Proposition de loi Irresponsabilité pénale
commission des lois
N°COM-10
18 mai 2021
(1ère lecture)
(n° 486 )
AMENDEMENT
Retiré |
présenté par
Mme Valérie BOYER
ARTICLE ADDITIONNEL APRÈS ARTICLE 1ER
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l’article 122-1 du code pénal, il est inséré un article 122-1-1 ainsi rédigé :
« Art. 122-1-1. – N’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, en raison de la répétition de violences conjugales, d’un trouble psychique ou neuropsychique, ayant altéré son discernement ou entravé le contrôle de ses actes.
« La personne poursuivie doit être soumise avant tout jugement au fond à une expertise médicale afin d’évaluer sa responsabilité pénale au moment des faits ».
Objet
La lutte contre les violences conjugales est un combat qui concerne toute la société, c’est un combat universel. Un certain nombre de parlementaires mène ce combat depuis plusieurs années. Mais il n’avance jamais assez vite.
La prise de conscience qui s’opère depuis plusieurs années sur cette question est salutaire. Trop longtemps, notre société a tu la réalité des violences intra-familiales. Leur persistance est une meurtrissure qui ne peut plus être ignorée. Elle nous enjoint à agir.
En 2019, (dernières données consolidées) les chiffres des violences conjugales ont bondi de 16 % selon les données collectées auprès des services de police et de gendarmerie. Au total, ce sont 142 310 personnes qui ont été victimes de violences conjugales en 2019, 88 % d’entre elles sont des femmes. En 2019, 146 femmes ont été tuées par leur conjoint, soit 25 femmes de plus qu’en 2018. 3 % des plaintes concernent des plaintes pour viol ou agression sexuelle. 98 % de ces plaintes sont déposées par des femmes.
Même s’il semble que le dernier décompte macabre en 2020 soit moins lourd, la réalité au-delà des chiffres est celle d’une souffrance insupportable et inacceptable, dont parfois l’horreur du parcours de vie peut dépasser ce que notre imagination ne peut concevoir à l’image de Valérie Bacot.
Valérie Bacot est accusée d’avoir tué en 2016 son mari, aux termes de plusieurs dizaines d’années de sévices sexuels, physiques et émotionnels dont le seul énoncé peut sembler incroyable tant les faits sont abjects. L’homme, qui était également son beau-père, l’a violée, alors qu’elle n’avait que 12 ans, l’a épousée, l’a battue ainsi que ses enfants pendant plusieurs années et l’aurait aussi obligée à se prostituer.
Torturée, violée, prostituée pendant 25 ans, Valérie Bacot qui sera jugée en juin 2021 et qui encourt une peine de prison à perpétuité, doit-elle finir ses jours en prison pour avoir tué son bourreau ?
Sur cette question l’expert psychiatre a reconnu pour la première fois dans une expertise requise par un parquet en France que l’accusée était atteinte au moment des faits du SFB « syndrome de femme battue »[1]. Celui-ci va plus loin encore que le stress post-traumatique inhérent aux personnes ayant subi des violences.
Ainsi l’expert judiciaire indiquait : « qu’au-delà d’une altération de ses capacités d’adaptation avec hypervigilance, anxiété généralisée… confirmant l’existence d’un syndrome de stress post traumatique majeur, que cette dernière était atteinte du syndrome de femme battue : de nombreux indices mettant en évidence une soumission résultant d’une emprise d’une toute puissance incarnée par le personnage de son mari vécue comme un tyran domestique ayant droit de vie et de mort sur chaque personne du foyer ».
La personne qui est atteinte du SFB ne peut plus prendre de décisions raisonnables comme toute personne qui n’a pas connu la violence conjugale répétitive sur plusieurs années.
Que ce soit à travers des insultes, des critiques incessantes, des remarques désobligeantes, des comportements de mépris, d’avilissement ou d’asservissement de l’autre, des violences physiques et sexuelles, toutes ces attaques touchent l’intégrité psychique de la victime, qui devient alors prisonnière de la situation qu’elle subit.
Ce sont, en fait, des actes de torture mentale.
De par ces agissements, le conjoint violent porte atteinte au principe de respect de la dignité de la personne humaine.
Aujourd’hui, rares sont les cas dans lesquels la victime de violences conjugales arrive à se défaire de l’emprise exercée sur elle par son bourreau. En effet, ces victimes ne portent que trop rarement plainte.
Cet état de soumission et de « danger de mort permanent » vécu pendant des années, peut entrainer un comportement extrême. La plupart du temps une des issues de sortie de cet enfer conjugal est le suicide.
Dans des cas extrêmement rares, la victime se retourne contre le conjoint car il n’y a pas d’autre issue que de tuer pour ne pas mourir, « c’est lui ou moi ».
Aussi, il pourrait être instauré un nouveau cas d’irresponsabilité pénale pour la personne qui était atteinte, au moment des faits, en raison de la répétition de violences conjugales, d’un trouble psychique ou neuropsychique, ayant aboli son discernement ou entravé le contrôle de ses actes.
Tel est le sens de cet amendement.
Si notre droit a évolué depuis plusieurs années dans le sens d’une meilleure protection des victimes de violences notamment depuis 2010 avec la loi de Guy Geoffroy, dix ans après, nous devons aller plus loin. En effet, des situations particulièrement dramatiques comme celles vécues par Valérie Bacot doivent nous interroger sur nos failles dans la prise en charge et le suivi des victimes mais aussi sur notre droit, à la lumière de ce qui se passe à l’étranger mais aussi de l’évolution de la science qui reconnait et décrit aujourd’hui les effets traumatiques des violences répétées.
[1]Ce syndrome est admis en Cour depuis l’arrêt R. c. lavallée [1990] 1 R.C.S. 852 pour établir l’état d’esprit de la femme violentée lors de la perpétration du meurtre de son conjoint.
Pour être utilisé, un expert doit venir présenter l’état psychologique de la victime de violence physique afin que la cour puisse comprendre l’état mental de l’accusée au moment du meurtre. L’expert permet également de comprendre pourquoi la femme ainsi traitée n’a pas quittée son conjoint. Cette preuve est primordiale puisqu’elle ouvre le recours à la légitime défense en amenant une modulation de la notion du raisonnable à la situation de l’accusée. On y explique, par exemple, les motifs qu’avaient l’accusée d’appréhender la mort ou des lésions corporelles graves ainsi que celui de la croyance de l’accusée selon laquelle elle ne pouvait se protéger qu’en recourant à la force qu’elle a utilisée.
Le syndrome de la femme battue vient en fait changer la notion de légitime défense en l’interprétant en tenant compte de la perception que la femme battue a vis-à-vis de sa situation notamment au niveau de la notion de ce qui est raisonnable et de celle du danger immédiat.