Mardi 14 novembre 2017

- Présidence de M. Vincent Éblé, président -

La réunion est ouverte à 9 h 05.

Projet de loi de finances pour 2018 - Mission « Justice » (et article 57 ter) - Examen du rapport spécial

M. Antoine Lefèvre, rapporteur spécial. - Les crédits de la mission « Justice », concernent les moyens de la justice judiciaire, de l'administration pénitentiaire et de la protection judiciaire de la jeunesse.

Le Gouvernement propose une augmentation significative des moyens du ministère de la justice, de 3,95 % en 2018, qui se poursuivrait sur toute la période triennale, entre 2018 et 2020. Cette trajectoire témoigne d'une prise de conscience partagée : une remise à niveau des moyens de notre système judiciaire est indispensable. Même les ministères de l'intérieur et de la défense ne sont pas aussi bien traités. Pour autant, les résultats demeurent mitigés, avec une surpopulation carcérale en hausse, notamment dans les maisons d'arrêt, et un allongement des délais de traitement des contentieux.

Par ailleurs, les comparaisons européennes demeurent frappantes : alors qu'en France, on compte 10 juges pour 100 000 habitants, ils sont 24 en Allemagne et 19 au Portugal. De même, alors que notre pays consacre 72 euros par habitant à ses juridictions, ce montant s'élève à 95 euros en Italie et jusqu'à 146 euros en Allemagne.

La moitié des 330 millions d'euros supplémentaires dont bénéficierait la mission « Justice » est destinée aux dépenses de personnel. Il s'agit ainsi de financer à la fois les recrutements intervenus l'année dernière mais aussi les créations de postes prévus l'année prochaine. En effet, 1 000 emplois seraient créés en 2018, notamment pour renforcer les effectifs de surveillants pénitentiaires.

Je doute, cependant, que ce plan de recrutements ambitieux suffise à améliorer la situation, notamment en raison du manque d'attractivité de certains métiers du ministère de la justice. Les surveillants pénitentiaires sont particulièrement concernés, avec un taux de vacance de près de 7 % en 2016 et des difficultés à recruter.

Mais c'est aussi le cas des fonctionnaires des services judiciaires, dont le taux de vacances s'élève à plus de 7 % au 1er janvier, contre 4,5 % en 2008. La situation est particulièrement préoccupante dans les cours d'appel de Paris et de Versailles. La direction du tribunal de grande instance de Bobigny, que j'ai rencontrée, m'a ainsi fait part de sa difficulté quotidienne à assurer la continuité du service de l'action judiciaire, notamment en raison du manque de greffiers.

Si le plan de transformation numérique du ministère, prévu dans ce projet de budget, pourrait contribuer à sa modernisation, il ne sera pas suffisant : le ministère de la justice enregistre en effet un retard considérable en matière d'équipements et de logiciels informatiques ; en outre, l'informatique ne constitue qu'un outil, certes susceptible de produire des gains de productivité, mais qui ne saurait remplacer des réformes d'organisation ou de procédure.

Les dépenses immobilières des juridictions augmentent de 17,5 %, soit plus de 70 millions d'euros, dont plus de 50 millions d'euros en raison de la mise en service, en 2018, du nouveau Palais de justice de Paris, sur le site des Batignolles. En vertu du contrat de partenariat public-privé, le coût total prévisionnel des loyers, prévus sur une période de 27 ans, s'élèvera à 2,3 milliards d'euros.

Au contraire, l'immobilier pénitentiaire enregistre une réduction de ses dépenses, ce qui s'explique notamment par la fin d'importants chantiers de rénovation, partiellement compensée par les premiers versements de loyers au titre du partenariat public-privé concernant la prison de La Santé, qui devrait être livrée en juin prochain.

Néanmoins, une enveloppe de 26 millions d'euros serait consacrée aux projets de construction de nouveaux établissements (cinq maisons d'arrêt et six quartiers de préparation à la sortie), conformément au projet du Président de la République de construire 15 000 places de prison sur les dix prochaines années.

Le renchérissement de l'aide juridictionnelle (dont le montant progresse de 7 %, soit 31 millions d'euros), est dû au coût des réformes passées, en particulier la revalorisation de l'unité de valeur à partir de laquelle est calculée la rétribution de l'avocat.

La prévision concernant les frais de justice paraît assez ambitieuse : l'augmentation de 10 millions d'euros résulte d'une hausse tendancielle de plus de 40 millions d'euros, qui serait en partie compensée par des mesures d'économies, dont 15 millions d'euros grâce à l'utilisation de la plateforme nationale des interceptions judiciaires (PNIJ).

C'est désormais cette plateforme que doivent utiliser les enquêteurs pour réaliser les écoutes ordonnées par le juge. Si la PNIJ permet effectivement de réduire les frais de justice, puisqu'elle réduit les tarifs des réquisitions adressées aux opérateurs et met fin aux dépenses de location de matériel, les utilisateurs (et en premier lieu les services enquêteurs) se plaignent de dysfonctionnements, du manque de certains outils ou encore de défauts d'ergonomie.

Des crédits sont prévus pour initier une deuxième version de la PNIJ, qui devrait permettre de se dégager, au moins en partie, de Thalès, d'introduire davantage de concurrence voire de reprendre en charge au sein du ministère certains éléments du programme.

Les informations communiquées par le secrétariat général du ministère de la justice sont plutôt encourageantes, notamment depuis qu'un référé de la Cour des comptes a conduit le Premier ministre à porter ce sujet au niveau interministériel. Toutefois, ce projet stratégique mérite toute notre attention.

Enfin, je terminerais sur les projets de la protection judiciaire de la jeunesse : 40 éducateurs supplémentaires seraient recrutés, afin notamment de renforcer le milieu ouvert. Je note à ce titre que la promesse du Président de la République de construire des centres éducatifs fermés supplémentaires n'est pas budgétée : ces centres, qui constituent une alternative à l'incarcération des mineurs, enregistrent un coût de journée élevé (659 euros en moyenne), et une évaluation ainsi qu'une estimation précise des besoins devraient être réalisées avant toute prise de décision.

Telles sont les principales remarques que je souhaitais faire sur ce projet de budget. Je vous propose donc d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Justice ».

M. Roger Karoutchi. - Le nouveau palais de justice devait initialement être livré fin 2015, mais des problèmes d'entreprise ont conduit, en 2014, à reporter à juin 2017. Et l'on nous parle à présent du deuxième semestre 2018. A-t-on une idée réelle des surcoûts qu'auront entraîné ces retards ? Le transfert des structures actuelles vers le nouveau bâtiment coûtera, on le sait, très cher. Est-il déjà programmé, financé ?

M. Philippe Dallier. - Je remercie notre rapporteur spécial de s'être penché, une nouvelle fois, sur la situation du tribunal de grande instance (TGI) de Bobigny, qui défraie la chronique depuis des années - je puis témoigner qu'il y a treize ans, en 2004, on y manquait déjà de magistrats et de greffiers. Quant au tribunal d'instance d'Aubervilliers, il a fermé faute de greffiers. On manque à la fois de postes et de recrues. Les emplois de greffiers qu'il est prévu de créer sont-ils pour partie fléchés vers ce tribunal - la deuxième juridiction de France - qui croule sous les affaires avec le cortège de difficultés que cela entraîne : affaires non traitées, classées sans suite ou devenues sans objet pour dépassement des délais ?

Mon autre question porte sur le nouveau palais de justice. Si j'en crois les avocats que j'ai reçus, l'organisation prévue pour leur accueil a de quoi inquiéter. Ils devront, semble-t-il, prendre rendez-vous pour pouvoir s'y rendre, non pour raisons de sécurité mais parce que la structure de l'édifice, une sorte de gâteau à trois étages, pourrait souffrir d'une trop grande fréquentation. Confirmez-vous cette information ? Il me semble qu'un travail de contrôle sur la conception et le lancement de ce projet pourrait être intéressant.

M. Thierry Carcenac. - Je souhaiterais quelques éclaircissements supplémentaires sur le projet de transformation numérique, sachant que si 328 millions sont prévus en autorisations d'engagement, on observe fréquemment de grands écarts entre évaluation et réalisation.

Deuxième question : les crédits censés venir appuyer les départements dans le soutien aux mineurs étrangers non accompagnés seront-ils pris sur cette mission ou ailleurs ?

Mme Christine Lavarde. - Je m'interroge également sur l'évolution de l'informatisation du ministère. Vous indiquez que selon la Dinsic, la direction interministérielle des systèmes d'information et de communication, le ministère de la justice est parmi les moins bien équipés. Or, seuls 27 millions d'euros de crédits supplémentaires sont prévus. Parmi les sept projets prioritaires que vous citez dans votre rapport, certains sont-ils inscrits dans la liste stratégique des projets suivis par la Dinsic ?

M. Bernard Delcros. - Vous avez rappelé l'engagement du Président de la République sur la construction de nouveaux centres éducatifs fermés. A-t-on idée des sommes nécessaires pour la réalisation de ce programme de construction ?

M. Bernard Lalande. - Merci de ce rapport objectif, en particulier s'agissant de la progression des crédits. Je me pose, cependant, une question très pratique. Pourquoi, alors que les tribunaux de commerce sont appelés à gérer les affaires commerciales, faire appel, lorsqu'il s'agit d'une société civile, d'un groupement d'agriculteurs ou d'une coopérative, au tribunal de grande instance (TGI) ? Ne réduirait-on pas le coût de la justice en affectant clairement ce qui concerne l'économie aux tribunaux de commerce, et ce qui concerne le civil aux TGI ?

M. Gérard Longuet. - Au vu de l'insuffisance des places en maison d'arrêt et de la capacité d'accueil des centres de détention, n'y aurait-il pas moyen de procéder à un rééquilibrage ? Telle est ma première question. Le choix du ministère de la justice qui, pour des raisons que l'on peut comprendre, privilégie les maisons d'arrêt de grande taille, trouve cependant sa contrepartie dans la fermeture de maisons d'arrêt de proximité, qui contribuent pourtant à visualiser la justice. « La crainte du seigneur est le commencement de la sagesse » : la perspective de la prison permet, dans les préfectures, de rappeler à l'ordre des gamins qui pourraient être tentés par le vol et la marginalité.

M. Alain Joyandet. - Si Gérard Longuet n'avait pas posé cette question, je l'aurais fait, car dans ma région, c'est un sujet essentiel.

Je m'interroge sur les investissements de l'administration pénitentiaire. Dans les bâtiments appartenant à l'État, hors partenariats public-privé, on relève une diminution significative de leur montant. Quel est votre sentiment sur les raisons de ce recul alors que des projets ont été décidés, engagés, pour lesquels les travaux n'avancent pas. Faut-il penser que ces investissements servent de variable d'ajustement ?

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Mes questions portent sur le pénitentiaire. Où en est le renseignement pénitentiaire, dont on parle beaucoup ? Où en est-on, en second lieu, de ce que l'on appelle les tâches indues - je pense en particulier au transfert de détenus entre établissements qui, autrefois assuré par la police et la gendarmerie, l'est désormais par l'administration pénitentiaire. Cela coûte-t-il plus cher ou moins cher ?

M. Antoine Lefèvre, rapporteur spécial. - La livraison du nouveau palais de justice est effective, au plan juridique, depuis le 11 août. La mise en service est programmée, en effet, en juin 2018, mais d'ores et déjà, un certain nombre de services préparent l'emménagement.

Le décalage dans le temps est imputable à des difficultés d'accès au crédit, puis, plus récemment, à la nécessité de prendre en compte une problématique nouvelle touchant à la sécurité des accès, renforcée à la suite des attentats de Paris. Il fallait, notamment, poser des vitres pare-balles dans la salle des pas perdus. Le surcoût de ces modifications est de 25 millions d'euros, sur un coût total de 2,3 milliards d'euros du projet dans le cadre du partenariat public-privé. C'est l'entreprise partenaire, je le rappelle, qui doit verser des pénalités pour les retards. Le coût du déménagement, quant à lui, a été évalué à 4,5 millions d'euros pour 2018.

Je n'ai pas connaissance du problème d'accès des avocats, évoqué par Philippe Dallier. J'ajoute que lorsque je me suis rendu sur les lieux, un circuit à badge spécifique pour les avocats était envisagé.

S'agissant des nouveaux postes de greffiers, il n'y a pas encore de fléchage. Mais il se pose, au-delà, une autre difficulté au tribunal de Bobigny, que je qualifierai d'inadéquation entre l'offre et la demande : on voit des lauréats du concours renoncer à leur affectation.

Thierry Carcenac m'interroge sur les mineurs non accompagnés. De fait, le budget qui doit accompagner les annonces du Président de la République n'est pas encore connu. À ce jour, la protection judiciaire de la jeunesse n'est impliquée dans cette problématique que pour la répartition des mineurs, mais pas pour leur prise en charge.

Les sept projets informatiques recensés dans le rapport sont suivis, Christine Lavarde, par la Dinsic. Quant aux moyens dévolus au chantier numérique, sur lesquels m'interroge également Thierry Carcenac, ils sont renforcés, notamment pour ce qui concerne l'accès à la justice en ligne. Nous verrons comment ces moyens seront déployés. Cela étant, aussi nécessaire que soit cette orientation, elle ne suffira pas à résoudre toutes les difficultés évoquées - je pense par exemple au manque de greffiers.

Bernard Lalande s'interroge sur la répartition des compétences respectives des tribunaux de commerce et des tribunaux de grande instance. Verser l'ensemble de la compétence économique aux premiers serait en effet une piste. Cela vaudrait la peine de s'y pencher.

Gérard Longuet s'interroge sur le déséquilibre entre maisons d'arrêt et centres de détention et s'inquiète, avec Alain Joyandet, de la disparition de prisons de proximité. Il est vrai que la répartition géographique reste inégale, de gros établissements étant implantés en région parisienne, dans l'Île-de-France et dans le Nord. La surpopulation carcérale est, de fait, supérieure en maison d'arrêt et dans certaines régions, les détenus y sont maintenus alors qu'ils pourraient être en établissement pour peine. On n'est plus, cependant, dans le gigantisme de naguère. La volonté du ministère de construire des établissements mieux desservis, donc plus petits, est très claire - maisons d'arrêt de 600 places, quartiers de préparation à la sortie de 90 à 120 places, dans des zones urbaines ou périurbaines.

Alain Joyandet se demande si la baisse des investissements de l'État propriétaire ne sert pas de variable d'ajustement. La diminution du budget, conjoncturelle, s'explique par l'achèvement, ces dernières années, d'importants chantiers et 26 millions d'euros sont prévus pour des études sur des terrains déjà identifiés.

Le renseignement pénitentiaire, monsieur de Montgolfier, pourra compter sur 35 postes en 2018, 35 en 2019 et 35 en 2020. Quant aux extractions, autrefois assurées par la police et la gendarmerie et reversées à l'administration pénitentiaire, elles peuvent en effet encore poser de grosses difficultés, en raison d'un maillage géographique insuffisant des personnels de l'administration pénitentiaire chargés des extractions judiciaires.

M. Jean-Marc Gabouty. - La situation est catastrophique !

M. Antoine Lefèvre, rapporteur spécial. - Dans le rapport sur la santé des détenus que je vous ai présenté cet été, je l'ai également souligné.

Article 57 ter

M. Antoine Lefèvre, rapporteur spécial. - L'article 57 ter propose une réforme du financement du Haut Conseil du commissariat aux comptes (H3C), après l'entrée en vigueur de la réforme européenne de l'audit, en 2016, qui a conduit notamment à confier au H3C des pouvoirs d'enquête jusqu'alors exercés par les parquets.

Les nouvelles modalités de financement proposées visent à sécuriser les relations financières entre la compagnie nationale des commissaires aux comptes et le H3C : ce dernier serait désormais financé directement par les commissaires aux comptes et pourrait déléguer des missions à la compagnie, moyennant un financement de ces missions.

La cotisation serait assise sur les honoraires des commissaires aux comptes. Le présent article propose une fourchette de taux, le taux effectif étant fixé par décret. Si le taux minimum était retenu, il ne conduirait pas une augmentation des cotisations de la profession.

En outre, l'article prévoit un plafonnement de ces cotisations affectées au H3C, mais le montant du plafonnement n'a pas été fixé : le Gouvernement s'est engagé à le faire par voie d'amendement lors de l'examen de la première partie de la loi de finances au Sénat.

Je pense que le taux, comme ce plafonnement, devront être fixés de telle sorte qu'ils permettent au H3C d'augmenter son activité notamment en matière d'enquêtes et de contrôles, tout en réduisant le niveau de son fonds de roulement, qui s'élève aujourd'hui à environ 9 millions d'euros, pour un budget 2017 de l'ordre de 15 millions d'euros.

Sous ces réserves, je suis donc d'avis de proposer au Sénat d'adopter cet article sans modification.

M. Marc Laménie. - Les missions des commissaires aux comptes sont claires, mais j'aimerais savoir comment fonctionne la gouvernance du Haut Conseil.

M. Antoine Lefèvre, rapporteur spécial. - Elle répond à l'organisation classique d'une autorité de régulation.

M. Claude Raynal. - Le groupe socialiste considère que ce budget, marqué par la volonté de s'inscrire dans une programmation pluriannuelle, est en ligne avec les précédents. La Justice a besoin de moyens supplémentaires et de méthodes nouvelles. Nous suivrons les conclusions du rapporteur et voterons en faveur de l'adoption de ces crédits.

À l'issue de ce débat, la commission décide de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits de la mission « Justice ».

Projet de loi de finances rectificative pour 2017 - Examen du rapport en nouvelle lecture

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Nous examinons, en nouvelle lecture, le premier projet de loi de finances rectificative pour 2017. Celui-ci comptait six articles à l'issue de la discussion en première lecture par l'Assemblée nationale. Le Sénat en avait adopté quatre conformes et deux modifiés. La commission mixte paritaire, réunie vendredi dernier, avait conclu à un échec.

Comme vous le savez, notre divergence, de fond, porte sur l'article 1er du projet de loi, la modification de l'article 3 n'en étant que la conséquence, puisque le Sénat a refusé la création d'une contribution exceptionnelle et d'une contribution additionnelle à l'impôt sur les sociétés pour compenser les remboursements de taxe à 3 % sur les revenus distribués, qui devraient s'élever à près de 5 milliards d'euros en 2017. L'incidence de ces surtaxes sur l'industrie, le commerce et les services financiers, notamment les banques mutualistes, a été particulièrement soulignée lors des débats, de même que le message contradictoire avec la baisse annoncée du taux de l'impôt sur les sociétés.

Le rapport rendu par l'inspection générale des finances propose des pistes pour l'avenir. Avancer la présentation du projet de loi de finances en Conseil des ministres ne serait pas simple, car cela suppose de modifier la Constitution. Mais on peut militer, en revanche, pour une meilleure préparation des textes fiscaux, pour éviter, à l'avenir, de tels bricolages.

Pour régler le problème de l'heure, il n'y avait pas de solution parfaite. Il aurait fallu, dans l'idéal, taxer ceux qui ont bénéficié du remboursement, mais toute taxe ad hoc se serait heurtée à un problème de constitutionnalité.

En nouvelle lecture, l'Assemblée nationale a souhaité revenir à son texte de première lecture moyennant, outre un amendement rédactionnel du rapporteur général, l'adoption à l'article 1er d'un sous-amendement du Gouvernement. Ce sous-amendement supprime, dans le rapport qui sera présenté au Parlement, la mention des entreprises « perdantes et gagnantes » - qui pose un léger problème au regard du secret fiscal - remplacée par une présentation, à l'échelle de la société ou du groupe de sociétés, des « effets respectifs, d'une part, de la suppression de la contribution additionnelle à l'impôt sur les sociétés au titre des montants distribués prévue à l'article 235 ter ZCA du code général des impôts, et, d'autre part, de l'instauration des contributions exceptionnelle et additionnelle prévues respectivement aux I et II du présent article ». En outre, la présentation ventilée par décile des gains et des pertes est remplacée par la présentation des « effets attendus par décile des sociétés ou groupes de sociétés assujettis à ces contributions exceptionnelle et additionnelle ».

L'Assemblée nationale a enfin adopté l'article 3 dans sa rédaction issue de ses travaux de première lecture.

Il y a donc une divergence assez fondamentale entre notre position et celle de l'Assemblée nationale, dont témoigne l'impossibilité manifeste de rapprocher les positions de nos deux assemblées comme cela s'est déjà manifesté lors de la commission mixte paritaire. Je vous propose donc, vu l'urgence - étant entendu que les intérêts moratoires courent toujours - de voter une motion tendant à opposer la question préalable sur ce projet de loi de finances rectificative.

M. Jean-Marc Gabouty. - Un mot sur la position paradoxale que j'observe au Sénat. Il est vrai que le paradoxe n'est pas d'un seul côté, car considérer que le Président de la République est le président des riches et l'empêcher de taxer les grands groupes l'est aussi... Cela étant, le choix qui a consisté à rejeter l'article premier tout en adoptant le texte privé de cet article n'est pas très glorieux quand on sait que l'intérêt national est en jeu : il s'agit de replacer le déficit public sous la barre des 3 %. Un tel choix n'est pas responsable, et c'est pourquoi je voterai contre la question préalable.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Il y avait certes urgence, mais il n'était pas une seule voie pour revenir sous la barre des 3 %. Et puisque le nouveau projet de loi de finances rectificative sera présenté demain en Conseil des ministres, nous verrons si le Gouvernement revient sur sa prévision d'élasticité des recettes à la croissance...

Surtout, surfiscaliser d'emblée alors que le projet de loi de finances entend engager une baisse de l'impôt sur les sociétés, c'est lancer un très mauvais signal. Il y avait d'autres moyens de financement, comme une coupe dans les dépenses. Sans compter que les entreprises qui seront touchées par cette majoration d'impôt sur les sociétés ne sont pas celles qui vont bénéficier des remboursements du dispositif fiscal invalidé. Je proposais, de surcroît, une autre piste dans le partage de l'effort - même si en tout état de cause, aucune solution n'est parfaite, puisqu'il n'est pas possible de créer une taxe ad hoc.

M. Philippe Dallier. - Le groupe Les Républicains suivra le rapporteur général, car il faut en finir. Je salue les efforts d'Albéric de Montgolfier pour trouver une solution intermédiaire, mais il est vrai que l'usage du scrutin public qui a été fait en séance a peut-être nui à la recherche du consensus...Quant à espérer mettre fin au bricolage, je crains que ce ne soit là un voeu pieux.

M. Pascal Savoldelli. - Il est vrai que nous avons vécu une situation pour le moins brumeuse. Mais nous sommes aussi dans le jeu politique : il ne faut pas franchir le Rubicon entre majorité du Sénat et majorité présidentielle. Mais les sommations de l'Europe ne datent pas d'hier sur un dispositif auquel vous n'aviez rien vu à redire. Et si la situation des comptes publics est si préoccupante, fallait-il tout réinventer, alors qu'il aurait été si simple de majorer l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) ? La question, autrement dit, ne tient pas aux considérations techniques dans lesquelles vous voulez nous enfermer, mais bien à des choix politiques. Nous étions favorables à une majoration de l'ISF. Telle est la question de fond qui nous sépare, quand les divergences dont vous faites état entre vous ne vont pas sans larges passerelles.

Je lis que 3 371 000 obligations de moyen terme à taux zéro ont été émises il y a un mois. Tout va mal ? Sachons être équilibrés, c'est un communiste qui vous le dit !

M. Bernard Delcros. - Le groupe de l'Union centriste s'est largement exprimé en séance, jeudi soir. J'entends bien toutes les réserves de notre rapporteur général, mais nous ne pourrons le suivre. Il faut trouver 10 milliards d'euros. Prévoir, pour moitié, une recette supplémentaire en fin d'année 2017 et compléter, en 2018, sur le budget de l'État me paraît une solution pragmatique, réaliste et responsable, en un temps où il faut tout faire pour ne pas laisser filer les déficits.

M. Claude Raynal. - On est un peu dans le jeu de rôles. Le rapporteur général se pose en défenseur de l'entreprise, tout en reconnaissant qu'il n'y a pas de meilleure solution - sinon dans sa proposition, qui ne porte que sur le montant et l'équilibre de l'opération, et qui a au demeurant été repoussée par sa majorité. Le groupe socialiste ne participera pas au vote.

M. Marc Laménie. - Je m'abstiendrai.

À l'issue de ce débat, la commission décide de proposer au Sénat l'adoption de la question préalable.

Projet de loi de finances pour 2018 - Mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » (et article 63) - Examen du rapport spécial

M. Éric Bocquet, rapporteur spécial. - La mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » - qui porte les politiques publiques de solidarité et de cohésion sociale de l'État en faveur des personnes les plus fragiles - est dotée de 19,4 milliards d'euros de crédits de paiement en 2018. Ces crédits progressent ainsi de 8,7 % par rapport à 2017, soit une augmentation d'un peu plus de 1,5 milliard d'euros.

Cette augmentation est principalement due au dynamisme des dépenses d'intervention, qui représentent 92 % des crédits de la mission. Cette hausse s'explique également par les revalorisations « exceptionnelles » de la prime d'activité (240 millions d'euros supplémentaires correspondant à l'augmentation de 20 euros par mois du montant forfaitaire de la prime à partir d'octobre 2018) et de l'allocation aux adultes handicapés (AAH) (40 millions d'euros supplémentaires correspondant à une hausse 50 euros par mois de l'allocation à taux plein à partir du 1er novembre 2018). La hausse des crédits de la mission est également liée à des mesures positives de transfert et de périmètre.

Cette augmentation - comprenant la revalorisation de la prime d'activité et de l'AAH, que nous saluons - masque néanmoins des réformes paramétriques lourdes de conséquences pour des populations déjà fragilisées. Il s'agit d'une hausse en trompe-l'oeil, masquant des mesures d'économie qui visent directement les populations les plus fragiles, dont la grande majorité se situe déjà en dessous du seuil de pauvreté. Il semble que le Gouvernement, ne pouvant revenir sur les revalorisations promises de la prime d'activité et de l'AAH, ait ainsi trouvé dans des réformes paramétriques des moyens discrets d'économie budgétaire. Ces mesures d'économie sont d'autant plus regrettables qu'elles n'ont fait l'objet d'aucune concertation avec les acteurs concernés, que nous avons pu notamment entendre en audition.

Ces mesures d'économies concernent les trois dépenses sociales les plus importantes de la mission (prime d'activité, AAH, protection juridique de majeurs), qui représentent 80 % des crédits. Les effets des revalorisations de la prime d'activité et de l'AAH seront ainsi atténués, voire neutralisés pour certains bénéficiaires, par des réformes paramétriques, qui conduiront même à l'exclusion de certains.

Concernant la prime d'activité, il est ainsi envisagé d'exclure de son calcul, au 1er janvier 2018, les rentes AT-MP et les pensions d'invalidité, en tant que revenus professionnels et de modifier les conditions de prise en compte de l'AAH comme revenu professionnel dans le calcul de la prime.

S'agissant de l'AAH, le Gouvernement propose le rapprochement des règles de prise en compte des revenus d'un couple à l'AAH sur celles d'un couple au RSA dès 2018 et à compter de 2019, la disparition d'un des deux compléments de ressources de l'AAH : le complément de ressources d'un montant de 179 euros par mois. Le Gouvernement fait ainsi le choix d'un alignement par le bas de l'AAH au nom de l'équité, ignorant les particularités d'une vie en situation de handicap. Mais nous souhaitons rappeler que l'AAH n'est pas un minimum social comme les autres.

Par ailleurs, est également prévue la mise en oeuvre, au 1er avril 2018, d'une réforme du barème de participation des personnes protégées, augmentant la part financée par celles-ci.

Cette augmentation masque donc de discrets coups de rabots, qui risquent d'atténuer, voire de neutraliser, l'effet des revalorisations annoncées. Par ailleurs, malgré cette augmentation, le budget ne semble pas être à la hauteur des enjeux de la mission.

M. Arnaud Bazin, rapporteur spécial. - Les crédits prévus pour 2018 ne semblent effectivement pas à la hauteur des enjeux de la mission.

Si l'on relève un effort louable de sincérité des crédits, après des années de sous-budgétisation, identifiées dans les rapports précédents, il reste que cet effort de rebasage, notamment pour la prime d'activité et l'AAH, ne prend pas en compte la dynamique propre à 2018 et risque d'être insuffisant au vu de l'effet volume de ces prestations.

Autre insuffisance, la non-compensation de la perte des crédits issus de la réserve parlementaire, alors que 6,6 millions d'euros avaient été ouverts en 2017 à ce titre. Il s'agit d'un manque à gagner pour les associations d'aide alimentaire qui ont perçu l'année dernière plus 1,7 million d'euros : Les Restos du coeur avaient ainsi bénéficié de près de 700 000 euros et la banque alimentaire de près de 200 000 euros.

En outre, alors que l'égalité entre les femmes et les hommes a été érigée au rang de grande cause nationale du quinquennat, la légère augmentation du programme masque cependant des situations contrastées, et notamment la baisse regrettable des crédits liés à la lutte contre la prostitution, portée par la loi du 13 avril 2016, qui n'est toujours pas mise en application. La commission départementale supposée se prononcer sur le versement de l'allocation de sortie de la prostitution n'est même pas mise en place dans bien des départements ! Nous saluons la volonté de faire de ce programme une priorité politique, mais il faut également qu'elle se traduise dans les actes, et notamment dans l'exécution budgétaire, puisque ce programme fait l'objet d'une sous-consommation récurrente depuis plusieurs années. Nous veillerons à la bonne exécution de ce programme, dont dépend la réussite des actions menées en faveur de l'égalité entre les hommes et les femmes.

Par ailleurs, bien que des enveloppes « exceptionnelles » aient été prévues, elles paraissent insuffisantes à couvrir les dépenses engagées. Il en est ainsi du fonds d'appui aux politiques d'insertion, le FAPI, doté de 50 millions d'euros et surtout du financement exceptionnel de 66,8 millions d'euros alloué aux départements au titre du remboursement de 30 % des dépenses d'aide sociale à l'enfance pour les mineurs non accompagnés supplémentaires pris en charge entre le 31 décembre 2016 et 2017. Pour la prise en charge de ces mineurs après l'évaluation de leur minorité, nous n'avons pas trouvé trace des crédits correspondant à l'engagement du Premier ministre. Néanmoins, nous tenons à rappeler devant vous la difficulté - que vous connaissez - dans laquelle se trouvent les départements face à l'afflux croissants de mineurs isolés. Ils étaient 2500 fin 2014, leur nombre est estimé à 25 000 fin 2017. Nous estimons, comme l'a demandé l'assemblée des départements de France, que l'État doit prendre ses responsabilités et assumer ces dépenses qui relèvent, à notre sens, de la politique nationale d'immigration.

Les crédits du programme 124 - qui porte l'ensemble des crédits de soutien des politiques des ministères sociaux et la contribution de l'État au fonctionnement des agences régionales de santé (ARS) - diminuent, à périmètre constant, de près de 2 %, les ministères sociaux étant fortement touchés par les mesures d'économies budgétaire.

Ainsi, pour 2018, les dépenses de personnel (titre II) baissent de 9,3 millions d'euros en raison principalement de la poursuite de la réduction des effectifs et les dépenses « support » de 16,5 millions d'euros en crédits de paiement, en raison de gains d'efficience liés à la mutualisation des fonctions supports des ministères sociaux au sein du secrétariat général des ministères chargés des affaires sociales. L'optimisation de la politique d'achat ainsi que la politique immobilière des ministères sociaux, qui vise au maintien des sites domaniaux actuels accompagné de la réduction du nombre d'immeubles locatifs privés sont, par ailleurs, des sources d'économie qu'il convient d'encourager. Par ailleurs, l'augmentation des dépenses de systèmes d'information nous semble cohérente avec l'ensemble de la démarche de rationalisation.

Par ailleurs, la dotation de fonctionnement des ARS, les agences régionales de santé versée par l'État baisse également de 604 à 595 millions d'euros, sous l'effet principalement de la poursuite d'économies en matière de dépenses de personnel.

M. Éric Bocquet, rapporteur spécial. - Quelques mots, dès à présent, sur l'article 63 rattaché à la mission, qui vise d'une part à supprimer, à partir du 1er janvier 2018, la prise en compte des pensions d'invalidité et des rentes d'accident du travail - maladie professionnelle (AT-MP), en tant que revenus professionnels, dans le calcul de la prime d'activité et d'autre part à modifier les conditions de prise en compte de l'allocation aux adultes handicapés (AAH) comme revenu professionnel dans le calcul de la prime d'activité.

La loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l'emploi - qui avait instauré la prime d'activité au 1er janvier 2016 - l'avait omis. La loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels est venue corriger le tir en ouvrant - sous l'impulsion des associations de personnes handicapées - la prime d'activité, à compter rétroactivement du 1er janvier 2016, aux bénéficiaires de l'allocation adulte handicapé (AAH) qui travaillent en établissements et services d'aide par le travail (ESAT) ou en milieu ordinaire et à compter du 1er octobre 2016, aux bénéficiaires d'une pension d'invalidité ainsi qu'aux personnes bénéficiant d'une rente d'accident du travail-maladie professionnelle, exerçant une activité professionnelle rémunérée.

Le Gouvernement souhaite ainsi revenir sur cette dernière mesure, en excluant les bénéficiaires des pensions d'invalidité et des rentes AT-MP de la prime d'activité. Cette modification produirait une économie de 20 millions d'euros, justifiée notamment, selon lui, par le faible nombre de bénéficiaires actuels, estimé à 10 000 personnes.

