Mardi 21 février 2006
- Présidence de M. Jean-Jacques Hyest, président.Collectivités territoriales - Fonction publique territoriale - Audition de M. Brice Hortefeux, ministre délégué aux collectivités territoriales, et M. Christian Jacob, ministre de la fonction publique
La commission a entendu M. Brice Hortefeux, ministre délégué aux collectivités territoriales, et M. Christian Jacob, ministre de la fonction publique, sur le projet de loi n° 155 (2005-2006) relatif à la fonction publique territoriale.
Après avoir remercié M. Christian Jacob, ministre de la fonction publique, pour avoir ouvert des perspectives permettant de conduire une réforme attendue, M. Brice Hortefeux, ministre délégué aux collectivités territoriales, a indiqué que le projet de loi touchait environ 1,7 million d'agents de la fonction publique territoriale et 55 000 employeurs territoriaux.
Il a souligné que ce texte comportait des évolutions majeures et que la structuration de la fonction publique territoriale en métiers, déclinés en filières et, au sein de ces filières, en cadres d'emplois, était susceptible d'inspirer des réformes à venir dans les autres fonctions publiques.
Il a précisé que le projet de loi serait accompagné de modifications réglementaires autonomes très importantes pour les employeurs territoriaux et les agents.
Rappelant que près de trois ans avaient été nécessaires pour élaborer ce texte, il a indiqué que son dispositif avait été inspiré par les rapports du groupe de travail présidé par M. Jean-Jacques Hyest, de M. Jean Courtial sur les institutions de la fonction publique territoriale, et de M. Bernard Dreyfus ainsi que par les contributions du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale (CSFPT), de l'Association des maires de France et de l'Association des petites villes de France.
Constatant que le projet de loi avait fait l'objet d'un avis favorable, largement consensuel, le 16 novembre dernier, du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale, il a rappelé que le texte avait ensuite été soumis au Conseil d'Etat et que les remarques formelles de ce dernier avaient amélioré la clarté du dispositif et veillé au partage entre la loi et le règlement. Ayant pris acte de ses remarques sur le contenu du texte, M. Brice Hortefeux, ministre délégué aux collectivités territoriales, a indiqué que le Gouvernement entendait assumer ses responsabilités sur les choix effectués.
Estimant que le projet de loi affermissait le paritarisme dans la fonction publique territoriale, il a indiqué qu'il maintenait le rôle du CSFPT et s'est déclaré favorable à l'ouverture des conférences régionales pour l'emploi public territorial aux délégations régionales du centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT).
Il s'est également déclaré favorable à une meilleure représentation des employeurs territoriaux au sein du CSFPT par la création d'un collège employeurs spécifique, pour que leur position soit mieux prise en compte par les pouvoirs publics, en particulier lors des négociations salariales.
Il a rappelé que le projet de loi tendait à donner plus de liberté aux élus locaux dans la gestion des ressources humaines, à rendre la fonction publique territoriale encore plus attractive et efficace et à clarifier le paysage institutionnel de la fonction publique territoriale pour qu'il soit plus lisible et rationnel.
Il a insisté sur l'intérêt de l'abaissement du seuil de la création des emplois fonctionnels proposé par le projet de loi afin de renforcer les compétences de l'encadrement supérieur des exécutifs territoriaux, notamment des petites communes, et leur permettre d'assumer leurs responsabilités. Il s'est déclaré ouvert aux propositions d'amélioration du dispositif qui pourraient intervenir au cours des débats au Sénat.
A cet égard, il a souligné que le projet de loi permettait aux communes de 2.000 habitants au moins, contre 3.500 aujourd'hui, de créer un emploi fonctionnel de directeur général des services et que les communes de plus de 10.000 habitants pourraient créer des emplois fonctionnels de directeur des services techniques, de telles créations étant actuellement réservées aux seules communes de plus de 20.000 habitants.
Il a indiqué que les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre bénéficieraient aussi d'une plus grande souplesse pour créer des emplois fonctionnels, le seuil de création de l'emploi de directeur général des services étant abaissé de 20.000 à 10.000 habitants et celui de l'emploi fonctionnel technique de 80.000 à 10.000 habitants, ajoutant que les départements et les régions pourraient également instituer des emplois fonctionnels techniques pour accompagner les transferts de compétence intervenus au titre des différentes étapes de la décentralisation.
Déplorant les difficultés causées pour les collectivités territoriales qui ont formé des agents par les mutations de ces derniers une fois titularisés, il a indiqué que le projet de loi prévoyait une clause de remboursement par la collectivité qui « débauche » ainsi un fonctionnaire formé sur le budget du premier employeur, dès lors que la mutation interviendrait dans les trois ans qui suivent la titularisation, en précisant qu'elle correspondrait au coût direct de la rémunération versée à l'agent pendant sa période de formation initiale et au coût des formations complémentaires éventuellement réalisées.
Indiquant que le texte donnait la possibilité aux régions et aux départements de s'affilier aux centres de gestion pour la gestion des personnels ouvriers et de service de l'Etat transférés aux collectivités territoriales à la suite de la loi du 13 août 2004, il s'est déclaré ouvert à un amendement qui leur permettrait de créer, sur le modèle de la coopération intercommunale, un établissement public pour gérer ces personnels.
Insistant sur la nécessité de rendre la fonction publique plus attractive, M. Brice Hortefeux, ministre délégué aux collectivités territoriales, a observé que le projet de loi transformait l'expérience professionnelle en équivalent de la formation statutaire obligatoire et développait la reconnaissance de l'expérience professionnelle dans le cadre des concours internes ou des troisièmes concours.
Il a indiqué que le texte tendait en outre à faciliter l'entrée dans la fonction publique territoriale de personnes venant du secteur privé, avec un mécanisme de reconnaissance de l'ancienneté, et à adapter le régime des concours aux profils de compétences recherchés par les collectivités territoriales.
Rappelant qu'une vingtaine de cadres d'emplois sur près de soixante étaient à l'heure actuelle accessibles par un troisième concours, s'adressant principalement à des candidats venant du secteur privé, il s'est déclaré favorable à une généralisation de cette voie d'accès à la fonction publique territoriale.
Observant que le maintien du concours devait être concilié avec une meilleure prise en considération de l'expérience acquise, il a indiqué qu'un tel dispositif permettant une reprise d'ancienneté compte tenu des services accomplis antérieurement dans le secteur privé, existait pour les agents de catégorie C et que des dispositions analogues seraient prochainement prises à l'égard des agents de catégories A et B.
Soulignant le rôle pionnier de la fonction publique territoriale en la matière, il a estimé que le droit individuel à la formation institué par le projet de loi devait rééquilibrer les efforts de formation entre les formations initiales, destinées à être mieux adaptées à l'emploi et aux besoins du service public, et la formation tout au long de la vie.
Il a précisé que le dispositif prévu garantirait à chaque agent de la fonction publique territoriale un droit à formation de 20 heures par an, cumulables sur 6 ans dans la limite de 120 heures, sur le modèle du quota d'heures retenu par le législateur à l'occasion de la loi du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social.
Regrettant les comportements de certains agents recherchant des formations « de confort » ou d'intérêt personnel, il a remarqué que le droit individuel à la formation devrait rendre la fonction publique plus professionnelle.
Rappelant que le texte réparait un oubli en prévoyant que les magistrats et les militaires pourraient désormais se présenter aux concours internes de la fonction publique territoriale, il a émis le souhait que les passerelles entre les fonctions publiques soient renforcées pour favoriser la mobilité des agents.
Indiquant que la formation initiale des agents de catégorie C, qui représentent 70% des effectifs de la fonction publique territoriale, était élevée en obligation statutaire par le projet de loi, il a estimé nécessaire de raccourcir la période de formation initiale et de rendre cette dernière plus efficace.
M. Brice Hortefeux, ministre délégué aux collectivités territoriales, a souligné que le projet de loi clarifiait le rôle des institutions intervenant en matière de fonction publique territoriale et leurs relations.
Rappelant que ces institutions n'avaient de justification que par le rôle qu'elles remplissaient, il a estimé que le CNFPT devait être déchargé des tâches de gestion à confier aux centres de gestion, comme la prise en charge des personnels de catégorie A momentanément privés d'emplois ou le reclassement des fonctionnaires de cette même catégorie devenus inaptes à leur emploi, et développer ses missions de formation afin d'assurer la mise en oeuvre des dispositions du projet de loi relatives à la formation tout au long de la vie, au droit individuel à la formation, à la reconnaissance de l'expérience professionnelle et à la validation des acquis de l'expérience.
Indiquant que, conformément à une demande expresse de M. Christian Poncelet, président du Sénat, le Gouvernement souhaitait opérer la réforme envisagée à coût constant, il a estimé qu'elle ne devrait pas être génératrice de dépenses nettes nouvelles, en raison des économies issues du raccourcissement des formations initiales et de la suppression de nombreuses épreuves aux concours.
Justifiant la création d'un établissement public national de coordination des centres de gestion en remplacement de l'actuelle Fédération nationale des centres de gestion, par le souci du Gouvernement d'avoir une instance de coordination efficace, tout particulièrement en matière de gestion des agents de catégorie A, il a rappelé que le texte renforçait également le rôle des centres de gestion en leur attribuant une mission d'information sur l'emploi public territorial et en accentuant leur rôle de gestionnaire de proximité.
En conclusion de son propos, M. Brice Hortefeux, ministre délégué aux collectivités territoriales, a estimé que la réforme d'ampleur initiée par le projet de loi en faveur de la fonction publique territoriale bénéficierait ultérieurement à l'ensemble de la fonction publique.
Après avoir insisté sur l'importance du travail effectué en commun avec M. Brice Hortefeux, ministre délégué aux collectivités territoriales, pour élaborer le projet de loi, M. Christian Jacob, ministre de la fonction publique, a souligné le caractère novateur de la création d'un droit individuel à la formation et l'intérêt du quota qu'il instituerait afin de mieux adapter la formation des agents aux besoins des collectivités territoriales. Il a également estimé qu'il permettrait une meilleure conciliation entre le rythme des formations et le fonctionnement des collectivités.
Il a observé que la reconnaissance de l'expérience professionnelle et la validation des acquis de l'expérience faciliteraient l'accès à la fonction publique de certaines personnes qui en sont aujourd'hui exclues.
Rappelant que les modifications réglementaires accompagnant le projet de loi étaient actuellement en cours d'élaboration, en association avec les partenaires sociaux et les employeurs territoriaux, il a espéré qu'elles soient mises en oeuvre avant l'été, de même que celles découlant de l'accord signé avec les organisations syndicales le 25 janvier dernier dans le cadre des négociations salariales. Il s'est enfin déclaré favorable à l'émergence d'un collège des employeurs au sein du CSFPT pour une meilleure organisation de la concertation.
M. Jean-Jacques Hyest, président, ayant rappelé qu'il conviendrait, en vertu du principe de parité entre les trois fonctions publiques, de prévoir d'étendre aux fonctions publiques de l'Etat et hospitalière le droit individuel à la formation instauré par le projet de loi pour la seule fonction publique territoriale, M. Christian Jacob, ministre de la fonction publique, a précisé que ce droit figurait effectivement parmi les mesures prévues dans l'accord statutaire récemment signé avec les syndicats et qui concernent les trois fonctions publiques.
M. Jean-Jacques Hyest, président, a tout d'abord considéré que le projet de loi répondait à la nécessité de clarifier la répartition des missions confiées au CNFPT et aux centres de gestion. Tout en jugeant qu'il était souhaitable que le CNFPT soit recentré sur son activité de formation, il a ensuite estimé qu'il pourrait être difficile pour certains centres de gestion d'assurer l'ensemble des nouvelles missions que le projet de loi propose de leur transférer et que, dans ces circonstances, la création d'un centre national de coordination des centres de gestion pouvait paraître bienvenue, à condition que ses compétences se limitent pour l'essentiel à coordonner l'action de ces centres et que sa structure ne soit pas trop lourde.
M. Brice Hortefeux, ministre délégué aux collectivités territoriales, a assuré que le centre national de coordination des centres de gestion devrait être une structure administrative légère et ne conduire à aucun financement supplémentaire pour les collectivités territoriales.
Après avoir confirmé que le centre national de coordination des centres de gestion ne devait en aucun cas être un établissement public à l'organisation trop complexe et aux compétences trop élargies, Mme Jacqueline Gourault, rapporteur, a souhaité savoir quel organe dispenserait l'action de formation reçue par un agent, dans le cadre de l'exercice du droit individuel à la formation, précisant que les collectivités territoriales devraient en assurer le financement. Elle a ensuite affirmé la nécessité de constituer une coordination de l'action des centres de gestion au niveau régional, rappelant que l'avant-projet de loi présenté au Conseil supérieur de la fonction publique territoriale prévoyait la création de comités régionaux pour l'emploi public territorial désormais remplacés par des centres de gestion coordonnateurs dans le projet de loi déposé au Sénat. Elle s'est également interrogée sur l'avenir des centres interrégionaux du CNFPT et sur l'opportunité de transférer au centre national de coordination des centres de gestion la gestion de l'Observatoire de l'emploi, des métiers et des compétences de la fonction publique territoriale. Elle a enfin considéré que le Gouvernement devrait rapidement donner des assurances quant au contenu du volet réglementaire de la réforme de la fonction publique territoriale.
Après que M. Jean-Jacques Hyest, président, eut rappelé que la commission des lois serait très attentive au respect du partage entre la loi et le règlement, M. Brice Hortefeux, ministre délégué aux collectivités territoriales, a estimé que la création du droit individuel à la formation ne produirait aucune augmentation significative des dépenses des employeurs territoriaux, la cotisation obligatoire versée au CNFPT pouvant permettre de financer, pour une large part, ces nouvelles actions de formation. Rappelant l'approbation des associations d'élus sur la création de ce droit, il a indiqué qu'il avait proposé un protocole d'accord aux organisations syndicales et représentants des collectivités locales prévoyant qu'une table ronde serait réunie, dix-huit mois après l'entrée en vigueur de la loi, pour examiner les incidences des nouvelles missions sur les budgets du CNFPT et des centres de gestion et que le projet de loi constituait une avancée notable en matière de formation, en particulier avec l'instauration d'une formation initiale obligatoire pour les agents de catégorie C. Il a considéré que les transferts de personnels accompagnant les transferts de missions du CNFPT vers les centres de gestion ne créeraient aucune difficulté dans 90 % des cas, les autres devant être examinés en fonction de la situation personnelle de chacun des agents, avant de rappeler que le CNFPT n'était en situation monopolistique que pour les formations initiales à caractère statutaire.
S'agissant des comités régionaux pour l'emploi public territorial, M. Christian Jacob, ministre de la fonction publique, a indiqué qu'il avait été jugé souhaitable de ne pas figer la coordination des missions des centres de gestion au niveau régional, celle-ci pouvant parfois s'avérer plus opportune au niveau interrégional. Après que Mme Jacqueline Gourault, rapporteur, a confirmé qu'il était préférable de laisser aux centres de gestion le choix de coordonner leur action au niveau régional ou interrégional, M. Brice Hortefeux, ministre délégué aux collectivités territoriales, a ajouté qu'il s'agissait d'un facteur de souplesse supplémentaire.
Mme Jacqueline Gourault, rapporteur, a indiqué que la plupart des personnes qu'elle avait entendues jusqu'à présent étaient satisfaites de l'économie du projet de loi déposé au Sénat, en particulier en matière de formation et de clarification des missions allouées au CNFPT et aux centres de gestion. Précisant que leur principale préoccupation concernait le financement, elle a estimé que si la formation des agents était nécessaire, elle engendrait systématiquement un coût et qu'il était indispensable d'identifier clairement les conditions de son financement, qui ne devrait en aucun cas conduire à une hausse des cotisations versées aux organes institutionnels de la fonction publique territoriale.
M. Christian Jacob, ministre de la fonction publique, a précisé que le projet de loi avait été conçu dans le souci de ne pas créer de nouvelles dépenses de fonctionnement au sein des institutions de la fonction publique territoriale, avant d'indiquer que le dispositif élaboré pour le droit individuel à la formation contenait des éléments de souplesse, avec la possibilité de cumuler, sur une durée de six ans, des droits acquis annuellement, la faculté pour l'agent de suivre l'action de formation souhaitée malgré le désaccord, pendant deux années successives, de l'autorité territoriale, et le choix laissé à cette dernière de décider si le droit individuel à la formation serait exercé, en tout ou partie, en dehors du temps de travail.
M. Jean-Jacques Hyest, président, a rappelé qu'un grand nombre de conventions étaient déjà signées entre les employeurs territoriaux et le CNFPT, en sus de la cotisation obligatoire, pour la mise en place de formations pour leurs agents.
