- Mardi 19 février 2013
- Mercredi 20 février 2013
- Régime des autorisations de plantation de vigne - Examen du rapport et du texte de la commission
- Questions diverses
- Traçabilité dans la chaîne de fabrication et de distribution des produits alimentaires - Audition de M. Jean-René Buisson, président de l'association nationale des industries alimentaires (ANIA)
Mardi 19 février 2013
- Présidence de M. Daniel Raoul, président -Traçabilité dans la chaîne de fabrication et de distribution des produits alimentaires - Audition de M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, de M. Benoît Hamon, ministre délégué auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé de l'économie sociale et solidaire et de la consommation, et de M. Guillaume Garot, ministre délégué auprès du ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt
La commission procède à l'audition de M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, de M. Benoît Hamon, ministre délégué auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé de l'économie sociale et solidaire et de la consommation, et de M. Guillaume Garot, ministre délégué auprès du ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt chargé de l'agroalimentaire.
M. Daniel Raoul, président. - Au cours de cette audition, trois ministres nous apporteront des éclaircissements sur le scandale qui a éclaté début février lorsque l'Agence britannique de sécurité alimentaire a détecté de la viande de cheval dans des lasagnes censées contenir du boeuf. M. Stéphane Le Foll, retenu en séance par le débat sur les nouveaux défis du monde rural, nous rejoindra dès qu'il le pourra. Nous aborderons le thème de la fraude à la consommation et remonterons la filière jusqu'à la production, sans oublier la transformation.
Ne confondons pas cependant : cette fraude sur la nature de la viande ne constitue pas une crise sanitaire. La viande de cheval, moins calorique et plus riche en protéines que la viande de boeuf, est sans doute même meilleure. Inutile de céder à la phobie.
M. Benoît Hamon, ministre délégué chargé de l'économie sociale et solidaire et de la consommation. - Les conclusions du service national des enquêtes de la Direction générale de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes (DGCCRF) ont été transmises au Parquet qui a diligenté une enquête. Des auditions sont en cours à l'usine Spanghero.
La DGCCRF a été alertée le 5 février à la fois par les autorités du Luxembourg, où une usine Tavola appartenant au groupe français Comigel est implantée, et par l'entreprise Comigel, qui a saisi la DGCCRF de Moselle. Les investigations ont montré que cette filière remonte jusqu'à un abattoir en Roumanie, et implique, en outre, des traders aux Pays-Bas et à Chypre. Deux entreprises françaises sont concernées par cette tromperie économique présumée de grande envergure : 4,5 millions de plats cuisinés ont été écoulés dans 13 pays, mettant en jeu 28 sociétés.
L'entreprise Spanghero importe de la viande : elle en livre une partie à Comigel, société de préparation, et utilise l'autre partie pour ses propres plats qu'elle commercialise par ailleurs. Les pains de viande arrivés chez Spanghero étaient étiquetés avec le code douanier de la viande cheval, comme provenant de Roumanie, et avec la mention « BF », qui n'est pas l'abréviation de « boeuf », mais de boneless fores, « avants désossés ». Or, à la sortie de l'usine de Spanghero, les pains de viande portaient la mention « avants de boeufs désossés » et non plus « BF » ; la mention de provenance n'indiquait plus la Roumanie mais l'Union européenne ; et, sur certaines factures, le code douanier était devenu celui de la viande de boeuf. Ce faisceau d'indices concordants laisse penser que certains dirigeants connaissaient cette fraude. En outre, le prix d'achat de la viande cheval étant très inférieur au prix de la viande de boeuf, la marge réalisée a atteint un euro par kilogramme, contre 10 à 15 centimes pour la viande de boeuf. L'entreprise a ainsi réalisé un bénéfice indu de 550 000 euros grâce aux 750 tonnes de viande distribuées pendant six mois : plus de 500 tonnes ont été vendues à Comigel et 200 tonnes utilisées pour la préparation des produits Spanghero. Ces faits, établis par la DGCCRF et confirmés par les services vétérinaires dépêchés par le ministre de l'agriculture, font naître une suspicion de tromperie et ont été transmis au Parquet. Les agents de la DGCCRF apporteront leur concours à l'enquête judiciaire.
Avec le ministère de l'agriculture, nous voulons élargir les recherches afin de faire toute la lumière et restaurer la crédibilité de la filière pour éviter que les entreprises se retrouvent injustement en difficulté. La consommation de plats cuisinés a baissé de 5 % au cours du week-end en France, de 20 % en Angleterre. La crise de confiance est nette. Certes la viande de cheval n'est pas impropre à la consommation, mais il y a tromperie.
La comptabilité de Comigel sera passée au peigne fin car la mention « viande en provenance de l'Union européenne » aurait dû constituer un signal d'alerte, la mention du pays d'origine devant normalement être mentionnée. De plus, pour tout professionnel, la viande de cheval se distingue au toucher et à l'odeur. L'objectif est également d'identifier tous les pays et toutes les entreprises auxquels Comigel a vendu ses produits.
En outre, nous cherchons à nous assurer que les produits concernés ont bien été retirés de la vente : depuis la semaine dernière, 538 contrôles en ce sens ont été menés dans 70 départements. Outre cette filière, nous souhaitons également contrôler les échantillons d'autres filières d'approvisionnement, de transformation et de commercialisation de la viande. Les résultats seront connus dans les jours qui viennent.
Il nous fallait circonscrire le problème, prendre du recul et avoir une vue d'ensemble de cette filière qui représente des dizaines de milliers d'emplois, tout en répondant aux attentes des consommateurs bernés, y compris dans d'autres pays.
Le ministre de l'agroalimentaire reviendra sur le maintien de l'agrément sanitaire. Ni les salariés, ni les fournisseurs, ni les consommateurs n'ont à payer les pots cassés d'erreurs ou de fautes commises par les dirigeants. Je comprends l'inquiétude des salariés, mais le Gouvernement fait la différence entre des employés consciencieux et des dirigeants, peut-être à l'origine de ce système de changement d'étiquetage.
M. Daniel Raoul, président. - La réponse rapide du Gouvernement avec la suspension de l'agrément a coupé court à tout mouvement de panique et évité la confusion entre une fraude économique et un problème sanitaire.
M. Guillaume Garot, ministre délégué chargé de l'agroalimentaire. - Notre ligne d'action a reposé sur trois principes : rapidité, fermeté, discernement.
Une enquête administrative, menée par la DGCCRF et les services du ministère de l'agriculture a conclu à une suspicion de fraude et de négligence. Ses conclusions ont été présentées en toute transparence aux Français. Nous devons la vérité à nos concitoyens qui exigent de nous un comportement responsable.
Cette enquête administrative a été doublée par une enquête sanitaire. Des inspecteurs de la Brigade nationale d'enquêtes vétérinaires et phytosanitaires (BNEVP) se sont rendus sur le site pour contrôler la conformité sanitaire de l'établissement incriminé. Le ministre, M. Stéphane Le Foll a suspendu l'agrément mais ne l'a pas retiré. L'enquête a conclu, hier, à l'absence de problèmes sanitaires. Nous avons néanmoins isolé l'entreposage, lié au négoce, et l'agrément n'a pas été rétabli pour cette activité.
Une enquête judiciaire a été ouverte ; tous les éléments ont été transmis au Parquet. Là aussi nous le devons à nos concitoyens. Il appartient à la justice de trancher. Je souhaite que les coupables de ces pratiques inacceptables soient sévèrement punis.
Surtout, la filière agroalimentaire est fragilisée en raison de la crise de confiance des Français à l'égard de leur alimentation et des entreprises du secteur. Cette situation exige des mesures d'envergure et non des actions ponctuelles. Depuis le début de la semaine, dans le prolongement de travaux antérieurs, j'ai engagé une réflexion avec les industriels pour répondre à cette crise et éviter que cette tromperie ne se reproduise. Le premier axe est la lutte contre les fraudes. Il s'agit de donner aux entreprises les moyens de se protéger et d'améliorer les procédures d'autocontrôle. Nous devons également faire preuve d'ambition dans l'amélioration de l'information des consommateurs. L'Europe doit les protéger et nous cherchons à accélérer, avec volontarisme, l'édiction de mesures en ce sens.
En outre il faut s'intéresser à la course effrénée aux bas prix. Quel est le juste prix permettant de rémunérer les agriculteurs et les producteurs ? Si un plat de lasagnes est à deux euros, cela conduit à s'interroger...Comment est répartie la valeur ajoutée au sein de la filière ? Une réflexion est en cours sur les relations commerciales entre producteurs, entreprises et distributeurs.
Ensuite, pour renouer le lien de confiance avec les consommateurs, nous devons conduire une action volontariste pour améliorer, de manière constante, la qualité alimentaire. Le modèle agroalimentaire français, qui repose sur la sécurité et la qualité sanitaires, est reconnu partout et constitue un atout à l'export. Il s'agit donc aussi d'un intérêt économique. Nous avons ouvert une réflexion sur les ingrédients des recettes afin de répondre aux attentes de la société à la suite des débats survenus sur les graisses ou les sucres.
Nous traversons une crise de confiance. Il nous faut trouver des réponses d'ensemble. Tel est le sens de la politique que j'ai engagée. J'ai bon espoir qu'elle donnera des résultats. Nous préparons aussi l'avenir. Ce matin j'ai réuni le comité stratégique de la filière agroalimentaire et en mai nous signerons un contrat de filière, véritable plan d'actions pour l'agroalimentaire.
M. Daniel Raoul, président. - Sans doute serez-vous auditionné par la mission commune d'information sur la filière viande en France et en Europe dont la création a été demandée par le groupe UDI-UC du Sénat et qui permettra de dresser un bilan des actions entreprises.
M. Jean-Claude Lenoir. - Monsieur le président, merci d'avoir organisé cette audition : j'en avais exprimé le souhait en séance car la crise appelle des réponses immédiates. Merci aux ministres d'avoir répondu à notre appel. Dans mon département, proche de la Mayenne, où l'élevage est important, l'affolement dans la profession a été immédiat. La suspicion s'est installée, accentuée par la crainte d'un risque sanitaire. L'enquête a démontré qu'il n'existait pas, mais les consommateurs restent dubitatifs et la filière bovine en ressent les effets.
Qui a le premier révélé le problème ? Pourquoi les services français n'ont pas été les premiers à réagir ?
Le Parisien a démontré, la semaine dernière, que les étiquettes ne correspondaient pas aux produits. Des vérifications sont-elles faites ?
Comment être sûrs que cette affaire n'est pas l'arbre qui cache la forêt. En avons-nous tiré toutes les leçons pour débusquer les autres tentatives de fraude ?