En réalité, ce ne sont pas 10 000 mais 250 000 personnes qui seraient potentiellement concernées par cette disposition. Le Gouvernement ne saurait ainsi justifier la suppression de cette mesure par le nombre restreint de bénéficiaires alors qu'aucune campagne d'information n'a été réalisée ni par lui ni par les caisses (Caisse primaire d'assurance maladie et Mutualité sociale agricole) et que ce dispositif n'existe que depuis le 1er octobre 2016. Par ailleurs, cette économie de 20 millions d'euros est à mettre en regard du coût de la prime d'activité, de plus de 5 milliards d'euros.

M. Arnaud Bazin, rapporteur spécial. - Cet article 63 modifie en outre les conditions de prise en compte de l'AAH comme revenu professionnel dans le calcul de la prime d'activité. La nouvelle rédaction de l'article propose en effet que le montant de l'AAH pris en compte en tant que revenu professionnel soit fixé par décret alors que la loi du 8 août 2016 avait défini son montant, celui d'un salaire mensuel équivalent à 29 SMIC brut horaire. Ce montant avait été légitimement fixé afin de rendre effectif l'accès à la prime à des populations qui subissent majoritairement le sous-emploi et le travail à temps partiel. Cette modification laisse craindre une possible exclusion d'une partie des allocataires de l'AAH.

Au vu de ces observations, nous vous proposerons donc un amendement de suppression de l'article.

M. Vincent Éblé, président. - Je salue la présence parmi nous de Philippe Mouillier, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales.

M. Philippe Mouiller, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. - Je rejoins les conclusions de mes collègues rapporteurs de la commission des finances. J'avais, l'année dernière, évoqué plus particulièrement le dispositif de la prime d'activité qui, malgré des intentions louables bien que certainement trop ambitieuses, souffrait déjà d'une sous-budgétisation dont il avait fallu rattraper les risques en urgence. Le même risque se présente à nous aujourd'hui, avec le chiffre de 4,99 milliards d'euros qu'annonce le projet de loi de finances pour 2018. Voilà qui devrait permettre la couverture d'un taux de recours financier d'environ 75,4 %. J'insiste sur le mot « financier », car les administrations sont très disertes sur le taux de recours « personnel », qui frôle les 70 %, mais ne disent pas grand-chose de ce même taux appliqué aux montants. Or je rappelle qu'il ne faut pas sous-estimer le recours de ceux, précisément, qui sont éligibles aux plus hauts niveaux de prime d'activité.

J'avais eu également l'occasion de m'interroger sur le double objectif assigné à la prime d'activité : lutte contre la pauvreté ou incitation financière au retour à l'emploi ? Son inscription aux crédits de la mission « Solidarité » ainsi que les hésitations du Gouvernement quant à son impact sur le chômage semblent confirmer qu'il s'agit en fait tout bonnement d'un nouveau minimum social aux allures améliorées. C'est donc à l'aune de ce constat qu'il nous faudra juger de la pertinence de ce dispositif.

Concernant les réformes de l'AAH, je ne peux que souscrire aux propos de mes collègues. Quatre grands risques doivent être identifiés.

D'abord, les conditions du cumul de deux AAH par un couple sont revues à la baisse : le plafond de leurs revenus de remplacement passe de 2 SMIC à 1,8 SMIC. Ensuite, les deux compléments de l'AAH 1 que sont le complément de ressources et la majoration pour la vie autonome seront fusionnés, conduisant là aussi à leur diminution. L'augmentation du niveau de l'AAH, pour réjouissante qu'aurait été cette mesure si elle ne s'était pas assortie de ces tempéraments, risque également d'avoir un impact négatif sur l'éligibilité de ces publics à la prime d'activité, ce qui serait tout de même un comble.

Enfin, les crédits pour 2018 prévoient une hausse de 15 millions d'euros de la garantie de rémunération des travailleurs handicapés (GRTH). Son rôle est de venir en soutien des rémunérations assurées par les établissements et services d'aide par le travail (ESAT) à leurs employés. Cette augmentation de la GRTH prétend neutraliser les effets de la hausse de la CSG. À ceci près qu'elle a un impact direct sur l'éligibilité du travailleur handicapé à l'AAH, cette dernière étant de nature différentielle : pour trois euros de GRTH en plus, ce sont deux euros d'AAH en moins qui sont versés. L'effet peut être doublement pénalisant. D'abord, la GRTH est imposable à la CSG, ce qui n'est pas le cas de l'AAH : c'est donc à une diminution nette de leurs revenus que sont exposés les travailleurs handicapés employés en ESAT. Ensuite, ce risque pourrait être aggravé par les nouveaux critères de cumul de l'AAH et de la prime d'activité !

Sur tous ces points, je serai amené à déposer des amendements devant la commission des affaires sociales.

M. Marc Laménie. - Je m'interroge, en écho à une préoccupation de terrain, sur le fonctionnement des MDPH, les maisons départementales des personnes handicapées. S'est-il amélioré ? Quid du nombre de place en ESAT ? Qu'en est-il de la situation des départements frontaliers ? Je n'oublie pas que dans ceux qui bordent la Belgique, bien des ressortissants français n'ont d'autre choix que de rechercher un accueil de l'autre côté de la frontière. Comme membre de la délégation aux droits des femmes, enfin, je m'interroge sur la diminution des crédits du programme 137 « Égalité entre les femmes et les hommes ». Il reste pourtant beaucoup à faire dans ce domaine. Sur quels montants peuvent compter les délégations départementales aux droits des femmes ? Même modestes, elles restent mal connues, voire inconnues, ce qui pose un vrai problème de terrain. Même interrogation pour ce qui concerne la lutte contre le harcèlement.

M. Antoine Lefèvre. - Je reviens sur la question des mineurs non accompagnés, et ses conséquences pour les finances des départements, au terme de la prise en charge des cinq premiers jours par l'État. Sans parler des autres difficultés : structures inadaptées, problèmes sanitaires, insécurité. Et l'on sait, de surcroît, qu'une majorité de ces jeunes sont issus de pays en paix, mais où sévissent des filières clandestines. Qu'en est-il des engagements pris pour accompagner les départements ? Un plan d'action a-t-il été élaboré ?

Autre préoccupation, par laquelle je rejoins Arnaud Bazin, le peu de priorité donné à la lutte contre la prostitution. Je pense en particulier aux aides aux associations, qui pâtissent du manque de crédit et de structures d'accueil. C'est le cas, dans les Hauts-de-France, d'une association comme Le Refuge, qui vient en aide aux jeunes homosexuels en errance, rejetés par leur famille. Quelles actions sont envisagées ?

M. Roger Karoutchi. - Alors que le nombre de mineurs isolés explose du fait des vagues migratoires récentes et que le Gouvernement précédent s'était engagé à prendre les crédits qui leur sont consacrés sur le budget « Immigration, asile et intégration », rien n'a encore été fait. Les départements ne peuvent plus faire face.

Deuxième préoccupation : l'échec total de la réinsertion dans les pays d'origine. Une aide avait été créée pour les travailleurs d'un certain âge qui pourraient être tentés de revenir vers leur pays d'origine. Les crédits passent de 10 millions d'euros à 1 million d'euros. Le fait est que le Gouvernement précédent évaluait le public concerné à 10 000 ou 15 000 personnes, et qu'il n'y en a pas eu, au final, plus de 800 ! L'échec est total. Il en va de même, dans une moindre mesure, des politiques de réinsertion à destination de publics moins âgés menées par l'Ofii, l'Office français de l'immigration et de l'intégration, et d'autres organismes. Preuve que c'est bien la politique d'ensemble, sur ce sujet, qui demande à être repensée, dans la cohérence.

M. Thierry Carcenac. - Je partage les observations formulées dans ce rapport. Sur la politique immobilière, vous y relevez, la réduction du parc locatif privé et les efforts faits pour densifier le parc domanial. C'est une bonne voie, à mon sens, qui mérite d'être poursuivie.

En matière d'informatique, la modernisation et la sécurisation des serveurs des ministères justifieraient une mission transversale, pour rechercher des économies, car les problématiques sont communes.

Comme Roger Karoutchi, enfin, j'estime que la question des mineurs isolés relève moins de l'aide sociale à l'enfance que des politiques migratoires. Ce sont bien souvent des jeunes à la limite des dix-huit ans, qui viennent pour des motifs économiques. Il faut faire tout un tas de test, coûteux, pour démontrer qu'ils sont majeurs.

Le rapport de nos collègues Elisabeth Doineau et Jean-Pierre Godefroy (« Mineurs non accompagnés, répondre à l'urgence qui s'installe ») était à mon sens très pertinent : il faut une prise en charge par l'État. Les départements n'ont pas les moyens d'accueillir à leurs frais ce type de population. Dans mon département du Tarn, il a fallu, en juillet, héberger plus de cinquante mineurs isolés dans des hôtels, faute de places en centres d'accueil. Il faut trouver des solutions : je partage pleinement les observations des rapporteurs.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Je m'associe à l'hommage rendu à nos rapporteurs et partage également leurs observations. J'insiste, moi aussi, sur les mineurs isolés. C'est une question qui relève de la solidarité nationale, et d'autant plus qu'a été instauré un système de répartition administrative pour décharger certaines zones : dès lors que c'est le ministère de la justice qui décide d'une répartition, les départements sortent de leur vocation sociale pour assurer une sorte de régulation pour le compte de l'État.

Je reviens sur les conséquences de la suppression de la réserve parlementaire. Le Gouvernement a fait voter un amendement sur la mission « Sport, jeunesse et vie associative » pour compenser la disparition de cette réserve parlementaire. Mais les crédits relatifs à l'aide alimentaire n'en font pas partie : il faudra régler ce problème, de même que pour les crédits relatifs à l'action extérieure de l'État. Il faudra également être vigilant sur le soutien à l'investissement locatif local lors de l'examen du projet de loi de finances.

M. Éric Bocquet, rapporteur spécial. - Je laisserai à Arnaud Bazin, qui a une expérience départementale, le soin de répondre sur la question des mineurs non accompagnés, sur laquelle nous avons longuement échangé.

Les MDPH ne sont plus, Marc Laménie, dans le périmètre de la mission, mais la question a bien sûr été évoquée, car nous connaissons les difficultés, récurrentes, auxquelles se heurtent beaucoup de départements. La situation s'améliore un peu, les délais sont raccourcis, mais on constate encore de fortes disparités entre départements.

Sur les expatriations en Belgique qui était un sujet évoqué les années passées, on en reste, malheureusement, au statu quo : 6 500 personnes se trouvent actuellement en Belgique, en raison - dans la grande majorité des cas - d'un manque de places dans les établissements français.

En matière d'égalité entre les femmes et les hommes, relevons la création d'un numéro d'appel, le « 39.19 », qui n'est pas anecdotique, car il peut réellement aider. Le responsable de la brigade de gendarmerie de mon territoire, que j'ai rencontré, m'a ainsi appris que sur 2 000 interventions, 40 % concernaient des violences intrafamiliales. Il est également prévu de développer les accueils de jour - au nombre de 121 en 2016 - et les lieux d'écoute et d'orientation - au nombre de 206 à la même date.

M. Arnaud Bazin, rapporteur spécial. - Un complément sur les MDPH. La caisse nationale de solidarité (CNSA) pour l'autonomie souhaite faciliter les échanges entre les systèmes informatiques existants. L'un des problèmes auxquels on se heurte tient en effet à l'incomplétude des données, qui nuit à une bonne connaissance de la population concernée. On peut donc espérer un progrès dans les deux ans à venir. Étant entendu qu'il s'agit de tenir compte, ce faisant, des investissements déjà réalisés par les départements dans les systèmes d'information.

Mes fonctions au bureau de l'ADF, l'Association des départements de France, m'ont conduit à m'occuper de la question des mineurs isolés. Nous interpellons les gouvernements sur ce sujet depuis trois ans, avec un succès très relatif. J'estime, pour ma part, que notre pays doit être capable de faire face à la demande de 25 000 mineurs étrangers isolés. Mais le système de l'aide sociale à l'enfance n'est pas adapté, et les budgets des départements n'en peuvent plus : l'ADF estime, fin 2017, la dépense à 1 milliard d'euros. Sans compter les problèmes de sécurité qui se posent. Les maisons d'enfant à caractère social, qui ont pour mission d'accueillir des enfants fragiles enlevés à leur famille par décision de justice, ne sont pas adaptées pour accueillir ces mineurs. N'oublions pas que les départements sont pénalement responsables de ce qui se passe dans ces établissements.

C'est une mission qui relève des pouvoirs régaliens de l'État et doit être mise en oeuvre par lui. Malgré l'annonce du Premier ministre de prendre en charge ces dépenses, aucun crédit n'a été inscrit dans le budget à ce titre pour 2018, ce qui ne laisse pas de nous inquiéter. Je reviens, enfin, sur la question des « filières » : autant il est naturel d'accueillir des mineurs en provenance de pays en guerre où leur existence est en danger, autant ceux qui viennent de « filières », dans une immigration d'origine économique - soit la majorité de ceux que nous rencontrons sur le terrain - relèvent d'une autre logique. Nous connaissons même les tarifs pratiqués dans ces « filières » - 4 000 à 7 000 euros selon les pays -, et la capacité d'adaptation de ces « filières » aux réponses que nous apportons. Cette dimension doit aussi être prise en compte.

Nous attendons donc, sur ce sujet des mineurs isolés, au-delà de la position de principe du Premier ministre, des réponses concrètes.

M. Éric Bocquet. - Nous avons rencontré les responsables des Restos du coeur, des banques alimentaires et du Secours populaire : les crédits de la réserve parlementaire, contre laquelle on a engagé un procès malsain, que j'ai toujours combattu, représentaient une somme importante pour eux : près de 200 000 euros pour la Banque alimentaire et 70 000 euros pour les Restos du coeur en 2017. Cela va poser une vraie difficulté, et le rapporteur général a raison de le souligner. Il va falloir trouver une solution.

M. Vincent Éblé, président. - Nous allons maintenant voter sur les amendements, les articles rattachés et les crédits de la mission.

M. Éric Bocquet, rapporteur spécial. - S'agissant de l'article 63 rattaché à la mission, nous avons déjà exposé les raisons de notre amendement qui propose la suppression de cet article.

L'amendement de suppression n° 1 de l'article 63 est adopté. La commission décide de proposer au Sénat de supprimer cet article.

M. Éric Bocquet, rapporteur spécial. - Dans la nuit, l'Assemblée a adopté un article additionnel rattaché à la mission, il s'agit de l'article 64. Il vise à compléter le document de politique transversale relatif à la politique de l'égalité entre les femmes et les hommes par le suivi de trois dispositifs visant à sanctionner des comportements contrevenant à l'égalité.

Nous vous proposons l'adoption de cet article sans modification.

La commission décide de proposer au Sénat l'adoption de l'article 64.

M. Arnaud Bazin, rapporteur spécial. - Mon amendement n° 2 tire les conséquences de l'amendement de suppression de l'article 63 rattaché à la mission. Il prévoit de compenser l'économie non réalisée sur la prime d'activité estimée à 20 millions d'euros, en diminuant, à même hauteur, les crédits relatifs aux dépenses de fonctionnement et d'immobilier des ministères sociaux, portées par le programme 124.

En effet, comme je vous l'ai indiqué, des gains de productivité et d'efficience sont attendus en 2018, s'agissant notamment de la politique d'achat et surtout de la politique immobilière. Par ailleurs, ce programme fait l'objet d'annulations régulières par le Gouvernement en gestion : le dernier décret d'avance de juillet 2017 avait procédé à une annulation de 59,1 millions d'euros en autorisations d'engagement et 69,7 millions d'euros en crédits de paiement.

L'amendement n°2 est adopté.

M. Éric Bocquet, rapporteur spécial. - C'est ici que nos chemins se séparent. J'ai voté contre cet amendement puisque je vous propose de rejeter les crédits de la mission.

M. Arnaud Bazin, rapporteur spécial. - Je vous en propose, au contraire, l'adoption de ces crédits, sous réserve des observations que j'ai présentées.

À l'issue de ce débat, la commission décide de proposer au Sénat l'adoption des crédits de la mission, tels que modifiés par l'amendement n° 2, qu'elle a adopté, la suppression de l'article 63 rattaché à la mission et l'adoption de l'article 64 rattaché à la mission.

La réunion est close à 10 h 35.

La réunion est ouverte à 17 h 45.

Projet de loi de finances pour 2018 - Mission « Enseignement scolaire » - Examen du rapport spécial

M. Gérard Longuet, rapporteur spécial de la mission « Enseignement scolaire ». - Il est à peu près impossible d'épuiser le sujet en sept minutes : vu l'importance du budget en jeu, cela fait 10 milliards d'euros par minute...

Mon appréciation est favorable, malgré une augmentation d'1,5 milliard d'euros, ce qui aurait plutôt tendance chez moi à susciter la suspicion. C'est que pour plus de la moitié, presque les deux tiers, il s'agit de « coups partis » causés par la politique quantitative menée par les prédécesseurs de Jean-Michel Blanquer et Édouard Philippe ; l'engagement de créer 55 000 emplois supplémentaires en cinq ans a été pour l'essentiel respecté, même si cela ne s'est pas traduit par 55 000 enseignants supplémentaires face aux élèves. Sur 1,5 milliard d'euros en effet, 290 millions d'euros sont liés à l'extension en année pleine du schéma d'emplois 2017, plus de 400 millions d'euros au protocole « Parcours professionnels, carrières et rémunérations » et autres mesures catégorielles et 31 millions d'euros à la revalorisation du point d'indice de la fonction publique.

Pour la première fois, le Gouvernement prend l'engagement très clair de combattre la grande faiblesse du système scolaire français : un effort insuffisant sur le primaire et un effort dispersé dans le secondaire. Le coût par élève en France est en effet inférieur de l'ordre de 20 % dans le primaire et supérieur de l'ordre de 20 % dans le secondaire à la moyenne de l'OCDE. Les défauts acquis à l'école se retrouvent ensuite au collège et inévitablement au lycée et dans l'enseignement supérieur.

Pour la première fois, la priorité est mise sur le primaire, qui bénéficie seul des modestes 2 800 créations d'emplois, ce qui permet de poursuivre le dédoublement en CP et en CE1 en réseaux d'éducation prioritaire (REP), qui semble donner satisfaction. Les « stages de réussite », stages de remise à niveau en CM2, font l'objet d'un effort financier significatif, comme en matière de scolarisation des enfants de moins de trois ans.

Dans le secondaire, on note une évolution pour les collèges et un point d'interrogation pour les lycées. Les collèges se voient dotés d'une autonomie plus grande : les établissements pourront choisir des orientations et la fermeture autoritaire des filières telles que les classes bi-langues de latin et de grec cesseront.

La politique nouvelle des « devoirs faits » renoue avec une formule que beaucoup d'entre nous ont connue : nous ne quittions le collège qu'après une étude surveillée. Cela devrait pouvoir se généraliser.

La situation des lycées n'est pas bousculée mais un indicateur positif apparaît : une réforme du baccalauréat mettant en valeur les matières principales. Cela ira nécessairement contre l'excessive diversité de l'offre éducative dans le secondaire - pour des raisons plus ou moins légitimes - responsable du coût supérieur à la moyenne de l'OCDE de cet enseignement. La réforme de l'examen terminal annonce, en amont, une réforme du secondaire qui le ramènera à un coût plus conforme aux standards européens.

Les 2 800 postes supplémentaires dans le primaire devraient être compensés par une diminution de postes dans le secondaire - pas de même nature de mon point de vue, puisqu'il s'agissait de 2 600 emplois de stagiaires non pourvus - et par la suppression de 200 emplois de soutien ou dans les services du ministère. L'Assemblée nationale a cependant adopté un amendement créant quelques 144 emplois dans le secondaire pour l'accueil de 3 200 élèves supplémentaires dans les sections de technicien supérieur. Nous aurions mauvaise grâce à revenir dessus.

Le budget est donc assez stable en réalité, puisque l'augmentation est causée par la politique passée d'inflation des effectifs. Celle-ci avait deux inconvénients : ne pas s'attaquer aux vraies difficultés et entraîner des recrutements de professeurs à des niveaux que l'Éducation nationale considère elle-même comme médiocre : pour être admissible au Capes de mathématiques, il fallait avoir six sur vingt, et huit pour être admis ! Il est mis fin à cette politique de recrutement : votre rapporteur est donc satisfait, d'autant plus que simultanément, des renforts sont prévus pour l'enseignement primaire.

L'enseignement agricole, dont les effectifs sont stables, bénéficiera d'un budget en hausse de 35 millions d'euros.

Je propose donc l'adoption de ces crédits, conformes à la politique que nous a présentée Jean-Michel Blanquer la semaine dernière, correspondant à une vision assez partagée par notre assemblée et notre commission des finances.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur pour avis de la commission de la culture. - Je ne rendrai mon rapport d'avis que la semaine prochaine et en réserverai donc la primeur à ma commission.

Je partage les observations de votre rapporteur spécial, d'abord concernant le temps de parole : s'il traite 10 milliards d'euros par minute, je dois, moi, en séance publique, en traiter plus de vingt, soit 400 millions d'euros par seconde ! Cela pose un réel problème. La première ligne du budget de la Nation mérite mieux que deux heures en séance. Je demanderai au ministre d'avoir un débat au Sénat avant les arbitrages budgétaires.

Votre rapporteur spécial a raison, la progression du budget n'est pas l'essentiel. Je le dis depuis vingt-deux ans, ce n'est pas seulement sur ce point qu'on peut juger un tel budget. Ce dernier a doublé ces dernières décennies pour atteindre plus de 70 milliards d'euros, et le résultat n'est pas à la hauteur. Le service public de l'éducation peine en effet à assurer sa mission républicaine d'égalité des chances : un fils d'ouvrier a 17 fois moins de chances qu'un fils de cadre d'intégrer une grande école ; 140 000 jeunes sortent chaque année sans qualification du système éducatif - on le sait peu, mais la moitié d'entre eux avaient eu des difficultés en primaire, et notamment avaient redoublé leur CP. Un point positif de ce budget est donc la priorité donnée au primaire, et en particulier au premier cycle d'apprentissage, CP, CE1 et CE2. Je salue le dédoublement des CP en réseau d'éducation prioritaire, qu'il faudrait accompagner d'une pédagogie différenciée.

Reste un problème récurrent, les remplacements, qui fait s'interroger la communauté éducative, et notamment les parents. Ce n'est pas un problème budgétaire - les moyens accordés ne sont pas entièrement consommés ; c'est dû à un système corseté, pour reprendre les mots du recteur de l'académie de Versailles Daniel Filâtre, dans lequel un enseignant d'un côté de la Seine ne peut pas la traverser pour effectuer un remplacement, car il changerait de département. Mon avis sera donc plutôt favorable.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Chaque année, Gérard Longuet plaide pour un rééquilibrage entre primaire et secondaire - il ne faut pas en effet forcément plus de moyens, mais mieux utiliser les moyens.

Je me réjouis que l'on examine les crédits de cette mission après l'audition de Jean-Michel Blanquer, qui avait donné des réponses précises sur ses idées : priorité au primaire, nécessité que les élèves qui en sortent maitrisent les trois opérations et le respect d'autrui, « devoirs faits »...

Il faut donner toutes ses chances à ce budget, que j'appelle, comme le rapporteur spécial, à adopter.

M. Antoine Lefèvre. - Le Premier ministre avait annoncé une réforme des classes terminales, avec notamment la nomination de deux professeurs principaux dès le mois de décembre. Y a-t-il une incidence budgétaire ? Si oui, a-t-elle été intégrée dans le budget ?

M. Arnaud Bazin. - La mesure phare de ce budget est le dédoublement des CP, et maintenant des CE1, que chacun approuve. Mais la qualité de l'apprentissage ne dépend pas que du nombre d'élèves, mais aussi de la qualité de l'enseignant lui-même, de l'investissement des familles, du comportement des élèves, des priorités fixées dans l'apprentissage... Un dispositif d'évaluation est-il prévu ? Au bout d'un ou deux ans, on saura bien si les enfants savent mieux lire, écrire et compter.

J'ai noté avec intérêts vos propos et ceux du ministre sur l'autonomie accrue des collèges. Beaucoup de départements consentent des investissements importants en faveur de l'innovation pédagogique. Le chef d'établissement aura-t-il véritablement toute latitude pour ces innovations ?

M. Michel Canevet. - Nous sommes souvent partagés entre la volonté de donner plus de moyens humains à l'éducation et la nécessité d'être raisonnable au regard de la situation budgétaire de notre pays.

Ce ministère comptant la moitié des fonctionnaires de l'État, aucune réduction des effectifs de la fonction publique en général ne se fera sans un effort d'optimisation de ses moyens humains. Y a-t-il des marges d'action en cette matière, par exemple parmi les personnels mis à disposition de tiers ou du côté des remplacements ? On entend souvent parler de remplaçants qui restent à la maison faute de travail à certains moments, mais qui ne suffisent pas à couvrir toutes les absences à d'autres moments, où beaucoup de professeurs sont absents en même temps.

La réduction des effectifs dans les trois années à venir pourrait-elle être un levier pour adapter ces derniers aux besoins ? On ne peut pas continuer à augmenter toujours plus les effectifs pour des résultats qui ne sont pas à la hauteur.

M. Éric Jeansannetas. - Nous nous félicitons que ce budget progresse, comme sous l'ancienne majorité. Des efforts considérables sont faits pour la scolarisation des enfants de moins de trois ans ; le dédoublement des CP en réseaux d'éducation prioritaire est une chance pour les jeunes Français qui vont à l'école dans ces zones difficiles. La réforme des rythmes scolaires avait beaucoup inquiété les communes, notamment à la rentrée 2017 ; la pérennisation du fonds de soutien pour les communes volontaires est donc une bonne nouvelle. Mais cela tiendra-t-il dans le temps ?

M. Marc Laménie. - La question des moyens humains réellement devant les élèves est souvent évoquée. A-t-on une idée de ces effectifs par rapport à ceux des rectorats et inspections d'académie, ou généralement qui ne sont pas devant les élèves ? C'est certainement difficilement mesurable.

Les formations de base, lecture et écriture, sont essentielles. Le rapporteur spécial des crédits de la mission « Anciens combattants et devoir de mémoire » le sait bien : la Journée défense et citoyenneté (JDC) permet de mesurer le décalage entre ce qui est attendu et la réalité et tout ce qui resterait à faire en dépit de l'augmentation des crédits. L'implication, le dévouement de beaucoup d'enseignants rencontre souvent des situations difficiles. Le mal-être, noté chez les policiers et les gendarmes, existe aussi chez les enseignants.

M. Julien Bargeton. - Quand l'opposition dit tant de bien d'un budget, il est difficile d'en rajouter...

M. Gérard Longuet, rapporteur spécial. - « Timeo Danaos et dona ferentes ! »

M. Julien Bargeton. - J'ajouterai toutefois quelques éléments. La réforme du baccalauréat, avec la mission confiée à Pierre Mathiot, permettra de faire des économies, même si ce n'est pas le seul objectif poursuivi. L'orientation et le lien avec l'université sont aussi renforcés au lycée par les nouvelles missions confiées aux professeurs principaux et le rôle des conseils de classe du deuxième trimestre ; ces nouveautés peuvent engendrer des coûts, mais aussi peut-être améliorer l'efficience.

M. Gérard Longuet, rapporteur spécial. - Je l'ai dit à Jean-Michel Blanquer : c'est un ministre qui a l'avantage de connaître le ministère pour avoir été recteur dans des académies difficiles, Guyane et Créteil, et - sous un ministre de droite - un directeur général de l'enseignement scolaire apprécié des uns et des autres. J'aurais mauvaise grâce à croire qu'une participation à un gouvernement signifierait qu'il a abandonné ses convictions, d'autant plus que rien ne le laisse soupçonner.

Antoine Lefèvre, le coût de la nomination de deux professeurs principaux dès décembre 2017 a été intégré dans le budget pour 2018.

Arnaud Bazin dit quelque chose de très vrai : la réussite pédagogique est une affaire collective, dont les parents sont les premiers acteurs. C'est d'ailleurs pour cela que je suis favorable à la liberté de l'enseignement, qui est une façon pour les parents d'exprimer leurs choix, leurs préférences, leurs convictions. Plus les parents sont associés, plus la scolarité est réussie. C'est aussi une affaire de travail collectif des enseignants, lequel ne peut exister sans le chef d'établissement. L'importance de son rôle ne fait aucun doute dans les lycées prestigieux comme Henri-IV, mais cela est moins vrai pour les lycées professionnels et technologiques. Il est peu reconnu pour les principaux de collèges, et pratiquement pas reconnu pour les directeurs d'écoles. Or la réussite des élèves dépend d'enseignants qui les suivent de classe en classe et de matière en matière. On parle souvent en termes chaleureux de « communauté éducative ». C'est souvent une illusion : les enseignants ne se parlent pas faute de chef d'orchestre et les parents ne s'expriment que s'ils sont mécontents - cela étant, à mon avis, la pire des façons d'assurer la réussite scolaire de leurs enfants.

Le dédoublement ne suffit donc pas. Mais une éducation nationale qui dédouble les classes fait un effort suffisant pour que les parents viennent aux réunions et que les professeurs acceptent de travailler ensemble, ce qui n'est pas toujours le cas. L'évaluation de cohortes d'élèves ayant bénéficié du dédoublement est prévue. Le quantitatif ne suffit pas. Les élèves doivent comprendre une idée simple : se former est une chance, ce n'est pas un fardeau, mais c'est un effort ; il ne faut pas attendre, comme une plante, que l'arrosoir vienne vous arroser : il faut travailler ! C'est pour cela que je trouve le dispositif « devoirs faits » formidable : cela crée une communauté de travail.

Je n'ai pas de réponse sur les innovations. Mais j'ai la conviction que les élus locaux ne sont pas suffisamment associés à la vie des établissements. Ils servent de punching ball aux parents mécontents qui se plaignent du menu de la cantine...

L'hygiène des sanitaires est un sujet important. Le respect de la vie collective passe par des toilettes propres. J'ai un passé de militaire, comme ministre et comme sous-lieutenant : quand c'est propre, on se respecte, et on respecte la communauté, l'institution ; quand c'est sale, c'est l'inverse.

Les parents, trop souvent, ne sont pas proactifs, ils sont râleurs. Dans l'enseignement agricole c'est un autre état d'esprit, parce qu'il y a un projet éducatif et professionnel.

Oui, Michel Canevet, il y a un vrai problème de gestion des ressources humaines, comme vient de le rappeler la Cour des comptes. Notre commission a travaillé sur les heures supplémentaires ; l'annualisation est une nécessité absolue, comme la bivalence, au moins dans le premier cycle secondaire, pour assurer les remplacements. Aujourd'hui, les chefs d'établissements jonglent avec les effectifs disponibles et les inspections académiques disposent de remplaçants qui ne sont pas toujours mobilisées. Il manque une souplesse que l'annualisation permettrait d'obtenir.

Il y a 30 000 élèves en moins dans le primaire, mais le diable se cache dans les détails : cela dépend des régions. La mienne perd des habitants, mais d'autres en gagnent beaucoup. Il faudrait que les effectifs en tiennent compte, mais, étant attachés à nos établissements, nous nous battons tous pour garder nos enseignants, même si le taux d'encadrement devient déraisonnable. La viscosité de l'adaptation rend la situation de crise permanente pour les malheureux recteurs qui doivent arbitrer entre ceux qui ont des élèves et pas de professeurs et ceux qui ont des professeurs, mais pas d'élèves. Jean-Michel Blanquer a l'avantage d'avoir été recteur de régions où il y avait trop d'élèves par rapport au nombre de professeurs parce que d'autres régions retenaient ces derniers.

Je n'ai pas été un père de famille très attentif, mais je suis un grand-père relativement soucieux de l'éducation de mes dix petits-enfants. La scolarité des moins de trois ans, outre qu'elle soulage les mères de famille, fait passer au budget de l'État des dépenses qui seraient autrement assurées par les communes ou le monde associatif ; surtout, elle permet d'apprendre aux enfants la sociabilité, qu'ils ne connaissent pas toujours lorsqu'ils sont issus de familles où ne sont pratiqués ni le français ni les traditions - je n'ose dire « bon chic bon genre », ce serait trop versaillais - mais habituelles.

Les Francs, qui ne furent que 400 000 à entrer en France en trois siècles, pratiquaient l'égalité entre l'homme et la femme, et cette dernière participait aux combats, ce qui n'était pas le cas chez les Gaulois et encore moins chez les Romains. Dans certaines générations nouvelles, le garçon est considéré comme Dieu sur terre, ce qui n'est pas un service qu'on lui rend. L'avantage de la maternelle, c'est que les garçons apprennent qu'ils ne sont pas Dieu sur terre et qu'il faut respecter les autres.

Jean-Michel Blanquer laisse la porte ouverte pour les rythmes scolaires. Tout dépendra de la sociologie des villes et des territoires. Le plus probable, connaissant Bercy, c'est que si les collectivités territoriales ont le choix, elles devront financer le périscolaire sur leurs deniers propres. Je vous fiche mon billet que ce sera le cas, probablement avant la fin du quinquennat.

On compte 27 700 ETPT « supports », dont 1 000 cadres A non enseignants, parmi lesquels 60 % font partie de cadres administratifs et 40 % de cadres techniques. Par rapport au million d'enseignants, c'est raisonnable. Il y a un colonel pour 800 hommes : c'est le même ratio. Notre commission a beaucoup travaillé sur les enseignants qui n'étaient pas en face d'élèves et nous avons réussi à dégonfler le mythe selon lequel il y aurait de nombreux enseignants qui ne seraient pas au travail...