Après avoir souhaité que le gouvernement informe les parlementaires du contenu des textes réglementaires prévus pour accompagner le projet de loi relatif à la fonction publique territoriale, M. Jacques Mahéas a tout particulièrement souhaité savoir quelles seraient les modalités de calcul de l'indemnité devant être versée par une collectivité territoriale lorsqu'elle recrute un agent dont la mutation hors de sa collectivité d'origine intervient dans les trois années suivant sa titularisation, ainsi que les conditions dans lesquelles serait prise en compte l'expérience professionnelle des salariés de droit privé souhaitant intégrer la fonction publique territoriale.
Mettant en évidence les disparités de moyens financiers dont disposent les collectivités territoriales pour la formation de leurs agents, il a jugé qu'il aurait été souhaitable qu'une étude d'impact de cette loi sur les collectivités territoriales soit effectuée. Il a enfin estimé que le CNFPT devrait pouvoir prendre en charge tout ou partie des formations que les collectivités territoriales sont actuellement amenées à organiser par elles-mêmes pour les agents de catégorie C.
Après avoir indiqué que le projet de loi contenait des avancées indéniables pour la fonction publique territoriale, citant la clarification de la répartition des missions entre le CNFPT et les centres de gestion du fait de la destruction entre la formation et la gestion active des personnels, M. Jean-Pierre Sueur a affirmé que ces nouvelles dispositions auraient certainement un coût financier pour les collectivités territoriales, en particulier dans le domaine de la formation, tout en rappelant qu'il était essentiel d'adapter les compétences des agents territoriaux aux évolutions de leurs emplois.
Il a souhaité savoir s'il ne serait pas opportun de rapprocher les formations suivies par les fonctionnaires territoriaux de celles des fonctionnaires de l'Etat, arguant de la probable similitude des besoins rencontrés dans ce domaine, notamment du fait de la mobilité possible entre ces deux fonctions publiques. Il a également regretté que les universités ne jouent pas un rôle plus important dans la formation initiale et continue des agents territoriaux et qu'elles n'offrent pas de véritables formations de préparation aux concours de la fonction publique territoriale.
Après avoir demandé à disposer de l'avis du Conseil d'Etat, M. Jean-Pierre Sueur s'est déclaré favorable à l'abaissement des seuils prévus pour la création des emplois fonctionnels et a souhaité savoir si le gouvernement envisageait également une baisse significative des quotas d'avancement, rappelant qu'actuellement les employeurs territoriaux étaient contraints par des quotas fixés pour les trois fonctions publiques, en vertu du paritarisme, au détriment de la liberté d'administration des collectivités territoriales et du bon déroulement de la carrière des agents.
Tout en estimant que le projet de loi comprenait de bonnes dispositions, en particulier le rééquilibrage des missions assurées par le CNFPT et les centres de gestion, M. José Balarello a douté de la nécessité de créer un centre national de coordination des centres de gestion, regrettant qu'une cotisation soit imposée aux centres de gestion pour le financement de ce nouvel organe, alors que ces derniers exercent déjà de nouvelles missions, sans qu'aucune compensation financière n'ait été prévue, et considérant que les compétences et les moyens de ce nouvel établissement public devraient être clairement définies afin d'éviter toute dérive.
Regrettant que les fonctionnaires territoriaux les plus compétents ne puissent toujours bénéficier en pratique d'actions de formation, M. Christian Cointat a souhaité savoir comment le projet de loi pourrait garantir que la formation professionnelle bénéficie à tous les agents. Se félicitant de la recherche d'une plus grande attractivité de la fonction publique territoriale, il a également demandé si des dispositions étaient prévues dans le projet de loi pour favoriser la mobilité et l'avancement des agents territoriaux.
Il s'est enfin interrogé sur les modalités de reconnaissance de l'expérience professionnelle par les concours, avant de se demander si une limite d'âge était prévue pour passer les concours de la fonction publique territoriale. Il s'est enfin demandé si l'abaissement des seuils pour la création des emplois fonctionnels n'aurait pas pour conséquence, à terme, d'augmenter les dépenses de rémunération des collectivités territoriales, ce qui pourrait être mal perçu par les administrés.
M. Philippe Goujon a souhaité qu'un dispositif soit prévu pour associer les employeurs territoriaux aux négociations salariales menées chaque année par le ministre de la fonction publique.
Relevant les aspects positifs du projet de loi, M. Pierre-Yves Collombat s'est interrogé sur les possibilités offertes par ce texte aux petites communes pour recruter plus aisément des personnels qualifiés. Tout en considérant que la formation des agents est indispensable, il a regretté que les actions de formation suivies par les agents ne correspondent pas toujours ni à leurs attentes, ni à celles des employeurs territoriaux, avant de souhaiter que les épreuves des concours de la fonction publique territoriale soient plus adaptées aux besoins des collectivités territoriales.
Après s'être félicité que de nombreuses dispositions du projet de loi reprennent des propositions formulées par le groupe de travail constitué par M. Christian Poncelet, président du Sénat, et présidé par M. Jean-Jacques Hyest, M. Patrice Gélard a affirmé la nécessité de conclure des conventions avec les universités, dans le cadre de la formation dispensée aux agents territoriaux. Il a également regretté la surqualification de nombreux candidats aux concours de catégories B et C de la fonction publique territoriale, avant de souhaiter une réforme permettant d'éviter que des candidats inscrits sur une liste d'aptitude ne perdent le bénéfice de la réussite à leur concours lorsqu'ils n'ont pas été recrutés dans un délai de deux ans.
M. Patrice Gélard s'étant enfin déclaré favorable à la réduction de la durée de formation initiale des agents, M. Jean-Jacques Hyest, président, a indiqué qu'il regrettait que ses collègues, membres du CNFPT, ne se soient pas préoccupés de cette question plus tôt.
M. Brice Hortefeux, ministre délégué aux collectivités territoriales, a indiqué qu'il informerait les parlementaires du contenu du volet réglementaire de la réforme de la fonction publique territoriale, notamment s'agissant de la procédure mise en place pour la validation des acquis de l'expérience ainsi que pour la reconnaissance de l'expérience professionnelle.
Après s'être déclaré favorable à la communication de l'avis du Conseil d'Etat aux membres de la commission, il a expliqué qu'un rapprochement serait prochainement effectué en matière de formation initiale entre la fonction publique territoriale et la fonction publique de l'Etat, avec l'organisation de cours communs pour les élèves de l'Institut national des études territoriales et de l'Ecole nationale d'administration.
M. Christian Jacob, ministre de la fonction publique, a confirmé qu'une réforme, laissant davantage de liberté aux employeurs territoriaux, serait proposée en matière d'avancement. Il a estimé qu'il serait désormais de la responsabilité des centres de gestion de développer une gestion prévisionnelle des emplois et des effectifs qui permettrait d'ouvrir aux concours le nombre de postes nécessaires pour couvrir les besoins de recrutement des collectivités territoriales, tout en rappelant que les effectifs de la fonction publique territoriale avaient augmenté beaucoup plus vite que ceux des autres fonctions publiques ces vingt dernières années.
Indiquant que 70 % des agents de catégorie C étaient actuellement surqualifiés, ce qui rendait difficile leur déroulement de carrière et bloquait l'entrée dans la fonction publique territoriale de personnes qui, tout en étant moins qualifiées, pourraient toutefois accéder en principe à ces postes, il a rappelé que la création du PACTE junior devrait permettre de remédier à cet état de fait.
Il a également précisé que la réforme engagée dans le domaine de la fonction publique territoriale devrait favoriser la promotion des agents territoriaux, en facilitant notamment le passage d'une catégorie à une autre immédiatement supérieure.
M. Brice Hortefeux, ministre délégué aux collectivités territoriales, a considéré que le développement des concours sur titres devrait nécessairement renforcer le rôle des universités dans le cadre du recrutement des agents territoriaux. En outre, en réponse à M. José Balarello, il a réaffirmé que la création du centre national de coordination des centres de gestion ne devrait conduire à aucune dérive financière au détriment des collectivités territoriales.
Après avoir estimé indispensable qu'un collège des employeurs territoriaux soit constitué pour intervenir dans le cadre des négociations salariales engagées chaque année par le ministre de la fonction publique avec les organisations syndicales, il a indiqué à M. Pierre-Yves Collombat que la réforme de la fonction publique territoriale visait principalement à faciliter le recrutement et la gestion des ressources humaines des petites communes.
Rappelant que la fonction publique territoriale comprenait 253 métiers différents, il est convenu du fait que le CNFPT pouvait parfois dispenser des formations ne paraissant pas répondre aux besoins des collectivités territoriales.
M. Jean-Pierre Sueur a estimé qu'il était nécessaire de s'assurer de la qualification des membres des jurys de concours, M. Jean-Jacques Hyest, président, considérant pour sa part qu'il pouvait parfois paraître inutile de faire passer des épreuves à des candidats déjà titulaires d'un titre justifiant de leurs qualifications, par exemple des professeurs de musique issus du Conservatoire.
M. Brice Hortefeux, ministre délégué aux collectivités territoriales, a précisé que les concours sur titres comporteraient, en sus de l'examen des diplômes et titres, au moins une épreuve consistant en un entretien de motivation, avant d'affirmer la nécessité de réduire la durée de la formation initiale des agents de catégories A et B, au profit de la formation continue.
En réponse à Mme Jacqueline Gourault, rapporteur, qui souhaitait connaître la date d'examen du projet de loi par l'Assemblée nationale, M. Brice Hortefeux, ministre délégué aux collectivités territoriales, a espéré que ce texte pourrait être inscrit à l'ordre du jour de cette assemblée avant l'été.
Mercredi 22 février 2006
- Présidence de M. Jean-Jacques Hyest, président.Discriminations - Quartiers en difficulté - Emploi - Egalité des chances - Examen du rapport pour avis
Au cours d'une première séance tenue dans la matinée, la commission a procédé à l'examen du rapport pour avis de M. Jean-René Lecerf sur le projet de loi n° 203 (2005-2006), considéré comme adopté par l'Assemblée nationale aux termes de l'article 49, alinéa 3 de la Constitution, après déclaration d'urgence, pour l'égalité des chances.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur pour avis, a rappelé que la commission des lois s'était saisie des dispositions du projet de loi relatives au renforcement des pouvoirs de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (HALDE) et à la consécration du « testing » comme mode de preuve des comportements discriminatoires (articles 19 à 22), celles relatives aux contrats de responsabilité parentale (articles 24 et 25), ainsi que celles visant à renforcer les pouvoirs du maire dans la lutte contre les incivilités (articles 26 et 27).
Rappelant que la HALDE, autorité administrative indépendante, avait été créée par la loi du 30 décembre 2004, il a indiqué qu'elle était compétente pour connaître de toutes les discriminations directes ou indirectes prohibées par la loi ou par un engagement international auquel la France est partie. Ajoutant qu'elle était composée d'un collège de onze membres, présidé par M. Louis Schweitzer, il a précisé que la Haute autorité avait créé auprès d'elle un comité consultatif comprenant dix-huit membres, présidé par M. Joël Thoraval, président de la Commission nationale consultative des droits de l'Homme.
Indiquant que la loi de finances pour 2006 attribuait à la Haute autorité un budget de 10,7 millions d'euros et 66 emplois temps plein travaillés, il a souligné, à titre de comparaison, que le Médiateur de la République disposait d'un budget de 8,4 millions d'euros et la CNIL de 8,9 millions d'euros. Déclarant que la Haute autorité avait engagé quatre médiations et adopté quinze recommandations depuis sa création, il a souligné que les associations entendues lors des auditions avaient unanimement exprimé de fortes attentes à l'égard de la HALDE, manifestant leur vive impatience de la voir opérationnelle.
Il a rappelé que le projet de loi permettrait à la HALDE de prononcer contre les auteurs de discrimination une sanction pécuniaire et de demander l'affichage ou la diffusion de ses décisions, les recours contre les sanctions prononcées étant portés devant le Conseil d'Etat. Il a souligné que la Haute autorité pourrait en outre demander, lorsqu'elle constate des actes discriminatoires dans l'activité professionnelle d'une personne physique ou morale soumise à agrément ou à autorisation par une autorité publique, à ladite autorité de suspendre l'autorisation ou l'agrément. La Haute autorité pourrait par ailleurs demander à l'autorité publique concernée de faire usage de ses propres pouvoirs de sanction. Il a indiqué que le texte considéré comme adopté par l'Assemblée nationale précisait que la HALDE pourrait exercer son pouvoir de sanction pour les actes de discrimination directe visés aux articles 225-2 et 432-7 du code pénal et L. 122-45 et L. 123-1 du code du travail. Estimant que le dispositif envisagé pour l'attribution d'un pouvoir de sanction à la HALDE empièterait sur les missions du juge judiciaire, il a souhaité que lui soit substitué un pouvoir de transaction pénale.
Il a déclaré que l'article 21 du projet de loi tendait à consacrer la validité du « testing » comme mode de preuve des comportements discriminatoires, apportant ainsi une reconnaissance symbolique et une plus grande stabilité à cette méthode, reconnue par la jurisprudence de la Cour de cassation depuis 2000. Il a précisé que le « testing » ou vérification à l'improviste serait ainsi visé par le code pénal comme un mode de preuve valable pour constituer les délits de discrimination.
Il a rappelé que les articles 24 et 25 du projet de loi tendaient à étendre les compétences du président du conseil général en matière de protection de l'enfance avec la création du contrat de responsabilité parentale. Il a expliqué que ce dispositif permettrait au président du conseil général de proposer aux parents ou au représentant légal d'un mineur, en cas d'absentéisme, de troubles portés au fonctionnement d'un établissement scolaire ou de toute autre difficulté liée à la carence de l'autorité parentale, de signer un tel contrat.
Précisant que ce contrat rappellerait aux parents leurs obligations et comporterait des mesures d'aide et d'actions sociales adaptées, M. Jean-René Lecerf, rapporteur pour avis, a indiqué qu'il serait assorti de pouvoirs coercitifs permettant au président du conseil général, s'il constatait des manquements ou si le contrat n'avait pu être signé du fait des parents ou du représentant légal, de demander la suspension du versement des prestations familiales afférentes à l'enfant, de saisir le procureur de la République de tout fait susceptible de constituer une infraction pénale, ou de saisir l'autorité judiciaire d'une demande tendant à obtenir la mise sous tutelle des prestations familiales. Il a expliqué qu'un article L. 552-3 serait ainsi rétabli au sein du code de la sécurité sociale afin de prévoir la possibilité pour le directeur de la caisse d'allocations familiales de suspendre le versement des prestations à la demande du président du conseil général.
Il a enfin présenté les articles 26 et 27 du projet de loi tendant à attribuer, dans un objectif de lutte contre les incivilités, des pouvoirs de constatation par procès-verbal en matière de contraventions aux agents de police municipale et un pouvoir de transaction aux maires. Indiquant que la liste de ces contraventions serait définie par un décret en Conseil d'Etat, il a déclaré que le pouvoir de transaction pénale permettrait aux maires de proposer, pour les contraventions que les agents de police municipale seraient habilités à constater, lorsqu'elles ont porté préjudice à un bien de la commune, une transaction visant à réparer le préjudice.
Il a précisé que cette transaction, qui pourrait consister en l'exécution d'un travail non rémunéré d'une durée maximale de trente heures au profit de la commune, serait soumise selon sa nature à l'homologation d'un magistrat du parquet ou du siège. Il a rappelé que si l'Assemblée nationale n'avait pu examiner en séance publique les dispositions faisant l'objet du rapport pour avis, le texte sur lequel le Gouvernement avait engagé sa responsabilité en application de l'article 49, 3è alinéa, de la Constitution avait retenu plusieurs amendements.
M. Jean-Claude Peyronnet, indiquant qu'il n'était pas favorable au projet de loi, a estimé que l'extension des prérogatives des présidents de conseils généraux et des maires constituait une évolution dangereuse de la décentralisation. Considérant que la mise en oeuvre de la suspension du versement des prestations familiales serait très difficile à mettre en oeuvre, il a souligné que les familles qui seraient concernées par une telle suspension se tourneraient vers d'autres autorités, telles que le maire, afin d'obtenir des moyens de subsistance.
Il a jugé que le rétablissement du mécanisme de suspension des prestations familiales risquait par ailleurs de stigmatiser les familles nombreuses et comportait une atteinte au principe d'égalité, les familles n'élevant qu'un seul enfant ne pouvant être touchées par un tel dispositif. Il a en outre exprimé ses craintes quant au renforcement des pouvoirs de la police municipale, susceptibles d'entraîner une augmentation de ses effectifs, et souhaité la suppression des articles du projet de loi relatifs à la lutte contre les incivilités.
M. François Zocchetto a estimé que l'attribution d'un pouvoir juridictionnel à la HALDE ne serait pas conforme aux exigences liées à la protection des libertés fondamentales et des droits de la défense. Il a jugé nécessaire d'encadrer les pouvoirs d'intervention et de sanction de la HALDE, précisant qu'il convenait en particulier d'éviter toute dérive dans l'exercice de ses pouvoirs de vérification sur place. Relevant que les recours contre les sanctions prononcées par la HALDE seraient transmis au Conseil d'Etat, il a considéré qu'une telle organisation entraînerait une confusion s'agissant d'un pouvoir de sanction exercé à propos de faits constitutifs d'infractions pénales.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, dénonçant la réduction des délais d'examen du texte, s'est interrogée sur l'étendue de la discussion à laquelle avait pu procéder l'Assemblée nationale.
M. Jean-Jacques Hyest, président, rappelant que la plupart des articles n'avaient pas été débattus en séance publique à l'Assemblée nationale, a indiqué que des amendements de la commission des affaires culturelles avaient néanmoins été retenus par le Gouvernement. Il a jugé que le rôle du Sénat dans l'examen du projet de loi se trouvait renforcé par cette situation.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, estimant que le projet de loi comportait un ensemble de mesures répressives, a exprimé son opposition à l'attribution d'un pouvoir de sanction à la Haute autorité de lutte contre les discriminations, ainsi qu'à l'extension des prérogatives du président du conseil général et du maire, qui constitueraient un empiètement sur les missions dévolues à la justice.
M. Hugues Portelli s'est prononcé contre l'attribution à la HALDE d'un pouvoir de sanction pécuniaire, estimant que les délits de discrimination relevaient de la justice pénale. Il a estimé que l'attribution de tels pouvoirs judiciaires à une autorité administrative indépendante serait contraire à la séparation des pouvoirs. Jugeant que le titre IV du projet de loi, relatif à la lutte contre les incivilités ne correspondait pas à l'objet général du projet de loi, il a considéré qu'il serait en outre dangereux d'attribuer au maire un pouvoir de sanction dans un domaine relevant également du juge pénal.
M. Christian Cointat, indiquant qu'il n'avait pas été convaincu lors de l'audition de M. Louis Schweitzer, président de la HALDE, de la nécessité de confier à cette instance un pouvoir de sanction pécuniaire, a estimé que l'attribution d'une telle prérogative accentuerait la confusion entre les compétences respectives de la justice pénale et des autorités administratives indépendantes.
Il a considéré que si ce pouvoir devait néanmoins être maintenu au sein du projet de loi, son exercice devrait être très clairement encadré par la justice.
M. Jean-Jacques Hyest, président, indiquant que les amendements du rapporteur permettraient de répondre à certaines préoccupations, a déclaré que l'audition de M. Louis Schweitzer avait été pleinement utile à l'information de la commission. Il a rappelé que les pouvoirs de sanction attribués au Conseil supérieur de l'audiovisuel, au Conseil de la concurrence ou encore à l'Autorité des marchés financiers, ne s'appliquaient pas au titre de dispositions du code pénal mais dans un but de répression des manquements à des législations sectorielles. Il a ajouté que l'Assemblée nationale avait précisé que la Haute autorité exercerait ses pouvoirs de sanction pour les faits de discrimination constitutifs de délits sanctionnés par le code pénal et par le code du travail.
Mme Alima Boumediene-Thiery s'est interrogée sur l'existence d'une véritable définition de l'égalité des chances. Elle a par ailleurs souhaité savoir si le rapporteur disposait d'informations sur le devenir de l'Agence nationale de l'accueil des étrangers et des migrations (ANAEM), qui devrait exercer des compétences urbaines du Fonds d'action et de soutien à l'intégration et à la lutte contre les discriminations qui ne seront pas transférées à la nouvelle Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances. Elle s'est prononcée contre l'attribution d'un rôle au préfet au sein du dispositif relatif au contrat de responsabilité parentale.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur pour avis, a d'abord indiqué que certains amendements permettraient de répondre aux critiques exprimées à l'égard du contrat de responsabilité parentale. Partageant l'avis exprimé par M. François Zocchetto, sur l'attribution d'un pouvoir de sanction à la HALDE, il a par ailleurs indiqué que la légalisation du « testing » avait pour objet de consacrer un outil supplémentaire dans la lutte contre les discriminations et ne devait pas avoir pour effet, de réduire la validité de cette méthode comme mode de preuve. Il a précisé que l'utilisation du « testing » pour prouver devant les juridictions l'intentionnalité des comportements discriminatoires serait rendue plus difficile si les constatations devaient être systématiquement opérées par un officier ministériel.
Considérant que l'attribution au Conseil d'Etat de la compétence pour connaître des recours contre les décisions de sanction de la Haute autorité risquait d'entraîner des divergences de jurisprudence, il a estimé qu'un autre dispositif devait être envisagé afin d'éviter une multiplication des affaires devant le tribunal des conflits. Il a jugé que les maires, s'ils étaient dotés d'un pouvoir de transaction pénale, auraient les moyens de participer efficacement à la sanction des contraventions relevant de la catégorie des incivilités.
S'agissant de la définition de l'égalité des chances, il a déclaré qu'elle consistait à assurer une liberté réelle et égale pour tous, objectif illustré en particulier par le renforcement des dispositifs de lutte contre les discriminations. Il a indiqué que l'ANAEM, organisme correspondant à l'ancien Office des migrations internationales (OMI), ne serait pas intégrée au sein de la nouvelle Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances, dont les moyens devraient essentiellement provenir du fonds d'action et de soutien à l'intégration et à la lutte contre les discriminations (FASILD).
Après une suspension de séance, la commission a procédé à l'examen des amendements du rapporteur.
A l'article 19 (pouvoirs de sanction de la HALDE), la commission a adopté un amendement tendant à :
- doter la Haute autorité d'un pouvoir de sanction respectueux des prérogatives de l'autorité judiciaire et lui donnant la possibilité de proposer aux auteurs de discrimination une transaction consistant à verser une amende d'un montant de 3.000 euros s'il s'agit d'une personne physique, ou de 15.000 euros s'il s'agit d'une personne morale et, s'il y a lieu, à indemniser la victime ;
- permettre aux agents de la Haute autorité, dûment habilités, de constater par procès-verbal les délits de discrimination, notamment dans le cadre de « testings » ;
- permettre au président de la Haute autorité, en cas d'opposition du responsable des lieux à des vérifications sur place, de saisir le juge des référés afin qu'il autorise ces vérifications.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur pour avis, a précisé que la transaction devrait être homologuée par le procureur de la République et que son exécution entraînerait l'extinction de l'action publique. Il a indiqué qu'en cas de refus ou d'inexécution de la transaction, la Haute autorité pourrait mettre en mouvement l'action publique. Considérant ce pouvoir de transaction très similaire à ceux confiés par la loi à certaines administrations spécialisées, il a estimé qu'il rendrait complémentaires l'action de la HALDE et celles des autorités judiciaires.
Il a fait savoir que M. Louis Schweitzer lui avait marqué sa préférence pour un maintien sans changement du pouvoir de sanction de la Haute autorité dans les formes prévues par le projet de loi.
M. Bernard Frimat a souhaité savoir pourquoi l'homologation de la proposition de transaction relevait du parquet.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur pour avis, a indiqué qu'aux termes du code de procédure pénale, l'homologation des propositions de transaction faites par une autorité administrative incombait à un magistrat du parquet, à la différence de la composition pénale qui, proposée par le procureur de la République, était soumise à l'homologation d'un magistrat du siège, parce qu'elle pouvait comporter des mesures restrictives de liberté.
La commission a ensuite adopté un amendement tendant à insérer un article additionnel après l'article 22 afin de permettre aux personnes morales publiques et privées de mesurer la diversité des origines au sein de leurs effectifs, en utilisant un cadre de référence établi conjointement par la HALDE, l'Institut national de la statistique et des études économiques et l'Institut national des études démographiques et comprenant une typologie des groupes de personnes susceptibles d'être discriminées en raison de leurs origines raciales ou ethniques.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur pour avis, indiquant que M. Alex Türk, président de la CNIL, lui avait fait part de son accord sur cet amendement, a précisé que les traitements de données à caractère personnel nécessaires à la réalisation des enquêtes utilisant ce cadre de référence devraient faire l'objet d'une procédure d'anonymisation reconnue conforme par la CNIL et d'une déclaration à cette commission.
Il a ajouté qu'afin de garantir l'effectivité de l'anonymisation, les personnes morales publiques ou privées dont les effectifs comptent moins de 150 personnes ne pourraient procéder ou faire procéder à des traitements de données à des fins de mesure de la diversité des origines. Il a considéré que certaines entreprises étaient aujourd'hui conduites, en l'absence de cadre de référence, à utiliser des techniques hypocrites, fondées sur le patronyme ou sur l'ascendance, alors que la discrimination était d'abord liée à la couleur de la peau.
M. Jean-Claude Peyronnet, comprenant que cet amendement était présenté à des fins de renforcement de la lutte contre les discriminations, a néanmoins exprimé ses craintes à l'égard de cette méthode, susceptible de conduire à la constitution de fichiers.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur pour avis, a estimé que la mesure de la diversité des origines permettrait de compléter efficacement l'utilisation du curriculum vitae anonyme et du « testing », en particulier dans les entreprises procédant exclusivement à des recrutements par réseau. Il a déclaré que la possibilité ainsi offerte aux personnes morales publiques et privées n'avait pas pour objet d'aboutir à des mesures de discrimination positive, ni à la constitution de fichiers.
Estimant que les nombreuses études réalisées par les sociologues et les démographes montraient que les discriminations étaient souvent à l'origine des replis identitaires et communautaristes, il a indiqué que le cadre de référence pour l'élaboration de statistiques offrirait simplement un outil de mesure efficace dans la lutte contre ces phénomènes.
M. Christian Cointat, considérant qu'il était difficile de lutter contre les discriminations sans instrument de mesure statistique, a appelé à l'utilisation prudente de ces outils. Il a rappelé que le recensement en Nouvelle-Calédonie avait comporté pendant de nombreuses années des données relatives à l'appartenance ethnique, qui avaient été retirées lors du recensement réalisé en 2004.
A l'article 24 (création du contrat de responsabilité parentale), la commission a adopté un amendement tendant à préciser que le président du conseil général a la faculté, et non l'obligation, de proposer un contrat de responsabilité parentale, lorsqu'il est saisi à cette fin par l'inspecteur d'académie, le chef d'établissement, le maire, le directeur de l'organisme débiteur des prestations familiales, ou le préfet.
M. Jean-René Lecerf a déclaré que lors de son audition, M. Bernard Cazeau, président de la commission des affaires sociales de l'assemblée des départements de France, avait exprimé son hostilité aux dispositifs de suspension des prestations familiales, tout en estimant que le contrat de responsabilité parentale pouvait, dans certains cas, constituer un instrument pertinent si son utilisation était laissée à l'appréciation du président du conseil général.
La commission a ensuite adopté, au même article, un amendement tendant à supprimer la possibilité pour le président du conseil général de demander au directeur de la caisse d'allocations familiales la suspension du versement des prestations familiales aux fins de sanction en cas de manquement au contrat de responsabilité parentale.
Elle a également adopté un amendement tendant à prévoir le versement par l'Etat d'une compensation financière aux départements mettant en oeuvre ce contrat.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur pour avis, a considéré que cet amendement permettrait d'assurer le respect du principe de compensation financière des extensions de compétences ayant pour conséquence d'augmenter les dépenses des collectivités territoriales, défini à l'article 72-2 avant dernier alinéa de la Constitution.
La commission a adopté un amendement de conséquence tendant à supprimer l'article 25 (suspension temporaire du versement des prestations familiales).
A l'article 27 (compétences du maire pour proposer une transaction), M. Jean-René Lecerf, rapporteur pour avis, a présenté un amendement tendant à mettre le nouveau pouvoir de transaction pénale du maire en matière de contraventions relevant d'actes d'incivilité en conformité avec les principes de procédure pénale régissant l'exercice d'une telle prérogative.
M. Patrice Gélard a déclaré qu'il n'était pas souhaitable, à l'heure actuelle, d'accroître les pouvoirs de police du maire. Il a estimé que l'attribution au maire d'un pouvoir de transaction pénale aboutirait à compliquer l'exercice de ses missions.
La commission a alors adopté deux amendements tendant à supprimer les articles 26 (pouvoirs de constatation des agents de police municipale) et 27 (compétence du maire pour proposer une transaction).
Sous le bénéfice de ces amendements, la commission a donné un avis favorable à l'adoption des dispositions du projet de loi sur l'égalité des chances dont elle s'est saisie.
Union européenne - Cour de justice des communautés européennes - Audition de MM. Philippe Léger, avocat général, et Jean-Pierre Puissochet, juge à la Cour de justice des communautés européennes
Au cours d'une seconde séance tenue dans l'après-midi, la commission a procédé à l'audition, en commun avec la Délégation du Sénat pour l'Union européenne, de MM. Philippe Léger, avocat général, et Jean-Pierre Puissochet, juge à la Cour de justice des communautés européennes.
M. Jean-Jacques Hyest, président, a rappelé que MM. Jean-Pierre Puissochet et Philippe Léger exerçaient respectivement les fonctions de juge et d'avocat général auprès de la Cour de justice depuis 1994 dans un contexte marqué par l'élargissement de l'Union et l'augmentation du nombre de recours.
Il a jugé particulièrement intéressant de recueillir le témoignage de ces deux personnalités sur les conséquences de l'élargissement non seulement pour le fonctionnement de la Cour de justice, mais aussi pour l'élaboration d'une jurisprudence qui contribuait, a-t-il souligné, de manière décisive à l'élaboration du droit européen.
M. Philippe Léger, avocat général, a d'abord exprimé ses remerciements pour l'attention apportée par le Sénat à la Cour de justice des communautés européennes (CJCE) dont il a rappelé qu'elle faisait partie intégrante de l'ordre juridictionnel français. Après avoir rappelé que la Cour comptait un juge par Etat membre, huit avocats généraux et un effectif de 1.700 personnes comprenant des juristes des vingt-cinq Etats membres, il a souligné que la juridiction, conformément à la logique de subsidiarité, s'était vu confier des missions que les cours nationales n'exerçaient pas. D'une part, la Cour, a-t-il noté, était chargée d'apprécier la légalité des actes communautaires ; d'autre part, elle avait vocation à arbitrer les conflits entre les institutions de l'Union européenne ; enfin, elle fixait l'interprétation de la norme européenne dans le cadre de recours sur renvois préjudiciels dont elle pouvait être saisie par tout juge national appelé à trancher à l'occasion d'un dossier contentieux un point de droit communautaire.
M. Philippe Léger a observé que la procédure écrite au sein de la Cour était inspirée pour une large part par la pratique française. Il a relevé que si pour chaque affaire la procédure faisait l'objet d'une traduction dans chacune des vingt langues officielles de l'Union, les projets d'arrêt étaient d'abord élaborés en français. En effet, l'usage de la langue française, initialement privilégié par les Etats fondateurs de l'Union européenne dont trois d'entre eux étaient totalement ou partiellement francophones, s'était maintenu dans la mesure où la jurisprudence de la Cour s'était développée à partir d'arrêts rédigés en français. Il a souligné les efforts des membres de la Cour, au fil des élargissements, pour s'adapter à cette tradition, en relevant notamment le souci de chacun d'entre eux de disposer, parmi ses collaborateurs, d'un juriste francophone. La CJCE comptait ainsi 300 Français sur 1.600 personnes. Il a ajouté qu'à l'exemple de la Cour, le français avait été également choisi comme langue du délibéré par le tribunal de la fonction publique européenne.
Evoquant alors les méthodes de travail de la CJCE, M. Philippe Léger a indiqué que chacun des membres de la juridiction disposait d'un cabinet de sept personnes (trois référendaires choisis parmi les juristes de haut niveau, trois personnels de secrétariat et un chauffeur) et d'une totale liberté de recrutement. Il a souligné la nécessité, pour les juges chargés chacun de traiter de 40 à 50 dossiers par an, de bénéficier du concours de collaborateurs de grande qualité. Il a relevé que les référendaires étaient chargés d'étudier les dossiers et de préparer, sur la base des orientations du magistrat, un projet de conclusions qui donnait lieu ensuite à une discussion conjointe entre celui-ci et les trois référendaires. Il a estimé que l'expérience acquise ainsi par de jeunes juristes dans le cadre de leur activité de référendaire leur permettait de se doter d'une formation très solide en droit communautaire qui leur était très précieuse dans la suite de leur carrière.
M. Jean-Pierre Puissochet, juge à la Cour de justice des communautés européennes, a relevé que le récent élargissement, qui s'était traduit par l'arrivée à la Cour de dix juges issus des nouveaux Etats membres, n'avait pas entraîné de bouleversement profond du fonctionnement de la Cour. Il a néanmoins observé que la difficulté de délibérer à vingt-cinq avait conduit à mettre en place un système inspiré de la Cour européenne des droits de l'Homme, selon lequel les affaires importantes étaient jugées par une grande chambre composée de treize juges, les autres pouvant être jugées par des chambres plus réduites, de trois, cinq ou sept juges. Cette évolution suscitait parfois l'insatisfaction des juges qui se trouvaient écartés d'une délibération.
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne, a alors rappelé que la Cour de justice des communautés européennes avait été récemment mise en cause publiquement par plusieurs personnalités politiques de premier plan, parmi lesquelles le Chancelier autrichien Wolfgang Schüssel, qui avait reproché à cette juridiction d'étendre systématiquement les compétences de la Communauté à des domaines relevant de compétences nationales et le Premier ministre danois, M. Andres Fogh Rasmussen. Il a rappelé à cet égard que la Cour de justice avait rendu récemment deux décisions très importantes : la première, le 12 juillet 2005, qui cumulait pour la première fois deux types de sanctions en infligeant à la France à la fois une amende forfaitaire de 20 millions d'euros et une astreinte semestrielle de près de 58 millions d'euros, pour non-respect des règles communautaires en matière de pêche, et notamment de la taille minimale des poissons ; la seconde, en date du 13 septembre dernier, à propos de la protection de l'environnement, considérant que la compétence pour édicter des normes dans le domaine pénal ne constituait pas un monopole du « troisième pilier », mais pouvait également relever de la compétence de la Communauté.
M. Hubert Haenel a souhaité obtenir des précisions sur la portée de ces deux arrêts à propos desquels certains commentateurs avaient relevé que la Cour s'était éloignée de la lettre des traités. Par ailleurs, après avoir relevé que la Cour de justice n'avait jamais censuré une disposition communautaire pour non-respect du principe de subsidiarité, alors même qu'elle n'avait pas hésité à étendre au maximum les compétences de la communauté dans de nombreux domaines, il s'est demandé si la Cour de justice entendait exercer à l'avenir un réel contrôle juridictionnel sur ce principe.
En réponse à ces observations, M. Jean-Pierre Puissochet a estimé d'abord que si les critiques sur les arrêts rendus par la Cour étaient naturellement totalement libres, elles ne paraissaient pas toujours fondées. Il a indiqué que la jurisprudence de la Cour visait à assurer un bon équilibre entre les droits des Etats membres et ceux des institutions communautaires. Ainsi, dans l'un des arrêts auxquels le chancelier autrichien avait fait allusion, la Cour avait rappelé que le principe de non-discrimination imposait à l'Autriche de s'assurer que les titulaires de diplômes d'enseignement secondaire obtenus dans les autres Etats membres puissent accéder à l'enseignement universitaire autrichien dans les mêmes conditions que les titulaires des diplômes autrichiens d'enseignement secondaire.
Revenant alors sur l'arrêt du 13 septembre 2005, M. Jean-Pierre Puissochet a souligné que cette décision n'exigeait pas une harmonisation pénale, mais reconnaissait la compétence de la Communauté européenne pour obliger les Etats membres à prévoir des sanctions pénales liées à la protection de l'environnement. Il a noté que dans ce litige classique portant sur le choix de la base légale, il s'agissait de déterminer si la décision-cadre devait être prise sur le fondement du traité sur l'Union européenne ou du traité instituant la Communauté européenne avec les conséquences importantes que ce choix emportait sur le processus décisionnel (respectivement, selon que le premier ou le troisième « pilier » était retenu : majorité qualifiée ou unanimité, exclusivité de l'initiative de la commission ou initiative partagée avec les Etats membres ...). La Cour de justice, a-t-il rappelé, a estimé que la décision-cadre ne constituait pas l'acte juridique approprié et qu'il convenait de passer par une directive adoptée sur le fondement de l'article 175 du traité instituant la Communauté européenne (compétences communautaires en matière de défense de l'environnement). L'arrêt doit être entendu, selon M. Jean-Pierre Puissochet, comme posant le principe de la compétence communautaire pour obliger les Etats membres à prévoir des sanctions pénales en matière de protection de l'environnement lorsque, selon les termes de l'arrêt, « l'application de sanctions pénales effectives, proportionnées et dissuasives par les autorités nationales compétentes constitue une mesure indispensable pour lutter contre les atteintes graves à l'environnement ». Il a souligné que le caractère nécessaire du recours à l'instrument pénal emportait par lui-même la compétence communautaire.
Il a indiqué néanmoins que l'arrêt était strictement cantonné à la protection de l'environnement et se fondait sur la spécificité de cette matière, qui constituait un objectif essentiel, transversal et fondamental de la Communauté. Il a ajouté que la Communauté ne pouvait pas déterminer ces sanctions elle-même et qu'il appartenait aux Etats de les définir à condition qu'elles présentent un caractère effectif, proportionné et dissuasif. Il n'était pas possible ainsi, d'après M. Jean-Pierre Puissochet, de déduire de cet arrêt une communautarisation du droit pénal. Il a reconnu néanmoins que cet arrêt avait donné lieu à une interprétation différente, notamment de la part de M. Christian Philip, qui, dans un rapport élaboré au nom de la délégation pour l'Union européenne de l'Assemblée nationale, avait craint que le principe ainsi posé par la Cour ne soit étendu à d'autres matières importantes que le traité avait dévolues à la communauté. Ces craintes, a-t-il ajouté, s'étaient nourries de l'interprétation systématique faite par la Commission européenne de cet arrêt en lui donnant une portée générale. La Commission avait en effet estimé confirmée la position qu'elle avait prise à l'occasion de l'adoption de la décision-cadre du 27 janvier 2003 censurée par l'arrêt du 13 septembre 2005 selon laquelle la Communauté était compétente pour édicter des sanctions pénales nécessaires pour atteindre un objectif communautaire et, a ajouté M. Jean-Pierre Puissochet, elle a d'ailleurs décidé d'engager un recours contre une autre décision-cadre relative à la lutte contre la pollution par les navires.
M. Jean-Pierre Puissochet a indiqué que l'arrêt du 12 juillet 2005, Commission contre France dit « Poisson sous taille », marquait la volonté de la Cour de justice des Communautés européennes d'obliger les Etats membres à mettre à exécution ses décisions. Il a expliqué qu'avant l'entrée en vigueur du traité de Maastricht (1992), il n'existait pas de procédure contraignante à l'égard des Etats qui n'exécutaient pas les arrêts en manquement de la Cour. La nouvelle procédure judiciaire dite de « manquement sur manquement » introduite par le traité de Maastricht (article 228 du Traité CE) consiste à permettre à la Commission qui constate l'inertie d'un Etat condamné par la Cour pour manquement à ses obligations communautaires de saisir une deuxième fois cette juridiction pour lui demander une nouvelle condamnation de cet Etat a-t-il expliqué, ajoutant qu'il appartenait à la Commission européenne de suggérer la mesure susceptible d'être prononcée, à savoir, une amende forfaitaire ou une astreinte périodique.
M. Jean-Pierre Puissochet a signalé que le recours à ce dispositif, après avoir été peu utilisé au départ, s'était accru au cours des quatre dernières années. Il a indiqué que, dans un premier temps, la Cour avait jugé que la condamnation à une astreinte constituait le moyen le plus efficace pour conduire un Etat récalcitrant à respecter les obligations découlant du droit communautaire, ainsi que l'avaient illustré les premiers arrêts rendus -l'un concernant la Grèce en juillet 2000 et l'autre, l'Espagne, en novembre 2003. Il a observé que la sanction prononcée par la Cour dans ces deux affaires avait été très proche de celle demandée par la Commission.
M. Jean-Pierre Puissochet a indiqué que le durcissement notable des sanctions pécuniaires infligées aux Etats membre qui refusent de tirer les conséquences d'une décision de justice introduit par l'arrêt du 12 juillet 2005 s'expliquait notamment par la persistance, pendant une longue période, du manquement de l'Etat récalcitrant, en l'espèce la France, à ses obligations communautaires. Il a précisé que l'évolution de la jurisprudence de la Cour n'était pas imputable à la Commission européenne qui, conformément à la pratique naissante, s'était bornée à demander la condamnation de l'Etat en cause à une astreinte. Il a ajouté que les juges s'étaient ralliés aux conclusions de l'avocat général, lequel avait proposé d'aller au-delà de la proposition de la Commission en prononçant à la fois une astreinte et une amende d'un montant financier très élevé (respectivement près de 58 millions d'euros par semestre de retard et 20 millions d'euros). Il a indiqué que la Cour de justice des Communautés européennes avait reconnu avoir interprété les sanctions financières prévues à l'article 228 du traité CE de manière extensive, considérant possible de cumuler astreinte et amende au regard de la finalité poursuivie, à savoir inciter les Etats membres défaillants à exécuter un arrêt en manquement et, ainsi, assurer l'application effective du droit communautaire.
M. Jean-Pierre Puissochet s'est déclaré conscient de l'émoi suscité par cet arrêt eu égard aux montants très élevés des sanctions pécuniaires prononcées et à l'infléchissement de la jurisprudence antérieure de la Cour. Il a signalé qu'en outre, la position des juges de la CJCE avait eu des répercussions sur la mise en oeuvre par la Commission européenne de l'article 228 du Traité CE, rappelant que cette dernière avait adopté une communication le 13 décembre 2005 annonçant son intention :
- de demander systématiquement à la Cour la condamnation de l'Etat membre défaillant au paiement d'une astreinte et d'une amende dans toutes les affaires et dans toutes les hypothèses ;
- de ne plus se désister d'une procédure en manquement sur manquement lorsque l'Etat défaillant exécute tardivement la décision de la Cour avant le prononcé du second arrêt, contrairement à sa pratique antérieure.
M. Jean-Pierre Puissochet a jugé prématuré de tirer des conclusions définitives sur l'évolution de la jurisprudence de la Cour de justice en matière de sanctions financières à l'égard des Etats qui ne respectent pas leurs obligations communautaires, après avoir néanmoins noté la détermination de la Commission européenne à assurer l'application la plus complète possible de recours formés devant la CJCE. Il a indiqué qu'on distinguait deux périodes distinctes dans la politique de la Commission, une première période allant jusqu'en 1975 caractérisée par un régime apaisé durant laquelle la Commission ne poursuivait les Etats qu'en cas de violations très graves aux obligations communautaires, étant précisé qu'on dénombrait peu de manquements et une seconde période à partir de la présidence Jenkins (1977-1981), qui a modifié cette pratique dans le sens d'une plus grande sévérité à l'égard des Etats récalcitrants. La poursuite systématique des Etats défaillants peut paraître rude, a-t-il constaté, mais lui a paru nécessaire pour éviter que certains membres de l'Union européenne n'aient un sentiment d'impunité.
M. Philippe Léger a noté que le choix de l'instrument (directive ou décision-cadre) n'est pas neutre quant à l'étendue du contrôle de l'exécution de l'acte par la CJCE, une décision-cadre, à la différence d'une directive, ne pouvant donner lieu à un recours en manquement de la part de la Commission.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois, a remarqué que si les sanctions pécuniaires prononcées par la CJCE s'étaient limitées au domaine environnemental, de nombreux autres secteurs risquaient désormais d'être concernés, dans la mesure où la Commission européenne avait annoncé son intention d'utiliser ce mécanisme dans chaque affaire.
M. Philippe Léger a observé que la CJCE se prononcerait au cas par cas.
Il a souligné que les fonctions juridictionnelles dévolues à la Cour étaient une déclinaison du principe de subsidiarité, dans la mesure où celles-ci ne pouvaient être exercées par les juridictions nationales. Il a expliqué que la subsidiarité subordonnait l'action de la Communauté à deux conditions : d'une part, que l'initiative envisagée ne puisse être réalisée de manière suffisante par les Etats membres (test de nécessité) et, d'autre part, que celle-ci puisse être mieux réalisée au niveau communautaire (test de la valeur ajoutée de l'action communautaire).
M. Philippe Léger a précisé que l'analyse de la jurisprudence de la CJCE démontrait que les dispositions sur l'application du principe de subsidiarité et le principe lui-même sont justiciables du contrôle de la CJCE -par un contrôle a posteriori selon les voies de recours ordinaires- mais que cette dernière s'était bornée à exercer un contrôle très restreint en ce domaine. Il a souligné le faible nombre d'arrêts (23 sur 12.000) dans lesquels la violation de ce principe avait été invoquée, étant précisé que ce moyen avait toujours été invoqué conjointement à d'autres griefs, tel que l'erreur de base juridique et souvent confondu avec le principe de proportionnalité. Il a noté le caractère superficiel et peu développé du contrôle juridictionnel de la subsidiarité.
Evoquant la nature du contrôle exercé en la matière, il a précisé que la Cour s'était intéressée à son aspect formel en vérifiant que la Communauté européenne respectait l'obligation de motivation des normes communautaires au regard de la subsidiarité. Il a expliqué que, dans un arrêt du 13 mai 1997 (Allemagne contre Parlement européen et Conseil), confirmé par un arrêt du 12 novembre 1996 (Royaume-Uni contre Conseil), la Cour avait d'ailleurs développé une conception assez souple de cette obligation, estimant qu'il n'était pas nécessaire que le législateur communautaire prévoie de manière explicite une motivation au regard du respect du principe de subsidiarité.
S'agissant du contrôle matériel du respect de la subsidiarité, M. Philippe Léger a souligné que la Cour avait cantonné volontairement sa compétence à la recherche de l'erreur manifeste d'appréciation, après avoir estimé que la dimension politique de la subsidiarité donnait lieu à des appréciations et des choix complexes de la part du législateur difficiles à remettre en cause. En outre, il a estimé que l'importance attachée au principe de subsidiarité diminuerait au fur et à mesure que les conditions d'exercice d'une compétence communautaire seraient plus détaillées et précisées dans la clause d'attribution de compétence. Il a considéré qu'un tel contexte amènerait les contestations à porter plus sur le choix de la base juridique retenue que sur la subsidiarité.
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne, s'est demandé si la jurisprudence de la Cour de justice sur la subsidiarité ne serait pas amenée à évoluer sous la pression des parlements nationaux, très attachés au respect de ce principe.
M. Philippe Léger a relevé que la jurisprudence de la Cour ne lui semblait pas avoir connu d'évolution particulière en ce domaine ces dernières années.
M. Jean-Pierre Puissochet a cependant estimé qu'une forte pression des requêtes invoquant la subsidiarité amènerait inévitablement la Cour à modifier ses pratiques.
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne, a marqué son attachement au principe de subsidiarité, après avoir estimé qu'il constitue une des clefs pour renouer la confiance entre les citoyens et les institutions de l'Union européenne. Il a souhaité que la Cour se prononce plus souvent sur cette question.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois, a souhaité savoir si la Cour pouvait soulever d'office le non-respect de la subsidiarité.
M. Philippe Léger a indiqué que tel pouvait être le cas en théorie dans le cadre d'un recours préjudiciel. M. Jean-Pierre Puissochet a souligné que l'absence de consensus entre les juges sur une définition des moyens d'ordre public rendait cette pratique difficile.
M. Jean Bizet a souhaité savoir si les modifications apportées au projet de directive sur les services ayant conduit à revenir sur le « principe du pays d'origine » (PPO) étaient susceptibles de remettre en cause la jurisprudence de la Cour sur ce principe consacré comme un droit communautaire acquis depuis 1986.
Après avoir mis en avant le rôle moteur de la Cour de justice des Communautés européennes dans la construction de l'espace communautaire, M. Christian Cointat s'est demandé si l'approche très positive de cet organe ne comportait pas paradoxalement une limite intrinsèque en ce qui concerne le contrôle exercé sur le choix de la base juridique qui relevait d'une décision de pure opportunité politique du législateur. En outre, il a souhaité savoir dans quelles circonstances la CJCE avait été amenée à reconnaître une sorte d' « effet direct » à une décision-cadre prise sur le fondement du troisième pilier (arrêt Pupino du 16 juin 2005) en dépit du texte du Traité sur l'Union européenne qui précise expressément que les décisions-cadre, ne peuvent produire d'effet direct.
M. Philippe Léger a précisé que la recherche de l'existence d'une base juridique par la CJCE lui paraissait conforme au principe de subsidiarité. A propos de l'arrêt Pupino, il a nuancé l'interprétation de M. Christian Cointat après avoir souligné que le juge communautaire n'avait pas reconnu un effet direct aux décisions-cadre mais s'était borné à indiquer que le juge national devait interpréter le droit national à la lumière des décisions-cadre.
En ce qui concerne le principe du pays d'origine, il a considéré que la confiance mutuelle entre les Etats sur la qualité de leurs normes respectives constituait un des principes fondateurs de la construction européenne, mais que, s'agissant des activités de services, il fallait tenir compte d'autres principes et qu'il serait prématuré de tirer des conclusions définitives sur ses modalités d'application.