Sommaire
Présidence de Mme Nathalie Delattre
Secrétaires :
Mme Françoise Férat, M. Joël Guerriau.
création d’un ministère de la protection civile
Question n° 163 de M. Jean-Baptiste Blanc. – Mme Sonia Backès, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargée de la citoyenneté.
Question n° 074 de Mme Céline Boulay-Espéronnier. – Mme Sonia Backès, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargée de la citoyenneté.
modalités protocolaires de la mise en berne des drapeaux lors de deuils officiels
Question n° 096 de Mme Jocelyne Guidez. – Mme Sonia Backès, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargée de la citoyenneté ; Mme Jocelyne Guidez.
limites capacitaires des sapeurs-pompiers en france
Question n° 161 de M. Rémy Pointereau. – Mme Sonia Backès, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargée de la citoyenneté.
refonte nécessaire de l’octroi de mer pour lutter contre la vie chère
Question n° 003 de Mme Victoire Jasmin. – Mme Sonia Backès, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargée de la citoyenneté ; Mme Victoire Jasmin.
trafic transfrontalier de produits agricoles en provenance de la zone frontalière
Question n° 093 de M. Christian Klinger. – Mme Sonia Backès, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargée de la citoyenneté ; M. Christian Klinger.
accroissement du nombre de sociétés fantômes et de la fraude documentaire
Question n° 108 de M. Jérôme Bascher. – Mme Sonia Backès, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargée de la citoyenneté ; M. Jérôme Bascher.
financement des frais de scolarité d’élèves issus de centres d’accueil de demandeurs d’asile
Question n° 104 de Mme Anne-Catherine Loisier. – Mme Sonia Backès, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargée de la citoyenneté ; Mme Anne-Catherine Loisier.
situation des communes littorales face à la conversion de logements en résidences secondaires
Question n° 149 de M. Didier Marie. – M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie ; M. Didier Marie.
coût exorbitant de l’électricité pour les entreprises
Question n° 135 de M. Philippe Tabarot. – M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie ; M. Philippe Tabarot.
résiliation unilatérale des contrats d’énergie par les fournisseurs
Question n° 007 de M. Christian Redon-Sarrazy. – M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie ; M. Christian Redon-Sarrazy.
télétravail des travailleurs frontaliers
Question n° 019 de Mme Patricia Schillinger. – M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie.
nouvelle taxe d’aménagement pour les petites communautés de communes
Question n° 158 de M. Pierre Louault. – M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie.
nécessaire préservation de la recette fiscale de la taxe d’aménagement pour les communes
Question n° 168 de M. Max Brisson. – M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie ; M. Max Brisson.
devenir des conseillers numériques
Question n° 126 de Mme Martine Filleul. – M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie ; Mme Martine Filleul.
référentiel applicable aux communes classées stations de tourisme
Question n° 065 de Mme Martine Berthet. – M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie ; Mme Martine Berthet.
Suspension et reprise de la séance
dispositif médical implantable de stérilisation féminine définitive essure
Question n° 106 de Mme Catherine Deroche. – Mme Dominique Faure, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de la ruralité ; Mme Catherine Deroche.
perspectives d’évolution du centre hospitalier régional metz-thionvillle
Question n° 114 de M. Jean Louis Masson. – Mme Dominique Faure, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de la ruralité.
remboursement des nouveaux médicaments antimigraineux
Question n° 064 de Mme Valérie Boyer. – Mme Dominique Faure, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de la ruralité ; Mme Valérie Boyer.
développement du métier d’infirmier en pratique avancée
Question n° 109 de Mme Véronique Guillotin. – Mme Dominique Faure, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de la ruralité ; Mme Véronique Guillotin.
Question n° 062 de M. Laurent Somon. – Mme Dominique Faure, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de la ruralité.
projet d’implantation d’éoliennes à vay en loire-atlantique
Question n° 099 de Mme Laurence Garnier. – Mme Dominique Faure, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de la ruralité ; Mme Laurence Garnier.
Question n° 026 de Mme Catherine Morin-Desailly. – Mme Dominique Faure, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de la ruralité ; Mme Catherine Morin-Desailly.
montant dérisoire des aides accordées aux communes à la suite des inondations
Question n° 131 de M. Laurent Burgoa. – Mme Dominique Faure, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de la ruralité ; M. Laurent Burgoa.
forte augmentation du prix des granulés de bois
Question n° 088 de Mme Laurence Rossignol. – Mme Dominique Faure, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de la ruralité.
conséquences d’éventuelles coupures d’électricité hivernales
Question n° 164 de Mme Laure Darcos. – Mme Dominique Faure, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de la ruralité ; Mme Laure Darcos.
Question n° 133 de Mme Annick Billon. – Mme Dominique Faure, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de la ruralité ; Mme Annick Billon.
indemnité de sujétion géographique des enseignants affectés à saint-barthélemy
Question n° 081 de Mme Micheline Jacques. – Mme Dominique Faure, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de la ruralité ; Mme Micheline Jacques.
système de mutations inefficace dans l’éducation nationale
Question n° 107 de M. Serge Mérillou. – Mme Dominique Faure, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de la ruralité ; M. Serge Mérillou.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE Mme Valérie Létard
3. Transformer l’essai de l’innovation : un impératif pour réindustrialiser la France. – Débat sur les conclusions du rapport d’une mission d’information
Mme Vanina Paoli-Gagin, rapporteur de la mission d’information
M. Roland Lescure, ministre délégué
M. Christian Redon-Sarrazy, président de la mission d’information
Suspension et reprise de la séance
4. Quelle place donner aux acteurs du médico-social dans l’organisation des soins de demain sur nos territoires ? – Débat organisé à la demande du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants
Mme Patricia Schillinger, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants
M. Dominique Théophile ; Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé.
Mme Michelle Meunier ; Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé ; Mme Michelle Meunier.
Mme Laurence Cohen ; Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé ; Mme Laurence Cohen.
Mme Jocelyne Guidez ; Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé ; Mme Jocelyne Guidez.
M. Jean-Claude Requier ; Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé.
Mme Catherine Deroche ; Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé.
Mme Colette Mélot ; Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé.
Mme Victoire Jasmin ; Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé ; Mme Victoire Jasmin.
M. Olivier Henno ; Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé.
Mme Béatrice Gosselin ; Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé ; Mme Béatrice Gosselin.
Mme Michelle Meunier ; Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé.
M. Philippe Mouiller ; Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé ; M. Philippe Mouiller.
Mme Annie Delmont-Koropoulis ; Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé ; Mme Annie Delmont-Koropoulis.
Mme Annick Petrus ; Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé.
M. Hugues Saury ; Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé ; M. Hugues Saury.
M. Xavier Iacovelli, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants
compte rendu intégral
Présidence de Mme Nathalie Delattre
vice-présidente
Secrétaires :
Mme Françoise Férat,
M. Joël Guerriau.
1
Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Questions orales
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions orales.
création d’un ministère de la protection civile
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Baptiste Blanc, auteur de la question n° 163, adressée à M. le ministre de l’intérieur et des outre-mer.
M. Jean-Baptiste Blanc. Madame la secrétaire d’État, je souhaite profiter de l’occasion qui m’est donnée de m’exprimer dans cet hémicycle pour rendre un hommage appuyé aux sapeurs-pompiers, aux militaires, aux élus, aux policiers et aux gendarmes qui, tout l’été, ont lutté ardemment contre les feux de forêt, dans des conditions extrêmement difficiles, comme chacun le sait, avec un sang-froid et un professionnalisme qui ont fait honneur à la France.
