- Mardi 18 juin 2013
- Mercredi 19 juin 2013
- Organisme extraparlementaire - Désignation de candidats
- Application de l'article 40
- Réforme du Conseil supérieur de la magistrature - Examen du rapport
- Attributions du garde des sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et de mise en oeuvre de l'action publique - Examen du rapport et du texte de la commission
Mardi 18 juin 2013
- Présidence de M. Jean-Pierre Sueur, président -Réforme du conseil supérieur de la magistrature et attributions du garde des sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et de mise en oeuvre de l'action publique - Audition de M. Vincent Lamanda, premier président de la Cour de Cassation
La commission procède à l'audition de M. Vincent Lamanda, premier président de la Cour de cassation, sur le projet de loi constitutionnelle n° 625 (2012-2013), portant réforme du Conseil supérieur de la magistrature et sur le projet de loi n° 626 (2012-2013), relatif aux attributions du garde des sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et de mise en oeuvre de l'action publique.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Nous sommes très heureux de vous accueillir pour vous entendre sur le projet de loi constitutionnelle portant réforme du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) et sur le projet de loi relatif aux attributions du garde des sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et de mise en oeuvre de l'action publique.
M. Vincent Lamanda, premier président de la Cour de cassation. - Le Conseil supérieur de la magistrature me tient à coeur : j'en ai été secrétaire avant la réforme de 1993, membre élu de 2002 à 2006, dans sa composition issue de la réforme de 1993 ; je le préside dans sa composition issue de la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 et de la loi organique du 22 juillet 2010, et entrée en fonction le 3 février 2011. Je ne vois pas de grandes différences dans les décisions rendues, que le Conseil soit composé majoritairement de magistrats, de personnalités extérieures ou paritaire - cette dernière formule ayant reçu l'agrément le plus large, même si aucune ne fait l'unanimité. Importante sur le plan symbolique, la question n'a guère d'impact sur notre fonctionnement pratique. Les organisations syndicales qui plaident pour une prédominance de magistrats oublient que le Conseil consultatif de juges européens parle d'une majorité de juges. Or le CSM comprend des magistrats du parquet, qui ne sont pas des juges... Contrairement au projet initial, le système actuel prémunit le Conseil contre toute accusation de corporatisme. J'approuve l'idée d'une parité entre magistrats et non-magistrats.
Le projet ne modifie pas sensiblement les pouvoirs du CSM. Certes, on aligne le mode de nomination des magistrats du parquet sur celui des magistrats du siège, mais au nom de l'unité du corps, on conserve, sans le dire, deux conseils qui n'ont ni la même logique, ni la même pratique, ce qui me choque. Cette fiction d'un conseil unique, composé en réalité de deux formations distinctes n'a pas d'équivalent en Europe : certains, comme le Portugal, possèdent un conseil spécifique au parquet, d'autres ont un conseil unique. Autre problème, la parité, en formation plénière, entre magistrats du parquet et magistrats du siège, n'est pas représentative du corps judiciaire qui compte deux fois plus de juges que de parquetiers... Mais les organisations syndicales sont attachées à l'unité du corps judiciaire, et la Chancellerie refuse un conseil unique, arguant que les magistrats du parquet ne peuvent être nommés par les juges. L'avis conforme du CSM sur les nominations de magistrats du parquet ne fait que consacrer la pratique déjà respectée par Michel Mercier, alors garde des sceaux, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, ce n'est donc pas un changement fondamental.
La réforme aurait pu être l'occasion de renforcer les pouvoirs du Conseil dans la gestion des carrières des juges. Celle-ci dépend de deux organes aux logiques différentes : le ministère de la justice, qui gère 8 000 magistrats, et le CSM, chargé des nominations des magistrats du siège à la Cour de cassation, des premiers présidents de cour d'appel et des présidents de tribunal de grande instance, soit 400 à 500 personnes. Confier au CSM la gestion des carrières des magistrats du siège n'entraînerait qu'un faible transfert de personnel, et améliorerait considérablement la cohérence.
Nous vivons en cohabitation, mais avec un souci de coordination. J'ai ainsi oeuvré pour réduire les délais de remplacement. Prochainement, le Conseil va statuer sur le sort de cinq ou six présidents de TGI : il lui faudra s'assurer qu'il va émettre un avis conforme sur les propositions de nomination émanant du ministre - la transparence - et pourvoir aux remplacements, ce qui suppose sélection et auditions. Il faut également améliorer le tuilage lors des remplacements : dans mes postes de chef de juridiction, je n'ai jamais vu mon prédécesseur, toujours parti plusieurs mois avant ma nomination. La Chancellerie ne peut s'engager, par exemple, à nommer à tel poste dans trois ans, sachant que le Conseil, qui donne son avis, risque d'avoir changé d'ici là. De même, le Conseil ne peut s'engager que dans la limite des quatre ans que dure son mandat. Tout cela mérite plus ample réflexion, pour mieux articuler les choses.
Autre renforcement des pouvoirs du Conseil : la possibilité pour les magistrats de le saisir, et pour le CSM de s'autosaisir. La précédente réforme excluait tout avis sans saisine par le Président de la République ou le ministre, cependant le Conseil ne s'est pas interdit de publier des communiqués. Prévoir cette possibilité dans le texte n'est donc pas un changement fondamental, même s'il est apprécié par les membres du Conseil actuel.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Pensez-vous qu'il faille maintenir l'unité de corps ? Les magistrats du parquet doivent-ils avoir le statut de magistrat ou de fonctionnaires, comme en Allemagne ?
La formation plénière, que vous présidez, est chargée d'unifier la jurisprudence entre les deux formations, siège et parquet. Il est regrettable que le procureur général près la Cour de cassation n'y siège pas. Je propose qu'il y participe, sous votre présidence. Qu'en dites-vous ?
J'ai toujours été partisan de transférer au CSM la gestion complète des magistrats du siège. Pour le parquet, demeure un lien de subordination à la Chancellerie. Constitutionnaliser l'avis conforme du Conseil renforce l'indépendance des membres du parquet et balaye les suspicions qui pouvaient peser sur eux. Le sujet relève peut-être plus d'une loi organique que de la loi constitutionnelle, mais, à défaut de transférer au CSM une partie de la direction des ressources humaines de la Chancellerie, ne pourrait-on créer un corps d'inspecteurs au sein du Conseil ? Sans aller jusqu'à lui rattacher l'Inspection générale des services judiciaires (IGSJ), il serait précieux, s'il doit un jour gérer l'ensemble des juges, de les voir à l'oeuvre dans les tribunaux.
Enfin, je proposerai de maintenir l'auto-saisine du CSM ainsi que la saisine par les magistrats.
M. Philippe Bas. - « Le président de la République est garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire. Il est assisté par le Conseil supérieur de la magistrature » dit l'article 64 de la Constitution. En quoi le CSM, qui s'autonomise au fil des révisions constitutionnelles et se rapproche d'une institution indépendante, assiste-t-il le président de la République ? Il y a là, me semble-t-il, un décalage entre cette évolution et la lettre de l'article 64.
M. Jean-René Lecerf. - N'est-il pas paradoxal que ce soit le représentant le plus éminent du pouvoir exécutif qui garantisse l'indépendance du pouvoir judiciaire ? Rêvons un peu : si nous nous orientions vers un CSM unique, quelle devrait en être la composition ? La représentation du parquet et du siège devrait-elle être proportionnelle au nombre de magistrats ?
Il ne faut toucher aux lois que d'une main tremblante, disait Montesquieu. De fait, cette réforme, loin d'être fondamentale, se contente d'institutionnaliser des pratiques existantes. Sans rattachement de l'IGSJ au CSM, l'évolution risque de rester bien théorique...
Mme Catherine Tasca. - Les moyens actuels du CSM suffiront-ils à ses nouvelles fonctions ? Le rapporteur a évoqué l'inspection ; avez-vous identifié d'autres besoins ?
M. Yves Détraigne. - Cette audition confirme mon sentiment que cette réforme n'était pas indispensable et ne modifie pas fondamentalement les choses. Un collège de personnalités extérieures sera appelé à nommer un certain nombre de membres du CSM. Qu'en pensez-vous ?
M. Jean-Pierre Sueur, président. - On peut en effet s'interroger sur cette instance de cinq personnes, plus une sixième, non déterminée quoique ciblée... Ne faudrait-il pas plutôt transformer le droit de veto des commissions parlementaires compétentes à la majorité des trois cinquièmes, assez formel et qui n'a jamais abouti à récuser un candidat, en avis positif à la majorité des trois cinquièmes ? Cela conduirait à désigner des personnalités éminentes et consensuelles. Certes, il faut aussi tenir compte des réalités politiques...
M. Vincent Lamanda. - Je suis, comme mes collègues, attaché à l'unité du corps judiciaire. Nous avons passé le même concours, été formés à la même école, nous pouvons passer du parquet au siège et vice-versa - sous réserve que ce ne soit pas au sein de la même juridiction dans des fonctions pénales, ce qui se faisait couramment avant 2002. Pour autant, un juge n'est pas un procureur et un procureur n'est pas un juge de l'action publique, comme j'ai dû le rappeler à un ministre de la justice qui s'obstinait à parler de « juges du parquet »... Je ne vois aucune difficulté à rendre plus lisible la séparation entre siège et parquet, dès lors que l'on conserve l'unité du corps judiciaire.
Alain Peyrefitte rapporte que le général de Gaulle distinguait entre d'une part le pouvoir judiciaire des juges du siège, l'imperium, et d'autre part l'autorité de l'État incarnée par les procureurs. Je suis favorable à l'unité du corps, pas à la confusion entre juges et procureurs. Ces derniers ne pourront jamais paraître indépendants dans un pays qui a pour principe l'opportunité des poursuites, et non, comme en Italie par exemple, la légalité des poursuites. L'action des procureurs doit être coordonnée à l'échelon national : on ne comprendrait pas qu'en cas de manifestations à travers le territoire national, un procureur requière seul l'incarcération d'un leader syndical. En Allemagne, les procureurs sont des magistrats ; ils ont la même formation que les juges du siège, peuvent passer d'une fonction à l'autre, mais ne sont pas installés dans le palais de justice ; en Rhénanie-Palatinat, ils sont mêmes inamovibles. En France, on confond juge et procureur, les journalistes jouant de l'ambiguïté en parlant par exemple du « juge Courroye », alors qu'un procureur n'est pas un juge.
La formation plénière ne comprend pas tous les membres du Conseil, car le constituant ayant souhaité que le Conseil soit composé majoritairement de non-magistrats, ceux-ci ne peuvent être huit contre seize. Toutefois, la formation plénière ne se réunit pas fréquemment. S'il y a parité, il faudra une représentation paritaire, sachant que le corps judiciaire compte deux fois plus de juges que de procureurs... En deux ans, la formation du siège a rendu 2 471 avis, contre 1 200 pour la formation du parquet ; il y a eu 510 plaintes de justiciables pour le siège, 101 pour le parquet. La charge de travail des deux conseils est incomparable ; ils vont pourtant à parité en formation plénière.
Nous organisons le travail et harmonisons les pratiques dans le cadre de la réunion générale, qui est de création prétorienne. Le procureur général est à mes côtés, et l'ensemble des membres du Conseil participent à la rédaction du rapport annuel.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - L'auto-saisine ?
M. Vincent Lamanda. - En ce cas, la formation plénière siègera, mais la réunion générale subsistera.
Je plaide pour une gestion unifiée des carrières des magistrats du siège. Comme il n'est pas pensable de revenir en arrière, un transfert vers le CSM apparaît inéluctable. Je ne critique nullement l'action du ministère, mais la logique n'est pas la même. En raison des réserves d'interprétation du Conseil constitutionnel, le premier président de la Cour de cassation ne peut siéger au CSM pour une nomination à la Cour de cassation ou d'un candidat provenant de celle-ci. Je ne peux pas davantage intervenir dans un avis sur la nomination d'un ancien membre du CSM que j'aurais présidé. Mon suppléant, conseiller à la Cour de cassation, élu par elle, peut présider toutes les nominations à la Cour ; il peut choisir son président de chambre, quand je ne peux nommer un auditeur... C'est absurde ! La France est avec Malte le seul pays européen dans cette situation. Le premier président d'une cour d'appel qui souhaite être nommé s'adresse au directeur des services judiciaires, et je n'ai pas le droit de faire passer le moindre message au Conseil.
Il suffirait de transférer au CSM tout au plus les cinq personnes qui gèrent les carrières des magistrats du siège. Nous souhaitons conserver une structure administrative légère, suffisante pour fonctionner : c'est la condition pour que les membres rapportent eux-mêmes les dossiers, assistent aux auditions et que les décisions émanent véritablement d'eux.
Nous ne formons pas les magistrats, nous ne souhaitons pas prendre la haute main sur l'Ecole nationale de la magistrature, établissement public dont le directeur est, à ce titre, nommé en conseil des ministres ; il me paraîtrait néanmoins normal que le CSM émette un avis conforme sur cette nomination.
J'ai en effet proposé de créer un corps d'inspecteurs au sein du CSM. Je ne suis pas favorable au rattachement partiel de l'IGSJ au CSM, comme le demandent certains syndicats, car on ne peut avoir deux chefs. Il est naturel que le ministre dispose de ses inspecteurs, auxquels il demande des études thématiques sur les projets de loi à venir et qui assurent les inspections de fonctionnement. Toutefois, est-il normal qu'une enquête disciplinaire sur un juge soit conduite par un inspecteur magistrat du parquet, rattaché au cabinet du ministre ? Plutôt que de créer une inspection qui finirait par décider, je propose qu'au début de chaque mandat, les membres du CSM choisissent, parmi les anciens premiers présidents de cour d'appel, membres de la Cour de cassation fraîchement retraités ou anciens membres du CSM, trois ou quatre personnes ayant l'autorité morale et la compétence pour procéder à des auditions ou mener des enquêtes disciplinaires, bref, pour assister bénévolement le rapporteur.
Je préconise également la création, sous l'égide du Conseil, d'une commission à laquelle pourrait s'adresser tout magistrat confronté à un problème de conscience, de déontologie ou de comportement. Aucun accompagnement n'est prévu pour ceux qui sont victimes de harcèlement ou souffrent d'une addiction, par exemple. Le Conseil, qui serait saisi si l'affaire dégénérait en procédure disciplinaire, pourrait faire appel à des magistrats honoraires, assistés de médecins, de sociologues - là encore, un petit groupe de personnes qui travailleraient presque bénévolement. Les syndicats y sont hostiles, mais la majorité des magistrats n'appartient à aucun syndicat... Je n'ai toujours pas réussi à mener ce projet à bien, malgré deux groupes de travail successifs.
Je ne préside plus la commission d'avancement, le procureur général n'en est plus le vice-président ; avec la présidence et la vice-présidence du CSM, la charge était trop lourde. Cette commission est désormais présidée par le président de chambre doyen de la Cour de cassation et vice-présidée par le premier avocat général doyen. Est-il normal que la commission d'avancement intègre les auditeurs de justice dans la magistrature, alors que le CSM recrute les juges de proximité ? Faut-il maintenir la commission d'avancement ? Les syndicats y sont très attachés... Il y a toutefois des ajustements à réaliser.
Écrire que le président de la République est « assisté » par le CSM peut en effet paraître bizarre. En faire le « garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire » ne me choque pas : dans la conception gaulliste, le président de la République est au-dessus de tout. Nous avons suggéré d'écrire que le CSM « veille, par l'exercice de ses attributions » à garantir cette indépendance, et non, comme le proposait le texte initial, « concourt par ses avis et décisions », ce qui est trop restrictif. Nous ne pouvons plus « assister » le président de la République, car nous ne sommes plus rattachés à lui.
Dans un conseil unique, le siège et le parquet devraient sans doute être représentés à proportion de la composition de la magistrature. Dans une copropriété, on vote en fonction des tantièmes.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Il faut des syndics.
M. Vincent Lamanda. - Nous avons des greffiers... Si les procureurs veulent devenir juges, qu'ils passent au siège... On ne peut prétendre avoir tous les avantages des juges et aucune des contraintes. Si j'ai adoré être au parquet, c'est au siège que j'ai trouvé pleinement ce que j'attendais de la magistrature. Pour avoir exercé les trois fonctions, je trouve plus difficile de préparer un réquisitoire qu'une note au garde des sceaux ou au président de la République, et plus difficile encore de rédiger une décision motivée.
