- Mardi 19 juillet 2016
- Mercredi 20 juillet 2016
- Bilan de l'application de la loi sur l'eau et les milieux aquatiques - Examen du rapport d'information
- Article 13 de la Constitution - Audition de M. Bernard Roman, candidat proposé aux fonctions de Président de l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (ARAFER)
- Vote sur la proposition de nomination du président de l'ARAFER
Mardi 19 juillet 2016
- Présidence de Hervé Maurey, président -Audition de M. Jean Michel Baylet, ministre de l'aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales
La réunion est ouverte à 17 h 35.
M. Hervé Maurey, président. - Je suis très heureux d'accueillir M. Jean-Michel Baylet, ministre de l'aménagement du territoire - cette notion revient et remplace celle d'égalité des territoires - de la ruralité et des collectivités territoriales. Nous n'avons malheureusement pas pu vous recevoir plus tôt, pour évoquer votre action depuis votre nomination en février. Que s'est-il passé depuis ? Un troisième Comité interministériel aux ruralités (CIR) qui a confirmé de nombreuses mesures ; beaucoup sont des redites, des mesures incantatoires et non des décisions opérationnelles. Vous avez désigné avec le ministre de l'intérieur des référents ruralité : quel sera leur rôle ? Vous avez également annoncé des contrats de ruralité, sur le modèle des contrats de ville. Nous avions adopté en ce sens une proposition de loi de Pierre Jarlier, contre l'avis de la majorité nationale et de Mme Pinel, votre prédécesseur. Je me réjouis que les esprits aient désormais évolué !
Au-delà des annonces, l'aménagement du territoire reste malheureusement le parent pauvre des politiques publiques ; nous le déplorons. Je prendrais deux exemples de priorités majeures. Pour améliorer la présence médicale dans les territoires, de nombreuses maisons de santé ont été créées. C'est bien, mais elles ne suffisent pas à attirer les professionnels. Dans le cadre du projet de loi Santé, notre commission a adopté à l'unanimité les propositions fortes de l'avis de Jean-François Longeot pour instaurer un système de régulation, à l'instar de ce qui se fait pour de nombreux professionnels de santé comme les kinésithérapeutes. Par manque de courage politique, les gouvernements successifs ont toujours refusé de mettre en place cette mesure.
Avec Patrick Chaize, rapporteur pour avis du projet de loi pour une République numérique, j'ai présenté un rapport sur la couverture numérique. Les choses évoluent insuffisamment. L'État devrait enfin faire preuve d'autorité vis-à-vis des opérateurs, qui se croient libres envers tous les engagements qu'ils ont eux-mêmes pris. Si j'ai soutenu la proposition d'Emmanuel Macron d'amélioration de la couverture mobile, elle est insuffisante, notamment pour ce qui concerne la comptabilisation des zones blanches : dans mon département de l'Eure, 15 sites ont été identifiés, alors qu'une étude approfondie en a relevé 200 ! L'appréhension diffère fortement de la réalité... Évitons des ruptures d'égalité.
Au-delà des annonces, nous aimerions sentir une véritable attention pour nos territoires, qui sont en déclin alors qu'ils sont une véritable richesse - comme l'a souligné récemment France Stratégie -. Le temps n'est plus au déni de réalité ni à l'autosatisfaction. Mes propos, aussi sévères soient-ils, sont aussi la traduction de l'impatience, voire de l'exaspération des territoires. Quels sont vos projets législatifs, notamment sur le projet de loi montagne annoncé depuis longtemps ? Quels sont vos projets d'aménagement du territoire ? Nous avons créé un groupe de travail avec Louis-Jean de Nicolaÿ pour approfondir cette question. Quelles sont vos propositions concrètes ? Que pensez-vous de l'avis de France Stratégie ? Nous entendrons son président, M. Pisani-Ferry, à la rentrée. Les inégalités entre les territoires se sont accentuées ces dix dernières années. Faut-il soutenir les territoires en déclin ou les seuls territoires dynamiques ? Ce serait la négation même de l'aménagement du territoire...
M. Jean-Michel Baylet, ministre de l'aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales. - Je suis heureux de retrouver tant de visages connus dans cette assemblée que j'ai longtemps fréquentée. Monsieur le président, vous avez fait preuve de franchise, sans peser vos mots. Je ferai de même. Je n'ai pas l'habitude d'être incantatoire. Hier, j'ai lu votre tribune sur le site internet des Echos ; en matière d'incantatoire et d'autosatisfaction, c'est un monument !
Ce ministère n'a pas été constitué par hasard. J'ai insisté sur la nécessité de réunir dans un même ministère l'aménagement du territoire - oui, j'ai souhaité revenir à cette notion - la ruralité et les collectivités locales. L'époque de la Délégation interministérielle à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale (Datar) est révolue. Elle a fait un travail remarquable, avec des méthodes et une organisation qui sont maintenant dépassées. Désormais, il est impensable de ne pas associer les collectivités territoriales à la politique d'aménagement du territoire. Le rural, le périurbain et l'urbain sont dans un même ministère ; arrêtons de les opposer - certains ruraux nous reprochent de trop favoriser les métropoles, tandis que certains urbains veulent en faire plus pour les agglomérations, où réside la majorité de la population. Je n'ai pas cette vision : ayons une complémentarité, et même une osmose. Les grandes villes sont en train d'être transformées en métropoles ou en communautés urbaines. Il est nécessaire qu'elles soient soutenues par l'État. Nous signerons des contrats entre l'État et les métropoles, à l'instar des contrats de plan État-région (CPER).
On ne parle toujours pas du périurbain, alors qu'il s'est développé fortement à proximité des grandes villes. Dans certaines villes, les élus ont su maîtriser l'urbanisme, l'espace, les services publics et les commerces. Dans d'autres, ils ont livré ce développement à des promoteurs immobiliers juxtaposant des lotissements, où les votes révèlent le mal-être des citoyens y résidant. Avec le développement des mobilités et des transports, le périurbain n'est plus la banlieue des grandes métropoles : il peut s'étendre jusqu'à 60 kilomètres. J'ai demandé à France urbaine, l'association des métropoles, présidée par Jean-Luc Moudenc, de créer les conditions de solidarité avec ces territoires, y compris en ingénierie territoriale. La ruralité est l'objet de toutes nos sollicitudes, laissée pour compte pendant longtemps. Avançons d'un même pas et ne laissons personne au bord du chemin.
Depuis ma nomination, mon maître mot est la stabilité institutionnelle et financière : les collectivités territoriales ont été bouleversées depuis quelques années par de très nombreuses réformes, et fortement sollicitées. Je n'ai pas l'intention de laisser mon nom sur une loi, mais mettons de l'huile dans les rouages ; il en faut beaucoup ! Créons les conditions pour que les lois de la République s'appliquent. J'ai été plutôt critique sur de nombreux textes, mais quand la loi est votée, elle s'applique à tous.
En matière d'aménagement du territoire, il y a quatre grands sujets : d'abord, la téléphonie mobile et le numérique. Il y a dix ans, on a négocié avec les opérateurs l'attribution des fréquences - vous avez bien fait de les montrer du doigt. Avec Emmanuel Macron, je fais régulièrement pression sur eux à Bercy. L'État a beaucoup discuté du prix mais peu du cahier des charges sur l'aménagement du territoire. Naturellement, ces multinationales sont allées dans l'urbain, plus rentable, et ont délaissé le reste du territoire. Nous le payons aujourd'hui. Notre objectif est de couvrir tous les centres-bourgs, au minimum avec la 3G, d'ici mi 2017. Il sera possible grâce à l'engagement de l'État, qui finance en totalité la construction des pylônes dans les 300 centres-bourgs recensés, à hauteur de 30 millions d'euros avant la fin de l'année. Les opérateurs se sont engagés à les raccorder au réseau dans un délai de 6 mois en 3G. Je serai vigilant au respect de cet engagement. Une nouvelle vague de mesures sera lancée à l'automne pour recenser les centres-bourgs sans couverture mobile.
Oui, la prise de ces mesures dans un rayon de 300 mètres des mairies à une hauteur de quatre mètres n'a pas de sens, et devra être revue. Dans mon département, il n'y a soi-disant pas de zones blanches, or je sais qu'il en existe. Je fais pression sur l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep), mais les choses ne changent pas en cinq minutes. Hors des centres-bourgs, 1 300 sites d'intérêt économique ou touristique bénéficient du soutien de l'État pour une couverture au minimum en 3G. L'État finance 50 % - et 75 % en montagne- de la construction des pylônes pour un total de 42,5 millions d'euros. Désormais, les opérateurs consentent à mutualiser les réseaux en zone de faible densité. Toutes les communes couvertes en 3G le seront à terme par les quatre opérateurs.
Autre avancée des Comités interministériels aux ruralités (CIR), les élus participent au suivi de l'évolution de ces réseaux structurants. Les compétences des Commissions de concertation générale sur l'aménagement numérique des territoires (Ccrant) sont élargies à la téléphonie mobile. J'aurais le même commentaire sur l'attribution des fréquences dans le cadre du plan France très haut débit. L'État, les collectivités territoriales et les opérateurs font un effort inédit : 20 milliards d'euros d'ici 2022. Ce n'est peut-être pas assez, mais nous allons vite pour rattraper le temps perdu depuis les années 2000-2002. Lors du précédent quinquennat, un autre plan avait fixé l'objectif d'une couverture numérique totale en 2020, sans jamais mettre aucun moyen. Désormais, 20 milliards sont abondés par les opérateurs, les collectivités et l'État, et nous avançons très rapidement. Emmanuel Macron et moi-même faisons pression. Dans ce fameux plan qui ne prévoyait que 2 milliards d'euros, 900 millions en soutien aux collectivités, aucun opérateur n'a candidaté : un échec total ! Dans ce plan, l'État ne jouait pas son rôle de garant des solidarités territoriales.
Dans le cadre du plan France très haut débit, l'État participe au financement des réseaux d'initiative publique (RIP) à hauteur de 3,3 milliards d'euros, pour 43 % de la population et 90 % du territoire, avec une accélération due au renforcement des moyens de l'Agence du numérique. L'objectif que tous les départements aient un accord de financement d'ici fin 2016 sera tenu. Nous serons particulièrement attentifs au respect des engagements des opérateurs pour la commercialisation des RIP. Avec une année d'avance, nous atteindrons l'objectif de raccordement d'un local sur deux au très haut débit fin 2016, contre seulement 27% en 2012. Certes, les technologies pourront encore connaître des évolutions rapides. En complément de la technologie FTTH, nous ne devons pas négliger les récentes avancées comme le 4G LTE (Long Term Evolution).
Avec Marisol Touraine, nous sommes très attentifs à la troisième attente de nos concitoyens, l'accès à des soins de proximité. Nous avons augmenté l'objectif à 1 000 maisons de santé d'ici la fin de l'année ; il sera certainement dépassé, d'après les informations du nouveau commissaire général à l'égalité des territoires, M. Jean-Michel Thornary, ici présent, qui était auparavant directeur général des services de la région Ile-de-France. Je le remercie d'avoir accepté de travailler à nos côtés. Le dernier Comité interministériel aux ruralités, troisième en quatorze mois - alors qu'il ne s'était jamais réuni entre 2010 et 2014 ! - à Privas a décidé de 37 mesures supplémentaires, portant à 104 le nombre de mesures mises en place pour l'aménagement du territoire et pour la ruralité. Nous avons décidé de créer 400 maisons de santé, il y en aura donc 1 400 d'ici le début de 2018.
Par ailleurs, nous avons annoncé des mesures allant dans votre sens : 1 700 contrats d'engagement de service public seront signés avec des étudiants ou des internes en médecine qui, moyennant ce financement de leurs études, s'engagent à s'installer dans des zones rurales ou fragiles - sauf à rembourser cette aide. L'année prochaine, 750 de plus seront signés. Nous introduisons une modulation régionale du numerus clausus pour les étudiants en médecine, car il empêchait l'installation de certains médecins dans ces zones.
Quatrième sujet, l'accès aux services publics, en recul considérable dans certains territoires, même si ce phénomène ne date pas d'aujourd'hui... Je commence à être un ancien élu, et depuis que je fais de la politique, j'entends tout le monde se plaindre de la disparition du service public en milieu rural ou fragile, sans qu'aucune solution ne soit trouvée. Nous apportons une solution différente avec les maisons de service au public : 1 000 seront installées d'ici la fin de l'année dont 500 avec La Poste. Nous avons contractualisé avec 7 services publics comme Pôle emploi, la Caisse d'assurance retraite et de la santé au travail ou la Mutualité sociale agricole. La maison du tunnel du Chambon que j'ai inaugurée rassemble 31 services ; dans le Lot-et-Garonne, une autre héberge des infirmières libérales ; ailleurs, elle est aussi antenne de sous-préfecture ou de tribunal. Ces maisons ramènent le service public dans ces territoires. Lorsque La Poste est présente, elle prend en charge le fonctionnement et l'investissement, et garantit la présence postale. Les chiffres sont encourageants.
Lors de ce CIR, nous avons confirmé la présence d'un référent ruralité dans chaque département - en général sous-préfet ou secrétaire général de la préfecture - qui constitue autour de lui un comité avec, entre autres, les parlementaires, le président de conseil départemental, le président de la chambre de commerce et d'industrie, pour faire connaître ces mesures. Certaines avaient déjà été prises du temps de Sylvia Pinel, mais étaient peu connues. J'ai réuni ces référents, tous nommés, il y a 15 jours au Commissariat général à l'égalité des territoires. Désormais, l'information circule. Ces référents mettront en place les contrats de ruralité, mesure emblématique du dernier CIR, qui ne sont pas exactement du même genre que ceux proposés par vos collègues, même si l'esprit reste le même. Ils sont le pendant des contrats de ville mais sans reprendre leur méthode. Je suis un élu de terrain, qui aime la proximité, et je veux déconcentrer. Le Fonds de soutien à l'investissement local (Fsil), géré par mon ministère, est déconcentré auprès des préfets de région qui travaillent avec les préfets de département. Il marche très bien, avec 1 milliard d'euros cette année - 500 millions pour l'investissement local, 300 millions pour les centres-bourgs, 200 millions de Dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) supplémentaires. En trois ans, la DETR a augmenté de 61 % - 200 millions cette année, 200 millions l'an dernier - et est désormais d'1 milliard. Ce véritable accompagnement des collectivités doit être engagé rapidement. Plutôt que de faire des procédures d'appel à projets comme pour les contrats de ville, longues, sophistiquées, complexes et qui demandent beaucoup d'ingénierie, j'ai souhaité déconcentrer auprès des préfets. Je n'ai mis qu'une seule condition pour utiliser le Fsil : les projets doivent être prêts à être engagés. Le Fsil peut être cumulé avec le Fonds national pour l'aménagement et le développement du territoire (FNADT), avec la DETR... Plus de 3 400 dossiers ont été acceptés et près de 70% du fonds est déjà consommé.
Ces contrats de ruralité seront passés entre l'État, les pôles d'équilibre territoriaux et ruraux (PETR) et/ou les intercommunalités, en partenariat avec la région. Nous sommes en pleine clause de revoyure des CPER à la suite de la fusion des régions, avant la grande revoyure de 2018. À l'unanimité, les présidents de région ont donné leur accord pour être présents. Les départements pourront s'y associer s'ils le souhaitent, sans contractualisation. J'ai été président de département : en cas de contractualisation les départements saupoudreront les moyens dans leur propre politique, sans effet de levier sur ces contrats. Les contrats seront instruits par les préfectures et les référents ruralité.
Les préfets et les présidents de conseils départementaux construisent des schémas d'accessibilité au public ; je ne souhaitais pas qu'on continue à fermer des services publics sans réflexion. Les préfets ont désormais un droit d'alerte en cas de fermeture d'un service public incohérente avec le schéma. Ils me saisissent ainsi que le Premier ministre et nous agirons.
Le Président de la République a fait des annonces lors du Congrès des maires. J'ai rencontré toutes les associations d'élus, individuellement puis collectivement. J'ai rencontré le groupe sénatorial et les députés, transpartisans, travaillant sur la réforme de la Dotation globale de fonctionnement (DGF). Si tout le monde veut réformer une DGF jugée inéquitable et illisible, peu s'accordent sur la vision, chacun regardant à sa porte et voulant que la réforme se fasse à son profit. Or l'État n'est plus riche et ne peut plus dire qu'il n'y aura que des gagnants... Lorsque j'ai reçu les associations dans leur globalité, à ma demande, elles m'ont présenté une motion me demandant le report d'un an de la DGF, la création d'un projet de loi de finances des collectivités à côté du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale, et souhaitant toucher simplement à la péréquation. Dans son intervention, le Président de la République a souligné l'effort indispensable des collectivités au redressement des finances et des comptes publics. Cette situation n'était pas meilleure à notre arrivée, puisque le Premier ministre François Fillon jugeait que la France était en faillite. Ce n'est pas moi qui le dis ; et moi, j'aime la franchise ! Le Président a accepté de diviser par deux l'effort pour 2017, qui ne sera que d'1 milliard d'euros pour le bloc communal contre 2,1 milliards prévus. Il a confirmé et même augmenté le Fsil à hauteur de 1,2 milliard d'euros - 600 millions d'euros pour l'investissement et 600 millions d'euros pour la ruralité, dont les contrats de ruralité. Il a porté la DETR à 1 milliard et réformé le Fonds de compensation à la TVA comme vous le souhaitiez. Nous avons été dans la direction des élus ; c'est normal. En 2018, quelle que soit la majorité, il y aura un projet de loi de finances des collectivités, dans le cadre duquel sera réformée la DGF. Toucherons-nous à certaines dotations ? Je ne suis fermé à rien, si nous aboutissons à un consensus minimal - j'ai perdu depuis longtemps mes illusions d'un consensus absolu... Autrement, ce serait la réforme pour la réforme, et un passage en force. Nous l'avons suffisamment vécu pour ne plus recommencer.
