Mercredi 4 avril 2018
- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -
La réunion est ouverte à 11 heures.
Audition de M. Edouard Sauvage, directeur général de Gaz Réseau Distribution France (GRDF)
Mme Sophie Primas, présidente. - Nous accueillons M. Edouard Sauvage, directeur général de Gaz Réseau Distribution France (GRDF), accompagné de M. Bertrand de Singly, délégué stratégie, et de Mme Muriel Oheix, chargée des relations institutionnelles.
Le monde de l'énergie évolue rapidement et le gaz a vocation à occuper une place particulière dans cette transition. La dernière actualisation du bilan prévisionnel pluriannuel réalisée par les gestionnaires de réseaux apparait de ce point de vue particulièrement éclairante : selon ces projections, d'ici à 2035, la consommation totale de gaz hors production d'électricité devrait diminuer, tout en permettant de chauffer un nombre croissant de logements et de surfaces tertiaires grâce, à la fois, aux gains en matière d'efficacité énergétique et au déploiement d'équipements plus performants. Dans le même temps, le gaz devrait continuer à remplacer, dans l'industrie et dans la production d'électricité, des énergies plus carbonées comme le fioul et le charbon et contribuer ainsi, avec l'essor des énergies renouvelables, à la décarbonation de notre économie. Quelle sera la place du gaz dans ce monde nouveau et quelles sont vos attentes, à cet égard, dans le cadre de la nouvelle programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) en cours de discussion ?
Les réseaux, qui devront accompagner cette évolution, sont déjà confrontés à un double défi : accueillir de nouveaux sites d'injection décentralisés, à commencer par les méthaniseurs, et développer de nouveaux points d'avitaillement en gaz naturel véhicule (GNV) et bio-GNV. Comment la France se positionne-t-elle par rapport aux autres pays européens en matière d'injection de biométhane dans les réseaux et d'usage du gaz dans les transports ? Comment est-il envisageable d'accélérer le développement de ces filières ?
Au-delà de ses investissements récurrents sur les réseaux, GrDF doit également déployer, d'ici à 2022, 11 millions de compteurs communicants Gazpar, qui permettront la relève à distance quotidienne des consommations. Fin mars, vous indiquiez avoir installé un million de ces nouveaux compteurs, avec un taux de refus des clients inférieur à 1 %. Mais dans le même temps, la Commission de régulation de l'énergie (CRE) indiquait que, parmi les clients déjà équipés, guère plus de 2 % avaient ouvert un espace client sur le site de GrDF pour exploiter ces données nouvelles et mieux maîtriser leur consommation. Pourriez-vous nous entretenir du modèle économique retenu, du mode de fonctionnement concret du système, de la nature des oppositions rencontrées sur le terrain et des bénéfices attendus pour le consommateur ? Comment communiquez-vous sur ce dossier auprès de vos clients ?
M. Edouard Sauvage, directeur général de Gaz Réseau Distribution France (GRDF). - Je vous remercie de me permettre d'évoquer devant votre commission les multiples sujets d'actualité de notre société. GRDF opère, depuis la nationalisation de cette activité en 1946, le réseau de distribution de gaz sur la très grande majorité du territoire, soit 200 000 kilomètres de réseau, près de 11 millions de clients et plus de 9 500 communes raccordés. Son chiffre d'affaires, stable, s'établit à 3,5 milliards d'euros par an et dépend de la formule tarifaire fixée pour quatre ans par le régulateur avec des exigences de productivité. Pour la période en cours, cette trajectoire tarifaire correspond ainsi à l'inflation - 0,8 %. En 2017, nous avons réalisé 858 millions d'euros d'investissements, soit une augmentation de 13 % par rapport à 2016, essentiellement destinés à la modernisation du réseau et à la sécurité, ainsi qu'à l'installation des compteurs communicants, qui monte en puissance et se poursuivra jusqu'en 2022.
Le gaz s'inscrit pleinement dans la transition énergétique. Quel que soit le scénario envisagé de substitution d'énergies au profit du gaz, la consommation diminue, ce qui dégage à la fois des marges de manoeuvre pour moderniser notre réseau et pour profiter des atouts d'une énergie qui peut se stocker et se transporter sur tout le territoire, notamment dans la perspective des variations saisonnières de consommation. Vous le savez, les infrastructures gazières ont été conçues pour faire face aux hivers les plus rigoureux mais aussi à des ruptures d'approvisionnement majeures.
Ce recul de la demande tient principalement à l'efficacité énergétique croissante dans le secteur résidentiel, liée pour partie à l'amélioration de l'isolation des bâtiments et, surtout, des processus gaziers eux-mêmes. À titre d'illustration, les chaudières à condensation améliorent de 30 % l'efficacité énergétique par rapport aux matériels précédents et de nouvelles générations de chaudières (micro-cogénérations, piles à combustibles ou solutions hybrides) devraient offrir prochainement des performances encore supérieures, le tout occasionnant des gains très importants par le simple remplacement d'appareils existants sans qu'il faille mener de lourdes opérations de rénovation du bâti.
C'est donc un levier pour la transition énergétique qui est aisé et relativement peu coûteux à mettre en oeuvre (3 000 à 4 000 euros pour un remplacement standard), d'autant que peuvent être sollicitées des aides de l'Agence nationale de l'habitat (Anah) pour les ménages aux revenus modestes. Si je compare à un véhicule, le remplacement d'une chaudière reviendrait à améliorer les capacités du moteur, et donc à produire la plus grande part de la performance énergétique, quand le renforcement de l'isolation du bâti correspondrait davantage au travail sur l'aérodynamisme du véhicule.
L'efficacité énergétique passe aussi par une meilleure appropriation de leur consommation par nos clients et c'est précisément la raison pour laquelle nous investissons environ un milliard d'euros dans notre programme d'équipement en compteurs communicants. Vous avez raison de le souligner, madame la présidente, l'acceptabilité de ce compteur est aujourd'hui très élevée car la promesse faite au client est simple : c'est celle d'un relevé quotidien de la consommation qui doit permettre, ensuite, de réaliser des économies d'énergie, toute la question étant de savoir qui délivre ces conseils au client.
Dans la mesure où les directives européennes ont clairement séparé les rôles, les gestionnaires de réseau ne peuvent conseiller les consommateurs ; il importe donc que les fournisseurs ou les opérateurs de services qui se positionneraient sur ce créneau se saisissent de cette opportunité en offrant à leurs clients des services complémentaires, par exemple de comparaison des consommations d'une année sur l'autre, et des conseils pour adapter, le cas échéant, leur installation. Les particuliers mesureront d'autant mieux l'intérêt de ces nouveaux compteurs.
Il convient cependant de veiller à l'équilibre entre la nécessaire confidentialité de ces données personnelles et l'envie d'un grand nombre d'opérateurs d'en disposer. Cet accès aux données doit selon nous être limité à une décision volontaire des clients, d'où la nécessité de les convaincre de l'intérêt, pour eux, d'une telle transmission. En matière d'agrégation des données, GRDF, en sa qualité de tiers de confiance, doit fournir aux autorités concédantes et aux collectivités territoriales des données agrégées qui leur permettent de cibler des zones de leur territoire dans lesquelles une opération globale de rénovation de l'habitat se justifierait.
La diminution annoncée de la consommation de gaz devrait favoriser les nouveaux usages, notamment en matière de transport au profit d'une meilleure qualité de l'air dans les agglomérations. La France a, longtemps, accusé un retard en la matière au regard d'autres pays européens comme l'Italie, en limitant, faute de stations, l'usage de GNV à des flottes captives à l'instar des véhicules de ramassage de déchets et des bus, qui peuvent être rechargés dans un entrepôt. Pour autant, deux tiers des villes utilisent au moins partiellement ce type de technologies, qui se développe aussi dans le transport de marchandises, en particulier pour la livraison au client final selon un système qui diffère finalement assez peu de la flotte captive : on voit bien que, pour alimenter, par exemple, la ville de Paris à partir du marché de Rungis, il suffit d'installer une station à la sortie du marché pour que les véhicules puissent faire la navette sans difficulté.
Grâce aux initiatives lancées par des syndicats d'énergie et par des énergéticiens (distributeurs de carburants ou fournisseurs de gaz), nous disposons désormais d'un grand programme de développement de stations de GNV sur le territoire national et il existe une vraie volonté de la filière, représentée par la Fédération nationale des transports routiers (FNTR), de s'engager dans cette voie, d'autant qu'il n'existe guère, pour les véhicules de grande taille, d'alternative électrique. En votant la stabilisation de la fiscalité sur le GNV pendant cinq ans et la prolongation du suramortissement sur deux ans, le législateur a donné de la visibilité et permis à la filière de décoller : ainsi, 50 % des véhicules GNV nouvellement immatriculés en Europe le sont désormais en France. S'agissant du transport en car sur longues distances, le développement du GNV est désormais possible ; il avait longtemps été freiné par le fait que le réservoir était installé en partie en lieu et place des soutes à bagages, ce qui n'est plus le cas.
Vous l'aurez compris, nous sommes sereins sur le développement du transport au gaz pour les véhicules lourds. D'ailleurs, plusieurs enseignes, en particulier dans la grande distribution, s'engagent en faveur du biométhane, et donc du bioGNV, pour leurs livraisons afin de réduire la pollution. Alors que le GNV avait déjà l'avantage de diviser par deux le volume sonore et de réduire de 90 % l'émission de particules fines et d'oxydes d'azote (NOx) par rapport au gazole, le bioGNV est aujourd'hui l'unique solution renouvelable disponible qui permette aussi de réduire de 90 % les émissions de dioxyde de carbone.
Comment, dans ce contexte de croissance des usages, développer la production de biométhane ? La France était historiquement en retard par rapport à l'Allemagne et aux pays du Nord de l'Europe mais la filière est en plein développement. Désormais 44 méthaniseurs injectent du gaz dans notre réseau, tandis que 361 projets, correspondant à 8 TWh de production, sont au stade des études détaillées et ont donc déjà fait l'objet d'un investissement financier du promoteur, ce qui atteste de leur sérieux. Dans ces conditions, l'ambition affichée par la PPE pour 2023 sera atteinte.
Pour savoir ce qu'il en sera à plus longue échéance, GRDF a apporté son soutien à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) dans le cadre d'une étude relative à la possibilité de disposer d'un gaz 100 % renouvelable à l'horizon 2050. Les résultats indiquent que cet objectif est atteignable avec la ressource existante grâce à plusieurs techniques, permettant chacune de couvrir environ un tiers des besoins : la méthanisation des déchets, principalement agricoles mais aussi en provenance des stations d'épuration, des décharges existantes ou du tri sélectif des déchets dans les zones urbaines ; les technologies, qui restent à développer, de pyrogazéification de matières ligneuses, ce qui évite en particulier d'avoir à transporter le bois sur de longues distances, et le « power to gas », c'est-à-dire la fabrication d'hydrogène rendue possible par l'excès de production d'électricité à certaines périodes de l'année, qui ira croissant avec le développement des énergies renouvelables intermittentes. Nous testons cette troisième voie dans le cadre d'un pilote qui démarrera avant l'été, à Dunkerque, et permettra d'alimenter en hydrogène une flotte de bus et un lotissement en l'injectant dans le réseau de gaz naturel existant. L'hydrogène peut également être recombiné à du dioxyde de carbone pour créer du méthane, avec cette même logique de profiter des réseaux et des stockages existants pour le distribuer.
L'étude de l'Ademe indique, en outre, que les investissements sur le réseau seront très limités pour parvenir à ce 100 % de gaz renouvelable en 2050, étant entendu qu'il n'existe aucune problématique d'intermittence ou de stockage avec le biométhane. Il s'agira d'une énergie disponible toute l'année moyennant un investissement tout à fait minime en compresseurs rebours vers le réseau de transport, dont nous testons actuellement trois pilotes avec GRTgaz.
Quant au coût du biométhane lui-même, il sera certes supérieur à celui du gaz fossile disponible sur les marchés internationaux mais sera parfaitement comparable à celui envisagé par l'Ademe dans son scénario pour une électricité 100 % renouvelable. Et c'est surtout, d'après l'Ademe, un coût qui apparaît totalement pertinent en 2050 si l'on tient compte de la raréfaction des ressources fossiles et d'un montant de taxe carbone qui ira croissant. À court terme, le tarif de rachat moyen du gaz renouvelable est inférieur de 30 % à celui de l'électricité renouvelable. Le choix en faveur du gaz semble donc évident, d'autant qu'il offre des revenus complémentaires aux agriculteurs et qu'il permettra aussi d'étendre, par la même occasion, le réseau de gaz pour apporter une alternative au fioul domestique à un plus grand nombre de nos concitoyens.
Mme Sophie Primas, présidente. - Nous vous remercions, monsieur le directeur général, pour votre propos liminaire aussi précis que passionnant.
M. Daniel Gremillet. - Vos propos ont effectivement été d'une grande clarté s'agissant de la stratégie de GRDF. L'usage de gaz est en plein essor pour les différents types de mobilité mais quelle politique industrielle développez-vous en faveur des particuliers ? Le gaz constitue-t-il pour eux une véritable alternative à l'électrique et au gazole ? Comment en développer l'usage chez nos concitoyens alors que, déjà, des investissements considérables ont été déployés pour favoriser les véhicules électriques en installant des bornes de rechargement sur l'ensemble du territoire national ?
Vous nous assurez pouvoir atteindre l'ambitieux objectif fixé par la programmation pluriannuelle de l'énergie pour 2023, mais dans quelles conditions alors que notre production de biométhane n'est aujourd'hui que de 0,5 TWh ? Quelle stratégie prévoyez-vous de développer concernant l'hydrogène ? Les projets dans ce domaine sont anciens ; la région Lorraine fut même pionnière en la matière...
M. Roland Courteau. - Le gaz naturel, grâce à un contenu carbone moindre que celui du charbon ou du pétrole, devrait contribuer pleinement à la transition vers des systèmes énergétiques moins carbonés. Dans ce cadre, l'industrie gazière peut-elle développer des technologies encore moins carbonées, donc plus propres ? GRDF, GRTgaz et l'Ademe ont travaillé ensemble pour voir s'il serait faisable de disposer d'un gaz 100 % renouvelable à l'horizon 2050 ; un tel objectif permettrait d'éviter l'émission de 63 millions de tonnes de dioxyde de carbone par an et contribuerait à assurer l'indépendance énergétique de la France, qui importe chaque année pour 10 milliards d'euros de gaz. Quel est le degré de maturité des trois filières de production de biométhane que vous nous avez présentées ? Les deux dernières, me semble-t-il, sont encore loin d'être au point... Le seront-elles en 2050 ?
Le biogaz constitue une ressource décentralisée dont le potentiel de production demeure éloigné des réseaux. Est-il prévu de développer les raccordements et, plus globalement, de renforcer le réseau ? De nouveaux stockages seront-ils créés ? L'étude de l'Ademe a-t-elle évalué les coûts d'adaptation éventuels des infrastructures ?
M. Jean-Pierre Decool. - Vous espérez atteindre, en 2030, une part de marché de 30 % pour le biométhane dans la consommation totale de gaz de l'Hexagone, ce qui nécessiterait le rattachement de plus de 3 000 sites de production au réseau dans les douze prochaines années. Quelles sont vos estimations de gisements de déchets agricoles mobilisables pour alimenter la filière ? Dans quelle mesure celle-ci pourrait se structurer selon les principes de l'économie circulaire ?
