- Mercredi 7 mars 2018
- Pistes de réflexion du groupe de travail relatif à l'évolution de la fiscalité locale - Communication
- Compte rendu de la Conférence interparlementaire sur la stabilité, la coordination économique et la gouvernance au sein de l'Union européenne, prévue à l'article 13 du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) et de la semaine parlementaire du semestre européen - Communication
- Questions diverses - Modification du programme de contrôle de la commission
- Audition de M. Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics
Mercredi 7 mars 2018
- Présidence de M. Vincent Éblé, président -
La réunion est ouverte à 9 h 35.
Pistes de réflexion du groupe de travail relatif à l'évolution de la fiscalité locale - Communication
M. Vincent Éblé, président. - Mes chers collègues, notre commission a décidé au début de l'année la création d'un groupe de travail pluraliste, d'une quinzaine de membres, pour réfléchir à l'évolution de la fiscalité locale dans le contexte de la suppression progressive de la taxe d'habitation.
Ce groupe de travail s'est réuni à plusieurs reprises pour dresser un bilan de la fiscalité locale et envisager les scénarios de remplacement de la taxe d'habitation.
La semaine dernière, le comité des finances locales a adopté une première délibération, et la semaine prochaine se tiendra une nouvelle instance de dialogue de la conférence des territoires (CNT). Les conclusions de la mission confiée à notre collègue Alain Richard et au Préfet Dominique Bur, sont attendues pour le mois d'avril.
Dans ce contexte, le rapporteur général a jugé utile de faire le point sur les pistes de réflexion du groupe de travail relatif à la fiscalité locale, dont il assure l'animation, afin que chacun d'entre nous puisse s'exprimer sur ce sujet ô combien essentiel pour les finances locales. Je lui cède la parole.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Comme vous le savez, la loi de finances pour 2018 a créé un dégrèvement de taxe d'habitation pour 80 % des Français. Le Sénat s'est opposé à cette initiative - qui ne répondait à aucun souhait ou préconisation des collectivités territoriales. Néanmoins, il nous appartient de veiller à ce qu'elle ne conduise pas à réduire les recettes des collectivités territoriales, ni à diminuer leur dynamisme, a fortiori après les annonces du Président de la République, qui laissent envisager la suppression totale de cette imposition. Je souligne que la décision du Conseil constitutionnel sur la loi de finances pour 2018 - qui est un peu passée sous silence - a des conséquences importantes : si le Conseil constitutionnel n'a pas censuré le dégrèvement, il émet des réserves sérieuses et cette décision implique de supprimer totalement la taxe d'habitation, et donc de trouver des ressources de substitution.
C'est dans ce contexte que notre commission a souhaité créer un groupe de travail chargé de réfléchir à une évolution de la fiscalité locale, afin notamment de compenser la suppression de la taxe d'habitation. Au cours de ses réunions, celui-ci a identifié plusieurs pistes de réflexion, que j'ai souhaité vous présenter aujourd'hui.
Outre notre groupe de travail, plusieurs instances se sont penchées sur cette problématique.
Le Gouvernement a ainsi mis en place, en octobre dernier, une mission présidée par Alain Richard et Dominique Bur « relative au pacte financier entre l'État et les collectivités territoriales ». Celle-ci a notamment été chargée de préciser les contours du mécanisme de contractualisation qui était inscrit dans le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022 et de réfléchir à une évolution de la fiscalité locale. Ses conclusions sur ce deuxième point devraient être rendues très prochainement, au début du deuxième trimestre 2018.
Par ailleurs, le comité des finances locales a également travaillé sur ce sujet et a présenté ses conclusions le 27 février dernier. J'y reviendrai.
Si l'on examine les principales ressources des collectivités territoriales, l'on constate que la suppression de la taxe d'habitation se traduira par un montant à compenser s'élevant à près de 22 milliards d'euros. Ce montant atteint même 23 milliards d'euros si l'on inclut les compensations d'exonérations et même 27 milliards d'euros, en prenant en compte la dynamique de la taxe. Vous pouvez également noter que peu d'impositions locales ont un produit du même ordre de grandeur que celui de la taxe d'habitation aujourd'hui.
À l'heure actuelle, l'État prend déjà à sa charge 4 milliards d'euros au titre des dégrèvements et des compensations d'exonérations. Par ailleurs, la loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022 prend déjà en compte le coût pour l'État du dégrèvement de taxe d'habitation pour 80 % des ménages, estimé à 10 milliards d'euros. Au total, le coût pour l'État d'une suppression complète de la taxe d'habitation s'élèvera à 20 milliards d'euros par an environ, soit 10 milliards d'euros supplémentaires au minimum par rapport à la loi de programmation, à partir de 2020.
S'agissant de la compensation, je rappelle que le Gouvernement a exclu la création d'un nouvel impôt ; dès lors, je considère que ce n'est pas à nous de proposer la mise en place d'une nouvelle taxe. Ainsi, compte tenu des montants en jeu et dès lors que l'on souhaite compenser la perte de recettes pour le bloc communal par de la fiscalité locale, l'hypothèse la plus crédible semble donc être celle d'un transfert de la part départementale de taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) vers le bloc communal. Nous avons a contrario exclu le transfert des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) car ils sont extrêmement volatiles.
Cette solution, à laquelle est également parvenu le comité des finances locales, n'est pas sans soulever des difficultés : elle ôte avant tout une recette aux départements sur laquelle ils disposent d'un pouvoir de taux ; ensuite, et c'est le principal inconvénient à mon sens, elle concentre l'impôt local sur les propriétaires fonciers, dans la mesure où les habitants non propriétaires n'acquittent pas la taxe foncière. Cette solution présente néanmoins plusieurs avantages : elle permet au bloc communal de conserver un pouvoir de taux, elle maintient un lien entre le contribuable et la commune et elle assure au bloc communal une ressource dont la dynamique est proche de celle de la taxe d'habitation. C'est donc cette piste qui a été privilégiée par le groupe de travail, car elle apparaissait la plus crédible.
Cette solution, adoptée à l'unanimité par le comité des finances locales, à l'exception des trois voix des représentants des départements, ne permet cependant de répondre qu'à une partie de la problématique. En effet, le transfert intégral de la taxe foncière sur les propriétés bâties des départements au bloc communal ne suffirait pas à compenser la suppression de la taxe d'habitation et il serait nécessaire de compenser la perte de recettes des départements. Au total, ce sont 10 milliards d'euros qui devront être compensés au bloc communal et 14 milliards d'euros aux départements.
Le groupe de travail a réfléchi dans l'optique de maintenir l'autonomie financière des collectivités territoriales et en excluant la création d'un nouvel impôt. Il serait donc nécessaire de transférer une fraction d'impôts nationaux aux collectivités territoriales. Le groupe de travail a donc étudié trois scénarios : un transfert de contribution sociale généralisée (CSG), de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) ou d'impôt sur le revenu.
S'agissant tout d'abord de la CSG, elle peut certes être affectée par des décisions prises au niveau national, mais elle constitue néanmoins une ressource très dynamique. En outre, un transfert de CSG apparaîtrait particulièrement pertinent dans le cas de la compensation aux départements du transfert de la taxe sur le foncier bâti au bloc communal, compte tenu des compétences exercées par ces derniers dans le champ social. Une telle solution soulèverait certes une question juridique, quant à la nature de ce prélèvement, mais celle-ci ne nous semble pas dirimante.
J'en viens à l'hypothèse du transfert d'une fraction de taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Là encore il s'agit d'une recette dynamique, bien que sensible à la conjoncture et pouvant aussi être affectée à la hausse comme à la baisse par des décisions prises par l'État. L'affectation d'une fraction de TVA à une catégorie de collectivités territoriales ne poserait en outre pas de problème juridique, dans la mesure où ce schéma existe déjà pour les régions et n'a pas été remis en cause par le Conseil constitutionnel.
Enfin, dernier scénario, celui de l'attribution d'une fraction d'impôt sur le revenu. Une telle solution permettrait plus facilement, en théorie, de donner aux collectivités attributaires un pouvoir de taux. Cette solution est mise en oeuvre en Italie, au niveau communal. Elle comporte cependant d'importantes limites. En premier lieu, les décisions de l'État auront des conséquences sur les ressources des collectivités territoriales ; or les modifications en la matière sont fréquentes et il y a donc un risque non négligeable pour les finances des collectivités. En second lieu, l'éventuel pouvoir de taux laissé aux collectivités territoriales nécessiterait pour l'administration fiscale et les entreprises, après la mise en place du prélèvement à la source, de gérer 36 000 taux communaux et près de 1 300 taux intercommunaux. Il en résulterait une concurrence fiscale qui pourrait pousser les contribuables à se domicilier par exemple chez leur grand-mère... Enfin, le pouvoir de taux serait en fait assez fictif : étant donnée la concentration des revenus, il serait nécessaire de mutualiser une partie de la ressource, ce qui limiterait très fortement ce pouvoir.
J'ajoute que les dynamiques spontanées de la TVA et de la CSG sont très proches : leurs taux de croissance annuel moyens se sont ainsi élevés à un peu plus de 2 % entre 2013 et 2018, même si la TVA est plus sensible à la conjoncture, comme on a pu le voir lors de la crise de 2009.
Compte tenu des différents éléments que je viens de vous exposer, le scénario privilégié par le groupe de travail serait donc celui du transfert de la part départementale de la taxe foncière sur les propriétés bâties au bloc communal, complétée par le transfert d'une fraction de CSG aux départements et de TVA au bloc communal.
Il nous apparaît cependant indispensable que cette réforme de la fiscalité locale s'accompagne d'une révision des valeurs locatives des locaux d'habitation, sur lesquelles continueront d'être assises la taxe foncière sur les propriétés bâties et la taxe d'enlèvement des ordures ménagères (TEOM). Cette révision devra naturellement s'accompagner de mécanismes de lissage et de plafonnement pour éviter des effets trop brutaux. Doit-on repartir de l'expérimentation de 2015 ? Nous entendrons le ministre de l'action et des comptes publics cet après-midi, ce sera l'occasion de l'interroger sur les intentions du Gouvernement à ce sujet. Le groupe de travail a évoqué plusieurs hypothèses : une révision sur une base déclarative, éventuellement département par département, etc. Quoiqu'il en soit, il me semble que nous devons insister sur la nécessité de réviser les bases. Je rappelle néanmoins que nous ne sommes pas les seuls à avoir des valeurs locatives vétustes : les autres pays européens ont parfois recours aux valeurs vénales, mais la plupart du temps il s'agit des valeurs historiques, sans qu'aucune révision n'ait vraiment été menée. Parfois les valeurs de référence ont été fixées en 1941 ! Il n'y a pas de solution miracle pour réviser les valeurs locatives...
Par ailleurs, il est nécessaire de prévoir une compensation réelle des exonérations de fiscalité locale. Je pense en particulier à l'exonération des logements sociaux pour la taxe foncière sur les propriétés bâties.
Le scenario que je vous ai présenté est donc celui qui a été adopté par le bureau de l'association des maires de France et par le comité des finances locales, à l'unanimité des suffrages exprimés mais avec l'abstention des trois représentants des départements. En effet, ceux-ci négocient en parallèle avec le Gouvernement sur le sujet de la compensation du financement des allocations individuelles de solidarité et craignent qu'en combinant ces deux négociations, le Gouvernement n'essaye de leur transférer « deux fois » la même fraction de CSG...
Ce scenario n'est pas le « grand soir » fiscal que nous pouvions espérer, ni une mise à plat de l'ensemble des rapports financiers entre l'État et les collectivités territoriales. Il faudrait également réformer le système fou des dotations et des fonds de péréquation. Mais dans le délai imparti, nous n'étions pas en mesure de révolutionner l'ensemble des finances locales. Cette solution n'est sans doute pas la meilleure... mais au moins la moins mauvaise. Elle me semble satisfaisante car les communes conservent un pouvoir de taux et récupèrent une ressource dynamique, tandis que les départements pourront financer la solidarité nationale à partir d'une ressource nationale, la CSG. Je suis par ailleurs convaincu que la taxe sur le foncier bâti n'est pas la meilleure ressource pour les départements : les plus pauvres d'entre eux ayant des bases fiscales foncières assez limitées...
M. Philippe Adnot. - Mon intervention ne surprendra pas ceux qui me connaissent. Je regrette que le groupe de travail soit rentré dans le jeu, ce qui est une erreur, de considérer comme acquise la suppression de la taxe d'habitation. Il s'agit, selon moi, d'une mauvaise mesure car elle laisse croire aux citoyens que les services qu'ils demandent n'ont pas de conséquences sur la fiscalité. Il aurait mieux valu que le groupe de travail cherche à contrarier le rêve de Bercy consistant à proposer aux collectivités territoriales des dotations sur lesquelles il conserve la main.
M. Philippe Dallier. - Je ne serai pas aussi critique que Philippe Adnot, même si je regrette la coupure du lien entre citoyen et commune. Cela pourra déresponsabiliser les acteurs, ce qui n'est pas une bonne chose. Ce qui se dégage me semble néanmoins rassurant pour le bloc communal. Il est cependant en effet nécessaire d'engager la révision des valeurs locatives. Cela suppose aussi que le « marronnier », que je présente chaque année et qui est adopté à l'unanimité par le Sénat consistant à en finir avec les exonérations de taxe foncière en faveur des bailleurs sociaux adoptées pour vingt ans ou vingt-cinq ans et qui sont en fait financées par les communes, aboutisse enfin. Dès lors que celles-ci n'auraient plus que la taxe foncière, le maintien de ces exonérations serait pénalisant pour les communes auxquelles on demande de construire des logements sociaux et qui n'auront plus de recettes en contrepartie.
Je m'interroge également sur la soutenabilité pour le budget de l'État de cette réforme. Le Conseil constitutionnel nous a en partie donné raison, la taxe d'habitation a vocation à être supprimée. Mais cela aura un coût supplémentaire de 10 milliards d'euros, voire de 14 milliards d'euros. La trajectoire financière pluriannuelle est donc caduque.
Jacqueline Gourault avait évoqué la possibilité de créer un impôt nouveau avant d'être démentie par Bruno Le Maire. L'État devra donc prendre en charge cette somme. Comment va-t-il trouver les moyens de financer cette mesure ?
Cet après-midi, la commission entendra Gérald Darmanin. Je ne pourrai malheureusement pas être présent, présidant la séance au même moment. Néanmoins, je souhaiterais que le rapporteur général puisse l'interroger sur ce point.
M. Vincent Delahaye. - Je m'interroge également sur la soutenabilité pour le budget de l'État de la suppression de la taxe d'habitation, dont je pense qu'il s'agit d'une erreur. Mais dès lors qu'elle est décidée, nous devons réfléchir à des scénarios alternatifs. À cet égard, je partage le souhait de ne pas créer d'impôt nouveau. En tout état de cause, une fois la taxe d'habitation supprimée, il sera difficile de revenir en arrière.
Le schéma proposé me semble être une étape plutôt qu'un scénario définitif, car des discussions doivent se poursuivre au sein du groupe de travail, notamment sur la question de la répartition des ressources au sein du bloc communal. Les 13,8 milliards d'euros de taxe foncière pourraient ainsi être entièrement transférés aux communes, ce qui compenserait une partie des 15 milliards d'euros de moindres recettes liées à la suppression de la taxe d'habitation. La fraction de TVA serait quant à elle affectée aux intercommunalités et les écarts de compensation avec les intercommunalités pourraient être pris en charge via des attributions de compensation.
La question posée par Philippe Dallier sur les exonérations de taxe foncière en faveur des logements sociaux est évidente. Si la taxe foncière est transférée au bloc communal - ou aux seules communes, comme nous le souhaitons - cette question devra être résolue, ou plus aucun logement social ne sera construit.
Enfin, la révision des valeurs locatives est en effet indispensable dans la mesure où la taxe foncière est assise sur ces valeurs. Or la suppression de la taxe d'habitation a été justifiée par le caractère injuste de ces bases. Je réitère ma proposition de réévaluer ces valeurs au fur et à mesure des mutations et de laisser la possibilité pour le bloc communal de les réviser de manière volontaire, avec la mise en place d'une forme d'intéressement, l'éventuel surcroît de recettes fiscales pouvant faire l'objet d'un partage entre le bloc communal et l'État.
M. Jacques Genest. - Je souhaiterais tout d'abord indiquer aux collègues qui ne sont pas membres du groupe de travail que notre marge de manoeuvre était très réduite dans la mesure où le Gouvernement ne souhaitait pas créer de nouvel impôt. Il n'y avait par conséquent qu'une seule solution, celle proposée par le groupe de travail, qui est la moins mauvaise.
Je pense également que le budget de l'État aura du mal à supporter la suppression de la taxe d'habitation.
Au sein du groupe de travail, je suis souvent intervenu sur la question du logement social. Je ne suis pas concerné directement, habitant dans une commune rurale. Mais dans les villes où il existe un nombre important de logements sociaux, les locataires ne paieront plus la taxe d'habitation et les bailleurs seront exonérés de taxe foncière sur les propriétés bâties, l'État ne compensant cette exonération que de manière infime. Il y aura donc tout un pan de la population, souvent jeune et ayant des enfants, qui bénéficiera de services et qui n'aura pas de lien fiscal direct avec la commune. Il me semble indispensable que l'État compense réellement le coût des exonérations en faveur du logement social. Je suis moins optimiste que Philippe Dallier sur une éventuelle suppression de ces exonérations, l'État ayant déjà diminué le montant des aides personnalisées au logement (APL), au mécontentement des bailleurs sociaux...
M. Philippe Dallier. - Je précise ma pensée : je ne demande pas une suppression de ces exonérations mais simplement que l'État les compense en totalité.
M. Jacques Genest. - Nous sommes donc d'accord.
Par ailleurs, étant moi-même issu du Trésor Public, je ne pense pas que l'administration fiscale, dont les effectifs diminuent régulièrement, sauf en administration centrale, soit en mesure de mettre en oeuvre la révision des valeurs locatives. Au début de ma carrière de conseiller général, j'ai travaillé sur cette question pendant un an alors que l'administration fiscale en avait encore les moyens humains, et cela n'a pas abouti. Aujourd'hui, elle ne les a plus, cela sera par conséquent matériellement compliqué à mettre en oeuvre alors que cela est indispensable. Les propriétaires de résidences secondaires continueront certainement à acquitter une taxe d'habitation, il faudra donc que les bases soient réactualisées.
Enfin, je suis un peu gêné de voir qu'il est fait mention, dans le document distribué, de la taxe sur la consommation finale d'électricité alors que celle-ci vise à financer des opérations très spécifiques et il n'est pas possible d'envisager d'utiliser cette ressource pour des compensations.
M. Dominique de Legge. - Selon la référence que l'on a, l'exercice auquel nous nous livrons relève du Sapeur Camember ou des Shadoks. La compensation sans impôt nouveau me semble surréaliste. Je veux bien que l'on dise qu'il n'y aura pas d'impôt nouveau, mais si c'est pour augmenter les impôts anciens, cela ne me semble pas plus productif.
Par ailleurs, vous faites référence à un principe auquel nous sommes tous attachés, celui de l'autonomie fiscale des collectivités territoriales, mais je suis au regret de vous dire que, dans la pratique, lorsqu'il n'y a rien à prélever, l'autonomie fiscale est d'un intérêt limité. Un bon impôt doit avoir une base large et un taux faible, or nous risquons d'avoir des impôts avec une base étroite et des taux élevés. Il est donc temps de revenir sur nos poncifs sur l'autonomie fiscale.
Enfin, je n'ai pas compris si les transferts de fiscalité nationale prendront la forme d'une redistribution des recettes nationales ou seront fonction des impôts payés localement. Cela n'est pas la même chose.
M. Vincent Éblé, président. - Il s'agit d'une quote-part des impositions nationales.
M. Dominique de Legge. - Cela devient une compensation.
M. Vincent Éblé, président. - Non, car les collectivités territoriales bénéficieront de la dynamique.
M. Bernard Delcros. - Parmi les trois hypothèses évoquées, il semble en effet que le transfert d'une fraction de CSG aux départements soit la plus cohérente au regard des compétences qu'ils exercent.
Il me semble que la question du pouvoir de taux laissé aux départements est un faux problème. Dans des territoires en difficulté, avec des revenus par habitant très faibles, avoir la liberté de taux n'apporte rien. Cela pourrait donc renforcer les inégalités territoriales. Pouvoir répartir un impôt national permet une forme de péréquation.
Je partage ce qui a été dit par Vincent Delahaye, le groupe de travail doit approfondir la question de la répartition des ressources au sein du bloc communal entre communes et intercommunalités.
Je partage également ce qui a été dit sur la question de la révision des valeurs locatives ainsi que sur la compensation des exonérations de taxe foncière sur les propriétés bâties en faveur des logements sociaux. Sur les dix dernières années, la compensation effective des exonérations est inférieure à 10 %.
Enfin, pour répondre à Philippe Adnot, je pense que nous devons être pragmatiques et efficaces. La décision de supprimer la taxe d'habitation étant prise, il nous faut réfléchir à des solutions pour avancer.
M. Claude Raynal. - J'ai participé aux travaux du groupe de travail : j'estime qu'il faut s'interroger de façon pragmatique sur les meilleurs moyens de faire face aux évolutions en cours plutôt que de refuser tout débat. C'est une position d'ailleurs proche de celle du comité des finances locales qui estime désormais que l'opposition pure et simple ne porte pas ses fruits.
Nous avons donc cherché des solutions, et le scénario finalement retenu faisait partie des options envisagées depuis longtemps : l'affectation d'une fraction de taxe sur la valeur ajoutée paraît préférable à celle de l'impôt sur le revenu. Concernant les taxes sur le foncier bâti, il paraît logique de les recentrer au profit du niveau communal dans la mesure où, sur ces sujets, ce sont toujours les maires qui sont en première ligne. Il apparaît donc souhaitable que les maires soient pleinement en responsabilité de l'impôt qu'ils lèvent.
La TVA est fortement corrélée à l'activité économique : il semble logique que cet impôt revienne au niveau intercommunal. D'ailleurs, la taxe d'habitation avait été affectée aux intercommunalités à la suite de la réforme de la taxe professionnelle, qui présentait elle-même une forte dimension économique. Certes, la TVA a tendance à évoluer dans le même sens que la croissance, mais il peut être sain d'imaginer que les collectivités territoriales devront modérer leurs dépenses lorsque la conjoncture est moins bonne, et qu'elles bénéficieront au contraire de la croissance lorsque celle-ci repartira. En outre, on peut tout à fait imaginer de mettre une fraction des recettes affectées de côté, dans un fonds de garantie, pour faire face à une ou deux mauvaises années : ce sont des mécanismes que nous connaissons bien et dont nous savons assurer la gestion.
Je souhaiterais appeler l'attention sur un point de vigilance : la bataille est loin d'être gagnée ! Pour Bercy, la TVA est précieuse : il s'agit d'un impôt de rendement. Il va falloir que nous soyons très déterminés pour obtenir l'affectation d'une part de TVA exprimée en pourcentage du produit total, et non en euros. Cela nécessitera d'ailleurs une modification de la loi de programmation des finances publiques adoptée à l'automne.
Enfin, n'oublions pas que tout cela repose sur un pari sur la croissance : si elle est plus faible qu'attendu, le sujet sera encore plus compliqué, avec le risque d'un report des charges sur les collectivités locales. Après tout, la première baisse des dépenses des collectivités territoriales annoncée par le Gouvernement, à hauteur d'environ 13 milliards d'euros, correspond à peu près à la diminution des recettes liée à l'élargissement des exonérations de taxe d'habitation. Désormais, le Gouvernement a tranché en faveur de la suppression pure et simple de la taxe d'habitation : soyons attentifs à ce qu'elle ne se traduise pas par une contrainte encore accrue sur le secteur local.
M. Charles Guené. - En tant que rapporteur spécial de la mission « Relations avec les collectivités territoriales », j'ai participé à la fois aux réflexions de ce groupe de travail et aux travaux du comité des finances locales et j'ai été entendu par la mission d'Alain Richard et de Dominique Bur.
Sur la question de savoir s'il était opportun ou non de prendre part à cette réforme, je pense qu'il faut être clair : nous sommes certes rentrés dans cette logique, mais a minima. Nous proposons simplement la substitution de certaines ressources, ce en quoi nous sommes d'ailleurs rejoints par d'autres - c'est plutôt bon signe !
Nous avons volontairement écarté certains sujets, qui devront être traités dans le cadre d'une réforme globale de la fiscalité locale, comme la territorialisation des ressources, l'appréciation des charges réelles des collectivités territoriales ou encore la péréquation entre elles.
Concernant la réforme que nous proposons, pour beaucoup de départements, c'est presque une chance que l'on substitue une part du produit de la CSG aux taxes sur le foncier bâti, mais cela implique que l'échelon départemental n'aura presque plus de pouvoir de taux. D'ailleurs, les droits de mutation à titre onéreux sont souvent déjà poussés au maximum, il n'y a donc plus de pouvoir de taux à ce titre. Certains évoquent un impôt local additionnel à la CSG ? Il me semble, pour ma part, difficile d'imaginer que la CSG diffère d'un département à l'autre. On a déjà vu les effets de la concurrence fiscale avec la taxe professionnelle : veut-on retomber dans les mêmes travers ?
Trois problèmes subsistent. D'abord, la question du logement social n'est pas complètement résolue, comme plusieurs intervenants l'ont déjà souligné. Ensuite, la révision des valeurs locatives reste un chantier ouvert. Je suis moins pessimiste que d'autres et j'estime que l'expérimentation n'est pas si catastrophique que cela et que l'on progresse vers un début de solution. Enfin, la répartition des ressources entre communes nouvelles et intercommunalités doit être tranchée. Il me semble que ce serait une erreur de s'éloigner de la répartition actuelle.
Pour conclure, je dirais que nos propositions ne constituent pas un « grand soir » de la fiscalité locale, mais en esquissent peut-être le prélude. Nous nous situons, je crois, dans un système de transition. Est-il besoin, aujourd'hui, de tout révolutionner ? Je ne le pense pas et suis convaincu qu'une approche mesurée doit, pour l'heure, prédominer.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Plusieurs collègues ont souligné que, dans la mesure où ils étaient opposés à la réforme du Gouvernement, ils auraient préféré ne pas avoir à prendre acte de ses conséquences. Je partage leur point de vue sur le fait que la suppression de la taxe d'habitation, qui va conduire à un abandon complet du lien entre les habitants et le financement des services publics de proximité, n'est pas opportune. Mais cette réforme a été adoptée et va être mise en oeuvre : c'est un état de fait et de droit.
Il faut donc réfléchir pour trouver des solutions pour l'avenir et ne pas s'enfermer dans les débats du passé. Nous avons ainsi, collectivement, examiné de façon pragmatique ce qui nous paraissait acceptable. Étant réfractaires à l'idée de créer de nouveaux impôts, nous avons favorisé l'affectation de ressources fiscales additionnelles. Voilà l'esprit dans lequel nous avons travaillé.
Bernard Delcros, ainsi que d'autres collègues, ont demandé à ce que la question de la répartition au sein du bloc communal soit approfondie et ont évoqué le transfert de l'ensemble du foncier bâti aux communes. Mais quid des intercommunalités à fiscalité additionnelle ?
Claude Raynal a mis en exergue l'intérêt de l'affectation d'une quote-part du produit national de l'impôt, par opposition à une TVA locale - contrairement à ce qui existe dans d'autres pays, notamment aux États-Unis, où la Sales Tax est assise sur la consommation locale, son taux variant d'un État à un autre. Il me paraît en effet qu'il est bien préférable de répartir localement un produit global afin d'éviter de renforcer les disparités territoriales.
La question de la révision des valeurs locatives n'est pas encore réglée. Certains ont d'ailleurs émis des doutes sur la faisabilité d'une telle révision. Nous pourrons interroger le ministre Gérald Darmanin à ce sujet cet après-midi. Il est certain que la révision ne pourra se faire que de façon progressive - mais il faudra bien s'y mettre un jour ou l'autre.
Concernant la nécessité de compenser intégralement les exonérations, notamment en ce qui concerne les logements sociaux, je partage pleinement les préoccupations que vous avez exprimées. Aujourd'hui, les taux de compensation sont ridicules et ne s'élèvent qu'à 8,4 % pour les logements sociaux. En d'autres termes, alors que la perte de recettes atteint 435 millions d'euros, elle n'est compensée qu'à hauteur de 36 millions d'euros !
N'occultons pas le problème majeur : tout ceci est financé par une hypothétique croissance ! En l'absence de création d'un nouvel impôt ou de hausse des impôts existants, une très forte reprise économique sera nécessaire pour que la fraction de TVA compense la totalité de la perte des recettes sans pour autant créer de tension excessive sur le budget de l'État. Il va falloir un miracle !
M. Jérôme Bascher. - Je suis surpris que l'on démissionne ainsi en rase campagne - même si le terme est sans doute un peu exagéré. Nous acceptons de renoncer à l'autonomie financière des départements, voire des intercommunalités : il s'agit en réalité d'un changement complet de notre modèle de gestion des collectivités territoriales.
Il ne sert à rien de pousser des cris d'orfraie au sujet de la limitation de la hausse des dépenses à 1,2 % par an, puisque nous allons de toute façon nous lier les mains sur les recettes - et donc sur les dépenses. Il aurait donc fallu, au préalable, poser quelques principes fondamentaux. Comme l'a dit Charles Guené, il était interdit de penser au sein de groupe de travail : sa feuille de route et son périmètre étaient limités. Dès lors, ses propositions devraient être seulement des propositions de transition, en vue d'une réflexion à plus long terme.
Enfin, je suis très inquiet de la concentration de l'impôt sur les propriétaires : c'est le cas pour la taxe d'habitation et la taxe foncière, comme du nouvel impôt sur la fortune immobilière (IFI). Je lance une idée : pourquoi ne pas rendre une fraction de la taxe foncière récupérable auprès des locataires ? Une petite fraction bien sûr : il ne s'agit pas de rétablir la taxe d'habitation. Cela permettrait en outre de recréer le lien entre le contribuable local et sa collectivité.
Nous venons de transférer un impôt fondé sur les stocks - de population et de logements - vers un impôt fondé exclusivement sur les flux, c'est-à-dire sur la croissance économique.
Mme Christine Lavarde. - Je partage les analyses précédentes : avec la suppression de la taxe d'habitation, c'est aussi le lien entre les citoyens et les services publics locaux qui disparaît. Je rappelle qu'en France, le taux de propriétaires, de l'ordre de 63 %, est parmi les plus bas d'Europe : il y a donc bien une concentration accrue de l'impôt. Certes, on peut objecter que tout le monde paie, par exemple, la TVA - mais il n'y a aucun lien avec les services publics locaux, pourtant nécessaire à l'acceptabilité de l'impôt.
Nous avons formulé une critique similaire lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2018 : prendre de l'argent aux agences de l'eau pour l'affecter au centre national pour le développement du sport (CNDS) n'a absolument aucun sens. De même, les recours en carence intentés par l'État contre certaines collectivités pour le non-respect du minimum de 25 % de logements sociaux vont produire une recette de poche pour l'État : il serait opportun que cela finance une certaine péréquation en matière de logement social à l'échelle du territoire.
M. Thierry Carcenac. - Le tableau des ressources fiscales est basé sur l'année 2015 ou 2016 selon le type de recette. Je rappelle que désormais, les départements, notamment, ne bénéficient plus que de 23,6 % de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). De la même façon, le produit de CSG est celui de 2017, et les choses vont changer en 2018. Il faut garder ces éléments à l'esprit : nous demandons une compensation sur une fraction, et non pas seulement une compensation de produit à produit.
S'agissant de l'exonération de taxe d'habitation, que se passe-t-il pour les résidences secondaires ? Je rappelle qu'il y a 30 millions d'avis pour les résidences principales, et 3,3 millions d'avis pour les résidences secondaires.
Nous parlons beaucoup d'autonomie fiscale, mais la Constitution mentionne l'autonomie financière des collectivités territoriales. D'un strict point de vue constitutionnel, cela n'implique donc pas nécessairement des impôts dont les collectivités pourraient maîtriser les taux.
Enfin, je partage les doutes de Claude Raynal quant à la capacité de l'État à compenser la baisse de la taxe d'habitation. Je pense qu'il y aura inévitablement une pression bien plus forte sur les dépenses, maintenant détachées des recettes, dans le cadre de la contractualisation.
M. Marc Laménie. - À titre personnel, je pense que la disparition de la taxe d'habitation était une mauvaise idée. La situation financière des collectivités territoriales reste délicate aujourd'hui. Cela me rappelle la suppression de la taxe professionnelle en 2010 : le résultat, quelques années après, est-il au rendez-vous ? La réponse n'est pas simple. Je pense aussi à la « vignette automobile » qui, jusqu'aux années 2000, constituait une ressource pour les départements. En bref, l'État va devoir trouver des solutions.
M. Julien Bargeton. - Je suis visiblement l'un des seuls ici à ne pas regretter la disparition de la taxe d'habitation.
Je partage bien entendu le consensus qui se dégage sur la taxe foncière sur les propriétés bâties. Nous ne sommes d'ailleurs pas obligés de respecter la répartition de 70 % pour le bloc communal et de 30 % pour le bloc intercommunal. Pourquoi ne pas prévoir une affectation de 100 % aux communes et trouver une autre recette liée à l'activité économique pour les intercommunalités ?
Au-delà des grands équilibres - les 10 milliards d'euros et les 13 milliards d'euros évoqués -, il faudra être vigilant à ce qui se passe au niveau de chaque territoire, où les effets sur la taxe d'habitation, d'une part, et sur la taxe foncière, d'autre part, peuvent ne pas correspondre.
La révision des valeurs locatives des locaux d'habitation est indispensable. Souvenons-nous toutefois que la révision des valeurs locatives des locaux professionnels a pris dix ans, et qu'il a fallu prévoir des planchers et des coefficients. Le sujet devient extrêmement sensible dès qu'on rentre dans les détails, car les transferts de charges sont inévitables. Nous pourrons travailler sur le sujet.
Je partage également l'idée d'explorer la piste d'une affectation d'une part de la CSG aux départements. À titre purement personnel, je dois dire que j'ai toujours été extrêmement réticent au transfert des aides sociales obligatoires aux départements. Avec la mise en place du prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu, la recentralisation de ces aides au niveau national serait beaucoup plus logique. La réforme à venir pourrait en être l'occasion : il serait dommage de ne traiter que des ressources, et pas des dépenses.
Enfin, je partage les propos qui ont été tenus sur les taxes adossées à la taxe d'habitation - et qui disparaîtront avec elle. Je pense notamment aux taxes sur les résidences secondaires, sur les logements non occupés et sur les logements vacants. Peut-être la suppression de la taxe d'habitation pourrait-elle constituer une occasion de réfléchir à la fiscalisation de ces logements inutilisés, qu'on appelle parfois les « lits froids ». Le sujet est aussi lié à celui des plateformes de type Airbnb dans les grandes villes. Les collectivités ne doivent pas perdre ces ressources.
M. Patrice Joly. - Pour paraphraser Alphonse Allais, on nous demande avec ce groupe de travail de « demander plus à l'impôt et moins au contribuable ».
Il me semble qu'il manque à notre réflexion la notion de prélèvement local global. Le produit des ventes de biens et services - les tarifs des services publics locaux - représente environ 15 milliards d'euros de recettes, ce qui n'est pas négligeable par rapport aux 80 milliards d'euros de l'ensemble. Il faut les intégrer à notre réflexion, d'abord parce que cela peut représenter des recettes importantes - entre 20 % et 28 % des recettes locales, souvent davantage pour les collectivités rurales -, et ensuite parce que c'est l'un des derniers liens entre les contribuables et les services publics locaux.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Cette ressource figure bien dans le document distribué, sous la rubrique « autres ressources ».
M. Patrice Joly. - Derrière la question du lien entre le contribuable et les services publics locaux, c'est la question de l'enjeu démocratique qui est posée. C'est un élément fondamental, qu'on ne peut pas balayer d'un revers de main.
J'accueille favorablement l'idée de lier les nouvelles recettes à la nature des compétences exercées - par exemple la CSG pour les compétences en matière sociale.
En revanche, je ne me satisfais pas du maintien de l'ordre établi, permis par le principe de compensation exacte des ressources existantes. La réforme de la fiscalité locale doit être l'occasion d'aller plus loin en matière de péréquation.
M. Michel Canevet. - On ne peut que regretter la suppression de la taxe d'habitation, mais une fois la décision prise, il faut trouver une solution pour compenser la perte de recettes du bloc communal. Je note d'ailleurs que l'hypothèse d'une croissance de 4 milliards d'euros en cinq ans du produit de la taxe d'habitation semble excessive...
Je ne suis pas très favorable au transfert de fractions d'impôts nationaux au bloc local. Je souscris au transfert de la part départementale de la taxe foncière sur les propriétés bâties, à condition de réviser les valeurs locatives ; mais pour l'intercommunalité, il pourrait leur être attribué la part départementale de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), dans la mesure où les départements n'ont plus la compétence économique. L'architecture globale serait ainsi simplifiée. Le groupe de travail pourrait étudier cette hypothèse.
Enfin, il me semble qu'il faut également se pencher sur la question de la redevance audiovisuelle, qui figure aujourd'hui sur la feuille d'imposition de la taxe d'habitation.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Je rappelle tout d'abord que le transfert de la part départementale de la taxe foncière sur les propriétés bâties au niveau communal ne pose pas de difficulté importante techniquement, il en a déjà été fait ainsi en 2010 pour la taxe d'habitation.
Le travail que je vous ai présenté est un rapport d'étape, qui présente un scenario pragmatique. Les finances locales dans leur ensemble sont à bout de souffle : les exonérations se multiplient, les dotations sont réparties d'une façon qui interroge et la péréquation est censée corriger cela à la marge. On n'y comprend plus rien ! Il faut tout revoir, tout remettre à plat. Mais à ce stade, dans le temps imparti, le seul objectif du groupe de travail a été de trouver une modalité satisfaisante de compensation. La perte du lien entre le citoyen et le financement des services publics me semble le principal inconvénient. Faut-il, comme le propose Jérôme Bascher, remettre une partie de la taxe foncière à la charge des locataires, comme c'est le cas aujourd'hui pour la taxe d'enlèvement des ordures ménagères ? Tout est possible, mais cela revient malgré tout à recréer une forme de taxe d'habitation.
Christine Lavarde évoquait la lisibilité pour le contribuable : aujourd'hui, quand il achète des pommes, le contribuable finance déjà les collectivités territoriales, en s'acquittant de la TVA qui finance la dotation globale de fonctionnement. Je rappelle en effet que la fiscalité directe locale ne représente que la moitié des ressources du bloc communal.
Je le répète, ce scenario n'est pas le meilleur, mais le moins mauvais. Ce que nous devons absolument exclure c'est une compensation par des dotations. Il vaut mieux une fraction d'impôts nationaux. Il y a encore des sujets à travailler et j'ai bien entendu le souhait d'étudier la répartition de la compensation entre communes et établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Le transfert de la part départementale de la CVAE n'a pas été étudié à ce stade, les départements perdant déjà le foncier bâti. Dans le cadre d'une refonte totale des finances locales, nous pourrions étudier cette piste, mais aujourd'hui la solution la plus acceptable me semble être celle que je vous ai présentée. Les communes conservent un lien direct avec le contribuable à travers le foncier bâti et une augmentation de la population qui implique par exemple de construire des écoles - et impliquera bien une hausse des ressources fiscales.
Compte rendu de la Conférence interparlementaire sur la stabilité, la coordination économique et la gouvernance au sein de l'Union européenne, prévue à l'article 13 du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) et de la semaine parlementaire du semestre européen - Communication
M. Vincent Éblé, président. - Les 19 et 20 février derniers s'est tenue à Bruxelles la conférence interparlementaire semestrielle sur la stabilité, la coordination économique et la gouvernance dans l'Union européenne - que nous appelons plus communément « conférence de l'article 13 » du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG). Fabienne Keller et moi-même étions présents pour représenter le Sénat français.
La création de cette conférence visait à permettre un contrôle par les Parlements nationaux des modalités de la mise en oeuvre des règles de gouvernance budgétaire en Europe. Cependant, les discussions abordent plus largement les sujets financiers et institutionnels d'actualité de l'Union européenne.
Je voudrais souligner l'importance des échanges entre représentants des parlements nationaux, ainsi que la qualité des rencontres avec les membres des institutions européennes. Des membres de la Commission européenne sont en effet intervenus lors de plusieurs tables rondes pour présenter l'action conduite par la Commission. C'est ainsi que nous enrichissons notre réflexion et que nous construisons ensemble le projet européen.
Cependant, je rappelle les interrogations déjà exprimées par notre commission des finances s'agissant de la portée réelle de cette conférence. Les travaux sont organisés de telle manière que l'on assiste, à quelques exceptions près, à une succession d'interventions sans véritables échanges tandis que le message politique de la conférence est amoindri faute d'adoption de conclusions au terme des deux jours de réunions.
Quel est le bilan de la conférence de Bruxelles, où une centaine de parlementaires nationaux étaient présents ?
Le Parlement européen et l'Assemblée nationale de la République de Bulgarie, chargés de l'organisation, avaient inscrit quatre thèmes à l'ordre du jour : les priorités politiques du semestre européen, l'avenir de la politique fiscale de l'Union européenne, l'avenir de l'Union économique et monétaire et le prochain cadre financier pluriannuel post-2020. Fabienne Keller et moi-même sommes intervenus en séance, respectivement sur les priorités politiques du semestre européen et sur l'union bancaire.
À l'occasion de la séance plénière inaugurale sur les priorités politiques du semestre européen, il a été souligné le caractère charnière de l'année 2018. Marianne Thyssen, commissaire européenne chargée de l'emploi et des affaires sociales a en effet rappelé que si plusieurs indicateurs macroéconomiques témoignaient d'une reprise, la situation de l'emploi reste hétérogène et dégradée par rapport à 2008.
Les discussions se sont ensuite orientées sur la nécessité de conduire des réformes structurelles de façon coordonnée pour améliorer la résilience de l'Union européenne. Cette question a soulevé des débats à propos de l'accompagnement des États membres dans la mise en oeuvre de ces réformes. Dans son examen annuel de croissance sur le « paquet d'automne » du semestre européen publié en novembre 2017, la Commission européenne recommandait une orientation budgétaire globalement neutre au niveau de la zone euro. Elle relevait également la nécessité de réduire les déséquilibres entre États membres. Cette recommandation a suscité des prises de position divergentes de plusieurs représentants de parlements nationaux, certains parlementaires espagnols et portugais en particulier regrettant le manque de réalisme des ajustements demandés par la Commission européenne.
À cette occasion, notre collègue Fabienne Keller a insisté sur la nécessité, pour la France, de sortir du volet correctif de la procédure pour déficit public excessif dès le printemps 2018, ainsi que sur l'opportunité conjuguée du fin de cycle électoral et de reprise économique pour mener à bien plusieurs projets, à commencer par l'approfondissement de l'union des marchés de capitaux et la finalisation de l'union bancaire.
C'est sur ce projet que je suis intervenu, rappelant les travaux de notre commission pour concilier la définition d'un cadre commun et la préservation des spécificités françaises. J'ai en particulier indiqué que l'union bancaire ne peut fonctionner que si la réduction et le partage des risques vont de pair. Cet indispensable équilibre guidera les négociations en cours sur le système européen de garantie des dépôts.
Cette intervention faisait suite aux propositions de la Commission européenne de décembre 2017. La feuille de route présentée envisage un calendrier résolument ambitieux, fixant le cadre de l'action de la Commission européenne d'ici la fin de son mandat.
S'agissant de l'union bancaire, les échanges à Bruxelles ont toutefois montré que de nombreuses difficultés persistent, tant pour la question des créances douteuses que pour la mise en place d'un système européen de garantie des dépôts.
S'agissant plus largement de la résilience et de la coordination au sein de l'Union économique et monétaire, les débats se sont principalement cristallisés autour de la transformation du Mécanisme européen de stabilité (MES) en un Fonds monétaire européen (FME). Cette évolution a fait l'objet d'une proposition législative de la Commission européenne en décembre dernier. Le Fonds monétaire européen pourrait intervenir, comme le Mécanisme européen de stabilité, en cas de difficultés financières d'un État membre de la zone euro. Surtout, il assurerait la fonction de filet de sécurité du fonds de résolution unique, le deuxième pilier de l'union bancaire. À ce stade, les échanges sont restés très généraux, et ont surtout mis en évidence les divergences entre les parlements nationaux sur la question du transfert au Fonds monétaire européen (FME) de la capacité de surveillance budgétaire actuellement assurée par la Commission européenne.
Les sujets fiscaux ont également occupé une place importante dans nos échanges. Plusieurs dossiers ont été abordés : la lutte contre l'évasion fiscale, les propositions de refonte du régime TVA, la fiscalité du numérique et l'évolution des discussions sur le projet d'assiette commune, puis consolidée, d'impôt sur les sociétés.
Je me concentrerai plus particulièrement sur ces deux derniers sujets. Comme vous le savez, un débat existe entre États membres sur la manière d'appréhender fiscalement les géants du numérique. L'été dernier, à l'initiative de la France, quatre États membres (France, Allemagne, Italie et Espagne) ont appelé à la création d'une taxe sur le chiffre d'affaires, recevant ensuite le soutien de quinze autres États membres. Cette proposition n'est pas partagée par l'ensemble des États, en particulier l'Irlande et les Pays-Bas qui ne souhaitent pas la mise en place d'une taxation spécifique. Telle est également la position du Parlement européen. La commission ECON s'apprêtait à adopter la même semaine les rapports des deux rapporteurs sur les propositions de directives ACIS/ACCIS. Des amendements au projet d'ACCIS visant à compléter la définition d'établissement stable pour prendre en compte les activités numériques ont été adoptés par la commission.
C'est dans ce cadre que j'ai interrogé Valère Moutarlier, responsable de direction générale de la fiscalité et des douanes de la Commission européenne en charge de ces dossiers. La Commission européenne présentera le 28 mars prochain une proposition relative à la fiscalité des entreprises du numérique. Il m'a confirmé que deux axes devraient être retenus. D'abord, une solution de court terme avec une taxation spécifique qui pourrait reposer sur les revenus tirés par ces entreprises de l'utilisation des données personnelles des utilisateurs. Ensuite, une solution de moyen terme, consistant en un amendement du projet ACCIS, avec la définition d'un critère spécifique permettant d'appréhender les activités numériques. Nous suivrons avec attention ces propositions. Nul doute que nous y travaillerons très prochainement.
En dernier lieu, les discussions ont porté sur les priorités politiques et les grands équilibres du prochain cadre financier pluriannuel.
Deux facteurs doivent être pris en compte. Le retrait du Royaume-Uni des contributeurs modifie les équilibres, tandis que l'apparition de nouvelles priorités au cours du cadre financier pluriannuel 2014-2020 montre la nécessité d'une flexibilité accrue du cadre financier.
Ainsi, la Commission européenne a rappelé son souhait de parvenir à un accord politique avant les élections européennes de mai 2019. Elle devrait présenter un premier projet en mai prochain. Les discussions ont toutefois mis en évidence l'âpreté des négociations qui s'ouvrent, en particulier concernant l'évolution des montants consacrés à la politique agricole commune et à la politique cohésion. Je vous rappelle qu'un groupe de travail commun à notre commission des finances et à la commission des affaires européennes, dont sont membres Patrice Joly, Fabienne Keller, Jean-François Rapin et Claude Raynal, a été créé pour suivre ces négociations.
Questions diverses - Modification du programme de contrôle de la commission
M. Vincent Éblé, président. - Nous avons arrêté le 31 janvier dernier notre programme de contrôle pour 2018. Depuis lors, Vincent Delahaye et Rémi Féraud, rapporteurs spéciaux de la mission « Action extérieure de l'État » ont souhaité engager des travaux sur le réseau de l'enseignement français à l'étranger. Jacques Genest, rapporteur spécial de la mission « Administration générale et territoriale de l'État » a quant à lui souhaité engager des travaux sur la Commission nationale des comptes de campagnes et des financements politiques.
Je vous propose d'ajouter ces sujets à notre programme.
Il en est ainsi décidé.
La réunion est close à 11 h 20.
Audition de M. Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics
La réunion est ouverte à 16 h 35.
M. Vincent Éblé, président. - Nous entendons aujourd'hui le ministre de l'action et des comptes publics, Gérald Darmanin, sur les résultats de l'exécution 2017, la réforme de l'État et les dossiers d'actualité de son ministère.
Traditionnellement, nous entendons en début d'année ou au cours du premier trimestre de l'année le ministre chargé du budget sur les résultats de l'année passée. Cette audition est également l'occasion d'aborder d'autres thèmes de la compétence du ministre.
Je précise, monsieur le ministre, même si nous avons eu l'occasion d'échanger en séance publique, que c'est la première fois que vous vous exprimez devant notre commission dans sa configuration issue du dernier renouvellement sénatorial, puisque votre dernière audition date du 27 septembre 2017, jour de présentation du projet de loi de finances pour 2018, la commission des finances étant alors présidée par Michèle André.
Votre audition est donc tout particulièrement attendue, singulièrement par nos nouveaux collègues, d'autant que de nombreux dossiers vous occupent. Je suis certain qu'après votre présentation, bien des questions vous seront posées.
M. Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics. - Je suis à la disposition du Parlement et de leurs commissions des finances. Permettez-moi de souligner tout l'intérêt que porte le Gouvernement aux travaux que vous avez lancés au sein de votre commission. Je pense à la reconstitution du groupe de travail sur l'économie numérique, mais également à la création de deux groupes de travail sur l'évolution de la fiscalité locale et la réforme de la procédure budgétaire - je suis favorable à la modernisation du débat parlementaire, pour permettre un contrôle et une évaluation plus forts -, ou encore à la création d'un groupe de suivi sur la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales.
J'évoquerai en premier lieu l'exécution budgétaire des comptes de l'année 2017, avant d'aborder les récentes annonces du Gouvernement en matière de réforme de l'État, plus particulièrement en ce qui concerne la fonction publique.
Je commencerai donc par l'exécution budgétaire de l'année 2017.
Comme vous le savez, à ce stade de l'année, je ne peux m'exprimer avec certitude qu'à propos du budget de l'État. En effet, les comptes définitifs des organismes de sécurité sociale ainsi que ceux des collectivités territoriales ne seront connus que dans les prochaines semaines. Ce n'est qu'à ce moment que nous aurons alors un aperçu complet de nos finances publiques. C'est d'ailleurs à cette occasion que l'Insee (Institut national de la statistique et des études économiques) discutera avec Eurostat des principales questions méthodologiques, dont la comptabilisation du contentieux relatif à la contribution de 3 % sur les dividendes en comptabilité nationale.
Avant d'en venir aux chiffres eux-mêmes, je souhaiterais rappeler que cet exercice s'inscrit dans un contexte particulier puisque sa responsabilité est partagée entre la précédente majorité et l'actuelle. De ce point de vue, force est de constater que l'audit de la Cour des comptes a permis une remise en ordre de nos finances publiques. Lors de ma première audition devant votre commission, j'ai dû m'expliquer sur les ouvertures et annulations du décret d'avance de l'été, qui ont permis de remettre à plat le budget. Nous ambitionnons de rompre avec les mauvaises pratiques de sous-budgétisation.
Nous assumons d'autant plus aisément ce choix qu'il a porté ses fruits : ces efforts ont conduit à bâtir une loi de finances pour 2018 plus sincère, mais aussi plus respectueuse de la portée de l'autorisation parlementaire. J'ai tenu ma promesse : nous n'avons gelé que 3 % des crédits, contre 8 % sous le gouvernement précédent. De ce point de vue, le Gouvernement rejoint en grande partie les préoccupations exprimées par votre commission : nous ne voulons plus de redéploiement en cours de gestion de l'ampleur de ceux que l'on a connus ces dernières années. En soi, ces outils sont des instruments utiles pour faire face à des urgences imprévisibles. En revanche, ils ne doivent pas être utilisés pour masquer l'insincérité initiale du budget. Ce nouveau point de départ nous engage et doit nous éviter de reproduire le schéma de 2017.
Quels sont les résultats de la gestion budgétaire de 2017 et quels sont les enseignements que le Gouvernement entend en tirer ?
Soyons factuels : d'une part, le déficit budgétaire de l'État s'établit à 67,8 milliards d'euros, soit une amélioration de 1,3 milliard d'euros par rapport à 2016 : il s'agit là de son niveau le plus bas depuis 2008. Par rapport aux chiffres qui vous ont été soumis à l'occasion du second projet de loi de finances rectificative, cela correspond à une amélioration de plus de 6 milliards d'euros. Je vous rappelle en effet que ce texte, présenté en novembre dernier, prévoyait un déficit à hauteur de 74,1 milliards d'euros.
D'autre part, le Gouvernement a strictement tenu l'objectif de dépense qu'il s'était fixé en loi de finances rectificative sur les dépenses des ministères, qui s'établissent à 237,5 milliards d'euros, en ligne avec l'objectif fixé à 237,6 milliards d'euros.
Quelles en sont les raisons ?
Les efforts en dépenses, tout d'abord : grâce aux efforts d'économies mis en oeuvre durant l'été par le Gouvernement - pour un montant total de l'ordre de 5 milliards d'euros -, le dépassement des plafonds de crédits prévus en loi de finances initiale a pu être ramené de 8 milliards à 3 milliards d'euros.
Deuxièmement, notre résolution à contenir notre déficit et à respecter nos engagements, que nous avons également manifestée par la mise en place d'une surtaxe exceptionnelle d'impôt sur les sociétés destinée à compenser l'incidence de l'annulation contentieuse imprévue de la taxe à 3 % sur les dividendes.
Troisièmement, ces bons résultats témoignent d'une meilleure dynamique de nos recettes, qui résulte des mesures prises par le gouvernement précédent en fin de quinquennat et de la dynamique qui a suivi l'élection du Président de la République. Le Gouvernement a fait le choix de s'appuyer sur des prévisions de recettes prudentes et responsables.
La plus-value de 4,3 milliards d'euros constatée sur les recettes fiscales s'explique ainsi par le dynamisme des encaissements constatés en fin d'année, particulièrement pour l'impôt sur les sociétés. Comme vous le savez, la prévision de cet impôt est complexe et réserve chaque année des surprises, à la hausse comme à la baisse, en lien notamment avec les acomptes versés en décembre par les grandes entreprises.
Ces résultats positifs confortent le Gouvernement dans son objectif de sortie des 3 % de déficit, qui n'est qu'une étape sur la route de l'équilibre de nos comptes publics. De ce point de vue, je réaffirme devant vous une fois de plus qu'il n'y a pas de « cagnotte » budgétaire lorsqu'un pays connaît 2 200 milliards d'euros de dette et entre 2,6 % et 2,8 % de déficit budgétaire. L'objectif est d'atteindre 0 % de déficit. Croire en l'existence d'une telle manne, c'est être dans le déni au regard de la situation de nos finances publiques, alors que les budgets ne sont pas équilibrés depuis 40 ans. Faut-il rappeler que notre dette frôle 100 % de la richesse nationale, que nous empruntons chaque jour un demi-milliard d'euros sur les marchés financiers, ce qui nous coûte 2 115 euros par seconde ? Soyons sérieux : il n'y a pas de cagnotte cachée. Prétendre le contraire serait retomber dans les errements de certains de nos prédécesseurs, qui d'une recette ponctuelle ont fait une dépense pérenne !
J'en viens au second point de mon intervention : les annonces que le Premier ministre et moi-même, en lien avec Olivier Dussopt, avons pu faire en matière de transformation publique et, plus particulièrement, en ce qui concerne l'avenir de la fonction publique.
La loi de finances pour 2018 s'inscrit dans une stratégie au long cours qui consiste à transformer notre administration dans le cadre du programme « Action Publique 2022 », c'est-à-dire la révision des missions de service public. Nous allons tenir l'engagement du Président de la République de suppression de 120 000 postes, dont 50 000 dans la fonction publique d'État, mais nous définirons d'abord les missions de service public sur lesquelles l'État doit se recentrer. Sur cette question, nous allons travailler tout au long de l'année avec les organisations syndicales de la fonction publique. Quelles missions pourraient aujourd'hui être mieux assumées par d'autres acteurs, qu'il s'agisse d'entreprises, d'associations ou de collectivités ?
Bien sûr, cette transformation de l'action publique suppose de sortir des habitudes. Faire confiance à d'autres acteurs, ce n'est pas négliger l'importance de l'État, mais celui-ci doit se recentrer sur ce qu'il sait mieux faire. Nous avons présenté dans le projet de loi de finances des augmentations d'effectifs et de budget importantes pour l'éducation nationale, les armées, la justice et l'intérieur. Des redéploiements devront être opérés et des efforts devront être faits, notamment dans les ministères financiers. Nous poserons ensuite la question des moyens, mais seulement une fois les missions définies.
Pour parvenir à clarifier les missions de l'État, nous avons engagé un travail de diagnostic. Un comité d'experts indépendants et de personnalités politiques, au sein duquel siège une de vos collègues, a été mis en place le 13 octobre dernier. Par ailleurs, nous avons tenu à solliciter les Français, usagers ou agents du service public, pour recueillir leurs attentes. Nous avons déjà reçu près de 20 000 réponses.
En ce qui concerne la fonction publique et la modernisation de l'État, quatre chantiers d'envergure ont été lancés.
Le premier concerne le dialogue social, à l'instar de ce qui a été fait par Muriel Pénicaud dans le cadre de la loi « Travail ». Il y a près de 22 000 instances de dialogue social dans la fonction publique. Notre pari est qu'on peut faire mieux avec moins.
Le deuxième chantier concerne la rémunération des agents, dont nous souhaitons qu'elle soit plus individualisée. C'était un engagement du Président de la République. Si chaque agent doit voir son pouvoir d'achat garanti et son expérience valorisée, nous voulons qu'une part de sa rémunération soit liée au mérite et à l'atteinte des résultats individuels et collectifs. D'autres gouvernements ont ouvert cette voie avant nous, avec quelques succès d'estime.
Troisième chantier : à la rémunération individualisée doit s'ajouter un accompagnement renforcé en matière d'évolution de carrière. Comme les salariés du privé, les agents ne feront plus le même métier tout au long de leur carrière, et ils en ont eux-mêmes parfaitement conscience. L'État est parfois un piètre employeur et un mauvais directeur des ressources humaines. Il s'agit d'accompagner les reconversions, notamment sous la forme de mobilités au sein des différents versants de la fonction publique. Ensuite, nous mettrons en place des plans de départs volontaires dans certains secteurs.
Enfin, le dernier chantier concerne les possibilités de recourir aux contrats - déjà très utilisés dans la fonction publique, notamment territoriale -, que nous voulons étendre, par exemple, pour les métiers ne relevant pas d'une spécificité propre au service public. Une nouvelle fois, il convient de s'interroger sur la répartition des missions : toutes n'ont pas à être exercées par un agent public sous statut. Je suis attaché au statut de la fonction publique, mais il faut le moderniser.
Je suis à votre disposition pour répondre à vos interrogations.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Pour votre première venue devant notre commission des finances dans sa configuration nouvelle, nous allons commencer par une bonne nouvelle. La France ne figure plus dans le groupe des pays européens en situation de « déséquilibre macroéconomique excessif ». En ce qui concerne l'exercice 2017, êtes-vous confiant sur la sortie de notre pays de la procédure de « déficit excessif » ?
Vous l'avez dit, il n'y a pas de cagnotte vu l'état des déficits. L'amélioration des résultats est due non pas à une meilleure maîtrise de la dépense mais à des recettes supplémentaires. La diminution du déficit de l'exercice 2017 aura un impact favorable sur le solde de 2018. La totalité de cette reprise en base en 2018 sera-t-elle affectée à la réduction du déficit et au désendettement de l'État ?
Concernant « Action publique 2022 » et la réforme de l'État, notre collègue Christine Lavarde nous fera probablement part de son avis sur le comité aux travaux duquel elle a participé dans ce cadre. Je poserai une seule question concernant la fonction publique. Je remarque qu'il y a un levier d'action dont on parle peu, c'est celui du temps de travail. Notre commission a beaucoup travaillé sur cette question à partir notamment d'une enquête qui lui avait été remise par la Cour des comptes, seulement un quart des agents de la fonction publique de l'État travaillent 1 607 heures, ce qui signifie que les trois quarts des fonctionnaires ont des temps de travail dérogatoires. Ce levier pourrait-il être utilisé pour obtenir des gains de productivité ?
Philippe Dallier présidant actuellement la séance publique du Sénat, je vous transmets la question qu'il souhaitait vous poser. Le comité des finances locales a présenté ses premières conclusions sur la réforme de la fiscalité locale, qui vont dans le même sens que les pistes de réflexion de notre groupe de travail. Il est notamment envisagé de transférer la part départementale de la taxe foncière sur les propriétés bâties au bloc communal et d'affecter une fraction de TVA et de CSG, respectivement au bloc communal et aux départements. L'on peut se demander comment vous accueillez ces propositions. Par ailleurs, la suppression complète de la taxe d'habitation engendre un coût pour l'État d'environ 20 milliards d'euros dont 10 milliards d'euros non prévus par la loi de programmation des finances publiques 2018-2022. Philippe Dallier s'interroge sur la soutenabilité d'une telle réforme.
Enfin, le groupe de travail est unanime : si le transfert de la taxe foncière sur les propriétés bâties vers le bloc communal devait se faire et pourrait être plutôt bien accueilli, il faudra alors nécessairement procéder à une révision des valeurs locatives. Quelle est la position du Gouvernement sur l'opportunité de relancer rapidement la révision des valeurs locatives des locaux d'habitation ?
M. Vincent Éblé, président. - Vous avez indiqué devant nos collègues de l'Assemblée nationale que les crédits du Fonds de compensation de la TVA (FCTVA) ont connu une sous-consommation à hauteur de 500 millions d'euros. Comment l'expliquez-vous ? Quelles sont les perspectives d'exécution concernant l'investissement local en 2017 ?
Le solde budgétaire s'améliore de 1,3 milliard d'euros par rapport à 2016, avec des recettes fiscales supérieures de plus de 11 milliards d'euros à l'exécution 2016. En d'autres termes, la totalité de l'amélioration du déficit est imputable à la reprise de la croissance et à l'encaissement de recettes supplémentaires. On a beaucoup entendu, l'an passé, que des efforts importants sur les dépenses étaient faits pour rattraper les excès du gouvernement précédent. Vous avez évoqué les annulations de crédits en 2017 par rapport à la loi de finances initiale, pour un montant de 5 milliards d'euros. Confirmez-vous ce montant ? S'agit-il d'annulations nettes ou bien de redéploiements ? Pouvez-vous comparer ce chiffre à celui de 2016 ?
Sur la réforme de l'État, vous avez indiqué réfléchir à la possibilité de mettre en oeuvre un plan de départ volontaire pour les fonctionnaires « qui souhaiteraient partir, en conséquence de la réforme de l'État ». Un dispositif existe déjà, permettant aux agents qui démissionnent à la suite de la suppression de leur poste ou de sa restructuration de bénéficier d'une indemnité de départ. Or, il n'a pas rencontré le succès escompté. Pensez-vous réellement que les agents auront davantage recours à la mesure que vous proposez ?
M. Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics. - Nous sommes confiants en ce qui concerne la sortie de la procédure de « déficit excessif ». Nous l'aurions été tout autant même en l'absence de recettes supplémentaires. L'amélioration du solde s'explique, pour un tiers, par l'effort sur les dépenses et, pour deux tiers, par de nouvelles recettes. Même sans celles-ci, nous aurions été sous la barre des 3 %. J'ai été le premier ministre des comptes publics depuis bien longtemps à dégeler l'intégralité des crédits militaires en décembre dernier. C'est bien la preuve que nous avons su prendre des mesures d'économies, parfois impopulaires, tout en pilotant efficacement la dépense.
Que faire de cet argent supplémentaire, qui n'est ni une manne ni une cagnotte ? La loi de programmation des finances publiques prévoit qu'il serve à diminuer le déficit, seule condition pour que notre pays soit pris au sérieux dans sa volonté de baisse des prélèvements obligatoires. Si les prélèvements obligatoires sont élevés et que la dette l'est aussi, c'est parce que les dépenses publiques sont également élevées !
Je veux relever que nous n'avons été aucunement censurés par le Conseil constitutionnel, ni sur la taxe d'habitation, ni sur le remplacement de l'impôt de solidarité sur la fortune, l'ISF, par l'impôt sur la fortune immobilière, l'IFI, ni sur la taxe à 3 %, ni sur la bascule CSG-cotisations. C'est la première fois depuis quinze ans qu'aucune des principales réformes fiscales du Gouvernement n'est retoquée par le Conseil constitutionnel !
Le temps de travail est un levier envisageable. Vous avez raison de dire que tous les agents de l'État ne travaillent pas 1 607 heures, comme le prévoit la loi. Ce sujet fait partie des anciens tabous qu'Olivier Dussopt et moi-même mettrons sur la table. Je ferai simplement remarquer que la question se pose aussi dans les collectivités locales.
Sur la taxe d'habitation, j'ai lu avec intérêt les conclusions du Comité des finances locales. Deux scénarios sont envisageables. Soit l'on opte pour un nouveau dispositif, comme vous le proposez, et alors il faut limiter au maximum les péréquations. Soit l'on donne une fraction des impôts nationaux aux collectivités locales - cela pourrait être la TVA, la CSG, l'impôt sur le revenu...
Sur la question des bases locatives, je vous invite à convoquer le directeur général des finances publiques, ainsi que ceux qui ont travaillé à l'expérimentation menée dans cinq départements. Malheureusement, après deux années de travail, les sondages ne sont que partiels, compte tenu de la complexité du sujet. Éric Woerth, qui a lancé la révision des valeurs locatives des locaux commerciaux, il y a sept ans, est aujourd'hui le président de la commission des finances qui contrôle le lancement de sa propre réforme, laquelle devrait être mise en place dans dix ans...
Faut-il procéder à une révision en profondeur des valeurs locatives ? Pourquoi pas, mais cela risque de prendre des années, voire quelques dizaines d'années... On pourrait considérer que l'impôt local fondé sur la propriété soit fonction de la valeur locative du quartier, mais aussi du revenu, pour éviter les iniquités. L'impôt est aujourd'hui le même, que le logement soit occupé par un avocat d'affaires ou par un salarié de la mairie de Tourcoing...
À l'intérieur des deux scénarios que j'ai évoqués, beaucoup d'options sont possibles, sur lesquelles nous travaillons. Je suis attaché à la préservation du lien entre l'élu et sa fiscalité, sous réserve de gommer les effets négatifs des impôts locaux. Il faut que l'élu ait un intérêt à s'engager dans le développement économique. Je suis prêt à y travailler avec vous. Nous avons trois ans devant nous mais déjà, viendra l'échéance d'octobre avec une première baisse de la taxe d'habitation, pour 80 % des contribuables. Vous pourriez également vous intéresser à la question de la redevance audiovisuelle, qui s'inscrit sur le même support que la taxe d'habitation et mérite une réflexion liée à la réforme de l'audiovisuel public, dont le budget, je vous le rappelle, est supérieur à celui du ministère de la culture...
Le président de la commission a évoqué la question du solde budgétaire. Je crois avoir répondu sur la répartition : un tiers en moindre dépense, deux tiers en recettes supplémentaires. Quant au plan de départ volontaire, il est, en effet, la conséquence de la réforme de l'État. Il en existe déjà, mais ils restent chirurgicaux et peu coordonnés : seuls quelque 1 000 fonctionnaires par an sont concernés. Mais nous entendons simplifier l'organisation administrative. À l'image de ce qui a été fait pour les cotisations Urssaf, nous pourrions imaginer que Bercy, dans un même élan de simplification, décide qu'un seul service sera chargé du recouvrement. On peut aussi considérer que lorsque ce n'est pas le coeur de métier des douanes, la direction générale des finances publiques (DGFiP) récupère le recouvrement. De telles réorganisations auront cette conséquence qu'une partie des agents n'auront plus de service. Pour ceux qui veulent partir, il faudra, à la différence de ce qu'ont fait mes prédécesseurs, y mettre des moyens d'accompagnement et de formation ; pour ceux qui ne le souhaitent pas, il faudra prévoir des formations pour un changement de métier dans l'administration. C'est ainsi que nous imaginons ce plan de départs volontaires. Il n'est pas fait pour valoir partout et tout le temps : ce ne sera pas le cas, par exemple, à l'hôpital ; mais nous souhaitons le mettre sur la table de négociation.