Permettez-moi également de saluer l’excellent rapport d’information de nos collègues Bacci, Loisier, Martin et Rietmann, Feux de forêt et de végétation : prévenir l’embrasement. Il faut, à coup sûr, faire de ce rapport une lecture de chevet !
Cette terrible et longue saison de feux de forêt que nous avons connue a montré le besoin d’une profonde réorganisation du dispositif français de gestion des crises et des situations d’urgence, ainsi que d’une évolution de notre modèle de sécurité civile. En effet, ces crises, fréquentes, hybrides et complexes, ont mis en évidence l’urgence, de décloisonner l’action publique, d’accroître la coordination interministérielle de développer l’anticipation et la planification et de réarmer l’État.
Je me félicite donc de l’annonce du Président de la République, qui souhaite convoquer les acteurs des départements touchés pour revoir le modèle de prévention et de lutte contre les incendies.
Je pense que l’annonce de la création d’un ministère de la protection civile ou, à défaut, d’un secrétariat d’État, sous la tutelle du ministère de l’intérieur, pourrait mettre en valeur cet objectif. Cela permettrait de regrouper et de coordonner au sein d’un même ministère l’action de tous les services dédiés à la prévention, à la prévision des risques et à la réponse aux crises de toute nature.
Les événements passés nous ont montré que les crises exigent des compétences précises, des savoir-faire et des pratiques déterminés, ainsi qu’un maillage territorial resserré.
Outre qu’il servirait cet objectif d’unification et de coordination de la protection civile, ce ministère permettrait de structurer l’action publique pour renforcer la résilience nationale, notamment en appréhendant d’une manière globale le déploiement d’une culture citoyenne des risques de protection civile ; je pense au développement du volontariat et à l’éducation des jeunes à la résilience.
Madame la secrétaire d’État, ne croyez-vous pas que l’annonce de la création d’un tel ministère démontrerait votre volonté d’agir vite et fort ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Sonia Backès, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargée de la citoyenneté. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur Jean-Baptiste Blanc, le ministère de l’intérieur et des outre-mer est le ministère de la sécurité des Français, celui du quotidien et de la gestion des crises. Il est donc nécessairement et naturellement celui de la sécurité civile.
À ce titre, il assure depuis toujours le pilotage de cette politique publique essentielle, dont il est le garant. Pour ce faire, il s’appuie prioritairement, au niveau central, sur la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises et, au niveau local, sur son réseau territorial animé par les préfets.
Dans ce cadre, le ministère de l’intérieur et des outre-mer agit et protège, en coopération étroite avec les acteurs locaux, au premier rang desquels les collectivités territoriales. Il est au plus près des réalités de terrain et prend en compte la spécificité de chaque territoire hexagonal et ultramarin.
Par conséquent, le ministère de l’intérieur et des outre-mer est parfaitement armé et dispose de l’ensemble des ressources et compétences utiles pour agir efficacement.
Pour autant, l’action qu’il mène intègre fondamentalement la dimension interministérielle. Tous les ministères concernés par la politique de sécurité civile sont des partenaires du quotidien, avec lesquels un travail continu, riche et approfondi est conduit chaque jour, qu’il s’agisse de l’élaboration, de l’animation, de la mise en œuvre ou de l’évaluation de la politique de sécurité civile.
Il s’agit, du reste, d’une dimension essentielle pour la réussite de cette politique, comme l’a bien montré la gestion de la crise sanitaire, au cours de laquelle l’action centrale du ministère de l’intérieur et des outre-mer s’est toujours inscrite dans une coordination interministérielle forte.
climat d’insécurité régnant sur le campus de l’école supérieure des sciences économiques et commerciales à cergy
Mme la présidente. La parole est à Mme Céline Boulay-Espéronnier, auteure de la question n° 074, adressée à M. le ministre de l’intérieur et des outre-mer.
Mme Céline Boulay-Espéronnier. Je souhaite attirer l’attention de M. le ministre de l’intérieur et des outre-mer sur le climat d’insécurité qui s’est installé depuis plusieurs années sur le campus de l’école supérieure des sciences économiques et commerciales, l’Essec, situé à Cergy.
D’après les témoignages des étudiants, les agresseurs, qui agissent en groupe, sont souvent armés. Les attaques sont récurrentes, ce qui crée – vous l’imaginez bien, mes chers collègues – un grand climat d’inquiétude.
Des solutions temporaires ont été trouvées par les étudiants ; ainsi, dès qu’un incident a lieu, des messages de prévention sont publiés. Ce dispositif est nommé « Essafe ».
Du côté de l’administration, plusieurs mesures ont été prises : renforcement de la sécurité sur le campus grâce à la présence de 26 agents employés par l’école, mise en place d’un système de navettes école-résidence pour raccompagner les étudiants en sécurité, ou, plus récemment, pose de 150 caméras de vidéosurveillance.
Si ces mesures sont louables et semblent pour l’instant montrer leur efficacité, cette situation demeure invivable : elle ne peut durer. Il convient de rétablir un environnement propice au travail. Pour la sécurité des étudiants et l’attractivité de cette prestigieuse école, des mesures fortes et efficaces sur le long terme sont attendues, à destination des étudiants, de leurs parents et des professeurs.
En conséquence, je souhaite savoir quelles mesures vous comptez mettre en place pour, enfin, faire cesser cette situation insupportable à vivre pour les étudiants et rétablir l’environnement propice au travail que ces jeunes méritent.
Je pose cette question orale, car mes différentes questions écrites, ces derniers mois, sont demeurées sans réponse du ministre de l’intérieur.
Entre-temps, j’ai appris, au début de l’été dernier, qu’un protocole avait été signé entre l’école et la préfecture du Val-d’Oise pour renforcer les dispositifs de surveillance. Pouvez-vous m’indiquer, madame la secrétaire d’État, ce qu’il en est ? Et pouvez-vous, en cette rentrée, vous engager à résoudre définitivement le problème ?
Mme la présidente. Vous avez raison, ma chère collègue, de pointer le problème de l’absence de réponse à nos questions écrites…
La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Sonia Backès, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargée de la citoyenneté. Madame la sénatrice, la sécurité quotidienne de nos compatriotes est une priorité du Gouvernement depuis le précédent quinquennat. Cette ambition va se poursuivre avec la prochaine présentation, devant votre assemblée, d’un ambitieux projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi).
D’ici à 2027, quelque 8 500 policiers et gendarmes supplémentaires seront recrutés, dont près de 3 000 dès l’an prochain.
À Cergy, comme partout sur le territoire, les hommes et les femmes de la police nationale sont mobilisés au quotidien sur le terrain. Je tiens à saluer leur engagement. Le commissariat de Cergy a mis en œuvre plusieurs dispositifs qui ont entraîné une baisse de 40 %, en quatre ans, du nombre de vols violents commis. Cependant, la police nationale ne peut tout résoudre seule.
À cet égard, je tiens à souligner le si important et dense travail partenarial mené entre la police municipale et l’Essec. Un groupe de partenariat opérationnel (GPO) dédié au secteur Coteaux-Grand Centre, auquel participent des représentants de l’Essec, se réunit régulièrement. La création d’un GPO spécifiquement consacré à l’Essec est également à l’étude.
La police nationale travaille de longue date en partenariat avec l’Essec. Elle est associée par exemple à la charte du vivre-ensemble de la ville de Cergy, élaborée en 2018. De plus, à chaque rentrée scolaire, le commissariat de Cergy dispense une session de prévention au profit des étudiants de l’Essec. Grâce à un financement de l’école, douze vélos électriques ont été livrés au commissariat en septembre dernier : ils permettront aux policiers de patrouiller plus facilement dans le quartier.
Des travaux sont en cours avec la mairie, afin de développer la vidéoprotection dans le secteur. Essec, police et préfecture élaborent actuellement un protocole qui leur permettra de consolider leur coordination, et d’intensifier la présence policière sur le terrain.
En outre, des réservistes de la police nationale seront déployés dans le secteur, à partir de la mi-octobre 2022.
Vous voyez, madame la sénatrice, que nous sommes pleinement mobilisés.
modalités protocolaires de la mise en berne des drapeaux lors de deuils officiels
Mme la présidente. La parole est à Mme Jocelyne Guidez, auteure de la question n° 096, adressée à M. le ministre de l’intérieur et des outre-mer.
Mme Jocelyne Guidez. Madame la secrétaire d’État, je souhaite attirer votre attention sur les modalités protocolaires de la mise en berne des drapeaux lors de deuils officiels.
Actuellement, la mise en berne des drapeaux n’est réglementée que par le seul décret n° 89-655 du 13 septembre 1989 relatif aux cérémonies publiques, préséances, honneurs civils et militaires, à l’article 47, lequel prévoit que « lors du décès du Président de la République, les drapeaux et étendards des armées prennent le deuil ; les bâtiments de la flotte mettent leurs pavillons en berne ».
Il est regrettable qu’aucune disposition législative ou réglementaire n’en détermine les conditions. En pratique, il appartient au Premier ministre, par l’intermédiaire du secrétariat général du Gouvernement, de donner des instructions aux ministres, en vue de la mise en berne des drapeaux lors de deuils officiels. Un message est ensuite adressé à tous les préfets, qui sont chargés de veiller au respect de ces instructions. Le ministre de l’intérieur dispose du pouvoir de suspendre un maire en cas de refus de procéder au pavoisement.
En raison de l’absence de normes, la mise en berne occasionnelle des drapeaux français et européen suscite parfois l’incompréhension de nos concitoyens.
Elle peut particulièrement être perçue comme intempestive par notre monde combattant, pour qui il convient de préserver et de réglementer cette valeur commémorative et honorifique. Très sensibles aux hommages nationaux rendus à leurs frères d’armes tombés au champ d’honneur et morts pour la France, nos militaires souhaiteraient que tous les services de l’État mettent leurs drapeaux en berne le jour de l’hommage national aux Invalides.
Je souhaiterais savoir, madame la secrétaire d’État, si le Gouvernement entend réglementer la mise en berne des drapeaux, qui représente le deuil de notre République ? Quelles sont les raisons de la différenciation protocolaire dans le cadre des instructions émanant du Gouvernement ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Sonia Backès, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargée de la citoyenneté. Madame la sénatrice, l’article 2 de la Constitution de 1958 indique que « l’emblème national est le drapeau tricolore, bleu, blanc, rouge ».
Aucune disposition législative ou réglementaire ne détermine les conditions de pavoisement des bâtiments publics, hormis l’article 3 de la loi n° 2013-595 du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République, qui dispose que « la devise de la République, le drapeau tricolore et le drapeau européen sont apposés sur la façade des écoles et des établissements d’enseignement du second degré publics et privés sous contrat ».
En revanche, suivant la tradition républicaine, le Premier ministre, par l’intermédiaire du secrétariat général du Gouvernement, donne des instructions aux ministres pour le pavoisement des bâtiments et édifices publics, lors des journées de célébration des fêtes nationales et commémoratives, à l’occasion de la réception de chefs d’État étrangers ou pour la mise en berne des drapeaux lors de deuils officiels.
Cette directive est également rappelée dans la circulaire que la secrétaire d’État auprès du ministre des armées adresse aux préfets de tous les départements à l’occasion des onze journées nationales.
Dans ce cadre, le pavoisement des édifices publics est obligatoire. Le ministre de l’intérieur dispose du pouvoir de suspendre le maire en cas de refus de procéder au pavoisement, en vertu de l’article L. 2122-16 du code général des collectivités territoriales.
Le pavoisement doit être effectif pendant toute la journée de commémoration officielle ; aussi, il est conseillé d’y procéder la veille au soir et de retirer les drapeaux le lendemain de la cérémonie. Cette disposition pratique explique la mention parfois portée dans les circulaires s’agissant des journées « précédant et suivant la date de la cérémonie ».
Les monuments aux morts constituent des ouvrages publics appartenant au patrimoine des communes et relevant comme tels de la responsabilité des municipalités. Il est rappelé par ailleurs qu’un maire peut prendre l’initiative du pavoisement ou de la mise en berne pour les bâtiments communaux, hors des dispositions législatives et réglementaires rappelées ci-dessus.
Mme la présidente. La parole est à Mme Jocelyne Guidez, pour la réplique.
Mme Jocelyne Guidez. Je vous remercie, madame la secrétaire d’État. Vous connaissez bien votre leçon, vous avez très bien lu !
En fin de compte, vous me répondez que chacun fait ce qu’il veut, comme il veut et quand il veut. Cela me paraît quelque peu étonnant, surtout quand vous parlez de sanction si la mise en berne n’a pas lieu. Voilà qui est contradictoire !
J’entends votre réponse, qui ne me satisfait pas. À mon avis, quand la perte d’un soldat en opération extérieure (Opex) est à regretter, il est dommage que le drapeau ne soit pas mis en berne dans nos communes.
limites capacitaires des sapeurs-pompiers en france
Mme la présidente. La parole est à M. Rémy Pointereau, auteur de la question n° 161, adressée à M. le ministre de l’intérieur et des outre-mer.
M. Rémy Pointereau. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’intérieur. Elle a trait à nos soldats du feu.
Dois-je rappeler le courage et la solidarité dont ont fait preuve les services départementaux d’incendie et de secours (Sdis) de France pour affronter un été hors normes, rythmé par les feux de forêt ? Permettez-moi de réitérer mes félicitations aux nombreux groupes d’intervention feux de forêt, dont celui du Cher, qui se sont rendus dans le Sud-Ouest ; je songe notamment, madame la présidente, à ceux qui sont partis en Gironde. Leur mobilisation a été sans faille et exemplaire.
Malgré cela, les Sdis de France sont confrontés à d’importants problèmes, qui doivent vous être exposés, madame la secrétaire d’État, dans l’espoir que nous trouvions ensemble des solutions.
Le premier d’entre eux est lié à la multiplication des interventions. En effet, nous demandons à nos pompiers de combler la désertification médicale. Dans mon département, les trois quarts des transports qu’ils effectuent concernent des urgences relatives. Or, nous le savons, leurs interventions doivent être avant tout orientées vers les urgences vitales. Nous ne pouvons pas demander à nos pompiers de remplacer les services ambulanciers ; c’est pourtant ce qui se passe ! Je souhaite donc connaître les intentions du Gouvernement à ce sujet.
Le second problème touche à l’engagement. Nous connaissons tous la crise de l’engagement volontaire ; pourtant, dans certains secteurs, le volontariat demeure primordial, comme dans les secours civils. Nous n’ignorons pas les objectifs de la Fédération nationale des pompiers ; les attentes pour le Cher sont d’environ 300 volontaires supplémentaires.
Aussi, je souhaite savoir ce que compte faire le Gouvernement pour aider la fédération nationale des pompiers à atteindre ses objectifs.
Madame la secrétaire d’État, allez-vous mettre en place dans le prochain projet de loi de finances (PLF) des incitations ? Je pense à l’instauration d’une réduction de cotisations patronales pour les entreprises et administrations en contrepartie de la disponibilité de leurs employés exerçant en tant que sapeurs-pompiers volontaires, comme le recommande le Sénat dans son récent rapport Feux de forêt et de végétation : prévenir l’embrasement.
Mme la présidente. Mon cher collègue, je m’associe vivement à vos remerciements. Nos pompiers ont en effet été d’un grand secours dans le département de la Gironde. Je vous sais gré de leur avoir exprimé au travers de votre question toute notre gratitude.
La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Sonia Backès, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargée de la citoyenneté. Madame la présidente, monsieur le sénateur, en premier lieu, je m’associe évidemment aux remerciements que vous avez tous les deux adressés à nos pompiers, en raison des événements de cet été.
Cette année, la saison des feux a été d’une ampleur remarquable. Elle a mis notre modèle de sécurité civile sous tension, même si, comme vous l’avez noté, il a tenu.
La loi n° 2021-1520 du 25 novembre 2021 visant à consolider notre modèle de sécurité civile et valoriser le volontariat des sapeurs-pompiers et les sapeurs-pompiers professionnels, dite loi Matras, précise dans son article 54 : « Le Gouvernement remet au Parlement, avant le 1er janvier 2023, un rapport portant sur le financement des services départementaux et territoriaux d’incendie et de secours ».
L’inspection générale de l’administration a été saisie, le 1er février 2022, d’une mission sur le financement des centres d’incendie et de secours. Son rapport, très attendu, devrait être remis dans les prochains jours. Il doit permettre de présenter différentes options, qui seront étudiées avec attention.
Face à des risques de plus en plus complexes et récurrents, l’État a mis en place dès 2019 des pactes capacitaires, afin d’entamer une démarche de renforcement et de mutualisation entre les centres d’incendie et de secours. La Lopmi prévoit par ailleurs une ouverture de crédits à hauteur de 30 millions d’euros sur cinq ans pour le financement de ces pactes capacitaires.
Au sujet des moyens humains, il est clair que le recrutement de sapeurs-pompiers professionnels ou volontaires reste un défi : il n’existe pas de recettes simples. De multiples actions conjuguées pourront nous permettre d’être au rendez-vous.
La loi Matras a permis des avancées essentielles qui doivent encourager les recrutements, notamment pour permettre une gestion en ressources humaines plus souple, non contrainte. Elle a aussi permis que les sapeurs-pompiers soient désormais protégés par la loi au même niveau que les policiers ou les gendarmes.
Alors que, en dix ans, 5 000 sapeurs-pompiers volontaires ont pu être recrutés, l’objectif de relever de 10 % en cinq ans ces effectifs pourrait être atteint. Je sais pouvoir compter sur vous, mesdames, messieurs les sénateurs, pour nous aider à y parvenir.
refonte nécessaire de l’octroi de mer pour lutter contre la vie chère
Mme la présidente. La parole est à Mme Victoire Jasmin, auteure de la question n° 003, adressée à M. le ministre délégué auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer.
Mme Victoire Jasmin. Madame la secrétaire d’État, l’article 45 de la loi n° 2004-639 du 2 juillet 2004 relative à l’octroi de mer précise que « par exception aux dispositions du 1° du I de l’article 267 et du 1° de l’article 292 du code général des impôts […], l’octroi de mer et l’octroi de mer régional ne sont pas compris dans la base d’imposition de la taxe sur la valeur ajoutée ». Or cette disposition n’est pas appliquée.
Quelles mesures entendez-vous prendre afin de mettre en œuvre une évolution des paramètres de l’octroi de mer pour renforcer le bouclier qualité-prix dans les territoires ultramarins et maintenir les ressources des collectivités, dans un contexte de diminution des dotations par l’État ?
L’octroi de mer est devenu au fil des années un imbroglio législatif dont les Ultramarins sont victimes. Déterminée et fixée par les collectivités, cette taxation varie en fonction des produits, dans une fourchette allant de 1 % à 60 % de la valeur. Au sein d’une même catégorie de produits, il existe une multiplicité de cas de figure.
Au quotidien, cette taxe censée protéger les territoires d’outre-mer de l’importation de produits à bas coûts, dits « de dégagement », a montré ses limites dans les conditions de son application actuelle.
Créée à l’origine pour faciliter le développement endogène des territoires ultramarins en favorisant la production locale, cette taxe spécifique est devenue une source de financement très importante du budget des collectivités, tout en étant indirectement l’une des causes de la cherté de la vie pour les produits de première nécessité.
Madame la secrétaire d’État, que comptez-vous mettre en œuvre pour améliorer la situation ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Sonia Backès, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargée de la citoyenneté. Madame la sénatrice, pour répondre à la hausse constatée des prix, le soutien du pouvoir d’achat est une priorité du Gouvernement. Il fait à ce titre l’objet des premiers projets de loi votés en juillet 2022 et de mesures qui s’appliquent pleinement dans les outre-mer.
Outre la remise sur le prix du carburant, financée par l’État, peuvent être notamment citées la prime exceptionnelle de rentrée, d’un montant de 100 euros par foyer, majoré de 50 euros par enfant, et la revalorisation des aides sociales. Versées sous condition de ressources, ces aides bénéficient à de nombreux Ultramarins, dont les revenus sont en moyenne plus faibles que ceux de nos concitoyens vivant dans l’Hexagone.
Pour tenir compte de ce contexte plus défavorable, des mesures ont aussi été adaptées pour les outre-mer : l’évolution des loyers y est davantage plafonnée qu’en métropole, et 19 millions d’euros ont été mis à la disposition des préfets pour des aides alimentaires.
Pour limiter les effets de l’inflation, une démarche, dite Oudinot du pouvoir d’achat, a été engagée par mes collègues MM. Jean-François Carenco et Gerald Darmanin. Elle a pour ambition d’étendre le bouclier qualité-prix à davantage de produits et de trouver un accord afin de modérer les prix de quelques produits de grande consommation.
La lutte contre la vie chère dans les outre-mer ne se limite pas à toutes ces mesures conjoncturelles, destinées à soutenir le pouvoir d’achat des ménages à la suite du retour de l’inflation. En effet, l’écart des prix entre les départements et régions d’outre-mer (Drom), d’une part, et la métropole, d’autre part, a été estimé en 2015 par l’Insee entre 7 % et 13 % ; cette fourchette varie selon les Drom, mais prend en compte l’ensemble des produits, ainsi que les spécificités de la consommation ultramarine. Assis sur le prix des biens, l’octroi de mer alimente la dynamique des prix.
Comme le Président de la République s’y est engagé lors de sa campagne, une refonte de l’octroi de mer sera menée. Elle visera trois objectifs complémentaires : conforter le financement des collectivités locales, soutenir la production locale et diminuer les prix grâce à une réduction de la fiscalité.
Mme la présidente. La parole est à Mme Victoire Jasmin, pour la réplique.
Mme Victoire Jasmin. Madame la secrétaire d’État, je vous entends.
Je voudrais cependant attirer votre attention sur la problématique de la souveraineté alimentaire. Actuellement, les agriculteurs doivent choisir entre leur production et l’installation d’éoliennes sur leurs terrains agricoles, sachant que ces derniers ne sont pas forcément utilisables à cause du chlordécone…
Des choix doivent être faits par les services de l’État en ce qui concerne la commission départementale de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF), de sorte que les agriculteurs aient plus de chances d’améliorer la vie de leurs concitoyens. Car, même si la souveraineté doit aussi être énergétique, les éoliennes ne se mangent pas !
trafic transfrontalier de produits agricoles en provenance de la zone frontalière
Mme la présidente. La parole est à M. Christian Klinger, auteur de la question n° 093, adressée à M. le ministre délégué auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé du commerce extérieur, de l’attractivité et des Français de l’étranger.
M. Christian Klinger. Ma question s’adresse à M. le ministre en charge du commerce extérieur, car j’espère pouvoir compter sur son action pour défendre l’agriculture française, en particulier sa capacité exportatrice.
Depuis quelques semaines, en Alsace, particulièrement dans la zone dite des trois frontières, l’inquiétude est grande. Depuis 1938, un accord entre la France et la Confédération helvétique permet aux maraîchers français de ce territoire frontalier de vendre tout naturellement leurs produits en Suisse, à proximité immédiate. La vente peut être effectuée au cours des marchés hebdomadaires ou viser l’approvisionnement des restaurants et des particuliers. Elle se déroule sans formalités et en franchise de douane. Il en va de même avec nos voisins allemands depuis 1958.
Ces accords et échanges commerciaux garantissent une offre de produits alimentaires régionaux. Au quotidien, ils mettent en lumière le fait que ce secteur est un bassin de vie dépassant les frontières nationales.
Malheureusement, un nouveau règlement suisse risque, à compter du 1er janvier 2023, de remettre en cause ces relations établies de longue date. Pour de nombreux producteurs de produits agricoles de la zone frontalière, les conséquences seraient sévères : diminution de la clientèle, perte de recettes, voire fermetures d’entreprises. Actuellement, près de 200 producteurs frontaliers ont été identifiés comme fortement affectés par cette décision.
Que comptez-vous faire pour défendre nos producteurs locaux ? Quel avenir leur réservez-vous ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Sonia Backès, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargée de la citoyenneté. Monsieur le sénateur, dans le cadre d’un contrôle global, l’office fédéral de la douane et de la sécurité des frontières (OFDF) a constaté que des marchandises du trafic de marché étaient importées en Suisse en franchise de redevances, alors qu’elles ne répondaient pas aux dispositions des accords frontaliers. Une directive plus précise devait alors garantir, à partir du 1er janvier 2021, que le trafic de marché dans la zone frontière se déroule conformément à la loi.
Cette nouvelle directive a suscité beaucoup de réactions. Après différents entretiens avec le canton de Bâle-Ville et sur le fondement d’un avis de droit de l’université de Bâle, l’OFDF a examiné une nouvelle fois ses bases juridiques de manière approfondie.
Pour les importations depuis l’Allemagne, la tolérance appliquée jusqu’à présent pour les quantités supplémentaires et les marchandises non couvertes par l’accord ne sera plus accordée en raison de l’absence de base juridique.
En ce qui concerne les importations depuis la France, les livraisons de légumes effectuées par les producteurs de la zone frontière en franchise de redevances aux gros consommateurs, tels que les restaurants, hôtels et établissements de soins, restent possibles, dans le cadre des quantités allouées à la vente sur les marchés.
Les livraisons aux revendeurs ne seront plus admises que sous paiement de droits de douane réduits, conformément à l’annexe 4 de l’accord frontalier. Les légumes importés pour la vente sur le marché depuis la zone frontière de dix kilomètres pourront toutefois continuer à être admis en exemption de taxe et en procédure simplifiée, dans les limites prévues par les accords.
La nouvelle directive est une mise en conformité avec les bases légales, qui n’ont pas été modifiées. Cette directive adaptée a fait l’objet de discussions, à de nombreuses reprises, avec les représentants du canton de Bâle-Ville. Des séances d’information sont prévues à Bâle à l’automne 2022, au cours desquelles les nouvelles réglementations seront explicitées.
Les autorités françaises mettent tout en œuvre pour garantir aux producteurs agricoles de la zone frontalière un accès équitable au marché suisse.
Mme la présidente. La parole est à M. Christian Klinger, pour la réplique.
M. Christian Klinger. Je vous remercie de votre réponse, madame la secrétaire d’État.
Je note que les producteurs locaux ont été en partie écoutés. Néanmoins, les quantités que vous mentionniez sont relativement faibles. Il faudrait continuer à échanger avec la Confédération helvétique sur ce sujet, afin que nous puissions défendre nos producteurs locaux, fâcheusement pénalisés par cette nouvelle directive.
Il ne faudrait pas que le poids administratif et les lourdeurs du dédouanement soient plus lourds que le poids de la cagette qui va être livrée à nos confrères suisses…
accroissement du nombre de sociétés fantômes et de la fraude documentaire
Mme la présidente. La parole est à M. Jérôme Bascher, auteur de la question n° 108, adressée à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Jérôme Bascher. Depuis le 1er janvier 2022, il est possible de créer de manière totalement dématérialisée une entreprise. Si l’initiative est tout à fait louable, car elle facilite grandement les démarches, un problème nouveau, signalé par les greffiers des tribunaux de commerce, se pose : la multiplication des faux documents et l’impossibilité dorénavant pour ces mêmes greffiers de vérifier l’authenticité des pièces.
Le corollaire, bien entendu, est l’existence de fraudes. Il ne s’agit pas, en effet, d’effectuer une fraude documentaire pour le plaisir… Elles proviennent de personnes soumises à une interdiction de création d’entreprise ; à ce titre, elles sont répertoriées par le fichier national des interdits de gérer, lequel a été mis en place il y a de nombreuses années, bien avant l’actuel gouvernement.
On observe des escroqueries, notamment aux aides d’État, mais également des entreprises fantômes. De même, on constate des fraudes quant au capital social. En effet, les entreprises doivent déclarer à leur création quels sont les fonds à leur disposition sur un compte bancaire ; elles disposent à cette fin d’un vrai-faux papier fourni par leur banque… Le problème est que l’on ne peut pas vérifier son exactitude.
Il existe également le cas classique du changement de siège social. Pourquoi pose-t-il problème ? Parce que les services de l’État, partout sur le territoire, ne contrôlent pas socialement et fiscalement les entreprises de la même façon. Aussi, lorsqu’un contrôle fiscal vous vise dans votre département, vous changez le siège social de votre société : peut-être celle-ci sera-t-elle moins scrutée ailleurs… Or les fichiers ne se parlent pas, madame la secrétaire d’État. C’est un sujet majeur.
Je sais que, depuis le décret du 19 juillet 2022 relatif au registre national des entreprises et portant adaptation d’autres registres d’entreprises, il vous est possible de fournir une assistance, afin de procéder à de telles vérifications. Pouvez-vous nous en dire davantage ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Sonia Backès, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargée de la citoyenneté. Monsieur le sénateur, à l’occasion de chaque demande d’immatriculation au registre du commerce et des sociétés (RCS), les greffiers des tribunaux de commerce réalisent plusieurs contrôles portant sur les informations déclarées et les pièces justificatives produites.
Plusieurs mesures ont été récemment mises en place afin de renforcer la lutte contre la fraude documentaire dans le cadre des créations d’entreprises. Comme vous l’indiquiez, ces dispositions ont été insérées dans le décret n° 2022-1014 du 19 juillet 2022 relatif au registre national des entreprises et portant adaptation d’autres registres d’entreprises.
En premier lieu, le contrôle effectué par les greffiers des tribunaux de commerce en amont de l’immatriculation des entreprises au RCS a été renforcé par deux mesures.
D’une part, une disposition autorise désormais les greffiers à vérifier la validité des pièces d’identité produites à l’appui d’une demande d’immatriculation, en consultant la base Docverif, laquelle répertorie les documents d’identité délivrés par les autorités françaises, ainsi que leur caractère valide ou non. Cette vérification s’opère en conformité avec l’obligation légale formulée au premier alinéa de l’article R. 123-95 du code de commerce. Cette mesure permet de faire obstacle à la création de sociétés au moyen de pièces d’identité falsifiées ou usurpées.
D’autre part, l’article R. 123-84-1 du code de commerce permet aux greffiers de solliciter des justificatifs complémentaires « lorsqu’il existe un doute sur l’authenticité de la pièce produite ou lorsque sa valeur probante est insuffisante ».
En second lieu, le nouveau mécanisme instauré aux articles R. 123-125-1 et R. 123-136-1 du code de commerce permet aux greffiers de radier d’office une entreprise lorsqu’il apparaît que son immatriculation a été réalisée par la production d’une pièce justificative ou d’un acte irrégulier.
Ces dispositions renforcent le contrôle des greffiers postérieurement à l’immatriculation des entreprises et permettent d’anéantir l’existence juridique de sociétés immatriculées à l’aide de faux documents.
Mme la présidente. La parole est à M. Jérôme Bascher, pour la réplique.
M. Jérôme Bascher. Madame la secrétaire d’État, je connais ces dispositions. Le problème, c’est que les deux tiers des pièces d’identité sont étrangères et qu’elles ne sont pas vérifiées.
Peut-être faudrait-il mieux prendre en compte la réalité, plutôt que de se focaliser sur ce qui a déjà été fait !
M. Philippe Tabarot. Bravo !
financement des frais de scolarité d’élèves issus de centres d’accueil de demandeurs d’asile
Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier, auteure de la question n° 104, adressée à Mme la secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargée de la citoyenneté.
Mme Anne-Catherine Loisier. Madame la secrétaire d’État, je souhaite attirer votre attention sur le financement des frais de scolarité des élèves issus des centres d’accueil de demandeurs d’asile (Cada).
De nombreux Cada ont été ouverts lors de la crise migratoire, en 2016. Les préfets ont été missionnés dans nos territoires pour la création de places d’hébergement supplémentaires.
En Côte-d’Or, un Cada d’une capacité d’accueil de 65 réfugiés a été ouvert à Rouvray, petite commune de 500 habitants, en zone de revitalisation rurale, qui tente de surmonter des difficultés économiques et sociales importantes.
Pour couvrir ces charges supplémentaires, la commune a perçu une aide de l’État de 1 000 euros par réfugié la première année. La demande d’indemnisation présentée en 2020, correspondant à la création de neuf places supplémentaires en 2019, est restée sans réponse.
À ce jour, le financement de la scolarité des enfants de ce Cada repose donc entièrement sur le budget de cette petite commune. La part des dépenses liées aux frais de scolarité de ces élèves depuis la rentrée de 2016 s’élève à plus de 92 000 euros, soit près de 20 000 euros de charges annuelles supplémentaires depuis six ans.
Il s’agit d’une somme colossale pour une petite commune qui n’a pas les ressources nécessaires pour absorber un tel cumul de charges et qui ne peut continuer à assumer cette dépense sans créer de déficit ou sans obérer ses projets d’aménagement.
Avez-vous prévu la mise en place d’une indemnisation annuelle systématique qui permettrait à ces communes accueillant des demandeurs d’asile de faire face aux frais de scolarité induits ? De même, avez-vous prévu une application rétroactive de ces dotations ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Sonia Backès, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargée de la citoyenneté. Madame la sénatrice, la Cada de Rouvray accueille aujourd’hui exclusivement des familles de demandeurs d’asile, conformément à la demande de la maire de la commune. Les services de l’État ont toujours respecté cet engagement.
Depuis son ouverture, entre 30 et 35 enfants du Cada fréquentent chaque année l’école primaire de la commune. Ces effectifs ont d’ailleurs permis d’ouvrir une classe supplémentaire avec l’affectation d’une enseignante spécialisée dans l’apprentissage du français comme langue étrangère.
Je suis consciente que la charge financière n’est pas négligeable pour les communes concernées. C’est la raison pour laquelle l’État est bien engagé à leurs côtés pour les aider à y faire face. Les charges liées à l’accueil en Cada et à la scolarisation des enfants sont ainsi prises en compte dans la répartition de la dotation globale de fonctionnement (DGF). La commune de Rouvray bénéficie d’une attribution importante, supérieure de 61 % à la moyenne de sa strate – 228 euros par habitant contre 142 euros en moyenne.
Par ailleurs, les frais de cantine et des activités périscolaires sont acquittés par les parents, et lorsque ces derniers ne sont pas en mesure de s’en acquitter, ils sont pris en charge par le gestionnaire du Cada, de même que les frais de fournitures scolaires.
En ce qui concerne les frais de sortie scolaire, les parents sont mis à contribution jusqu’à 5 euros. Il n’y a aucuns frais de transport pour les enfants fréquentant l’école primaire de la commune, située en face du Cada. Pour les collégiens et les lycéens, les frais de transport sont pris en charge par la collectivité qui en a la compétence.
Vous pouvez compter sur mon engagement à poursuivre les discussions avec les élus locaux sur la question de l’accueil des réfugiés.
Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier, pour la réplique.
Mme Anne-Catherine Loisier. Madame la secrétaire d’État, je vous remercie de vous pencher en urgence sur ce sujet.
En effet, s’il revient désormais aux communes accueillantes d’assumer les frais de scolarité, cela va poser problème. À tout le moins, il faut arrêter de placer des réfugiés dans des communes en grande difficulté économique et sociale.
situation des communes littorales face à la conversion de logements en résidences secondaires
Mme la présidente. La parole est à M. Didier Marie, auteur de la question n° 149, adressée à M. le ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie.
M. Didier Marie. Monsieur le ministre, de nombreuses communes, situées sur les littoraux ou dans les zones montagneuses, soit dans les zones à fort potentiel touristique, doivent faire face à l’accroissement d’un phénomène démographique et urbanistique : la conversion de nombreux logements en résidences secondaires.
Ce phénomène est particulièrement pénalisant pour les communes concernées, qui subissent une inflation du coût des logements et ainsi un exode de la population locale. Il s’agit notamment de jeunes ménages qui n’ont pas les moyens de s’y installer.
De manière logique, cette fuite des populations affaiblit l’ensemble de la commune, que ce soit par la diminution des effectifs dans les classes, les pénuries de main-d’œuvre ou encore les conséquences économiques sur le commerce local. Les communes se trouvent donc privées de ce dynamisme et ont de grandes difficultés à maintenir des services publics, particulièrement en dehors des périodes touristiques.
L’un des outils de régulation qui reste à leur disposition est l’augmentation de la taxe d’habitation sur les résidences secondaires. Toutefois, la loi imposera aux communes, à partir de 2023, d’augmenter dans la même proportion la taxe sur les résidences secondaires et celle sur le foncier bâti. Les foyers modestes, mais propriétaires de leur logement, seraient alors pénalisés par une telle décision et par cette corrélation.
Ainsi, comme l’a récemment proposé un collectif de maires du Val de Saire, la décorrélation entre la taxe d’habitation et la taxe sur le foncier bâti paraît être une solution pertinente pour endiguer le phénomène continu d’augmentation de résidences secondaires et ainsi participer à la revitalisation des communes concernées.
Monsieur le ministre, pouvez-vous m’indiquer la position du Gouvernement sur cette décorrélation, ainsi que les mesures budgétaires que vous comptez entreprendre pour répondre à cet enjeu ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie. Monsieur le sénateur Marie, avec d’autres parlementaires, notamment à l’Assemblée nationale, vous nous alertez sur la situation financière des communes littorales et à fort potentiel touristique, confrontées à une importante conversion de logements en résidences secondaires.
Comme vous le savez, la suppression par étapes de la taxe d’habitation sur les résidences principales s’est accompagnée de la mise en place d’un schéma de compensation à l’euro près et dynamique.
Par ailleurs, les locaux qui ne sont pas affectés à l’habitation principale restent soumis à la taxe d’habitation – c’est le cas des résidences secondaires.
De plus, les communes situées en zones dites « tendues », caractérisées par un déséquilibre marqué entre l’offre et la demande de logements, peuvent, par délibération, majorer d’un pourcentage compris entre 5 % et 60 % la part de la cotisation de taxe d’habitation due au titre de ces locaux leur revenant.
Dans ces conditions, si l’attrition de logements affectés à l’habitation principale peut entraîner des difficultés d’accès au logement dans certaines communes littorales, ses conséquences ne nuisent pas aux ressources fiscales de ces mêmes communes. Celles qui assistent à une forte conversion des résidences principales en résidences secondaires sur leur territoire peuvent même, si elles relèvent d’une zone tendue, bénéficier d’un surplus de recettes fiscales résultant de la taxe d’habitation et de son éventuelle majoration.
Par ailleurs, conscient des difficultés d’accès au logement dans les communes faisant face à une tension immobilière, le Gouvernement travaille à une révision des critères de définition des zones tendues, pour y répondre rapidement et de façon ciblée, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2023.
Mme la présidente. La parole est à M. Didier Marie, pour la réplique.
M. Didier Marie. Monsieur le ministre, vous ne m’avez pas répondu sur la décorrélation.
Ces communes, déjà fortement fragilisées par les conséquences de la crise sanitaire sur la fréquentation touristique, rencontrent aujourd’hui des difficultés financières majeures dans un contexte de crise de l’énergie et d’explosion de l’inflation.
La résolution de ce problème contribuerait au maintien de leur dynamisme et de leurs recettes fiscales. J’invite le Gouvernement à y réfléchir de nouveau.
coût exorbitant de l’électricité pour les entreprises
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Tabarot, auteur de la question n° 135, adressée à M. le ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie.
M. Philippe Tabarot. Monsieur le ministre, avec un prix de l’électricité sur le marché de gros qui a franchi les 1 000 euros par mégawattheure, les entreprises françaises se retrouvent dans une situation économique inédite d’asphyxie financière.
Face à l’envolée des coûts de l’énergie, de très nombreuses entreprises, dont certaines sont aujourd’hui contraintes de réduire leur activité, et des milliers d’emplois sont en péril.
Dans le secteur des entreprises intermédiaires, par exemple, le coût actuel de l’énergie aboutirait à une augmentation des charges pouvant aller jusqu’à 1,5 milliard d’euros par an.
À l’heure où la reconquête de souveraineté est impérative, nous ne pouvons nous résoudre à voir des pans entiers de notre industrie fermer.
Les aides mises en place par votre gouvernement sont loin d’être à la hauteur pour les entreprises et les collectivités territoriales. En outre, celles-ci ne peuvent attendre la réforme du marché européen ou l’instauration exceptionnelle d’un hypothétique tarif réglementé d’urgence. Elles ne peuvent non plus se contenter de faire confiance à leurs propres mesures de limitation de la consommation, aussi efficaces soient-elles.
Dès lors, monsieur le ministre, comment comptez-vous leur venir en aide, car la situation devient urgente ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie. Monsieur le sénateur Tabarot, je partage vos inquiétudes, relayées par nombre d’entreprises, notamment industrielles, dans les territoires.
Dès l’année dernière, comme vous le savez, le Gouvernement avait mis en place un certain nombre de mesures pour contrer la hausse prévisible des tarifs de l’énergie.
Toutefois, les prix ayant connu des hausses dénuées de tout sens cet été, nous nous retrouvons aujourd’hui dans une situation particulièrement tendue, malgré les dispositifs déjà déployés – bouclier tarifaire pour les petites entreprises, baisse de la fiscalité sur l’électricité, surplus d’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh), etc.
Le Gouvernement s’est saisi de cette urgence et travaille d’arrache-pied, à trois niveaux, pour trouver des solutions. À l’échelon européen, un accord a été trouvé pour mettre en place un tarif plafonné des prix de production. Les recettes supplémentaires qui en résulteront pour l’État nous permettront d’aider les entreprises.
Au niveau national, nous adaptons les critères du fonds de soutien aux entreprises, dit Ukraine, pour le rendre plus flexible et plus ambitieux dans ses montants. En outre, Bruno Le Maire, Agnès Pannier-Runacher, Olivia Grégoire et moi-même avons signé hier matin, avec les distributeurs d’énergie, une charte pour leur permettre d’être plus transparents, plus prévisibles et plus à l’écoute de leurs clients, afin de mieux les accompagner dans cette période difficile.
Enfin, à l’échelon local, j’ai mobilisé l’ensemble des commissaires au redressement productif (CRP) et l’ensemble des fonctionnaires territoriaux, pour qu’ils soient au plus près des entreprises, y compris pour les accompagner dans le cadre des négociations avec les fournisseurs d’énergie.
L’essentiel se joue à l’échelon européen. Nous travaillons à faire baisser les prix de l’énergie dès cette fin d’année. Le Conseil européen à venir et les sommets qui vont suivre nous permettront, je l’espère, d’atteindre les résultats escomptés.
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Tabarot, pour la réplique.
M. Philippe Tabarot. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le ministre.
Pour autant, les Français comprennent aujourd’hui avec exaspération à quel point notre souveraineté énergétique a été déconstruite par le couple François Hollande-Emmanuel Macron et à quel point notre héritage patrimonial nucléaire, que l’on pensait insubmersible et gage de notre force, a été bradé sur l’autel d’arrangements politiciens, pour de la rente électorale passée.
Votre majorité a fait, naguère, le choix du renoncement au nucléaire. Les Français payent « cash » aujourd’hui la note de cet affaiblissement. Rien ne vient pallier aujourd’hui, quels que soient vos efforts, le manque d’investissements dans le nucléaire que vous aviez choisi à l’époque.
résiliation unilatérale des contrats d’énergie par les fournisseurs
Mme la présidente. La parole est à M. Christian Redon-Sarrazy, auteur de la question n° 007, adressée à M. le ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie.
M. Christian Redon-Sarrazy. Monsieur le ministre, nous avons été alertés, dès ce printemps, par de nombreux chefs de petites entreprises, qui ont été avisés par leur fournisseur, plusieurs mois avant la date contractuelle, de la résiliation unilatérale de leur contrat de fourniture d’énergie, ainsi que de l’impossibilité, malgré des relances répétées, d’obtenir une offre de la part d’autres fournisseurs.
Le motif invoqué, dans un contexte qui augurait d’une future tension extrême sur le marché de l’énergie, semble être une notation insuffisante, établie par des experts, quant à la santé financière de leur établissement au regard, en particulier, de leur niveau d’endettement.
La renégociation des contrats ou la signature de nouveaux contrats s’appuie en effet sur l’analyse des bilans, à ce stade généralement « covidés » et sous prêts garantis par l’État (PGE). Cette situation a donc un effet pervers pour les entreprises, en affectant notamment leur capacité d’emprunt. S’y ajoute un chiffre d’affaires en baisse compte tenu de la conjoncture économique. On se trouve alors face un faisceau de critères très pénalisants pour ces structures.
De nombreuses communes de Haute-Vienne connaissent le même type de difficultés. Si la continuité d’approvisionnement semble avoir pu être assurée, c’est uniquement au prix de solutions boiteuses.
L’opacité et la complexité des offres tarifaires des différents fournisseurs d’énergie obligent en effet, en dernier recours, à passer par des courtiers en énergie, ce qui entraîne un surcoût pour les clients concernés. Il n’y a donc pas de rupture d’approvisionnement, mais on assiste à une singulière prise en otage des PME et PMI et des collectivités locales.
Dans un contexte économique de plus en plus difficile, les clients attendent des mesures d’urgence pour rétablir l’égalité d’accès à l’énergie.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie. Monsieur le sénateur Redon-Sarrazy, nous faisons face à un choc de l’énergie structurel pour notre économie. Comme je l’ai souligné, le Gouvernement travaille pour en limiter au maximum les effets.
Nous avons nous aussi été alertés sur ces difficultés. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles nous avons convoqué les distributeurs d’énergie à Bercy, hier matin, et signé la charte que j’ai déjà évoquée.
Les fournisseurs d’énergie qui ont eu ces comportements abusifs ont, au fond, manqué à l’essentiel, à savoir à leur devoir de conseil et d’accompagnement de leurs clients dans une situation extrêmement difficile. Ils ont eu parfois des comportements exagérés, par le biais de convocations, d’envois d’e-mails, de lettres recommandées qui ne laissaient aucun autre choix à leurs clients, entreprises et collectivités territoriales, que de poursuivre leur contrat, en dépit de hausses de prix absolument faramineuses.
La charte que nous avons signée hier comporte 25 engagements très concrets, dont l’anticipation du renouvellement des contrats, pour éviter que des PME ne se retrouvent obligées de signer dans des conditions commerciales dégradées, l’engagement ferme des fournisseurs à fournir une offre à tous leurs clients et l’engagement des fournisseurs à fournir une offre à une date et à une heure convenue à l’avance, pour que l’entreprise puisse faire jouer la concurrence.
Par ailleurs, avec Bruno Le Maire, j’ai proposé aux fournisseurs d’énergie de garantir une partie des contrats, pour éviter que le fournisseur, ne croyant pas en la capacité de l’entreprise à payer sa facture, ne sorte du contrat et ne prive cette entreprise d’un accès au service public essentiel de l’énergie.
Vous le voyez, nous avons pris à cœur les alertes que vous relayez aujourd’hui. La charte signée hier et la garantie du ministère devraient permettre de pacifier les relations entre les distributeurs d’énergie et leurs clients, même si nous demeurons dans un environnement complexe et extrêmement volatil.
Mme la présidente. La parole est à M. Christian Redon-Sarrazy, pour la réplique.
M. Christian Redon-Sarrazy. Monsieur le ministre, il faut mettre en place une rétroactivité pour permettre à ceux qui ont été obligés de signer l’été dernier de revenir sur les éléments tarifaires. Des hausses de 260 % du prix du gaz ou de 500 % du coût de l’électricité ne sont acceptables ni pour les collectivités ni pour les particuliers ! (Mme Victoire Jasmin approuve.)
Télétravail des travailleurs frontaliers
Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Schillinger, auteure de la question n° 019, adressée à M. le ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie.
Mme Patricia Schillinger. Monsieur le ministre, face à la crise sanitaire, il a fallu développer des solutions pour permettre aux citoyens et à notre économie de s’adapter aux confinements successifs.
La pandémie a ainsi accéléré le développement du télétravail. Depuis lors, cette organisation du travail est synonyme, pour bon nombre de nos concitoyens, d’amélioration de la qualité de vie et de bien-être au travail. Mieux encore, à l’heure où le prix du carburant pèse lourdement sur le pouvoir d’achat des Français et où l’urgence climatique exige de limiter l’usage des énergies fossiles, le développement du télétravail fait sens.
La capacité des travailleurs frontaliers exerçant en Suisse à travailler chez eux était jusqu’à présent limitée en raison des règles sociales et fiscales encadrant le travail frontalier.
En effet, fiscalement, le télétravail effectué en France pour le compte d’un employeur suisse est imposable en France. Aussi, dans les cantons où l’impôt est prélevé à la source, les employeurs suisses se réfugient derrière le code pénal, qui leur interdit de percevoir un impôt pour le compte d’un État étranger, et refusent toute heure de télétravail aux frontaliers.
En ce qui concerne le volet social, le droit européen fixe à 25 % le seuil au-delà duquel un frontalier peut exercer une activité salariée dans son pays de résidence. Au-delà, son employeur suisse devra s’acquitter des cotisations sociales en France.
Du fait de la crise sanitaire, la France et la Suisse ont conclu un accord amiable permettant de lever ces obstacles, accord reconduit à plusieurs reprises depuis lors. Tandis que ce dernier doit prendre fin au 31 décembre prochain, des négociations sont en cours en vue de pérenniser la possibilité de télétravailler des frontaliers exerçant en Suisse.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous indiquer où en sont ces négociations ? Ces frontaliers peuvent-ils espérer les améliorations sociales et fiscales qui leur permettront un recours accru au télétravail au-delà du 31 décembre prochain ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie. Madame la sénatrice Schillinger, je vous remercie de votre question, qui reprend les interrogations de nombre de parlementaires frontaliers.
Comme vous le savez, 300 000 à 400 000 de nos concitoyens travaillent outre-frontière, et le télétravail, vous l’avez souligné, se développe énormément.
En ce qui concerne la fiscalité, la question posée n’est pas celle d’un alignement impérieux sur les règles sociales que vous avancez. Au contraire de l’assujettissement aux cotisations sociales, les règles relatives à l’imposition de ces revenus ne font l’objet d’aucune coordination au niveau européen, car elles relèvent du droit interne de chaque État et des conventions bilatérales en vigueur.
Par nature, le télétravail n’est pas empêché par le fait que les revenus associés seraient imposés en France plutôt qu’en Suisse. