Projet de loi Immigration et intégration

Direction de la Séance

N°1

6 octobre 2023

(1ère lecture)

(PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE)

(n° 434 rect. , 433 )


Exception d'irrecevabilité

C Défavorable
G Défavorable
Rejeté

Motion présentée par

Mme CUKIERMAN, M. BROSSAT

et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste - Kanaky


TENDANT À OPPOSER L'EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ

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En application de l’article 44, alinéa 2, du Règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration (n° 434 rectifié, 2022-2023).

Objet

Le projet de loi "Contrôler l’immigration, améliorer l’intégration" est de nature à porter gravement atteinte aux droits et libertés fondamentaux des personnes étrangères sur le territoire français.

La présente motion propose de déclarer irrecevable le projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration en raison des graves atteintes aux libertés publiques qu’il porte, et notamment aux droits et libertés que la Constitution et le bloc de constitutionnalité garantissent

Cet énième projet de loi sur l’immigration et l’asile s’inscrit dans une dynamique d’inflation législative et de non-respect du principe de sécurité juridique et d’intelligibilité de la loi en la matière. En seulement trente ans, plus de vingt textes se sont effectivement succédés, le dernier ne datant que du 10 septembre 2018. En ce sens le défenseur des droits dans son avis souligne que le projet de loi repose sur des prémices problématiques.

D’abord, « l’exposé des motifs et de l’étude d’impact ne permettent pas d’apprécier la mesure des phénomènes que le projet de loi devrait réguler ou l’inefficacité des dispositions législatives actuelles pour atteindre les objectifs visés ». De même le Conseil d’Etat dans son avis souligne que « l’élaboration du projet aurait gagné, au-delà des quelques brèves lignes consacrées dans l’étude d’impact au bilan de la loi du 10 septembre 2018 qui s’assignait les mêmes objectifs que le présent projet de loi, à pouvoir s’appuyer sur un diagnostic d’ensemble des principales mesures législatives prises en matière d’immigration et d’asile ces dernières années et sur l’explicitation des difficultés d’application rencontrées ». Cela aurait permis au législateur de disposer d’informations suffisantes pour apprécier le caractère adapté, nécessaire et proportionné des restrictions aux droits et libertés fondamentaux provoquées par certaines dispositions du projet de loi. En ce sens le choix du gouvernement contrevient à différents principes constitutionnels dont celui de la sincérité des débats.

En outre, ce texte intervient dans un contexte de stigmatisation croissante des étrangers et de raccourcis entre immigration et délinquance.  Comme le soulignent de nombreuses associations, les amendements adoptés par la commission des lois du Sénat vont dans le sens d’une fuite en avant encore plus répressive et stigmatisante à l’encontre des personnes exilées et des étrangers : durcissement du regroupement familial, atteinte au droit du sol, affaiblissement des protections des jeunes majeurs.

Si l’État peut définir les « conditions d'admission des étrangers sur son territoire », de leur séjour et de leur éloignement, il ne peut restreindre arbitrairement les droits fondamentaux des étrangers. Or, ce texte remet en cause les exigences du droit de mener une vie familiale protégé par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH), ainsi que le respect des libertés et droits fondamentaux reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République (Conseil constitutionnel, décision n° 2021 823 DC du 13 août 2021, cons. 50 et 51).

Ainsi, l’accélération des procédures d’examen des demandes d’asile se fera au détriment de leurs droits, et risque d’accentuer la mise sous contrôle des demandeurs d’asile. De même faciliter les expulsions en rétablissant la double peine, pourtant contraire au principe d'égalité devant la loi, porte également atteinte à leurs droits.

De plus les mesures de coercition pour prendre les empreintes digitales des personnes qui refusent de s'y soumettre prévues à l’article 11 du projet de loi et les nouvelles mesures de surveillance aux frontières contreviennent au droit au respect de la présomption d’innocence, au principe de dignité de la personne humaine, à la liberté individuelle.

En outre, la suppression du critère dit de « bénéfice effectif des soins », selon lequel une personne étrangère gravement malade peut avoir droit au séjour en France si les soins essentiels qu’elle nécessite ne lui sont pas effectivement accessibles dans son pays d’origine, est contraire à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, qui dans indique que les États-membres doivent tenir compte de « la possibilité effective pour l’intéressé d’avoir accès à ces soins et équipements dans l’État de destination », ainsi que « du coût des médicaments et traitements, de l’existence d’un réseau social et familial, et de la distance géographique pour accéder aux soins requis ».

Plus généralement, les sénatrices et sénateurs du groupe CRCE-K dénoncent la volonté du gouvernement de placer au centre du débat politique la question de l’immigration alors que les questions au cœur des préoccupations de la population en cette rentrée sont tout autres, le pouvoir d’achat, l’accès aux soins, l’éducation et le logement, des moyens pour une politique de sécurité au service de tous les citoyens, pour ne citer que celles-ci.

Pour toutes ces raisons non exhaustives, les auteurs considèrent que ces atteintes graves aux libertés individuelles et au principe constitutionnel de dignité de la personne humaine placent ce projet de loi en contradiction avec la Constitution.



NB :En application de l'article 44, alinéa 2, du Règlement, cette motion est soumise au Sénat avant les orateurs des groupes.