J'ai répondu sur la question des moyens. Je suis attaché à ce que les membres du Conseil travaillent d'eux-mêmes, même si le rapporteur peut, bien sûr, demander une aide au secrétariat général. C'est ainsi que l'on arrive à de larges consensus et que le Conseil assoit son autorité. Pour le reste, je ne souhaite qu'un petit corps d'inspecteurs, et une petite commission pour aider à régler les problèmes déontologiques.
Les plaintes des justiciables donnent lieu soit à des poursuites disciplinaires, soit à classement sans possibilité de procéder à une enquête. Or parfois, bien que la poursuite disciplinaire ne se justifie pas, le comportement dénoncé choque. Beaucoup de plaintes concernent des couples magistrat-magistrat, magistrat-policier ou magistrat-avocat ; or, quand les couples ne sont pas mariés, il n'y a pas d'incompatibilité. Nous ne pouvons guère faire plus que d'encourager les mutations. Sur une douzaine d'enquêtes, deux seulement ont donné lieu à poursuites disciplinaires. Cela ne signifie pas qu'il n'aurait pas fallu suivre les autres. Une commission, à la marge du Conseil mais sous son égide, aurait pu y pourvoir.
Le projet de loi a sorti du Conseil le premier président de la Cour de cassation et le procureur général mais les maintient, par exception, à la présidence des formations disciplinaires. Le même secrétariat obéira à trois présidents, ce qui n'était pas le cas auparavant.
Autre incongruité, le premier président et le procureur général seraient membres du collège de nomination. Mais peut-on être membre d'une institution et siéger dans le collège qui nomme une partie des membres de celle-ci ? Ce qui vaut ici pour le premier président de la Cour de cassation vaut encore plus pour le vice-président du Conseil d'Etat. Présidant le collège, il désigne en outre un membre à travers l'assemblée générale, qu'il préside. Et le Conseil d'Etat connaît en cassation de tous les pourvois contre nos décisions en matière disciplinaire. Non content d'en casser certaines pour montrer sa prééminence, il vient, pour la première fois, de nous demander la motivation d'un avis non conforme. Celui qui peut censurer les décisions de nomination, les décisions disciplinaires, qui nomme un membre, va-t-il nommer les autres ?
La réserve énoncée par le Conseil constitutionnel lors de la dernière réforme ne s'applique qu'à la Cour de cassation.
Je comprends toutefois que le soupçon de politisation est levé par l'intervention de ce collège. Je vous ai fait part de mes réticences, y compris d'ordre constitutionnel. Si la nomination des membres communs par un collège extérieur apparaît plus neutre, la règle de l'avis positif à la majorité des trois cinquièmes a conduit en Espagne à un blocage de l'institution : faute de consensus, aucune nomination n'a pu intervenir pendant longtemps. D'un côté, l'on ne peut nommer que des personnalités de valeur, de l'autre, l'exemple espagnol suggère que des blocages ne sont pas exclus. Or le travail du Conseil s'apparente à une course de fond ; s'il ne se mettait pas à jour semaine après semaine, il accumulerait vite un gros retard.
Je suis partagé. La solution me semble résider dans la sagesse de la désignation. Dans le système actuel, les propositions très équilibrées du Président de la République, de ceux de l'Assemblée nationale et du Sénat, ont évité l'opposition entre des membres extérieurs trop politiques et les magistrats. L'obligation, prévue par la loi organique, d'une représentation équilibrée des hommes et des femmes a d'ailleurs été extrêmement bénéfique. Les membres communs sont très présents, bien qu'ils n'aient pas la disponibilité de syndicalistes bénéficiant d'une décharge de service : chacun joue son rôle.
Le dispositif peut être encore amélioré. Le Sénat, au rôle duquel nous sommes toujours très sensibles, le fera avec sa sagesse et sa connaissance du monde judiciaire.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Je vous remercie pour la précision de vos réponses. Votre audition nous sera d'un très grand secours.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - En effet, vos observations sont très intéressantes. La commission examinera le texte demain. J'espère bien que nous l'améliorerons et qu'il sera voté, parce que, même s'il ne va pas aussi loin que certains l'espéraient, il est bénéfique. Surtout, nous pourrons alors introduire dans la loi organique plusieurs de vos propositions pour l'institution judiciaire - j'ai demandé que le Sénat en soit saisi le premier.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Ce n'est pas M. le premier président, mais nos collègues qu'il faudra convaincre...
Mercredi 19 juin 2013
- Présidence de M. Jean-Pierre Sueur, président -Organisme extraparlementaire - Désignation de candidats
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Le Président du Sénat nous demande de lui proposer le nom de deux sénateurs pour les désigner comme membres titulaire et suppléant au Conseil consultatif des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF). Depuis 1955, l'administrateur général désigné par le Gouvernement pour gérer ce territoire sans population permanente, recueille dans l'exercice de ses missions l'avis d'un conseil consultatif composé de personnalités qualifiées dont deux parlementaires.
Je vous propose de reconduire le titulaire et le suppléant actuels, à savoir Christian Cointat, titulaire, et Jacques Berthou, membre de la commission des affaires étrangères, suppléant.
M. Christian Cointat. - Je remercie mes collègues pour leur confiance. Les terres antarctiques couvrent 2,5 millions de km2 de zone économique exclusive, des chercheurs s'y relaient tout au long de l'année dans un important centre de recherche dédié à l'avenir de notre planète. Il est bon qu'un membre de la commission des affaires étrangères siège dans ce conseil, car nous entretenons des relations régulières avec tous les pays limitrophes.
J'anime le groupe d'étude sur les terres australes française et j'aimerais que plus de sénateurs participent à nos travaux utiles et passionnants pour tous ceux qui se préoccupent du sort de notre planète.
Application de l'article 40
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Bien que le décret de convocation de la session extraordinaire comporte une majorité de textes intéressant notre commission...
M. Patrice Gélard. - De la folie douce !
M. Jean-Pierre Sueur, président. - ...nous préparons l'entretien avec le président de la commission des finances pour débattre des modalités d'utilisation de l'article 40. M. Collombat nous a remis une contribution très importante. Nous présenterons des exemples précis pour que la discussion avec M. Marini ne soit pas seulement formelle.
Réforme du Conseil supérieur de la magistrature - Examen du rapport
La commission examine ensuite le rapport de M. Jean-Pierre Michel sur le projet de loi constitutionnelle n° 625 (2012-2013), portant réforme du Conseil supérieur de la magistrature.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Le projet de loi constitutionnelle portant réforme du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) a l'ambition de conduire à son terme un mouvement engagé depuis près de vingt ans pour garantir l'indépendance de la justice et lever toute suspicion de corporatisme et de mainmise du pouvoir politique, tout en offrant aux parquetiers les conditions requises pour exercer leurs missions.
J'ai bien sûr procédé à diverses auditions : les magistrats, notamment ceux du parquet, souhaitent l'adoption de cette réforme utile. Un membre du CSM nous a d'ailleurs précisé que si ce projet venait à être repoussé, la situation serait particulièrement difficile.
Ce texte vient après la réforme de 1993 et la révision de 2008 dont l'un des objectifs était de détacher le CSM du pouvoir exécutif et l'ouvrir aux justiciables. Il n'aurait pas lieu d'être si la révision constitutionnelle de 1998 avait été menée à son terme.
D'aucuns disent que la réforme est inutile puisque le CSM fonctionne bien. Les mesures que préconisait hier M. Lamanda relèvent plus de la loi organique que des grands principes. Si nous allons plus loin, c'est que le statut du parquet pose de réels problèmes : nous sommes dans une situation unique en Europe avec un seul corps de magistrats... répartis entre parquet et siège. Or, les deux missions sont totalement différentes : les juges du siège rendent des jugements impartiaux et ils sont totalement détachés du pouvoir politique tandis que les procureurs sont hiérarchiquement soumis à l'autorité du garde des sceaux dont ils doivent appliquer la politique pénale.
