au Conseil constitutionnel. Continuez à ne pas oublier les territoires, les élus locaux et les maires.
M. Jacques Mézard. - J'ai tenu toute ma vie à cette indépendance. Elle n'a pas forcément facilité les élections auxquelles je me suis présenté : quand on n'est pas dans un grand parti, c'est parfois plus difficile, même si le fait d'appartenir à un parti n'empêche pas l'indépendance et la liberté.
Il me semble important de ne pas avoir d'a priori. J'ai des convictions très fortes, mais l'écoute et l'humilité sont fondamentales : si l'autre pense différemment, il y a une raison, c'est peut-être que l'on n'a pas eu recours aux bons arguments. Il m'est arrivé de modifier certains de mes votes après avoir écouté des argumentations inverses - c'est également la tradition de mon groupe. C'est tout l'intérêt du dialogue et de l'écoute.
Mme Agnès Canayer. - Ce qui fait la force du Conseil constitutionnel, c'est la liberté de ses membres. À ce titre, vous saurez très bien y trouver votre place. Reste que cette liberté ne peut s'exercer qu'au sein d'un organisme indépendant et autonome. Pensez-vous que le Conseil constitutionnel dispose véritablement de cette indépendance ?
M. Jacques Mézard. -Si l'on observe ce qui s'est passé depuis la création du Conseil constitutionnel, les évolutions qu'il a connues, notamment la question prioritaire de constitutionnalité, j'ai le sentiment que le Conseil constitutionnel a fait preuve d'impartialité. Certaines de ses décisions ont même parfois pu surprendre.
À une question sur la décision du Conseil constitutionnel qui l'avait le plus marqué, François Pillet a mentionné devant la commission la décision du 6 juillet 2018 sur la fraternité. Moi qui l'écoutais de mon bureau, je l'avais deviné : c'est sans doute le fait de notre sensibilité sénatoriale. En effet, sur la question de la fraternité, le Conseil constitutionnel a su rendre, avec impartialité, des décisions très adaptées aux évolutions sociétales.
Cela ne signifie pas que, comme parlementaire, j'ai toujours été satisfait des décisions du Conseil constitutionnel. Il n'est qu'à voir ce qui s'est passé lorsque le Sénat l'a saisi sur l'étude d'impact du projet de loi fusionnant les régions. Dans un autre cas, en revanche, j'ai fait un recours auquel il a été fait droit. C'est cela, la vie démocratique.
M. Philippe Bas, président. - Il ne me reste plus qu'à remercier Jacques Mézard et à lui dire, sans préjuger du vote à venir, qu'en ce qui me concerne, au terme de toutes ces années de travail en commun, j'ai apprécié en lui un très grand parlementaire, déterminé, convaincu, amoureux de la délibération parlementaire, prêt à discuter, à s'enrichir du point de vue des autres et apportant au Sénat, outre ses qualités juridiques évidentes, l'expérience du lien indestructible qu'un élu doit avoir avec ses concitoyens et son territoire. De telles qualités seront très utiles pour exercer la fonction de membre du Conseil constitutionnel.
En outre, dans la période que nous vivons, où des sentiments mauvais se répandent dans la société française, j'ai confiance dans le fait qu'il saura être un gardien de nos libertés, agissant au nom de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et des garanties fondamentales qu'offre la Constitution. Il s'agit là d'une mission absolument fondamentale et éminente, qui peut même devenir un jour historique.
M. Jacques Mézard. - Monsieur le président, mes chers collègues, je vous remercie de toutes ces années de travail en commun.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Vote sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Jacques Mézard aux fonctions de membre du Conseil constitutionnel
M. Philippe Bas, président. - Nous allons maintenant procéder au vote sur cette proposition de nomination.
Il se déroulera à bulletins secrets comme le prévoit l'article 19 bis de notre Règlement. En application de l'article 3 de la loi organique du 23 juillet 2010 relative à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, les délégations de vote ne sont pas autorisées.
Je vous rappelle que le Président de la République ne pourrait pas procéder à la nomination de M. Jacques Mézard si les votes négatifs au sein de notre commission et de la commission des lois de l'Assemblée nationale représentaient au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions. Les dépouillements des scrutins de l'Assemblée nationale et du Sénat auront lieu simultanément au sein des commissions lois des deux assemblées, à l'issue de l'audition de M. Mézard à l'Assemblée nationale.
Dépouillement simultané au sein des commissions des lois des deux assemblées des scrutins sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Jacques Mézard aux fonctions de membre du Conseil constitutionnel
La réunion, suspendue à 15 h 20, est reprise à 17 h 50.
La commission procède au dépouillement du scrutin sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Jacques Mézard aux fonctions de membre du Conseil constitutionnel, simultanément à celui de la commission des lois de l'Assemblée nationale.
M. Philippe Bas, président. - Voici le résultat du scrutin, qui sera agrégé à celui de la commission des lois de l'Assemblée nationale :
Nombre de votants : 18
Bulletins blancs : 1
Bulletin nul : 0
Suffrages exprimés : 17
Pour : 16
Contre : 1
La réunion est close à 18 h 00.