On ne parle pas depuis si longtemps du projet de loi Montagne : au départ, c'était une proposition de loi. Le Premier ministre a décidé de le transformer en projet de loi pour lui donner davantage d'ampleur. Il est en cours de finalisation et sera présenté au Conseil d'État dans les prochains jours, avant un passage en Conseil des ministres en septembre, pour un débat au Parlement avant l'examen du projet de loi de finances. J'ai co-construit ce projet de loi avec l'Association nationale des élus de montagne (Anem), avec des élus de la majorité et de l'opposition. Quand on veut travailler main dans la main, on avance mieux. À l'Assemblée, il y a une rapporteure de la majorité et une de l'opposition. J'ai demandé qu'il en soit de même au Sénat pour trouver un accord. J'ai reçu Laurent Wauquiez, actuel président de l'Anem, et sa vice-présidente Marie-Noëlle Battistel. Nous sommes tombés d'accord. Assez de balivernes : soit nous voulons ce projet de loi montagne, et il faut construire un consensus et le voter en procédure accélérée, soit nous passons par la procédure parlementaire ordinaire, et il n'ira pas jusqu'au bout. Quel que soit le Gouvernement en 2017, le projet de loi montagne ne sera probablement pas sa priorité. Nous avançons bien avec Laurent Wauquiez et les députés de droite et de gauche, afin d'oeuvrer utilement pour la montagne. Je crois au pragmatisme, aux partenariats et à la volonté des femmes et des hommes d'oeuvrer ensemble. Dans notre démocratie, voici le temps de débattre des idées et que des majorités se forment ou se déforment. Merci de votre écoute, je reste à votre disposition.
M. Hervé Maurey, président. - Je vous remercie. La parole est à Rémy Pointereau, rapporteur pour avis du budget politique des territoires.
M. Rémy Pointereau. - Je salue le changement d'intitulé de votre ministère. L'égalité des territoires m'a toujours semblé irréaliste et inapplicable sur le terrain. L'aménagement du territoire n'existe plus dans notre pays. Vous dites que rien n'a été fait avant 2012, mais soyons un peu plus modestes ! Nos concitoyens ne veulent plus entendre cela. Redonnons de la noblesse à la politique. Il y a eu des choses bien et moins bien depuis 2012 - parmi les négatives, je citerai la fin des pôles d'excellence rurale, la réduction des crédits aux territoires ruraux de 7 milliards d'euros en 2012 à 5,4 milliards en 2016, l'absence de réunion des commissions des zones de revitalisation rurale (ZRR) et d'aménagement du territoire... Comment faire de la prospective pour nos territoires ? Essayons de trouver ensemble des solutions.
Quelles seront les grandes lignes de la loi montagne ? Patrick Chaize évoquera la couverture numérique. L'étude de l'Arcep sur la téléphonie mobile sous-estime la réalité : dans la région Centre, il n'y aurait que 3 ou 4 zones blanches alors que j'en ai 80 dans mon département !
Les pôles de compétitivité sont une belle politique, lancée lors du précédent quinquennat. Les crédits, déjà réduits, seront-ils sanctuarisés ? Certains pôles seront-ils fusionnés ? Comment seront gérés les pôles restants ? L'idée de services au public a été lancée en 2008. Nous l'avons longuement étudiée. Quel appui l'État apportera-t-il aux collectivités, avec quel rythme de déploiement ? Le chiffre de 1 000 maisons sera-t-il atteint en fin d'année ? Mme Pinel s'était opposée aux contrats de ruralité. Quelles raisons motivent votre changement de position ? Quels seront les moyens financiers : seront-ils pris sur la politique des territoires ou sur des crédits supplémentaires ?
La politique des centres-bourgs est une bonne politique. Favorisons les pôles de centralité dans nos départements, où pourront être gardés des habitants et une activité. Moins il y a de services, et plus il y a de votes de rejet, extrêmes. Trouvons des solutions pour démontrer l'égalité entre la ruralité et les métropoles. Cela nécessite un effort considérable. Je n'évoquerai pas le problème du déséquilibre de la DGF entre les territoires ruraux et urbains, avec des écarts du simple au quadruple. Beaucoup de questions se posent, j'espère des réponses !
M. Jean-Jacques Filleul. - Merci, monsieur le ministre, de la présentation très précise et exhaustive de votre ministère et de vos actions, ce qui a répondu par avance à certaines de nos questions. Nous sommes très attentifs à l'aménagement du territoire.
Quel sera le contenu des contrats de ruralité, et avec quels moyens de l'État ? Comment s'articuleront-ils avec les politiques des régions sur leur territoire ? La loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (Maptam) a créé 15 métropoles, mais zéro en région Centre, où se concurrencent Tours et Orléans. Faut-il augmenter le nombre de métropoles ? En tant que rapporteur de la loi Maptam, j'estimais que ce chiffre était déjà important. Mais j'y suis attentif en tant qu'élu d'Indre-et-Loire.
Les maisons de service au public sont importantes dans mon département encore très rural. À chaque déplacement dans un canton, je les mentionne auprès de maires qui y sont très attentifs. C'est une réponse politique aux problèmes que vous avez rappelés. Quels moyens financiers de l'État seront consacrés à ces maisons de service au public ?
M. Pierre Camani. - La négociation entre l'Association des départements de France (ADF) et le Gouvernement sur la recentralisation du revenu de solidarité active (RSA) a échoué. Pour la première fois, on voulait recentraliser cette charge pesant lourdement sur certains départements comme celui que je préside, le Lot-et-Garonne. Nous subissons la double peine : des charges de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) et du RSA extrêmement élevées. Je regrette que la négociation n'ait pas abouti. Il reste un différentiel énorme, 50 départements ruraux ne pourront pas boucler leur budget. Dans mon département, malgré des ratios de gestion faisant référence, notamment de charges de fonctionnement, nous ne pourrons équilibrer notre budget sans le soutien de l'État. Vous travaillez à un fonds d'urgence, je préfèrerais parler d'un fonds de compensation, mis en place en fonction du reste à charge des allocations individuelles et de solidarité. Où en est la réflexion de l'État ?
M. Cyril Pellevat. - En tant qu'élu de Haute-Savoie, je m'interroge sur le transfert automatique de la compétence de promotion du tourisme à l'intercommunalité prévue par la loi NOTRe au 1er janvier 2017. Il est prévu une exception en faveur des stations classées qui le souhaitent. Pouvez-vous nous en dire plus ? Nous avons de nombreuses stations comme Megève qui sont concernées. L'exception sera-t-elle étendue aux communes touristiques ayant une marque territoriale protégée, comme le souhaitent les associations d'élus ?
Les unités touristiques nouvelles (UTN) ont été supprimées par la loi Macron du 6 août 2015, ce qui déplaît tant aux élus de la montagne qu'aux associations environnementales. Le 7 avril dernier, la commission permanente du Conseil national de la montagne s'est opposée au projet d'ordonnance relative à la suppression des UTN. La réforme de la procédure des UTN, tant attendue, sera-t-elle inscrite dans le projet de loi montagne, et sous quels termes ?
Au vu des aménagements relatifs à la taxe sur le foncier non bâti en 2016 et des annonces pour 2017, cette taxe est-elle maintenue ? Si oui, est-il possible d'avoir davantage d'éléments ? Est-ce les termes de 2017 qui seront maintenus ou peut-on la supprimer, et revenir sur le dispositif de 1980 ?
Mme Nicole Bonnefoy. - Merci, monsieur le ministre, pour votre action volontaire et dynamique en faveur des territoires et pour votre franchise. Les contrats de ruralité ont été annoncés lors du dernier CIR. Les territoires pouvant en bénéficier seront identifiés fin octobre et début novembre, avec des signatures début 2017. Un groupe de territoires tests préparera le cadre juridique des contrats. Un PETR rural de Charente est candidat pour en faire partie. L'ingénierie, en tout ou partie, pourra-t-elle faire partie de ces contrats ? Sans ingénierie de qualité, on n'avancera pas beaucoup ; elle est souvent difficile à financer.
Les circulaires envoyées aux préfets font état de six thématiques à développer. Pour l'année prochaine, les territoires retenus devront-ils porter des projets sur les six thématiques, ce qui paraît compliqué d'ici l'année prochaine, ou des études pourront-elles être engagées sur certaines thématiques seulement ?
J'ai été surprise d'apprendre que les parlementaires pouvaient participer aux comités de suivi : je n'ai pas été conviée. J'interrogerai immédiatement le sous-préfet. Les responsables de PETR, a fortiori ceux pouvant signer un contrat de ruralité, ne sont pas membres des comités de suivi. Il serait intéressant de les y intégrer.
M. Jean-François Rapin. - Notre commission a organisé des tables-rondes sur la démographie médicale. Le problème du numerus clausus est mis en avant. Mis en place en 1971, si en 45 ans il avait pu résoudre les problèmes de démographie médicale, on le saurait.... Il l'a fait, mais négativement ! En 1993, seuls 3 500 étudiants de médecine étaient autorisés, après une forte réduction. En 2003, il a fallu la canicule pour voir que la démographie médicale était en grand danger et augmenter les chiffres. De grâce, ne touchons plus au numerus clausus. Laissons-le entre 7 500 et 8 000 médecins. Les ajustements à la marge ne changeront rien à la situation dans 10 ans.
Les maisons de santé partent d'une démarche intéressante, et nous ne vous mettrons pas sur le dos 30 ans d'erreurs sur la démographie médicale et sur les moyens dévolus à la santé dans les territoires. Mais attention à la capacité que nous aurons, dans dix ou quinze ans, à donner une longévité et une âme durable à ces maisons de santé. Il y a quinze jours, j'étais en réunion dans le Pas-de-Calais avec les élus locaux et les parlementaires sur une maison de santé en grand danger, car quatre médecins l'avaient montée et mise en place avec la réglementation draconienne et des aides attribuées par la région. Désormais, si le départ en retraite d'un médecin n'est pas remplacé, les charges des autres sont démultipliées et les médecins restants souhaitent alors reprendre leur autonomie. La longévité des maisons de santé nécessite des moyens pour l'avenir.
Oui, il faudra passer à la vitesse supérieure sur la démographie médicale, quels que soient les gouvernements futurs. Un mélange de mesures coercitives et préventives nous aidera à réguler les questions des points de santé sur les territoires. Il ne faudra pas réguler le nombre de médecins sur certains territoires, mais peut-être interdire l'installation dans des territoires déjà surpeuplés de médecins. Il faudra le dire et le faire, et je le dis en tant que professionnel de santé, même si cela fait tousser certains de mes collègues.
Comme je l'ai dit à votre cabinet, en tant que président de l'Association nationale des élus du littoral (Anel), j'aimerais que les élus du littoral soient entendus comme ceux de la montagne. Ils sont présents sur tous les bancs. Si vous avez trouvé un consensus avec les élus de la montagne pour refaire une loi montagne, travaillons de concert sur l'adaptation de certaines mesures prises en 1986 qui ne sont plus adaptées à la vie moderne. Lorsqu'il a adopté la loi littoral, le législateur ne souhaitait pas interdire la construction de stations d'épuration, le développement ou la démographie sur le littoral. J'entends déjà les sirènes de certaines associations refusant de toucher à la loi littoral, mais cela bloque le développement de certains territoires.
M. Jean-Yves Roux. - La réforme des ZRR, issue du projet de loi de finances rectificative, ne manque pas d'inquiéter les communes rurales. Connaissez-vous le nombre de communes sorties du classement ? Je crois savoir que le nombre de communes est stable, mais que le nombre d'habitants concernés augmente sensiblement.
Les communes rurales précédemment en ZRR et engagées dans une intercommunalité plus importante, pourront-elles conserver les caractéristiques de ce zonage, avec le financement de la dotation qui l'accompagne ?
M. Patrick Chaize. - J'ajouterai à votre exposé quelques éléments d'insatisfaction sur le plan France Très haut débit. Sur les trois milliards de crédits prévus, seuls 50 millions d'euros ont été décaissés. Comment accélérer le mouvement ? Les outils nécessaires au développement harmonieux des réseaux, notamment la plateforme commune évoquée par l'Agence du numérique, font l'objet d'une certaine réticence - pour ne pas dire plus - de l'opérateur historique. La validation du plan France Très haut débit par la Commission européenne est une arlésienne ; on nous assure qu'elle viendra, mais cela relève de la méthode Coué... L'inquiétude des collectivités pourrait freiner le développement des réseaux.
Certes, il faut changer la définition de la zone dite blanche, mais au-delà des déclarations, il convient surtout d'imposer des objectifs plus ambitieux aux opérateurs. On ne l'a pas fait à l'occasion de la vente de la fréquence 700 MHz, donnant l'impression que ce sont ces derniers qui commandent... Plus globalement, l'actionnariat de l'État chez Orange serait-il un frein au développement du plan France Très haut débit et de la téléphonie mobile ?
Mme Odette Herviaux. - Sans méconnaître l'importance de l'aménagement du territoire, je me méfie de la prospective descendante. Le centralisme aménageur a été nécessaire, mais l'époque de la Datar est révolue. Il convient désormais de faire confiance aux territoires, aux élus, aux conseils de développement, pour imaginer leur aménagement. Au sein du comité de suivi des mesures issues du comité interministériel, j'ai pu constater l'inventivité du travail collectif, mais surtout l'importance d'un partage d'expériences entre les communes. Malheureusement, les élus ne participent pas toujours aux réunions organisées à la Préfecture ; mais les parlementaires y sont associés, et cela fonctionne - en tout cas dans mon département - quand on s'en donne les moyens.
M. Michel Raison. - Je partage entièrement votre volonté de ne pas opposer les territoires, notamment ruraux et urbains ; ils sont beaucoup plus multiples qu'on ne le croit. Nous avons davantage besoin d'équilibre et d'équité que d'égalité. En revanche, je suis en désaccord avec vos propos polémiques sur la notion d'équilibre. Après tout, on pourrait aussi traiter les gouvernements successifs avec équilibre...
Vous vous félicitez d'avoir organisé trois comités interministériels délocalisés. Celui de Vesoul a coûté très cher ; depuis, nous avons appris la fermeture de trois perceptions - certes probablement nécessaire -, la confirmation de la fermeture d'une maison d'arrêt, la fermeture de cinq collèges annoncée par le président du Conseil départemental qui appartient à votre majorité, et probablement le transfert de l'État à la région du financement d'un train d'équilibre du territoire (TET). Or nous ne savons pas si la Région sera en mesure de maintenir cette ligne entre Belfort, Lure, Vesoul, Chaumont et Paris. Voilà les annonces depuis le comité interministériel de Vesoul...
Contrairement à ce que vous laissez entendre, vous n'avez pas créé les maisons de services au public, mais nous nous félicitons de leur développement.
Vous affirmez votre volonté de créer des maisons de santé, mais la décision ne vous appartient pas. Les créations de ces maisons par des communautés de communes ont été un échec ; l'initiative doit appartenir aux médecins, aux professionnels de santé. L'un d'entre eux m'a même suggéré des maisons de santé virtuelles, qui coûteraient moins cher. Faute de quoi, les maisons créées resteront vides, laissant aux communes des emprunts difficiles à rembourser...
Le numerus clausus s'élève actuellement à 8 000. Sur la question de la répartition des médecins sur le territoire, je ne vous ferai pas davantage de reproches qu'aux gouvernements précédents... Lorsque j'étais député, j'ai déposé deux amendements, ensuite repris par Jean-François Longeot dans le cadre de la loi de Santé, pour le plafonnement des zones surdotées. Cette mesure reçoit le soutien de 70 % des syndicats nationaux de la profession médicale. Nous l'avons fait pour les infirmières, les pharmacies ; ce n'est pas un sujet si polémique. Ayez ce courage que vos prédécesseurs n'ont pas eu. Vous avez annoncé votre intention d'être franc ; quelle est, sans langue de bois, votre position sur ce sujet ?
Mme Nelly Tocqueville. - Maire d'une commune rurale faisant partie de la métropole Rouen-Normandie, j'ai participé à l'inauguration de l'une des premières maisons de services au public de Seine-Maritime. Au vu de sa fréquentation, elle répond aux besoins de la commune concernée, mais aussi des communes avoisinantes.
De nombreuses communes et intercommunalités ont réalisé des investissements importants dans les maisons de santé ; mais celles-ci se retrouvent parfois, à cause de désistements de médecins ou de professionnels de santé, sans objet ou très fragilisées. Sommes-nous en mesure d'évaluer ces échecs ?
Quant à la participation des parlementaires aux comités de suivi, les préfets ne nous sollicitent pas parce que, semble-t-il, ils n'y sont pas obligés.
M. Louis-Jean de Nicolaÿ. - Pourquoi ne pas mettre en place, directement, la 4G dans les zones sous-dotées, plutôt que la 2G ou la 3G ? Il y a des explications, mais le public ne les comprend pas.
Les communes en milieu rural se rapprochent, mais la mise en place des communes nouvelles est longue et nécessite une plus grande visibilité, avec les avantages qui en découlent.
Concernant les maisons de services au public, il convient que les politiques menées tiennent compte de la réflexion initiée dans le cadre des schémas de cohérence territoriale (Scot). Dans la Sarthe, le préfet nous a dit que ces maisons devaient être distantes d'au moins vingt kilomètres ; c'est ainsi que ma commune de 4 000 habitants, à 19 kilomètres de la Flèche, n'aura pas de maison de services au public. Il conviendrait d'introduire de la souplesse dans ce système.
M. Benoît Huré. - La question de l'aménagement du territoire, faute d'avoir été prise à bras-le-corps par les gouvernements successifs, nous rattrape à travers l'augmentation des écarts de richesse entre les territoires et l'évolution d'une partie de l'électorat dans les zones les plus désespérées. Je regrette que les négociations sur la compensation des charges de solidarité - personnes âgées, personnes handicapés, enfance vulnérable - par l'État n'aient pas abouti. Les responsabilités en la matière sont partagées. Les départements, dans le cadre de la loi NOTRe, ont désormais la responsabilité de la mise en oeuvre de la solidarité territoriale. Or ils sont en grande difficulté, ne serait-ce que pour la solidarité avec les personnes fragiles, leur première mission. Nous pouvons être fiers des politiques de solidarité, mais elles représentent 18 milliards d'euros par an ; elles sont mises en oeuvre par les départements pour le compte de la Nation, mais l'État a de moins en moins les moyens de compenser les charges qu'elles représentent. Il y a deux ans, 7,2 milliards d'euros n'ont pas été compensés ; en 2015, 8,3 milliards ; et cette année, 9,2 milliards. Plus grave, la compensation est inégalitaire : le reste à charge varie de 70 à 217 euros par habitant en France métropolitaine. Plus les départements ont de bénéficiaires du RSA et de personnes âgées, moins ils sont remboursés. Voilà les effets pervers d'une construction venue de Bercy.
Quarante départements menacent de s'effondrer, sans alternative pour les politiques en direction des plus fragiles. La voie est toute tracée pour les menaces populistes... Nous n'en serions pas là si vous aviez pu conduire la négociation sans contrainte, d'autant que vous aviez le soutien du Premier ministre. Mais les experts de Bercy sont passés par là...
La question de la péréquation n'oppose pas la gauche à la droite, puisque Mme Hidalgo a rejoint la fronde des départements nantis.
Le travail d'expertise conduit à l'occasion de cette négociation doit être repris et réutilisé. Si les conseils départementaux ne sont pas mieux accompagnés, c'est tout un pan de la politique d'aménagement qui ne pourra pas être conduit.
M. Charles Revet. - Je partage la position de Michel Raison sur les maisons médicales : il convient de s'appuyer sur les médecins, sinon cela ne fonctionne pas. Les jeunes médecins entendus par la commission lors de la table ronde consacrée à ce sujet, présidée par Hervé Maurey, nous ont fait part de leur volonté de mettre en place une médecine de groupe. Il est indispensable que le numerus clausus augmente : nous perdons 10 % d'effectifs chaque année, en particulier à cause de la féminisation - dont, bien sûr, je me félicite. Tous les trois ou quatre ans, nous perdons une année de formation.
Quelle est votre position sur les Scot ? Bien qu'ils soient impératifs, il serait bienvenu d'y introduire de la souplesse. Face à une demande importante d'accès à la propriété en milieu rural, certaines communes n'ont droit qu'à un permis de construire par an... À terme, des communes rurales vont disparaître faute de répondre à cette demande.
M. Michel Vaspart. - Je vous ai fait part à la tribune, voici quelques mois, de notre inquiétude vis-à-vis de la loi littoral. Malgré les rapports d'Odette Herviaux et Jean Bizet, rien n'a bougé. Au moment de délivrer les certificats d'urbanisme, les maires de communes littorales vivent sous la menace d'une épée de Damoclès. Sans remettre en cause la loi, il convient de la faire évoluer.
Pour lutter contre la désertification médicale, il est impératif de régionaliser le numerus clausus. En Bretagne, la demande de médecins en hospitalier est supérieure au nombre de médecins formés... Les maisons de santé sont une bonne idée, mais elles coûtent très cher. Dans ma commune de 3 000 habitants, l'ensemble des professionnels de santé se sont regroupés sans organisation interne, en restant indépendants ; ils versent simplement un loyer au bailleur social, qui est la commune. Ce système fonctionne bien.
Certes, l'aménagement du territoire n'est plus piloté par la Datar ; cependant, nous rencontrons des difficultés dans la mise en oeuvre des aménagements couvrant plusieurs départements, comme la rénovation de la voie ferrée du barreau Nord Bretagne. La baisse des financements nous oblige à solliciter les collectivités locales - région, mais aussi départements et communautés de communes ; or depuis plus de quatre ans, le dossier n'évolue pas faute de co-financement par les deux départements concernés, les Côtes-d'Armor et l'Ille-et-Vilaine. Il suffit du refus de l'un des départements pour bloquer l'opération. Il conviendrait de coordonner les investissements, au moins au niveau régional.
M. Michel Canevet. - Dans le Finistère, nous avons deux projets de plusieurs dizaines de millions d'euros bloqués à cause de la loi Littoral : la plateforme logistique de la Sica (Société d'intérêt collectif agricole) à Saint-Pol-de-Léon, ainsi qu'une tour à lait pour le groupe Sill dans la périphérie de Brest. Il est urgent de prendre des décrets d'interprétation de la loi, sur la base des travaux parlementaires.
La réduction du nombre de conseillers communautaires à l'occasion de la mise en place du schéma départemental de coopération intercommunale (SDCI) est problématique. Comme pour la création des communes nouvelles, il conviendrait que les conseillers dont le mandat a déjà commencé ne soient pas exclus des nouveaux conseils.
M. Jean-Michel Baylet, ministre. - Je vous remercie pour la franchise de vos propos ; cette audition se présente décidément sous le signe de la sincérité.
Je ne prétends pas, monsieur Pointereau, que tout ce qui a été fait depuis 2012 soit parfait, ni que tout ce qui a été fait avant ait été mauvais. Cependant, le comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire (CIADT) ne s'est pas réuni entre 2010 et 2014 : c'est un fait. Vous me dites qu'il faut aller plus vite ; je signale simplement qu'il été laissé à l'abandon pendant plusieurs années.
Le fait que les ZRR soient portées par les nouvelles intercommunalités change incontestablement la donne : à l'intérieur des départements, cela fera entrer des communes et en sortir d'autres de ces zones, parfois dans des proportions importantes. Je ne puis vous communiquer le nouveau zonage, car la construction des intercommunalités est toujours en cours. Les SDCI continuent à évoluer.
Sur le numérique, nous sommes en phase d'accélération. Nous n'avons pas su profiter de la vente des fréquences pour imposer un cahier des charges sérieux aux opérateurs en matière d'aménagement du territoire. Il n'est pas facile de négocier avec les grandes sociétés de la téléphonie et du numérique. Lors de la dernière réunion, Emmanuel Macron et moi-même avons menacé ces dernières de passer par la loi si elles se refusaient à mettre en oeuvre leurs obligations. Elles savent que nous n'hésiterons pas à mettre cette menace à exécution. Nous accélérons, mais du retard a été pris à l'origine. En 1978, lorsque j'étais jeune député, un quart, voire un tiers des personnes que je recevais lors des permanences me réclamaient la mise en place d'une ligne de téléphone à domicile. À l'époque, les délais d'attente atteignaient trois ans. La technologie évolue, et avec elle l'impatience de nos concitoyens...
Emmanuel Macron a choisi de conserver quelques pôles de compétitivité nationaux et de régionaliser les autres. Le sujet est en discussion avec les présidents de région.
Vous m'interrogez sur une éventuelle divergence de vues entre Sylvia Pinel et moi-même sur les contrats de ruralité. La proposition de certains de vos collègues calquait ces contrats sur les contrats de ville. Or tout ce qui relève des appels à projets est complexe, lourd et demande beaucoup d'ingénierie, ce qui exclut nombre de communes rurales. C'est pourquoi je préfère une déconcentration auprès des préfets et des sous-préfets chargés de la ruralité. Le texte dont j'ai eu connaissance remplaçait simplement le mot « ville » par celui de « ruralité »... Le temps est venu de mettre en place des contrats de ruralité en pendant des contrats de ville.
La politique en direction des centres-bourgs donne des résultats satisfaisants, et les 300 millions d'euros seront bien dépensés.
Une politique d'aménagement du territoire se conçoit en effet dans un cadre inégalitaire, faute de quoi l'on conforte les pauvres dans la pauvreté et les riches dans la richesse. Le véritable aménagement repose sur le rééquilibrage, déjà largement pratiqué par les départements.
Nous avons mis en place les moyens nécessaires à cette politique. Sur le 1,2 milliard d'euros du Fsil annoncé par le Président, 600 millions sont consacrés à la ruralité, dont j'ai dégagé 250 millions pour les contrats de ruralité.
M. René-Paul Savary. - Ce montant a été pris aux communes à travers la DGF !
M. Jean-Michel Baylet, ministre. - Il ne faut pas tout mélanger. Dans la perspective du redressement des comptes publics, nous avons voulu que les collectivités accompagnent l'État dans son effort, et elles l'ont fait admirablement, en particulier à travers la diminution de leur dotation. C'est une ambition légitime, sur laquelle gauche et droite sont d'accord. Dans le même temps, pour compenser l'effondrement de l'investissement public, nous avons créé le Fsil et augmenté la DETR de 60 %. L'État marque ainsi son retour dans l'accompagnement de l'investissement des collectivités. Les contrats de ruralité sont financés à hauteur de 250 millions d'euros et, si nécessaire, nous abonderons ces fonds. La gestion sera déconcentrée, assurée par les préfets, à qui j'ai demandé de tenir les parlementaires informés de la répartition du fonds.
L'articulation avec les régions est de droit ; les présidents de région sont prêts à passer les contrats de ruralité, qui existaient déjà sous d'autres appellations. L'État, les régions, les PETR, les intercommunalités si nécessaire y participeront. Je n'ai aucun préjugé ; je suis en faveur d'une approche pragmatique et souple.
Nous avons autant de communes que toute l'Europe réunie, et nous sommes en train de créer plus de métropoles que le monde entier... Il y en a quinze pour le moment, mais d'autres se profilent. Ce n'est pas toujours simple : Orléans et Tours se regardent en chiens de faïence. Il y aura des évolutions, mais le moment venu nous devrons prendre des décisions.
Nous n'avons peut-être pas inventé les maisons de services au public, mais elles n'étaient pas très nombreuses auparavant ; désormais, il y en a plusieurs par département. Quant aux maisons de santé, elles sont désormais financées par le Fsil et la DETR.
Lors de ma nomination, au mois de février, j'ai pris en charge une situation que je connaissais bien, en tant qu'ancien président de département. L'Assemblée des départements de France (ADF) a demandé à l'unanimité, lors de son congrès de Troyes, une recentralisation du financement du RSA sans modification des recettes dynamiques - cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) et droits de mutation à titre onéreux (DMTO). Nous avons pris cet engagement auprès d'une délégation de l'ADF. Si celle-ci avait accepté, l'affaire était entendue ; au lieu de cela, nous nous sommes engagés dans une négociation compliquée, le chef de la délégation, Alain Lambert, s'étant déclaré contre la recentralisation...
Il y a eu de nouvelles réunions à l'ADF. Le bloc majoritaire, de droite, a décidé de reprendre les discussions, le sénateur Albéric de Montgolfier remplaçant Alain Lambert était lui aussi contre la recentralisation. Je l'ai dit au président Bussereau : pourquoi les chefs de délégation sont-ils contre la négociation qu'ils sont censés mener ? Nous n'étions pas loin d'aboutir mais faute de bonne volonté... Je suis d'accord avec vous sur le rôle permanent de Bercy. C'était le cas hier avec vous, c'est le cas aujourd'hui avec nous, ce sera peut-être le cas demain avec d'autres. Les majorités passent mais le comportement de Bercy ne change pas ! Bercy n'y était pas favorable. Cela a été un peu compliqué. Les départements ont raté une occasion historique ; nous étions très près d'un accord, mais dans une mauvaise période : à la discussion technique a succédé une discussion politique. Près de 34 présidents sur 60 de droite ont déposé des motions contre alors qu'ils avaient voté pour au Congrès de Troyes en octobre... À gauche, certains aussi n'étaient pas d'accord. C'est une erreur. En 2004, la décentralisation du revenu minimum d'insertion (RMI) a été faite par le Gouvernement Raffarin. Le RMI puis le RSA sont une prestation de solidarité créée par l'État - sous Michel Rocard, j'étais dans son gouvernement - et gérée par l'État, qui la revalorise chaque année. Il serait légitime que l'État en ait la responsabilité. Mais certains présidents de départements considéraient avoir été suffisamment affaiblis pour ne pas perdre la solidarité. Je le comprends, mais...
M. Gérard Bailly. - Péréquation !
M. Jean-Michel Baylet, ministre. - J'ai présenté une formule de péréquation qui n'a pas été acceptée. C'est toujours pareil : tout le monde réclame la péréquation à cor et à cris, sauf que personne ne la faisait. Nous l'avons faite via le Fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (Fpic), sauf qu'on n'entend pas les pauvres qui touchent, juste ceux qui contribuent ! Je l'ai vu dans ma commune... Il y aura donc de nouveau un fonds de soutien. Non seulement le reste à charge est trop important pour les départements, mais le fonds sera de 300 millions d'euros. Les 700 millions seront atteints d'une autre manière. Il faudra trouver une solution.
Monsieur Pellevat, nous prévoyons dans la loi montagne une dérogation pour les offices de tourisme uniquement pour les stations classées, et non pour ceux ayant une marque territoriale ; sinon ce serait comme abroger cet article de la loi NOTRe ! Je suis plutôt favorable au transfert de l'office de tourisme à l'intercommunalité. Je sais que Megève ou Courchevel ont des marques très puissantes. Le Premier ministre a accepté cette dérogation dans le cadre de la loi montagne. À la demande des élus de la montagne, il n'y a pas d'ordonnance sur les UTN. La rédaction commune conjugue des efforts d'aménagement du territoire et des verrous pour éviter certaines dérives, afin de développer les territoires.
Madame Bonnefoy, c'est parfait que vous ayez un PETR rural. Nous aiderons l'ingénierie, et je financerai sur les fonds de mon ministère une partie des contrats de ruralité. Sylvia Pinel avait mis en place la mission aidée permettant de faire de l'ingénierie territoriale dans les zones rurales. Je redonnerai des instructions aux préfets ; je veux un référent ruralité dans chaque département, c'est fait. Je veux qu'autour de lui se réunisse une commission, que certes je n'ai pas définie, mais qui réunit tous ceux concernés par les territoires. Je suis sidéré que les parlementaires soient parfois laissés de côté ! Je créerai les conditions pour que cela ne soit plus le cas.
Monsieur Rapin, je n'ai pas vos connaissances ni vos compétences sur le numerus clausus, mais notre décision est la bonne : nous le modulerons dans toutes les zones où il y a un déséquilibre et une nécessité de rouvrir les vannes. La décision est prise, annoncée par Marisol Touraine ; nous l'appliquerons.
Je partage totalement votre analyse de l'évolution des mentalités. Je suis en train de réaliser une maison de santé dans ma communauté de communes. Je négocie depuis des années avec les médecins. Il y a cinq ans, ma première démarche s'était soldée par un échec. Les médecins ne voulaient aucune contrainte ; j'ai refusé. Je n'ai pas voulu que des médecins d'autres communes viennent sur la maison centrale. Nous avons donc fait une maison de pôle. Les médecins sont en réseau, interactifs, assurant une permanence des soins jour et nuit, 365 jours par an. D'autres médecins sont restés dans des villages plus petits, aidés par la communauté de communes. La maison principale est à Valence d'Agen, et cela marche très bien. Les difficultés ne proviennent pas uniquement du numerus clausus, mais de la désertification, du refus de médecins de s'installer en milieu rural. Il y a aussi un état d'esprit des jeunes médecins qui a complètement changé. Autrefois, le médecin de campagne ou de famille était taillable et corvéable à merci. Il connaissait tout le monde, finissait parfois maire, conseiller général ou parlementaire. Aujourd'hui, les jeunes veulent bien s'installer dans certaines zones, parfois lointaines, mais ils veulent la garantie d'une vie « normale ». Ils ne veulent plus de la vie de leurs prédécesseurs.
On envisageait parfois, il y a une trentaine années, de nationaliser la médecine. Les médecins sont des ultralibéraux, même s'ils nous demandent des maisons de santé. Telle est la contradiction française. En haut, ils sont payés par la Sécurité sociale. En bas, il faut les installer dans des locaux appartenant aux collectivités. Au milieu, c'est un secteur totalement libéral refusant tout système coercitif.
Je vous propose de nous revoir sur la loi littoral. On n'entamera pas la réforme au tournant d'une audition parlementaire. Je connais bien la loi montagne comme ancien ministre du tourisme. Le littoral est lui aussi régi par des organisations votées il y a trente ans. On peut regarder à deux fois les dispositions pour créer les conditions d'un bon développement tout en respectant l'environnement et le patrimoine.
M. Roux, j'ai déjà répondu sur les ZRR : ce sont les intercommunalités. Je publierai bientôt cela. Globalement, cela reste à peu près pareil, mais il y a beaucoup de changements au sein des départements.
M. Chaize, oui, très peu de crédits ont été dépensés pour le plan France très haut débit. Ce n'est pas normal, d'autant que le commissaire à l'investissement Louis Schweitzer est prêt à y consacrer des sommes importantes dans le cadre des investissements d'avenir. Mais on a beaucoup de mal avec les opérateurs. Le plan très haut débit doit être validé par la Commission européenne, qui a notifié à la France des doutes sur la légalité de certaines aides à Orange sur son offre PRM (Points de raccordements mutualisés) de montée en débit sur le cuivre. Cela n'empêche pas un déblocage des fonds sur le terrain, sans doute avant la fin de l'été.
Quant aux mesures relatives à la téléphonie, tout est plus facile à dire qu'à faire ! Il y a des enjeux économiques considérables : des milliards d'euros. Ce n'est pas simple pour nous, politiques, d'autant que les multinationales indépendantes considèrent que nous n'avons pas notre mot à dire...
L'action publique sur le capital d'Orange est articulée autour de la concurrence pour les infrastructures. Il n'y a pas d'opérateur national en charge de la couverture numérique. Obtenir que les opérateurs soient sur le même pylône dans les zones les plus compliquées a été difficile. Le plus dur est Orange : comme il est le premier, ils n'a pas du tout envie de partager avec les autres ni d'être solidaire. Comme toujours, ceux qui ont le plus n'aiment pas trop partager... On en revient à la péréquation et au sens du partage. Nous faisons pression, je vous le garantis.
Certes, madame Herviaux, le centralisme aménageur et la Datar ont fait leur temps, leur méthodes aussi. J'ai connu l'époque de l'aménagement du littoral du Languedoc, à l'époque marécageux : on a pulvérisé du DDT, puis bétonné... Le préfet Racine régnait en maître sur le territoire. Ce type d'aménagement n'est plus de mise. C'est pourquoi j'ai souhaité que l'aménagement du territoire soit rattaché aux collectivités.
M. Michel Raison. - C'est l'époque qui n'était pas la même !
M. Jean-Michel Baylet, ministre. - C'étaient les années soixante-dix... Les mentalités ont évolué.
Je ne suis pas responsable de la faible présence des élus dans les comités de suivi. Le comité interministériel de Vesoul a coûté cher, comme tous les déplacements de présidents de la République et de ministres... N'entrons pas dans ce débat.
Je vous remercie, madame Tocqueville, de votre témoignage sur l'utilité des maisons de services au public. Les échecs que nous avons connus pour les maisons de santé touchaient plutôt d'anciennes structures portées par les médecins sans les collectivités que l'inverse. Elles fonctionnent mieux désormais. J'ai bien noté que le préfet ne vous sollicitait pas toujours pour siéger dans les comités de suivi.
La mise en place directe de la 4G serait un idéal, mais nous ne l'obtiendrons pas : elle est plus coûteuse, et les opérateurs ne veulent pas aller trop vite. Ils ne souhaitent pas nécessairement que le problème du numérique se règle trop rapidement...
Les avantages fiscaux associés à la création de communes nouvelles devaient arriver à échéance à la fin 2015. Le Président a proposé une prolongation jusqu'au mois de juin puis, à l'occasion du Congrès des maires, jusqu'au mois de décembre. C'est appréciable. Si le mouvement se poursuit, je ne suis pas hostile à une nouvelle prolongation : pour la première fois, les regroupements se font de manière spontanée.
Lorsque j'étais secrétaire d'État chargé des collectivités territoriales, j'ai créé les communautés de communes. Les réformes d'Olivier Guichard et Raymond Marcellin, pourtant bien conçues, n'ont pas fonctionné parce qu'elles étaient trop autoritaires - et les élus détestent cela ; c'est pourquoi j'ai souhaité une réforme de la base vers le sommet. Nous n'avons pris de mesures autoritaires que pour les communes isolées. La réforme a été un succès, avec bien sûr des variations suivant les territoires. La réforme des communes nouvelles s'engage sur les mêmes bases. La mise en place est plus rapide dans l'Est et dans l'Ouest que dans le Sud et le Sud-Est. Je ne suis pas hostile à une prolongation des avantages fiscaux, qui ne représentent pas un coût très important pour l'État.
Certes, le Scot est un outil obligatoire et je ne peux que vous encourager à le mettre en place ; mais il convient mieux aux zones urbaines, alors que le PLUi est plus adapté aux zones rurales.
Je conviens, monsieur Huré, que l'aménagement du territoire a longtemps été négligé. Il a été question d'inclure la Ville dans le périmètre de mon ministère, mais la Ville est dominée par la thématique des quartiers en difficulté. Quoi qu'il en soit, il convient de globaliser la gestion de ces questions pour porter des politiques d'aménagement du territoire qui ne s'opposent pas.
Concernant le barreau Nord-Bretagne, nous ferons le nécessaire ; mais je ne peux pas faire pression sur le président d'un conseil départemental pour qu'il finance le projet...
Je ne suis pas favorable à un report de la mise en place des SDCI, pourtant défendu au Sénat par le président du groupe politique auquel j'appartenais, Jacques Mézard. Nous en avons longuement parlé, sans se convaincre. Je suis d'avis de prendre à bras-le-corps les sujets les plus difficiles, sans remettre au lendemain. Un tel report causerait un désordre considérable : des communes changeront d'avis, certaines demanderont un report alors qu'elles n'en ont pas besoin... La réforme des intercommunalités est une réforme dure, mais c'est la loi de la République. Un report d'un an ouvrirait la boîte de Pandore. Les associations d'élus n'y sont pas favorables, et moi non plus.
M. Hervé Maurey. - Merci d'avoir répondu aux très nombreuses questions sur ce sujet qui dépasse les clivages politiques. Nous soutiendrons toujours les décisions qui nous paraîtront aller dans le bon sens.
La réunion est levée à 19 h 40.
Mercredi 20 juillet 2016
- Présidence de Hervé Maurey, président -Bilan de l'application de la loi sur l'eau et les milieux aquatiques - Examen du rapport d'information
La réunion est ouverte à 9 h 35.
M. Hervé Maurey, président. - Nous avions chargé Rémy Pointereau, le 30 septembre dernier, d'une mission visant à dresser le bilan de l'application de la loi de 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques. Dix ans après son entrée en vigueur, cette loi a-t-elle atteint ses objectifs ? Comment est-elle appliquée sur le terrain ? Nous connaissons l'attachement de notre collègue aux réalités de terrain et son souci d'allègement des normes. Je sais qu'il a mené de nombreuses auditions. Je lui laisse sans plus tarder la parole pour qu'il nous présente son rapport.
M. Rémy Pointereau, rapporteur. - La commission de l'aménagement du territoire et du développement durable m'a fait l'honneur de me charger, le 30 septembre dernier, d'un rapport d'information relatif à l'application de la loi sur l'eau et les milieux aquatiques du 30 décembre 2006, dite Lema. Alors que cette loi aura dix ans à la fin de l'année 2016, nous avions estimé que cet anniversaire était l'occasion de dresser un état des lieux de sa mise en oeuvre, avec le recul et la visibilité nécessaires pour identifier les difficultés et les obstacles qu'il reste à surmonter ou encore les dispositifs à améliorer, voire à simplifier. J'annonce d'emblée la couleur puisque mon rapport s'intitulera : Gestion de l'eau : agir avec pragmatisme et discernement.
Au temps de la loi succède le temps de la confrontation au réel. Et le législateur, qui a également une mission de contrôle de la loi, se doit d'évaluer les normes qu'il a votées, et d'énoncer des recommandations adaptées. Cet exercice me tient d'autant plus à coeur que je suis un fervent défenseur de la simplification des normes. Ce chantier, toujours d'actualité, appelle non seulement une vigilance sans cesse renouvelée sur les textes en discussion et les lois que l'on vote, mais il impose également de se retourner sur les règlementations déjà en vigueur. C'est d'ailleurs à quoi nous nous attelons au sein du groupe de travail sur la simplification des normes créé par la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation. Dans le cadre de ces travaux, je me suis aperçu qu'un certain nombre de nos voisins européens ont pris ce sujet à bras le corps. Au Danemark par exemple, les prescripteurs de normes se déplacent auprès des acteurs de terrain pour évaluer avec eux les effets de la réglementation et les possibilités de simplification. Un exemple qu'il faudrait suivre.
En arrière-plan de ce bilan de la loi sur l'eau, l'un de mes fils conducteurs a donc été la simplification.
J'ai entendu vingt-huit organismes et plus de soixante personnes, et regrette que la FNE, la Fédération nature environnement, n'ait pas souhaité être entendue, en dépit de nos relances : ce rapport est pourtant l'occasion de confronter nos points de vue, et même lorsque nous ne sommes pas d'accord, nos débats s'en trouvent grandis. Mes auditions m'ont amené à constater que la loi de 2006 reste un jalon structurant de l'histoire de l'organisation de la politique de l'eau en France. Comme l'a dit Mme Levraut, vice-présidente du Conseil général de l'environnement et du développement durable, la loi de 2006 est utile mais trop ambitieuse.
Ainsi, la quasi-totalité des acteurs que j'ai pu rencontrer ont souligné les apports positifs de cette loi, qui a posé de grands principes, comme le droit d'accès à l'eau potable pour tous, et sécurisé le système des redevances perçues par les agences de l'eau, sur lequel repose l'ensemble de la gouvernance. Ils reconnaissent tous que la qualité de l'eau s'est améliorée, même si les objectifs ne sont pas atteints - il faut dire que l'on a changé le thermomètre en cours de route -, s'accordent à dire que les pratiques elles aussi s'améliorent et que les politiques sont vertueuses, pour reprendre, là encore, les termes de Mme Levraut, qui ajoute qu'il ne faut pas sanctuariser les actions et que les choses doivent évoluer avec pragmatisme.
En revanche, la mise en oeuvre concrète des mesures votées en 2006 fait apparaître, une décennie plus tard, un certain nombre de difficultés, voire, à l'aune de l'intention initiale du législateur, des résultats contre-productifs. J'ai ainsi identifié quatre domaines dans lesquels l'application de la Lema pose des problèmes, souvent préjudiciables aux acteurs de terrain. Il s'agit des dispositions relatives à la gestion qualitative de l'eau ; à sa gestion quantitative ; aux autorisations dites « loi sur l'eau » ou Iota, et à l'empilement de normes qui complexifient les interventions des acteurs concernés ; à la gouvernance et à la planification, enfin.
J'ai choisi d'examiner successivement chacun de ces aspects et de proposer vingt-huit recommandations. J'ai également effectué un déplacement dans le Cher, le 15 janvier, afin de constater sur place les difficultés que pose, notamment, l'application du principe de continuité écologique et d'entendre les organisations régionales, parmi lesquelles le syndicat de la vallée de l'Arnon, où des travaux de continuité écologique ont été effectués.
Au moment de son adoption, la loi sur l'eau et les milieux aquatiques poursuivait deux objectifs principaux. En premier lieu, moderniser le dispositif juridique de la gestion de l'eau, qui reposait sur les lois du 16 décembre 1964 et du 3 janvier 1992 ; en second lieu, atteindre les objectifs fixés par la directive-cadre européenne du 23 octobre 2000, notamment l'obligation de résultats pour parvenir à un « bon état écologique des eaux » en 2015.
Cette loi, avec 102 articles, outre qu'elle a reconnu un droit à l'eau pour tous, a réformé le régime d'autorisation des installations ayant un impact sur l'eau ; modifié le régime dit « du débit affecté » ; réformé les critères de classement des cours d'eau pour préserver leur bon état écologique et celui des milieux aquatiques ; introduit des dispositions pour lutter contre les pollutions diffuses dues à l'emploi des produits phytosanitaires. Elle a également réformé la gouvernance de l'eau ; créé des redevances pour pollution de l'eau, pour modernisation des réseaux de collecte, pour pollutions diffuses, pour prélèvements sur la ressource en eau, pour stockage d'eau en période d'étiage, pour obstacles sur les cours d'eau et pour protection du milieu aquatique. Elle a mis en place l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (Onema) ; renforcé la portée juridique des schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux (Sdage) ; amélioré la transparence de la gestion des services d'eau et d'assainissement ; modernisé l'organisation de l'activité de pêche professionnelle en eau douce.
Le Sénat avait été la première assemblée saisie de ce projet de loi, présenté quarante ans après la loi fondatrice du 16 décembre 1964 qui avait décentralisé la gestion de l'eau au niveau des bassins hydrographiques. Le rapporteur de la commission des affaires économiques, notre collègue Bruno Sido, avait alors identifié trois enjeux majeurs : satisfaire à nos obligations communautaires tout en conciliant les différents usages de l'eau ; parvenir au « bon état écologique de l'eau » en associant réglementation et redevances de bassin ; conforter la définition territorialisée de la politique des agences de l'eau tout en assurant la pérennité de leurs ressources financières.
Les débats de 2006 en séance publique, que j'ai relus, marquent l'importance de ce texte pour les élus et les collectivités territoriales, dont les responsabilités sont lourdes en matière d'eau potable et d'assainissement.
Pour toutes ces raisons, il me semble naturel que le Sénat se penche aujourd'hui sur l'application de cette importante réforme et son impact sur les collectivités territoriales.
Comme en 2006, j'ai pu me rendre compte, au fil de mes auditions et de mes déplacements, combien l'eau constitue une ressource unique, au centre de nombreuses activités humaines comme l'agriculture, l'industrie, le tourisme, l'énergie, les transports, la pêche et bien d'autres. Si bien que le coeur de l'action publique en matière de politique de l'eau se concentre sur les conflits d'usages potentiels entre ces activités. Quelle hiérarchie faut-il donner à ces usages ? Quelle articulation faut-il leur trouver sur le terrain ? Comment y associer l'ensemble des acteurs ? Quelles difficultés concrètes et quels obstacles font le quotidien de ceux qui ont à mettre en oeuvre les dispositifs juridiques imaginés et adoptés par le législateur ?
En outre, comme l'a très récemment mis en lumière le rapport d'information de la délégation à la prospective de nos collègues Henri Tandonnet et Jean-Jacques Lozach, intitulé L'eau, urgence déclarée, l'eau est un élément essentiel de l'adaptation au changement climatique, avec un impact quantitatif, qualitatif, ainsi qu'un impact en termes de prix.
Dans ce contexte, dix ans après le vote de la Lema, le bilan de son application semble mitigé. Je tiens à souligner que j'ai perçu, au fur et à mesure de mes travaux, deux appréciations différentes, même si elles ne sont pas contradictoires. D'un côté, se manifeste un large attachement aux grands principes posés par le texte et à son équilibre : la Lema, de l'aveu de tous, est une loi qui, donnant des bases solides à une nouvelle organisation de la gestion de l'eau en France, fait date ; mais d'un autre côté, le bilan se fait plus contrasté dès que l'on en vient à sa mise en oeuvre concrète : pour beaucoup, la loi n'a pas suffisamment anticipé les réalités du terrain et a apporté de la complexité et des contraintes supplémentaires.
Il peut s'agir, parfois, d'une simple incompréhension dans l'interprétation par l'administration de l'intention initiale du législateur, mais on observe aussi, localement, des rapports conflictuels avec l'administration, dont les positions sont jugées rigides. D'où l'intitulé de mon rapport, par lequel j'ai entendu mettre en avant l'exigence de discernement et de pragmatisme. Un grand nombre de mesures sont aujourd'hui soit mal appliquées soit mal mises en oeuvre du fait d'une interprétation idéologique, de dispositions trop complexes, voire juridiquement floues. J'ai également pu constater de vraies différences selon les territoires, témoignant d'une grande latitude d'interprétation laissée aux services qui prennent les décisions locales.
C'est flagrant dans l'application du principe de continuité écologique. Je choisis cet exemple car il illustre parfaitement, selon moi, le manque de pragmatisme et de discernement qui peut parfois transformer un bon principe voté par le législateur en situation aberrante sur le terrain. Ainsi, l'effacement des seuils est la solution quasi-systématiquement appliquée pour mettre en oeuvre le principe de continuité écologique, alors même qu'elle n'est pas forcément la mieux adaptée. Les études sur lesquelles s'appuient les services pour prendre ces décisions sont souvent contestables et les philosophies varient d'un département à l'autre. Ainsi, les propriétaires de moulins se trouvent dans des situations souvent intenables, sans compter qu'ils sont parfois amenés à financer à grand frais - jusqu'à 300 000 euros - des passes à poissons.
Certes, nous nous trouvons dans un contexte où l'encadrement communautaire est marqué, avec les risques de contentieux que cela comporte, mais je crois que le problème tient surtout à une «surtransposition» de la directive cadre sur l'eau, qui n'impose aux États qu'une logique de résultats, et non de moyens.
Les propositions que je vous présente aujourd'hui s'inscrivent dans le droit fil de ces réflexions.
En matière de gestion qualitative de l'eau, la première des choses à faire est d'interdire la surtransposition des directives européennes et de fixer des objectifs réalistes, pragmatiques et stables, permettant de mesurer les progrès réels. Car les mauvais résultats que l'on impute à la France en matière de bon état écologique des eaux ne veulent pas dire grand-chose, dans la mesure où l'on a changé le thermomètre en cours de route, en ajoutant sans cesse des critères supplémentaires. Les agences de l'eau nous ont alertés sur ce point.
Je vous propose ainsi de garantir le financement de nos agences de l'eau, dont les missions doivent rester concentrées sur la biodiversité aquatique. Je suis attaché, comme un grand nombre d'entre vous au principe fort de « l'eau paye l'eau ».
