- Mardi 19 février 2014
- Evolution et développement de la place financière de Paris - Audition conjointe de Mme Delphine d'Amarzit, chef du service du financement de l'économie de la direction générale du Trésor, MM. Dominique Cerutti, directeur général d'Euronext, Thierry Francq, auteur d'un rapport sur l'évolution d'Euronext et l'avenir des activités de marché et de post-marché en Europe, Gérard Mestrallet, président de Paris Europlace, président directeur général de GDF-Suez, et Hervé Synvet, professeur agrégé de droit privé à l'université Panthéon-Assas (Paris II)
- Bilan de la première année d'activité de Bpifrance - Audition de M. Nicolas Dufourcq, directeur général de la Banque publique d'investissement (BPI)
Mardi 19 février 2014
- Présidence de M. Philippe Marini, président -Evolution et développement de la place financière de Paris - Audition conjointe de Mme Delphine d'Amarzit, chef du service du financement de l'économie de la direction générale du Trésor, MM. Dominique Cerutti, directeur général d'Euronext, Thierry Francq, auteur d'un rapport sur l'évolution d'Euronext et l'avenir des activités de marché et de post-marché en Europe, Gérard Mestrallet, président de Paris Europlace, président directeur général de GDF-Suez, et Hervé Synvet, professeur agrégé de droit privé à l'université Panthéon-Assas (Paris II)
La réunion débute à 9 h 40.
Au cours d'une première réunion, la commission procède à l'audition conjointe de Mme Delphine d'AMARZIT, chef du service du financement de l'économie de la direction générale du Trésor, MM. Dominique CERUTTI, directeur général d'Euronext, Thierry FRANCQ, auteur d'un rapport sur l'évolution d'Euronext et l'avenir des activités de marché et de post-marché en Europe, Gérard MESTRALLET, président de Paris Europlace, président-directeur général de GDF-Suez, et Hervé SYNVET, professeur agrégé de droit privé à l'université Panthéon-Assas (Paris II), sur l'évolution et le développement de la place financière de Paris.
M. Philippe Marini, président. - L'audition conjointe de ce matin porte sur le thème de l'évolution et du développement de la Place financière de Paris. La société NYSE-Euronext, qui exploite notamment la Bourse de Paris a été rachetée, il y a quelques semaines, par la société américaine ICE. Dans ce contexte, il est prévu que la société ICE ne conserve que les activités de dérivés de NYSE-Euronext, principalement situées à Londres, et cède les autres plateformes, dont celle de Paris. En Europe, Londres, qui réunit l'essentiel des moyens de l'industrie financière européenne, va donc accroître sa domination tandis que Francfort, avec la société Deutsche Börse, le fameux « silo », va devenir la principale place de la zone euro. Une telle évolution ne peut-elle constituer une nouvelle opportunité pour la Place financière de Paris ?
Cette situation ne nous paraît en tout cas pas anodine pour le financement de notre économie. En effet, sans parler des groupes du CAC 40, ce sont plus de 1 000 entreprises qui sont cotées à Paris.
Thierry Francq, actuel adjoint au commissaire général à l'investissement, ancien secrétaire général de l'Autorité des marchés financiers (AMF) et auteur d'un rapport sur « l'évolution d'Euronext et l'avenir des activités de marché et de post-marché en Europe », dont il va nous présenter les conclusions dans quelques instants, estime que les financements de marché représentent 850 milliards d'euros sous forme de capital et 505 milliards d'euros sous forme d'obligations, soit 40 % du financement total des sociétés non financières. Et ces montants ont plutôt vocation à croître compte tenu de l'entrée en vigueur des nouvelles normes prudentielles bancaires, qui vont renchérir le coût du crédit.
Dans un communiqué de novembre 2013, le ministre de l'économie et des finances rappelait que les « activités de marché et de post-marché à Paris, constituent un lieu central pour le financement de notre économie. La Bourse de Paris se doit donc d'être active, innovante et à l'écoute des besoins des investisseurs et des entreprises ». Certes, ce type de langage a toujours été tenu par les ministres successifs, qui ne peuvent dire autre chose. Mais, en termes de compétitivité, on peut se demander où en sont les métiers de transaction et de services sur la Place de Paris.
Il nous a donc semblé que ce contexte particulier était l'occasion de faire le point sur ce que l'on appelle communément la Place de Paris : est-elle résiduelle ? Conserve-t-elle une masse critique ? Je crois qu'il ne faut pas se berner de mots... Il est utile que vous nous apportiez, les uns et les autres, vos analyses en toute vérité.
Il y a une vingtaine d'année, à la fin des années 1980 et au début des années 1990, du temps de Bérégovoy-Naouri, la France avait su entreprendre les réformes nécessaires pour s'assurer que la Place de Paris conserve son rang. Ces évolutions ne se sont-elles pas étouffées ? Depuis lors, n'avons-nous pas manqué un certain nombre d'opportunités ? J'évoquais le capital d'Euronext Paris : ce sont quand même bien les banques et les compagnies d'assurances de la Place qui ont voulu se désengager à l'époque et, par conséquent, il a bien fallu trouver des solutions. J'ai le souvenir du marché à terme d'instruments financiers (MATIF) d'autrefois, qui fut une innovation très intéressante : elle était même en pointe. Tout cela est bien loin et a disparu. La capacité d'innovation financière sur la Place de Paris existe certes toujours ; nous disposons d'excellents mathématiciens. Mais sans doute y en a-t-il beaucoup plus de ce calibre à Londres qu'à Paris, y compris d'origine française...
Après ces propos volontairement provocateurs, j'en viens à la présentation de notre panel d'invités :
- Delphine d'Amarzit, chef du service du financement de l'économie à la direction générale du Trésor, conclura le tour de table, en nous expliquant comment l'Etat accompagne ces changements et quelles sont ses priorités ;
- Dominique Cerruti, directeur général d'Euronext nous parlera de son entreprise : à quelle échéance Euronext sera-t-il introduit en Bourse ? Quelle est votre vision de ce sujet ? Comment faire renaître un marché des dérivés à Paris ?
- Thierry Francq, que j'ai précédemment présenté, nous livrera les conclusions de son rapport ;
- Gérard Mestrallet, PDG de GDF-Suez et président de Paris Europlace, dispose d'une vision d'ensemble en tant que grand émetteur et acteur incontournable de toutes les évolutions récentes et ; je l'espère, à venir, et pourra s'efforcer de répondre aux questions suivantes : comment la place de Paris aborde-t-elle ce changement, notamment s'agissant de l'actionnariat d'Euronext Paris ? Au-delà de la plateforme boursière, pouvez-vous nous dresser un panorama des acteurs et des principaux enjeux de la Place de Paris ?
- enfin, Hervé Synvet, professeur de droit financier à Paris II, nous éclairera notamment sur les questions de compétitivité juridique : de ce point de vue, la Place de Paris est-elle bien positionnée ? La Common Law est-elle plus opérationnelle et attractive que le droit continental, notamment les concepts issus du droit français, pour la structuration des transactions ? Ce sont des sujets qu'il faut aborder sur le plan systémique et sans complaisance. Je précise que nous prenons toujours soin de faire figurer un universitaire dans nos panels. Leur parole est souvent plus « libre » que les acteurs en situation...
M. Thierry Francq, auteur d'un rapport sur « l'évolution d'Euronext et l'avenir des activités de marché et de post-marché en Europe ». - Je ne vais pas rappeler l'enjeu que représentent les marchés pour le financement de l'économie car vous l'avez fait en introduction. Je voudrais commencer par préciser que le chiffre de 40 % du passif des entreprises françaises qui est financé par le marché, que vous avez cité, doit être compris comme consolidant l'ensemble des entreprises françaises (il y a aussi des crédits inter-entreprises qui ne sont pas comptabilisés dans ce chiffre).
Les enjeux du développement de la Bourse à Paris sont aussi des enjeux de localisation. Pour faire simple, les grandes entreprises françaises peuvent se financer partout car elles sont connues et reconnues. Ici, l'enjeu est la localisation à terme des sièges sociaux des entreprises, puisque la relation avec les actionnaires, les conseils et l'écosystème des entreprises cotées a un impact important sur l'activité des sièges sociaux. Cet enjeu de la localisation d'une bourse active et dynamique sur notre territoire est particulièrement clair pour les petites et moyennes entreprises (PME) et les entreprises de taille intermédiaire (ETI). Les statistiques de l'Association des marchés financiers (AMAFI) sont très parlantes à cet égard : 80 % des ordres à la Bourse de Paris sur les actions des PME et ETI proviennent de traders ou d'intermédiaires localisés en France - pas forcément français, mais localisés en France. Il y a donc bien une adhérence au territoire national, notamment pour les PME et ETI.
Enfin, on ne peut pas parler de bourse sans parler de post-marché, c'est-à-dire de clearing et de dépositaire central. Il y a là encore un enjeu très fort : avoir des chambres de compensation en zone euro. Celles-ci vont devenir des pivots systémiques dans la finance, du fait des mesures décidées au niveau mondial et européen. En effet, une grande part des transactions effectuées sur les marchés des dérivés devront passer par ces chambres de compensation. En outre, leur accès à la monnaie banque centrale est absolument essentielle en cas de crise. C'est la raison pour laquelle il faut maintenir des chambres de compensation, si possible deux, pour des raisons de concurrence, dans la zone euro. J'ajoute enfin que le dépositaire central est le notaire de l'ensemble des titres de la bourse : son environnement juridique peut avoir un impact considérable sur la protection des investisseurs ; entre le régime juridique continental et le régime juridique anglo-saxon, la protection des investisseurs n'est en effet pas la même. Vous y avez fait allusion.
En Europe, dans les années récentes, les bourses ont été marquées par la réglementation (notamment la directive sur les marchés d'instruments financiers, dite directive MIF I) et par l'évolution rapide du paysage boursier avec de multiples tentatives d'alliances. Au cours de cette période, les bourses se sont peu concentrées sur les émetteurs, qui ne représentent qu'un type de leurs clients. La directive MIF a créé la concurrence vis-à-vis des seuls investisseurs. Or, la bourse est une entreprise très particulière, puisqu'elle a des clients aux intérêts globalement convergents - mais parfois divergents - et surtout, de nature très différente (investisseurs d'un côté, émetteurs de l'autre).
Aujourd'hui, la roue tourne et c'est une bonne chose : d'une part, parce que la directive MIF va évoluer dans un sens probablement plus équilibré, ce que nous espérons. Ensuite, tout simplement, les opérateurs boursiers gardent en tête que leur développement à long terme repose sur les futures cotations en bourse de sociétés, sur lesquelles peuvent venir se greffer des dérivés.
Par ailleurs, il semble qu'il y ait une pause dans les grandes manoeuvres entre opérateurs boursiers. Au final, on a un contexte réglementaire et stratégique qui est effectivement propice. L'opération de ICE souhaitant donner sa liberté à Euronext continental est une opportunité à saisir. Pour la Place de Paris, c'est probablement la dernière. Quelle peut être sa stratégie ? Pour répondre à cette question, il faut distinguer clairement les marchés.
S'agissant des marchés d'actions, tout conduit à penser qu'on va s'orienter vers une logique paneuropéenne, et même pan-zone euro à terme. En effet, ces marchés sont une activité mature. En outre, l'un des biens les plus précieux qu'offre un opérateur boursier est la liquidité. Plus le pool de liquidité sur un marché est important, moins le capital levé est onéreux. Cette réalité poussera à créer à terme une véritable plateforme réglementée d'actions en zone euro.
Euronext est le seul opérateur ayant mené jusqu'au bout cette logique, en fusionnant totalement les marchés des quatre pays sur lesquels il opère. Il faut donner un nouveau souffle à ce modèle pour l'étendre, d'autant plus qu'un certain nombre d'obstacles qui entravaient son développement pourraient être bientôt surmontés.
En effet, Euronext a souvent été jusqu'ici confronté à un problème de concurrence, notamment en provenance de l'Allemagne, où la plateforme de transaction et le post-marché relèvent d'une même entreprise. Les deux chambres de compensation allemande et française sont en concurrence, ce qui était un obstacle fort à un possible rapprochement. Aujourd'hui, en Europe, tout pousse à conclure des accords d'interopérabilité entre les chambres de compensation, ce qui permettra de trouver des solutions satisfaisantes pour les différents acteurs. On pourrait être dans un système où l'on n'oblige personne à choisir sa chambre de compensation : elles resteraient en concurrence même si, au bout du compte, la plateforme de transaction serait unique. Ce verrou pourrait donc se débloquer.
J'ai parlé plus spécifiquement de l'Allemagne, qui représente un marché important, mais il y a bien entendu aussi d'autres marchés intéressants en zone euro avec lesquels faire une alliance pour construire une telle plateforme pan-zone euro. C'est particulièrement important parce qu'aujourd'hui la concurrence dans ce domaine viendra des plateformes alternatives qui sont situées à Londres. Celles-ci ne sont pas encore des marchés réglementés, ce qui signifie qu'elles n'offrent que des services de transaction. Toutefois, au moins l'une d'entre elles a adopté le statut de marché réglementé. À terme, l'enjeu est donc de savoir si la bourse de la zone euro se situera à Londres ou en zone euro.
S'agissant des marchés obligataires, je pense que la pression réglementaire et celle des investisseurs vont favoriser des solutions de « remarchéisation » du marché obligataire. Aujourd'hui, les obligations sont cotées, mais les transactions sont essentiellement interbancaires et ne passent pas par des marchés réglementés et organisés. La pression sur les banques en matière réglementaire va redonner de l'intérêt à une organisation plus transparente et centralisée des marchés obligataires. Actuellement, Euronext est en pointe en testant des solutions dans ce domaine. C'est donc un axe possible de développement pour Euronext et la Place de Paris.
Enfin, j'en viens aux marchés dérivés. On ne peut pas les considérer comme un marché unique ; ce sont en réalité de multiples marchés : des marchés de masse, comme des marchés de niche. Si la Place de Paris ne peut probablement pas se fixer pour objectif d'être aussi active que Londres dans ce domaine, il y a certainement des segments de marché sur lesquels elle peut se développer, dont certains sont d'ailleurs relativement captifs, tels que les marchés de dérivés agricoles.
Au total, ce panorama de la situation et des évolutions probables du paysage des marchés européens permet d'entrevoir la capacité de développer une stratégie pour la bourse et pour la Place de Paris, qui serait dynamique et favorable au financement de l'économie. Pour cela, évidemment, il y a des conditions à réunir, dont la première d'entre elle me paraît être celle d'une gouvernance adaptée, qui soit sensible aux besoins de l'ensemble des parties prenantes. Pour obtenir une gouvernance avec une représentation des places concernées, il n'y a pas beaucoup de solutions : les places doivent être représentées au capital de la future entreprise Euronext continental, qui sera sur le marché.
M. Philippe Marini, président. - Vous voulez dire que des actionnaires belges, néerlandais, portugais, français devraient structurer le capital d'Euronext continental ?
M. Thierry Francq. - Oui, ils devraient y participer pour pouvoir être représentés légitimement dans les instances de gouvernance et s'assurer que l'ancrage local de la bourse satisfait les besoins des différentes places.
M. Philippe Marini, président. - Quels types d'actionnaires : des investisseurs, des industries financières, des banques, des assurances ? En gros, pour Paris, tout ceux qui y figuraient et qui s'en sont retirés autrefois...
M. Thierry Francq. - Exactement.
M. Philippe Marini, président. - Dominique Cerutti va maintenant nous expliquer où en est le processus de séparation d'Euronext. En mai dernier une délégation du bureau de la commission des finances s'était rendue à New-York et avait été reçue par NYSE-Euronext, qui nous avait indiqué que l'opération était déjà décidée dans son principe : peut-être pourrez-vous nous expliquer pourquoi elle prend autant de temps ? Il serait également utile que vous nous éclairiez sur le sujet très sensible des dérivés de matières premières, domaine dans lequel les concepts français sont très en avance.
M. Dominique Cerutti, directeur général d'Euronext. - Je souhaite tout d'abord préciser que nous approuvons totalement le rapport de Thierry Francq.
Avant de répondre plus directement à vos questions, je souhaite aborder quatre points.
Premièrement, il faut avoir en tête que la Place de Paris se situe autour de la dix-septième position mondiale. Londres occupe - et de loin - la première place du classement, devant la Place de New-York, suivie de bourses asiatiques qui montent très vite, comme Hong Kong ; Francfort est en douzième position. C'est un classement certes subjectif, mais il faut l'avoir en tête.
M. Philippe Marini, président. - Nous sommes dans les profondeurs du classement...
M. Dominique Cerutti. - Je ne dirais pas cela, mais clairement la cinquième économie mondiale mérite mieux.
Il faut également préciser qu'une place financière, c'est plus qu'une bourse, c'est aussi des banques et un écosystème extrêmement riche, qui interagit en formant un cercle vertueux... ou descendant... Notre projet d'introduction en bourse peut être l'occasion de redonner une dynamique à la Place de Paris.
Deuxièmement, les enjeux de cette séparation d'Euronext sont considérables : il s'agit de retrouver une souveraineté dans le financement de notre économie, dans un moment particulier où les banques ont un accès difficile au crédit et où l'on assiste à un mouvement de désintermédiation de l'économie. Cela doit permettre également d'améliorer la gestion du risque : à la lumière de la crise de 2008, on ne peut imaginer que les structures qui gèrent le risque - comme les chambres de compensation - sur des instruments en euros ne soient pas localisés dans la zone en question. L'Europe et la France doivent se préoccuper de cet aspect de la question.
Troisièmement, il est utile de comprendre les raisons du déclin de la place Paris. Certes, nous avons dû affronter des crises et le fait que les marchés se soient éloignés de leur rôle premier, qui est de financer l'économie. Mais je pense que la raison principale réside dans les trente années de domination anglo-saxonne sur la pensée qui a structuré les marchés financiers, aux États-Unis comme en Europe. Ce n'est donc pas uniquement un problème de concurrence entre les banques et les bourses. La première directive sur les marchés d'instruments financiers (MIF I), par exemple, reflétait la vision anglo-saxonne de ce que devait être un marché financier européen et a eu pour effet, si l'on observe les résultats sept ans après, de renforcer la place du clan anglo-saxon et de la City.
La crise de 2008 a fait prendre conscience qu'une meilleure régulation était nécessaire, afin de « dé-risquer » la planète et de remettre les marchés au centre du jeu. Pour cela, il est nécessaire d'avoir des infrastructures qui correspondent à notre philosophie de marché et qui soient sous contrôle européen, et non américain ou britannique. Une meilleure régulation passe par la directive MIF II, publiée il y a quelques semaines, mais également par la reconstitution d'infrastructures de marché européennes.
Enfin, je voudrais revenir sur les raisons qui poussent ICE à vendre Euronext.
M. Philippe Marini, président. - Parce que pour eux c'est un « truc » marginal, pas très rentable...
M. Dominique Cerutti. - Je saisis la dimension provocatrice de votre question, mais je dois répondre que ce n'est pas le cas.
À l'origine, ICE voulait acquérir les activités de NYSE-Euronext sur le segment des dérivés, installées à Londres au sein de la filiale NYSE-Liffe. Mais ils ont compris que cette filiale ne serait pas vendue séparément et qu'il fallait donc acheter l'ensemble. Ils se retrouvent donc propriétaires d'un marché Euronext très rentable, mais qui ne correspond pas à leur métier, c'est-à-dire les dérivés. De plus, Euronext ne correspond pas à leur zone d'activité, c'est-à-dire les États-Unis et le Royaume-Uni. Enfin, ICE a dû s'endetter pour acquérir NYSE-Euronext et ils souhaitent désormais se désendetter.
En découvrant la valeur d'Euronext, ils ont compris qu'ils pouvaient la vendre via une IPO (Initial Public Offering - introduction en bourse), conformément à ce que souhaitaient les gouvernements européens, mais aussi les régulateurs et les trésors. Chaque pays tente de reprendre le contrôle des outils de financement de son économie et les bourses en font partie.
Cette séparation d'Euronext n'est pas un « retour à la case départ », mais bien une véritable opportunité. Même amputé de Liffe, Euronext est bien plus fort aujourd'hui qu'en 2007. En navigant plusieurs années dans un environnement très féroce, nous avons réussi à maintenir nos parts de marché mieux que n'importe quelle autre bourse en Europe. Nous levons chaque année 100 milliards d'euros pour les entreprises qui opèrent chez nous. Nous avons migré vers les hautes technologies, ce qui a représenté des investissements massifs. Et contrairement à ce que l'on peut dire, notre profil de business ne se limite pas aux actions mais comprend également une activité sur les dérivés, notamment ceux sur les matières premières. Notre profil est donc très résilient et Euronext a connu une véritable restructuration.
S'agissant du calendrier, ICE a annoncé en décembre 2012 son intention de racheter NYSE-Euronext, en indiquant dès le départ qu'il entendait se séparer d'Euronext. Il a fallu un an pour obtenir la non objection du collège de régulateurs au rachat de NYSE-Euronext. Cette durée peut sembler longue mais elle est normale, étant donné que cinq régulateurs devaient se prononcer et vérifier que la stabilité du marché n'était pas menacée. ICE a également dû donner des garanties sur un certain nombre de points et notamment sur le détachement d'Euronext. Cette première phase s'est achevée en novembre dernier.
Nous sommes désormais dans la deuxième phase, qui consiste à obtenir les accords pour la séparation de Liffe d'Euronext et séparer Euronext de ICE. Euronext ne devra plus avoir de liens avec ICE, c'est-à-dire maîtriser la totalité de ses ressources, de son informatique, de ses contrats, de ses classes d'actifs... Par exemple il faut s'assurer que les contrats de matières premières, de blé par exemple, relèvent bien d'Euronext et non d'ICE. Cette phase devrait s'achever début mars.
La préparation de l'IPO constitue la troisième phase, sur laquelle nous travaillons déjà, de façon non officielle. Nous tenons à suivre cette procédure, afin d'éviter qu'Euronext soit la proie d'une autre entité. Nous avons pour objectif d'aboutir à la fin du premier semestre 2014, le planning est donc très tendu.
Enfin, se pose la question de la stabilité d'Euronext, c'est-à-dire la stabilité de son actionnariat. ICE s'est engagé auprès des régulateurs à identifier les actionnaires de référence, qui doivent tous, sans exception, être approuvés par eux.
Pour conclure mon propos, je souhaite véritablement insister sur le fait qu'Euronext, même amputée de Liffe, est plus fort aujourd'hui qu'en 2007.
M. Philippe Marini, président. - Si l'entreprise s'est renforcée, on peut donc dire que la décision de 2007 n'était pas si mauvaise, par rapport à ce que l'on a pu dire à l'époque... Gérard Mestrallet va pouvoir nous dire s'il partage également cette appréciation.
M. Gérard Mestrallet, président de Paris Europlace, président-directeur général de GDF-Suez. - Oui, nous partageons ce jugement, Euronext est plus fort aujourd'hui qu'il ne l'était en 2007. Si l'opération dont nous parlons réussit, la fusion avec NYSE, en évitant l'absorption par le silo européen, aura été une formidable réussite tactique.
Je présente rapidement Paris Europlace : nous regroupons l'ensemble des acteurs de la place de Paris, que ce soit les banques, les compagnies d'assurance, les intermédiaires, les gestionnaires d'actif, les régulateurs, les collectivités territoriales... C'est un peu la City, en plus petit... mais avec d'avantages de monde autour de la table. Nous représentons également les émetteurs, c'est-à-dire les clients de la place.
D'ailleurs, Paris Europlace a souhaité mettre à sa tête le représentant d'un émetteur, qui porte la voix des entreprises. Et le message qu'elles souhaitent faire passer c'est que nous avons besoin d'une place forte, de proximité et compétitive, pour avoir accès aux financements dans des conditions au moins égales à celles de nos grands concurrents.
S'agissant de la comparaison avec les autres places, je note que le global financial index, certes piloté par la place de Londres, nous place au vingt-huitième rang ... Mais ce sont là des appréciations subjectives. Dow Jones a son propre index, qui repose sur des éléments statistiques et nous place au septième rang. La dynamique est cependant celle d'un recul, puisque nous étions cinquième en 2010.
La question d'Euronext est centrale, mais il ne faut pas confondre la Place de Paris et la bourse de Paris. Même si celle-ci comporte un aspect symbolique essentiel et que l'intérêt que nous y portons est justifié. La bourse de Paris représente 400 emplois directs, tandis que l'industrie financière c'est 300 000 personnes.
Le recul de la Place de Paris s'explique tout d'abord par la mauvaise allocation de l'épargne, pourtant abondante, qui s'oriente vers le logement et pas assez vers les entreprises. De plus, notre fiscalité fonctionne à l'envers, en privilégiant le court terme plutôt que l'épargne longue. Il y a eu quelques avancées, telles que le PEA-PME ou les fonds euro-croissance, mais elles demeurent des exceptions, là où une fiscalité « à l'endroit » aurait dû privilégier le risque et le long terme. En outre, l'instabilité de la règle fiscale et sa rétroactivité sont destructrices pour l'image de la place. Enfin, le secteur financier français lui-même est affecté par la surfiscalité qu'il subit.
Malgré ces faiblesses, il faut se féliciter de la robustesse de notre système de régulation financière, en France mais aussi en Europe, qui a permis d'éviter l'effondrement de la zone. Néanmoins, je crains que certains projets européens viennent remettre en cause l'équilibre vers lequel nous étions en train de tendre : je pense au projet de réforme bancaire et à la taxe sur les transactions financières.
La présence d'une industrie financière puissante est importante. Nos entreprises se financent majoritairement par le crédit bancaire, contrairement à celles américaines, mais le coût du crédit s'est renchéri tandis que les volumes se contractaient, du fait notamment des nouvelles règles prudentielles. Les entreprises ont donc d'avantage besoin de recourir au marché et Euronext est dans une position clé pour le marché des fonds propres.
La présence d'une place financière importante est donc un enjeu stratégique pour le tissu industriel français mais aussi un enjeu de souveraineté pour le pays. Nous avons beaucoup travaillée sur ce sujet - je pense aux rapports Cabanes sur l'intermédiation financière et au rapport Perrier sur les investisseurs - et plusieurs enjeux sont décisifs à nos yeux.
Tout d'abord, je le répète, les entreprises ont de plus en plus besoin du marché pour se financer et il faut pouvoir répondre à ce besoin. De plus, il faut que nous gardions la maitrise de nos centres de décision : actuellement 46 % de la capitalisation du CAC 40 et 63 % de la dette publique sont détenues par des étrangers. En outre, il faut développer les emplois financiers : je rappelle qu'ils représentent 1,2 million d'emplois, dont 300 000 dans la seule Île-de-France, soit 6 % de la population active.
S'agissant de l'intermédiation financière, il faut favoriser le développement des instruments de crédit, de financement de projet, les placements privés, la titrisation, les projects bonds et le marché d'obligations corporate, qui a pris ces dernières années beaucoup d'importance et qu'il faut rendre accessible aux PME et ETI. Il faut également développer la filière actions, qui traite des fonds propres, c'est-à-dire de la denrée la plus rare sur le marché du financement.
La mise sur le marché d'Euronext est un enjeu important pour retrouver une bourse continentale proche des utilisateurs et compétitive au plan européen et mondial. La décision prise par ICE de redonner sa liberté à Euronext est une opportunité que nous n'avons pas le droit de laisser passer. L'échec dépasserait ce que représente le capital d'Euronext pour les émetteurs : l'image de la place de Paris en serait durablement affectée et son rang dans les classements subjectifs reculerait encore...
M. Philippe Marini, président. - Est-ce que les grands émetteurs de la place doivent - ou peuvent - devenir des actionnaires de référence d'Euronext ?
M. Gérard Mestrallet. - Ce n'est pas exclu. Certains émetteurs étaient d'ailleurs actionnaires d'Euronext au moment où il était question de son absorption par le silo européen. Nous pensons que le business model d'Euronext est solide et qu'il peut donc intéresser des acteurs de marché. Néanmoins, il faut assurer la stabilité de son actionnariat, à travers des « actionnaires de référence », qui discuterons avec le management des décisions stratégiques et des alliances au sein de la zone euro par exemple.
Naturellement, c'est aux professionnels de la finance qu'il appartiendrait de jouer ce rôle, dans la durée, contrairement à ce qu'il s'est passé il y a dix ans. Ce n'est pas le métier des émetteurs, mais l'enjeu est important pour nous aussi, car nous souhaitons une place de proximité. Si la stabilité de cet instrument passe par un tour de table des professionnels tant mieux, si les émetteurs doivent apporter une contribution - qui resterait symbolique - pourquoi pas...
M. Philippe Marini, président. - Monsieur le Professeur, le droit financier continental est-il compétitif ? Cette question a-t-elle un sens ? On évoquait précédemment des directives européennes qui ont été en réalité façonnées, influencées par des intérêts anglo-saxons sur la base de concepts qui sont devenus « worldwide ». Pourriez-vous nous guider dans cette réflexion fondamentale ? Enfin, à titre d'illustration, pourriez-vous nous dire quelques mots sur la finance islamique ? Peut-elle générer des flux d'opération en droit continental ou ceci est-il déjà joué en faveur de Londres ?
M. Hervé Synvet, professeur agrégé de droit privé à l'université Panthéon-Assas (Paris II). - Je souhaiterais partager très simplement trois brèves réflexions. La première d'entre elles concerne la compétitivité juridique du droit français. Le point de départ, c'est évidemment la conscience de ce qu'aujourd'hui le droit financier est d'abord européen et non français ou international. Ceci signifie que la règle du jeu, dans ses principes, est commune à l'ensemble de l'Union européenne. De notre point de vue, la question qu'il faut se poser porte sur ce qu'il reste réellement aux États dans le domaine du droit financier.
Il y a naturellement la transposition, ce que l'on peut faire dans les interstices. En la matière cependant, les marges de manoeuvre des États n'iront pas en s'étendant puisque la tendance européenne est de faire des règlements d'application directe plutôt que des directives. Reste également aux États le contrôle, au sens de la surveillance de la bonne application de la règle de droit, ce qui correspond essentiellement à l'action des régulateurs. Cependant, là encore, la tendance - même timide - est de remonter le contrôle au niveau européen. Elle se matérialise dans le projet d'Union bancaire européenne mais aussi à travers la création des trois grandes autorités européennes : l'Autorité bancaire européenne (ABE), l'Autorité européenne des marchés financiers (AEMF) et l'Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles (AEAPP). Seuls restent nettement aux États les processus de sanction qu'ils soient de régulation ou judiciaires.
Enfin, il reste aux États le droit privé traditionnel qui trouve à s'appliquer également au domaine financier, que ce soit en matière de droit des contrats, de droit de la responsabilité civile, de droit des biens ou de droit des sûretés. Il faut avoir à l'esprit, lorsque l'on compare tradition juridique anglo-saxonne et tradition continentale, que les traditions juridiques nationales valent dans les domaines que je viens d'évoquer. En revanche, pour le droit financier fabriqué à Bruxelles, ce sont des choses modernes pour lesquelles les traditions ont peu de poids. Si les Anglo-Saxons ont pris la main, ce n'est pas pour des raisons juridiques, c'est en réalité parce que leur pensée en matière de finances s'est imposée.
On déduit de ces prémices le comportement que l'on doit adopter. Puisque le droit financier se fait à Bruxelles, il faut tenter d'être plus présent juridiquement, avoir de vrais juristes dans les équipes. Par ailleurs, quand on travaille en droit interne, il convient de regarder ce qui se fait dans les pays comparables pour créer une règle qui résiste à la concurrence extérieure.
Ma seconde observation porte sur le fait que les conditions sont aujourd'hui réunies pour que se déploie une véritable concurrence juridique. Les barrières protectionnistes s'estompent. C'est le cas en droit des sociétés d'abord, avec la localisation des émetteurs. Des instruments existent aujourd'hui, telle que la société européenne. J'ai lu dans la presse que LVMH était en cours d'adoption du statut de société européenne. Ce statut juridique lui permettra de s'implanter là où elle le souhaite. De même, la directive sur les fusions transfrontalières facilite les transferts de siège. Or, en droit boursier, un certain nombre de directives - la directive sur les prospectus, la directive sur la transparence et, pour moitié, la directive sur les offres publiques - ont adopté comme facteur de rattachement, c'est-à-dire comme critère de répartition des compétences à l'intérieur de l'Union européenne, l'État d'origine. La compétence de l'État d'origine est reconnue non seulement pour la loi mais aussi pour l'autorité compétente. Ainsi, si l'on installe ab initio ou transfère son siège aux Pays-Bas, on est soumis à la loi néerlandaise en droit des sociétés, en matière de prospectus, de transparence, de franchissement des seuils et, pour une bonne partie, des offres publiques à l'autorité des marchés néerlandaise.
Pour terminer ce bref tour d'horizon des conditions d'installation et de concurrence juridique, on peut mentionner la possibilité d'opérer des cotations hors bourse ou de choisir sa bourse de cotation, soit à l'origine, soit lors d'un transfert du lieu de cotation. Tous ces instruments existent et sont à la disposition des opérateurs même s'ils ne sont pas nécessairement utilisés fréquemment.
Ma troisième et dernière observation est relative au droit ou plus exactement au système juridique. Il n'est pas suffisant d'ouvrir son code financier, de lire ses articles, de les interpréter, voire de les comparer avec les dispositions équivalentes des lois étrangères. Un système juridique est un ensemble, c'est un écosystème. Il y a bien évidemment le droit écrit mais il y a également ce que l'on appelle la soft law. En France, il y a par exemple le Code AFEP-MEDEF sur la gouvernance des sociétés cotées. Au Royaume-Uni existe le « UK Code ». L'action des régulateurs, les décisions judiciaires, le travail des praticiens, des professions juridiques sont aussi très importants. À Londres existent cinq cabinets dominants avec environ 4 000 à 5 000 avocats chacun qui forment le « Magic Circle », à comparer avec le cabinet Gide Loyrette Nouel à Paris. La place des professions juridiques est fondamentale dans la mise en oeuvre de tout cet ensemble juridique. J'ajouterai enfin, avec modestie, le rôle de la doctrine.
C'est la combinaison de tous ces éléments qui crée le système juridique. C'est l'analyse de chacun d'entre eux qui permettrait d'envisager d'éventuels progrès.
Mme Delphine d'Amarzit, chef du service du financement de l'économie de la direction générale du Trésor. - En premier lieu, il est utile de rappeler que la notion de « place financière » est plus large que celle de « bourse ». Comme l'ont très bien dit certains intervenants, le marché boursier sous ses différentes catégories, réglementé ou non, destiné aux grandes entreprises ou aux plus petites est important, en particulier dans le contexte d'une certaine désintermédiation du financement des entreprises. On a vu avec la crise dans un premier temps, puis avec la mise en place de nouvelles normes prudentielles, que les grandes entreprises notamment se tournaient davantage vers les marchés financiers mais que, second élément, la possibilité de « remarchéisation » pouvait également pousser à l'utilisation du marché boursier car les financements désintermédiés peuvent certes intervenir totalement de gré à gré, mais peuvent aussi utiliser davantage un marché.
L'introduction en Bourse d'Euronext et le désengagement progressif de ICE est une opportunité en soi qu'il faut saisir. J'y reviendrai. C'est également l'occasion pour la Place de Paris de mener une réflexion en commun certainement avec les pouvoirs publics pour avancer sur une stratégie plus globale.
Pour revenir sur l'environnement réglementaire, la directive MIF I a été à l'origine d'une évolution des marchés financiers qui, analysée a posteriori, n'a pas été dans un sens favorable à la Place de Paris. Nous en étions conscients à l'époque de la négociation lors de laquelle nous, pouvoirs publics, avions jeté toutes nos forces. Mais le contexte ne nous était pas favorable, en raison notamment des positions de la Commission européenne qui étaient différentes des nôtres. Avec cette directive, on a basculé d'un système de concentration des ordres - univers qui avait probablement vécu - vers un environnement dans lequel l'existence de grandes banques d'investissement plus puissantes à Londres qu'à Paris est devenu le moyen de tirer le meilleur parti de cette nouvelle concurrence entre différentes plateformes, plateformes réglementées d'une part qui perdaient leur monopole, et plateformes d'internalisation systématique, d'autre part, qui ont beaucoup proliféré...
M. Philippe Marini, président. - La France était minoritaire dans la négociation, n'y avait-il vraiment rien à faire ?
Mme Delphine d'Amarzit. - Lors de la préparation de la directive MIF I, nous ne voulions pas nous positionner dans le camp de la minorité car cette position est fragile dans le cadre d'une négociation : si l'on se positionne dans la minorité, on se met hors jeu et l'on est sûr de ne plus rien obtenir. Nous avons obtenu un certain nombre de sauvegardes qui étaient les meilleures possibles. Les excès de cette réglementation sont rapidement apparus manifestes. À l'issue de la crise, une directive MIF II a opportunément remis sur le métier la question des marchés d'instruments financiers. On a pu observer des progrès importants en matière de transparence des ordres et la négociation a permis la préservation des règles de négociation sur les marchés actions.
Ma seconde remarque sur le contexte réglementaire touche à la banque d'investissement et à sa réglementation. C'est un point très important qui a été évoqué lors des débats sur la séparation structurelle des banques au moment de l'adoption de la loi bancaire. Le Parlement a préservé la capacité de « market making » sur la Place de Paris et ce, dans des conditions qui préservent un bon équilibre entre les impératifs de sécurité dans la manière dont se déroulent ces opérations et l'impact que cela peut avoir sur la résolvabilité des banques en cas de problème et, en même temps, la possibilité qu'il puisse y avoir un marché de « market making » de proximité en France. Il existe un lien par conséquent entre les activités des banques, en particulier les banques d'investissement, et la capacité d'attraction de la Place de Paris.
Monsieur Mestrallet a évoqué le projet de taxe sur les transactions financières (TTF) qui est aujourd'hui discuté au conseil des ministres franco-allemand. L'objectif est de chercher un équilibre entre une taxe ambitieuse et la nécessité d'un rendement, qui doit être la marque de l'ambition du dispositif. Il s'agit d'éviter un calibrage inefficace, avec des fuites dans le système, qui nuirait au rendement de cette nouvelle taxe.
Le Professeur Synvet a évoqué le droit des sociétés. La cotation et la résidence des sociétés sont en effet totalement déconnectées, si bien que certaines sociétés du CAC 40 n'ont plus leur siège social en France. Or, de notre point de vue, c'est bien le siège social qui détermine la compétence du régulateur. C'est un point extrêmement important. À cet égard, le Gouvernement et le législateur ont régulièrement l'occasion d'aborder ces questions lors de l'examen de projets de textes dont certains prennent la forme d'initiatives parlementaires. Je pense à la proposition de loi visant à reconquérir l'économie réelle par exemple ou aux questions de responsabilité entre les sociétés mères et leurs filiales...
M. Philippe Marini, président. - Ces initiatives parlementaires sont toutes relatives dans ces domaines, au moins formellement. Nous le savons bien...
Mme Delphine d'Amarzit. - Au sujet d'Euronext, le ministre de l'économie et des finances a donné son accord sur le changement de contrôle de NYSE-Euronext en novembre dernier mais l'a soumis au respect de plusieurs conditions notamment en matière de gouvernance de la future structure. Les régulateurs devront par ailleurs se prononcer lors de l'introduction en bourse de la nouvelle entité. Nous sommes favorables à ce qu'il y ait un noyau d'actionnaires stables qui fédère des représentants des différentes places européennes, ce qui garantit, d'une part, la stabilité d'Euronext dans la période de transition qui s'annonce, et ce qui permet, d'autre part, d'envisager si nécessaire, le moment venu, des évolutions ultérieures qui s'inscriraient en zone euro.
Dans une perspective plus globale, le ministre a annoncé qu'il souhaitait la réunion d'une commission surnommée « Place de Paris 2020 » afin d'aborder quatre thématiques principales. La première concerne l'évaluation de la compétitivité de la Place de Paris. Elle serait l'occasion de développer notre propre réflexion sur cette question à côté des classements internationaux évoqués plus tôt. La deuxième thématique traiterait de la question du renforcement des solutions d'appel aux marchés pour le financement à long terme de l'économie, et plus précisément de la question des placements privés, de l'accès durable aux capitaux propres pour les PME et les ETI. Elle permettrait un premier retour sur la question d'Enternext, lancé par Euronext pour accompagner PME et ETI dans leur accès à la cotation et un questionnement sur les modalités d'un cadre plus transparent et plus régulé des opérations de titrisation. Le troisième axe de cette commission concernerait la garantie d'un accès durable, efficient et sécurisé aux infrastructures de marché et post marché. Enfin, le quatrième axe aurait pour ambition de valoriser la Place de Paris auprès des investisseurs internationaux et de renforcer l'attractivité des produits et des services financiers à l'étranger.
M. François Marc, rapporteur général. - Beaucoup de questions ont trouvé leurs réponses car les exposés introductifs ont été longs et instructifs. Je me tiendrai à quelques questions simples.
Tout d'abord, j'aimerais que soit levée l'ambiguïté sur ce qu'il se passe réellement à l'heure actuelle. Il a été dit à plusieurs reprises que la Place de Paris était mal placée dans les classements mondiaux. Pourtant, Dominique Cerutti nous a indiqué que les choses s'amélioraient. Qu'en est-il vraiment ? J'ai également une question pour Gérard Mestrallet. Depuis quand considérez-vous que la fiscalité en France est « à l'envers » ? Que proposez-vous pour la mettre « à l'endroit » ?
J'ai apprécié l'expression employée par Dominique Cerutti de « dé-risquer », mot certainement inspiré du langage anglo-saxon, et qui est apparu au moment de la directive MIF II. Sur le terrain du financement de l'économie et des entreprises, y aura-t-il des avancées notables susceptibles d'être exploitées grâce à cette nouvelle législation financière européenne ?
