- Mercredi 7 décembre 2016
- Dispositifs d'hébergement d'urgence - Contrôle budgétaire - Communication
- Heures supplémentaires dans le second degré - Contrôle budgétaire - Communication
- Conférence interparlementaire sur la gouvernance économique et financière de l'Union européenne, prévue à l'article 13 du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) - Compte rendu
Mercredi 7 décembre 2016
- Présidence de Mme Michèle André, présidente -La réunion est ouverte à 9 h 35.
Dispositifs d'hébergement d'urgence - Contrôle budgétaire - Communication
La commission entend une communication de M. Philippe Dallier, rapporteur spécial, sur les dispositifs d'hébergement d'urgence.
M. Philippe Dallier, rapporteur spécial de la mission « Égalité des territoires et logement ». - Je vous présente aujourd'hui les résultats de mon contrôle sur les dispositifs d'hébergement d'urgence. Pourquoi ce contrôle ? Cela m'a paru logique alors que, depuis des années, je condamne la sous-budgétisation chronique que connaissent le programme 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » et plus spécifiquement le budget consacré à l'hébergement d'urgence et à la veille sociale. J'avais envie de m'intéresser aux conséquences concrètes de cette insincérité budgétaire sur la mise en oeuvre de cette politique publique sur le terrain et alors qu'on nous répétait sans cesse qu'il n'y en avait pas.
L'hébergement d'urgence est par ailleurs soumis à de fortes pressions en termes de demande, sous l'effet principalement de la crise économique mais aussi, plus récemment, de la crise migratoire.
En outre, le Gouvernement s'est engagé depuis 2013 dans différents plans, à savoir le plan de lutte contre la pauvreté et pour l'inclusion sociale du 21 février 2013 et le plan triennal de résorption des nuitées hôtelières lancé en février 2015 pour 2015-2017. Si les objectifs poursuivis ne peuvent qu'être partagés, il m'a paru utile de regarder concrètement les résultats obtenus.
Pour ce contrôle, j'ai procédé à de nombreuses auditions, qu'il s'agisse des administrations concernées ou d'associations gestionnaires de structures d'hébergement. Je me suis déplacé à Marseille, afin de ne pas avoir une vision déformée de la situation globale en me cantonnant à l'Île-de-France, ainsi que dans les locaux du Samu social de Paris et j'ai aussi visité plusieurs centres.
L'essentiel des constats et observations que je souhaite formuler devant vous, et les recommandations qui en découlent, peuvent se résumer sous deux angles. D'une part, l'hébergement d'urgence constitue une politique publique soumise à de fortes tensions qui souffre d'un évident manque de pilotage. D'autre part, malgré une offre du parc d'hébergement en nette progression, le secteur de l'hébergement d'urgence est au bord de l'asphyxie, avec une demande sans cesse en hausse et une sortie des dispositifs qui demeure insuffisante.
Je ne m'étendrai pas trop longtemps sur l'insincérité budgétaire qui marque le programme 177 tant j'ai déjà eu l'occasion d'aborder ce sujet devant vous. Je rappellerai simplement que la dépense consacrée à l'hébergement d'urgence et à la veille sociale a doublé en cinq ans.
De plus, malgré des efforts indéniables de rebasage des crédits initiaux, l'insincérité reste manifeste puisque chaque année, la dotation inscrite en loi de finances initiale est inférieure à l'exécution attendue pour l'année précédente, et parfois de loin. Ainsi, en 2016, 240 millions d'euros supplémentaires doivent être ouverts, soit plus de 15 % des crédits initialement prévus.
En outre, pour 2017, le budget prévu semble enfin à la hauteur, ou presque, de l'exécution attendue pour 2016, même s'il est fort probable que des crédits manqueront encore en cours d'année.
Enfin, la sous-budgétisation, également chronique, des crédits consacrés à l'hébergement des demandeurs d'asile sur le programme 303 « Immigration et asile » de la mission « Immigration, asile et intégration » engendre d'indéniables effets de report sur l'hébergement d'urgence de droit commun. Plus généralement, la hausse du nombre de demandeurs d'asile crée des dépenses supplémentaires sur le budget de l'hébergement d'urgence généraliste, qui couvre à la fois les besoins des demandeurs d'asile avant l'enregistrement de leur demande, le cas échéant lorsqu'ils sont déboutés, mais aussi parfois pendant la procédure en elle-même. Les pressions actuellement constatées sur la procédure de demande d'asile augmenteraient par ailleurs les délais de prise en charge dans l'attente du traitement des dossiers, et malgré les efforts des services concernés, constatés par Roger Karoutchi en tant que rapporteur spécial des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ». En outre, je vous rappelle que c'est aussi le budget de l'hébergement d'urgence généraliste qui finance la création des centres d'accueil et d'orientation (CAO).
Quel est l'impact de cette sous-budgétisation sur l'activité des services déconcentrés et des associations gestionnaires ?
Contrairement à ce que les services des ministères ont tendance à affirmer, il est permis de penser qu'elle complexifie considérablement le travail sur le terrain.
Tout d'abord, les services préfectoraux conduisent cette politique sociale sous tension permanente. Par exemple, en Île-de-France, les crédits permettant de payer les nuitées d'hôtel ont été insuffisants dès le mois d'août cette année.
Plus globalement, l'enveloppe de la direction régionale et interdépartementale de l'hébergement et du logement (Drihl) devrait, en exécution, être supérieure de 50 % par rapport au budget initialement réparti, ce qui correspond à 250 millions d'euros !
Compte tenu de ce manque initial de crédits, les services déconcentrés mènent une politique de court terme, ne pouvant que difficilement prévoir, anticiper et s'engager sur des projets de plus long terme. Certaines structures sont ainsi amenées à fermer des places pour les rouvrir finalement quelque temps après. C'est une politique de « stop and go ».
En outre, les agents des directions régionales et départementales doivent gérer la « pénurie budgétaire », en bougeant des crédits en fonction des besoins les plus urgents et en apportant les justifications nécessaires au niveau central pour qu'une enveloppe supplémentaire leur soit allouée en cours d'année. Ces difficultés de gestion ne doivent pas être négligées, ce n'est pas une situation confortable pour ces services qui ont parallèlement fait l'objet de restructurations importantes, accompagnées de réduction de personnels.
Un budget initial plus sincère assurerait indéniablement une gestion plus efficace de la dépense des services déconcentrés, avec une plus grande capacité de prévision et d'anticipation.
Les associations sont, quant à elles, parfois amenées à couvrir les besoins de financement sur leur trésorerie, dans l'attente des crédits de l'État qui vit alors « à crédit ». Il semblerait que cela n'engendre pas nécessairement de graves difficultés financières pour les structures concernées, notamment pour les plus grosses d'entre elles. Certaines associations sont toutefois amenées à faire des choix difficiles, comme en 2013 à Clermont Ferrand où l'une d'entre elles avait remis à la rue plusieurs centaines de personnes, faute de moyens suffisants pour payer les nuitées d'hôtels et afin de préserver la poursuite de l'activité globale de l'association.
J'ai été également frappé par le fait que la plupart des personnes rencontrées à Paris et à Marseille ont indiqué que, malgré le manque de moyens, l'activité des services déconcentrés et des associations se poursuivait généralement sans changement, puisque ceux-ci tenaient pour acquis que les crédits finiraient par arriver, l'État finissant toujours par payer, même très tard !
En tant que « mauvais payeur », l'État se trouve alors dans une position nécessairement difficile pour contractualiser avec les structures et mettre en place une politique de rationalisation des coûts. L'État est un peu schizophrène.
Conséquence de la sous-budgétisation initiale, les crédits répartis au sein des budgets opérationnels de programme (BOP) sont sous-notifiés sur la quasi-totalité du territoire par rapport à l'exécution constatée l'année précédente. Toutefois, il est assez étonnant de constater que c'est dans certaines régions confrontées à la plus forte demande que le manque de crédits initiaux est le plus criant. Ainsi en est-il notamment de la divergence croissante du poids des crédits de la Drihl entre la répartition initialement opérée (33 % en 2016) et celle finalement constatée en exécution (plus de 42 % selon les prévisions pour la fin de l'année). Dès le début de l'année, plus de 20 % des crédits manquaient pour être à la hauteur des besoins constatés l'année précédente.
Les modalités de territorialisation des crédits amplifient donc les difficultés en Île-de-France, en s'ajoutant à la sous-budgétisation initiale des crédits votés au niveau national. Un rééquilibrage de la répartition des crédits entre les BOP paraît donc indispensable. Cela devrait être facilité en 2017 avec le rebasage opéré dans le projet de loi de finances initiale.
Au-delà de ces aspects budgétaires, le manque de pilotage de cette politique publique interministérielle est globalement patent. Des efforts de coordination entre les ministères concernés sont relevés, mais il n'existe pas véritablement de pilotage interministériel, compétence que la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (Dihal) ne semble pas en mesure de pouvoir exercer complètement.
Surtout, les outils dont disposent les services de l'État pour suivre cette politique publique restent insuffisants, tant s'agissant de la connaissance de l'offre et de la demande sur le territoire, que du manque de rapports et de bilans chiffrés permettant de suivre l'activité des acteurs sur le terrain ainsi que la dépense qui en découle.
Certes, le développement des services intégrés d'accueil et d'orientation (SIAO), le déploiement progressif du système d'information commun aux SIAO (SI-SIAO) et les enquêtes réalisées auprès des structures, comme l'enquête nationale des coûts, devraient permettre d'améliorer la situation. Mais nous n'en sommes qu'au début et les résultats ne sont pas encore satisfaisants alors que nous parlons de ces dispositifs depuis des années.
Par ailleurs, face à la pression de la demande, les gestionnaires parviennent difficilement à s'extraire de la « gestion de l'urgence dans l'urgence », au prix de solutions parfois onéreuses et au risque de « sacrifier » des projets plus qualitatifs. Indépendamment des crédits qui leur sont consacrés, les dispositifs de « logement accompagné » ne peuvent pas toujours être développés faute de temps pour les services déconcentrés et même parfois pour les associations gestionnaires.