La sous-consommation du FCTVA est liée à la baisse de l'investissement local, plus forte que prévu en 2016, étant entendu que la compensation est fondée sur les dépenses des années n-1 et n-2. Nous n'aurons donc pas ce débat l'an prochain, car l'investissement local repart en 2017, et ce mouvement, qui suit généralement le cycle électoral, devrait se poursuivre en 2018. Pour 2017, la progression serait de 5 %.
S'agissant des ajustements de fin de gestion, je puis vous indiquer qu'en 2016, il y a eu 5,3 milliards d'euros ouverts par décrets d'avances, et 6 milliards d'euros d'ouverture de crédits en fin de gestion 2015.
M. Vincent Delahaye. - J'apprécie le caractère synthétique de votre propos, mais j'ai mal compris les chiffres que vous avez fort rapidement égrenés. Je souhaite donc que notre débat sur la loi de règlement soit plus développé. Vous avez promis des efforts pour que le débat soit large : quelles dispositions entendez-vous prendre à cette fin ? J'aurais aimé que vous nous fournissiez une fiche synthétique sur les comptes de l'État pour 2017. Vous nous dites que le solde s'est amélioré de 6 milliards d'euros, qu'il y a eu 4,3 milliards de recettes supplémentaires, puis vous parlez d'une répartition un tiers-deux tiers tout en indiquant que les dépenses sont, à l'épaisseur du trait près, celles qui avaient été prévues. Si bien que je comprends mal d'où provient la totalité de l'amélioration de 6 milliards d'euros.
Qu'en est-il, au-delà, du montant des charges à payer ? On sait bien que ces charges sont, chaque année, reportées d'une année sur l'autre, et qu'elles ont augmenté, ces dernières années, jusqu'environ 12 milliards d'euros. À quel niveau sont ces charges, fin 2017 ? Et combien y a-t-il de restes à payer - sachant que nous en étions à peu près à 110 milliards d'euros l'an dernier ?
Sur la taxe d'habitation, sachant que le Conseil constitutionnel a plutôt préconisé une suppression totale, comment entendez-vous financer la différence avec les 80 % prévus ? Cela nécessitera-t-il une modification de la loi de programmation des finances publiques ?
Enfin, je souhaiterais que nous disposions d'un bilan des dotations et de la péréquation touchées et versées par les communes pour 2017. J'ai fait le point dans mon département : entre les baisses aveugles de dotations de ces dernières années, les modifications des critères, intervenues entre 2014 et 2017, de la dotation globale de fonctionnement, la DGF, de la dotation de solidarité rurale, la DSR, de la dotation de solidarité urbaine, la DSU et de la péréquation, les disparités ont considérablement augmenté. Le ratio est parfois de 1 à 200, ce n'est pas rien... Or, chaque année, quand on dépose des amendements, on nous objecte qu'il faut surtout ne rien toucher parce que c'est très compliqué. On a pourtant accumulé les réformes ces dernières années, et j'aimerais qu'un état des lieux soit dressé.
M. Didier Rambaud. - Ma première question concerne la fiscalité des acteurs du numérique. Le droit fiscal ne s'est pas adapté à cette révolution, nous en sommes tous convaincus, d'où un manque à gagner. Je sais qu'avec Bruno Le Maire vous souhaitez avancer sur ce sujet. Où en êtes-vous ?
Ma deuxième question a trait aux finances des départements, dont on sait combien ils sont crispés sur la question du financement des allocations individuelles de solidarité. Je suis convaincu qu'il faut aller vers une recentralisation du financement de ces allocations, car la question de l'égalité entre les citoyens de ce pays se pose. Vous venez d'ouvrir la porte pour le RSA, mais quid des autres allocations ?
M. Jérôme Bascher. - L'amélioration constatée dans l'exécution budgétaire, si je vous ai bien compris, tient essentiellement à l'amélioration des recettes : s'agit-il de recettes exceptionnelles ? Avec la bonne nouvelle sur le dernier acompte de l'impôt sur les sociétés (IS), quelle est votre réévaluation pour l'IS 2018 ? Les notes de Bercy laissent à penser qu'il y aurait là, je ne dirai pas une cagnotte, mais un besoin de modifier substantiellement la loi de programmation. Qu'en pensez-vous ?
Où en est-on, ensuite, des dépenses d'investissement, qui préparent l'avenir ? Le sujet me préoccupe d'autant plus que le chiffre de 5 % que vous évoquez pour 2017 concernant l'investissement local me semble concerner des engagements, et non de l'exécution ?
Enfin, la question des contrats me laisse pantois. S'il s'agit de faire des contrats comme pour les militaires, pourquoi pas, mais j'estime que dans la fonction publique, le mode de recrutement normal reste le concours. J'ai vu, dans mon département, trop de recrutements contractuels de complaisance...
M. Michel Canevet. - On ne peut que se réjouir de l'amélioration du solde, malgré des bombes à retardement, comme celle de la taxe sur les dividendes. C'est le signe que la confiance est revenue. Il me reste, cependant, quelques inquiétudes, notamment sur l'évolution des effectifs de l'État et la suppression annoncée de 50 000 postes. Quand on sait que 80 % des effectifs sont à l'Éducation nationale, à la Défense et à l'Intérieur, on comprend que les marges de manoeuvres sont très limitées puisqu'il n'est pas prévu de toucher à ces ministères régaliens, et qu'une augmentation est même programmée pour la Défense. Quelles évolutions envisagez-vous au-delà du plan de départ volontaire ?
Je m'inquiète aussi des perspectives en matière de déficit. La suppression de la taxe d'habitation représente une dépense de l'ordre de 20 milliards d'euros, qu'il faudra bien compenser. Je pense aussi aux perspectives d'augmentation de la dépense publique, avec la loi de programmation militaire, qui prévoit de passer de 33 milliards d'euros à 50 milliards d'euros de dépenses à l'horizon 2025. Des annonces ont également été faites sur le budget de la Justice, sur l'aide au développement et d'autres postes de dépenses. Comment, à ce compte, arrivera-t-on à réduire le déficit, alors que pèse, de surcroît, l'inconnue des charges financières ?
Enfin, peut-on avancer sur la suppression des taxes à faible rendement, qui altèrent la compétitivité économique de certains secteurs ?
M. Claude Raynal. - Je constate qu'à l'Assemblée nationale comme ici, vous êtes marqué par le mot « cagnotte ». Nous, socialistes, avons été aussi marqués par ce terme. Vous nous trouverez à vos côtés pour juger qu'il faut en profiter pour réduire la dette publique... mais je crains que ce ne soit notre seul point d'accord.
S'agissant des résultats, vous annoncez 6 milliards d'euros d'amélioration du déficit en ajoutant des remarques sur l'impact de l'action gouvernementale sur la croissance. Alors que tous les économistes savent qu'il faut à peu près deux ans pour qu'une action gouvernementale se traduise en chiffres, vous considérez avoir obtenu des résultats au terme de six mois ? Restons modestes ! Pour le passé, en revanche, n'oublions pas que nous avions pris les rênes alors que la croissance plafonnait à 0,2 %... Vous bénéficiez aujourd'hui de nos efforts pour la relancer, et c'est une très bonne chose pour le pays. Merci d'avoir reconnu que nous avons procédé aux ajustements nécessaires. Je ne reviendrai pas sur l'époque où l'on nous disait que notre prévision de croissance à 1,5 % était inatteignable. Au final, nous sommes à 2 %. Voilà qui appelle à quelque humilité pour l'avenir. Pour 2018, vous bénéficiez d'un acquis de croissance de 0,7 % : nous verrons en 2019 l'impact de la politique de confiance que vous annoncez.
Les petites polémiques sur l'action de vos prédécesseurs dans les périodes difficiles que nous avons connues n'ont pas lieu d'être : concernant par exemple les décrets d'avance, nous nous trouvons sur des montants fort traditionnels.
Ainsi, je me demande si vous n'êtes pas un peu rongé par le remords. Décider d'une mesure comme la diminution de 5 euros des aides personnelles au logement, qui pèse sur des personnes en difficulté pour n'aboutir, in fine, qu'à une économie de 100 millions d'euros, quand plus de 6 milliards d'euros supplémentaires sont dans les caisses ? Le 12 juillet 2017, vous déclariez ici même, avec une force d'affirmation qui est votre marque : « Pour que les dépenses restent stables en volume, nous ferons 20 milliards d'euros d'économies l'an prochain - ce qui est inédit. » Avant de poursuivre : « Les conférences budgétaires montrent qu'il est plus facile de parler d'économies que de les faire. » Juste remarque, puisque dans la loi de finances pour 2018, ce ne sont plus 20 milliards d'euros que vous annoncez, mais 15 milliards d'euros. Et quand on cherche ces 15 milliards d'euros d'économies, on n'arrive pas à les trouver : nous serions preneurs d'une petite note précisant où ils se nichent.
M. Pascal Savoldelli. - Vous nous parlez, monsieur le ministre, d'une exécution budgétaire qui marque le respect des engagements du Gouvernement.
J'ai fait, pour ma part, un petit travail sur le budget, pour constater qu'il présentait un solde déficitaire primaire de près de 15 milliards d'euros : un chiffre obtenu en soustrayant du déficit les intérêts de la dette et les dépenses d'investissement. Si l'on regarde cela avec l'oeil d'un élu local, tout se passe comme si l'État pouvait financer ses dépenses d'investissement sans parvenir à effectuer le virement de la section de fonctionnement, faute d'excédent. Cela m'inquiète pour la nation. Comment expliquez-vous ce déficit primaire, monsieur le ministre ?
Comment accueillez-vous, c'est ma deuxième question, l'annonce des résultats cumulés des entreprises du CAC 40, à 14 milliards d'euros pour 2017 ? Ces chiffres, en hausse de 20 % sur l'exercice 2016, ne rendent-ils pas quelque peu vains certains des commentaires qui ont accompagné le collectif budgétaire de l'automne et la fameuse majoration « exceptionnelle » de l'impôt sur les sociétés ? Cela ne pourrait-il justifier un moratoire d'une année sur la baisse programmée de l'impôt sur les sociétés, et le maintien de la majoration exceptionnelle ?
Nous allons débattre du projet de loi « pour un État au service d'une société de confiance ». Belle séduction linguistique, car comment escomptez-vous mettre en oeuvre le droit au contrôle que vous entendez instituer, selon un processus largement inspiré des modes de fonctionnement de l'administration fiscale, administration naturelle du processus déclaratif et de la procédure contradictoire ? Le projet de loi peut-il décemment se combiner avec votre logique de suppression de 120 000 emplois d'ici à 2022 - à moins qu'il faille plutôt parler de départs choisis, volontaires, construits, coconstruits, participatifs ou que sais-je encore ? Il n'en reste pas moins qu'il va falloir assumer cette politique. Car n'oubliez pas que mes collègues de la majorité sénatoriale en veulent encore plus - je vous renvoie au programme de leur candidat à la présidentielle... Ils vont donc vous demander des comptes.
Vous évoquez d'autres textes, enfin, qui laissent pressentir que l'on va beaucoup solliciter les collectivités territoriales. On va demander au « bloc communal » - si bien que l'on ne sait trop s'il s'agira de la commune ou de l'intercommunalité - de construire des maisons du service public, pour compenser le désengagement de l'État.
Que ne nous dites-vous qu'il faut bâtir un authentique service public du logement, alliant information, traitement de la demande sociale et protection des droits, et un service public du grand âge, de la dépendance et de l'autonomie ? Cela, je crois, pourrait nous rassembler, car ce serait une vraie innovation sociale.
M. Gérald Darmanin, ministre. - Si j'ai parlé de manière synthétique, Vincent Delahaye, c'est que votre demande était d'évoquer plusieurs sujets aujourd'hui.
Je partage votre avis sur la loi de règlement. Le Gouvernement est disposé à passer des semaines entières, s'il le faut, de débats, cet été, sur l'emploi qui a été fait, par chaque ministère, de ses crédits. Je vous engage à solliciter le président Larcher, dans le cadre des révisions du travail parlementaire à venir.
Le Conseil constitutionnel n'a pas encouragé, comme vous semblez le dire, la suppression totale de la taxe d'habitation. Il a dit que le Gouvernement n'attentait ni à l'article 72 de la Constitution ni à l'autonomie financière des collectivités territoriales en supprimant la taxe d'habitation pour 80 % des Français par voie de dégrèvement, mais il a prévenu le Gouvernement que s'il devait aller vers un dégrèvement plus important, il ne devrait pas méconnaitre la loi constitutionnelle de 2003, qui a prévu que l'autonomie financière des collectivités reposait sur des recettes propres fixées à leur niveau de 2003. Autrement dit, à 80 %, nous sommes encore à ce niveau de 2003, mais si nous allons plus loin, pour les 20 % supplémentaires, soit encore quelque 9 milliards d'euros, cette question des recettes propres se poserait. En revanche, le Président de la République a bien annoncé, par communiqué de presse, qu'il allait vers la suppression. Ce qui suppose de rebâtir le mikado des impôts locaux, comme nous l'avons évoqué, en prévoyant au minimum que les recettes propres des collectivités territoriales correspondent au niveau de ressources propres de 2003.
Sur les 6 milliards d'euros d'amélioration du déficit par rapport à la prévision associée à la dernière loi de finances rectificative, un tiers provient d'économies sur la dépense, et deux tiers de l'IS, pour un peu plus de deux milliards d'euros, et de la TVA, pour un peu plus d'un milliard d'euros.