Le financement des PME et des ETI est un sujet de préoccupation majeur, largement développé dans le rapport de Thierry Francq. Le marché actuel est-il adapté pour ces entreprises ? Les analyses financières que feront les investisseurs vont-elles les conduire à s'intéresser à ces petites structures ? Le marché sera-t-il assez liquide ? L'orientation réglementaire est-elle plus favorable à ces petites entreprises ?
J'aimerais également poser une question sur la place financière de Londres. Selon moi, il n'existe pas une grande équité dans les conditions de marché entre les places financières d'Europe continentale et celle de Londres. Le rapprochement avec Francfort, dans ce contexte ne doit-il pas être favorisé pour permettre l'émergence d'une place financière en Europe continentale ? Le renforcement de la zone euro n'induit-il pas la consolidation de l'outil de financement européen à travers ce rapprochement entre places financières ?
Enfin, des articles de presse ont récemment évoqué la création d'une bourse pour les jeunes valeurs technologiques, d'une sorte de NASDAQ européen. Ce projet a-t-il un réel fondement ? Alternext n'est-elle pas une plateforme ad hoc pour ce type d'entreprises ?
M. Éric Bocquet. - Ma première question porte sur l'état de crise financière que l'on connaît depuis quelques années. Après le G 20 qui s'est réuni en 2009, il avait été décidé de tirer les leçons en matière de finance internationale, notamment au regard de l'opacité de certaines transactions des produits dérivés. Diriez-vous qu'en 2014, ces leçons ont véritablement été tirées ? Si oui, dans quelle mesure ? Quelles sont les dispositions prises pour sécuriser les transactions financières ?
Ma seconde question intervient en réaction à ce qu'un intervenant a dit au sujet de la mainmise anglo-saxonne sur les marchés financiers. En effet, on constate, y compris ce matin à travers l'omniprésence des termes anglo-saxons dans le vocabulaire utilisé, que cette emprise est réelle.
La commission d'enquête sur le rôle des banques et des acteurs financiers dans l'évasion des capitaux a auditionné en septembre 2013 Jérôme Haas, actuel président de l'Autorité des normes comptables. Il nous a expliqué qu'y compris en matière de normes comptables, il y avait eu une évolution culturelle considérable. Il citait notamment la décision de l'Union européenne en 2002 d'adopter les normes comptables produites par un organisme privé, situé à Londres, l'International Accounting Standards Board (IASB). Au-delà des mots, c'est toute une logique qui s'est mise en place. Il expliquait, je le cite, que nous « utilisions des normes qui consistaient à mesurer la différence entre ce que l'on dépensait et ce que l'on gagnait chaque année, le ?résultat? ». Un peu plus loin, il ajoutait : « Pour nous, le résultat, c'est la différence entre deux flux, ce que l'on dépense et ce que l'on gagne. C'est simple et sûr. Selon la comptabilité internationale, le résultat réside dans la différence entre deux bilans, dans lesquels peuvent se trouver des choses non réalisées. On n'est plus dans un monde où les chiffres sont sûrs, mais dans un monde où ils doivent tout dire. Or, en disant tout, ils disent également des choses fausses. Ce qui n'est pas vrai, c'est ce qui porte sur l'avenir, la seule chose que l'on sache de l'avenir étant qu'on n'en sait rien ! Si on comptabilise l'avenir, on comptabilise des hypothèses. Plus il y a d'hypothèses, moins ce que l'on dit est crédible, et tous ceux qui doivent prendre des décisions sur cette base risquent de se tromper ! ». Cette intervention nous a édifiés. Partagez-vous cette analyse ? N'y a-t-il pas dans ces propos une partie de l'explication de la crise que l'on vit ?
M. Edmond Hervé. - Il ne faut pas que nous restions à la surface des choses. Nous devons faire attention aux classements mais chacun sait que les critères utilisés sont toujours instrumentalisés.
Partant de là, je vous ferai part de deux réflexions. Tout d'abord, en réaction aux propos de Gérard Mestrallet, tant que la part du budget des ménages consacrée au logement restera au niveau où elle se situe, nous aurons des difficultés économiques. En quinze ans, cette part a doublé. Dans les débats que nous avons eu sur la politique de la ville, nous avons vu que les difficultés ne résident pas dans la disponibilité foncière. Il s'agit là d'une grande différence par rapport à l'Allemagne.
Deuxièmement, je ne veux pas être infidèle à la « mère universitaire », mais observons que l'université française a dédaigné pendant très longtemps le droit européen. Les avocats ne s'y sont pas intéressés, tandis que les notaires, oui ! Je le regrette beaucoup et vous félicite de vous y être impliqué. Je reste convaincu que notre planche de salut réside dans le droit fiscal et le droit social européens. Mes chers collègues, nous devons aujourd'hui balayer devant notre porte : les hommes politiques français sont aujourd'hui dépossédés de la question européenne. Il s'agit, là aussi, d'une grande différence par rapport à l'Allemagne. J'ai noté que certains collègues français et allemands souhaitaient la création, au niveau européen, d'une seconde chambre constituée de représentants des parlements nationaux. Je m'interroge - très positivement - sur le bien fondé de cette proposition.
M. Philippe Marini, président. - Le rôle des parlementaires nationaux au sein de la zone euro est effectivement une question fondamentale.
M. Philippe Dominati. - Pour ma part, j'aimerais être rassuré. Nous avons bien compris que le changement d'actionnaire constitue une occasion pour rééquilibrer la place financière de Paris. Pour autant, on ne perçoit pas de maître d'oeuvre. Il y a une prise de conscience des pouvoirs publics et une volonté de l'équipe managériale d'Euronext mais on ne voit pas l'architecture de ce projet. Peut-être est-il encore trop tôt pour qu'elle émerge mais je souhaiterais savoir si cette stratégie sera d'ordre public ou d'ordre privé ? Ces derniers temps, nous percevons dans l'économie française une tendance à la renationalisation ou du moins des interférences entre les pouvoirs publics et l'initiative privée. En ce qui concerne Euronext, j'aimerais être certain que, le moment venu, les financiers et les industriels français, avec l'appui des pouvoirs publics, seront présents.
M. Philippe Marini, président. - Y aura-t-il nationalisation d'Euronext ? Non, bien entendu ...
M. Jean Germain. - Tout d'abord, je partage entièrement le point de vue d'Edmond Hervé sur la représentation politique française dans les institutions européennes et la méfiance trop longue des universités françaises par rapport au droit européen.
En 1966, dans une conférence de presse célèbre, le général de Gaulle, interrogé sur la Bourse de Paris, avait répondu : « La politique de la France ne se fait pas à la corbeille ».
M. Philippe Marini, président. - A l'époque, il y avait encore une corbeille !
M. Jean Germain. - On peut plaisanter de cela ; mais depuis la crise des subprimes, il y a une plus grande méfiance des individus vis-à-vis du système financier, ce qui a même pu conduire certains hommes ou femmes politiques à des outrances verbales.
On sait que Louis XIV avait fondu sa vaisselle en or pour poursuivre la guerre. On connaît aussi tous les instruments proposés par Turgot, Necker, le baron Louis... L'utilisation de mots anglo-saxons ne peut pas faire oublier l'histoire, ni de France, ni du monde ; elle ne fait que montrer que l'on appartient à un cercle d'initiés.
Qu'est-ce que la Place de Paris pourrait dire pour rassurer les Français et les amener à être plus présents dans les opérations boursières ?
Par ailleurs, comment le statut de société européenne, qui s'applique à compter de 2014, va-t-il changer les choses ?
Mme Delphine d'Amarzit. - L'entreprise Euronext n'a pas perdu de terrain depuis 2007 ; elle s'est plutôt affirmée. En revanche, il y a eu un sentiment d'éloignement du centre de décision de la part de la Place de Paris et de ses acteurs, en particulier des PME et des ETI. En terme de place, sans parler de déclin, il y a une certaine décrue qui doit nous faire réfléchir collectivement.
Sur la fiscalité, je crois que la problématique des incitations conférées à l'épargne n'a rien de récent. Les interrogations sont fréquentes.
M. Philippe Marini, président. - Il suffit de se référer au rapport d'information d'Alain Lambert de 1997 sur la fiscalité de l'épargne. Tout ce qu'il eut fallu faire était écrit. Personne ne l'a fait car la droite prend avec précaution des choses que personne ne comprend et qui sont réputés impopulaires et la gauche... Je ne vais pas m'étendre sur le sujet.
Mme Delphine d'Amarzit. - Moi non plus.
S'agissant du rapprochement avec Francfort, il est encore trop tôt pour savoir dans quel sens évoluera la base continentale. L'enjeu du silo est toujours présent. Mais il est important aujourd'hui d'avoir un acteur capable de faire ses propres choix, sans se les voir imposer. C'est pourquoi nous nous intéressons à cette question de noyau de référence.
Concernant la question de l'architecte, nous parlons bien d'une initiative privée, qui est sous le regard des pouvoirs publics. Comme je l'ai indiqué, le ministre et les régulateurs ont besoin d'être rassurés sur certaines évolutions mais nous ne sommes pas dans une initiative qui, d'un point de vue actionnarial, serait pilotée par les pouvoirs publics.
A propos des normes comptables, le choix a été fait au niveau européen d'utiliser des normes IFRS. Les pouvoirs publics français sont très attentifs à ce que ces normes ne soient pas en désaccord fondamental avec la manière dont nous organisons notre modèle économique. Toutefois, je pense que la comptabilité historique avait elle-même des défauts ; dans un environnement d'intégration accrue des marchés financiers, des évolutions étaient nécessaires. De ce point de vue, les pouvoirs publics plaident pour que les institutions européennes gardent un pouvoir d'intervention important sur les normes internationales. Des réflexions sont en cours autour du rapport de Philippe Maystadt, commandé par le commissaire européen Michel Barnier. La gouvernance des normes pourrait évoluer afin que les normalisateurs publics européens aient davantage leur mot à dire dans la phase de préparation des normes.
M. Dominique Cerruti. - Pour répondre à votre préoccupation de rassurer les particuliers et les PME, je citerai un exemple. Lorsque Lehman Brothers a fait faillite en 2008, les entités régulées - et plus précisément les chambres de compensation - ont clarifié ou « dé-risqué » leurs positions en trois semaines. Leurs fonds de garantie ont fonctionné parfaitement ; aucune d'entre elle n'a défailli. Les banques qui travaillaient dans l'opacité sont encore en train de trier le bon grain de l'ivraie ; comme elles n'y sont pas parvenues, elle ont créé des véhicules pour porter des actifs toxiques. Il faut donc distinguer la finance régulée et transparente - qui a montré qu'elle fonctionnait comme moteur de l'économie - et la finance opaque, extrêmement risquée.
Parmi les quatre grandes classes d'actifs sur les marchés financiers, les dérivés représentent la plus grosse part et la plus risquée. Ce sont par nature des contrats qui transfèrent du risque. Ce marché des dérivés représente environ 600 000 milliards de dollars de contrats ouverts, dont 90 % sont opaques - c'est-à-dire qu'ils ne sont pas « dé-risqués » par des chambres de compensation régulées.
Les travaux du G 20 ont permis de faire une grande avancée sur le management du risque des dérivés de gré à gré. Ce n'est pas encore fait, mais, à l'avenir, il conviendra de faire passer ces dérivés dans des chambres de compensation.
Concernant l'architecture générale d'Euronext continental, il existe un grand plan, que l'on ne peut entièrement dévoiler. La première étape consiste à détacher Euronext avec un paquetage complet et le mettre sur le marché via une IPO afin de le stabiliser. Ceci sera fait d'ici l'été prochain.
La deuxième étape, en cours de discussion, est un plan de développement organique de nouveaux services vis-à-vis des acteurs de l'économie, en particulier des PME. Nous souhaitons positionner Euronext, en zone euro, comme un centre de levées de capitaux au service des entreprises.
La troisième phase concernera la consolidation européenne. Mais nous n'allons pas claironner des mois ou des années à l'avance avec qui nous pourrions ou pas nous marier car c'est la meilleure manière que cela ne se réalise pas. Nous pensons que la consolidation doit se faire en zone euro pour amener des infrastructures de marché - dont Euronext ainsi que d'autres acteurs comme des chambres de compensation - à jouer ensemble. Il s'agirait d'une politique industrielle du monde de la finance en zone euro. S'il y a une chose que les britanniques ont réussi, c'est de créer cette politique industrielle de la finance à l'époque de Margaret Thatcher.
Il existe aujourd'hui une double opportunité, qui dépasse Euronext. La crise de 2008 et ses leçons ont sonné le glas d'un certain type de finance. La zone euro, qui avait abdiqué dans la définition de ses architectures de marché face aux anglo-saxons, a réalisé que c'était un domaine de souveraineté important pour financer notre économie. Ce courant de pensée, qui a émergé en 2008, devient de plus en plus concret par le biais de la régulation. Ensuite, les évolutions à venir d'Euronext créent un élan. Le ministre a ainsi commandé un rapport « Place de Paris 2020 » afin de profiter de ce changement pour construire cette politique industrielle des marchés financiers de la zone euro, où la France jouera un rôle moteur.
Le dernier point - et vous le comprendrez - est que nous ne pouvons pas dévoiler ces opérations de consolidation lointaines et spéculatives publiquement.
M. Philippe Marini, président. - Merci pour ce cadrage pédagogique et stratégique. Ce n'est pas le Trésor qui nous tient le langage de la stratégie, c'est vous, et nous sommes heureux de l'entendre.
M. Thierry Francq. - Je ne suis pas le Trésor, mais dans le rapport que j'ai réalisé pour le ministre sur l'avenir d'Euronext, je trace à grands traits ce qui pourrait être une stratégie intéressante pour la France. Mais Euronext étant une entreprise privée, il n'est pas possible que l'Etat décide de sa stratégie.
Est-ce que les projets qui nous ont été décrits peuvent faciliter le financement des PME ? Oui, pour plusieurs raisons. Premièrement, Euronext continental sera déchargé de certaines activités - telles que les relations intra-groupe - et aura donc plus d'énergie à consacrer à son développement organique : les dérivés, le marché obligataire et l'alimentation de la cote. Ce dernier point se fera surtout grâce aux PME. Je ne crois pas que nous alimenterons la cote de Paris en faisant venir les grands groupes chinois ou coréens.
