- Mercredi 27 septembre 2017
- Projet de loi de finances pour 2018 - Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 - Projet de loi de programmation des finances publiques - Audition de M. Didier Migaud, président du Haut Conseil des finances publiques
- Projet de loi de finances pour 2018 - Projet de loi de programmation des finances publiques - Audition de MM. Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics, et Benjamin Griveaux, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances
Mercredi 27 septembre 2017
- Présidence de Mme Michèle André, présidente -
La réunion est ouverte à 14 h 30.
Projet de loi de finances pour 2018 - Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 - Projet de loi de programmation des finances publiques - Audition de M. Didier Migaud, président du Haut Conseil des finances publiques
Mme Michèle André, présidente. - La période de transition que connaît notre assemblée ne doit pas empêcher le Sénat d'être informé, en même temps que l'Assemblée nationale, des principaux éléments du projet de loi de finances, du projet de loi de financement de la sécurité sociale et du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022 que les ministres viendront nous présenter à partir de 16 heures.
Les éléments d'information que nous recueillerons aujourd'hui nourriront la réflexion de ceux qui nous succèderont la semaine prochaine et nous interrogerons les ministres en tenant compte des éléments que nous fournira, dans quelques instants, le Premier président Didier Migaud en sa qualité de président du Haut Conseil des finances publiques.
L'article 13 de la loi organique du 17 décembre 2012 dispose que le Haut Conseil est saisi par le Gouvernement des prévisions macroéconomiques et de l'estimation du PIB potentiel sur lequel repose le projet de loi de programmation des finances publiques et qu'il doit apprécier la cohérence de la programmation envisagée au regard de l'objectif à moyen terme retenu en raison des engagements européens de la France.
L'article 14 de la même loi organique prévoit que le Haut Conseil est saisi par le Gouvernement des prévisions macroéconomiques sur lesquelles reposent les projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale de l'année et qu'il apprécie la cohérence de l'article liminaire du projet de loi de finances au regard des orientations pluriannuelles de solde structurel définis dans la loi de programmation des finances publiques.
Le Haut Conseil s'est prononcé sur l'ensemble de ces éléments le 24 septembre dernier ; il a rendu des avis que le président Migaud va nous présenter.
M. Didier Migaud, président du Haut Conseil des finances publiques. - Je vais vous présenter les principales conclusions des deux avis que nous avons adoptés le 24 septembre dernier. Je suis accompagné des membres du secrétariat permanent du Haut Conseil, François Monier, rapporteur général, Vianney Bourquard, rapporteur général adjoint et Paul Bérard, rapporteur.
Comme vous le savez, le Haut Conseil est une jeune institution, créée en 2013. Elle est née du traité qui a réformé en 2012 la gouvernance économique et budgétaire de l'Union européenne et plus particulièrement de la zone euro en réponse aux crises des dettes souveraines. La France a rapidement adapté son organisation et ses règles à ce nouvel ordre budgétaire, notamment grâce à la loi organique de 2012. Les dix-neuf pays de la zone euro et la plupart des autres pays de l'Union ont désormais mis en place des comités budgétaires indépendants. Si leurs missions précises et leurs contours institutionnels diffèrent selon les États, ils visent tous à apprécier le réalisme des prévisions macroéconomiques et des trajectoires des finances publiques associées aux textes financiers.
J'ai déjà eu l'occasion de vous présenter vingt avis et je vais vous présenter les deux suivants. Nos avis s'appuient sur l'ensemble des informations disponibles et sur celles communiquées par les administrations dans le cadre de procédures écrites, puis orales. Nous réalisons des auditions de personnalités qualifiées. C'est la deuxième fois que le Haut Conseil se prononce sur un projet de loi de programmation, la première remontant à 2014 sur le projet de loi qui portait sur la période 2014 à 2019.
Au terme de l'article 13, nous devons apprécier l'estimation du PIB potentiel proposée par le Gouvernement, nous devons ensuite nous prononcer sur les prévisions macroéconomiques associées à ce projet et nous devons enfin examiner la cohérence de la programmation envisagée au regard de l'objectif d'équilibre structurel à moyen terme retenu et des engagements européens de la France.
Le PIB potentiel se définit usuellement comme la production soutenable, c'est-à-dire celle pouvant être réalisée sans engendrer d'effets inflationnistes ou désinflationnistes. La croissance potentielle correspond à la croissance du PIB potentiel. Entre le PIB potentiel et le PIB effectif, il existe un « écart de production » qui permet de mesurer la position de l'économie dans le cycle. Cet écart de production est négatif dans les périodes d'activité médiocre, comme celle que nous vivons depuis une dizaine d'années. Il permet alors de prendre la mesure de capacité de rebond du pays. À l'inverse, un écart positif est constaté dans les périodes de bonne conjoncture, ce qui permet d'anticiper un ralentissement de la croissance. Appliqué au domaine des finances publiques, l'écart de production permet d'identifier la composante conjoncturelle du déficit et ce solde conjoncturel traduit l'impact du cycle économique et la sensibilité des différentes composantes du budget à la conjoncture. Le solde structurel se calcule par différence et correspond à la part du solde budgétaire indépendant de la position de l'économie dans le cycle : il résulte donc directement des orientations de la politique budgétaire. Ces deux notions d'écart de production et de croissance potentielle ne sont pas des données statistiques ou comptables. Elles procèdent d'estimations qui peuvent toujours être critiquées. L'ampleur exceptionnelle de la crise financière et les difficultés à apprécier ses conséquences sur l'économie invitent à considérer les écarts de production avec prudence. Ces derniers font l'objet d'importantes révisions ex post. Les incertitudes sur les écarts de production se transmettent par construction à la mesure du solde structurel qui dépend également de la sensibilité des recettes à la croissance.
Bien qu'incertaine et fragile dans l'estimation de son niveau, la mesure du solde structurel n'en est pas moins indispensable pour calculer la part, dans l'amélioration ou la détérioration des soldes budgétaires, de ce qui relève de la politique budgétaire elle-même et de ce qui relève de la conjoncture.
J'en arrive aux estimations du Gouvernement. L'estimation de l'écart de production de 2016 est sensiblement réduite par rapport à celle retenue dans le programme de stabilité d'avril 2017 : moins 1,5 % du PIB au lieu de moins 3,1 %. Selon cette estimation, nous sommes au-dessous du PIB potentiel mais nous en sommes moins éloignés que lors des évaluations antérieures. Cette forte révision à la baisse va dans le sens des observations formulées à plusieurs reprises par le Haut Conseil selon lesquelles cet écart était largement surestimé dans les textes financiers de ces dernières années.
Quand l'écart de production négatif est surestimé, le déficit structurel, lui, est minoré. La révision opérée par le Gouvernement conduit à rehausser sensiblement l'estimation du déficit structurel à 2,5 points de PIB en 2016 contre 1,5 point dans les estimations précédentes. La nouvelle estimation de l'écart de production se situe dans la partie basse des évaluations des organisations internationales, mais le Haut Conseil la juge plus réaliste : en augmentant l'estimation des déficits structurels, elle révèle aussi la nécessité d'un effort accru pour redresser les finances publiques, à partir du moment où la composante structurelle est plus importante.
Les hypothèses de croissance potentielle du Gouvernement sont révisées à la baisse pour les années 2017 à 2020 par rapport au programme de stabilité d'avril 2017 : 1,25 % pour chacune des quatre années au lieu de 1,3 % à 1,5 % dans le dernier programme de stabilité. Ce scénario se situe dans la moyenne des estimations disponibles. Nous considérons qu'il constitue une base raisonnable pour asseoir la programmation des finances publiques à moyen terme.
J'en viens à la deuxième mission assignée par la loi organique : l'appréciation des prévisions macroéconomiques associées au projet de loi pour la période 2018 - 2022.
Le Gouvernement retient des taux de croissance du PIB peu différenciés sur toute la période, soit 1,7. Par rapport aux projections de moyen terme présentées en avril dernier dans le programme de stabilité, les prévisions de croissance sont légèrement relevées pour 2017 et pour 2018 (1,7 % au lieu de 1,5 %) et pour 2019 (1,7 % au lieu de 1,6 %). La prévision est en revanche inchangée pour 2020 (1,7 %). Le scénario de croissance du Gouvernement conduit à une fermeture de l'écart de production négatif à l'horizon 2020 puis à un écart de production positif et croissant en fin de période. Compte tenu des tendances à l'oeuvre, la croissance devrait en effet être supérieure à son rythme potentiel en 2017 et 2018. Pour la première fois depuis 2011, l'écart de production est donc en voie de réduction. La fermeture totale au cours de la période de projection est vraisemblable, en l'absence de nouvelle crise majeure. Le scénario de croissance du Gouvernement n'appelle donc pas d'observation à l'horizon 2020. En revanche, le passage à un écart de production positif en fin de période constitue une hypothèse plutôt optimiste, même si on ne peut exclure qu'un tel scenario se réalise. L'hypothèse de croissance retenue dans le scénario pour les années 2021 et 2022, si elle est neutre sur la trajectoire du solde structurel présenté, conduit toutefois à réduire le déficit effectif affiché et à présenter une trajectoire de dette publique plus favorable.
J'en viens à la troisième mission, celle qui nous impose de nous prononcer sur la cohérence de la programmation, notamment au regard des engagements européens de la France. Dans notre avis, nous présentons la nature de ces engagements, qui résultent du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l'Union économique et monétaire de 2012, mais également du pacte de stabilité et de croissance ainsi que des règlements européens.
La France est, après l'Espagne, le pays de la zone euro dont le déficit public est le plus élevé. Ces deux pays étaient les seuls de la zone euro à connaître encore en 2016 un déficit supérieur à 3 % du PIB et ce sont, depuis hier, les deux seuls pays à demeurer dans la procédure de déficit excessif, la Grèce en étant sortie. À cet égard, la trajectoire présentée par le Gouvernement respecte la recommandation faite à la France depuis 2015 par le Conseil de l'Union européenne de ramener son déficit effectif au-dessous de 3 points du PIB en 2017. Sous réserve de l'appréciation de la Commission européenne et du Conseil, la France pourrait alors sortir de la procédure de déficit excessif en 2018 et entrer dans le volet préventif du pacte de stabilité et de croissance. Dans ce cadre, le déficit structurel doit être réduit, jusqu'à atteindre l'objectif de moyen terme de solde structurel qui est fixé à moins 0,4 point de PIB par le projet de loi de programmation. Sur ce point, le Haut Conseil souligne que la trajectoire s'écarte des engagements européens de la France en retenant un ajustement structurel annuel inférieur à celui prévu par les règles européennes. Le règlement européen prévoit en effet un ajustement structurel supérieur à 0,5 point du PIB par an pour les États membres qui n'ont pas atteint leur objectif à moyen terme et dont la dette est supérieure à 60 % du PIB. Or, l'ajustement structurel n'est que de 0,3 point de PIB en moyenne entre 2018 et 2022. Dans la trajectoire présentée par le Gouvernement, il est même limité à 0,1 point en 2018. Une conséquence de cet effort limité est de repousser l'atteinte de l'objectif de moyen terme de solde structurel au-delà de l'horizon de la programmation.
Lorsqu'ils examinent la programmation d'un État membre, la Commission et le Conseil disposent de marges de flexibilité. Ils peuvent tenir compte de la mise en oeuvre de réformes structurelles majeures ou de circonstances inhabituelles pour l'autoriser à s'écarter temporairement de sa trajectoire d'ajustement, mais le Haut Conseil, pour sa part, ne saurait préjuger de l'issue de cet examen.
J'en arrive à notre deuxième avis. Comme chaque année en septembre, le Haut Conseil est appelé à se prononcer sur les prévisions macroéconomiques associées au projet de loi de finances et au projet de loi de financement de la sécurité sociale ainsi que sur la cohérence de ces projets avec les orientations pluriannuelles de solde structurel.
Tout d'abord, les prévisions macroéconomiques. Dans un contexte européen favorable, l'activité en France s'est sensiblement redressée au cours des trois derniers trimestres à la faveur d'une demande intérieure qui est tirée par l'investissement des entreprises et les dépenses des ménages et d'une contribution moins négative des échanges extérieurs à la croissance. De plus, les résultats des enquêtes de conjoncture dont l'amélioration se poursuit, indiquent des perspectives d'activité favorables à court terme. Pour 2017, l'acquis de croissance au deuxième trimestre est de 1,4 % si bien qu'une croissance de 0,4 % aux troisième et quatrième trimestres suffirait pour atteindre la prévision du Gouvernement à 1,7 %. En conséquence, le Haut Conseil considère que cette prévision est prudente.
Pour 2018, le scénario du Gouvernement repose sur le maintien de la dynamique actuelle de l'environnement international et sur une progression toujours soutenue de la demande intérieure. La prévision à 1,7 % est proche de celle des organisations internationales. Le Haut Conseil considère que cette prévision est raisonnable. En outre, il estime que les prévisions d'emploi et de masse salariale du Gouvernement pour 2017 et 2018 sont prudentes, tandis que les prévisions d'inflation pour ces deux années sont raisonnables. Au total, il considère que le scénario macroéconomique retenu par le Gouvernement est prudent pour l'année 2017 et qu'il est raisonnable pour 2018.
J'en arrive à la cohérence du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale avec les orientations pluriannuelles de solde structurel.
Dans l'attente du vote de la loi de programmation portant sur 2018 - 2022, la loi de programmation pour la période 2014 - 2019 reste en vigueur. Toutefois, l'appréciation de la cohérence avec cette dernière a perdu largement de sa signification. Le Haut Conseil avait souligné en juin dans son avis sur le projet de loi de règlement pour 2016, que la loi de programmation de 2014 ne fournissait plus un cadre pertinent pour une juste appréciation de la trajectoire des finances publiques, en raison notamment du caractère peu vraisemblable des hypothèses de PIB potentiel.
Au-delà, la cohérence de l'article liminaire du projet de loi de finances avec les orientations pluriannuelles de solde structurel présenté dans le projet de loi de programmation des finances publiques pour 2018-2022 est assurée, par construction, puisque les deux projets sont présentés simultanément.
Il convient à nouveau d'insister sur l'ajustement et l'effort structurel en 2017 et en 2018. L'ajustement structurel, c'est-à-dire la variation du solde structurel, serait faible en 2017 et 2018, respectivement de 0,2 point et de 0,1 point. Il en est de même pour l'effort structurel, (0,1 puis 0,2 point de PIB) qui représente la partie de l'ajustement structurel directement liée à un effort en dépenses ou à de nouveaux prélèvements obligatoires. En 2018, cet effort structurel résulterait d'un effort sensible sur les dépenses de 0,4 point de PIB quasiment compensé par des mesures nouvelles de baisse de prélèvements obligatoires (0,3 point de PIB). Comme je vous l'indiquais dans la présentation de l'avis relatif au projet de loi de programmation, le Haut Conseil constate que les ajustements structurels prévus pour 2017 ou 2018 s'écartent des engagements européens de la France. Les ajustements structurels devront être débattus au niveau de la Commission et du Conseil dans le cadre des marges de flexibilité qu'ils se donnent.
Enfin, le Haut Conseil s'est attaché à identifier les risques qui affectent les prévisions de recettes et de dépenses pour 2017 et 2018 sur la base des informations dont il dispose. Une remarque préalable par rapport à l'audit de finances publiques de la Cour des comptes, publié en juin dernier : un certain nombre d'informations nouvelles sont apparues. L'appréciation du Haut Conseil prend en compte naturellement l'ensemble de ces informations nouvelles qui concernent en particulier l'amélioration sensible de la conjoncture économique, ainsi que les recettes fiscales effectivement constatées. En outre, l'actuel Gouvernement a pris au cours de l'été, des mesures de correction en dépenses à la suite de cette publication.
Pour ce qui est des recettes fiscales, le Gouvernement a révisé à la hausse l'estimation de leur montant en 2017 par rapport au programme de stabilité d'avril, ce qui conduit à une élasticité de ces recettes de 1,3 pour 2017 contre 1 avant l'été. Les prélèvements sociaux, notamment, ont été revus à la hausse en lien avec un relèvement d'un demi-point de la prévision de la masse salariale. Le Haut Conseil considère que, au vu des rentrées fiscales de ces derniers mois, les recettes tirées des prélèvements obligatoires en 2017 pourraient être supérieures à ce qui est attendu dans le projet de loi de finances. À titre d'exemple, les recettes de TVA, avec une croissance sur les sept premiers mois de l'année de plus de 5 % à champ constant, apparaissent plus dynamiques que prévu.
Pour 2018, les mesures nouvelles représentent environ 7 milliards d'euros de baisse nette des prélèvements obligatoires. Ces mesures correspondent à la somme des décisions prises par le précédent Gouvernement, qui ont un effet en 2018, et à celles prises par l'actuel Gouvernement dans le projet de loi de finances pour 2018, à savoir l'accroissement du taux du CICE, la baisse de l'impôt sur les sociétés, l'exonération d'une fraction de la taxe d'habitation, la transformation de l'ISF en impôt sur la fortune immobilière. Elles sont partiellement compensées par des hausses de fiscalité, parmi lesquelles l'accroissement de la fiscalité énergétique, celle portant sur le tabac et la bascule des cotisations salariales sur la CSG.
Sous réserve des incertitudes qui portent sur le chiffrage des mesures nouvelles, le Haut Conseil estime que l'hypothèse d'élasticité des recettes au PIB retenue pour 2018 supposée égale à 1 en 2018 après 1,2 en 2016 et 1,3 en 2017, et donc la prévision de recettes tirées des prélèvements obligatoires, est prudente. Il relève que les objectifs de maîtrise de la dépense pour 2018 sont plus exigeants que ceux des années précédentes. Il note qu'un effort visant à une budgétisation plus réaliste a été effectué sur le budget de l'État, notamment en ce qui concerne l'allocation aux adultes handicapés, la prime d'activité, l'hébergement d'urgence, l'aide médicale d'État. Il reste néanmoins quelques sous-budgétisations pour certaines dépenses comme les Opex, ou bien des apurements communautaires, même si le Gouvernement a prévu des sommes supérieures à celles inscrites pour 2017.
Toutefois, des risques significatifs existent sur les économies prévues dans le champ des administrations publiques. C'est le cas pour les collectivités territoriales : leurs dépenses et, plus largement, celles des administrations publiques locales, décélèreraient en passant de 1,8 % en valeur en 2017 à 1,2 % en 2018 sous l'effet de la mise en place de contrats passés entre les représentants de l'État et les plus grandes collectivités territoriales. Cet objectif repose sur le pari que la démarche contractuelle conduira à un infléchissement substantiel des dépenses. Ces risques existent également dans le champ social : le respect de l'Ondam à 2,3 % dans le scénario du Gouvernement nécessitera un quantum d'économies supérieur à ce qui a été réalisé au cours des dernières années
Pour l'État, le Gouvernement fait reposer sa prévision sur des économies substantielles en particulier sur les aides au logement. Ces prévisions devront bien sûr se concrétiser en 2018.
Au total, la prévision du Gouvernement d'un déficit à 2,9 % du PIB en 2017 peut être considérée comme plausible, tandis que celle d'un déficit à 2,6 % en 2018 nous apparaît atteignable. Dans la mesure où les nouvelles estimations du Gouvernement le font apparaître, le niveau du déficit structurel en France est très élevé pour 2018 et sa réduction prévue est faible. Pour respecter les objectifs de maîtrise de la dépense, il sera nécessaire d'être particulièrement strict. Même si les recettes venaient à être meilleures que prévu, le solde effectif s'améliorerait mais pas le solde structurel.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - J'ai bien noté l'évolution sémantique de votre présentation. L'année dernière, vous estimiez la réduction des déficits « improbable » et le retour du déficit nominal en dessous de 3 % du PIB « incertain ». Désormais, cette réduction est « plausible ». Il est vrai que certaines des dispositions du projet de loi de finances vont dans le bon sens. Néanmoins, passer d'incertain à plausible implique des efforts considérables sur les dépenses, tandis que les recettes devront être au rendez-vous.
Vous avez dit que les estimations de recettes étaient prudentes, mais vous émettez une réserve sur le chiffrage des mesures nouvelles. Pourriez-vous être plus précis ? Ainsi, quel sera le coût réel de la transformation de l'impôt de solidarité sur la fortune en impôt sur la fortune immobilière ?
J'en viens aux dépenses. Vous venez de dire qu'il y avait un risque significatif sur la réalisation des économies dans le champ des administrations publiques. L'objectif est en effet très ambitieux pour les administrations de l'État, pour la sécurité sociale et pour les collectivités locales. La contractualisation peut-elle permettre des économies suffisantes ? Ce matin, les départements ont annoncé collectivement qu'ils refusaient la contractualisation.
Vous avez parlé des engagements européens de la France. Nous nous éloignons ainsi significativement de nos engagements concernant les déficits structurels. Le Haut Conseil ne parle cependant pas du respect de la règle de la dette alors que cette dernière nous sera pleinement applicable à compter de 2021. Pouvez-vous nous en dire plus ?
M. Didier Migaud. - Si les termes que nous employons changent, c'est parce que la réalité a également changé. Nous nous adaptons aux projets qui nous sont présentés.
Nous ne pouvons entrer dans le détail des estimations concernant les recettes, surtout pour les nouvelles recettes fiscales prévues dans le projet de loi de finances. Au niveau des recettes fiscales traditionnelles, le taux d'élasticité, égal à 1, nous apparaît prudent, alors même que ce taux sera de 1,3 en 2017 et qu'il a été de 1,2 en 2016. Si ce taux d'élasticité est plus important, il y aura des recettes supplémentaires importantes. En revanche, il est difficile d'apprécier le montant des recettes nouvelles.
La trajectoire de l'évolution des dépenses est plus exigeante que dans les années passées, notamment lorsqu'on raisonne en volume. Si nous parlons de risques, c'est que ces efforts doivent se traduire dans la réalité. Les prévisions de décélération des dépenses des collectivités territoriales reposent sur des contrats, mais ceux-ci ne sont pas encore signés. Tant qu'ils ne le sont pas et que les dépenses n'ont pas décéléré, le risque est réel. Même remarque pour les dépenses de sécurité sociale : comme nous notons de nouvelles dépenses prévues en 2018, il faudra que les économies soient plus importantes qu'en 2017. Il en va de même pour les économies attendues dans les administrations de l'État. Dans son rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques de juin, la Cour des comptes sera en mesure de présenter une première analyse sur l'exécution du projet de loi de finances durant les premiers mois de 2018. Nous saurons alors si les engagements pris sont effectivement tenus.
J'en viens à la dette. L'Union européenne a édicté beaucoup de règles en la matière mais certaines priment sur d'autres. Lorsqu'un pays est en procédure de déficit excessif et qu'il se rapproche du seuil de 3 % du PIB, c'est le déficit nominal qui est pris en compte. Lorsqu'il passe dans le volet préventif, situation que nous devrions connaître à partir de l'année prochaine, c'est le déficit structurel qui prime. Quant à la règle de dette, qui consiste à réduire chaque année la dette d'un vingtième de l'écart par rapport au seuil de 60 % du PIB, elle est neutralisée pendant trois ans quand un pays sort de la procédure de déficit excessif. Ce sera sans doute la situation que connaîtra la France dans les prochaines années.
M. Vincent Delahaye. - Les gouvernements changent, mais les réalités sont têtues. Je suis sceptique sur les hypothèses de croissance présentées par le Gouvernement. Je ne crois pas à un retour à l'équilibre des finances publiques d'ici cinq ans. Il est étonnant que le Haut Conseil valide cette hypothèse. J'ai toujours pensé que les estimations devaient être minorées de 0,5 point. Ce serait déjà une bonne chose si notre pays connaissait une croissance moyenne de 1,2 % par an durant les cinq prochaines années. Durant les dix dernières années, la moyenne a été de 0,76 % et de 2004 à 2016, la croissance annuelle s'est établie à 1,1 %. Une croissance à 1,7 % ne me semble pas réaliste.
Comment expliquer que le déficit structurel soit, en fin de parcours, supérieur au déficit effectif ? C'est totalement incompréhensible.
M. Claude Raynal. - Je me réjouis de votre présentation qui, d'année en année, suit le même schéma : cela nous permet de nous y retrouver.
