Jeudi 6 octobre 2016
- Présidence de Mme Colette Mélot, secrétaire -La réunion est ouverte à 9 h 30.
Recherche et propriété intellectuelle - Avis politique de M. Daniel Raoul sur la protection juridique des variétés végétales
Mme Colette Mélot, secrétaire. - Mes chers collègues, je dois d'abord excuser le président Jean Bizet, retenu aujourd'hui par un déplacement qui concerne son département.
Notre ordre du jour appelle l'examen de l'avis politique de notre collègue Daniel Raoul sur la protection des variétés végétales. Je rappelle que nous avons constitué un groupe de travail qui est animé par notre collègue Richard Yung. Ce groupe de travail suit de près les questions relatives à la propriété intellectuelle. Comme nous le savons, c'est un domaine où les enjeux économiques sont très importants. Les enjeux sont aussi juridiques et sociétaux, en particulier sur cette question sensible des variétés végétales.
Daniel Raoul nous avait présenté une communication en novembre 2015 sur la brevetabilité de ces variétés végétales. Aujourd'hui, il nous propose un avis politique sur leur protection juridique.
Je rappelle que, si vous donnez votre accord, cet avis juridique sera adressé directement à la Commission européenne dans le cadre du dialogue politique que nous entretenons avec elle.
M. Daniel Raoul. - Le 5 novembre 2015, je vous avais présenté une communication sur la brevetabilité des variétés végétales, qui s'inscrit dans le cadre plus large de la non-brevetabilité du vivant, sujet dont s'est saisi le groupe de travail sur la propriété intellectuelle constitué au sein de notre commission et qu'anime Richard Yung.
Je vous avais alors rappelé le contentieux porté devant la grande chambre de recours de l'Office européen des brevets (OEB), relatif, d'une part, au brocoli, d'autre part, à la tomate ridée.
M. Michel Raison. - Ce sont forcément de vieilles variétés !
M. Daniel Raoul. - En 2010, la grande chambre a jugé que ne sont pas brevetables les procédés reposant sur le croisement et la sélection des plantes, même si des interventions techniques sont nécessaires pour réaliser ce croisement ou cette sélection. Pour être brevetable, l'intervention technique humaine doit introduire des modifications artificielles dans le génome de la plante. Ces décisions sont importantes, car elles précisent ce qu'est un « procédé essentiellement biologique ». En 2015, la grande chambre a jugé que l'exclusion de la brevetabilité des procédés essentiellement biologiques ne concerne pas les variétés végétales obtenues par ces procédés. Autrement dit, la variété végétale est brevetable, même si le procédé ne l'est pas.
J'avais appelé votre attention sur les difficultés d'interprétation de ces décisions de 2015, qui sont contraires à plusieurs législations nationales, notamment allemande et néerlandaise, et à la pratique de l'Institut national de la propriété industrielle (INPI), qui considère que l'exclusion de la brevetabilité s'étend aussi aux variétés végétales obtenues par des procédés essentiellement biologiques. Les décisions de 2015 ont donc semé le trouble, et elles compliquent la façon dont s'articulent le certificat d'obtention végétale (COV) et le brevet.
Beaucoup interprètent ces décisions comme un appel à ce que l'Union européenne lève les ambiguïtés de la directive 98/44/CE relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques, dont plusieurs dispositions seraient obsolètes - même si l'on considère que seule une décision de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) permettrait de trancher définitivement la question. Ces décisions ont indéniablement suscité un débat au sein des États membres et entre eux. La présidence néerlandaise a d'ailleurs organisé un séminaire, le 18 mai dernier, pour contribuer à l'éclairer, ou du moins à tenter de le faire.
Un consensus s'est dessiné, notamment au sein du groupe d'experts mis en place par la Commission européenne sur ces sujets, pour ne pas modifier la directive 98/44/CE tant son adoption avait été longue et laborieuse, et alors que le résultat de la révision du texte est loin d'être garanti. C'est pourquoi la Commission s'orienterait vers la rédaction d'une notice interprétative visant à expliciter le régime juridique du procédé essentiellement biologique, dont la définition n'est pas consensuelle, d'autant plus que les procédés futurs pourraient venir la perturber.