En ce qui concerne la mise en oeuvre du principe de continuité écologique face aux obstacles sur les cours d'eau, je préconise de privilégier des solutions locales, au cas par cas, qui associent l'ensemble des acteurs. Il faudrait aussi prévoir dans le code de l'environnement que l'application de ce principe doit s'articuler avec les autres usages, et notamment le développement de la petite hydroélectricité, qui est la première des énergies renouvelables, et dont la tutelle devrait être assurée par les services de la direction de l'énergie plutôt que par ceux de la direction de la biodiversité.
Je suggère également de renforcer les moyens financiers dédiés à la protection des captages, qui restent insuffisants.
Je propose que les agents de la future Agence française pour la biodiversité ne soient pas en charge de missions de police judiciaire et que les gardes de l'Onema ne puissent pas intervenir avec leurs armes, car c'est la pédagogie plutôt que la répression systématique qui doit les guider. Toutes les agences de l'eau sont, en principe, représentées à l'Onema. Mais, il semblerait que l'agence de bassin Loire-Bretagne, l'une des plus grandes de France, ait dû laisser sa place dans ce conseil. Il faudrait y remédier.
Concernant la gestion quantitative de l'eau, l'une de mes principales propositions concerne le soutien financier aux collectivités territoriales pour lutter contre les fuites d'eau sur les réseaux d'eau. Songez que l'on déplore un milliard de mètres cube de fuites d'eau par an dans les réseaux d'eau potable ! Ce qui signifie que 20 % de l'eau traitée et mise en distribution sont perdus. Pour cinq litres d'eau mis en distribution, un litre d'eau revient au milieu naturel sans passer par le consommateur. Cela représente près d'un tiers des prélèvements en eau destinés à l'irrigation - dont on sait qu'elle est souvent contestée...
Je souhaite également favoriser les retenues de substitution ou collinaires, et sécuriser juridiquement les projets. On a vu, en Charente, les difficultés juridiques auxquelles ils peuvent se heurter. Sans parler de ce qui s'est passé à Sivens. Je plaide aussi pour un raccourcissement des délais d'instruction.
Quelques-unes de mes propositions sont également destinées à clarifier et sécuriser juridiquement les organismes uniques de gestion collective (OUGC), qui ont été créés afin de mettre en oeuvre la gestion volumétrique prévisionnelle de l'eau instaurée par la Lema. Les OUGC ont en charge la gestion et la répartition des volumes prélevés pour usage agricole sur un territoire déterminé. Chaque OUGC doit détenir l'autorisation globale de prélèvements pour le compte de l'ensemble des irrigants du périmètre de gestion, quelle que soit la ressource prélevée. Le but de ces structures est d'assurer une gestion collective et durable du volume prélevable alloué à la profession agricole. L'objectif initial porté par la loi de 2006 tend à l'abandon progressif des autorisations de prélèvements individuels au profit d'une autorisation unique de prélèvement détenue par l'OUGC, afin, d'une part, de sécuriser les usages économiques, d'autre part, de permettre la satisfaction des besoins des milieux naturels. Mais aujourd'hui, seuls deux OUGC, en Allier et dans l'Ariège, sont titulaires de l'autorisation unique pluriannuelle, tant les obstacles administratifs sont nombreux. Or, le dispositif transitoire d'autorisations temporaires de prélèvement d'eau (ATPE) arrive à son terme pour les quinze OUGC désignés avant 2012 et dans un an pour les autres. N'oublions pas que l'eau est devenue une assurance et un outil de sécurité pour l'agriculture, non pas tant pour produire plus que pour diversifier, à l'heure où la politique agricole commune pousse à éviter la monoculture.
Quant aux autorisations dites loi sur l'eau, je préconise de les simplifier au maximum, de même que les procédures de nettoyage des rivières et des fossés : les récentes crues de juin 2016 en ont tristement montré l'utilité. Les contraintes normatives ont posé de tels problèmes à certains propriétaires qu'ils ne veulent plus nettoyer les fossés, par crainte de l'Onema. C'est ainsi que sont laissés à l'abandon beaucoup de fossés, dont le nettoyage régulier aurait pourtant évité des inondations.
Enfin, sur le volet gouvernance, je crois que nous devons aller vers des schémas d'aménagement et de gestion des eaux, les Sdage, bien plus simples. Tout le monde nous a dit que ces documents rebutaient - ils font souvent une centaine de pages, quand une vingtaine suffirait à définir les grands principes.
Il convient aussi d'améliorer la représentativité et les équilibres entre les acteurs au sein des instances de bassin. Une bonne base de rééquilibrage consisterait en une répartition prévoyant un tiers de consommateurs et associations, un tiers de collectivités et un tiers d'utilisateurs industriels et agricoles. Je constate en effet que les associations environnementalistes sont surreprésentées et que le poids de l'État reste trop important, puisqu'il représente un tiers des voix.
Enfin, concernant la compétence de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations, dite compétence Gemapi, je crois que le niveau intercommunal n'est pas le mieux adapté, dans la mesure où il ne correspond pas au bassin versant. Sans compter que cette compétence risque de ne pas être mise en oeuvre, faute de moyens à disposition des intercommunalités pour la financer, sauf à mettre en place une taxe supplémentaire sur le terrain. Je préconise donc de la retransférer à l'État, aux régions, ou aux agences de l'eau. Nous aurons certainement un débat dans les mois à venir sur ce sujet. J'ai rencontré le président Larcher, qui souhaite que l'on s'y penche, car cela pose des difficultés dans nombre de secteurs.
M. Charles Revet. - Je félicite chaleureusement notre collègue pour ce travail clair, précis, concret, qui soulève de nombreuses questions. Je me souviens de nos débats lors de la loi sur l'eau, en particulier sur la date de 2015 retenue pour la mise en oeuvre de ses prescriptions. Lorsque j'avais objecté qu'elle me semblait totalement irréaliste ne serait-ce qu'au regard des investissements à réaliser dans les stations d'épuration, je me suis vu objecter que l'on ne faisait que transposer la directive européenne. Résultat, on a reporté l'échéance, et je ne suis pas sûr qu'il ne faudra pas le faire à nouveau.
Ce qui compte avant tout, ainsi que vous l'avez souligné, c'est de déterminer des priorités. L'Onema, l'agence de l'eau, les directions départementales des territoires et de la mer, l'agence régionale de santé interviennent concomitamment sur le terrain, et chacune de ces instances est susceptible de bloquer un dossier. Le syndicat des eaux que je préside, qui a mené d'importants travaux pour la création d'unités de dénitratation - nous étions à la limite des 50 milligrammes par litre - s'est vu de surcroît imposer la création d'une unité de mesure de la turbidité. Cela représente, chaque fois, un coût de 2 millions d'euros, pour un syndicat qui regroupe à peine 20 000 personnes. J'ai eu beau faire valoir que nous n'avons connu que de très rares épisodes de turbidité, et que nous pouvons basculer, en cas de problème, sur le réseau de la ville du Havre, avec lequel nous sommes interconnectés, mes interlocuteurs n'ont rien voulu savoir. Alors que l'on sait que le renouvellement des canalisations va être un enjeu majeur des années à venir, qui risque de faire flamber le prix de l'eau, il serait pourtant essentiel de déterminer des priorités. A nous de le faire, en déposant une proposition de loi ou en se greffant sur tout autre véhicule législatif.
Mme Évelyne Didier. - Ce que j'ai entendu m'inquiète. Je me suis beaucoup investie, comme Charles Revet, dans nos débats sur la loi de 2006, dont j'avais voulu, en me rapprochant de son rapporteur, Bruno Sido, comprendre tous les enjeux. Le sujet est extrêmement complexe, et nous ne pouvons revisiter en une heure un débat aussi lourd.
Il est certaines de vos propositions auxquelles je ne saurais adhérer, ayant défendu des positions contraires, y compris lors des récents débats sur la loi pour la reconquête de la biodiversité. Ne pouvant les mentionner toutes, je m'en tiendrai à celle qui touche à la petite production hydroélectrique. Si je vous suis lorsque vous faites valoir que les petits seuils attachés aux moulins ne sont pas de nature à rompre la continuité écologique, j'insiste cependant sur le fait que leur multiplication peut, en revanche, poser problème. On est déjà, pour donner un ordre de grandeur, à 80% de ce que l'on peut espérer tirer de l'hydroélectricité et la marge de progression n'est guère que de un à trois térawatt/heure : il serait périlleux de mettre en cause, pour si peu, la continuité écologique. L'eau n'est pas seulement un support d'activité mais un milieu, un écosystème qui a besoin, pour remplir sa mission d'épuration, d'être préservée.
Lorsque vous relevez, pour le déplorer, que des normes nouvelles se sont empilées depuis 2006, je ne vois pas à quoi vous faites allusion. Pouvez-vous préciser ?
Sur le problème des pertes causées par les fuites d'eau, je vous suis entièrement. Bien souvent, les collectivités locales n'ont pas les moyens d'y remédier. Il faudra trouver des solutions, y compris en s'interrogeant sur les usages de l'eau potable - avec laquelle on lave même nos voitures... Car pour l'heure, on n'a pas engagé de réflexion approfondie sur ces questions.
Je regrette que vous n'abordiez pas la question de l'irrigation et des retenues collinaires sous l'angle du changement climatique. Si les hausses de températures que l'on nous annonce deviennent réalité, avec cette conséquence que le sud de la France connaîtra des périodes proches du climat tropical tandis que la Lorraine vivra sous un climat qui est celui du sud aujourd'hui, il serait bon de réfléchir à l'adaptation des cultures au climat au lieu de s'acharner à adapter l'irrigation aux cultures actuelles.
Autant de raisons qui font que nous ne pourrons souscrire à ce rapport.
M. Hervé Poher. - Je remercie Rémy Pointereau dont le travail ouvre à la réflexion. J'ai quelque expérience de ces questions, pour avoir été président, de 2004 à 2014, de la communauté de bassin Artois-Picardie - la plus petite et la plus complexe des communautés de bassin, parce qu'outre le problème agricole, elle a hérité du problème industriel et de ceux que nous ont légués les guerres du XXème siècle. Si bien qu'il est éminemment difficile, dans un tel bassin, de parvenir à un bon état écologique des eaux. Nous avons dû engager de lourds efforts, au point que la ministre, en 2004, soulignait que ce bassin était à la fois le moins riche et le plus vertueux.
Je ne saurais vous suivre lorsque vous dites que la loi de 2006 est trop ambitieuse. Une loi doit viser haut, quitte à arriver un peu en dessous de l'objectif. Si tel n'est pas le cas, on nous reproche de manquer d'ambition. Il est vrai que la directive cadre sur l'eau, avec son objectif de bon état écologique des eaux de surface et profondes fixé à 2015, s'est imposée à la France, mais je ne me fais pas pour autant une gloire d'avoir, à l'époque, demandé et obtenu de Jean-Louis Borloo, alors ministre de l'écologie, des possibilités de report à 2021 et 2027. Encore une fois, la loi doit être ambitieuse.
Vous reprochez à la loi de ne pas intégrer la complexité des territoires. Quelle commune mesure entre le Cher, que vous avez cité, et les bassins miniers, où il faut sans cesse pomper l'eau qui envahit les mines et faire venir l'eau potable de l'Artois.
Vous déplorez qu'on ait changé le thermomètre ? À vous prendre au pied de la lettre, je pourrais vous comprendre, attaché que je suis, comme médecin, au bon vieux thermomètre de nos pères, mais le fait est que dans le cas qui nous occupe, de nouveaux problèmes sont apparus. Je pense par exemple aux perchlorates, que l'on retrouve dans la région de Toulouse, où se fabriquent des feux d'artifice, mais aussi, à des taux élevés, dans le Nord-Pas-de-Calais, du fait des obus et matériels militaires des deux guerres enfouis dans son sol. On ignore encore les effets du perchlorate, qui se diffuse dans l'eau, sur l'organisme humain, mais il n'en a pas moins fallu, par précaution, se soucier de protéger les enfants et les femmes enceintes.
Je ne suis pas partisan de réduire, comme vous le préconisez, la présence de l'État au sein des comités de bassin, car il joue un rôle de médiateur. Entre le monde associatif, très revendicatif, le monde industriel, très puissant, et alors que le collège des élus fluctue au gré des échéances politiques, il faut un modérateur.
Je ne saurais vous suivre, enfin, dans vos préconisations sur la Gemapi. Pour lutter contre les inondations, il convient de ménager une certaine subsidiarité, en s'appuyant sur les intercommunalités, ou peut-être les pays. Certes, il faut assurer une coordination, mais n'allons pas trop loin, parce que la distance fait perdre de vue la réalité du terrain.
M. Louis Nègre. - Je félicite notre rapporteur pour son travail exhaustif, dans lequel il ne formule pas moins de vingt-huit propositions. J'y ai appris beaucoup de choses sur un sujet complexe, et conflictuel. J'ai d'ailleurs eu moi-même affaire à la police de l'eau de l'Onema, dont les agents, au lieu d'aider les élus locaux des petites communes dépourvues de moyens, se comportent bien souvent en cow-boys, donnant une bien mauvaise image de la lutte pour la qualité de l'eau. Il serait bon de faire comprendre à cet organisme l'exigence de pédagogie qui doit l'animer.
Vous soulignez un défaut de pragmatisme de la loi. D'où l'utilité de vérifier, comme le font les Danois, ce qu'elle donne sur le terrain. Revenir aux lois que nous votons tous les cinq ans me paraîtrait un principe sain.
Interdire la surtransposition, dégager des moyens pour les captages et soutenir les collectivités dans leur lutte contre les fuites d'eau : autant de propositions sur lesquelles je vous suis.
L'eau, comme l'a rappelé Evelyne Didier, est un milieu fragile, sensible. Pas plus tard que ce matin, mon cabinet de Cagnes-sur-mer m'a appelé pour m'informer que la Cagne, une petite rivière de chez moi, était à sec sur cent mètres. C'est dire que dans le Midi, les problèmes liés au changement climatique vont nous arriver plus vite qu'en Lorraine. D'où l'excellence de votre proposition n° 25, qui appelle à anticiper le changement climatique, dans les schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux. Il faut s'atteler dès aujourd'hui à définir les moyens qu'il faudra mettre en oeuvre pour compenser ses effets.
En revanche, je m'interroge sur votre proposition n° 28, qui tend à attribuer la compétence dite Gemapi à l'État, aux régions ou aux agences de l'eau. Si on l'a mise en place, c'est bien parce que chacun se renvoyant la balle, on manquait d'une politique cohérente de lutte contre les inondations, qui coûtent 500 millions d'euros de pertes chaque année, et surtout des dizaines de vies humaines. Les inondations du 3 octobre dans les Alpes-Maritimes ont encore provoqué vingt morts. Peut-être la responsabilité de la Gemapi pèse-t-elle trop sur les seules collectivités, mais tout renvoyer à l'État, impécunieux et inefficace, serait contre-performant. Chez moi, j'ai créé un comité de rivière et mis en place un programme d'actions pour la prévention des inondations (Papi). N'oublions pas que lorsque des plaintes sont déposées - et huit mois après les inondations du 3 octobre, on voit arriver les premières - c'est avant tout la responsabilité des maires qui est mise en cause. Dans les Alpes-Maritimes, nous avons mis en place un comité de département mutualisé, appelé à traiter l'ensemble des problèmes. Telle est plutôt la solution que je préconiserais.
Mme Odette Herviaux. - Parmi vos propositions, certaines me conviennent, et avant tout la première, qui appelle à éviter la surtransposition de normes européennes. Cela dit, on a besoin, sur certains territoires, d'aller au-delà des directives, mais cela doit passer par des solutions locales issues de l'initiative des acteurs : c'est aussi pourquoi je souscris à vos propositions n°s 4 et 5, qui vont en ce sens. En Bretagne, sur certains sous-bassins versants prioritaires, on est allé bien au-delà des normes réclamées par Bruxelles, mais avec l'aval de tous. Et l'on a obtenu des résultats.
En revanche, certaines de vos propositions me semblent aller au rebours de ce que nous avons voté dans la loi biodiversité. Certaines, enfin, me laissent des interrogations. Vous appelez, dans votre proposition n° 12, à soutenir les collectivités dans la lutte contre les fuites d'eau. Soit, mais qui se chargera de ce soutien ?
M. Rémy Pointereau, rapporteur. - Les agences de l'eau.
Mme Odette Herviaux. - Votre proposition n° 14, qui appelle à promouvoir le développement de contrats avec les agriculteurs pour prestation de services environnementaux va dans le sens de ce que réclame la profession. Cependant, il existe des dispositifs qui vont déjà dans ce sens. Je pense aux mesures agroenvironnementales, qui permettent de rémunérer les agriculteurs qui privilégient certaines pratiques, notamment pour la préservation de l'eau. S'agit-il d'en élargir le cadre ?
Votre proposition n° 18 vise à favoriser la recharge des nappes phréatiques en dehors de la période d'étiage. Mais par quelles techniques ?
Je suis, enfin, très favorable à votre proposition n° 25, qui appelle à anticiper le changement climatique. Il est en effet essentiel de se prémunir, et contre les sécheresses, et contre les inondations. Mais je crains que cela n'amène pas la simplification que vous appelez de vos voeux...
M. Jean-Yves Roux. - Dans son rapport du 7 octobre 2015 sur la préservation de la ressource en eau et le maintien d'une agriculture montagnarde, le député Joël Giraud constate que si le principe d'une gestion équilibrée de la ressource en eau est essentiel, l'uniformisation à tout prix n'est pas efficace, certains territoires de montagne ayant une sévérité d'étiage très marquée. Pour remédier à ce problème, il a été question de redéfinir, par voie réglementaire, la notion de cours d'eau atypique, la voie législative ayant malheureusement été abandonnée dès la première lecture du projet de loi biodiversité. Votre rapport aborde-t-il concrètement cette problématique ? Quelles solutions préconisez-vous pour parvenir à une mutualisation des associations syndicales autorisées ?
M. Benoît Huré. - Je félicite notre rapporteur pour son travail. L'eau représente, avec l'alphabétisation et la santé, un enjeu fondamental pour l'humanité. Elle est de ceux qui sous-tendent certains conflits dans le monde, y compris terroristes.
Cependant, comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire, si nous ne portons pas le problème au niveau international, notre action, si exemplaire soit-elle, restera vaine : nous représentons moins de 1 % des terres émergées et moins de 1 % de la population mondiale.
Sur certaines propositions, je constate qu'il y a convergence. Mais comment vont-elles prospérer ? Ce rapport n'est-il destiné qu'à garnir les rayonnages d'une bibliothèque, ou entend-on aller plus loin ? Les parlementaires produisent, en matière d'évaluation de la réglementation, un travail de qualité qui, bien utilisé, aiderait peut-être à réduire l'inflation législative.
Vous appelez, dans vos préconisations, à renforcer les moyens de protection des captages. Je pense qu'il faut aussi militer pour des captages moins nombreux, plus grands, et mieux sécurisés. Il serait important, de même, de créer des maillages de sécurité entre les différents réseaux de distribution sur le territoire.
Pour remédier à la perte de 20 % sur les réseaux d'eau potable, il me semble que les syndicats concernés, lorsqu'ils réalisent des investissements, devraient bénéficier d'une prime à la performance du réseau. Il faut aussi repenser les usages de l'eau potable. Dans les constructions nouvelles en particulier, on peut mettre en oeuvre des solutions intéressantes, à peu de coût.
Dans le domaine de l'eau comme dans tant d'autres, il faut cesser de surtransposer les normes européennes. Qu'existent des initiatives locales pour aller plus loin, fort bien, mais le problème, c'est que l'on a tendance à s'emparer de telles démarches volontaires pour en faire la règle générale. C'est un travers typiquement français.
Un mot sur les agents de l'Onema. Dans un état de droit, c'est à l'État, avec ses policiers, d'exercer le pouvoir de police. Or, de décret en circulaire d'application - sans parler de l'interprétation qu'en font les agents - on n'a plus une France, mais trente-six, on n'a plus un département, mais trente-six circonscriptions. Et c'est dévastateur. Même si cela ne concerne que quelques-uns d'entre eux, certains agents de la police de l'eau se comportent en cow-boys - c'est peu de le dire. J'ai vu, à l'occasion d'une inondation, au reste provoquée par des embâcles que plus personne n'ose enlever, débarquer la police de l'eau armée jusqu'aux dents, révolvers pointés sur des habitants que des délinquants avaient déjà traumatisés par des vols en série. Ce n'est pas acceptable. Il faut cantonner les agents de l'Onema dans leur fonction première, qui est de conseiller et d'accompagner. La sanction revient à la police et à la gendarmerie. Les pratiques actuelles sont dévastatrices, y compris sur les électeurs, qui vont porter leur vote où l'on sait.
La compétence Gemapi part d'une très bonne idée, à ceci près, comme l'a aussi rappelé Evelyne Didier, que le niveau intercommunal ne couvre pas nécessairement l'ensemble d'un bassin versant. L'idée que cette compétence relève de l'État ou de l'agence de l'eau ne me choque donc pas. Soyons honnêtes : on sait l'importance de l'enjeu, mais on n'est pas prêts à y mettre les moyens, si bien que l'on a confié la compétence aux communes et aux intercommunalités. La vraie question est celle des moyens.
Un dernier mot, pour dire que je souscris aux remarques qui ont été faites sur le rôle de médiateur de l'État, essentiel pour les associations écologistes et les usagers.
M. Jean-Jacques Filleul. - Je félicite Rémy Pointereau pour son rapport passionnant, qui reflète les positions qu'il tire de son expérience. Le problème de l'eau, auquel j'ai eu l'occasion d'être confronté comme maire, est complexe. D'autant qu'il varie selon les bassins, ainsi qu'il ressort de l'intervention d'Hervé Poher sur le Nord.
Le groupe socialiste s'abstiendra. Certaines propositions nous semblent très positives, mais nous sommes en désaccord avec d'autres. Je pense, par exemple, à la proposition n° 3, qui entend retirer aux agences de l'eau compétence sur la protection de la biodiversité terrestre. C'est remettre en cause la protection de la biodiversité, car on sait bien qu'il y a continuum entre la terre et l'eau. Quant à la proposition n° 2, qui vise à interdire à l'État de prélever sur le fonds de roulement des agences de l'eau, elle relève du voeu pieu. Quel gouvernement, alors que tous l'ont fait, s'interdira ce type de prélèvement ?
Ce qui a été dit des agents de l'Onema m'a surpris. Sur la Loire, les pêcheurs professionnels subissent les attaques des pêcheurs du dimanche, au point qu'ils n'arrivent plus à exercer normalement leur métier : c'est la police locale, et non pas l'Onema, qui règle le problème.
Soutenir les collectivités, soit, mais qui le fera, comme le demandait Odette Herviaux ? Le renouvellement des tuyauteries d'eau potable et d'eaux usées est un enjeu majeur, comme l'a rappelé Charles Revet. L'amortissement s'étend, pour les premières sur 70 ans, pour les secondes sur 50 ans. Les collectivités ont engagé le travail. Peut-être que les agences de l'eau peuvent aider, mais je rappelle qu'à partir de 2020, ce sont les communautés qui vont être en charge de ces réseaux, avec des moyens, je l'espère, plus sécurisés.
La proposition n° 21, qui préconise de réutiliser les captages d'eau abandonnés, me laisse dubitatif. En Loire, des captages d'eau disparaissent parce que la Loire évolue : on ne peut pas les réutiliser, parce qu'ils sont à sec. Mais c'est peut-être une particularité du bassin ligérien.
L'État, comme d'autres l'ont dit avant moi, doit continuer à jouer son rôle. Il porte une vision nationale et agit de surcroît en modérateur.
Quant à votre proposition sur la compétence Gemapi, elle est satisfaite. La loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles a confié cette compétence aux communes, mais prévoit aussi que celles-ci peuvent la transférer à l'intercommunalité, laquelle peut également la transférer à l'agence de bassin. Dans le cours du débat, nous avions convenu in fine que ces problèmes méritaient d'être gérés par l'agence de bassin.
Mme Annick Billon. - Merci de ce rapport fouillé qui mériterait, je rejoins en cela Evelyne Didier, un second débat, afin de nous attacher à chacun des sujets soulevés. Il ne s'agit de rien moins que de répondre aux besoins en eau sur tous les territoires et de protéger la biodiversité.
Je partage les inquiétudes de mes collègues sur la compétence Gemapi qui, sur beaucoup de territoires, n'est pas mise en oeuvre, faute de moyens. De manière plus générale, quand trop d'acteurs interviennent sur une compétence, comme cela est le cas pour l'eau, l'action est inefficace. Demander que l'État prenne la direction des opérations, c'est demander un pilote, donc un responsable.
Il serait bon, encore une fois, de débattre à nouveau de toutes ces questions.
M. Jacques Cornano. - J'insiste sur le travail déjà réalisé sur la directive cadre. Il convient de poursuivre dans la même direction : évaluation, consultation du public. Sur le changement climatique, je rappelle que nous avons mené un travail important, concernant la ressource en eau et l'assainissement. Alors que la Cop 22 se profile, il nous revient d'apporter des contributions concrètes, notamment sur la gouvernance et la planification, en nous inspirant, aussi, des expériences déjà engagées.
M. Rémy Pointereau, rapporteur. - Quand je dis que l'on a mis la barre trop haut, je ne fais que reprendre la position des directeurs des agences de l'eau, qui estiment que l'on est allé trop loin. Il faut réfléchir à deux fois avant de se fixer des objectifs. Ceci pour faire écho aux propos de Charles Revet. Il est également juste de souligner que les opérateurs de l'eau sont trop nombreux. Mais c'est nous qui, par nos votes, avons créé ce mille-feuille - agences de l'eau, schémas d'aménagement et de gestion de l'eau, schémas départementaux d'aménagement et de gestion de l'eau, commissions locales de l'eau, et j'en passe. C'est pourquoi il faut, sans doute pas à cinq ans, comme le propose Louis Nègre, mais à dix ans, évaluer la loi, et peut-être la revoir.
Evelyne Didier s'inquiète de ce rapport sur un sujet complexe. Mais pour reprendre l'exemple des seuils hydroélectriques qu'elle évoquait, je précise que je ne préconise pas leur augmentation. La petite production hydroélectrique est le fait, en France, de 2 500 microcentrales, représentant 1,5 % du total de l'énergie électrique, et 10 % seulement de la production hydroélectrique. À côté de la production d'un grand barrage, ce n'est rien.
Plutôt que créer des retenues collinaires pour prévenir les effets du changement climatique, il faut adapter les cultures au climat, dites-vous ? Pour moi, ce sont les hommes qui doivent s'adapter au climat. Dans les siècles passés, lorsque des moines s'installaient quelque part, la première chose qu'ils faisaient, c'était une retenue d'eau, pour vivre. On n'a rien inventé depuis. Sans compter qu'adapter les cultures, cela veut dire aussi en passer par des OGM résistant à la sécheresse. Or, personne n'en veut.
Ce n'est pas moi, encore une fois, qui dit que la loi est trop ambitieuse, monsieur Poher. Cela dit, je suis tout à fait d'accord avec vous pour dire que chaque territoire a ses spécificités, et que l'administration doit agir avec discernement. Mais pour ce qui concerne la Gemapi, je ne vous suis plus : on ne peut pas laisser cette compétence aux collectivités, qui n'ont pas les moyens financiers de la mettre en oeuvre. Pour moi, les agences de l'eau sont les mieux à même de gérer le problème.
Les agents de l'Onema doivent en effet, comme le préconise Louis Nègre, pratiquer la pédagogie. J'irai plus loin : je ne vois pas au nom de quoi on les arme. Notre collègue Jean Bizet, qui a eu à s'y frotter et a été condamné sait de quoi je parle. De même que des élus, dans nos campagnes, qui se trouvent condamnés pour avoir curé un fossé. (M. Charles Revet renchérit) Il est temps que les agents de l'Onema agissent avec discernement.
Vous vous inquiétez d'apprendre que la Cagne est à sec, mais je rappelle qu'en 1947, les puits, les rivières étaient à sec, alors même qu'on n'irriguait pas - et le changement climatique n'était pas en cause.
La recharge des nappes phréatiques, sur laquelle s'interroge Odette Herviaux, se pratique dans quelques endroits en France, notamment chez Alain Gournac, dans les Yvelines, où l'on pratique un épandage sur zones perméables, afin de recharger les captages d'eau potable. Je vous invite à aller visiter ce site. Il existe également un projet visant à recharger la nappe de Beauce avec la Loire. C'est une solution intéressante, qui évite de faire des retenues et mérite d'être explorée.
Vous vous interrogez sur ma proposition n° 14. Certes, les mesures agroenvironnementales existent, mais on pourrait faire mieux encore, en renforçant ces contrats agroenvironnementaux.
J'indique à Jean-Yves Roux qu'il trouvera, à la page 60 de mon rapport, un développement sur le cas particulier de la ressource en eau en zone de montagne, avec le régime des débits réservés.
Benoît Huré se demande si mon rapport est destiné à prendre la poussière sur une étagère. Je le rassure : c'est bien plutôt la loi sur l'eau de 2006, qui a dix ans, qu'il faudra bien, à un moment, dépoussiérer.
M. Charles Revet. - Absolument.
M. Rémy Pointereau, rapporteur. - Diminuer le nombre de captages ? Il faut trouver les ressources suffisantes. Certains captages ne dépassent pas quelques dizaines de mètres cubes, et il n'est pas toujours facile de les augmenter. Si bien qu'il en faut parfois trois ou quatre pour obtenir un débit suffisant pour la population.
Sur le problème de la surtransposition, nous sommes d'accord. De même que sur l'Onema, dont les agents doivent à mon sens être désarmés.
Jean-Jacques Filleul considère que ma proposition n° 3 remet en cause la protection de la biodiversité. Mais je ne fais que rappeler un principe qui veut que l'eau paye l'eau. Confier la protection de la biodiversité terrestre aux agences de l'eau, c'est diminuer d'autant les moyens consacrés à l'eau. Je veux bien que l'on confie cette mission aux agences de l'eau, mais en les dotant de moyens supplémentaires.
Mme Évelyne Didier. - Alors c'est ainsi qu'il faut l'écrire.
M. Rémy Pointereau, rapporteur. - Quant à la Gemapi, je suis d'accord avec vous : les agences de bassin constituent le bon niveau pour mener un travail coordonné.
Annick Billon appelle de ses voeux un autre débat. Peut-être notre président pourrait demander un débat en séance publique en décembre, à l'occasion des dix ans de la loi de 2006 ? (Mme Didier approuve).
Jacques Cornano, enfin, a raison d'appeler notre attention sur la Cop 22, qui viendra vite.
M. Hervé Maurey, président. - Je vous remercie de ce rapport complet. Je souscris pleinement au voeu largement partagé de Benoît Huré de ne pas voir ce rapport rester lettre morte. Depuis la disparition de la commission chargée d'assurer le suivi de l'application des lois, il revient à chaque commission d'assurer ce suivi pour les textes dont elle a été saisie. Au-delà du suivi de l'applicabilité des lois promulguées, qu'assure, au sein du Bureau du Sénat, Claude Bérit-Débat, il s'agit aussi de mesurer, à terme, les effets des lois que nous votons. Et c'est pourquoi nous avons confié ce travail sur la loi de 2006 à Rémy Pointereau. Nous ne nous en tiendrons pas là, et je demanderai un débat en séance publique, dans le cadre d'une semaine de contrôle, qui pourra être suivi, dans un deuxième temps, par le dépôt d'une proposition de loi, comme cela s'est déjà fait.
Mme Évelyne Didier. - Un mot pour explication de vote. Le travail de Rémy Pointereau est plein d'intérêt, mais il comporte quelques propositions auxquelles, pas plus que mon groupe, je ne peux souscrire. Cependant, eu égard à ce qui vient d'être proposé, je m'abstiendrai.
La commission autorise la publication du rapport.
Article 13 de la Constitution - Audition de M. Bernard Roman, candidat proposé aux fonctions de Président de l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (ARAFER)
La réunion est ouverte à 11 h 05.
M. Hervé Maurey, président. - Nous entendons M. Bernard Roman, candidat proposé aux fonctions de président de l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (Arafer), en application de la loi organique et de la loi du 23 juillet 2010 relatives à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, qui imposent que les commissions compétentes en matière de transports de l'Assemblée nationale et du Sénat entendent le candidat. Cette audition est ouverte au public et à la presse. Le vote s'effectuera à bulletins secrets, sans délégation de vote. Le candidat, qui vient d'être auditionné par les députés, ne pourra être nommé si la somme des votes négatifs dans les deux commissions est supérieure aux trois cinquièmes des suffrages exprimés.
Vous êtes député du Nord, membre du groupe socialiste à l'Assemblée nationale, membre de la commission des lois que vous avez présidée de 2000 à 2002, et questeur. Vous êtes avocat au barreau de Lille. Cet attrait pour les questions juridiques est un atout pour présider l'Arafer, autorité qui fait appliquer les textes européens et nationaux sur les transports terrestres afin de garantir la libre concurrence. En revanche, en tant que parlementaire, vos travaux ont peu porté sur les transports.
L'Autorité de régulation des activités ferroviaires (Araf) a été créée en 2009 par la loi relative à l'organisation et à la régulation des transports ferroviaires, dite ORTF. La loi du 4 août 2014 portant réforme ferroviaire a renforcé les pouvoirs et modifié le fonctionnement de l'autorité, tandis que la loi Macron du 6 août 2015 a élargi ses domaines d'intervention au transport par autocar, au contrôle des concessions autoroutières et à la collecte de données relatives aux transports routiers, l'Araf devenant l'Arafer. Celle-ci intervient en amont des décisions en rendant des avis, conformes ou simples, et ex post par le règlement des différends ou en infligeant des sanctions.
L'Arafer a un rôle de gardien de la concurrence, tâche malaisée dans un secteur monopolistique. Elle a rendu un avis négatif sur la tarification du réseau et des gares, contraignant SNCF Réseau et Gares et Connexions à revoir leur copie. En 2015, elle les a obligés à revoir leur tarification dans le cadre de différends avec la région Pays de la Loire et le Syndicat des transports d'Île-de-France (Stif). Plus récemment, elle a rappelé la nécessité de mieux séparer Gares et Connexions de l'opérateur SNCF Mobilités. Elle a demandé à l'établissement public industriel et commercial (Epic) de tête SNCF de renoncer à sa mission de gestion de stations-service. Elle s'est opposée à la nomination d'un candidat proposé par le Gouvernement pour présider SNCF Réseau.
Il est particulièrement nécessaire que le régulateur exerce sa mission en toute indépendance, face à un opérateur historique qui peine à remettre en cause son modèle de fonctionnement et à un État qui peine à accepter et à anticiper l'ouverture à la concurrence.
La priorité, c'est que le président de l'Arafer veuille et puisse être indépendant, comme l'a fait Pierre Cardo. Le Gouvernement peut en effet être soupçonné de vouloir revenir sur cette indépendance, lui qui a déposé à Bruxelles des amendements au paquet ferroviaire afin de limiter les pouvoirs des régulateurs... Avec le président Bizet, nous nous sommes saisis du sujet, car il en va de la survie de notre système ferroviaire !
Jusqu'à présent, vous avez peu travaillé sur les questions de transport. Nous attendons que vous nous rassuriez sur ce point...
Parmi les compétences nouvelles de l'Arafer figure la collecte de données relatives aux transports, où il manque de la transparence. Comment envisagez-vous d'exercer ces responsabilités ?
M. Bernard Roman, candidat proposé par le président de la République aux fonctions de président de l'Arafer. - Merci de votre accueil. C'est avec humilité que je me présente devant vous car votre commission compte les meilleurs spécialistes de ces questions. C'est aussi avec solennité, conscient de l'honneur que me fait le Président de la République en me proposant pour cette fonction qui relève de l'article 13 de la Constitution : le pouvoir de nomination du Président est encadré par votre décision. Solennité aussi car, si je suis nommé à la tête de cette autorité, je serai le garant de son indépendance. Je mesure l'importance stratégique de cette fonction, au regard des enjeux nationaux et européens.
Je suis député depuis 1997, membre depuis dix-neuf ans de la commission des lois, que j'ai présidée durant deux ans. Je suis également questeur de l'Assemblée nationale. Certes, je ne suis pas spécialiste des transports mais je me suis impliqué, dans mes mandats locaux, sur ces dossiers. Comme adjoint au maire de Lille, Pierre Mauroy, et vice-président de la communauté urbaine pendant 25 ans, j'ai négocié avec la SNCF et Réseau ferré de France (RFF) le tracé du TGV Nord et la construction de la gare de Lille TGV et du quartier d'affaires qui la surplombe, Euralille. Comme premier vice-président de la région Nord-Pas-de-Calais, j'ai négocié à trois reprises, avec le président Daniel Percheron, le contrat sur les TER avec la SNCF. Sur la question latente de la tarification des péages, nous avons su innover : nous avons été la seule région à avoir financé des lignes TER-GV prolongeant des lignes TGV. En tant que conseiller général, je me suis aussi occupé, comme nombre d'entre vous, de l'organisation et du financement des transports scolaires.
N'étant pas expert de ces sujets, j'ai beaucoup travaillé depuis dix jours. J'ai refusé de me faire préparer mon intervention, car je souhaite vous convaincre de ma passion à accepter cette mission, aussi importante qu'exaltante, au service de l'État.
Vous avez rappelé le cadre juridique. En 2001, le premier paquet ferroviaire européen a obligé les États membres à se doter d'une autorité de régulation indépendante pour préparer l'ouverture à la concurrence du transport de marchandises. En 2009, la loi ORTF a créé l'Araf. Celle d'août 2014 l'a renforcée, et la loi Macron a élargi les missions de l'Araf, devenue Arafer, au transport interurbain de moins de 100 kilomètres et aux concessions autoroutières. La loi du 30 mai 2016 ratifiant un accord bilatéral franco-britannique sur les conditions d'accès au tunnel sous la Manche conforte encore l'Arafer.
Mais les lois ne sont rien sans les décrets d'application, or certains ne sont toujours pas publiés. Nous attendons toujours les trois contrats stratégiques décennaux avec les trois Epic de la SNCF, notamment SNCF Réseau, sur lequel l'Arafer a un droit de regard. Nous attendons également le décret sur la règle d'or encadrant le financement, hors endettement supplémentaire, des investissements. Je me propose, si vous me nommez, de faire pression auprès du Gouvernement, au nom de l'Arafer, pour que ces décrets sortent sans délais.
Le quatrième paquet ferroviaire, qui vient d'être bouclé à Bruxelles et va être soumis à la ratification par chaque État membre, ouvre le transport de voyageurs à la concurrence à compter du 1er décembre 2020 sur toutes les lignes non concédées, c'est-à-dire les lignes à grande vitesse, et à compter de 2023 sur toutes les lignes concédées. L'objectif est de procéder par appels d'offres à compter de 2024 pour toutes les autorités organisatrices de transports (AOT).
Les missions de l'Arafer ont été accrues, notamment en 2015, sans que ses moyens augmentent. Le président Cardo s'en est plaint à plusieurs reprises. J'y reviendrai.
Le mandat de président de l'Arafer est de six ans. Par courtoisie, j'ai voulu rencontrer Pierre Cardo ; il m'a devancé. Présenter le bilan de l'Arafer, c'est d'abord rendre hommage à l'action de son premier président, Pierre Cardo, qui, à partir d'une coquille vide, a mis en place avec ténacité une structure dotée de services performants et a affirmé son indépendance vis-à-vis des opérateurs, notamment la SNCF, et du Gouvernement. Il a su fédérer le collège de l'Arafer, qui est de grande qualité : toutes les décisions importantes ont été prises à l'unanimité. Si je suis nommé, je m'inscrirai dans les pas de Pierre Cardo.
Parmi les missions historiques de l'Arafer, cela consistera à assurer aux opérateurs autres que la SNCF l'accès au réseau pour le fret ferroviaire et à améliorer le fonctionnement du secteur. Parmi ses outils, les avis conformes et simples, le règlement des différends, l'exercice d'un pouvoir réglementaire supplétif qui provoque parfois quelques démangeaisons dans les cabinets ministériels... L'Arafer régule également le cabotage sur les lignes internationales. Ces missions sont toujours d'actualité.
Les régions, en tant qu'AOT, tendent à prendre le relai des entreprises ferroviaires pour mieux maîtriser les redevances. La mission d'accès au réseau prendra plus d'ampleur avec la poursuite de l'ouverture à la concurrence. La réforme de 2014 a renforcé les pouvoirs de l'Arafer : l'avis conforme a été élargi aux gares, ateliers de maintenance et fournisseurs d'énergie, dont certains sont gérés par SNCF Mobilités, ce qui pose un problème de concurrence déloyale... Il faudra y mettre de l'ordre, dans les pas de Pierre Cardo.
L'Arafer a aussi un rôle nouveau dans le rétablissement de l'équilibre financier du système, qui soulève une immense inquiétude : la dette historique de la SNCF, non maastrichtienne et assumée par les gouvernements depuis trente ans, est de 40 milliards d'euros pour SNCF Réseau et de 13 milliards d'euros pour SNCF Mobilités. On ne peut rester inerte. La règle d'or et la compétence donnée à l'Arafer sur les conditions dans lesquelles SNCF Réseau pourra engager tout chantier de plus de 100 millions d'euros sans rompre l'équilibre budgétaire sont essentielles. Il faut publier le décret !
Troisième mission, le suivi des transports. Un observatoire des marchés, multimodal depuis 2015, fournit des informations synthétisées au législateur et à l'exécutif afin de leur offrir une vision de l'évolution de l'organisation des transports. La loi Macron a imposé la déclaration à l'Arafer des liaisons par autocar de moins de 100 kilomètres. Les régions peuvent saisir l'Arafer des situations de concurrence déloyale avec les services publics de transport. Dans 80 % des cas, sur les 80 demandes, l'Arafer n'a pas estimé qu'il y avait concurrence déloyale avec les TER.
Le suivi du secteur est une mission passionnante qui a démarré au 1er octobre 2015. Les résultats du dernier trimestre 2015 et du premier trimestre 2016 montrent une augmentation de 80 % de la fréquentation sur les lignes d'autocars. Va-t-elle continuer à croître, ou se tasser ? C'est en tout cas un élément de l'offre de transport à prendre en compte.
La loi Macron a chargé l'Arafer d'ouvrir un registre des gares routières. Celles-ci sont régies par une ordonnance de 1945 ; depuis, rien n'a évolué. Il est temps de réorganiser l'égal accès des autocaristes à ces gares.
Dernier secteur, les autoroutes. L'Arafer a une mission de transparence sur la composition des commissions des marchés. Elle a mis son veto sur certaines, où il existait un risque de conflits d'intérêts. À la suite du rapport de l'Autorité de la concurrence sur les bénéfices jugés démentiels des sociétés d'autoroutes - près de 24 % en 2015 ! - un groupe de travail a réuni sénateurs et députés. Certains envisageaient la nationalisation - qui aurait coûté 50 milliards d'euros. Ce travail s'est conclu par un protocole, qui n'a jamais été communiqué aux députés ni, j'imagine, aux sénateurs...
Mme Évelyne Didier. - En effet.
M. Bernard Roman. - Il faudra corriger cette lacune. L'Arafer a l'obligation et les moyens juridiques, y compris de sanction, pour établir un bilan annuel public des comptes des sociétés autoroutières. Chaque fois qu'un contrat sera modifié, qu'il s'agisse du montant du péage ou de la durée de la concession, l'Arafer donnera un avis.
Malgré ses nouvelles missions, les moyens de l'Autorité sont restés inchangés : ce n'est pas sérieux. Son budget était de 11,1 millions d'euros en 2015, il l'est d'autant en 2016. De même, le nombre d'ETP a été maintenu à 68. Pierre Cardo a légitimement demandé qu'il soit porté à 77. Rendez-vous est pris pour le projet de loi de finances pour 2017. Le Gouvernement propose, le Parlement dispose ! Si je suis nommé, nous aurons l'occasion d'en reparler et je porterai cette demande, déjà adressée par Pierre Cardo au ministère des transports et à Bercy.
Le premier chantier à poursuivre est celui de l'indépendance de l'Arafer. La première autorité indépendante est née d'un émoi parlementaire partagé, en 1974, devant le risque de création d'un fichier informatique généralisé. Un groupe de travail a abouti au projet de loi créant la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL). Sans elle, je ne suis pas sûr que les libertés des Français eussent pu être défendues comme elles l'ont été. Deux sénateurs l'ont présidée, dont Alex Türk. Cette indépendance est au coeur de l'esprit même de l'Arafer.
Deuxième chantier, la poursuite des interactions engagées par Pierre Cardo avec les acteurs européens de la régulation ferroviaire et avec les opérateurs nationaux. Il faudra sans doute aller plus loin, de plus en plus de collectivités s'érigeant en AOT. Les régions souhaitent pouvoir proposer une complémentarité entre covoiturage, autocars et TER. Ce sont des partenaires avec lesquels nous devons échanger. Les interactions devront être poursuivies au niveau européen avec la Commission européenne et IRG-Rail, fédération des 26 régulateurs nationaux.
Troisième chantier, la poursuite de la transparence. L'observatoire, les rapports au Parlement et la publication des décisions constituent un matériau précieux pour permettre au législateur et à l'exécutif de prendre en compte l'évolution des habitudes de transport.
Après ces trois chantiers, trois rendez-vous. D'abord, la poursuite de la mise en place d'une vraie régulation incitative, au regard de difficultés dans l'organisation irrationnelle de la réservation des sillons. Un exemple : le gouvernement français avait passé un accord avec un gros transporteur turc ; le bateau ayant déchargé sa cargaison à Sète, celle-ci est acheminée par rail jusqu'à Dijon, où des travaux, non prévus au moment de la réservation, bloquent le convoi destiné à la région parisienne ! Il faut une meilleure coordination. Ces lacunes expliquent aussi que le fret ferroviaire ait chuté de moitié en dix ans... L'Arafer est là pour tirer le signal d'alarme.
Autres défis : la refonte de la tarification et le suivi de l'exécution du contrat entre l'État et SNCF Réseau, qui fixe sa trajectoire budgétaire sur dix ans.
La refonte des gares est essentielle. Actuellement, elles ont deux propriétaires, SNCF Réseau pour les quais et Gares et Connexions pour les centres commerciaux, et donc deux redevances. L'unicité de gestion est indispensable. L'Arafer a proposé de la confier à une filiale de SNCF Réseau.
Enfin, nous devrons préparer l'achèvement de l'ouverture des marchés à la concurrence. C'est l'État et SNCF Mobilités qui la conduiront ; la mission de l'Arafer sera d'apporter le maximum de transparence aux opérateurs, dont la SNCF. Il faudra des gares en bon état qualitativement, et quantitativement bien situées, un réseau adapté, des conditions claires.
Nous devons mener à bien les nouvelles compétences héritées de la loi Macron : autocars, autoroutes, gares routières. Le renforcement depuis six ans du rôle de l'Arafer, l'affirmation de son indépendance, liée à son succès, témoignent de la nécessité de poursuivre et d'amplifier le travail réalisé. Je m'engage pleinement dans ce défi.
M. Louis Nègre. - Merci de votre intervention. J'ai apprécié votre hommage à Pierre Cardo qui, partant d'une coquille vide, a fait de l'Arafer un régulateur respecté. Le collège a pris ses décisions à l'unanimité, c'est un bon signe.
Vous êtes un élu - nous préférons cela à un fonctionnaire. Vous êtes un politique, un hiérarque du parti socialiste. Vous êtes questeur de l'Assemblée nationale, vous avez été président de la commission des lois, directeur de cabinet de Pierre Mauroy, premier vice-président de la région Nord-Pas-de-Calais, en charge des finances. Vous êtes manifestement une personnalité de qualité. Vous jouissez d'une image d'homme honnête et rigoureux. C'est bien ! Vous dites avoir beaucoup travaillé ces derniers jours, nous l'avons remarqué au travers de votre exposé. Enfin, vous êtes favorable à l'Europe et représentez plutôt un PS moderne. Jusque-là, tout va bien !
Mais votre candidature fait suite à la nomination de votre collègue député François Brottes à la tête de RTE, au « recasage » du directeur de cabinet de Stéphane Le Foll ; on dit qu'elle viserait à permettre un jeu de chaises musicales en faveur de votre collègue François Lamy, même si vous avez déclaré que vous souhaitiez rester député. Que s'est-il passé entre le 6 et le 16 juillet ?
La droite aussi avait nommé un politique à la tête de l'Arafer, dont acte. Vous êtes un novice, membre non de la commission du développement durable mais de la commission des lois. Votre « recasage » relève-t-il de l'économie circulaire ? Pour autant, là aussi, nous avions fait la même chose en nommant Pierre Cardo... Dont acte.
Quelle est votre approche de la libéralisation du secteur ? Je suis moins optimiste que vous concernant le quatrième paquet ferroviaire, sur lequel j'ai signé un rapport pour la commission des affaires européennes. Si l'article 1er décrète l'ouverture à la concurrence, l'article 2 prévoit six ou sept exceptions. Notre pays, s'il le souhaite, pourra ne pas appliquer l'article 1er ! Dernièrement, le Premier ministre a donné aux régions la liberté de tarification et d'expérimenter, que nous attendions depuis quinze ans. Comment expliquer cette évolution soudaine ? Ce quatrième paquet est fondamental pour le sauvetage du système ferroviaire français. Gares et Connexions n'est pas qu'une simple direction ; le statu quo est inenvisageable étant donné le risque d'atteinte à la concurrence. Quelle est votre position ?
Quelle sera votre indépendance envers un État qui apprécie d'autant plus les régulateurs qu'ils sont de son avis ? Lorsque le régulateur s'oppose, le Gouvernement lui rogne illico les ailes... C'est fondamentalement pervers. Vous qui êtes un « Hollandais » pur jus, saurez-vous tenir tête à un État qui essaierait de limiter vos pouvoirs ? Serez-vous impartial demain en cas d'alternance ?
Comment analysez-vous le système ferroviaire français, avec la dégradation du réseau, les accidents, les problèmes d'entretien, l'endettement ? J'ai apprécié que vous montiez au créneau pour dénoncer la non-communication des contrats autoroutiers et l'absence du décret sur la règle d'or.
Par charité, je ne dirai pas ce que j'ai lu sur Facebook de la part d'un de vos collègues député, spécialiste des transports, qui se disait ravi de ne pas être proposé comme candidat car « il n'aurait pas pesé lourd dans ce calcul politique ». Tout reposera demain sur vos épaules, en matière d'indépendance. Nous serons en vigilance orange, sachez-le !
M. Jean-Jacques Filleul. - Je ne serai pas flatteur pour ensuite donner des coups de couteau ! Le régulateur est important, nécessaire, et l'Arafer est un bon exemple d'un régulateur qui a joué son rôle. J'ai apprécié l'hommage que vous avez rendu à Pierre Cardo. Le fait que vous vous inscriviez dans ses pas est une garantie.
Votre exposé est aussi le retour d'expérience d'un élu local qui a été confronté à tous les domaines du transport. Le régulateur est important pour le ferroviaire, pour les autoroutes, pour les autocars - gros succès de la loi Macron. En Grande-Bretagne ou en Allemagne, ceux-ci transportent plus de 10 millions de voyageurs par an, preuve qu'il y a une marge de mobilité et de clientèle.
J'ai apprécié que l'Arafer ne se laisse pas manipuler par les régions et que 80 % des demandes aient été acceptées.
Un député est remplacé par un autre député, non par un haut fonctionnaire : c'est bien. « Je serai garant de l'indépendance de l'Arafer », avez-vous dit. Ce sont des paroles fortes. Nous aiderons l'Arafer à faire pression sur le Gouvernement afin qu'il publie les décrets d'application de la loi ferroviaire, notamment sur la règle d'or et sur les relations avec SNCF Réseau et SNCF Mobilités.
L'Arafer aura un rôle majeur à jouer dans l'ouverture à la concurrence, indispensable pour faire bouger le secteur ferroviaire. Nous n'avons pas réussi, dans la loi, à faire de Gares et Connexions une entité indépendante. Quel est votre avis ?
Il faut mettre de l'ordre dans SNCF Réseau et SNCF Mobilités, être attentifs aux évolutions des régions et à leur souhait d'être plus indépendantes de SNCF Mobilités. L'observatoire des marchés aura un rôle important ; notre rapport sur les autoroutes a montré combien tout cela manquait de transparence...
Votre exposé exhaustif et précis a répondu par avance à bien des questions.
M. Charles Revet. - Je rends hommage au travail de Pierre Cardo qui a su mettre en place l'Arafer dans un contexte difficile.
Je termine une mission, à la demande du Premier ministre, sur les grands ports maritimes. On pourrait interroger aussi l'Arafer ! Alors qu'ils sont les mieux placés d'Europe, les grands ports français sont ceux qui réussissent le moins bien... C'est aussi lié aux problèmes d'acheminement. Le fret ferroviaire est en chute libre. Aujourd'hui, 85 % du transport de conteneurs se fait par la route, le reste par fleuve, et, à la marge, par le rail.
Mme Évelyne Didier. - Hélas !
M. Charles Revet. - L'ouverture à la concurrence est actée pour le fret mais ne fonctionne pas, car tout dépend de la gestion de l'attribution des sillons, que dénoncent les opérateurs autres que la SNCF. Serait-il possible que l'Arafer soit chargée de garantir l'indépendance en la matière ? Sinon, que suggérez-vous pour que cette indépendance soit respectée, aujourd'hui dans le fret et demain dans le transport de voyageurs ?
M. Alain Fouché. - Je salue l'honnêteté de votre exposé. J'ai vu le conseil d'administration de RFF, où j'ai siégé pendant quatre ans, freiner l'ouverture du marché du fret à la concurrence. Est-on plus ouvert dans les autres pays ?
La SNCF a un souci extrême de la sécurité des trains, à commencer par les TGV. Or l'ouverture amènera nombre de trains venus de l'étranger sur nos voies : que préconiserez-vous pour assurer la même sécurité ?
Mme Évelyne Didier. - Attaché au service public, le groupe CRC n'est pas favorable, de manière générale, aux autorités indépendantes. Cela étant dit, la question de la dette est cruciale, puisqu'elle met en jeu le devenir de la SNCF. La France souhaite-t-elle conserver un opérateur performant ? Si tout est fait pour le plomber, la concurrence en profitera. Je ne crois pas qu'en Allemagne, l'opérateur historique ait été malmené à ce point.
Vous avez souligné, à raison, que les parlementaires avaient été négligés : ils n'ont pas reçu communication du protocole sur les autoroutes. On nous a traités comme des enfants, et j'en conserve une certaine amertume. Les sociétés d'autoroutes ont, en exagérant les risques, obtenu un niveau de rentabilité très élevé : tout année supplémentaire accordée en contrepartie de travaux vaut de l'or, et ce sans aucun risque, la progression de la clientèle étant assurée. L'Autorité de la concurrence a souligné le caractère anormal de cette situation. J'aurais souhaité que l'on fît preuve de la même sévérité à l'égard des concessionnaires d'autoroutes que vis-à-vis de la SNCF.
Sur le marché des autocars, les opérateurs ont vendu à perte. Arriverons-nous à une situation de réelle concurrence ?
Indépendance et transparence font partie de l'ADN des autorités administratives indépendantes ; Pierre Cardo a souligné, dans son rapport, qu'il avait eu à établir la doctrine de l'Arafer. Comptez-vous y apporter d'autres éléments, notamment la prise en compte de l'intérêt général ?
Enfin, avez-vous l'intention de développer un observatoire intégré à la structure, comme évoqué par Pierre Cardo ?
M. Jean Bizet. - Vous avez eu l'honnêteté de dire que vous n'étiez pas, à ce jour, compétent en la matière mais votre expérience d'élu vous permet d'appréhender la complexité de ces dossiers. Vous y apportez un oeil neuf, c'est un atout. Par conséquent, ces considérations n'influenceront pas mon vote.
En revanche, je suis choqué des tentatives du Gouvernement de restreindre l'indépendance de l'Arafer ; le président Maurey et moi-même avons adressé, le 24 mai, un courrier au ministre chargé des transports, resté sans réponse de sa part. Les tentatives du Gouvernement au niveau européen, en conflit d'intérêts manifeste, sont scandaleuses.
En matière d'ouverture à la concurrence, l'Arafer n'est pas le décideur final ; cependant, son avis aura un poids. Aurez-vous la voix tremblante au moment de l'exprimer et de faire évoluer cet acteur essentiel de l'aménagement du territoire ? Ce gouvernement et un syndicat - la CGT, je n'ai pas peur de le nommer - font tout pour freiner l'ouverture. Ce n'est pas ainsi que nous sauverons l'opérateur historique.
M. Jean-Yves Roux. - Un amendement à la loi Sapin 2 confère à l'Arafer de nouvelles compétences afin d'assurer « un strict parallélisme entre le dispositif prévu pour la passation des marchés publics et celui régissant la passation des marchés par les concessionnaires d'autoroutes privés, sous réserve des adaptations sectorielles nécessaires, notamment en matière de seuil ». Pour cela, l'Arafer pourrait « définir elle-même les informations dont elle doit être destinataire plutôt que ces dernières ne soient fixées par voie réglementaire ». Comment envisagez-vous la mise en oeuvre de cette nouvelle disposition ?
M. Claude Bérit-Débat. - Les propos de Louis Nègre étaient déplacés, irrespectueux vis-à-vis du candidat. M. Nègre joue à Hercule Poirot, faisant une lecture purement politicienne...
M. Louis Nègre. - C'est dans la presse !
M. Claude Bérit-Débat. - Il parle de « recasage » de « hollandais de la première heure »... Je ne lui demande pas s'il est sarkozyste de la première heure ou filloniste tiède !
M. Hervé Maurey, président. - Ce n'est pas l'objet de la réunion...
M. Claude Bérit-Débat. - J'ai été président d'AOT et ai mis en place, à l'échelle de ma communauté d'agglomération, un service de transport avec une centaine de chauffeurs en régie, en complémentarité avec la SNCF. En matière d'interaction entre les différents modes de transport, vous déclarez vous inscrire dans les pas de votre prédécesseur. Je retiens les trois chantiers que vous vous êtes fixés : indépendance, dont je vous donne acte, interaction et transparence. Sans même attendre votre réponse, je vous donne toute ma confiance !
M. Louis Nègre. - Tout ce que je dis, cher collègue, je le dis en conscience. La parole est libre jusqu'à preuve du contraire, sauf dans les dictatures. Visiblement, vous ne lisez pas la presse ; vous n'avez pas non plus assisté à une audition au Sénat américain !
M. Hervé Maurey, président. - Ne donnons pas l'impression à M. Roman que nous serions moins sages que les députés !
Vous noterez que nous sommes tous très attachés à l'Arafer. Une proposition de loi limitant le nombre et les attributions des autorités administratives indépendantes a été votée au Sénat ; mais l'Arafer n'était aucunement visée.
Vous avez rappelé que nous n'avions pas eu communication des accords entre l'État et les sociétés d'autoroutes ; j'ai écrit au Premier ministre plusieurs courriers à ce sujet, qui sont restés sans réponse.
Au-delà de la continuité avec l'action de Pierre Cardo, il sera nécessaire d'innover sur les compétences plus récentes de l'Arafer : autocars, données en matière de transport, autoroutes. Lors de son audition, Pierre Cardo a suggéré que la loi Macron ne donnait pas à l'Autorité de pouvoirs de contrôle et d'investigation et de moyens suffisants. Quelle est votre position sur ce sujet ?
La dette - abyssale et toujours en augmentation - de la SNCF nous préoccupe au plus haut point. De quelle manière estimez-vous pouvoir agir ? Tant que le contrat de performance entre l'État et l'opérateur, qui fixera des objectifs d'évolution de la situation financière de l'entreprise, n'est pas signé, il est difficile à l'Arafer de veiller à son respect.
M. Bernard Roman. - Un rapport du Sénat préconise que le président de l'Arafer soit un politique en fin de carrière... Sans doute parce qu'il aura l'habitude des joutes oratoires ! Je retiendrai donc l'introduction de M. Nègre et la conclusion de M. Bérit-Débat. Les exégèses que vous avez pu lire dans la presse ne correspondent pas aux réalités. Pour moi, en politique, on ne peut pas léguer : tout se gagne.
Avant cette audition, je n'ai souhaité rencontrer ni les parlementaires, ni les membres du collège ou les agents des services de l'Arafer. Par conséquent, les positions que j'exprime sont strictement personnelles.
Mon approche en matière d'ouverture du marché, c'est l'ouverture. Le quatrième paquet est clair : on ne pourra échapper à l'ouverture des lignes non concédées, c'est-à-dire des lignes à grande vitesse, au 1er décembre 2020. Les lignes concédées seront ouvertes en 2023 ; en signant en 2022 un contrat pour quatre ans, on pourra reporter l'échéance à 2026, mais le train de l'ouverture est en marche, nous ne l'arrêterons pas.
J'estime que l'on peut être social-démocrate, européen - dans mon cas, un peu plus que la moyenne de sa formation - et attaché au service du public. Cependant, dès après-demain si vous ne vous opposez pas à ma nomination, je n'exprimerai plus de positions politiques publiques. Ma mission m'impose un devoir de réserve total.
Vous avez raison, monsieur Nègre, de me qualifier de « hollandais pur jus ». Nous sommes des amis de 35 ans. Cela ne m'a pas empêché de monter plusieurs fois à la tribune de l'Assemblée nationale, contre l'avis de mon groupe, pour exprimer un désaccord total avec le Président et le Premier ministre.
M. Jean Bizet. - Et vis-à-vis de la CGT ?
M. Bernard Roman. - J'y viendrai. Dans le monde politique, deux principes me semblent essentiels : respecter les concurrents, et pouvoir se regarder dans la glace tous les matins. Il ne faut pas hésiter à exprimer les désaccords ; et, le cas échéant, en tant que président de l'Arafer, je n'accepterai aucune demande ou pression de la part du Président ou du ministre des transports.
Les gouvernements qui se sont succédé depuis vingt ans partagent la responsabilité d'avoir laissé le réseau se dégrader. Il serait irresponsable de ne pas concentrer tous les moyens humains et financiers sur sa rénovation. Au-delà du drame de Brétigny-sur-Orge, plusieurs accidents n'ont été évités que de justesse. Le coût d'une rénovation globale du réseau est estimé à 30 milliards d'euros ; ce sont 30 000 kilomètres de voies, dont 20 000 à rénover, avec certains sillons très difficiles à fermer en raison de leur forte fréquentation. Pendant dix ans, SNCF Réseau a consacré tous ses moyens d'investissement aux lignes à grande vitesse, au détriment de l'entretien du réseau existant. C'est par conséquent une priorité qui doit être inscrite dans le contrat de performance entre SNCF Réseau et l'État. C'est la position que j'exprimerai. Aucun autre investissement ne saurait être réalisé sur les LGV si cela doit aggraver le déficit de SNCF Réseau.
Les gares françaises ont deux propriétaires : SNCF Réseau pour les quais, et SNCF Mobilités, à travers Gares et Connexions, pour le reste. Ce reste, disons-le, est la partie la plus juteuse. À la clé, deux redevances, et une illisibilité totale du retour sur investissement. Celui qui paie le plus est SNCF Réseau, celui qui reçoit le plus est SNCF Mobilités. De plus, Mobilités sera en position de concurrence déloyale au moment de l'ouverture. Plusieurs solutions sont envisagées pour y remédier : transférer la propriété des gares à un quatrième Epic, à une filiale de SNCF Réseau - solution proposée par Pierre Cardo - ou aux régions. La dernière solution n'est pas praticable : la France compte 3 000 gares - ce qui nous place en deuxième position derrière l'Allemagne, qui en a 6 300 - dont la taille varie considérablement. La proposition de l'Arafer est la bonne, mais il faut aller très vite. En tout cas, SNCF Mobilités ne saurait récupérer la propriété des gares.
L'intermodalité est le grand défi auquel la France n'a pas su répondre. Comment se fait-il que dix fois plus de marchandises, en volume, soient transportées par le fret en Suisse qu'en France ? Pourquoi l'intermodalité totale entre le canal, la mer, le rail, la route et l'air, ne se fait-elle pas ? Un exemple tiré de mon expérience : la base aérienne militaire de Cambrai ferme. Sachant que le canal Seine-Nord passe par Cambrai, que trois autoroutes s'y croisent, il y avait de quoi créer une plateforme quadrimodale idéale. Nous n'y sommes pas parvenus, parce que la perspective d'un aéroport de fret, à laquelle les parlementaires étaient favorables, a suscité une levée de bouclier des habitants - on peut le comprendre - et des élus du territoire. Nous avions beau faire valoir que les avions cargos feraient moins de bruit que les Mirage, nous n'avons convaincu personne.
L'une des causes de la baisse du fret ferroviaire réside dans les conditions de réservation, d'annulation et de réaffectation des sillons. Les opérateurs préfèrent attendre le dernier moment pour obtenir, à un prix beaucoup plus modique, des sillons annulés ; et certains sillons pré-réservés par la SNCF sont abandonnés au dernier moment, et ne sont pas repris. Dans ces conditions d'incertitude, les entreprises préfèrent la route.
Les règles de sécurité s'imposant au matériel roulant et les conditions d'accès au dispositif des opérateurs étrangers sont décrites précisément dans le quatrième paquet, qui comprend également des règles sociales.
L'opérateur historique est une fierté. Nous le conserverons à condition de le laisser opérer sereinement sa mutation, qui ne se fera pas sans les 150 000 hommes et femmes qui y travaillent. Usager fréquent du train, je rencontre les cheminots. Même ceux qui appartiennent à la CGT reconnaissent qu'ils devront accepter des évolutions. Le récent accord, accepté par la CGT, a été décrit comme une capitulation, mais il introduit la polyvalence - des agents travaillaient 20 heures payées 35 - et la possibilité d'accords locaux d'entreprise, dérogatoires des accords nationaux.
Mme Évelyne Didier. - Seulement s'ils sont plus favorables !
M. Bernard Roman. - Pas seulement. Il convient de faire en sorte, ensemble, que la SNCF demeure un grand opérateur. L'Allemagne a libéralisé son réseau depuis longtemps.
Mme Évelyne Didier. - Elle a repris la dette de l'opérateur !
M. Bernard Roman. - C'est vrai.
J'ai pu prendre connaissance de l'accord entre l'État et les autoroutes. Il limite le taux de rentabilité interne (TRI) des sociétés dans une fourchette de 4 à 7 %. Les agents assermentés de l'Arafer ont le droit de consulter sur place tous les documents comptables. Tous les ans, l'Arafer publiera le TRI de chaque concessionnaire, et vous pourrez convoquer son président quand vous le voudrez. C'est une mission très importante que la loi Macron a conférée à l'Autorité.
L'observatoire existe déjà, et ses publications sont passionnantes. Ayant participé à une AOT en tant que vice-président de région, j'ai contribué au maintien de certaines lignes, pour satisfaire les élus qui le demandaient. Parfois, elles transportaient trente passagers le matin et le soir, et un ou deux pendant la journée... Est-ce bien raisonnable ? Au regard de l'évolution des pratiques de transport, une AOT peut-elle substituer la notion de service du public à celle de service public ? L'observatoire apporte des données susceptibles d'éclairer ces décisions.
En tant que premier syndicat du rail, la CGT peut s'opposer à tout accord. Il est par conséquent nécessaire de discuter avec elle, en mettant tous les éléments sur la table. Je viens de signer un accord avec la CGT sur le personnel de cuisine de l'Assemblée, au terme de négociations très dures. Comme toutes les organisations sociales, elle fait son travail.
Les agents de l'Arafer, grâce à un amendement du Gouvernement à la loi Sapin complétant les dispositions de la loi Macron, ont désormais les mêmes capacités d'investigation que les agents du fisc.
Enfin, il appartient à l'Arafer de formuler des préconisations au Gouvernement à propos de la dette, qui atteint 40 milliards d'euros pour SNCF Réseau et pèse en permanence sur les tarifs. La moitié de ce total est issue des 134 milliards de francs transférés de la SNCF à RFF au moment de sa création. Depuis lors, personne ne s'est soucié de déterminer à qui incombait le remboursement de cette dette non-maastrichtienne ; on se contente de payer les intérêts, qui atteignent 500 à 700 millions d'euros par an. J'estime qu'il serait opportun de proposer un transfert à l'État de la dette historique, même si ma position sur ce point n'est pas entièrement arrêtée. Si la dette historique est reprise par l'État et que SNCF Réseau conserve les 20 milliards restants - en les maintenant à niveau en vertu de la règle d'or - le service de cette dette représentera 500 à 600 millions annuels, soit un montant égal à l'engagement d'économies de SNCF Réseau dans le cadre du futur contrat de plan. Tout se tient... L'Arafer peut apporter de la transparence, donner des éléments de décision.
J'espère vous avoir démontré que j'ai travaillé sur ces questions ; je ferai en sorte, si vous ne vous opposez pas à ma nomination, d'être devenu un véritable spécialiste du sujet lorsque vous m'entendrez à nouveau. Comme disait Virgile, « on se lasse de tout, excepté d'apprendre » !
M. Hervé Maurey, président. - Je vous remercie.
Vote sur la proposition de nomination du président de l'ARAFER
La commission procède au vote sur la candidature de M. Bernard Roman, proposé aux fonctions de président de l'Autorité de régulation des activités ferroviaires, en application de l'article 13 de la Constitution.
M. Hervé Maurey, président. - Voici les résultats du scrutin : 12 votes pour, 7 votes blancs et 3 abstentions.
La réunion est levée à 12 h 40.