J'ai repris votre synthèse de l'an dernier : vous commenciez par le scénario macroéconomique. « Pour l'année 2017, le Gouvernement a maintenu sa prévision d'avril, soit 1,5 %, alors que la plupart des organisations ont donné 1,2 %. Le Haut Conseil estime que cette hypothèse de croissance est optimiste compte tenu des facteurs baissiers ».
La réalité, c'est que la croissance sera de 1,7 %, au lieu du 1,5 % pourtant considéré comme optimiste. C'est ce que l'on appelle un « gap » ! Dans le document de cette année, le scénario devient « prudent » pour 2017 et « raisonnable » pour 2018. On aurait aimé de tels qualificatifs pour les années précédentes, cela nous aurait évité bien des débats !
Or vos commentaires ne sont pas sans effet. Nous sommes une instance politique où les mots ont leur importance. À la fin de l'année 2016, le rapporteur général de la commission des finances se fondait sur les vôtres pour avancer, dans son rapport général, cette phrase définitive : « Une prévision de croissance économique pour 2017 qui frôle l'irréalisme ». Or les objectifs ont été atteints et même dépassés. Il est vrai que c'était une période particulière, située juste avant le tsunami électoral. Cela peut expliquer le caractère énergique des propos tenus alors par le rapporteur général, qui faisait plutôt l'hypothèse d'une croissance de 1,2 %, et dressait le tableau d'une France au bord du gouffre !
Mme Fabienne Keller. - Votre question !
M. Claude Raynal. - Un mot sur la notion d'ajustement structurel, qui obéit, on le sait, à plusieurs définitions. Sous le précédent Gouvernement, nous considérions qu'un tel ajustement pouvait se faire s'il était mené petit à petit. Nous aurons la même exigence avec ce Gouvernement. Quant à l'Europe, elle a, ce me semble, une attitude bienveillante sur ce sujet.
J'aimerais, pour terminer, connaître votre avis sur la réforme annoncée du CICE, qui doit être transformé en un dispositif de baisse de charges. Cette réforme risque bien, en 2019, de nous faire repasser au-dessus de la barre des 3 % de déficit, et ce alors même que les organisations patronales ne le demandent plus.
M. Marc Laménie. - Les pages 22 et 23 de votre présentation font état d'économies substantielles, qui ont fait l'actualité récente : la baisse des aides au logement et la suppression des contrats aidés, notamment. Ces économies font peser un vrai risque sur les finances des collectivités territoriales.
Par ailleurs, la page 15 témoigne d'une progression importante de l'investissement, qui progresserait de 2,8 % en 2016 puis de 3,9 % en 2018. Est-ce réalisable ?
M. Maurice Vincent. - Mon propos porte sur l'Ondam, dont le graphique de la page 24 retrace l'évolution prévue. On constate que, pour l'année 2018, même avec un plan d'économies rigoureux, sa progression, de 2,3 %, sera supérieure à l'inflation. Ce qui signifie donc qu'en dépit des efforts de rigueur, notre modèle social continuera de bénéficier de ressources dont l'augmentation est plus importante que l'inflation. On essaie donc de faire des économies tout en renforçant le système de soins.
Je ne comprends pas en revanche pourquoi vous avez dit, monsieur le président, que l'effort à produire en 2018 serait plus important qu'en 2017, alors qu'il est, pour ces deux années, de 2,2 % par rapport à la croissance spontanée des dépenses. Pouvez-vous nous l'expliquer ?
M. Didier Migaud. - Les hypothèses de croissance présentées par le Gouvernement sont en ligne avec pratiquement tous les organismes internationaux, qui les ont tous révisées à la hausse pour 2017 et 2018. Notre sentiment, appuyé par les enquêtes de conjoncture, notamment, est que nous vivons un moment de consolidation de la croissance en France et en Europe. Nous sommes bien sûr plus prudents au-delà de 2020. La programmation budgétaire à cinq ans est un passage obligé : il est difficile d'avoir des hypothèses affirmées à cet horizon, mais disons que le point de départ apparaît prudent.
J'insiste aussi sur un point : nous raisonnons toutes administrations publiques confondues, c'est-à-dire y compris la sécurité sociale et les collectivités territoriales. Vous êtes d'ailleurs bien placés pour savoir que ces dernières ont contribué à une amélioration des comptes. Alors, bien sûr, le budget de l'État a tendance à prendre en charge toutes les compensations des mesures qu'il décide.
J'en viens à la question de Vincent Delahaye sur les notions de déficit structurel et conjoncturel. La composante conjoncturelle du déficit est liée à l'écart de production. Il se peut donc très bien qu'il n'y ait plus de composante conjoncturelle dans le déficit. À mesure que l'écart de production diminue, la composante conjoncturelle s'amenuise. Je l'ai dit, cela ne résout pas tous les problèmes. En cas de nouvelle crise, la composante conjoncturelle retrouvera un niveau élevé, qui s'additionnera à la composante structurelle.
Je vais tenter de répondre à l'observation malicieuse de Claude Raynal. Les hypothèses s'apprécient au moment où on les formule. En septembre 2016, lorsque le Haut Conseil des finances publiques a considéré que les hypothèses de croissance faites pour 2017 par le précédent Gouvernement étaient élevées, cette position faisait consensus. Le deuxième trimestre affichait même une croissance de 0 % ! Au moment, donc, où le Gouvernement arrête ces hypothèses, elles sont optimistes. Puis la conjoncture a changé.
Les prévisionnistes ne sont pas Madame Soleil. Ils raisonnent à partir de données objectives. Mais il y a aussi une part de psychologie dans l'économie. Les conséquences du Brexit pour 2017 ont par exemple été surestimées par les économistes ; elles se feront sentir dans le temps long.
Quand le précédent Gouvernement a présenté son programme de stabilité, ces hypothèses étaient encore considérées comme optimistes. Mais le Haut Conseil avait alors indiqué qu'elles lui apparaissaient comme plausibles. Il avait en effet des éléments pour modifier son appréciation. Le Haut Conseil doit partir d'analyses objectives, prendre en compte les aléas, mais la situation peut évoluer, en bien ou mal. Et de manière générale, nous préférons les bonnes nouvelles aux mauvaises.
D'ailleurs, même l'ancien Gouvernement n'avait pas prévu cette accélération de croissance, puisqu'il en était resté à 1,5 %.
Aujourd'hui, nous estimons que la prévision de 1,7 % est prudente car elle est déjà, pour partie, réalisée, l'acquis de croissance étant de 1,4 % ! Cela n'était pas le cas l'année passée. Certains aléas ont disparu, les élections sont derrière nous, la croissance se consolide au niveau mondial, aux États-Unis, dans les pays en développement, en Europe, et la France en tire parti.
Vous me posez également la question de la transformation du CICE en baisse de charges. Ce sujet n'est pas, pour l'heure, de la responsabilité de la Cour des comptes et du Haut Conseil. Quand nous aurons à apprécier ces dispositifs, nous le ferons. Mais il s'agit, pour l'instant, d'une décision politique, qu'il vous appartient d'examiner.
J'en viens à la question des risques en dépenses. Des économies substantielles ont été annoncées, sur les aides au logement notamment. Nous sommes comme saint Thomas : nous attendons de le voir pour le croire.
Néanmoins, les engagements pris en dépenses par le Gouvernement doivent être tenus pour que la trajectoire de déficit qu'il s'est fixée soit respectée. Je l'ai dit, le scénario du Gouvernement est prudent sur les recettes. Mais la France a plutôt des problèmes du côté des dépenses. Les objectifs affichés ne sont pas toujours tenus, et il y a un vrai décalage entre le niveau de dépenses et l'efficacité des politiques publiques. Pour améliorer notre déficit structurel, il nous faut donc respecter nos engagements en matière d'économies et de dépenses.
Pour ce qui est des prévisions relatives aux dépenses de l'assurance maladie, notre graphique s'explique par le fait que des dépenses nouvelles vont peser sur l'année 2018 ; elles sont l'effet de conventions récentes passées avec les professionnels de santé, de la poursuite de la mise en oeuvre du protocole Parcours professionnel à l'hôpital, de l'arrivée de plusieurs médicaments innovants, etc. L'évolution tendancielle des dépenses a même été augmentée par le Gouvernement. Cela requiert donc un quantum d'économies plus important, par rapport à 2017, pour tenir un objectif exigeant d'économies.
Mme Michèle André, présidente. - Une dernière question, monsieur le président : quel jugement portez-vous sur le Haut Conseil, dont vous avez rappelé tout à l'heure le contexte de la création et le bilan statistique ? Qu'apporte-t-il au débat public et aux travaux du Parlement ? Avec André Gattolin nous avions déposé un amendement pour que la composition du Haut Conseil soit paritaire, ce qui avait paru poser problème à l'époque. La parité a finalement été instituée. Pouvez-vous nous dire si vous avez eu des surprises ? Les femmes nommées ont-elles trouvé leur place ?
M. Didier Migaud. - Je n'ai pas été surpris de la qualité des femmes présentes au Haut Conseil : si je l'avais été, cela aurait voulu dire que j'avais un a priori défavorable ! Tout le monde s'entend très bien et travaille de façon complémentaire. Nous avons des réunions denses, des auditions de membres d'instituts, d'économistes, mais aussi avec les administrations.
Comme vous, nous siégeons la nuit. Nous avons eu vendredi une réunion qui a commencé à quinze heures et s'est achevée à six heures du matin, réunion que nous avons d'ailleurs reprise le dimanche après-midi pour que le Conseil d'État puisse s'en saisir et transmettre le texte au Conseil des ministres ce matin.
Nous avons des débats très denses à propos des écarts de production, par exemple. Chacun des mots que nous utilisons est pesé, ils sont le fruit de longs débats et d'un consensus final.
Je pense que l'existence d'un comité budgétaire indépendant, en France comme ailleurs, a son utilité. Il implique une certaine prudence pour le Gouvernement dans ses scénarios économiques et budgétaires.
Mme Michèle André, présidente. - Puisqu'il s'agit de ma dernière séance en ces lieux, je me permettrai de vous offrir un cadeau, monsieur le président. Pour illustrer le travail de ses commissions, le Sénat a choisi de publier sur Instagram un dessin représentant une séance de la commission des finances, dessin où vous figurez. Je tenais à vous l'offrir.
M. Didier Migaud. - Merci, c'est un cadeau que je peux accepter !
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 15 h 40.
- Présidence de Mme Michèle André, présidente -
La réunion est ouverte à 16 h 25.
Projet de loi de finances pour 2018 - Projet de loi de programmation des finances publiques - Audition de MM. Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics, et Benjamin Griveaux, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances
Mme Michèle André, présidente. - Quelques jours après les élections sénatoriales, notre assemblée connaît une semaine de transition, mais il est normal que les deux chambres du Parlement soient informées simultanément lors du dépôt du projet de loi de finances. C'est pourquoi nous auditionnons aujourd'hui Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics, et Benjamin Griveaux, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances. Nous préparons ainsi le travail de la commission des finances qui sera reconstituée la semaine prochaine.
Je donne tout de suite la parole à Benjamin Griveaux, que je salue tout particulièrement puisqu'il intervient pour la première fois devant notre commission.
M. Benjamin Griveaux, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances. - Merci, madame la présidente. Je souhaite en effet vous donner le cadrage global des deux textes qui ont été présentés ce matin en Conseil des ministres.
Je constate tout d'abord que la France bénéficie d'un taux de croissance solide - estimé à 1,7 % -, à l'instar de ce que connaissent les pays de l'Union européenne, et que les perspectives, sur lesquelles nous avons bâti l'exercice financier que nous vous présentons, ont été confirmées par l'OCDE et le Fonds monétaire international. Je signale que ce dernier anticipe même un taux de croissance légèrement supérieur, à 1,8 %. Le scénario macroéconomique que nous avons choisi présente donc deux qualités essentielles : la prudence et la sincérité.
Ce constat nous amène évidemment à vouloir accentuer et accélérer la transformation du modèle économique français, qui a déjà été engagée avec la réforme du droit du travail. De manière mnémotechnique, nous avons symbolisé notre volonté de transformation en trois chiffres : 5, 3 et 1, c'est-à-dire 5 points de dette en moins, 3 points de dépenses publiques en moins et 1 point de prélèvements obligatoires en moins d'ici la fin du quinquennat.
Pourquoi s'engager ainsi dans la lutte contre la dépense publique ? Simplement parce que celle-ci ne peut pas être la réponse aux problèmes politiques, économiques et sociaux du pays. Si tel était le cas, nous aurions le taux de chômage le plus bas au sein de l'Union européenne ! Nous sommes convaincus qu'au-delà d'une meilleure gestion, nous parviendrons à transformer notre modèle économique et social en maîtrisant notre dépense publique. Or, cette transformation, qui a beaucoup tardé et qui est devenue indispensable au regard des performances de nos voisins, est notre premier objectif.
Elle repose sur deux piliers : l'innovation et la formation.
En effet, il faut permettre à nos entreprises d'innover pour qu'elles gagnent en gamme et en compétitivité et pour qu'elles conquièrent de nouvelles parts de marché. Je rentre d'un voyage en Chine et en Corée, deux grands pays industriels où l'innovation est au coeur du modèle de développement économique et qui s'intéressent vivement au mouvement que nous engageons.
Pour cela, nous devons modifier en profondeur le rapport que nous avons, dans notre pays, au capital qui doit être plus accessible. C'est pourquoi nous mettons en place, dès 2018, un prélèvement forfaitaire unique de 30 % sur les revenus du capital, ce qui sera un gage de simplicité et de lisibilité. On fait souvent le reproche à notre système d'avoir multiplié les couches fiscales, nous allons tâcher d'y remédier. Nous ne modifions pas la fiscalité de l'épargne salariale, parce que nous souhaitons que le travail soit autant récompensé que le risque. En outre, nous maintenons les avantages des produits de l'épargne populaire - livret A, livret de développement durable... -, qui resteront totalement défiscalisés, ainsi que des produits fortement investis en actions. De même, la fiscalité de l'assurance vie ne sera pas modifiée lorsque le montant des encours ne dépasse pas 150 000 euros et les revenus des versements déjà effectués ne sont pas concernés par les changements que nous introduisons, quel que soit leur montant.
Par ailleurs, nous supprimons l'impôt sur la fortune, en maintenant uniquement une contribution sur les actifs immobiliers, et nous conservons donc l'exonération de l'outil de travail. Cette mesure vise à ce que les bénéficiaires de cette baisse de la fiscalité réinvestissent dans notre économie. Je rappelle que nous avons trois fois moins d'entreprises de taille intermédiaire que l'Allemagne et deux fois moins que le Royaume-Uni ou l'Italie. Nos PME doivent à la fois grandir en France et gagner des parts de marché à l'étranger. Il faut noter qu'aucun des contribuables qui seront demain soumis à l'impôt sur la fortune immobilière ne verra son imposition augmenter par rapport à l'ISF.
Dans le même esprit, nous abaisserons graduellement le taux de l'impôt sur les sociétés de 33,3 % à 25 % d'ici la fin du quinquennat, ce qui nous placera quasiment dans la moyenne européenne. Je peux vous assurer qu'il s'agit, pour les observateurs étrangers, d'un élément très important. Dès 2018, un taux de 28 % sera appliqué sur la fraction de bénéfices inférieure à 500 000 euros et nous maintiendrons, bien évidemment, le taux réduit de 15 % pour les PME qui en bénéficient déjà. Il ne peut naturellement être question de pénaliser les dispositifs qui concernent les entreprises de cette taille.
En allégeant la fiscalité du capital, nous entendons libérer la capacité de croissance de nos entreprises et nous engager pleinement dans une économie des compétences et de l'innovation. Les principes qui ont fondé notre modèle économique et social ne sont plus en phase avec les exigences contemporaines sur ces questions : nous devons par exemple assurer certains risques comme le chômage de manière plus universelle - d'où la bascule entre les cotisations sociales et la CSG - et conforter les dispositifs de soutien à la recherche. Ainsi, le crédit d'impôt recherche sera sanctuarisé et le Gouvernement est prêt à engager une réflexion sur son éventuel déplafonnement.
De même, nous créerons un fonds doté de 10 milliards d'euros dédié à ce que l'on peut appeler les innovations de rupture, c'est-à-dire celles dont le temps de développement n'est pas toujours en accord avec ce qui est attendu par les marchés financiers. Ce fonds sera abondé par la cession de participations que l'État détient dans certaines entreprises publiques : ainsi, nous avons déjà procédé à la vente d'actions d'Engie pour un montant d'1,5 milliard d'euros. Le fonds doit être effectif dès 2018 et a vocation à préfigurer le financement européen pour l'innovation de rupture que le Président de la République a annoncé dans le discours - remarqué - qu'il a prononcé hier à la Sorbonne.
Le second pilier de la transformation économique, c'est la formation.
Je me souviens de mes cours d'économie ; la croissance résulte de deux facteurs : le capital et le travail. Le capital, je vous en ai déjà parlé. Le travail, avec les ordonnances...
M. Gérard Longuet. - Et la liberté !
M. Benjamin Griveaux, secrétaire d'État. - Oui la liberté, et la confiance ! « La confiance plus la confiance plus la confiance » disait Galbraith. Je suis sûr que nous sommes dans une relation de confiance qui permettra d'avoir la meilleure croissance possible.
On sait bien que le rapport au travail change : par exemple, l'idée d'une carrière linéaire - rester dans une même entreprise, voire dans le même secteur - appartient au passé. C'est pourquoi la formation est l'un des quatre grands axes du plan d'investissement présenté lundi par le Premier ministre. Il s'agit sans doute de la réponse la plus efficace au chômage de masse que connaît notre pays : au total, 3,5 millions de chômeurs et un taux qui, depuis quinze ans, n'est jamais passé sous la barre des 20 % pour les moins de 25 ans.
Transformer notre modèle économique n'a de sens que si nous transformons aussi l'Union européenne : elle doit apprendre à se protéger et à se défendre, par exemple contre le dumping fiscal et social. Or, la France ne retrouvera sa crédibilité internationale que si elle respecte les règles communes. Pour peser dans les discussions à venir, que ce soit sur la fiscalité des grandes entreprises d'internet - les Gafa -, ou les travailleurs détachés, nous devons sortir de la procédure de déficit excessif, qui - je le rappelle - ne concerne plus aujourd'hui que deux pays. La Grèce et le Portugal ont réussi à en sortir et je relève que le commissaire européen Pierre Moscovici a adressé ce matin même un premier satisfecit à la France.
Hier à la Sorbonne, le Président de la République a très clairement affiché comme objectif que les taux d'imposition de la France et de l'Union européenne ne s'écartent pas de plus de cinq points d'ici la fin du quinquennat. Nous visons aussi une convergence fiscale avec l'Allemagne.
Nous estimons qu'à l'instar de la Chine ou des États-Unis, l'Europe doit devenir un continent économique intégré et ne pas se cantonner à une zone uniquement financière. Alors que cette question est débattue depuis vingt ans, il est plus que temps d'avancer concrètement sur la voie d'une intégration réelle : convergence fiscale, fonds monétaire européen, budget de la zone euro, coordination des politiques économiques...
Je souhaite citer un autre exemple : l'industrie. Nous avons raté le virage de la robotisation et il serait heureux que nous puissions prendre à pleine vitesse celui de la numérisation, en particulier dans les PME.
Pour être complète et efficace, la transformation économique et sociale ne doit pas bénéficier qu'à quelques-uns. La croissance doit être partagée, ce qui passe en tout premier lieu par une meilleure rémunération du travail. Durant la campagne, vous le savez, le Président de la République avait placé le travail au coeur de son projet. Dans cet esprit, nous allons supprimer, en deux temps, les cotisations chômage et maladie, ce qui permettra aux rémunérations nettes des salariés d'augmenter : très concrètement, un salarié au SMIC gagnera 272 euros de plus par an à partir du 1er janvier 2019. Les salariés aux revenus les plus modestes bénéficieront aussi d'une revalorisation de la prime d'activité, qui permettra, sur le quinquennat, un gain de 80 euros, et les indépendants seront plus nombreux à pouvoir bénéficier du régime simplifié d'imposition, ce qui leur permettra de tenir une comptabilité allégée.
Dans cette période de transformation économique profonde, il nous faut aussi protéger les plus modestes et les plus fragiles de nos concitoyens. Diverses mesures vont dans ce sens : 80 % des ménages bénéficieront des mesures sur la taxe d'habitation, qui s'étaleront sur trois ans ; les personnes qui ne payent pas l'impôt sur le revenu et emploient un salarié à domicile recevront désormais un chèque du Trésor public ; l'allocation aux adultes handicapés et le minimum vieillesse seront augmentés.
Nous aurons naturellement l'occasion de revenir sur tous ces sujets, mais sachez que nous sommes absolument persuadés que l'économie ne va pas sans le social et que la croissance doit absolument être partagée par tous.
M. Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics. - Avant de commencer mon intervention, permettez-moi d'avoir une pensée pour Nicole Bricq, qui nous a quittés cet été.
Le budget que nous vous présentons aujourd'hui est marqué par deux éléments majeurs : la transformation et le pouvoir d'achat.
Je souhaite tout d'abord dire qu'un budget n'est qu'un outil : il met en oeuvre les politiques publiques, mais ce n'est pas lui qui les commande. Ce sont ces politiques qui permettent effectivement de transformer le pays et de redistribuer. Nous sommes donc à un moment important, mais ce n'est pas le plus important du quinquennat.
Le Président de la République et le Premier ministre ont engagé le pays sur la voie d'une société qui n'est pas celle qui encourage la rente statique, celle qui exclut nombre de nos compatriotes, en particulier ceux qui sont au chômage ou qui subissent les fractures territoriales. Au contraire, nous voulons une société qui encourage la mobilité et la réussite. C'est notamment pour cela que nous baissons la fiscalité de manière très importante.
Notre budget est celui de la fiche de paye et vous trouverez, dans le petit livret jaune que nous vous avons distribué, l'intégralité des mesures qui augmentent le pouvoir d'achat des Français. Il protège les plus faibles : doublement de l'enveloppe pour l'Anru et les quartiers en difficulté, augmentation de plusieurs allocations - allocation pour les adultes handicapés, minimum vieillesse... - et mesures en faveur des familles monoparentales.
C'est aussi un budget qui propose de privilégier l'investissement plutôt que le fonctionnement et qui accompagne les transitions.
Je pense tout d'abord au grand plan d'investissement évoqué par le Président de la République et le Premier ministre ; il trouve sa concrétisation dans les textes que nous vous présentons aujourd'hui, notamment dans une nouvelle ligne budgétaire de 700 millions d'euros destinée à la transformation numérique du pays. Un peu moins de 10 milliards d'euros sont prévus au titre de ce plan dans le budget 2018. Ces dépenses ne sont pas pérennes, puisqu'il s'agit d'investissements, mais elles ont vocation à changer durablement notre pays.
En matière de transition écologique, nous assumons une augmentation de la fiscalité, en particulier celle sur le diesel ou la part carbone des produits énergétiques, mais nous avons aussi prévu des compensations extrêmement importantes : généralisation du chèque énergie, primes pour changer de véhicule...
En ce qui concerne la transition économique, sujet extrêmement important, nous baissons les impôts de 10 milliards d'euros et prévoyons, pour 2019, l'allégement pérenne des charges, ce qui est demandé depuis tant d'années, notamment par les patrons des petites et moyennes entreprises.
Au titre de la transition sociale, nous estimons - je le disais à l'instant - que le travail doit payer. C'est pourquoi nous supprimerons, en 2018, deux cotisations et les basculerons sur la CSG, ce qui permettra une redistribution.
Autre transition, qui va évidemment intéresser votre Haute assemblée, celle des relations entre l'État et les collectivités locales. C'est la première fois depuis 2011, et particulièrement depuis 2014, qu'il n'y aura pas de baisse de dotations dans le projet de loi de finances que nous vous présentons. Je dois dire qu'il y a même une légère augmentation : 100 millions d'euros en plus pour la dotation globale de fonctionnement (DGF) et, au total, 400 millions sur la mission « Relations avec les collectivités territoriales ».