C'est dans ce contexte que notre groupe de travail a poursuivi ses investigations cette année et qu'il a procédé à plusieurs auditions, dont deux visioconférences, avec la Commission européenne et l'Office communautaire des variétés végétales (OCVV), une agence européenne que je connais bien puisque son siège se trouve à Angers - ce qui fait d'Angers la deuxième ville européenne de France !
Au cours des vingt dernières années, l'amélioration des plantes a connu une évolution très rapide, liée en particulier aux progrès de la connaissance des génomes. C'est pourquoi la reconnaissance de la propriété intellectuelle suscitée par cette évolution est fondamentale. Pour le dire simplement, l'enjeu est de garder un accès équitable au matériel végétal, dans le respect de l'équilibre entre le droit des obtenteurs et celui des détenteurs de brevets.
Le COV réserve l'exploitation commerciale de la variété à son obtenteur pour une durée de 20 à 25 ans, selon les espèces. Il existe une exception aux droits de l'obtenteur, appelée « exception du sélectionneur », qui permet à tout autre sélectionneur d'utiliser la variété protégée à des fins de sélection pour créer une nouvelle variété végétale libre de droits. Ce mécanisme a permis, pendant près d'un demi-siècle, un cercle vertueux d'innovation : lorsque la nouvelle variété arrivait sur le marché, celle de la génération précédente, qui avait contribué à sa création, commençait à être commercialement dépassée.
Or le développement des biotechnologies depuis les années 1990 a perturbé ce cercle vertueux. La directive 98/44/CE a certes exclu de son champ d'application à la fois les variétés végétales, reconnaissant ainsi la pertinence de la protection par le COV, et les procédés essentiellement biologiques, mais elle a laissé certaines questions en suspens. Les nouvelles connaissances liées au génome ont entraîné une accélération du processus d'innovation et, de ce fait, un décalage entre le rythme de l'innovation et celui de l'obsolescence commerciale. Dès lors, la nouvelle variété se retrouve sur le marché en même temps que la variété à l'origine de l'innovation, et vient la concurrencer de fait. Le cercle vertueux permis par le COV s'en trouve déréglé.
Parallèlement, le brevet a été de plus en plus utilisé par les acteurs de l'amélioration des plantes pour protéger de nombreuses innovations technologiques. Cette évolution a conduit à des interrogations sur les interactions entre le COV et le brevet : peut-on exercer la possibilité de l'exception du sélectionneur, et ainsi utiliser la nouvelle variété protégée à des fins de sélection, sans être en contrefaçon au regard de la revendication du brevet ?
Les sélectionneurs sont confrontés au fait que le matériel biologique peut être protégé par un brevet et n'est donc plus librement disponible pour de plus amples sélections, ce qui restreint les capacités d'innovation. Or il est important que le matériel génétique soit accessible à des fins de sélection pour des innovations rapides en matière de sélection végétale. À défaut, si ce matériel génétique est rendu inaccessible aux tiers sans l'obtention d'une licence par un système de brevet excessivement rigide, le développement technologique et, à plus long terme, la biodiversité s'en trouveront amoindris.
Les décisions que l'OEB a rendues en 2015 sont donc venues obscurcir un peu plus les termes du débat.
La publication par la Commission de sa notice interprétative étant annoncée pour cet automne, il est important que notre commission, en adoptant l'avis politique que nous vous soumettons, prenne position pour tenter d'influer sur la rédaction de ce texte.
Au sein de notre groupe de travail, nous avons considéré vaine la tentation d'opposer le COV et le brevet, qui sont en réalité complémentaires. Chacun de ces instruments de propriété intellectuelle doit être utilisé là où il est le plus pertinent. Il nous a paru important d'aboutir à un équilibre entre la protection des innovations et la diffusion de la connaissance et du progrès scientifique.
Afin de permettre l'accès à la diversité génétique et de poursuivre ainsi la création variétale, il convient de gérer l'interface entre le COV et le brevet. L'exception du sélectionneur, qui permet de ne pas être en contrefaçon du brevet dans la phase des travaux de sélection, est un dispositif adapté à la gestion de cette interface, d'autant plus qu'elle est reconnue par la loi française - grâce en particulier à une initiative du président Jean Bizet lors de la transposition de la directive 98/44/CE -, par la loi allemande et néerlandaise, ainsi que par le nouveau brevet unitaire européen.
