Mardi 20 mars 2018
- Présidence de M. Philippe Bas, président -
La réunion est ouverte à 9 heures.
Projet de loi relatif à la protection des données personnelles (procédure accélérée) - Examen des amendements au texte de la commission
EXAMEN DES AMENDEMENTS DU RAPPORTEUR
Mme Sophie Joissains, rapporteur. - L'amendement n° 155 vise à introduire plus de souplesses dans l'organisation interne des travaux de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL).
L'amendement n° 155 est adopté.
Article 5
L'amendement de coordination n° 154 est adopté.
Mme Sophie Joissains, rapporteur. - L'amendement n° 151 vise à rendre plus souple et plus logique l'enchaînement des mesures correctrices - avertissement, mise en demeure, sanction - dont dispose la CNIL.
L'amendement n° 151 est adopté.
M. Philippe Bas, président. - L'amendement n° 152 répond aux sollicitations nombreuses que nous avons reçues.
Mme Sophie Joissains, rapporteur. - Effectivement. Il existe une certaine confusion au sujet des archives définitives, dites historiques. On pense qu'elles ne sont jamais susceptibles de porter atteinte aux droits de personnes vivantes : mais si ! Au nom de la protection de la vie privée, les personnes vivantes doivent pouvoir obtenir la rectification de données inexactes les concernant, en marge ou dans un document complémentaire, sans que les documents doivent être détruits.
M. Philippe Bas, président. - Il est vrai que les inexactitudes intéressent également les historiens.
Mme Esther Benbassa. - Merci pour les historiens ! Étudier les erreurs fait partie de leur travail.
L'amendement n° 152 est adopté.
L'amendement de coordination n° 153 est adopté.
EXAMEN DES AMENDEMENTS DE SÉANCE
Mme Sophie Joissains, rapporteur. - Sur l'amendement n° 122, j'hésite à demander le retrait ou l'avis du Gouvernement. Donner au délégué à la protection des données le statut de lanceur d'alerte ne prédispose pas à une relation de confiance entre celui-ci et le responsable de traitement.
M. Philippe Bas, président. - C'est lorsqu'il formule une alerte que le délégué devient lanceur d'alerte, comme tout autre collaborateur d'un service public. Il ne saurait avoir ce statut par une disposition législative ! Je serais plutôt enclin à donner, à défaut de retrait, un avis défavorable.
La commission demande le retrait de l'amendement n° 122 et, à défaut, y sera défavorable.
Mme Sophie Joissains, rapporteur. - Sur l'amendement n° 15, qui tend à élargir le droit de saisine de la CNIL à soixante députés ou soixante sénateurs, ainsi qu'à toute association agréée dans les conditions fixées par un décret en Conseil d'État, mon avis est défavorable.
M. Alain Marc. - Il est dommage de ne pas aller dans le sens d'un plus grand pouvoir du Parlement : pourquoi ne pas prévoir la saisine par soixante députés ou soixante sénateurs ?
Mme Sophie Joissains, rapporteur. - Parce que le droit « coutumier » de la CNIL, si je puis dire, autorise déjà la saisine par un parlementaire, contrairement à ce qui existe, par exemple, pour le Conseil d'État. Il n'y a pas lieu de rendre la procédure plus rigide. Nous voulons, précisément, conserver cette ouverture...
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 15.
Mme Sophie Joissains, rapporteur. - Je souhaite le retrait de l'amendement n° 65, qui tend à ménager, en faveur de la recherche publique, une exception à l'interdiction du traitement des données sensibles, au profit de l'amendement n° 86 du Gouvernement, dont la rédaction me semble meilleure.
Mme Esther Benbassa. - Merci pour les chercheurs, auxquels nous rendons ainsi un grand service.
Mme Sophie Joissains, rapporteur. - Je signale à Mme Benbassa qu'elle peut aussi, plutôt que retirer son amendement, le rectifier pour le rendre identique à celui du Gouvernement...
La commission demande le retrait de l'amendement n° 65 et émet un avis favorable à l'amendement n° 86.
Mme Sophie Joissains, rapporteur. - Je demande le retrait de l'amendement n° 138, relatif aux recours contre les décisions administratives individuelles automatisées.
M. Jean-Pierre Sueur. - Pourquoi refuser notre proposition ?
Mme Sophie Joissains, rapporteur. - Parce qu'elle est satisfaite ! Toutes les décisions administratives individuelles peuvent faire l'objet d'un recours administratif et contentieux.
La commission demande le retrait de l'amendement n° 138 et, à défaut, y sera défavorable.
Mme Sophie Joissains, rapporteur. - Sur l'amendement n° 111, qui tend à rétablir l'habilitation à « recodifier » par ordonnance la loi « Informatique et libertés », j'envisage de m'en remettre à la sagesse du Sénat en fonction des précisions que le Gouvernement nous fournira en séance sur le contour du futur texte de l'ordonnance. Il faut s'assurer que cette ordonnance soit élaborée à droit constant, qu'elle respecte les équilibres fixés par le Parlement, notamment pour ce qui concerne les collectivités territoriales et les TPE-PME, et qu'elle règle la question de l'applicabilité du droit en outre-mer.
M. Philippe Bas, président. - En effet, ce sont trois points importants. Nous nous sommes opposés, la semaine dernière, à la codification par ordonnances des textes portant sur la protection des données issue de la loi « Informatique et libertés », car cette demande du Gouvernement résulte de sa propre lenteur à élaborer un projet de loi, qui doit être adopté avant le mois de mai prochain.
Le Gouvernement propose à présent une rédaction différente de sa demande d'habilitation. Vous considérez, madame le rapporteur, que cette nouvelle rédaction, si elle n'est pas plus acceptable dans son principe, est meilleure dans ses modalités ?
Mme Sophie Joissains, rapporteur. - Elle ne nous apporte pas toutes les garanties que nous demandions. Aussi, je souhaiterais que la commission des lois me donne mandat pour encadrer en séance, au travers d'un sous-amendement, le dispositif proposé par le Gouvernement.
M. Philippe Bas, président. - Votre sous-amendement portera sur les trois points que vous avez mentionnés. Il s'agit de trouver une sortie dans l'honneur de cette affaire...