Deuxièmement, l'une des difficultés du financement des PME en bourse est de rentabiliser toutes les activités qui existent autour - l'analyse financière, le trading, etc. - car il s'agit de petites capitalisations. Il n'y a qu'une solution face à ce problème : élargir le marché des PME cotées. Je veux souligner que pour constituer une bourse, il n'est pas obligatoire de fusionner des opérateurs. Nous pouvons aussi fusionner des plateformes. C'était le sens des préconisations du rapport Demarigny sur le financement des PME : s'il y a besoin d'un ancrage local pour les services aux PME, la France constitue aujourd'hui un marché financier trop petit. L'élargissement naturel est la zone euro.
A propos du rôle des pouvoirs publics, il ne faut pas oublier qu'Euronext est aujourd'hui la bourse de Paris, Bruxelles, Amsterdam et Lisbonne. Si l'on souhaite ouvrir le jeu, ce ne sera pas en affirmant une présence française trop forte - surtout si elle est publique. En revanche, les contacts entre acteurs privés français, belges et néerlandais doivent être encouragés.
S'agissant de la question du déclin de la Place de Paris, la plus grande difficulté à surmonter aujourd'hui est le contexte de crise, qui a entraîné un certain repli sur soi. Cette opération sur Euronext est l'occasion de développer une stratégie française, en bonne intelligence avec nos partenaires européens et en alliant les régulateurs, les Etats et les acteurs privés. Comme l'a dit Gérard Mestrallet, nous sommes septième dans certains classements. Paris a des atouts - la cote de Paris est la plus belle de la zone euro - mais elle souffre de l'absence de logique de place depuis une dizaine d'années.
Enfin, comment redonner confiance aux investisseurs particuliers ? La plupart des Français comprennent la finance au travers de ce que leur dit leur banquier. Or les grands réseaux bancaires ne savent plus parler des marchés d'actions. Il y a peut-être un problème de modèle économique. Les pouvoirs publics ont envoyé un signal en faveur de l'actionnariat avec la création du plan d'épargne en actions permettant d'investir dans les PME (PEA-PME). C'est l'occasion d'encourager les banques à reconstituer des filières titres.
M. Philippe Marini , président. - Il a été question d'alimenter la cote, d'alimenter l'actionnariat. Il me semble que nous avons pourtant perdu près de 2 millions d'actionnaires individuels en France depuis 2008. Les nouveaux produits collectifs standardisés dont vous avez parlé suffisent-ils face à cette tendance ? Ou faut-il retrouver un actionnariat individuel, caractérisé par une relation personnelle avec les entreprises ?
M. Gérard Mestrallet. - C'est en effet un souci pour nous. L'actionnariat individuel direct est une force pour les entreprises et, pendant la crise, il a d'ailleurs bien résisté. Je crois qu'il faut alimenter la cote de Paris à la fois avec de nouveaux actionnaires mais aussi avec des titres nouveaux. Aujourd'hui a lieu la première introduction en bourse à Paris en 2014 ; il s'agit d'une de nos filiales, GTT, spécialisé dans le gaz liquéfié. Nous avions préalablement mis en concurrence théorique plusieurs places boursières - même si je me serais opposé à ce qu'elle soit cotée ailleurs qu'à Paris -, mais le choix s'est de toute façon porté vers Euronext, qui présentait les meilleures conditions. Euronext est, dans les conditions actuelles, très compétitive. Ce qui va bien, c'est Euronext et ce qui va moins bien, c'est la Place.
S'agissant de la fiscalité, je crois qu'elle est « à l'envers » depuis longtemps. Il est dans la culture française de privilégier fiscalement le Livret A et l'assurance-vie - qui finance essentiellement l'Etat -, qui sont des produits sacrés, liquides, de court terme et sans risque, et d'avoir des réticences à mettre en place des fonds de pension par exemple. Le résultat en est qu'il y a un manque de source française de fonds propres venant alimenter le marché des actions, ce qui est dommageable aux entreprises car cela induit une différence de valorisation par rapport aux marchés disposant d'importants flux entrants de capitaux, désireux de s'investir dans le marché à risque des actions, ce qui donne plus de flexibilité aux entreprises pour s'engager dans des stratégies d'alliances ou d'achat.
Concernant la stratégie à moyen terme d'Euronext, nous sommes profondément européens et nous serions favorables, dans son principe, à une grande bourse de la zone euro. Mais cela dépend des conditions. Lors de la première tentative de rapprochement, en pratique, Deutsche Börse voulait racheter Euronext pour tout rapatrier à Francfort et, disait son directeur, « éteindre la lumière » à Paris : ce n'est évidemment pas notre modèle de bourse de proximité, qui comprenne nos spécificités. Nous sommes d'accord pour une alliance, mais pas pour une absorption : nous avions alors participé financièrement pour éviter cela.
Pour répondre à Éric Bocquet, je crois que beaucoup de leçons ont été tirées de la crise et du G 20. Nous avons désormais des règles sophistiquées en matière de régulation, parfois presque trop, dont certaines, très dures, sont d'ailleurs appliquées avec plus de zèle en Europe qu'aux Etats-Unis, qui atténuent ou retardent la mise en oeuvre de certains dispositifs contraignants - je pense notamment à Bâle III. En conséquence, on assiste au développement de très grandes banques américaines universelles, alors que la réforme bancaire du commissaire Michel Barnier vise à séparer de façon trop importante, à nos yeux, entre les activités de crédit et les activités de banque d'affaires.
M. Philippe Marini, président. - La réforme française était à cet égard raisonnable.
M. Gérard Mestrallet. - Tout à fait. Mais Michel Barnier veut aller au-delà : les activités d'affaires ne pourraient plus être appuyées sur des fonds propres, ce qui affecterait leur notation et, partant, leur capacité d'action.
Pour répondre à Edmond Hervé, il est vrai que les ménages consacrent aujourd'hui environ les deux tiers de leur épargne au logement et que l'épargne financière a baissé de 54 % entre 2006 et 2012. De plus, au sein de l'épargne financière, la part consacrée à l'épargne longue risquée a diminué : le mal français, identifié depuis longtemps, s'est donc aggravé. Paris Europlace ne cesse de prêcher dans le désert à cet égard.
Gaz de France a pour sa part environ un million d'actionnaires individuels, qui représentent environ 14 % de son capital. Pour l'attirer, il faut une fiscalité plus attractive, mais il faut aussi redonner confiance. Ce n'est pas facile ; une des voies, je le crois, est l'actionnariat salarié, afin d'avoir une épargne longue, qui pourrait être couplé avec une épargne-retraite.
M. François Marc, rapporteur général. - Pouvez-vous nous éclairer sur les rumeurs de création d'un NASDAQ européen pour les jeunes valeurs technologiques ?
M. Dominique Cerutti. - Je vérifierai dans le détail. Il est vrai que nous réfléchissons à définir un segment technologique des différentes bourses européennes pour donner de la visibilité à ces entreprises, en leur offrant une meilleure analyse financière, afin de les attirer vers une cotation en Europe. C'est un sujet qui nous mobilise beaucoup, mais il n'y a pas pour l'instant de projet concret. Une société technologique qui cherche de la visibilité, de la liquidité et de la comparabilité avec ses entreprises concurrentes va aujourd'hui se faire coter sur les bourses de référence que sont le NASDAQ et le NYSE. Ce n'est qu'un aspect du problème : d'autres raisons poussent les entreprises à préférer cette localisation.
M. Philippe Marini, président. - Vous proposez donc davantage du marketing qu'un outil nouveau ?
M. Dominique Cerutti. - Il faut que nous arrivions à donner la liquidité, la visibilité, l'analyse financière, pour que les investisseurs soient attirés et conseillés vers ces valeurs.
M. Hervé Synvet. - S'agissant de l'actionnariat des sociétés cotées, il faut rappeler que sa composition, entre actionnariat individuel ou fonds, n'est pas neutre lors des votes en assemblée générale. Les actionnaires individuels ont un comportement différent des gérants de grands fonds ; de plus, ces derniers peuvent peser lourd dans le total des droits de vote en assemblée générale, car ils sont capables de se parler, à l'inverse des petits porteurs.
S'agissant des normes comptables, le droit comptable européen, aujourd'hui déterminant, a été en effet quasiment délégué à une institution privée, l'IASB, et il sera difficile de revenir en arrière. Le même phénomène va peut-être se produire pour les commissaires aux comptes ou contrôleurs légaux des comptes et les normes d'audit. Les normes d'audit sont aujourd'hui définies dans un cadre purement franco-français, mais la réforme européenne va introduire les normes internationales d'audit, définies par l'IAASB : il y a là peut-être quelques précautions à prendre.
S'agissant de l'université et du droit européen, je n'ai jamais donné de cours de droit européen, mais je présente tous les aspects, y compris européens ou américains, quand je donne un cours de droit financier. Les lenteurs de l'université sont par ailleurs partagées par tout le système français, en particulier les juges. Si vous regardez l'ensemble des décisions de l'AMF et des différentes juridictions (Cours d'appel, Cour de cassation) sur l'affaire Sacyr-Eiffage, les directives européennes Transparence et Offre publique, pourtant majeures sur cette question, ne sont à aucun moment mentionnées !
M. Philippe Marini, président. - Je lirai avec intérêt vos notes sur cet épisode marquant, qui a montré notamment toute la force de l'actionnariat salarié.
M. Hervé Synvet. - Le législateur également mène parfois des batailles de retardement : la directive Prospectus met en avant la notion d'offre publique ; en France, nous avons gardé la notion d'appel public à l'épargne jusqu'en 2009... Pourquoi ne pas adopter immédiatement les concepts européens puisqu'on est inévitablement amenés à les utiliser ?
Enfin, je crois qu'au-delà de l'intérêt que l'on porte déjà aux juges et aux textes européens, nous devrions également nous pencher sur la doctrine étrangère, anglaise ou allemande, sur les décisions des Cours suprêmes étrangères notamment sur un problème de droit communautaire, pour faire émerger un socle de droit communautaire comparé. Il faut regarder ce que font nos voisins en toute humilité.
M. Philippe Marini, président. - Merci de nous rappeler à l'humilité, car nous avons chacun à faire oeuvre pour améliorer cette situation.
La réunion est levée à 11 h 57.
Bilan de la première année d'activité de Bpifrance - Audition de M. Nicolas Dufourcq, directeur général de la Banque publique d'investissement (BPI)
La réunion débute à 14 h 46.
Au cours d'une seconde réunion, la commission procède à l'audition de M. Nicolas DUFOURCQ, directeur général de la Banque publique d'investissement (BPI), sur le bilan de la première année d'activité de Bpifrance.
M. Philippe Marini, président. - Nous avons le plaisir de recevoir Nicolas Dufourcq, directeur général de la Banque publique d'investissement ou « Bpifrance ». Alors que nous vous avions entendu pour la dernière fois le 15 mai 2013 pour la présentation de la doctrine d'investissement de Bpifrance, nous avons en effet souhaité faire le point sur cette première année de mise en place ainsi que sur les perspectives pour l'avenir.
A titre d'introduction, je voudrais rappeler que, lors de la création de la BPI, le débat parlementaire avait notamment porté sur la gouvernance de cette nouvelle structure, née du rapprochement entre Oséo, CDC Entreprises et le Fonds stratégique d'investissement (FSI). Pouvez-vous nous convaincre que l'addition des composantes est plus que la somme de l'action antérieure de ces sous-ensembles ? Par ailleurs, au bout d'un an, comment coexistent les différentes instances que sont le conseil d'administration, la direction générale, le comité national d'orientation, dans lequel siègent Michèle André et Albéric de Montgolfier, les comités régionaux ? Quel est le bilan de cette polysynodie ?
La loi prévoit que la BPI est à la fois une banque et qu'elle agit « en appui des politiques publiques conduites par l'Etat et conduites par les régions ». Ainsi, comme l'était Oséo, la BPI est un opérateur du programme d'investissement d'avenir. Au quotidien, comment être à la fois une banque de la concurrence, se comportant en investisseur avisé, tout en demeurant fidèle à cette mission d'intérêt général ?
Par ailleurs, en 2013, il a également été demandé à la BPI d'assurer la mise en oeuvre du préfinancement du crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE) pour les PME. Comment cette mission a été mise en oeuvre ? Quel relai pourrait être pris par un dispositif plus vaste dans le cadre du pacte dit de responsabilité ? Sur ce sujet, compte tenu du contexte économique, nous aimerions comprendre le traitement des entreprises déficitaires, qui ne peuvent pas imputer leur crédit d'impôt et qui doivent normalement attendre trois ans avant de récupérer leur créance : est-il possible à ces entreprises d'obtenir le préfinancement du CICE, et dans quelles conditions ?
Il s'agit là d'un échantillon des questions qui vous seront posées. Je me permets de vous indiquer que nous avons ce matin organisé une audition très intéressante sur le devenir de la place de Paris, notamment l'avenir de la plateforme Euronext. Questionné en mai dernier par Albéric de Montgolfier sur la possibilité pour la BPI d'investir dans cette entreprise, vous lui aviez fait une réponse très ouverte et positive ; ce matin, nous avons compris que l'introduction en bourse d'Euronext était en cours de conception, avec un actionnariat de place, comportant également quelques grands émetteurs. Quel rôle la BPI peut, le cas échéant, jouer pour conforter l'avenir de la plateforme Euronext ?
M. Nicolas Dufourcq, directeur général de Bpifrance. - Je vous présenterai les résultats 2013, notre stratégie à horizon 2017 et quelques chiffres du budget 2014. Nous avons six métiers : la garantie, avec environ 60 000 crédits privés garantis par an ; le prêt ; l'innovation, par des subventions, des avances remboursables, des prêts à taux zéro, mais aussi des injections de capitaux propres dans les fonds de capital-risque que nous gérons ; les investissements dans les petites et moyennes entreprises (PME), soit un peu plus de 100 PME par an ; l'investissement dans quelques grandes entreprises via le FSI ; l'activité de fonds de fonds, où nous injectons des capitaux dans des fonds privés gérés par des équipes de gestion privées. A ces six métiers s'ajoute progressivement un métier de financement de l'export. Ainsi, Pierre Moscovici, ministre de l'économie et des finances, a annoncé qu'il souhaitait nous confier la commercialisation d'une nouvelle ligne de produit, le crédit-acheteur pour les PME et les entreprises de taille intermédiaire (ETI) - une des activités autrefois réalisées par la Banque française du commerce extérieur avant sa dissolution dans le groupe BPCE.