De même, le contrôle de la qualité de l'offre d'hébergement d'urgence ne peut pas toujours être assuré convenablement, notamment pour les nuitées d'hôtel. J'y reviendrai.
Autre exemple du manque de pilotage, j'ai été étonné de découvrir que, sur l'ensemble du territoire national, les règles applicables pour gérer les demandes d'hébergement pouvaient varier et conduire à des différences de traitement importantes selon les régions, voire selon les départements.
Ainsi, dans les Bouches-du-Rhône, un dispositif particulièrement contraignant a été mis en place pour limiter le recours aux nuitées d'hôtels à dix par personne et par an. Si quelques exceptions très limitatives sont certes prévues dans le cas des personnes les plus vulnérables, et notamment les femmes enceintes de plus de six mois ainsi que les familles avec des enfants de moins de dix ans, cette réglementation conduit de fait, y compris pour des familles, à des fins de prise en charge sans autre solution et à limiter la demande formulée au 115. En Île-de-France, il serait inenvisageable de mettre en oeuvre une telle pratique, les associations s'y opposeraient instantanément.
Alors que s'impose le principe de l'accueil inconditionnel des personnes en situation de détresse, il est assez étonnant de constater de telles différences de traitement compte tenu d'interprétations variées sur le territoire. Il me semblerait utile d'y remédier.
Compte tenu de la contrainte budgétaire forte et de la demande toujours croissante, il apparaît également que les efforts de l'État à maîtriser les coûts demeurent insuffisants. Ainsi, le coût moyen national des places, par type d'hébergement, continue de progresser, à l'exception toutefois des places en centre d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS).
Certes, des efforts ont été consentis, avec notamment la mise en place de l'enquête nationale des coûts au sein du secteur « Accueil, hébergement et insertion ». Pour autant, cette enquête n'offre pas encore la possibilité de disposer d'informations suffisamment stabilisées pour en tirer des conclusions pertinentes et pour établir des comparaisons sur plusieurs années.
De même, si le conventionnement se développe, avec l'augmentation du nombre de contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens (CPOM) conclus entre l'État et les opérateurs gérant au moins un CHRS, il se limite encore aux structures associatives les plus importantes et ne couvre que partiellement l'hébergement des personnes sans abri ou mal logées.
Surtout, une véritable politique de convergence tarifaire devrait être menée, alors que l'enquête nationale des coûts n'est, jusqu'à présent, destinée qu'à alimenter le dialogue de gestion entre l'État et les structures gestionnaires, aucunement à faire émerger une tarification à la place ou à la personne.
Je considère pour ma part que la convergence tarifaire doit se développer davantage et se généraliser, afin de dégager de nouvelles marges de manoeuvre, tout en tenant compte, bien entendu de certaines spécificités, par exemple la localisation géographique ou encore les prestations assurées.
La convergence tarifaire est possible puisqu'elle a notamment été appliquée pour les CHRS, par exemple par le préfet de la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur qui avait pour objectif d'opérer un rebasage des crédits entre les départements. Les résultats ont été manifestement très concluants.
Ce contrôle a également été l'occasion pour moi de constater que le secteur de l'hébergement d'urgence se trouvait au bord de l'asphyxie, malgré les indéniables efforts réalisés pour développer les dispositifs d'accueil et améliorer l'orientation des personnes sans abri ou mal logées.
Effectivement, le parc généraliste d'hébergement d'urgence a considérablement progressé, avec plus de 30 000 places supplémentaires entre 2012 et 2015, correspondant à une hausse de près de 40 %. Dans le même temps, les dispositifs de « logement adapté » ont également progressé, avec notamment près de 30 % de places supplémentaires en pensions de famille et maisons-relais et surtout trois fois plus de places en intermédiation locative. En outre, les conditions d'accueil se sont sensiblement améliorées dans la continuité du « plan d'humanisation » des centres d'hébergement lancé en 2008.
Si ce bilan mérite d'être salué, il convient toutefois de nuancer ces résultats compte tenu du poids considérable que représente désormais le recours aux nuitées hôtelières. En effet, leur nombre a explosé, passant d'un peu moins de 10 000 places en 2007 à plus de 41 000 en 2016. Surtout, elles ont doublé entre 2012 et aujourd'hui et représentaient près de 35 % des places dans le parc d'hébergement généraliste en 2015.
Le plan triennal de réduction des nuitées hôtelières ne fait que contenir la hausse, en particulier en Île-de-France, mais celle-ci se poursuit tout de même.
15 % de l'offre hôtelière serait déjà occupée par l'hébergement d'urgence en Île-de-France, et si le nombre de places n'augmente plus autant qu'auparavant dans cette région, ce n'est pas forcément sous l'effet du plan de réduction mais bien davantage car l'offre à bas prix s'y trouverait complètement saturée !
Or, l'hébergement à l'hôtel n'est pas satisfaisant, à plusieurs égards. Tout d'abord et avant tout, les prestations généralement offertes ne permettent pas d'assurer des conditions d'accueil et de prise en charge aussi bonnes que dans des centres d'hébergement d'urgence. Ensuite, le confort des chambres est loin d'être garanti et les possibilités offertes pour cuisiner sont souvent limitées, restreignant les capacités pour les familles de s'alimenter convenablement. L'accompagnement social est, par ailleurs, généralement très insuffisant comparé à ce qui est proposé dans les structures.
Ces limites au recours à l'hôtel sont d'autant plus dommageables que des familles y sont principalement hébergées, la moitié des places étant occupées en Île-de-France par des enfants.
En outre, un véritablement marché s'est créé sur l'hôtellerie à bas prix, tant pour les hôteliers qui se spécialisent dans l'hébergement d'urgence que pour les intermédiaires qui, jouant le rôle de réservataires, interviennent encore en Île-de-France pour environ 40 % des nuitées.
L'État étant dans l'incapacité de supprimer le recours aux nuitées hôtelières, il est indispensable qu'au-delà du développement de dispositifs alternatifs, la pratique soit davantage encadrée. Dans la mesure du possible, le respect des règles de la commande publique devrait être assuré, afin d'établir une véritable procédure de sélection dans le cadre d'une mise en concurrence. Cela n'est pas toujours aisé car les hôteliers n'ont pas nécessairement les compétences pour répondre aux marchés. Certains s'interrogent aussi sur l'utilité de procéder à une mise en concurrence dès lors que la quasi-totalité des places disponibles est déjà réservée mais au moins, cela permet d'établir un cahier des charges.
Il est également indispensable de généraliser le respect d'une charte de qualité des prestations par les hôteliers, à partir de laquelle des contrôles seraient régulièrement effectués et devraient conduire à des pénalités financières en cas de manquement avéré. En outre, l'accompagnement social dans les hôtels doit être renforcé.
Je suis également favorable au projet de rachats d'hôtels à bas prix porté par la Société nationale immobilière (SNI) et Adoma, avec le financement d'investisseurs privés et prenant la forme de résidences hôtelières à vocation sociale.
Cette solution innovante mérite d'être soutenue et j'espère que les appels d'offres lancés par le ministère du logement et le ministère de l'intérieur, chacun pour l'ouverture de 5 000 places supplémentaires, seront l'occasion de concrétiser ce projet. Bien entendu, d'autres opérateurs pourraient être amenés à être retenus pour certains lots.
Le développement des services intégrés d'accueil et d'orientation uniques dans chaque département (SIAO uniques) a également permis de mieux orienter la demande vers les places disponibles et d'améliorer globalement la fluidité des parcours. 75 % des départements disposeraient désormais d'un SIAO unique, les efforts doivent se poursuivre en ce sens.
Malgré l'offre d'hébergement qui progresse, l'État se trouve confronté à des dispositifs complètement saturés, la plupart des acteurs rencontrés ayant décrit un système « embolisé », ne parvenant pas à répondre à une demande toujours plus importante, d'autant que notre pays doit faire face à une crise migratoire importante.
Ainsi, s'agissant du 115 de Paris, 70 % des appels n'ont pas abouti en 2015 et 25 % des appels traités ont conduit à des demandes non pourvues avec, chaque nuit, des personnes isolées mais aussi des familles restant sans solution.
Une sélection opérée entre les personnes susceptibles d'être hébergées dans certaines structures serait également constatée de même qu'une concurrence entre les différents publics devant être hébergés ne serait pas non plus à exclure, même si, dans le cadre du traitement spécifique de la crise migratoire, il serait très rare que des dispositifs généralistes soient réquisitionnés pour y héberger des migrants.
L'asphyxie des dispositifs d'hébergement d'urgence tient également au nombre important de personnes qui se trouvent dans des situations administratives complexes, en particulier les personnes ni expulsables, ni régularisables, dites les « ni ni ». Ils pourraient ainsi représenter de très fortes proportions dans les structures d'hébergement d'urgence ainsi que dans les hôtels où les solutions de sortie pour les familles concernées s'avèrent généralement longues et difficiles.
L'offre disponible ne correspond pas non plus nécessairement aux besoins constatés. Ainsi, il semble qu'un nombre encore trop peu important de centres permette d'accueillir des familles, alors que, depuis 2010, il y a davantage de personnes hébergées en famille depuis le 115 de Paris que de personnes seules.
De même, des solutions doivent être prévues pour des publics spécifiquement ciblés, à l'instar des femmes victimes de violence mais aussi des personnes en sortie de soins psychiatriques.
Pour que l'offre soit mieux adaptée, mais aussi qu'un meilleur pilotage de l'offre d'hébergement d'urgence soit assuré, le déploiement du système d'information des SIAO, le SI-SIAO, est indispensable. Tandis que son module « Insertion » serait utilisé dans 49 départements et globalement bien accepté, même s'il a pu créer des difficultés de mise en place, le module « urgence » devrait être opérationnel au début de l'année 2017 pour être ensuite déployé sur l'ensemble du territoire.
Certaines structures restent réticentes, notamment lorsqu'elles disposent déjà d'un logiciel qui leur paraît satisfaisant. Pour autant, afin de permettre à l'État de mieux connaître l'offre et la demande sur l'ensemble du territoire, de disposer de statistiques harmonisées et fiables, et donc d'améliorer, encore une fois, le pilotage de cette politique publique, l'ensemble des SIAO doivent passer, à terme, au SI-SIAO. Des mesures spécifiques et des délais supplémentaires devront probablement être prévus dans certains cas, en particulier pour les SIAO parisiens et plus spécifiquement le Samu social de Paris.
Afin d'améliorer le taux de rotation sur les places d'hébergement d'urgence et de remédier à la saturation des dispositifs, les efforts doivent se concentrer sur la « sortie » des dispositifs et non uniquement sur l'entrée. Ainsi, le développement de l'intermédiation locative, dispositif par ailleurs peu onéreux par rapport à des places en structures d'hébergement, doit être encouragé, y compris par des services déconcentrés qui n'en ont parfois pas l'habitude. Dans les régions les plus tendues, le parc privé doit être davantage mobilisé, alors que la Drihl souligne notamment la pénurie de logements proposés face au succès des dispositifs « Louez solidaire » à Paris et de « Solibail » pour le reste de l'Île-de-France.
Pour cela, il conviendrait probablement de relancer, comme cela a été le cas récemment, une nouvelle campagne de sensibilisation, peut-être aussi à destination des agences immobilières qui pourraient faire le relais vers les bailleurs figurant dans leur clientèle.
Les avantages accordés aux propriétaires pourraient également être renforcés. L'an dernier, afin de lutter contre la vacance de logements privés, le groupe de travail sur le financement et la fiscalité du logement, constitué au sein de la commission des finances et dont j'étais membre, a estimé que l'avantage fiscal applicable dans le cadre du dispositif d'incitation à la location de logements dans l'ancien, dit « Borloo ancien », pourrait être amélioré. Cette préconisation reste d'actualité, non seulement pour l'intermédiation locative mais aussi pour favoriser le développement d'une offre de logement social et très social dans le parc privé. D'ailleurs, selon les annonces du ministère du logement, une mesure allant dans ce sens devrait être présentée dans le projet de loi de finances rectificative pour 2016.
Enfin, toujours dans l'esprit de favoriser l'accès au logement pérenne à ceux qui en ont la possibilité, les efforts de développement de l'offre de logement social doivent se poursuivre. Au-delà du nombre de logements construits et de leur localisation, il convient de s'intéresser à leur typologie car les plus fortes tensions s'exercent prioritairement sur les logements de 1 ou 2 pièces. Or, ce sont exactement ces types de logements qui permettent de libérer des places d'hébergement d'urgence occupées par des personnes isolées...
Tels sont les constats et les recommandations que je souhaitais formuler devant vous s'agissant des dispositifs d'hébergement d'urgence.
Mme Michèle André, présidente. - Le contrôle budgétaire qui vient de nous être présenté revêt un intérêt tout particulier. Il rappelle la nécessité de l'engagement et de la coopération de l'ensemble des acteurs participant à la mise en oeuvre de la politique de l'hébergement d'urgence. À cet égard, je souhaiterais, ce matin, évoquer devant vous mon expérience clermontoise à partir de l'exemple malheureux auquel le rapporteur spécial vient de faire référence. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, Marguerite-Marie Michelin a créé, à son retour du camp de Ravensbrück, l'Association nationale d'entraide féminine (ANEF), dont la vocation initiale était de venir en aide aux jeunes filles et femmes en grande difficulté, en particulier aux prostituées. L'objet social de l'association a été progressivement étendu à la lutte contre toutes les formes d'exclusion, en même temps que celle-ci voyait sa taille croître. Toutefois, il y a quelques années, la pérennité de cette entité a été menacée. Par méconnaissance des réalités inhérentes au secteur d'intervention de l'ANEF, la direction départementale chargée de la cohésion sociale - qui avait remplacé l'ancienne direction départementale des affaires sanitaires et sociales (DDASS) au début de la décennie 2010 dans le cadre de la réorganisation de l'administration territoriale de l'État (RéATE) - n'a pas su appréhender les besoins financiers de l'association, qui s'est trouvée en grande difficulté.
Certes, à quelque chose malheur est bon puisque l'embarras de l'ANEF l'a amenée à réexaminer l'ensemble de ses modes d'intervention, en particulier en matière d'hébergement et de logement, et à développer des solutions nouvelles. Pour autant, cet exemple met en évidence l'absolue nécessité, pour la bonne mise en oeuvre de la politique de l'hébergement d'urgence, du plein engagement de l'ensemble des acteurs concernés.
M. Jean-Marie Morisset, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. - Je partage tant les analyses, que le diagnostic et les préconisations formulées par Philippe Dallier. Il est indubitable que les sous-budgétisations en matière d'hébergement d'urgence ont, jusqu'à présent, grandement affecté les opérateurs - soit essentiellement des associations. Ces derniers, dans l'incapacité de prévoir quand leur seraient versées leurs dotations ont été contraints de solliciter leur trésorerie ou de mobiliser des lignes de crédit afin faire face à leurs dépenses de fonctionnement. D'autant que les besoins financiers ont crû : dans un département rural comme les Deux-Sèvres, l'enveloppe consacrée au paiement des nuitées hôtelières est passée de 40 000 euros à 200 000 euros ! Il n'est, aujourd'hui, plus possible de faire face à l'ensemble des demandes d'hébergement d'urgence : les dispositifs d'entrée sont saturés. Ce constat nous a été confirmé par le directeur régional et interdépartemental de l'hébergement et du logement (Drihl) d'Île-de-France, Jean-Martin Delorme.
Toutefois, à mon sens, d'autres facteurs contribuent à « compliquer » la mise en oeuvre de la politique de l'hébergement d'urgence. Tout d'abord, l'adjonction perpétuelle de dispositifs nouveaux en ce domaine, à l'exemple des centres d'accueil et d'orientation (CAO) d'autant que les budgets arrivent en retard, contribue à la désorganisation des acteurs. Ensuite, la mise en place de grandes régions a conduit à une centralisation accrue des crédits dédiés et réduit l'efficacité de la délégation de ces derniers au niveau départemental ; aussi certains départements ont-ils à souffrir d'une diminution des crédits consacrés à l'hébergement d'urgence, mais aussi des personnels chargés de la mise en oeuvre de cette politique localement.
Enfin, les dispositifs de sortie vers le logement - comme l'intermédiation locative, le logement adapté, les maisons relais, etc. - n'évoluent pas non plus avec les besoins. Pourtant, dans le projet de loi de finances pour 2017, les crédits consacrés à l'hébergement d'urgence augmentent de 40 %, alors que ceux dédiés aux centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) et au logement adapté croissent de manière bien plus limitée. Par ailleurs, le dispositif de sortie idéal, à savoir le logement social, est également doté de moyens insuffisants dans nos départements.
M. Claude Raynal. - Les difficultés rencontrées dans l'hébergement d'urgence sont désormais connues de tous. Aussi souhaiterais-je saluer le travail réalisé par Philippe Dallier. Cependant, si d'importantes sous-budgétisations ont pu être constatées par le passé en ce domaine, j'ose espérer que cette situation est désormais derrière nous. L'ajustement budgétaire opéré, sous la forme d'un « rebasage », dans le cadre du projet de loi de finances pour 2017, devrait conduire à ce que, si sous-budgétisation il y a au cours du prochain exercice, celle-ci soit très limitée.
Le rapporteur spécial a insisté sur la nécessité de renforcer le pilotage interministériel en matière d'hébergement d'urgence. Il s'agit là d'une problématique que l'on retrouve de manière récurrente, sur des sujets très divers ; pour autant, les améliorations envisageables en ce domaine connaissent, en pratique, des contraintes.
Il a été indiqué que l'offre hôtelière « bas de gamme » était désormais saturée par l'hébergement d'urgence. Toutefois, il s'agit d'un phénomène plus général. Les résidences hôtelières qui ont été développées dans nos communes et offraient des prestations de plutôt bonne qualité étaient originellement dédiées à l'accueil, par exemple, de professionnels en déplacement pour des périodes plus ou moins longues. Elles sont dorénavant largement consacrées à ce type d'hébergement d'urgence qui devient un véritable « business ». Mais cela interroge : comment les tarifs sont-ils définis, quels contrôles sont pratiqués ?
Enfin, je relève que Philippe Dallier a souligné le manque de personnels dans les structures déconcentrées en charge de l'hébergement d'urgence. Nous verrons comment cette situation évoluera dans les mois qui viennent !
Mme Marie-France Beaufils. - Nous avions déjà évoqué ces questions en compagnie du rapporteur spécial dans le cadre des travaux du groupe de travail sur le financement et la fiscalité du logement. Le rapport rappelle les difficultés du sujet.
Toutefois, vous n'avez pas évoqué la situation des personnes faisant suite à une expulsion. Or une part importante de l'hébergement d'urgence est liée à des expulsions, souvent en raison d'impayés de loyers, là où aucune réponse n'a pu être trouvée en amont. Ces personnes se retrouvent dehors et hébergées dans des conditions particulières, inadaptées à leur situation. Savez-vous quelle est la proportion de personnes expulsées de leur logement et placées en hébergement d'urgence faute de réponse adaptée ?
La sous-budgétisation est permanente pour ces crédits : je la connais depuis de très nombreuses années. Elle s'est poursuivie quel que soit le Gouvernement malheureusement.
Je partage les inquiétudes exprimées s'agissant de la situation des structures associatives. Elles connaissent régulièrement des passages très difficiles, alors même qu'elles apportent les réponses sur le terrain. Ne pourrait-on pas obtenir une modulation de la dotation annuelle, majorant les versements en début d'année, afin de leur permettre de constituer une trésorerie, voire de solliciter un soutien au secteur bancaire en parallèle ? Cette pratique existe déjà pour certaines associations sportives ou culturelles par exemple.
Enfin, concernant l'hôtellerie, la situation est catastrophique : il n'est parfois même plus possible de parler d'hôtels. Le problème tient aussi à la capacité des élus, avec les services déconcentrés, de vérifier la qualité des hébergements. La situation est compliquée car s'il faut fermer certains établissements, on ne dispose pas des places nécessaires pour les personnes qui y sont actuellement hébergées.
Il faut donc se donner les moyens de réhabiliter les structures existantes ou développer des capacités d'accueil différentes. En Indre-et-Loire par exemple, ce sont les structures associatives qui gèrent des logements au sein du parc social, ce qui donne des résultats très satisfaisants. Cette réponse mériterait d'être étendue, car elle permet notamment d'avoir des logements bien adaptés, pouvant accueillir des familles. Toutefois, il faut que les structures associatives disposent du personnel suffisant pour pouvoir les accompagner.
M. Michel Canevet. - Je remercie le rapporteur spécial pour son diagnostic et ses propositions. Je partage beaucoup des propositions qui ont été faites.
J'ai deux questions. D'une part, la proportion de 40 % des places en Île-de-France passant par des intermédiaires m'interroge. Ces intermédiaires font-il également de l'accompagnement social ou ont-ils uniquement un rôle d'intermédiaire dans la recherche de nuitées d'hôtels ? Leur intervention et leur rémunération ne peuvent être comprises que si leur rôle s'étend à l'accompagnement social.
D'autre part, la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain (SRU) a imposé des quotas relatifs au nombre de logements sociaux dans les communes. Pourquoi ne pas s'appuyer davantage sur le logement social pour proposer des solutions d'hébergement d'urgence ?
M. Éric Bocquet. - Je souhaitais également obtenir des précisions sur les intermédiaires. Qui sont-ils ? Peut-on contrôler ce « trafic » ?
M. Francis Delattre. - Le flux est effectivement alimenté par les gens expulsés de leur logement. L'étude individuelle des dossiers montre que des personnes de bonne foi sont expulsées à la suite d'un accident de la vie.
Le dialogue qui s'établit entre les services sociaux des mairies et la préfecture est de plus ou moins bonne qualité, et se heurte in fine à l'idée que l'État est responsable s'il n'expulse pas en cas de loyers impayés. La situation est donc à la fois rigide et contradictoire, car il faudrait rechercher une réponse sociale avant d'en venir à l'expulsion. Je considère qu'il y a un problème social que l'on devrait tenter de résoudre par le dialogue pour ces personnes de bonne foi, plutôt que d'appliquer la solution générale de l'expulsion. L'expulsion est une solution facile à court terme : les personnes expulsées viennent dans le hall de la mairie, mais jamais à la préfecture. Nous sommes la dernière lumière qui reste allumée - telles sont les mairies !
Par ailleurs, concernant l'hébergement en nuitées d'hôtels, il y a dans ma ville un établissement qui a été progressivement transformé pour accueillir des personnes en hébergement d'urgence. Un problème rarement évoqué est celui du coût entraîné pour les collectivités territoriales, avec la scolarisation et la restauration collective pour les enfants. Les personnes hébergées en urgence ne rentrent ni dans les critères de population, ni dans les calculs de la loi SRU. Ces résidences sociales doivent au moins être prises en compte pour la détermination des moyens alloués aux collectivités territoriales !
M. Philippe Dallier. - Concernant la nature interministérielle de la politique et la question de son pilotage, Claude Raynal a raison : c'est vrai qu'un certain nombre de sujets se prêtent à ces critiques.
Mais, s'agissant du problème de l'offre et de la demande que plusieurs d'entre vous ont évoqué, ce qui me désole, c'est qu'il n'est pas nouveau : depuis dix ans, nous savons bien qu'il y a là matière à amélioration. Lors d'un hiver particulièrement rigoureux, une personne est morte de froid dans la rue et le ministre avait alors indiqué qu'il y avait pourtant des places disponibles en hébergement d'urgence !
Et pourtant, aujourd'hui, nous ne sommes pas encore parvenus à résoudre ce problème, les choses avancent doucement. C'est un peu désespérant... Je ne parviens pas à comprendre que, dans un pays comme la France, nous ne soyons pas capables de nous doter d'outils informatiques efficaces et rapidement déployables.
Des contraintes budgétaires lourdes pèsent tant sur l'État que sur les collectivités territoriales et les effectifs dans les services déconcentrés ne vont sans doute réaugmenter : raison de plus pour s'organiser et se doter d'outils qui permettent de piloter efficacement les moyens dont on dispose.
Or, que constatons-nous ? Les services intégrés d'accueil et d'orientation, les SIAO, ne sont pas encore généralisés, les systèmes d'informations qui leur sont liés (SI-SIAO) non plus.
Combien de temps faudra-t-il encore ? Il devrait être possible de s'organiser mieux et plus vite. Malheureusement, ce n'est pas encore le cas...
S'agissant des expulsions, nous ne disposons pas de chiffres détaillés. Nous avons déjà souvent débattu ici de la prévention des expulsions : d'un côté, le propriétaire souhaite que son loyer soit payé, le préfet qui prend le relais finit par consulter le maire - du moins, c'est le cas en Seine-Saint-Denis -, et finit par prendre la décision d'expulser : il est vrai que les personnes expulsées se tournent souvent vers la mairie, comme Francis Delattre l'a souligné. Mais d'un autre côté, serait-il vraiment pertinent de maintenir des personnes dans un logement dont elles ne paient plus le loyer ? C'est aussi une décision qui n'est pas sans conséquence. Je n'ai pas de « solution miracle » à proposer sur ce point...
Marie-France Beaufils émettait le voeu que les associations ne soient plus soumises à ces contraintes budgétaires liées à la lenteur du déblocage des crédits de l'État. Oui, les conséquences sont réelles sur le terrain, contrairement aux affirmations des ministères. En 2017, le « rebasage » des crédits devrait permettre d'améliorer la situation. Cependant, une budgétisation initiale sincère ne fait pas tout : il faut également engager une réflexion sur la bonne territorialisation des crédits. Aujourd'hui, la répartition entre régions ne tient pas suffisamment compte de l'évolution des besoins territoire par territoire, ce qui donne toujours lieu en fin d'année à des abondements assez importants pour la région Île-de-France, qui connaît une sous-budgétisation encore plus importante que d'autres régions.
Michel Canevet m'a interrogé sur les réservataires, c'est-à-dire les intermédiaires permettant parfois de trouver des chambres d'hôtel : ces intermédiaires ne travaillent pas dans l'accompagnement social. Il ne s'agit pas de « voyous » qui profiteraient d'un manque d'organisation de l'État mais, puisque les pouvoirs publics manquent d'outils en matière de connaissance de l'offre et qu'il faut trouver des logements, des intermédiaires assurent ce service et se font rémunérer à ce titre. C'est regrettable... Mais encore une fois, le problème fondamental est celui du pilotage et de la connaissance de l'offre et de la demande.
Michel Canevet parlait du rôle des bailleurs sociaux. Pour permettre la sortie de l'hébergement d'urgence, il est en effet nécessaire de disposer de logements sociaux. Il faudrait sans doute mieux réfléchir à la typologie des appartements que l'on construit en fonction du territoire. C'est souvent avec les bailleurs sociaux que l'on travaille également pour le développement de dispositifs du type « maisons-relais ». Leur rôle est tout à fait déterminant.
La commission donne acte de sa communication à M. Philippe Dallier, rapporteur spécial, et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information.
Heures supplémentaires dans le second degré - Contrôle budgétaire - Communication
La commission entend ensuite une communication de M. Gérard Longuet, rapporteur spécial, sur les heures supplémentaires dans le second degré de l'éducation nationale.
M. Gérard Longuet, rapporteur spécial de la mission « Enseignement scolaire ». - Le contrôle budgétaire que j'ai réalisé part d'une interrogation : les heures supplémentaires dans le second degré de l'éducation nationale, qui représentent une dépense de plus d'un milliard d'euros chaque année, permettent-elles d'ajuster les moyens à la réalité des besoins d'enseignement ?
En effet, depuis 2007, deux politiques des effectifs différentes ont été mises en oeuvre. Je me suis donc demandé si la baisse des effectifs entre 2007 et 2012 s'était traduite par une augmentation des heures supplémentaires et, à l'inverse, si les 54 000 postes créés par l'actuel Gouvernement se sont accompagnés d'une diminution du volume des heures supplémentaires.
La réponse peut sembler simple, elle est en réalité très complexe. Les heures supplémentaires ont effectivement augmenté entre 2007 et 2012, mais elles ont continué de progresser depuis. Cette logique inflationniste pose deux problèmes : d'une part, celui du coût pour nos finances publiques et, d'autre part, elle montre que l'organisation du temps de travail des enseignants est mal adaptée aux exigences de l'année scolaire.
L'activité des enseignants est actuellement encadrée par un décret du 20 août 2014. Celui-ci a remplacé des textes remontant à 1950, c'est-à-dire à une époque où l'enseignement secondaire, qui conduit au baccalauréat, ne concernait que 5 % d'une génération, contre 75 % aujourd'hui.
Pendant soixante-quatre ans, cette base juridique n'a pas ou peu évolué alors que les effectifs ont été multipliés par quinze et que l'offre scolaire n'a jamais aussi riche, diversifiée et inventive.
Or le décret de 2014 ne remet pas fondamentalement en cause les dispositions du décret de 1950. Les obligations règlementaires de service des enseignants demeurent fixées sur une base hebdomadaire dans le cadre d'une année scolaire se répartissant, selon le code de l'éducation, en trente-six semaines.
Par ailleurs, les obligations règlementaires de service ne restituent pas la réalité des heures de face-à-face pédagogique effectivement réalisées. Le décret de 1950 prévoyait ainsi l'existence de décharges telles que l'heure de première chaire, l'heure de laboratoire ou de cabinet d'histoire et de géographie. Dans un rapport de 2013, la Cour des comptes estimait qu'entre 1985 et 2006, une fois déduites les différentes minorations de service, le nombre d'heures d'enseignement effectives passait de 18,9 heures à 17,3 heures, soit une baisse de 8,4 %. Cela n'est pas marginal et représente près de 40 000 emplois.
Or ces décharges ont été remplacées par des pondérations par le décret du 20 août 2014. Dans l'éducation nationale, les heures n'ont pas toutes soixante minutes. Par exemple, les heures d'enseignement effectuées dans l'éducation prioritaire sont décomptées à hauteur d'1,1 heure.
