- Mardi 21 janvier 2014
- Mercredi 22 janvier 2014
- Financement des collectivités et développement économique local - Audition de Mme Odile Renaud-Basso, directrice générale adjointe du groupe Caisse des dépôts
- Nationalisation des sociétés concessionnaires d'autoroutes et affectation des dividendes à l'agence de financement des infrastructures de transport - Examen des amendements de séance
Mardi 21 janvier 2014
- Présidence de M. Raymond Vall, président -Loi Littoral - Examen du rapport d'information
La commission examine le rapport d'information de Mme Odette Herviaux et M. Jean Bizet consacré à la loi Littoral.
M. Raymond Vall, président. - Notre commission a confié le 20 février dernier à nos deux collègues, excellents spécialistes de ces questions, l'élaboration d'un rapport sur divers problèmes posés par l'application de la loi Littoral.
Je sais que vous avez procédé à un grand nombre d'auditions et que vous avez également fait plusieurs déplacements sur le terrain : dans la Manche, chez Jean Bizet ; dans le Morbihan, chez Odette Herviaux ; en Corse, à l'invitation de notre collègue Nicolas Alfonsi ; en Savoie et Haute Savoie, à l'invitation de Pierre Hérisson et Jean-Pierre Vial. Pour ceux qui s'interrogeraient sur ce déplacement loin d'une façade maritime, je signale que la loi Littoral s'applique également aux rivages des lacs de plus de 1000 hectares.
Les membres du groupe d'études Mer et Littoral que préside Odette Herviaux ont été associés à la plupart de vos travaux. C'est donc un rapport très approfondi que vous allez nous présenter et je ne doute pas qu'il contient des propositions concrètes utiles pour améliorer l'efficacité de notre législation et de notre réglementation, ainsi que leur application. C'est un domaine qui concerne d'ailleurs très directement les collectivités et les élus locaux que nous représentons au sein de cette assemblée.
Mme Odette Herviaux, co-rapporteure. - Nous tenons d'abord à vous remercier, Monsieur le président, ainsi que l'ensemble de la commission, de nous avoir confié cette mission. Nul ne l'ignore ici : l'application de la loi Littoral trouve une résonance particulière en Bretagne comme en Normandie, c'est pourquoi Jean Bizet et moi-même étions particulièrement intéressés par cette question. Ce sujet se retrouve également en filigrane de l'actualité, malheureusement, avec les récentes inondations dans le Var et en Bretagne.
Appréhender la loi Littoral n'est pas une chose facile. Nous avons souhaité faire, en quelque sorte, une opération vérité sur cette loi. Comme vous le savez, dès qu'un travail parlementaire sur la loi Littoral est annoncé, on est vite accusé de vouloir faciliter le bétonnage des côtes. Encore récemment, nous n'avons pas manqué à ce présupposé dans une émission de grande écoute. Ce n'est évidemment pas notre but. Nous avons voulu anticiper cette critique en essayant d'apporter sur cette loi un regard qui se veut le plus neutre et le plus objectif possible.
De quoi parle-t-on ? Je vais commencer par un bref cadrage général sur les objectifs, la philosophie et le fonctionnement de la loi Littoral. Celle-ci a été adoptée à l'unanimité le 3 janvier 1986, un an après l'entrée en vigueur de la loi Montagne du 9 janvier 1985 et en pleine vague de décentralisation. Ses quarante-deux articles traitent de nombreux sujets, comme l'urbanisme, la qualité des eaux, la gestion du domaine public maritime et fluvial, la réglementation des plages, le classement des communes touristiques ou encore la répartition des compétences entre l'État et les collectivités. Cette loi clarifie en particulier les procédures de délimitation du rivage de la mer et consacre le principe de l'usage libre et gratuit des plages.
Une précision : avec l'accord de la délégation à l'outre-mer, nous avons volontairement exclu les territoires ultra-marins du périmètre de notre analyse, en raison de leur spécificité qui justifierait un rapport à lui seul.
La loi Littoral n'est pas une loi de protection, mais une loi transversale, d'aménagement et de mise en valeur des activités. Cette dimension a été complètement perdue de vue au cours du temps. Pourtant, le législateur de 1986 l'avait explicitement spécifiée, y compris dans son intitulé : loi relative à « l'aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral ». Elle peut d'ailleurs être considérée à ce titre comme un texte précurseur en matière développement durable.
La loi Littoral est également avant-gardiste, peut-être trop d'ailleurs, sur le plan de la technique juridique. Il s'agit en effet d'une loi interprétative, aux dispositions nécessairement vagues, afin de pouvoir s'adapter à la grande diversité des littoraux. Cette loi a dès le départ prévu sa territorialisation, afin de préciser les principaux concepts à l'échelle locale. En pratique, ce travail n'a jamais été réellement mis en oeuvre, d'où les nombreuses difficultés d'application rencontrées sur le terrain.
Nous sommes aujourd'hui habitués à ce type de loi-cadre d'inspiration anglo-saxonne, fréquent dans le domaine de la protection de l'environnement et du développement durable, en particulier au niveau européen. À l'époque de la loi Littoral, son intégration dans notre système juridique, qui repose sur la définition de règles précises et de périmètres rigides, s'est révélée beaucoup moins évidente.
Quelles sont les difficultés ? Recenser les problèmes posés par la loi Littoral n'est pas le plus difficile à faire, tant les constats sont partagés depuis de nombreuses années, aussi bien par les élus que par les services de l'État. Au cours de la mission, nous avons-nous-mêmes reçu de nombreuses contributions. Des maires, mais aussi quelques particuliers, nous ont fourni une matière première importante, à partir de dossiers très complets sur des permis de construire ou des projets d'aménagement, enlisés dans les méandres des procédures administratives et contentieuses.
On peut néanmoins souligner que la plupart du temps, l'application de la loi Littoral ne pose pas de difficulté majeure. Quelques départements concentrent l'essentiel des problèmes, comme la Manche, le Var, les Côtes d'Armor ou la Charente Maritime. Et les crispations y sont aiguës lorsqu'elles existent.
Il faut également avoir à l'esprit que la loi est souvent stigmatisée alors même qu'elle n'est pas toujours à l'origine des difficultés rencontrées. L'espace juridique du littoral est aujourd'hui saturé par le cumul de normes protectrices de tous ordres - réglementaire, législatif, européen - aux finalités parfois contradictoires. On y trouve par exemple des sites inscrits et classés, des réserves naturelles, des parcs nationaux, des parcs naturels régionaux, des arrêtés préfectoraux de protection de biotope, tout le réseau Natura 2000 - zones de protection spéciale, zones spéciales de conservation et sites d'intérêt communautaire -, des zones humides, des zones de préemption ou encore des inventaires de type ZNIEFF. Ce cumul des protections témoigne de la richesse écologique du littoral, mais alimente et juridictionnalise les conflits, et finit même parfois par créer des difficultés entre les habitants.
M. Jean Bizet, co-rapporteur. - Ces précautions étant prises, on peut dresser une liste des principaux griefs formulés à l'encontre de la loi Littoral.
Les élus se plaignent surtout de l'hétérogénéité d'application de la loi Littoral. Le degré de sévérité de son interprétation, tant par le juge que par les services de l'État, varie à la fois dans l'espace, d'un département à l'autre, et dans le temps, au gré des fluctuations doctrinales.
Ils mettent également en avant l'iniquité structurelle de la loi Littoral, que Jérôme Polverini, maire de Pianottoli-Caldarello que nous avons rencontré, résume ainsi : « les gros grossissent et les maigres maigrissent ». Autrement dit, les communes littorales les plus urbanisées ont beaucoup plus de facilité à se développer que les communes vertueuses qui ont cherché à préserver le patrimoine naturel. L'effet de signal est désastreux. Mon département, la Manche, paie aujourd'hui le fait de ne pas s'être lancé, dès le départ, dans une course à l'urbanisation.
À cela s'ajoute l'incohérence des politiques publiques, par exemple lorsque la loi Littoral empêche la mise aux normes de certaines installations, rendue pourtant obligatoire par d'autres dispositions législatives.
Enfin, l'abondant contentieux relatif à l'application de la loi Littoral est dénoncé, à juste titre, pour les conséquences dramatiques qu'il peut entraîner. Sans même parler du gel des investissements qui freine le développement économique du littoral, nous avons eu connaissance de la situation de particuliers ayant acheté un terrain au prix fort, avant qu'il ne soit déclaré inconstructible. Ces personnes ont parfois contracté un emprunt dont elles doivent continuer à assumer la charge, tout en supportant le coût d'une nouvelle solution d'hébergement et d'éventuels frais de procédure contentieuse. Les répercussions sont parfois dramatiques.
En général, ces personnes n'ont pas d'autre solution que de se retourner contre la collectivité, et on assiste bien à une montée en charge du contentieux indemnitaire, qui entraîne des difficultés financières pour les petites communes littorales. Outre les frais engagés pour leur défense et l'augmentation des primes d'assurance, elles peuvent être condamnées à verser des indemnités aux propriétaires lésés ou à financer l'élaboration d'un nouveau document d'urbanisme, dont il faut souligner la charge élevée pour certains budgets municipaux.
On aboutit même parfois à des situations ubuesques qui pèsent sur la crédibilité des pouvoirs publics. Le maire de Gouville-sur-Mer nous a ainsi confié avoir été condamné à exécuter sa propre décision : après avoir délivré un permis de construire, jugé ensuite illégal puis finalement validé au terme d'une interminable procédure, le juge l'a enjoint de délivrer ce document et l'a condamné à verser une indemnité de mille euros !
Un phénomène de recours abusifs nous a également été signalé à de nombreuses reprises, souvent de la part de quelques associations environnementales isolées et bien identifiées. Il arrive d'ailleurs que l'environnement serve de prétexte à la défense d'intérêts particuliers.
Mme Laurence Rossignol. - C'est bien connu !
M. Jean Bizet, co-rapporteur. - Lorsqu'on analyse la liste des membres de ces associations, on y trouve parfois des riverains ou des propriétaires de résidences secondaires qui espèrent pouvoir jouir du littoral en toute tranquillité et bénéficier de la valeur foncière que leur procure la rareté de leur bien. Il n'est pas question de faire l'amalgame avec les autres associations de protection de l'environnement, dont l'utilité sociale est avérée, qui ont une attitude tout-à-fait responsable et des services juridiques de grande qualité, comme nous l'avons constaté au cours de nos échanges. J'ai été agréablement surpris, au cours des auditions, par le discours extrêmement constructif et pertinent de France Nature Environnement (FNE), qui nous a prodigué de nombreux conseils. Cela contraste fortement avec l'attitude négative de Manche Nature Environnement dans mon département.
Comment en est-on arrivé là ? L'application de la loi Littoral n'a pas été à la hauteur des espérances, pour des raisons plus sociologiques que juridiques.
Les ambiguïtés dans l'attitude de l'administration ont longtemps nuit à la mise en oeuvre sereine de la loi Littoral. L'administration ne fait fondamentalement pas confiance aux élus locaux pour l'exercice de leur compétence d'urbanisme sur le littoral, qui est rappelons-le, une compétence décentralisée depuis 1983. Depuis le début, elle utilise ses prérogatives pour être le véritable meneur de jeu. Le « porter à connaissance » sert ainsi de prétexte pour imposer aux élus une certaine lecture de la loi. Cette lecture est d'ailleurs souvent restrictive, car l'administration craint le contentieux. En outre, la doctrine administrative d'application de la loi Littoral fluctue au rythme des directeurs départementaux des territoires et de la mer (DDTM), ce qui place les élus dans une incertitude totale.
Parallèlement à cette attitude dirigiste, l'administration a fait preuve d'une absence remarquable en matière de décrets d'application. Il aura fallu attendre dix-huit ans pour que les décrets les plus importants, concernant notamment le champ d'application de la loi, soient enfin adoptés, après une injonction sous astreinte du Conseil d'État. D'autres décrets, comme celui sur les rus et les étiers, sont toujours en attente. Je ne parle même pas des rapports du Gouvernement au Parlement, qui n'ont presque jamais été remis, alors que la loi exigeait au départ un rapport annuel sur sa mise en oeuvre.
Le climat s'est un peu apaisé depuis le milieu des années 2000. L'administration fait preuve d'une attitude plus constructive et s'engage dans des démarches de partenariat et d'accompagnement des collectivités. Mais le constat sur le fond ne change guère. L'administration reste convaincue que les élus locaux sont responsables de la mauvaise application de la loi, et refuse de leur faire confiance. Elle prétend aujourd'hui résoudre toutes les difficultés de cette loi grâce aux SCoT et à quelques démarches d'accompagnement. Mais c'est sans compter sur la fiabilité déclinante des services d'ingénierie de l'État et le succès mitigé des SCoT sur le littoral.
Nous attendons donc que l'administration soit capable de clarifier sa propre doctrine d'application, ce qui serait un progrès considérable. Une circulaire est prévue en ce sens pour 2014, espérons qu'elle ne connaisse pas le même sort que la précédente de 2006, qui n'a jamais été correctement mise en oeuvre.
Dans ce contexte institutionnel tendu, les collectivités elles-mêmes n'ont pas toujours joué le jeu de la planification, il faut le reconnaître. Certaines se sont au contraire empressées, au début des années 1990, d'adopter des POS illégaux et mal contrôlés, pour figer les droits de constructibilité. Les élus d'aujourd'hui estiment difficile de remettre en cause des droits considérés comme acquis par leurs concitoyens, avec toutes les conséquences financières et humaines que cela pourrait entraîner. Ce phénomène de POS « dormeurs » devrait néanmoins s'éteindre de lui-même avec l'entrée en vigueur du projet de loi ALUR.
Mais le vrai problème de la loi Littoral est bien son absence de territorialisation, faute d'une planification suffisante et d'une doctrine administrative claire. Depuis près de trente ans, il appartient en pratique au juge administratif de combler cette lacune, en livrant sa propre interprétation de la loi. Il fait ainsi presque systématiquement prévaloir la protection de l'environnement sur toute autre considération de développement local, et s'écarte très largement de la volonté initiale du législateur. Ce n'est pas notre façon de fonctionner en France.
Que faire ? Étant donnés les enjeux, nous avons considéré avec une extrême précaution la question du « toilettage » des notions juridiques de la loi Littoral. Il faut bien avoir à l'esprit que la moindre modification d'une disposition peut avoir des répercussions considérables sur la valeur du foncier, et générer des déséquilibres financiers difficiles à anticiper. Dans l'ensemble, il ne nous a pas paru utile de revenir sur les grands concepts de la loi, à une époque où la jurisprudence commence enfin à se stabiliser. Nous regardons même avec un oeil circonspect la multiplication des petites dérogations ponctuelles qui sont égrenées au fil du temps, la dernière en date étant celle de la loi Brottes de 2013 concernant les ouvrages de raccordement pour les énergies marines. Souvent adoptées par voie d'amendements parlementaires, sans étude d'impact ni expérimentation préalable, ces dérogations ont généré plus de problèmes qu'elles n'en ont résolus.
Nous proposons une seule mesure d'assouplissement. Il s'agit d'autoriser la densification des hameaux par comblement des dents creuses. Il est en effet peu compréhensible que la loi permette de construire des hameaux nouveaux, intégrés à l'environnement, tout en interdisant de boucher les trous dans les hameaux existants. A l'heure où l'on souhaite lutter contre l'artificialisation des sols et la consommation des espaces agricoles, ce signal est irrationnel et désastreux. L'amendement que nous vous proposons a d'ailleurs déjà été voté à l'unanimité par notre commission à l'occasion de l'examen du projet de loi ALUR. L'administration s'y oppose, au nom du dispositif anti-mitage et des risques de dérive. Mais il ne s'agit pas d'introduire du mitage, puisque ces hameaux existent déjà ! Quant aux risques, nous les encadrons par de solides garde-fous, à la fois sur le fond et sur la procédure. Nous prévoyons notamment que le périmètre de ces hameaux ne pourra jamais être étendu, il ne s'agit vraiment que de combler des trous !
Nous préconisons également de durcir l'appréciation des coupures d'urbanisation, autant par souci de protection du littoral, que par mesure de justice. Pour rétablir une forme d'équité, il faut renverser la formule « les gros grossissent et les maigres maigrissent ». En renforçant les coupures d'urbanisation, on impose aux communes les plus urbanisées de mieux réfléchir à leur consommation d'espace. Cela ne pénalise pas les communes plus vertueuses pour lesquelles ces coupures s'imposent naturellement.
Pour le reste, nous ne recommandons pas de modifier davantage les règles d'urbanisme, car le principal problème n'est pas là. Nous l'avons vu, la loi Littoral souffre de son absence de territorialisation. Le législateur avait prévu dès 1986, que ses dispositions puissent être déclinées dans des prescriptions régionales. Ces prescriptions n'ont jamais été mises en oeuvre. À l'époque, les régions venaient à peine d'être créées comme collectivités et les services de l'État ne s'organisaient pas à cet échelon. Ce projet ambitieux avait peu de chances d'aboutir.