Enfin, le consommateur se laisse guider par les prix et se montre sensible aux promotions. S'il est soucieux de la qualité de son alimentation, l'étiquetage n'est pas toujours clair pour lui. Cette crise est l'occasion de montrer la qualité des produits des petits producteurs qui vendent directement. Accordons-leur une place plus importante dans le contrat de filière agroalimentaire.
Mme Renée Nicoux, présidente du groupe d'études sur l'économie agricole alimentaire. - La confiance dans le système vient d'être rompue. Quels mécanismes entendez-vous mettre en place pour éviter à l'avenir de telles dérives ? Je crains les répercussions de cette crise sur la filière bovine déjà fragilisée. Le risque d'amalgame dans l'esprit des consommateurs n'est pas négligeable, même s'il n'y a pas de risque sanitaire.
M. Gérard Bailly, président du groupe d'études de l'élevage. - Je suis surpris par l'ampleur de cette tricherie. Comme tous les éleveurs, je suis choqué. J'avais pu vérifier concrètement, au cours de déplacements avec notre commission, la traçabilité de la viande, depuis la ferme jusqu'au moment où elle est servie, en passant par les abattoirs et les usines de transformation. Chez Mcdonald's, à Orléans, on m'avait même indiqué de quelle exploitation provenait le blé du pain servi dans leur établissement. J'étais sceptique, mais force m'avait été de constater, après vérification auprès de l'agriculteur concerné, que c'était vrai : celui-ci était en mesure de m'indiquer la parcelle, la coopérative, les intrants... D'où ma question : à quel niveau la tricherie a-t-elle été commise ?
M. Roland Courteau. - Il est impératif que la justice tranche. Le Gouvernement, en effet, a réagi avec « rapidité, fermeté et discernement ». Comme mon collègue Marcel Rainaud, élu de l'Aude, je suis heureux que l'entreprise Spanghero installée à Castelnaudary redémarre. C'est une bonne nouvelle pour les salariés, les sous-traitants et tout le tissu économique de la région. Les coupables ne sont pas les salariés. Espérons toutefois que les clients de cette usine lui conserveront leur confiance ; Castelnaudary, capitale du cassoulet, le mérite. Comment répondre à la crise de confiance ? Comment maintenir une unité de production de 300 salariés alors que le nom de l'entreprise est entaché et sa réputation atteinte ? Comment éviter à l'avenir un tel scénario alors que les effectifs de la DGCCRF ont été réduits ? L'autocontrôle a été évoqué, mais a-t-on les moyens de procéder aux contrôles externes normaux et systématiques ?
M. Gérard César. - Je félicite les ministres pour leur diligence et leur efficacité. Telle n'est pas mon habitude...
M. Didier Guillaume. - N'hésitez-pas !
M. Gérard César. - J'étais rapporteur de la loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche (LMAP), qui comportait un volet sur la nutrition et la santé. Un colloque à la maison de la Chimie a été organisé récemment sur ce sujet.
Comment harmoniser les législations entre tous les pays européens ? Les règles de traçabilité sont-elles différentes en Roumanie ?
La justice a été saisie. Mais, vu la lenteur des procédures, paralysée par les reports, les pourvois en appels et en cassation, quand rendra-t-elle son jugement ? Il est important de tenir l'opinion informée d'ici-là.
Egalement, il importe de trouver des solutions durables. Pourquoi ne pas généraliser l'implantation de puces électroniques sur les oreilles des bêtes, en veillant à prévenir tout trafic les concernant ? L'Europe doit agir en faveur de la traçabilité.
M. Daniel Raoul, président. - Il ne s'agit pas de puces, mais d'étiquettes RFID.
M. Gérard César. - De même, développons les labels, comme le label Rouge ou les indications géographiques protégées (IGP), gages de qualité. Soutenons les groupements de producteurs.
Evitons, enfin, que les éleveurs ne paient les pots cassés : soyons prudents dans nos communications et soulignons la qualité de nos produits.
M. Martial Bourquin. - La filière agroalimentaire représente un chiffre d'affaires de 140 milliards d'euros, 10 000 entreprises et 400 000 salariés. Ne l'oublions pas.
Le Gouvernement a bien géré la crise, avec discernement pour ne pas jeter l'opprobre sur toute la filière, tout en cherchant à élucider une fraude susceptible de discréditer le travail de tous. La suspension de l'agrément devait être décidée et la justice saisie.
Pour rétablir la confiance, il importe que la traçabilité soit effective. La DGCCRF joue un rôle fondamental à cet égard. Donnons-lui les moyens de remplir ses fonctions. La transparence, qui sera renforcée dans un prochain projet de loi sur la consommation, est essentielle pour les produits alimentaires qui affectent l'humain et touchent notre santé.
Le secteur agroalimentaire est performant à l'exportation. Mais nous ne rivaliserons pas en nous spécialisant sur le bas de gamme. Valorisons au contraire le haut de gamme, la qualité et la réputation de la cuisine et de l'agriculture françaises.
Enfin, l'Europe vient d'autoriser l'emploi de farines animales pour nourrir les poissons. Beaucoup de députés français ont voté contre cette mauvaise décision. Un autre dossier ne tardera pas à réapparaitre : les organismes génétiquement modifiés (OGM). La crise doit nous conduire à appréhender les réalités différemment. La traçabilité et la transparence seront au coeur des réflexions à venir.
Mme Élisabeth Lamure. - Cette crise a été l'occasion d'un emballement médiatique sans doute excessif car, à la différence de l'affaire de la vache folle, elle ne soulève aucun problème sanitaire. La viande de cheval n'est pas un poison ! Cette fraude soulève en revanche la question de la complexité des circuits, échappant au contrôle des autorités : on se croirait dans une crise financière. La France tient une grande place dans l'industrie agroalimentaire : peut-elle agir pour simplifier ces circuits et renforcer notre connaissance de leurs rouages ?
M. Marc Daunis. - La réponse du Gouvernement sur ce dossier délicat a été proportionnée et coordonnée.
Tout d'abord, ne serait-il pas opportun de délivrer rapidement un message positif sur l'efficacité du système de traçabilité : n'est-ce pas grâce à lui si la fraude a été découverte ?
Le risque est de céder à la tentation d'un renforcement excessif des mesures de protection qui pourrait se retourner contre la filière : ainsi les puces, quelles qu'elles soient, sont complexes à mettre en place et très coûteuses. Elles peuvent également pénaliser les circuits courts, que nous devrions favoriser, plutôt que de laisser se développer des importations présentant un bilan carbone négatif.
Enfin, il serait souhaitable que la future loi sur la consommation comporte un volet sur la composition des produits et les ingrédients utilisés.
M. Daniel Raoul, président. - L'étiquetage des produits alimentaires est un sujet complexe. Trop d'information tue l'information.
M. Benoît Hamon, ministre délégué. - Il est nécessaire de revoir le règlement européen « Inco » concernant l'information du consommateur sur les denrées alimentaires. Avec Stéphane Le Foll, nous nous sommes rendus à Bruxelles la semaine dernière, mais seul le Royaume-Uni nous a soutenus pour demander à la Commission de remettre son rapport rapidement, afin que figure sur l'étiquette des plats préparés l'origine de la viande.
Le système de traçabilité a parfaitement fonctionné. C'est grâce à lui que nous avons pu remonter, en quarante-huit heures, jusqu'aux Pays-Bas et la Roumanie. Nous avons rencontré le ministre de l'agriculture roumain et examiné les pièces remises par son administration : il apparaît que l'on a vendu, là-bas, du cheval pour du cheval. C'est chez nous que nous avons pris du cheval pour du boeuf ! Il s'agit donc moins d'un problème de prévention des risques sanitaires que de tromperie économique. Ce type de comportement est heureusement marginal, et multiplier les policiers et gendarmes ne changerait rien. Outre les efforts à faire en matière de traçabilité des produits transformés - et il y a là un avantage pour la filière viande française -, nous devons repenser la façon dont nous protégeons le secteur des tromperies de cette nature.
J'ai apprécié que d'anciens ministres, dont mon prédécesseur, saluent la façon dont cette crise a été gérée. L'opinion publique est très sensible, et un mince faisceau d'informations lui suffit parfois pour s'emporter. Cette crise eût été facile à transformer en panique sanitaire. La décision qu'a prise le ministre de l'agriculture de suspendre l'agrément de l'entreprise en cause était la bonne, en vertu du principe de précaution.
Le futur projet de loi sur la consommation devra tirer toutes les conséquences de cette affaire. Les peines applicables aux cas de tromperies économiques sont aujourd'hui de deux ans d'emprisonnement et de 37 500 euros d'amende. Comparés aux 550 000 euros de profit que l'on peut manifestement engranger en six mois, c'est bien peu. Le quantum peut toutefois être multiplié par deux s'il y a modification de la composition des aliments, ce qui ne semble pas être le cas ici. Dans le cadre du projet de loi, nous étudierons la possibilité de réévaluer ces sanctions pour les rendre plus dissuasives.
Deuxième élément, nous sommes devant un contentieux économique de masse, qui tomberait sous le coup d'une action de groupe - si nous votions la création d'un tel mécanisme - qui pourrait être portée par des consommateurs derrière une association les représentant, contre l'entreprise responsable du préjudice économique. En effet, si les produits incriminés ont été retirés, reste que ceux qui ont mangé du cheval en pensant manger du boeuf ont subi un préjudice. Nous examinerons les moyens de protéger plus efficacement les consommateurs et de définir les niveaux de réparation qui pourraient être décidés par le juge.
Je rappelle que l'affaire a été déclenchée par l'autocontrôle d'un industriel, qui a fait remonter l'information jusqu'à l'entreprise Comigel, qui a saisi les autorités luxembourgeoises à la demande des autorités britanniques, avant que nous en soyons à notre tour informés. J'observe que nous avons été bien inspirés de sanctuariser, dans la loi de finances pour 2013, les effectifs de la DGCCRF : dans l'Aude, la réforme de l'administration territoriale de l'État (RéATE) et la révision générale des politiques publiques (RGPP) avaient fait passer les effectifs de la direction départementale de 16 à 10, et en Moselle de 43 à 20. Menons la réforme de l'État et la modernisation de l'action publique (MAP) si l'on veut, mais tenons compte des limites à la polyvalence des agents de terrain. Si nous ne voulons pas voir éclater davantage de scandales, nous devons adapter nos moyens de contrôle aux nouvelles pratiques, qu'il s'agisse de surveiller la chaîne du froid, les derniers loisirs pour enfants ou les pratiques du cybercommerce - dont je rappelle qu'il a représenté 9 milliards d'euros pour la seule période de Noël en France.
En ce moment même, l'Office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et à la santé publique (Oclaesp), en lien avec le service national d'enquête (SNE) mène des auditions et des perquisitions chez Spanghero. J'ignore combien de temps prendra la procédure, mais j'observe que le parquet a été prompt à réagir.