Le système actuel souffre donc d'importantes rigidités alors que l'année scolaire n'est pas un long fleuve tranquille. À titre d'exemple, dans les établissements centres d'examen, la fin d'année est amputée du fait de l'organisation des épreuves du brevet ou du baccalauréat. Or les heures de cours perdues ne peuvent pas être rattrapées en cours d'année du fait des plafonds horaires. De même, on constate que le taux de remplacement des absences de courte durée est très faible, de l'ordre 36 %, soit un gros tiers, alors que des capacités pourraient être mobilisées s'il y avait une forme d'annualisation du temps de travail.
Cette rigidité de l'offre est donc pénalisante pour les élèves.
Les chefs d'établissement sont, à cet égard, remarquables, puisqu'ils parviennent à « jongler » avec les moyens à leur disposition afin de prendre en compte les besoins de remplacement, les effectifs des classes, etc. De même, les enseignants sont parfois tenus de réaliser leur service sur deux ou trois établissements.
Au total, les heures supplémentaires constituent donc un facteur de souplesse absolument indispensable, plus qu'un moyen de compenser un manque d'effectifs.
Elles permettent en particulier de faire face aux rigidités du régime horaire des enseignants que je viens d'évoquer, mais aussi de l'offre scolaire. De ce point de vue, en tant qu'élus locaux, nous sommes responsables et complices de ce foisonnement de l'offre scolaire, qui nous éloigne de l'optimisation des moyens d'enseignement.
En moyenne, les enseignants ont effectué 1,5 heure supplémentaire année (HSA) par semaine. Ce niveau atteint en 2014 est le plus élevé depuis ces vingt dernières années. Le fait d'effectuer des heures supplémentaires est fortement corrélé à l'âge - les enseignants plus âgés font davantage d'heures supplémentaires que leurs collègues plus jeunes - à la catégorie d'appartenance - les agrégés en effectuent plus que les certifiés - et au niveau d'enseignement.
Les heures supplémentaires représentent donc un complément de revenu significatif pour les enseignants. La rémunération moyenne représentée par les heures supplémentaires varie entre 1 600 euros et 23 000 euros selon la catégorie d'appartenance. Elles permettent donc de compenser la faiblesse des rémunérations.
Les études réalisées par l'OCDE montrent que cette situation affecte notamment les jeunes enseignants. Dans le premier cycle du second degré, la rémunération moyenne des enseignants dont l'âge est compris entre 25 ans et 34 ans est inférieure de 2,42 % à la moyenne de l'OCDE, alors qu'elle ne lui est supérieure que d'un quart de point en fin de carrière. La situation est la même pour le second cycle du secondaire, les jeunes enseignants étant moins bien payés que leurs homologues de l'OCDE et ne rattrapant d'ailleurs pas totalement cet écart par la suite.
Lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2017, j'ai rappelé que la mise en oeuvre du protocole « Parcours professionnels, carrières et rémunérations », qui se traduira par un coût de l'ordre de 787 millions d'euros, bénéficiera essentiellement à la fin de carrière. Cela permettra de rattraper l'écart constaté s'agissant de la fin de carrière dans le second cycle du secondaire, mais n'aura aucun effet en matière d'attractivité du métier d'enseignant.
Les heures supplémentaires - dont les enveloppes sont d'ailleurs notifiées assez tardivement aux chefs d'établissement - permettent donc à ces derniers d'ajuster, dans la mesure du possible, les moyens d'enseignement aux besoins, et aux enseignants de bénéficier de compléments de rémunération significatifs. Les enseignants appréciaient d'ailleurs les allègements de fiscalité décidés à l'été 2007.
Au total, la question centrale est donc bien celle du temps de travail. Or on constate que le temps de travail statutaire des enseignants français est inférieur en moyenne à celui des autres pays de l'OCDE. Le temps de travail effectif total des enseignants est pour sa part, dans une large mesure, méconnu.
Le décret du 20 août 2014 a reconnu l'ensemble des missions des enseignants - préparation des cours, correction des copies, travail collectif dans l'établissement entre enseignants et avec les parents d'élèves - au-delà du face-à-face pédagogique. Il s'agit d'une évolution bienvenue et correspond mieux à la réalité du métier.
Les enseignants considèrent que leur profession nécessite une certaine marge d'autonomie. Je n'irais pas jusqu'à dire que l'enseignant exerce une profession libérale, mais, dans sa classe et en dehors, il considère qu'un peu de liberté ne nuit pas.
Ma première proposition consiste à améliorer la connaissance de l'ensemble des moyens d'enseignement et de leurs déterminants, en particulier à travers les documents budgétaires, dont je propose qu'ils retracent de manière synthétique, au niveau de la mission, l'ensemble des moyens d'enseignements et justifient les évolutions proposées. Il conviendrait en outre de mieux appréhender, le cas échéant à partir de mesures statistiques, le temps de travail qui ne relève pas du face-à-face pédagogique. Tant que ce sujet ne sera pas traité, nous n'aurons qu'une vision partielle du travail de l'enseignant français.
Le deuxième axe est plus complexe. Il consiste à annualiser le temps de travail des enseignants. Il pourrait être envisagé de « forfaitiser » le volume maximum d'heures pouvant être effectuées au-delà des obligations de service. Chaque heure d'enseignement serait pondérée par un coefficient 2, afin de prendre en compte le temps consacré à la préparation des cours et à la correction des copies. Le chef d'établissement aurait alors à sa disposition un volume d'heures dans lequel il pourrait « puiser » pour gérer avec plus de souplesse les besoins qui apparaissent en cours d'année. Cela suppose que le chef d'établissement puisse rationaliser l'offre scolaire, avec le soutien du rectorat et à partir de consignes ministérielles, en augmentant la taille moyenne des classes, qui est très faible, notamment dans le secondaire et, en particulier, dans l'enseignement professionnel et technologique. Cette situation aboutit à un renchérissement du secondaire français par rapport à des pays comparables tels que l'Allemagne et le Royaume-Uni.
Le troisième axe consiste à se poser la question de l'augmentation des obligations règlementaires de service. Le code de l'éducation répartit l'année scolaire en trente-six semaines, ce qui est peu. Cela correspond à 180 jours, auxquels il faut retirer les fêtes religieuses, qui dans notre République laïque sont sacrées, religieusement respectées et parfois enrichies de « ponts ». Pour aligner le temps d'enseignement sur celui de pays comparables, il conviendrait d'augmenter les obligations de service des enseignants de deux heures par semaine, pour arriver à un plafond de 720 heures pour les certifiés et de 612 heures pour les agrégés.
S'agissant de la différence de temps de travail entre les agrégés et les certifiés, il me semble qu'il conviendrait de rapprocher leurs obligations de service. Si l'égalitarisme n'est pas ma culture, je m'interroge cependant sur la légitimité des écarts existants. Si, dans les classes préparatoires aux grandes écoles, les agrégés, comme les certifiés, assument des enseignements de haut niveau, qui sont plus mobilisateurs en temps, et doivent donc bénéficier d'un régime horaire spécifique, il me semble que la diversité des horaires devrait dépendre des missions plutôt que des concours d'origine. Imagine-t-on que les administrateurs civils soient assujettis à des horaires différents selon qu'ils sont issus de l'école nationale d'administration ou de la promotion interne ? La réponse est évidemment négative. Il en va de même pour les officiers issus de Saint-Cyr et ceux issus du rang.
Il me semble également nécessaire de réserver le bénéfice de la pondération aux seuls enseignants assurant au moins six heures de cours dans une discipline obligatoire au baccalauréat ou faisant l'objet d'une épreuve obligatoire suivie par anticipation à la fin de la première.
J'ajoute enfin que nous n'échapperons pas, à plus long terme, à une réflexion sur les rémunérations, notamment en début de carrière. Le retard est important s'agissant du premier cycle, il est également significatif dans le secondaire. Nous ne rendrons ces métiers attractifs que si nous nous attaquons à la question de la rémunération. Le budget pour 2017 prévoit un effort dans le premier degré, qui est cependant dilué par la mise en oeuvre du protocole « Parcours professionnels, carrières et rémunérations ». Il me semble important de s'intéresser aussi au secondaire et notamment au début de carrière.
Il y a là une matière de nature à stimuler le prochain directeur du cabinet du prochain ministre de l'éducation nationale, qui acceptera de prendre le risque de ne pas être populaire.
Mme Michèle André, présidente. - On voit que vous avez une expérience de ministre !
M. Gérard Longuet. - À hauts effectifs !
M. Marc Laménie. - Dispose-t-on d'une répartition des heures supplémentaires en fonction des disciplines ? La grille salariale des jeunes professeurs qui débutent est effectivement faible par rapport au nombre d'années d'études et il faut un certain nombre d'années pour qu'ils bénéficient d'un salaire honorable.
M. Daniel Raoul. - Je vous remercie de soulever cette question des heures supplémentaires dans le second degré. J'aurais aimé, en plus des comparaisons que vous avez mentionnées, que soit étudiée l'évolution du nombre d'élèves dans le temps, qui justifie peut-être partiellement l'augmentation des heures supplémentaires. De même s'agissant de la mise en place d'un cycle de formation des jeunes enseignants, qui conduit à ce que les personnes récemment recrutées ne soient pas immédiatement opérationnelles.
Peut-être faudrait-il cibler ces heures supplémentaires plus spécifiquement sur certaines classes, telles que les classes préparatoires aux grandes écoles et les sections de technicien supérieur, où l'implication des enseignants y est différente.
Je n'accepte pas qu'un agrégé, en classe de sixième, soit astreint à 15 heures devant une classe, et un certifié à 18 heures. Je ne comprends pas cette différence d'implication pour les classes de lycées et de collèges, sauf pour les premières chaires - mais il y a aussi des certifiés qui enseignent en classes de première chaire.
L'annualisation a été réalisée dans le supérieur - les charges sont désormais identiques pour les professeurs et les maîtres de conférence, pourquoi pas dans le secondaire ?
Effectivement, des heures sont perdues en raison de l'organisation des examens dans certains établissements, avec des enseignants pratiquement en vacances à partir du 15 juin, sauf ceux qui sont mobilisés pour corriger les copies des examens.
Je le répète, je ne comprends pas cette différence entre certifiés et agrégés face aux mêmes classes. Ce devrait presque être l'inverse, les agrégés ayant soi-disant une compétence supérieure, devraient avoir une productivité supérieure...
M. Roger Karoutchi. - Je ne suis pas du tout d'accord avec Daniel Raoul. Le problème, c'est que vous faites passer des concours très difficiles à des gens, et vous les nommez ensuite pour enseigner en classe de sixième ! Le système a explosé au nom d'un égalitarisme stupide. C'est certes le même travail, mais le malheureux qui a passé le concours n'est pas responsable de se trouver devant une classe de sixième ! Faut-il aller jusqu'à interdire les nominations des agrégés dans le premier cycle ?
Le vrai sujet des horaires, au-delà du nombre d'heures, c'est la totale inadaptation de nos établissements : contrairement à l'Europe du Nord, rien n'est fait pour que les professeurs travaillent, reçoivent les élèves ou les parents dans l'établissement. Toutes les régions ont fait d'énormes efforts de construction, dans les années 1980, mais on a construit vite, beaucoup de classes, mais pas de bureaux. Les candidats, de droite comme de gauche, disent qu'il faut que les enseignants restent trente heures par semaine dans l'établissement : mais où ? Dans la cour ? En Suède, en Norvège ou en Finlande, il y a en moyenne un bureau pour quatre enseignants dans les établissements scolaires. C'est plus facile de dire qu'il faut que les enseignants travaillent trente heures par semaine que de trouver où ils doivent les faire !
M. Jean-Claude Requier. - À l'époque où j'enseignais, en effet, il y avait le cabinet d'histoire géographie, c'était trente minutes ou une heure : de petits avantages acquis, comme il y en a aussi pour d'autres professions.
Beaucoup de syndicats étaient contre les heures supplémentaires, bien entendu, mais même les plus farouches opposants aux heures supplémentaires pouvaient s'adresser au chef d'établissement, qui distribuait les heures supplémentaires pour boucler les fins de mois de certains enseignants.
En ce qui concerne les horaires, à l'époque, en plus des certifiés à 18 heures par semaine, des agrégés à 15 heures par semaine, il existait les professeurs d'enseignement général de collège (PEGC), qui enseignaient deux matières, 21 heures par semaine. On a unifié, en mettant ces professeurs à 18 heures. En tant que certifié, je n'étais pas hostile à une fusion avec les agrégés, mais ces derniers ont quand même passé un concours plus difficile, et il faudrait les affecter par niveau. Ainsi, Maurice Druon avait évoqué à l'époque le collège universitaire qui aurait inclus les classes de terminale et les premières années de faculté, qui auraient été assurées uniquement par des agrégés.
En tout cas, c'est bien difficile car le milieu enseignant est très conservateur, sociologiquement, et tient beaucoup à sa liberté : il est l'ennemi de toutes les réformes.
Enfin, je citerai Maurice Faure, mon mentor en politique : il y a deux ministères qu'il ne faut jamais prendre : l'éducation nationale et l'agriculture. Si on les prend, il faut surtout ne rien faire !
M. Daniel Raoul. - Ce sont les deux ministères où la cogestion a toujours régné...
Mme Michèle André, présidente. - Je remercie ceux qui, ayant été professeurs, nous ont fait part de leur vécu, et examinent aujourd'hui ce rapport avec leur regard de commissaire de la commission des finances.
M. Michel Bouvard. - Notre rapporteur spécial estime-t-il que les chiffres transmis en la matière par le ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche sont fiables ? Comment nos observations sont-elles prises en compte dans la gestion prévisionnelle des ressources humaines par le ministère de l'éducation nationale ? En effet, l'embauche d'un enseignant crée pour l'État une charge budgétaire non négligeable et durable, surtout si l'on compte aussi la pension de l'enseignant et l'éventuelle pension de réversion. Est-ce qu'une réflexion est menée concernant le lien entre la typologie de postes à pourvoir, la problématique des heures supplémentaires et les postes offerts aux concours ?
Outre ces questions structurelles, deux sujets n'ont pas été abordés par notre rapporteur spécial, alors qu'ils ont, fatalement, une incidence sur la question des heures supplémentaires dans le second degré. Il s'agit d'une part, de la polyvalence des enseignants - il fut un temps où les professeurs enseignaient deux matières, ce qui conférait une certaine souplesse en termes de gestion des ressources humaines et limitait les heures supplémentaires ; d'autre part, des options et le lien entre leur multiplicité et la mécanique des heures supplémentaires dans le second degré. Enfin, existe-t-il des moyens d'ajustement entre les enseignants qui, parfois, ne remplissent pas leurs obligations de service et l'excédent de capacité d'enseignement par rapport à la demande concernant certaines matières, je pense par exemple aux lettres classiques et aux langues anciennes ?
M. Éric Bocquet. - Quelle est la répartition des heures supplémentaires entre les établissements du second degré du secteur privé et ceux du secteur privé ?
M. Gérard Longuet, rapporteur spécial de la mission « Enseignement scolaire ». - Je remercie mes collègues pour leurs questions et pour leur intérêt sur un sujet quelque peu austère. D'abord, s'agissant de la répartition des heures supplémentaires en fonction des disciplines, évoquées par Marc Laménie, il n'y a pas de différence marquée entre les disciplines. Certes, les enseignants de matières se caractérisant par des difficultés de recrutement, comme les mathématiques, effectuent probablement davantage d'heures supplémentaires, mais ce phénomène est marginal. Le recours aux heures supplémentaires découle davantage de l'établissement d'exercice et de sa taille que de la discipline concernée. L'organisation territoriale de l'éducation nationale est en effet un problème majeur.
Comme l'a mentionné Daniel Raoul, les 54 000 postes créés ne sont incontestablement pas tous opérationnels.
Je ne dispose pas de la moyenne du nombre d'élèves par classe en Allemagne et au Royaume-Uni, mais nous allons y remédier, afin de pouvoir comparer des choses qui sont comparables. Vous avez évoqué la réussite de l'annualisation dans le supérieur, c'est effectivement une bonne référence. Je crois qu'il faut aujourd'hui en faire une potentielle solution, du moins en ce qui concerne les classes de terminale et les classes préparatoires aux grandes écoles.
Vous avez également évoqué la perte d'heures d'enseignement en raison de l'organisation d'examens. C'est un problème lancinant, auquel nous n'avons à ce jour pas de vraie réponse, sauf l'annualisation que je propose.
Concernant les professeurs agrégés, je tiens à rappeler le caractère profondément élitiste de notre modèle d'enseignement secondaire originel. Le baccalauréat, créé en 1808, a été conçu comme un examen de premier cycle d'enseignement supérieur. Le bachelier ès lettres effectuait en effet ses premières années de lettre avant de passer un baccalauréat de science. Je vous parle d'un temps que les moins de deux cents ans ne peuvent pas connaître, où l'on ne comptait qu'une dizaine de bacheliers par an.
Les agrégés constituent évidemment un corps remarquable, en particulier du fait de la sélection qui s'applique à l'attribution du titre. Vis-à-vis du développement de l'enseignement secondaire ils sont face à un choix. Ou ils s'orientent vers les classes terminales, les classes préparatoires et le supérieur et alors cela implique quelques renoncements, ou ils exercent dans l'ensemble de la filière du secondaire, ce qui était le cas lorsque les vieux lycées existaient, à l'époque où les collèges étaient intégrés dans les lycées. La société des agrégés doit prendre position sur ce choix.
Sur l'inadaptation des établissements à un accueil des enseignants tout au long de la journée, j'adhère aux propos de Roger Karoutchi. Lorsque j'étais président de la région Lorraine, je me souviens d'avoir oeuvré pour aménager les locaux, sachant bien que la classe ne devait plus être la seule aire d'accueil des enseignants qui doivent pouvoir trouver des lieux dans l'établissement leur permettant d'y demeurer au-delà de leur temps de cours. C'est sans doute plus difficile à faire en région parisienne du fait du manque d'espace mais c'est vers cela qu'il faut tendre, d'autant que les enseignants sont exposés à des temps de transport de plus en plus importants qui justifient que la continuité de l'accueil dans l'établissement leur soit assurée.
Je remercie Jean-Claude Requier d'avoir exposé la mécanique des heures de première chaire et d'avoir mentionné les professeurs d'enseignement général de collège, dont notre collègue Michel Bouvard a très justement rappelé la polyvalence. Cela étant, je pense qu'on peut être polyvalent, enseigner plusieurs disciplines, et délivrer un enseignement de qualité. Par ailleurs, les professeurs d'enseignement général de collège présentaient l'avantage de bien connaître les élèves.
Michel Bouvard m'a interrogé sur la fiabilité des données. Elle est très incertaine mais nos travaux permettront sans doute d'inciter le ministère à progresser en la matière.
S'agissant de la gestion prévisionnelle des emplois, il me semble qu'une gestion moins centralisée, au niveau des régions, permettrait, même s'il y a des oppositions sur ce point, de progresser.
À nouveau sur la polyvalence des enseignants, il est clair que les enseignants qui réunissent cette qualité sont très appréciés par les chefs d'établissement qui y trouvent un moyen de simplifier la gestion de l'équipe éducative.
Quant à la diversité des options, je pense que c'est la tragédie de l'enseignement secondaire. Elle explique le niveau élevé du coût du secondaire et entraîne une dispersion des moyens que nous devrions mieux concentrer sur les enseignements prioritaires.
À Éric Bocquet, je donnerai une réponse écrite. Nous avons travaillé sur le public. Il est assez probable que la situation dans l'enseignement privé soit assez proche de celle que l'on constate dans le public.
La commission donne acte de sa communication à M. Gérard Longuet, rapporteur spécial, et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information.
Conférence interparlementaire sur la gouvernance économique et financière de l'Union européenne, prévue à l'article 13 du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) - Compte rendu
La commission entend enfin le compte rendu de la conférence interparlementaire sur la gouvernance économique et financière de l'Union européenne, prévue à l'article 13 du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG), qui s'est tenue à Bratislava les 17 et 18 octobre 2016.
Mme Michèle André, présidente. - La septième conférence interparlementaire sur la stabilité, la coordination économique et la gouvernance de l'Union européenne - que nous appelons plus communément « conférence de l'article 13 » du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) - s'est tenue les 17 et 18 octobre 2016 à Bratislava, en Slovaquie. Le rapporteur général, Albéric de Montgolfier, François Marc, Michel Bouvard et moi-même étions présents pour représenter le Sénat français.
Je vous rappelle que cette conférence a été créée pour que la mise en oeuvre des règles de gouvernance budgétaire en Europe, qui ont permis l'immixtion des autorités européennes dans les politiques budgétaires des États, s'accompagne d'un contrôle par les Parlements nationaux des modalités de leur mise en oeuvre. Les sujets abordés par la conférence ne se limitent plus à la gouvernance budgétaire au sens strict, mais traitent de sujets d'intérêt commun aux différents États membres.
La question qui se pose lorsque des parlementaires de presque tous les États membres se rendent à une telle conférence est celle de son utilité et plus précisément de son rôle politique. Certains de nos collègues se souviennent certainement de précédents comptes rendus relatant les débats entre parlementaires nationaux et parlementaires européens au sujet de l'adoption d'un règlement de la conférence de l'article 13. Le règlement de la conférence a été adopté de haute lutte, en novembre 2015.
Depuis l'origine, le Parlement français est très présent dans cette conférence car nous croyons à l'utilité d'échanges entre parlementaires nationaux, en particulier pour partager des bonnes pratiques. Mais les comptes rendus successifs que nous avons chaque fois tenu à faire devant vous depuis 2013 montrent que nous sommes toujours assez loin de la cible.
Quel est le bilan de la conférence de Bratislava, où une centaine de parlementaires nationaux étaient présents ? Le Conseil national de la République slovaque, chargé de l'organisation de la réunion, avait inscrit quatre thèmes à l'ordre du jour : la dimension sociale de l'Union économique et monétaire, la lutte contre l'évasion fiscale, les stabilisateurs automatiques au sein de la zone euro et l'investissement en Europe. Contrairement à l'ordre du jour de précédentes réunions, les thèmes retenus cette fois-ci étaient bien au coeur du débat sur l'avenir de l'union économique et monétaire et en particulier la zone euro et ils reflétaient les priorités de la présidence slovaque de l'Union européenne.
Ce petit État de 5 millions d'habitants occupe une place particulière au sein de l'Union européenne : il s'agit en effet du seul pays du « groupe de Visegrad » membre de la zone euro. De plus, hormis sur le dossier de la dette grecque, la Slovaquie défend des positions proches de celles de la France en matière de gouvernance économique et monétaire. Elle souhaite en particulier un approfondissement de l'Union économique et monétaire à travers la création d'un ministre de la zone euro et d'une « capacité budgétaire », qui pourrait prendre la forme d'un mécanisme européen d'assurance chômage.
En marge de la conférence, nous avons pu nous entretenir avec l'ambassadeur de France en Slovaquie, Christophe Leonzi. Si la Slovaquie demeure très proche de l'Allemagne et de l'Autriche, il nous a indiqué que la coopération et les échanges avec la France se développaient. Avec une classe politique qui demeure globalement très favorable à l'intégration européenne - malgré quelques tensions au plus fort de la crise migratoire - la Slovaquie est donc aujourd'hui un partenaire important, qui fait figure de lien entre « anciens » et « nouveaux » États membres.
Durant ces deux jours de conférence, il m'est apparu que le format des débats était inadapté à des échanges politiques entre parlementaires issus d'États différents et soucieux de débattre et de partager des expériences. En effet, nous avons longuement écouté des exposés d'experts et d'universitaires avant d'être autorisés à nous exprimer, pendant une minute chacun.
Durant la session relative à la lutte contre l'évasion fiscale, je suis intervenue pour informer nos collègues des travaux menés par notre commission, en particulier de notre cycle d'audition sur la lutte contre la fraude et l'évasion fiscale des particuliers à la suite des révélations des Panama papers - dont j'ai d'ailleurs transmis le recueil de comptes rendus aux membres du Parlement européen intéressés. Mais je n'ai pas été en mesure de savoir si d'autres parlements avaient pris d'autre types d'initiatives.
En revanche, il est clairement apparu que la majorité des parlementaires nationaux qui se sont exprimés se sont déclarés favorables à la présentation par la Commission européenne d'une nouvelle proposition d'assiette commune d'impôt sur les sociétés (ACCIS), beaucoup y voyant l'une des pistes crédibles pour lutter efficacement contre l'optimisation fiscale au sein de l'Union. L'audition que nous avons organisée ici sur ce sujet la semaine dernière me conduit cependant à penser qu'il serait intéressant d'avoir à nouveau un débat sur l'ACCIS à la prochaine conférence, maintenant que les propositions de la commission sont connues et que chaque État membre peut commencer à évaluer leurs effets potentiels sur ses recettes fiscales et la compétitivité de ses entreprises.
En conclusion, je vous indique que, pour que les modalités d'organisation des débats puissent permettre l'émergence de débats politiques entre parlementaires nationaux, avec Danielle Auroi, qui préside la commission des affaires européennes à l'Assemblée nationale, nous avons adressé un courrier à nos homologues maltais, qui auront la charge d'organiser la prochaine conférence, fin janvier 2017 à Bruxelles. Nous leur avons suggéré d'accroître les moments d'échanges entre parlementaires et de faire usage de la possibilité de proposer l'adoption de conclusions à l'issue de la réunion.
Vous l'avez compris, je ne désespère pas de l'Europe et je considère que nous devons continuer à oeuvrer pour que la conférence de l'article 13 puisse, à l'avenir, vraiment contribuer au débat démocratique.
M. François Marc. - Je remercie notre présidente pour ce compte rendu tout à fait exhaustif. Pour ma part, je souhaiterais évoquer deux des quatre thèmes évoqués lors de la conférence : la dimension sociale de l'Union économique et monétaire et l'investissement en Europe.
La présidence slovaque avait souhaité débuter la conférence par une session consacrée aux sujets sociaux d'actualité. Je rappelle que l'Union européenne exerce sa compétence en matière sociale sur la base de l'article 153 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) ; les initiatives européennes ont vocation à soutenir et compléter l'action des États membres, conformément au principe de subsidiarité. Il existe un ensemble d'indicateurs de manière à mieux coordonner les politiques sociales mais aussi à empêcher l'aggravation des disparités au sein de l'Europe et plus particulièrement au sein de l'Union économique et monétaire, qui pourraient s'avérer très périlleuses. C'est donc l'objet des réflexions actuelles en Europe : comment mieux coordonner et rapprocher les politiques sociales ?
Il a ainsi été question de la révision de la directive de 1996 sur les travailleurs détachés. Une divergence de points de vue est très rapidement apparue entre les parlementaires des États d'Europe centrale et orientale et des États baltes et ceux des États membres les plus anciens, les premiers considérant que la directive actuellement en vigueur était suffisante et les seconds estimant que la proposition de révision présentée par la Commission européenne en mars 2016 était légitime. Cette proposition suggère notamment de limiter la durée du détachement à deux ans et d'appliquer obligatoirement les conventions collectives aux travailleurs détachés. À l'initiative de la Pologne, de la Roumanie et de la République tchèque, onze parlements nationaux ont adopté un avis motivé dans le cadre de la procédure dite du « carton jaune » car ils considèrent que la proposition ne respecte pas le principe de subsidiarité. La Commission européenne a toutefois décidé de maintenir le texte, ce que l'une de nos collègues hongroises a très vivement critiqué durant la réunion. La discussion n'est pas allée plus loin, notamment en raison du format de la conférence, mais nous avons clairement perçu qu'il existait là un point de blocage conséquent et que la poursuite des négociations sur ce texte, pourtant essentiel, serait difficile. La suggestion de soumettre au vote un relevé de conclusions à l'issue de chaque réunion me semble être un moyen de faire progresser l'Union européenne dans l'association des parlementaires nationaux.
Le deuxième thème que je souhaitais évoquer est le projet de « socle européen de droits sociaux », annoncé par le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker en 2015. La rapporteure du Parlement européen sur ce sujet, Maria Joao Rodrigues, originaire du Portugal, a lancé un appel en faveur de l'adoption d'un « code de convergence » en matière sociale fixant des objectifs cibles qui seraient examinés dans le cadre du semestre européen, et ce afin de montrer aux citoyens que l'Union européenne peut contribuer à garantir une certaine sécurité socio-économique. Par ailleurs, s'agissant de la prise en compte des critères sociaux dans le cadre du semestre européen, et en particulier de la procédure pour déséquilibre macroéconomique, nous avons pris connaissance d'une étude universitaire indiquant que les résultats étaient, à ce jour, peu tangibles.
Ainsi, beaucoup reste à faire pour renforcer la dimension sociale de la zone euro. La conférence a néanmoins confirmé qu'il existait des attentes très fortes en la matière, de la part d'un grand nombre de nos collègues des parlements nationaux et du Parlement européen.
J'en viens à la session consacrée à l'investissement en Europe, à laquelle j'ai activement participé. Nos collègues slovaques, en tant qu'organisateurs de la conférence, ont soulevé la question de la mise en place d'un programme commun d'investissement en tant qu'instrument de stabilisation macroéconomique au sein de la zone euro. Pour la plupart des intervenants, le Fonds européen pour les investissements stratégiques (FEIS), créé dans le cadre du « plan Juncker », n'est pas suffisant et ne répond pas à la fonction de stabilisation. Il a toutefois le mérite de mobiliser des ressources supplémentaires de la part d'investisseurs privés, conformément à sa finalité. J'ai également rappelé les premiers résultats particulièrement encourageants du plan d'investissement pour les petites et moyennes entreprises (PME). Comme j'ai pu le constaté durant le contrôle budgétaire que j'ai mené au premier semestre 2016, il existe une forte demande pour les instruments financiers de prêt et de garantie en faveur des PME ; en outre, il est à souligner que l'effet de levier observé pour ces instruments est supérieur à 15.
J'ai le plaisir aussi de souligner qu'il a été décidé hier par le Conseil de l'Union européenne de prolonger le FEIS et de faire porter son objectif de 315 à 500 milliards d'euros d'investissement. Il a également été proposé de diversifier la localisation géographique des investissements ainsi que les secteurs susceptibles d'en bénéficier, en intégrant les secteurs de la défense et de la sécurité, ce qui était une revendication française. La cible des investissements contribuant à la lutte contre le changement climatique est quant à elle portée à 40 %. Une ambition nouvelle a été affichée hier, ce dont on peut se réjouir.
En revanche, les divergences concernant l'investissement public sont également apparues lors de la réunion de l'Eurogroupe du 5 décembre. Le souhait de la Commission européenne d'un effort supplémentaire de 0,5 % du produit intérieur brut européen pour dynamiser l'investissement public s'est heurté, une nouvelle fois, à la résistance de l'Allemagne et des Pays-Bas.
Enfin, je rejoins la conclusion de la présidente concernant la nécessité de faire évoluer le format de la conférence de l'article 13 pour laisser plus de place au débat entre parlementaires et aboutir à des conclusions plus affirmées.
M. Michel Bouvard. - Cette réunion de l'article 13 était pour moi une première sans l'être tout à fait, dans la mesure où j'avais participé à ce type de réunion dans l'ancien format, qui consistait à réunir les commissions des finances des parlements nationaux. Je dirais que depuis lors, le format des réunions s'est dégradé et je partage les critiques de la présidente et de François Marc. Nous avons entendu une succession de monologues d'universitaires talentueux, mais obérant les possibilités de débat. Le nombre de sujets est probablement excessif, avec quatre sessions concentrées sur une journée et demie. Nous n'avons pas eu le temps d'aller au fond des choses et les parlementaires de certaines grandes nations ne se sont pas même exprimés dans le débat !
J'ai pour ma part assisté à la deuxième session consacrée à la lutte contre l'évasion fiscale. De manière assez curieuse, je note que deux des trois intervenants étaient britanniques... Peut-être connaissent-ils mieux la matière que dans d'autres États ? Les exposés étaient très intéressants mais les solutions limitées : on nous a rappelé les travaux de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et exprimé certains voeux. Cela m'a rappelé une conférence tenue à Vienne il y a plus de dix ans, où nous avions déjà parlé de convergence de la fiscalité des entreprises et des carrousels de taxe sur la valeur ajoutée (TVA).
Sur le sujet de la fiscalité de l'économie numérique, j'ai fait part des travaux menés par notre commission et nous avons interrogé la Commission européenne sur l'expérimentation qui s'est déroulé en Italie et sur la problématique du paiement scindé. Mais nous n'avons obtenu aucune réponse des représentants de la Commission présents. Il y a sûrement des enseignements à tirer de l'exemple italien et nous aurions aimé connaître la position de la Commission sur le sujet. Chacun a fait part de ses préoccupations mais il n'y a pas eu de dialogue ni de réponses à nos questions. Nous n'avons rien appris sur la position des autres parlements nationaux ou du Parlement européen. Je crois que les échanges bilatéraux sont plus profitables et nous en avons appris beaucoup plus sur le sujet lorsque nous nous sommes rendus à Rome en septembre 2015 et avons rencontré nos homologues du Sénat italien et de la chambre des députés. Il faudrait entièrement revoir le format de ces réunions et peut-être réduire le nombre de sujets pour aller plus au fond des choses.
Mme Michèle André, présidente. - Des progrès ont été accomplis notamment grâce à l'adoption d'un règlement, mais il reste du chemin à faire !
M. Yannick Botrel. - Je voudrais revenir sur la question des travailleurs détachés, sur laquelle je constate, dans ma région du Nord-Bretagne, des positions ambiguës et souvent contradictoires des acteurs professionnels. D'un côté, l'industrie agroalimentaire regrette que les entreprises allemandes y aient recours, ce qui leur permet d'avoir des coûts de production bien moins importants que les nôtres. Mais d'un autre côté, les agriculteurs sont beaucoup plus partagés : pour les campagnes de récolte, qui sont saisonnières, nous ne savons plus faire sans travailleurs détachés. Ils correspondent à un besoin.
Les personnes détachées suscitent des réactions hostiles, mais ce sont avant tout des travailleurs et des gens respectables à cet égard, ce ne sont pas eux qui sont en cause. De même, le principe des travailleurs détachés alimente une hostilité à l'Europe. Ces travailleurs seraient « exploités » et porteraient préjudice à certaines activités économiques. Tout cela milite pour la mise en place d'une régulation. Aujourd'hui un emploi détaché ne peut dépasser deux ans, mais comment cette limite est-elle appréciée ? Puis-je réembaucher la même personne après un délai d'un mois par exemple ? Par ailleurs, est-il concevable d'aller vers une application du droit social du pays d'exercice de la mission, même si je comprends les réactions des parlementaires de certains pays ?
M. André Gattolin. - Je suis d'accord avec Yannick Botrel, il ne faut pas « jeter » les travailleurs détachés avec l'eau du bain et le secteur agricole a certaines particularités qui ne peuvent être éludées. L'Union européenne veut formater et généraliser la libéralisation des marchés en oubliant les spécificités de chaque marché. Comment fait-on les vendanges ou la cueillette des fruits sans travailleurs détachés ? C'est tout de même mieux que d'avoir recours à des gens en situation illégale.
La question qui se pose en filigrane est celle de l'organisation politique européenne : en réalité, nous sommes déjà dans un système fédéral, mais c'est un mauvais fédéralisme ! Sur trop de sujets - notamment la fiscalité, le social, le régalien - nous en sommes encore à la règle de l'unanimité, ce qui bloque tout ! On critique parfois le fédéralisme américain mais au moins le poids des États est pondéré. Nous sommes 510 millions d'Européens, 440 millions si l'on tient compte du départ du Royaume-Uni. Sur ce total, l'Allemagne, la France, l'Italie et l'Espagne représentent 50 % de la population et près de 60 % du produit intérieur brut (PIB) ! Alors parallèlement à ces grands raouts où l'on réunit tout le monde autour d'experts britanniques, ne pourrions-nous pas travailler en amont en petit groupe ? Il faut aller plus loin que le seul moteur franco-allemand qui n'est pas majoritaire dans l'Union tant du point de vue économique que démographique.
Nous devons être capables de travailler ensemble et de dire aux autres États que nous représentons la majorité, tant démographiquement qu'économiquement, et que nous voulons telle ou telle chose. Ce serait plus difficile pour la Lettonie, la Slovénie, Chypre ou Malte de s'y opposer. L'organisation actuelle est bancale et ne fonctionne plus ! Sur ces sujets il faut parvenir à une majorité qualifiée, quitte à ce qu'elle soit de 80 %. Il faut se dire les choses franchement : Chypre ne vaut pas autant que la France et Malte ne vaut pas autant que l'Allemagne ! Pourtant tout le monde a un commissaire européen. À l'origine nous n'avions que six pays : la France, l'Allemagne, l'Italie et le Bénélux. Les choses étaient plus simples. Nos gouvernements devraient tenir des réunions en format réduit et nous devons faire la même chose entre parlementaires. Si l'on discute à vingt-sept ou vingt-huit, il n'en sortira jamais rien ! J'ajoute que je m'étonne également de voir que les Britanniques sont toujours aussi présents, même si je ne remets pas en cause la qualité de leurs universitaires. Je partage la remarque de notre collègue député européen Guy Verhofstadt qui regrettait récemment que nos amis d'outre-manche continuent à intervenir au Parlement européen pour nous expliquer ce que nous devrions faire sans eux !
M. François Marc. - Pour répondre à Yannick Botrel, le « paquet sur la mobilité des travailleurs », présenté en mars dernier, a prévu une révision de la directive de 1996 sur les travailleurs détachés et dispose notamment que la durée de détachement d'un travailleur soit limitée à deux ans. Le calcul tient compte de la durée cumulée des détachements en cas de succession de travailleurs détachés sur un même poste, à condition qu'il s'agisse de périodes minimales de six mois. Des contraintes supplémentaires seraient donc mises en place, qui s'ajoutent à l'application des conventions collectives de l'État d'accueil, notamment en matière de santé et de rémunération.
Il y a une ambition qui est affichée, mais les désaccords sont profonds. Lors de la réunion du groupe politique des sociaux-démocrates, qui avait lieu le matin avant les sessions de travail de la conférence de l'article 13, j'ai pu observer le désaccord fondamental entre États membres. J'ai noté l'intervention d'un parlementaire polonais qui nous invitait à trouver un point d'équilibre entre le niveau respectif de rémunération de chaque pays.
Je voudrais enfin préciser que le socle européen des droits sociaux que l'on espère voir présenté début 2017 a vocation à encadrer ce processus de rapprochement de nos législations sociales.
Mme Michèle André, présidente. - J'espère que le format sera revu pour que nous ayons plus de temps pour nous exprimer, car en l'état ces réunions sont frustrantes. Il faut s'accrocher sur ce sujet et suivre de près les travaux de la Commission européenne. Pierre Moscovici nous a d'ailleurs encouragés à le recevoir régulièrement. Sur la révision de la directive sur les travailleurs détachés, le « carton jaune » qui a été adopté par certains parlements nationaux montre bien qu'il y aura un affrontement. Il faut le purger, sinon on désespère ceux qui aiment l'Europe et qui voudraient bien l'aimer davantage.
M. Michel Bouvard. - Je rappelle que la question des travailleurs détachés remonte au moins à une décision de la Cour d'appel de Chambéry d'il y a plus de quinze ans sur les « Chalet girls », c'est-à-dire les personnels britanniques qui venaient le temps de la saison touristique. La Cour avait alors décidé que dès lors qu'ils venaient pour moins de cent jours, les charges sociales afférentes étaient acquittées dans le pays d'origine. Personne ne s'en est ému mais c'était le début de l'affaire des travailleurs détachés.
J'ajoute qu'il faudrait qu'au cours des réunions nous disposions d'éléments sur la législation applicable dans chaque État membre. Nous n'avons aucun élément sur l'état du droit dans chaque pays et sur les positions des parlements nationaux !
La réunion est close à 12 h 05.