En 2013, il a fallu être à la fois très actif commercialement auprès des entrepreneurs, et construire la banque puisque les derniers actes constitutifs ont lieu en ce moment. La fusion du FSI, FSI régions et CDC entreprises en une seule société de gestion, la plus grande d'Europe, sera cependant achevée seulement le 31 mars 2014.
Mais nous avons fait dès 2013 comme si nous étions une banque de plein exercice. Sur le métier des fonds propres directs dans les PME, nous avons fait un peu moins qu'en 2012 ; de même sur les grandes entreprises, car nous n'avons pas reproduit les gros tickets qui avaient eu lieu en 2012. Cela s'explique par le recul général du marché lui-même, avec une diminution de 30 % supérieure à la baisse de l'activité de Bpifrance. En particulier, le premier semestre a été quasiment bloqué pour toute restructuration du capital des entreprises pour des raisons psychologiques, quelle que soit la taille de l'entreprise. C'est reparti au second semestre et nous ferons sans doute une belle année 2014.
Les autres métiers sont en croissance. Le métier de la garantie a progressé de 8 %. Le métier du prêt, qui est toujours du cofinancement avec d'autres banques car nous voulons éviter la sélection adverse qui avait conduit à la faillite du CEPME, a été en croissance de 6 % en 2013, du fait notamment des prêts sans garantie qui sont au coeur de notre stratégie pour l'avenir et qui ont crû de 25 %. Le métier de l'innovation est stable, en légère décroissance sur les aides à l'innovation car les dotations budgétaires ont elles-mêmes reculé. Enfin, les activités de fonds de fonds, très importantes pour nous, ont connu une croissance de 14 % en 2013.
Notre stratégie en matière de crédit est de se concentrer sur deux principales failles du marché. La première est le prêt sans garantie, car les banques prennent de plus en plus de garantie. Nous offrons des prêts sans garantie, ni sur l'entrepreneur ni sur l'entreprise. Ce sont des prêts entre 1 et 10 millions d'euros avec le nouveau « Prêt d'avenir » sur dix ans. Après une croissance de 25 % en 2013, nous souhaitons afficher une croissance de 33 % en 2014 et, d'ici à 2017, faire chaque année l'équivalent de la totalité de l'encours actuel, soit 3 milliards d'euros. Pour cela, il faut évidemment que les dotations budgétaires soient à la hauteur, entre 250 et 300 millions d'euros par an, car elles sont nécessaires pour couvrir le risque lié à l'absence de garantie, même si la sinistralité n'est pas très élevée. L'effet multiplicateur est important puisqu'avec 300 millions d'euros de dotations budgétaires, nous pouvons faire 3 milliards de prêts sans garantie, qui représentent eux-mêmes un total de 10 milliards d'euros de financement compte tenu de notre principe de cofinancement.
La deuxième orientation concerne le crédit de trésorerie. Nous resterons un acteur majeur du préfinancement du CICE, avec un objectif en 2014 d'environ 1,2 milliard d'euros et 1,6 milliard d'euros pour 2017, si le CICE existe encore. Pour répondre à la question du président Philippe Marini, nous préfinançons en effet le CICE sur trois ans pour les ETI déficitaires : nous allons donc avoir un encours de préfinancement du CICE rattaché à plusieurs exercices différents. Sur le premier trimestre 2014, nous continuons de préfinancer un peu de CICE 2013, puisque le crédit de l'Etat n'interviendra qu'en mai 2014. Nous préfinançons pour ces entreprises à la fois le CICE 2013, à hauteur de 4 %, et le CICE 2014, à hauteur de 6 %, soit un total de 10 %. Nous avons un encours de préfinancement du CICE qui va se développer dans les années qui viennent.
Le CICE sera notre produit majeur de trésorerie, mais pas le seul. Nous ouvrons une nouvelle ligne de produits qui est la mobilisation des créances nées à l'étranger ; nous sommes historiquement très actifs sur la mobilisation de créances, du fait notamment de la Caisse des marchés de l'Etat. Nous faisons maintenant de la mobilisation de créances privées, c'est-à-dire de l'affacturage, avec une croissance de 9 % en 2013, plus importante que jamais. Nous allons continuer de pousser ces activités.
Nous allons également tenter de convaincre le Budget de continuer de nous donner des ressources budgétaires pour faire des crédits de trésorerie via un fonds de garantie dénommé Fonds de redressement de la trésorerie des PME françaises. Nous avons reçu en 2013 de quoi faire 650 millions d'euros de crédit de trésorerie, mais seulement 400 millions d'euros en 2014. Faisant l'hypothèse que la trésorerie va rester une grande faille de marché, nous espérons obtenir davantage pour faire environ 500 à 600 millions d'euros de crédit de trésorerie par le biais de ce fonds créé lors du plan de relance.
Différents thèmes sont mis en avant : l'export, la robotique, la numérisation, la transition écologique où nous espérons doubler nos interventions annuelles en passant de 400 à 800 millions d'euros.
S'agissant des fonds propres, notre stratégie est volumétrique. Nous visons un taux de rendement de 3 à 4 % ; nous sommes un actionnaire patient. Pour parvenir à ce taux de rendement contre 0,5 ou 1 % aujourd'hui seulement, il faudra déployer une gestion active des participations et accompagner les entrepreneurs dont la moitié, pour l'instant, ne respectent pas le plan d'affaires qu'il nous avait initialement présenté du fait de la conjoncture. Il nous faut donc faire plus, un tiers de plus qu'aujourd'hui, mais en tenant une certaine discipline de résultats et ce, dans tous les domaines : amorçage, capital-risque, capital-investissement dans les PME et ETI. De plus, nous continuerons à prendre parfois des très grosses participations dans des entreprises considérées comme stratégiques. Nous ne l'avons pas fait en 2013, mais nous pourrions être amenés à prendre une participation de 1 ou 2 milliards d'euros dans une grande entreprise ; nous aurions pu être investisseurs dans Peugeot, par exemple, car cela correspond à notre doctrine d'investissement, mais l'État chinois souhaitait une prise de participation directe de l'Etat français. Nous faisons l'hypothèse que ce type de situation se présentera à nouveau, notamment afin d'ancrer en France des entreprises qui sont très mondialisées, comme une montgolfière qu'il s'agirait d'attacher avec une petite ancre sur notre territoire.
M. Albéric de Montgolfier. - Mauvais exemple !
M. Nicolas Dufourcq. - S'agissant de l'innovation, nous sommes l'opérateur majeur du programme d'investissement d'avenir (PIA), dont la relance nous conduit à gérer environ 3 milliards d'euros supplémentaires dans les années prochaines. Nous avons distribué 750 millions d'euros en 2013, nous distribuerons 1 milliard d'euros en 2014 et 1,5 milliard d'euros en 2015. Nous ne sommes pas libres de l'utiliser comme nous le souhaitons : il y a, pour le coup, toute une polysynodie, une comitologie ; notre rôle est de faire en sorte que ces procédés, processus, et procédures soient aussi peu bureaucratiques que possible, afin d'accélérer l'injection des fonds au service de l'économie. L'objectif est d'avoir un délai maximum de six mois, contre dix-huit mois parfois actuellement, entre le dépôt de candidature et la mise à disposition des fonds.
Nous voulons doubler notre activité en matière de transition écologique. Nous lancerons un outil de financement à très long terme, sur vingt-cinq ou trente ans, sur des grands programmes de photovoltaïque et d'éoliens, en partenariat avec notre actionnaire la Caisse des dépôts. Dans le domaine du numérique et des biotechnologies, nous allons déployer des fonds supplémentaires qui nous ont été accordés.
De façon générale, indépendamment des fonds de garantie, l'enjeu, dans les prochaines années, ne sera pas dans la disponibilité des moyens, mais dans la politique de l'offre, c'est-à-dire notre capacité à convaincre les entrepreneurs d'investir, de prendre de l'equity quand nous nous proposons d'investir dans leur capital, et de s'endetter dans un contexte favorable où les taux d'intérêt sont à un plus bas historique.
Pour répondre au président Philippe Marini, il est vrai que la gouvernance est lourde : un conseil d'administration de la société de tête, qui est contrôlée par la commission de surveillance de la Caisse des dépôts et le conseil d'administration de l'EPIC, et qui contrôle deux filiales avec chacune leur conseil d'administration, Bpifrance investissement et Bpifrance financement. La partie « investissement » est elle-même composée de deux sociétés, l'une qui porte les capitaux - Bpifrance participations - qui possède 100 % de la deuxième société, qui porte quant à elle tous les personnels et qui est une société de gestion contrôlée par l'AMF, Bpifrance investissement. Cela fait quatre conseils d'administration, plus les deux instances de contrôle des deux actionnaires, à quoi s'ajoutent le conseil national d'orientation et les vingt-deux comités régionaux d'orientation. Mon sentiment est que cela se passe bien et qu'il n'y a pas de temps perdu. La gouvernance est professionnelle, moderne et technique ; c'est une gouvernance de banque, pas d'opinion.
Tout cela vaut-il mieux que la somme des parties ? C'est la question fondamentale. Il n'y a, je crois, pas un seul salarié de Bpifrance qui n'ait pas eu, en 2013, le sentiment d'un changement radical dans son métier. En régions, les 1 000 salariés ont vu leur activité se transformer : alors qu'ils ne faisaient que du crédit, ils font désormais du fonds propres et font maintenant partie d'une grande banque publique d'investissement dont les ambitions stratégiques dépassent largement le cadre antérieur ; leurs relations avec les écosystèmes locaux se sont considérablement développées depuis un an ; de nouveaux produits et de nouveaux outils ont été lancés à l'occasion de la création de Bpifrance, dont certains n'auraient pas vu le jour dans le contexte précédent. Il y a un effet Bpifrance dans le prêt pour l'innovation souhaité par le Président de la République, le prêt numérique, les prêts à l'industrialisation des pôles de compétitivité. Cela a également fait partie du contexte général du rapport Gallois, du rechargement du PIA, du plan de Benoît Hamon pour l'économie sociale et solidaire, etc. Parmi les nouveaux outils, il y a les nouveaux fonds, en particulier le Fonds Large Venture (500 millions d'euros) et le Fonds ETI 2020 (3 milliards d'euros) qui sont les deux premiers fonds français.
Nous avons également relancé le partenariat avec la Banque européenne d'investissement (BEI), qui était tombé en désuétude. Cela nous a permis de lancer un prêt pour l'innovation. Par ailleurs, la BEI finance 750 millions d'euros de liquidité pour Bpifrance.
Au total, le chargé d'affaires Bpifrance, quand il rencontre un entrepreneur, lui parle de tout : non seulement de crédit, mais aussi de fonds propres et, partant, de l'intimité de l'entreprise, sa stratégie à long terme, l'ouverture et la transmission de son capital. Les entrepreneurs s'en sont aperçus et les 200 000 que nous finançons l'accueillent de façon positive.
Le préfinancement du CICE s'est réalisé rapidement et dans de bonnes conditions ; nous l'avons lancé dès le jour de la publication de l'instruction fiscale. Il s'agit tout de même d'une révolution fiscale que d'organiser cette cession de créance en germe...
M. Francis Delattre. - C'est le moins qu'on puisse dire !
M. Nicolas Dufourcq. - Nous avons mis en oeuvre un site Internet qui permet d'obtenir en quelques jours la mobilisation de son crédit. Nous espérons que les banques nous rejoindront sur ce marché en 2014, sauf sur le marché des TPE où nous resterons seuls.
S'agissant enfin d'Euronext, la question se pose de savoir si l'investissement doit venir de Bpifrance ou de la Caisse des dépôts, à supposer qu'un investisseur public y participe. Il y a des arguments dans les deux sens, mais il est vrai que, dès lors que Bpifrance est une banque de place, par ailleurs active en faveur des PME et des ETI françaises, par exemple en matière de titrisation, il n'est pas inutile qu'elle soit autour de la table quand il s'agit de structurer un marché boursier pour ces entreprises.
M. Philippe Marini, président. - Merci pour cette présentation et le document qui l'accompagne.
M. François Marc, rapporteur général. - Je remercie également Nicolas Dufourcq de toutes ces informations qui nous confortent dans le sentiment que la création de la BPI était une bonne décision. Un an après, nous voyons que c'est incontestablement un outil dont nous avions besoin. Vous faites souffler un vent d'optimisme, qui se traduit dans les chiffres, avec la progression des montants et l'effet de levier associé à chaque intervention. A côté de l'optimisme, vous affichez également comme valeurs la simplicité et la proximité, ce dont nous nous réjouissons ; les écosystèmes locaux s'en sont d'ailleurs saisis. Enfin, je tiens à souligner l'importance de la réactivité : Bpifrance est une banque, qui doit être à l'écoute du terrain pour lui proposer des nouveaux outils.
La BPI a annoncé une forte augmentation, en 2014, de ses offres de financement. Par exemple, il est prévu de déployer une enveloppe en augmentation de 30 % pour le financement des entreprises innovantes. Quel est le taux de sélectivité des projets par rapport aux autres établissements ? Que traduit-il sur la demande, mais aussi sur la situation financière et la viabilité des projets des entreprises ?
Par ailleurs, de façon générale, vous êtes devenus l'acteur majeur en matière de capital-innovation (60 %) et de capital-développement (40 %). Cela a-t-il vocation à être durable, ou est-ce le résultat d'une situation conjoncturelle de désengagement des investisseurs privés ?
