La décision de réunir les Présidents de tous les Sénats et Secondes Chambres du monde1(*) pour la première fois, au printemps de l'An 2000, ne résultait pas du seul souci de célébrer de façon particulièrement solennelle une date hautement symbolique. Elle s'imposait, en fait, dès lors qu'était établi le constat d'un important regain du bicamérisme dans les Parlements contemporains.

Ce constat repose sur quelques données objectives et simples : si environ 45 pays connaissaient, au début des années 1970, le système bicaméral, ce nombre s'établit aujourd'hui à plus de 80 et de nombreux pays envisagent, à leur tour, de créer un Sénat2(*) ou en ont pris la décision sans que la Chambre soit encore créée3(*). Plus encore, loin d'être une "anomalie", le bicamérisme est actuellement le système parlementaire sous lequel vivent le plus grand nombre d'habitants de la planète et celui qui a été choisi par les États les plus puissants économiquement : c'est ainsi que sur les quinze pays du monde bénéficiant des produits intérieurs bruts les plus élevés, seuls deux -la République populaire de Chine4(*) et la Corée du Sud- ont un Parlement monocaméral.

D'où provient ce regain du bicamérisme alors que le système bicaméral est, par essence, plus complexe que le système monocaméral et que, dans les années 1970, au contraire, le bicamérisme paraissait en déclin, les pays scandinaves ayant par exemple choisi de l'abandonner ?

Ce fut l'objet du Forum des Sénats du Monde, réuni à Paris le 14 mars 2000, qui en a débattu et a engagé le processus de réflexion et de dialogue permettant de répondre à la question5(*).

Nous observons tout d'abord que le bicamérisme, historiquement, a rempli deux missions fondamentales : d'une part la représentation des États fédérés dans les États fédéraux, et c'est le modèle des États-Unis d'Amérique avec la Constitution de 1787 ; d'autre part un partage du pouvoir politique au bénéfice d'une classe sociale dont l'évolution de la société tendait à remettre en cause la prééminence : c'est l'exemple de la Chambre des Lords dans le régime monarchique anglais. Si le premier de ces modèles subsiste, se développe, et conserve à l'évidence toute sa raison d'être, le second, en revanche, s'érode pour des raisons également évidentes : les Chambres aristocratiques sont menacées tout simplement parce que la réalité sociologique qu'elles incarnaient s'estompe.

C'est donc dans d'autres directions qu'il faut chercher la cause du regain bicaméral actuel et nous pensons que ces directions sont -et cette liste n'est pas exhaustive- les suivantes :

sans aboutir à une structure fédérale, la plupart des États du monde sont aujourd'hui engagés dans des processus de décentralisation qui légitiment une représentation spécifique au niveau central : seul le bicamérisme permet cette adaptation nécessaire aux réalités du monde moderne ;

de nombreux États sont engagés dans des processus de démocratisation ou d'approfondissement de l'État de droit qui imposent, pour leur succès même, que leur soient associées des composantes de la nation qui, spontanément et pour des motifs très divers, ne sont pas enclines à y participer : le bicamérisme assume cette fonction d'intégration et de stabilisation d'un processus de transition qui est la clé du succès de la démocratisation ;

d'autres États, ou parfois les mêmes, après s'être dotés, dans un premier temps, d'un système monocaméral, en ont perçu les limites, sinon même les risques, dans la mesure où ce modèle est perçu comme le produit d'un mimétisme institutionnel importé sans considération suffisante pour les réalités locales : la diversification de la représentation que permet l'instauration du bicamérisme autorise un processus d'appropriation du système parlementaire respectueux de la contingence nationale ;

dans d'autres cas, le bicamérisme s'impose en tant que modalité moderne d'application du principe de la séparation des pouvoirs -ce principe sans lequel une société n'a point de Constitution6(*)- et il est particulièrement évident ici que le développement des systèmes majoritaires -ces systèmes où majorité et Gouvernement se confondent- légitiment et même imposent une Seconde Chambre libre de ses propos précisément parce qu'elle échappe à la loi d'airain du système majoritaire qui postule que la majorité a pour mission première de soutenir le gouvernement ;

dans la plupart des cas, par ailleurs, le bicamérisme apparaît comme un gage d'efficacité par sa fonction d'amélioration de la production législative. La complexité et la technicité croissante des problèmes, l'élargissement rapide du champ du droit et de la loi justifient, en effet, l'intervention d'une seconde chambre chargée tout à la fois d'envisager les projets de loi sous un nouvel angle de vue et de procéder à une relecture des textes adoptés par l'autre chambre ;

sans doute pourrait-on (ou devrait-on) enfin jeter un pont entre les recherches de philosophie politique contemporaine et les réflexions des constitutionnalistes pour développer le fondement philosophique pur du bicamérisme qui n'est autre, probablement, pour un système politique achevé, que la nécessité de représenter l'homme dans sa totalité, c'est-à-dire l'homo civicus titulaire des droits du citoyen et l'homme socialisé par les collectivités auxquelles il appartient ou, plus exactement, par les collectivités qu'il constitue.

Vaste et passionnant programme de recherches qu'il nous faut entreprendre collectivement, avec détermination, mais aussi avec humilité pour la raison fort simple que nul ne dispose, à l'heure actuelle, de la documentation scientifique permettant de l'engager sur des bases objectives. L'objet du présent recueil est donc, à partir de notes descriptives sommaires, d'engager ce processus afin d'établir une typologie de base permettant à chacun d'entre nous d'y voir plus clair. Telle est la seule ambition de ce document qui résume de façon sans aucun doute trop schématique les enseignements fondamentaux dans les domaines de la composition et des pouvoirs des différents Sénats ou Secondes Chambres du Monde.

I - LA COMPOSITION DES SÉNATS : UNE GRANDE HÉTÉROGÉNÉITÉ

La composition des Sénats varie considérablement d'un État à l'autre. Les modes de désignation, en particulier, sont très variés même si l'élection en est, le plus souvent, le fondement (1). Les effectifs et la durée du mandat des sénateurs sont aussi sujets à de fortes différences, même si, là encore, des constantes peuvent apparaître (2). En tout état de cause, il est possible de déceler une nette volonté d'assurer une meilleure représentation de la nation, grâce à la création de Sénats (3).

1) Des modes de désignation très divers

Tous les modes de désignation coexistent au sein de la famille bicamérale, mais l'élection est le principe le plus largement répandu.

a) Les Sénats élus dans leur totalité sont majoritaires : sur un total de 72 Parlements bicaméraux constitués, 36 comportent une seconde chambre dont tous les membres sont élus.

Parmi ces chambres, la majorité est élue au scrutin direct7(*).

Le scrutin indirect, le plus souvent dans le cadre des collectivités locales et par le truchement des élus locaux, est également largement pratiqué, fournissant d'ailleurs des modèles différents de recours au scrutin indirect. Le cas de l'Afrique du Sud correspond à une élection par les assemblées législatives des provinces, système choisi par plusieurs autres États comme, par exemple, l'Autriche ou l'Éthiopie. Il s'agit, le plus souvent, de pays à organisation fédérale. En Allemagne, ce sont les représentants des gouvernements des länder, eux-mêmes désignés par les assemblées législatives régionales, qui forment le Bundesrat. Le Gabon, lui, a choisi une élection par les représentants des collectivités locales, communes et départements. C'est aussi le cas de la Mauritanie ou de la France.

Deux États pratiquent à ce jour un système mixte mêlant scrutin direct et indirect :: l'Espagne et la Belgique. Le Sénat espagnol compte ainsi 208 membres élus au suffrage universel direct et 51 élus par les assemblées des 17 communautés autonomes du pays. Le Sénat belge8(*), lui, est composé de 40 élus au suffrage universel direct, 21 élus par les conseils de communautés et 10 cooptés par les 61 premiers.

b) Certains Sénats sont, par ailleurs, partiellement élus et partiellement nommés. Selon les cas, ici encore, l'élection peut être directe (Chili, Italie) ou, et c'est le cas le plus fréquent, indirecte : Algérie, Irlande et Kazakhstan .... Notons toutefois que, généralement, la proportion de sénateurs élus est bien supérieure à celle des sénateurs nommés (96 sur 144 en Algérie, 38 sur 47 au Chili, 49 sur 60 en Irlande, 315 sur 324 en Italie, 32 sur 39 au Kazakhstan).

La Russie connaît un système particulier. Le conseil de la Fédération est composé de deux représentants de chacun des 89 sujets de la Fédération : l'un est élu par l'organe exécutif du sujet, l'autre est désigné par l'exécutif.

Le Rwanda illustre merveilleusement l'adaptabilité des secondes chambres aux particularismes locaux afin de consolider les institutions démocratiques : 8 des 26 sénateurs sont nommés par le Président de la République « qui veille à ce que soit assurée la représentation de la communauté nationale historiquement la plus défavorisée ».

c) Enfin, 18 Sénats sont nommés dans leur totalité. Mais il convient de faire ici trois observations. En premier lieu, ce cas concerne, à titre principal, trois types d'États. Les plus nombreux sont des pays dont la taille et la population justifieraient difficilement deux niveaux d'élections législatives (Antigua, Bahamas...). Moins nombreux, mais tout de même significatifs, sont les États en cours de démocratisation (Jordanie, Cambodge) ou dans une situation institutionnelle transitionnelle de sortie de crise (Burundi, Congo-Kinshasa).

Précisons, et c'est la deuxième observation, que ces nominations sont souvent encadrées. Le cas du Sénat canadien est ici significatif : les sénateurs sont bien nommés par le Gouverneur général mais sur la proposition du Premier ministre, lui-même issu d'une Chambre directement élue par le peuple.

Enfin, il convient de relever que la nomination peut être un mode de désignation transitoire9(*), précisément dans le cadre d'un processus de démocratisation10(*).

2) Des effectifs et une durée de mandat très divers

a) Des effectifs variés mais généralement réduits

Sans faire de généralisation abusive, on peut affirmer que le modèle bicaméral correspond à des assemblées aux effectifs réduits. Si l'on met à part le cas très particulier de la Chambre des Lords11(*), la seconde chambre dont les effectifs sont les plus nombreux est le Sénat d'Italie avec 324 membres. Par ailleurs, les Sénats de moins de 110 membres sont très majoritaires.

On peut, s'agissant des effectifs, classer les secondes chambres en trois groupes principaux :

- les Sénats ayant 19 membres ou moins : il s'agit le plus souvent des États de faible superficie et population comme ceux des Caraïbes, par exemple, mais pas toujours. Les Sénats hispanophones ont souvent des effectifs réduits : la Bolivie, le Chili, le Paraguay, les Philippines, l'Uruguay comptent ainsi respectivement 27, 47, 45, 24 et 30 sénateurs.

- un deuxième groupe rassemble les Sénats ayant entre 50 et 109 membres : il s'agit d'États de toutes tailles et de tous les continents puisqu'on compte parmi eux le Bundesrat allemand ou le Conseil fédéral autrichien, le Sénat irlandais, la Première Chambre des États généraux des Pays-Bas, le Sénat belge pour l'Europe occidentale ; les Sénats de Malaisie, du Cambodge, du Népal et d'Australie, pour l'Asie-Océanie ; les Sénats canadien et américain en Amérique du Nord, ceux du Brésil, de Colombie et d'Argentine en Amérique du Sud ; les Sénats de Mauritanie, Gabon, Afrique du Sud, Éthiopie, Nigeria pour l'Afrique ; les secondes chambres de République tchèque et de Pologne pour l'Europe centrale et orientale. On constate cependant que nombre de ces assemblées sont des Sénats fédéraux dont la composition repose généralement sur une représentation égalitaire des composantes de la Fédération, à raison d'un nombre modeste de sièges pour chacune d'entre elles, d'où un effectif total relativement modéré.

- enfin, on compte 14 Chambres ayant plus de 109 membres, dont 6 disposent d'effectifs compris entre 240 et 279 (Inde, Espagne, Japon, Thaïlande, Égypte, Maroc). Les trois Sénats les plus nombreux sont ceux de France (331)12(*), d'Italie (329) et de Grande-Bretagne (576 pairs à vie et pairs spirituels)13(*).

b) La durée du mandat : un état très différencié

La durée du mandat des différentes secondes chambres est, elle aussi, très variable.

Elle est très fréquemment comprise entre 4 et 6 ans, exceptionnellement d'une durée supérieure : on compte trois Sénats dont le mandat est de 8 ans (Brésil, Chili et Rwanda, mais dans ce dernier cas le mandat n'est pas renouvelable) ; deux Sénats dont la durée du mandat est de 9 ans (Maroc et Liberia ; la France vient de la ramener à 6 ans par la loi du 30 juillet 2003).

A l'inverse, seuls 2 États ont choisi des mandats inférieurs à 4 ans : la Bosnie-Herzégovine (2 ans) et la Malaisie (3 ans).

Enfin, on relève un cas de nomination à vie14(*) : la Chambre des Lords ; un cas d'hérédité : le Conseil des chefs du Botswana pour 8 de ses 15 membres et un cas de mandat dont la seule limite est l'âge de 75 ans : le Sénat du Canada.

Par ailleurs, dans trois États -fédéraux- la durée du mandat des membres de la seconde chambre est variable et dépend de celle de l'organe électeur : Allemagne, Autriche, Russie.

c) Renouvellement partiel, impossibilité de dissolution et rôle spécifique des présidents de Sénats : la recherche de la continuité de l'Etat

- Le renouvellement partiel qui vise à assurer une relative stabilité des assemblées, à éviter les à-coups politiques est fréquemment pratiqué : Argentine, Australie, Brésil, Chili, Congo-Brazzaville, Égypte, France, Haïti, Inde, Japon, Maroc, Mauritanie, Népal, Philippines, République tchèque. Pour être exact, il faudrait y ajouter les Sénats dont les membres représentent les gouvernements ou les assemblées des états ou provinces fédérées (Allemagne, Autriche, ...). Ces gouvernements ou assemblées sont eux-mêmes soumis à des renouvellements à des dates différentes, ce qui peut introduire, ipso facto, un renouvellement partiel de l'assemblée qu'ils forment.

- L'impossibilité de dissoudre les Sénats est une garantie fréquemment utilisée pour assurer la stabilité et la continuité de l'État : elle existe dans la majorité des pays considérés.

Le rang de président du Sénat, généralement 2e ou 3e personnage de l'État, mais aussi et surtout le rôle qu'il joue très fréquemment en cas d'empêchement du Chef de l'État témoignent aussi de cette volonté de faire des Sénats des éléments de continuité institutionnelle.

De fait, le président du Sénat assure l'intérim du Chef de l'État dans de nombreux pays : Algérie, Allemagne, Bolivie, Cambodge, Chili, Congo, France, Gabon, Italie, Kazakhstan, Madagascar, Mauritanie, Pakistan, Roumanie, Rwanda, République tchèque. Il faut ajouter à cette liste les pays dans lesquels le président du Sénat est précisément le vice-président de l'État : États-Unis, Inde, Liberia. Dans d'autres cas, le président de la seconde chambre assure l'intérim du Chef de l'État en cas d'empêchement d'une autre autorité : vice-président de l'État (Paraguay, Philippines) ou président de la chambre basse (Brésil, Pologne). Enfin, le président du Sénat peut être appelé à participer, avec d'autres personnalités, à l'intérim : en Irlande avec le président du Dail Eireann et celui de la Cour suprême ; au Maroc où il appartient de droit au Conseil de régence, aux Pays-Bas où la succession royale relève, en cas de difficultés (roi mineur, incapacité, absence d'héritier), des deux chambres réunies des États Généraux.

3) Les Sénats ou la recherche d'une meilleure représentation des composantes des Nations

L'une des fonctions les plus constantes du système bicaméral est de permettre une représentation diversifiée des composantes d'une société et de parvenir ainsi à créer un système parlementaire équilibré, à même de stabiliser les institutions constitutionnelles. Quatre catégories sont ainsi mises en évidence :

a) La représentation des structures territoriales de l'État national

Tel est le cas du Conseil National des Provinces de la République Sud-Africaine ou encore du Conseil de la Fédération de Russie. Autres exemples : celui du Conseil Fédéral d'Ethiopie dont les membres, élus par les Conseils provinciaux, représentent les "Nations, nationalités ou peuples du pays" ou encore celui du Sénat brésilien représentant des États fédérés du Brésil. C'est cette fonction de représentation des collectivités territoriales, qui fonde aujourd'hui la spécificité constitutionnelle du Sénat français mais aussi celle des Sénats gabonais et mauritanien15(*)...

b) La représentation des professions, catégories sociales ou les "forces vives de la Nation"

Ainsi, les 2/5èmes des membres de la nouvelle Chambre des Conseillers du Maroc sont-ils élus par les chambres professionnelles et les représentants des salariés (les autres conseillers sont élus par les collectivités locales). Ainsi, le Sénat irlandais compte-t-il des membres élus par les universités. De surcroît, s'ils sont désignés, pour une large part, par les conseils locaux, les Sénateurs irlandais sont tous choisis sur la base de leur appartenance professionnelle.

Notons par ailleurs que les Sénats peuvent se voir confier la mission de représenter les nationaux établis hors de leur pays. C'est le cas en France et en Mauritanie.

c) La représentation des élites traditionnelles

Le cas est patent en Afrique. Les élites, qu'il s'agisse des représentants de la "coutume", des chefs de tribus..., ont été très souvent exclues du pouvoir au moment des indépendances. Les conséquences de cette exclusion commencent aujourd'hui à apparaître : des États menacés socialement et politiquement. Pour y remédier, nombre d'États africains considèrent comme utile la création de Sénats associant ces élites traditionnelles. Le Conseil des Chefs du Botswana joue aussi ce rôle de représentant des chefs traditionnels. Le Sénat mauritanien, récent lui aussi, a été présenté comme un "Sénat tribal" quoique ses membres soient élus par les conseils des collectivités territoriales. Le Liban, déchiré par des années de guerre civile, a aussi vu dans la création d'un Sénat, prévue par les accords de Taëf mais qui n'a pas encore abouti, une modalité de représentation et de protection des différentes confessions du pays.

d) Un vecteur de stabilisation institutionnelle

Grâce à sa souplesse dans la composition des secondes chambres, et à la logique d'inclusion qu'il incarne, le bicamérisme s'affirme comme une technique de résolution des conflits et de stabilisation institutionnelle.

La région des Grands Lacs, en Afrique centrale, meurtrie ces dernières années par nombre de guerres civiles, en apporte l'illustration. A la suite du Burundi, le Rwanda puis la République démocratique du Congo ont institué des parlements bicaméraux : les Sénats sont chargés de veiller au respect de l'unité nationale en évitant notamment tout déséquilibre ethnique et d'assurer une mission de médiation des conflits politiques entre les institutions.

II - LES POUVOIRS DES SÉNATS : DE LA SIMILITUDE À LA SPÉCIALITÉ

Pour simplifier, nous distinguerons les pouvoirs législatifs des Sénats (1) de leurs pouvoirs extra législatifs (2).

1) Les pouvoirs législatifs : le modèle du bicamérisme égalitaire

S'agissant des pouvoirs législatifs, c'est-à-dire du pouvoir de décider du contenu de la loi, le modèle dominant au niveau mondial est celui du bicamérisme égalitaire. Il n'est cependant pas généralisé et rencontre des exceptions.

a) Le bicamérisme égalitaire : un modèle largement répandu.

La majorité des Sénats, dans le Monde, dispose de pouvoirs législatifs équivalents à ceux de l'autre assemblée. Nous examinerons successivement les trois grandes composantes du pouvoir législatif : le droit d'initiative, le droit d'amendement et la capacité de décision lors de l'examen des textes.

- S'agissant du droit d'initiative, tout d'abord, il est complet pour près de la moitié des Sénats. Encore, ce chiffre ne comprend-il pas les Sénats, qui tout en disposant d'un droit d'initiative général, se le voient refuser de manière résiduelle en matière budgétaire, comme la chambre basse au demeurant. Cette restriction à l'initiative financière des assemblées est fréquemment pratiquée dans les pays anglo-saxons, en particulier aux Antilles et Caraïbes : Antigua, Bahamas, Barbade, Belize (restriction fiscale), Sainte-Lucie, Trinité et Tobago. Le Canada et l'Australie sont aussi dans ce cas, comme la République tchèque.

Au total, et à l'inverse, moins d'une dizaine de chambres hautes ne disposent d'aucun droit d'initiative (Algérie, Éthiopie, Iles Fidji, Lesotho, Pays-Bas, Namibie, Rwanda et Thaïlande).

- Le droit d'amendement, est, lui, totalement reconnu aux 2/3 environ des secondes chambres. La réserve précédente, relative au cas particulier des finances, vaut ici encore. On ne compte, à ce jour et sous réserve du cas particulier des assemblées consultatives, que quatre Sénats qui ne bénéficient pas du droit d'amendement : en Algérie, en Autriche, au Cambodge et aux Pays-Bas.

- Si l'on se penche à présent sur les pouvoirs de décision des Sénats lors de la procédure d'examen des textes, on constate que dans un grand nombre de cas, l'accord du Sénat est nécessaire à l'adoption définitive d'une loi. En ce sens, le bicamérisme est totalement égalitaire dans plus du tiers des États. Dans ces pays, les pouvoirs législatifs des deux chambres sont strictement identiques. Tel est le cas de la Bolivie, du Brésil, de la Colombie, de la Roumanie, de la Suisse, de l'Italie, des États-Unis...

Une variante fréquente de ce bicamérisme égalitaire limite la similitude des pouvoirs à certains domaines. Tel est le cas de l'Allemagne où l'accord du Bundesrat est indispensable à l'adoption des projets relatifs aux länder ou à leur champ de compétence. En Afrique du Sud, le Conseil National des Provinces a un droit de veto pour ce qui concerne les projets touchant les provinces, qui ne peut être levé par l'Assemblée nationale qu'à la majorité des 2/3. Le Sénat belge dispose, quant à lui, de pouvoirs identiques à ceux de la Chambre des députés dans quatre domaines : les matières fondamentales institutionnelles, les traités internationaux, les accords de coopération entre l'État fédéral, les Communautés et les régions, les lois relatives à l'organisation judiciaire. En France, l'accord du Sénat est indispensable en ce qui concerne les lois constitutionnelles et les lois organiques relatives au Sénat. Au Rwanda, le bicamérisme est égalitaire dans le domaine de compétence du Sénat. Le Sénat de transition de la République démocratique du Congo, chargé tout à la fois d'élaborer l'avant-projet de constitution et d'exercer une mission de médiation des conflits politiques entre les institutions, est également investi d'une compétence législative spécialisée. En d'autres termes, les Sénats jouent fréquemment le double rôle de stabilisateur institutionnel et de garant des équilibres des Nations.

Une autre variante est celle d'un bicamérisme égalitaire de fait. Dans cette hypothèse, la chambre basse dispose, en principe, de la possibilité de trancher en dernier ressort, mais cette faculté est neutralisée par l'exigence d'une majorité qualifiée. Le cas n'est pas rare. C'est ainsi que la Douma russe ne peut imposer son point de vue au Conseil de la Fédération que par une majorité des 2/3. Le dispositif est le même au Japon.

Notons enfin deux cas atypiques : celui du Paraguay, tout d'abord, où les deux chambres peuvent avoir le "dernier mot" mais sous réserve que l'autre chambre ne le lève pas par un vote aux 2/3. Autre cas, inversé cette fois, celui de l'Algérie où le Conseil de la Nation doit adopter les projets délibérés par l'Assemblée nationale populaire mais ne peut le faire qu'à la majorité des ¾ de ses membres.

Notons cependant que, si le bicamérisme égalitaire ou quasi égalitaire est plus fréquent qu'on ne le croit généralement, il joue surtout dans le domaine du vote de la loi stricto sensu. En revanche, il est rare en matière de responsabilité politique du Gouvernement : peu de Sénats peuvent renverser le Gouvernement. Ce modèle correspond à la volonté de donner aux Sénats une mission de stabilisateurs politiques. Il faut toutefois relever que nombre de Sénats ne peuvent sanctionner leur gouvernement que parce qu'ils exercent leurs missions dans le cadre d'un régime présidentiel ou semi-présidentiel dans lequel les ministres ne sont pas responsables devant les chambres : tel est le cas des États-Unis, des Philippines ou encore de la Russie.

b) Les exceptions au modèle

- Premier type d'exceptions : certaines chambres hautes sont essentiellement consultatives. En ce cas, la Chambre haute ne participe pas à proprement parler au vote de la loi mais donne des avis sur son contenu. Ces assemblées sont rares : au Botswana, au Cambodge, en Égypte, Slovénie et au Yémen.

Il convient de signaler le cas particulier du Sénat indien qui dispose de pouvoirs équivalents à ceux de la Chambre des Représentants, sauf en matière de loi de finances où il a un rôle purement consultatif. Ajoutons que, contrairement à une idée répandue, une assemblée consultative n'est pas nécessairement une assemblée sans pouvoirs. La qualité de son intégration au sein des institutions due à la qualité de son recrutement, de son action ou de son réseau d'influence, peut, en effet, compenser son retrait des procédures normatives d'élaboration des lois.

- Deuxième type d'exception : les restrictions au pouvoir législatif qui se traduisent par des limitations spécifiques au droit d'initiative ou d'amendement. Elles concernent généralement les lois de finances et/ou fiscales (Caraïbes, Australie, Canada...). Dans d'autres cas, des irrecevabilités financières du type de celle de l'article 40 de la Constitution française sont établies (Gabon)16(*). Enfin, dernière hypothèse à citer, la nécessité d'un accord du Gouvernement pour prendre des mesures dans le domaine budgétaire (Kazakhstan). Notons cependant que ces restrictions diverses concernent le plus souvent les deux Chambres.

- Dernier type d'exception, la possibilité offerte aux premières chambres de trancher en dernier ressort. Ce "dernier mot" peut être libre ou restreint. Dans le premier cas, il peut s'appliquer aisément sur la seule initiative de la chambre basse ou du gouvernement. Dans le second, il est encadré.

Le dernier mot applicable en toutes matières, sous réserve du domaine constitutionnel cependant, apparaît dans moins d'un tiers des États parmi lesquels l'Espagne, la France (excepté pour les lois organiques relatives au Sénat - exception retenue dans d'autres pays), la Pologne, la République tchèque, le Gabon, l'Irlande. Encore, dans certains de ces différents États les conditions de délais imposées pour la mise en oeuvre de ce dernier mot tendent-elles parfois à le transformer en une sorte de droit de veto temporaire pour le Sénat. En tout état de cause, elles peuvent en limiter sérieusement la portée. Ainsi en France, le "dernier mot" ne peut-il intervenir qu'après deux ou trois lectures dans chacune des chambres, selon que le Gouvernement a utilisé la procédure d'urgence pour l'examen du texte, sur décision expresse du gouvernement et après échec d'une commission commune aux deux assemblées (dite "commission mixte paritaire") réunie pour aplanir les différends entre le Sénat et l'Assemblée nationale. Notons, en outre, que ce dernier mot ne porte que sur les dispositions restant en discussion, soit, généralement, une partie très réduite du texte examiné.

Le dernier mot peut être restreint par une limitation des matières auxquelles ils s'appliquent. Et il faut ici noter qu'il est rare de le voir étendu aux matières constitutionnelles. Il peut être restreint encore par les conditions de majorité auxquelles est subordonnée son utilisation : un certain nombre d'États imposent ainsi un vote aux 2/3 pour le rendre opposable à l'autre assemblée.

En tout état de cause, le "dernier mot" n'est que la dernière étape d'un processus de maturation des idées et des textes : la "navette" parlementaire. Sa seule existence est un gage d'amélioration de la production législative et d'une meilleure prise en compte des organisations de tous les éléments d'une communauté nationale. En effet, sauf tension politique majeure, le dernier mot est un instrument dangereux dont les gouvernements et les premières chambres usent avec prudence. Le cas de la France est ici patent. Relevons ainsi qu'au 30 septembre 2004, que sur 2 909 lois votées depuis 1958, 2 554, soit 87,79 % ont fait l'objet d'un accord entre les deux chambres. En 1998-1999, alors même que les majorités au sein des deux chambres françaises sont différentes, plus de 50 % des amendements votés par le Sénat ont été repris par l'Assemblée nationale.

2) Les pouvoirs extra législatifs : les Sénats stabilisateurs institutionnels

En dehors du vote des lois et de la mise en jeu de la responsabilité politique du Gouvernement, les Sénats se voient très fréquemment confier des pouvoirs extra-législatifs qu'il est possible de classer en trois grandes catégories : consolider la Constitution, participer aux nominations des hauts responsables de l'État, exercer des pouvoirs juridictionnels.

a) Les Sénats, garants constitutionnels

Les Sénats sont fréquemment conçus comme des stabilisateurs institutionnels. Il n'est pas étonnant, dans ces conditions, qu'une large part du pouvoir constituant leur soit dévolue. De fait, ils jouent un grand rôle en ce domaine et, de deux façons : en premier lieu, ils participent, dans la plupart des cas, au processus de révision constitutionnelle. Leur accord est généralement requis pour qu'une révision aille à son terme et les Constitutions exigent fréquemment un vote sénatorial à la majorité qualifiée pour leur modification ; en second lieu, les Sénats peuvent jouer un rôle en matière de contrôle de constitutionnalité, soit qu'ils nomment une partie des juges constitutionnels, soit qu'ils puissent déclencher ce contrôle.

La nomination, au moins partielle, des juges constitutionnels par le Sénat est très répandue. Pour ne prendre qu'un exemple, tous les États bicaméraux et disposant d'une cour constitutionnelle en Europe occidentale la pratiquent. En France, le Président du Sénat nomme 3 membres du Conseil constitutionnel sur 9, en Allemagne, le Bundesrat en désigne 8 sur 16, en Autriche le Conseil fédéral propose des noms pour 3 des 14 juges constitutionnels, la proportion est de 4 sur 12 en Espagne. En Italie, les deux chambres réunies désignent 5 juges constitutionnels sur 15. Enfin, les membres de la Cour d'arbitrage belge sont nommés par le Roi sur une liste double présentée alternativement par le Sénat et la Chambre des Représentants. Mais ce pouvoir de nomination dépasse très largement les frontières de l'Europe occidentale et se retrouve, dans nombre des pays où existe le contrôle de constitutionnalité : en Amérique du Sud, par exemple, en Colombie, au Chili, au Paraguay ; en Afrique, au Gabon, en Mauritanie, au Maroc ; en Asie, au Kazakhstan, au Cambodge.

La saisine de la Cour constitutionnelle par le Sénat est, elle aussi, assez répandue, et sur tous les continents. Elle est très fréquente en Europe occidentale, à l'Est de l'Europe : Bosnie, Pologne, République tchèque, Roumanie, Russie, Slovénie, mais bien au-delà : Algérie, Brésil, Cambodge, Jordanie, Maroc, Mauritanie.

Bien plus, les compétences reconnues aux secondes chambres peuvent dépasser ces pouvoirs devenus « classiques ». Ainsi, le Sénat de transition du Burundi est chargé de contrôler la représentativité des corps constitués et de prévoir les phénomènes d'exclusion : le Sénat approuve la nomination des hauts fonctionnaires au service de la défense, de la justice et à la tête des administrations provinciales. Le Sénat de transition de la République démocratique du Congo dont les membres ont été choisis par chacune des composantes du Dialogue intercongolais, est chargé d'élaborer l'avant projet de constitution qui sera soumis au référendum.

b) Le pouvoir de nomination ou la stabilité des cadres de l'État

Au-delà des nominations des juges constitutionnels, les Sénats jouent un rôle important dans la désignation des hauts responsables de l'État. Ici encore, l'enjeu n'est rien d'autre que la stabilité de l'État. Deux modalités principales sont à distinguer : d'une part, la désignation directe, et, d'autre part, l'accord requis avant désignation par une autre autorité.

- La désignation directe par le Sénat est pratiquée par près d'un tiers des États : il s'agit, le plus souvent, des nominations de hauts fonctionnaires, civils, diplomates, militaires, magistrats. Le Sénat bolivien désigne ainsi les magistrats des Cours de districts, de la Cour nationale du travail et de la Cour nationale des mines. Il nomme, en réunion avec la Chambre des députés, les juges de la Cour suprême, les membres du Conseil de la magistrature, le Procureur général de la République, le Défenseur du Peuple. Il propose au Chef de l'État trois noms pour la désignation du Contrôleur général de la République et du Surintendant des banques. En Colombie, le Sénat nomme le Procureur général de la Nation. En Espagne, le Sénat propose au Roi la nomination de 4 des 20 membres du Conseil général du pouvoir judiciaire. En Roumanie, il nomme l'Avocat du peuple. En Russie, le Procureur général de la Fédération, les juges à la Cour constitutionnelle, à la Cour suprême, à la Haute cour d'arbitrage de la Fédération sont nommés par le Conseil de la Fédération sur proposition du Président de la Fédération.

- L'exigence d'un accord du Sénat pour certaines nominations est plus fréquente encore. Le cas américain est connu : l'accord du Sénat est indispensable pour la nomination, par le Président des États-Unis, des ministres, ambassadeurs, hauts fonctionnaires. Il en va de même en Argentine pour les juges des Cours fédérales, les diplomates et attachés commerciaux, les officiers supérieurs ; en Bolivie pour les officiers généraux, les diplomates ; au Brésil pour les magistrats, les membres du Tribunal des comptes, les gouverneurs des territoires, les président et directeur de la Banque centrale, le Procureur général.

c) Les pouvoirs juridictionnels des Sénats

Il est fréquent que les Sénats participent avec l'autre chambre, ou seuls, au jugement de certains hauts responsables de l'État. Selon les cas, son rôle est de mettre en accusation ou de juger, ou de procéder à l'une comme à l'autre de ces opérations.

Cette mission concerne très généralement le Chef de l'État, ou les membres du Gouvernement. Elle apparaît alors comme une variante aggravée de la mise en jeu de la responsabilité politique de l'exécutif, en particulier dans les régimes présidentiels. Tel est le cas aux États-Unis avec la procédure de l'impeachment, en Russie ou au Brésil.

Cependant, les pouvoirs juridictionnels des Sénats peuvent aller bien au-delà et être assimilés, dans certains cas, à ceux des institutions judiciaires classiques. Le Sénat argentin peut ainsi juger le Président, le Vice-président, les membres du Gouvernement, mais aussi les juges de la Cour suprême. En Bolivie, le Sénat juge le Président de la Cour supérieure de justice et le Procureur général de la République. Au Chili, cette compétence est étendue aux officiers généraux, aux intendants et gouverneurs. En Colombie, peuvent être jugés par le Sénat, outre le Président de la République, les magistrats de la Cour constitutionnelle, de la Cour suprême de justice et du Conseil d'État, les membres du Conseil supérieur de la magistrature et le Fiscal général de la Nation. Des pouvoirs proches sont confiés aux Sénats du Paraguay, de l'Uruguay, de la République dominicaine. Il est donc possible de déceler un "modèle" sud-américain caractérisé par des pouvoirs étendus de jugement confiés au Sénat.

Notons toutefois que ce modèle n'est pas limité à l'Amérique du Sud. D'autres États, sur d'autres continents, s'en rapprochent. Au Kazakhstan, le Sénat est compétent pour priver de leur immunité le Procureur général ainsi que les membres de la Cour suprême.

d) Le contrôle de la politique gouvernementale par les Sénats

Le contrôle de la politique gouvernementale est une fonction essentielle des Parlements. Les secondes chambres l'ont exercé rapidement, au même titre que les premières. Ce contrôle s'effectue grâce à des moyens désormais classiques : le travail des commissions permanentes, la possibilité de poser des questions au gouvernement et le droit d'en obtenir des réponses, la faculté de créer des commissions d'enquête.

Mais, au delà de ces instruments largement répandus et utilisés, les années récentes ont vu une prise de conscience du rôle particulier que les secondes chambres peuvent jouer en ce domaine. Moins directement soumises à l'actualité politique, à la pression gouvernementale et à l'influence des partis, elles ont fréquemment une indépendance qui leur rend plus aisée une critique des politiques gouvernementales. Cette critique, d'ailleurs, n'est pas nécessairement négative mais peut s'inscrire dans une démarche constructive d'évaluation et de prospective.

C'est ainsi, pour prendre quelques exemples, que le suivi de la construction européenne par le Comité de législation européenne de la Chambre des Lords britannique est très apprécié. En Allemagne, par sa connaissance naturelle et structurelle des länder, le Bundesrat joue un rôle essentiel dans le respect des équilibres régionaux et des pouvoirs des länder face à l'État central. Dans le domaine des affaires européennes, les pouvoirs du Bundesrat ont connu une sensible évolution. C'est ainsi, par exemple, que lorsque la réglementation à examiner sur l'Union européenne touche les compétences des länder, le Chef de la délégation allemande au Conseil de l'Union doit être un ministre de land désigné par le Bundesrat.

Le Sénat français a innové aussi en matière de contrôle. Ainsi organise-t-il depuis 1972 un contrôle régulier de l'application réglementaire des lois. Ainsi participe-t-il, avec l'Assemblée nationale, au développement de l'évaluation de la législation et des politiques publiques notamment par la voie d'offices parlementaires. Ainsi, dans le domaine européen, a-t-il pris l'initiative de créer une antenne permanente auprès des institutions de l'Union européenne.

* * *

En conclusion de ce rapide survol, trois constats s'imposent :

- la grande hétérogénéité de la composition et des fonctions des Sénats ou Secondes Chambres, tout d'abord, qui contraste avec l'homogénéité des systèmes monocaméraux. C'est que "les Sénats sont de remarquables révélateurs des tensions profondes qui animent les divers pays" 17(*) en même temps que la seule technique permettant de les prendre en compte ;

- le bicamérisme nécessite une nouvelle approche : souvent perçu comme un "plus" constitutionnel, un luxe que seuls les États riches peuvent s'offrir, le bicamérisme est, en réalité, la condition nécessaire d'une démocratie parlementaire achevée car lui seul permet l'indispensable représentation de la réalité nationale dans ses diverses composantes. Par cette mission de représentation, mais aussi par les pouvoirs qui sont fréquemment confiés aux Sénats, le bicamérisme garantit une stabilité et une légitimité aux cadres institutionnels. Osons un constat simplificateur, et même provocateur : sans bicamérisme, la démocratie est encore en devenir...

- le regain du bicamérisme, en définitive, n'a rien de mystérieux : il est le système adapté aux sociétés complexes, que cette complexité soit traditionnelle ou moderne. Et de par sa souplesse et son caractère évolutif, il est seul à même de prendre en compte l'une ou l'autre de ces complexités, et d'assurer le passage de l'une à l'autre. Oui, le bicamérisme, décidément, est une idée d'avenir.

Mode de désignation des Sénats
et Secondes Chambres du monde

Sénats élus en totalité

Sénats partiellement
élus et nommés

Sénats

Scrutin
direct

Scrutin
indirect

Scrutin
mixte

Scrutin
direct

Scrutin
indirect

nommés

1)

Cambodge

Canada

Congo (Kinshasa) (1)

Fidji (Iles)

Grenade

Jamaïque

Jordanie

Lesotho

Royaume-Uni

Sainte-Lucie

Trinité-et-Tobago

Yémen

20

14

2

2

16

18


* 1 Par commodité, nous retiendrons les appellations de Sénat ou de Seconde Chambre pour évoquer la généralité des chambres hautes.

* 2 Cette réflexion est en cours notamment au Liban, ainsi qu'en Oman, au Kenya et au Pérou.

* 3 Par exemple, le Cameroun, la Géorgie, le Tchad.

* 4 La République populaire de Chine connaît néanmoins, à côté de l'Assemblée Nationale populaire, une assemblée dénommée "Conférence consultative politique du Peuple Chinois".

* 5  cf. compte rendu intégral des débats du 14 mars 2000, publié dans les actes du Forum des Sénats du Monde (publication du Sénat, avril 2000).

* 6 Article XVI de la Déclaration des Droits de l'Homme et du citoyen de 1789 : "Toute société dans laquelle la garantie des Droits n'est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution".

* 7 C'est le cas, pour ne prendre que quelques exemples, en Australie, en Bolivie, au Japon, au Mexique, en Pologne, au Brésil, en Suisse, aux Etats-Unis.

* 8 Par ailleurs, certains membres de la famille royale sont membres de droit du Sénat belge.

* 9 C'est le cas des Sénats de transition du Burundi et du Congo Kinshasa jusqu'à l'installation des nouvelles institutions du pays.

* 10 C'est le cas de la Thaïlande dont le Sénat a été élu au suffrage universel pour la première fois en mars 2000 ainsi que du Cambodge dont le parlement a adopté la loi électorale pour le Sénat en juin 2005.

* 11 La composition de la Chambre des Lords est actuellement l'objet d'une réforme.

* 12 Cet effectif s'établira à 346 en 2010 en application de la réforme de 2003 pour répondre à l'évolution démographique du territoire.

* 13 Cf. supra

* 14 Les nominations à vie d'anciens Présidents de la République qui portent sur de très faibles effectifs, ne sont pas prises en compte (ex. : Italie).

* 15 Le plus souvent, les circonscriptions électorales des Sénats coïncident avec celles des collectivités territoriales (ex. : Pologne).

* 16 L'article 40 de la Constitution française interdit les amendements et propositions des parlementaires qui auraient pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l'aggravation d'une charge publique.

* 17 Pascale Delfosse et Jean-Pierre Duprat - "Des Sénats" - Revue Internationale de politique comparée - Volume 6 - n° 1 - p. 7.

* (1) Sénat de transition. Jusqu'à l'installation des nouvelles institutions du pays.