M. Martial Bourquin. - Comment anticipez-vous l'extinction des tarifs réglementés ? Dans le cadre de la séparation des activités d'intervention de votre entreprise en 2018, le nombre de zones élémentaires de première intervention devrait être réduit de 30 %. Or, déjà, les préfets estiment que les délais d'intervention se sont allongés... Que pensez-vous de cette situation ?
Quels sont par ailleurs vos projets en matière de soutien au développement de la méthanisation dans la filière agricole, insuffisante en de nombreux territoires ? Entretenez-vous des relations avec General Electric, qui verra arriver à échéance en 2018 la protection de ses sites français ? Envisagez-vous de nouer des partenariats d'innovation, afin de préparer l'avenir des nouvelles énergies ?
M. Laurent Duplomb. - Lorsque j'étais maire de l'une des 9 500 communes desservies par le gaz, j'ai connu nombre de problèmes de délais de raccordement lorsque nous souhaitions effectuer ces opérations à l'occasion de travaux de voirie. Compte tenu notamment des délais d'autorisation, j'ai parfois dû renoncer à raccorder des habitations. Comment est-il possible de réduire ces délais ?
Par ailleurs, j'avais, en 2012, mené un projet de gazéification par pyrolyse dans ma commune, qui m'a valu une campagne municipale houleuse en 2014 avec trois listes pour 2 500 habitants. Ne croyez-vous que le développement à grande échelle de cette technologie risque de se heurter à l'opposition des riverains ?
Enfin, vous avez évoqué le développement de la méthanisation, qui, à mon sens, pose question pour les territoires ruraux : en matière de distribution car l'injection de gaz n'est réalisée qu'à proportion de son utilisation par les personnes raccordées, et de transport, qui, le long des grands axes, ne sied pas aux exigences de la ruralité. Comment favoriser le raccordement de ces territoires au réseau gazier ? Un récent arrêté du ministère de l'environnement crée une aide pour favoriser leur raccordement au réseau électrique ; ne pourrait-on pas envisager une procédure similaire pour le gaz ?
Mme Françoise Férat. - La préservation de nos capacités de stockage souterrain représente un enjeu essentiel pour la sécurité d'approvisionnement de notre système énergétique. Depuis l'adoption de la loi sur les hydrocarbures, les infrastructures de stockage nationales ont basculé dans un nouveau régime. Prenons garde que la prochaine révision de la PPE ne conduise à des fermetures de sites, notamment en territoires ruraux ! Nous devons, à cet égard, demeurer vigilants dans nos négociations avec l'Union européenne. J'ai alerté Mme Loiseau, ministre chargée des affaires européennes, sur ce dossier mais n'ai pas encore reçu de réponse à mon courrier...
Mme Élisabeth Lamure. - En attendant sa possible indépendance énergétique en 2050, la France importe du gaz de différents pays. J'ai néanmoins cru comprendre que les contrats avec certains pays courraient désormais sur de plus courtes durées. Cela pourrait-il conduire à des difficultés d'approvisionnement ?
S'agissant du stockage, la situation est, cette année, plus favorable. Cette différence est-elle la conséquence d'un hiver plus clément ou d'une augmentation de nos capacités de stockage grâce, notamment, aux dispositions que le Sénat a contribué à faire adopter dans la loi sur les hydrocarbures ?
Mme Denise Saint-Pé. - Vous avez évoqué, s'agissant de l'utilisation de gaz naturel par des véhicules moins carbonés, vos actions en faveur des véhicules lourds. À quelle échéance cette technologie sera-t-elle utilisable par tous ? En d'autres termes, quand un nombre de stations de recharge suffisant sera-t-il installé sur le territoire national ? Les constructeurs automobiles et les gestionnaires de flottes sont-ils sensibilisés à cette évolution ?
En France, environ 400 installations de méthanisation fonctionnent, dont 50 % dans des fermes. Mais les territoires ruraux souhaitent pouvoir consommer le gaz qu'ils produisent localement. Travaillez-vous à cet égard sur le développement des circuits courts ?
M. Franck Montaugé. - Les terminaux méthaniers et les stockages souterrains jouent un rôle stratégique majeur. La part correspondant à ces fonctions dans les tarifs d'acheminement suffit-elle à assurer les nécessaires investissements sur ces installations ? Les stockages souterrains ont-ils vocation à stocker du biométhane ? La production de ce gaz étant largement répartie sur le territoire national, comment l'acheminer au mieux ?
Mme Michelle Gréaume. - L'installation de compteurs communicants inquiète, tant en matière de risque sanitaire que de coût financier. Quelle est la réalité des économies espérées ? Comment sera assurée la protection des données personnelles des particuliers ?
M. Michel Raison. - Quelle excellente nouvelle : en 2050, 100 % du gaz sera renouvelable ! Mais si la méthanisation fait d'ores et déjà ses preuves, la distribution du gaz ainsi créé n'est guère satisfaisante. En effet, alors que les stations de méthanisation agricoles transforment majoritairement le gaz en électricité, les exploitants préfèreraient l'injecter dans le réseau mais ne le peuvent pas en raison de leur éloignement. Par ailleurs, vous avez utilisé le terme de « déchets » agricoles ; je préfère, pour ma part, celui de « coproduits » agricoles...
Mme Angèle Préville. - L'hydrogène représente une énergie parfaitement décarbonée en ce qu'elle produit de l'eau en brûlant, alors que le méthane produit du dioxyde de carbone. D'où provient le dihydrogène que produit la France ? À Cologne, j'ai pu observer le fonctionnement d'une flotte de bus directement équipés en dihydrogène, technologie aussi écologique qu'efficace. Pourquoi préférons-nous utiliser l'hydrogène pour fabriquer du méthane au lieu de l'utiliser directement dans les véhicules ? Nous gagnerions à nous intéresser à l'exemple allemand.
M. Pierre Cuypers. - Quels sont le niveau et le coût de nos capacités de stockage en gaz ? Je m'inquiète également, compte tenu de la multiplication des normes les concernant, du risque de fermeture des sites nationaux au profit d'un stockage à l'étranger.
Mme Anne Chain-Larché. - Les territoires ruraux souffrent d'une véritable discrimination en matière de fourniture de gaz entre les communes raccordées et celles qui dépendent de citernes gérées par des fournisseurs. Des conseils départementaux s'engagent auprès des méthaniseurs en faveur de l'équilibre des territoires et du développement des circuits courts. Envisagez-vous d'étendre votre réseau de distribution à ces territoires, qui produisent du gaz sans en profiter ?
M. Alain Duran. - Dans mon département, après six ans d'errance et quatre de démarches administratives, cinquante-huit agriculteurs ont enfin pu lancer leur projet de méthanisation à hauteur de 8,5 millions d'euros d'investissement pour une puissance de 1 MW. Vous participez au développement de cette technologie et avez noué, à cet effet, des partenariats avec, notamment, l'Institut national de la recherche agronomique (Inra) et la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA). Pourriez-vous nous préciser le contenu de ces collaborations ?
M. Fabien Gay. - La mode est à la libéralisation, le rail constituant le dernier exemple en date. L'énergie fut l'un des premiers secteurs concernés. Estimez-vous que cette évolution ait représenté un avantage pour les consommateurs ? Quant au découpage de l'opérateur gazier historique en plusieurs entités, comment jugez-vous ses conséquences en matière de gouvernance pour l'entreprise, mais également pour les salariés et les usagers ? Comment, enfin, anticipez-vous la fin des tarifs réglementés du gaz ? Par qui sera amorti le coût d'une éventuelle augmentation du prix du gaz ?