La réforme du bac est très importante, Julien Bargeton, car cet examen final commande tout l'amont. Quelqu'un a dit que les classes préparatoires aux grandes écoles avaient un immense avantage, celui d'être les dernières ; c'est du même ordre. Si nous voulons nous battre contre la diversité infinie des formations secondaire, il faut un bac qui ramène les élèves vers quelques valeurs fortes.

Il faut effectivement organiser le lien entre supérieur et lycée. Nous provinciaux, avons le sentiment que nos lycées sans classes préparatoires dans des villes non universitaires, sont un peu moins bons, et jouent en quelque sorte en deuxième division. Jumeler supérieur et secondaire à travers des professeurs qui enseignent aux deux niveaux n'est pas forcément mauvais. Lorsque j'ai quitté Henri-IV, j'ai retrouvé le même professeur à Sciences-po, cela rassure. Ce n'est pas le cas au lycée Margueritte à Verdun. Il faudrait y travailler, au-delà des classes préparatoires.

J'ai évoqué la bivalence, l'annualisation du temps de travail, l'utilisation indispensable des heures supplémentaires. Le compte d'affectation spéciale des retraites représente 30 % du budget. Quand on prend une décision, on la paie longtemps. C'est le problème de l'Éducation nationale : tout est petit en apparence, mais multiplié par des dizaines de milliers de classes, cela fait rapidement beaucoup d'argent. Il faut donc être très prudent - c'est le rôle de la commission des finances.

À l'issue de ces débats, la commission décide de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits de la mission « Enseignement scolaire ».

La réunion est close à 18 h 35

Mercredi 15 novembre 2017

- Présidence de M. Vincent Éblé, président -

La réunion est ouverte à 8 h 35.

Projet de loi de finances pour 2018 - Examen des articles de la première partie - Examen du Tome II du rapport général

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - La première partie du projet de loi de finances comprenait initialement 29 articles ; l'Assemblée nationale a introduit 28 articles additionnels, nous avons donc 57 articles à examiner. Je ne peux que souscrire aux propos de Bruno Le Maire hier qui invitait à tirer les leçons du rapport de l'inspection générale des finances (IGF) et à mieux préparer les lois en amont. Les articles rédigés à la hâte sur un coin de table posent souvent des problèmes juridiques. Un grand nombre des articles de première partie de ce projet de loi de finances sont en réalité techniques et je concentrerai donc mes propos sur les articles ayant un certain enjeu, en vous renvoyant à mon rapport écrit pour le détail de chaque mesure fiscale proposée.

Le Gouvernement a fait le choix de ne pas remettre en cause les mesures fiscales prises par la précédente majorité, notamment la baisse progressive du taux de l'impôt sur les sociétés (IS) qui commencera à prendre effet en 2018 ou encore l'élargissement du crédit d'impôt pour l'emploi de personnes à domicile. Malgré ce choix qui réduit les marges de manoeuvre du Gouvernement en matière fiscale, celui-ci propose trois dispositions nouvelles ayant un effet significatif dès 2018 : la suppression progressive de la taxe d'habitation, à l'article 3, pour un coût de trois milliards d'euros ; la mise en oeuvre du prélèvement forfaitaire unique (PFU) à l'article 11, dont le coût est estimé à 1,3 milliard d'euros, et la transformation de l'impôt de solidarité sur la fortune en impôt sur la fortune immobilière (IFI) à l'article 12, dont le coût est estimé à 3,2 milliards d'euros.

Notre commission avait créé, avant le renouvellement sénatorial, un groupe de travail sur la taxe d'habitation et entend faire des propositions. Nous avons reçu les réponses au questionnaire que nous avions adressé au Trésor cet été sur la fiscalité locale chez nos voisins. Ce sujet est particulièrement complexe. Soyons francs, nous manquons de temps en période budgétaire pour réinventer entièrement la fiscalité locale alors que nous n'avons pas fini d'évaluer les conséquences de la réforme de la taxe professionnelle...

La réforme proposée ici de manière brutale pour toutes les communes ne saurait constituer le point de départ d'une réflexion. La taxe d'habitation restera inéquitable car elle continuera à être assise sur des bases locatives obsolètes et injustes. Ensuite, elle se concentrera sur 20 % des ménages, alors même que 83,4 % du produit de l'impôt sur le revenu est déjà acquitté par 20 % des contribuables, dont on peut penser qu'il s'agira, dans une large mesure, des mêmes que ceux qui continueront d'acquitter la taxe d'habitation. Sur 36 200 communes pour lesquelles nous disposons de données exploitables, 194 pourraient ne plus compter qu'un seul contribuable, 7 800 moins de dix et 3 200 moins de cinq. Une telle situation soulève une question d'ordre constitutionnel, au regard du principe d'égalité devant l'impôt, qu'il reviendra au Conseil constitutionnel de trancher. Le Gouvernement reconnaît du reste qu'il y a un problème.

Cette réforme se traduira aussi par une aggravation des inégalités territoriales, au détriment des communes les moins favorisées, pour lesquelles le pouvoir de taux effectif sera considérablement limité, voire inexistant. Selon les simulations transmises par la direction de la législation fiscale, 206 communes devraient voir l'ensemble de leurs contribuables exonérés ou intégralement dégrevés de taxe d'habitation. En revanche, la part de contribuables exonérés ne s'élèvera qu'à 35 % à Neuilly-sur-Seine et à 56 % à Paris. Au total, cette réforme apparaît donc à la fois précipitée et incohérente, concentrant sur un faible nombre de contribuables un impôt assis sur des base obsolètes.

Il est symptomatique que la lettre de mission adressée par le Premier ministre à notre collègue Alain Richard, et à Dominique Bur, préfet de région honoraire, prévoie que ces derniers devront « envisager un scénario consistant à supprimer intégralement la taxe d'habitation, à terme, et à compenser cette réforme via une révision d'ensemble de la fiscalité locale ». Le Gouvernement a donc mis la charrue avant les boeufs et a décidé avant de réfléchir ! N'est-ce pas plutôt au Parlement et aux commissions des finances de mener la réflexion, plutôt qu'à des comités ad hoc ? Il convient en tout cas de se donner le temps de mener ces réflexions, qui devront aboutir à une refonte globale de la fiscalité locale. C'est pourquoi je vous proposerai, avec mon amendement de suppression, de reporter la réforme pour nous laisser le temps de faire des propositions abouties.

Autre disposition d'importance, le prélèvement forfaitaire unique, idée simple et séduisante en apparence - qui réjouirait notre ancien collègue Dassault ! - même si sa rédaction occupe 35 pages et 324 alinéas dans le texte qui nous a été transmis par l'Assemblée nationale ; il s'agit de revenir sur l'alourdissement considérable de la fiscalité de l'épargne au cours du précédent quinquennat. À ce stade et sous réserve de l'examen plus approfondi du dispositif, notamment des clauses anti-abus, je vous proposerai un seul amendement visant à maintenir le régime actuel d'abattements applicables aux plus-values de cession réalisées par des dirigeants de PME partant à la retraite. Il importe en effet de préserver le potentiel de croissance des entreprises dont le dirigeant atteint l'âge de la retraite.

L'immobilier est maltraité dans ce budget : outre l'article 52, et la transformation de l'ISF en IFI, il est exclu de l'assiette du nouveau prélèvement forfaitaire unique. Je me suis interrogé sur l'opportunité d'inclure les revenus tirés de l'investissement immobilier dans l'assiette de ce nouveau prélèvement afin de réduire la distorsion fiscale entre investissement mobilier et immobilier que la réforme a accrue, comme je le montre dans mon rapport La « rente immobilière » : mythe et réalités. Je crains d'ailleurs une crise de l'immobilier. Le logement social, cher à Philippe Dallier, sera touché au même titre que le parc locatif privé. Toutefois, le PFU s'applique déjà à une partie des investissements immobiliers indirects, dits « pierre-papier » : ainsi, les dividendes et autres produits répartis par les sociétés d'investissement immobilier cotées (SIIC) sont imposés dans la catégorie des revenus mobiliers et les plus-values de cession relèvent du régime des valeurs mobilières, c'est-à-dire du PFU après réforme. Il en va de même pour les sociétés immobilières d'investissement et de gestion (SII et SIG) et les sociétés à prépondérance immobilière à capital variable (SPPICAV) ou encore les organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM) dits « immobiliers ».

Trois principaux motifs m'ont conduit à écarter, à ce stade, l'intégration des revenus fonciers au dispositif. D'une part, le coût d'une telle extension du prélèvement forfaitaire unique serait très élevé : d'après les déclarations du ministre de l'économie et des finances, en séance à l'Assemblée nationale, il serait de 3,3 milliards d'euros pour l'État. D'autre part, la taxation forfaitaire des revenus du capital est justifiée car ces placements sont très mobiles. Il en va différemment pour les placements fonciers peu mobiles : le risque d'effritement de l'assiette est donc moindre que pour les revenus du capital. Les revenus fonciers ne font pas non plus l'objet d'une double taxation, à l'impôt sur les sociétés puis à l'impôt sur le revenu : le bénéfice d'un taux réduit d'imposition sur le revenu peut donc apparaître moins facile à défendre. Mais surtout, l'intégration des revenus fonciers au prélèvement forfaitaire unique risquerait, paradoxalement, d'alourdir la fiscalité pesant sur les revenus immobiliers de certains contribuables. En effet, au-delà d'une durée de détention de neuf ans, les abattements actuels en matière de plus-values immobilières sont plus avantageux que le PFU. Il semble problématique de remettre en cause ce régime de façon soudaine et inattendue. Le propriétaire qui vendrait un appartement qu'il détient depuis 22 ans serait alors imposé alors qu'il est exonéré dans le régime actuel hors prélèvements sociaux. Enfin, l'articulation entre le PFU et les dispositifs fiscaux dérogatoires en matière d'immobilier devrait être expertisé. Pour toutes ces raisons, l'intégration des revenus fonciers au PFU m'a paru difficile à mettre en oeuvre dans les délais réduits de l'examen du projet de loi de finances sans risquer d'induire des effets contreproductifs sur la taxation de l'immobilier.

L'assiette du nouvel impôt sur la fortune immobilière (IFI), composée des actifs immobiliers non affectés à l'activité professionnelle de leur propriétaire, m'apparaît incohérente. En effet, la « pierre-papier » et l'investissement locatif sont inclus dans le périmètre du nouvel impôt, alors même qu'il s'agit indéniablement de placements productifs, et que l'immobilier représente 18 % de la valeur ajoutée en France et contribue au dynamisme de l'économie française, ce qui n'est pas le cas des dépôts bancaires dormants. Ensuite, l'IFI exclut de son assiette des actifs tels que les liquidités et des biens (voitures, or, yachts, etc.), qui représentent actuellement une part substantielle de l'assiette de l'ISF et peuvent difficilement être qualifiés de productifs. Pour mémoire, les liquidités dans les déclarations d'ISF représentent une base taxable de 69,7 milliards d'impôts et seront désormais exonérées. Si je souscris à la stratégie du Gouvernement visant à exonérer les biens productifs pour taxer les biens improductifs, je ne comprends pas la cohérence de ces dispositions. Ainsi celui qui vendrait un appartement qu'il louait à titre non professionnel pour laisser le produit de la vente sur son compte courant serait exonéré d'IFI tandis que celui qui continuerait à le louer serait imposé !

Si ce nouvel impôt apparaît très discutable sur le plan de l'efficacité économique, il l'est aussi sur le plan de l'équité : l'IFI concentrera l'imposition sur les membres de la classe moyenne supérieure dont la résidence principale s'est fortement appréciée, notamment à Paris, ou sur ceux qui ont reçu en héritage un bien familial. Je montre dans mon rapport que la composition du patrimoine varie en fonction du revenu : les ménages à faible revenu possèdent essentiellement des liquidités, tandis que le patrimoine des classes moyennes est principalement composé de la résidence principale ; au-delà, la part de l'immobilier dans le patrimoine diminue en fonction du niveau de richesse. Les grandes fortunes ne seront donc pas touchées par l'IFI.

C'est un impôt complexe, à cause des clauses anti-abus ; il soulève d'importantes difficultés tant sur le plan juridique que pratique, en particulier pour les actifs situés à la frontière entre les valeurs mobilières et immobilières. Il faudra par exemple dans les contrats d'assurance-vie multi-supports isoler la part qui relève de l'immobilier ; de même, il faudra distinguer la part de dettes immobilières dans les bilans des entreprises. C'est un nid à contentieux !

Afin de masquer l'incohérence de l'assiette retenue, l'Assemblée nationale a voté de multiples surtaxes, concernant les cessions d'or et objets précieux, les droits sur les navires de plaisance, ou encore les taxes sur l'immatriculation des voitures de sport. C'est de l'affichage : il ne reste guère de yachts immatriculés en France tandis que les voitures de sport seront louées auprès des sociétés et non achetées ! Ces taxes rapporteraient en outre moins de 40 millions d'euros, ce qui est sans commune mesure avec le montant de l'exonération de ces biens au titre du nouvel IFI.

J'ai donc la tentation de prendre une mesure plus logique et plus simple consistant à supprimer totalement d'impôt de solidarité sur la fortune. Le problème de l'ISF est que son taux est décorrélé du rendement des actifs. En 1982, le taux des OAT était de 15 % et le taux de l'impôt sur les grandes fortunes était au maximum de 1,5 %, donc le taux d'imposition réel s'établissait à 10 % du rendement. Aujourd'hui, compte tenu du rendement des OAT, de 1,7 % à 30 ans, le taux d'imposition est proche de 100 % du rendement. Il conviendrait de supprimer l'ISF. Le Gouvernement a fait les trois-quarts du chemin, aidons-le à aller jusqu'au bout. Cela ne coûterait que 850 millions d'euros. Je ne vous propose cependant pas à ce stade d'amendements afin que nous puissions échanger au préalable entre nous sur les options possibles, et je vous demanderai de réserver notre vote sur les quatre articles correspondants.

J'en viens maintenant aux autres dispositions de ce texte, dont certaines sont satisfaisantes puisque nous les avons inspirées. Ainsi, je vous proposerai d'adopter les articles qui reprennent des positions traditionnelles de notre commission des finances, en particulier l'article 15 qui revient sur l'extension de la taxe sur les transactions financières (TTF) aux opérations infrajournalières, extension à laquelle notre commission des finances s'est opposée de manière constante. Je vous proposerai de confirmer la suppression de la contribution de 3 % sur les revenus distribués, à l'article 13, qui a de toute manière été censurée par le Conseil constitutionnel.

Contrairement aux précédents projets de loi de finances, l'article 2 se contente d'indexer le barème de l'impôt sur le revenu sur l'inflation, sans en revoir les paramètres. Je ne peux que me réjouir que l'assiette de cet impôt ne soit pas rabotée à nouveau. Cependant, je vous proposerai un amendement afin de faire un geste en faveur des familles, maltraitées fiscalement par le précédent Gouvernement et vers lesquelles le nouveau Gouvernement entend également se tourner pour faire de nouvelles économies puisque la réforme de la prestation d'accueil du jeune enfant entraînera une perte de prestations comprise entre 1 100 et 2 000 euros par an pour quelque 150 000 familles comptant des enfants de moins de trois ans. Je vous proposerai donc de relever le plafond du quotient familial.

Parmi les mesures fiscales de première partie figurent également des dispositions relatives à la fiscalité écologique. Tout d'abord, le Gouvernement a renoncé à l'article 8 qui aménageait dès la fin septembre les modalités d'application du crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE). Ces aménagements étaient trop précipités, même s'il faut éviter les effets d'aubaine. Je vous propose de confirmer la suppression de cet article et le report de la réforme aux travaux réalisés en 2018 pour tenir compte des contraintes des professionnels, tout en restant ouvert à des aménagements.

L'article 9 définit la trajectoire de la composante carbone pour la période 2018-2022 et ses conséquences en matière de tarifs de taxes intérieures de consommation. Ces dispositions alourdiront la fiscalité sur les ménages, notamment les ménages modestes et ceux situés en zone rurale, qui subiront la hausse du prix des carburants. Ainsi, en 2018, la hausse de la composante carbone de 30,5 à 44,6 euros par tonne de CO2, cumulée à la hausse de 2,6 centimes d'euro du tarif de la TICPE applicable au gazole, devrait dégager un rendement de 3,7 milliards d'euros. Cependant, à ce stade je ne vous propose pas de revenir sur ces dispositions qui participent du renforcement de notre fiscalité environnementale dans un contexte de coût de l'énergie relativement bas. Je n'exclus pas en revanche de proposer des amendements sur certains dispositifs de fiscalité énergétique dont la rédaction ne me semble pas opérationnelle le moment venu.

Cette année la dotation globale de fonctionnement ne subira pas de diminution brutale. Je vous proposerai un amendement supprimant la minoration de 65,8 millions d'euros des fonds départementaux de péréquation de la taxe professionnelle (FDPTP) qui bénéficient très majoritairement aux communes fragiles. Je ne vous proposerai pas de revenir sur le montant de TVA attribué aux régions, les promesses du précédent Gouvernement n'étant pas financées. Enfin, je vous proposerai d'harmoniser les dates de la période transitoire de maintien des effets du classement de certaines communes en zones de revitalisation rurale (ZRR).

Enfin je vous proposerai à l'article 26 de tirer les conséquences de l'amendement adopté par notre commission sur l'article 7 du PLFSS supprimant la hausse de CSG sur les retraités. Il s'agit de revoir à la hausse la fraction de TVA affectée à l'assurance-maladie.

L'examen de ce matin n'est qu'un premier échange sur les articles fiscaux. La semaine prochaine, nous devrons nous prononcer sur les articles pour lesquels je vous propose de réserver notre vote aujourd'hui. Je n'exclus pas non plus de vous présenter des amendements sur d'autres thèmes qui me sont chers comme la fiscalité applicable aux donations, les investissements des petites et moyennes entreprises, la fiscalité de l'économie collaborative, l'amélioration des rentrées fiscales en matière de TVA ou encore la taxation des GAFA.

M. Philippe Dallier. - Je voudrais revenir sur la politique du logement du Gouvernement. On parle beaucoup de l'article 52 mais il y a des dispositions aussi bien en première partie qu'en seconde partie du projet de loi de finances. Avec la commission des affaires économiques, nous voulons proposer des mesures pour remplacer la baisse brutale de 1,5 milliard d'euros des aides personnalisées au logement (APL), mais nous avons du mal à obtenir du Gouvernement les données nécessaires pour calibrer nos propositions. Hier j'ai d'ailleurs dû menacer Bercy de me rendre sur place si je n'obtenais pas les renseignements demandés.

Le Gouvernement tient un discours étonnant : d'un côté, il reconnaît qu'il y a trop de mal-logés ; d'un autre côté, il estime que la politique du logement coûte trop cher (40 milliards d'euros). On aurait pu en discuter, chercher ensemble des solutions. Au lieu de cela, le Gouvernement a annoncé des mesures brutales qui risquent de fragiliser toute la chaîne du logement. Or le logement social n'est qu'un maillon de celle-ci : si on envoie au tapis 200 organismes HLM, cela aura des conséquences pour de nombreux opérateurs immobiliers car la plupart des opérations immobilières sont mixtes. De même la transformation de l'ISF en IFI est un mauvais signal, tandis que la suppression de la taxe d'habitation aboutit à concentrer l'impôt local sur l'impôt foncier. Tout cela n'est guère cohérent.

J'espère obtenir l'accord du Gouvernement pour diviser par deux la baisse des APL, en trouvant 750 millions en recettes via l'IS ou la TVA. La Cour des comptes privilégie l'IS mais l'inconvénient est que l'on ne peut prendre en considération l'IS dans le montage financier d'une opération immobilière. A l'inverse la TVA peut être prise en compte et les bailleurs pourront s'y retrouver, notamment si la Caisse des Dépôts et consignations propose des prêts à des taux avantageux. La question est donc de déterminer ce qui passera d'une TVA réduite à 5,5 % à une TVA à 10 %, la construction neuve ou la rénovation ? Après les batailles épiques pour faire bénéficier certains secteurs d'une TVA réduite, il semblera peut-être étrange de revenir à un taux normal, mais ce sont les seules pistes qui semblent avoir l'aval du Gouvernement.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - L'inconvénient de ce texte est qu'il concentre les impôts sur l'immobilier : article 52, transformation de l'ISF en IFI, exclusion de l'immobilier du prélèvement forfaitaire unique, réforme de la taxe d'habitation qui aboutit à un transfert de l'impôt sur le foncier bâti, etc. Il ne faudra pas s'étonner ensuite si une crise de l'immobilier éclate ! Un quart des Français sont logés dans le parc locatif privé ; 92 % des bailleurs sont des personnes physiques, cela fait longtemps que les investisseurs institutionnels ont réduit leur présence sur ce marché. Ces mesures sont contreproductives économiquement car elles risquent de détourner les investisseurs de la pierre, avec des conséquences pour le logement locatif.

M. Éric Bocquet. - Je remercie le rapporteur général d'avoir ouvert le débat en posant les questions de fond, au-delà des aspects simplement techniques. Je partage assez son analyse sur la taxe d'habitation. Quelle sera la compensation pour les communes en contrepartie de sa suppression ? Cette réforme constitue un pas supplémentaire dans la diminution de l'autonomie financière des collectivités territoriales qui dépendront encore davantage des dotations de l'État. Depuis trente ans on parle de réviser les valeurs locatives, mais nul ne l'a jamais fait et les inégalités se sont accrues !

Le PFU n'est pas une nouveauté : en anglais c'est la flat tax, mise en place au Royaume-Uni par Margaret Thatcher... preuve que l'ancien monde a bien du mal à disparaître ! Emmanuel Macron utilise d'ailleurs les mêmes arguments que Margaret Thatcher, en faisant croire que cette réforme profitera à tous. Cet impôt marque pourtant la fin de la progressivité et est donc très inégalitaire. Il figurait aussi dans les programmes de François Fillon et Alain Juppé. Là encore, en dépit de l'alternance politique, l'alternative n'est pas au rendez-vous ! Enfin c'est une bombe à retardement pour nos finances publiques et nos services publics.

La suppression de l'ISF est un vieux débat. On crée l'IFI pour atténuer les choses. Pourtant dans le même temps les Belges vont créer un impôt sur la richesse, à tel point que nous verrons peut-être revenir en France Gérard Depardieu qui vend sa maison à Néchin. Alors que 69 milliards d'euros de liquidités seront exonérés, je rappelle que le « S » d'ISF signifie « solidarité ». Si le rendement de l'ISF n'était pas suffisant, il fallait plutôt en augmenter le taux. Si j'en crois les estimations du magazine Challenges, une personne possédant un portefeuille d'actions de trois millions d'euros et un logement d'une valeur d'un million d'euros paie actuellement 25 000 euros d'ISF ; il ne paiera plus rien ! Un PDG du CAC 40 possédant une résidence à 1,5 million d'euros et un patrimoine de 15 millions d'euros en valeurs mobilières qui payait 195 700 euros d'ISF paiera 3 900 euros au titre de l'IFI ! Au nom de quoi mettons-nous ainsi à bas le principe d'égalité ? On nous a vendu la théorie du ruissellement de la richesse du haut vers le bas, en réalité c'est d'évaporation fiscale dont il s'agit !

M. Marc Laménie. - La TVA est la première recette pour le budget de l'État. Quel sera son montant estimé l'an prochain ? De même combien rapportera l'IFI par rapport à l'ISF ? Enfin, je soutiens la proposition de notre rapporteur général pour rétablir les 65,8 millions d'euros des fonds départementaux de péréquation de la taxe professionnelle (FDPTP) qui bénéficient aux collectivités défavorisées. C'est une forme de solidarité importante. Ces crédits rentrent dans les recettes de fonctionnement. La baisse de 17 % décidée à l'Assemblée nationale était problématique.

M. Emmanuel Capus. - Un mot sur la réforme de la taxe d'habitation. Les collectivités territoriales ont bien pris conscience qu'il fallait qu'elles participent à l'effort budgétaire collectif. Elles sont inquiètes, c'est légitime. En même temps, une certaine stabilité s'impose. Il est donc pertinent de passer par le dégrèvement comme cela a été proposé.

J'ai toujours été hostile à l'ISF car la meilleure manière de lutter contre l'évasion fiscale c'est d'améliorer notre attractivité fiscale ! Les précédents gouvernements n'ont rien fait. Le Gouvernement propose de supprimer les trois-quarts de l'ISF. C'est mieux que rien. Ne nous y opposons pas. Il faut veiller toutefois à ce que des biens immobiliers qui n'étaient pas taxés au titre de l'ISF, comme certains biens professionnels par exemple, ne soient pas taxés au titre de l'IFI. À ce titre, j'aimerais savoir si des biens qui n'étaient pas taxés auparavant le deviendraient avec l'IFI.

M. Julien Bargeton. - Je tiens à souligner les avancées de ce texte en matière de fiscalité écologique. Nous devrions tous nous en féliciter. Je salue aussi la fin du mouvement de baisse des dotations aux collectivités territoriales, même si nous pouvons discuter sur les modalités de contractualisation et le pacte financier entre l'État et les collectivités territoriales.

Les réformes fiscales, nécessaires, doivent être faites quand la conjoncture s'améliore. Nous avons été collectivement incapables de réformer la taxe d'habitation, car nous craignions les transferts de charges massifs entre ménages. Néanmoins, il faut corriger la situation actuelle, qui est injuste.

Nous critiquons souvent les dépenses fiscales, qui doivent être mieux évaluées. Or nous continuons à en créer par des amendements. Nous devons être cohérents : il faut des réformes simples, lisibles, claires, et cesser de créer de nouvelles niches fiscales. Or Monsieur le rapporteur général, quand vous excluez une base de l'assiette, cela revient à créer une niche fiscale.

Sur les FDPTP, il faut reconnaître que la réforme de la taxe professionnelle a déstabilisé le paysage fiscal local. Les réformes bancales et mal conduites aboutissent à empiler des dispositifs complexes, qu'il faut ensuite corriger.

M. Thierry Carcenac. - Avec les réformes de la taxe professionnelle en 2010, de la taxe d'habitation aujourd'hui et, à terme, celle de la taxe foncière, nous aboutissons à une réforme de la fiscalité locale par petites touches, qui ne règle pas le problème du financement des collectivités. À ce titre, j'aimerais connaître le résultat de l'expérimentation sur la réforme des bases locatives des locaux d'habitation menée dans cinq départements. Une réforme similaire a bien été conduite pour les bâtiments commerciaux.

Cette réforme de la vision du financement local est une priorité. Nous devons nous pencher sur cette question car, peu à peu, c'est l'autonomie financière ou fiscale des collectivités qui est attaquée.

S'agissant du PFU ou de l'ISF, il faut en revenir à la progressivité de l'impôt. Nous sommes opposés à la flat tax. La pauvreté a légèrement diminué, certainement grâce aux dépenses sociales, mais les écarts de patrimoine s'accroissent. Monsieur le rapporteur général, vous proposez, en allant plus loin que le Gouvernement, de supprimer totalement l'impôt sur la fortune ; nous aurions préféré une majoration des droits de succession pour restreindre les écarts de fortune. Nous ne pouvons donc que nous opposer à cette mesure, qui concentrera l'impôt sur la fiscalité immobilière.

M. Gérard Longuet. - Je défendrai un point de vue libéral. Je soutiens le PFU, en souhaitant que son taux évolue vers un taux moyen européen.

Un impôt, c'est un taux et une base. S'agissant de la base, il faudrait encourager la durée de détention, notamment d'actions, qui devrait être prise en considération dans le PFU. Car on peut tout aussi bien se ruiner que s'enrichir en dormant !

Je ne suis pas opposé à un impôt sur la fortune immobilière pour frapper la rente. On s'apercevra rapidement que le concept, journalistique, de la rente est polémique et peu opérationnel. Pour financer des projets immobiliers, il faut mobiliser des investisseurs, qui sont parfois étrangers. Faut-il les pénaliser et se priver de cette forme d'investissement ?

M. Philippe Adnot. - Sur la taxe d'habitation, je veux ajouter un argument à ceux qui sont classiquement avancés : la suppression de la taxe récompense les collectivités les moins vertueuses, le lien entre l'impôt de service et la justification de l'impôt est supprimé. Par ailleurs les offices HLM ont des garanties d'emprunt des collectivités territoriales, mais il faut pouvoir lever l'impôt pour assumer ces garanties ! Quand j'étais président de département, j'ai supprimé la garantie accordée par le département pour le logement social lorsque la capacité de lever l'impôt nous a été enlevée. Si l'on n'a que des dotations, comment faire pour assumer cette garantie ?

Je ne suis pas choqué par la baisse des APL. Faire croire qu'on peut se loger gratuitement n'est pas une bonne chose. Mais prendre une décision et la mettre à la charge de personnes qui n'avaient rien demandé, cela ne va pas.

S'agissant des FDPTP, Bercy les considère toujours comme une variable d'ajustement. Cela traduit un manque de respect de la parole de l'État. Ainsi, des centrales nucléaires ont été construites dans certaines régions en échange de contreparties, qui ont ensuite été supprimées. Ce sont les communes défavorisées qui feront les frais de la réforme. Je soutiens fortement votre proposition, monsieur le rapporteur général.

M. Jacques Genest. - Je suis d'accord avec Éric Bocquet : on a peu d'informations sur l'évolution des dégrèvements de la taxe d'habitation. Jacqueline Gourault m'a surpris lorsqu'au Congrès des maires, elle a indiqué qu'en cas de hausse des taux de taxe d'habitation, ce serait la commune qui le supporterait : alors à quoi bon une augmentation de taux ? Peut-être s'est-elle trompée.

Je m'inquiète de la réévaluation des valeurs locatives, qui concernent la taxe d'habitation et la taxe foncière. Le Gouvernement augmentera-t-il, comme chaque année, les valeurs locatives ? Cette mesure bénéficie certes aux communes, mais celles-ci doivent ensuite affronter la colère des contribuables...

Si on supprime la taxe d'habitation, pourquoi ne pas faire de même pour la taxe foncière, puisqu'elle repose sur les mêmes bases locatives ?

Il faut faire attention à ne pas créer un impôt complètement déconnecté du territoire, car les zones rurales peuvent en souffrir.

Sur l'IFI, je partage la position du rapporteur général. On nous propose une réforme inaboutie, qui pénalise l'immobilier. L'ISF est un symbole, mais il rapporte peu. Il faut avoir le courage de supprimer totalement cet impôt.

Sur la flat tax, je ne suis pas d'accord avec mon groupe. Je suis favorable à son plafonnement à 30 %, mais je trouve anormal que ceux qui étaient taxés à 15 % soient soumis à ce taux de 30 %...

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Il y a un droit d'option.

M. Michel Canevet. - L'exposé du rapporteur général met en évidence les trois sujets principaux du projet de loi de finances : la taxe d'habitation, le PFU et la transformation de l'ISF.

Il faut résorber nos déficits, car la situation financière de la France ne peut perdurer. L'État doit conserver un certain nombre de ressources. Lors de l'élection présidentielle, des engagements clairs ont été pris. Ce projet de loi de finances pose le problème de la crédibilité de la parole publique. Je veux parler de la taxe d'habitation, qui est injuste car nous n'avons pas su réformer ses bases d'imposition.

Le rapporteur général nous a exposé le risque de distorsion de situation entre ceux qui la paieraient et ceux qui en seraient exonérés. Or c'est déjà le cas : sur les 29 millions de foyers, 4 millions en sont exonérés et un tiers de ceux qui sont soumis à cette taxe bénéficient de dégrèvements.

Néanmoins, il faut tenir compte des engagements qui ont été pris auprès des Français.

Il faut trouver des ressources qui permettent d'identifier la responsabilité des élus locaux : les collectivités doivent être financées non pas seulement par des dotations d'État, mais aussi par des ressources dont les élus auraient la maîtrise. Mais si on ne prend pas des mesures en début de mandat, on ne les prendra jamais !

Sur l'IFI, le Président de la République a pris des engagements, mais nous pouvons apporter des modulations. Certes, on pourrait supprimer totalement l'ISF, mais la situation de nos finances publiques ne nous permet pas de nous priver de certaines recettes. J'aurais préféré une réforme de l'ISF qui enlève les éléments productifs de la base taxable.

Quant au PFU, c'est un signal envoyé aux opérateurs économiques pour leur montrer que la France n'est pas le pays où l'on taxe le plus les entrepreneurs. Il faut soutenir cette bonne mesure, qui peut être adaptée pour tenir compte de l'intégration des revenus fonciers. Le Président de la République n'était pas entré dans les détails : nous pouvons donc certainement apporter cette modification de marge.

Mme Sophie Taillé-Polian. - Je m'interroge, comme l'a fait l'économiste Gabriel Zucman, sur les éventuels transferts entre les revenus salariaux et les revenus de dividendes qui pourraient, via le PFU, avoir un impact fort sur les finances publiques. Il y aurait en effet une différence importante entre le taux d'imposition des revenus salariaux et celui des revenus du capital. Nous n'avons eu aucun élément de réponse jusqu'à présent sur cette question.

M. Vincent Capo-Canellas. - Je craignais que le rapporteur général ne fasse des remarques trop noires sur le projet de loi de finances, mais je l'ai trouvé constructif ! C'est bien le rôle du Sénat de chercher à améliorer le texte qui nous est présenté.