Parmi les mesures d'économies, alors que 3 milliards d'euros de dépenses n'avaient pas été prévus par le gouvernement précédent, nous avons fait, non seulement des économies, qui vont, pour un tiers, dans le déficit amélioré, pour la moitié à Areva, dont la recapitalisation n'était pas provisionnée, et pour le reste, servir à résoudre, en urgence, le problème de la taxe à 3 % sur les dividendes, également financé pour moitié par la taxation des entreprises les plus importantes. Voilà, Vincent Delahaye, qui devrait vous éclairer sur les chiffres, que je m'excuse d'avoir livrés trop rapidement.
Pour ce qui concerne les restes à payer, ils étaient de 107 milliards d'euros en 2016, 119 milliards d'euros en 2017 et je ne dispose pas encore des chiffres pour 2018.
M. Vincent Delahaye. - Et pour les charges à payer ?
M. Gérald Darmanin, ministre. - Nous n'avons de chiffres que pour 2016.
M. Vincent Delahaye. - Comment parler, dans ce cas, de résultat pour 2017 ?
M. Gérald Darmanin, ministre. - On n'a pas, en comptabilité générale, l'intégralité des charges à payer pour l'année 2017. Nous n'en sommes pas encore à la loi de règlement : je n'ai pas l'intégralité des comptes publics en droits constatés et je ne dispose que de premiers résultats en comptabilité budgétaire.
Sur la fiscalité du numérique, Didier Rambaud, Bruno Le Maire aura bientôt l'occasion de revenir vers vous à la suite des négociations européennes : c'est une question que nous souhaitons régler à ce niveau. Nous avons, en l'attente, voté des dispositions nationales, que vous avez vues passer en loi de finances, comme celle concernant la collecte de la taxe de séjour par les plateformes numériques. Nous avons toujours beaucoup de contentieux fiscaux soulevés par des entreprises du numérique, parfois très importantes, qui contestent la fiscalité actuelle, avec la question, complexe, de l'établissement stable - et je vous rappelle que la France a perdu la plupart de ses procès, lorsque le tribunal administratif de Paris a donné raison à ces entreprises. Malgré cela, j'ai déclaré, dans Les Echos, que j'étais plus favorable à un bon accord qu'à un mauvais procès. Nous avons pu régler par cette voie des difficultés en faisant payer à certaines entreprises le juste impôt, mais pas à toutes, car je n'ai pas actuellement la possibilité de faire éteindre une poursuite pénale, indépendante de la poursuite administrative. C'est un problème, car les entreprises ne souhaitent entrer dans un accord que s'il éteint les poursuites.
Vous m'interrogez sur le financement des allocations individuelles de solidarité. Je crois qu'il faut avancer sur l'idée, portée par plusieurs candidats à la présidentielle, d'une allocation unique sociale : c'est à partir de là qu'il faudra réfléchir à son financement.
Nous n'allons pas réviser, Jérôme Bascher, nos prévisions de recettes pour l'IS. D'abord parce que nous peinons à expliquer pleinement la rentrée d'IS, ensuite parce que nous considérons que la croissance n'est au rendez-vous que lorsqu'elle se constate. Or, des évènements internationaux montrent que la France et l'Europe sont assez sensibles au contexte général - voyez l'effet des décisions fiscales et commerciales prises par le président américain. À quoi s'ajoute l'incertitude sur les taux d'intérêts, même s'ils restent en deçà de l'augmentation que nous avons prévue dans le projet de loi de finances. Sans parler de ce qui aurait pu se passer en Allemagne, de ce qui se passe en Italie, du Brexit, avec ses conséquences économiques. J'ajoute que la croissance reste en dessous de la moyenne européenne. Nous attendons que soient constatés, par le comptable européen, les chiffres de 2017, avant d'avoir une discussion, en avril ou mai, sur les prévisions du Gouvernement. Mieux vaut, en ces matières, un excès de prudence que le contraire.
Sur la question des contrats, je comprends que vous leur reprochez une part de clientélisme. Mais si les élus sont responsables pour gérer leurs finances, ne le sont-ils donc pas pour gérer leur masse salariale ? Et quiconque a travaillé en collectivité sait que pour embaucher des informaticiens ou travailler sur une mission de projet, mieux vaut sans doute recruter par voie contractuelle que par une embauche à vie. Je ne nie pas qu'il puisse exister des problèmes, mais ils sont minoritaires, et le contrôle de légalité du préfet est là pour y veiller. Surtout, il me paraît important qu'existent des allers-retours entre le privé et le public, pour un meilleur partage des expériences.
Vous évoquez, Michel Canevet, la question des effectifs. Je vous rappelle qu'à l'Éducation nationale, il n'y a pas que des professeurs, mais aussi des personnels administratifs qui peuvent avoir la volonté de faire mieux dans le cadre d'« Action publique 2022 ». Vous oubliez, aussi, le champ des opérateurs. Surtout, des décisions peuvent être envisagées mission par mission. Il y aura bien 120 000 suppressions d'ETP (équivalent temps plein) dans la fonction publique, dont 70 000 dans les collectivités territoriales et 50 000 pour l'État, conformément à l'engagement du Président de la République, et il y a, par ailleurs, la possibilité de départs volontaires dans le cadre de fusion de services, par exemple. J'assume cette politique.
Certains ministères se transforment profondément. Dans celui que je gère, la transformation des métiers est profonde. Les trésoreries ne correspondent quasiment plus aux cartes intercommunales voulues par les élus, et dans certaines, gérées par un ou deux agents seulement, le service public n'est plus rendu au moindre congé. Sans doute serait-il plus intelligent de fonctionner différemment. Dans la moyenne des collectivités, on est à plus de 50 % de dématérialisation des procédures budgétaires. Le prélèvement à la source de l'impôt doit aussi produire des économies d'échelle. Je vais présenter un projet de loi de lutte contre la fraude fiscale : il faudra trouver le moyen d'aider les agents. Les contrôleurs de terrain que j'ai rencontrés souhaiteraient, par exemple, n'avoir pas à demander officiellement à l'Urssaf une indication qu'elle a déjà fournie, afin de ne pas perdre trois mois. Notre approche n'est pas comptable : nous regardons d'abord les missions, sans tenir un compteur sur les agents.
Sur les taxes à faible rendement, vous avez raison...
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Il serait bon que cela se traduise en loi de finances.
M. Gérald Darmanin, ministre. - Je vais précisément prévoir en loi de finances un budget important pour supprimer ces taxes. Je pense à la taxe sur les farines...
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Et celle sur les contrats d'échange sur défaut (credit default swap - CDS) des États souverains, qui ne trouve plus à s'appliquer !
M. Gérald Darmanin, ministre. - Nous en dresserons la liste et en supprimerons chaque année. Et je proposerai même un moratoire sur la création de nouvelles petites taxes.
Claude Raynal parle des aides personnelles au logement à la manière dont on entend parler, après le match, ceux qui disent « vous auriez dû... ». C'est facile de le dire après coup.
M. Claude Raynal. - Tout cela pour 100 millions d'euros.
M. Gérald Darmanin, ministre. - Il s'agit de 400 millions d'euros. Le 13 décembre dernier, vous avez vous-même déclaré : « Si nous avons connu autant de décrets d'avance en cours d'année, c'est bien parce qu'il y a eu des sous-budgétisations lors de l'établissement de la loi de finances pour 2017, je le reconnais, et c'était une année électorale, monsieur le ministre, il a donc fallu geler des crédits pour faire fonctionner l'État. » Au reste, pourquoi la Cour des comptes aurait-elle, sinon, enjoint le Gouvernement de trouver ces mesures d'économie ? Elle en demandait huit milliards d'euros, nous avons réalisé cinq milliards d'euros, et nous verrons ce qu'il en sera en avril.
Pascal Savoldelli me pose la question du déficit. Je partage sa préoccupation : nous dépensons 25 % de plus que nos recettes. Doit-on rechercher plus de recettes ou dépenser moins ? C'est en effet une question politique. Quant aux collectivités territoriales, leurs dépenses diffèrent de celles de l'État. D'abord, un quart des dépenses de l'État va directement aux collectivités territoriales. Et l'État supporte aussi des dépenses régaliennes contrairement au secteur local. Si bien que la comparaison me paraît difficile même s'il ne s'agit pas, je le reconnais, de reporter tout l'effort budgétaire sur les collectivités territoriales.
On demande aux collectivités territoriales, dites-vous, de faire des maisons de service public. Je pense que l'État doit en faire, mais je constate que sur le terrain, beaucoup d'élus ont souhaité en créer, y compris en intercommunalité. La simplification administrative veut que l'on essaye de mettre l'ensemble des services publics dans ces maisons, en « partageant les frais », si vous me permettez l'expression. Je rappelle également que les maires sont aussi, comme officiers d'état-civil, des agents de l'État. Quand les élus assurent un service public au nom de l'État, il ne me paraît pas inconvenant qu'existent des mutualisations autour de ces maisons. Il ne s'agit nullement de demander aux collectivités de faire des maisons de service public en raison d'un désengagement de l'État. Prenons l'exemple des trésoreries : plutôt qu'en avoir une avec un ETP pour 15 communes dont l'intercommunalité a redéfini les missions, je propose que les agents des finances publiques viennent, plus nombreux, assurer une permanence dans les maisons de service public. D'autant qu'un quart des trésoreries de France n'accueille pas plus de sept personnes par semaine. Il y a un copartage intelligent à établir.
Vous m'interrogez, enfin, sur le droit au contrôle : nous aurons l'occasion d'en reparler lors de l'examen du projet de loi « droit à l'erreur ».
M. Julien Bargeton. - La lutte contre la fraude fiscale fait partie de l'actualité de votre ministère, où va se créer un service d'enquêtes judiciaires sur le modèle de ce qui existe pour les douanes. Comment cela s'articulera-t-il avec la question du verrou de Bercy et la commission des infractions fiscales ? La fraude mine la confiance : pouvez-vous nous en dire davantage sur les axes et le calendrier du projet de loi à venir, et sur son articulation avec la question de l'harmonisation européenne sur l'assiette commune consolidée de l'impôt sur les société, l'Accis, en particulier s'agissant des prix de transfert ?
Mme Christine Lavarde. - Les travaux du comité « Action publique 2022 » vont bientôt être rendus publics, en avril. Je suis membre de ce comité, et je me suis aussi rendue au Canada, où j'ai pu échanger sur la réforme canadienne qui, après quatre années difficiles, a permis de dégager onze budgets excédentaires consécutifs. Le gouvernement canadien affichait une vision claire : nous ne pouvons pas laisser cette dette à nos enfants. Or, vous présentez, pour votre part, trois objectifs et six principes clés : comment traduire cela en un message clair pour la population ?
Au Canada, cette réforme culturelle profonde a été menée à l'initiative de l'administration, relayée par un portage politique jusqu'au Premier ministre, qui a arbitré, et l'ensemble des décisions à mettre en oeuvre ont été annoncées concomitamment. En France, les réformes concernant la fonction publique ont été annoncées à l'issue du comité interministériel de la transformation publique du 1er février dernier, tandis que celles qui concernent les politiques sectorielles ne le seront qu'à l'issue du prochain comité interministériel. Plus largement, comment entendez-vous mettre en oeuvre le dispositif ? J'ai cru comprendre qu'il n'y aurait pas un projet de loi dédié, mais que vous utiliseriez, au fil du quinquennat, différents véhicules législatifs.
On ne peut que regretter, enfin, la brièveté du délai, de novembre à février, laissé au comité : comment entreprendre de bâtir une réforme de l'action publique en un temps si court, sauf à penser que le comité n'a servi que de faire-valoir, et que les décisions étaient déjà prises par l'administration ?
M. Roger Karoutchi. - La baisse annoncée des effectifs dans la fonction publique reste très floue. Dans les pays qui ont réussi une politique de départs volontaires, le secteur privé allait bien et les personnels quittaient le secteur public dans des conditions positives, avec une chance de retrouver un emploi. Tant que nous serons dans le chômage de masse, les départs volontaires ne seront pas nombreux. Vous comptez, dites-vous, sur plusieurs dizaines de milliers de réduction d'ETP dans les collectivités. Mais vous n'y avez pas la main, si bien que je ne suis pas sûr que les départs volontaires puissent s'établir à 120 000 ETP sous cinq ans. La révision générale des politiques publiques, la RGPP, avait bien des défauts, mais son côté mécanique avait du moins la vertu de faire baisser les effectifs.
Vous êtes intervenu sur le rapprochement des stations France Bleue et France 3 et avez évoqué la redevance audiovisuelle : êtes-vous favorable à un universalisme de cette taxe ?
Mme Sylvie Vermeillet. - Ma question a trait à la réduction de la dette et sa programmation sur le quinquennat. Comme l'a dit Michel Canevet, des investissements sont programmés, en matière militaire et de justice. Je pense aussi aux 50 milliards d'euros de dette de la SNCF, dont la réforme est engagée : l'État a-t-il les moyens de reprendre cette dette, et comment ?
Vous avez parlé tout à l'heure de « taxe foncière améliorée » : serait-ce le début d'un nouvel impôt ?
M. Charles Guené. - Vous nous avez dressé un panel des alternatives à la taxe d'habitation. Vous nous proposez de reparler de cette question à la rentrée, mais ne serait-il pas préférable que nous évoquions de nouveau la question avant l'été, sur des bases plus précises ?
Vous avez évoqué la décision du Conseil constitutionnel, qui n'exigerait pas la suppression totale de la taxe d'habitation. Selon moi, une suppression partielle de cette taxe soulève tout de même la question de l'équité devant l'impôt.
Enfin, pourriez-vous nous donner le montant attendu de la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises, la CVAE, pour 2018 ou, à tout le moins, son pourcentage d'évolution par rapport à 2017 ?