Le rapport d'information de M. Zocchetto sur les procédures de traitement rapide des infractions pénales relevait toutefois que le parquet tient de plus en plus un rôle pré-juridictionnel, par le choix ou non de la comparution immédiate, le recours aux ordonnances pénales ou la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité. Le parquet n'est pas qu'une partie au procès, il défend l'intérêt général et la loi. Il est aussi un acteur de la vie judiciaire ; il a un rôle de prévention et il est en rapport avec les autorités préfectorales et électives.
Lorsqu'il avait été question de réformer la procédure pénale et de supprimer le juge d'instruction, le président Hyest avait estimé opportun de créer un groupe de travail animé par Jean-René Lecerf et moi-même pour mener une réflexion approfondie sur le sujet. Nous avions conclu que cette suppression était envisageable à condition de passer par un juge lorsque la liberté des personnes est en cause, et que le parquet ne soit pas soumis pour la carrière et la discipline à l'autorité du pouvoir politique. La réforme de la procédure pénale reste à faire - j'en reparlerai à l'occasion du deuxième texte.
Les décisions de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) pressent la France à revoir le statut du parquet. Après l'arrêt Moulin, nous avons été obligés de modifier profondément la procédure pénale, notamment sur la garde à vue. La réforme du statut du parquet apparaît d'autant plus nécessaire à cet égard que les attributions des procureurs s'accroissent de plus en plus.
Elu au suffrage universel, le Président de la République est le pivot de nos institutions. Il est normal que l'article 64 de la Constitution consacre son rôle. Je vous proposerai un amendement pour décrire plus correctement l'intervention du CSM à ses côtés, car le texte du Gouvernement et celui de l'Assemblée nationale ne conviennent pas.
Le projet renforce les prérogatives du CSM. Il l'érige ainsi en conseil de discipline du parquet. Il conserve la saisine des citoyens prévue par la réforme de 2008, et confie au CSM le pouvoir de se saisir d'office sur les questions déontologiques et d'indépendance, ce qui paraît très intéressant.
Le texte prévoit une composition et des modalités de désignation nouvelles pour asseoir la légitimité du Conseil. La nomination des personnalités extérieures par un collège d'autorités a été beaucoup critiquée. Celui-ci serait composé du premier président de la Cour de cassation, du procureur général, du vice président du Conseil d'Etat, du président de la Cour des comptes, du président du Conseil économique, social et environnemental, du Défenseur des droits, du président de la commission nationale consultative des droits de l'homme -qui n'est toutefois pas désigné comme tel dans la Constitution-, et d'un professeur d'université. En plus de ces personnalités extérieures, le CSM compterait un avocat désigné par le conseil national des barreaux et un conseiller d'Etat désigné par l'assemblée générale.
M. Jean-Jacques Hyest. - C'est déjà le cas !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Bien sûr, le projet constitutionnalise une pratique en vigueur depuis Michel Mercier : la nomination des membres du parquet par le garde des sceaux ne pourra intervenir qu'après avis conforme du CSM. Mme Guigou avait instauré un usage qui a été bousculé par certains de ses successeurs, avant d'être repris par M. Mercier et suivi par Mme Taubira. Le constitutionnaliser interdira que cet avis conforme intervienne à la suite de négociations : le ministre de la justice devra mettre cartes sur table, présenter son candidat, et le CSM se prononcera en toute indépendance.
L'amendement de l'Assemblée nationale précisant que les personnalités extérieures doivent recueillir les trois cinquièmes des votes positifs de la commission des lois des deux assemblées est l'un de ceux qui méritent d'être conservés, ses avantages l'emportant sur ses inconvénients. Je ne crains pas que le plus petit dénominateur commun s'impose, puisque seules des personnalités de haut niveau réuniront les trois cinquièmes des suffrages. En outre, le risque de blocage me semble minime : l'exemple espagnol n'est pas pertinent, car là-bas, c'est le Parlement qui vote, et non les commissions. Les débats à l'Assemblée nationale seront-ils politisés ? Je n'ai, en tout cas, aucune crainte pour ceux qui se dérouleront au Sénat. J'ajoute que la nomination aux trois cinquièmes donnera aux personnalités extérieures un poids réel.
Certains constitutionnalistes remarquent que cette majorité qualifiée n'est pas requise pour les autres organismes. Sans doute faudra-t-il que nous y revenions au fur et à mesure que des textes les concernant nous seront soumis. Il en sera ainsi prochainement pour le CSA avec le projet de loi sur l'audiovisuel. En revanche, toutes les nominations ne méritent sans doute pas une telle majorité.
Cette réforme est utile et ne peut être différée. Toutes les personnes que j'ai pu entendre étaient d'accord sur le but poursuivi, à savoir l'indépendance de la justice, l'autonomie des magistrats du parquet. En revanche, leurs avis différaient sur les modalités retenues. Ainsi, les deux syndicats de magistrats s'opposent sur la composition du CSM. En revanche, les associations de procureurs et de procureurs généraux sont à peu près d'accord entre elles. Malgré quelques différences, les positions des membres du CSM restent assez proches. Nous avons également entendu les chefs de la Cour de cassation.
Je propose de maintenir le Président de la République comme garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire et de mieux définir le rôle de plus en plus important du CSM. Le Conseil sera paritaire, composé d'autant de magistrats que de personnalités extérieures, ce qui est un équilibre. Puisque la justice est rendue au nom du peuple français, je souhaite substituer au collège le président de la République, ceux de l'Assemblée nationale et du Sénat, dont les propositions seront confirmées ou non par les commissions des lois aux trois cinquièmes des suffrages exprimés.
Le premier président de la Cour de cassation, qui est le premier magistrat de France et une personnalité connue à l'étranger, doit présider la formation plénière de même que la formation siège. Pourquoi nommer quelqu'un d'autre qui serait, à n'en pas douter, un professeur de droit à la retraite ? On ne peut en effet sérieusement envisager la nomination d'un avocat ou d'un conseiller d'Etat. Je suggère en outre que le procureur général près la Cour de cassation siège dans la formation plénière, ce qui n'est pas le cas, alors que, comme M. Marin l'a dit, elle peut être saisie de requêtes concernant le parquet.
Je vous soumettrai également un nouvel article qui renvoie à une loi organique les dispositions relatives aux incompatibilités entre les membres du CSM et les autres activités professionnelles. La Chancellerie y travaille. Si les magistrats élus bénéficient en général de détachements syndicaux, la situation des autres est très variable, si bien que les membres extérieurs en activité sont moins présents et prennent moins de rapports, ce qui est dommage car ils sont détachés de toute influence corporatiste comme de toute obédience.
Enfin, je propose de préciser la saisine du justiciable, étendre celle des magistrats, et mieux formuler la présence du garde des sceaux aux séances du Conseil.
Sous le bénéfice de ces amendements, je vous propose d'adopter de projet de loi constitutionnelle.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Il ne vous a pas échappé que notre rapporteur propose des modifications substantielles. Je forme le voeu que nous puissions proposer une rédaction de nature à surmonter certains blocages politiques.
M. Patrice Gélard. - Et juridiques !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Nous sommes dans une procédure constitutionnelle ; c'est la raison pour laquelle au cours de cette première séance la commission se prononcera sur les amendements que je lui soumets sans cependant établir un texte. Par ailleurs, les deux assemblées devront s'entendre puisque l'Assemblée nationale ne dispose pas du dernier mot.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - L'article 42, alinéa 2 de la Constitution dispose que la discussion en séance des projets de révision constitutionnelle porte en première lecture devant la première assemblée saisie sur le texte présenté par le gouvernement. Par conséquent, nous débattrons en séance à partir du texte de l'Assemblée nationale, et pas de celui de la commission.
M. Jean-Jacques Hyest. - Lorsque j'ai été rapporteur de la révision de 2008, les magistrats étaient vivement critiqués : ils n'étaient jamais sanctionnés, même en cas de faute grave. Le corporatisme étant une caractéristique des métiers de justice, nous avions estimé que la formation plénière du CSM devrait comprendre plus de non-magistrats que de magistrats. Le Sénat avait tenu à ce que les formations disciplinaires soient paritaires. Symboliquement, le Président de la République, qui était en pratique remplacé par le garde des sceaux, ne préside plus le CSM. Un petit changement justifie-t-il une réforme constitutionnelle ? Depuis la mise en place du nouveau Conseil, il n'y a pas eu de différence fondamentale dans la gestion et je n'ai pas entendu de nouvelles critiques.