Sur la taxe d'habitation, notre position est paradoxale : en demandant le report de la réforme, nous admettons que cette dernière est nécessaire. Celle qui nous est proposée est mauvaise, car elle présente de nombreux inconvénients, mais nous ne sommes pas si éloignés de la position du Gouvernement. Il préfère lancer la réforme pour la continuer ensuite ; pour notre part, nous préférons prendre du temps avant de commencer à réformer. Implicitement, nous reconnaissons aussi que le dégrèvement nous satisfait. Dont acte.

S'agissant de l'ISF, de nombreuses majorités auxquelles nous avons participé ont annoncé qu'elles le réformeraient, mais n'en ont rien fait. Le Gouvernement reprend la thèse de Bercy : l'immobilier va bien, donc on peut le taxer. Jusqu'à ce que le cycle se retourne... Notre rôle est de prévenir et de prémunir. Certes, la question du financement des acteurs du logement se pose, mais il faut envisager plus largement celle de la fiscalité de l'immobilier et de la sensibilité du secteur. Saluons tout de même l'avancée que représente la réforme de l'ISF.

M. Jean-François Husson. - Je veux parler des enjeux écologiques et environnementaux. La trajectoire de la contribution climat énergie, la convergence de la fiscalité sur le diesel et l'essence : on ajoute des taxes et des impôts, mais sans contreparties. Entre 2018 et 2022, cela représentera 14 milliards d'euros de prélèvements supplémentaires, sans perspective sur les plans climat, le chèque énergie... Je salue le léger progrès fait sur les primes à la conversion, dont le nombre doit être porté de 17 000 à 100 000.

En quelque sorte, une forme d'écologie punitive remplace une préoccupation écologique et environnementale positive et intelligente. L'essentiel en cette matière n'est pas de prélever l'impôt pour soulager les déficits, mais d'amener la société à évoluer progressivement vers la transition écologique.

M. Bernard Delcros. - Je ne voterai pas le rétablissement de la taxe d'habitation. Sa suppression est à mettre en parallèle avec l'augmentation de la GSG. Si on rétablit la taxe d'habitation, les familles devront supporter les deux mesures.

Je suis tout à fait d'accord avec les propos du rapporteur général sur l'immobilier. Les mesures proposées vont avoir un impact négatif sur l'activité économique, l'emploi et le logement. Il aurait été préférable de maintenir l'ISF en retirant de l'assiette les investissements productifs.

Je suis favorable au rétablissement des FDPTP proposé par le rapporteur général.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Éric Bocquet, vous avez évoqué, avec d'autres, les modalités de compensation aux communes de la suppression de la taxe d'habitation. Le mécanisme d'abattement prévoit que l'État se substitue purement et simplement aux contribuables. Il n'y a pas de difficulté pour la première année. L'évaluation préalable indique néanmoins que les hausses ultérieures seront mises à la charge des foyers, et qu'un mécanisme de limitation de ces hausses et de leurs conséquences sera discuté dans le cadre de la Conférence nationale des territoires. En clair, on signe un chèque en blanc ! Nous savons très bien que ce type de mécanisme ne tient pas dans le temps. C'est la raison pour laquelle nous voulons le report de cette réforme. Nous pouvons nous donner un an pour trouver un impôt de remplacement.

Le transfert des revenus soumis au barème vers le PFU est une question que nous devrons examiner. Les pays d'Europe du Nord qui ont mis en place une flat tax ont effectivement connu un tel transfert. Je déposerai peut-être des amendements visant à prévoir des mécanismes anti-abus.

S'agissant de l'ISF, le principal problème vient de la déconnexion entre son taux et son rendement. Il est vrai que la Belgique va créer un impôt sur la fortune, mais à un taux de 0,15 %, soit 10 % du taux français !

Philippe Dallier a évoqué l'immobilier traité en parent pauvre. C'est vrai. Nous attendons le travail de nos collègues sur l'article 52 relatif à la réforme des aides au logement.

Marc Laménie m'a interrogé sur la TVA. Le Gouvernement table sur de meilleures rentrées de TVA, à hauteur de 2,3 milliards d'euros supplémentaires en 2018. Le ministre de l'action et des comptes publics a annoncé ce matin 1 milliard d'euros supplémentaire de TVA pour 2017.

Emmanuel Capus a rappelé son hostilité à l'ISF et m'a interrogé sur d'éventuels cas dans lesquels l'application de l'IFI pourrait alourdir la fiscalité par rapport à l'ISF. Je pourrais en citer deux : les mandataires sociaux des foncières, qui ne bénéficieront plus de l'exonération de l'outil de travail, et les redevables qui investissent dans l'immobilier avec un fort effet de levier, une clause anti-abus venant arbitrairement limiter la déductibilité du passif au-delà de 5 millions d'euros de patrimoine taxable. Il n'y aura donc pas seulement des gagnants !

Julien Bargeton, comme Jean-François Husson, a évoqué la fiscalité écologique. C'est le verre à moitié plein ou à moitié vide ! Autant on peut prendre les transports en commun à Paris, autant cela n'est pas envisageable en Ardèche où l'on doit prendre sa voiture, laquelle roule souvent au diesel. Cela représente très clairement du pouvoir d'achat en moins.

Il a souligné que le Gouvernement avait interrompu la baisse des dotations aux collectivités locales. Je reconnais que l'arrêt de l'application du rabot à l'aveugle était une bonne décision.

Enfin, il a évoqué la nécessité de mener des réformes fiscales. Certes, mais celle de l'ISF n'est pas juste. Taxer l'immobilier tout en ne taxant pas les liquidités - or, diamants, comptes courants dormants - ne me semble pas du tout logique !

Je suis d'accord avec Thierry Carcenac : la réforme de la taxe d'habitation ne résout pas le problème du financement des collectivités. Il eut été plus courageux de réformer les bases locatives. Le rapport du Gouvernement sur l'expérimentation d'une révision des bases locatives des locaux d'habitation dans cinq départements montre un transfert important des charges entre les contribuables. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement craint cette réforme. Néanmoins, il est toujours possible de prévoir des mécanismes de lissage. L'Italie et l'Allemagne ont bien fait de telles réformes.

À ceux qui applaudissent la réforme de la taxe d'habitation, je rappelle qu'elle est injuste, car on continuera à appliquer une taxe reposant sur des bases obsolètes à 20 % de la population.

Gérard Longuet, les abattements sur les plus-values immobilières pour durée de détention ont été mis en place à partir de 2013, en lien avec la barémisation des revenus du capital. Avec la flat tax, on revient à la logique qui préexistait avant cette barémisation. Le contribuable peut aussi imputer les moins-values sur les plus-values. L'article 11 du projet de loi de finances tend à favoriser cette imputation.

Je souscris à l'argument avancé par Philippe Adnot : la suppression de la taxe d'habitation bénéficiera aux moins vertueux. Il a rappelé sa position sur les offices d'HLM, j'ai fait la même chose dans mon département. Je le remercie de souscrire à l'amendement que je propose sur les FDPTP.

Pour répondre à Jacques Genest, effectivement, nous pouvons modifier les bases locatives. La réforme proposée ne règle en rien la question de la justesse des bases. Je vous précise que le PFU est sur option : le contribuable peut choisir d'être imposé au titre de l'impôt sur le revenu au barème.

Michel Canevet a évoqué la taxe d'habitation. Les 80 % de foyers fiscaux qui seront exonérés acquittent aujourd'hui 10 milliards d'euros, alors que les 20 % restants payent 9 milliards d'euros. La réforme accentuera encore cette hyperconcentration de l'impôt.

Sophie Taillé-Polian, j'ai bien identifié le sujet que vous avez évoqué, je l'évoquerai plus précisément dans mon rapport écrit.

Vincent Capo-Canellas, ce que l'on reproche au Gouvernement, c'est de mettre la charrue avant les boeufs ! On nous demande de voter une réforme, alors qu'un groupe de travail sera amené à faire des propositions... On supprime un dispositif avant de réfléchir à celui qui va le remplacer !

Jean-François Husson, les contreparties en matière de fiscalité écologique ne sont effectivement pas à la hauteur. Concrètement, l'accroissement du taux de prélèvement obligatoire conduira à une baisse du pouvoir d'achat des Français, notamment de ceux qui doivent utiliser une voiture.

Bernard Delcros a rappelé la logique de la suppression de la taxe d'habitation. Nous sommes tout aussi logiques, puisque nous avons proposé de supprimer de même que la commission des affaires sociales la hausse de la CSG pour les retraités, et le Sénat a adopté cet amendement.

M. Vincent Éblé, président. - Nous allons maintenant examiner une série d'amendements du rapporteur général.

Article 2

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - L'amendement  FINC.1 vise à relever le quotient familial de 1 527 à 1 750 euros. Les familles ont été malmenées par la précédente majorité, qui a baissé à deux reprises le quotient familial. Dans ce projet de loi de finances, elles sont par ailleurs quelque peu oubliées. Nous voulons réparer cette injustice et aider les classes moyennes, fortement touchées par la politique fiscale des dernières années.

M. Vincent Capo-Canellas. - J'y suis favorable sur le fond, mais je m'inquiète du financement de cette mesure.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Les amendements que je vous proposerai sont pris en responsabilité. Un volet d'économies sera proposé. Je n'aggraverai pas le déficit !

M. Thierry Carcenac. - On fait beaucoup de cadeaux aux entreprises. C'est donc une bonne mesure, même si on n'est pas complètement d'accord avec l'argumentation développée dans l'objet de l'amendement.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Vous n'êtes pas obligés de souscrire à l'objet de mon amendement, même si vous votez ce dernier !

L'amendement n° FINC.1 est adopté.

Article 3

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - L'amendement FINC.2 prévoit le report de la suppression de la taxe d'habitation, laquelle ne saurait être concentrée sur 20 % des foyers fiscaux. La réforme n'est pas prête.

M. Philippe Dallier. - Une bêtise, fût-elle une promesse présidentielle, reste une bêtise ! Je voterai l'amendement.

M. Thierry Carcenac. - Nous aurions pu envisager le report d'un an de la réforme, mais pas sa suppression. Nous voterons contre l'amendement.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Le report d'une mesure n'a pas sa place dans la première partie du projet de loi de finances, cela serait censuré par le Conseil constitutionnel. Le débat doit avoir lieu.

M. Philippe Dominati. - Je ne voterai pas cet amendement. J'en déposerai un visant à supprimer la totalité de la taxe d'habitation. J'ai, pendant de longues années, déposé des amendements pour supprimer l'ISF et le Gouvernement me donne partiellement satisfaction, ce qui est courageux. Je commence un nouveau cycle sur la taxe d'habitation !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Je suis aussi pour la suppression totale de la taxe d'habitation et son remplacement par un impôt plus moderne. Mais je n'ai pas réussi à trouver les 9 milliards d'euros correspondants !

M. Philippe Dominati. - Je reste dans ma logique de suppression d'un certain nombre d'impôts.

Mme Sylvie Vermeillet. - Je voterai cet amendement. Supprimer la taxe d'habitation pour 80 % des contribuables ne rend toujours pas cet impôt juste pour les 20 % restants.

Par ailleurs, je ne vois pas pourquoi on trouve des pistes pour les départements - fraction de CSG - et les régions - fraction de TVA -, et rien pour les communes !

M. Vincent Capo-Canellas. - Monsieur le rapporteur général, il faudra faire un effort de communication en direction des collectivités. Supprimer le dégrèvement revient à supprimer la moins mauvaise des mesures. Il faut bien expliquer que nous voulons le report. Si le Gouvernement devait persister, mieux vaudrait le dégrèvement qu'une compensation !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Le dégrèvement est la solution la plus acceptable, car il est calculé sur la base des taux et des bases de 2017. Néanmoins, le mécanisme de limitation des taux auquel l'étude préalable fait allusion ne me rassure pas. La réforme n'est pas du tout aboutie !

L'amendement n° FINC.2 est adopté.

Article 3 bis

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - L'amendement FINC.3 est de cohérence avec l'amendement précédent.

L'amendement FINC.3 est adopté.

Article 3 ter

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - L'amendement FINC.4 est également un amendement de cohérence.

L'amendement FINC.4 est adopté.

Article 9 quinquies

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - L'amendement FINC.5 est un amendement d'appel. Il porte sur un dispositif d'exonération des véhicules fonctionnant au gaz naturel. Nous n'avons jamais réussi à connaître le coût du dispositif dont nous doutons de la pertinence réelle. Nous espérons que cet amendement de suppression nous permettra d'en savoir plus.

M. Julien Bargeton. - Vous êtes sévère, car il peut arriver que nous n'obtenions pas les informations que nous demandons. Je trouve dommage d'appliquer cette « jurisprudence » à ce cas particulier.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Depuis deux ans, nous ne parvenons pas à obtenir d'information sur ce dispositif de suramortissement. C'est le seul moyen d'avoir une réponse !

Mme Nathalie Goulet. - Ce n'est pas le seul cas ! Pour de nombreux dispositifs, nous ne disposons pas d'évaluations. Cette jurisprudence pourrait s'étendre.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - En l'occurrence, nous avons demandé des informations à deux reprises. On se moque de nous !

M. Gérard Longuet. - On était également en droit de se demander si le suramortissement s'appliquait aux véhicules de moins de 3,5 tonnes, ceux-là même qui parcourent les derniers kilomètres lors des livraisons. Il aurait été dommageable qu'ils soient exclus de ce dispositif.

L'amendement de suppression FINC.5 est adopté.

Article 10 ter

L'amendement de coordination FINC.6 est adopté.

Article 10 quater

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - L'amendement FINC.7 vise à encourager la construction de logements et la transformation de locaux professionnels en logements. Le coût du dispositif est de 2 millions d'euros. C'est là peut-être que l'on peut parler de niche fiscale...

M. Julien Bargeton. - Voilà !

L'amendement FINC.7 est adopté.

L'amendement rédactionnel FINC.8 est adopté.

Article 10 sexies

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - L'amendement FINC.9 vise à mettre en cohérence le classement en zone de revitalisation rurale (ZRR) avec la loi montagne, en harmonisant les dates de fin des dispositifs.

L'amendement FINC.9 est adopté.

L'amendement rédactionnel FINC.10 est adopté.

Article 11

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - L'amendement FINC.11 vise à maintenir le régime actuel d'abattements applicables aux plus-values de cession réalisées par des dirigeants de PME partant à la retraite. Soumis à un régime moins favorable dans le cadre du prélèvement forfaitaire unique (PFU), ceux-ci ne seraient pas encouragés à transmettre leur entreprise.

M. Julien Bargeton. - Il s'agit là encore d'une niche fiscale.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Non, c'est le rétablissement d'une situation existante.

M. Julien Bargeton. - On recrée un dispositif favorable à l'occasion d'une réforme : cela s'appelle une niche. Je ne veux pas faire la chasse aux niches ; je pourrais en proposer un jour... Par ailleurs, on ne connaît pas le coût de la mesure.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Il est de 172 millions d'euros.

M. Bernard Lalande. - Si l'on veut mener une politique en faveur des PME et TPE, il faut favoriser la transmission de ces entreprises. Leur appliquer une flat tax à 30 % revient à traiter le petit entrepreneur comme un spéculateur susceptible de faire une plus-value de cession extraordinaire, ce qui n'est pas le cas. Cet abattement lui permet de céder son entreprise à un prix intéressant et de se constituer un capital à la fin d'une vie de labeur. Je soutiens cet amendement juste et équitable.

M. Gérard Longuet. - On parviendrait au même résultat avec un abattement pour durée de détention.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Exactement.

M. Thierry Carcenac. - Le dispositif est-il limité dans le temps ?

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Oui, dans la mesure où l'amendement vise à maintenir le régime existant uniquement pour les titres acquis ou souscrits avant le 1er janvier 2018.

L'amendement FINC.11 est adopté.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Je propose de réserver l'examen des articles 11 ter, 12, 12 ter et 12 quater.

Les articles 11 ter, 12, 12 ter et 12 quater sont réservés.

Article 12 sexies

M. Gérard Longuet. - On nous parle de « voitures de sport » alors que, dans notre pays, la vitesse est limitée partout ! Je ne pense pas que l'on souhaite encourager le dépassement des vitesses autorisées... Ce concept doit disparaître.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - C'est la raison pour laquelle vous voterez l'amendement de suppression FINC.12. Je n'ai pas compris quels étaient les véhicules d'occasion concernés. Le Gouvernement modifie le barème de la taxe. C'est incompréhensible !

C'est un amendement d'appel : nous le retirerons si nous obtenons une réponse satisfaisante à nos interrogations.

M. Vincent Éblé, président. - J'entends vos interrogations. Mais si l'on en juge par des réactions de professionnels de l'automobile haut de gamme, particulièrement inquiets du dispositif, certains sont concernés, c'est sûr !

L'amendement de suppression FINC.12 est adopté.

Article 16 

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Vous êtes nombreux à soutenir l'amendement FINC.13 : il vise à supprimer la minoration de 65,8 millions d'euros  des fonds départementaux de péréquation de la taxe professionnelle (FDPTP).

L'amendement de suppression FINC.13 est adopté.

Article 18

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - L'amendement n° FINC.14 vise à tirer les conséquences des précédents amendements.

L'amendement FINC.14 est adopté.

Article 26

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - L'amendement FINC.15 tend à tirer les conséquences de la suppression par le Sénat de l'augmentation du taux de la CSG dont les retraités sont redevables.

L'amendement FINC.15 est adopté.

Le sort des amendements proposé par le rapporteur général sur la première partie du projet de loi de finances pour 2018 examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Article liminaire

Prévisions de solde structurel et de solde effectif de l'ensemble des administrations
publiques de l'année 2018, prévisions d'exécution 2017 et exécution 2016

Article 1er
Autorisation de percevoir les impôts existants

Article 2
Indexation du barème de l'impôt sur le revenu (IR) sur l'inflation

Auteur

Objet

Avis de la commission

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général

1

Relèvement du plafond du quotient familial

Adopté

Article 2 bis (nouveau)
Alignement du régime fiscal et social des indemnités versées en cas de rupture conventionnelle ou congé mobilité sur celui applicable aux plans de sauvegarde de l'emploi

Article 2 ter (nouveau)
Exonération d'impôt sur le revenu liée à l'immatriculation
au registre international français (RIF)

Article 2 quater (nouveau)
Déduction de l'impôt sur le revenu des dons des mandataires sociaux, sociétaires, adhérents
et actionnaires aux fondations d'entreprises

Article 3
Dégrèvement de la taxe d'habitation sur la résidence principale

Auteur

Objet

Avis de la commission

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général

2

Amendement de suppression

Adopté

Article 3 bis (nouveau)
Modalités d'application du dégrèvement de taxe d'habitation
aux pensionnaires des établissements d'hébergement de personnes âgées sans but lucratif

Auteur

Objet

Avis de la commission

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général

3

Dégrèvement de taxe d'habitation pour les résidents des EHPAD (amendement de coordination avec la suppression de l'article 3)

Adopté

Article 3 ter (nouveau)
Aménagements des dispositifs de sortie de l'exonération de taxe d'habitation
et du dégrèvement de la contribution à l'audiovisuel public

Auteur

Objet

Avis de la commission

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général

4

Amendement de suppression

Adopté

Article 4
Aménagement de l'assiette de taux réduit de TVA
applicable aux services de presse en ligne

Article 5
Exonération de TVA et d'IS : services à la personne

Article 6
Extension de l'exonération de TVA applicable aux psychothérapeutes et psychologues

Article 6 bis (nouveau)
Taux réduit de TVA pour la location de matériel adapté
aux personnes en situation de handicap physique

Article 6 ter (nouveau)
Allègement des conditions pour bénéficier du régime d'incitation fiscale à l'investissement institutionnel
dans le logement intermédiaire

Article 6 quater (nouveau)
Prolongation du taux réduit de TVA pour les autotests de dépistage du VIH

Article 7
Aménagement des modalités de calcul et de répartition de la CVAE

Article 8
Prorogation et aménagement du crédit d'impôt
pour la transition énergétique (CITE)

Article 9
Trajectoire de la composante carbone pour la période 2018-2022 et conséquences
en matière de tarifs des taxes intérieures de consommation

Article 9 bis (nouveau)
Extension de l'exonération complète de TICPE au secteur naval

Article 9 ter (nouveau)
Suppression de deux composantes de la TGAP

Article 9 quater (nouveau)
Élargissement de l'assiette de la TGAP aux biocarburants remplaçant le gazole

Article 9 quinquies (nouveau)
Prolongation du dispositif de suramortissement pour l'achat de véhicules de 3,5 tonnes
et plus roulant au gaz naturel pour véhicules (GNV) et biométhane carburant (BioGNV)

Auteur

Objet

Avis de la commission

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général

5

Amendement de suppression

Adopté

Article 10
Augmentation des seuils des régimes d'imposition des micro-entreprises

Article 10 bis (nouveau)
Modalités d'exonération d'IR et d'IS dans les ZRR

Article 10 ter (nouveau)
Aménagement de dispositifs fiscaux propres à l'activité agricole

Auteur

Objet

Avis de la commission

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général

6

Amendement de coordination

Adopté

Article 10 quater (nouveau)
Prorogation et modification des conditions d'application du taux réduit d'impôt sur les sociétés pour les plus-values de cessions de locaux professionnels transformés en logements

Auteur

Objet

Avis de la commission

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général

7

Extension du taux réduit d'impôt sur les sociétés pour les plus-values dégagées lors de la cession de locaux professionnels ou de terrains à bâtir aux sociétés civiles de construction-vente

Adopté

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général

8

Amendement de précision rédactionnelle

Adopté

Article 10 quinquies (nouveau)
Neutralisation de l'impact fiscal associé à la restructuration du patrimoine notamment immobilier des conseils régionaux de l'ordre des experts comptables

Article 10 sexies (nouveau)
Maintien jusqu'au 31 décembre 2019 du bénéfice du régime fiscal et social des ZRR pour les communes
qui en sont sorties et ne sont pas couvertes par la loi Montagne

Auteur

Objet

Avis de la commission

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général

9

Harmonisation des dates des périodes transitoires de maintien des effets du classement en zone de revitalisation rurale

Adopté

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général

10

Amendement de précision rédactionnelle

Adopté

Article 11
Mise en oeuvre du prélèvement forfaitaire unique

Auteur

Objet

Avis de la commission

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général

11

Maintien du régime actuel d'abattements applicables aux plus-values de cession réalisées par des dirigeants de PME partant à la retraite

Adopté

Article 11 bis (nouveau)
Application du PFU à l'imposition des plus-values professionnelles

Article 11 ter (nouveau)
Augmentation du taux de la taxe forfaitaire sur la cession des métaux précieux

Demande de réserve

Position de la commission

Article réservé

Article 12
Création de l'impôt sur la fortune immobilière et suppression de l'impôt sur la fortune

Demande de réserve

Position de la commission

Article réservé

Article 12 bis (nouveau)
Extension de dispositions applicables à la Préfon
et aux PERP, aux contrats « article 83 » et contrats « loi Madelin »

Article 12 ter (nouveau)
Augmentation du barème du droit annuel de francisation et de navigation et du droit de passeport
pour les grands navires de plaisance ou de sport

Demande de réserve

Position de la commission

Article réservé

Article 12 quater (nouveau)
Taxe additionnelle sur l'immatriculation des voitures de sport

Demande de réserve

Position de la commission

Article réservé

Article 12 quinquies (nouveau)
Exonération de la taxe de 20 % applicable aux contrats d'assurance
de groupe pour les travailleurs indépendants des plateformes numériques

Article 12 sexies (nouveau)
Durcissement du barème de la taxe additionnelle à la taxe
sur les certificats d'immatriculation des véhicules qui ne sont pas concernés par le malus automobile

Auteur

Objet

Avis de la commission

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général

12

Amendement de suppression

Adopté

Article 13
Suppression de la contribution de 3 % sur les revenus distribués

Article 14
Suppression du dispositif d'encadrement de la déductibilité des charges financières afférentes
à l'acquisition de certains titres de participation

Article 15
Modification de l'assiette de la taxe sur les transactions financières

Article 16
Fixation pour 2018 de la dotation globale de fonctionnement (DGF)
et des allocations compensatrices d'exonérations d'impôts directs locaux (IDL)

Auteur

Objet

Avis de la commission

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général

13

Suppression de la minoration de 65,8 millions d'euros des fonds départementaux de péréquation de la taxe professionnelle (FDPTP)

Adopté

Article 17
Compensation des transferts de compétences aux régions et aux départements par attribution d'une part du produit de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE)

Article 18
Évaluation des prélèvements opérés sur les recettes de l'État au profit des collectivités territoriales

Auteur

Objet

Avis de la commission

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général

14

Tableau retraçant les prélèvements sur recettes au profit des collectivités territoriales (amendement de coordination)

Adopté

Article 19
Mesures relatives à l'ajustement des ressources affectées à des organismes chargés de missions de service public

Article 19 bis (nouveau)
Report de la mise en oeuvre de la responsabilité élargie des producteurs (REP) de navires de plaisance ou de sport

Article 19 ter (nouveau)
Modulation du taux de prélèvement de la taxe affectée au centre technique industriel de la plasturgie
et des composites (CTIPC)

Article 20
Dispositions relatives aux affectations : reconduction des budgets annexes et comptes spéciaux existants

Article 21
Relèvement du plafond de recettes de la section « Contrôle automatisé » du compte d'affectation spéciale « Contrôle de la circulation et du contrôle routiers »

Article 22
Modification du financement des trains d'équilibre du territoire via le compte d'affectation spéciale « Services nationaux de transport conventionnés de voyageurs »

Article 23
Fixation des recettes et élargissement des dépenses du compte d'affectation spéciale « Transition énergétique »

Article 24
Modification du barème du malus automobile
(compte d'affectation spéciale « Aides à l'acquisition de véhicules propres »)

Article 24 bis (nouveau)
Affectation du produit de la vente d'électricité produite
par les ateliers industriels de l'aéronautique

Article 25
Reconduction et actualisation du dispositif de garantie des ressources de l'audiovisuel public (compte de concours financiers « Avances à l'audiovisuel public »)

Article 25 bis (nouveau)
Création d'une nouvelle section au sein du CCF
« Prêts et avances à des particuliers ou à des organismes privés «  (CDG express)

Article 26
Relations financières entre l'État et la sécurité sociale

Auteur

Avis de la commission

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général

15

Adopté

Article 27
Évaluation du prélèvement opéré sur les recettes de l'État au titre de la participation de la France
au budget de l'Union européenne

Article 28
Équilibre général du budget, trésorerie et plafond d'autorisation des emplois

La réunion est close à 10 heures 40.

Projet de loi de finances pour 2018 - Compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État » - Examen du rapport spécial

La réunion est ouverte à 14 h 35.

M. Victorin Lurel, rapporteur spécial du compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État ». - Vous avez devant vous un sénateur béotien qui découvre le fonctionnement de ce compte d'affectation spéciale. Ce compte constitue le support budgétaire des opérations conduites par l'État en tant qu'actionnaire via l'Agence des participations de l'État (APE).

J'ai le sentiment qu'il est demandé au Parlement de donner un blanc-seing à l'État : l'exécution budgétaire n'est en effet jamais conforme aux autorisations que nous votons.

Pour préserver la confidentialité des opérations de cession qui pourraient intervenir au cours de l'exercice, la programmation initiale est conventionnellement fixée à cinq milliards d'euros tant en recettes qu'en dépenses. Certes, un déficit de 1,5 milliard d'euros avait été prévu l'an dernier pour tenir compte de l'effort engagé pour restructurer la filière nucléaire, qui correspond au versement du budget général vers le compte opéré par le décret d'avance du 12 juillet 2017. Il faut d'ailleurs rendre hommage à l'action du précédent Gouvernement à cet égard.

Une nouvelle vague de cessions a été annoncée par le Gouvernement, pour un montant de 10 milliards d'euros. On laisse entendre en creux que l'État ne saurait rester actionnaire dans le secteur concurrentiel et qu'il doit se concentrer sur les secteurs stratégiques.

En intégrant les dividendes versés au budget général depuis la création du compte, le solde cumulé du compte spécial atteindrait 73 milliards d'euros. Les versements du budget général ont été de 31 milliards d'euros, ce qui signifie que la participation de ce compte au budget de l'État a été de 42 milliards d'euros - 25 milliards d'euros rien que pour les cinq dernières années !

Les participations de l'État s'élèvent à 140 milliards d'euros et se répartissent entre trois acteurs : l'Agence des participations de l'État, qui gère 100 milliards d'euros, Bpifrance, qui gère 15 milliards d'euros et la Caisse des dépôts et consignations qui gère 24,4 milliards d'euros.

Le Gouvernement nous annonce une cession imminente de participations pour un montant de 10 milliards d'euros. Mais compte tenu des incertitudes et de l'obligation de confidentialité pour ne pas dévoiler d'informations aux marchés, les parlementaires n'ont pas accès aux données et la programmation du compte est fixée conventionnellement à 5 milliards en recettes comme en dépenses. Nous ne savons pas non plus quelles cessions sont envisagées, même si la presse évoque la Française des Jeux ou Aéroports de Paris (ADP).

En outre, l'État a une pratique curieuse : par exemple, il a cédé des actions à Bpifrance, comme celles de Peugeot récemment, mais c'est l'EPIC Bpifrance qui en recevra les dividendes. Ce régime déroge en partie à l'esprit de la loi organique relative aux lois de finances qui prévoit que les dividendes payés en numéraire doivent être versés au budget général, tandis que les dividendes payés en titres sont versés au compte d'affectation spéciale.

Un fonds pour l'innovation de 10 milliards d'euros ? Pourquoi pas, mais cela suppose de redéfinir la politique des participations de l'État. On a rarement réalisé un tel volume de cessions ; en moyenne ces dernières années, elles s'élèvent à 2 milliards ou 3 milliards d'euros par an.

L'argent serait placé, de sorte que le fonds rapporterait 200 millions d'euros chaque année pour financer les innovations de rupture. À l'origine, il s'agit d'une idée de Bpifrance pour compenser la baisse des crédits du programme 192 « Recherche et enseignement supérieur en matière économique et industrielle ».

Je ne comprends pas le mécanisme : comment ces recettes pourraient-elles ne pas alimenter le budget général ? Est-ce une forme de débudgétisation ? Il aurait été plus simple, comme la Cour des comptes l'a évoqué, de modifier le statut de l'Agence des participations de l'État pour l'autoriser à percevoir les dividendes en numéraire en s'accordant sur un dividende annuel que l'Agence devrait verser à l'État. Ensuite, libre à l'État d'utiliser ces ressources pour financer l'innovation.

Surtout, comment vendre 10 milliards d'euros rapidement sans risquer de brader nos participations ni sans remettre en cause la confidentialité des opérations ? Vinci vient d'ailleurs de déclarer qu'il serait candidat au rachat de tous les aéroports.

Je vous ai précisé que l'Agence des participations de l'État gérait un portefeuille de participations évalué à 100 milliards d'euros. Mais elle ne peut pas céder ses participations régaliennes ni celles dans l'énergie ou le nucléaire, vu la restructuration en cours d'Areva. Le montant des participations considérées comme cessibles s'élève en fait à 30 milliards d'euros : on envisage donc d'en céder le tiers.

Je reste persuadé qu'au-delà de nos philosophies et de nos options politiques, chacun reconnaîtra que posséder un matelas de participations de 100 milliards d'euros constitue un puissant levier d'action économique et stratégique. En janvier 2014, une doctrine d'intervention a été établie afin de préciser les principes justifiant les interventions de l'État selon quatre objectifs : la souveraineté, les infrastructures et opérateurs de service public, l'accompagnement de secteurs stratégiques pour la croissance et le sauvetage.

Par ailleurs, l'État a fait deux choix différents au cours de ces derniers mois. S'il a exercé son droit de préemption sur STX France afin de négocier un accord plus équilibré avec l'État italien, il a renoncé, en parallèle du rapprochement entre Alstom et Siemens, à acquérir les titres Alstom prêtés par Bouygues. Nous aurions pourtant pu facilement procéder de la même manière qu'avec Fincantieri pour les titres STX France, avec une location de titres à Siemens. Ainsi, l'État aurait ainsi pu peser davantage sur la stratégie future du nouvel ensemble.

Cela signifie non seulement que la doctrine est à géométrie variable, mais qu'elle est en train de bouger et le Parlement n'est pas informé ! On nous demande de voter pour donner un blanc-seing alors que l'on sait très bien que les prévisions sont formelles et ne seront pas respectées. C'est seulement à l'occasion de la loi de règlement que ne serons informés de ce qui s'est passé. Aussi, je m'en remets à la sagesse de notre commission pour le vote sur ce compte d'affectation spéciale.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - L'avis de Victorin Lurel nous met dans l'embarras. Il est de tradition que la commission suive l'avis éclairé du rapporteur spécial mais ce sujet est à la limite du politique et du technique. Il y a plusieurs mois, nous avions reçu Emmanuel Macron, alors ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, qui nous avait livré sa doctrine sur les participations de l'État. Selon lui, l'État devait se recentrer sur le régalien et les secteurs stratégiques. Toutefois la frontière est ténue : ainsi aux États-Unis les aéroports ne sont pas privés et appartiennent aux États fédérés et aux municipalités.

La doctrine de 2014 que vous évoquiez est-elle toujours d'actualité ? Le Gouvernement a-t-il une autre stratégie ? Faut-il faire évoluer la doctrine pour que nos entreprises publiques demeurent une source de profits, non un coût pour les finances publiques ? Quand je vois Areva, je suis inquiet...

M. Marc Laménie. - Quelles sont les 81 entités dans le portefeuille de l'APE ? Par ailleurs, on prévoit 10 milliards d'euros de cessions pour financer les « innovations de rupture ». Mais que signifie ce terme ?