M. Guillaume Garot, ministre délégué. - Les enquêtes administrative, vétérinaire et judiciaire se succèdent pour garantir une réponse ferme à la crise que nous traversons. Celle-ci ne doit en aucun cas se reproduire. Cela étant dit, comment réformer notre système ? Jeudi matin, nous recevons au ministère les professionnels, avec qui nous travaillerons à l'élaboration de mesures concrètes. Tout n'aboutira sans doute pas dans l'immédiat, mais nous définirons un cap à suivre et un cadre dans lequel progresser.
En premier lieu, nous devons renforcer les procédures d'autocontrôle : chaque entreprise doit en être dotée, non seulement sur ce qu'elle produit, mais aussi sur les relations qu'elle entretient avec ses fournisseurs. Deuxième élément : nous devons mieux protéger les entreprises. Des outils nouveaux devront être mis à leur disposition pour lutter contre les pratiques frauduleuses, à l'encontre desquelles les mailles du filet répressif sont aujourd'hui trop lâches. Enfin, l'information des consommateurs doit être améliorée. C'est là un problème européen, davantage que franco français. Dans ce domaine, nous voulons être la locomotive du changement en Europe : sur les mentions d'origine d'abord, qui ne sont obligatoires que pour les viandes fraîches. Les plats préparés se trouvent dans une sorte de zone d'ombre : nous comptons bien l'éclairer. Le problème n'est toutefois pas simple, car l'étiquette doit rester lisible pour les consommateurs. Sur les circuits ensuite, qui sont trop complexes. Il existe par exemple des traders non soumis aux mêmes obligations que les autres acteurs de la chaîne alimentaire. Stéphane Le Foll travaille actuellement à la définition d'un cadre plus exigeant d'exercice de cette profession.
Pour finir, je veux adresser un certain nombre de messages positifs : d'abord, cette crise n'est pas une crise sanitaire. Ce n'est pas non plus une crise de la traçabilité des aliments, au contraire : le système de traçabilité a parfaitement fonctionné. Il s'agit d'une crise fondée sur une suspicion de fraude. Nous y travaillons, en urgence et pour l'avenir. D'aucuns en profitent pour vanter les circuits courts. Admettons. Mais pas au détriment de la sécurité sanitaire et de la qualité alimentaire, essentielles pour tous, ni des industries agroalimentaires, indispensable à l'emploi dans nos territoires.
M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt. - Sur le plan sanitaire, des décisions ont été prises pour rassurer tout le monde.
Des perquisitions ont été lancées. J'en appelle à la responsabilité de tous les acteurs de cette affaire. La puissance publique a déjà assumé les siennes ! La crise s'est étendue à l'échelle européenne : les britanniques doivent faire face à la contamination au phénylbutazone de la viande de cheval, en plus de l'affaire Findus. D'autres problèmes émergeront peut-être, mais je ne l'espère pas. En attendant, l'agrément sanitaire de la société Spanghero a été suspendu et non retiré, car dans cette hypothèse, le restituer aurait été plus long et plus complexe. Benoît Hamon a tenu une conférence de presse jeudi. Je n'ai cessé de travailler depuis, week-end compris. Lundi matin, un premier compte-rendu d'enquête a été dévoilé. Vendredi, le rapport complet des services vétérinaires sera rendu public. Il en va de notre responsabilité vis-à-vis des consommateurs, de la filière, de l'élevage, et de l'entreprise en difficulté, dont on a dit hâtivement que 300 salariés étaient mis au chômage. Je le répète : nous avons assumé nos responsabilités, les dirigeants des entreprises concernées doivent assumer les leurs. Les étiquettes ne se sont pas changées toutes seules !
Au niveau européen, le premier problème qui se pose est celui de la traçabilité et de l'étiquetage. J'ai demandé à la Commission européenne que le rapport qui devait être rendu avant la fin de l'année 2013 le soit avant l'été. En outre, nous défendrons l'élargissement du champ d'application du texte listant les normes applicables aux viandes : celle de cheval n'en fait aujourd'hui pas partie. Enfin, nous avons demandé que l'activité de trading soit soumise à agrément : pour l'instant, elle est totalement libre.
Dès mon arrivée au ministère, j'ai souhaité mener une réflexion sur deux priorités : l'enseignement agricole et les services vétérinaires. Nous travaillons en ce moment à l'élaboration d'un plan stratégique qui prend en compte ces services, afin d'assurer un contrôle des entreprises ferme, clair et qui assure la plus parfaite sécurité des consommateurs.
M. Daniel Dubois. - La crise a été bien gérée. Notre système de traçabilité est manifestement d'une efficacité redoutable : alors de grâce, ne soumettez pas les professionnels, surtout les agriculteurs, à des normes supplémentaires ! Ceux-ci font déjà l'objet d'un contrôle dès que la boucle d'une vache se détache... Nous sommes en présence d'un cas de fraude : elle doit être poursuivie et punie, mais il n'est nul besoin de réglementer davantage.
J'en profite pour indiquer au ministre de l'agriculture que le rapport qualité-prix des produits alimentaires n'est pas satisfaisant. Comment les vendre au juste prix, surtout en l'absence de tarif de première nécessité ?
M. Jean-Jacques Mirassou. - C'est un cas de fraude patente. Ceux qui ont expliqué aux salariés de Spanghero qu'ils étaient pris en otage n'étaient sans doute pas dénués d'arrière-pensées... 550 000 euros de profit à court terme, voilà qui fait travailler l'imagination des moins scrupuleux.
La question des circuits courts est très compliquée. C'est un problème européen. Si l'on arrive en bout de course avec un plat cuisiné à 1 ou 2 euros, c'est que cela correspond à une forme de demande, en période de crise du pouvoir d'achat. Comment augmenter la qualité des produits en gardant des prix attractifs ?
M. Bruno Retailleau. - Les pouvoirs publics ont sans conteste apporté les réponses appropriées au problème. Élargissons le champ de notre réflexion en replaçant l'industrie agroalimentaire au coeur de la stratégie de réindustrialisation de notre pays - industrie qui résume d'ailleurs ce qu'est ce pays : la culture gastronomique, l'agriculture de nos territoires, le savoir-faire de nos industries. Des réponses sont à apporter aux consommateurs d'abord, en matière de traçabilité et de transparence. Sans tomber dans le consumérisme : nous savons que chaque ministre de la consommation veut faire sa loi. Attention également aux class-actions. Des réponses doivent ensuite être apportées aux filières. Les industriels ont parfois des difficultés à utiliser les matières premières toutes proches : c'est la question des circuits courts. Quelle que soit leur taille, ils doivent permettre de produire pour la demande de nos industries. Enfin, des réponses sont attendues à l'échelle européenne. Nous appliquons avec angélisme des préceptes ultralibéraux venus des États-Unis, où les poulets brésiliens ne pénètrent pas...
Je profite de cette occasion pour demander l'organisation d'une table ronde en Pays-de-la-Loire, sur le modèle de celle qui s'est tenue en Bretagne, pour évoquer la situation de Doux et des restitutions aux exportations sur la filière frais.
Mme Bernadette Bourzai. - Je veux féliciter les ministres pour la réactivité avec laquelle ils ont géré cette crise. J'ai moi-même été maire d'une commune pourvue d'un abattoir et d'une usine de viande au moment de la crise de la vache folle, et je sais les difficultés qu'il faut résoudre dans ces situations.
Les circuits commerciaux sont trop complexes. Ne pourrions-nous pas supprimer des intermédiaires ? Vous connaissez la chanson de la vache à 1 000 francs, dont le prix ne cesse d'augmenter à chaque étape...
La gouvernance des sociétés coopératives est un autre problème. Je suis frappée par la taille de certaines coopératives qui n'ont de coopératives que le nom. Les mêmes qui dirigent Spanghero ont déjà été épinglés dans des affaires concernant d'autres sociétés. Il serait regrettable que la justice ne soit pas allée au bout dans cette première affaire.
Je relaie une demande de ma collègue Maryvonne Blondin, sénatrice du Finistère : il y a eu des événements graves hier à Quimper. Nous devons réagir. Qu'en pensez-vous ?
M. Alain Fauconnier. - On entend parfois parler de minerais pour le lait ou la viande. C'est surréaliste, et en dit long sur notre approche du système agroalimentaire.
Le secteur coopératif est mis en cause par cette crise. Il ne faut pas généraliser, mais le coup est dur pour ceux qui voyaient là un secteur prometteur, que l'on définissait comme la rencontre d'une confiance et d'une conscience...
M. Alain Chatillon. - Je suis dans l'agroalimentaire depuis 45 ans. Je crois pouvoir dire que la crise a été bien maîtrisée. Notez toutefois que la famille Spanghero n'est plus propriétaire de l'entreprise depuis plusieurs années, puisque la coopérative Lur Berri a racheté la marque en 2009.
Premier problème : la chute du nombre de bovins et d'ovins dans notre pays. Les 4 milliards versés au Royaume-Uni depuis 1984 servent à ramener des bestiaux produits dans le Commonwealth en Europe, ce qui crée un important décalage de compétitivité.
Deuxième problème : les règles communautaires qui s'imposent à tous. Nous le voyons avec le problème des compléments alimentaires aux multiples allégations nutritionnelles, contre lesquels nous luttons, mais qui sont accessibles sur internet. Les syndicats professionnels de branche souhaiteraient vivement être informés en amont de ces réglementations, comme cela se fait dans d'autres pays.
A Bordeaux, Saint-Nazaire, et ailleurs, arrivent de multiples produits OGM, qui servent à nourrir 90 % des bêtes françaises. Que faire face aux produits brésiliens ou américains, qui envahissent nos terres ?
Prenons garde à ne pas alourdir les structures. Ce n'est pas parce qu'il y a un ou deux fraudeurs que toute la filière est condamnable. D'accord pour réévaluer les sanctions, mais n'ajoutons pas de nouvelles réglementations.
Enfin, qu'en est-il de la répartition des compétences entre l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) et la DGCCRF s'agissant notamment des compléments alimentaires ? Les deux réglementations, pharmaceutique et agroalimentaire, n'ont rien à voir.
M. Joël Labbé. - S'agit-il d'une crise ou d'un mal nécessaire ? Les médias n'ont créé aucun emballement, ils ont simplement reflété la sensibilité de l'opinion publique à ces questions.
La fraude a été permise par le fait que les produits agricoles sont devenus des objets de spéculation. Une étude de l'organisation Oxfam du 12 février dernier montre bien que les banques françaises - BNP-Paribas est citée explicitement - investissent largement dans ce secteur.
La réaction des pouvoirs publics a été satisfaisante. Et la position des ministres n'est pas de circonstance, puisqu'ils avaient pris, avant cette crise déjà, l'engagement de tirer vers le haut la qualité des produits et l'excellence de la filière française. Prenons l'exemple du poulet : la France exporte des poulets bas de gamme, et importe 46 % de sa propre consommation en poulets. Cette affaire est l'occasion de se pencher sur la qualité des produits français.
Mme Odette Herviaux. - Je félicite à mon tour les ministres pour leur réactivité dans cette affaire. En l'occurrence, il s'agissait d'une tromperie, et non d'une mise en danger.
Rétablir la confiance suppose d'abord de rappeler que notre industrie agroalimentaire est l'une des plus sûres au monde. Elle assure davantage la sécurité des personnes qu'à l'époque où tout le monde faisait la cuisine à domicile. L'industrie américaine ne tient pas la comparaison. Soyons-en fiers. Mais ici comme ailleurs, nous devons monter en gamme, et assurer une traçabilité parfaite au consommateur. Nous devons en outre lutter contre l'idée que les plats préparés peuvent être moins chers que ceux que l'on fait soi-même.
Le ministre de l'agriculture disait avoir l'appui du Royaume-Uni. Mais comment peut-on défendre la qualité de la filière et son contrôle plus approfondi lorsque l'on se bat en même temps pour diminuer le budget européen consacré à l'agriculture ?
M. Jean-Jacques Lasserre. - Nous assistons impuissants au procès fait à l'agroalimentaire et aux coopératives. L'affaire qui nous occupe fournit le prétexte à des débats destructeurs. Je soutiens la recherche des responsables. Ma certitude, c'est qu'il y a un enchevêtrement de responsabilités. Ne cédons pas à la facilité de désigner le responsable le plus visible. Je suis stupéfait par le nombre de chevaux abattus en Roumanie. Rentrons finement dans le dossier.
Les marges de l'agroalimentaire sont plus faibles qu'on le croit. Elles sont parfois infimes. Sortons du faux débat sur les circuits courts. Si nous allions au bout de la logique, nous serions surpris. Le goût fermier cache parfois bien des choses... Attention à l'exploitation abusive, par les départements marketing, des étiquettes qualité : il est facile de le vérifier au salon de l'agriculture.
Enfin, la traçabilité pourrait être améliorée, y compris dans les produits manufacturés.
M. Stéphane Le Foll, ministre. - Aucune norme supplémentaire n'est prévue pour les agriculteurs. On ne revient évidemment pas sur ce qui a été fait à la suite du scandale de la vache folle et qui fonctionne. La question ne se pose que pour les produits transformés à base de viande.
La production de lait, de porcs, ou de bovins dépend de protéines végétales qui viennent à 90 % de soja OGM. Comment faire autrement ? Si on produit des céréales pour les exporter, cela ne profite pas à l'alimentation animale. Seules les rotations de cultures permettent de faire des productions intermédiaires. Grâce à ce système, certains producteurs sont autonomes à 90 %, avec des productions par vache de 9 000 à 10 000 litres de lait. Mais cela suppose un changement de modèle.
Les circuits courts, locaux, moyens ou régionaux sont utiles, et ne cesseront de se développer, à condition qu'ils soient encadrés. Mais ils ne remplaceront jamais l'industrie agroalimentaire. La région parisienne compte 12 ou 13 millions d'habitants. Déjà au XIVe siècle, la boucherie située à côté de Notre-Dame était une grosse usine, conçue pour nourrir 50 000 personnes. La consommation de masse a toujours nécessité une industrie. Il faut simplement que l'industrie se soumette à des garanties de qualité et de traçabilité, et qu'elle permette de défendre une certaine culture alimentaire. Le salon de l'agriculture sera l'occasion d'en parler, et je vous invite le jeudi soir à un grand pot-au-feu de viande bovine française. (Applaudissements)
M. Benoît Hamon, ministre délégué. - J'ai également noté le décalage que vous constatez dans le discours britannique. A ce propos, notez qu'avant le crunch de samedi soir entre les équipes française et anglaise de rugby, les parlementaires de nos deux pays se rencontreront dans la périphérie de Londres samedi matin. Nous devrions, à cette occasion, tirer notre épingle du jeu.
Les compétences de l'AFSSAPS et de la DGCCRF se croisent en matière d'allégation nutritionnelles, ces vertus imaginaires que les stratégies marketing prêtent aux aliments. Par exemple, un yaourt ne peut porter de mention indiquant qu'il empêche la chute des cheveux. Des contrôles communs aux deux institutions permettent de vérifier le respect par les industriels des normes en vigueur.
J'ai bien conscience que le monde coopératif est ébranlé par ce qui se passe en ce moment. J'ai eu récemment au téléphone le président de COOP de France, Philippe Mangin. Dans le cas qui nous occupe, la coopérative Lur Berri n'est que marginalement citée. Un problème se pose lorsque ces coopératives se diversifient, et adoptent des règles de gouvernance et des pratiques qui laissent à désirer.
Dans le cadre du projet de loi relatif à l'économie sociale et solidaire qui sera présenté en juin, le toilettage de la loi de 1947 sera examiné. Je n'ai pas l'intention de libéraliser le secteur. Les discussions avec les professionnels permettront de tirer les leçons de l'affaire Spanghero, sans accuser le modèle coopératif, qui fait la solidité du secteur agroalimentaire.
M. Daniel Raoul, président. - Les protéines végétales ne sont pas des OGM. Ce sont des plantes génétiquement modifiées (PGM). Ne mélangeons pas tout.
M. Guillaume Garot, ministre délégué. - Les filières de production de viande, notamment de porcs et de volailles, sont fragiles. Notre ambition est de définir une nouvelle stratégie pour chacune, qui permette la reconquête des marchés intérieurs. Vous l'avez dit : 40 à 45 % des poulets consommés en France sont importés. L'Allemagne nous prend toujours davantage de parts de marchés. Faut-il se réfugier dans le bas de gamme ? Nous nous y refusons. Notre projet est de réconcilier les performances économiques et écologiques, pour faire évoluer l'agriculture françaises vers l'agro-écologie. Voilà le défi vert de demain. Je suis absolument convaincu que l'on peut fonder un nouveau modèle économique sur ces bases.
Dans quelques semaines, à la suite du travail mené par le délégué interministériel à l'industrie agroalimentaire, nous présenterons nos orientations assorties de mesures fortes pour offrir un nouvel avenir à la filière agroalimentaire. Il ne s'agit pas de mesures griffonnées sur un coin de table, mais d'éléments porteurs d'un vrai modèle qualitatif. Nourrir la France et défendre l'excellence française, voilà notre ambition pour nos industries. C'est en outre indispensable pour développer nos territoires, sur lesquels 500 000 emplois sont concernés. Nous proposerons donc un véritable pacte pour l'agroalimentaire, en rassemblant toutes les forces publiques et l'ensemble de la chaîne alimentaire. Le défi est aussi mondial : nous sommes 7 milliards d'habitants sur la planète aujourd'hui, mais nous serons 9 milliards en 2050. La France a un rôle majeur à jouer, notamment dans la défense de ses valeurs universalistes. Fédérons nos forces pour relever ces défis ensemble.
M. Daniel Raoul, président. - Demain, nous recevrons M. Jean-René Buisson, président de l'Association nationale des industries alimentaires (Ania), sur les questions de sécurité alimentaire. Je remercie MM. les ministres de leur disponibilité.
Mercredi 20 février 2013
- Présidence de M. Daniel Raoul, président -Régime des autorisations de plantation de vigne - Examen du rapport et du texte de la commission
La commission examine le rapport et le texte de la commission sur la proposition de résolution européenne n° 286 (2012-2013) adoptée par la commission des affaires européennes en application de l'article 73 quater du Règlement, sur le régime des autorisations de plantation de vigne.
M. Roland Courteau, rapporteur - Si nous n'avons pas connu de situation d'effondrement des prix du vin en Europe, alors que la consommation a baissé depuis plusieurs décennies, si nous n'avons pas connu de situation structurelle de surproduction de vin alors même que la consommation domestique déclinait, nous le devons certainement au système des droits de plantation, qui a permis la mise en oeuvre d'une stratégie de montée en gamme.
Or, dans le cadre de la reforme de l'Organisation commune de marché (OCM) vitivinicole de 2008, la suppression de ce dispositif a été programmée pour 2015, avec possibilité pour les États membres de l'Union européenne de reculer l'échéance de trois ans.
Nous ne connaissons que trop bien les motifs idéologiques d'une telle décision. En matière agricole, l'approche de la Commission européenne et de certains États membres est marquée par l'ultralibéralisme.
La volonté de supprimer toute régulation et de livrer les acteurs économiques aux divagations des marchés a déjà fait beaucoup de dégâts ... et continuera à en faire si nous restons passifs. C'est pourquoi professionnels de la filière viticole et élus ont mené la bataille sans faiblir, depuis 2008, pour sauvegarder les droits de plantation de la vigne. Nous n'avons jamais été aussi près d'aboutir, mais il ne faut pas relâcher notre vigilance. C'est l'objet de la proposition de résolution européenne qui est présentée à notre commission : exiger qu'une solution complète et pérenne soit apportée au niveau communautaire pour maintenir un système de droits de plantation, qui régule les capacités de production de vin en Europe.
J'aborderai dans mon rapport quatre points. Tout d'abord, le dispositif actuel des droits de plantation ainsi que les risques liés à leur disparition totale. Ensuite, le rappel de la bataille menée contre la Commission européenne et ses services pour remettre sur la table le dossier des droits de plantation. Puis, le résumé de la proposition du groupe de haut niveau de décembre dernier, qui constitue une réelle avancée, mais sur laquelle des clarifications doivent encore être apportées. Enfin, la présentation de la proposition de résolution européenne de nos collègues Simon Sutour et Gérard César, adoptée par la commission des affaires européennes, que je propose à la commission des affaires économiques d'adopter, sous réserve de quelques modifications mineures.
Les droits de plantation que nous connaissons aujourd'hui sont le fruit d'une longue histoire. La France a été pionnière avec le décret de 1953, qui a instauré une stricte discipline d'encépagement. L'objectif était à la fois quantitatif, visant à éviter la surproduction, et qualitatif : planter de meilleures vignes pour faire du meilleur vin.
Le dispositif français de contingentement de la capacité de production est apparu suffisamment efficace pour inspirer l'Europe, qui s'est dotée en 1976 d'un dispositif commun à l'ensemble de ses États membres, prévoyant de soumettre à autorisation administrative toute plantation nouvelle de vigne destinée à produire du raisin de cuve.
Système éprouvé, les droits de plantation présentent en particulier un avantage : contrairement aux solutions de gestion des surplus de production - aide au stockage public ou privé, distillation de crise - ils ne coûtent rien aux finances européennes.
La décision de les supprimer lors de la réforme de l'OCM vitivinicole de 2008 est donc pour le moins surprenante. Certes, la Commission européenne nourrissait ainsi l'espoir que la production européenne de vin pourrait s'accroître afin de conquérir les marchés extérieurs, mais sur lesquels les vins européens sont déjà présents, en particulier les vins italiens, espagnols et français, puisque l'Union européenne couvre près de 70 % du volume des exportations mondiales de vin.
Fallait-il pour autant supprimer un dispositif qui permettait d'éviter l'anarchie dans la production de vin européenne ?
La suppression des droits de plantation fait en effet peser de lourds risques sur l'équilibre de la filière vitivinicole :
- un risque de déplacement des zones de production, notamment vers les zones de plaine où les contraintes sont moins fortes que dans les zones traditionnelles de production de vin : meilleure irrigation, terrain plus plat et donc facilité de mécanisation ;
- un risque d'extension des superficies actuelles ou du nombre de producteurs, qui pourrait se faire au détriment de la qualité, avec une industrialisation de la viticulture ;
- un risque de détournement de notoriété, avec la possibilité pour les vins sans indication géographique d'être produits dans la zone géographique d'une appellation d'origine, créant ainsi la confusion dans l'esprit du consommateur.
Toutes ces raisons expliquent que les professionnels et les élus, en particulier ceux de l'association nationale des élus du vin (ANEV), se soient mobilisés pour remettre en cause la libéralisation des droits de plantation, avant qu'arrive l'échéance de sa mise en oeuvre, fixée à 2015.
Après l'Allemagne en mars 2010, la France a demandé en janvier 2011 le maintien des droits de plantation. En avril 2011, 9 États membres ont écrit à la Commission européenne pour demander une réforme de la réforme, rejoints bientôt par la quasi-totalité des États membres producteurs de vin. Allemagne, France, mais aussi Italie, Espagne, Portugal, Autriche, Hongrie, Slovénie, République Tchèque, Bulgarie, Roumanie, Luxembourg, Grèce et Chypre se sont ainsi prononcés pour la remise en cause du choix fait en 2008.
Le Sénat a joué son rôle dans la mobilisation contre la libéralisation des droits de plantation : en février 2011, la Commission des affaires européennes avait adopté une proposition de résolution, devenue résolution du Sénat, demandant le maintien d'un régime d'encadrement des droits de plantation après 2018. Plus récemment, des communiqués de presse ont été publiés à la suite de réunions du groupe d'études Vigne et Vin présidé par notre collègue Gérard César, pour rappeler sur ce point la position unanime des sénateurs, tous groupes politiques confondus.
Le Parlement européen, enfin, est un allié précieux dans cette bataille. Il était hostile à la libéralisation lors de la réforme de l'OCM vitivinicole de 2008, mais il n'y avait pas alors la codécision. Appelé à se prononcer, cette fois en codécision, sur la réforme de la politique agricole commune (PAC), le Parlement européen confirme sa position favorable au maintien des droits de plantation. Sur proposition de son rapporteur, Michel Dantin, la commission Agriculture et développement rural a demandé leur prolongation jusqu'en 2030. Le sujet sera donc immanquablement débattu dans le cadre des réunions du trilogue entre Commission, Conseil et Parlement européen, destinées à aboutir à un accord sur le paquet de réforme de la PAC.
Devant la pression des opinions publiques et des États, le commissaire européen à l'agriculture, M. Dacian Ciolos, a mis en place début 2012 un groupe d'experts de haut niveau (GHN), associant représentants des États membres et des professionnels. Le but de ce groupe était de dresser le bilan du fonctionnement du système actuel de droits de plantation et de faire des propositions. Le peu d'avancées enregistrées lors des premières réunions du GHN ont laissé craindre une manoeuvre dilatoire. La pression a cependant été maintenue et le groupe a finalement présenté des conclusions lors de sa réunion du 14 décembre 2012, qui vont dans le sens d'un maintien d'un système de régulation des droits de plantation au-delà de 2015.
Les propositions du GHN constituent le socle de base de nouvelles propositions législatives en cours de rédaction, qui devront être intégrées à la réforme en cours de la PAC.
Le GHN suggère non pas la reconduction à l'identique du dispositif des droits de plantation, mais la mise en place d'un nouveau système d'encadrement des plantations, qui en serait proche. Il reposerait sur des autorisations administratives non cessibles, qui s'appliqueraient dans tous les États membres à l'exception des États membres n'ayant qu'une production résiduelle de vin, et pour tous les types de vins, y compris ceux sans indication géographique. Ce point est très important car il permet une régulation globale du marché vitivinicole.
Le GHN prévoit la fixation d'un taux plafond annuel d'augmentation des plantations au niveau communautaire, qu'aucun État-membre ne pourra dépasser, afin de limiter la croissance de la capacité de production. Chaque État membre serait libre de choisir un taux plus bas en fonction « de critères objectifs et non-discriminatoires », en prenant en compte les recommandations des organisations professionnelles reconnues et représentatives.
Si la somme des demandes annuelles de plantations nouvelles était inférieure au taux national, elles seraient automatiquement accordées. Dans le cas contraire, les États membres devraient appliquer les critères de priorité définis au niveau communautaire, comme par exemple une priorité aux jeunes agriculteurs, complétés éventuellement de critères nationaux.
Le GHN prévoit que le nouveau dispositif entrerait en application à la date de fin du dispositif des droits de plantation, c'est-à-dire au 1er janvier 2016 pour les États membres qui choisiraient de ne pas opter pour leur prolongement permis jusqu'au 31 décembre 2018. Il serait instauré pour une durée de six ans.
Le chemin fait par le GHN est donc très important. Il n'est plus question aujourd'hui de libéraliser totalement les droits de plantation, mais de moderniser le dispositif, en accordant certaines souplesses.
Il reste encore cependant quelques incertitudes qu'il faudra lever dans les prochaines semaines. La première est procédurale et finalement assez simple à résoudre : les propositions du GHN doivent désormais être traduites en droit européen. Passer par une nouvelle initiative de la Commission européenne, soumise à codécision, prendrait trop de temps. La meilleure formule, vers laquelle nous nous dirigeons, est donc celle d'une proposition de la présidence irlandaise de l'Union européenne, tendant à modifier le texte de l'OCM actuellement en discussion dans le cadre de la réforme de la PAC. Cette proposition est attendue pour la mi-mars.
La deuxième difficulté concerne les équilibres du nouveau régime lui-même. D'abord, il ne s'agit pas que les taux soient fixés à un niveau trop élevé : de ce point de vue, une définition du taux plafond à travers les actes délégués serait plus sûre que si elle était fixée par la Commission seule, sans possibilité d'opposition du Conseil et du Parlement européen. Ensuite, les États membres doivent pouvoir disposer de réelles possibilités de modulation du taux, et ne pas être forcés de s'aligner sur le taux plafond.
La troisième difficulté est celle de la transition. Il est difficilement praticable de maintenir l'ancien système prolongé au choix des États membres jusqu'à la fin 2018, tandis que les autres seraient passés au nouveau système dès le 1er janvier 2016. Une date de mise en oeuvre harmonisée paraît plus pertinente. Un autre problème tient à l'utilisation de la réserve de droits actuellement constituée, qui correspond en France à environ 7 à 8 % de la surface plantée. Ces droits, nés des précédentes campagnes d'arrachage, disparaîtraient avec le nouveau système. Il conviendrait de permettre à leurs actuels titulaires de les exercer avant le basculement dans le nouveau régime, qui pourrait dans ces conditions être fixé au 1er janvier 2019 pour tout le monde.
Enfin, une durée limitée à six ans pour le nouveau système est trop courte. Certes, des obstacles juridiques s'opposent à ce qu'il soit instauré pour une durée totalement indéterminée. Mais il doit au moins y avoir une pérennité sur l'ensemble de la période d'application des textes relatifs à la PAC actuellement en discussion. Cette solution aurait l'avantage de donner une visibilité aux acteurs économiques de la filière vitivinicole.
Je terminerai mon rapport en exprimant mon soutien plein et entier à la proposition de résolution européenne sur le régime des autorisations de plantation de vigne, adoptée le mois dernier par la commission des affaires européennes. Cette proposition de résolution, courte et percutante, salue les avancées en faveur d'un encadrement des plantations de vigne, à rebours de l'option libérale qui avait été retenue jusqu'à présent.
J'en profite pour saluer le travail de notre ministre de l'agriculture, M. Stéphane Le Foll, qui a su nouer les bonnes alliances et fait preuve d'efficacité pour permettre de sortir du statu quo.
Mais la proposition de résolution rappelle aussi que nous sommes au milieu du chemin et elle vise à maintenir la pression sur les partenaires de la France dans la négociation sur le futur système d'encadrement des plantations, dont les détails sont encore à définir.
En adoptant cette proposition de résolution, le Sénat donne une arme supplémentaire de négociation au Gouvernement français pour rappeler les exigences de notre pays en matière de régulation du marché vitivinicole.
Je vous propose d'apporter quelques retouches au texte initial de la commission des affaires européennes :
- pour rappeler que le nouveau régime doit s'appliquer à l'ensemble des États membres ayant une production de vin significative, et pour l'ensemble des catégories de vin ;
- pour exiger que le nouveau dispositif soit pérenne, ce qui constitue une formule plus positive qu'une simple opposition à une durée de six ans. En conséquence, il n'y a plus de sens à demander un rapport à mi-parcours, qui pourrait d'ailleurs être quelque peu dangereux s'il amenait à devoir renégocier le dispositif à peine mis en oeuvre ;
- pour fusionner les alinéas 7 et 9, qui sont redondants, et préciser que l'équilibre des marchés peut être l'un des critères de définition du taux national d'augmentation des plantations.
Les conclusions du GHN rendues le 14 décembre dernier ont constitué un immense soulagement pour le monde viticole, qui voit s'éloigner la perspective d'une libéralisation totale. Tout danger n'est cependant pas définitivement écarté. En adoptant cette proposition de résolution, le Sénat rappelle son hostilité à l'orientation libérale dont les agriculteurs sont les premières victimes, et dont les viticulteurs auraient pu pâtir durement. Nous rappelons également que nous serons vigilants, car le diable est dans les détails, et tant que les négociations n'auront pas abouti sur l'ensemble du dispositif de la future PAC, des « mauvais coups » seront encore possibles.
M. Gérard César. - Je félicite notre collègue pour son rapport. Nous avons travaillé ensemble sur ce sujet. Le colloque que nous avions organisé en avril 2011 au Sénat a permis de nouer le contact avec les pays producteurs et de faire ensuite avancer le dossier à l'échelle européenne.
La commission des affaires européennes s'est réunie le 20 janvier dernier sur ce texte ; il est donc bien de faire le point un mois plus tard.
Les efforts conjugués des sénateurs, des professionnels, des associations et des élus locaux ont permis de faire avancer les choses. Je remarque que nos collègues députés ne se sont guère investis sur ce thème.
Le délai de six ans actuellement prévu est bien trop court ; il faut davantage de visibilité pour les viticulteurs.
Le taux annuel final doit tenir compte de l'état du marché national, mais aussi régional. Laissons à l'État, avec les interprofessions du secteur, le soin de régler ce point.
M. Gérard Le Cam. - Notre groupe est par principe favorable à l'introduction d'éléments de régulation. Nous n'avons pas eu le même succès sur les quotas laitiers, malheureusement, mais le sujet différait il est vrai.
Le taux maximal d'accroissement des surfaces de plantations, fixé par la Commission européenne, soulève un certain nombre d'interrogations.
En janvier, les députés européens ont adopté un amendement maintenant la réglementation actuelle jusqu'en 2030, ce qui va dans le bon sens.
Nous voterons ce rapport car le combat mené est juste.
Mme Bernadette Bourzai. - Félicitations au rapporteur. Son travail retrace une période compliquée commencée à Bruxelles en 2007, lorsque la précédente commissaire européenne à l'agriculture, Mme Mariann Fischer Boel, a proposé de libéraliser le marché des droits à plantation. La France a alors demandé une étude d'impact. Puis la réforme de l'OCM vitivinicole a été votée, avec comme objectif la banalisation de la production de vin. Un peu de régulation serait aujourd'hui opportun après une telle période, et le dispositif qui nous a été présenté va en ce sens.
Le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, M. Stéphane Le Foll, a su rassembler une majorité d'États membres de l'Union autour de nous. Le Parlement européen est également favorable au maintien des droits de plantation.
La non cessibilité desdits droits et la pérennisation de la réglementation jusqu'en 2030 sont souhaitables. Je regrette simplement que nous n'ayons pas su mener le même combat sur les quotas laitiers.
M. Marc Daunis. - Nous nous réjouissons de cette volonté de régulation. Si nous voulons vraiment sauver la viticulture française, il nous faut jouer sur la qualité, car la concurrence internationale est très forte sur les volumes. Or, la libéralisation des droits à plantation entraînerait nécessairement une baisse de la qualité.
Pourquoi les tableaux de comparaison ne comportent-ils pas d'éléments sur les productions du sud-est de la France ?
M. Roland Courteau, rapporteur. - Les tableaux que vous évoquez ne sont pas ceux du Sénat, mais ceux du rapport de Mme Catherine Vautrin, député en 2010. Ils montrent néanmoins qu'un million d'hectares sont aujourd'hui disponibles dans les zones d'appellation. La libéralisation aurait désorganisé le marché et nuit à la qualité.
C'est bien le Sénat qui est à l'origine de la mobilisation, ainsi que l'a dit notre collègue Gérard César.
Le délai de six ans est trop court, et nous devons proposer un amendement à cet égard.
Il faut tenir compte du marché dans la fixation des taux, je partage entièrement ce point de vue.
Certes, comme l'a souligné notre collègue Gérard Le Cam, des doutes existent, mais nous nous employons à les réduire. Ils étaient d'ailleurs bien plus importants à l'origine.
S'agissant de la fixation du taux au niveau communautaire, il revient à la Commission européenne de faire une proposition, et au Parlement européen et au Conseil de la retenir éventuellement. Le taux national, quant à lui, ne pourra dépasser le taux communautaire. Nous souhaitons que les structures locales soient consultées en vue de sa fixation.
3,2 millions d'hectares de vignes sont plantés dans l'Union européenne, dont 806 241 en France. 1 900 à 2 300 hectares sont plantés chaque année. Si le taux est fixé à un faible niveau, il n'y aura pas de dérapage.
Saluons le travail effectué par le ministre en charge de l'agriculture. L'adoption de ce texte à l'unanimité lui donnerait un appui utile.
M. Roland Courteau, rapporteur. - L'amendement n° COM-1 rappelle que le nouveau dispositif d'encadrement des plantations de vigne doit s'appliquer à l'ensemble du territoire de l'Union européenne et non sur option des États membres, et qu'il concerne tous les types de vin, les vins sous signe de qualité mais aussi les vins sans indication géographique.
M. Bruno Sido. - L'expression « production de vin significative » n'a pas de sens très précis ...
M. Roland Courteau, rapporteur. - Elle renvoie à la règle européenne « de minimis », pour les pays réalisant des très petites productions.
M. Gérard César. - Il nous manque 40 voix pour obtenir la majorité qualifiée dans les instances européennes. La Pologne en représente 27. Pourquoi ne pas lui permettre de planter un peu de vigne, en échappant au nouveau dispositif, en échange de son soutien ?
L'amendement n° COM-1 est adopté.
M. Roland Courteau, rapporteur. - L'amendement n° COM-5 rappelle l'objectif du nouveau dispositif d'autorisation des plantations de vigne, qui est d'équilibrer l'offre et la demande de vin.
M. Jean-Claude Lenoir. - Vous faites référence à un « objectif d'équilibre de l'offre et de la demande ». Or, si les consommateurs boivent moins, cela a pour conséquence qu'il faudrait réduire les surfaces. Ne doit-il pas y avoir d'autres objectifs, notamment celui d'accroître la demande ?
M. Gérard Bailly - Lorsque vous faites allusion aux « marchés vitivinicoles », de quels marchés parlez-vous : mondiaux ? européens ?
M. Gérard César. - La consommation de vin décroît d'année en année. Ce n'est donc pas la peine d'augmenter les surfaces. Les pays nouvellement producteurs se chargent en outre d'alimenter l'offre.
M. Bruno Sido. - On ne prend pas en compte la production par hectare. Or, pour le champagne, elle est trop importante dans notre pays. Il vaut mieux jouer sur la qualité.
M. Daniel Raoul, président. - Ce thème me semble relever davantage de l'interprofession ...
M. Roland Courteau, rapporteur. - Nous faisons référence au marché européen. Nous n'avons pas de moyen d'action directe au niveau mondial, même si la production européenne représente les deux-tiers de la production mondiale.
M. Gérard César. - Dans notre proposition de résolution, nous parlons de prise en compte de l'état du marché national et régional.
L'amendement n° COM-5 est adopté.
M. Roland Courteau, rapporteur. - L'amendement n° COM-2 indique le souhait du Sénat que l'encadrement des droits de plantations soit pérenne, et non limité à six années, de sorte que la négociation ne s'ouvre pas de nouveau dans quelques années sur ce sujet.
M. Daniel Raoul, président. - Il vaudrait mieux « demander » plutôt que simplement « souhaiter » une telle pérennité.
L'amendement n° COM-2 ainsi modifié est adopté.
M. Roland Courteau, rapporteur. - L'amendement n° COM-6 vise à ce que l'entrée en vigueur du nouveau dispositif d'encadrement des droits de plantation soit simultanée dans tout le territoire de l'Union européenne, pour éviter la confusion qui naîtrait de la coexistence de plusieurs systèmes.
L'amendement n° COM-6 ainsi modifié est adopté.
M. Roland Courteau, rapporteur. - L'amendement n° COM-3 supprime l'alinéa 7, qui est assez redondant avec les alinéas suivants. Il clarifie les exigences du Sénat sur les deux taux.
Le taux plafond européen doit être fixé à un niveau raisonnable, comme prévu dans la proposition de résolution initiale.
Le taux national, inférieur ou égal au taux plafond, doit pouvoir être défini en fonction de la situation des marchés, car l'objectif du dispositif est d'éviter les déséquilibres économiques au sein de la filière vitivinicole.
M. Daniel Raoul, président. - Cet amendement répond à la question de notre collègue Gérard Bailly : il s'agit de marchés européens, nationaux et régionaux.
L'amendement n° COM-3 ainsi modifié est adopté.
M. Roland Courteau, rapporteur. - L'amendement n° COM-4 propose de supprimer le rapport à mi-parcours demandé par la proposition de résolution. Bien souvent, un rapport à mi-parcours sert à supprimer un dispositif, ce qui n'est pas notre objectif. Par ailleurs, nous demandons un dispositif pérenne et non plus temporaire limité à six ans. Il n'y a donc plus de mi-parcours.
M. Jean-Jacques Lasserre. - Cela a-t-il un sens de demander ainsi un règlement pour l'éternité ?...
M. Roland Courteau, rapporteur. - Notre objectif est que ce dispositif se cale sur la durée de l'OCM vitivinicole, mais celle-ci est renégociée tous les sept ans.
L'amendement n° COM-4 est adopté.
L'ensemble du rapport et du texte est adopté à l'unanimité dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Questions diverses
La commission des Affaires économiques demande à se saisir pour avis du projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires et désigne M. Yannick Vaugrenard comme rapporteur.
La commission des Affaires économiques propose les candidatures de M. Philippe Leroy et de Mme Bernadette Bourzai pour siéger au Conseil supérieur de la forêt, des produits forestiers et de la transformation du bois.
Traçabilité dans la chaîne de fabrication et de distribution des produits alimentaires - Audition de M. Jean-René Buisson, président de l'association nationale des industries alimentaires (ANIA)
La commission procède à l'audition de M. Jean-René Buisson, président de l'association nationale des industries alimentaires (ANIA).
M. Daniel Raoul. - Je ne vous surprendrai pas en indiquant que le sujet de préoccupation qui nous réunit aujourd'hui concerne la production, la commercialisation et la distribution des produits culinaires transformés. Je le souligne d'emblée, la première priorité est de ne pas entamer la confiance des consommateurs dans la filière agroalimentaire, d'autant que, dans l'affaire dite Spanghero-Comigel, il s'agit non pas d'une crise sanitaire mais d'un cas de fraude. Il est essentiel de rappeler clairement cette distinction et je mentionne simplement, comme je l'ai fait hier au cours de l'audition des trois ministres concernés, que l'utilisation de la viande de cheval plutôt que celle de boeuf peut comporter un avantage du point de vue nutritionnel. Cela étant, les fraudes avérées méritent des sanctions exemplaires car elles risquent de fragiliser l'ensemble de la filière.
Je souhaite, Monsieur le Président, que vous puissiez faire le point de la situation et nous dire, le cas échéant, quelles mesures de contrôle interne nouvelles vous envisagez.
M. Jean-René Buisson, président de l'association nationale des industries alimentaires (ANIA). - Notre profession traverse une période très difficile et sans précédent puisque, comme vous l'avez rappelé, il s'agit d'un cas inédit de fraude sur la nature du produit. Pour vous éviter de réentendre des informations dont vous avez pu prendre connaissance hier lors de l'audition des ministres, je me contenterai d'insister sur la nécessité d'identifier rapidement les responsables de l'opération de substitution de viande de cheval en lieu et place de viande de boeuf. Tant que les enquêtes n'auront pas été menées à leur terme, on risque de laisser peser une suspicion sur l'industrie agroalimentaire dans son ensemble, ce qui cause un préjudice considérable à cette dernière car le doute s'installe dans l'esprit des consommateurs sur les produits alimentaires.
Il est indispensable de bien cadrer les problématiques et les enjeux. A l'heure actuelle, la fraude a été identifiée. Je n'aborderai pas ici les aspects européens de cette affaire tout en rappelant qu'il convient d'éclaircir le rôle des différents traders qui sont intervenus. Au niveau français, la responsabilité de l'entreprise Spanghero est clairement établie puisque cette dernière connaissait la nature exacte des produits qu'elle recevait, le code douanier apportant des indications d'une précision qui ne laisse aucune place au doute. De plus, d'après les informations dont nous disposons, cette entreprise avait, de façon très formelle, passé commande de viande de cheval en Roumanie, et elle semble bien s'être livrée par la suite à un ré-étiquetage de ces produits, l'entreprise roumaine n'ayant a priori rien à se reprocher dans cette opération.
M. Daniel Raoul. - C'est une information que j'entends pour la première fois : personne encore n'avait affirmé que la commande initiale portait sur de la viande de cheval.
M. Jean-René Buisson. - Vous avez la primeur de cette information : elle confirme qu'il s'agit bien d'une fraude manifeste. Pour des raisons à la fois politiques et sociales - 300 emplois étant concernés - on a rendu à cette entreprise son agrément, ce qui suscite de légitimes interrogations puisque la coopérative en charge de cette usine n'en a pas suspendu les dirigeants, ce qui me parait reprochable.
M. Daniel Raoul. - Précisons bien la situation : Spanghero est une filiale à 100 % d'une coopérative locale.
M. Jean-René Buisson. - Exactement. Tout ceci crée un trouble dans la mesure où le pas en arrière que je viens d'évoquer peut conduire l'opinion à se demander si la DGCCRF (Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes) n'a pas pris initialement une décision trop rapide et si l'entreprise Spanghero est véritablement fautive. Or on dispose, à mon sens, de suffisamment d'éléments objectifs qui établissent la responsabilité de cette dernière et il est souhaitable que des sanctions soient prononcées rapidement. Nous souhaitons donc que des décisions soient prises au plan judiciaire et nous envisageons, le cas échéant, de nous porter partie civile.
Par ailleurs, je précise qu'une fois sortie de l'usine Spanghero, la viande a été livrée dans l'entreprise de confection de lasagnes Comigel dont la responsabilité peut être également recherchée. En effet, Comigel a reçu un produit dont l'étiquetage n'était pas conforme à la réglementation puisque le nom du pays n'y figurait pas, comme nous avons pu le vérifier : cela semble donc établir une négligence de sa part. De plus, on peut se demander si cette entreprise, en traitant la viande, n'avait pas la possibilité d'identifier qu'il s'agissait de viande de cheval. Mais, dans l'hypothèse où elle ne décongèle pas la viande - et Comigel affirme que tel est bien le cas - il lui est effectivement difficile de déterminer s'il s'agit de cheval ou de boeuf.
Il faut donc très vite établir clairement les responsabilités pour sortir de cette phase d'incertitude. Redisons-le, nous ne sommes pas dans une situation de crise sanitaire, comme celle de la vache folle dont je garde un souvenir précis. Aujourd'hui le problème est celui de la confiance vis-à-vis de nos entreprises et il convient de la restaurer en sanctionnant la fraude.
Il est difficile de quantifier avec précision les volumes concernés par cette fraude, mais on estime que de 5 % à 15 % des produits à base de viande seraient impliqués.
D'autres sujets sont fréquemment évoqués, notamment par les journalistes, et c'est l'occasion pour moi d'apporter quelques précisions. Tout d'abord, l'opération en cause a fait l'objet d'une procédure de trading assez longue depuis l'usine roumaine jusqu'à l'entreprise Spanghero. Ce sont toutefois des circuits assez classiques d'achats de matière première au niveau européen. Il convient ici de rappeler que les industries alimentaires de notre pays traitent, dans leurs usines, 70 % de la production agricole française, ce qui représente - nous divulguons ce chiffre pour la première fois ce matin - 75 % des approvisionnements en matières premières de l'agroalimentaire. La grande majorité de nos productions bénéficie donc d'un circuit de traçabilité court. J'ajoute que 80 % des productions de nos usines sont consommées en France. Cette prédominance de l'approvisionnement en France explique l'implantation de nos usines sur l'ensemble du territoire et non pas en zone portuaire : tel serait le cas si nos matières premières provenaient de l'étranger. Les industries agroalimentaires sont, de ce fait très concernées par la situation de l'agriculture et par l'évolution de la politique agricole commune.
La raison pour laquelle des achats de viande à l'étranger perdurent est que nous n'avons pas assez de vaches de réforme en France - il en manque chaque année 800 à 900 tonnes qui ne peuvent pas être fournis par la production nationale - ce qui s'explique par des orientations de politique agricole et des choix d'investissements des agriculteurs.
J'indique également que nous sommes plutôt satisfaits de la rapidité de réaction des pouvoirs publics. Ces événements démontrent que le processus de traçabilité a bien fonctionné et il faut souligner que le nôtre est un des meilleurs au monde : en deux jours, la DGCCRF est ainsi parvenue à remonter l'ensemble de la chaine d'approvisionnement européenne. Ce n'est cependant pas suffisant pour traiter le problème inédit et spécifique de fraude sur la nature du produit que nous rencontrons aujourd'hui.
Je rappelle, de manière générale, que notre sécurité alimentaire est l'une des meilleures du monde : par exemple, on recense dans notre pays 200 fois moins d'incidents liés à la qualité des produits par million d'habitants qu'aux Etats-Unis. Ces bons résultats se rattachent à l'efficacité de notre dispositif de contrôle interne et également externe assuré par la DGCCRF. L'action de cette dernière ne doit pas être minimisée et elle se traduit, dans notre secteur agroalimentaire, par des résultats positifs à 99,7 %, ce qui témoigne du haut niveau de conformité de nos productions. Le manque de moyens de la DGCCRF est souvent déploré et nous sommes favorables à leur renforcement.
J'ajoute que nos contrôles internes à la profession portent sur la bactériologie, la propreté et l'hygiène des produits ainsi que sur les conditions de travail et le respect des normes dans l'industrie alimentaire. Cependant, nous ne nous étions pas encore posé la question de savoir si le produit que l'on nous présentait comme du boeuf avait bien cette nature. Cela peut paraitre surprenant de façon rétrospective, mais nos dispositifs de contrôle reposaient sur une certaine relation de confiance avec nos industriels et sur l'hypothèse que des fraudes de nature pénale n'entraient pas dans le cadre de leur comportement raisonnable et prévisible.
Notre objectif consiste désormais à remédier à cette faille. Afin de tenir compte de l'élément nouveau que constitue la fraude sur la nature du produit, nous allons réaménager notre référentiel de contrôle vis-à-vis de nos entreprises, d'une part, en rappelant le cadre existant et, d'autre part, en attirant l'attention sur une liste d'indices qui doivent constituer des signaux d'alerte, par exemple en s'interrogeant sur la provenance de certaines importations de viande ou sur la complexité du circuit d'approvisionnement. De tels indices doivent conduire à déclencher des contrôles en amont du fournisseur final : nous allons ainsi désormais étendre nos contrôles aux fournisseurs des fournisseurs et nous procéderons alors à des tests, non pas nécessairement d'ADN, mais plus vraisemblablement histologiques, l'essentiel étant d'adapter notre appareil à la recherche des fraudes sur la nature du produit. Nous allons également codifier l'ensemble de ces nouvelles procédures.
Le second enjeu, qui est beaucoup plus complexe, concerne la problématique de l'origine des produits alimentaires. L'état des lieux a été dressé et une directive européenne, qui sera applicable fin 2014, prévoit que tout produit élaboré majoritairement à base de viande doit être signalé en termes de pays d'origine. En ce qui concerne la viande de boeuf contenue dans des produits élaborés, la commission européenne est aujourd'hui saisie d'une étude qui doit déboucher à la fin de 2013 sur des conclusions. Nous souhaitons que cette démarche soit accélérée et puisse aboutir dès juin 2013.
Reste enfin à traiter le cas des produits comportant par exemple une douzaine d'ingrédients. Ces derniers soulèvent de complexes problèmes d'étiquetage et il convient, à notre sens, d'éviter de mettre en place une « usine à gaz » au niveau français. C'est, en effet, la législation européenne qui régit normalement ce domaine et nous souhaitons que la question soit examinée et résolue dans ce cadre. Je fais également observer que la question de l'étiquetage est importante mais qu'elle n'a pas de lien direct avec la fraude que nous constatons aujourd'hui puisqu'elle concerne non pas l'origine mais la nature du produit.
M. Alain Chatillon. - Vous l'avez parfaitement démontré, il est quasiment impossible, quelque soient les procédures de contrôle, d'empêcher ou de prévenir une fraude de ce type.
En revanche, je voudrais insister, comme je l'ai fait hier en présence des trois ministres, sur la problématique de notre approvisionnement en protéines végétales génétiquement modifiées (PGM) en provenance notamment d'Amérique du sud ou du nord et qui alimentent 90 à 95 % du bétail français. Je rappelle que nous n'avons pas la possibilité d'utiliser dans notre pays des PGM qui nous permettraient d'améliorer le rendement des productions de protéines végétales, alors que notre commerce extérieur est déficitaire à 85 % dans ce secteur qui concerne une famille de produits - soja, pois, lin - qui s'intègre dans l'alimentation animale. Face à cette situation, je souhaite que notre ministre de l'agriculture s'adresse à l'Union européenne pour solliciter une aide spécifique dans ce domaine afin que notre pays puisse affronter la concurrence extrêmement forte qui se développe.
En second lieu, on doit être très attentif aux difficultés de l'industrie agroalimentaire. Je fais observer que les chiffres qui ont étés cités sur la présence de l'industrie agroalimentaire et la commercialisation de 80 % de ses produits en France témoignent du déficit de la capacité d'exportation de notre pays dans ce secteur. Au-delà d'un nécessaire progrès dans la maitrise des langues étrangères et de l'accompagnement des entreprises à l'exportation, l'effort doit se concentrer sur le développement de produits à forte valeur ajoutée ainsi que d'entreprises de taille intermédiaire trop peu nombreuses aujourd'hui.
Partisan du développement de la concurrence et de l'ouverture des frontières, j'évoque cependant souvent la problématique des salons et de nos centrales d'achat - quatre d'entre elles réalisent 80 % du chiffre d'affaires - qui tend à transformer notre marché en une véritable « passoire » pour les importations.
Mme Renée Nicoux. - J'insiste à mon tour sur la nécessité de consolider la relation de confiance qui s'est instaurée entre le consommateur et le producteur afin de ne pas jeter le discrédit sur toute une filière. J'estime souhaitable de communiquer positivement pour souligner la rapidité de la découverte de la fraude, l'efficacité de la DGCCRF et pour rappeler que la profession exerce elle-même des contrôles nombreux et efficaces.
M. Jean-René Buisson. - Vous venez d'aborder plusieurs sujets différents.
En premier lieu, l'alimentation OGM des animaux est effectivement un enjeu essentiel. J'illustre mon propos en évoquant le thème des farines animales. Je précise que nous ne sommes pas favorables au retour des farines animales. Il convient cependant de rappeler, par exemple, que les poissons d'élevage sont aujourd'hui nourris avec du soja OGM et on nous dit qu'il faudrait 7 kg de poissons pour en produire un seul sans alimentation OGM. Il convient, à notre sens, de trouver dans ce domaine des solutions à la fois efficaces et qui ne soulèvent pas d'inquiétudes en termes de santé publique.
Ensuite, nos résultats à l'exportation ne sont effectivement pas si brillants qu'il n'y parait. Les excédents de l'agroalimentaire se concentrent, en effet, sur les boissons alcoolisées et les produits frais comme le fromage, les autres secteurs étant, dans l'ensemble, déficitaires. Paradoxalement, parmi les entreprises qui bénéficient d'une image et d'une réputation internationale de grande qualité figurent un certain nombre de PME qui ne disposent parfois même pas d'un salarié en charge de l'exportation. Il est donc urgent de mieux organiser nos entreprises pour favoriser leur potentiel à l'exportation.
En troisième lieu, nous sommes attentifs à l'agriculture qui constitue la filière en amont de la nôtre. Il est vrai que la spéculation sur les matières premières entraîne des arbitrages sur le marché agricole et des choix de structures qui ne sont pas favorables à la satisfaction de nos besoins. Même si le sujet est rarement abordé car il n'est pas « politiquement correct », il nous semble que l'agriculture gagnerait à s'organiser différemment afin de mieux s'adapter aux besoins de notre pays.
Nous nous demandons également si les grandes manifestations alimentaires comme le Salon international de l'agroalimentaire (SIAL) ne devraient pas être plus systématiquement organisées à l'étranger pour favoriser nos exportations.
Enfin, les consommateurs souhaitent de façon très légitime savoir ce qu'ils mangent et je signale que nous sommes très actifs en matière d'étiquetage environnemental : la moitié du total des entreprises volontaires pour participer à l'expérimentation conduite par le ministère en charge de l'environnement appartiennent à la filière agroalimentaire. En ce qui concerne l'affichage d'origine, nous allons faire en sorte que des actions rapides et pragmatiques puissent être conduites au niveau de l'Union européenne.
M. Daniel Raoul, président. - Je me limiterai à deux remarques. Tout d'abord, je souligne à nouveau que le maïs ou le soja génétiquement modifiés entrent dans la catégorie des plantes et non pas des organismes. La distinction me parait essentielle car une conception extrémiste du slogan « non aux OGM » nous conduirait à stopper la production de vaccins, de bière ou de pain.
Je rappelle également que la plupart des poissons sont carnivores et mangent des protéines animales en mer ou en rivière. Je crois que la distinction pertinente doit ici être faite entre les protéines animales qui émanent de ruminants et celle qui proviennent de poulets, de porcs ou d'animaux omnivores. On voit mal quelles difficultés sanitaires pourraient entrainer l'alimentation des poissons à base d'os de porc, par exemple. En revanche, s'il fallait nourrir les poissons d'élevage avec des rejets de pêche, un très important déficit en ressources halieutiques se manifesterait très rapidement. J'appelle nos collègues écologistes à tenir compte de ces réalités.
M. Didier Guillaume. - On parlera donc désormais des « poichons », c'est-à-dire des poissons qui mangent des cochons... Notre pays ne me parait pas prêt à ce qu'on réintroduise des farines animales dans la nourriture des animaux. Nous commettrions une grave erreur.
Cette affaire de fraude montre, à mon avis, que l'étiquetage d'origine est indispensable. Certes, un tel étiquetage n'aurait pas empêché la fraude mais je ne suis pas sûr que Findus gagne en notoriété en indiquant « boeuf roumain » sur ses produits. Pour autant, cette affaire a été très bien traitée par vous et par le Gouvernement. L'absence de risque sanitaire a permis une meilleure acceptabilité par nos concitoyens, mais des sanctions restent indispensables.
Seuls certains de nos concitoyens peuvent aujourd'hui se permettre d'acheter des produits de haute qualité. Or le rôle de votre industrie et de notre agriculture est de nourrir les citoyens quelles que soient leurs ressources. Il faut affirmer des choses simples : nous avons une belle industrie agroalimentaire qui fait de bons produits. Le Salon de l'agriculture doit être l'occasion de rassurer les citoyens, de retisser un lien de confiance.
Cette affaire met en également en cause l'ensemble du système, avec, comme on l'a vu dans les journaux, sept ou huit intermédiaires. L'Europe que nous voulons, c'est une Europe de la sécurité : sécurité des biens et des personnes mais aussi sécurité sanitaire. Cette affaire doit permettre d'aller plus loin en matière de traçabilité et de qualité des produits, en favorisant, par exemple, les circuits courts.
M. Henri Tandonnet. - La question de l'indication des origines ne doit pas être circonscrite à la viande. Je pense aux produits phytosanitaires, pour lesquels nous avons une législation stricte mais peu valorisée si bien que des produits étrangers non soumis à un même niveau d'exigence sont vendus dans notre pays.
M. Jean-Claude Lenoir. - Il faut en effet agir au plan européen car on ne peut pas se contenter de mesures franco-françaises. Je me demande si tous les pays européens sont au même stade d'exigence que le nôtre pour ce qui concerne l'identification de l'origine des produits et les normes sanitaires ?
Par ailleurs, notre société s'oriente vers les plats cuisinés. Or la multiplicité des produits entrant dans la composition d'un plat rend les choses très compliquées. Il faut donc rendre les informations lisibles tant pour le professionnel que pour le consommateur.
Nous manquons également de vaches de réforme pour la consommation française. Aux difficultés que vous avez soulignées s'ajoutent les conséquences de l'application de la directive Nitrates qui amène certains éleveurs à abandonner leur profession et à retourner leurs prairies pour faire des céréales.
Les ministres ont parlé hier d'une négociation avec la profession pour un contrat de filière. Quel sera exactement le contenu de ce contrat ?
M. Jean-René Buisson, président de l'ANIA. - Le problème sous-jacent est celui des prix. Finançons nous convenablement l'alimentation en France ? De l'agriculteur au distributeur, a-t-on un juste prix de l'alimentation ? Au sein du panier de la ménagère, l'alimentation pesait autour de 15 % il y a une dizaine d'années. Elle représente aujourd'hui 10 % et 8 % chez les jeunes. Il faut cependant préciser que les plus modestes consacrent une proportion plus importante de leurs revenus à l'alimentation. Globalement, cette part est en diminution tendancielle. Attention de ne pas faire de l'alimentation une variable d'ajustement ! La pression serait telle qu'il serait difficile d'utiliser des produits de qualité.
Avec l'augmentation du prix des matières premières et la pression importante exercée par la grande distribution sur les entreprises et sur l'agriculture, la question des prix reste déterminante. Il faut donc s'interroger : qu'est-ce que le juste prix d'un produit de qualité ?
Le Salon de l'Agriculture et les moments de communication qui y sont joints doivent être utilisés pour « repositiver » la situation : nous avons une alimentation et une nourriture que la majorité des pays nous envient. Globalement, nous sommes dans une situation bien meilleure que les anglo-saxons.
S'agissant de l'étiquetage d'origine, nous sommes favorables à une évolution, mais elle doit se faire niveau européen. L'Angleterre, l'Allemagne et l'Italie partagent le même état d'esprit. Les autres pays veulent avoir les résultats des études d'impact. Il ne faut pas créer de législation différenciée entre les différents pays européens.
M. Joël Labbé. - Concernant les farines animales, les annonces qui ont été faites tombent au mauvais moment. Je suis parfaitement d'accord avec Didier Guillaume : il s'agit d'un vrai risque.
Il faut que notre pays produise ses propres protéines végétales.
La directive Nitrates constitue une étape importante, nécessaire pour la qualité de l'eau et de l'environnement. Les effets collatéraux soulèvent cependant des difficultés. La politique française devrait conforter la politique européenne pour rectifier le tir.
Pour ce qui concerne la volaille, 46 % des produits consommés en France sont importés. Il faut donc reconquérir le marché national.
Je suis tout à fait d'accord avec ce qui a été dit s'agissant de la qualité, des outils et des savoir-faire de notre industrie agroalimentaire.
Quant à l'étiquetage, les consommateurs sont très demandeurs d'une amélioration. Ils vont finir par devenir décideurs par rapport à un marché partiellement virtuel.
M. Jean-René Buisson, président de l'ANIA. - Effectivement, les politiques européenne et française doivent conduire à réorienter certaines productions agricoles. Nous vivons encore sur un modèle économique d'après-guerre : une politique intensive. Mais le consommateur se pose des questions : il veut savoir ce qu'il mange et souhaiterait une alimentation de proximité qu'il considère comme plus saine. Il souhaite légitimement consommer des produits qu'il voit et qu'il connaît. L'alimentation de proximité ne représente cependant que 3 à 4 % de l'alimentation, avec des produits 40 % plus chers.
Je pense, pour ma part, que l'alimentation de proximité va se développer. Les consommateurs vont être de plus en plus exigeants en matière d'information d'origine et de composition des produits. Un certain retour aux sources se dessine, et cependant les gens travaillent et continueront également à consommer des plats cuisinés.
Il faut aboutir à un nouvel équilibre, ce qui passe par l'information et l'éducation nutritionnelle dès l'école et dans les cantines scolaires. Toutes les opérations que nous avons sponsorisées associant toute la collectivité et visant à mettre l'enfant en contact avec des produits de qualité ont été des réussites.
En fin de compte, cette affaire conduit à se poser des questions fondamentales : comment va-t-on faire manger les Français à l'avenir ? Comment assure-t-on le passage de l'alimentation industrielle et intensive à une alimentation de proximité ?