La saisine du CSM par les justiciables a eu des résultats pour le moins modérés. A l'époque, Outreau était dans tous les esprits et, dans l'affaire des disparues de l'Yonne, le CSM avait sanctionné les magistrats du siège et du parquet, mais le Conseil d'Etat, leur véritable juge disciplinaire, avait annulé presque toute la procédure.
Je vous remercie, monsieur le Rapporteur, d'en revenir à la désignation par le Président de la République et ceux des deux assemblées. Sur les trois cinquièmes, la discussion avait été longue, car les personnalités trop tranchées risquaient d'être écartées et l'opposition d'imposer des candidats. Nous avions tenu le même raisonnement pour d'autres institutions. L'éventualité d'un blocage me gêne un peu.
Dans l'ensemble, vos propositions améliorent le texte. Reste la question la plus importante, celle du statut du parquet. Jacques Chirac y avait renoncé en 1998. Nous avons toujours défendu l'idée d'unité du corps des magistrats. Certains en déduisent que les parquetiers devraient bénéficier des mêmes garanties d'indépendance que les magistrats du siège : le débat reste posé. Nous sommes quand même dans un système d'opportunité des poursuites, ce qui change la donne. Or on oublie à chaque fois de rappeler que nous n'appliquons pas le principe de légalité des poursuites.
Notre système n'est pas si mauvais que cela, bien que la CEDH crée parfois des difficultés. Les nominations malheureuses sont exceptionnelles. A titre personnel, j'hésite beaucoup et depuis longtemps. Ce texte constitutionnel me paraît moins important que celui que vous nous présenterez rapidement tout à l'heure.
M. Thani Mohamed Soilihi. - Je félicite notre rapporteur pour la qualité de son travail comme pour l'audace dont il a fait preuve par rapport au texte initial et à celui adopté par l'Assemblée nationale. La réforme va plus loin en matière d'indépendance de la justice en renforçant les attributions du CSM.
Je rejoins la plupart de vos propositions. Oui, il faudrait aligner le statut des magistrats du parquet sur celui des magistrats du siège. Vous l'avez dit, les parquetiers prennent des décisions importantes avant même le jugement : il faut donc renforcer leur indépendance. N'allons pas trop loin pour autant, car le parquet décide de l'opportunité des poursuites, raison pour laquelle le lien avec la chancellerie reste nécessaire.
La composition paritaire du CSM me convient, surtout avec la majorité qualifiée des trois cinquièmes requise lors du vote des commissions des lois. Il est également normal que les autorités légitimes, le Président de la République, le président de l'Assemblée nationale et celui du Sénat retrouvent leur pouvoir de proposition.
En revanche, je ne suis pas certain que le premier président de la Cour de cassation doive présider la formation plénière. Compte tenu des attributions et des compétences de cette formation, il serait préférable qu'elle soit présidée par un non-magistrat.
M. Yves Détraigne. - A mon tour de féliciter notre rapporteur pour avoir amélioré le texte. De façon générale, je trouve étonnant que nous revenions périodiquement sur les modes de scrutin ou sur des organismes comme le CSM qui constituent des marqueurs de notre démocratie, des piliers de nos institutions. Chez nos voisins, les institutions comparables ne varient pas avec les majorités. N'aurions nous pas intérêt à réfléchir à la manière de sacraliser certaines procédures, de dégager des consensus sur des institutions ?
Mme Cécile Cukierman. - N'aurait-il pas mieux valu que nous échangions entre groupes plutôt que de découvrir certains amendements en commission ? Cette réforme, nécessaire et attendue, va dans le bon sens, même si le CSM aurait pu devenir le pilier du pouvoir judiciaire indépendant, dont notre démocratie a tant besoin. Nous l'avons d'ailleurs dit hier à la garde des sceaux que notre groupe auditionnait. Voilà bien pourquoi l'article 64 de la Constitution méritait d'être réécrit. Certes, le Président de la République est élu au suffrage universel, il n'en est pas moins à la tête de l'exécutif.
Le paritarisme proposé par le rapporteur nous convient. Pour avoir rencontré les organisations syndicales, qu'il ne faut pas confondre avec des chapelles, je crois qu'il peut constituer un point d'équilibre. Je regrette en revanche la suppression du collège : il contribuait à une meilleure définition de l'indépendance de la justice tout en évitant une hiérarchie entre celle-ci et les pouvoirs législatif et exécutif. La validation par un vote aux trois cinquièmes assurait une cohérence satisfaisante. Je suis d'accord pour faire acter les trois cinquièmes positifs. Que ce principe fasse jurisprudence pour les autres organismes confortera le Parlement et contribuera à l'équilibre des pouvoirs. En revanche, s'il est habile de tout regrouper en un amendement, cela me gêne. Mais n'anticipons pas les débats à venir.
M. Christian Cointat. - Notre rapporteur a su écouter, c'est bien ; il a eu le courage d'en tenir compte, c'est encore mieux. A mes yeux, il a corrigé la plupart des imperfections du texte. Il a réaffirmé la notion fondamentale de justice rendue au nom du peuple français à travers le rôle reconnu aux présidents de la République et des assemblées. Il revoit la structure d'ensemble du CSM, en s'inscrivant dans l'esprit de la réforme de 2008. La parité est assurée pour les formations de discipline, qui seront présidées par le premier président de la Cour de cassation et son procureur général, qu'il réintroduit dans le texte. Pourquoi néanmoins le président de la formation plénière n'est-il pas un non-magistrat ? L'on conserverait ainsi la seule avancée du texte du gouvernement.
Il est normal que les magistrats du parquet soient nommés après avis conforme du CSM, le garde des sceaux gardant la définition de la politique judiciaire. La majorité des trois cinquièmes devient positive, comme je l'avais toujours souhaité. Dans la mesure où la justice est rendue au nom du peuple français, pourquoi le Président de la République, le président de l'Assemblée nationale et celui du Sénat ne nommeraient-ils pas chacun trois membres afin que les non-magistrats soient majoritaires ? Si ces questions recevaient une réponse favorable, je ne serais plus contre le texte.
M. Alain Anziani. - Ce texte majeur s'inscrit dans le débat sur la transparence de la vie publique. Il n'y aura pas moralisation sans confiance dans les institutions, pas de confiance dans l'institution judiciaire, si nous donnons le sentiment que le parquet est soumis au pouvoir politique. Le projet acte la nomination des magistrats du parquet sur avis conforme. Nous l'avions tous souhaité ; la CEDH a depuis longtemps exprimé des réserves sur l'institution française du parquet ; les parquetiers eux-mêmes avaient publié une tribune critique dans Le Monde ; le procureur général Nadal parlait du « venin de la suspicion » dû aux relations entre le pouvoir politique et l'autorité judiciaire. Certes une bonne pratique s'est instaurée depuis plusieurs années, mais elle ne vaut pas une garantie constitutionnelle.
Le texte est essentiel parce qu'il modifie profondément le CSM. Je soutiens les amendements du rapporteur. La parité est fondamentale. Le CSM ne saurait apparaître comme une boîte noire. Avec la majorité qualifiée des trois cinquièmes, nous choisissons la voie de l'exigence, non celle de la simplicité. Il nous appartiendra de dépasser les clivages politiques. Le fruit d'une majorité positive aura plus de poids. Je soutiens également la position du rapporteur sur la présidence du CSM. Quelle personnalité serait plus légitime que le premier président de la Cour de cassation ?
M. Cointat a salué le courage de notre rapporteur. Ayons celui de soutenir un texte en accord avec nos convictions.
M. Patrice Gélard. - Je partage l'avis de MM. Hyest et Détraigne : voilà ma troisième révision constitutionnelle sur le CSM. Pourquoi changer aussi souvent ? J'aurais voulu voir le texte actuel à l'épreuve.
Nous sommes les héritiers d'une tradition, jamais remise en cause, qui remonte aux parlements de l'Ancien Régime. Nous subissons la pression de magistrats qui autogèrent leur statut, à cette différence que le roi pouvait en lit de justice, casser les décisions des parlements - mais ne pourrions-nous corriger certaines erreurs des juges, par exemple sur la responsabilité des élus ? De même, nos travaux parlementaires sont inspirés de la procédure pénale d'autrefois car 85% des membres de la Convention étaient avocats.