Il n'en reste pas moins que la clé de la bonne application de la loi Littoral, réside dans son interprétation locale, car le dispositif a été conçu dans cet esprit. Il ne peut pas fonctionner autrement. Nous avons examiné minutieusement tous les palliatifs qui ont été élaborés en l'absence de ces fameuses prescriptions régionales. Aucune formule n'a réellement été satisfaisante.
Les directives territoriales d'aménagement introduites par la loi Pasqua de 1995 ont souffert d'une gouvernance trop complexe. Il fallait dix ans pour les adopter, et elles étaient obsolètes à peine entrées en vigueur. Il n'y en a que quatre en vigueur sur le littoral.
Les schémas de mise en valeur de la mer, qui permettent une approche intégrée terre-mer, n'ont connu aucun succès, en dépit des assouplissements qu'avait obtenus en 2005 notre collègue Patrice Gélard, auteur du précédent rapport sénatorial sur la loi Littoral. Seulement quatre schémas de mise en valeur de la mer ont été adoptés en trois décennies. Les élus ont peu d'appétence pour cette formule, car ils ont une approche essentiellement terrestre du littoral, tandis que l'État est lui-même réticent à laisser les collectivités s'approprier la gestion du domaine public maritime.
Les SCoT se sont un peu mieux développés, puisque 546 communes littorales sont couvertes par un tel schéma sur un total de 1212. Mais leur périmètre est souvent trop étroit pour développer une véritable vision de l'aménagement du littoral et ils n'ont pas, à juste titre, la force juridique nécessaire pour interpréter les dispositions de la loi Littoral.
Mme Odette Herviaux, co-rapporteure. - L'administration compte aujourd'hui sur le SCoT pour sortir de l'ornière de la loi Littoral. Il est vrai qu'un travail approfondi de planification est nécessaire. Le processus de « grenellisation » des SCoT et des PLU constitue à cet égard une étape importante, qui permettra d'accroître la couverture des communes littorales. C'est pourquoi nous préconisons de rendre obligatoire la traduction et la délimitation de l'ensemble des dispositions particulières au littoral dans les nouveaux SCoT et PLU.
Cependant, dans les cas les plus délicats, il manque toujours un véritable instrument d'interprétation de la loi Littoral. L'administration espère toujours s'en passer. Mais nous suggérons d'en revenir à l'esprit initial de la loi, qui avait précisément prévu un tel dispositif pour gérer la diversité des littoraux. Nous vous avons déjà soumis, à l'occasion de l'examen du projet de loi ALUR, un amendement, approuvé à l'unanimité par notre commission, visant à créer des chartes régionales d'aménagement du littoral. Celles-ci ne sont rien d'autre que des prescriptions régionales ressuscitées, prenant en compte les avancées de la décentralisation. Autrement dit, nous recommandons de confier au conseil régional, soit directement, soit sur saisine des élus des communes littorales, la responsabilité d'élaborer un document simple et souple, dédié à l'interprétation des dispositions particulières au littoral du code de l'urbanisme. Nous prévoyons naturellement tous les garde-fous nécessaires, en donnant notamment un rôle opérationnel d'arbitre au Conservatoire national de la mer et des littoraux (CNML).
Ces chartes régionales d'aménagement du littoral ont bien sûr vocation à être facultatives. Il ne s'agit pas d'introduire de la rigidité là où l'application de la loi ne pose pas de difficultés. Pour leur élaboration, le conseil régional pourra s'appuyer sur les compétences de structures ad hoc, comme des groupements d'intérêt public. Dans la plupart des régions, comme l'Aquitaine ou la Bretagne, ces structures existent déjà et ont développé une expertise remarquable.
Il n'y a donc rien de révolutionnaire dans cette proposition, mais elle est pourtant essentielle. Elle permet de territorialiser la loi en la confiant à ceux qui « font le littoral » au quotidien. Naturellement, cela ne plaît pas à l'administration qui, depuis trente ans, souhaite garder la main sur l'urbanisme. Mais il nous appartient de réaffirmer la position du législateur, en imposant l'application de cette loi telle qu'elle a été votée à la suite d'une longue recherche d'équilibre et de consensus. Je vous rappelle qu'elle avait été votée à l'unanimité.
Enfin, nous préconisons de compléter le volet juridique de la loi Littoral en mobilisant davantage les instruments économiques. N'oublions pas que cette loi n'est que le verrou qui permet d'endiguer la pression sur le marché foncier du bord de mer. Il appartient également à l'État d'intervenir directement pour réguler ce marché.
Les pouvoirs publics disposent pour cela d'un outil de maîtrise foncière. Il s'agit du Conservatoire du Littoral, créé en 1975 soit plus de dix ans avant l'adoption de la loi Littoral, et qui a déjà effectué un travail remarquable. Nous l'avons notamment observé en survolant la Corse. A l'heure actuelle, le Conservatoire protège 13% du linéaire côtier, soit près de 1500 km de rivages répartis sur 830 sites. Dans un référé publié le 4 mars 2013, la Cour des comptes a critiqué le manque d'adéquation des moyens du Conservatoire au regard du caractère excessivement ambitieux de la stratégie 2005-2050, estimant qu'un doublement des ressources est nécessaire pour atteindre les objectifs d'acquisition fixés par l'État. Nous préférons ne pas rentrer dans cette querelle de chiffres.
Nous préconisons néanmoins d'introduire des servitudes environnementales comme outil alternatif à l'acquisition foncière par le Conservatoire. Pour rappel, le principe de ces servitudes est simple : le propriétaire d'un terrain se prive lui-même de la possibilité de certaines plus-values futures liées à la vente de son terrain, qui serait par exemple devenu constructible, et en échange la collectivité peut lui proposer un dédommagement. D'inspiration anglosaxonne, cette démarche a été évoquée lors du Grenelle de l'environnement mais ses modalités pratiques de mise en oeuvre n'ont pu faire l'objet d'un consensus, faute de temps. Il serait judicieux de permettre au Conservatoire du littoral de l'expérimenter. L'avantage est que l'indemnisation d'une servitude pèse moins lourd sur le plan des finances publiques qu'une acquisition en pleine propriété.
Enfin, nous recommandons d'introduire une véritable régulation financière du littoral. Toute politique d'aménagement réclame un certain degré de solidarité fiscale. La loi Littoral ne fait pas exception à cette règle, la question de l'équité étant au coeur des critiques formulées à son encontre.
Ainsi, nous suggérons de compenser les effets pervers de la loi par un mécanisme de péréquation, en introduisant un indicateur du taux d'artificialisation des sols dans la DGF des communes littorales. Il s'agit de faire en sorte que les communes fortement urbanisées contribuent au financement de celles dont le front bâti est peu étendu. Cette compensation est justifiée par le fait que les communes avoisinantes tirent bénéfice des espaces naturels en matière de tourisme ou d'agrément pour leurs habitants, sans avoir à en supporter les charges.
Nous préconisons également d'introduire une mesure de lissage des effets de bords qui rendent la détermination des zonages littoraux si difficile. Il s'agit d'atténuer, en s'inspirant par exemple de la technique des transferts de droits à bâtir, l'écart de valeur entre deux terrains voisins, lorsque l'un est déclaré constructible et l'autre non. La rente issue de la préservation des espaces naturels littoraux est ainsi mieux répartie sur l'ensemble des parcelles de la commune ou de l'intercommunalité.
Voici les grandes lignes de ce rapport. Comme vous pouvez le constater, nous ne proposons que des mesures de bon sens, et nous souhaitons avant tout faire respecter la volonté initiale du législateur. Entre un juge omniprésent et une administration à l'attitude ambiguë, il nous appartient de réaffirmer les grands principes de cette loi, à une époque où les enjeux de gestion intégrée des zones côtières et de croissance bleue dominent les politiques publiques européennes et nationales. Ne laissons pas une fois de plus une réglementation mal appliquée et mal interprétée nous faire prendre du retard par rapport à nos voisins.
M. Michel Teston. - Je souhaite tout d'abord saluer la qualité du travail effectué par Odette Herviaux et Jean Bizet. Je constate que la loi Littoral n'a pas freiné l'urbanisation des côtes, et que les inondations et autres catastrophes naturelles sont de plus en plus nombreuses, comme le confirme malheureusement l'actualité récente. C'est d'ailleurs pour cela que le Gouvernement a annoncé, le 16 janvier dernier, un programme pour lutter contre l'érosion des côtes.
Comment vos propositions s'articulent-elles avec les programmes de gestion intégrée des aménagements annoncés ? Quelles sont vos recommandations pour prévenir le risque d'érosion des côtes, qui me semble insuffisamment traité dans la loi Littoral ? N'y-a-t-il pas un risque de contradiction entre vos propositions et les actions de l'État, qui souhaite protéger les habitants et leurs biens ?
M. Robert Navarro. - Je suis sensible à votre proposition sur la formation des fonctionnaires, qui se réfugient systématiquement derrière la réglementation et évitent de prendre des décisions pourtant nécessaires.
Aujourd'hui, même sur des projets qui font consensus, on dépense des dizaines de millions d'euros en conseils juridiques, en commissions diverses et en contrôles, pour se prémunir de tout recours. Entre un excès de protection environnementale et un développement local trop important, il faut trouver un juste équilibre. Je ne pense pas que nos concitoyens soient favorables à l'idée de vivre dans un écrin splendide pour y crever de faim !
Mettre en place une concertation régionale pour définir en commun une orientation, une vision et un contrôle du développement économique me semble être une bonne démarche. À condition d'y associer tous les services de l'État, parce que bien souvent les problèmes viennent de là !
Il faut éviter également de se perdre dans des démarches de concertation à n'en plus finir, qui engendrent des pertes d'argent et de temps considérables, pour un résultat parfois médiocre. La concertation n'a pas empêché le projet portuaire de Port-la-Nouvelle d'être retardé par les recours intempestifs de quelques illuminés.
Sans parler de l'excès et de l'instabilité des règles, qui menacent sans cesse les projets d'aménagement. Le principal problème de la France réside dans sa volonté d'être en concurrence, sur les questions littorales, avec des pays comme l'Espagne ou l'Italie, qui n'ont pas une réglementation aussi stricte.
Je rappelle que les côtes du Languedoc-Roussillon n'ont pas été abîmées par les élus locaux, mais par l'État. Tous les projets de constructions hérétiques, comme La Grande-Motte, ont directement été portés par l'État. Et c'est ensuite sur les collectivités que l'État fait peser sa réglementation, au nom d'une protection de l'environnement qu'il a lui-même omis de respecter !
Je souhaite vraiment insister sur la formation des fonctionnaires, qui doivent accepter de prendre des risques dans l'intérêt global du territoire, au lieu de mesurer sans cesse les éventuelles conséquences sur leur carrière.
Enfin, j'attire votre attention sur le problème que peut poser l'hébergement des ouvriers, notamment agricoles, lors des pics saisonniers. La communauté d'agglomération du Pays de l'Or s'est saisie du problème mais est confrontée à une loi trop restrictive.
M. Charles Revet. - Deux facettes essentielles de la loi tendent à s'opposer : la première concerne la protection environnementale, et la seconde le développement harmonieux dans des espaces contraints.
Un des problèmes soulevés par les rapporteurs concerne les décrets d'application de la loi, qui n'ont pas été publiés à temps. Il ne faut pas laisser l'opportunité au juge de légiférer à notre place. Je partage sur ce point l'opinion de Robert Navarro : nous devons affirmer notre rôle de législateur !
Ensuite, il faut réfléchir à la protection contre les risques d'inondation et de submersion. Certains artifices permettent d'allier protection et développement économique : les enrochements d'Étretat ou les digues du port pétrolier d'Antifer, ont par exemple permis le développement de la production de crustacés. Permettre ce développement économique local est nécessaire.
Dans le futur, la mer permettra de nourrir une grande majorité de la population mondiale. La France, avec son littoral important, doit s'y préparer et soutenir la production aquacole. Or celle-ci a diminué de moitié car l'implantation des infrastructures nécessaires est devenue impossible. Il faut réfléchir localement à protéger le littoral sans compromettre le développement aquacole.
Mme Hélène Masson-Maret. - La loi Littoral est un sujet passionnant, mais polémique. Comment peut-on concilier les deux pôles de la loi que sont l'environnement et le développement local ?
Je ne partage pas l'opinion de Michel Teston : la loi a bien freiné le développement, immobilier surtout. Mais si on assouplit la loi, ne risque-t-on pas d'ouvrir la boîte de Pandore ?
Par ailleurs, je m'interroge sur le décret relatif aux concessions de plages, qui est au coeur de la loi Littoral. Ce point est-il abordé dans le rapport ? L'enjeu est majeur, car le dispositif manque de transparence et les conséquences prennent une ampleur catastrophique dans le Var. La commission doit s'y intéresser.
Mme Laurence Rossignol. - Je suis assez perplexe sur la recommandation préconisant d'introduire des servitudes environnementales comme outil alternatif à l'acquisition foncière par le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres (CELRL). Je pense que ce dernier remplit d'ores et déjà très bien ses missions environnementales : pourquoi parler d'alternative ?
Je soutiens les ambitions environnementales de la loi Littoral. Quelle place accordez-vous aux enjeux environnementaux de certaines activités qui se développent en retrait du littoral, mais finissent par le polluer ? Je pense notamment à l'extension des algues vertes, tant en volume qu'en surface affectée.
Mme Odette Herviaux, co-rapporteure. - Il est vrai que le bon équilibre entre protection et aménagement est très difficile à déterminer. Les préoccupations environnementales ne sont pas absentes de notre rapport, notamment lorsque nous proposons de durcir l'appréciation des coupures d'urbanisation ou de combler les dents creuses des hameaux pour limiter la consommation d'espaces naturels et agricoles. Il ne s'agit évidemment pas d'élargir le périmètre de ces hameaux, mais simplement de faire de la densification.
Pour répondre à Michel Teston, sur les questions d'érosion et de submersion, nous émettons un certain nombre de recommandations à la fin du rapport, concernant l'extension de la bande des cent mètres, l'utilisation de modèles numériques de terrain et l'expérimentation du recul stratégique des activités. Une connaissance fine du terrain est nécessaire pour apprécier correctement ces nouveaux défis, ce qui plaide une fois encore, en faveur de la régionalisation de la loi Littoral, en étroite collaboration avec les services déconcentrés de l'État.
Il n'y a pas de contradiction entre nos propositions et les démarches de gestion des aménagements côtiers. L'État assume son rôle régalien en matière de sécurité des habitants, et cela ne me semble pas incompatible avec une application décentralisée de la loi Littoral.
Robert Navarro a souligné la nécessité de trouver des solutions pour ne pas freiner le développement économique à moyen terme, en citant à juste titre l'exemple des ports maritimes. La conciliation de cet objectif avec les règles d'urbanisme doit s'effectuer dans le cadre des documents d'interprétation de la loi et de planification de l'espace littoral, comme nous le suggérons. Quant à la problématique de l'hébergement des saisonniers agricoles sur le territoire du Pays de l'Or, nous l'évoquons très précisément dans le rapport.
Charles Revet s'inquiète, à juste titre, du fait que le juge fasse aujourd'hui la loi sur le Littoral.
M. Charles Revet. - Pas seulement sur le littoral, d'ailleurs !
Mme Odette Herviaux, co-rapporteure. - Nous essayons précisément de faire en sorte que la volonté du législateur soit enfin respectée, c'est tout le sens de nos propositions.
Je tiens cependant à rassurer Hélène Masson-Maret, nous avons conscience de la fragilité de l'équilibre sur le littoral. Nous ne souhaitons pas ouvrir la « boîte de Pandore environnementale ». Aucun élu ne peut se faire élire sur un projet de bétonnage de la côte, il est temps de sortir de cette vision culpabilisante qui sied à l'administration. Nous faisons confiance aux élus, et la région nous semble être le bon échelon pour gérer la dimension géographique de la loi Littoral.
Mme Hélène Masson-Maret. - C'est une très bonne mesure, en effet !
Mme Odette Herviaux, co-rapporteure. - Le législateur l'avait déjà prévu en 1986. Nous ne pouvons pas laisser les maires seuls face à l'insécurité juridique de la loi Littoral, aux conséquences ahurissantes et parfois dramatiques. Nous ne venons pas « au secours des maires » pour les aider à bétonner leurs côtes, mais pour les sortir de l'ornière juridique de cette loi. Jean Bizet a cité l'exemple du maire de Gouville-sur-Mer, condamné à exécuter sa propre décision et à verser des dommages et intérêts. Nous ne pouvons pas tolérer ces situations sans rien dire !
Mme Laurence Rossignol. - Prenez-vous également en compte les avancées récentes en matière de permis de construire ? Le Président de la République vient encore d'annoncer une simplification des procédures.
Pour faire entièrement confiance aux élus, il faut les aider à hiérarchiser les priorités environnementales. Bien souvent, faute de pouvoir appliquer toutes les règles, on n'en applique aucune !