M. Edouard Sauvage. - Votre intérêt, en particulier pour le développement du biométhane, est manifeste ; j'imagine qu'il aura une traduction dans de prochains textes de loi... La réglementation européenne a effectivement imposé la séparation de la fourniture et de la gestion des réseaux gaziers. Ce fut, en l'absence de véritable consensus et d'une ambition partagée entre les États membres, un processus long et tortueux, qui accoucha d'un compromis que je qualifierais de bâtard. Depuis lors, GRDF ne peut, en tant que gestionnaire de réseau, ni produire ni vendre de l'énergie, pas plus qu'il ne peut apporter des conseils rémunérés. Je ne peux vous dire, monsieur Gay, quelle serait la situation si cette réglementation n'avait pas existé. Nous ne faisons qu'appliquer la loi...
Nous avons, à plusieurs reprises et, notamment, lors de contentieux devant le Conseil d'État et auprès du régulateur, fait état de notre position s'agissant de l'extinction des tarifs réglementés. Nous estimons que les compteurs communicants faciliteront par définition le passage d'un fournisseur à l'autre grâce à l'indexation journalière de la consommation des clients, dès lors que les difficultés les plus fréquentes tenaient jusqu'à présent à la nécessité d'une relève sur place de l'index ou à des contentieux entre opérateurs entrant et sortant sur le niveau de cet index. Cela ne veut pas dire que la bascule des données est simple à réaliser mais nous investissons depuis l'ouverture des marchés dans notre système d'information afin d'être en capacité de gérer les données ainsi générées. Nous serons au rendez-vous, d'autant que le Gouvernement a indiqué qu'une période de transition serait prévue. La capacité technique du gestionnaire de réseau ne sera pas un obstacle.
L'intérêt, pour un particulier, de changer de fournisseur, dépendra ensuite des offres commerciales et des habitudes des consommateurs, certains étant plus fidèles à leur fournisseur que d'autres, qui en changent régulièrement. Mais, quoi qu'il en soit, les compteurs communicants amélioreront la vie des usagers, qui pourront plus aisément gérer leur consommation. Ils reposent sur une technologie simple qui renvoie, deux fois par jour, l'index vers un concentrateur. Le compteur lui-même n'a pas changé, pas plus que sa durée de vie ; seule la capacité de lire et d'envoyer l'index lui a été ajoutée. GRDF demeure dans l'obligation de changer les compteurs tous les vingt ans. Le déploiement des compteurs communicants a certes conduit à une légère accélération du remplacement, mais nous l'avions à vrai dire anticipé pour les compteurs posés récemment, sur lesquels nous n'avons plus qu'à ajouter un émetteur. C'est du reste un matériel qui se recycle facilement et pour lequel nous avons mis en place un circuit de recyclage.
La relève quotidienne des données préserve la confidentialité des détails de la vie privée. C'est le propre du choix qui a été fait après une longue concertation, sous l'égide du régulateur, avec les fournisseurs et les associations de consommateurs et qui permet de répondre par la négative à la question, qui m'est encore parfois posée, de savoir si le compteur communicant permet de connaître l'heure à laquelle un client prend sa douche... Avec un index journalier, c'est par définition impossible !
Quant au risque sanitaire, le compteur émet en fréquence radio de 169 mégahertz. Lorsque nos clients nous interrogent, nous leur répondons que les émissions correspondent à l'activation d'une télécommande deux fois par jour et que la dangerosité de ces fréquences radio, dont nous sommes inondés, aurait été démontrée depuis bien longtemps si elle était avérée. Le concentrateur prend quant à lui la forme d'une antenne installée sur le toit qui n'est pas plus haute qu'un bureau et la réémission se fait quinze minutes par jour sur un téléphone portable. Ces éléments sont rassurants et, lorsqu'ils sont compris par nos clients, nous n'essuyons guère de refus d'installation. La moitié des dossiers présentés au médiateur de l'énergie concerne des relevés d'index et des problèmes de facturation, qui devraient en partie disparaitre avec les nouveaux compteurs.
Le législateur avait initialement prévu que les salariés de GRDF et d'Enedis, qui gère le réseau électrique, opèrent conjointement sur les zones d'intervention. Ces intervenants, respectivement gaziers ou électriciens, étaient au nombre de 4 000, soit 10 % des effectifs réunis des deux entreprises. Or, les nouveaux compteurs électriques ne nécessitent plus l'intervention directe d'Enedis. Cette synergie n'a donc plus guère de sens, d'autant que la difficulté de maîtriser tant les problématiques électriques que gazières conduisait à des interventions réduites, comme l'indiquent un certain nombre d'incidents récents. Désormais, réalisées par le seul personnel spécialisé de GRDF pour ce qui concerne le gaz, elles seront plus efficaces. Toutefois, la réduction à 1 000 du nombre d'intervenants a nécessité l'élargissement des zones d'intervention. Dans ce contexte, la géolocalisation des véhicules permettra de réduire les délais de réponse, qui ne dépassent pas l'heure dans 90 % des cas.
M. Martial Bourquin. - Les préfets notent un temps d'intervention beaucoup plus long.
M. Edouard Sauvage. - Ce n'est pas le cas. Nous disposons de statistiques précises. Toutes nos équipes sont à disposition des autorités concédantes. Les critères d'intervention représentent un enjeu clé du service public de distribution de gaz, et je puis vous garantir qu'ils ne se dégraderont pas : plus de 90 % des interventions ont lieu dans l'heure, et cela va continuer.
Sur la méthanisation, l'étude que nous avons menée avec l'Ademe n'est pas un scénario au sens de l'agence. Il s'agit de répondre à la question : peut-on avoir du gaz d'origine renouvelable à l'horizon 2050 ? Pour l'Ademe, la priorité est d'éliminer le fioul et le pétrole avant d'entreprendre de décarboner le gaz naturel à 100 %, et c'est pourquoi la plupart de ses scenarios ne retiennent pas l'horizon de 2050. L'idée, ici, est avant tout de dire que cela est possible techniquement et économiquement, en retenant le bon mix, en prévision des débats sur la PPE.
Vous avez raison, monsieur le président Courteau : la technique de la méthanisation fonctionne et sa productivité peut encore, d'après nous, s'améliorer de 30 %. Je m'excuse, monsieur le sénateur Raison, d'employer l'expression de « déchets agricoles », mais tous les Français ne sont pas aussi experts que vous. Alors que certains accusent la filière de vouloir transformer une production alimentaire en énergie - pratique que l'on a vue dans un pays voisin, et que nous déconseillons formellement - le choix des mots est important et c'est pourquoi, dans un souci de bonne communication, je préfère parler de valorisation des déchets. Le partenariat signé avec la FNSEA et les chambres d'agriculture vise à les accompagner pour améliorer la formation des agriculteurs. Nous recherchons des méthaniseurs pilotes dans les lycées agricoles, avec l'idée que la formation des acteurs est essentielle, car ils sont les mieux à même de porter le message.
S'agissant des deux autres filières, le power to gas et la pyrogazeification, des pilotes existent à travers le monde. Nous en avons évalué, avec l'Ademe, la faisabilité. Nos anticipations ont montré que leur coût nous semble raisonnable, ce qui nous confirme dans l'idée que ces filières peuvent se développer. Mais nous n'en sommes encore qu'à une phase de prototype.
Sur l'hydrogène, GRDF est tenu par un principe de spécialité : nous ne pouvons ni en fabriquer ni en vendre. Avec le prototype testé à Dunkerque, nous souhaitons, évaluer notre capacité à injecter durablement de l'hydrogène dans nos réseaux et à apporter à terme à nos clients un mix méthane-hydrogène.