Nous avons en effet choisi de faire porter les économies à due proportion de la part des collectivités dans les dépenses publiques, alors que, sous le mandat précédent, elles ont contribué davantage. Et encore, entre les annonces du plan de 50 milliards d'économies et la réalité des économies réalisées, nous avons bien vu qu'il y avait une légère différence - c'est une litote...
Lorsque je présidais aux destinées d'une collectivité locale, j'étais le premier à dire qu'il ne fallait pas gérer les économies nécessaires par la baisse unilatérale et jacobine des dotations et qu'il ne fallait pas transférer des charges sans les ressources équivalentes. Je disais aussi que les collectivités devaient contribuer à ces économies, mais à proportion de leurs dépenses, soit 20 % de l'ensemble. C'est ce que nous faisons : nous ne baissons pas les dotations - je le répète, c'est la première fois depuis 2011 -, nous les augmentons même légèrement et nous faisons contribuer les collectivités locales, non pas de manière jacobine, mais en contractualisant avec les 319 plus grandes d'entre elles. Ainsi, la quasi-intégralité des collectivités locales, notamment le monde rural et les villes moyennes, n'est pas mise à contribution.
Nous considérons aussi qu'il ne faut pas transférer de charges aux collectivités locales sans ressources ; c'est le sens de la liberté qui leur est laissée en matière de rythmes scolaires et de la pérennisation du fonds de dotation correspondant. C'est aussi pour cela que nous avons décidé de doubler les crédits liés à la délivrance par les collectivités des titres d'identité numérisés dont, manifestement, le niveau était très largement sous-estimé.
Nous avons décidé de ne pas faire une politique de rabot, mais de procéder à des choix clairs. Évidemment, ceux-ci peuvent être discutés, mais on sait bien que l'ancienne politique du rabot n'a pas contribué à faire baisser durablement la dépense publique dans notre pays.
Le travail et le logement sont deux transformations portées par le Gouvernement, les crédits budgétaires sont en baisse, mais il faut appréhender ce choix dans une perspective plus globale : baisse de la fiscalité, plan de formation de 15 milliards d'euros, diminution substantielle des contrats aidés, libération du foncier, réduction des normes...
Parmi les crédits qui augmentent, les promesses du Président de la République et de la majorité de l'Assemblée nationale se concrétisent dans ce budget. Ce sont donc des promesses tenues.
Ainsi, les secteurs régaliens augmentent fortement : 1,7 milliard d'euros de hausse annuelle pour les armées, afin d'atteindre d'ici cinq ans le niveau annoncé par le Président de la République en pourcentage du PIB ; l'intérieur et la justice vont aussi connaître un renforcement extrêmement important, notamment en matière de numérisation.
Il en est de même pour l'éducation, qui bénéficie d'une hausse de plus d'un milliard d'euros, et pour l'université, qui pourra, grâce aux 700 millions d'euros supplémentaires prévus, faire face à l'afflux des 40 000 nouveaux étudiants.
Enfin, la transition écologique constituant l'un des grands défis du Gouvernement, les crédits qui lui sont dédiés augmentent également.
Je voudrais aussi souligner que certains ministres voient leur budget baisser et en sont pourtant heureux ! Tel est mon cas, puisque j'ai moi-même proposé de réduire les crédits de mon ministère qui emploie pourtant de nombreux agents publics. La priorité gouvernementale ne se mesure pas aux crédits budgétaires, mais bien à l'aune de l'efficacité politique.
Ce budget est celui du pouvoir d'achat. Rappelons-nous que, si nous comptons souvent en milliards, les Français de leur côté comptent en euros ! Je pense d'abord à la suppression de la taxe d'habitation qui fera évidemment l'objet d'un dégrèvement et je souhaite que votre commission puisse contribuer à la réflexion sur les évolutions de la fiscalité locale.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Nous avons déjà entamé cette réflexion depuis un moment...
M. Gérald Darmanin, ministre. - Je n'en doute pas, monsieur le rapporteur général !
Je veux aussi citer la bascule entre les cotisations sociales et la CSG, le chèque énergie, l'augmentation de 100 euros par mois de l'allocation aux adultes handicapés et du minimum vieillesse, les crédits pour les familles monoparentales...
Prenons un exemple : pour un ouvrier au Smic, c'est plus d'un treizième mois qui sera ainsi redistribué à la fin du quinquennat et 380 euros dès l'année 2018.
Devant votre commission et en rendant hommage aux différentes directions du ministère de l'économie, des finances, de l'action et des comptes publics, je veux aussi préciser que ce budget est sincère et sérieux. Les hypothèses que nous avons choisies ont reçu un satisfecit de la part du Haut Conseil des finances publiques, ce qui est très important.
À l'exception des crédits des Opex, dont l'importance et la nature font que nous procèderons à leur intégration dans le budget initial tout au long du quinquennat, toutes les sous-budgétisations relevées dans les rapports parlementaires - dont beaucoup, madame la Présidente, de cette commission - ou par la Cour des comptes ont été intégrées dès le projet de loi de finances initiale pour 2018. Si des évolutions devaient intervenir en cours d'année, ce serait en raison de crises non prévisibles. Je prends l'exemple du ministère de l'agriculture, dont les crédits ont beaucoup dérivé lors du quinquennat précédent (plus de 7 milliards d'euros) : nous avons budgétisé les différents risques, en particulier ceux liés à l'Union européenne. Il en est de même pour les crédits de l'hébergement d'urgence, auxquels Philippe Dallier s'intéresse particulièrement, ou pour ceux dédiés à l'allocation aux adultes handicapés.
Il est tout de même préférable pour le débat démocratique d'éviter les décrets d'avance, comme nous avons été contraints de le faire cet été, et d'intégrer l'ensemble des crédits dans le budget initial.
Symptôme de notre croyance dans la sincérité de ce budget, le gel de crédits se limitera à 3 %, ce qui constitue un niveau inédit depuis fort longtemps. Cette décision renforce naturellement la responsabilité des ministres et des directeurs de programmes et il appartiendra aux parlementaires, particulièrement aux rapporteurs spéciaux, de procéder aux contrôles nécessaires. Il n'y aura pas de corde de rappel et, en cas de difficulté, les ministres devront trouver les crédits nécessaires au sein de leur administration puisque nous nous refusons à prendre des décrets d'avance d'ampleur, à l'exception peut-être des opérations extérieures dont il faudra bien que nous parlions un jour ici.
Nous tenons les engagements européens de la France, puisque nous présentons un déficit de 2,6 % toutes administrations publiques confondues. Rappelez-vous que la Cour des comptes prévoyait, au moment où j'ai pris mes fonctions, un déficit de 3,4 % en tenant compte des nécessaires rebudgétisations. Après les mesures de régulation que nous avons prises, nous étions à 2,9 % et nous espérons que la Commission européenne constatera effectivement ce chiffre au début de l'année prochaine.
Certes, le déficit de l'État augmente et j'assume pleinement les deux raisons qui expliquent ce phénomène : d'une part, la baisse massive d'impôts que nous avons décidée, d'autre part, la réintégration de 4,5 milliards d'euros dans le budget initial pour le rendre sincère - je viens d'en parler. Mais dès l'année 2019, le déficit de l'État reprendra une pente descendante.
Pour cela, nous allons inverser la courbe des dépenses publiques, ce qui ne s'est pas produit depuis l'époque où Dominique Strauss-Kahn était ministre des finances. Elles vont ainsi passer de 54,6 % à 53,9 % de la richesse nationale, soit une baisse de 0,7 %, alors même que notre hypothèse de croissance est très modeste puisqu'elle correspond au consensus bas des économistes.
Le Premier ministre avait promis une stabilité en volume des dépenses, toutes administrations confondues, et nous tenons quasiment cette promesse. Pas tout à fait, il est vrai, puisque nous sommes à 0,5 %, mais ce niveau est tout de même inédit depuis quinze ans et deux fois inférieur à celui des années 2010-2016.
Pour la première fois depuis 2006, nous stabilisons la dette qui, l'année prochaine, commencera à baisser, cela a été évoqué par Benjamin Griveaux tout à l'heure.
Pour résumer en quelques chiffres, les prélèvements obligatoires baisseront de 0,3 point de PIB, le déficit de 0,3 point de PIB également - en prenant 2,9 points de PIB comme référence - et les dépenses publiques de 0,7 point de PIB. Les engagements de la majorité présidentielle sont donc tenus, tout en transformant le pays et en prenant en compte le pouvoir d'achat.
En ce qui concerne les emplois publics, vous constaterez que nous inscrivons une baisse nette de 1 600 dans ce budget, ce qui masque une suppression brute de 4 600. Je rappelle que, l'an passé, il y a eu des créations de postes à hauteur de 14 000... Nous tenons les promesses du Président de la République, notamment en ce qui concerne le renforcement des effectifs de policiers, de gendarmes et de magistrats.
Il est évidemment difficile de changer de politique en cours d'année et nous n'oublions pas la promesse de supprimer 120 000 postes dans la fonction publique. Là aussi, nous avons choisi de ne pas pratiquer le rabot, mais de discuter avec les syndicats et le Parlement sur l'ensemble des missions de l'État. Pour ce faire, le Président de la République et le Premier ministre vont lancer la revue de ces missions, elle sera réalisée par un comité « Action publique 2022 » qui devra commencer à rendre ses conclusions en février prochain. Le Parlement se saisira de ce travail et nous pourrons alors définir collectivement ce que sont les missions de l'État, ainsi que les moyens humains et les crédits budgétaires correspondants.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Merci d'être venus nous présenter le projet de loi de finances aussitôt après sa délibération en Conseil des ministres. Il serait prématuré d'en donner une appréciation générale, mais plusieurs mesures me paraissent bienvenues. D'abord, votre hypothèse de croissance correspond à celle qui fait consensus parmi les économistes. Puis, la sincérité de ce budget tranche avec les dérives que nous avons connues. De plus, plusieurs décisions correspondent à des propositions formulées ces dernières années par le Sénat. Ainsi, de la suppression du jour de carence, ou des mesures, comme la suppression de la tranche supérieure de la taxe sur les salaires, qui accroissent l'attractivité de la place financière de Paris. J'ajoute que la diminution du montant de la réserve de précaution, assortie d'une meilleure budgétisation des crédits, ne laissera aucun d'entre nous - car chacun, ici, est rapporteur spécial - insensible ! Cette réserve atteignait les 8 % du total, ce qui remettait en question le rôle du Parlement.
Vous annoncez que les engagements européens de la France seront tenus. J'en vois un qui ne le sera pas : l'ajustement structurel. Très faible en 2017, il sera quasi-nul en 2018, alors qu'il faudrait plus de 0,5 point de PIB. Est-ce à dire que l'effort est reporté à la fin du quinquennat ? Avez-vous obtenu pour cela l'accord de la Commission ?
Les 10 milliards d'euros de baisses d'impôts incluent, en effet, 7 milliards d'euros figurant dans la loi de finances de l'an passé - et la fiscalité écologique s'accroît, elle. Nous voyons bien la finalité de la hausse de la CSG, mais quel sera son rendement net ? Certes, j'anticipe sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale...
Les économies proposées constituent un effort sans précédent, 14 milliards d'euros, et ciblent le logement et les contrats aidés. L'important est de bien identifier les pistes d'économies, afin qu'Action publique 2022 n'aille pas déboucher, à l'instar de la MAP et de la revue des dépenses, qu'on nous avait présentées comme des panacées, sur des rapports sans effet. Comment ferez-vous pour qu'Action Publique 2022 procure des économies de structure et non des coups de rabots, ou, pire, de simples incantations ?
Pour les collectivités territoriales, vous avez raison de préférer à une baisse des dotations un processus de responsabilisation. Pouvez-vous nous donner davantage de précisions ? Comme les collectivités territoriales ont déjà beaucoup donné, l'effort qui leur est demandé ne doit pas excéder, proportionnellement, leur poids dans la dépense publique et nous avons des interrogations sur ce point. La contractualisation que vous annoncez me convient, mais quels seront ses critères ?