Quant à l'introduction de servitudes environnementales, je n'ai toujours pas saisi en quoi cela pouvait soutenir l'action du Conservatoire du littoral, dont les objectifs doivent impérativement être maintenus.
M. Jean Bizet, co-rapporteur. - Ces servitudes permettraient précisément au Conservatoire de dégager des marges de manoeuvre financières pour atteindre ses objectifs. Elles coûtent moins cher qu'une acquisition en pleine propriété, donc l'emprise foncière du Conservatoire pourrait être plus étendue à moyens constants.
En ce qui concerne la hiérarchisation de l'action des maires, les chartes régionales d'aménagement du littoral (CRAL) devraient précisément permettre d'inscrire plus facilement les projets dans une planification stratégique du territoire. Il ne s'agit pas de réécrire la loi Littoral, mais bien de mieux l'interpréter localement, sous le contrôle du Conseil national de la mer et des littoraux (CNML).
Notre rapport intègre les avancées récentes en matière de permis de construire, de documents d'urbanisme et d'encadrement des recours malveillants. Il fait notamment le point sur les apports de l'ordonnance du 18 juillet 2013, du décret du 1er octobre 2013 et du projet de loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR).
Nous n'avons effectivement pas abordé le décret relatif aux concessions de plages, car il relève du domaine réglementaire pour la gestion du domaine public maritime. La loi Littoral a clairement défini la répartition des rôles, et il ne nous paraît pas judicieux de revenir sur ce point.
Globalement, toutes les autres questions se recoupent. Je rappelle que nos principales propositions sont de deux ordres. Il s'agit en premier lieu de combler les dents creuses des hameaux, afin de limiter notamment la consommation d'espaces agricoles. Nous mettons de nombreux verrous de sécurité, en empêchant notamment toute extension future du périmètre de ces hameaux. Nous proposons en parallèle de durcir les coupures d'urbanisation, justement pour faire en sorte que les communes déjà très urbanisées soient plus attentives à leur consommation d'espaces naturels et agricoles.
Pour le reste, nous sommes d'accord avec Hélène Masson-Maret. Montesquieu affirmait qu'« on ne doit légiférer que d'une main tremblante ». C'est particulièrement vrai dans le cas de la loi Littoral. Je sais que dans mon département, les maires s'attendent à beaucoup plus et ils ne vont pas tous être contents, mais je les avais prévenus. Cela ne sera pas le « grand soir » de la loi Littoral.
En revanche, et c'est le second temps fort de nos propositions, nous souhaitons donner aux élus les moyens de prendre leurs responsabilités, à travers le dispositif des chartes régionales d'aménagement du littoral (CRAL). Il s'agit de permettre à ceux qui « font le littoral au quotidien » d'expliquer comment doivent être entendues, dans leur région, les notions d'espace urbanisé, de hameau, de capacité d'accueil, etc. Il s'agit de territorialiser l'interprétation de la loi Littoral, et non de la réécrire.
Deux cas de figure se présenteront. Si la loi Littoral ne pose localement aucun problème d'application, rien ne changera. En revanche, lorsque des difficultés sont relevées, le conseil régional devra rédiger cette charte d'interprétation dans les trois ans, en s'appuyant éventuellement sur des structures existantes, comme l'a fait le GIP Littoral Aquitain. Il faut absolument que les élus locaux puissent se saisir eux-mêmes des difficultés qu'ils rencontrent. D'où le titre de notre rapport : « Plaidoyer pour une décentralisation de la loi Littoral : un retour aux origines ».
Entre 1986 et 2006, il ne s'est absolument rien passé. Les maires et leurs concitoyens ont souffert de l'interprétation à géométrie variable de la loi par les services de l'État. Il ne s'agit pas pour autant de « pétarder » la loi Littoral, cela ne serait pas acceptable. En revanche, nous donnons les moyens de faire du développement économique dans le cadre de projets de territoire.
C'est pour cela que nous proposons également de développer les systèmes de péréquation financière à l'échelle de bassins géographiques. Il faut mettre en place des compensations pour les communes qui choisissent de favoriser la protection de l'environnement, car ces espaces préservés profitent ensuite aux communes avoisinantes qui en retirent des bénéfices touristiques ou en termes de loisirs pour leurs habitants.
Enfin, il reste à trouver un véhicule législatif pour nos propositions : la prochaine loi de décentralisation pour les chartes régionales et le projet de loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt (LAAAF) pour le comblement des dents creuses des hameaux, semblent être des pistes prometteuses. Il faudra se battre, car on ne peut pas accepter aujourd'hui que l'administration ne fasse pas confiance aux élus locaux.
La publication du rapport d'information est autorisée à l'unanimité.
Mercredi 22 janvier 2014
- Présidence de M. Raymond Vall, président -Financement des collectivités et développement économique local - Audition de Mme Odile Renaud-Basso, directrice générale adjointe du groupe Caisse des dépôts
M. Raymond Vall, président. - Nous sommes très heureux d'accueillir Mme Odile Renaud-Basso, directrice générale adjointe de la Caisse des dépôts et consignations, également directrice des fonds d'épargne. Cette audition fait suite à celle de Jean-Pierre Jouyet et à un déjeuner duquel le bureau de notre commission est sorti plein d'espoir après l'exposé que vous y avez fait des outils et des moyens de la Caisse des dépôts pour aider les collectivités locales dans leur développement - j'avoue même que nous avons été ébahis par le montant de l'enveloppe à votre disposition, à l'heure où le SNIT ne paraît plus qu'un vieux souvenir... L'aménagement du territoire est au coeur des compétences de notre commission, nos collectivités locales manquent toujours plus cruellement de moyens pour leurs projets : aussi nous écouterons-vous avec grande attention, en espérant que de fructueuses relations de travail se noueront à cette occasion.
Mme Odile Renaud-Basso, directrice générale adjointe de la Caisse des dépôts et consignations. - Je suis très heureuse de venir devant vous, établir des relations de travail régulières : c'est une première avec votre commission, dont les compétences nous concernent directement. Depuis près de deux siècles, la Caisse des Dépôts - dont la loi dit qu'elle est « un groupe public qui remplit des missions d'intérêt général, au service du développement économique des territoires et en appui des politiques publiques nationales et locales » - a fait du développement économique des territoires le fil rouge de son action.
Pour conforter notre rôle de partenaire privilégié des collectivités, notre plan stratégique a identifié cinq priorités : la transition écologique et énergétique ; le développement des entreprises ; le numérique ; le logement, social et intermédiaire ; les infrastructures et la mobilité durables.
Notre intervention prend diverses formes : des prêts de la direction des fonds d'épargne, des investissements en fonds propres, la gestion d'une partie du programme d'investissement d'avenir (PIA), ainsi qu'une action d'opérateur à travers nos filiales, par exemple Efidis, ou encore la Compagnie des Alpes. Nous mobilisons ainsi l'ensemble de nos métiers et de nos compétences au service des territoires.
A travers son fonds d'épargne, d'abord, la Caisse finance des projets des collectivités : c'est notre rôle majeur, notre fonction historique, consistant à protéger l'épargne populaire et à transformer cette ressource liquide de court terme en investissements de long terme pour des projets d'intérêt général. C'est la mission de la direction des fonds d'épargne qui finance du logement social, des projets relevant de la politique de la ville et des projets structurants portés par les collectivités.
Entre 2005 et 2012, notre volume d'activité est passé d'environ 5 milliards à 25 milliards d'euros annuels, ce qui représente 6% de l'investissement global en France et 1,2 % du PIB - et ce qui fait de la Caisse, en plus du premier financeur du logement social, un acteur essentiel de l'économie locale.
Nous prêtons à long et très long terme, à 30-40 ans, voire 60 ans, ce que les banques ne font pas ; les taux sont les plus bas possibles, sans différenciation entre les emprunteurs, ce qui permet une certaine mutualisation entre territoires ; enfin, nos prêts sont distribués par le réseau des 25 directions régionales de la Caisse, au plus près du terrain.
Le fonds d'épargne est mobilisé pour réaliser l'objectif gouvernemental de construire 150 000 logements sociaux par an : en 2012, nous avons accordé des prêts pour la construction de 105 000 logements, puis pour 110 000 logements en 2013 ; nous intervenons également pour une offre adaptée aux personnes âgées et pour la rénovation thermique du parc - à ce titre, nous avons aidé 200 000 logements l'an passé.