L'hydrogène aujourd'hui utilisé en France, madame Préville, est exclusivement fabriqué à partir de méthane fossile reformaté. Le jour où l'hydrogène propre, d'origine renouvelable, se développera, via le power to gas, comment sera-t-il utilisé dans l'industrie ? Telle est la question à se poser. Faut-il l'utiliser directement ou le combiner avec le CO2 me demandez-vous. Pour moi, il est intéressant d'engager la recherche dans ce domaine pour réutiliser le CO2 produit par l'industrie, plutôt que le laisser émettre dans l'atmosphère afin de produire du méthane qui peut être injecté dans les réseaux existants. Nous sommes là dans une logique d'économie circulaire. Comme pour le bois, il s'agit de répondre au principe qui veut que l'on recrée autant que l'on consomme. Quand on brûle du biométhane, on émet du CO2 mais avec l'idée de le réutiliser dans la chaîne. Travailler sur la recombinaison d'un hydrogène renouvelable avec du CO2 fatal est donc un moyen d'éviter les émissions de CO2 et de remettre cet hydrogène dans une économie circulaire.
Mme Angèle Préville. - En Allemagne, il s'agit d'un sous-produit de l'industrie chimique. Qu'en est-il en France ?
M. Edouard Sauvage. - Cela existe aussi. J'ai visité en Alsace une usine qui a, en sous-produits, de l'hydrogène et du CO2 et qui espère voir venir un appel d'offres qui lui permettrait de recombiner avec la garantie d'un tarif de rachat - car cela lui coûte malheureusement moins cher, pour l'instant, de renvoyer le CO2dans l'atmosphère que de le réinjecter en circuit propre. Ce qui rejoint la question de la taxe carbone...
Beaucoup de questions m'ont été posées sur le développement du réseau. Vous savez qu'il n'a jamais existé d'obligation de desserte pour les réseaux de gaz, pour cette raison que le gaz est une énergie substituable : il n'y a jamais nécessité impérative de raccord.
En tant que gestionnaire de réseau, nous sommes convaincus que le développement du biométhane est l'opportunité d'élargir le maillage du réseau de distribution. Cela fait partie de nos discussions avec le régulateur et l'administration, pour déterminer dans quelles conditions économiques et législatives il faut le faire. Car le périmètre de concession étant ce qu'il est, nous n'avons pas aujourd'hui la possibilité de tirer des canalisations au-delà. Nous en avons parlé au sein du groupe de travail sur la méthanisation, animé par le ministre Lecornu : il faut une légère modification législative pour faciliter les raccordements d'installation qui ne sont pas situés dans des périmètres en concession. L'autre possibilité étant, lorsqu'une zone rurale est couverte par un syndicat départemental, de voir si l'autorité concédante peut lancer un appel d'offres pour élargir le périmètre de la concession. Ces deux possibilités doivent pouvoir se compléter mais dans tous les cas de figure, il y faut un ajustement législatif et la fixation de nouvelles règles pour élargir la desserte.
Vous m'interrogez sur les infrastructures de stockage. Notre capacité, sur le territoire, est très importante : 15 milliards de mètres cubes environ, soit plus d'un tiers de la consommation annuelle, ce qui permet d'amortir la très grande variation de la demande entre l'été et l'hiver.
Vous me demandez si l'on peut injecter du biométhane dans les stockages, la réponse est oui. Les deux opérateurs présents en France ne voient aucune raison de s'y opposer. Cela suppose de mettre en place des compresseurs rebours. Selon nos analyses, 30 % de consommation de gaz via la méthanisation correspondent à un potentiel déjà existant dans l'agriculture, sans qu'il y ait à changer quoi que ce soit dans son organisation. Nous continuons à affiner les choses dans notre partenariat avec la FNSEA et l'Inra. À combien s'élèveraient les investissements rebours permettant de renvoyer ce gaz vers le réseau de distribution ? Pour atteindre les 30 %, l'investissement nécessaire serait de 250 millions d'euros, à mettre en regard des 800 millions que nous investissons chaque année sur le réseau. Le coût est moindre que celui d'un terminal méthanier et beaucoup moins cher qu'une grande infrastructure de desserte. Plutôt que tirer de nouveaux gazoducs, comme nos homologues espagnols nous demandent de le faire à travers les Pyrénées, mieux vaut mettre en place ces compresseurs rebours, en France et dans toute l'Europe, ce qui améliorerait notre indépendance et supprimerait certaines limites à l'injection auxquelles se heurtent les promoteurs de projets de biométhane. Il reviendrait aux gestionnaires réseau de se mettre d'accord pour faire ces investissements, pour éviter les goulots d'étranglement. Sachant que la consommation d'été est limitée, on arrive vite, à défaut de compresseurs rebours dans les zones où existe un gros potentiel, à une saturation du réseau de distribution. On a réussi à limiter cette saturation en connectant des zones de distribution les unes avec les autres, mais il faut aller plus loin, d'où les trois projets pilotes que nous avons lancés avec nos collègues de GRTgaz, pour un coût, encore une fois, très modique au regard de nos investissements annuels. À titre de comparaison, Enedis déclare investir chaque année 700 millions d'euros pour raccorder des énergies renouvelables électriques.
J'en viens à la réglementation. La loi sur les hydrocarbures a permis de réguler les stockages et toutes les capacités ont été souscrites pour l'hiver prochain. Il reste à définir de combien de stockage nous avons durablement besoin. À titre personnel, j'ai tendance à penser que dans un monde incertain, supprimer des infrastructures de stockage d'énergie existantes serait dommageable, car leur existence nous permet de faire face à toute surprise liée à un problème de réseau ou à une difficulté d'ordre géopolitique liée à l'importation en provenance de tiers fournisseurs. Il appartiendra au Gouvernement et au législateur de se prononcer.
Mme Sophie Primas, présidente - Merci pour vos réponses et pour votre enthousiasme.
La réunion est close à 12h15.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Jeudi 5 avril 2018
- Coprésidence de Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques, et de M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales -
La réunion est ouverte à 11 heures.
Procédures de retrait et de rappel des produits alimentaires présentant un risque sanitaire - Suite des conclusions à l'issue des auditions
Mme Sophie Primas, présidente. - Chers collègues, nous vous proposons aujourd'hui une nouvelle rédaction des propositions n° 1 à 3, afin de prendre en considération les remarques et les inquiétudes que vous avez exprimées lors de la trop rapide réunion du 28 mars dernier.
L'affaire dite Lactalis a montré que l'information sur l'existence des procédures de retrait et de rappel ainsi que les conditions de leur mise en oeuvre avaient donné lieu à des défaillances. C'est indéniable. Elle a également mis en lumière une situation de fait, chez le fabricant, qui est bien à l'origine de la contamination.
Prises dans leur ensemble, nos propositions ne ciblent naturellement pas exclusivement un acteur de la chaîne agroalimentaire. Elles procèdent d'un souci d'équilibre entre les différents acteurs : producteurs, distributeurs ainsi que, j'insiste, les autorités de contrôle.
Plusieurs d'entre vous l'ont souligné la semaine dernière : notre pays dispose probablement de l'un des dispositifs de surveillance sanitaire les plus performants en Europe, voire au monde. Des investisseurs étrangers viennent s'installer en France précisément pour bénéficier de cette expertise. C'est pour notre industrie un avantage compétitif majeur. Le protéger de toute contre-publicité, comme celle faite par l'affaire Lactalis, c'est renforcer ce facteur d'excellence.
Par conséquent, il est indispensable que des mesures soient prises dès le stade de la production et tout au long de cette chaîne, sachant que, bien évidemment, le risque zéro n'existe pas, hélas.
Ce qu'ont montré nos auditions, c'est que Lactalis avait connaissance de l'existence de certains éléments pathogènes potentiellement dangereux pour la santé dans l'environnement de production de son usine de Craon, dont il y a tout lieu de penser qu'ils sont à l'origine de la contamination. Notre sentiment est que, si l'information avait été partagée avec l'autorité administrative, une gestion différente de cette circonstance aurait été possible. Sans être médiatisée, cette information partagée aurait peut-être permis une évaluation commune des risques et probablement une meilleure attention de l'industriel sur la totalité des lots concernés.