M. Jacques Genest. - Depuis 2017, le sport national consiste à diminuer le nombre de fonctionnaires. Pourquoi pas, mais dans quels secteurs ? Je propose deux pistes : dégraisser le mammouth du ministère des finances - en particulier les hauts fonctionnaires, qui sont pléthoriques -, et s'attaquer aux agences qui sont régulièrement créées et dont le coût de fonctionnement est très élevé. L'État ne devrait-il pas reprendre les compétences de certaines d'entre elles - l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, les agences régionales de santé, les agences de bassin qui ne serviront bientôt plus à rien pour les communes et collectivités ?
S'agissant de la fiscalité locale, je suis favorable à la première option. Avec la deuxième option, dans laquelle la gestion d'une part d'impôts nationaux est confiée aux collectivités locales, ne craignez-vous pas d'accroître les inégalités entre territoires riches et territoires pauvres ?
Une de vos pistes de travail porte sur le recentrage de l'aide sociale. Permettez-moi de vous dire que vous allez enfin réaliser le rêve de tous les technocrates : supprimer le département, déjà mis à mal par les métropoles !
Enfin, pour avoir dirigé pendant quelques années une petite trésorerie, je peux vous assurer qu'elles sont tout aussi efficaces que les grosses !
M. Bernard Delcros. - Nous partageons évidemment votre objectif d'affecter les fruits de la croissance à la réduction des déficits et au désendettement. Vous espérez même atteindre l'équilibre : est-ce vraiment réaliste, et dans quels délais ?
J'aimerais également connaître votre point de vue sur une éventuelle augmentation des taux d'intérêt.
Les allocations individuelles de solidarité relèvent, à mes yeux, de la solidarité nationale. Les faire financer par des contribuables locaux ne me paraît donc pas opportun. Je suis favorable à l'affectation d'une part d'impôt national à ces dépenses, ce qui constituerait un engagement de solidarité nationale et de péréquation. Êtes-vous favorable au fléchage de cette part vers le bloc communal ? Si c'est le cas, vous orientez-vous plutôt vers la TVA ?
Nous aurions intérêt à anticiper le vieillissement de la population, dont le corollaire est l'augmentation de la dépendance, car il engendrera des dépenses supplémentaires. Comment financerons-nous demain ces nouvelles dépenses ?
En ce qui concerne la fiscalité locale, souhaitez-vous simplement mettre en place un mécanisme pour compenser la suppression de la taxe d'habitation ou allez-vous vers une réforme plus large ?
Enfin, je suis favorable à une évolution du statut de la fonction publique, qui ne peut rester figé dans un monde en évolution.
M. Sébastien Meurant. - La dette représente près de 100 % de la richesse produite par la France en une année. Le déficit prévu pour 2018 s'élève à plus de 80 milliards d'euros. Dire que l'on veut maîtriser le déficit tout en commençant par l'augmenter dans le premier budget n'envoie pas un bon signal.
Vous avez dit que la règle d'or ne s'appliquait pas à l'État et que les charges de l'État n'étaient pas comparables à celles des collectivités locales. Mais, avant 1974, l'État avait bien plus de charges régaliennes qu'aujourd'hui ! Nous assistons à un transfert de certaines missions régaliennes aux collectivités.
La France est le pays dans lequel la dette est la plus importante et le taux de prélèvements obligatoires le plus élevé - nous sommes passés devant le Danemark en 2017. Comment changer cette situation sans volonté réelle assumée ? On peut compter sur la croissance, mais elle dépend pour partie de facteurs exogènes - baisse des taux, faiblesse du prix du pétrole, croissance des autres pays. Il faudrait des réformes claires portant sur le nombre de fonctionnaires et le millefeuille territorial. La question des agences doit également être soulevée.
M. Victorin Lurel. - Je suis le rapporteur spécial du compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État ». Pourriez-vous confirmer ou infirmer les rumeurs qui circulent sur la privatisation de la Française des jeux (FDJ) et d'Aéroports de Paris ? Quelles seront les modalités de révision de la législation sur les jeux en ligne ?
M. Gérald Darmanin, ministre. - Le Gouvernement a déjà pris des dispositions pour lutter contre la fraude fiscale dans le cadre du projet de loi de finances pour 2018 et du projet de loi de finances rectificative, mais il compte faire davantage dans le prochain budget. Quelques pistes : nous pourrions pénaliser les montages frauduleux, et non plus seulement la fraude ; utiliser davantage, au sein de la DGFIP, les données comme le big data et les algorithmes ; coordonner les services de renseignement fiscal - Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières, Tracfin - et les services de renseignement de la DGFIP ; créer un service de police fiscale, qui n'existe plus à Bercy. Nous aurons l'occasion d'en reparler avec le projet de loi transmis au Conseil d'État.
Sur « Action publique 2022 », je ne suis pas sûr que la comparaison avec le Canada soit pertinente. L'Italie fait par ailleurs des choses intéressantes. Ce que nous avons souhaité, Christine Lavarde, c'est un regard extérieur qui fasse des propositions, lesquelles seront ensuite soumises par le Gouvernement au débat politique, syndical et parlementaire. Il n'y aura pas de projet de loi global, mais les réformes seront portées ministère par ministère, ou par moi-même pour ce qui relève de l'interministériel. Nous n'en avons pas moins avancé sur un certain nombre de réformes auxquelles s'était engagé le Gouvernement : c'est le cas de la réforme de la SNCF, de la formation professionnelle, ce sera le cas de la réforme des retraites, sur laquelle le Président de la République s'exprimera prochainement, et celle de la fonction publique, qui laissera aux fonctionnaires le temps, en 2018, de parler de leur rémunération et de leur statut, comme ont pu le faire les salariés du privé.
Sur l'audiovisuel, Roger Karoutchi, je me garderai bien de donner un avis, sinon pour dire qu'il est celui du Président de la République. Mais je sais que vous êtes bien placé pour sonder les reins et les coeurs. Il est évident qu'il faut réformer l'audiovisuel public qui doit mieux s'adapter au public français, et atteindre une qualité que l'on ne trouve pas dans le privé, qui n'est pas chargé d'une mission de service public. Il est certain, par ailleurs, que la façon dont l'audiovisuel est financé ne correspond pas aux usages puisque seuls ceux qui ont un poste de télévision payent la redevance, alors qu'il existe d'autres façons de regarder les programmes. Cela pose d'ailleurs la question des plateformes internet, qui organisent une gratuité sauvage en récupérant des produits sans qu'il soit tenu compte de leurs coûts de production. Réfléchissons d'abord à la réforme de l'audiovisuel, et l'on calibrera ensuite la réforme des recettes.
Il reste que je constate que le budget de l'audiovisuel public est supérieur à celui de la culture, ce qui doit susciter des interrogations chez les élus des territoires que vous êtes, d'autant qu'une grande partie du budget de la culture va à la région parisienne, voire à Paris seul. Lorsque je suis arrivé aux responsabilités, les trois grands projets qui m'ont été présentés étaient parisiens, ce qui peut conduire à se poser des questions, surtout pour un adepte de la politique culturelle de Malraux.
La question de la dette publique, Sylvie Vermeillet, est importante : elle atteint presque 2 200 milliards d'euros, soit quasiment 100 % du PIB. Nous avons prévu, dans notre trajectoire, une décrue à partir de 2020. Peut-être que sous l'effet de notre politique, et de la croissance, cela viendra plus tôt. Si nous n'avons pas choisi une trajectoire plus sévère, c'est que nous pensons que des ressauts budgétaires sont parfois nécessaires, et qu'il est bon d'investir pour mieux économiser ; c'est le cas des projets informatiques, comme vous le constaterez avec le projet de loi de programmation pour la justice, où vous verrez les efforts que nous entendons faire pour simplifier la procédure pénale, la numériser et économiser du temps, de l'énergie et des agents publics.
Sur les 50 milliards d'euros de la dette de la SNCF, 11 milliards d'euros sont déjà dans la dette publique. Le ministre des comptes publics que je suis a évidemment martelé que sa reprise ne saurait être un préalable à une réforme de l'entreprise. Si tel était le cas, le problème se reposerait dans vingt ans puisque la SNCF produit chaque année entre 2,5 et 3 milliards d'euros de dette. Amorçons sur la réforme de la SNCF courageusement annoncée par le Premier ministre, et regardons, in fine, où on en est.
Lorsque j'ai parlé de taxe foncière améliorée, je voulais seulement dire que des améliorations substantielles sont possibles - le rapporteur général, qui m'interroge souvent sur les valeurs locatives, me comprendra - sans songer à un nouvel impôt. Il ne s'agit nullement de compenser la suppression de la taxe d'habitation pour 80 % des ménages, 3 milliards d'euros d'impôt en moins, comme chacun pourra l'éprouver dès la rentrée.
S'agissant de l'équilibre budgétaire, il est prévu qu'en 2022, nous serons à moins 0,3 % - c'est à dire à 7 milliards d'euros de l'équilibre. Il se peut, si nous gérons bien les comptes publics et que la croissance est au rendez-vous, que nous soyons à l'équilibre, ce qui ne serait pas arrivé depuis quarante ans. Une chose est presque certaine, je serai, sans me rengorger pour autant car on ne tombe pas amoureux d'un chiffre, le premier ministre des comptes publics à avoir contenu le déficit en dessous de 3 % du PIB.
Une augmentation d'un point des taux d'intérêt de la dette signifierait 3 milliards d'euros à payer tout de suite. Ce serait une difficulté, mais je veux vous rassurer : ce que nous avons prévu dans le projet de loi de finances nous laisse une marge.
J'ai mal compris la démonstration qui m'a été faite sur le déficit par Sébastien Meurant. Toutes administrations publiques confondues, le déficit baisse, pour la première fois. Oui, le déficit de l'État augmente, mais parce que c'est l'État qui a opéré presque l'intégralité des baisses de fiscalité, avec la réforme de l'ISF, la flat tax, la taxe d'habitation, pour un total de près de 10 milliards d'euros, et que la hausse des recettes, notamment la CSG, bénéficie à d'autres secteurs de l'administration publique. Il nous a manqué un débat parlementaire pour constater que votre raisonnement est manifestement faux. Je ne peux pas plus vous laisser dire que la dépense publique augmente comme avant. J'aurais aimé tenir la promesse du Premier ministre du 0 % d'augmentation de la dépense publique, et il est vrai que je n'y suis pas totalement parvenu. Il n'est pas facile de baisser la dépense, au même titre qu'il est difficile de maigrir ou de changer ses habitudes, mais je constate que j'ai été le ministre des comptes publics qui vous a proposé, pour la première fois depuis quinze ans, une croissance des dépenses deux fois moindre que celle de ces quinze dernières années. Oui, les dépenses augmentent encore en valeur absolue mais en pourcentage du PIB, la dépense publique baisse.
M. Jacques Genest. - Vous n'avez pas répondu à ma suggestion.
M. Gérald Darmanin, ministre. - Je l'ai pourtant évoquée tout à l'heure, pour toutes les agences de l'État et y compris dans les trésoreries. Je constate que c'est un mal bien français que de ne voir les économies que chez les autres.
M. Jacques Genest. - Et l'administration centrale ?
M. Gérald Darmanin, ministre. - Attention aux arguments contre intuitifs. Sur les 1 600 suppressions de postes proposées, il y en a 1 450 dans mon ministère. Cela a d'ailleurs commencé par mon cabinet, où j'ai divisé par trois le nombre de collaborateurs. L'effort vient essentiellement de la DGFIP, car nous avons fait un petit ressaut pour les douanes, du fait du Brexit. Le ministère des finances a tout particulièrement contribué à la diminution des emplois publics, puisqu'il a participé pour 40 % à 50 % aux suppressions, quels que soient les gouvernements.
Sur les salaires des hauts fonctionnaires, enfin, on peut engager un débat démagogique, y compris pour les ministres et les parlementaires, et considérer que c'est toujours trop.
M. Jacques Genest. - Je parlais du nombre, pas des salaires.
M. Gérald Darmanin, ministre. - Je rappelle que je suis le ministre des comptes publics qui a la difficile tâche de corriger les salaires que proposent les autres ministres, et il est rare que je ne fasse pas d'observations, y compris sur les indemnités.
Cependant, lorsqu'il faut gérer des choses aussi difficiles que la réforme de l'État, la transformation des administrations ou l'Agence des participations de l'État, il faut aussi s'interroger sur la façon dont on peut recruter, attirer et rémunérer des agents publics. C'est d'ailleurs tout aussi vrai pour les agents de catégorie C, dont certains sont très mal payés, ce qui n'aide pas. J'ai pu le constater aux Antilles : la rémunération ne fait pas tout mais elle compte aussi. L'État doit accepter, dans les territoires qui connaissent des difficultés, d'user de ressauts budgétaires pour être au rendez-vous de ce que demande l'action publique, ses territoires et ses populations.
Des ajustements sur le salaire des seuls hauts fonctionnaires ne permettront pas de régler le déficit de l'État, de même qu'il est démagogique de dire que la diminution du nombre de parlementaires a pour unique objet de réduire le budget des assemblées.
Victorin Lurel, nous ne voulons pas rompre avec le monopole de la FDJ. Nous étudions la possibilité d'ouvrir son capital. L'État doit conserver son pouvoir de régulation et garder la main sur l'entreprise, même si sa participation est en dessous de 50 %. La solution que nous retiendrons ne doit pas aller à l'encontre de notre politique de santé publique, notamment sur la question de la dépendance aux jeux.
Bruno Le Maire est responsable des autres entreprises publiques. Il est prévu que le produit de la vente des actions ne soit pas versé au budget général, mais qu'il puisse être « recyclé » dans un fonds pour l'innovation de rupture, afin d'aider à la transformation de notre économie.
Enfin, la CVAE devrait augmenter d'environ 1 % en 2018. Des départements connaîtront une hausse importante, de 44 % pour Mayotte et de 9 % pour la Sarthe.
La réunion est close à 18 h 45.