Depuis la crise de 2008, nous avons diversifié nos prêts en direction des collectivités et du secteur public local en général, pour la réalisation ou la réhabilitation lourde de grands équipements, d'infrastructures de transports, d'hôpitaux, ou encore d'universités. Alors que le crédit bancaire se raréfiait, nous avons mobilisé en urgence, pour la trésorerie des collectivités locales et des grands établissements publics, 5 milliards en 2008 et 10 milliards en 2011 puis en 2012, qui se sont ajoutés aux 11,5 milliards « thématiques » sur 2008-2013 pour des projets d'infrastructures de transport, hospitalières, d'enseignement supérieur et d'assainissement. Nous avons ainsi pu contribuer aux LGV Tours-Bordeaux, Rhin-Rhône, Est et Bretagne, à des transports en commun en site propre (TCSP), ainsi qu'au Plan campus et au Plan Hôpital 2012.
Fin 2012, nous avons dégagé une enveloppe de 20 milliards sur 2013-2017, pour des investissements de long terme portés par les collectivités territoriales. Les conditions d'utilisation ont été assouplies : au lieu du « fléchage » thématique habituel, nous avons choisi de soutenir tout type d'investissement qui justifie un financement de long terme. Cette enveloppe est ouverte aux collectivités locales et à leurs groupements, aux régies, aux centres communaux d'action sociale (CCAS), aux sociétés publiques locales, aux sociétés d'économie mixte (SEM), aux établissements publics de santé et aux établissements universitaires.
Tous les investissements de long terme sont donc désormais potentiellement éligibles : la construction et la rénovation lourde de bâtiments publics - universitaires, scolaires, sportifs, hospitaliers - les projets de voirie, d'infrastructures de transports et de matériel roulant, les infrastructures environnementales - déchets, eau, assainissement -, les infrastructures de très haut débit numérique ou encore les investissements dans le cadre des futurs contrats de plan Etat-régions.
Ensuite, et c'est très important pour le financement des « petits projets », le cofinancement n'est plus obligatoire pour les emprunts inférieurs à 1 million d'euros : la Caisse peut les financer intégralement, un cofinancement de 25 % est nécessaire jusqu'à 2 millions puis, au-delà, le plafond habituel de 50 % s'applique.
Cette enveloppe a tout de suite rencontré le succès : nous avons engagé 3,6 milliards fin 2013, par exemple pour la rénovation du CHU de la Réunion, l'extension du métro de Lille, ou encore des réseaux très haut débit en Haute-Savoie. Il y a aussi un grand nombre de « petits » projets, les montants inférieurs à 2 millions représentant 70 % des dossiers.
Le contexte a rapidement changé ces dernières années, avec le retour des banques commerciales sur le marché, l'intervention de La Banque Postale pour des prêts jusqu'à vingt ans - leur encours atteint 4 milliards l'an passé -, et le relèvement à 7 milliards des interventions de la Banque européenne d'investissement en France - nous nous sommes rapprochés d'elle, pour intervenir à parité sur certains projets.
La Caisse, ensuite, intervient dans les territoires en y investissant des fonds propres ou, à travers des filiales concurrentielles, en tant qu'opérateur. Les années électorales ne sont guère propices au lancement de grands projets d'investissement local, mais l'importance des collectivités se mesure à ce qu'elles réalisent 70 % de l'investissement public national. Lorsque nous intervenons en fonds propres par nos filiales, nous nous appuyons sur notre direction du développement territorial et du réseau, qui réunit plusieurs expertises dédiées au développement économique local et à la compétitivité des territoires. A ce titre, nous développons une offre immobilière - hors logement - pour les projets d'intérêt général des collectivités, par exemple la requalification urbaine ; nous accompagnons des projets locaux de production d'énergie renouvelable et des projets de performance énergétique des bâtiments publics ; nous participons à des projets relevant de l'économie de la connaissance : université, valorisation de la recherche, ou encore à des projets relevant de l'économie sociale et solidaire - notamment le volet entrepreneuriat ; nous accompagnons le programme national de rénovation urbaine (PNRU), ainsi que les projets d'infrastructures et le développement des usages numériques - cette liste n'est pas exhaustive, puisque nous avons adopté une logique transversale.
Nous intervenons dans des situations de carence de marché et pour garantir un développement territorial équilibré, selon des modalités d'investisseur avisé de long terme, en vue d'un développement durable.
Pour la couverture numérique du territoire, nous aidons les collectivités à trouver des solutions adaptées aux spécificités des différents territoires. Nous participons au « Plan France Très haut débit », en tant qu'opérateur du fonds pour la société numérique (FSN) dans le cadre du PIA, tout en prêtant aux collectivités pour leurs réseaux d'infrastructures - nous mutualisons ainsi nos interventions.
A travers nos filiales, enfin, nous intervenons sur des sujets très divers. Le tourisme, par exemple, est l'une de nos priorités, nous agissons avec les collectivités locales - voyez, par exemple, l'action de la Compagnie des Alpes pour les stations de ski. CDC-Infrastructures, autre exemple, participe à des grands projets dans les domaines des transports, de l'énergie, des télécoms, que ce soit en PPP ou en concessions ou en actionnaire minoritaire - c'est le cas par exemple pour la LGV Tours-Bordeaux ou le viaduc de Millau.
Sur tous ces projets, la Caisse entend devenir un pivot de l'ingénierie publique, technique et financière dans les territoires ; en nous appuyant sur l'expertise de notre réseau territorial, sur nos outils de diagnostics territoriaux, nous entendons aider les collectivités à trouver le meilleur financement, et plus largement, dans la mesure de nos compétences, les meilleures solutions pour leur développement.
M. Michel Teston. - Vous exposez très clairement la nouvelle stratégie de la Caisse des dépôts en ce qui concerne le développement local ; cette stratégie était attendue, elle est donc bienvenue. Cependant, des collectivités se trouvent en difficulté pour avoir contracté des emprunts toxiques : comment pouvez-vous intervenir, sachant que les élus actuels ne sont pas toujours ceux qui ont contracté ces emprunts ?
Le Premier ministre, ensuite, a annoncé en juillet la mobilisation de 20 milliards d'euros dans le cadre du Plan « Investir pour la France », avec une priorité pour le déploiement du haut-débit : comment comptez-vous accompagner ce plan ? Avez-vous défini des critères, en particulier pour intervenir en priorité dans les zones les moins desservies, celles où les opérateurs viennent plus difficilement ?
On a vu la Caisse des dépôts, pour se désengager de Transdev, céder une part à Véolia, puis Véolia se défiler après deux ans à peine... conduisant la Caisse à se porter acquéreur de cette part délaissée, ce que l'Autorité de la concurrence doit d'abord autoriser ; comprenne qui pourra l'intérêt de tous ces mouvements, mais la question se pose : que compte faire la Caisse pour l'avenir, sachant qu'elle n'a pas vocation à être un opérateur de transport ?
Enfin, quelles sont vos intentions pour accompagner les propositions de la commission Mobilité 21, en particulier son scénario n°2 sur le SNIT ?
Mme Évelyne Didier. - Je veux témoigner de la disponibilité et de la compétence des directions régionales de la Caisse : nous y trouvons des interlocuteurs qui comprennent nos projets, y compris ceux des petites communes, c'est appréciable. Vous nous confirmez que la Caisse a changé sa perspective : au lieu d'une aide à des projets ciblés, des programmes thématiques étroitement délimités, elle soutient désormais les projets structurants des collectivités, la différence est de taille pour les communes lorsque l'aide des régions et des départements recule brutalement.
Une question cependant : à quels taux prêtez-vous, et plus précisément, non seulement dans l'opération « privilège » que vous offrez jusqu'en juin prochain, mais au-delà ?
M. Charles Revet. - Je confirme que les directions régionales de la Caisse sont de véritables partenaires de notre développement - et vous en remercie. Deux questions : la location-accession de logement social est-elle éligible à votre soutien ? Quelles conditions faites-vous aux établissements spécialisés qui, sans avoir le statut d'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), ciblent l'accueil de personnes âgées ?
M. Henri Tandonnet. - Je remercie également la Caisse des dépôts de soutenir les collectivités locales et de l'avoir fait à une période critique où les banques faisaient défaut, de même que je vous remercie d'entretenir ce réseau territorial qui nous permet d'avoir des interlocuteurs fiables.
En milieu rural, les réseaux d'eau potable et d'assainissement ont de l'âge, il faudra bientôt les rénover : comment pouvez-vous nous y aider ?
Vous êtes partenaire de la LGV Tours-Bordeaux, le serez-vous de son prolongement Bordeaux-Toulouse ? Le Gouvernement vous a-t-il demandé d'y travailler ? Envisagez-vous d'aider les collectivités locales à y prendre leur part de financement ?