C'est pourquoi nous avions formulé trois propositions, destinées à favoriser la circulation d'informations entre le producteur et l'autorité administrative, sans que les données en cause aient un caractère public et sans que la communication de ces informations à l'administration conduise inévitablement à la fermeture d'une unité de production. Ce faisant, nous entendions respecter le principe établi par la réglementation communautaire en matière de sécurité des produits alimentaires selon lequel le producteur est responsable de la sécurité des produits qu'il fabrique et, à ce titre, le premier à devoir déterminer les actions qui doivent être entreprises pour que cette sécurité soit complète. L'autorité administrative n'agit ainsi que de manière supplétive, efficacement, c'est-à-dire aussi promptement que possible.
Il ne s'agit en aucun cas de surtransposer le droit européen, et encore moins d'alourdir les contraintes qui pèsent sur nos entreprises agroalimentaires. Nous cherchons simplement des voies d'amélioration, au bénéfice non seulement des consommateurs mais aussi des industriels. Il en va en effet de leur crédibilité commerciale, que nos propositions visent justement à renforcer.
Dans cet esprit, nous avons précisé les trois premières propositions. Nous n'en sommes en effet qu'au stade des propositions : il ne s'agit pour l'heure que de décrire l'objet et le périmètre de la mesure, pas de proposer une rédaction à insérer immédiatement dans un texte législatif ou réglementaire...
Proposition n° 1 : « rendre obligatoire l'information de l'autorité administrative sur les autocontrôles positifs réalisés par le fabricant qui concernent des prélèvements dans l'environnement de production, lorsque ceux-ci font apparaître, après contre-analyse, une situation présentant un risque pour la santé humaine, ainsi que sur les éléments correctifs apportés. ».
Il nous semble indispensable de conserver le principe d'une information de l'autorité administrative, non seulement des autocontrôles positifs sur les produits, mais également des autocontrôles concernant l'environnement. Cette communication serait toutefois limitée aux hypothèses où elle est pertinente pour la santé, c'est-à-dire lorsque ces autocontrôles font apparaître une situation préjudiciable à la santé humaine. Surtout, cette obligation n'interviendrait qu'après contre-analyse, c'est-à-dire en cas de risque avéré -l'expérience montre qu'il ne l'est pas, heureusement, dans la très grande majorité des cas.
Dans le cadre d'un principe de responsabilité du producteur, les éléments correctifs apportés par ce dernier devraient également être mentionnés afin que l'autorité administrative ait connaissance de l'ensemble de la situation. Il s'agit là encore de mieux faire circuler l'information, son partage avec l'administration pouvant faciliter ou valider l'adoption des mesures les plus pertinentes pour faire cesser le trouble. À nouveau, la cessation de la production est une mesure corrective parmi d'autres, mais elle ne doit pas être écartée dans toute circonstance. Elle peut être justifiée au regard de la nature du risque, mais également pour des raisons d'image commerciale.
M. Laurent Duplomb s'interrogeait sur le périmètre retenu pour les autocontrôles d'environnement de production. Les contrôles visés sont ceux qui sont le plus susceptibles d'entraîner une contamination des produits en raison de leur position dans la chaîne de production. Il ne s'agit pas de transmettre des autocontrôles positifs constatés sur le parking de l'usine. Ce périmètre sera à apprécier au cas par cas. Il pourrait être défini par les autorités sanitaires, avec les industriels, lors de l'agrément de l'usine de production, qui analyse spécifiquement chaque étape de la chaîne de production.
Proposition n° 2 : « prévoir un contrôle par l'autorité administrative, selon une périodicité à déterminer, des informations figurant dans les registres que doivent tenir les fabricants en application du règlement (CE) n° 852/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relatif à l'hygiène des denrées alimentaires ». Cette proposition refondue vise la communication du registre que tout fabricant doit tenir à la disposition de l'autorité administrative, en application du droit européen. La périodicité devra être fixée après concertation avec les industriels et l'autorité administrative. Comme dans notre rédaction initiale, il s'agit de fluidifier la circulation de l'information. Aucune information nouvelle n'est donc exigée des entreprises. Nous voulons juste nous assurer qu'entre deux contrôles sur place, dont on a vu qu'ils étaient parfois très espacés dans le temps, l'autorité administrative dispose d'informations pertinentes.
Proposition n° 3 : « imposer aux laboratoires indépendants mandatés pour réaliser des analyses pour le compte des producteurs de signaler à l'autorité administrative les résultats non conformes à la réglementation applicable au produit, confirmés par une contre-analyse ». Cette nouvelle proposition n° 3 prévoit que les laboratoires indépendants chargés de pratiquer des autocontrôles signalent les contrôles positifs à l'autorité, mais seulement, comme dans la proposition n° 1, lorsqu'il a été procédé à une contre-analyse.
D'autres questions portaient sur le deuxième axe de nos propositions, relatif à la fiabilisation de l'information aux consommateurs en cas de procédure de retrait et de rappel des produits. M. Jean-Pierre Moga a proposé de ne faire figurer sur la liste unique recommandée dans la proposition n° 8 que les produits concernés par une procédure de retrait pour risque sanitaire. C'est bien l'objectif de cette proposition, qui ne vise que les produits concernés par des procédures de rappel, c'est-à-dire des produits dangereux pour la santé ou la sécurité des consommateurs -à l'exclusion par exemple des produits à l'étiquette ou à l'emballage non conforme à la réglementation. La liste unique ne concernera pas les produits concernés par les retraits.
M. Laurent Duplomb nous avait aussi interrogés sur la proposition n° 10, qui vise à mettre en place une procédure standardisée et graduée d'alerte dédiée aux rappels. Nous proposons un principe très clair : aux crises les plus graves doivent répondre les moyens de communication les plus efficaces. Le recours à la procédure de type « Alerte Enlèvement » serait strictement cantonné aux produits alimentaires contaminés, manifestement très dangereux pour les consommateurs et nécessitant d'agir urgemment. Ce ne serait pas la procédure normale d'alerte -comme ne l'est pas non plus « Alerte enlèvement » pour les disparitions d'enfants.
M. Alain Milon, président. - Nous saluons le consensus existant sur la nécessité d'améliorer l'efficacité de l'exécution matérielle des procédures de retrait et de rappel des produits, qui constitue le troisième axe de nos propositions.
Mme Florence Lassarade s'inquiétait à juste titre de la difficile traçabilité des échantillons de produits laissés aux cabinets médicaux. Notre proposition n° 7 renforce la traçabilité de tous les produits, y compris les échantillons. En outre, les sanctions applicables en cas de mise en mise sur le marché de produits concernés par une mesure de suspension s'appliquent également à la distribution d'échantillons à titre gratuit. Alourdir les sanctions, comme le préconise la proposition n° 17, est de nature à inciter les acteurs à assurer un meilleur suivi des échantillons.
Nous sommes d'accord avec M. Bernard Jomier, qui s'inquiétait de l'usage qui pourrait être fait des données de cartes bancaires des consommateurs. Lors des mesures de rappel de décembre 2017, les établissements bancaires avaient été sollicités pour identifier les acheteurs des produits concernés, en dehors de tout cadre juridique. Or c'est une procédure efficace à laquelle il ne faut pas hésiter à recourir en cas de crise sanitaire d'une extrême gravité. Notre proposition n° 16 vise à encadrer strictement cette pratique, en la réservant au cas de crise sanitaire grave et lorsqu'il y a bien urgence à identifier des consommateurs.
Pour répondre à la question de M. Dominique Watrin, les sanctions diffèrent selon le type des arrêtés de rappel des produits. Le non-respect de l'arrêté de rappel des produits pris par le ministre de l'économie est passible d'une amende prévue pour les contraventions de 5ème classe, soit 1 500 euros au maximum, 3 000 euros en cas de récidive. En cas de dommage causé au consommateur, la responsabilité civile, voire pénale des distributeurs, peut également être engagée devant les juridictions compétentes. Si l'arrêté de retrait et/ou rappel des produits est pris par le préfet, sa méconnaissance peut être punie d'un emprisonnement de deux ans et d'une amende de 15 000 euros.
Pour un géant de la distribution toutefois, il est clair que ces sanctions ne sont pas assez dissuasives. La proposition n° 17 y remédie en punissant le manquement constaté par le distributeur d'une amende administrative dissuasive, proportionnelle à la valeur des produits mis sur le marché alors qu'ils font l'objet d'une procédure de retrait décidée par arrêté.
Mme Sophie Primas, présidente. - M. Martial Bourquin demandait de préciser que la responsabilité du directeur de magasin est engagée en cas de mise en vente de produits concernés par une procédure de retrait. L'engagement de la responsabilité du directeur de magasin dépend de la forme juridique d'exploitation de ce dernier, selon qu'il est en exploitation directe ou en franchise. Il est difficile de poser un principe de responsabilité personnelle générale en ce domaine, sachant que, le cas échéant, la direction générale du distributeur pourra se retourner contre son préposé en cas de faute détachable de ses fonctions.
Comme le signalait M. Laurent Duplomb, le distributeur a bien une obligation de résultats concernant l'efficacité de la procédure de retrait ou de rappel. Si des défaillances sont constatées, et cela a été le cas dans l'affaire Lactalis, les sanctions qui lui sont applicables doivent être réellement dissuasives. C'est tout l'objet de la proposition n° 17.
En revanche, il faut rappeler que le producteur doit légalement s'abstenir de mettre sur le marché des produits impropres à la consommation. Il doit donc assumer sa responsabilité puisqu'il est à l'origine du déclenchement de la procédure de retrait. Que les opérations de retrait soient mises à sa charge n'a en soi rien de choquant, sous réserve que les pénalités prévues ne soient pas abusives, ce qui constituerait alors une pratique commerciale prohibée.
M. Alain Milon, président. - Voici quelles sont nos propositions. J'insiste : l'obligation de résultats concerne le fabricant, les agences, les distributeurs, et personne d'autre.
M. Marc Daunis. - Voilà dix-sept propositions particulièrement pertinentes.
L'autorité administrative doit intervenir aussi promptement que possible, avez-vous dit. Je crains à cet égard que la formulation de la première proposition ne soit pas assez claire : « rendre obligatoire l'information de l'autorité administrative sur les autocontrôles [...] ainsi que sur les éléments correctifs apportés » peut conduire le fabricant à n'informer l'administration qu'après réalisation de l'analyse, de la contre-analyse et des mesures correctives. « Rendre obligatoire une information immédiate de l'autorité administrative » serait plus adéquat. Une fois l'information transmise, on peut faire confiance aux autorités administratives pour que les correctifs soient apportés !
Ne vaut-il pas mieux, en outre, préciser « présentant un risque potentiel pour la santé humaine » ? Le champ couvert serait ainsi un peu plus large.
M. Alain Milon, président. - Une réaction immédiate est obligatoire en cas de risque pour la santé humaine dans la chaîne de production. Mais en l'espèce, nous parlons de risque dans l'environnement de production. Demander alors une contre-analyse est plus prudent.
M. Marc Daunis. - Je ne suis pas contre une seconde analyse. Mais il conviendrait de cibler les risques les plus larges possibles.
Mme Sophie Primas, présidente. - « Risque potentiel » me semble être un pléonasme : un risque, par nature, est potentiel. De plus, nous reprenons là la terminologie européenne.
M. Marc Daunis. - Me voilà rassuré !
M. Bernard Jomier. - Le « risque potentiel », c'est un peu comme les « perspectives d'avenir », que l'on trouve à longueur de rapport !
La proposition n° 1 initiale a été heureusement modifiée. La distinction entre les différentes situations est plus claire. Mais la chaîne d'actions à conduire reste longue. De plus, que veut dire « après contre-analyse » ? Qui la réalise ? Une contre-analyse négative invalide-t-elle définitivement une première analyse positive ? La réponse est évidemment non. Si après une biopsie de prostate positive, vous obtenez une biopsie négative, je ne vous conseille pas, chers collègues, de vous réjouir !
Deuxième problème : « une situation présentant un risque pour la santé humaine ». Si cela n'a pas été signalé, qui en décide ? Le fabricant ? C'est le rôle des autorités sanitaires ! Heureusement, cette situation est rare, mais il y a là un problème.
Enfin, je rejoins Marc Daunis : attendre que les éléments correctifs aient été apportés allonge considérablement la procédure d'information. Dans l'affaire Lactalis, la bactérie n'était heureusement pas grave, mais avec une telle procédure, les enfants contaminés auraient été nombreux, car l'alerte sanitaire n'aurait pas fonctionné.
M. Martial Bourquin. - Revenons à l'essentiel. Des autocontrôles n'ont pas été contrôlés, et des problèmes sont survenus dans une entreprise. Que la chaîne ait été défaillante est préjudiciable pour l'entreprise, mais surtout pour la santé humaine. Ce n'était pas grave en l'espèce, mais cela pourrait l'être, et extrêmement. Ces propositions introduisent d'abord la nécessité de procéder à une contre-analyse qui confirme ou non l'existence d'un problème. Ensuite, des dispositions doivent être prises pour retirer le produit. En outre, la DGCCRF doit avoir les moyens de faire son travail : c'est l'objet de la proposition n° 5. L'obligation de signaler les autocontrôles est une autre amélioration importante.
Demain, compte tenu des accords de libre-échange en cours de négociation, les produits ne seront pas fabriqués selon les mêmes normes que les nôtres. La procédure devra être irréprochable !
S'agissant des sanctions, je reste totalement sur ma faim. Le maire qui laisse ouverte une piscine qui n'est pas aux normes est passible, lui, de sanctions beaucoup plus lourdes ! Il faut rendre les sanctions plus dissuasives.
M. Daniel Gremillet. - Il est important que nos commissions soient rassemblées et que l'on participe au même rythme à ces auditions. J'apprécie que l'on prenne du temps sur ces sujets, car nous devons bien mesurer les conséquences de ce que nous sommes en train de faire, qui va au-delà de la réglementation européenne et touche à la vie des entreprises.
La proposition n° 1, je le rappelle, concerne les autocontrôles. Je précise à l'attention de ceux qui ne savent pas comment les choses fonctionnent qu'un contrôle positif donne automatiquement lieu non pas à une, mais à des contre-analyses, et heureusement ! Au quotidien, dans une entreprise qui se respecte, il y a déjà plus d'autocontrôles que de contrôles. Cette proposition n° 1 est fondamentale, car nous sommes sur le point de rendre obligatoire la contre-analyse des prélèvements dans l'environnement. S'aligner sur les exigences relatives aux prélèvements sur les produits est une avancée majeure.
Les conditions du prélèvement et ses conditions de transport font que la marge d'erreur n'est jamais nulle. D'où l'intérêt d'une contre-analyse -pas forcément dans le même laboratoire.
La proposition n° 12 est importante. Nous devons obtenir les évolutions techniques permettant le blocage en caisse. C'est pour l'heure compliqué, mais c'est le meilleur moyen de procéder.
Enfin, exigeons la même chose des entreprises françaises, européennes, et extra-européennes, pour rester cohérents avec ce que nous avons récemment voté à l'unanimité au Sénat dans la résolution européenne sur les directives de négociation en vue d'un accord de libre-échange entre l'Union européenne et l'Australie, d'une part, et la Nouvelle-Zélande, d'autre part.
M. Laurent Duplomb. - Je me félicite de cette nouvelle rédaction, surtout des trois premières propositions, qui tient compte des mises en garde que j'avais formulées la semaine dernière.
Ayons cependant confiance en nos industries agroalimentaires. Si elles étaient toutes désireuses de menacer la santé publique, nous n'aurions pas réduit à presque zéro le nombre de décès par intoxication alimentaire, qui était d'environ 15 000 en 1950. Nous devons certes faire en sorte que le problème rencontré récemment ne se reproduise pas, mais surtout faire preuve de pragmatisme, en étant aussi efficaces que prudents. N'oublions pas, en outre, que nous sommes dans une économie ouverte : imposer des contraintes presque insurmontables à nos entreprises les pénaliserait par rapport à la concurrence étrangère.
Ces nouvelles propositions me conviennent, et je me réjouis que nous soyons parvenus à les faire évoluer en ce sens. Voilà qui illustre l'intérêt d'avoir des sénateurs qui ne soient pas tous coulés dans le même moule - ce qui n'est pas le cas de la haute administration ni de ceux qui veulent nous imposer des choses qu'ils ne connaissent pas...
M. Michel Raison. - Je confirme, puisque nous parlons de produits laitiers, que nous ne sommes pas tous moulés à la louche !
Qu'entend-on, dans la proposition n° 8, par « mieux communiquer » ? Dans ces affaires, la communication est fondamentale pour rétablir la confiance, mais mieux communiquer n'est jamais loin de trop communiquer...
Voilà quelques années que je suis parlementaire. Nous ne cessons de nous plaindre de la complexité de notre réglementation, mais nous entendons la renforcer à chaque dysfonctionnement ! Un Gouvernement - que je soutenais - nous a même conduits à légiférer après l'attaque d'un enfant par un chien, alors que les chiens n'ont jamais eu le droit de mordre les enfants... Dans le dossier qui nous préoccupe, les règles n'ont pas été respectées ! Commençons par trouver des solutions pour bien faire appliquer la loi, en renforçant les moyens de la DGCCRF par exemple, qui ferait mieux de se concentrer sur ces dossiers, et évitons de tomber dans le travers consistant à produire de nouvelles réglementations.
M. Fabien Gay. - Ces propositions me conviennent. Je regrette simplement que nous n'ayons pas auditionné les laboratoires de contrôle. En lisant la presse, on apprend que les acteurs chargés des autocontrôles dans cette usine en vivaient à 95 %. Cette dépendance à cette usine Lactalis a pu conduire, la pression du client devenant trop forte, à un relâchement de la vigilance. C'est un sujet sur lequel nous ferions bien de nous pencher.
Pour le reste, je rejoins mes collègues : revenons à l'essentiel. La chaîne marche bien lorsque le produit est concerné, moins lorsqu'il s'agit de son environnement. En l'espèce, il y a eu deux autocontrôles, un sur un balai, un autre sur le sol, et le produit a malgré tout été touché. Les propositions vont dans le bon sens.
Je me félicite aussi de la proposition n° 5, qui vise à redonner les moyens aux administrations de fonctionner. L'audition de la DGCCRF a été édifiante : ses moyens diminuent depuis dix ans... Forcément, à un moment, le système craque.
Nouveau sénateur, je m'interroge enfin sur la suite concrète qui sera donnée à nos réflexions. Nous serons heureux de continuer à participer à tous les travaux communs à nos deux commissions.
M. Marc Daunis. - Le pléonasme peut être une faute de français, mais aussi une figure de style... Je n'insisterai toutefois pas sur la définition du risque.
J'insiste en revanche sur l'information de l'autorité administrative : elle doit être immédiate. Je connais un peu les procédures de contrôle et d'autocontrôle, pour avoir quelques industries chimiques dans ma circonscription... L'intervention rapide est fondamentale ! Il ne s'agit pas de mettre ces informations sur la place publique, mais de les transmettre à l'autorité administrative, compétente pour juger des suites à donner.
Nos modes de production et de contrôle sont exemplaires dans le monde, cela a été rappelé. Toutes les entreprises ne fautent pas, mais il en suffit d'une pour jeter le soupçon sur les autres. D'où ma proposition, très simple : ajouter « immédiate », à titre de garantie. Je ne le proposerai naturellement pas s'il était question d'informations rendues publiques.
Mme Patricia Schillinger. - De nombreuses entreprises transfrontalières font leurs courses en France : ne faudrait-il pas préciser la proposition n° 9 relative à la diversification des canaux de communication pour en tenir compte ?
M. Michel Forissier. - Les crises alimentaires nous conduisent souvent à envisager de légiférer. On se rend toutefois compte après examen que la part des incidents, rapportée au volume de produits distribués, est très faible - quoique toujours trop grande ! Que l'on améliore les procédures pour éviter les dysfonctionnements, soit. Mais je ferai observer, songeant aux travaux que nous menons simultanément sur la formation professionnelle, que les dysfonctionnements sont souvent liés à une insuffisance de la formation continue en lien avec les techniques et les technologies. La mise à niveau du personnel peut se révéler essentielle pour faire respecter à la lettre les nouveaux protocoles.
Jouons plutôt le pari de la confiance. Les entreprises ont des obligations de résultat. Multiplier les contrôles exercés dans les moindres détails par les autorités administratives augmenterait le coût de fonctionnement de l'État. Mettons l'accent sur le préventif, plus que sur le curatif.
M. Daniel Gremillet. - Le texte que nous examinons concerne non seulement Lactalis, mais l'ensemble des produits alimentaires ! Il faudra donc le décliner. Or le secteur laitier, avec celui de la viande bovine, est l'un des plus armés en matière d'analyse...
Il ne s'agit pas, avec la proposition n° 1, d'aller plus loin en matière d'autocontrôle qu'en matière de contrôle, mais d'aligner les procédures. Le temps nécessaire pour informer l'administration ne sera pas plus long ! En l'état, le texte est équilibré : ne décourageons pas l'autocontrôle...
Nous ne sommes pas en train de juger telle entreprise, mais d'apporter des réponses aux consommateurs et à la société. Consolidons les autocontrôles, y compris sur l'environnement, faute de quoi nous régresserons.
M. Alain Milon, président. - Le docteur Jomier a raison : qu'un prélèvement négatif suive un prélèvement positif n'invalide pas ce dernier pour autant... Sauf que la contre-analyse se ferait sur le même échantillon que la première analyse !
Mme Sophie Primas, présidente. - Pour répondre à Marc Daunis sur la première proposition, je propose de remplacer « ainsi que les éléments correctifs apportés » par « ainsi que les éléments correctifs envisagés ou apportés ».
Mme Sophie Primas, présidente. - Monsieur Bourquin, la responsabilité pénale peut déjà être engagée : cela semble assez précis.
Monsieur Raison, notre document contient très peu de dispositions de nature législative. Les autorités sanitaires ne communiquent jamais sur le nombre de contrôles réalisés, ni sur le nombre de contrôles négatifs. La proposition n° 6 vise à mieux communiquer notamment sur la qualité des contrôles sanitaires.
Monsieur Gremillet, la question des produits étrangers vendus en France pourrait être abordée non dans les propositions mais dans le rapport que nous publierons.
Monsieur Gay, je regrette également que nous n'ayons pas entendu les laboratoires de contrôle. Ne suspendons pas pour autant la publication de nos propositions : nous pourrons toujours les auditionner ultérieurement. S'agissant des transfrontaliers, madame Schillinger, un dispositif existe déjà auprès des clients du distributeur ou du fabricant, informés par d'autres canaux.
Peu de propositions étant de nature législative, je propose que nous les présentions aux différents ministères concernés ; notre action pourrait se traduire, le cas échéant, par des modifications de réglementation ou de circulaires.
M. Marc Daunis. - Lorsque nous avions travaillé sur le projet de loi de simplification du droit de l'urbanisme, nous avions distingué les propositions à caractère législatif et les propositions de nature réglementaire. Nous pourrions faire de même, communiquer sur le caractère positif des adaptations normatives que nous préconisons et démontrer ainsi la capacité des parlementaires à corriger pragmatiquement les dysfonctionnements lorsqu'ils surviennent.
Mme Sophie Primas, présidente. -Je vous remercie.
La réunion est close à 12 heures.