Les modalités d'exercice de l'exception du sélectionneur pourraient être adaptées en introduisant un délai, par exemple de cinq ans, entre la mise sur le marché d'une nouvelle variété et le droit d'exercer cette exception, de manière à ce que l'obtenteur puisse bénéficier d'une protection temporaire contre l'utilisation rapide par un concurrent des résultats de sa recherche. Cette possibilité devrait toutefois être limitée dans le temps, d'où la nécessité du délai.
Par ailleurs, nous pensons que le COV demeure un instrument adapté à la protection des variétés végétales. Par conséquent, celles-ci doivent demeurer exclues du champ de la brevetabilité, comme le prévoit la directive 98/44/CE. Il apparaît également nécessaire que des clarifications soient faites entre les brevets relatifs aux végétaux et les droits propres aux obtentions végétales, en particulier s'agissant de l'exclusion de la brevetabilité des produits issus de procédés essentiellement biologiques. Richard Yung et moi-même avions tenté de répondre à cette préoccupation en faisant adopter un amendement visant à rédiger l'article 9 de la loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages.
Telles sont les grandes lignes de l'avis politique que nous vous soumettons.
M. Richard Yung. - Les propos et l'avis politique sont le reflet des travaux que nous avons menés en commun. Je n'ai donc rien à ajouter à ce sujet.
Je suis un peu plus optimiste que mon collègue Daniel Raoul quant à nos chances d'influencer la notice interprétative que la Commission européenne prépare, ne serait-ce que du fait du Brexit. Comme vous le savez, les Anglo-Saxons, qui n'ont pas de COV, protègent toutes leurs espèces végétales par brevet. Ce point est l'un des sujets de la négociation du traité transatlantique, sur lequel les Américains n'ont pour l'instant absolument pas évolué. Avec le retrait britannique, l'Allemagne, les Pays-Bas et la France, pays qui ont une activité semencière importante, ont plus de chances de peser. L'industrie de la semence est très développée et bien organisée en France. Nous devons la protéger, et pas seulement dans la belle région angevine !
M. Daniel Raoul. - C'est le jardin de la France !
M. Richard Yung. - Il faut creuser l'idée d'un cycle du COV. Les professionnels nous ont signalé qu'ils étaient confrontés à l'accélération de l'innovation. Le détenteur d'un COV peut être concurrencé par un tiers qui a utilisé ce même COV pour ses propres recherches tout à fait légalement. Ce n'est pas le cas avec le brevet qui, sauf accord de licence négocié avec le titulaire, protège l'innovation pendant vingt ans.
Faut-il introduire un délai de cinq ans, de sept ans, avant que l'exception du sélectionneur ne puisse s'appliquer dans le cadre d'un COV ? Nous devons consulter les professionnels à ce sujet. Il faudrait modifier la loi sur le COV, mais peut-être pas dans l'immédiat. En effet, celle-ci a déjà été modifiée récemment, et il n'est pas bon de changer les lois trop souvent...
L'interaction entre le brevet et le COV est compliquée, et avec les techniques modernes qui permettent de découper des morceaux de la séquence ADN et de les coller, de ranimer un gène qui est devenu dormant, ou le contraire, il est vrai qu'on ne sait plus toujours très bien où l'on en est !
M. Daniel Raoul. - Les auditions ont été passionnantes. En dehors du domaine végétal, je suis frappé par le phénomène du transhumanisme. Quelle est la différence entre un homme réparé et un homme augmenté ? Lorsque Chantal Jouanno était secrétaire d'État aux sports, je lui avais dit que le prochain dopage ne serait pas chimique, mais biologique. Avec l'évolution des biotechnologies, c'est en train de se produire ! Les performances des athlètes paralympiques aux jeux Olympiques me laissent circonspect. On imagine toutes les dérives possibles, dont l'eugénisme...
M. Claude Kern. -Je remercie MM. Yung et Raoul pour leurs éclairages sur ces sujets. Je suis naturellement favorable à cet avis politique, dans lequel je retrouve le résultat des travaux et auditions qui ont été menés.
M. Didier Marie. - Je remercie également Daniel Raoul de nous avoir permis cette plongée dans le domaine du vivant et des nouvelles technologies. Derrière la complexité des termes employés, il s'agit d'un sujet extrêmement important et sensible.
M. Daniel Raoul. - Nous ne devons pas déroger au principe de base qu'est la non-brevetabilité du vivant. Pour prendre une image, si l'on peut breveter des alliages d'acier, on ne peut, en vertu de ce principe, breveter le fer, qui est un élément naturel.