La commission émet un avis de sagesse sur l'amendement n° 111.
Mme Sophie Joissains, rapporteur. - L'amendement n° 112 est relatif au droit à la portabilité des données. La portabilité des données personnelles est bien régie par le règlement européen. Le Gouvernement propose de supprimer une disposition du code de la consommation introduite par la loi pour une République numérique relative à la protection des données non personnelles. Selon nous, ces deux catégories sont bien distinctes et méritent d'être traitées séparément. Je propose donc que la commission émette un avis défavorable.
M. Simon Sutour. - J'ai rapporté devant vous, vous vous en souvenez sans doute, une proposition de résolution de la commission des affaires européennes sur la protection des données non personnelles. Un texte européen est en cours d'élaboration, un avis défavorable me semble donc pertinent.
La commission émet un avis défavorable sur l'amendement n° 112.
Mme Sophie Joissains, rapporteur. - L'amendement n° 44 rectifié met notamment à la charge des collectivités territoriales et des bailleurs sociaux l'obligation de vérifier l'authenticité des pièces produites par les demandeurs d'un logement locatif social. Je n'y suis pas favorable ; les bailleurs sociaux craignent d'ailleurs les contentieux que cette disposition occasionnerait.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 44 rectifié, ainsi qu'à l'amendement n° 45 rectifié.
Le sort des amendements du rapporteur examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
La commission adopte les avis suivants :
La réunion est close à 9 h 40.
Mercredi 21 mars 2018
- Présidence de M. Philippe Bas, président -
La réunion est ouverte à 10 h 10.
Proposition de loi d'orientation et de programmation pour une meilleure protection des mineurs victimes d'infractions sexuelles - Examen du rapport et du texte de la commission
M. Philippe Bas, président. - En ce moment même, le Conseil des ministres délibère sur le projet de loi de Mme Schiappa et, sans vouloir m'inscrire dans un esprit de compétition, nous allons délibérer de façon pluraliste d'une proposition de loi dont l'ambition est plus grande encore que celle du Gouvernement et qui porte sur l'orientation et la programmation de la politique de l'État pour une meilleure protection des mineurs victimes d'infractions sexuelles. Nous verrons quel est le meilleur texte, mais je me permets de penser que c'est le nôtre. Ce sera à vous d'en décider.
Mme Marie Mercier, rapporteur. - Nous vous avons déjà présenté en février le rapport de notre groupe de travail sur les infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs qui a réuni l'ensemble de nos réflexions menées pendant quatre mois. La notion de violence sexuelle est inéluctablement liée à l'histoire de l'humanité. Cette notion a évolué en fonction des modèles de sociétés, des classes sociales, des contextes historiques, politiques, culturels, religieux, moraux et scientifiques.
Pourtant, dès le code d'Hammurabi (1792-1750 avant Jésus-Christ), l'interdit du viol et de l'inceste était posé.
Depuis 1832, le code pénal français réprime de manière spécifique les atteintes sexuelles commises à l'encontre d'un mineur. Le principe est clair : aucun majeur ne doit toucher à un mineur.
Le groupe de travail a réfléchi pour renforcer la protection des enfants. Il a refusé les annonces précipitées et a voulu prendre de la hauteur, en tenant compte des diverses auditions auxquelles il a procédé.
« Les fragments ignorent leurs coïncidences » dit-on. Nous avons écouté les enquêteurs, les magistrats, les victimes, les associations, les professionnels de santé... et tous ces témoignages se sont rassemblés en un texte cohérent.
Le constat accablant de la persistance, de l'ampleur et de l'insuffisante dénonciation des violences sexuelles commises à l'encontre des mineurs nous a guidés. Le Gouvernement s'est emparé du sujet et le Conseil d'État qui s'est prononcé hier a sans doute tenu compte de nos travaux.
La stratégie globale de protection des mineurs, que le groupe de travail a proposée, doit prendre en compte toutes les dimensions de la lutte contre les violences sexuelles. Elle repose sur quatre piliers : prévenir les violences sexuelles à l'encontre des mineurs ; favoriser l'expression et la prise en compte de la parole des victimes le plus tôt possible ; améliorer la répression pénale des infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs ; disjoindre la prise en charge des victimes d'infractions sexuelles du procès pénal.
Que dit la proposition de loi ?
En premier lieu, l'essentiel des mesures préconisées par le groupe de travail pour assurer une protection effective des mineurs contre les infractions sexuelles ne relève pas du domaine de la loi. Elles figurent donc dans le rapport annexé approuvé par l'article 1er de la proposition de loi. Il faudra en priorité évaluer le nombre de victimes car le silence reste de mise sur ce sujet tabou.
Ensuite, la proposition de loi propose cinq évolutions en matière pénale qui peuvent être utiles pour lutter contre les infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs.
L'article 2 vise à allonger les délais de prescription de l'action publique tant pour les viols subis par les mineurs (ce délai serait porté de vingt à trente ans) que pour les délits sexuels commis à leur encontre. À l'instar des délits de « violence aggravée sur mineur », d'agression sexuelle imposée à un mineur de quinze ans, « d'atteinte sexuelle aggravée sur mineur de quinze ans », tous les délits d'agressions sexuelles, aggravées ou non, se prescriraient désormais par vingt ans, à compter de la majorité des victimes.
Je vous propose d'adopter sans modification cet article.
L'article 3 est essentiel car il propose une méthode de réflexion novatrice : il vise à faciliter la répression criminelle des viols subis par les mineurs par l'instauration d'une présomption de contrainte applicable aux relations sexuelles entre un majeur et un mineur. Cette modification n'aurait ni pour objet ni pour effet de changer l'interdit pénal d'ores et déjà posé très clairement par le délit d'atteinte sexuelle sur mineur (article 227-25 du code pénal) : toute relation sexuelle d'un majeur avec un enfant de moins de 15 ans est interdite au risque de poursuites pénales. Cela ne peut pas être plus clair.
L'article 3 tend à faciliter la qualification criminelle de viol en permettant de mobiliser plus facilement l'élément de contrainte, élément constitutif de l'infraction de viol. Pour qu'il y ait viol, il faut qu'il y ait un acte de pénétration sexuelle mais également la démonstration de la preuve de l'existence d'une contrainte, menace, violence ou surprise. Avec cet article, nous inversons la charge de la preuve : nous présumons qu'il y a eu contrainte. Nous présumons aussi que la victime, étant contrainte, n'aura plus rien à démontrer. Nous n'avons pas voulu prévoir un seuil d'âge, solution qui paraît simple parce que simpliste.
Je prends un exemple : une jeune femme enceinte arrive aux urgences à 17 ans et dix mois : elle a une phlébite avec suspicion d'embolie pulmonaire. En principe, la pédiatrie est compétente. Mais quel intérêt pour la patiente de la soigner en pédiatrie plutôt qu'en obstétrique ? Son âge n'a effectivement pas de sens.
Si nous voulons protéger l'enfant, la présomption de contrainte est une évidence. Il faudra prendre le temps d'expliquer cette notion aux médias pour être compris et entendus. Je rappelle que la notion de non consentement n'existe pas sur le plan juridique, d'où cette présomption de contrainte ou présomption de culpabilité.
La notion de discernement a déjà fait l'objet d'une abondante jurisprudence tant en matière civile, pour déterminer la capacité d'entendre l'enfant en justice, qu'en matière pénale, puisque seul un mineur capable de discernement peut faire l'objet de poursuites pénales.
Je vous propose d'adopter sans modification l'article 3.
L'article 4 vise à permettre l'application de la surqualification pénale de l'inceste aux faits commis à l'encontre de majeurs. L'inceste reste l'inceste, que la victime ait deux mois, comme nous l'avons vu avec horreur, deux ans, douze ans ou vingt ans. L'inceste ne sera pas moins grave si la victime a 18 ans et deux mois.
L'article 5 tend à aggraver les peines encourues pour le délit d'atteinte sexuelle sur mineur de 15 ans. Le Gouvernement semble désormais avoir la même intention.
Actuellement, le délit d'atteinte sexuelle sur mineur de 15 ans est puni d'une peine de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
Par rapport aux infractions comparables dans les pays de l'Union européenne, les peines encourues en France peuvent apparaître moins élevées, même si notre système distingue les viols sur mineurs de 15 ans des atteintes sexuelles sur mineurs de 15 ans.
L'article 5 porte les peines encourues de cinq à sept ans d'emprisonnement et de 75 000 à 100 000 euros d'amende.
L'article 6 tend à affirmer le caractère continu de l'infraction de non-dénonciation des mauvais traitements infligés à un enfant. Lorsque vous êtes témoin de maltraitances sur un enfant, vous êtes tenu de les dénoncer immédiatement, sinon vous pouvez être l'objet de poursuites pénales.
Aujourd'hui, selon L'Enfant bleu, 97 % de nos concitoyens estiment que la maltraitance doit être une priorité nationale. Beaucoup a déjà été fait, notamment grâce à Mme Laurence Rossignol. L'inhumain continue pourtant à se produire, malgré les mesures de protection des enfants. Beaucoup reste à faire. Le terrorisme et la finance font les gros titres des médias...
Mme Esther Benbassa. - Les femmes aussi !
Mme Marie Mercier, rapporteur. - Pour les mineurs, l'écho médiatique est moindre. Notre rôle est d'avoir le courage du bon sens : le Gouvernement va présenter ses propositions en tenant compte des recommandations du Conseil d'État.
Faisons nôtre cette phrase : « L'homme n'est jamais aussi grand que lorsqu'il se baisse pour aider un enfant ». (Applaudissements)
M. Philippe Bas, président. - Je m'associe aux manifestations de reconnaissance de la qualité du travail de notre rapporteur qui nous a éclairés sur la complexité de cette matière et la difficulté qu'il y a à trouver des solutions. Il est heureux que le débat se soit développé sur les moyens de mieux protéger nos enfants, après des décisions de justice que nos concitoyens n'ont pas comprises. Le Gouvernement a réagi très vite, un peu dans la précipitation. Nous avons voulu avec notre groupe de travail prendre le temps d'écouter et de réfléchir avant de nous prononcer sur la nécessité de modifier la loi pénale. Beaucoup de magistrats, d'avocats, d'associations n'y étaient pas favorables. Pour faire reculer les violences sexuelles sur mineurs, il fallait mettre l'accent sur l'éducation, la prévention, et sur l'accueil des victimes et l'écoute de leur parole. La modification de la loi pénale ne vient donc qu'après, même si le débat public a tendance à ne se réduire qu'à cette question.
Nous devons donc nous attacher à redéfinir les moyens des services de la gendarmerie, de la police, de la justice, des hôpitaux...
Nous avons mis en évidence très tôt que le Gouvernement était parti sur une fausse piste. C'est si vrai qu'il a dû y renoncer puisqu'à la suite de l'avis du Conseil d'État, toute idée de présomption irréfragable qu'un acte de pénétration en-deçà d'un certain âge serait un viol a été abandonnée. Le Conseil d'État a convaincu le Gouvernement que ce serait inconstitutionnel du point de vue des droits de la défense, l'auteur de l'acte n'ayant plus aucun moyen de s'exonérer de sa responsabilité pénale, mais que ce serait aussi contraire à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Nous avions aussi montré que cette disposition serait inefficace pour la protection des enfants. Ainsi, un jeune homme de 17 ans entretient avec une jeune fille de 13 ans et demie une relation de tendresse avec une dimension sexuelle : à 18 ans, ce garçon serait devenu un violeur. Du point de vue de la victime, comment est-il possible de considérer qu'une règle d'âge pourrait impliquer un traitement nécessairement différent pour une jeune fille de 15 ans moins un jour et pour une jeune fille de 15 ans et un jour ? On voit l'absurdité de cette démarche.
Notre mission n'est pas de nous aligner sur la vox populi lorsqu'elle n'est pas suffisamment éclairée. La législation ne peut résulter de sondages d'opinion. Le travail que nous avons fait est enfin reconnu par le Conseil d'État et par le Gouvernement.
Enfin, la maturité sexuelle des jeunes filles varie considérablement de l'une à l'autre. Le seuil de 13 ans, proposé par nos collègues, serait méconnaître certains faits qui ne peuvent être qualifiés d'anecdotiques.
Nos travaux permettent d'aboutir à une solution pertinente en prenant en compte non pas l'âge, mais le discernement en tant que tel. Nous prenons aussi en compte la différence d'âge entre l'agresseur et la victime. Enfin, notre solution préserve les droits de la défense. Quelle que soit l'horreur que nous inspire le viol de mineurs par des adultes, les droits de la défense doivent être respectés : aucun accusé ne peut être condamné d'avance.
Si nous acceptons d'étendre le délai de prescription de l'action publique des viols commis à l'encontre de mineurs de 20 à 30 ans, ce n'est pas pour inciter les victimes à ne pas porter plainte. Il faut porter plainte le plus tôt possible.
M. Patrick Kanner. - Merci pour l'engagement moral de Mme Mercier. Je ne pensais pas que mon amendement sur le texte du président Bas déposé en octobre, amendement considéré à juste titre comme un cavalier, entraînerait la création de ce groupe de travail puis la publication de ce rapport d'information. Ce travail de construction collective est à mettre à l'honneur du Sénat, dans une époque où l'on veut diminuer les droits du Parlement. Cette proposition de loi est un signe de bonne santé qui mérite d'être soulignée. Nous serons très largement favorables à ce texte, mais nous avons une divergence d'appréciation que nous exposerons dans un amendement.
Je me réjouis de notre capacité à travailler ensemble sur des sujets d'importance.
M. Philippe Bas, président. - Je suis très sensible à vos propos.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Je ne reviens pas sur la qualité du travail de notre rapporteur.
Nous traitons d'une réalité mal évaluée puisqu'au fil de la transformation du regard de la société sur ces agissements, de nombreux faits sont révélés. Mais nous savons que peu de faits sont encore connus.
N'oublions pas que la moitié des cas révélés concernent des auteurs mineurs.
Nous évoluons dans une législation abondante, à la limite de la confusion. Au fil du temps, des modifications se sont surajoutées les unes aux autres, sans toujours grande logique.
Cette proposition de loi ne se limite pas à la répression pénale : elle embrasse la totalité du sujet en fixant quatre lignes de travail, que sont la prise en compte des victimes, le respect de la présomption d'innocence, l'adaptation de la réponse pénale, la prise en charge des victimes, en la déconnectant du procès pénal. Le monde ne s'arrête effectivement pas à la réponse pénale. N'oublions pas non plus que la protection de l'enfance dans notre pays est efficace.
Au final, nous avons présenté 34 propositions dans le rapport d'information. Nous devrons garantir les moyens d'assurer sur tout le territoire l'obligation légale d'éducation à la sexualité, former les professionnels au contact des enfants, garantir à chaque victime le droit de voir sa plainte enregistrée, former les enquêteurs à l'accueil des plaignants, instaurer pour les faits de viols une présomption simple de contrainte, novation juridique de ce texte, fondé sur l'incapacité de discernement du mineur ou sur la différence d'âge. C'est sur ce point que le groupe socialiste souhaite compléter la réflexion de la commission. J'y reviendrai.
Le groupe de travail a également souhaité aussi allonger de 10 ans les délais de prescription. Nous avons beaucoup réfléchi sur le sujet et il est très difficile de manier les règles de prescription. À titre personnel, je ne voulais pas modifier celles qui avaient déjà été changées il y a un an. Je rappelle que cette prescription est particulière puisqu'elle ne démarre qu'à l'âge de la majorité de la victime. Nous voulons aussi expliquer et justifier aux victimes les décisions judiciaires et enfin améliorer la prise en charge des victimes, même en l'absence de réponse judiciaire.
Notre groupe adhère à la notion de présomption de contrainte qui permet de protéger tous les mineurs, et donc aussi ceux de 15 à 18 ans, ce qui n'est pas spécifiquement prévu par les textes aujourd'hui.
Nous voulons également prévoir une infraction spécifique de viol lorsque la victime à moins de 13 ans. Le Haut conseil de l'égalité et le procureur de la République de Paris, François Molins, souhaitent l'instauration d'un seuil à 13 ans. Nous pensons qu'il faut affirmer que lorsqu'un majeur a une relation sexuelle avec un mineur de 13 ans, cette relation doit être qualifiée de viol. La loi a une portée symbolique : elle doit poser cet interdit.
Mme Esther Benbassa. - Je rends hommage au travail de Mme Mercier qui a abouti à cette proposition de loi. Elle a eu à coeur d'envisager la question du viol dans tous ses aspects. Heureusement, la parole s'est libérée, même si l'on peut constater quelques dérives. Notre rapporteur insiste sur la prévention, l'accompagnement des victimes et les moyens dédiés à la justice. Nous avons tous été horrifiés par ces deux affaires de viol qualifiées d'atteintes sexuelles.
Il fallait cependant un certain courage pour ne pas tomber dans la vindicte populaire. Nous sommes dans une hystérisation médiatique du problème, et c'est bien dommage.
Les membres de mon groupe ne sont pas d'accord avec toutes les recommandations du groupe de travail, mais vous dites à juste titre que cette lutte contre les infractions sexuelles est avant tout un combat sociétal. La justice doit disposer de plus de moyens, les victimes doivent être mieux accompagnées, et la prévention renforcée. Ce chantier n'est pas seulement législatif mais aussi sociétal. Il remet en cause la loi du silence dans les familles et vise à renforcer les dispositifs d'aide et d'accompagnement à l'école, au travail, dans les services médicaux et sociaux, dans les commissariats. Les livres scolaires doivent être repensés : l'éducation sexuelle dans les livres de science naturelle est expliquée par l'accouplement des amibes. Dans les pays nordiques, l'éducation sexuelle est enseignée par étapes, avec des corps humains.
Je suis en désaccord avec l'article 2 qui allonge le délai de prescription des crimes à 30 ans après la majorité de la victime. Cet allongement constant des délais n'est pas une réponse adéquate. Ce matin, les radios évoquaient l'imprescriptibilité de ces faits. Je regrette cette absence de hiérarchie dans les peines.
L'article 3 prévoit d'instituer une présomption de contrainte : cette solution est plus satisfaisante que l'instauration d'une présomption irréfragable fondée sur un seuil d'âge qui entrerait en conflit avec la présomption d'innocence qui est un des fondements de la justice.
L'article 4, qui étend la surqualification pénale de l'inceste aux viols et agressions sexuelles, me convient.
Nous sommes opposés à l'article 5 qui aggrave les peines encourues pour le délit d'atteinte sexuelle sur mineur de 15 ans : cette modification vise à répondre à une émotion mais l'alourdissement perpétuel des peines n'est pas une réponse adéquate, même si la droite réclame cet alourdissement, face à une gauche supposée laxiste.
L'article 6 est peut être mal formulé : il convient de s'assurer de l'existence de véritables garanties contre une imprescriptibilité indirecte et d'éventuelles dérives. À l'occasion d'un héritage, on pourrait assister à des dénonciations calomnieuses de tel ou tel membre de la famille. Il serait opportun de réfléchir à la clarification de l'incrimination de viol.
Pour toutes ces raisons, mon groupe s'abstiendra sur ce texte, mais je salue le travail et l'engagement de notre rapporteur. Il ne faut pas envisager ce problème que sous l'angle de la victimisation : nous ne sommes pas que des victimes violées, des corps souillés. Nous voulons la parité, l'égalité des salaires, que notre parole soit écoutée et pas comme hier, lorsqu'une collègue, citant Clemenceau, a été conspuée en séance. C'est insupportable.
M. Philippe Bas, président. - Je vous remercie du caractère constructif de votre intervention.
M. Dany Wattebled. - Merci pour le travail accompli. Je suis favorable à cette proposition de loi, mais je regrette que nous n'ayons pas proposé l'imprescriptibilité de ces crimes. Près de 20 % des mineurs seraient concernés : la victime prend à perpétuité dans son coeur, dans son âme et dans sa vie. La libération de la parole se fait à tout âge puisqu'on a vu le cas d'un footballeur anglais qui a dénoncé à 58 ans des faits dont il a été victime adolescent. La justice estime que les tribunaux vont être engorgés et que les preuves viendront à manquer. Mais c'est déjà le cas lorsque les faits sont dénoncés après 20 ans. Grâce à l'imprescriptibilité, la parole des victimes serait libérée.
Les crimes contre l'humanité sont imprescriptibles : je pense que le crime contre un petit humain doit l'être également.
M. Philippe Bas, président. - À chaque fois que l'on se penche sur une catégorie de crimes, on a tendance à considérer qu'il s'agit des crimes les plus odieux que l'on puisse concevoir. Si l'on votait l'imprescriptibilité de l'action publique pour les viols sur mineurs, que dirions-nous aux parents d'enfants assassinés dont le crime n'est pas imprescriptible ? Dans la hiérarchie du crime, il est difficile de distinguer ce qui est encore plus odieux que le pire.
L'année dernière, nous avons touché à la prescription. Nous nous sommes prononcés après des débats très longs, comme quoi le temps est parfois nécessaire à la décantation d'un problème complexe. Nous avons adopté de nouvelles règles et ce n'est pas considérer que ces crimes ne sont pas absolument odieux que de ne pas vouloir aller jusqu'à l'imprescriptibilité. Cette matière est très sensible, très complexe, et nous devons penser aux autres victimes de crimes également très odieux.
Mme Muriel Jourda. - À l'article 3, nous avons une présomption de contrainte morale dans deux cas : lorsqu'il y a un acte de pénétration sexuelle par un majeur sur un mineur incapable de discernement et lorsqu'il existe une différence d'âge significative entre la victime mineure et l'auteur des faits. Cela signifie-t-il qu'il n'y aurait pas de présomption de contrainte morale entre une jeune fille de 16 ans et son ami de 18 ans ? Ce dispositif préserve-t-il de cette présomption tout un pan des relations sexuelles des jeunes ?
Mme Marie Mercier, rapporteur. - Tout à fait.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Sauf si la mineure de 16 ans est incapable de discernement.
M. Jacques Bigot. - Nous avons adopté après un rapport sénatorial, après une proposition de loi de deux députés, la loi du 27 février 2017 portant réforme de la prescription en matière pénale. Les débats ont été longs et intenses, et nous viendrions un an après modifier l'équilibre auquel nous sommes parvenus ? Notre rôle est également d'assurer au droit une certaine stabilité. Dans mon groupe, certains sont pour l'imprescriptibilité, mais le législateur se doit de tenir compte des travaux précédents.
Mme la garde des sceaux nous annonce que pour simplifier l'action de la justice, il va y avoir une catégorie de crimes qui passera devant la cour d'assises et une autre devant des tribunaux professionnels, pour les crimes passibles d'une peine d'emprisonnement inférieure à 20 ans. Que souhaitera la vox populi pour un viol commis sur un mineur ?
Ce soir, sur France 3, un documentaire sur les victimes de pédophilie sera diffusé : on en rajoute ! On peut espérer que les victimes n'attendront pas trente ans avant de porter plainte. Cet article 2 n'est pas une bonne façon de faire la loi.
Mme Françoise Gatel. - Je veux rendre hommage au travail de Mme Mercier. Au sein du groupe de travail, nous avons découvert de quoi nous parlions. Nous sommes entrés dans un monde glauque qui s'est affranchi de toute normalité et de toute morale sociale et républicaine. Ce sujet touche tous les milieux : il s'agit d'un défi car la grande majorité des infractions sexuelles à l'encontre de mineurs est le fait de proches, d'où certains silences. En outre, les agresseurs sont souvent des mineurs.
Ce sujet douloureux est souvent l'objet d'un emballement médiatique et par les réseaux sociaux, qui se transforment en tribunal populaire pour lequel sanctionner, c'est supprimer le problème. Or, ce qu'il faut, c'est prévenir, empêcher. L'éducation, y compris l'éducation à la parentalité, est donc primordiale. Le recueil et l'écoute de la parole sont également indispensables. Les professionnels doivent faciliter la libération de la parole des enfants.
Rappelons-nous aussi l'affaire d'Outreau : des personnes ont été désignées coupables, sans possibilité de se défendre, et leur vie est devenue un enfer. La présomption d'innocence doit donc être défendue avec la plus grande rigueur.
Le Sénat va affronter des commentaires forts désagréables car les médias nous reprocheront de ne pas avoir trouvé la réponse miraculeuse qui consiste à fixer un âge. Je salue le courage de cette proposition de loi qui ramène de la raison dans ce débat.
M. Philippe Bas, président. - Nous vivons dans une démocratie représentative et parlementaire et pas dans une démocratie d'opinion. Nous avons mandat de traiter les affaires compliquées avec sérieux.
M. Arnaud de Belenet. - Quelle bonne idée d'avoir créé ce groupe de travail pour être prêt le jour où un projet de loi arriverait. Je rends hommage à la hauteur de vue de notre rapporteur.
Je constate une convergence de fond avec le Gouvernement : les sujets de prévention, de formation, d'éducation font consensus. Celui de la prescription aussi : certains magistrats étaient plutôt sereins lorsque nous avons évoqué le passage de 20 à 30 ans du délai de prescription de l'action publique des viols commis à l'encontre des mineurs. Ce délai a le mérite d'intégrer la problématique de l'amnésie post-traumatique. L'essentiel a été dit sur l'imprescriptibilité.
La notion de présomption de contrainte avec la prise en compte du discernement et de la différence d'âge valide implicitement l'âge de 15 ans. Notre assemblée n'aurait-elle pas intérêt à valider cet âge pour ne pas passer pour rétrograde aux yeux de l'opinion ?
Stendhal disait à Delacroix : « Ne négligez rien de ce qui peut vous faire grand ». J'imagine que nous le serons.
Nos auditions ont démontré que les mineurs handicapés étaient les premières victimes : 81 % des filles handicapées seraient victimes mineures d'atteintes sexuelles et cela concernerait plus de 90 % des mineurs autistes. Les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) devraient mener des actions de prévention en ce domaine.
Mme Maryse Carrère. - En tant que membre du groupe de travail, je suis heureuse de cette proposition de loi. Nos avis ont évolué au cours des auditions que nous avons menées. Nous avons aussi découvert la vie quotidienne des professionnels confrontés à ces violences.
Nous avons pris en compte les spécificités des violences subies, avec les tabous, l'omerta, le déni, l'amnésie post-traumatique...
Nous avons également pris en compte les victimes : je me souviens d'une jeune fille qui nous disait, alors que nous nous interrogions sur le bienfondé de l'allongement du délai de prescription, « Ne décidez pas à la place des victimes ».
La présomption de contrainte est une innovation juridique : nous avons inversé la charge de la preuve, ce qui est essentiel pour les victimes. Il nous a semblé difficile de fixer un seuil d'âge. Je me réjouis que ce texte aille au-delà d'une simple modification juridique : nous prenons en compte les failles lors de l'accueil des victimes.
J'ai signé cette proposition de loi et je veux rendre hommage à l'humanité de Mme Mercier.
M. Philippe Bas, président. - Cet hommage est unanime.
M. François-Noël Buffet. - La question de l'augmentation du délai de prescription sur les agressions sur mineur avait été posée lors de l'examen de la loi du 27 février 2017, dont j'étais le rapporteur. Nous n'avions pas jugé utile de modifier ce délai, considérant alors que les choses n'étaient pas suffisamment mûres. Nous avions privilégié le statu quo.
Au printemps 2018, les choses ont changé, suite à l'écho médiatique de certains procès, et je me réjouis d'avoir refusé l'amendement de M. Kanner car il a généré une réflexion dont les fruits sont devant nous. Pendant de nombreuses années, nous avons réagi comme des juristes purs, considérant que seul le droit permettait de raisonner sainement. Malheureusement, la rationalité ne doit pas seule être prise en compte en cette matière, puisqu'il s'agit de victimes faibles, à savoir des enfants.
Nous avons réussi à bousculer nos modes de pensée : les délais rassurent les juges, les juristes. L'article 3 témoigne de la nécessité, avant tout, de protéger l'enfant mineur. La présomption simple, et non pas irréfragable qui serait interdite en la matière, a l'avantage de nous libérer de ces limites d'âge avec ses effets de seuil. Entourés d'avis médicaux, les magistrats auront la possibilité d'apprécier chaque situation.
L'article 2 instaure une prescription de 30 ans pour les viols commis à l'encontre des mineurs. C'est une avancée. J'entends ce qui est dit sur l'imprescriptibilité : je m'interroge sur le sujet. L'imprescriptibilité est limitée aux crimes contre l'humanité. Un des buts était de se protéger contre la perte de preuves ou d'éléments susceptibles de caractériser les crimes commis. En la matière, nous devons nous interroger sur la révélation par la victime de l'infraction qu'elle a subie. Or, certaines personnes ont besoin de temps pour parler, d'où cette tentation d'instaurer l'imprescriptibilité. L'amnésie post-traumatique pourrait peut-être nous permettre de résoudre ce problème. Des éléments objectifs semblent permettre de caractériser les amnésies post-traumatiques : ainsi, un médecin est capable de dire si une personne est victime d'amnésie post-traumatique. Dans la loi du 27 février 2017, nous avons écrit que l'obstacle insurmontable à révéler un évènement constitue une cause possible de suspension de la prescription. Nous pourrions considérer valablement que la personne reconnue victime d'amnésie post-traumatique constituerait un obstacle insurmontable qui entraînerait la suspension de la prescription. Cela nous permettrait d'avoir sur ce point une capacité pour la victime d'ester en justice en dehors des délais dont nous débattons. Je vous propose de travailler sur un tel amendement avant la séance publique.
M. Philippe Bas, président. - Lorsque j'entends de tels débats, je suis très fier de présider la commission des lois.
Mme Marie Mercier, rapporteur. - Cette proposition de loi n'aurait pas été possible sans la grande cohésion du groupe de travail. Tout le monde a posé sa pierre. Je me félicite de la confiance et de l'ouverture d'esprit qui a présidé à nos travaux. Nous avions un but commun : celui de protéger nos enfants.
M. Kanner a parlé d'engagement moral : effectivement, nous avons montré notre capacité à travailler ensemble. Le prêt à penser n'a jamais eu droit de cité dans notre groupe.
Merci infiniment à Mme Benbassa pour ses apports et merci pour votre abstention.
Effectivement, nous protégeons les Roméo et Juliette, madame Jourda. Tout le monde ne doit pas aller aux assises.
Je remercie M. Bigot pour ses remarques judicieuses.
Les membres du groupe ont eu la gentillesse de dire combien nous avons partagé des moments communs.
M. de Belenet a eu raison de rappeler le sort inhumain réservé aux personnes handicapées.
Nous reparlerons du syndrome post-traumatique : la science n'a pas encore déterminé précisément ce qu'est une amnésie post-traumatique. L'armée travaille autour du stress post-traumatique. Il ne fait pas de doute que nous parviendrons à l'objectiver un jour.
M. Philippe Bas, président. - Nous allons passer à l'examen des amendements.
EXAMEN DES ARTICLES
L'article 1er est adopté sans modification, ainsi que l'article 2.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - L'amendement COM-1 est délibérément rédigé en reprenant l'intégralité des dispositions déjà contenues dans la proposition de loi sur la présomption de contrainte pour que le lecteur comprenne que nous ne proposons que de compléter l'article. La présomption de contrainte nous convient en effet tout à fait. Pour autant, nous voulons affirmer qu'il n'est pas envisageable de tergiverser lorsqu'il y a une relation sexuelle entre un majeur et un mineur de 13 ans.
Certains évoquent un risque d'inconstitutionnalité que je ne vois pas : on nous oppose une atteinte au principe de la présomption d'innocence qui a valeur constitutionnelle. Ma rédaction ne veut bien évidemment pas dire que la peine est automatique : les magistrats ne sont pas des distributeurs de sanctions pénales. Tout dépend des circonstances.
Le Haut conseil de l'égalité et le procureur Molins ont beaucoup travaillé sur le sujet : ils nous disent qu'ils ont besoin d'une limite d'âge. Nous considérons qu'en-dessous de l'âge de 13 ans, toute relation sexuelle avec un majeur doit être interdite. Je ne désespère pas de vous convaincre.
Mme Marie Mercier, rapporteur. - Votre amendement veut envoyer un signal clair et renforcer la répression en instaurant un seuil d'âge. Néanmoins, pour moi, le discernement n'a pas d'âge.
Surtout, l'article 227-25 du code pénal pose déjà une règle intangible.
Avec votre amendement, l'infraction de viol serait rendue automatique, ce qui n'est pas envisageable en matière criminelle. On ne peut pas introduire la criminalisation automatique de tous les actes sexuels entre un majeur même de 18 ans et un mineur de 13 ans, sans aucune possibilité de défense. Il faut pouvoir punir sévèrement lorsqu'il s'agit d'un viol, sans entrer dans cette criminalisation automatique dans laquelle nous entrerions avec cet amendement.
M. Jacques Bigot. - Dans cet amendement, nous proposons de dire que la contrainte est présumée alors que vous dites la « contrainte morale » est présumée. Pourquoi « morale » ?
S'agissant de la création du nouvel article 222-23-1 du code pénal que nous proposons, la présomption d'innocence n'est pas mise en cause. Lorsqu'un cambrioleur vole un objet, on ne se demande pas s'il avait l'intention ou non de le voler. Ici, c'est la même chose.
En revanche, la notion d'irréfragabilité existe en droit civil mais pas en droit pénal.
Lorsqu'un acte de pénétration sexuelle est avéré, l'auteur majeur ne doit pas pouvoir évoquer un consentement lorsqu'il s'agit d'un mineur de 13 ans.
En revanche, entre 13 et 18 ans, une marge d'appréciation doit être laissée aux magistrats car il faut s'interroger sur la capacité de discernement de la victime et la différence d'âge, pour éviter qu'un majeur de 18 ans et quelques jours se retrouve poursuivi pour viol alors qu'un rapport d'amour existe avec la mineure.
Mais il faut affirmer qu'un mineur de 13 ans ne peut pas avoir consenti à un acte de pénétration sexuelle.
M. François Pillet. - Le texte de cette proposition de loi a l'avantage d'englober toutes les situations. Cet amendement rajoute un élément définitif sur l'âge. C'est dangereux car il va affaiblir notre texte : avec cet automatisme, nous sommes condamnés à un effet de seuil. En outre, on entendra ce qu'on dit systématiquement dans ces affaires, à savoir que la jeune fille faisait beaucoup plus vieille que son âge. Il faudra démontrer l'intention criminelle dans ce genre d'affaire. La rédaction de la proposition de loi comprend toutes les hypothèses.
Mme Esther Benbassa. - Tout à fait !
M. François Pillet. - Je préfère donc le texte de la proposition de loi à celui de l'amendement.
Mme Marie Mercier, rapporteur. - Votre amendement revient à créer une présomption irréfragable. Ça ne marchera pas. En outre, l'atteinte sexuelle existe déjà pour protéger les mineurs de 15 ans.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Certains raisonnements ne tiennent pas. Notre rédaction ne promeut pas la présomption irréfragable. M. Pillet se méfie d'un effet de seuil, mais nous maintenons le dispositif de la proposition de loi ! Et nous disons qu'en-dessous de 13 ans, il n'y a pas de sujet. En droit pénal, il y a toujours les circonstances de l'espèce : l'auteur pourra toujours dire qu'il ne savait pas que la victime avait moins de 13 ans. Vous refusez simplement de fixer ce seuil.
Mme Marie Mercier, rapporteur. - Ce n'est pas un refus de posture. L'atteinte sexuelle pour les moins de 15 ans existe déjà et je vous mets en garde car vous proposez une présomption de culpabilité irréfragable.
Mme Esther Benbassa. - Tout à fait !
M. Philippe Bas, président. - L'originalité même de notre proposition repose sur l'idée qu'un seuil d'âge crée des angles morts et qu'il a pour effet de ne pas permettre d'apprécier la réalité des situations, alors qu'elle est extrêmement diverse. Nous savons que l'âge de la maturité sexuelle est très divers. L'âge n'est pas l'outil le plus pertinent car il ne permet pas de cerner correctement les réalités individuelles.
En droit pénal, pour caractériser une infraction, il faut deux éléments : un élément matériel et un élément intentionnel. Dans votre texte, le deuxième fait défaut. La question constitutionnelle se poserait donc si nous adoptions votre amendement. Je suis certain que le Gouvernement apprécierait la main secourable que vous lui tendez, mais ayant lui-même renoncé après l'avis du Conseil d'État à créer une forme de présomption irréfragable, il ne pourrait néanmoins vous suivre. Il sera intéressant de lire ce que dit le Conseil d'État dont l'avis devrait être rendu public après le Conseil des ministres. Le Gouvernement lui-même a changé de pied pour des raisons d'inconstitutionnalité. Et nous irions à son secours en créant un seuil d'âge qui se ramène à une présomption irréfragable ? Notre objectif est de protéger tous les enfants, mais il ne peut être atteint au mépris des droits de la défense.
Que resterait-il à démontrer si l'on caractérisait le viol par l'âge de la victime ?
Mme Esther Benbassa. - Rien !
M. Philippe Bas, président. - Vous essayez de trouver un compromis entre deux courants de réflexion distincts, mais ils sont antagonistes. Nous allons voter sur cet amendement.
Mme Esther Benbassa. - Je m'abstiens.
L'amendement COM-1 n'est pas adopté.
L'article 3 est adopté sans modification.
Article 4
L'amendement de cohérence COM-4 est adopté.
L'article 4 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Article 5
L'article 5 est adopté sans modification.
Article 6
L'amendement de clarification COM-6 est adopté.
L'article 6 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Articles additionnels après l'article 6
Mme Marie Mercier, rapporteur. - L'amendement COM-2 rectifié tend à renforcer les sanctions encourues par les professionnels soumis au secret. Mais l'obligation de dénoncer les mauvais traitements subis par les mineurs existe déjà pour les médecins. Il serait préférable de renforcer la formation des professionnels pour que les signalements soient rapides. Je pense que la commission des affaires sociales pourrait se saisir de ce sujet.
Mme Brigitte Lherbier. - Je suis venue en politique suite à une expérience très douloureuse dans ce genre de situation. Nous voulons tous protéger les enfants. Par principe, le code pénal, et particulièrement l'article 431-1, oblige toute personne qui a connaissance d'un crime d'en informer les autorités judiciaires ou administratives. Il existe cependant deux exceptions à ce principe : l'une pour la famille proche de l'auteur du crime et l'autre pour les personnes soumises au secret professionnel. Seules les personnes soumises à ce secret ne sont pas dans l'obligation d'informer les autorités quand il s'agit d'un crime sur mineur. La famille de l'auteur d'un crime n'est pas dispensée d'alerter les autorités lorsque le crime est commis à l'encontre d'un mineur alors que les professionnels soumis au secret le seraient. Les professionnels jugés pour ne pas avoir alerté les autorités dans ces cas-là ont été condamnés sur le fondement de l'article 223-6 du code pénal définissant la non-assistance à personne en danger. Il s'agit donc de mettre en conformité le code pénal. Cette mesure permettrait aussi de protéger les enfants victimes car les professionnels ont le devoir de les protéger.
Mon amendement COM-3 rectifié concerne l'article 434-3 qui oblige toute personne qui a connaissance des privations, mauvais traitements ou d'agression ou atteintes sexuelles infligées à un mineur ou à une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge, d'une maladie ou d'une infirmité, d'une déficience physique ou psychique, à en informer les autorités judiciaires ou administratives. Le dernier alinéa de cet article dispense les personnes soumises au secret professionnel. Il est donc proposé de supprimer cet alinéa.
Je vous propose de retirer ces deux amendements, car ils concernent plus spécifiquement la commission des affaires sociales. Je déposerai une proposition de loi qui concernera toutes les personnes vulnérables, et pas seulement les enfants.
M. Philippe Bas, président. - Merci pour votre esprit coopératif. Il serait préoccupant que nous nous prononcions sur le secret médical sans avoir préalablement demandé à la commission des affaires sociales de se saisir de ce sujet. Pour autant, j'ai été l'auteur de la loi de mars 2007 sur la protection de l'enfance comme de celle sur les tutelles. Peut-être faudrait-il déposer un texte qui ne relèvera alors pas exclusivement de notre commission.
M. François Pillet. - Le Sénat a déjà pris des initiatives en ce sens : vos amendements visent tous les professionnels médicaux qui se plaignaient que n'ayant pas dénoncé certains faits, ils pouvaient être poursuivis et que, les dénonçant, ils pouvaient également être poursuivis pour violation du secret professionnel.
À la suite d'une initiative de notre collègue Giudicelli, tous ces points ont été réglés : à l'heure actuelle, les professionnels médicaux ont la possibilité de signaler ces faits sans risquer d'être poursuivis pour non-respect du secret professionnel.
Mme Brigitte Lherbier. - Il faudrait que la dénonciation de ces faits soit rendue obligatoire.
Les amendements COM-2 rectifié et COM-3 rectifié sont retirés.
Mme Marie Mercier, rapporteur. - L'amendement COM-6 concerne l'outre-mer.
L'amendement COM-6 est adopté et devient un article additionnel.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Je voudrais dire à M. Buffet que la Cour de cassation a rendu le 7 novembre 2014 une décision en assemblée plénière qui a reconnu le principe de la possibilité de suspendre la prescription en cas d'obstacle insurmontable.
M. François-Noël Buffet. - Vous avez raison : la particularité du sujet est qu'il faudrait que l'amnésie post-traumatique soit considérée comme un obstacle insurmontable.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Il s'agissait d'une aide-soignante qui avait étouffé huit de ses enfants : personne n'avait vu qu'elle était enceinte et personne ne s'était rendu compte qu'elle avait accouché. La poursuite n'était donc pas possible. Ici, le système est inversé : la victime ne se rappelle pas qu'elle a été violée.
M. Philippe Bas, président. - Il faudrait que nous n'ayons pas à nous prononcer nous-même sur la réalité de l'amnésie post-traumatique : seuls les professionnels peuvent le faire. Nous pourrions rendre possible que le juge considère cette amnésie comme un élément qui puisse suspendre le délai de prescription.
M. François-Noël Buffet. - Il ne nous appartient pas de qualifier l'amnésie post-traumatique mais de dire qu'elle peut constituer un obstacle insurmontable pour la victime et que donc la prescription est suspendue. Il appartiendra au juge appuyé de médecin d'établir l'existence même de l'amnésie.
La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
La réunion est close à 12 h 10.