M. Ronan Dantec. - J'aimerais connaître les intentions de la Caisse des dépôts envers la transition énergétique. A Nantes, nous envisageons la construction d'une grande centrale photovoltaïque, d'un coût de plusieurs centaines de millions ; la Caisse en serait-elle partenaire ? Peut-on envisager un financement qui n'endette pas les collectivités locales, sachant que ce projet a vocation à être rentable ? Plus largement, quel accompagnement envisagez-vous, à l'échelle nationale ?
Autre enjeu, la réhabilitation des logements, qu'on sait buter sur un problème d'accès au crédit par les ménages : la Caisse des dépôts est-elle prête à garantir des emprunts ?
M. Hervé Maurey. - La Normandie aussi voulait une LGV, mais sachant ce que cette ligne est devenue dans le projet du Gouvernement, je ne vous demanderai pas si la Caisse est disposée à en être partenaire... De même, je n'aurai pas l'optimisme de mes collègues de la majorité envers le prétendu « retour de l'Etat » dans nos territoires : c'est tout l'inverse que l'on constate dans nos collectivités - par contraste avec la Caisse des dépôts qui, elle, est à nos côtés, avec constance, et qui était à nos côtés pendant les années difficiles 2010-2011, ce dont je vous remercie.
Vous évoquez l'ingénierie territoriale que la Caisse mobilise : cette ingénierie concerne-t-elle seulement le financement des projets, ou bien peut-elle aller au-delà, sur d'autres compétences ? Je pense en particulier au numérique, où la Caisse me paraît la seule à pouvoir faire le poids face au lobby des opérateurs : nous agissons trop souvent en ordre dispersé, la Caisse a tout son rôle à jouer pour fédérer les initiatives, multiplier les échanges d'expériences, soutenir les meilleures méthodes - comptez-vous accepter cette mission ?
M. Marcel Deneux. - Ne le prenez pas personnellement, mais je serai moins enthousiaste que mes collègues : pour moi, vous ne faites qu'appliquer une politique générale, que vous ne définissez guère et qui manque de cohérence. C'est vrai pour la mobilisation de l'épargne : faute de soutien à l'épargne populaire, vous devez vous financer sur les marchés ; dans le même temps, le réseau de la Caisse, en faisant remonter l'épargne à Paris avant de la prêter aux collectivités, assèche les ressources en région ; le tout n'est pas sans incidence sur les taux auxquels vous prêtez : votre marge est supérieure à la couverture du risque bancaire habituel, d'autant que vous avez une gestion qu'on peut qualifier de facile puisque vous vous adossez à l'Etat - au point qu'on peut se poser cette question : si la Caisse devait répondre aux mêmes exigences de rentabilité que les banques, prêterait-elle aux taux actuels ?
Le manque de cohérence de la politique financière de notre pays se confirme lorsque les banquiers recommencent la titrisation sur des prêts immobiliers - et qu'ils le réclament à cor et à cri, parce qu'ils y voient une « bouffée d'oxygène » : ne repart-on pas sur la mauvaise voie, celle qui nous a conduit à la crise financière ?
Plus près de vous, les trois principaux dirigeants de Dexia viennent d'augmenter leur rémunération de 30 %, alors que cette entreprise n'est certainement pas un modèle de bonne gestion : quel est le rôle de la Caisse, que pesez-vous dans cette gestion ?
Finalement, la principale action que je reconnais à la Caisse, puisque pour l'ensemble vous ne faites qu'appliquer une politique générale que vous ne décidez pas, c'est celle d'augmenter les coûts bancaires, avec son système de prélèvement centralisé : ne vaudrait-il pas mieux laisser la collecte de l'épargne aux régions ?
M. Yves Rome. - Je me joins aux témoignages d'excellence du partenariat avec la Caisse des dépôts, et du soutien qu'elle a apporté aux collectivités locales quand les banques faisaient défaut - même Hervé Maurey l'a reconnu, ce n'est pas rien... Je reprendrai aussi la question de Michel Teston sur le dossier Transdev-Véolia, qui a une incidence directe sur la plateforme aéroportuaire de Beauvais : quel avenir pour la participation de la Caisse dans Transdev ? Autre question qui intéresse ma région et bien au-delà : comment la Caisse compte-t-elle accompagner le projet du canal Seine-Nord-Europe, que Bruxelles devrait subventionner à 40 % ?
M. Vincent Capo-Canellas. - Je salue l'intervention de Marcel Deneux et m'y reconnais, même si je dois avouer ne pas avoir l'esprit aussi juvénile et révolutionnaire que lui ! (Sourires)
La Caisse des dépôts est aux côtés des collectivités locales, je peux en témoigner pour avoir signé l'un des tout premiers prêt de long terme « Gaïa » pour une opération autre que du logement social - il s'agissait de racheter des friches militaires à l'Etat, dans une opération à vocation économique en partenariat, notamment, avec Eurocopter. Ce type de prêt sera-t-il maintenu ? Ce serait très utile en particulier pour le portage foncier et l'aménagement des gares du Grand Paris : dans quelle mesure la Caisse se mobilisera-t-elle ?
Les problèmes de transports en Ile-de-France, ensuite, qui ont atteint un niveau insoutenable - la semaine dernière, par exemple, le RER B a été bloqué toute une journée : des centaines de milliers de voyageurs ont été coincés, en particulier des voyageurs arrivés à Roissy-Charles-de-Gaulle, obligés de descendre sur les voies avec leurs bagages pour atteindre des bus de remplacement... -, ces difficultés sont si criantes et fréquentes, qu'elles affectent la compétitivité de notre pays tout entier. N'y a-t-il pas là un problème d'ordre national, qui appelle une mobilisation spécifique ? Qu'en pensez-vous et que pourriez-vous faire ?
M. Jean-Jacques Filleul. - Comme mes collègues, je me félicite des relations que j'entretiens avec la direction régionale de la Caisse des dépôts, j'y ai trouvé de véritables interlocuteurs et fait souscrire à ma collectivité un prêt « Gaïa ».
Une question : avez-vous participé au financement du contrat avec Ecomouv ?
Jusqu'à quel niveau, ensuite, contribuez-vous au financement des EHPAD ? Et pour les projets d'unités de production énergétique ? Quelle est votre participation à la LGV Tours-Bordeaux ?
Pour finir, et sans provocation aucune, je ne partage guère l'opinion amère d'Hervé Maurey sur la présence de l'Etat dans les territoires : je crois que l'Etat est revenu à nos côtés, comme stratège - et que ce retour est à mettre à l'actif du Gouvernement !
M. Hervé Maurey. - Ne me provoquez pas, mon cher collègue !
M. Raymond Vall, président. - J'ajouterai une question : dans quelle mesure la Caisse des dépôts pourrait-elle aider les collectivités locales à faire partie du tour de table, donc à être de véritables investisseurs, dans les énergies renouvelables ? Les collectivités, en particulier dans la ruralité, ont tout intérêt à participer aux projets, pour avoir un retour sur investissement - ou bien elles n'auront plus rien, à force qu'on leur retire tout moyen d'action...
Mme Odile Renaud-Basso. - Je suis impressionnée et me réjouis du nombre et de la précision de vos questions.
La Caisse des dépôts prête, jusqu'au 31 juillet prochain, au taux du Livret A augmenté de 100 points de base - ce devrait être 130 points ensuite -, soit un taux de 2,25 % pour des durées de 20 à 40 ans : c'est très bas. Nos marges sont-elles importantes ? Je ne le pense pas, parce qu'il faut compter la commission que nous reversons aux banques pour la collecte du Livret A : au total, notre marge est même plutôt faible. Nous nous adaptons aux circonstances : le relèvement du plafond du Livret A, par exemple, a provoqué l'été dernier un fort afflux de collecte, à 50 milliards, soit bien au-delà des demandes de prêts ; les banques ayant elles-mêmes besoin de liquidités, nous leur en avons accordé pour 30 milliards, à charge pour elles de baisser le tarif auquel elles nous transfèrent la ressource du Livret A : notre capacité d'action n'a pas été diminuée et la ressource nous est revenue moins chère, tandis que les banques ont trouvé des liquidités qui leur manquaient - c'est un accord gagnant-gagnant.
Le prêt « Gaïa » qui finance l'acquisition et le portage du foncier est appelé à durer : nous avons de la visibilité jusqu'en 2017, en ce qui concerne les prêts de long terme de l'enveloppe de 20 milliards d'euros, et nous proposons de continuer - mais le débat avec Bercy sur le dispositif qui prévaudra après 2017 n'est pas tranché.
La location-accession fait partie des emplois éligibles : elle peut être financée par le prêt social de location-accession (PSLA), distribué par les banques avec un refinancement possible auprès de la Caisse.
Les établissements spécialisés pour l'accueil des personnes âgées : s'ils comprennent du logement, nous aidons la partie logement social, avec nos outils classiques en la matière ; sinon, nous intervenons par un prêt à la collectivité qui porte le projet.
La transition énergétique fait partie de nos axes prioritaires, en particulier la réhabilitation des logements privés. Nous reprenons à notre compte la proposition de Pierre Ducret, le PDG de CDC-Climat : mettre en place un fonds de garantie pour les emprunts bancaires servant à la rénovation du logement, en le finançant par les certificats d'économie d'énergie, ce qui devrait lever un verrou important. Nous avons également des programmes importants pour la rénovation thermique des bâtiments publics, avec un volet expertise auprès des collectivités locales - c'est l'objet d'Exterimmo, que nous mettons en place pour aider les collectivités à moderniser leur patrimoine.
La Caisse soutient également des projets d'énergie renouvelable d'envergure modeste par des apports en fonds propres ; les collectivités locales font généralement partie du tour de table, nous y avons consacré 150 millions d'euros en 2011-2013, pour une capacité globale d'environ 500 mégawatts. Les projets plus importants entrent tout à fait dans nos priorités : nous les examinons au cas par cas.
M. Ronan Dantec. - Quel volume financier la Caisse des dépôts consacre-t-elle à la transition énergétique ?
Mme Odile Renaud-Basso. - Nous élaborons une feuille de route, je ne saurais vous répondre précisément avant quelques semaines.
Pour l'équipement numérique du territoire, nous appliquons les critères définis par le Gouvernement, en particulier la différenciation des territoires selon la densité des réseaux et, pour le financement, selon le niveau de ressources disponibles. Nous intervenons à plusieurs titres sur ce chapitre : en tant que gestionnaire d'une partie du PIA pour le compte de l'Etat ; comme prêteur, pour des projets des collectivités ; enfin, nous soutenons aussi les usages d'internet et les services numériques - par exemple les études de faisabilité et le lancement de services d'e-santé, d'e-éducation ou d'e-université.
La Caisse des dépôts entend reprendre la majorité de Transdev ; l'accord trouvé dans ce sens comprend des conditions suspensives liées à la SNCM, laquelle connaît les péripéties que vous savez ; notre participation majoritaire sera utile aux territoires : c'est sa justification première.
Chacun comprendra que je me garde de toute annonce sur les grands projets d'infrastructures de transports et sur le SNIT en général ; la Caisse a des outils pour intervenir, sur tous types d'infrastructures, que ce soit par des prêts ou en fonds propres dans le cadre de PPP ; cependant, alors que les moyens publics se raréfient, il est clair que la Caisse ne saurait remplacer l'intégralité des subventions prévues sur ces projets, européennes ou nationales.
M. Raymond Vall, président. - Qu'en est-il, par exemple, pour les programmes de modernisation des itinéraires routiers (PDMI) ? L'Etat refuse de mettre plus de 40 % de l'entretien des routes nationales concernées - il en reste quelque 11 000 kilomètres... -, les régions se retirent, les départements n'ont guère de moyens : comment la Caisse des dépôts peut-elle aider les communes et les agglomérations à entretenir ces routes ?
Mme Odile Renaud-Basso. - Nous sommes autorisés à prêter pour ce type d'investissements depuis très peu, mais ces prêts doivent figurer dans la dette des collectivités ; un montage « déconsolidant » est difficile en la matière, ce qui ne nous interdit pas d'en examiner la possibilité.
M. Raymond Vall, président. - Ces projets peuvent faire l'objet d'un budget annexe des collectivités locales, ce serait déjà un progrès...
Mme Odile Renaud-Basso. - Sur la LGV Tours-Bordeaux, la Caisse a engagé 1,5 milliard, dont la moitié en prêts à la société de projet, sur un montant global de 8 milliards.
La Caisse a fait partie du PPP pour le montage d'Ecomouv, nos financements doivent intervenir lors de la mise en service, nous nous y sommes engagés car ce projet figurait parmi les projets prioritaires au titre de l'enveloppe de prêts pour les infrastructures 2009-2013.
Sur le Grand Paris, nous finançons le portage foncier des gares, aussi bien que les projets de rénovation d'équipements ou de nouvelles lignes ; nous pourrions également financer le STIF et la Société du Grand Paris, sous réserve que la loi de finances apporte la garantie de l'Etat.
La rénovation des réseaux d'eau potable est parfaitement éligible à nos financements.
La Caisse des dépôts n'est pas en première ligne pour les emprunts toxiques, mais nous avons ouvert une ligne de crédit de 12 milliards à la Société de financement local (SFIL), qui a repris Dexia. Cependant, nous n'avons pas la compétence d'intervenir directement dans les négociations entre la SFIL et les collectivités concernées. Enfin, quoique nous ayons perdu beaucoup d'argent dans l'affaire Dexia, nous ne sommes qu'un actionnaire minoritaire, non décisionnaire pour la gouvernance de l'entreprise.
M. Raymond Vall, président. - Nous vous remercions pour toutes ces informations.
Nationalisation des sociétés concessionnaires d'autoroutes et affectation des dividendes à l'agence de financement des infrastructures de transport - Examen des amendements de séance
La commission examine les amendements sur la proposition de loi n° 59 (2011-2012), présentée par Mme Mireille Schurch et plusieurs de ses collègues, relative à la nationalisation des sociétés concessionnaires d'autoroutes et à l'affectation des dividendes à l'agence de financement des infrastructures de transport.
M. Ronan Dantec. - Mon groupe soutiendra cette proposition de loi destinée à réparer l'erreur de la privatisation, qui nous coûte cher en termes de manque à gagner. L'amendement que je vous propose s'inscrit dans l'esprit de cette loi. Je l'avais déjà présenté en séance, et le ministre des transports s'était prononcé contre, à mon grand étonnement. Il s'agit d'utiliser la possibilité offerte par la directive européenne, d'instaurer une modulation des péages des poids lourds suivant leurs normes d'émission EURO. Cette modulation doit à mon sens intervenir dès 2016, pour que nous n'ayons pas à attendre la fin des concessions prévue autour des années 2030.
Mme Évelyne Didier, rapporteure. - Je suis bien ennuyée par cette proposition, non en raison de son contenu mais de sa forme. La commission s'est en effet prononcée contre l'adoption de la proposition de loi. Si l'on exprimait un avis favorable à cet amendement, et qu'il était adopté en séance, et non le reste des articles, la proposition de loi de nationalisation des sociétés d'autoroutes ne contiendrait que ce seul article sur la modulation des péages. Même s'il ne l'a pas nécessairement voulu, M. Dantec préempterait en quelque sorte notre proposition de loi. Sur le fond, l'idée est bonne, mais il faudrait trouver un autre véhicule législatif.
Mme Hélène Masson-Maret. - Je ne comprends pas très bien comment cet article additionnel s'inscrit dans la proposition de loi.
M. Michel Teston. - La rapporteure a très bien exposé le problème que pourrait poser l'adoption de cet article en séance.
M. Vincent Capo-Canellas. - On voit effectivement mal comment on pourrait adopter cet amendement.
M. Ronan Dantec. - Ne voyez pas malice dans ma démarche, j'ai l'habitude que les propositions de loi soient adoptées, y compris avec des amendements d'autres groupes... J'entends l'argument de la rapporteure et vous propose d'émettre un avis favorable, puisque je n'entends pas de désaccord sur le fond. Je retirerai mon amendement en séance.
M. Raymond Vall, président. - Le sujet est suffisamment délicat pour que nous n'abordions pas à la sauvette un tel amendement.
M. Michel Teston. - La distinction que vous effectuez ne tient pas : si la commission émet un avis favorable, elle ne peut pas attendre de vous un retrait en séance.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 1.
M. Charles Revet. - Lors de l'examen de ce texte, nous avons eu un échange sur la difficulté de recueillir des données nous permettant d'apprécier la situation des concessionnaires d'autoroutes. Alors que l'AFITF connaît des problèmes de financement, nous pourrions peut-être récupérer un peu d'argent auprès des sociétés autoroutières. Il s'agit d'un enjeu important, et c'est la raison pour laquelle j'avais suggéré la constitution d'un groupe de travail, dont la forme serait à préciser, pour approfondir cette question.
M. Raymond Vall, président. - Nous verrons cela au prochain bureau de la commission, puisque nous sommes bien d'accord sur le fait que les problèmes évoqués par cette proposition de loi sont importants et qu'il nous faut rassembler l'information nécessaire.