- Mardi 26 mars 2013
- Mercredi 27 mars 2013
- Réforme ferroviaire - Audition de M. Jean-Louis Bianco, président de la mission de concertation
- Indépendance de l'expertise en matière de santé et d'environnement et protection des lanceurs d'alerte - Examen du rapport et du texte de la commission en deuxième lecture
- Organismes extraparlementaires - Nominations
- Nomination de rapporteurs
Mardi 26 mars 2013
- Présidence de M. Raymond Vall, président -Energies marines renouvelables - Table ronde
La commission procède à l'audition, sous forme d'une table ronde, d'acteurs des énergies marines renouvelables.
M. Raymond Vall, président. - Je voudrais tous vous remercier d'être présents aujourd'hui, et adresser en particulier mes remerciements à Odette Herviaux, qui a proposé l'organisation de cette table ronde autour des énergies maritimes renouvelables. Dans cette commission, qui a près d'un an, nous avons déjà réalisé un certain nombre d'auditions sur les énergies renouvelables. S'il est vrai que la France a beaucoup d'atouts, un certain nombre de secteurs restent à dynamiser. Dans le domaine du photovoltaïque par exemple, il y a un grand écart entre les espérances et les réalités de la filière, qui a connu beaucoup de désagréments.
Nous souhaiterions en savoir plus sur l'état de la recherche, avec l'Ifremer, recueillir des témoignages des professionnels du secteur, avec France énergies marines, le Syndicat des énergies renouvelables et le GICAN, ainsi que des opérateurs, tels qu'EDF, GDF Suez et Alstom.
Mme Odette Herviaux. - A mon tour de vous remercier d'avoir accepté que la commission organise cette table ronde. C'est une thématique qui me tient à coeur depuis déjà longtemps ; j'ai régulièrement attiré l'attention des différents ministres de l'environnement sur la nécessité de parler enfin sérieusement des filières des énergies marines renouvelables. Depuis quelques temps, il y a une reconnaissance de ces filières, ce dont je me réjouis, car l'hydrolien, en particulier, s'inscrit dans une perspective de développement durable évidemment, mais également économique. Je souhaiterais que nous ayons un temps d'avance, puisque nous en avons les capacités, afin que nous ne refaisions pas les mêmes erreurs que pour le photovoltaïque ou l'éolien terrestre.
Lionel Lemoine, directeur du département ressources physiques et écosysèmes fond de mer de l'Ifremer. - Je suis le directeur du département ressources minérales, énergétiques, et écosystèmes de fond de mer de l'Ifremer ; je suis également directeur de l'institut Carnot Ifremer et participe aux travaux de l'alliance ANCRE, impliquée dans la programmation pour les travaux de recherche dans l'énergie au sens large. Nous travaillons aussi, dans le cadre du débat pour la transition énergétique, afin d'établir différents scénarios et de placer les sources d'énergies marines renouvelables dans un nouveau mix énergétique.
Les sources d'énergie marine, en tant que sources de production d'électricité, sont les vagues, les marées, les courants, les hydroliennes, le vent, et l'énergie thermique des mers. L'énergie osmotique en est encore au stade de la recherche et n'est pas déployable à un niveau suffisant.
Sur l'ensemble, c'est l'éolien offshore posé qui est le plus développé au niveau international. Les autres technologies sont encore au stade de démonstrateur ou de recherche et développement, avec la nécessité de bien prendre en compte les performances environnementales. En France, nous avons identifié un total de 500 équivalents temps plein au niveau de la recherche publique.
ANCRE a établi trois scénarios pour le mix énergétique à horizon 2050, un scénario de sobriété renforcée, un scénario de décarbonation par l'électricité, et enfin un scénario passant par des vecteurs diversifiés. Les énergies marines sont des énergies intermittentes, mis à part l'énergie thermique des mers, ce qu'il faut anticiper pour les insérer dans un mix énergétique. Il faudra assurer un potentiel de production constant. D'ici 2050, des évolutions importantes pourraient intervenir et renouveler le paysage, comme le développement du stockage de l'énergie, ou le développement de nouvelles filières d'hydrogène. Des problèmes se posent quant au raccordement. Une étude récente réalisée par RTE montre que si l'on veut produire, par exemple dans le Cotentin, au raz Blanchard, il faudra développer le réseau de raccordement afin qu'il soit à même d'accepter la puissance produite.
La question des coûts est essentielle dans la perspective du développement de ces technologies. L'hydrolien coûte aujourd'hui 200 à 250 euros le MWh. Le challenge est de parvenir à faire baisser ces coûts pour être compétitif et obtenir une énergie à la fois renouvelable et bon marché. Les filières sont émergentes, mais avec l'évolution du marché et la résolution de verrous technologiques, il sera possible d'atteindre des coûts de production de l'ordre de 100 euros le MWh.
Sur la filière éolienne, des travaux de recherche sont en cours, en particulier sur l'éolien posé pour lequel des marges de progrès existent, et sur l'éolien flottant, avec des avancées qui pourraient voir le jour, grâce au soutien de l'ADEME, sur deux filières, l'axe horizontal et l'axe vertical. Un des intérêts de l'offshore est l'impact environnemental. C'est également un secteur fortement porteur d'emplois. L'éolien offshore pourra représenter une part significative du mix énergétique à l'horizon 2030.
La filière hydrolienne utilise les courants marins. C'est un marché encore en construction. Des projets de démonstrateurs existent. Le potentiel est limité, malgré le fait que nous possédions le deuxième gisement hydrolien en Europe. Les dernières études Ifremer indiquent qu'on peut tabler sur un potentiel de 400 MW de puissance installée en 2020. C'est une production intermittente, totalement prédictible sur le long terme. Des installations de fermes pilotes existent à Paimpol-Bréhat, Ouessant, et au raz Blanchard, avec une capacité de 40 à 50 MW par parc. Le facteur de charge moyen est de 40 %. Le raccordement au réseau peut être un frein. Des travaux de recherche sont en cours, sur des turbines à axe vertical ou horizontal, ou encore des turbines réversibles. L'impact environnemental de l'hydrolien est très faible, dans la mesure où tout est immergé, même s'il faut tenir compte des éventuels conflits d'usage.
La filière houlomotrice représente un potentiel théorique élevé, incitant à la création de nombreux concepts. Elle est encore aujourd'hui peu mâture, et nécessite pour se développer une rupture technologique. De nombreux concepts, flottants ou oscillants sous-marins, sont à l'étude. Les contraintes subies du fait des vagues, du vent, et des courants, sollicitent de manière générale fortement la résistance des installations. Les structures occupent une surface importante, qui nécessite là encore de gérer les conflits d'usage.
La filière d'énergie thermique marine a un potentiel élevé dans les zones intertropicales. L'Ifremer a beaucoup travaillé sur ces questions dans les années 1980. Des consortiums privés se penchent aujourd'hui dessus. Les débouchés sont en effet nombreux : production de froid, climatisation, eau douce.
Les projets de recherche et développement en cours sur les énergies marines renouvelables sont nombreux. L'enjeu est notamment d'arriver à baisser les coûts totaux de production et de régler certains points. Sur l'impact environnemental, les installations modifient parfois le trait de côte, voire, localement, le mouvement des courants, ou encore le milieu maritime vivant. Des programmes de recherche sont déposés au niveau national et conduits dans des instituts de recherche, des universités, ainsi qu'au sein de l'IEED France énergies marines. On retrouve le même type de programmes dans les pays européens et à l'international. Il est important qu'il y ait un appui de l'État pour pouvoir développer la recherche, rendre compétitives nos entreprises et promouvoir la filière.
L'Ifremer mène pour sa part essentiellement des programmes d'études sur l'évaluation de la ressource. Il faut pouvoir estimer le gisement pour bien l'exploiter, avec des convertisseurs d'énergie. Nous participons également à des recherches sur le comportement des structures en mer, sur les impacts physiques et biologiques des installations, et à des travaux de démonstrateurs. Nous sommes impliqués dans l'IEED France énergie marine.
M. Vincent Denby-Wilkes, président de France énergies marines. - France énergies marines a été créé dans le cadre des investissements d'avenir. Ses membres sont passés d'un peu plus de cinquante initialement à plus d'une soixantaine, nombre qui ne cesse d'augmenter et représente un bon indicateur de la mobilisation des acteurs français. En sont membres les conseillers régionaux littoraux, les grands groupes, les bureaux d'étude ainsi que les instituts de recherche et de formation.
Outre la métropole, les îles et l'outre-mer représentent un fort enjeu, pour des raisons physiques ou économiques. Je pense notamment aux zones insulaires où les prix de l'énergie atteignent des niveaux élevés.
Les grandes thématiques sur lesquelles France énergies marines travaille sont d'ordre technologique, d'une part, ainsi qu'environnemental et sociétal, d'autre part. Né le 15 mars 2012, France énergies marines a déjà lancé des travaux de recherche sur les sujets suivants : pour le volet technologique, sur les effets du courant sur les machines, les estimations de la production d'énergie des systèmes houlomoteurs, l'identification des objets enfouis, la durabilité des matériaux, ou encore la validation des outils de simulation pour le design de l'éolien flottant, pour le volet environnemental et sociétal, sur les impacts environnementaux ainsi que les observatoires sous-marins.
Les différentes étapes du développement de ces technologies sont les suivantes : après le laboratoire, vient l'étape de l'essai en bassin, puis l'essai en situation réelle sur site d'essai d'un exemplaire pilote, en général unique, l'étape de la ferme-pilote, et enfin la mise en place de parcs industriels. Pour maîtriser cette technologie et rejoindre les rangs des leaders mondiaux, nous manquons de sites d'essai en situation réelle. France énergies marines va en piloter cinq, à Bordeaux et au Croisic, sites qui sont déjà opérationnels, ainsi qu'à Paimpol-Bréhat, à Fos-sur-Mer et à Groix.
Par ailleurs, notre industrie doit se positionner sur des développements véritablement prometteurs. D'après une étude faite par le ministère de l'écologie, l'éolien offshore et les énergies marines bénéficient à la fois d'un potentiel naturel et industriel majeur en France et d'un potentiel de développement du marché élevé, notamment en direction de l'Europe.
D'après une étude de fin 2011, qui devrait être un peu réactualisée compte tenu de la sous-évaluation de certains coûts, les coûts d'investissement et d'exploitation sont encore trop élevés et doivent diminuer. L'objectif d'une convergence autour de 100 euros le mégawatt/heure à horizon 2025 et 2030 doit être recherché. Il y a encore un écart considérable entre l'éolien flottant et l'éolien terrestre, ainsi qu'entre l'hydrolien et l'éolien posé.