M. Richard Yung. - Le danger, ce sont évidemment les conséquences pour l'homme de ces manipulations sur le vivant. Le débat moral, philosophique, doit nous permettre de préserver les barrières que nous avons élevées pour protéger le génome humain.
M. Michel Raison. - Je félicite à mon tour Daniel Raoul.
Dans le domaine végétal, en particulier pour la vigne, le clonage est monnaie courante. Cela fonctionne bien, mais il faut prendre garde à ce que ce procédé ne soit employé ni sur l'humain ni sur l'animal.
Concernant les COV et les brevets, il nous faut trouver une solution pour permettre l'amélioration des variétés au profit du producteur, mais aussi du consommateur. Cela suppose que la filière soit suffisamment concurrentielle, et qu'un équilibre soit trouvé pour ne pas ruiner nos propres recherches.
Quoi qu'il en soit, je suis favorable à cet avis politique.
M. Daniel Raoul. - À la dernière ligne de l'alinéa 18, je suggère d'ajouter « nouvelle » avant « variété ».
Mme Colette Mélot, secrétaire. - Il n'y a pas d'objection ? Cet amendement rédactionnel est donc adopté.
À l'issue du débat, la commission des affaires européennes a adopté à l'unanimité l'avis politique amendé, qui sera adressé à la Commission européenne.
Économie, finances et fiscalité - Communication de M. André Gattolin et Mme Colette Mélot sur la stratégie numérique
Mme Colette Mélot, secrétaire. - Le second point à notre ordre du jour est la communication qu'André Gattolin et moi-même allons vous présenter sur la stratégie numérique.
Vous vous en souvenez certainement, en février dernier, nous vous avions soumis pour adoption un avis motivé au titre du contrôle de subsidiarité concernant deux textes relevant de la stratégie numérique de la Commission européenne : l'un sur la fourniture de contenus numériques, l'autre sur l'achat en ligne de biens matériels. Depuis, l'avis motivé est devenu une résolution du Sénat, et le président du Sénat a correspondu sur cette question avec la Commission européenne.
Ces deux textes ont pour objectif d'harmoniser le droit des contrats dans l'Union européenne afin de favoriser le commerce transfrontalier en ligne, qui se heurte à la fragmentation juridique telle qu'elle existe, soit vingt-huit législations nationales. Dans notre avis motivé, nous nous opposions à ce que l'harmonisation maximale prônée par la Commission n'aboutisse à une diminution du niveau de protection que la France offre à ses consommateurs, niveau qui, je le rappelle, figure parmi les plus élevés de l'Union.
Il faut l'avouer, nous n'avons guère été suivis. Si huit chambres parlementaires ont souhaité saisir la Commission européenne, elles l'ont fait par le biais du dialogue politique et non du contrôle de subsidiarité.
Dans la réponse qu'elle a adressée au président du Sénat le 15 juin dernier, la Commission estime que son approche n'est pas contraire au principe de subsidiarité dans la mesure où elle est seule capable d'atteindre l'objectif fixé de lever les obstacles au commerce électronique. C'est l'argument traditionnel censé justifier toute action de la Commission. Toutefois, il est une nuance qui a son importance : la Commission estime que, si l'harmonisation qu'elle envisage est complète, elle est aussi ciblée sur « les aspects du commerce électronique qui se sont avérés être les principaux obstacles pour les consommateurs et les entreprises ».
Il en résulte que l'harmonisation complète ne s'appliquerait pas à l'ensemble des aspects contractuels, mais seulement à certaines clauses. C'est important, car, en l'espèce, le Gouvernement est en phase avec notre position. C'est pourquoi, lors des réunions des groupes de travail du Conseil sur ces textes, il a demandé que, en ce qui concerne les aspects qui sont moins favorables aux consommateurs, les règles de droit interne soient maintenues. Sans entrer trop dans le détail, on peut évoquer notamment la garantie légale des vices cachés de la chose vendue, les clauses abusives ou encore le régime de conformité.
La France n'est pas seule. Le gouvernement allemand a, pour sa part, demandé que le niveau d'harmonisation soit déterminé à la fin des discussions sur l'élaboration des textes. Il a été soutenu par la Pologne et par la France. Ces trois pays représentent tout de même un nombre important de consommateurs européens, un peu plus de 187 millions pour être précis.
Vous voyez bien que cette question d'une harmonisation « par le bas » inquiète au-delà de nos frontières. J'ai donc tendance à penser que nous avions raison de soulever le problème. Au-delà de la question de la subsidiarité, il importe que les avancées du marché unique numérique pour le commerce ne se fassent pas au détriment des consommateurs.
D'après les informations que j'ai recueillies, c'est d'ailleurs un sujet qui a fait consensus au Conseil Justice et affaires intérieures du 9 juin dernier, où les achats en ligne ont été évoqués. De nombreuses délégations étaient d'accord pour soutenir l'approche d'une harmonisation complète et ciblée, adossée à une protection des consommateurs de haut niveau.
Pour conclure, je rappellerai que ces textes demeurent très importants pour le fonctionnement du marché unique européen dans l'ère numérique. Ils font l'objet d'un travail fouillé et très technique. L'approche retenue a consisté à travailler en premier lieu sur le texte visant la fourniture de contenus numériques, car la question des ventes de biens en ligne a fait l'objet d'une évaluation dans le cadre de la fameuse procédure REFIT sur le droit de la consommation. Les premiers résultats commencent à sortir et le travail technique sur le second texte va donc pouvoir démarrer.
Pour souligner l'ampleur de la tâche, je précise que ces textes vont devoir être en cohérence avec le règlement sur la protection des données personnelles qui vient d'entrer en vigueur et avec le droit qui régit les contrats de vente hors ligne.
À ce stade, je ne vois pas de raison de prendre une position affirmée, mais vous pouvez compter sur ma vigilance concernant la négociation de ces textes dans les semaines et les mois qui viennent. La protection des consommateurs est notre objectif. Les choses ont avancé, et nous avons bien fait de nous pencher sur le sujet.
M. André Gattolin. - Ces textes témoignent de la pratique grandissante de la Commission européenne : imposer une harmonisation maximale. Les directives laissent habituellement une place importante à la subsidiarité et au caractère mieux-disant des États membres. L'idée est de fixer au niveau européen des normes minimales et de laisser aux États la possibilité, notamment en matière de défense des consommateurs, d'aller plus loin.
On le constate sur les directives relatives au marché unique, les textes s'apparentent davantage à des règlements, qui sont d'application uniforme. Il faut le dire, pour certains pays dans lesquels la législation sur les transactions et les services rendus est imprécise, cela constitue un progrès. Pour d'autres, comme la France et l'Allemagne, qui ont un niveau élevé de protection, ce serait plutôt une régression. Nous avons fait des auditions hier sur les nouveaux services de médias audiovisuels, sur l'adaptation de la directive Télévision sans frontières. Dans de nombreux domaines, comme la protection du droit d'auteur, nous risquons de devoir abaisser notre niveau d'exigence. Mme Mélot et moi-même prêtons la plus grande attention à ces sujets, mais notre commission dans son ensemble doit être également vigilante. Il faut préserver certains acquis, sans que cela affecte l'idée qu'il puisse y avoir des politiques européennes communes.
Mme Colette Mélot, secrétaire. - Je vous propose, mon cher collègue, de passer à votre communication sur la portabilité des contenus numériques.
M. André Gattolin. - Toujours dans le cadre de la stratégie numérique, je veux vous présenter nos conclusions sur la proposition de règlement visant à assurer la portabilité transfrontière des services de contenus en ligne.
Quel est l'objet de ce texte ? Il s'agit de permettre à un consommateur européen abonné à un service de contenus en ligne dans l'État membre où il a sa résidence habituelle de continuer à accéder à ce service lorsqu'il se rend temporairement dans un autre État membre. Or, comme vous le savez, les licences sont attribuées au niveau national. Il s'agit donc d'un assouplissement apporté au principe de territorialité du droit d'auteur, un assouplissement acceptable s'il ne remet pas en cause le principe.
Au Parlement européen, c'est notre compatriote Jean-Marie Cavada qui a été nommé rapporteur. Avec Colette Mélot, nous avons pu le rencontrer le 20 juillet dernier pour recueillir son avis. Nous sommes en complète synergie avec lui.
Trois questions clés se posent.
Qu'est-ce qu'un service de contenus en ligne ? Il faut le définir juridiquement. On voit bien que l'Union européenne avance dans l'encadrement normatif du numérique et ce sera un apport important - si ce n'est le seul véritable - de ce projet de règlement.
Comment déterminer l'État de résidence habituelle et qui doit le faire ?
Qu'est-ce qu'un séjour temporaire ? Faut-il l'encadrer dans le temps, le limiter à un nombre de jours ?
Jean-Marie Cavada propose d'instaurer un principe simple : un seul État de résidence habituelle pour un abonné. C'est le fournisseur de services qui sera tenu de vérifier cette information sur la base de critères sérieux que le règlement fixera. Concernant la durée temporaire, notre collègue est plutôt favorable à ne pas donner une définition trop précise afin de prendre en compte le maximum de situations.
Soyons concrets : un étudiant qui bénéficie du programme Erasmus et qui va suivre un semestre ou une année d'étude dans un autre pays européen que le sien ne pourra pas prétendre à la portabilité. Il devra prendre un abonnement dans son pays d'accueil. Le salarié qui effectue une mission d'une semaine pourra, en revanche, demander la portabilité à son fournisseur.
Parallèlement, le Gouvernement est favorable à un renforcement de l'obligation de vérification et à un encadrement plus précis de la présence temporaire pour renforcer le droit effectif à la portabilité. Il y aura une négociation et nous aboutirons certainement à une solution.
Mon sentiment est que ce texte de la Commission va concerner un nombre très restreint de personnes et qu'il ne constitue pas un enjeu très important. D'après une étude d'Eurobaromètre, 29 millions d'Européens seulement sur 510 millions sont susceptibles de profiter de ce système. Sachant que les études d'Eurobaromètre donnent toujours des évaluations bien supérieures à la réalité, le nombre de personnes concernées doit plutôt avoisiner les 19 ou 20 millions.
Comme nous le rappelait Jean-Marie Cavada, l'enjeu, c'est la réforme du droit d'auteur. Celle-ci a été annoncée par la Commission il y a quelques semaines, mais la proposition formelle ne nous a pas encore été transmise. Quand ce sera fait, il faudra que notre commission et le Sénat se mobilisent.
M. Richard Yung. - La France est très sensible à cette question. Nous sommes l'État le plus actif, et parfois le plus hostile, à toute réforme du droit d'auteur par Bruxelles. Nous avons une bonne raison : notre pays a les industries culturelles et de création les plus importantes. Nous attendons la proposition de la Commission, qui aurait déjà dû la publier, mais qui en a retardé la sortie, certainement parce que les négociations sont difficiles.
M. André Gattolin. - Je précise que le texte a été transmis hier au titre du contrôle de la subsidiarité ! Nous pourrons donc l'examiner prochainement.
Mme Colette Mélot, secrétaire. - Nous allons maintenant examiner la communication de M. Gattolin sur la bande 700 Mégahertz (MHz).
M. André Gattolin. - Mes chers collègues, j'évoquerai maintenant la question de l'attribution de la bande de fréquences entre 470 et 790 MHz. Une proposition de décision nous a été transmise par le président Bizet dans le cadre de la procédure écrite.
Cette proposition vise à harmoniser les attributions de fréquences entre les États membres avec l'objectif d'un haut niveau de couverture. Cela concerne notamment la bande des 700 MHz, qui devrait être libérée pour les services de communications à haut débit sans fil. Concrètement, il s'agit de préparer partout dans l'Union une même bande de fréquences pour la 5G, la prochaine génération de téléphonie et d'internet mobiles de très haut débit. La Commission européenne estime que celle-ci est essentielle pour la compétitivité de l'Union dans les années à venir, ce qui est vrai. Il s'agit, par ailleurs, de maintenir la bande de fréquences entre 470 et 694 MHz - je ne sais pas ce qu'il se passe entre 695 MHz et 699 MHz -...
M. Daniel Raoul. - Ce sont des fréquences affectées pour des raisons de sécurité !
M. André Gattolin. - ... à la disposition des opérateurs de télévision numérique terrestre, dont nous bénéficions tous des services chaque jour.
Cette répartition des fréquences est issue des orientations arrêtées lors de la conférence mondiale des radiocommunications de novembre 2015. Elle reprend aussi les préconisations d'un rapport préparé par Pascal Lamy pour la Commission européenne.
En dépit de l`enjeu pour l'Union européenne, la difficulté réside dans le fait que l'attribution du spectre est une compétence nationale. La proposition de la Commission se borne donc à fixer un calendrier avec un cadre d'action commun pour une meilleure cohérence. La Commission effectue bien ici un travail d'optimisation qui ne déborde pas sur les prérogatives nationales.
Cependant, il ne faut pas négliger l'importance d'un calendrier pour des investissements lourds. Il faut soutenir l'approche volontariste de la Commission concernant l'attribution des fréquences à la téléphonie mobile avant le 30 juin 2020. Ce n'est pas une difficulté pour la France et l'Allemagne, qui ont déjà procédé au transfert. En revanche, cela en sera une pour l'Italie, qui est très en retard sur ces questions.
Pour ce qui est du reste de la bande des fréquences, le rapport Lamy prônait une stabilité réglementaire jusqu'en 2030, dans le but de sécuriser les investissements dans les infrastructures de radiodiffusion. Dans sa proposition initiale, la Commission envisageait plutôt un horizon 2025, rompant ainsi l'équilibre trouvé entre les différents acteurs.
Nous avons été alertés sur ce sujet par le secrétaire général de Télédiffusion de France, Arnaud Lucaussy, que nous avons rencontré en juillet dernier.
Des informations que nous avons, au Conseil, il semble y avoir un consensus pour revenir à la date de 2030, position fortement soutenue par notre gouvernement, et que nous appuyons également. De même, au Parlement européen, le projet de rapport de l'italienne Patrizia Toia, qui devrait être présenté en commission le mois prochain, retient la date de 2030, avec une évaluation à partir de 2025.
Il me semble donc qu'il n'est pas nécessaire d'interpeller le Gouvernement ou la Commission sur ce sujet, même si Colette Mélot et moi-même resterons vigilants quant à l'évolution de ce dossier.
Pour conclure, je vous signale simplement que la Commission européenne a annoncé la réforme du cadre européen des télécommunications, point extrêmement important pour notre continent et nos collectivités locales. Nous devrons être prêts à prendre position sur ce dossier quand il nous sera soumis.
M. Daniel Raoul. - Sur ce sujet, dans son discours sur l'état de l'Union, M. Juncker a souhaité que la technique 5G soit déployée et que des moyens financiers y soient consacrés, notamment pour les zones blanches. Je ne parviens pas à gagner le match contre Bercy et les opérateurs : pour résoudre le problème des zones blanches ou grises, on continue d'installer de la 2G ou de la 3G, alors que la 4G nous permettrait d'avoir, à la fois, du haut débit et la couverture de ces territoires. Il suffirait d'utiliser la bande des 700 MHZ, qui a une couverture bien plus large géographiquement parlant que la gamme actuelle. La France devrait avancer plus vite sur la question du haut débit, en particulier dans les zones blanches et grises. La technique est là !
M. Michel Raison. - Nous avons reçu un courrier de Bouygues, qui se félicitait d'avoir installé la 2G !
Mme Colette Mélot, secrétaire. - Monsieur Raoul, votre proposition est pertinente. Il faut faire passer ce message.
M. Daniel Raoul. - Cela fait deux ans que j'essaye ! Je sais bien que des intérêts financiers sont en jeu, notamment avec la vente des licences par Bercy. Il faudrait renégocier ces contrats.
M. André Gattolin. - La vente des licences 3G et 4G a nécessité des investissements très lourds de la part des opérateurs. Le passage à la 5G constitue une étape supplémentaire. On peut critiquer la Commission, mais le travail qu'elle a réalisé sur les précédents paquets télécoms est très positif, puisqu'il a conduit à une réduction du coût des communications en Europe. Il suffit de les comparer avec ceux qui sont appliqués aux États-Unis ou au Canada. C'est donc un avantage tant pour les particuliers que pour les entreprises.
Les États font payer très cher le passage de la 3G à la 4G ou de la 4G à la 5G, ce qui place parfois les opérateurs dans des situations délicates. D'autant qu'en France nous avons quatre opérateurs, alors que la taille du marché en nécessiterait peut-être moins.
Mme Colette Mélot, secrétaire. - Les collectivités qui sont en zone blanche ou grise ont le souci de faire avancer les choses. Nombre d'entre elles se plaignent de ne rien voir venir.
Nous avons examiné aujourd'hui des sujets qui peuvent paraître ardus - biotechnologies et numérique -, mais qui sont importants tant pour notre avenir que pour notre quotidien.
La réunion est levée à 10 h 25.