M. Benjamin Griveaux, secrétaire d'État. - L'objectif d'ajustement structurel est de 0,1 point en 2018 et de 0,3 point en 2019. Le Haut Conseil des finances publiques a recommandé, au printemps dernier, de ramener le déficit en-dessous des 3 % du PIB. Nous nous y sommes efforcés, et espérons atteindre 2,9 %, au lieu des 3,4 % initialement prévus, en fin d'année. Ainsi ferons-nous sortir la France de la procédure pour déficit excessif. L'appréciation du solde structurel sera faite par la Commission européenne au vu des réformes structurelles que nous aurons faites, aussi bien dans ce projet de loi de finances que dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale. Nous sommes en dialogue étroit avec elle. Quant à la CSG, la baisse de 3,15 points coûte 18 milliards d'euros, et la hausse de 1,7 % rapporte 23 milliards d'euros. Le solde est donc bien de 5 milliards d'euros.
M. Gérald Darmanin, ministre. - Nos économies sont tout sauf des coups de rabot ! On critique nos mesures sur les contrats aidés, ou sur les APL, tout en affirmant que nous ne réformons pas suffisamment. Nous souhaitons transformer deux ou trois grandes politiques publiques chaque année, sans chercher à appliquer des principes rigides, comme le non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux. Nous nous orientons plutôt vers une réflexion globale sur la manière de rémunérer la fonction publique.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Et le temps de travail ?
M. Gérald Darmanin, ministre. - Nous en discuterons ! Pour l'heure, nous rétablissons le jour de carence et n'augmentons pas la valeur du point d'indice, ce qui est déjà courageux. Nous n'ignorons pas, d'ailleurs, que nombre d'agents de catégorie C sont mal payés.
Sur les collectivités territoriales, j'entends des critiques virulentes de l'idée d'une baisse des dotations. Je les partage, car une telle baisse ne prend pas en compte la réalité des territoires ni les difficultés des élus locaux, à qui on a imposé des transferts - et elle n'encourage pas l'investissement, quand nous savons que les deux tiers des investissements publics sont locaux. Nous souhaitons respecter les territoires tout en contenant la dépense publique : cela passe par une modernisation de la relation entre l'État et les collectivités territoriales. Le Président de la République l'a résumé lors de la conférence des territoires : nous diminuons de 2,6 milliards d'euros la dépense des collectivités territoriales, sans toucher aux dotations.
Nous faisons le pari de l'intelligence territoriale, car l'immense majorité des élus locaux sont de bons gestionnaires des deniers publics. Nous leur demandons donc de réaliser un cinquième de l'effort global, puisque c'est là le poids des collectivités territoriales dans la dépense publique, en contenant l'évolution de leurs dépenses de fonctionnement : s'ils étaient à 100 cette année et s'apprêtaient à atteindre 102,50 l'an prochain, nous leur demandons de se limiter à 101,20. La différence, dans les 319 plus grosses collectivités territoriales, seules concernées, s'élèvera à 2,6 milliards d'euros, à quoi s'ajouteront 500 millions d'euros d'économies sur la société du Grand Paris. Le chiffre de 13 milliards d'euros correspond donc à une non-dépense, et non à une baisse des dotations.
Quelle incitation pour les élus locaux ? Outre l'intelligence territoriale, un système de bonus et de malus au vu des résultats de l'an prochain : les collectivités territoriales qui auront respecté leur contrat recevront une plus forte dotation d'investissement. Il appartiendra aux préfets d'adapter l'ensemble aux réalités locales. Le contrat comportera au moins deux critères : l'amélioration de l'autofinancement et la maîtrise de la trajectoire de dépense.
M. Éric Bocquet. - Ce budget repose sur le dogme de la réduction des dépenses publiques. Celles-ci ne sont pourtant pas mauvaises par nature ! Même, elles peuvent se révéler utiles, efficaces, voire indispensables : nous avons bien vu, depuis trois ans, les conséquences de la baisse des investissements des collectivités territoriales sur l'emploi local et sur l'économie. Alors que les patrimoines s'accroissent et se concentrent - les 10 % de Français les plus riches contrôlent 56 % des richesses, contre 5 % pour les 10 % les plus pauvres - et que la pauvreté perdure et s'enkyste dans notre société, vous allégez l'ISF, qui ne rapportera plus qu'un milliard d'euros, au lieu de cinq jusqu'à présent. Vous supprimez la taxe sur les dividendes alors que plusieurs rapports attestent de ce que la France est devenue la championne d'Europe de la distribution de dividendes, quand le montant de ceux-ci est en baisse ailleurs. Et vous n'avez guère parlé de lutte contre l'évasion fiscale. Pour contrer les Gafa, il faudra bien que l'Union européenne remette en cause le principe d'unanimité des décisions en matière fiscale : bon courage !
S'agissant de la suppression de la taxe d'habitation on nous dit qu'elle sera compensée. Mais les élus ont été échaudés par la suppression de la taxe professionnelle, qui a certes fait l'objet de compensations, mais qui ont été diminuées les années suivantes. Vous proposez d'ailleurs de diminuer la dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle de 3 milliards d'euros en 2017 à 2,8 milliards d'euros en 2018 ! D'où l'inquiétude exprimée dimanche aux élections sénatoriales. Vous prévoyez 41,2 milliards d'euros pour le service de notre dette. L'an dernier, la France a versé ainsi 44,5 milliards d'euros, et réemprunté 185 milliards d'euros. Combien emprunterez-vous l'an prochain ?
M. Bernard Delcros. - Je me réjouis que ce budget, qui porte des transformations substantielles, préserve les collectivités territoriales et les investissements locaux. Le maintien de la DGF est une bonne nouvelle : après une contribution des collectivités territoriales de 10 milliards d'euros ces dernières années, on pouvait difficilement aller plus loin. Vous prorogez la garantie d'une DGF forfaitaire pour les communes nouvelles créées en 2018 : très bien. La péréquation verticale, avec 190 millions d'euros, est en hausse, certes deux fois moins rapide que l'an dernier. Je me réjouis que vous mainteniez la péréquation horizontale via le fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (FPIC), à hauteur d'un milliard d'euros et que vous mainteniez à un haut niveau la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) et les enveloppes soutenant l'investissement local. Vous maintenez les contrats de ruralité, dotés de 45 millions d'euros. Est-ce pour honorer les contrats déjà signés ou pour en financer de nouveaux ? Quant aux 50 millions d'euros prévus pour la modernisation des collectivités territoriales, à quoi correspondent-ils ?
Vous avez bien fait de concentrer les efforts sur les 319 collectivités territoriales les plus grosses et les plus riches. Pourquoi avoir supprimé le prêt à taux zéro dans les départements ruraux ? Combien cela rapportera-t-il à l'État ? Je ne comprends pas cette mesure. Quelle sera l'année de référence pour le dégrèvement de taxe d'habitation ?
M. Claude Raynal. - Le Haut Conseil des finances publiques, que vous avez évoqué, disait que le chiffre de 1,5 % de croissance pour 2015 était optimiste... Avec 1,7 %, les marges sont encore plus confortables. Nous sommes satisfaits de la réduction des sous-budgétisations et de la diminution de la réserve de précaution. Nous accueillons favorablement la réforme de la taxe d'habitation. En revanche, le prélèvement forfaitaire unique ou la transformation de l'ISF ne passent pas, à l'heure où nous demandons des efforts à tous les Français. Rien ne garantit que les capitaux qui échapperont à l'ISF seront investis dans notre industrie. Quid, d'ailleurs, de l'ISF-PME ? Ce système fonctionnait bien. Sera-t-il remplacé ? Le relèvement du plafond des micro-entrepreneurs m'inspire une certaine méfiance. Gare à la concurrence déloyale ! Qui demande la transformation du CICE en baisse de charges ? Est-ce indispensable ? D'où provient le chiffre de 101,20 de dépenses que vous avez mentionné ? S'entend-il hors inflation ?
M. André Gattolin. - Un budget se présente en silos, ce qui n'est pas l'esprit de votre politique. Que faites-vous pour l'innovation et la recherche ? Le budget européen, si critiqué, comporte une section spéciale pour cela. Le crédit d'impôt recherche est sanctuarisé. Le fonds de 10 milliards d'euros sur l'innovation de rupture sera-t-il bien fléché vers les collectivités territoriales, pour des actions de transition numérique et écologique ? Cela serait une juste compensation des efforts qui leur sont demandés.
M. Dominique de Legge. - Comment le plan d'investissement de 57 milliards d'euros s'articulera-t-il avec votre projection budgétaire ? Le PIA a financé des projets peu en rapport avec des investissements d'avenir - par exemple l'intervention au commissariat à l'énergie atomique (CEA). Sur les 1,8 milliard d'euros que vous annoncez pour la défense, 800 millions d'euros sont un simple rattrapage. Vous ajoutez 200 millions d'euros pour les Opex : tant mieux, mais leur coût sera sans doute de 1,2 milliard d'euros. Comment financerez-vous celles de 2017 ? Quid si les 650 millions d'euros prévus pour 2018 ne suffisent pas ?
M. Claude Nougein. - La contribution exceptionnelle sur les hauts revenus s'ajoutera-t-elle au prélèvement forfaitaire de 30 % sur les revenus du capital ? Si c'est le cas, elle n'aura rien d'exceptionnel, et il ne s'agira plus d'une flat tax.
M. Marc Laménie. - Le personnel de votre ministère est notre interlocuteur dans les départements. Quelles sont les perspectives pour les trésoreries ? En ce qui concerne les concours financiers de l'État aux collectivités territoriales, le montant de 48 milliards d'euros sera-t-il pérennisé ? Celles-ci sont des donneurs d'ordre importants. Enfin, les différents taux de TVA vont-ils évoluer ?
Mme Fabienne Keller. - Nous nous réjouissons tous que les comptes soient plus sincères.
M. Claude Raynal. - N'exagérons rien !
Mme Fabienne Keller. - L'Allocation aux adultes handicapés, par exemple, était sous-dotée chaque année...
Comment la réduction tendancielle des dépenses de fonctionnement s'articule-t-elle avec les 2,7 milliards d'euros d'économies que vous affichez ? Comment la suppression de la taxe d'habitation sera-t-elle compensée ? Par dégrèvement ? Y aura-t-il une réévaluation des bases ? Les constructions nouvelles seront-elles bien prises en compte ? N'est-ce pas dommage que, in fine, le déficit budgétaire de l'État augmente ? Pourtant, vous vous conformez globalement aux exigences de l'Union européenne - qui sont simplement des exigences de saine gestion financière. Alstom a annoncé hier un rapprochement avec Siemens, confirmé ce matin par les ministres. Au-delà des propos rassurants tenus par ces derniers, pouvez-vous nous donner des assurances que l'emploi sera préservé ? Il s'agit d'une des dernières industries présentes sur notre territoire. Créer un champion européen, pourquoi pas ? Mais les sites industriels implantés en France doivent y rester.
M. Richard Yung. - Je soutiens les grandes orientations de ce projet de loi de finances. Avez-vous provisionné les contentieux fiscaux ? Certains portent sur plusieurs milliards d'euros... L'impact budgétaire du Brexit, à partir de 2019, sera de 20 milliards d'euros environ. Comment sera-t-il absorbé ? On parle, pour moitié, d'une réduction des dépenses et, pour moitié, d'une augmentation des versements. Qu'avez-vous prévu ? L'ISF-PME sera supprimé. Pourtant, il apportait un soutien non-négligeable aux start-ups et aux PME. La réserve parlementaire sera remplacée par un fonds d'aide à la modernisation des collectivités territoriales de 50 millions d'euros. Qu'est-il prévu d'équivalent pour les Français établis à l'étranger ?
M. Charles Guené. - J'ai étudié, avec Claude Raynal, la contractualisation avec les collectivités territoriales en Italie. Votre projet me semble donc intéressant. Il est bon qu'il ne concerne pas uniquement les 319 plus grosses collectivités territoriales, et que le système de bonus et de malus porte sur l'investissement. Pour les 30 000 communes qui ne seront pas concernées, je ne pense pas que vous annoncerez que c'est open bar...
Mme Michèle André, présidente. - Comme disait Christian Eckert !
M. Charles Guené. - Pour autant, elles ne bénéficieront d'aucun bonus. Le remplacement de la taxe d'habitation ne vous incite-t-il pas à modifier le système fiscal des collectivités territoriales ?
M. Vincent Éblé. - La base de calcul de la fraction de TVA qui sera accordée aux régions va leur coûter environ 450 millions d'euros en 2018. Dès lors, comment pouvez-vous parler d'une augmentation de leur dotation ? Les départements, eux, sont très inquiets des conditions de compensation des allocations individuelles de solidarité, et notamment du RSA, dont seuls 57 % sont pris en charge par l'État - ce qui pose parfois des problèmes insolubles. Le fonds d'urgence sera-t-il maintenu ? Le Président de la République a promis que les situations d'urgence seraient prises en compte. Pour les communes, l'objectif de 13 milliards d'euros d'économies d'ici 2022 soulève la question des collectivités territoriales pour lesquelles aucune contractualisation n'est prévue, ou de celles qui connaissent une forte croissance démographique, comme la Seine-et-Marne, qui a déjà beaucoup souffert de la cristallisation de la DGF. Si on désintéresse les collectivités de la croissance économique ou de l'accroissement du parc de logements, les conséquences seront négatives. La prise en compte des efforts passés de compétitivité n'est pas davantage assurée par votre dispositif.
M. Jacques Chiron. - Je souhaite réagir aux annonces faites mercredi dernier par le Gouvernement au sujet de la stratégie menée en matière de logement.
On peut partager la volonté d'agir en faveur de ce que l'on appelle « le choc de l'offre » dans les zones tendues. On peut aussi souhaiter agir pour une pause dans l'inflation des normes. Mais on ne peut que s'inquiéter de toute décision concernant la baisse des APL et des loyers, qui va placer les organismes d'HLM dans une situation financière très difficile au détriment des objectifs de production et d'amélioration de leur patrimoine.
S'agissant de la question du pouvoir d'achat des locataires, on peut cibler l'inflation des normes dans la construction et la gestion locative, source d'augmentation importante des charges locatives : celles-ci représentent environ 40 % du loyer. Des mesures concrètes ont été proposées par les organismes de logement pour faire baisser la facture des locataires, afin de construire plus vite et moins cher.
Pour réussir le choc de l'offre dans les zones à fort enjeu ou encore la redynamisation des territoires, il faut disposer d'opérateurs capables d'agir. Or toute décision de baisse de loyer a un impact négatif sur l'autofinancement avec, à la clé, non seulement une moindre production de logements, mais aussi une baisse des investissements dans le parc existant ainsi qu'un affaiblissement accru de certains territoires, déjà fortement touchés.
Les entreprises, qu'il s'agisse des offices, des entreprises sociales pour l'habitat (ESH) ou des sociétés d'économie mixte (SEM) agréées pour réaliser des logements sociaux doivent pouvoir agir avec visibilité, disposer d'un cadre réglementaire stable et garder une capacité d'adaptation aux décisions stratégiques.
Le dernier rapport de la Cour des comptes sur le logement avance des pistes qui peuvent être discutées avec toutes les structures concernées. Le monde du logement est prêt à contribuer aux nécessaires réformes du logement, dont les APL. Mais la politique du rabot que vous pratiquez en direction des locataires et des entreprises de logements sociaux n'est pas acceptable, une politique que vous avez condamnée avec force et constance au cours de ces derniers mois.
Monsieur le ministre, êtes-vous en mesure de répondre aujourd'hui aux attentes et aux inquiétudes de ces entreprises au service du choc de l'offre du logement que vous souhaitez ?
M. Éric Doligé. - Concernant les 120 000 suppressions d'emplois, j'aimerais savoir s'il s'agit d'un chiffre net sur la durée du mandat. Par ailleurs, quelle méthode de calcul sera appliquée pour répartir ces suppressions d'emplois entre les administrations publiques, l'État, les collectivités locales et le niveau hospitalier ? Enfin, cette mesure fait-elle partie des efforts de gestion demandés aux collectivités ou s'agit-il d'un effort supplémentaire ?
Benjamin Griveaux a parlé de la baisse du taux de prélèvements obligatoires sur la durée du mandat. Quel est le taux actuel et quel est celui que vous visez ? En parallèle, quel est le taux de prélèvement en Allemagne ?
Mme Michèle André, présidente. - Permettez-moi de poser une dernière question concernant le livret A et l'annonce par le Gouvernement du gel de son taux.
Le Gouvernement a-t-il chiffré le manque à gagner pour les épargnants ? On annonce une nouvelle modification de la formule de calcul. En quoi consiste-t-elle et quand en informerez-vous le Parlement ?
M. Gérald Darmanin, ministre. - Je tiens à féliciter tous les nouveaux élus.
Éric Bocquet, je partage depuis très longtemps vos préoccupations concernant l'exil fiscal.
La fraude fiscale, comme la fraude sociale - même si les montants sont beaucoup moins importants -, constitue effectivement une violation du pacte républicain. À cet égard, on ne saurait faire preuve de complaisance, surtout si l'on souhaite, par ailleurs, pouvoir rétablir une baisse des impôts, ou une augmentation selon les choix politiques.
Je refuse d'établir un lien entre hausse de la fiscalité et exil fiscal. On peut considérer que le niveau des impôts est très élevé, mais ce n'est pas une excuse. Aussi, dès ma prise de fonctions, j'ai proposé au Premier ministre et au Président de la République, la fermeture des bureaux du Service de traitement des déclarations rectificatives (STDR), ouverts il y a plus de quatre ans. Avec la Suisse et d'autres pays, nous avons eu un échange d'informations extrêmement important. À l'instar du renseignement, il doit exister un renseignement fiscal, qu'il convient de renforcer. Le ministère de l'action et des comptes publics, avec Tracfin, les douanes et la Direction générale des finances publiques (DGFiP) sous son autorité, a peut-être la possibilité, au vu des informations dont il dispose aujourd'hui, d'être plus efficace dans la lutte contre l'exil fiscal.
Je ne suis pas de ceux qui veulent budgétiser cet argent pour pouvoir le redistribuer, car cela ne serait pas sérieux d'un point de vue budgétaire. En revanche, je le répète, je suis tout à fait à votre disposition pour aborder la question de la lutte contre l'exil fiscal, et je suis ouvert aux amendements que vous pourriez porter en la matière.
Mme Michèle André, présidente. - Dans le prolongement du rapport de la commission d'enquête sur l'évasion des capitaux de notre collègue Éric Bocquet, qui a fait date, la commission des finances s'intéresse de très près à la problématique relative à la fraude fiscale. Pendant toutes ces années, nous avons entretenu des relations permanentes avec les responsables de l'OCDE. Au-delà des clivages partisans, le rapporteur général et moi-même avons toujours essayé d'expliquer à nos collègues en quoi le verrou de Bercy rapportait un peu plus d'argent qu'un recours à la justice des années après.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - C'est plus rapide.
Mme Michèle André, présidente. - La présidente du parquet national financier (PNF) nous avait dit elle-même qu'elle ne serait pas en mesure de faire le même travail. Nous avons compris que Bercy et le PNF travaillent ensemble. Qu'ils continuent dans cette voie !
M. Gérald Darmanin, ministre. - Je tiens à dire qu'il n'y a évidemment aucun laxisme sur ce sujet. La décision que j'ai prise il y a quelques jours témoigne même d'un renforcement de notre volonté.
Je vous remercie tous, quelle que soit votre appartenance politique, d'accepter l'idée de poursuivre le débat sur les mesures prévues pour les collectivités ; cela procède du pacte girondin.
Nous avons maintenu la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) et la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) à des niveaux extrêmement élevés, avec plus de 1 milliard d'euros pour la DETR. Nous avons fait le choix de ne pas la diminuer - il s'agit quasiment du doublement des fonds - en vue de lutter contre la fracture territoriale, notamment dans les territoires les plus ruraux. Jacqueline Gourault et Gérard Collomb ont déjà eu l'occasion d'expliquer le retrait de certains critères pour permettre à toutes les collectivités d'y participer, notamment les plus petites d'entre elles. Cette mesure va de pair avec la question relative à la réserve parlementaire. Nous tenons la promesse du Gouvernement de permettre aux collectivités locales d'avoir une dotation d'investissement. Si les parlementaires n'ont plus de réserve parlementaire, ils doivent en revanche contrôler ce que nous faisons de l'argent prévu pour les collectivités.
Des dispositions prévoient que les parlementaires procèdent, aux côtés des préfets, à cette vérification. J'ai entendu que cela ne fonctionne peut-être pas aussi bien que cela. Le Gouvernement sera ouvert pour donner aux parlementaires, en contrepartie de la suppression de la réserve parlementaire, la possibilité constitutionnelle de surveiller l'utilisation de l'argent public.
Considérant les montants de la DTER et de la DSIL, la question de l'équité territoriale est un débat qui peut tous nous intéresser.
Mme Michèle André, présidente. - Les rapporteurs spéciaux s'intéresseront à cette question.
M. Gérald Darmanin, ministre. - Je n'en doute pas un seul instant...
Je veux préciser à Fabienne Keller qu'il s'agit bien d'un dégrèvement pour la taxe d'habitation, dont la chronique est inscrite dans le projet de loi de finances : on procède par paliers, 30 % l'année prochaine, 35 % les deux années suivantes, pour parvenir à une exonération totale pour 80 % des Français. Nombre d'entre eux ne paient pas la taxe d'habitation avec la politique d'abattement et d'exonérations pratiquée par les collectivités locales. Nous nous appuyons sur les bases de 2017. Si un élu décidait d'augmenter les taux, ce sera de sa responsabilité à l'égard de ses concitoyens. L'État figera en 2017 ce qu'il remboursera pendant trois ans aux collectivités, en fonction de la dynamique de la population, indépendamment de l'augmentation des taux décidés par les élus locaux.
Je pense avoir relayé le discours du Président de la République lors de la Conférence nationale des territoires en vous invitant à réfléchir au renouveau de la fiscalité locale. Vous le savez bien, la taxe d'habitation est profondément injuste : une secrétaire médicale occupant un logement social dans la commune de Tourcoing paie parfois la même somme qu'un avocat d'affaires qui habite à Neuilly-sur-Seine. Cela témoigne d'une iniquité territoriale.
Aujourd'hui, tout le monde me demande de réformer les valeurs locatives et la DGF. Mais celles-ci n'ont pas été revues depuis les années soixante-dix - cela ne doit donc pas être si facile à faire que cela ! - et cela fait deux fois en cinq ans qu'on essaie de modifier la DGF. Je suis tout à fait prêt à mettre l'administration fiscale en branle en vue d'une revalorisation des valeurs locatives, à la condition que nous mettions d'accord collectivement sur un impôt basé effectivement sur des valeurs locatives. Je souligne simplement que je vais mettre en pratique la revalorisation des valeurs locatives des locaux commerciaux lancée il y a dix ans par Éric Woerth, qui a fait l'objet d'un travail de fourmi extrêmement compliqué. Considérant que les locaux d'habitation sont plus nombreux que les locaux commerciaux et que les expérimentations réalisées dans cinq départements ne peuvent pas être généralisées, posons-nous d'abord la question de la fiscalité locale et de son renouveau - pourquoi pas de sa révolution ? - pour ne pas laisser, dans dix ans, au futur ministre de l'action et des comptes publics la mise en oeuvre du nouveau dispositif !
L'annonce de la suppression de la taxe d'habitation doit, me semble-t-il, nous inviter à réfléchir au renouveau de la fiscalité locale.
Concernant les APL, il n'y aura aucune baisse pour les Français l'année prochaine. Il y aura même une augmentation de pouvoir d'achat du fait sans doute d'une baisse des loyers dans le parc social. Certes, les réalités peuvent être très différentes : certains offices d'HLM sont très bien gérés, tandis que d'autres ne le sont pas. D'après la Cour des comptes, le chiffre d'affaires s'élève aujourd'hui à plus de 20 milliards d'euros, avec un excédent de 3 milliards par an. Dans une entreprise privée, on appellerait cela du bénéfice. De plus, leur capacité d'autofinancement est quasiment de 10 milliards d'euros.
Les rapports montrent bien sûr des fragilités, mais 75 % des offices d'HLM ont la capacité de mettre en oeuvre cette mesure. Une disposition du projet de loi de finances prévoit la baisse des loyers à due concurrence de la baisse des APL que touchent non pas les locataires, mais les offices. Les 18 milliards d'euros que nous consacrons aux APL n'ont pas résolu, tant s'en faut, le problème du logement, puisque, selon la Fondation Abbé Pierre, la France compte toujours 4 millions de mal-logés. Vous aurez cette discussion avec Jacques Mézard et Julien Denormandie mais, au regard de la capacité financière de certains offices, pourquoi ne pas prévoir un système de péréquation ? C'est une possibilité. Si, sans bousculer les finances publiques, vous avez des propositions en la matière, le Gouvernement les examinera. La discussion est certes très compliquée, mais force est de constater que la politique du logement ne fonctionne pas extrêmement bien aujourd'hui.
Concernant les régions, je veux dissiper tout malentendu.
Les régions ont cette difficulté intrinsèque d'avoir des compétences importantes sans avoir de fiscalité propre, hormis la taxe sur les cartes grises et une partie des recettes de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE). Dans le cadre de la fusion et du renforcement de leurs compétences, qu'elles ont souhaité, les régions ont négocié avec l'ancien Gouvernement le remplacement de leurs dotations, alors en baisse, par des recettes calculées sur le point de TVA. Cette idée est, selon moi, extrêmement intelligente, car elle permet d'intéresser les élus à la richesse et de partager les contraintes et les richesses dans les régions. Cela représentera l'année prochaine entre 97 et 130 millions d'euros. Quelle collectivité connaîtrait une telle augmentation de richesses ?
Nous concrétisons cette mesure qui a été adoptée l'année dernière - je sais que le Sénat n'a pas souhaité examiner le projet de loi de finances...
M. Daniel Raoul. - C'est l'atelier mémoire !
M. Gérald Darmanin, ministre. - ...en assurant son financement. Nous acceptons de donner des recettes dynamiques aux régions.
Le Gouvernement d'alors avait prévu de compenser le transfert de charges, si je puis dire, avec une dotation de 450 millions d'euros. Ainsi, 200 millions d'euros ont été inscrits au titre du projet de loi de finances de l'année dernière. Nous tenons les promesses de nos prédécesseurs : dans le projet de loi de finances pour 2018, une dotation de 250 millions d'euros est prévue.
Au final, le Gouvernement précédent avait promis un point de TVA et un rebasage à 450 millions d'euros. Cela n'est pas raisonnable, et conduirait à réduire en contrepartie ces variables d'ajustement au sein des concours financiers. Il reviendrait alors aux départements et aux communes de payer cette dotation. Est-ce la volonté du Parlement ? Nous le verrons. Mais nous remplissons notre part du contrat avec le point de TVA et la contribution de 250 millions d'euros. Les régions verront leur dotation augmenter par rapport à l'année dernière.
Concernant les départements, le fonds d'urgence de 120 millions d'euros était exceptionnel. Ce n'est pas une bonne idée de prévoir un fonds d'urgence pour les aider à surmonter les problèmes qu'ils rencontrent avec le financement du RSA et celui des mineurs étrangers isolés. D'ailleurs, les négociations avec l'ancien Gouvernement avaient achoppé s'agissant du financement du RSA. Le Gouvernement propose un changement de méthode : l'équivalent de ce fonds d'urgence exceptionnel en dépenses pérennes, avec quelque 60 millions d'euros à destination des mineurs isolés et quelque 60 millions d'euros pour l'aide sociale à l'enfance - je n'ai pas les chiffres exacts en tête. Les départements pourront discuter avec le Gouvernement du refinancement, ou non, du RSA et donc de la question de la fiscalité locale et de la politique migratoire.
Il importe vraiment de changer les choses en profondeur. Au niveau national, on enregistre une baisse de 4 % du nombre de bénéficiaires du RSA et une augmentation de 10 % des droits de mutation. Certes, les situations diffèrent d'un département à l'autre, et nous examinerons les cas très particuliers.
S'agissant du Programme d'investissements d'avenir (PIA), il sera inclus dans le Grand plan d'investissement. Il appartiendra au Premier ministre d'en exposer bientôt le fonctionnement exact. Mais sachez d'ores et déjà qu'un budget important est prévu pour les collectivités locales, notamment pour la numérisation.
Je ne reviendrai pas sur le prêt à taux zéro, n'étant pas ministre du logement. J'observe que se pose peut-être un problème d'efficacité de la dépense publique dans les zones C, voire B2, y compris aussi pour le dispositif Pinel, mais vous aurez ce débat avec les ministres concernés.
Enfin, j'ai bien conscience des difficultés que pose la suppression de la réserve parlementaire pour les Français de l'étranger. Le ministre des affaires étrangères a déjà rencontré les députés à ce sujet ; il examinera également cette question avec vous.
Concernant les contentieux fiscaux, nous avons budgétisé 1,5 milliard d'euros, dont 1 milliard pour les anciens contentieux. Cela devrait nous permettre d'être au rendez-vous pour la sincérité du budget que nous avons évoquée.
M. Benjamin Griveaux, secrétaire d'État. - Concernant les Gafa, la France a pris une triple initiative.
À moyen terme, il s'agit de revoir, dans le cadre de l'OCDE, les règles de taxation internationale, en avançant l'idée d'une présence fiscale numérique.
À plus court terme, nous tâchons de compléter l'initiative prise concernant l'assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés (Accis). Une taxe spécifique sur le chiffre d'affaires nous permettrait au niveau européen de mettre en place une contribution plus juste. Une dizaine de pays soutiennent de manière explicite la position française, dont Bruno Le Maire est à l'initiative, et huit autres pays sont également favorables à cette idée, mais de manière moins explicite. Vendredi prochain se tiendra le sommet numérique de Tallinn auquel participera le Président de la République.
Par ailleurs, la Commission européenne devrait faire des propositions d'ici à la fin de l'année ou au début de l'année prochaine. C'est dans ce cadre-là et en fonction de ce calendrier somme toute raisonnable que nous traiterons ce sujet important pour de nombreuses plateformes françaises qui ont fait leurs preuves, tel Le Bon Coin. Il n'est pas normal que la concurrence fiscale soit à ce point démesurée.
Concernant l'innovation de rupture, l'État ne doit pas être soumis à la dictature et à la tyrannie court-termiste des marchés. Il doit retrouver sa capacité à s'extraire de cette immédiateté en proposant des programmes d'investissement - c'est la destruction créatrice de Schumpeter avec les grappes d'innovations technologiques et des révolutions importantes dans le monde de l'innovation. Toutes les grandes innovations américaines de ces dix dernières années sont issues du Defense Advanced Research Projets Agency (DARPA). L'idée est de mettre en place un fonds doté de 10 milliards d'euros, qui crée des revenus compris entre 200 et 300 millions d'euros totalement dédiés à l'innovation dite de rupture, en vue de conjurer l'immédiateté des marchés.
Le dispositif de l'ISF-PME, critiqué dans un rapport de la Cour des comptes de 2015, sera supprimé. Premièrement, le dispositif est coûteux. Deuxièmement, des réserves ont été émises quant au bon fléchage. Troisièmement, les intermédiaires se rémunèrent de manière importante. Au regard de cette triple limite, la sortie des valeurs mobilières de l'impôt sur la fortune immobilière permettrait sans doute de réorienter ces sommes vers nos PME. Il faudra évaluer ce dispositif pour voir s'il fonctionne ou pas.
Sur les micro-entreprises, nous avons prévu le doublement du plafond du chiffre d'affaires pour bénéficier du régime simplifié d'imposition. Cette question a été débattue avec les professionnels, les artisans, les fédérations de commerçants, les professions libérales. Pour être clair, cette mesure ne vise pas spécifiquement les micro-entrepreneurs : entre 5 000 et 7 000 artisans et commerçants en bénéficieront essentiellement. Cela n'accroît en rien la différence de traitement entre les artisans et les micro-entrepreneurs, car on ne touche pas à la franchise de TVA.
Je peux rassurer Éric Bocquet, la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus n'est pas supprimée dans le cadre de la mise en place du prélèvement forfaitaire unique (PFU). Les contribuables ayant des revenus supérieurs à un certain seuil devront continuer à s'acquitter de cette contribution, même s'il s'agit de revenus de capitaux imposés.
J'évoquerai maintenant la question de la bascule du CICE en allégements de charges pérennes. Ceux qui réclamaient encore récemment cette mesure à cor et à cri tombent aujourd'hui dans des déclarations d'amour insensées pour le CICE. Le Gouvernement veut remettre de la lisibilité, de la visibilité et de la stabilité dans nos dispositifs fiscaux. Le crédit d'impôt est susceptible de varier d'une année à l'autre ; il ne crée donc pas un environnement suffisamment stable pour les entreprises. L'idée sous-jacente de l'allégement pérenne de charges est un gain de compétitivité-prix. Le secteur associatif pourra bénéficier de cette mesure, car le mécanisme du crédit d'impôt de taxe sur les salaires (CITS) ne fonctionne pas très bien.
Le rapprochement entre Siemens Mobility et Alstom est, à l'évidence, de nature à créer un champion européen et mondial : numéro deux pour le matériel roulant au niveau mondial et numéro un pour la signalisation. Il fera face au géant chinois CRRC qui s'est constitué en peu de temps, avec un chiffre d'affaires d'un peu moins de 30 milliards d'euros chaque année, mais en croissance de 10 % et qui aurait des vues sur un opérateur européen dont il pourrait prendre le contrôle.
La valorisation entre les deux groupes est quasiment de même ordre en termes de valeur de marché. Des garanties ont été apportées sur la recherche et développement, les sites de production et la gouvernance, avec, très concrètement, une direction française, un siège en France et une cotation à la Bourse de Paris. Il est heureux que cet accord soit intervenu. Un accord entre Siemens-Mobility et le canadien Bombardier aurait placé la société Alstom dans une difficulté bien plus grande.
Pour répondre à la question relative au Brexit, l'ensemble des interlocuteurs que j'ai rencontrés voilà dix jours à Londres s'interrogent sur les conditions de sortie de l'Irlande du Nord, les droits des citoyens européens et les conditions financières qui occupent évidemment le débat avec, parfois, les outrances qu'on connaît outre-Manche. Tant que les conditions de sortie ne sont pas connues, il est assez difficile d'envisager des provisions en termes budgétaires. Un premier rendez-vous sur ce sujet avec les Britanniques doit avoir lieu en octobre. La position de négociation de Michel Barnier est très claire. Les positions du Premier ministre britannique ont en revanche bougé il y a quelques jours encore dans son discours de Florence. Nous attendons donc une stabilisation des positions du Gouvernement britannique.
Enfin, le taux du livret A est fixé à 0,75 % pour les deux prochaines années, avec une modification du mode de calcul qui est en cours. L'idée est là encore d'assurer une stabilité de la rémunération, de la lisibilité, et de baisser les ressources pour le financement du logement social en donnant de la visibilité aux bailleurs sociaux.
Éric Bocquet a évoqué le dogme de la baisse de la dépense publique du Gouvernement. La dette est l'ennemi de l'État, des pouvoirs publics : un État endetté est un État qui n'a pas de marges de manoeuvre, qui ne peut plus mettre en place des stratégies à moyen et de long terme. Ce n'est pas parce que l'on aura moins de riches que l'on aura moins de pauvres.
Certes, nous nous éloignons un peu de la rigueur budgétaire et des chiffres, mais, pour avoir été chargé, pendant un mandat, des questions du RSA dans le département de Saône-et-Loire, je puis vous affirmer que le fait d'envisager la pauvreté sous un angle strictement monétaire est, à mon avis, un mal bien français. La véritable question qui se pose est de savoir si l'on a suffisamment de capitaux publics pour l'éducation, l'accès à la culture, aux transports, les services publics. La conception de la pauvreté s'apprécie en fonction non pas uniquement de l'état de son compte en banque, mais aussi de l'accès aux services publics. C'est cette lutte-là qu'il faut engager. Je ne minimise pas la situation des personnes qui vivent en dessous du seuil de pauvreté dans notre pays, mais je ne crois pas que la réponse à apporter ne soit que monétaire.
M. Gérald Darmanin, ministre. - Permettez-moi d'ajouter un mot sur les Opex. Nous rebudgétisons 200 millions d'euros, et nous le ferons chaque année, en distinguant les Opex et l'opération Sentinelle. Nous attendons de connaître les dépenses exactes des Opex. La question est non pas de chercher des économies, mais d'avoir un budget sincère - la ministre des armées et moi-même y sommes très attachés.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 18 h 25.