Je salue l'effort d'imagination remarquable du rapporteur sur la composition du CSM. J'étais partisan de l'ancien système. La règle des trois cinquièmes m'inquiète ; aux Etats-Unis, où seule la majorité absolue est requise pour les nominations à la Cour suprême, des sièges sont à de nombreuses reprises restés vacants faute d'accord. Cette procédure ouvrira la voie aux tractations et aux manoeuvres politiques. La majorité simple suffit. Si nous avions dû l'appliquer pour les dernières nominations au Conseil constitutionnel certains sièges n'auraient pas été pourvus...
M. Alain Richard. - J'entends certains collègues s'interroger : faut-il avoir cette bougeotte ? Nous sommes confrontés à un problème sérieux : le regard critique de la CEDH est potentiellement déstabilisant pour notre système judiciaire. J'ai reçu un communiqué de victoire du vice-président du Conseil d'Etat : la CEDH a reconnu il y a quelques jours que le rapporteur public au Conseil d'Etat n'était pas une partie mais un membre de la juridiction qui offre des garanties au justiciable. Il a fallu tout un travail de persuasion pour en arriver là, et il convient de mener le même au sujet du CSM. Le texte, s'il marque une avancée à cet égard, ne nous dispensera pas de cette entreprise de persuasion. Il y va de la légitimité du parquet dans notre système judiciaire.
Notre rapporteur propose de confier la présidence du CSM au premier président de la Cour de cassation plutôt qu'à un non-magistrat. Comment rétablir la parité ? Je suis réticent à l'idée que les hautes autorités politiques choisissent les personnalités extérieures dans cette institution garante de l'indépendance de la justice. La règle des trois cinquièmes m'inquiète. Comme les majorités ne concordent pas nécessairement entre les deux chambres, les nominations proposées par le Président de la République risquent de donner lieu à de longues discussions. Je suis sceptique. Nous n'avons pas la même culture de la séparation des pouvoirs qu'aux États-Unis. Voulons-nous en outre voir les médias jouer dans le processus de nomination le même rôle que là-bas ?
Il faudrait également modifier les procédures de composition des autres autorités dont l'indépendance doit être garantie, tels le Conseil constitutionnel ou le CSA. Il s'agirait d'un mécanisme de politisation -dans le meilleur sens du terme- des nominations. Il conviendrait cependant de conserver la règle des deux cinquièmes pour les autorités soumises au pouvoir exécutif. Enfin que se passera-t-il si, faute d'accord des commissions parlementaires, des sièges restent vacants au CSM ? La parité n'étant plus respectée, ses décisions seront-elles valables ?
Mme Jacqueline Gourault. - Vos réflexions sont toujours fondées sur le bipartisme. Celui-ci est-il indépassable ? Faisons confiance à l'intelligence politique et à l'ouverture d'esprit des parlementaires.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - J'ai la conviction que ce texte est utile. Il améliorera le statut du parquet et se justifie par des impératifs européens. J'écoute les avis des uns et des autres. Je n'ai d'ailleurs pas transmis mes amendements au Gouvernement.
M. Jean-Jacques Hyest. - Très bien !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Monsieur Hyest, je relève que vous pratiquez le doute cartésien. Pourquoi cette réforme maintenant ? Elle poursuit le mouvement initié en 2008 sur le plan disciplinaire : le CSM devient enfin l'autorité de discipline des parquetiers et l'on ne verra plus le garde des sceaux déplacer un magistrat pour lequel le Conseil supérieur de la magistrature avait proposé un avertissement. En outre, les fonctions du parquet ont profondément évolué. Enfin, la CEDH, imprégnée de droit anglo-saxon, ne comprend pas son rôle. Le texte lui apporte une réponse juridique.
Le Président de la République s'était prononcé pour la majorité des trois cinquièmes dans son discours à la Cour de cassation. Le projet était en retrait, mais l'Assemblée nationale l'a votée sans opposition du Gouvernement. La critique tirée de l'exemple espagnol doit être écartée : en Espagne, le Congrès et le Sénat ont à la fois le pouvoir de proposition et de nomination des membres du CSM. Par ailleurs, je crois que la règle des trois cinquièmes place le Parlement devant ses responsabilités. Je n'ai d'ailleurs jamais cru au bipartisme. L'introduction d'une dose de proportionnelle à l'Assemblée nationale pourrait aider à le dépasser.
M. Jean-Jacques Hyest. - Il y a six groupes parlementaires au Sénat.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - M. Richard, effectivement, il faudra se pencher sur la loi organique qui fixe la liste des autorités dont la nomination est soumise à l'avis des assemblées.
Est-ce la dernière réforme de la justice ? Peut-être pas ! M. Lamanda a envisagé des mesures concernant les magistrats du siège. Certains syndicats réclament la création d'un conseil supérieur de la justice, qui aurait les mêmes pouvoirs pour le siège et pour le parquet. On lui rattacherait la direction des services judiciaires et une inspection ; il gérerait entièrement les carrières, ce qui ouvrirait la porte...
M. Jean-Jacques Hyest. - au corporatisme !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - A tout crin : l'homologue italien du CSM est soumis à l'influence des partis politiques et des syndicats et les nominations dépendent des petits arrangements. Telle n'est pas ma conception. Les procureurs ayant l'opportunité des poursuites et étant placés sous l'autorité du ministre, le Gouvernement doit disposer du pouvoir de nomination sur avis conforme.
Madame Cukierman devrait être sensible au remplacement des hauts fonctionnaires par des autorités politiques, bien plus légitimes. Il ne revient pas au vice-président du Conseil d'Etat de présider le collège chargé de désigner les personnalités extérieures.
M. Christian Cointat. - Absolument.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - La formation compétente à l'égard des magistrats du parquet sera paritaire, présidée par le procureur général près la Cour de cassation. Il en sera de même pour la formation compétente à l'égard des magistrats du siège, présidée par le premier président de la Cour de cassation. Qui devra présider la formation plénière ? Si vous retenez une personnalité extérieure, ce sera sans doute un professeur de droit... Qui la désignerait ? Certainement pas le Président de la République. La formation plénière rend des avis sur la déontologie, l'indépendance de la justice, son rôle dans des affaires délicates, etc. à la demande soit du pouvoir politique soit des magistrats. Je propose d'ailleurs d'élargir sa saisine. La présidence par une personnalité extérieure ne me gêne pas.
M. Christian Cointat. - Pourquoi alors refuser de porter à trois le nombre de personnalités désignées par les hautes autorités de l'État ?
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Cela déséquilibrerait la composition.
M. Patrice Gélard. - Et l'avocat ?
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Il reste. Aux six membres s'ajoutent un membre désigné par le Conseil d'Etat et un avocat désigné par le conseil national des barreaux.
M. Alain Richard. - Quid des sièges vacants ?
Mme Cécile Cukierman. - Ce n'est pas la présence dans le collège de hauts fonctionnaires qui faisait difficulté, mais plutôt, pour certains, celle d'autres membres politisés.
EXAMEN DES AMENDEMENTS
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur . - Inspiré de l'article 66 de la Constitution, l'amendement n° 1 précise que le CSM « assure le respect » de l'indépendance de l'autorité judiciaire : « concourt » serait trop faible, « veille » supposerait un drame.
L'amendement n° 1 est adopté.
Article 2
L'amendement rédactionnel n° 2 est adopté.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - L'amendement n° 3 élargit aux questions d'indépendance le champ de la saisine directe du CSM par un magistrat.
M. Jean-Jacques Hyest. - Un magistrat ira se plaindre qu'on nuise à son indépendance ? Je m'abstiendrai.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Le CSM sera libre d'accepter ou non la saisine.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - L'amendement n° 4 précise la saisine par les justiciables, pour un motif pré-disciplinaire. Elle ne constitue pas une voie de recours supplémentaire.
M. Jean-Jacques Hyest. - Faudra-t-il changer la loi organique ?
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Le champ est le même. En tout état de cause, la réforme implique le vote d'une loi organique.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - L'amendement n° 5 rétablit cette innovation de 2008 : les chefs de la Cour de cassation président les différentes formations du CSM. Il précise explicitement que le procureur général près la Cour de cassation est membre de la formation plénière.