Pour réussir le développement de cette nouvelle filière industrielle, une feuille de route doit être élaborée avec des éléments complets de cartographie, un calendrier précis, des modalités d'appel d'offres définies permettant aux industriels d'avoir une visibilité réelle sur les conditions dans lesquelles ils pourront intervenir. Ces trois éléments sont interdépendants, ils nécessitent une implication de l'État, en lien avec les industriels et le monde de la recherche. Il faut également simplifier la réglementation afin de favoriser la mise en place des sites d'essai et des fermes-pilotes ainsi que, demain, des parcs industriels. Il faut aujourd'hui quatre autorisations en France avant de démarrer, alors qu'une seule est nécessaire en Écosse, où un guichet unique a été mis en place. Il faut également anticiper la liaison au réseau électronique afin de choisir les meilleurs tracés et prévoir les investissements correspondants. Sur certains sites éoliens offshore, le raccordement est en retard. Enfin, un accompagnement financier de la recherche et développement est nécessaire. Depuis sa mise en place, France énergies marines est autofinancé par ses membres, sans aide de l'État. Les délais de l'intervention de l'État sont trop longs. Il faut accélérer les procédures, afin que nous saisissions l'opportunité qui s'offre à nous de figurer parmi les leaders mondiaux dans ce domaine.
M. Jean-Louis Bal, président du syndicat des énergies renouvelables. - Le syndicat des énergies renouvelables (SER) est l'association professionnelle qui regroupe l'ensemble des filières, depuis la recherche et développement jusqu'aux marchés. Ce syndicat regroupe 8 filières, 450 entreprises, dont 50 grands groupes, mais pour l'essentiel des PME et des ETI.
Je ne vais pas parler des énergies marémotrices, arrivées à maturité. A part le site de la Rance, il n'en existe pas d'autre qui pourrait être exploité sans causer de forts impacts sur l'environnement. Classées dans un ordre décroissant de maturité, les énergies marines renouvelables sont les suivantes : l'énergie hydrolienne, l'éolien flottant, l'énergie houlomotrice, l'énergie thermique des mers, et, si l'on est très futuriste, l'énergie osmotique résultant de l'attirance entre eau douce et eau salée. Cette dernière correspond à peu près à une chute d'eau de 270 mètres : il y a une énergie considérable à l'embouchure des fleuves, mais savoir comment la capter est une autre question... S'agissant de l'énergie thermique des mers, une utilisation existe déjà dans les départements d'outre-mer, le sea water air conditioning (SWAC), par laquelle on puise de l'eau froide à 4° à mille mètres de profondeur, que l'on utilise pour faire du refroidissement ou du conditionnement d'air. Il n'y a qu'un seul acteur en France (deux dans le monde) dans ce domaine, à la Réunion.
L'énergie marine est prévisible : on ne peut pas la qualifier d'intermittente. Cet adjectif est déjà inapproprié pour l'éolien terrestre et le photovoltaïque. Il signifie que quand on connaît la ressource à un instant donné, on ne la connaît pas à l'instant suivant. Toutes ces énergies sont prévisibles, mais avec des délais différents suivants les technologies. Les courants de marée exploités par l'hydrolien, par exemple, sont prévisibles. Il y a également une grande prédictibilité au niveau de l'éolien flottant, beaucoup plus importante que pour l'éolien terrestre, et à plus long terme. Plusieurs entreprises, grands groupes ou PME, sont en train de développer des projets dans ce domaine, financés dans le cadre des appels à manifestation d'intérêt (AMI) de l'Aeme. L'énergie houlomotrice est aussi prédictible, de même que l'énergie thermique des mers. La variation de température entre les fonds marins et la surface est en effet très faible dans les pays tropicaux.
Pour résumer, nous disposons d'un potentiel important, auquel s'ajoutent les centres de recherche et les acteurs industriels. S'agissant des freins à lever, une première étape a été franchie avec les AMI de l'Ademe qui ont permis la mise en place de démonstrateurs. Il faut aujourd'hui définir une feuille de route, dépassant l'horizon 2020, avec les différentes étapes et les modes de financement correspondants. Il faut mettre en place des mécanismes de soutien aux fermes-pilotes, afin de tester la fiabilité technique et financière non plus d'une seule machine mais de tout un ensemble, en cherchant le meilleur moyen : appel à manifestation d'intérêt, subvention, un peu complétée par des tarifs, dans le cadre d'appels d'offres avec tarifs imposés ou d'appels d'offres avec tarifs déterminés par les postulants. Nous attendons aujourd'hui une décision rapide à ce sujet. Un certain nombre de mesures d'ordre réglementaire sont également nécessaires pour pouvoir aller au-delà des fermes-pilotes et développer des installations à l'échelle industrielle. Je n'y reviens pas, ce sont les mêmes que pour l'éolien offshore. Il faut que les industriels aient de la visibilité à dix ans, compte tenu de la lourdeur des investissements requis.
Boris Fedorovsky, conseiller technique et économique du groupement des industries de constructions et activités navales (GICAN). - Le GICAN est le syndicat professionnel de la filière navale. 175 entreprises en sont membres, à la fois des grands groupes et un très grand nombre de TPE et PME, mais peu d'ETI, ce qui est regrettable, mais la simple traduction de notre tissu industriel français. Ces entreprises représentent 40 000 emplois. Depuis deux ans, nous avons créé un comité énergies marines renouvelables, parce que nous avons estimé que le savoir-faire de la filière navale française pouvait être employé au développement de ces énergies. Nous participons avec les ministres du redressement productif et de l'écologie au comité stratégique de la filière navale et au conseil d'orientation de la recherche et de l'innovation de notre filière, le CORICAN. Ces deux entités ont les énergies marines renouvelables dans leur champ. Nous travaillons en réseau, en collaboration avec les clusters industriels locaux, nos collègues du SER et France énergie éolienne ainsi que les instituts de recherche. Nous nous intéressons à l'éolien posé, déjà en phase d'industrialisation et de commercialisation ; aux hydroliennes, dont certaines convergences technologiques au niveau mondial devraient permettre la mise en place de fermes industrielles à un horizon de deux ou trois ans ; à l'éolien flottant ; aux énergies thermiques des mers, que nous considérons comme quasi-matures, dans la mesure où la phase de développement de fermes-pilotes, qui pourrait intervenir avant la fin de la décennie, ainsi qu'à l'houlomoteur, dont la phase de convergence des technologies est attendue à un horizon plus lointain, autour de 2020, voire plus tard. Ces procédés ont en commun d'être confrontés à la mer, qui est un milieu hostile. Nous nous intéressons aux questions transversales que sont par exemple le recours aux navires pour le transport, la pose, la maintenance, le transfert de personnel, les systèmes et réseaux électriques, la sécurisation et la surveillance du trafic maritime.
Si l'on se réfère à l'étude du consultant Indicta, la somme des potentiels théoriques liés aux énergies marines renouvelables atteindrait plusieurs fois le montant de la production mondiale d'électricité en 2010. Mais il s'agit là de potentiels théoriques, de la somme des énergies disponibles en mer. En revanche, même si l'on considère de façon plus réaliste les potentiels techniquement exploitables - certes à l'horizon 2040-2050 -, leur somme atteint plusieurs milliers de tranches nucléaires type EPR, et plusieurs fois le parc nucléaire mondial existant. Mais leur développement soulève la question des coûts de production. Pour l'hydrolien, qui nous intéresse aujourd'hui, le potentiel mondial est relativement limité, à hauteur de 75 à 100 gigawatt, ce qui équivaut toutefois à une cinquantaine de réacteurs EPR. Cela signifie que les places à prendre sur ce marché sont limitées et qu'il faut agir rapidement.
D'après une étude que nous avons conduite l'an passé, quelque 400 entreprises françaises travaillent ou sont susceptibles de travailler sur les EMR et la France est présente sur chacune des cinq filières, de l'éolien posé à l'hydrolien : c'est une caractéristique quasiment unique au monde. Notre étude montre également que l'activité se répartit sur tous nos littoraux et que la concurrence, dans les segments où elle existe, est complémentaire plutôt que destructrice. Côté emploi, les EMR pourraient créer 37 000 emplois directs et 50 à 80 000 emplois indirects d'ici à 2030, dont la plus grande partie pour la phase de production des équipements et de leur installation. Nous avons travaillé sur deux scénarios : le premier où 20 GW seraient installés en 2030, le second avec 15 GW, ce qui situerait la part des EMR autour de 10 % de notre mix énergétique.
Le prix est évidemment un frein au développement des EMR, mais comme cela s'est passé avec les autres sources d'énergie, ce prix est nécessairement élevé dans la phase de lancement. Les EMR sont à environ 250 euros le MWh, alors que la cible est à 100 euros, soit le prix de l'électricité d'origine nucléaire.
Côté atouts, la France dispose d'un tissu de TPE et de PME qui ont déjà beaucoup investi dans les EMR. Elles sont peu structurées, nous manquons d'ETI et de consortium et c'est précisément l'objectif d'un projet comme « Emergence » que d'aider ces petites entreprises à se structurer en réseau. L'enjeu est de première importance, car nous accusons un certain retard en matière d'éolien posé et la concurrence asiatique est imminente sur l'éolien flottant.
L'Etat a donc tout son rôle à jouer pour planifier les raccordements, accompagner les grands programmes, pour définir les zones d'implantation, pour lancer les appels à projets des fermes pilotes : le privé ne peut se passer de l'intervention publique, tout le monde en convient. Je crois aussi qu'il ne faut pas attendre tous les résultats des fermes pilotes pour lancer les études préalables aux fermes industrielles, car ce serait perdre plusieurs années qui sont précieuses.
M. Xavier Ursat, directeur délégué de la direction production ingénierie hydraulique d'EDF. - Je vous parlerai plus particulièrement du parc hydrolien de Paimpol-Bréhat, qui est le premier projet consacré par EDF à l'hydrolien. Pourquoi EDF s'intéresse-t-elle à l'hydrolien ? D'abord parce que nous avons une expérience et un savoir-faire avec l'énergie des marées : l'usine marémotrice de la Rance tourne depuis 1966, elle produit 500 GWh, ce qui correspond à l'électricité consommée par une ville comme Rennes et ce qui en a fait la plus puissante du monde jusqu'à l'an passé et l'ouverture l'usine marémotrice de Sihwa Lake en Corée du Sud. La mer, ensuite, est une source d'énergie tout à fait prévisible, ce qui rend l'hydrolien très intéressant pour notre mix, au-delà même de la part qu'il y prendra : on parle d'un potentiel de 10 à 15 TWh, nous y voyons d'abord, même avec une production bien plus modeste, un apport décisif à notre mix énergétique. Troisième facteur d'intérêt : l'hydrolien peut atteindre la maturité économique et industrielle dans un délai raisonnable. Nous pensons qu'à l'horizon d'une dizaine d'années, la convergence avec le prix du marché peut être atteinte, aux alentours de 100 euros le MWh : ce délai est également celui qu'il faut pour constituer une filière. Nous pensons que notre pays dispose de tous les éléments nécessaires à cette filière, depuis la recherche jusqu'à l'outil industriel : tout est réuni pour que nous ayons de l'avance lorsque l'hydrolien sera parvenu à l'équilibre économique, et c'est maintenant qu'il faut agir.
A Paimpol-Bréhat, nous installons la première hydrolienne d'un projet de ferme pilote composée de quatre hydroliennes et d'équipements permettant le raccordement au continent, avec la puissance équivalente à la consommation de deux à trois mille habitants. Le projet se situe à une quinzaine de kilomètres du littoral, dans une zone importante pour les crustacés et la pêche locale, ce qui implique une coopération étroite avec le comité des pêches. L'hydrolienne que nous développons est construite par Open Hydro, une société irlandaise entrée depuis peu dans le giron de la DCNS. Le coût de la première hydrolienne - un engin de quelque 900 tonnes, que nous devons transporter par un catamaran spécifique construit sur les chantiers STX à Saint-Nazaire - voisine 40 millions d'euros, dont 7,2 millions ont été apportés par subventions de la région Bretagne, de l'Ademe et du Feder.
Le respect de l'environnement est au coeur de notre cahier des charges, de même que la concertation avec les acteurs locaux. Nous avons choisi une technologie posée, plutôt qu'ancrée, c'est moins agressif pour l'environnement, nous veillons à faire passer le câble par l'itinéraire le moins perturbant et nous avons beaucoup travaillé sur l'intégration des bâtiments au paysage.
Le projet a des retombées économiques locales directes. L'emploi est intégralement européen, aux trois-quarts français et... pour moitié breton !
Nous avons mis à l'eau une machine pilote à l'automne 2011, nous l'avons remontée l'an passé et vérifié alors que le milieu marin est effectivement très difficile pour les machines. Nous avons lancé la construction de la première hydrolienne et posé le câble l'été dernier. Elle serait déjà raccordée s'il n'y avait pas eu une rupture de treuil lors d'un test en rade de Brest, qui nous a conduit à revoir la conception même des treuils et de la barge de transport : le prochain test est prévu à l'automne prochain, pour un raccordement en 2014.
Cette première ferme pilote doit jouer le rôle indispensable du démonstrateur, pour évaluer la faisabilité économique et environnementale de la filière. Je rejoins ce qui vient d'être dit sur le rôle de l'Etat : c'est bien à la puissance publique d'établir les conditions de développement de la filière, nous avons besoin d'un cadre réglementaire efficace et cohérent, ce qui est loin d'être le cas aujourd'hui - j'indique pour l'exemple que nous avons eu le plus grand mal à faire établir un permis de construire pour le raccordement de l'installation, du fait qu'elle était en mer... Il faut également évaluer l'acceptabilité sociale de la filière : notre projet a déclenché bien des questions, des inquiétudes ; nous avons travaillé avec les acteurs locaux, en particulier avec les pêcheurs, qui ont, je crois pouvoir le dire, été rassurés par notre démarche et par le respect que nous avons du milieu marin.
Le temps est effectivement venu d'organiser la filière, car l'hydrolien sera au stade industriel dans une dizaine d'années : nous pouvons avoir un avantage compétitif, ne ratons pas le coche !
M. Bernard Mahiou, directeur système énergétique insulaire d'EDF - Je vous parlerai de la station de transfert d'énergie par pompage (STEP) d'eau marine qu'EDF projette d'implanter en Guadeloupe et qui est une première. Les EMR, comme l'éolien terrestre, ont vocation à se développer dans les prochaines années, ce qui nécessite d'importants investissements dans les réseaux mais également dans les infrastructures de stockage. Aujourd'hui, sur les 140 GW d'énergie stockée, 139 le sont par des STEP terrestres. Les stations de transfert d'énergie fonctionnent sur le principe des vases communicants, qu'il est tout à fait possible d'appliquer avec de l'eau marine en bord de mer (L'orateur présente une série de diapositives illustrant ce propos et présentant, en particulier, la technique envisagée pour la STEP marine).
Les EMR sont plus chères, c'est un handicap certain auquel s'ajoute celui de leur caractère intermittent, ce qui pose des problèmes d'insertion dans le mix énergétique de certaines îles où ces énergies atteignent déjà le plafond réglementaire de 30 %, ce qui est très loin d'être le cas en métropole. Pour mémoire, ce seuil vise à ce que l'intermittence ne compromette pas l'approvisionnement en cas de rupture. C'est bien pourquoi EDF investit dans cette solution innovante de stockage par STEP marine : en garantissant l'approvisionnement, elle permettrait de franchir ce seuil, ce qui serait bienvenu dans certaines îles ultramarines où les EMR sont très prometteuses et tout à fait adaptées au contexte local.
En 2012, nous avons fait une cartographie des entreprises qui pouvaient s'investir dans les énergies marines renouvelables, et une analyse des emplois et de l'activité économique que l'on pouvait en attendre à horizon 2030. Nous avons dénombré 400 entreprises impliquées ou susceptibles de l'être.
En ce qui concerne le stockage de l'électricité grâce à la mer, la plus vieille expérience connue est celle de l'usine marémotrice de la Rance, qui utilise la dénivelée entre le bassin de retenue et le niveau de la mer fluctuant au gré des marées. Afin d'alimenter la vision des décideurs sur ce sujet, je vous signale qu'il est abordé dans un rapport de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques de 2009, relatif à la stratégie de recherche dans le domaine de l'énergie. Un autre exemple est celui de la station de transfert d'énergie par pompage (STEP) d'Okinawa, mise en fonction il y a quinze ans. A titre prospectif, je peux aussi évoquer le système de lagons et d'îles artificielles imaginé par la Belgique.
En Guadeloupe, un projet de STEP marine est à l'étude, afin de corriger l'intermittence des énergies renouvelables, de lisser les pointes de consommation, et de réduire la consommation de combustibles fossiles. Le dispositif de la contribution au service public de l'électricité (CSPE) rend ce projet financièrement possible, la question étant de savoir comment étendre cette technologie à la France métropolitaine.
Le schéma de principe est le suivant : une usine génératrice d'électricité se trouve reliée à un vaste bassin d'eau de mer implanté au sommet d'une falaise et alimenté par pompage durant les heures creuses. L'usine est préfabriquée, modulaire, et connectée en bas de falaise. C'est ce schéma qui est approfondi par Alstom et STX en Guadeloupe, au nord-est de Grande Terre, sur un site présentant une falaise de soixante mètres de haut. Le caisson de l'usine, dotée de pompes et de turbines, arriverait par flottaison, pour être arrimé en bas de falaise. La puissance installée serait de 50 MW, la capacité du réservoir en partie supérieure serait de 12 heures à puissance maximale, ce qui suppose un volume de cinq millions de mètres cubes et une emprise de 40 hectares. Bien sûr, l'étanchéité du bassin devra être totale, pour éviter que l'eau de mer ne s'infiltre dans la falaise.
Le modèle économique de cette STEP marine ne vaut que pour les zones non interconnectées (ZNI), qui se caractérisent par des coûts de production élevés de l'électricité, mais aussi par une CSPE élevée. La loi de finances rectificative pour 2012 a déjà prévu la modification du code de l'énergie nécessaire pour permettre que la « valeur de CSPE évitée » puisse être mobilisée en partie au profit de cet investissement, l'autre partie faisant retour à la collectivité nationale. L'investissement total est estimé à 300 millions d'euros, à mettre en rapport avec un montant de CSPE évitée estimé à 28 millions d'euros par an. A cette contribution de base, s'ajoutent les participations de 15 millions d'euros du conseil général de Guadeloupe, de 5 millions d'euros du conseil régional, de 16,5 millions d'euros en subventions et de 32 millions d'euros en avances remboursables de la part de l'Ademe et du CGI, et de 45 millions du Feder. Le planning prévoit la réalisation des études techniques et d'impact en 2013-2015, la réalisation de l'installation en 2016-2019, et la mise en service en 2020.
Un autre site est en cours d'études à La Réunion, à Matouta. Il serait également d'une puissance de 50 MW. Mais, avec une hauteur de chute de 150 mètres, le bassin nécessaire ne ferait plus que 2 millions de mètres cubes en volume et 13 hectares en surface, pour un coût total de 200 millions d'euros. Nous avons procédé à un recensement des sites propices aux STEP marines au niveau mondial. Les études topographiques dans les pays sélectionnés font apparaître un nombre élevé de sites potentiels. Ce qui ne signifie pas qu'ils soient tous équipables. Mais ils peuvent suppléer la raréfaction des sites de STEP terrestres. Nous pensons que le marché s'organisera autour de deux segments : celui des petites hauteurs de chute, et celui des hauteurs de chute moyennes. L'avantage de la solution du caisson préfabriqué est qu'elle permet la standardisation, la rapidité de réalisation, la limitation des aléas et la fiabilité.
Les STEP marines présentent ainsi un intérêt majeur pour les îles, confrontées à la difficulté d'insertion des énergies renouvelables intermittentes. Les pouvoirs publics jouent un rôle moteur, un modèle économique a été mis en place dans le code de l'énergie, et les premières réalisations vont permettre de tester le concept sous tous ses aspects. La filière française peut être initiée dès maintenant, avec l'implication de grands industriels comme Alstom, EDF, STX. Mais ce qui est vrai pour un système électrique insulaire ne l'est pas encore pour le système interconnecté européen.
M. Jean-Baptiste Séjourné, directeur de la production d'électricité de GDF Suez Énergie France. - Notre société représente une puissance électrique installée de 118 MW dans le monde, et une capacité supplémentaire en construction de 15 MW. Elle est engagée dans les énergies renouvelables, et se classe comme leader en France pour l'éolien terrestre et deuxième pour l'hydraulique et le photovoltaïque. Sur les hydroliennes, nous sommes focalisés sur deux projets de parcs situés sur les deux gisements les plus importants : le Raz Blanchard au large du Cotentin, et le passage du Fromveur au large du Finistère. Nous avons fait le choix de nous positionner directement sur la phase de la ferme pilote. Nous avons le souci d'être respectueux de l'environnement, des usagers de la mer, et du développement économique. Nous voulons contribuer à l'émergence d'une filière hydrolienne française. Dans un souci pratique, je vais me focaliser plutôt sur les freins à la réussite de ces projets.
Le Raz Blanchard représente la moitié du potentiel hydrolien français. Nous comptons y implanter une ferme pilote comportant trois à six turbines d'1 MW de puissance chacune, à l'horizon 2016. Après avoir procédé à un examen systématique des technologies disponibles, nous avons passé un accord industriel avec une société allemande filiale de Siemens, Voith Hydro, pour tout ou partie du parc. L'étape de la ferme pilote est indispensable pour confirmer la viabilité de la technologie choisie avant de passer à l'étape finale du parc industriel, qui réunira une centaine d'hydroliennes sur cette zone. Nous avons déjà passé un accord avec les industriels présents dans la région de Cherbourg, car nous souhaitons que la maintenance de la ferme soit localisée. Sur le Fromveur, nous travaillons avec Sabella, une société bretonne afin d'avoir accès à ses études et à son prototype d'hydrolienne. Ensemble, ces deux zones représentent 80 % du potentiel hydrolien français.
Notre objectif est donc d'avoir deux fermes pilotes en service d'ici 2016. Mais qu'attendons-nous pour avancer concrètement ? D'abord, la mise en place d'un mécanisme de soutien aux fermes pilotes hydroliennes. Une mission interministérielle est en cours. La ministre en a aussi parlé lors de son récent déplacement à Cherbourg. Mais n'oublions pas que nous ne sommes pas seuls en Europe. La Grande-Bretagne a déjà mis en place un système de soutien aux fermes pilotes, avec une aide à l'investissement de l'ordre de 20 à 25 millions d'euros par projet et une aide à la production de 310 euros par MWh. Ayons conscience que nous sommes dans une compétition européenne. Si nous ne nous situons pas au bon niveau, nos projets risquent d'en souffrir.
Le nombre d'acteurs susceptibles d'investir n'est pas si grand à ce stade de la ferme pilote, et il ne nous paraît pas nécessaire d'introduire une phase concurrentielle. Il faut d'abord tester les technologies, dans un cadre adapté à cette période de levée des risques qui peut décourager les investisseurs.
J'insisterai aussi sur l'importance du raccordement. Rien ne serait plus grave que de se retrouver avec des parcs industriels sans possibilité de raccordement au réseau. Des engagements de mise à niveau des installations de raccordement doivent être pris dès à présent. Mais, si la haute tension sera nécessaire pour les parcs industriels, le réseau de distribution peut suffire pour les fermes pilotes. Il est également important de mutualiser ces éléments de raccordement pour tous les acteurs qui souhaitent s'engager.
M. Jacques Jamart, directeur énergies nouvelles d'Alstom. - Notre société a constitué un secteur énergies renouvelables présent dans trois domaines : la partie hydro, l'éolien off shore et terrestre, les énergies solaires. L'énergie houlomotrice est encore relativement immature : nous avons recensé 120 types d'approches différentes, et personne n'a encore résolu l'équation d'un produit qui résiste à la vague pour un prix économiquement viable. Cette filière se trouve actuellement sous pression, notamment chez les Anglo-saxons, et rencontre un problème de financement. Pour les hydroliennes, le potentiel est estimé entre 50 et 100 GW à travers le monde, dont 5 à 6 GW en Grande-Bretagne et 3 GW en France. Le marché français est en retard par rapport à celui de la Grande-Bretagne, qui est déjà doté d'un tarif de rachat, d'aides financières et d'un guichet commun pour instruire les dossiers. Mais notre pays est doté d'un bon gisement, et d'un tissu industriel et académique de qualité.
La technologie que nous avons déployée depuis un an dans les îles Orcades part d'une machine que nous avons achetée à Rolls Royce, après avoir abandonné le développement de notre propre turbine. Elle est fixée sur un tripode, dont elle peut être déconnectée, et est flottante : il est ainsi facile de la remonter et de la remorquer. La turbine est orientable en fonction du courant, dotée de pales elles-mêmes orientables de 18 mètres, qui pourront atteindre jusqu'à 22 ou 23 mètres sur d'autres modèles. Le tout pèse 180 tonnes, auxquelles il faut ajouter 200 tonnes pour le tripode. C'est ce type d'engin qui se trouve immergé au large des îles Orcades ; il est connecté, sans qu'il ait été besoin d'un développement spécifique du réseau électrique existant. La Grande-Bretagne est donc prête pour passer à la phase industrielle dès 2018. La France ? Je ne sais pas. Il y a bien sûr des limites à ces technologies innovantes, qui doivent s'insérer dans un milieu marin relativement méconnu, et complexe.
Notre feuille de route prévoit le lancement en présérie de fermes pilotes dès 2014-2016, pour une production de série dès 2017. A condition, bien sûr, que les projets suivent. Les conditions d'émergence de la filière sont les suivantes : un cadre réglementaire et des spécifications techniques, une technologie à maturité. Dans les quatre à cinq années à venir, cinq à six entreprises au plus maîtriseront les technologies pour une production en série. Une course est engagée entre la France et la Grande Bretagne pour les premiers appels d'offres importants. Il n'y aura pas autant de capacités que de contrats. J'insiste sur la nécessité d'un AMI clair pour les fermes pilotes, d'un tarif de rachat, et d'une commande suffisante pour structurer une filière industrielle.
M. Ronan Dantec. - Je me pose une question à propos de la création de ces filières. Tout le monde n'avance pas en ordre, il y a une dispersion des acteurs. Le tissu industriel français est-il vraiment capable d'être performant à ce niveau de dispersion ? Je pense qu'il y a place pour une ou deux filières dans l'éolien off shore. Cette fragilité est-elle due au fait que l'État n'est pas suffisamment stratège ? Nous devons nous structurer davantage si nous ne voulons pas rater le coche.
Mme Hélène Masson-Maret. - Je pensais, en arrivant dans cette commission du développement durable, découvrir des thématiques plus douces. Certes, je suis admirative devant la technologie que vous venez de nous présenter. Vous nous faites miroiter des exportations, des emplois, de la croissance, un potentiel énergétique fabuleux. Mais pourriez-vous nous expliquer comment vous aller solliciter l'environnement, en termes d'énergies carbonées ? Vous projetez de créer des machines énormes, sans forcément envisager l'usure du milieu marin ou leur recyclage final. J'ai le sentiment que nous jouons les apprentis sorciers. N'y a-t-il pas une question capitale à se poser en ce qui concerne l'environnement ? Le développement des énergies renouvelables, d'accord, mais à quel prix ? Il faudrait que l'on vous demande d'évaluer les coûts en énergies carbonées, en termes d'atteintes à l'environnement, de préjudice esthétique.
M. Benoît Huré. - Je félicite les intervenants pour leur didactisme : vous nous rendez accessibles des questions très complexes, merci ! L'enjeu est stratégique pour l'humanité tout entière, ce qui m'inspire cette question : vous semble-t-il que nous sommes, comme nos aînés dans les années 1950 avec l'aérospatial par exemple, dans ce moment historique où nous devons modéliser et industrialiser ce qui paraît encore relever du rêve ou de l'expérimentation ? Je suis particulièrement intéressé par les questions du stockage, puisque les énergies renouvelables, dans leur ensemble, souffrent de leur intermittence. Nous avons, dans les Ardennes, une station de stockage connectée au fluvial, sa technique est tout à fait intéressante. Quel stockage peut-on envisager, cependant, pour l'éolien ou le photovoltaïque ?
Mme Odette Herviaux. - Je trouve très encourageant d'entendre parler de développement à propos de la mer, de voir tous ces projets et ces perspectives se dessiner, car je suis convaincue et je milite depuis bien des années pour que le potentiel de développement de la mer et des océans soit reconnu et investi : les EMR apporte un souffle nouveau, je remercie les intervenants d'y contribuer ! Cela ne m'empêche pas d'entendre la préoccupation esthétique d'Hélène Masson-Maret, qui touche là un sujet propre à toute activité humaine.
Je crois, comme l'ont souligné les intervenants, que le temps est venu de desserrer les freins du développement des EMR, et d'abord les freins réglementaires : il ne faut pas tarder ! Il revient aussi à l'Etat de définir une feuille de route, de mettre en place un mécanisme d'aide au démarrage et à la constitution de la filière. Nous devons d'autant moins tarder que nos concurrents avancent vite, pas seulement nos voisins britanniques - et qu'ils ne prennent pas toujours toutes les précautions que nous prenons.
M. Benoît Huré. - L'appel de M. Denby-Wilkes à ne pas perdre de temps m'inspire cette question : quelle appréciation avez-vous de l'aide publique aux EMR ?
M. Raymond Vall, président. - Nous aimerions également pouvoir comparer les coûts d'électricité selon la source d'énergie et avoir des éléments de prospective sur l'évolution des coûts liée à la disparition des hydrocarbures.
M. Jean-Louis Bal. - Je répondrai d'abord à M. Dantec qu'effectivement, les défis ne manquent pas pour atteindre le Graal que nous évoquons aujourd'hui. Le premier d'entre eux, c'est bien de créer une véritable filière industrielle. Voyez comme cela s'est passé pour l'éolien offshore, où la technologie était suffisamment avancée et maîtrisée pour procéder à des choix : deux industriels de premier plan ont été choisis, Areva et Alstom, avec tout un écosystème de PME pour développer la filière. Nous devons aller dans le même sens aujourd'hui avec l'hydrolien, qui est, parmi les EMR, le plus proche du développement industriel. Pour les autres EMR, nous ne savons pas encore sur quels chevaux miser, les fermes pilotes nous aideront à choisir.
Je veux ensuite rassurer Mme Masson-Maret : tous les équipements que nous installons ont fait l'objet d'une analyse de cycle de vie, qui inclut leur bilan carbone. Si l'analyse de cycle de vie démontrait que le bilan était négatif, l'équipement ne serait bien sûr pas installé.
M. Vincent Denby-Wilkes. - Lorsque l'usine marémotrice de la Rance a été installée, il n'y avait pas d'études d'impact, ni d'analyse précise de la situation avant l'installation. Aujourd'hui, les choses ne se passent plus du tout ainsi, nous avons des études très précises de la situation de départ et nous allons suivre l'évolution dans le temps.
M. Boris Fedorovsky. - Les EMR ont, comparativement aux autres énergies, peu d'externalités et entraînent moins de conflits d'usage. Les structures utilisées sont en acier recyclable, tous les équipements sont relevables : le temps n'est plus, comme dans les années 1970 et 1980, aux vastes plateformes en béton pour les hydrocarbures...
S'agissant de la concurrence, je crois qu'il y a - encore - de la place pour plusieurs consortiums dans notre pays sur les EMR et même sur l'hydrolien.
M. Bernard Mahiou. - Tout système électrique doit équilibrer l'offre et la demande, mais également disposer de réserves en cas de panne ou d'indisponibilité d'une partie du réseau. La STEP marine, en stockant, contribue à la réserve, on le comprend très bien dans les îles ultramarines, où les énergies renouvelables jouent un plus grand rôle qu'en métropole, mais ce rôle peut prendre de bien plus grandes proportions dans l'Union européenne même.
M. Jean-Baptiste Séjourné. - Le rythme est décisif dans la construction d'une filière industrielle. C'est pourquoi il me semble désormais urgent de donner des signes clairs aux industriels. Le coût des fermes pilotes, ensuite, n'est pas exorbitant : il est compatible avec des décisions rapides, quitte à arbitrer entre projets sur les différentes EMR.
M. Jacques Jamart. - Le kilowattheure issu d'une énergie fossile coûte aujourd'hui 5 à 8 centimes, celui produit par l'éolien terrestre coûte environ 10 centimes, le solaire 15 à 20 centimes. Pour les EMR, nous sommes bien au-delà et nous visons un coût autour de 13 centimes dans une dizaine d'années, à condition d'un véritable lancement. Cependant, comme vous le dites, Monsieur le président, il faut anticiper la disparition progressive des hydrocarbures.
M. Xavier Ursat. - Les prévisions sont difficiles à établir car les courbes d'apprentissage sont théoriques : c'est bien pourquoi il faut avancer dans la phase réelle, avec les fermes pilotes. Qui plus est, deux variables importantes sont très incertaines : l'évolution du prix du gaz, d'une part, et la perspective de payer le CO2 émis, qui pèsera différemment sur les différentes sources d'énergie. Ces deux facteurs sont d'autant plus difficiles à faire entrer dans les prévisions, qu'ils sont éminemment politiques.