M. Francis Delattre. - C'est évident, dès lors que l'on supprime la déductibilité des intérêts d'emprunt...
M. François Marc, rapporteur général. - En troisième lieu, je voudrais évoquer un cas particulier. Bpifrance devrait devenir premier actionnaire de Constellium, principale entreprise française de fabrication d'aluminium, à la suite du retrait du fonds américain Apollo Management. Avez-vous vocation à être l'actionnaire de référence d'un groupe industriel important ? Avez-vous une stratégie industrielle ou allez-vous privilégier une position d'attente ? Par exemple et pour faire le lien avec notre discussion de ce matin, prônez-vous un retour de la cotation de l'entreprise à Paris plutôt qu'à New York ?
Nous avons récemment auditionné le Commissaire européen à la concurrence Joaquín Almunia : certaines prises de participation de votre part nécessitent-t-elles une notification à la Commission ? Plus largement, considérez-vous que votre action et sa réactivité dont je parlais précédemment peuvent être parfois « bridées » par la doctrine des aides d'Etat ?
Enfin, au regard de vos performances remarquables, je voudrais parler de votre politique de dividendes. Cette politique, dont vous nous aviez indiqué qu'elle serait définie en septembre 2014, sera-t-elle tributaire de considérations budgétaires de la part de vos deux actionnaires, ou dépendra-t-elle de vos besoins en fonds propres pour le développement de vos activités ? En d'autres termes, quelle sera votre marge de manoeuvre pour assurer votre capacité d'autofinancement, sachant que l'un de vos deux actionnaires a, comme chacun sait, des besoins budgétaires importants auxquels nous sommes ici très sensibles ?
M. Nicolas Dufourcq. - S'agissant du taux de sélectivité, j'ai fait deux fois le tour des régions de France cette année, soit une cinquantaine de déplacements ; j'ai tout de suite dit aux salariés de Bpifrance de ne pas changer leur politique de risque et leur sélectivité des projets. Nous avons une culture inaltérable de banque publique, qui a jusqu'à maintenant permis de financer l'économie française tout en maintenant un coût du risque très maîtrisé et une vraie discipline du résultat. Le directeur général de la KfW m'a un jour dit sa banque était jugée sur sa réputation de « banque de granit », inaltérable tiers de confiance pour les Allemands. Il en va de même pour Bpifrance. Cela se traduit par un cout du risque très raisonnable, de 0,2 % en 2013, alors qu'il avait atteint un pic de 0,4 % en 2009. Cela veut-il dire pour autant que l'on ne prend pas assez de risque ?
M. Philippe Dallier. - C'est une bonne question !
M. Nicolas Dufourcq. - Je ne pense pas que l'on puisse dire cela. Nous finançons via nos garanties, nos prêts sans garantie et nos financements de l'innovation les 15 % des crédits les plus risqués du marché bancaire français. Nous sommes donc bien sur notre métier. « L'outil Bpifrance » est construit comme une montre suisse, de manière à financer le risque sans faire exploser le coût du risque, et sans générer un résultat bancaire classique, excessif. Comme vous le savez, Oséo engendrait chaque année un résultat net modeste, compris entre 50 et 80 millions d'euros. Notre retour sur capitaux propres, dans la partie bancaire, est de l'ordre de 4 % à 5 %, qu'il faut comparer aux 10 % visés par les banques privées. Notre politique ne va pas changer à cet égard. Nous provisionnons des risques de crédits qui se révèlent chaque année inférieurs à ce qui était anticipé. Ainsi, en 2013, le coût du risque nous aura coûté 44 millions d'euros dans la partie strictement bancaire, pour 56 millions d'euros budgétés. Les équipes sur le terrain tiennent donc bien la discipline bancaire, ce qui n'a pas empêché une croissance de 25 % des prêts en 2013 : davantage de croissance ne signifie pas forcément davantage de risques.
Peut-on dire que notre activité est en croissance parce que celle des autres est en décroissance ? C'est à la fois vrai et faux. C'est vrai dans la mesure où les crédits aux PME ont baissé de 4 % en 2013 à l'échelle du pays, alors que les nôtres ont cru de 10 % ; mais comme nous ne prêtons jamais seuls, il y a un effet d'entraînement des autres banques lorsque nous accordons un crédit. Les autres banques nous disent d'ailleurs que, sans l'intervention de Bpifrance pour animer le marché, il y a des prêts qu'elles n'accorderaient tout simplement pas.
En matière de capital-innovation, Bpifrance intervient directement ou indirectement dans 95 % des investissements en nombre de tickets, et 60 % en valeur. Le capital-risque et le capital-amorçage, ce n'est pas du private equity, c'est de la politique industrielle. Ce n'est pas une activité qui vise à être rentable : dans le cas de l'amorçage, les fonds ne sont jamais récupérés, tout au plus peut-on atteindre 85 % si la gestion est bonne ; pour le capital-risque, on peut récupérer 100 %, voire 102 % ou 103 % au bout de dix ans si la gestion est vraiment excellente. Il s'agit donc bien de politique industrielle, laquelle ne peut fonctionner qu'avec une injection significative d'argent public. Il n'y a qu'un seul endroit au monde où l'on peut se passer d'argent public, c'est la Californie, essentiellement pour des raisons culturelles. Mais en Israël, comme dans tous les autres pays, il y a beaucoup d'argent public dans le capital-risque, et il y en aura toujours.
En matière de capital-développement des PME, notre part de marché atteint 40 %. Cela s'explique par l'action de l'ex-FSI qui prenait treize ou quatorze tickets par an, alors qu'un fonds privé n'aurait pas dépassé un ticket par an ou tous les dix-huit mois. Notre part de marché est donc relativement élevée, et l'on ne peut que souhaiter qu'elle baisse. Mais il faudrait pour cela que les fonds privés positionnés sur la même classe d'investissements - les gros tickets supérieurs à un million d'euros - lèvent davantage de fonds à l'étranger, ce qu'ils ne font pas, et nous savons pourquoi. Il y a donc un effet d'optique : notre part de marché en matière de capital-développement des PME monte mécaniquement du fait de la relative absence de nos concurrents, ce qui n'est pas forcément souhaitable.
Nous sommes le premier actionnaire de Constellium, mais un petit actionnaire, avec seulement 8 % du capital, le reste étant essentiellement flottant. Nous sommes bien sûr présents au conseil d'administration, mais pas au point de pouvoir imposer le retour de cotation de Constellium à Paris. En revanche, nous pouvons avoir une influence sur la manière dont l'entreprise pourrait céder l'une de ses participations, sur le site de Riom en Auvergne, ou sur tel ou tel choix de restructuration. Nous nous entendons plutôt bien, voire très bien, avec le management de Constellium.
M. François Marc, rapporteur général. - N'est-il pas envisageable d'augmenter la participation de Bpifrance dans Constellium au-dessus de 8 % ?
M. Nicolas Dufourcq. - Cela coûterait extrêmement cher. Constellium est une entreprise très bien valorisée en bourse : du point de vue de la bonne allocation des capitaux publics, ce n'est pas forcément le bon moment pour monter au capital.
Concernant le contrôle des aides d'Etat, la Commission européenne est en effet très vigilante sur nos prises de participation. Elle l'est peut-être un peu moins aujourd'hui, mais à l'époque où nous avons créé le Fonds de modernisation des équipementiers automobiles, il a fallu notifier certaines prises de participation, par exemple dans Trèves. Il en va de même pour les fonds d'investissement créés dans le cadre du programme des investissements d'avenir (PIA), à l'instar du fonds national d'amorçage (FNA). Le débat français sur le retournement continue d'être observé attentivement par la Commission, à laquelle nous répondons en ce moment même avec beaucoup d'attention ; la Commission lit beaucoup la presse française. C'est pour cela que notre doctrine, validée par le Parlement, prévoit qu'en matière de retournement Bpifrance ne fasse pas de retournement majoritaire, qui serait incompatible avec le droit de l'Union européenne, mais se borne à financer des fonds de retournement privé ou à accompagner de façon minoritaire des repreneurs.
Sur la question des dividendes de Bpifrance, je sais que les actionnaires y travaillent, mais ils n'ont pas encore sollicité le management. Je ne sais pas ce qu'il en sera, mais je recommanderais qu'on laisse un peu d'argent dans l'entreprise.
M. François Marc, rapporteur général. - Je pense que les membres de la commission des finances vous suivront sur ce point.
M. Aymeri de Montesquiou. - Pouvez-vous nous préciser ce qu'est un fonds de retournement ? Par ailleurs, vous avez souligné qu'il y avait une augmentation des crédits à court terme : cela n'est-il pas un signe que les entreprises ont des problèmes de trésorerie ?
Mme Michèle André. - J'ai la chance de siéger avec Albéric de Montgolfier au Conseil national d'orientation (CNO), qui donne à Bpifrance une coloration différente et dont il faut saluer la bonne mise en place. Vous nous avez dit avoir fait deux fois le tour des régions, des présidents de régions et des comités régionaux d'orientation : constatez-vous des différences importantes ou des difficultés spécifiques d'une région à l'autre ? J'ajoute que les rencontres avec le CNO pourraient être plus fréquentes : il est utile d'échanger avec des personnes d'origines différentes - salariés, syndicats, responsables politiques etc.
M. Albéric de Montgolfier. - Ma première question porte sur l'avance des créances fiscales dans le cadre du CICE : quel est le taux pratiqué par Bpifrance, et pour quelle durée ? Et si le CICE devait perdurer, le mécanisme consistant à mobiliser une grande banque publique pour permettre l'avance des créances fiscales n'est-il pas trop compliqué, alors que l'on pourrait imaginer un dispositif plus simple de remboursement des charges ? Mais il s'agit d'une question politique qui ne relève pas de vous.
Ma deuxième question porte sur l'intervention de Bpifrance dans le domaine des énergies renouvelables, notamment les éoliennes et le photovoltaïque : est-ce bien le rôle d'une banque publique d'intervenir sur une activité très largement défiscalisée, financée par un impôt - la contribution au service public de l'électricité (CSPE) -, non délocalisable et déjà très concurrentielle, avec un tarif d'achat garanti par l'Etat ?
Enfin, ma troisième question porte sur le très haut débit : pourquoi la Banque européenne d'investissement (BEI) intervient-elle sur ces réseaux d'initiative publique, et pourquoi ne distribue-t-elle pas ses prêts via Bpifrance ? Est-ce pour éviter la concurrence de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) ou des réseaux bancaires ?
M. Roger Karoutchi. - Je ne suis toujours pas convaincu aujourd'hui que la création de Bpifrance fut une riche idée. Il y a certes des éléments positifs, mais les résultats seront-ils, au final, beaucoup plus importants que ceux qu'aurait obtenus chacune des structures antérieures ? Bpifrance ne souffre-t-elle pas de son mode de gouvernance - une cathédrale ou une usine à gaz qui regroupe tous les syndicats, toutes les régions etc. ? A moins que l'on nous dise que toutes ces commissions et tous ces conseils n'ont naturellement aucun pouvoir, et qu'une petite cellule décide de tout tranquillement...
J'ai eu le bonheur - ou le malheur, cela dépend des jours - de présider la commission des finances de la région Île-de-France. Ce matin, après les annonces du Président de la République aux Etats-Unis, on nous a informés que l'Agence régionale de développement de la région Île-de-France et Bpifrance avaient mis en place et financé une opération de nouvelles technologies en Californie. J'en suis ravi, mais à côté de cela, il y a très peu de grosses opérations entre la région Île-de-France et Bpifrance. Nous avons adopté il y a quelques semaines un schéma de développement économique et d'innovation : le partenariat avec Bpifrance est extrêmement faible, pour ne pas dire inexistant. J'ai le sentiment que la région travaille beaucoup moins avec Bpifrance qu'avec Oséo auparavant : l'apparition de Bpifrance est-elle donc vraiment un élément positif à cet égard ?
M. Francis Delattre. - Je partage l'opinion de mes collègues sur le CICE. Bpifrance est normalement une banque d'investissement, or le moins que l'on puisse dire, c'est que le CICE n'est pas de l'investissement. En fait, on a fait de Bpifrance le relais commode d'un financement qui n'était pas prévu dans le budget. Ma question est donc la suivante : puisque vous avez préfinancé 870 millions d'euros au titre du CICE, dont il serait d'ailleurs intéressant de connaître les conditions et le coût, doit-on en conclure que toutes les autres entreprises n'ont pas eu besoin de trésorerie ? Cela m'étonnerait étant donné ce que nous entendons dans nos départements. Car le montant total du CICE est de 10 milliards d'euros...
M. François Marc, rapporteur général. - Le montant du CICE est de 20 milliards d'euros...
M. Francis Delattre. - Il est de 10 milliards d'euros cette année. En réalité, vous savez très bien que les fameux 4 % de baisse des charges s'appliquent seulement jusqu'à 2,5 SMIC. Vous avez l'air de douter de l'approfondissement de nos connaissances sur le sujet...
M. François Marc, rapporteur général. - Je vous rendrai la monnaie !
M. Francis Delattre. - Ce n'est pas l'excellent discours technique de Nicolas Dufourcq qui pose question mais l'orientation stratégique de Bpifrance.
Les fonds propres des PME constituent un vrai besoin, qui pourrait justifier l'existence de Bpifrance. Or, je constate que sa participation s'élève à 162 millions d'euros en 2012, et 170 millions d'euros en 2014, ce qui est assez modeste, avec des participations souvent proches de 10 % : Bpifrance ne joue pas son rôle, et d'ailleurs les banques privées non plus. Compléter les financements existants, c'est le rôle d'une banque publique d'investissement au sens où nous l'entendons. Je ne suis pas convaincu que ce soit le cas. Je suis davantage rassuré par le rôle de Bpifrance en matière de modernisation de l'économie.
Sur les investissements d'avenir, voyez-vous revenir - au-delà de vos chiffres - des projets concrets de reprise industrielle sur certains secteurs ? Certains ont en effet disparu, comme en matière de radio ou de télévision. Pourtant, aux Etats-Unis, des Etats se réindustrialisent, comme en témoignent le retour de certaines chaînes de montage d'Apple.
Ma question suivante porte sur les ressources de Bpifrance : sont-elles durables ou la Caisse des dépôts interviendra-t-elle en cas de difficulté ? Mais il est vrai qu'être adossé à la Caisse des dépôts est en soi quelque chose qui rassure...
Le rapporteur général feint de s'étonner que Bpifrance soit très sollicitée parce que les banques françaises ne financent pas assez les investissements des entreprises... mais il appartient à la majorité qui a limité la déductibilité des intérêts des prêts bancaires au titre de l'impôt sur les sociétés ! Aujourd'hui, le monde des PME et des PMI découvre ce système complètement délirant ; la France est la seule économie occidentale qui ait osé imaginer un tel dispositif ! Rien d'étonnant à ce qu'il y ait des problèmes de financement.
Enfin, j'aurais souhaité que l'on nous donne deux chiffres consolidés : quel est le poids global de Bpifrance dans l'investissement des entreprises, et quelle est la part financée par le système bancaire ?
M. Jean Germain. - Je voudrais apporter un témoignage en tant que président de l'agglomération tourangelle. Je suis très satisfait de l'action de Bpifrance dans la région Centre. J'ai reçu des gens disponibles, qui sont venus sur le terrain - ce qui est en soi un bon point pour les élus que nous sommes -, et nous avons pu lancer trois opérations extrêmement importantes, qui permettront de créer plusieurs centaines d'emplois chacune : d'abord, TLD, une entreprise aéronautique qui exploite un brevet israélien ; ensuite, Mecachrome, qui innove dans le domaine des matériaux ; enfin, les biotechnologies. Je n'ai certes pas une vision nationale ni planétaire, mais sur le terrain, des choses qui n'avançaient plus depuis un certain temps se sont débloquées.
Ma première question porte sur l'innovation - non pas l'innovation technique et technologique des ingénieurs, mais l'innovation dans les usages, celle que portent notamment les jeunes dans le domaine de l'Internet, du numérique, du graphisme : Bpifrance va-t-elle faire quelque chose à ce sujet ?
Ma seconde question porte sur la place financière de Paris : lors de l'audition conjointe organisée ce matin par la commission des finances, Dominique Cerutti, directeur général d'Euronext, a évoqué l'avenir de l'actionnariat d'Euronext. L'hypothèse d'une prise de participation de Bpifrance pourrait-elle être fondée ?
M. Philippe Marini, président. - Nicolas Dufourcq a déjà répondu à cette question, mais il en dira certainement encore un peu plus...
M. Jean Germain. - Ses termes étaient très diplomatiques !
M. Philippe Marini, président. - Ils n'étaient pas si anodins, quand on connaît la prudence des banquiers...
M. Dominique de Legge. - On ne m'en voudra pas, j'espère, de poser une question assez localisée : la Bretagne a connu une crise importante à la fin de l'année 2013, puis un « plan d'avenir » a été proposé. La question de son financement est largement renvoyée à des discussions avec Bpifrance : pouvez-vous nous en dire un peu plus ?
M. Philippe Marini, président. - Je m'interroge pour ma part sur trois aspects ponctuels. Pouvez-vous nous dire quelques mots sur le « fonds nucléaire » de Bpifrance ? Qu'en est-il de votre action dans le cadre des pôles de compétitivité ? Enfin, Bpifrance a-t-elle pour projet d'accompagner l'introduction en bourse de PME et d'ETI, et s'organise-t-elle à cet effet ?
M. Nicolas Dufourcq. - Un fonds de retournement est géré par une équipe de gestion privée, abondé par un petit nombre d'investisseurs, qui investit exclusivement dans des entreprises en « livre VI » du code de commerce et dont le rebond va être accompagné par le fonds.
Bpifrance a financé certains de ces fonds, sachant qu'il n'y en a pas beaucoup en France. Ce sont les fonds les plus risqués de la place, il faut donc des professionnels très aguerris. Nous ne finançons bien évidemment pas les fonds vautours - car il y a des intervenants brutaux dans cette activité - mais bien ceux qui accompagnent correctement les entreprises tout en procédant aux réductions de coûts qui sont parfois cruelles. Parmi ces fonds, on peut citer Perceval, Verdoso ; au total, nous en finançons une demi-douzaine.
Il y en a un très gros, créé par René Ricol, qui s'appelle le Fonds de consolidation et de développement des entreprises (FCDE), dans lequel nous avons investi 150 millions d'euros en 2010 et allons re-souscrire à hauteur de 80 ou 90 millions d'euros. C'est une décision que nous avons prise en comité d'investissement en décembre dernier.
Les problèmes de trésorerie sont bien évidemment le coeur du sujet du financement des entreprises aujourd'hui. En 2013, les statistiques mensuelles de la Banque de France montrent que la production de crédits de trésorerie est en déclin de 4 % à 6 % mois sur mois. À l'échelle macro-économique, c'est très important. En outre, plus vous êtes petits et plus vous êtes maltraités. La trésorerie des TPE est donc le problème majeur du moment. C'est la raison pour laquelle nous avons fait beaucoup de pré-financement de CICE pour les TPE. Nous vous avons adressé une série de publications dans lesquelles vous allez trouver une étude sur les ETI françaises et une étude sur les PME, avec un chapitre sur les difficultés de trésorerie. Ce sujet va perdurer pendant quelques années encore, d'où notre stratégie.
Y a-t-il des différences entre régions ? Oui. Vous trouverez également dans nos publications, un atlas des régions qui décrit précisément notre activité dans les vingt-deux régions métropolitaines et l'outre-mer. La comparaison entre régions peut donc être menée en détail avec ce document - que nous publierons chaque année.
Certaines régions font plus que d'autres. À cet égard, pour répondre à Roger Karoutchi, la région qui travaille le plus avec nous, c'est la région Île-de-France et de très loin. Elle est la plus généreuse avec Bpifrance. Nous sommes co-fondateurs de l'agence de développement dont nous assurons la vice-présidence. En 2013, nous avons financé 14 000 entreprises franciliennes pour 5 milliards d'euros. Cette région représente 44 % de notre produit net bancaire.
M Philippe Marini, président. - Et par rapport au PIB de notre pays ?
M. Roger Karoutchi. - L'Île-de-France, c'est environ 30 % du PIB.
M. Nicolas Dufourcq. - Par exemple, en matière de pré-financement du CICE, sur un total de 800 millions d'euros, 300 millions l'ont été pour l'Île-de-France.
Cette année, la région va nous donner 17 millions d'euros de plus pour alimenter nos fonds de garantie. Ce montant se compare à ce que les régions nous ont donné en cumulé sur les quinze dernières années, soit environ 10 millions d'euros par région.
Le taux d'intérêt du pré-financement du CICE est compris entre 3 % et 5,5 % ou 6 %.
M. Albéric de Montgolfier. - C'est cher.
M. Nicolas Dufourcq. - Ce n'est pas cher par rapport au marché de l'affacturage, pour lequel les taux d'intérêt sont compris entre 6 % et 14 %. Là, il s'agit d'affacturage public, facturé entre 3 % et 5 % ou 6 %.
Le pré-financement dure jusqu'à ce que l'Etat paye. Il va d'ailleurs se passer quelque chose d'important pour le moral des entrepreneurs en mai, lorsqu'ils vont recevoir un chèque correspondant au montant du CICE. Une grande partie de nos clients n'ont pas encore pris conscience qu'ils vont recevoir l'impôt négatif en mai.
En ce qui concerne les énergies renouvelables, nous sommes obligés d'être très vigilants car la fiscalité peut changer. En fonds propres, certains fonds d'investissement ont pris des bouillons terribles, notamment dans le photovoltaïque, lorsque la fiscalité a changé. Nous finançons donc peu en equity, mais plutôt en dette. Le photovoltaïque français, par exemple toutes les ombrières dans les parkings du sud de la France, c'est du financement ex-Oséo. Nous disposons maintenant d'un métier de financement de ces infrastructures, en crédit-bail immobilier et matériel, qui est reconnu par les acteurs bancaires. Nous avons d'autres spécialisations, comme le tourisme où nous sommes très bons grâce au crédit hôtelier. Nous sommes très bons aussi dans les créances publiques grâce à la caisse des marchés de l'Etat. Et nous avons, comme je l'indiquais, une spécialisation « transition écologique ».
S'agissant de la BEI, nous essayons de lui faire comprendre que, dans d'autres pays européens, il n'y a pas d'équivalent à la BPI et il est donc normal qu'elle y intervienne en direct. En revanche, en France, elle doit passer par nous. Nous ne voulons pas deux canaux commerciaux. Elle commence à le comprendre. Pour l'instant, elle est intervenue, avec une initiative appelée JEREMIE, en direct dans deux régions, en Languedoc-Roussillon et en PACA. Tout ceci va rentrer dans l'ordre progressivement et elle a commencé à financer nos propres fonds de garantie plutôt que les siens. C'est très important du point de vue des entrepreneurs.
Notre système de gouvernance est-il complexe, notamment avec les syndicats ? En fait, Bpifrance est une petite entreprise de 2 000 salariés. Chez Capgemini, je dirigeais 135 000 personnes. Nous sommes à taille tout à fait humaine. Les syndicats sont complétement réformistes. Ils nous ont accompagnés en 2013 et se sont projetés dans le projet BPI de manière vraiment rafraichissante. Au fond, ce projet, ils en rêvaient tous depuis très longtemps : les salariés voulaient que les segments fonds propres et crédits soient rassemblés au profit des mêmes clients. Nous n'avons eu aucun obstacle syndical.
Encore une fois, sur la gouvernance, les conseils d'administration sont très techniques. La gouvernance est « aidante ».
En ce qui concerne notre part de marché, sur la partie strictement bancaire, elle est de 5 % pour notre production de crédits, sans tenir compte de l'effet multiplicateur. En revanche, pour certains produits particuliers, elle est plus élevée. Nous sommes par exemple les seuls à offrir des prêts sans garantie. Pour le crédit-bail, notre part de marché est de 12 %.
Pour les fonds propres, lorsqu'il s'agit de gros tickets, nous atteignons un pourcentage de 40 %.
M. Francis Delattre. - Mais, globalement, les sommes ne sont pas très élevées.
M. Nicolas Dufourcq. - Dans l'equity, nous sommes absolument centraux, au point d'inquiéter les acteurs privés, si bien que nous avons signé une charte avec l'AFIC, dans laquelle nous nous engageons à co-investir avec eux : nous ne sommes pas là pour leur manger des parts de marché.
Sur le segment bancaire, le taux de 5 % parait faible. Néanmoins, avec un rapide calcul, on s'aperçoit que nous avons fait, en 2013, 5 milliards d'euros de crédits à l'investissement et nous avons garanti 10 milliards d'euros de crédits privés. Au total, nous intervenons sur 25 milliards d'euros de crédits, c'est-à-dire 10 % du crédit aux PME et aux entreprises. Nous sommes comparables à d'autres banques de la place.
Nos ressources sont-elles durables ? Dans les fonds de garantie, pas du tout. Je vous rappelle que, en octobre 2012, au moment de ma nomination, je suis allé voir le Président de la République pour lui demander de ré-alimenter les fonds de garantie car il n'y avait plus un euro ! Nous allions créer Bpifrance sans aucun argent dans les fonds de garantie. Nous avons donc pris 150 millions d'euros dans le programme des investissements d'avenir pour ré-alimenter les fonds de garantie. Et cela va recommencer. C'est une fragilité de l'objet Bpifrance.
Pour le reste, sur les capitaux propres, nous avons les ressources et elles sont durables, pourvu qu'on ne nous les reprenne pas.
Les innovations non technologiques, c'est un problème majeur. Nous sommes confrontés, assez légitimement, à la prudence de nos actionnaires qui nous donnent des capitaux à gérer. Le ministère de l'industrie sait très bien que, si l'on ouvre les vannes des innovations non technologiques, les budgets seront consommés en quelques mois. Quels doivent alors être les critères ? En ce moment, on travaille sur l'idée que le critère de base, ce doit être un véritable bouleversement de l'expérience utilisateur. Si elle change radicalement, alors il y a une innovation.
J'ai déjà abordé la question d'Euronext : nous allons travailler sur le sujet avec notre actionnaire Caisse des dépôts et consignations.
S'agissant du plan d'avenir pour la Bretagne, en 2013, 5 000 entreprises ont été soutenues à hauteur de 725 millions d'euros. Sur ces montants, les chiffres de croissance dont je parlais précédemment s'appliqueront, à savoir + 30 % pour les prêts de développement et + 50 % pour les prêts de trésorerie.
Le fonds nucléaire a été créé avec Areva et, de mémoire, avec Alstom. Il est doté d'une trentaine de millions d'euros et a vocation à investir dans les équipementiers de la filière.
Nous sommes les banquiers des pôles de compétitivité. Nous essayons d'obtenir que ces pôles produisent des documents, malheureusement peu lus. Nous voulons qu'ils nous amènent de futurs champions que nous pourrions financer. De notre point de vue, les pôles sont les lieux où nous devons incuber les futures grandes PME françaises.
L'accompagnement des introductions en Bourse, c'est très important d'en parler en ce moment, car la Bourse étant bonne, tout le monde veut y aller. Dans les secteurs de la biotechnologie, de l'Internet ou encore de la transition écologique, nous sommes de plus en plus, comme on dit dans le jargon, les « lead investors », les investisseurs de référence au moment de l'introduction en Bourse. Nous l'avons fait à quatre reprises depuis le mois de novembre.
M Philippe Marini, président. - Et combien sont prévues dans les mois qui viennent ?
M. Nicolas Dufourcq. - La quasi-totalité de notre « pipe-line » dans le monde de l'innovation, ce sont des introductions en Bourse. Nous avons même dû changer de pied pour notre fonds Large Venture. En effet, comme il sera essentiellement composé de sociétés cotées, il ne pourra pas être un FPCI, qui ne peut pas comprendre plus de 50 % de coté. Or, nous sommes déjà à 65 % de coté. L'innovation française est en Bourse !
M Philippe Marini, président. - Il y a donc quelques dizaines d'introductions potentielles en cours.
M. Nicolas Dufourcq. - Je dirais plutôt une dizaine chez nous.
M Philippe Marini, président. - Je vous remercie de vos réponses précises et synthétiques.
La réunion est levée à 16 h 09.