M. Jean-Jacques Hyest. - En 2008 nous avions décidé que les magistrats ne seraient plus majoritaires.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Nous conservons la parité.
M. Jean-Jacques Hyest. - Je m'abstiens.
M. Christian Cointat. - L'amendement rétablit la parité au sein de la formation plénière, ce qui change tout. Je le voterai.
M. François Zocchetto. - La présidence par les chefs de la Cour de cassation est une bonne mesure. En revanche je partage l'avis de Jean-Jacques Hyest : la présence parmi les personnalités extérieures d'un conseiller d'État, même s'il n'appartient pas à l'ordre judiciaire, rompt l'équilibre. Je m'abstiendrai.
M. André Reichardt. - Cet amendement contient trop d'innovations, notamment la présidence du CSM par le premier président de la Cour de cassation.
M. Jean-Jacques Hyest. - Comme en 2008...
M. André Reichardt. - Je m'abstiendrai.
Mme Cécile Cukierman. - Je m'abstiens aussi, car je regrette le rétablissement de la présidence des chefs de la Cour de cassation.
M. Alain Richard. - Dans les conseils d'écoles, les enseignants se consultent au préalable et présentent un front uni face aux parents. La parité stricte offre dans les faits une suprématie au collège des magistrats.
M. Jean-Jacques Hyest. - C'est évident.
M. Alain Richard. - Le rapporteur accepterait-il d'aller plus loin et avoir un ou deux non-magistrats supplémentaires ?
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Au regard des exigences européennes, la parité arithmétique constitue une minimum : le standard est une majorité de magistrats.
M. Nicolas Alfonsi. - Un ancien magistrat pourrait-il être désigné comme personnalité qualifiée ?
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Encore faut-il qu'il soit proposé.
M. Jean-Pierre Sueur, président - L'amendement n° 6 supprime le collège de nomination et rétablit la nomination aux trois cinquièmes sur proposition du Président de la République et de ceux des deux assemblées.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - La voix prépondérante du président de la formation plénière déséquilibre la parité. L'amendement n° 7 la supprime.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Le ministre peut participer aux séances du CSM, dit le texte. En précisant qu'il s'agit d'une faculté d'être entendu, l'amendement n° 8 éloigne encore le Conseil du pouvoir politique.
M. Christian Cointat. - Il serait dommageable de revenir là-dessus. Le ministre est responsable du bon fonctionnement de la justice, laissons-lui au moins cette prérogative.
M. Jean-Jacques Hyest. - En ira-t-il pour cette mesure comme pour la présence des ministres en commission ? Une simple audition n'autorise pas un dialogue.
Mme Catherine Tasca. - Je partage ces interrogations. Ajoutons qu'il « est » entendu à chaque fois qu'il le demande. L'enjeu n'est pas de parvenir à la rupture avec l'exécutif, mais de garantir l'indépendance du CSM.
M. Jean-Pierre Sueur, président - La rectification s'impose. L'audition du ministre doit être de droit.
Mme Catherine Tasca. - Elle implique un dialogue.
M. Alain Richard. - Qu'il soit entendu est un minimum.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Nous pouvons ajouter cela. En tout cas, l'idée de participation est excessive, et le ministre se fait souvent représenter.
L'amendement n° 8 rectifié est adopté.
M. Jean-Pierre Sueur, président - Aux termes de l'amendement n° 9, une loi organique déterminera les incompatibilités applicables aux membres du CSM et les restrictions d'activité nécessaires à l'exercice de leurs fonctions.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Je rappelle que la commission n'établit pas un texte.
M. Alain Richard. - Nous pouvons néanmoins nous prononcer sur l'ensemble, comme le fait la commission des finances sur le budget.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Sous réserve de l'adoption des amendements que nous venons d'adopter.
La commission propose au Sénat d'adopter le projet de loi constitutionnelle sous réserve de l'adoption de ses amendements.
Attributions du garde des sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et de mise en oeuvre de l'action publique - Examen du rapport et du texte de la commission
Puis la commission examine le rapport et le texte qu'elle propose pour le projet de loi n° 626 (2012-2013), relatif aux attributions du garde des sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et de mise en oeuvre de l'action publique.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Dans le prolongement du texte constitutionnel, ce projet précise les relations entre le ministre de la justice et les parquets. Les compétences du parquet sont importantes : il décide notamment de l'opportunité des poursuites et est placé sous l'autorité hiérarchique du garde des sceaux même si nous renforçons son indépendance - cette schizophrénie est particulière au système français.
Le ministre conduit la politique pénale. Il doit en rendre compte chaque année devant le Parlement, qui la définit. Il peut adresser des instructions générales aux magistrats du parquet. L'Assemblée nationale souhaitait les rendre publiques ; je n'y suis pas favorable. Le projet de loi prohibe les instructions dans les affaires individuelles. Est-il nécessaire de vouloir laver plus blanc que blanc ? Des interventions orales ou téléphoniques seront de toute façon toujours possibles.
M. Patrice Gélard. - Eh oui !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Je suis favorable aux interventions dans les affaires individuelles si elles sont nécessaires. Sinon, comment contraindre un procureur réticent à faire appel dans l'intérêt de la loi ou à participer à la mise en oeuvre dans son ressort de la politique pénale ? J'ai donc déposé un amendement pour les conserver. Enfin des rapports sont prévus, que je vous propose d'inscrire dans la partie réglementaire du code de l'organisation judiciaire et non dans le code de procédure pénale.
Mme Cécile Cukierman. - Tel qu'il nous était arrivé, le texte nous convenait. Le débat portera sur l'amendement n° 11 qui réintroduit les instructions dans les affaires individuelles. Nous y sommes hostiles. Notre position sur le projet dépendra du vote de cet amendement. A plusieurs reprises, la garde des sceaux a répété sa volonté de supprimer les instructions individuelles conformément aux engagements du Président de la République. Cette mesure est essentielle pour réconcilier les Français avec leur justice. D'autres recours restent possibles : un procureur inactif serait passible de sanctions disciplinaires.
M. Jean-Jacques Hyest. - Il dira que son indépendance est en cause.
Mme Cécile Cukierman. - Les citoyens pourront saisir le Conseil supérieur de la magistrature (CSM). J'ai des exemples d'abus de pouvoir par le procureur. Il appartient surtout aux parlementaires de voter des lois claires. Quand un procureur ordonne de réaliser des prélèvements ADN de syndicalistes, il applique la loi : interrogeons-nous sur les textes que nous votons dans une chambre et pas dans l'autre.
M. Christian Cointat. - Il est décidément agréable que le rapporteur écoute ses collègues et qu'il tienne compte de leurs remarques. Je voterai l'article 1er dans sa rédaction.
M. Alain Anziani. - Je ne partage pas l'avis du rapporteur. Les instructions générales doivent être publiques, parce que nul n'est censé ignorer la loi. Je ne vois que des inconvénients à ce secret. Quant aux instructions individuelles, pourquoi rétablir entre le pouvoir politique et le parquet un lien que nous venons de supprimer ? Je n'ignore pas les difficultés techniques, mais l'enjeu est surtout politique : un parquet indépendant ne saurait recevoir d'instructions individuelles de la part du ministre de la justice.
M. François Zocchetto. - Le texte inscrit dans la loi une pratique qui existe depuis plusieurs années. Je m'en réjouis. Pourquoi ne pas publier les instructions de politique générale ? La transparence impose que les justiciables sachent comment la loi pénale est appliquée. L'ambiguïté ne disparaîtra pas au sujet des instructions individuelles, qui resteront nécessaires dans de rares affaires, soit en cas de défaillances individuelles, soit en raison des circonstances. Faut-il limiter ces instructions à ces cas ? En tout état de cause, elles doivent être versées au dossier. Les procureurs généraux seront d'ailleurs toujours autorisés à donner des instructions aux procureurs.
M. Jean-Jacques Hyest. - L'indépendance du parquet signe la mort du pouvoir hiérarchique. Certains procureurs mènent déjà leur petite politique pénale... Il est indispensable de conserver les instructions individuelles à condition qu'elles soient écrites et versées au dossier. A l'indépendance du parquet, je préfère l'autonomie. Le garde des sceaux doit pouvoir mettre en oeuvre sa politique pénale et, le cas échéant, surmonter les insuffisances du parquet. Je voterai l'amendement du rapporteur.