M. Philippe Dominati. - Vous avez évoqué la privatisation d'Aéroports de Paris (ADP). En tant qu'élu parisien, j'évoquerai un sujet que je suis avec attention depuis des années : la création d'une ligne express entre Paris et Roissy. Initialement cette liaison devait être réalisée par un opérateur privé, mais à l'époque Vinci a jugé que le projet n'était pas rentable économiquement. Sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy est née l'idée du Grand Paris. Beaucoup d'élus ont alors insisté pour inscrire dans le projet la ligne Charles-de-Gaulle-Express. Le Gouvernement a été réticent vu l'ampleur du projet. Puis, en 2008, une ouverture du capital « heureuse » est intervenue et Vinci est entré au capital d'ADP au terme d'une négociation de gré à gré, sans appel au marché. En 2016, avec la loi Macron, on a considéré que la liaison directe entre le centre de Paris et Roissy était nécessaire pour la capitale et on a engagé la puissance publique ; il fallait aussi s'inscrire dans la perspective des Jeux Olympiques. On a institué une taxe sur les billets d'avion pour financer cette liaison. Je constate simplement que depuis un an l'action d'ADP a bondi en bourse passant de 86 euros à 150 euros !

Aujourd'hui il est question de privatiser ADP. J'aimerais être certain que cette opération ne se fera pas dans les mêmes conditions que l'ouverture de capital il y a quelques années. Je suis un libéral, mais la concurrence doit être transparente. Je suis surpris qu'ADP soit déjà identifié comme une cible d'une prochaine privatisation. Cette opération me semble très problématique : elle aboutit à faire payer par des fonds publics et par une taxe exceptionnelle un projet qui n'était pas jugé rentable il y a plusieurs années par ceux-là mêmes qui vont bénéficier de la privatisation.

M. Thierry Carcenac. - La gestion du compte d'affectation spéciale sur les participations financières de l'État obéit aux deux principes de confidentialité et d'opportunité. On aimerait savoir si la doctrine de 2014 est toujours d'actualité. De même, on parle de confidentialité mais il semble bien que la privatisation des aéroports soit en cours. Pourtant, à Toulouse, les Chinois, qui ont pris une participation dans l'aéroport, souhaitent se désengager et les collectivités territoriales semblent prêtes à racheter leurs parts. Enfin, le programme des investissements d'avenir n'avait-il pas déjà vocation à financer les innovations de rupture ? Il serait opportun d'entendre à nouveau Martin Vial !

M. Michel Canevet. - Notre rapporteur a exprimé ses interrogations. Le niveau des dividendes versés à l'État est significatif et intéressant pour le budget de l'État. Le rapporteur indique avoir eu des difficultés à obtenir des informations sur l'ensemble des participations publiques. Est-ce dû au partage des rôles entre l'Agence des participations de l'État, Bpifrance et la Caisse des dépôts et consignations ? Enfin, dans le portefeuille de l'État, certaines entités devront-elles être recapitalisées à l'avenir ?

M. Bernard Lalande. - Chaque année on se pose la même question : l'État actionnaire doit-il être stratège ou agir de manière opportuniste ? Le compte d'affectation spéciale présente une approche comptable mais ne dit rien sur la stratégie. Pourtant si l'État prend des participations, cela ne doit pas être simplement pour réaliser des opérations financières et toucher des dividendes mais bien pour peser sur la stratégie des entreprises et orienter les investissements du pays ! D'où ma question : où est l'État-stratège ?

M. Victorin Lurel, rapporteur spécial. - L'Agence des participations de l'État gère des participations dans 81 entités, contre 700 pour Bpifrance, et 1 014 pour la Caisse des dépôts. La liste des entités relevant du périmètre de l'Agence des participations de l'État est précisée en annexe d'un décret de 2004 et a été réactualisée par décret le 26 octobre dernier.

Comme vous, je ne sais pas ce qu'est une innovation de rupture... mais il faut sans doute y voir les innovations dans les nouvelles technologies. Le financement de l'innovation est soutenu par de nombreuses lignes budgétaires, comme le programme 192. Pour compenser la baisse des crédits de ce programme, Bpifrance a émis l'idée d'un fonds pour l'innovation. L'idée a ensuite été reprise par le Gouvernement. Il semble toutefois difficile de parvenir à trouver 10 milliards d'euros en une seule année sans porter atteinte aux intérêts patrimoniaux de l'État et des entreprises dans lesquelles il détient des participations. Soyons francs : les innovations de rupture, c'est tout et n'importe quoi !

L'idée d'une privatisation d'ADP figure dans la presse. Il est probable que ce qui s'est passé en Grèce avec des privatisations massives d'aéroports se fera aussi en France. C'est en tout cas conforme aux déclarations du Président de la République.

La doctrine de 2014 reste en vigueur mais l'État stratège n'interviendra que de manière très pragmatique, avec opportunisme dans sa gestion. Même si ce n'est pas dit aussi nettement, il faut bien comprendre qu'à terme l'État a vocation à conserver uniquement ses participations dans le domaine régalien. L'État actionnaire n'est plus d'actualité. Les économistes, comme Jean Tirole par exemple, considèrent que ce n'est pas le rôle de l'État de gérer des entreprises et qu'il doit plutôt privilégier la régulation, quitte à prendre des participations minoritaires pour conserver des leviers d'influence si besoin.

Cependant, dans la période actuelle, la France a besoin de disposer de champions nationaux. Je ne comprends pas que l'État reste inerte dans l'affaire Alstom-Siemens au prétexte qu'il s'agit de constituer un groupe européen et au nom d'une lecture quasi-fétichiste des traités européens... Je ne suis pourtant pas un héritier de Colbert, en raison de son action outre-mer, mais je crois encore à un État interventionniste à bon escient.

Dans tous les cas son action restera à géométrie variable : quels que soient les crédits que nous votions en dépense ou en recette, l'État restera libre de faire ce qu'il veut. C'est seulement en loi de règlement que l'on pourra constater sa politique. On aura beau définir une doctrine, cela restera de la théorie. Dans la pratique le Gouvernement, via l'Agence des participations de l'État, gère 100 milliards d'euros de participations comme il l'entend. La seule exception a été la restructuration d'Areva puisque l'État a mieux anticipé, inscrivant dès la programmation un déficit de 1,5 milliard dans le compte d'affectation spécial.

L'État sera certainement obligé de rester présent dans les transports. La dette de la SNCF constitue ainsi un vrai risque pour l'État même si elle n'entre pas dans le calcul de la dette maastrichtienne. L'intégration de la dette de la SNCF dans la dette maastrichtienne représenterait un vrai risque pour le budget de l'État.

Une autre question est celle de la valorisation des participations de l'État. J'ai demandé à l'APE et à Bpifrance quelles étaient leurs méthodes de valorisation ; on me répond que, comme il ne s'agit pas d'un groupe, la comptabilité consolidée n'est pas appliquée. Il est seulement procédé à une présentation combinée selon la méthode de l'intégration ou des équivalences... Je peux vous le dire : c'est au doigt mouillé !

Concernant ADP, nous assistons à une marche vers la privatisation comme ailleurs en Europe. La programmation pour 2018 compte 100 millions d'euros de crédits pour les prestations de services, à savoir le recours à des conseils externes pour procéder aux cessions d'actifs. Je ne connaissais pas cette histoire de liaison privée entre Paris et Roissy...

M. Philippe Dallier. - C'est un serpent de mer !

M. Victorin Lurel, rapporteur spécial. - C'est finalement le contribuable qui payera, et le voyageur, à travers des taxes sur les billets d'avion.

Concernant Toulouse-Blagnac et les autres aéroports régionaux, le précédent Gouvernement avait décidé de les constituer en sociétés privées ; ce fut le cas en Guadeloupe comme en Guyane. En Guadeloupe, nous avons décidé de créer une société au capital de 160 000 euros au détriment des chambres de commerce et d'industrie, en plafonnant les interventions des collectivités. L'actif est naturellement bien supérieur.

Le Parlement devra se montrer vigilant pour que l'État devienne un stratège. Il nous faudra tracer une doctrine : quel périmètre doit avoir un État moderne pour rester suffisamment influent sans toutefois tomber dans le secteur concurrentiel ? À travers l'EPIC Bpifrance, l'État ne percevra pas de dividendes de Peugeot !

Une doctrine a été fixée, elle peut être revue, mais elle me paraît suffisamment actuelle, suffisamment souple, même si le périmètre peut évoluer. Avec une économie aussi fluctuante, un État doit savoir utiliser son levier de 100 milliards d'euros de participations via l'Agence des participations de l'État comme un État stratège. Or ce n'est pas toujours le cas, ainsi que le récent dossier Alstom l'a montré. Nous, parlementaires, devons être plus vigilants et ne pas attendre la loi de règlement pour constater la sous ou la sur-exécution.

Quant à l'avis, si j'écoutais le fond de mon coeur, je m'abstiendrais...

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Moi aussi !

M. Vincent Éblé, président. - Il serait peut-être un peu délicat que la commission ne recommande rien au Sénat. Mais il est toujours possible de s'en remettre à sa sagesse.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Avec un examen moins approfondi que le rapporteur spécial, j'ai moi aussi quelques réserves sur la privatisation des aéroports ; je considère qu'une clarification est nécessaire sur la doctrine d'emploi. Tout cela m'empêche de recommander une approbation sans réserves, mais il n'y a pas non plus de raison pour rejeter. Je serais donc sur une position de m'en remettre à la sagesse du Sénat.

Il ne faudrait pas que les participations de l'État deviennent une source de coût. Le cas d'Areva montre que l'État n'est pas toujours un bon actionnaire. Il poursuit fréquemment des intérêts qui divergent de ceux de l'entreprise. L'intérêt d'EDF est d'obtenir les meilleurs tarifs possibles, mais l'État bloque toute augmentation.

M. Bernard Lalande. - Cette proposition est une alerte bienvenue au Gouvernement sur la nécessité de répondre aux questions posées par le rapporteur spécial.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Le dialogue avec le Gouvernement peut nous amener à adopter finalement une position en séance. Nous avons beaucoup de questions à poser au Gouvernement sur ce sujet complexe.

M. Vincent Éblé, président. - Cette partie de notre autorisation budgétaire, portant sur les cessions de participations, présente des caractéristiques particulières. Rappelons-nous aussi qu'il pourrait être, dans ce domaine, un peu délicat de rendre publique, à l'avance par le vote budgétaire, une stratégie explicite.

À l'issue de ce débat, la commission décide de s'en remettre, à l'unanimité, à la sagesse du Sénat sur l'adoption du compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État ».

Projet de loi de finances pour 2018 - Mission « Administration générale et territoriale de l'État » (et article 49 B) - Examen du rapport spécial

M. Jacques Genest, rapporteur spécial de la mission « Administration générale et territoriale de l'État ». - La mission « Administration générale et territoriale de l'État » compte 2,757 milliards de crédits de paiement. Une fois passées les circonstances de l'année en cours, à savoir les rendez-vous électoraux, nous revenons à une situation correspondant au rythme de croisière d'une mission qui - c'est une évidence revendiquée comme telle - n'est pas prioritaire. Le projet de loi de programmation des finances publiques le confirme en retenant un simple maintien des dotations en valeur à l'horizon 2020. Or cette mission porte les moyens de l'administration générale de l'État dans les territoires ; la sourde relégation budgétaire qu'elle subit ne peut nous satisfaire, nous qui sommes témoins au quotidien de l'effacement progressif des territoires dans les préoccupations de l'État.

La crédibilité de la budgétisation de la mission souffre de certains défauts structurels. En premier lieu, la très grande majorité de ses crédits est contenue dans deux programmes réservoirs qui concourent à des politiques publiques mobilisant d'autres missions, si bien que le principe de spécialité budgétaire et la démarche de performances consacrés par la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) se trouvent altérés. Par ailleurs, le principal opérateur de la mission, l'agence nationale des titres sécurisés est financé, hors crédits, par des recettes affectées importantes - plus de 200 millions - dont la justification au cas par cas est plutôt médiocre. Enfin, la mission souffre de sous-budgétisations récurrentes que l'exercice en cours mais aussi le budget présenté illustrent encore - j'en signalerai certaines. Les crédits demandés au titre de la masse salariale, soit les trois quarts de la mission, sont un peu virtuels, car reposant sur des hypothèses dépassées. Si les conditions précises de la politique salariale qu'entend appliquer le Gouvernement ne sont pas entièrement connues, certaines orientations sont claires. La suspension du protocole « Parcours professionnels, carrières et rémunérations » (PPCR) servira à financer la compensation accordée aux fonctionnaires dans le cadre de la hausse de la contribution sociale généralisée (CSG), trains de mesures dont l'impact sur les agents sera négatif et qui devraient être traduites dans le budget pour certaines d'entre elles. Or elles ne le sont pas.

Le programme 307, dont les crédits sont au niveau de 2015, illustre le manque d'attention porté à la mission. Est-ce à dire que rien ne s'est passé depuis ? Certes non ! En application du « plan préfecture nouvelle génération » qui, avec la nouvelle directive nationale d'orientation des préfectures et des sous-préfectures, a incarné les orientations de la gestion du ministère, les guichets du réseau préfectoral ont été fermés aux usagers et 1 300 équivalents temps plein travaillé (ETPT) supprimés, ce qui a prolongé une tendance bien installée. Dans la dernière décennie, le réseau des préfectures et des sous-préfectures a perdu plus de 11 % de ses moyens. La réforme des régions n'est pour presque rien dans ce processus : ce sont les préfectures départementales et, plus encore, les sous-préfectures qui ont été touchées.

La fin de l'accessibilité du réseau pour nos compatriotes, en particulier pour l'obtention des titres d'identité a pu être partiellement compensée par l'effort des mairies sélectionnées pour être les points d'entrée du système mais, dans le processus de dématérialisation qui est presque achevé, 33 000 points d'entrée en mairie ont dû être supprimés. Inutile de trop insister sur le fait que les emplois supprimés dans le réseau des préfectures n'ont jusqu'à présent pas été réaffectés aux priorités affichées, et qu'en particulier, les moyens annoncés pour donner une nouvelle dynamique aux relations entre l'État et les collectivités territoriales mais aussi pour améliorer l'animation des politiques publiques sur le terrain ne sont pas au rendez-vous. Les missions ont été soit abandonnées, soit réduites dans leurs ambitions, y compris la mission constitutionnelle des préfets du contrôle de légalité.

Sans doute faut-il prendre en compte les événements : les nécessités liées à l'accueil des étrangers ont mobilisé des moyens nouveaux restent très insuffisants, compte tenu de l'augmentation de l'activité et de la complexité de certaines situations. On peut en dire autant des besoins liés à la sécurité des Français.

Je relève que le projet de budget ne compte que 30 créations d'emplois sur ces thématiques, alors qu'il supprime 415 ETPT dans le réseau des préfectures. Les créations d'emplois devraient être concentrées dans les services d'éloignement des préfectures dont le tragique attentat de Marseille a illustré certaines difficultés. À ce propos, le ministère de l'intérieur insiste beaucoup sur le renforcement de la lutte contre la fraude documentaire pour justifier les réductions d'effectifs des autres missions. Force est de constater que la multiplication des fichiers dans des conditions parfois hasardeuses, et sur lesquels notre commission des lois a pu exprimer ses préoccupations, laisse des failles dans la prévention de la fraude.

Progressivement privé de ses moyens, comme le sont les services de l'État en province, et en particulier à la campagne, le réseau d'administration générale de l'État a jusqu'à présent relativement échappé à la fermeture souvent redoutée de sous-préfectures. Il est néanmoins préoccupant que près de soixante d'entre elles soient dotées de moins de dix fonctionnaires, y compris les contractuels temporaires, de plus en plus nombreux. Le budget prévu pour informatiser le ministère et pour pourvoir à l'entretien des bâtiments accuse une baisse importante. L'état des 1 500 implantations du réseau est pourtant souvent mauvais et les collectivités territoriales qui en délèguent l'utilisation mais aussi l'entretien à l'État ont bien des motifs de s'inquiéter de son lent délabrement et du risque de non-paiement des loyers.

Bref, le budget pour 2018 ne dissipe en rien le sentiment que l'État s'éloigne résolument du local - usagers comme collectivités - dans une ignorance des besoins, mais aussi de l'intérêt que pourrait revêtir une politique résolue d'aménagement du territoire ; au contraire, il confirme le choix d'une métropolisation du pays.

L'événement majeur de 2018 est la fin du cycle électoral de cette année, ce qui réduit de 344,6 millions les crédits du programme 232 qui finance la vie politique. Les élections présidentielles et législatives auront coûté 417,5 millions d'euros dont une partie n'avait pas été budgétés. Une partie des crédits prévus en 2018 comble cette lacune, de sorte que le financement de la vie politique ne mobilisera l'an prochain qu'un peu moins de 100 millions d'euros, dont 68,7 millions iront aux formations politiques. Cette enveloppe n'a pas été revalorisée depuis 2014.

Ce n'est peut-être pas politiquement correct, mais je pense que la volatilité de l'opinion publique pourrait être mieux prise en compte dans le barème de répartition de l'aide publique réservée aux partis politiques. Par ailleurs, j'observe que l'extension de responsabilités conférées à la commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques par la loi de confiance dans la vie politique ne trouve aucune traduction budgétaire appréciable dans le projet de budget. Enfin, le Gouvernement parie sur l'accord du Parlement à la dématérialisation de la propagande électorale pour les scrutins de l'année prochaine, ce qui supposerait l'abandon d'une position constante. L'enjeu financier est modéré, avec 0,7 million, mais l'enjeu symbolique ne l'est pas.

L'administration centrale du ministère, avec le programme 216, coûte cher. La création de la commission du contentieux du stationnement payant alourdira ce dernier mais, dans le même temps, le fonds interministériel de prévention de la délinquance perd le quart de ses crédits. Le Gouvernement explique qu'il va mettre en oeuvre une nouvelle stratégie dans ce domaine mais pour le moment elle consiste surtout à réaliser des économies sur les structures de réinsertion et de déradicalisation. La Cour des comptes a publié une étude très critique sur la politique sociale du ministère de l'intérieur, qui représente 40,2 millions d'euros dans ce programme, signalant des irrégularités. Il faudra surveiller les suites que donnera le ministère d'autant que celui-ci semble peiner à assumer sa fonction juridique. Les dépenses de contentieux atteignent un sommet en 2017 à plus de 140 millions d'euros, alors que seuls 55 millions avaient été budgétés. Enfin, le tri basé sur des enjeux financiers évoqué par le ministère pour prévenir les contentieux liés aux refus de concours de la force publique me paraît tout à fait contraire au principe d'égalité devant la loi et la justice.

Malgré ces critiques, je vous propose d'adopter les crédits de cette mission.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Merci de cette appréciation nuancée que je partage. Une seule question : avec plus de fonctionnaires dans les agences et dans les directions régionales, la France est-elle mieux administrée qu'il y a vingt ans ?

M. Jean-Marc Gabouty. - La réponse est non !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - L'administration préfectorale a l'avantage d'une vision interministérielle. La Constitution lui donne la mission de représenter le Gouvernement. Une agence régionale de santé n'a qu'une vision sectorielle, et ne prendra donc pas en compte tous les éléments comme, par exemple, les enjeux de la sécurité civile. Les agents publics sont de moins en moins sur le terrain, et de plus en plus dans des directions régionales ou au sein de ces satellites autonomes que sont les agences. N'est-il pas temps de revenir à ce qui a fait la France ?

M. Jacques Genest, rapporteur spécial. - Vous connaissez la réponse ! Depuis quelques mois, voire quelques années, nous assistons à un véritable concours Lépine de celui qui saura supprimer le plus de fonctionnaires ! Moi, sénateur d'un territoire rural et ancien maire, je n'ai pas l'impression qu'il y ait trop de fonctionnaires sur ce territoire.

Il y a peut-être un problème concernant les fonctionnaires territoriaux. Quand des communautés de commune fusionnent, il est difficile d'ajuster les effectifs. C'est le même problème que nous rencontrons quand une inspection d'académie ferme des classes. Nous gardons les agents. Peut-être faudrait-il créer un fond national pour indemniser les fonctionnaires territoriaux qui perdent leur poste en raison d'une restructuration ?

J'étais percepteur ; je sais qu'il y avait plus de fonctionnaires d'État autrefois. Peut-être y a-t-il trop de hauts fonctionnaires, notamment à Bercy. Le sport national est devenu de créer des agences - la dernière en date étant l'agence de la biodiversité. Est-ce à dire que l'État ne saurait pas directement gérer la politique de l'eau, au lieu de la confier aux agences de bassins, la santé, au lieu d'avoir des agences régionales de santé (ARS), l'environnement au lieu de le confier à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe). Je n'ose parler des directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal), qui ne sont pas des agences mais un État dans l'État.

M. Philippe Dallier. - Concernant les 119 créations d'ETPT pour la commission du contentieux du stationnement payant...

M. Jacques Genest, rapporteur spécial. - C'est énorme !

M. Philippe Dallier. - Je suppose que c'est lié à la mise en place du forfait post-stationnement en 2018, qui autorise les communes à fixer le montant de ce qui n'est plus une amende, mais devient une redevance domaniale. Certaines d'entre elles passent de 17 euros à 60 ou 70 euros ! Elles peuvent choisir un prestataire de recouvrement et lui paient des frais de gestion. Cette commission de gestion du contentieux n'est donc financée qu'aux frais de l'État ? N'a-t-on pas pensé à prélever une partie de ces forfaits post-stationnements ?

Avec l'envolée des tarifs, les contentieux risquent de se multiplier. Les 119 ETPT seront-ils à la hauteur ?

M. Jean-Marc Gabouty. - Il se trouve que j'ai rencontré le préfet préfigurateur vendredi dernier, car cette juridiction s'installe à Limoges. Les 119 ETPT prévus pour mars 2018 existent déjà, mais les contentieux étaient traités de manière éparpillée. Le recrutement est ouvert en priorité aux fonctionnaires des ministères de la justice et de l'intérieur qui intervenaient dans ce processus, et aux administrations locales. Sur les 80 qui ont été recrutés, 60 % viennent de mutations extérieures, le reste de mutations locales. La hausse du montant des redevances augmentera le contentieux, mais on peut espérer une autorégulation : les gens feront plus attention. Je n'ai pas trouvé trace du financement de cette opération. Sur le fond, Philippe Dallier a raison : une commission du contentieux devrait se payer sur les forfaits post-stationnement.

M. Jacques Genest, rapporteur spécial. - Cette commission est une juridiction administrative composée de 4 à 5 magistrats et de personnels instructeurs, qui traitent les affaires non résolues par la conciliation assurée par les communes. Il y aurait déjà au moins 500 000 dossiers en attente : cela semble énorme à l'élu rural que je suis et cela pose le problème des moyens dégagés pour traiter ces réclamations.

M. Marc Laménie. -  Les petites sous-préfectures sont de moins en moins ouvertes au public, même si elles restent à l'écoute des élus. Quel est leur devenir ? Les préfets nous consultent pour des découpages d'arrondissements, pour le regroupement de deux sous-préfectures... Le rapporteur a-t-il des éléments ?

L'action 01 « État-major et services centraux » du programme 216 est en hausse de 4,8 %. Comment expliquer qu'il y ait de moins en moins de monde sur le terrain, mais que l'administration centrale réclame 373 millions ?

Comment expliquer le coût de l'organisation des élections, sachant qu'il y a désormais une forte dématérialisation ?

Le rapporteur a-t-il des éléments sur le patrimoine immobilier ?

M. Michel Canevet. - Avec les réductions d'effectifs dans l'administration d'État sur le terrain, la préfecture de mon département n'est désormais plus accessible directement aux usagers : tout se passe de manière dématérialisée ou sur rendez-vous. J'espère que cela n'affecte pas trop le fonctionnement des préfectures. Concernant les étrangers, il est nécessaire de répondre dans des délais raisonnables. J'espère qu'elles ont les moyens nécessaires pour ce faire ; le rapporteur pense-t-il que c'est le cas ?

Concernant la délivrance des titres sécurisés, il serait intéressant de faire un état du personnel qui s'y consacre aujourd'hui dans les préfectures, à comparer avec ceux créés à l'Agence nationale des titres sécurisés (ANTS). L'État alloue aux communes qui assurent cette fonction une dotation de 8 580 euros pour la délivrance des titres sécurisés ; les stations délivrant plus de 1 885 titres par an touchent une prime supplémentaire. Cette dotation est très nettement insuffisante par rapport au coût que représente la prise en charge des usagers par les mairies.

M. Thierry Carcenac. - Il faut se poser la question de la présence de l'État sur le territoire. Le rapporteur spécial nous a indiqué qu'elle allait en s'amenuisant. Nous constatons que seules les préfectures des régions ont encore les moyens, avec les SGAR.

Cette diminution de la présence de l'État est accrue par la forte dématérialisation de la délivrance des titres sécurisés.

Quant aux bâtiments, qui appartiennent généralement aux collectivités locales, ils ne sont que peu restitués.

S'agissant des maisons de services au public (MSAP), elles vivotent comme elles le peuvent. Ne pourrait-on pas leur redonner un rôle ?

À entendre les propos du rapporteur spécial, nous devrions rejeter les crédits de la mission. Pourtant, il nous a invités à les adopter !

Mme Christine Lavarde. - L'écart est important entre le coût réel de l'organisation des différents scrutins pour les collectivités locales et la contribution versée par l'État. Dans ma ville, nous avons reçu 35 000 euros de l'État, alors que nous avons dépensé, uniquement pour les charges de personnel, 400 000 euros.

Par ailleurs, est-il vrai que les machines à voter achetées par certaines grandes collectivités pour réduire le coût d'organisation des scrutins pourraient être prochainement interdites ? Ce serait alors la double peine pour ces collectivités : des machines rendues inutilisables, et la nécessité de prévoir de nouveaux moyens pour les remplacer.

M. Éric Bocquet. - Les propos du rapporteur spécial sur la désertification, l'aménagement du territoire, la métropolisation m'ont rappelé la campagne pour les élections sénatoriales. Les territoires ruraux ne sont pas assez pris en compte. Certains voient le monde rural comme un élément du passé dont le destin est inéluctable, alors que plus de 20 millions de nos concitoyens y habitent.

Le recul des services de l'État sur le territoire, c'est moins de République et moins d'égalité. C'est le choix de développement d'une société qui privilégie la concurrence, l'efficacité, la performance... Je partage les constats dressés par le rapporteur spécial. C'est la raison pour laquelle je m'étonne qu'il nous appelle à adopter ces crédits, ce que je ne ferai bien évidemment pas.

M. Philippe Dominati. - Je partage les interrogations du rapporteur spécial sur le mode de financement des partis politiques. Il propose la création d'une troisième fraction ; j'y souscris. Cette année, nous avons assisté à des événements remarquables : nous avons vu un candidat conquérir la présidence de la République sans bénéficier de fonds publics, et une majorité de députés accéder à l'Assemblée nationale sans le financement public accordé aux formations politiques traditionnelles.

Le système actuel de financement des partis politiques est donc assez inopérant.

De nombreux candidats indépendants sont contraints par le monopole des partis politiques. Quelles innovations pourraient être mises en place pour éviter cette situation ?

M. Patrice Joly. - Je veux souligner l'effet économique de la disparition de services de l'État et des entreprises publiques dans les territoires. Dans mon département, la Nièvre, cela représente entre 1 200 et 1 500 personnes, pour un niveau de rémunération de 45 millions d'euros, soit l'équivalent de la dotation globale de financement (DGF) versée par l'État au conseil départemental. Ces revenus qui irriguaient le territoire ont disparu au bénéfice d'agglomérations plus importantes, voire de métropoles, avec un effet anti-redistributif.

La suppression des agents de l'État a entraîné une perte de compétences dans le domaine juridique - les services ont eu du mal à accompagner les collectivités dans les fusions exigées par la loi NOTRe -, financier - la diminution du nombre d'agents peut conduire à des dérives pouvant aller jusqu'à la malversation - et technique.

L'État n'est plus un co-constructeur du développement de nos territoires ; il est devenu un simple censeur. Dans ce contexte, il faut s'interroger sur ses missions. Il est peut-être temps de renoncer au contrôle de légalité - il existe des tribunaux pour cela !

Puisque l'évolution des nouvelles technologies conduira la société à être organisée en réseau, l'État devrait en faire de même, en évitant la concentration au chef-lieu du département ou de la région. L'État devrait tenter des expérimentations de déconcentration, tout en restant présent dans les territoires les plus éloignés, notamment ruraux.

S'agissant du patrimoine, il est pratiquement impossible de « décroiser » celui de l'État de celui des collectivités, notamment des départements. En sept ans, je n'y suis pas parvenu dans mon département !

M. Jean-Marc Gabouty. - J'ai déjà déclaré ici ma profession dans le domaine de l'impression et du routage. Je veux relever des inexactitudes ou certains lieux communs figurant à la page 76 du rapport. Aujourd'hui, la profession continue d'investir dans du matériel performant - il n'existe donc pas de problème d'équipement. Ainsi, sur les 11 milliards de plis envoyés chaque année par La Poste, plus de la moitié est traitée sur des chaînes automatisées.

Il faut réfléchir à l'évolution de la transmission de la propagande électorale. Pourquoi ne pas inclure les dépenses de campagne pour la partie réalisation dans le budget de campagne, afin que l'État ne garde à sa charge que la diffusion des documents ?

Aujourd'hui, la propagande électorale est envoyée à chaque électeur. La démarche de dématérialisation le forcerait à aller chercher l'information sur Internet. Veut-on transformer le citoyen en consommateur de prestations électorales ?

M. Jacques Genest, rapporteur spécial. - Marc Laménie, les sous-préfectures ne sont pratiquement plus ouvertes au public. Mon prédécesseur Hervé Marseille a fait un rapport sur la question. Il faudrait examiner le cas de quelques sous-préfectures pour déterminer les missions qu'elles pourraient encore accomplir : dans la mienne, il n'y a plus de contrôle de légalité ni de conseils aux communes. Cette situation est à comparer à celles des ministères, qui ont pléthore de fonctionnaires. Quant à l'état-major, il est « alourdi » par la création de la commission du contentieux du stationnement payant.

Michel Canevet, la baisse des effectifs est évidemment préjudiciable au fonctionnement normal d'une préfecture. Le budget accordé pour l'accueil des étrangers et pour l'examen des demandes d'asile n'est pas compatible avec le service demandé : les dossiers sont toujours plus nombreux et compliqués.

Ma commune délivre des titres d'identité. Le système fonctionne bien, même si le budget alloué est, là aussi, très faible. Au lieu de déposer leurs demandes dans les grandes villes, certaines personnes préfèrent se faire délivrer leur titre d'identité dans ma commune où le délai n'est que de huit jours !

Thierry Carcenac, la mission AGTE n'est pas une priorité du projet de loi de finances, ce qui peut expliquer la baisse des effectifs. La régionalisation n'a en tout cas pas contribué à la suppression de nombreux emplois. Le parc immobilier, qui appartient souvent aux départements ou aux communes, est assez peu entretenu. Les MSAP ne sont pas assez utilisées. Je suis partisan de la présence de l'État dans les territoires ruraux, et je souhaite une mutualisation des missions dans les MASP : on peut mettre le percepteur et la Poste dans le même bâtiment, et trouver du personnel polyvalent.

Christine Lavarde, pour l'organisation des élections, ma commune n'a touché que 600 ou 700 euros ! Effectivement, les sommes allouées sont trop faibles. Nous allons nous renseigner sur les machines à voter.

Éric Bocquet, je suis très fier d'appartenir au monde du passé et je suis d'accord avec vous sur la métropolisation. C'est la pire des catastrophes pour la ruralité !

Philippe Dominati, le financement des partis politiques est certainement à revoir.

Je ne suis pas capable de dire, Patrice Joly, si les fonctionnaires sont moins compétents, puisqu'il n'y en a plus ! Il n'en reste que quelques-uns dans l'administration des finances. Dans le milieu rural, il arrive que des fonctionnaires qui s'occupaient auparavant par exemple de fiscalité soient désormais chargés de la trésorerie, un domaine qu'ils ne maîtrisent pas. Cette situation conduit à de véritables blocages, car la trésorerie est pratiquement la seule administration qui reste sur le territoire.

Enfin, j'approuve les propos de Jean-Marc Gabouty. Il s'inquiète de ce qui est mentionné dans la note. Il s'agit de la réponse du ministère. Certaines personnes n'ont pas Internet, et je crois qu'il est préférable que les électeurs reçoivent la propagande électorale chez eux, sans avoir à faire l'effort de la chercher.

Pour conclure, je rappellerai qu'il est de coutume, depuis quelques années, de voter les crédits de la mission !

À l'issue de ce débat, la commission décide de proposer au Sénat l'adoption des crédits de la mission « Administration générale et territoriale de l'État ». Elle décide en outre de proposer d'adopter l'article 49 B rattaché à la mission.

Projet de loi de finances pour 2018 - Mission « Sécurités » (et article 62 bis) - Programmes « Gendarmerie nationale » et « Police nationale », programme « Sécurité et éducation routière », compte d'affectation spéciale « Contrôle de la circulation et du stationnement routiers » (et article 66) et programme « Sécurité civile » (et article 62 ter) - Examen des rapports spéciaux

M. Philippe Dominati, rapporteur spécial des programmes « Police nationale » et « Gendarmerie nationale ». - Les crédits de paiement sont en hausse de 1,34 % par rapport à 2017, et les autorisations d'engagement de 2,36 %. Pour mémoire, le budget adopté l'an dernier était en hausse de 4,4 % en autorisations d'engagement et de 3,4 % en crédits de paiement.

Sur la période triennale 2018-2020, les crédits de la mission « Sécurités », constituée à 97 % des crédits de la police et de la gendarmerie, devraient augmenter de 2,1 %, contre une augmentation moyenne de 3 % des missions du budget général. Si l'on prend en compte les prévisions d'inflation sur cette période, on constate qu'il ne s'agit donc plus d'une mission régalienne pour le Gouvernement, puisque l'évolution des crédits est inférieure à l'évolution du budget de l'État.

Cet état de fait est particulièrement surprenant, car j'avais cru comprendre que la sécurité était une priorité absolue du Président de la République. Le 18 octobre dernier, celui-ci a d'ailleurs annoncé la mise en place d'une police de la sécurité du quotidien, dont on ne trouve aucune traduction budgétaire dans le projet de loi de finances.

Ce budget perpétue les carences des budgets du quinquennat précédent : la hausse des effectifs se fait au détriment des moyens de fonctionnement et de l'investissement. J'avais déjà formulé cette critique l'année dernière.

Lors du précédent quinquennat, les effectifs avaient fortement augmenté, avec la création de 8 837 emplois.

Le Président de la République s'est engagé à créer 10 000 emplois sur la période 2018-2022 : la police nationale bénéficiera de 7 500 créations de postes et la gendarmerie nationale, de 2 500.

Le ratio des dépenses de personnel par rapport à l'ensemble des crédits des deux programmes atteindra 86,78 % en 2018. Ce taux ne permettra pas de garantir la capacité opérationnelle des policiers et gendarmes. En effet, depuis 2006, les dépenses de personnel ont augmenté de 31,5 % au détriment des dépenses de fonctionnement et d'investissement, qui ont baissé de 4,98 %.

Par ailleurs, les comparaisons internationales ne témoignent pas d'une sous-dotation des forces de sécurité intérieure de notre pays. En France, nous avons un gendarme pour 180 habitants. En Europe, seule l'Italie nous devance. En Allemagne, le ratio est de 1 pour 307 habitants, et de 1 pour 431 au Royaume-Uni. Je n'intègre pas les 7 000 agents de « Sentinelle », qui sont des militaires ne relevant pas de la mission « Sécurités ». Au total, la gendarmerie et la police nationales représentent 251 000 fonctionnaires.

Le ratio entre les dépenses de personnel et l'ensemble des crédits était de 80 % en 2006. Sa dégradation est ma principale préoccupation. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle j'ai décidé de vous soumettre un amendement de crédits.

On ne peut que déplorer la faiblesse des dépenses d'investissement et de fonctionnement. L'augmentation faciale des autorisations d'engagement d'investissements ne correspond en réalité qu'au paiement d'actions déjà engagées, et non à des investissements d'avenir.

Il en va de même pour la gendarmerie, pour laquelle le problème est plus important encore. Des loyers n'ont pas été payés en 2015 et 2016, en traînant l'accumulation d'une dette de 115 millions d'euros en autorisations d'engagement. La situation est telle que le Gouvernement est obligé d'envisager un plan quinquennal de résorption de cette dette.

En ce qui concerne le matériel, je me focaliserai sur les véhicules. Le taux de remplacement des véhicules ne permet pas de garantir le maintien de l'âge moyen de la flotte automobile qui s'est dégradé pour la police nationale : il est passé de 4 ans et 10 mois en 2006 à 6 ans et 9 mois dans le budget pour 2018. La dotation permet d'équiper 2 500 véhicules, alors qu'il faudrait que ce nombre atteigne 3 000.

En 2006, le nombre de véhicules était de 33 189. Le point bas a été atteint dans le budget pour 2013, avec 28 146 véhicules. En 2016, ce nombre était de 29 730.

Depuis le quinquennat précédent, on crée chaque année 1 700 à 1 800 postes. Mais pour chaque poste créé, trois véhicules sont supprimés ! Cela montre la distorsion progressive entre les effectifs et les moyens de fonctionnement.

Plusieurs centres de tir ont dû fermer depuis septembre, d'où un fort mécontentement des forces de police et de gendarmerie qui ne peuvent s'entraîner que douze heures et ne tirer que 92 cartouches par an.

Je rappelle avec gravité les suicides presque quotidiens de cette dernière semaine.

Ainsi, l'état d'urgence a entraîné plus de 400 assignations à résidence, près de 900 perquisitions administrative, plusieurs millions de contrôles aux frontières, nécessitant une grande mobilisation des forces.

En outre, un évènement a touché la gendarmerie et un autre la police nationale : une directive européenne sur le temps de travail dans la gendarmerie se traduit par moins 46 heures de travail annuel : la gendarmerie départementale est ainsi passée de nos forces sont passées de 1 776 à 1730 heures d'activité en moyenne par an et par agent, soit une diminution de près de 5 % du temps opérationnel des gendarmes, ce qui représente entre 5 et 6 000 ETP. L'augmentation des effectifs dont je vous ai parlé ne compense absolument pas l'application de cette directive. Concernant la police nationale, le gouvernement précédent avait proposé le « vendredi fort » pour améliorer les vacations des agents. Dans un certain nombre de brigades opérationnelles, cette vacation se traduit par la création de brigades supplémentaires. Le nouveau ministre a transformé ce dispositif en « vacation forte », système légèrement atténué par rapport au précédent et qui n'est pas appliqué à la préfecture de police, soit un tiers des effectifs en moins. S'il était mis en application dans toutes les unités, il faudrait créer entre 2 272 et 5 516 ETP. Ces deux mesures représenteraient donc plus de 10 000 ETP si elles étaient intégralement appliquées en année pleine. Vous voyez qu'avec les créations de 1 500 à 1 700 ETP dont nous parlons chaque année, nous sommes loin du compte.

Les tâches indues continuent à peser lourdement sur les forces de l'ordre : les extractions judiciaires sont toujours réalisées par les policiers ou les gendarmes. Depuis trois ans, on nous parle de transferts d'emplois mais les magistrats continuent à réquisitionner les forces de l'ordre, ce qui représente 16 000 ETPT. D'autres tâches indues sont à la charge des forces de l'ordre : procurations, personnel administratif...

Les conditions de travail détériorées expliquent, entre autres, un absentéisme qui atteint 7,5 %.

Je vous présenterai un amendement pour attirer l'attention du Gouvernement sur le fameux ratio dont je vous ai entretenu et qui conduit à une paupérisation des forces de l'ordre. Il s'agit de substituer à des crédits du titre II des crédits destinés au fonctionnement et à l'investissement de la police nationale et de la gendarmerie nationale.

Le nouveau Palais de justice de Paris est gardé par 387 policiers : c'est le seul palais de justice de France gardé par la police nationale car, normalement, l'autorité judiciaire assure sa propre sécurité. Je propose la suppression de ces emplois pour les reverser dans le fonctionnement et l'investissement.

M. Jean-Marc Gabouty, rapporteur spécial du programme « Sécurité et éducation routières » de la mission « Sécurités » et du compte d'affectation spéciale « Contrôle de la circulation et du stationnement routiers ». - En 2016, la courbe de la mortalité routière ne s'est pas inversée. Si la progression de la mortalité en 2016 et des neuf premiers mois de 2017 tend à décélérer, le nombre de tués sur les routes a encore progressé l'an passé, pour la troisième année consécutive, pour atteindre 3 655. Les statistiques du mois d'octobre font apparaître, sur douze mois glissants, une réduction du nombre de tués de 0,3 %. On peut donc considérer que nous sommes dans une phase de stabilisation. Le nombre de tués par milliard de kilomètres parcourus - qui permet de tenir compte de la densité de circulation - s'avère toujours supérieur à ceux de plusieurs de nos voisins (Allemagne, Royaume-Uni, Espagne, Suisse). Les autres indicateurs (nombre d'accidents et de blessés hospitalisés) continuent également d'augmenter en 2016. Les principales catégories dont la mortalité progresse sont les piétons et les cyclistes, et les classes d'âge les plus âgées, tandis que la vitesse excessive reste la première cause de mortalité. Les 18-24 ans demeurent la catégorie la plus affectée même si le nombre tués régresse fortement en 2016.

Le programme 207 « Sécurité et éducation routières », qui ne représente que 0,3 % du montant de la mission « Sécurités », voit ses crédits faiblement augmenter de moins de 3 %, de 38,8 à 39,9 millions d'euros. Le point saillant concerne les dépenses de communication, régulièrement sous-budgétées ces dernières années, et qui font l'objet d'un effort de sincérité.

Pour 2018, les recettes du CAS « Radars » sont estimées à 1,337 milliard - un montant en légère baisse de 3,6 % par rapport à 2017 - et représentent environ 73 % du produit total des amendes de police de la circulation et du stationnement.

La part des recettes issues des amendes « radars » est en forte progression : elles comptent désormais pour presque la moitié - 49,6 % - des recettes du CAS, contre 41,1 % en 2017, et plus de 60 % de l'ensemble du produit des amendes de la circulation et du stationnement routiers.

Ces montants doivent être appréciés à l'aune de l'ensemble des dépenses du Gouvernement en faveur de la sécurité routière (au total 3,58 milliards d'euros), et du coût total de l'insécurité routière, qui serait évalué - je reste prudent sur ces évaluations - à un peu plus de 38 milliards d'euros.

Alors que l'évolution de l'accidentalité routière demeure préoccupante - parce qu'elle ne baisse pas comme il l'avait été envisagé -, le budget 2018 poursuit la mise en oeuvre de la stratégie arrêtée lors du comité interministériel de la sécurité routière (CISR) d'octobre 2015 : 70,9 millions d'euros (+ 53 % par rapport à 2017) sont ainsi investis dans le déploiement de nouveaux équipements. L'accent est mis sur trois points : la mobilité (notamment des voitures radars la conduite serait pour partie déléguée à des prestataires extérieurs - je précise que le prestataire ne se voit confier que le déplacement du véhicule et n'intervient pas dans le déclenchement du radar, le réglage des vitesses, etc..., ce sujet a donné lieu à quelques réflexions au cours des mois passés) ; la multi-fonctionnalité (les nouveaux radars urbains et les radars tourelles, qui pourront détecter le franchissement des feux rouges, des lignes blanches...) ; la notion d'« itinéraire sécurisé » (qui remplace le point de contrôle), qui joue un rôle « préventif - dissuasif » et sur lesquels sont implantés notamment des radars ou des panneaux leurres. Ces nouveaux équipements doivent permettre de rendre le contrôle plus imprévisible et plus susceptible de déjouer les avertisseurs de radars. Je souhaite que l'implantation de ces nouveaux radars et le parcours des équipements mobiles soient encore mieux corrélés à la carte de l'accidentalité, comme l'a souligné le récent rapport d'information de notre collègue Vincent Delahaye. Les réseaux secondaires et les départements où la mortalité est plus élevée, notamment dans les départements d'outre-mer où le taux est nettement supérieur, doivent être privilégiés.

Une revendication de notre collègue, qu'il soutient avec persévérance depuis plusieurs années, a enfin été satisfaite : 2018 verra l'envoi des premières lettres de notification de points de permis par voie dématérialisée, ce qui devrait engendrer des économies substantielles, puisque environ 22 millions de lettres sont envoyées par an - au tarif de La Poste.

En outre, je souhaiterais mettre en exergue la nette baisse des crédits de la sécurité routière - 22,3 % entre 2017 et 2018 - affectés aux collectivités territoriales, justifiée par le Gouvernement par l'entrée en vigueur en 2018,de la décentralisation du stationnement payant dont les collectivités territoriales devraient toucher l'essentiel du produit. Je vais tout à l'heure vous proposer une légère modification à ce sujet.

Cette dotation, supportée par le programme 754 leur sert à réaliser de travaux d'infrastructures routières, et donc à améliorer la sécurité des usagers. Pour la première fois un « jaune » budgétaire est annexé au projet de loi de finances, qui détaille l'utilisation du produit des amendes par les collectivités et l'AFITF. Cet effort de transparence, améliorant l'information du Parlement, est à saluer. Toutefois le schéma des amendes de police reste toujours aussi complexe, je vous mets au défi de le comprendre. C'est pourquoi j'ai annexé en fin de rapport un tableau plus simple qui rend la lecture plus aisée et permet de mieux comprendre le circuit des amendes de la circulation et du stationnement.

Par contraste, la fraction affectée au désendettement de l'État, qui bénéficiera désormais d'une partie (95 millions d'euros) des amendes forfaitaires « radars », continue d'augmenter de 10,9 % par rapport à 2017.

Certes, un mécanisme de compensation a été prévu pour corriger les effets mécaniques de cette réforme, et remédier en 2018, aux manques à gagner pour l'État et les collectivités territoriales. Cependant, compte tenu des incertitudes entourant l'évaluation de son impact financier et de la dégradation du réseau routier, je vous propose deux amendements qui visent à amortir le choc de la baisse de dotation aux collectivités, sans pour autant diminuer le montant du programme 755 « Désendettement de l'État » par rapport aux crédits ouverts en 2017.

Un troisième amendement diminue, à hauteur de 20 millions d'euros, le fonds de roulement de l'agence nationale du traitement automatisé des infractions (ANTAI), qui, depuis plusieurs années, s'avère significativement élevé par rapport à son budget.

Compte tenu de ces éléments, je vous propose donc d'adopter les crédits du compte spécial, modifié par les trois amendements que je vous propose, ainsi que les crédits de la mission « Sécurités » ; d'adopter l'article additionnel 66 voté par l'Assemblée nationale, qui proroge d'un an le fonds d'amorçage et permet d'apporter un soutien financier aux collectivités locales qui souhaitent s'équiper de matériels nécessaires à l'utilisation du procès-verbal électronique (même si la plupart des villes de plus de 50 000 habitants s'en sont déjà largement dotées, d'autres collectivités envisagent de le faire) ; d'adopter les deux amendements de crédits que je vous propose, relatifs au fonds de roulement de l'ANTAI - l'agence nationale de traitement automatisé des infractions - et au prélèvement d'une fraction du versement au désendettement de l'État au profit des collectivités locales ; et enfin d'adopter un article additionnel après l'article 66, permettant ce transfert.

M. Jean Pierre Vogel, rapporteur spécial du programme « Sécurité civile ». - Les crédits du programme « Sécurité civile », qui ne représentent que 54 % des dépenses de l'État (en CP) consacrées à la sécurité civile au sens large, connaissent cette année une hausse importante. Les crédits de paiement (CP) et les autorisations d'engagement (AE) demandés sont ainsi en augmentation de respectivement 5,36 % et 82,34 % par rapport aux crédits votés en loi de finances initiale pour 2017.

Cette hausse importante s'explique toutefois par les AE affectées au renouvellement de la flotte d'avions Tracker qui représente en 2018, 404,1 millions d'euros en AE 61,4 millions d'euros en CP. Si on neutralise l'impact de l'acquisition des avions dans les budgets 2017 et 2018, le budget hors titre 2 du programme « Sécurité civile » est stable en AE (+ 0,3 %) et en baisse en CP (- 5%).

Le renouvellement de la flotte de Tracker était devenu indispensable, en raison de son vieillissement, qui avait atteint 60 ans et de l'atteinte prochaine du potentiel de vol maximal (25 000 heures de vol). À cet effet, le marché d'acquisition d'un avion multi-rôles s'inscrivant dans le contexte du retrait du service des avions Tracker avait été lancé dès 2016. Le ministre de l'intérieur a confirmé en juillet 2017 que ces derniers seraient remplacés par six bombardiers d'eau multi-rôle de type Dash 8, sans que ce choix ne soit formalisé juridiquement. Si ces avions présentent l'inconvénient d'être particulièrement coûteux, leur caractère multi-rôle plaidait en leur faveur. Les Dash 8 ont pour principal avantage de pouvoir être convertis en avions de transport, ce qui n'était pas le cas des Tracker.

On ne peut donc que se féliciter de ce renouvellement. Il ne doit toutefois pas masquer le vieillissement du reste de la flotte, qui entraîne de nombreuses indisponibilités. Nous l'avons vu cet été : les pilotes d'avions bombardiers d'eau se sont plaints de l'indisponibilité de la flotte, qui s'est parfois élevé à 25 %, et ce en pleine saison des feux. À cet égard, je plaide pour qu'une rénovation des Canadair soit envisagée le plus tôt possible par la DGSCGC, pour pallier ces indisponibilités et éviter les surcoûts liés à une prise en compte trop tardive des problèmes.

Le budget 2018 est marqué par la poursuite du déploiement du SAIP, dont les choix stratégiques, fortement contestables, ne sont toujours pas remis en cause. Je vous avais alerté, par le biais de mon rapport d'information, du fait que ce projet concentrait près de 80 % des crédits prévus au volet « sirènes », alors même que leur impact apparaît beaucoup plus faible que celui de la téléphonie mobile, qui ne bénéficie pourtant que de 3 % des crédits consommés ou prévus pour ce projet. Après un an de fonctionnement et à la suite des recommandations formulées dans mon rapport, l'application smartphone, dont j'avais relevé les insuffisances, fait l'objet actuellement d'une évaluation par l'inspection générale de l'administration qui doit se prononcer sur les améliorations possibles et les technologies alternatives pouvant être mises en oeuvre. Si cette évaluation est bienvenue, il me semble nécessaire de procéder à une réorientation stratégique plus large de ce projet avant que l'affectation des crédits de la phase 2, qui débute en 2020, ne soit effectuée. J'ai eu l'occasion d'interpeler le ministre de l'intérieur lors de son audition par la commission des lois et il m'a répondu qu'il attachera une attention particulière aux recommandations de l'IGA.

Enfin, il me semble important d'évoquer la situation financière des SDIS, dont les budgets ont diminué de 1,27 % en valeur brute et de 1,47 % en volume en 2016, alors même que le nombre d'interventions qu'ils réalisent a poursuivi sa hausse, de 2 %, pour atteindre près de 4,5 millions d'interventions. Cette baisse des budgets doit être compensée par la multiplication des mesures visant à parvenir à une meilleure maîtrise des dépenses des SDIS, qui passe notamment par une plus grande mutualisation. À cet égard, la réduction du nombre de numéros d'appel d'urgence et la recherche d'une plus grande mutualisation avec le SAMU ainsi qu'entre les SDIS doit impérativement être poursuivie.

Le point le plus alarmant me semble toutefois être l'évolution des dépenses d'investissements des SDIS : - 4,58 % en 2015 et - 6,49 % en 2016. Ces baisses ne peuvent se poursuivre sans entraîner une perte de leur capacité opérationnelle. Le Gouvernement ne semble pas avoir pris la mesure du problème puisque la dotation aux investissements structurants des SDIS est, en 2018, en diminution de 60 %. Cette dotation sera très majoritairement consacrée au financement du projet de système d'information unifié des SDIS et de la sécurité civile (SGA-SGO), projet considéré comme stratégique par le ministère de l'intérieur. De l'avis général, son montant de 10 millions d'euros en AE/CP pour 2018 est très insuffisant. Il me parait indispensable que cette dotation soit réévaluée dans les années à venir.

Un article rattaché impose la gratuité des autoroutes pour les déplacements opérationnels des services de sécurité qui, jusqu'à présent, devaient acquitter les péages.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Les tâches indues concernent aussi bien les transports de scellées que les opérations funéraires, les extractions judiciaires ou le transfert des personnes en état d'ivresse. Toutes ces tâches ne relèvent pas directement de la sécurité publique mais elles consomment beaucoup de temps. Avez-vous des propositions à nous faire ? Comment les choses se passent-elles à l'étranger ? Faut-il plus informatiser ?

Les conditions d'accueil des aéroports parisiens sont dramatiques. Il faut parfois attendre plusieurs heures pour passer les contrôles de police. Il y a deux ans, un amendement gouvernemental à la loi de finances pour 2016 entendait supprimer l'affectation d'une partie du produit de la taxe d'aéroport au financement des sas Parafe : la Grande-Bretagne dispose de systèmes bien plus performants de biométrie qui permettent de supprimer des postes inutiles. Mieux vaut un système efficace qu'un policier qui regarde vaguement votre passeport : le filtrage est inefficace tout en étant très lent. Des moyens informatiques aux frontières permettraient de fluidifier les files d'attente et de ramener les policiers à des tâches plus nobles.

M. Philippe Paul, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, programme « Gendarmerie nationale ». - Pour la gendarmerie nationale, le budget de fonctionnement est à peu près correct, mais les investissements pêchent par leur faiblesse depuis de nombreuses années.

La directive européenne se traduit bien par 6 000 ETP supplémentaires, ce qui cause quelques soucis aux militaires.

Le matériel de la gendarmerie est loin d'être en bon état. Les gendarmes sont obligés de louer les hélicoptères lourds à l'aviation légère de l'armée de terre (ALAT) pour assurer les transports de personnel ; or ces hélicoptères - des Super Puma - sont très vieux. Mêmes problèmes pour les hélicoptères plus légers, les EC145, dont le coût de maintenance est particulièrement élevé. Pour les véhicules blindés, le budget n'est pas au rendez-vous. La gendarmerie a tendance à cannibaliser les véhicules anciens pour réparer ceux qui peuvent encore l'être. Nous avons absolument besoin de 3 000 véhicules légers de remplacement par an. La gendarmerie compte aujourd'hui 15 % de véhicules en ruine. Certaines brigades ne peuvent plus sortir car leurs véhicules sont hors d'âge.

Nous avons lancé une campagne de recrutement assez active : les effectifs de la gendarmerie devraient à terme être identiques à ceux de 2007. Mais budgétairement, rien n'est prévu pour les équiper, alors que l'équipement de chaque gendarme s'élève à 2 000 euros. En outre, il faut prévoir des logements et des véhicules supplémentaires : là encore, aucun crédit.

En 2016, les loyers n'ont pas été payés par la gendarmerie. En 2017, les différentes compagnies ont eu ordre de payer les loyers dus auprès des collectivités territoriales. Il y a encore 89 millions d'euros d'impayés.

M. Antoine Lefèvre. - Depuis le 1er janvier 2017, les extractions judiciaires sont de la compétence du ministère de la justice. Mais 52 % se font encore par les forces de l'ordre. Où en est-on exactement ?

M. Jean-François Rapin. - De plus en plus d'effectifs sont mobilisés sur des missions qu'ils ne devraient pas accomplir. De plus, les procureurs sont friands de procédures toujours plus poussées : nos forces de police et de gendarmerie sont mobilisées par ces demandes alors que dans certains cas, le contraventionnel suffirait. C'est à la loi de changer les choses.

Les visites médicales lors des gardes à vue mobilisent aussi beaucoup de personnels.

L'an dernier, à la suite des grèves des forces de l'ordre, un plan « matériel » doté de 250 millions d'euros a été annoncé : où sont les crédits de paiements de ce plan dans ce budget ?

M. Éric Jeansannetas. - Nos troupes sont très sollicitées et leur moral n'est pas bon. Vous avez parlé de l'absentéisme et de la semaine dernière très malheureuse. Vous évoquez l'importance des risques psychosociaux et la nécessité de prendre ce problème à bras le corps. Les services des ressources humaines de la gendarmerie et de la police disposent-ils de spécialistes pour prévenir les risques psychosociaux ?

Dans mon département hyper rural, la Creuse, nous connaissons une crise du volontariat pour les pompiers volontaires. Une action est-elle prévue pour encourager les jeunes volontaires ?

M. Philippe Dallier. - Notre rapporteur nous a dit que les policiers affectés au Palais de justice de Paris sont un cas unique en France. Il me semble pourtant que le tribunal de Bobigny dispose aussi de forces de police. Est-ce le cas ?

J'avais aussi une question concernant l'ANTAI et sa trésorerie abondante. J'imagine que beaucoup de collectivités vont faire appel à l'ANTAI et sa trésorerie un peu pour le recouvrement des forfaits post-stationnement, qui entre en vigueur au 1er janvier 2018. Cet organisme facture le service à environ 5 % du montant. Les procédures doivent être complètement automatisées pour traiter ce type de tâche. Alors qu'on envisage de réduire la trésorerie de l'agence, a-t-on tenu compte de cet accroissement d'activité ?

En outre, j'ai longtemps craint qu'avec l'introduction du forfait post-stationnement, l'État en profite pour raboter les crédits versés aux collectivités sous prétexte qu'elles vont pouvoir fixer elles-mêmes son montant. Or ces crédits leur permettent de financer les travaux de voirie pour améliorer la sécurité routière. Ai-je raison ?

M. Marc Laménie. - Nos gendarmes sont attachés à leur statut militaire. Les crédits doivent donc rester bien identifiés. Nos forces de l'ordre interviennent de plus en plus dans le domaine social, y compris en zone rurale. Or, elles ne sont pas forcément formées pour ces interventions, qu'il s'agisse de violences conjugales ou de harcèlement.

Dans certaines brigades, des postes ne sont pas pourvus et le matériel manque. Dans mon département, le véhicule de la brigade est en réparation depuis des semaines.

Enfin, quand on parle de recrutement, n'oublions pas qu'il faut des années pour former un gendarme ou un policier. Quelle est la place de la réserve opérationnelle ? Nous assistons à une crise des vocations pour recruter des pompiers volontaires. Avez-vous des éléments d'information sur la Journée défense et citoyenneté ?

M. Arnaud Bazin. - Les impayés de loyers de la gendarmerie s'élèvent à une centaine de millions d'euros. La priorité a été donnée aux collectivités territoriales, mais n'oublions pas les offices HLM qui vont être fragilisés par l'article 52 du projet de loi de finances pour 2018 : à combien s'élèvent les impayés ? En outre, quelle est la durée de retard de ces impayés ? Trois mois, un an ? Ce n'est pas la même chose.

Il est bien normal que les investissements des SDIS soient en baisse : les départements et les communes ont dû faire face à des réductions de dotations extrêmement importantes. Pour les SDIS, quelle est la part de l'investissement de l'État par rapport à celle des collectivités ? Je crains qu'elle ne soit minime.

M. Éric Bocquet. - J'apprends avec surprise que les véhicules de sécurité doivent payer les péages autoroutiers. L'article est tout à fait pertinent.

Avez-vous rencontré les gendarmes et les policiers ? Leurs malaises ont-ils été évoqués ?

M. Jean-François Husson. - L'effet de ciseau entre la hausse de personnel et les investissements concerne plutôt la gendarmerie. Il est vrai que si l'on recrute, mais sans acheter de véhicules, cela pose problème. Prévoit-on des crédits supplémentaires pour mutualiser et moderniser les outils de la police et de la gendarmerie ?

M. Michel Canevet. - Le surcroît d'activité est-il dû à l'augmentation de l'activité ou à l'absence du personnel ? Certaines compagnies de CRS n'ont pu être opérationnelles du fait de l'absence d'un trop grand nombre de leurs membres.

M. Philippe Dominati, rapporteur spécial. - Vous avez été nombreux à évoquer les tâches indues : elles représentent environ 16 000 ETPT. Pendant des décennies, les préfectures et les tribunaux ont été gardés par les gardiens de la paix. La récente redéfinition des missions a amené l'État à supprimer les gardes des préfectures, des tribunaux, sauf celui de Paris. L'assistance aux opérations funéraires, l'obligation d'amener par les forces de l'ordre à l'hôpital le délinquant ou le citoyen en état d'ivresse, le transport des scellées et de fonds ont également été supprimés. Mais la principale tâche indue reste le transport entre les tribunaux et les maisons d'arrêt ou les établissements pénitentiaires. En 2010, il a été décidé de confier ces transferts à l'autorité judiciaire : l'administration pénitentiaire doit les effectuer. Mais ce plan est encore très peu appliqué : 400 ETP ont certes été transférés à l'autorité judiciaire mais comme dans divers départements les transferts ne peuvent toujours pas être effectués, les magistrats continuent à réquisitionner la gendarmerie ou la police. D'un côté, le ministère de l'intérieur est lésé car il a transféré des emplois et, de l'autre, il est contraint de continuer à transporter les prisonniers. Le Gouvernement souhaite atteindre l'objectif en 2020 ou 2021, mais aujourd'hui le problème reste entier.

La technologie pourrait améliorer le fonctionnement de la police aux frontières et la privatisation de certaines tâches comme le contrôle des documents d'identité ne présentant pas de difficultés pourrait être envisagée.

Autant la gendarmerie a un mode de fonctionnement hiérarchisé, autant pour la police nationale, les choses vont tout autrement, puisque deux tiers des effectifs dépendent du directeur général de la police nationale tandis qu'un tiers dépend du préfet de police de Paris. Le préfet de police de Paris a dans son ressort pas moins de treize préfets et les aéroports ne sont pas sous la même autorité.

Les tâches indues constituent un vrai problème mais il n'y a pas de solution satisfaisante sur le plan budgétaire pour l'instant car les transferts, même quand ils sont prévus, ne sont pas réalisés.

Lors de la préparation de mon rapport, j'ai rencontré les syndicats et les associations de la gendarmerie nationale. Je constate que tous les acteurs, la hiérarchie, tous les responsables d'exécutifs locaux sont très attentifs à la question du moral des troupes et du suivi des personnels. Toutefois aucune solution satisfaisante n'a été trouvée. Faut-il un dispositif d'alerte médicale très poussé ? Un suivi administratif par la hiérarchie ? Beaucoup de pistes sont envisagées. Chacun est très mobilisé mais sans grande efficacité malheureusement. Beaucoup de facteurs contribuent au mal-être au travail. Après le choc qu'ont représenté les attentats, la première année on a connu l'union nationale derrière les forces de l'ordre, mais par la suite on a eu de nombreuses manifestations de mécontentement, même si le renouvellement démocratique en mai a interrompu la tendance. L'année a donc été particulièrement chargée.

Que sont devenus les 200 millions d'euros qui ont été annoncés en pleine séance budgétaire l'année dernière par le ministre de l'intérieur ? En réalité une partie était déjà prévue par le projet de loi de finances pour 2017 déposé par le Gouvernement ! Les plans de rattrapage se succèdent et il est difficile de faire la part entre les crédits destinés à faire face à l'activité normale des services et les enveloppes de rattrapage. Cela vaut aussi pour les armes, les frais de fonctionnement. Un grand marché sera lancé pour mutualiser l'équipement des gendarmes et des policiers. C'est une nouveauté. Je rappelle que les bottines et les gants sont très diversifiés dans la police car les fonctionnaires doivent les payer sur leurs deniers propres. C'est une tradition établie dans la police et qui commence à le devenir dans la gendarmerie, à cause des sous-dotations. Des crédits d'équipement sont parfois employés pour d'autres usages, l'informatique par exemple, au lieu de servir à l'équipement des fonctionnaires.

Le parc automobile est à peine renouvelé. Les nouvelles tâches, Marc Laménie, comme la lutte contre les violences conjugales vont sans doute en effet s'accroître en 2018 et n'ont pas été prises en compte dans le budget. Pour les loyers impayés, les crédits de paiement s'élèvent à 92 millions d'euros et les autorisations d'engagement à 114 millions d'euros sur deux exercices. Je tiens aussi à souligner que le stock d'heures supplémentaires est passé en deux ans de 14 millions à 20 millions d'heures dans la police nationale ! Racheter ces heures coûterait 250 millions d'euros à l'État. Dans la réalité, les fonctionnaires utilisent leurs heures supplémentaires pour partir plus tôt à la retraite, ce qui réduit fortement les effectifs de la police nationale disponibles.

Au vu de tous ces artifices budgétaires et de toutes les bombes à retardement de ce budget, je ne peux émettre un avis favorable. Mon amendement aura le mérite d'ouvrir le débat et nous serons utiles aux forces de l'ordre en accroissant leurs crédits d'équipement et de fonctionnement.

M. Jean-Marc Gabouty, rapporteur spécial. - Philippe Dallier, l'ANTAI intervient sur les amendes de stationnement. Son périmètre devait se réduire mais comme le stationnement sera prochainement décentralisé, il en ira différemment. L'ANTAI pourra émettre les titres exécutoires en cas de non-paiement et les collectivités territoriales pourront aussi lui confier les notifications des avis de paiement. Donc son périmètre d'intervention pourrait s'élargir. Le problème, déjà soulevé par Vincent Delahaye en 2013 et par la Cour des comptes, dans plusieurs de ses rapports, est celui de son fonds de roulement : avec un budget de 118 millions d'euros, l'ANTAI devrait avoir un fonds de roulement lui permettant de fonctionner une quarantaine de jours, soit 14 ou 15 millions d'euros. Or le fonds de roulement n'a cessé de s'accroître, atteignant 38 millions d'euros fin 2016. C'est beaucoup. Le Gouvernement ne nous a pas fourni suffisamment d'explication pour justifier l'ampleur de ce montant. En attendant, je propose de réduire le fonds de roulement de 20 millions d'euros. Il est inutile de thésauriser ! C'est a posteriori que nous pourrons apprécier l'évolution de son activité et voir dans quelle mesure les collectivités territoriales ont fait appel à ses services.

S'agissant de la part des amendes « radars » reversée aux collectivités territoriales : une fraction des 170 millions d'euros provenant des recettes des amendes « radars » qui était en 2017 fléchée vers les collectivités territoriales a été versée dans un fonds commun pour contribuer au désendettement de l'État, en fait au budget général. De fait, cela augmente de 95 millions d'euros la fraction affectée au désendettement de l'État tandis que la part revenant aux collectivités territoriales régresse d'autant, au motif que les collectivités territoriales pourront se rattraper car elles seront libres désormais de fixer les tarifs du forfait post-stationnement. Comme nous manquons de visibilité sur l'impact de cette réforme et que l'anticipation du gouvernement est optimiste mais approximative, nous proposons de rebasculer la moitié du versement au désendettement de l'État au profit des collectivités. Ainsi nous pénalisons moins les collectivités territoriales, auxquelles on enlevait environ 20  % de la dotation, sans modifier l'enveloppe consacrée au désendettement. Avec cet amendement, nous ne proposons pas de refaire le chemin inverse mais nous tenons compte de l'argumentation de l'État tout en pondérant l'ampleur de la diminution de la dotation aux collectivités locales.

M. Jean Pierre Vogel, rapporteur spécial. - Il n'y a pas de ligne budgétaire destinée à soutenir les actions de promotion des sapeurs-pompiers volontaires. Je rappelle que nous comptons 194 000 sapeurs-pompiers volontaires en France qui constituent la colonne vertébrale de nos services de secours. La promotion du volontariat est essentiellement assurée par les SDIS sous la forme de campagnes d'affichages, par les unions départementales des sapeurs-pompiers, en lien avec les SDIS, ou par les amicales des sapeurs-pompiers, à l'occasion des fêtes de la Sainte-Barbe ou de journées portes ouvertes. Mais la difficulté est que pour remplacer un sapeur-pompier partant, il en faudra deux en raison des exigences de disponibilité opérationnelle. Dans mon département, on est ainsi passé en vingt ans d'une carence de départ par mois à trois carences par jour. On est souvent obligé d'envoyer des équipes de plusieurs centres pour compléter les équipes.

Des opérations nationales ont aussi été lancées avec la délivrance du label « employeur partenaire des pompiers ».

La problématique du volontariat est triple : la disponibilité est moindre en période diurne, le nombre de médecins volontaires est faible, les agents publics sont de moins en moins volontaires. Cela devient dramatique dans certains territoires.

Des conventions de disponibilité opérationnelle peuvent être passées entre le SDIS et l'employeur ; de nombreux outils existent, mais ont besoin de l'appui des maires. Les femmes représentent l'un des réservoirs de recrutement, car il y en très peu parmi les pompiers volontaires actuellement. Les SDIS orientent leur politique de communication dans ce sens.

Les aides de l'État aux SDIS sont réduites à néant, ou presque, avec l'orientation du Fonds d'aide à l'investissement (FAI) vers des opérations spécifiques comme l'Adaptation nationale des transmissions aux risques et aux secours (Antarès). Le nouveau fonds de soutien, de 25 millions d'euros en 2017 - autant dire qu'il est réduit à peau de chagrin - passe à 10 millions d'euros cette année, et sera réservé au « Système de gestion des appels-système de gestion opérationnelle » (SGA-SGO). Il n'y aura plus rien pour les casernements ou les matériels.

M. Vincent Éblé, président. - Avant de voter les crédits de la mission, nous devons examiner un amendement.

M. Philippe Dominati, rapporteur spécial. - Mon amendement consiste en une ponction sur le titre 2 des programmes consacrés à la police et à la gendarmerie pour accroître parallèlement le budget de fonctionnement et d'investissement de ces deux programmes.

La commission adopte l'amendement du rapporteur spécial.

À l'issue de ce débat, la commission décide de proposer au Sénat l'adoption des crédits de la mission « Sécurité », ainsi modifiés.

M. Vincent Éblé, président. - Nous passons à l'article 62 bis, rattaché à la mission.

M. Philippe Dominati, rapporteur spécial. - Cet article prolonge pour trois ans l'autorisation donnée aux collectivités territoriales de financer des opérations immobilières concernant la police, la gendarmerie ou le ministère de la justice. J'y suis favorable, malgré l'ambiguïté de ce dispositif : l'État se défausse sur des collectivités qui croient qu'en les finançant, elles garderont leurs brigades ; en réalité, certaines ont été supprimées malgré tout. Je n'aurais pas donné un avis favorable sur une prolongation plus longue.

La commission décide de proposer au Sénat l'adoption de l'article 62 bis.

M. Vincent Éblé, président. -Et quant à l'article 62 ter ?

M. Jean Pierre Vogel, rapporteur spécial. - Il établit la gratuité des autoroutes pour l'ensemble de services de sécurité. C'est une avancée qui fait suite à une autre : les SDIS se font rembourser leurs interventions sur les voies de l'autoroute, mais pas sur les aires de repos. Dans mon département, un camion de transport chimique dont la cuve fuyait a été remorqué sur une aire de repos pour ne pas bloquer la circulation, mais le réseau autoroutier a refusé de rembourser les 8 000 euros de péage payés par les pompiers pour cette raison ! Bon, ils ont fini par payer.

La commission décide de proposer au Sénat l'adoption de l'article 62 ter.

M. Vincent Éblé, président. - Passons au compte d'affectation spéciale « Contrôle de la circulation et du stationnement routier ».

M. Jean-Marc Gabouty, rapporteur spécial. - Je propose un amendement n° 2 qui réoriente 47,8 millions d'euros du désendettement de l'État vers la contribution à l'équipement des collectivités territoriales pour l'amélioration des transports en commun, de la sécurité et de la circulation routière. L'amendement n° 3, portant article additionnel, est une conséquence de l'amendement n° 2.

La commission adopte l'amendement n° 2 du rapporteur spécial, ainsi que l'amendement n° 3.

M. Jean-Marc Gabouty, rapporteur spécial. - L'amendement n° 1 prélève 20 millions d'euros sur le fonds de roulement de l'Agence nationale de traitement automatisé des infractions (ANTAI), qui, si on y ajoute celui dont il bénéficiait au 31 décembre 2016, représenterait 6 mois de dépense ! Les services n'ont pas répondu à nos questions sur ce besoin. Peut-être le Gouvernement le fera-t-il ?

La commission adopte l'amendement n° 1. Elle décide de proposer au Sénat l'adoption du compte d'affectation spéciale « contrôle de la circulation et du stationnement routier » modifié par ses amendements, ainsi que l'adoption d'un article additionnel après l'article 66.

M. Vincent Éblé, président. - Terminons par l'article 66.

M. Jean-Marc Gabouty, rapporteur spécial. - L'article 66 proroge le dispositif d'aide aux collectivités qui s'équipent pour la dématérialisation des amendes. Avis favorable.

La commission décide de proposer au Sénat l'adoption de l'article 66.

La réunion est close à 17 h 50.

Jeudi 16 novembre 2017

- Présidence de M. Vincent Éblé, président -

La réunion est ouverte à 10 h 35.

Projet de loi de finances pour 2018 - Mission « Médias, livre et industries culturelles » et compte de concours financiers « Avances à l'audiovisuel public » - Examen du rapport spécial

M. Roger Karoutchi, rapporteur spécial de la mission « Médias, livre et industries culturelles » et du compte de concours financiers « Avances à l'audiovisuel public ». - Mon rapport spécial concerne deux blocs qui n'ont que peu de liens entre eux.

Le premier bloc - la mission « Médias, livre et industries culturelles » - connaît peu d'évolutions. Le montant de ses crédits s'élève à près de 555 millions d'euros, soit une baisse apparente, et non véritable, de 13 millions d'euros : le périmètre a quelque peu changé et des éléments financiers ont été transférés à la mission « Culture » ou pris en charge par le Centre national du cinéma et de l'image animée.

Les crédits de l'Agence France-Presse (AFP) sont à peu près identiques.

L'AFP va mal. Elle a certes fait sa révolution interne en regroupant une centaine de statuts internes et se réorganisant. Elle dispose d'un budget de 131 millions d'euros - soit une baisse d'1 million par rapport à l'année dernière - et son endettement s'élève à 60 millions d'euros. Or ses ressources sont assez faibles, même si elle essaie de se diversifier, notamment en proposant des services vidéo à l'international. Elle connaît des difficultés de fonctionnement et de remboursement de la dette, qui l'empêchent de réaliser les investissements nécessaires.

Les aides à la presse restent stables. Une légère baisse est prévue, de l'ordre de 4,5 millions d'euros, liée à la diminution de l'aide au portage. En revanche, les aides garantissant la diversité de la presse sont maintenues, ainsi que celles réservées à la modernisation.

Concernant les industries culturelles, les aides destinées au soutien à l'export de la filière musicale sont en augmentation de 800 000 euros dans le projet de loi de finances.

Dans le domaine du livre et de la lecture, on observe une continuité.

Les dépenses de fonctionnement de la Bibliothèque nationale de France (BnF) sont énormes, et représentent l'essentiel des crédits dédiés au livre. C'est un peu dommage, car il existe beaucoup d'initiatives en province qui ont du mal à trouver des financements. Quant aux travaux du quadrilatère Richelieu, ils se poursuivent. L'objectif total de dépenses est de 233 millions d'euros.

À propos de cette mission, plusieurs questions se posent. L'État pourra-t-il suffisamment soutenir l'AFP afin que celle-ci se désendette et puisse faire face à la concurrence internationale, celle des agences anglo-saxonnes, mais aussi russes et chinoises ? Faut-il conserver le schéma actuel des aides à la presse et la trilogie « pluralisme, portage, modernisation », alors que le portage est appelé à diminuer considérablement ? Pour le livre, il faut des moyens complémentaires, ou faire en sorte que la BnF n'absorbe pas tous les crédits.

Les crédits de la mission s'élèvent à 555 millions d'euros environ mais si l'on y ajoute les dépenses fiscales, ils sont en fait triplés.

Le second bloc examiné dans mon rapport est le compte de concours financiers « Avances à l'audiovisuel public », qui représente 3,8 milliards d'euros de crédits, les ressources étant la contribution à l'audiovisuel public et la taxe sur les services fournis par les opérateurs de communications électroniques.

Les députés avaient voté en commission un amendement tendant à donner à France Télévisions environ 20 millions d'euros, soit 3 millions provenant de la taxe sur les opérateurs de communications électroniques, et 17 millions du report de la suppression de la publicité sur les programmes jeunesse. Il est vrai qu'aux termes du projet de loi de finances pour 2018, France Télévisions perd quelques dizaines de millions d'euros. Le Gouvernement a indiqué son désaccord avec cet amendement, qui a été retiré avant la séance publique, considérant que le groupe audiovisuel public devait faire des économies.

Sur ces 3,8 milliards d'euros de crédits, France Télévisions absorbe 2,6 milliards. C'est aussi ce groupe qui pose le plus de problèmes. Vous le savez, la ministre de la culture porte plainte à la suite de la diffusion d'une note interne relative à la réorganisation complète de l'audiovisuel public. On sait que le Gouvernement s'interroge sur le périmètre de ce secteur. Faut-il maintenir l'ensemble des chaînes publiques ou réduire leur nombre, fusionner France 2 et France 3, créer une société holding - ce serait l'orientation choisie pour 2018 - et mettre en place une structure au-dessus des présidents de chaînes ?

Il y a bien une volonté de réformer, de regrouper, de diminuer les dépenses, mais personne n'a de solution idéale. Lors de son audition, Delphine Ernotte nous a dit qu'elle essayait de maîtriser les coûts, de diminuer les dépenses de fonctionnement, mais l'effort est faible. Sur ces 2,6 milliards d'euros de crédits, le curseur de la révision potentielle se situe en fait - pour les députés, le Gouvernement ou les responsables de France Télévisions - autour de 30 ou 40 millions d'euros, soit 1,5 % du total des crédits ; on sent bien qu'il n'est pas possible d'aller au-delà.

La présidente de France Télévisions affirme que l'on ne peut pas toucher aux stations de France Ô, de France 3, ce que semble contester le Gouvernement. Elle ajoute que France Télévisions a décidé d'internaliser un certain nombre de productions ; or cela coûte 25 % plus cher ! Au vu de la situation du groupe, fallait-il louer 20 000 mètres carrés à Montpellier, lancer une série, créer la chaîne de télévision France info? L'audience de cette chaîne est très faible et son coût opaque, dans la mesure où sont mis en commun des moyens de France Télévisions, Radio France, l'INA et France Médias Monde. Cela représente beaucoup de dépenses de structures. Au sein de l'audiovisuel public, il faudra soit mieux identifier les chaînes, soit se poser la question de l'organisation à l'intérieur du périmètre.

Ce dossier est suivi de très près par l'Élysée et Matignon, et une réforme sera de toute façon présentée en 2018.

France Télévisions recevra moins de ressources provenant de la taxe sur les opérateurs de communications électroniques et davantage issues de la redevance audiovisuelle dont le produit augmente du fait de l'évolution de l'inflation. Au total, en 2018, ses crédits baisseront de 30 millions d'euros.

La progression d'Arte reste limitée mais régulière.

Les crédits de Radio France diminuent d'une quinzaine de millions d'euros. Cette baisse est assez sensible dans la mesure où sa dotation globale s'élève à 612 millions d'euros. Elle sera cependant absorbée par le nouveau décalage du grand chantier de réhabilitation lancé voilà depuis plusieurs années et qui a subi de nombreux retards et arrêts ; un nouvel expert a été d'ailleurs été nommé.

Le PDG Mathieu Gallet a décidé de réduire les dépenses de fonctionnement. La direction du groupe étudie par exemple les moyens d'établir des convergences entre les deux orchestres de Radio France.

Je déposerai un amendement tendant à augmenter les crédits de France Médias Monde de 1,9 million d'euros. Son budget actuel s'élève à 250 millions d'euros - on est bien loin de France Télévisions ! Il faut savoir ce que l'on veut. On souhaite promouvoir la francophonie, avoir des bureaux relayant la présence française, diffuser la parole de la France en Afrique, en Asie, en Amérique latine. Or ce groupe en est réduit à fonctionner avec des bouts de ficelle ! Il convient donc de lui accorder un minimum de moyens.

Les autres groupes ne sont pas en situation de crise.

Globalement, les crédits sont suffisants pour les secteurs du livre et des aides à la presse par rapport aux demandes. L'AFP, en revanche, doit faire face à un problème, qui dure depuis des années, d'investissement lié à la dette. Or aucun gouvernement n'a trouvé les 60 millions d'euros nécessaires pour le résoudre.

Une réforme de l'audiovisuel aura lieu, à laquelle les acteurs concernés sont plus ou moins favorables. Mathieu Gallet a ainsi lancé l'idée d'une redevance audiovisuelle universelle et automatique, ce qui ne me semble pas vraiment être dans l'air du temps. Il faut surtout réduire certains coûts de fonctionnement. En effet, les structures sont trop lourdes et les coûts de production en interne sont excessifs.

Je n'ai entendu pour l'instant que les acteurs publics. Je vais désormais recevoir les acteurs privés, puis les sociétés de production. Je verrai ainsi comment se décompose le coût réel de chaque secteur. Une réflexion sera lancée, qui durera jusqu'au dépôt par le Gouvernement, à l'automne 2018, d'un projet de loi sur le sujet.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Je partage le point de vue de Roger Karoutchi sur la multiplication des chaînes. Voilà deux ou trois ans, Médiamétrie indiquait qu'à certaines heures de la journée les audiences de France 4 étaient proches de zéro. Le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) a lui-même indiqué que ce marché était saturé.

Je m'étais étonné devant Delphine Ernotte que France Télévisions achète certains films américains à un prix bien supérieur à celui payé par des chaînes privées qui n'ont pourtant pas le même modèle économique, avec la nécessité de vendre des espaces publicitaires. Quelle est, en l'occurrence, la stratégie de l'audiovisuel public ? Les chaînes publiques ont-elles vocation à viser la course à l'audience ? Mieux vaudrait basculer vers un autre type de modèle, proche de celui de la BBC.

Mme Françoise Laborde, rapporteur pour avis de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication (programme 334). - En raison du transfert de certains crédits vers le programme 224, les crédits du programme « Livre et industries culturelles » sont en réalité en augmentation de 2 %.

Vous l'avez dit, la BnF coûte très cher et absorbe près de 94 % des crédits du programme. « Tout ça pour ça ! », disions-nous hier au sein de la commission de la culture. Car elle ne montre pas l'exemple : elle n'ouvre ses salles de lecture ni le soir ni le dimanche matin. Nous avons profité de l'excellent rapport de notre collègue Sylvie Robert sur les bibliothèques et de la mission d'Erik Orsenna sur le sujet pour rappeler que la BnF devrait optimiser ses horaires d'ouverture.

Pour ce qui concerne la presse, j'estime qu'au nom de la francophonie et d'une certaine conception de la démocratie, France Médias Monde doit continuer à exister.

S'agissant de la télévision, prenons garde à ne pas se désintéresser complètement des niveaux d'audience, car nous risquerions de remettre en cause dans quelques années l'existence des chaînes publiques, en s'interrogeant sur leur réelle utilité. Je partage cependant l'avis du rapporteur général : la guerre des audiences est contreproductive.

Mme Nathalie Goulet. - Combien de temps encore va-t-on accorder les aides pour la modernisation de la presse, lesquelles ne sont jamais remises en cause et évaluées ?

Le lourd projet immobilier dont doit bénéficier l'Institut national de l'audiovisuel est-il légitime ?

Il faut aider l'AFP, qui est crédible sur le plan international en cette période de fake news, notamment par rapport à l'agence russe.

Ne pourrait-on créer une fondation ou un fonds de dotation pour soutenir France Médias Monde ?

M. Antoine Lefèvre. - S'agissant de l'audiovisuel public, il semble qu'il n'y ait pas vraiment de volonté politique de faire des économies. L'offre a été démultipliée ces dernières années. Peut-on enfin toucher à ce secteur ?

On demande aux élus de mutualiser en créant de grandes régions, en fusionnant des communes en milieu rural. Il faut désormais faire de gros offices HLM... Pourquoi l'audiovisuel public serait-il le seul secteur à pouvoir créer des filiales et des services, lesquels entraînent des dépenses supplémentaires ? Plutôt que de chercher des recettes en imaginant de nouvelles redevances, mieux vaudrait d'abord faire de sérieuses économies.

M. Éric Bocquet. - Quelles sont les causes de l'endettement de l'AFP ? Quels investissements devrait-elle faire pour sortir de cette situation tendue ?

Je suis d'accord avec Nathalie Goulet : la crédibilité et la déontologie de l'agence comptent par les temps qui courent, alors que l'information circule tous azimuts sans toujours être contrôlée et vérifiée.

Le débat sur l'audiovisuel public revient chaque année. Il n'y a plus de publicité sur ces chaînes après 20 heures. Cette perte de recettes a été compensée pendant quelques années par des taxations, mais elles ont souffert d'un manque à gagner de plus de 700 millions d'euros.

Je rejoins Françoise Laborde : si l'on ne se réfère uniquement aux audiences, on n'a plus qu'à supprimer Le jour du Seigneur du dimanche matin, à fermer Public Sénat...

Il m'arrive ainsi de m'inquiéter à propos des « unes » de La Voix du Nord. Ce grand quotidien régional titre parfois sur Miss France, Halloween... Ces choix sont faits en fonction du nombre de connexions observées la veille au soir ! Qu'en est-il de l'ambition culturelle et éducative ?

M. Claude Raynal. - Roger Karoutchi possède un art consommé de la synthèse !

Le démarrage de la chaîne de télévision France Info dénotait un manque de préparation. Il n'en demeure pas moins que France Télévisions se doit de proposer de l'information en continu. Cette chaîne s'est d'ailleurs améliorée. Son contenu est différent de celui de ses concurrents : on y trouve des analyses et des points de vue décalés, et non pas seulement la récitation des faits à l'infini.

Pourquoi soutenir France Médias Monde davantage que TV5 Monde, une chaîne qui est loin d'être présente partout ?

Mme Frédérique Espagnac. - L'arrêt de la production par les chaînes locales de France 3 des journaux télévisés, lesquels constituaient un outil de promotion du territoire et des entreprises, est problématique en termes d'aménagement du territoire. Chez moi, en Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes, les journalistes locaux ne traitent plus que des faits divers.

Quel service public audiovisuel voulons-nous ? France Télévisions a mis fin à la diffusion de ces journaux, ce qui a entraîné des suppressions de postes et d'équipes de qualité, ainsi que la disparition des éditions en langue régionale. Cela s'est fait en silence, mais nous devons montrer que nous ne fermons pas les yeux sur ce problème.

M. Marc Laménie. - Quels sont véritablement les missions et les moyens humains de la BnF et du Centre national du livre ? Leurs activités ont-elles des retombées dans nos territoires ? Ces structures, que l'on connaît surtout de nom, pourraient faire beaucoup pour la promotion de la lecture, en liaison avec l'éducation nationale. Cela fait-il partie de leurs prérogatives ?

M. Thierry Carcenac. - Comment sera recouvrée la contribution à l'audiovisuel public lorsque la taxe d'habitation sera supprimée ?

M. François Calvet. - On ne comprend pas quelle est la stratégie de France 3. On reproche aux stations régionales un manque d'audience alors qu'on ne leur donne pas les moyens techniques dont elles auraient besoin. Comme dit Frédérique Espagnac, cela semble organisé ! Le déploiement vers internet devrait être soutenu par la chaîne.

On ne peut pas accepter la disparition de ces stations locales qui diffusent la culture régionale et l'information au plus près de nos concitoyens.

M. Roger Karoutchi, rapporteur spécial. - Pourquoi consacrer autant d'argent à l'audiovisuel public si cela sert à acheter des James Bond ? Je ne sais pas et je ne vois pas de solution.

Nous voulons tous un service public de l'audiovisuel fort qui garantisse l'accès à la culture française. Si nous ne lui donnons pas de moyens suffisants, nous serons en tant que parlementaires responsables et coupables de ne pas l'avoir défendue.

Les chaînes publiques, de télévision et de radio, ont été multipliées au nom du soutien permanent obtenu des pouvoirs publics. Résultat : il y a une dilution.

La chaîne dont l'identité de service public est la moins marquée, c'est France 2, navire amiral qui veut faire concurrence au secteur privé et dépasser l'audience de TF1. France 4, qui coûte très peu, a une mission à destination de la jeunesse bien identifiée. France 5, qui ne coûte pas cher, a trouvé sa place en se spécialisant dans l'actualité et les débats...

Il faut trouver un équilibre. Dès lors que le service public entre dans le système de l'audimat, il obéit à une logique de concurrence avec le secteur privé. Delphine Ernotte promet de ne plus rien nous réclamer si nous lui accordons deux coupures publicitaires entre 20 h 30 et 21 h. Mais on ne peut pas tout remettre en cause !

Enfin, par rapport à la BBC, France Télévisions exporte peu ses programmes, y compris dans les pays francophones.

Pourquoi soutenir France Médias Monde et non TV5 Monde ?

Je rappelle que TV5 est cofinancée par l'ensemble des pays francophones. L'État français remplissant toutes ses obligations à cet égard, ce qui n'est pas le cas de nos partenaires, il paraît difficile de lui réclamer un effort supplémentaire. Quant à France Médias Monde, ses nombreux bureaux lui confèrent une plus grande capacité de diffusion.

Monsieur Bocquet, l'AFP doit rationnaliser son réseau de bureaux à l'étranger, des contentieux fiscaux et sociaux sont actuellement en cours pour plusieurs de ces bureaux. Elle doit se désendetter si elle veut développer son activité de services vidéo.

La BnF, je l'ai dit, est très chère et absorbe environ 94 % des crédits consacrés au livre. Il est vrai qu'elle ne donne pas l'exemple. Ce bunker fermé avec des horaires réduits doit s'ouvrir davantage. Les ressources du CNL sont, en revanche, bien mieux réparties et bénéficient aux bibliothèques, centres de lecture et médiathèques de province.

Nathalie Goulet a raison, l'AFP a une image de rigueur, quelquefois un peu orientée. Mais il lui faut des moyens et des bureaux. Les agences chinoise et russe sont bien mieux dotées, car les États ont compris qu'il en allait de leur capacité d'influence.

Comme le dit Frédérique Espagnac, les stations locales de France 3 sont dans une situation compliquée. Faut-il les regrouper ou privilégier la proximité ? Il convient de leur donner les moyens de produire leurs programmes localement. Je ne sais pas si l'idée émise par Gérald Darmanin de les rapprocher de France Bleu est bonne. Quoi qu'il en soit, il faut trouver des solutions.

J'en viens à la question de Thierry Carcenac sur la contribution à l'audiovisuel public : nous verrons dans trois ans où nous en serons !

Je donne un avis favorable sur l'ensemble de la mission et du compte de concours financiers, sous réserve des réformes que j'ai évoquées, lesquelles seront mises en oeuvre par le Gouvernement en 2018.

J'apprécierai que l'approbation de la commission s'étende à mon amendement n° 1 visant à abonder d'1,9 million d'euros supplémentaires les crédits de la dotation de France Médias Monde.

À l'issue de ce débat, la commission décide de proposer au Sénat d'adopter les crédits de la mission « Médias, livre et industries culturelles ».

M. Vincent Éblé, président. - J'en viens à la mise aux voix du compte de concours financiers « Avances à l'audiovisuel public ».

L'amendement n° 1, proposé par le rapporteur spécial, est adopté.

À l'issue de ce débat, la commission décide de proposer au Sénat d'adopter les crédits du compte de concours financiers « Avances à l'audiovisuel public », sous réserve de l'adoption de son amendement.

Projet de loi de finances pour 2018 - Mission « Action extérieure de l'État » - Examen du rapport spécial

M. Vincent Éblé, président. - Nous avons le plaisir d'accueillir nos collègues Ladislas Poniatowski de la commission des affaires étrangères et Claude Kern de la commission de la culture.

M. Vincent Delahaye, rapporteur spécial de la mission « Action extérieure de l'État ». - La mission « Action extérieure de l'État » comprend quatre programmes dont un nouveau programme 347 « Présidence française du G7 ».

L'effort de réduction de la dépense est relativement important : 3 milliards d'euros sont prévus en crédits de paiement et en autorisations d'engagement, soit une diminution d'environ 0,1 % en valeur et de 1 % en volume par rapport à la loi de finances initiale pour 2017. Les crédits de la mission diminuent d'environ 4 % par rapport à l'exécution 2016.

Cette diminution des dépenses concerne principalement la masse salariale et les contributions internationales. Mais ces baisses sont en partie compensées par des efforts spécifiques en faveur de l'entretien du parc immobilier, de la lutte anti-terroriste et de la sécurité.

Pour la période 2018-2020, l'effort demandé est significatif puisque la baisse cumulée des crédits est de 6,3 % en valeur. Les services du ministère n'ont pas précisé quelles dépenses seraient concernées.

Pour 2018, on observe une légère diminution de la masse salariale de 12,7 millions d'euros. Est prévue la suppression de 100 équivalents temps plein (ETP), qui se concentrerait à nouveau sur les agents contractuels à durée déterminée et les agents de droit local.

Les contributions internationales sont sous contrôle, en baisse de 11 millions d'euros, ce qui s'explique par la stabilisation des appels à contribution aux opérations de maintien de la paix aux alentours de 385 millions d'euros, par une légère baisse des contributions à certaines organisations dont l'Organisation du traité de l'Atlantique nord (OTAN), l'Organisation internationale du Travail (OIT) et l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) et par un effet de change positif grâce à l'appréciation de l'euro.

De plus, grâce au mécanisme d'ordres d'achat à terme conclu entre le ministère et l'Agence France Trésor (AFT), un gain de 31,8 millions d'euros devrait être enregistré en 2018. Avec Rémi Féraud, nous présenterons un amendement sur ce point. 

L'effort budgétaire en matière de lutte antiterroriste et de sécurisation des implantations du ministère à l'étranger se poursuit. L'enveloppe de 60 millions d'euros prévue à cet effet en 2017 est reconduite pour 2018, et le devra sans doute l'être en 2019.

Hormis ces évolutions positives, je retiens plusieurs points de vigilance.

Le premier est l'adaptation du réseau aux priorités diplomatiques de la France. Notre réseau diplomatique est le troisième en importance dans le monde : 267 postes à l'étranger, dont 160 ambassades, 89 consulats et 16 représentations permanentes.

Le processus d'adaptation, assez lent, se poursuit : mutualisations et colocalisations d'ambassades, notamment avec l'Allemagne et l'Union européenne ; diminution des effectifs dans les postes « grands formats » ; transformation de certaines ambassades en postes de présence diplomatiques, qui comptent en moyenne 7 ETP.

Toutefois, certains postes demeurent mal ou surdimensionnés. Nous approfondirons nos travaux sur ce sujet.

Deuxième point de vigilance : la politique immobilière est dans l'impasse sous l'effet de l'érosion des produits de cession et de l'augmentation des frais d'entretien de nos implantations en France et à l'étranger. Le différentiel de dépenses immobilières en France et à l'étranger n'a pas manqué de m'étonner. Le patrimoine immobilier est évalué à 4,3 milliards d'euros à l'étranger et à 514 millions d'euros en France. Parallèlement, les produits de cession diminuent : seulement 30 millions d'euros en 2017, contre 52 millions d'euros initialement prévus. Un rattrapage est espéré en 2018, de l'ordre de 50 à 80 millions d'euros, mais des grandes incertitudes subsistent.

Une réflexion revient régulièrement s'agissant des contributions aux organisations internationales : il s'agit de la couverture du risque de change. Si l'euro baisse, nos contributions augmentent ; si l'euro s'apprécie, nous bénéficions d'un gain de change, ce qui a été le cas en 2017. La Cour des comptes avait souhaité la mise en place d'un mécanisme effectif de couverture du risque de change en cas de dépréciation de l'euro. Un travail sur cette question a été effectué par l'Inspection générale des finances et l'Inspection générale des affaires étrangères. Toutefois, nous attendons encore des suites concrètes. Je rappelle la perte de change de 100 millions d'euros enregistrée en 2015.

En 2017, 3,3 millions d'euros étaient inscrits au titre de la réserve parlementaire sur la mission « Action extérieure de l'État ». À l'étranger, la réserve bénéficiait surtout à des associations, qui se retournent aujourd'hui vers le ministère de l'Europe et des affaires étrangères. Une enveloppe de 2 millions d'euros pour mettre en place un mécanisme alternatif est à l'étude. Nous veillerons à ce que le dispositif soit aussi transparent que l'était devenue la réserve parlementaire, et que le processus d'instruction des dossiers ne soit ni trop lourd ni trop coûteux.

Avec Rémi Féraud, nous proposerons un amendement commun tirant les conséquences du gain de change de 30 millions d'euros attendu. Il est proposé de transférer ces sommes vers l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE), qui a dû faire face à des annulations de crédits importantes en 2017. L'AEFE est poussée à faire de la cavalerie, et nous voudrions l'aider à stabiliser ses crédits.

Je présenterai par ailleurs un amendement visant à diminuer de 1 million d'euros les autorisations d'engagement prévues pour la présidence française du G7. Nous nous sommes référés au coût du G20 de Cannes de 2011. Le montant prévu pour 2018-2019 est de 36,4 millions d'euros. Nous souhaitons appeler l'attention du Gouvernement sur le choix du site, qui aura des conséquences financières non négligeables.

M. Rémi Féraud, rapporteur spécial de la mission « Action extérieure de l'État ». - Mon rapport porte plus spécifiquement sur les programmes 151 « Français de l'étranger et affaires consulaires » et 185 « Diplomatie culturelle et d'influence », qui représentent un tiers du budget de la mission « Action extérieure de l'État ».

Le premier constat est la globale stabilisation des crédits de la mission, avec une très légère baisse de l'ordre de 0,1 % par rapport à 2017, qui traduit une volonté de maintenir l'influence culturelle de la France dans le monde. Ce budget, certes sans sacrifice - hormis l'enseignement français à l'étranger, à la suite d'annulations de crédits -, mais sans dépense nouvelle non plus, nous invite cependant à rester vigilants, car la situation financière des acteurs culturels et des opérateurs chargés de la politique d'influence de notre pays à l'étranger demeure fragile. Il s'agit d'un budget d'attente, avant d'établir une stratégie claire de développement du soft power français.

Le Président de la République, dans son discours du 2 octobre dernier devant l'Assemblée des Français de l'étranger, a fait un certain nombre d'annonces, dont on ne retrouve pas la traduction dans le budget pour 2018. Nous ne pourrons donc réellement juger l'action du Gouvernement dans ce domaine qu'à l'aune du budget 2019.

Le projet de loi de finances pour 2018 prévoit 368 millions d'euros en autorisations d'engagements et en crédits de paiement pour le programme 151 « Français à l'étranger et affaires consulaires ». Ce montant correspond à une baisse de 1,2 % par rapport à l'an dernier, en excluant les dépenses ponctuelles liées à l'organisation en 2017 des élections présidentielle et législatives pour les Français de l'étranger. Il représenterait cependant une hausse de 6,5 % par rapport à l'exécution constatée en 2016, ce qui n'est pas négligeable.

De même, le programme 185 « Diplomatie culturelle et d'influence » est doté de 717,5 millions d'euros, soit une hausse de 0,3 % par rapport à 2017. La subvention versée à l'AEFE, qui représente plus de la moitié des crédits du programme, demeure stable en valeur. Je rappelle qu'elle a toutefois subi une coupe de 33 millions d'euros dans un décret d'avance de juillet dernier. Une augmentation de 7,5 millions d'euros des crédits d'intervention destinés aux postes et à l'administration centrale afin de renforcer l'attractivité universitaire de la France est également prévue pour 2018.

Les demandes de bourses scolaires devraient être couvertes grâce à une enveloppe de 110 millions d'euros, identique à celle prévue l'année dernière. L'exercice 2018 sera également marqué par la poursuite des chantiers de modernisation de l'administration consulaire engagés sous le quinquennat précédent. La simplification des démarches - demandes en ligne des passeports, répertoire électoral unique, vote électronique - doit permettre de contenir ces dépenses à un niveau équivalent à celui de 2017, hors dépenses dues à l'organisation des élections.

Ces signaux positifs sont à saluer, mais ils ne doivent pas pour autant nous faire perdre de vue l'inquiétude des opérateurs - l'AEFE, Atout France, Campus France et l'Institut français -, en manque de visibilité par rapport aux années qui viennent. La tutelle du ministère sur les opérateurs est perfectible.

En termes d'attractivité touristique, le bilan est plutôt positif grâce au volontarisme de la politique impulsée depuis les attentats de 2015. L'objectif très ambitieux de 100 millions de touristes d'ici à 2020 et la reconduction des crédits alloués à Atout France sont de bons signaux. Atout France aura également en charge une nouvelle mission de promotion de la gastronomie française. Un amendement du Gouvernement augmentant les crédits de l'opérateur de 1,5 million d'euros pour lui permettre de remplir cette mission a été voté en première lecture à l'Assemblée nationale.

En revanche, l'attractivité de la France auprès des étudiants et chercheurs étrangers semble décroître. Dans un contexte particulièrement concurrentiel avec l'émergence de nouveaux acteurs comme la Chine, la Russie, l'Arabie saoudite ou la Turquie, les moyens sont stables - 64,6 millions d'euros, pour l'essentiel destinés à Campus France -, mais ils ne sont pas à la hauteur de nos ambitions.

De même, l'Institut français et l'Alliance française sont en attente d'une nouvelle impulsion, alors que leurs crédits sont stables après des années de baisse qui ont fortement perturbé leur activité. Le Président de la République doit annoncer au premier semestre 2018 la mise en place d'un plan pour la promotion de la langue française dans le monde, ainsi qu'un possible rapprochement entre l'Institut français et la Fondation Alliance française. Un rapport sur cette question a été demandé à Pierre Vimont.

L'AEFE est dans une situation financière de plus en plus préoccupante. Nos collègues représentant les Français établis hors de France nous alertent régulièrement sur le sujet. Pour rappel, l'AEFE dispose d'un réseau de près de 500 établissements scolaires homologués dans 137 pays, scolarisant 340 000 élèves dont 125 000 Français et parmi eux 25 000 boursiers. Cela en fait l'un des plus grands réseaux d'enseignement public à l'étranger au monde.

Alors que la Cour des comptes avait déjà pointé sa situation financière précaire dans une enquête remise au Sénat en octobre 2016, l'AEFE a subi une annulation de 33 millions d'euros par le décret d'avance du 20 juillet 2017.

Pour y faire face, elle a décidé, d'une part, de relever de 6 % à 9 % la contribution versée par les établissements, ce qui entraînera inévitablement une hausse des frais de scolarité. D'autre part, l'Agence a prévu de réduire le nombre de postes d'enseignants et d'encadrement qu'elle finance : 80 postes d'expatriés et 100 postes d'enseignants résidents seront supprimés en 2018. Un effort comparable pourrait être réalisé en 2019. Ces mesures fragilisent notre réseau d'enseignement à l'étranger et augmentent la contribution des familles. C'est pourquoi nous vous proposons d'adopter un amendement visant à augmenter de 30 millions d'euros la subvention pour charges de service public à l'AEFE afin de compenser les effets de la régulation budgétaire intervenue cet été. Cette hausse de crédits serait gagée par une annulation équivalente sur l'action 4 « Contributions internationales » du programme 105 « Action de la France en Europe et dans le monde », compte tenu du gain de change constaté cette année.

Je ne m'attarde pas sur les conséquences de la suppression de la réserve parlementaire, évoquée par Vincent Delahaye. Le dispositif de remplacement qui a été imaginé n'est pas encore abouti. Il faut éviter de créer un mécanisme trop lourd, entraînant des surcoûts.

Pour conclure, ce budget constitue un budget de transition. S'il est globalement marqué par la stabilité, à l'exception des difficultés de notre réseau d'enseignement à l'étranger, il doit être suivi dans les années suivantes d'une stratégie du développement du soft power français.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Nous devrons travailler sur la question immobilière. À l'étranger, des cessions ont été effectuées, mais s'il faut ensuite verser des loyers élevés, cela n'est pas forcément une bonne opération à long terme. La résidence du consul général à Hong-Kong a été très bien vendue, mais nous ne sommes pas là-bas aussi bien protégés contre les hausses de loyers que dans le droit français des baux commerciaux.

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, sur le programme 105 « Action de la France en Europe et dans le monde ». - Sur les contributions aux organisations internationales, les crédits baissent car notre participation diminue. Néanmoins, on relève deux hausses en faveur de l'Organisation des Nations-Unies (ONU) et de l'Unesco. S'agissant de l'Unesco, nous n'avons pas réussi à comprendre les raisons de cette augmentation. Nous avons décidé d'entendre la directrice générale, Audrey Azoulay.

Les opérations de maintien de la paix représentent encore 20 % des crédits du programme 105 « Action de la France en Europe et dans le monde ». Cette participation ne va pas diminuer dans les prochaines années. La semaine dernière, la ministre des armées, Florence Parly et le ministre de l'Europe et des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian sont intervenus respectivement à Dakar et à Bruxelles : nous ne pourrons pas nous désengager de certaines opérations, car nous n'obtiendrons ni rapidement le soutien des pays africains ni facilement une contribution européenne.

S'agissant du patrimoine immobilier à l'étranger, estimé à 4,3 milliards d'euros, seulement 12 millions d'euros de crédits supplémentaires sont prévus pour son entretien. C'est un montant ridicule ! On espère que les ventes d'une partie du patrimoine permettront le financement de travaux complémentaires... Mais l'argenterie de famille, c'est terminé ! Le montant attendu des cessions en 2018 ne s'élève pas à 50 millions d'euros ; il sera plutôt de 20 millions à 30 millions d'euros. Seul point positif, il n'y a plus de prélèvement systématique d'une partie du produit des ventes pour contribuer à résorber la dette de l'État.

Nous avons fait des progrès sur la couverture du risque de change, mais uniquement pour notre contribution aux organismes internationaux. De nombreuses autres dépenses sont réalisées en devises étrangères, comme les salaires versés à l'étranger et les travaux effectués dans les ambassades, sans aucune couverture du risque.

Sur la mutualisation, je suis d'accord avec le rapporteur. Je me félicite des progrès réalisés avec l'Allemagne et avec l'Union européenne. Mais nous devrions aller beaucoup plus loin, notamment dans les zones où notre présence est moins importante : en Amérique du Sud, avec l'Espagne, et en Asie, avec le Royaume-Uni.

Pour ma part, j'estime que les rapporteurs n'auraient pas dû prévoir l'affectation de la totalité des 30 millions d'euros à l'AEFE. Une partie pourrait servir à l'entretien et à la maintenance du patrimoine. Je défendrai en séance cette position.

M. Claude Kern, rapporteur pour avis de la commission de la culture sur le programme 185 « Diplomatie culturelle et d'influence ». - À la commission de la culture, j'ai succédé à Louis Duvernois. Nous nous intéressons au programme 185 « Diplomatie culturelle et d'influence », hors tourisme et développement durable. Les crédits sont aujourd'hui stables, après une baisse de 9 % entre 2012 et 2017. Les opérateurs sont dans une situation de grande pénurie et d'inquiétude quant à leurs missions.

Les crédits de l'AEFE ont été rognés de 33 millions d'euros l'été dernier. Je salue la proposition des rapporteurs de lui allouer 30 millions d'euros supplémentaires. Mais la baisse des crédits depuis plusieurs années et l'accroissement du nombre d'élèves accueillis aboutissent à un effet de ciseaux entre charges et ressources, et conduisent à une hausse des frais de scolarité. En 2012, ceux-ci s'élevaient à 4 000 euros en moyenne ; aujourd'hui, ils sont de 5 000 euros. Par ailleurs, dans deux pays, le Maroc et le Liban, les établissements sont saturés, ce qui empêche les enfants de nos compatriotes expatriés d'y être scolarisés.

M. Roger Karoutchi. - En tant que représentant permanent de la France auprès de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) entre 2009 et 2011, j'ai pu constater que la modernisation de l'administration serait parfois bien nécessaire. J'avais suggéré de fusionner les deux ambassades de la France auprès de l'OCDE et auprès de l'Unesco, mais ma proposition est restée lettre morte.

M. Claude Raynal. - Je suis favorable à l'amendement proposé par les deux rapporteurs. Je m'inquiète de la réduction des crédits de l'AEFE, qui a conduit à augmenter la participation des lycées français de 6 % à 9 %, soit une hausse de 50 % de leur contribution.

Les lycées conventionnés sont au nombre de 153, contre 265 lycées partenaires. Ces derniers sont des structures privées et la question de leur affiliation au réseau français s'est posée. L'important est d'avoir un réseau de lycées performant. Tout ce qui contribue à augmenter les coûts sans améliorer les prestations ne pas va pas dans le sens d'une présence renforcée de la France à l'étranger.

Mme Sophie Taillé-Polian. - Je suis interloquée par la diminution des crédits alloués aux bourses aux étudiants et chercheurs étrangers, car je me souviens de l'appel du Président de la République : « Make our planet great again ». Cette question relève-t-elle du ministère de l'enseignement supérieur ?

M. Bernard Delcros. - Dans la loi de programmation des finances publiques, il est prévu une baisse de 6,3 % des crédits de la mission sur trois ans. Cette perspective est-elle réaliste ? Si oui, quels seraient les secteurs concernés ?

M. Vincent Delahaye, rapporteur spécial. - La question immobilière est importante. Les 12 millions d'euros mentionnés par notre collègue Ladislas Poniatowski correspondent à une augmentation du budget d'entretien. Au total, celui-ci atteint 13,5 millions d'euros à l'étranger, et 7,5 millions en France.

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur pour avis. - Pour la rénovation d'une aile du quai d'Orsay !

M. Vincent Delahaye, rapporteur spécial. - Vous avez raison : les sommes allouées sont insuffisantes. Mais je préfère que notre amendement ne vise que l'AEFE. Nous verrons ultérieurement ce qui peut être fait pour l'entretien des bâtiments.

Quant au montant des cessions pour 2018 - 20, 30, 50 millions d'euros ? -, il est difficile à évaluer aujourd'hui.

Sur la couverture du risque de change, il faut prendre en compte la totalité du risque. Pour les contributions internationales, j'aurais aimé que le risque de dépréciation soit également couvert.

Roger Karoutchi, vous parlez d'expérience manifestement ! Des efforts doivent être faits en matière de gestion du personnel, de mise en commun du travail des différentes administrations.

Bernard Delcros souhaiterait d'ailleurs connaître les pistes d'économies envisagées. La loi de programmation est indicative, et je ne suis pas certain que les administrations en tiennent vraiment compte. Néanmoins, des efforts ont déjà été faits. Il faut les poursuivre dans les domaines de la gestion du patrimoine immobilier, les implantations, le personnel... Nous devrons nous interroger sur le niveau du service rendu aux Français de l'étranger, qui est souvent bien supérieur à celui rendu aux Français de métropole. Le coût de ce service est-il justifié ?

M. Rémi Féraud, rapporteur spécial. - Nous avons fait le même constat que Claude Kern : 2018 sera une année de stabilité, mais après des années de baisses importantes. En ce qui concerne l'Institut français, une baisse supplémentaire compromettrait l'existence même de l'opérateur.

S'agissant de l'AEFE, effectivement, Claude Raynal a raison, le relèvement de 6 % à 9 % du taux de contribution des établissements, s'il peut paraître faible, correspond tout de même à une hausse de 50 %. Il faut soutenir ce service public, qui évolue dans un cadre concurrentiel, pour ne pas risquer de trop l'affaiblir. C'est la raison pour laquelle nous avons concentré notre amendement sur l'AEFE.

Sophie Taillé-Polian, les bourses aux chercheurs et étudiants étrangers connaissent une baisse tendancielle depuis 2012. Le montant alloué s'élève à 64 millions d'euros dans le projet de loi de finances pour 2018, contre 71 millions d'euros en 2012. Par rapport à 2017, on note toutefois une stabilité.

Mme Christine Lavarde. - J'ajouterai que les crédits du plan « Make our planet great again » sont inscrits dans la mission « Investissements d'avenir ».

Les amendements présentés par les rapporteurs spéciaux sont adoptés.

À l'issue de ce débat, la commission décide de proposer au Sénat l'adoption des crédits de la mission « Action extérieure de la France » sous réserve de l'adoption de ses amendements.

Article 49 A

L'article 49 A est adopté sans modification.

Projet de loi de finances pour 2018 - Mission « Économie » et compte de concours financiers « Prêts et avances à des particuliers ou à des organismes privés » - Examen du rapport spécial

Mme Frédérique Espagnac, rapporteure spéciale de la mission « Économie ». - La mission « Économie » porte un ensemble de dispositifs en faveur des entreprises, et notamment des PME des secteurs de l'artisanat, du commerce et de l'industrie, ainsi que les crédits des administrations, autorités administratives indépendantes et opérateurs chargés de la mise en oeuvre de ces diverses politiques.

L'ensemble représente environ 1,9 milliard d'euros, un montant très stable ces dernières années. Pour 2018, les crédits affichent une très légère baisse de 0,6 % par rapport à 2017, à peu près équivalente à la hausse de 0,4 % prévue l'année dernière.

Cette stabilité résulte, fondamentalement, de l'éclatement des dispositifs et des structures qui caractérise la mission « Économie ».

Le programme 134 « Développement des entreprises et du tourisme » porte, à lui seul, la moitié des crédits de la mission, et la quasi-totalité des instruments de soutien aux TPE-PME. Ceux-ci prennent la forme d'aides directes ou indirectes, de prêts, de garanties, de contributions à des actions collectives de formation, de promotion ou de mutualisation des moyens à l'échelle d'une filière. Ils portent sur des secteurs très divers, allant de la petite industrie aux métiers d'arts, en passant par les commerces de centre-ville, les services à la personne ou encore les jeunes PME innovantes.

Le plus souvent, il s'agit d'aides indirectes versées à des intermédiaires, qui sont tout aussi nombreux : opérateurs de l'État, chambres de commerce et d'industrie (CCI), chambres des métiers et de l'artisanat (CMA), centres techniques industriels, organisations internationales, organismes de formation professionnelle, etc. Dans ces conditions, il est difficile de percevoir des choix politiques clairs ou une action volontariste du Gouvernement en faveur des PME, du commerce ou de l'artisanat, ou du moins cette politique ne passe pas par les outils du programme 134, trop hétérogènes et sédimentés.

À vrai dire, les arbitrages budgétaires de ces dernières années ont surtout consisté à réduire progressivement le format de ces multiples dispositifs, selon une logique du rabot. Ceux-ci sont ainsi passés de 112,6 millions d'euros en 2015 à 81,2 millions d'euros en 2018, soit une baisse de 28 % en trois ans. L'année prochaine, la baisse devrait être de 12 %.

Reste que cette logique du rabot finira bien par trouver ses limites : au lieu de réduire chaque année un peu plus le budget de tel ou tel instrument sans trancher sur sa pertinence, il serait préférable d'engager une réflexion d'ensemble et de faire des choix.

L'exemple le plus significatif est celui du Fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce (Fisac) : entre 2010 et 2018, sa dotation est passée de 80 millions à 14 millions d'euros, et ce montant inclut la reprise des aides aux stations-service de proximité autrefois versées par un organisme distinct. Certes, le Fisac a connu des dysfonctionnements, auxquels la réforme de 2014 a en partie remédié, en passant d'une logique de guichet à une logique d'appel à projets. Mais peut-on vraiment porter une politique efficace de lutte contre la désertification des territoires et la dévitalisation des centres-ville avec 14 millions d'euros pour 65 millions d'habitants ?

Voilà un problème typique de la mission « Économie » : à ne pas choisir entre les outils, on finit par ne plus pouvoir mener de politique ambitieuse. Si le nouveau Fisac fonctionne, ses crédits devraient être augmentés ; sinon, ses crédits devraient être transférés directement à d'autres acteurs, le cas échéant au niveau local, auxquels reviendrait l'initiative de financer les projets, ce qui aurait au moins le mérite d'éviter la lourdeur de la double instruction des dossiers. J'estime que ce fonds devrait être réévalué au vu des besoins locaux que nous avons tous pu observer.

Tous ces dispositifs d'intervention, toutefois, ne comptent que pour 30 % des crédits de la mission « Économie ». Celle-ci est également constituée pour moitié de crédits de personnel, et pour un cinquième de crédits de fonctionnement.

Les crédits de personnel présentent par nature de fortes rigidités : ils diminuent de seulement 0,8 % en 2018, pour s'établir à 930 millions d'euros, et ce malgré une réduction de 182 équivalents temps plein (ETP) pour un plafond d'emplois de 12 018 ETP au total.

Les économies de fonctionnement, quant à elles, sont entravées par la multiplicité des structures. Dans le détail, toutefois, la situation diffère selon les programmes.

Le programme 134 est le plus éclaté : il porte les crédits de plusieurs administrations centrales mais surtout de la DIRECCTE, ainsi que de trois opérateurs - Business France, l'INPI et l'Agence nationale des fréquences - et de deux autorités administratives indépendantes, l'Autorité de la concurrence et l'ARCEP - l'année 2018 étant celle du déménagement de cette dernière dans de nouveaux locaux, moins chers.

Le programme 220 porte les crédits de l'Insee. Les économies prévues pour 2018 sont modestes, mais cela s'explique par les surcoûts liés au déménagement d'une partie de ses services au centre statistique de Metz, en voie d'achèvement après bien des difficultés, et par le déménagement du siège à Montrouge en 2018. À terme, ces opérations devraient permettre des économies importantes, auxquelles s'ajouteront celles qui proviennent de la dématérialisation des enquêtes et de l'usage de nouveaux outils d'analyse de données.

Les crédits du programme 305, soit 434 millions d'euros, sont en hausse de 1,5 % en 2018, une hausse en grande partie exogène.

Ce programme comprend les crédits des services économiques de la Direction générale du trésor à l'étranger, qui représentent près de la moitié des effectifs. Or le taux de change actuel de l'euro fait mécaniquement augmenter le montant de l'indemnité de résidence à l'étranger.

Au-delà de ces trois programmes permanents, la mission retrace également, sur le programme 343, la participation de l'État au plan France Très haut débit. Celle-ci s'élève à 3,3 milliards d'euros sur les 20 milliards d'euros prévus à l'horizon 2022, avec l'ambition d'une couverture de 100 % du territoire. Sur ces 3,3 milliards, 208 millions d'euros d'autorisations d'engagements sont prévus pour 2018.

Dans les zones denses, les résultats sont satisfaisants : 66,2 % des locaux sont d'ores et déjà couverts. Il faut dire que les zones denses représentent 10 % du territoire mais 55 % de la population, et sont donc les plus rentables.

On ne peut pas en dire de même des réseaux d'initiative publique (RIP) dans les zones non denses. À ce jour, seuls 31,2 % des locaux ont accès au très haut débit, dont seulement 5,5 % à la fibre optique. Il faut en effet rappeler, car il y a souvent une ambiguïté sur ce point, que le « très haut débit » inclut des technologies traditionnelles modernisées, comme le cuivre et le câble, permettant un débit compris entre 30 et 100 mégabits par seconde, mais que seule la fibre optique « jusqu'à l'abonné » permet un débit optimal, supérieur à 100 mégabits par seconde, lequel sera in fine indispensable pour l'aménagement et la cohésion de nos territoires.

Le retard du plan France Très haut débit dans les zones rurales, que nous sommes nombreux à constater, a de multiples explications, depuis les lourdeurs des procédures administratives jusqu'aux difficultés pratiques sur le terrain. Dans ce contexte, le Président de la République a réaffirmé en juillet dernier l'objectif d'une couverture à 100 % en 2022, mais sans annoncer de financements supplémentaires.

Cela dit, à défaut de moyens financiers, il existe d'autres pistes que le Gouvernement gagnerait à mobiliser au plus vite : utiliser la possibilité, prévue par les textes depuis 2016, d'obtenir des engagements contraignants de la part des opérateurs, le cas échéants assortis de sanctions financières ; engager le plus vite possible de nouveaux contrats, pour tirer parti des conditions actuelles des marchés financiers - avec la faiblesse des taux, l'investissement dans les infrastructures de télécommunication devient plus rentable, y compris dans les zones non denses - ; mobiliser l'opinion publique, par exemple en s'appuyant sur l'outil mis en ligne par l'Agence du numérique qui permet de suivre de déploiement de la fibre en temps réel, ou en exerçant une grande vigilance sur la communication parfois ambiguë des opérateurs.

M. Bernard Lalande, rapporteur spécial de la mission « Économie ». - Je commencerai par évoquer le compte de concours financiers « Prêts et avances à des particuliers ou à des organismes privés ». Il correspond au Fonds pour le développement économique et social (FDES), doté de 100 millions d'euros, qui permet de faire face aux besoins d'entreprises en difficulté. Le taux de consommation effective n'a pas dépassé 0,3 %. La suppression de cet outil pourrait le cas échéant être envisagée, ou du moins la réduction de sa dotation initiale.

Nous n'avons pas encore trouvé de solution au problème du déficit du commerce extérieur de la France. Le gouvernement précédent a mis en place deux instruments : Bpifrance et Business France. Mais encore faut-il que tous les acteurs concernés travaillent ensemble, ce qui n'est pas toujours le cas. La superposition des compétences ne fait pas le talent de l'ensemble.

En tant que parlementaires, nous nous faisons les défenseurs des TPE-PME et des ETI. Mais nous nous rendons compte que les dispositifs d'aide, de même que la réglementation fiscale, sociale et économique, n'ont pas été conçus pour ce type d'entreprises. Nous nous félicitons quand Airbus vend des avions, mais nous ne voyons pas ce qui n'a pas été fait pour les TPE-PME.

Business France est un outil intelligent qui peut répondre aux attentes des TPE et des ETI. Cette agence, qui résulte de la fusion d'Ubifrance et de l'Agence française pour les investissements internationaux (AFII), a atteint avec un an d'avance l'objectif de 10 000 PME et ETI accompagnées à l'export. En outre, elle a développé une véritable offre commerciale, qui génère des recettes propres.

Cependant, le dispositif public de soutien à l'exportation demeure défaillant en raison de l'éclatement des acteurs. Je souhaite que notre commission accepte de mettre en place une mission spécifique pour proposer au Gouvernement des réformes, sur le modèle de ce que nous avons en matière d'économie collaborative. Cette mission pourrait être transcourants et transversale.

L'un des enjeux concerne le déploiement du dispositif sur le territoire. Les CCI sont des acteurs incontournables pour aider les entreprises à développer leurs exportations et elles disposent d'un réseau de « conseillers en développement international » pour cela. Mais comme chacun défend son territoire, sa ville, son département, sa région, nous sommes peut-être les meilleurs, mais nous avons les pires résultats ! Nous aurions intérêt à spécialiser les acteurs dans ce qu'ils font de mieux : par exemple, la formation professionnelle aux CCI, et l'accompagnement à l'international à Business France. Il n'est pas évident que les PME et les ETI profitent de ces compétences et du développement de cette intelligence collective.

Un mot enfin sur le French Tech Central (FTC), qui montre que les acteurs peuvent travailler ensemble.

J'ai visité avec Thierry Carcenac l'incubateur « Station F » dans le XIIIe arrondissement de Paris, créée par Xavier Niel. Il regroupe plus de 1 000 start-ups et 3 000 postes de travail, ainsi qu'une trentaine de services publics dédiés aux entreprises - de l'Institut national de la propriété intellectuelle à la Direction générale des finances publiques, en passant par Business France, Bpifrance... -, qui permettent d'apporter une réponse immédiate, concentrée, transversale aux entreprises.

C'est un regroupement d'intelligence, de talents, de compétences des agents de l'État pour répondre aussi vite que les start-ups en ont besoin. Il faudrait s'inspirer de ce modèle, parce qu'il est adapté à notre époque. Dès qu'une start-up est créée, elle doit viser le marché mondial. Si l'on veut que nos investissements soutiennent les entreprises naissantes et innovantes qui sont l'avenir de notre pays, il faut que nous en prenions conscience très vite.

Lorsque nous nous sommes rendus dans la Silicon Valley avec le rapporteur général et d'autres membres du groupe de travail de la commission des finances sur le numérique, nous avons pu constater combien la liberté de créer, de produire, d'échanger constituait une force. Nous devons nous en inspirer, tout en gardant notre French touch et notre volonté de garder nos services publics de talent pour protéger les marques et l'environnement, et promouvoir un modèle de production et de commerce éthique.

Avec Frédérique Espagnac, nous vous invitons à voter les crédits de la mission « Économie ».

M. Antoine Lefèvre. - S'agissant du Fisac, il n'est plus possible de continuer ainsi. Un montant de 14 millions d'euros, c'est ridicule face aux enjeux. Les élus locaux sont soumis à une forte pression pour préparer des dossiers Fisac. La double instruction, les délais : tout cela est absurde, alors que les commerçants insistent sur l'urgence des dossiers. Quelle suite sera donnée au rapport commandé par Martine Pinville sur la revalorisation des centres-ville en 2016 ?

J'ai découvert récemment l'Observatoire France Très haut débit. Les élus sont très mobilisés sur cette question. Nous sommes pourtant quelquefois menés en bateau par certains opérateurs. La visualisation de la situation en temps réel grâce à cet observatoire permettra peut-être d'éviter les doublons évoqués par Frédérique Espagnac.

M. Marc Laménie. - Je félicite les deux rapporteurs. Je m'interroge sur les moyens de lutter contre l'empilement des structures : collectivités territoriales, État, préfecture et sous-préfectures, services déconcentrés, organismes consulaires, agences de développement économique...

Les chefs d'entreprise ne savent pas à qui s'adresser. Les départements ne peuvent plus intervenir dans le domaine économique. Alors faut-il s'adresser à l'intercommunalité, à l'agglomération, à l'État ?

Que vont devenir les fonds d'État comme le Fisac ? N'est-il pas possible de les uniformiser ?

Enfin, je veux évoquer les moyens humains : fonctionnaires d'État, opérateurs. L'Insee, qui représente de nombreux emplois, produit beaucoup de statistiques, y compris en dehors du monde économique.

Que préconisez-vous pour simplifier et permettre aux services de mieux communiquer entre eux ?

M. Bernard Delcros. - S'agissant du Fisac, je veux citer le cas d'un appel à projets national auquel des communautés représentant la moitié de mon département et regroupant 109 communes ont répondu. Nous avons attendu des mois, payé des études d'impact, monté des dossiers... La réponse a certes été positive, mais pour un montant de 200 000 euros. La procédure est lourde, complexe, coûteuse, longue, pour des enjeux financiers qui ne sont pas à la hauteur des besoins.

Frédérique Espagnac a abordé la couverture en très haut débit du territoire et son développement trop lent dans les zones rurales. Je partage l'idée qu'il faut imposer des engagements contraignants aux opérateurs.

Dans le cadre de l'acte II de la « loi Montagne » voté en décembre 2016, nous avions adopté une mesure incitative selon laquelle les investissements des opérateurs dans les trois prochaines années pourraient bénéficier d'une exonération totale de l'IFER. Ce dispositif a-t-il permis une accélération des investissements des opérateurs ?

M. Michel Canevet. - Est-il pertinent de conserver le Fisac ? Les régions doivent-elles prendre l'entière responsabilité des actions en faveur des artisans et des commerçants, en lien avec les intercommunalités ? La lourdeur et les délais d'instruction des dossiers sont des sujets récurrents d'insatisfaction. Il faudrait doper le Fisac en lui allouant les crédits nécessaires pour conduire une véritable politique.

Je suis préoccupé par la question des chambres de commerce et d'industrie (CCI). Il est proposé une nouvelle ponction de 150 millions d'euros, qui fait suite à de très nombreuses autres. Le réseau a dû se restructurer de façon très importante ; mais je crains que les chambres ne soient mises dans de très grandes difficultés à un moment où les entrepreneurs ont besoin d'accompagnement. La diminution des moyens humains des CCI ne doit pas se traduire par l'obligation pour les collectivités territoriales de recruter pour pallier l'arrêt de certains services. Certains chefs d'entreprise pourraient aussi se retirer de la gouvernance des CCI : il serait dommage de se priver de ces responsables bénévoles.

J'ai également des inquiétudes sur les chambres de métiers et de l'artisanat. Des rapprochements avec les CCI sont-ils envisageables ? Les réseaux doivent-ils rester indépendants l'un de l'autre ? Je souscris à la volonté de mieux articuler le travail des conseillers internationaux des CCI la stratégie définie par Business France. Nous devons agir pour améliorer le déficit de la balance commerciale française.

En ce qui concerne le plan France Très haut débit, je rappelle que la fibre jusqu'à l'abonné est envisagée en Bretagne en 2030, compte tenu des 2,5 milliards d'euros d'investissements nécessaires. On entend qu'il serait difficile de trouver des entrepreneurs. En réalité, des opérateurs ont mis la main sur le dispositif et veulent sous-traiter les travaux à des niveaux de prix tellement faibles que la rentabilité des entreprises ne serait pas assurée. Dans ces conditions, comment permettre l'accès de tous à du très haut débit en 2022 ?

M. Philippe Dallier. - Nous constations voilà une dizaine d'années que les crédits du Fisac n'étaient pas consommés, ou de façon inégale selon les régions. C'est aujourd'hui l'inverse : il n'y a plus de crédits. C'est une évolution caricaturale et assez française.

Au moment où le commerce local part à vau-l'eau dans les villes moyennes et les banlieues difficiles, les collectivités locales ont besoin d'un outil pour agir. Je ne suis pas favorable à la disparition du Fisac, mais à sa transformation. Il faut calibrer ses moyens et mettre en place des procédures efficaces.

On constate un empilement des dispositifs d'aide à l'export : Business France, les CCI, sans compter les différents bureaux de soutien à l'exportation d'Île-de-France. Il y a matière à simplifier, mais qui a la main sur le système ? Chacun continue à faire ce qu'il veut, même si on signe des conventions pour agir ensemble.

Ponctionne-t-on les CCI pour les contraindre à faire des choix ? Que peut-on proposer pour rationnaliser ces dispositifs ?

M. Thierry Carcenac. - Je partage les conclusions de nos rapporteurs. Pour ce qui concerne la modernisation de l'action publique, il faut essayer de décloisonner les différents systèmes. L'approche est intéressante.

Sur le plan France Très haut débit, comment se répartissent les crédits, ceux du programme 343 de la mission « Économie » et ceux qui relèvent de la mission « Politique des territoires » ? Cette superposition des deux systèmes ne donne pas une vision claire de l'action à conduire. Les propos sur le « bon haut débit » du Président de la République, lors de la Conférence nationale des territoires, ont créé une certaine incertitude. Par ailleurs, des opérateurs disent pouvoir tout faire, sans moyens publics.

M. Philippe Dallier. - Avec quel résultat !

M. Thierry Carcenac. - Dans certaines zones, les opérateurs perturbent les réseaux d'initiative publique existants. Votre proposition visant à contraindre les opérateurs à respecter leurs engagements est intéressante. La future mission « Action publique 2022 » devrait aussi apporter des réponses.

Mme Christine Lavarde. - La baisse des crédits de l'Insee est justifiée, pour partie, par la baisse de la dotation versée aux collectivités pour les opérations de recensement, du fait de la numérisation croissante. Les modalités de recensement vont-elles évoluer ? Pourtant, même dans les territoires très connectés, le nombre d'agents recenseurs ne semble pas baisser.

Mme Frédérique Espagnac, rapporteure spéciale. - J'ai l'impression que le Gouvernement veut bel et bien supprimer le Fisac, et non pas seulement le transférer aux régions. On réduit l'enveloppe alors que les besoins sont réels pour le commerce, dans les banlieues et les villes moyennes - à Pau, la situation est catastrophique ! Et dans les petites communes rurales, sans le Fisac, il n'y a plus rien. Nous présenterons la semaine prochaine un amendement tendant à augmenter les crédits de ce fonds, car chaque commune en a besoin.

Sur le plan France Très haut débit, il faut un point d'étape, et nous reviendrons devant vous pour faire le point de la situation.

M. Bernard Lalande, rapporteur spécial. - Nous souhaitons que soit créée une mission spécifique sur l'empilement des structures en matière de soutien public à l'exportation, car nous devons comprendre pourquoi les choses dérapent. La superposition des compétences ne fait pas le talent.

Sur l'avenir des CCI et des chambres des métiers et de l'artisanat, il faut faire évoluer un système mis en place à la fin du XIXe siècle et qui montre aujourd'hui ses limites. La preuve en est que nous importons beaucoup et que nous exportons peu. Or ces chambres avaient pour mission première de développer le commerce autour du vaste monde.

Il nous faut savoir regrouper, avec réactivité, les services publics au profit des entreprises.

M. Bernard Delcros. - Il est important de présenter un amendement tendant à augmenter les crédits du Fisac : cela attirera l'attention sur ce problème et mettra peut-être fin à la démarche en cours pour le supprimer.

Présidence de M. Charles Guené, vice-président

M. Charles Guené, président. - Quel est l'avis des rapporteurs spéciaux sur la mission et le compte de concours financiers ?

M. Bernard Lalande, rapporteur spécial. - Nous proposons de réserver le vote sur les crédits de la mission jusqu'à la semaine prochaine. Nous vous proposerons alors les amendements nécessaires.

Le vote sur les crédits de la mission « Économie » est réservé. La commission adopte les crédits du compte de concours financiers « Prêts et avances à des particuliers ou à des organismes privés ».

La réunion est close à 13 heures.