Je crois également qu'il y a la place en France pour le développement de deux ou trois filières : pour le savoir, il n'y a que l'épreuve des faits.
Quant au facteur environnemental, on ne peut pas nier que la production d'électricité à partir des EMR aura un impact, nous allons le mesurer très précisément. Nous coopérons avec les pêcheurs, ils ont même reconnu avoir progressé dans leur connaissance des crustacés grâce aux études que nous avons conduites... Plus généralement, je crois que nous participons à un mouvement d'ensemble, planétaire, qui voit l'homme commencer à s'approprier les océans, qui couvrent 70 % de la surface terrestre et qui sont à peine exploités.
Mme Marion Lettry, déléguée générale adjointe du syndicat des énergies renouvelables. - Les fermes pilotes auront vocation à montrer précisément l'impact des équipements sur l'environnement marin. Il faut savoir aussi que leur taille et leur puissance sont réduites, puisqu'il s'agit de quelques mégawatts.
M. Lionel Lemoine. - Le milieu marin et les littoraux sont protégés par une réglementation rigoureuse, européenne et nationale, en particulier pour la faune et la flore. Les procédures d'urbanisme offrent des garanties, de même que la concertation qui préside à de tels projets.
Mme Hélène Masson-Maret. - J'entends bien que vos projets sont évalués pour leur bilan carbone, leur impact sur la faune et la flore, mais personne ne me répond sur l'esthétique environnementale elle-même : quel sera l'impact esthétique de vos installations ? Y veillez-vous seulement ?
M. Jacques Jamart. - Les hydroliennes seront sous-marines, à une quinzaine de kilomètres du littoral : il y a peu de chances qu'elles défigurent le paysage.
M. Jean-Louis Bal. - Le défaut de l'intermittence des énergies renouvelables n'est pas insurmontable puisqu'une certaine régulation est possible. D'abord, sauf dans certains territoires d'outre mer, nous sommes très loin du plafond de 30% d'énergies renouvelables dans le mix, qui garantit l'approvisionnement du réseau. Ensuite, RTE prévoit très précisément les variations de consommation et de production. Enfin, l'interconnexion du réseau européen permet de mutualiser l'électricité produite. D'autres réponses existent également, du côté de la consommation, qui seront d'autant plus accessibles que les ménages seront équipés de compteurs intelligents.
M. Boris Fedorovsky. - Le développement des EMR est à rapporter à la « maritimisation » de l'économie mondiale : les sociétés humaines, effectivement, s'approprient davantage la mer, avec l'aquaculture, avec les transports, et il n'est pas illogique qu'elles cherchent à y produire aussi de l'énergie, qui pourra du reste servir localement.
M. Raymond Vall, président. - Merci à tous pour vos contributions.
Mercredi 27 mars 2013
- Présidence de M. Raymond Vall, président, puis de M. Michel Teston, vice-président -Réforme ferroviaire - Audition de M. Jean-Louis Bianco, président de la mission de concertation
La commission procède à l'audition de M. Jean-Louis Bianco, président de la mission de concertation sur le projet de réforme ferroviaire.
M. Raymond Vall, président. - Nous sommes ravis d'accueillir Jean-Louis Bianco, et impatients de connaître les résultats du travail qu'il présentera prochainement. Nous avons la chance d'en avoir la primeur.
M. Jean-Louis Bianco, président de la mission de concertation sur le projet de réforme ferroviaire. - Merci de m'accueillir. Je suis accompagné de Claude Sardais, inspecteur général des finances et de Ludovic Espinasse, ingénieur des ponts et chaussées. Le gouvernement, par la voix de Frédéric Cuvillier, ministre délégué chargé des transports, a annoncé les principes d'une réforme du système ferroviaire et m'a confié une mission, dont nous devrions remettre le rapport vers le 15 avril. Compte tenu de l'importance de l'enjeu, nous préparons un document grand public, pour restituer autant que faire se peut l'apport des quelque deux cents personnes que nous avons entendues.
Ma lettre de mission détermine quatre axes de travail, à mes yeux également importants : mettre en oeuvre une organisation unifiée du système ferroviaire à même de répondre pleinement aux besoins des usagers ; assurer l'efficacité économique et la pérennité financière d'un système ferroviaire lourdement endetté ; construire un nouveau pacte social fondé sur un cadre moderne applicable à l'ensemble des entreprises de la branche ; préparer l'ouverture à la concurrence à l'horizon 2019 dans des conditions équitables.
Nous sommes de plus en plus convaincus qu'il faut, à l'occasion de cette réforme, engager une véritable refondation du système ferroviaire. Les choses ont beaucoup changé, depuis la séparation en 1997 de RFF (Réseau ferré de France) et de la SNCF. Celle-ci a apporté de nouvelles méthodes, mais aussi beaucoup d'inconvénients opérationnels.
Depuis les Assises du ferroviaire, il est acquis qu'il faut un gestionnaire d'infrastructure unique (GIU), résultant de RFF et des fonctions concourant à la voie au sein de la SNCF (entretien, maintenance, circulation). Au-delà de cette réforme, qui fait consensus, saisissons cette occasion pour repenser l'ensemble du système « point à point » ou « bout à bout », c'est-à-dire à partir du voyageur qui se rend de chez lui à son travail ou en vacances, de l'agriculteur ou de l'industriel qui fait transporter des céréales ou des produits finis du lieu de production jusqu'à son client, bref, d'une vision intégrée du système.
Concevons le système ferroviaire comme un outil de production. Quel est le métier de RFF aujourd'hui et du gestionnaire d'infrastructure demain ? Produire des sillons de bonne qualité, répondant au meilleur coût aux besoins. Il est également nécessaire que le travail de transporteur de la SNCF évolue, en incluant de nouvelles propositions.
La refondation doit garantir la pérennité économique et financière du système. La constitution d'un GIU de plein exercice ne posera alors pas de difficulté majeure, sachant qu'il manque tout de même 1,2 à 1,5 milliard d'euros pour financer le système ferroviaire. Il faut donc engager un plan de retour à l'équilibre fondé sur une meilleure organisation du système. On estime à plusieurs centaines de millions, voire à un milliard d'euros ou plus les gains qui peuvent en résulter ; il est vrai que beaucoup de dysfonctionnements peuvent être corrigés. On s'en sortira par une politique de développement et de relance de l'offre de services et non par une politique restrictive.
Contenons la dette, faisons en sorte qu'elle n'augmente pas, sachant qu'elle correspond en partie à des emprunts finançant le développement du réseau, parfaitement légitimes. Depuis que les régions sont organisatrices des transports, l'offre, de TER en particulier, a considérablement augmenté.
Le pacte social est indispensable. Si l'on veut réussir la réforme, il n'est pas question, fût-ce à terme, d'abolir le statut des cheminots. Il faut assurer le fonctionnement des entreprises publiques, gestionnaire d'infrastructure et SNCF, en veillant à la circulation des personnes et des carrières en leur sein. L'ouverture à la concurrence, dont on n'a pas pu préparer les conditions, a transféré un tiers du fret de la SNCF à ses concurrents privés. Malgré cela, les marchandises continuent à passer davantage par la route que par le rail. C'est pourquoi il faut aujourd'hui un cadre social, une convention collective de branche, avec un décret qui garantisse la sécurité, pour préparer l'ouverture à la concurrence.
Une interdiction, par la Commission, des systèmes intégrés aurait été totalement inacceptable pour la France. Dans son projet de quatrième paquet ferroviaire, la Commission européenne admet que la séparation, qui a sa préférence, peut coexister avec un système intégré, sous réserve qu'il présente des garanties « d'indépendance », d'impartialité des fonctions essentielles.
Il revient au Parlement et au Gouvernement de concevoir une réforme qui, pour des raisons pratiques, assure une meilleure intégration, mais apporte aussi toutes les garanties de transparence, d'équité, d'impartialité. Ce n'est pas impossible, à condition de bien préciser le rôle de chacun : tel sera le sens des conclusions que nous remettrons un peu plus tard qu'annoncé dans un premier temps. En effet, les choix de stratégie, d'investissement, de contrôle, la détermination de la trajectoire de retour à l'équilibre, appartiennent à l'Etat et au Parlement, non au pôle public ni même à une agence de régulation. Il faut une autorité de régulation dotée de moyens de sanction dissuasifs, et usant de procédures de type jurisprudentiel plutôt que de règles d'ordre bureaucratique, et l'édification de ce que Bruxelles appelle des « murailles de Chine ».
M. Rémy Pointereau. - Vous avez rappelé les principaux axes de votre mission. Le rapport d'étape sorti dans la presse il y a quelques semaines se concentre sur l'arrêt des lignes à grande vitesse (LGV), alors que ce n'est pas la question posée. Il y a télescopage, cafouillage, avec la commission « Mobilité 21 » de Philippe Duron, dont le rapport doit être rendu mi-juin. A quoi servira-t-il si le vôtre préconise, dès avril, l'arrêt des LGV ?
Il manque plus d'un milliard d'euros à la SNCF pour arriver à l'équilibre, et vous parlez de pacte social comme s'il n'y avait pas d'importantes économies de fonctionnement à fournir ? Comment y arriver sans toucher au statut des cheminots ? Les bras m'en tombent quand je vous entends dire qu'il n'est pas question de le mettre en cause. Ne partent-ils pas à la retraite à 55 ans et combien la prime de charbon coûte-t-elle ? Compte tenu de ce qui se passe dans la fonction publique comme dans le privé, il y a là à l'évidence un gisement d'économies.
Depuis trente ans, la SNCF favorise le fret routier. Il y a un problème de compétitivité à résoudre. On est incapable de conduire un train de céréales à La Rochelle ou à Rouen ! Quand une seule personne suffit pour faire rouler un tel train en Allemagne, il nous faut cinq cheminots... N'y a-t-il pas là des économies à trouver, sans sacrifier les infrastructures et les LGV, qui forment l'épine dorsale des liaisons économiques, créent des richesses et des emplois ? Voilà la bonne dette, par rapport au fonctionnement qui représente la mauvaise dette ! J'ai été choqué que vous vous en preniez aux investissements. Une entreprise qui n'investit pas est morte en cinq ans !
M. Charles Revet. - Oui, le rapport de l'Ecole polytechnique fédérale de Lausanne et celui de la Cour des comptes ont montré que nous perdons du terrain et que si nous ne redémarrons pas l'investissement dans l'ensemble du réseau, nous continuerons à reculer. Vous soutenez que pour augmenter les recettes, il faut accroître le trafic, c'est le bon sens. Quand je suis devenu rapporteur du budget des ports maritimes, j'ai pris conscience des formidables perspectives ouvertes par nos ports de Marseille, du Havre, de Rouen. Nous avons accueilli il y a quelques semaines au Havre le plus grand porte-conteneurs du monde, le Marco Polo ; les représentants de l'armateur m'ont affirmé qu'il ne peut être accueilli que dans deux ports d'Europe du Nord : Rotterdam et Le Havre. Mais quand il faut un temps infini pour réaliser des travaux en France, Hambourg et Anvers n'attendront pas deux ou trois ans pour rattraper leur retard. Nos débouchés aujourd'hui passent par la voie fluviale ou ferroviaire. Pour aménager le tronçon Serqueux-Gisors, il faut 200 millions d'euros, à comparer avec les quelques milliards d'euros de travaux prévus à Anvers.
Nous devons mettre l'accent sur ces dossiers pour conserver nos avantages actuels et relier notre domaine ferré et fluvial avec nos grands ports maritimes. Certes, 80 à 100 millions d'euros par an, cela peut paraître cher, mais si nous pouvons les dégager rapidement, nous en retirerons les fruits. Encore ne faut-il pas ajouter, comme on en a l'habitude en France, les études coûteuses à celles qui consument le temps. Appelons-en d'abord aux capacités d'initiative des entreprises et comparons après coup, ainsi nous pourrons garder notre avantage et gagner du temps.
La ligne LGV Paris-Normandie est-elle passée par pertes et profits ? A la commission du développement durable, nous sommes attachés au développement des transports collectifs : quid du fabuleux maillage de lignes secondaires, dont nous avons la chance de disposer et de l'articulation tram-train à l'intérieur des villes ?
M. Jean-François Mayet. - Le deuxième axe que vous avez cité, celui de la rentabilité économique et de la capacité financière, devrait être le premier. Aucune entreprise, aussi prestigieuse soit-elle, ne s'est jamais redressée seulement en jouant sur son chiffre d'affaires, sans s'attaquer à ses charges. Dans les six mois suivant sa nomination à la tête de Renault, Georges Besse a parcouru tous ses services en demandant à quoi ça sert et combien ça coûte : c'est ainsi qu'il a assaini la gestion et redressé la Régie. Je crains que nous ne fassions fausse route. La première préoccupation doit être de mettre l'entreprise enfin à l'abri de la politique et des syndicats, sinon cela ne marchera jamais.
M. Vincent Capo-Canellas. - Merci pour votre présentation claire et synthétique. Les quatre axes que vous avez cités font consensus, mais si on se limite au GIU, on ne traitera qu'un pan du sujet. Vous l'avez dit, la part du fret routier va croissant et c'est sans doute dans le contexte d'une transition écologique globale qu'il faut réorienter la réflexion vers le « point à point ». M. Pepy, lors de son audition, a abondé dans ce sens. C'est une révolution pour la SNCF. Quelles en seront les conséquences sur son organisation ? Si nous avons une véritable ambition, interrogeons-nous sur les conditions de sa réalisation. Or vous êtes très prudent sur le pacte social. Je comprends qu'il faille rassurer les salariés, d'autant que vous avez eu la gentillesse de nous livrer la primeur de votre réflexion, mais comment, dans les conditions économiques actuelles, poser le maintien à long terme du statut en préalable ? Même question pour la dette. Se contenter de la cantonner, est-ce viable à terme ? Il y aurait 1,2 milliard à 1,5 milliard d'euros à trouver. Je doute vraiment qu'on économise 800 millions à 1 milliard d'euros grâce au gestionnaire d'infrastructure unifié ; cela me paraît bien optimiste. Je crains que l'on se retrouve confronté, dans cinq à six ans, à de nouvelles pertes de parts de marché, si l'on ne tient pas dès maintenant un discours de vérité.
M. Michel Teston. - Merci d'être venu à notre rencontre. Je fais partie des nombreux parlementaires qui ont toujours contesté, depuis 1997, la séparation entre gestionnaire d'infrastructures et exploitant. A l'époque, le Gouvernement pour cantonner la dette dans RFF et en libérer la SNCF, est allé au-delà de la séparation comptable préconisée par le premier paquet ferroviaire de 1991 en instaurant une séparation juridique. Le surcoût en est important, sans doute plus proche de 300 à 400 millions d'euros par an que d'un milliard. C'est autant que l'on pourrait économiser en étant plus efficace. Je suis très favorable à la solution du GIU, avancée par le Gouvernement. Elle rendra possible la refondation du système ferroviaire français que vous appelez de vos voeux.
La Commission européenne a évolué sur le quatrième paquet, en acceptant le choix d'un modèle intégré, à condition qu'il soit totalement impartial. Je soutiens cette préconisation et le projet de loi qui sera en conséquence présenté au Parlement.
M. Jean-Jacques Filleul. - Je suis de ceux qui ont lutté contre la séparation. Ce que nous avions dit et écrit s'est malheureusement avéré. L'entreprise a été extrêmement fragilisée, on le reconnaît désormais. Beaucoup, y compris chez RFF, souhaitent revenir à un système unifié.
Au-delà de la réforme, une refondation est nécessaire, à condition qu'elle intervienne dans la transparence, en particulier pour le personnel. N'oublions jamais que cette société, qui a longtemps été rattachée au ministère des transports, n'est pas une entreprise comme les autres. On peut l'accepter ou le refuser, mais c'est ainsi que tous les gouvernements, de gauche comme de droite, l'ont toujours considérée...
M. Jean-François Mayet. - Cela n'a pas marché !
M. Jean-Jacques Filleul. - Peut-être, mais c'est tout de même la 17e entreprise française et elle a un potentiel de développement très important. Il faut un opérateur unifié, doté d'une gouvernance claire, avec une tête de réseau, pour le public comme pour les cheminots, qui représentent une force considérable, c'est bien normal. La transparence dans les décisions est nécessaire. Même si je viens du secteur privé, je suis pour le maintien du statut, qui doit, bien sûr, tenir compte de l'ouverture à la concurrence en 2019.
M. Benoît Huré. - Oui !
M. Jean-Jacques Filleul. - Le projet de Jean-Louis Bianco me rassure à cet égard. Quant à la dette, j'appartiens à l'école qui, pendant les années Jospin, estimait que nous pouvions la reprendre sans affecter le PIB - nous étions alors à 60 %. Malheureusement, cela n'a pas été fait. La séparation n'a pas aidé, bien au contraire, et le système ferroviaire a continué à s'endetter.
La refondation, je l'attendais depuis longtemps comme citoyen, amoureux du ferroviaire. La SNCF est un outil d'aménagement du territoire indispensable à notre pays. En tout endroit de France, les transports, les déplacements sont un enjeu fondamental. Concevoir une réforme « point à point » est un peu révolutionnaire, il faut accompagner celle-ci.
M. Roland Ries. - Vous avez été synthétique et éclairant. Peut-on imaginer que le caractère patrimonial de l'opérateur historique que constitue la SNCF ne soit pas pris en compte dans la compétition avec des entreprises, venues de France ou d'ailleurs ? Ce n'est pas une entreprise comme les autres. Les Allemands n'ont pas fait de la Deutsche Bahn, la DB, une entreprise comme les autres. Les réserves de la Commission européenne sur la formule allemande ont été réfutées par la Cour de justice de l'Union européenne. Le marché allemand, quoiqu'ouvert, revient à 80 % à la DB, car le système a été conçu pour cela.
J'en viens à la pertinence d'une transposition du modèle de gouvernance des transports urbains pour le transport ferroviaire. Les autorités organisatrices de transports ont la faculté de gérer les transports urbains en régie directe ou en délégation de service public, pour laquelle la compétition est ouverte entre entreprises à dominante publique et entreprises privées. Ce modèle, qui fonctionne bien, peut-il servir de base à la réflexion sur la gouvernance à venir du système ferroviaire ? Sans doute y a-t-il des enseignements à en tirer. Le monopole ancien doit évoluer, mais en préservant l'identité de l'entreprise, y compris dans son modèle social, que l'on ne peut jeter par-dessus bord d'un revers de main.
M. Raymond Vall, président. - Élu d'un territoire rural, je place l'aménagement du territoire au centre de la réflexion. Lorsqu'il n'y a ni autoroute, ni canal, ni port, ni réseau numérique, il ne reste que le réseau ferroviaire secondaire. Or il est à l'agonie alors qu'il est essentiel pour une série d'activités agricoles, économiques, industrielles qui ne pourront plus rester sur place si elles ne peuvent utiliser la voie ferrée pour acheminer leurs produits. Qu'adviendra-t-il demain si, dès aujourd'hui, on ne peut y circuler qu'à 20 ou 30 kilomètres à l'heure ? Les coopératives et les grandes entreprises envisagent déjà de délocaliser leurs aires de stockage pour se rapprocher des grands ports évoqués par Charles Revet, et des myriades de camions chargeront encore les routes. A l'heure de la transition économique et écologique, n'oublions pas ces territoires ruraux !
M. Jean-Louis Bianco. - Élu d'un territoire rural pendant plus de quinze ans, comment ne serais-je pas sensible à votre question ? Il faut savoir ce que l'on veut. 90 % des clients de la SNCF sont sur les TER ou les TET (trains d'équilibre du territoire). La priorité est de garder, de développer et améliorer le réseau secondaire et les voies classiques. C'est l'une des clés de la redynamisation du fret. Les régions ont joué un rôle positif pour l'aménagement du territoire avec les TER. Oui, monsieur le Président, il faut conserver ce maillage formidable. C'est le sens de mes préconisations.
- Présidence de M. Michel Teston, vice-président -
M. Benoît Huré. - Vous avez dit qu'il faut se préparer à l'ouverture de la concurrence. La France doit s'armer de la même manière que la DB. Même si c'est difficile, même si notre histoire, notre culture sont différentes, on ne peut faire l'impasse sur une évolution du statut, quitte à ce qu'elle soit progressive. Partir avec une telle distorsion de concurrence hypothèque l'avenir. La DB n'adoptera pas notre statut ! Pour être concurrentiels, nous ne pouvons pas n'agir que sur le volume d'activité, il faut aussi maîtriser les coûts. Je comprends que cela soit difficile, aucun gouvernement, de droite comme de gauche, n'ayant vraiment mis la situation sur la table. La crise mondiale et le contexte spécifique à la France peuvent préparer les esprits à une telle négociation. Il en va de l'avenir de ce joyau de nos entreprises.
M. Charles Revet. - Le transfert du fer ou de la voie d'eau vers la route coûte cher en investissements routiers. Votre rapport ira-t-il jusqu'à les comparer avec ceux qu'il faudrait consentir pour le développement du ferroviaire ? Le transport collectif dégage des économies.
M. Jean-Louis Bianco. - Monsieur Pointereau, le document qui a circulé n'était pas un pré-rapport, mais un support à la concertation, qui ne préjuge pas de mes conclusions. Nous disons tout sauf qu'il faudrait arrêter les investissements. Nous sommes convaincus qu'il faut au contraire accroître les investissements afin de maintenir, préserver et développer l'outil que représente notre réseau pour le désenclavement des territoires ruraux et l'aménagement du territoire.
Nous ne demandons pas non plus l'arrêt des LGV, mais nous ne pouvons pas tout faire, dans l'état des finances publiques. Il y aura des priorités à établir. Ce n'est ni à moi, ni à la mission, ni au système ferroviaire de les énoncer, mais au Parlement. RFF s'endette pour de nouvelles LGV dont les péages ne couvrent pas la charge. C'est un choix possible et dans certains cas, engagé, donc nous n'allons pas le stopper. Au-delà des projets déjà décidés, la priorité, pour moi, n'est pas d'aménager de nouvelles LGV. Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas en faire. A l'Etat, au Gouvernement et au Parlement d'en décider.
Je vous rassure : je ne fais pas le travail de Philippe Duron à sa place, y compris sur le coût comparé des investissements. Je travaille par ailleurs en étroite liaison avec Jacques Auxiette, chargé d'un rapport sur la décentralisation du système ferroviaire.
On n'assurera pas la pérennité financière et économique seulement par des réductions de charges - qu'il serait absurde de ne pas rechercher. Certaines économies de fonctionnement sont prévisibles, probables, dans le cadre d'un meilleur système ; d'autres supposent des efforts de productivité. J'ai prononcé ce mot qui n'est pas tabou, devant les syndicats et j'y reviendrai dans mon rapport. Guillaume Pepy lui-même a donné des orientations en ce sens. Nous pouvons indiquer des pistes, mais il n'appartient pas à la mission d'en décider. Cela relève d'un contrat de performance et d'objectifs à passer entre le gestionnaire d'infrastructure et l'État, entre la SNCF et l'État, et dont le Parlement contrôlera la trajectoire. C'est une négociation d'entreprise.
Le statut des cheminots nourrit tous les fantasmes. On met tout et n'importe quoi dans ce mot qui miroite, comme disent les juristes. Une remarque préalable : les retraites n'entrent pas dans le champ de la mission qui m'a été confiée. Pour ce qui concerne la compétitivité et la sécurité, je reprendrai ce qu'a dit Olivier Dutheillet de Lamothe lors des Assises du ferroviaire : un décret-socle devra fixer les règles en matière de temps de travail, de repos et de récupération qui sont d'ordre public puisque la sécurité est en jeu. Mais une discussion préalable devra intervenir avec les partenaires sociaux : les uns seront sans doute minimalistes au nom de la concurrence et les autres maximalistes pour défendre les acquis sociaux ; lorsque tous se seront exprimés, le Gouvernement dira ce qui est nécessaire pour garantir la sécurité. Ensuite, il conviendra de négocier une convention collective de branche.
En Allemagne, la Deutsche Bahn n'a pas changé de statut et elle est compétitive. Cela dit, les opérateurs privés ont fait une partie du chemin pour ramener l'écart de coût à environ 6 %. En France, il est indispensable de restaurer la compétitivité du fret et de se préparer à l'ouverture à la concurrence du transport voyageur. Pour le fret privé, les salaires ne sont pas en cause, car ils sont au moins égaux à ceux de la SNCF. Ce qui pose en revanche problème, ce sont les règles de récupération et de temps de travail. La discussion de la convention collective devra porter sur ces points-là.
En dépit des plans fret successifs, la SNCF continue à perdre de l'argent. Nous ne devons pas baisser les bras. Avec la façade maritime de notre pays, il est indispensable de mieux desservir nos ports qui désormais fonctionnent bien. Hier, j'étais au poste de commande de la gare du Nord : les responsables du futur GIU m'ont assuré qu'en cas de crise, la réduction des sillons était répartie de façon proportionnelle entre les opérateurs. Si cela est exact, je m'en réjouis.
L'Union des transports publics et ferroviaires (UTP), la SNCF et les syndicats savent qu'une négociation pour réduire les coûts est nécessaire, mais elle sera difficile à mener. Il faudra investir pour améliorer les liaisons avec les ports et soutenir les opérateurs ferroviaires de proximité. Au niveau régional, il conviendra de mettre autour de la table les producteurs, les chambres de commerce ou des métiers, les collectivités locales et les transporteurs pour définir les objectifs et voir qui est prêt à investir.
S'il n'est pas question de retourner à l'administration des chemins de fer, il ne s'agit pas non plus de démolir la SNCF.
Monsieur Ries a fait une remarque intéressante sur les décisions d'attribution des autorités de transports urbains. La réflexion doit se poursuivre, car il faut mieux articuler les transports urbains et les transports départementaux et régionaux - nous avons tous en tête des exemples où le conseil général fait un service de cars et la région un service de trains. Il serait utile que la loi de décentralisation traite de ces questions pour harmoniser les décisions.
Au total, il n'est pas question d'arrêter les investissements mais de les prioriser. Je tiens beaucoup au rôle de l'État et du Parlement dans ces arbitrages. Il convient ensuite que les économies et les performances fassent l'objet de contrats négociés dans les entreprises, l'organisation du travail devant faire l'objet de discussions honnêtes et sérieuses. Ouvrons le plus tôt possible la négociation sur une convention collective de branche.
M. Charles Revet. - Nous lirons avec beaucoup d'intérêt votre rapport.
M. Michel Teston, président. - Merci d'avoir répondu à toutes nos questions. Nous attendons avec impatience votre rapport. Le projet de loi définissant le modèle intégré devrait nous être soumis rapidement.
Présidence de M. Michel Teston, vice-président -
Indépendance de l'expertise en matière de santé et d'environnement et protection des lanceurs d'alerte - Examen du rapport et du texte de la commission en deuxième lecture
La commission procède à l'examen du rapport et du texte de la commission sur la proposition de loi n° 329 (2012-2013), modifiée par l'Assemblée nationale, relative à l'indépendance de l'expertise en matière de santé et d'environnement et à la protection des lanceurs d'alerte.
M. Ronan Dantec, rapporteur. - Les députés, qui ont adopté cette proposition de loi le 31 janvier, ont poursuivi le travail de fond que nous avions engagé, en reprenant la concertation avec les partenaires sociaux, les groupes politiques, les ministères et Matignon. Plus aboutie, la rédaction qui nous revient de l'Assemblée reflète à la fois un souci d'efficacité et un équilibre politique. C'est pourquoi je n'ai pas jugé utile de déposer de nouveaux amendements afin que nous l'adoptions conforme.
Le travail effectué par les députés répond tout d'abord à un souci de restructuration du texte et de clarification juridique. En première lecture, nous n'avions pas pu adopter de texte en commission, et nous avions redéposé des amendements en séance, ce qui explique que nous n'ayons pu procéder à tous les aménagements techniques. C'est chose faite avec le texte de l'Assemblée qui a gagné en lisibilité grâce à de nombreux amendements rédactionnels.
Les députés ont créé un titre premier A consacré au droit d'alerte en matière sanitaire et environnementale. Ils y ont placé l'ancien article 8, devenu article 1er A, qui précise les droits et obligations du lanceur d'alerte. Cette place marque une volonté politique forte de répondre aux enjeux du repérage et de la protection des lanceurs d'alerte.
Dans le titre premier, consacré à la Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d'environnement, les députés ont apporté quelques modifications de forme. La Commission est chargée de définir les critères qui fondent la recevabilité d'une alerte. Les décisions des ministres compétents concernant la suite donnée aux alertes doivent être dûment motivées et lui être transmises.
Les députés ont intégré une obligation de parité pour la Commission - nous aurions pu y penser. Ils ont également prévu la possibilité pour les organes nationaux de l'ordre des professions relevant de la santé ou de l'environnement de la saisir. Enfin, l'Assemblée a complété l'article 5, en précisant les règles applicables en matière de conflits d'intérêts et de secret professionnel.
Le travail des députés se situe dans le prolongement du nôtre, et complète les dispositions prévues pour l'exercice des missions de la Commission de déontologie. En première lecture, divers orateurs avaient craint la création d'un bidule supplémentaire.
M. Rémy Pointereau. - Un machin !
M. Ronan Dantec, rapporteur. - En séance, j'avais dit que cette Commission serait créée à moyens constants, et Mme la ministre devrait nous confirmer que cette Commission se substituera à un organisme existant -on parle d'une évolution du comité de la prévention et de la précaution. Il n'y aura pas création d'une structure supplémentaire.
C'est dans le titre II, relatif à l'exercice du droit d'alerte en entreprise, que se trouvent les modifications les plus importantes. L'alerte en entreprise nous avait beaucoup mobilisés, et avait suscité diverses oppositions : certains partenaires sociaux s'en étaient émus. La commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale a mené de nouvelles concertations avec les partenaires sociaux et le ministère du travail. Je vous avais proposé de remplacer les cellules d'alerte, initialement prévues par la proposition de loi, par une extension des missions des CHSCT. Les députés ont conservé ce principe et la même architecture générale pour le titre II, en allégeant cependant l'extension des missions du CHSCT, qui ne recueillait pas un consensus. Il est apparu au rapporteur de l'Assemblée nationale, après avoir entendu les arguments des uns et des autres, qu'il était difficile de maintenir le dispositif que nous avions adopteì, notamment du fait des négociations en cours entre partenaires sociaux sur la question des institutions représentatives du personnel. Il est également apparu qu'en l'absence de moyens nouveaux dévolus aux CHSCT, il leur serait difficile d'exercer ces nouvelles prérogatives.
Forte de cette analyse, la commission des affaires sociales de l'Assemblée a créé un chapitre spécifique au sein du code du travail pour traiter de la question des alertes en matière de santeì publique et d'environnement. L'article 9 regroupe désormais les diverses dispositions concernant le rôle des CHSCT. Si l'Assemblée n'a pas souhaiteì en étendre les prérogatives pour en faire le gestionnaire de l'alerte dans l'entreprise, elle a toutefois conservé une dimension collective aÌ la prise en charge de l'alerte. Un droit d'alerte est ainsi accordé au représentant du personnel dans le CHSCT ; le comité doit être informé des alertes lancées et des suites qui leur sont données.
Ce nouveau chapitre du code du travail reprend également les dispositions en matière de protection des lanceurs d'alerte contre les discriminations. Comme nous l'avions voulu, l'alerte conservera ainsi une dimension collective, ce qui est une des garanties nécessaires à la mise en oeuvre du droit d'alerte.
Les députés ont également proposé qu'en cas de litige sur le bien-fondé ou la suite donnée à l'alerte par l'employeur, le travailleur comme le représentant du personnel au CHSCT pourront saisir le préfet. Cette évolution répond au compromis voulu par les partenaires sociaux. Une culture de l'alerte est bien créée dans l'entreprise, mais la gestion de l'alerte n'est pas gérée en son sein. Si l'entreprise ne réagit pas, le salarié pourra alerter le préfet et il sera protégé. Si le préfet ne réagit pas, la Commission nationale pourra être saisie par une organisation syndicale et interroger le ministère concerné. Ce dispositif sera moins lourd pour le CHSCT. Nous devons accepter ce compromis constructif, même s'il peut apparaître en retrait par rapport à la proposition de loi initiale.
Les députés ont apporté peu de modifications au troisième et dernier titre, regroupant les mesures encadrant le droit d'alerte, tant pour la protection des lanceurs d'alerte que pour la limitation des éventuels excès. La protection des lanceurs d'alerte est codifiée à l'article L. 1350-1 du code de la santé publique, en reprenant la protection très large existant dans le domaine des produits de santé depuis la loi Mediator de décembre 2011. A contrario, les abus seront sanctionnés pénalement, conformément aux règles existant en matière de dénonciation calomnieuse.
Les députés ont supprimé l'article 16 A que nous avions introduit concernant la possibilité, pour les institutions représentatives du personnel, de présenter leur avis sur les démarches de responsabilité sociale, environnementale et sociétale (RSE) dans le cadre du rapport de gestion de l'entreprise. Certains estimaient qu'il s'agissait d'un cavalier. Le Gouvernement a souhaité ne pas anticiper sur les travaux de la mission tripartite chargée de préciser d'ici juillet les modalités de développement de la RSE en France. Nous resterons attentifs à cette question.
La navette a précisé et enrichi le texte initial. Ce travail purement parlementaire est d'une brûlante actualité. Il y a quelques jours, les juges en charge de l'affaire du Mediator ont mis en examen l'Agence du médicament pour homicides et blessures involontaires. Deux de ses anciens salariés avaient déjà été mis en examen en février pour tromperie et conflit d'intérêts. En offrant un regard extérieur aux divers organismes sanitaires et environnementaux, la Commission de déontologie les confortera. Elle pourra soutenir et guider les agences en identifiant les bonnes pratiques tant en Europe qu'en France. Ce texte protégera aussi les lanceurs d'alerte non institutionnels. Même si le risque zéro n'existe pas, les conditions sont réunies pour que les signaux faibles soient repérés à un stade suffisamment précoce pour éviter des catastrophes sanitaires comme celles que nous avons connues ces dernières décennies.
Un consensus est possible, je vous propose de voter, sans modification, l'ensemble de cette proposition de loi, dans le texte qui nous revient de l'Assemblée nationale.
Mme Odette Herviaux. - Comme l'a dit notre rapporteur, l'actualité récente, des statines aux pilules de troisième ou quatrième génération, démontre qu'il y avait urgence à légiférer. Les modifications de bon sens apportées par l'Assemblée nationale me satisfont, même si l'article 16 A traitait d'un acquis du Grenelle. Nous y reviendrons dans un autre texte. Nous voterons cette proposition de loi en l'état.
M. Rémy Pointereau. - Nous avons longuement débattu du texte cet automne. Notre rapporteur estime que la Commission de déontologie ne sera pas un « machin » de plus, que les coûts n'augmenteront pas. Alors que l'on parle de simplifier et de supprimer des normes, vous en rajoutez...
Mme Odette Herviaux. Cela n'a rien à voir.
M. Rémy Pointereau. - Nous sommes soumis au principe de précaution : je suis scandalisé par certains recours et je regrette qu'il figure dans notre Constitution. Le groupe UMP est persuadé que votre proposition n'empêchera pas de nouvelles catastrophes sanitaires : il ne la votera pas.
M. Vincent Capo-Canellas. - Les risques environnementaux et de santé publique sont au coeur de l'actualité. Avec ce texte, nous nous situons dans la suite du Grenelle, ce qui me réjouit. Une partie minoritaire de mon groupe avait voté ce texte en première lecture. L'Assemblée l'a modifié et j'en prends acte ; le rapporteur a dit que Mme la ministre s'engagerait en séance à ce que la Commission de déontologie ne coûte pas un sou de plus à la collectivité : je voterai cette proposition de loi.
Mme Évelyne Didier. - Bien qu'il ait été édulcoré à l'Assemblée nationale, le texte est utile, nécessaire même, compte tenu de l'irresponsabilité qui prévaut parfois sur les sujets qui touchent l'environnement et la santé. Nous le voterons.
Mme Laurence Rossignol. - Je salue le travail réalisé sur ce texte par Mme Blandin, par le rapporteur, par le Sénat et l'Assemblée nationale comme par le Gouvernement, même si certains hauts fonctionnaires n'y étaient pas favorables. Il a fallu convaincre, car les résistances à la transparence sont nombreuses.
Si j'avais été parlementaire à l'époque, j'aurais voté des deux mains le principe de précaution. Ses avantages l'emportent très largement sur les conséquences néfastes de l'enthousiasme débridé pour le progrès qui a prévalu ces cinquante dernières années. Avec les premiers retours d'expérience, on se rend compte que la vigilance est essentielle. Le monde n'étant pas que vertueux, l'expertise indépendante est indispensable. Je suis fière que le Sénat ait porté ce texte.
M. Stéphane Mazars. - Mon groupe était assez hostile au texte initial. Comme il avait été amélioré par le Sénat, une majorité d'entre nous l'avait voté en première lecture ; puisque l'Assemblée en a parfait la rédaction, nous serons nombreux à le voter en deuxième lecture.
M. Rémy Pointereau. - Je suis président d'une structure qui accueille dix-neuf personnes âgées et qui emploie six personnes. Une mission d'inspection nous a contrôlés une nouvelle fois et, alors que tout était en règle, elle a imposé que les deux salariés qui préparent les repas se changent pour les servir. Est-ce cohérent ? A force de contraintes et des normes aberrantes, l'on finira par dégoûter les petits artisans et les petits restaurateurs de nos campagnes. On tombe sur la tête quand on impose les mêmes normes à toutes les entreprises, qu'elles emploient vingt ou mille salariés ! En votant un tel texte, dont d'aucuns rejetteront la faute sur l'Europe, on condamne la ruralité.
M. Joël Billard. - Le syndicat d'eau que je préside regroupe 28 communes et 12 000 habitants. Or, notre eau dépasse de trois milligrammes le seuil de cinquante milligrammes de nitrate. Bien que ce taux diminue progressivement, du fait des efforts des agriculteurs et des industriels, on me demande un investissement de 21 millions pour y parvenir ! Comment voulez-vous que j'effectue ces travaux alors que je ne parviens pas à trouver de financements sur vingt ou trente ans ? Va-t-il falloir porter le prix de l'eau à 8 euros le mètre cube ? Le principe de précaution va bloquer le développement des territoires !
M. Rémy Pointereau. - Pourtant, des sportifs prennent des nitrates...
M. Benoît Huré. - Sur le fond, nous partageons vos préoccupations. Il est vrai que nous avons vécu cinquante années de progrès sans jamais les expertiser, mais quel écart entre la loi que nous votons et la rafale d'interprétations qu'en donnent sur le terrain les personnes chargées de les mettre en oeuvre... L'on arrive à des usines à gaz et avoir parfois affaire à de petits caporaux n'arrange rien : j'ai récemment vu un maire interpellé avec violence par un fonctionnaire de la Dreal parce qu'il manquait des études préalables à la construction d'une gendarmerie. De tels incidents sont dévastateurs et nourrissent l'antiparlementarisme, car on demande ce que font les députés et les sénateurs. Les dispositifs inquisitoriaux suscitent un rejet global.
M. Yves Rome. - J'entends les protestations de mes collègues qui ne sont pas toutes infondées, mais je les invite à regarder rétrospectivement les normes posées par le Grenelle.
M. Rémy Pointereau. - On le regrette !
M. Yves Rome. - Je pourrais moi aussi multiplier les exemples de ces lois qui ont empêché les élus d'améliorer la qualité de vie de nos concitoyens.
M. Benoît Huré. - C'est surtout l'interprétation qui en est faite !
M. Yves Rome. - Parfois, ce sont les textes mêmes ! Le Grenelle II a différé de deux ans de grands projets routiers.
Mme Odette Herviaux. - Nous nous sommes éloignés de cette proposition de loi. Une chose est de donner à ceux qui ont connaissance d'un risque sanitaire moyen d'alerter de celui-ci, c'en est une autre d'interpréter les normes. Vous devriez vous réjouir que le président de la République propose de légiférer par ordonnances pour simplifier les normes.
Mme Évelyne Didier. - Quand nous adoptons un texte, l'administration procède ensuite à sa déclinaison concrète. Peut être faudrait-il, avant de voter, interroger l'administration sur son applicabilité plutôt que de jeter des anathèmes. Attention, les attaques contre les directions départementales des territoires ou les Dreal sont très mal vécues par les services qui essayent de servir au mieux l'intérêt général, alors que leurs effectifs ont fondu. Faisons-en des alliés plutôt que de les montrer du doigt.
M. Jean-Jacques Filleul. - Je voterai bien évidemment ce texte, bien travaillé. Cela dit, notre pays souffre d'un excès de normes : pour construire un quartier de qualité, il faut dix ans, alors qu'on a besoin de logements et de mixité sociale. Certains maires ne peuvent utiliser des terrains parce que les DDT ou les DREAL s'y opposent. Tout cela est connu, et le président de la République le rappelle régulièrement.
M. Ronan Dantec, rapporteur. - Je me réjouis qu'une majorité de mes collègues vote ce texte. J'ai vu comment la machine parlementaire a amélioré sa lisibilité, trouvé des compromis, et répondu aux objections. Ainsi, la Commission de la déontologie fonctionnera à budget constant. Ce texte opérationnel participe à la modernisation de la société. Les scandales de ces dernières années démontrent que des signaux faibles n'avaient pas été pris en compte. Je regrette seulement qu'on n'arrive pas à un consensus plus large.
Cette proposition de loi ne traite à aucun moment des normes, Monsieur Pointereau, et c'est même plutôt l'inverse. Bien sûr, certaines normes conduisent à repousser des projets : j'avais été le premier à regretter que des procédures du Grenelle II aient retardé l'édification d'éoliennes - à l'époque, d'aucuns voulaient, vous vous en souvenez, ajouter des règles. Si l'on veut moins de normes tatillonnes, il faut aider la société civile à mieux s'autocontrôler. Avec ce texte, on peut espérer une simplification ; si l'on recourt aux normes c'est que l'on n'associe pas assez les acteurs aux procédures. Cela dit, elles offrent une réelle protection : ne me demandez pas de les détricoter, notamment pour les nitrates. Si certains chez Spanghero s'étaient aperçus, en amont, de la fraude et avaient alerté les autorités, la filière agro-alimentaire française ne serait pas en difficulté. L'autocontrôle renforcera l'industrie française plutôt qu'il ne l'affaiblira.
Je suis fier que le texte participe à la modernisation de notre société. Je regrette que l'UMP exerce un droit d'inventaire sur la Charte de l'environnement et le Grenelle que nous semblons être les derniers à défendre. Je remercie la majorité de mes collègues, qui soutiendront la proposition.
M. Michel Teston, président. - Je remercie le rapporteur pour la qualité de son travail et nos collègues de leur participation au débat.
La proposition de loi est adoptée sans modification.
Organismes extraparlementaires - Nominations
M. Pierre Camani est nommé membre titulaire du Conseil national du numérique.
Mme Hélène Masson-Maret est nommée membre suppléante du Conseil national de la mer et des littoraux en remplacement de M. René Vestri.
Nomination de rapporteurs
Mme Odette Herviaux est nommée rapporteure du projet de loi n° 775 (AN, XIVème lég.) portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans le domaine du développement durable.
Mme Hélène Masson-Maret est nommée co-rapporteure pour le rapport d'information sur la mise en valeur et la protection du patrimoine naturel de la montagne.