M. Alain Richard. - Les instructions générales sont un document d'ordre général, quiconque saisira la CADA, en obtiendra communication. Comme il ne s'agit que d'une question d'affichage, inscrivons cette obligation dans la loi. Ceux qui ont pris la peine de lire des instructions générales savent que cette littérature n'aborde pas des sujets confidentiels.
La suppression des instructions individuelles est essentielle dans notre campagne de diplomatie judiciaire vis-à-vis de la CEDH. Le risque est grand d'annulation de sentences pénales au motif qu'il y avait eu des instructions individuelles. Le ministère dispose d'autres moyens d'agir si un procureur est défaillant. Ne nous tirons pas une balle dans le pied en rétablissant les instructions individuelles.
M. Patrice Gélard. - Nous retrouvons ici le statut de nos procureurs : l'on nous reproche de ne pas avoir su choisir. Comme la chauve-souris de la fable, tantôt oiseau et tantôt mammifère, ils sont à la fois magistrats et soumis au pouvoir politique. Loin d'être plus indépendants dans d'autres pays, ils sont encore plus soumis au pouvoir politique, car ils sont les avocats de l'État. Nous ne sortirons de ce dilemme qu'en adoptant le système anglais...
M. Jean-Jacques Hyest. - L'attorney general.
M. Patrice Gélard. - ... ou allemand ou en créant un procureur général de la République. Les instructions individuelles sont nécessaires pour que la jurisprudence ne varie pas d'un ressort à l'autre. Le seul domaine où l'indépendance du procureur pose question est le domaine pénal. Le débat n'est pas le même en matière civile ou commerciale. Peut-être conviendrait-il d'imaginer une spécialisation de certains procureurs en pénal.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Ce texte ne concerne que le domaine pénal. En matière civile, le ministre peut donner des instructions sur la loi applicable. En matière commerciale, où la procédure est différente, il est normal que le Gouvernement donne des instructions écrites, versées au dossier. De plus en plus le procureur est amené à venir devant les tribunaux de commerce appelés à statuer sur la liquidation de grandes entreprises où des milliers d'emplois sont en jeu. Il n'est pas inutile de fournir au procureur des éléments pour représenter l'intérêt général devant le tribunal de commerce.
EXAMEN DES AMENDEMENTS
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - L'amendement n° 11 revient sur la publicité des instructions générales... Je veux bien le rectifier pour conserver la rédaction de l'Assemblée nationale. Le garde des sceaux met déjà sur internet toute une série de circulaires générales. Quant à la question des instructions dans les affaires individuelles, la publicité des instructions générales justifie encore plus de revenir au texte actuel de l'article 30 du code de procédure pénale qui dit que le ministre de la justice peut dénoncer des infractions au procureur général, lui enjoindre, non de ne pas poursuivre, mais d'engager ou de faire engager des poursuites. La polémique est due aux injonctions négatives, informelles, de ne pas poursuivre. Ne soyons pas naïfs et ne faisons pas un affichage naïf. On fera autrement. Le ministre doit intervenir, parce qu'il est responsable de la politique pénale et est comptable de l'intérêt général.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Il y a un large accord entre nous pour que les instructions générales soient rendues publiques. L'amendement pourrait être rectifié en ce sens.
M. Alain Anziani. - Je souhaite que notre rapporteur retire totalement son amendement, car la réflexion doit se poursuivre. Si la question de l'instruction individuelle est laissée en l'état, cela sera perçu, qu'on le veuille ou non, comme une atteinte à l'indépendance du parquet. Or, telle n'est pas son intention.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Nous reparlerons de tout cela lors de notre prochaine réunion. Ne serait-il pas sage de retirer tout ou partie de l'amendement ?
M. Christian Cointat. - Le texte n'aurait plus aucun intérêt !
M. Alain Richard. - La réflexion doit se poursuivre. Nous avons un enjeu majeur de crédibilité de notre système. L'usage veut que les procureurs et les procureurs généraux rendent compte en temps réel de l'état d'avancement des dossiers individuels au ministère de la justice. Quel est le texte qui oblige le parquet à agir ainsi ?
Mme Cécile Cukierman. - Je souhaite également le retrait de l'amendement. Attention aux signes que l'on envoie : votera-t-on le maintien des instructions individuelles quinze jours avant de créer le parquet financier ?
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Je rectifie mon amendement pour ne garder que le dernier alinéa.
M. Jean-Pierre Sueur, président. -Le rapport annuel ne soulève pas de difficulté. Nous sommes également d'accord sur la publicité des instructions générales. Le parcours et l'engagement politique de notre rapporteur démontrent qu'on ne peut en aucun cas le suspecter de vouloir porter atteinte à l'indépendance de la magistrature ; cependant son amendement ne peut être maintenu en l'état. Adoptons à ce stade le dernier alinéa seulement et prenons le temps de la réflexion : nous avons quinze jours pour cela.
M. Christian Cointat. - Nous touchons là à un sujet sensible et important. En matière d'instructions individuelles, les interventions politiques ne sont pas acceptables, mais il y a pour l'Etat un intérêt général à agir dans certaines affaires individuelles. Il faut trouver une solution convenable. Je préfère qu'on renvoie à plus tard, mais je ne peux pas voter l'amendement que vous proposez.
L'amendement n° 11 rectifié est adopté.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - L'amendement de Mme Benbassa s'inscrit également dans le champ de cette réflexion que nous devons avoir. Il devrait être retiré, nous y reviendrons lors de notre prochaine réunion.
L'amendement n° 1 est retiré.
Article additionnel après l'article 1er
L'amendement de cohérence n° 4 est adopté et devient un article additionnel.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - L'amendement n° 5 complète l'article 31 dont les magistrats du siège ont beaucoup critiqué la rédaction, estimant que l'exigence d'impartialité ne s'appliquait qu'à eux. Cependant, au petit parquet, le procureur doit prendre des décisions immédiates et impartiales. Je vous propose de compléter cet article par la référence à l'intérêt général qui guide les magistrats du parquet dans l'exercice de leurs fonctions.
L'amendement n° 5 est adopté.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - L'amendement n° 6 vise à supprimer le dernier alinéa de l'article 2, qui prévoit que le rapport du procureur général est transmis au premier président de la cour d'appel et fait l'objet d'un débat en assemblée générale des magistrats. Cette disposition a davantage sa place dans la partie réglementaire du code de l'organisation judiciaire.
L'amendement de conséquence n° 6 est adopté.
Mme Esther Benbassa. - Les rapports particuliers que le procureur général adresse au ministre de la justice ne doivent pas porter sur des affaires individuelles, à moins qu'ils ne soient versés à la procédure afin que les parties et les magistrats travaillant sur le dossier puissent en prendre connaissance, d'où mes amendements n°s 2 et 3.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Ces rapports relèvent du domaine de l'information. Ils n'ont pas de conséquence sur la procédure. Je ne suis pas favorable à ces amendements, qui ont d'ailleurs été repoussés à l'Assemblée nationale également.
M. Jean-Jacques Hyest. - Les rapports traitent d'un thème, pas d'une affaire.
Mme Hélène Lipietz. - S'il s'agit de rapports sur des affaires particulières, pourquoi ne pas les verser au dossier de la procédure sous la cote A ?
M. Jean-Jacques Hyest. - Et si on oublie de les transmettre, la procédure sera annulée!
L'amendement n° 2 est rejeté.
Article additionnel après l'article 2
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - L'amendement n° 7 précise les contours des instructions que le procureur général peut donner dans les affaires individuelles aux procureurs de la République. Il pourra leur demander de saisir la juridiction compétente de réquisitions écrites conformes aux instructions générales prévues à l'article 30, et non plus en fonction de l'opportunité.
Ce texte repose sur les procureurs généraux : ceux-ci seraient bien inspirés de réunir régulièrement les procureurs de leur ressort, de même que le garde des sceaux serait bien inspiré de réunir les procureurs généraux régulièrement.
L'amendement n° 7 est adopté et devient un article additionnel.
Article 3
L'amendement rédactionnel n° 8 est adopté ainsi que l'amendement de coordination n° 9.
L'amendement n° 3 est rejeté.
Article 4
L'amendement n° 10 est adopté.
Le projet de loi est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :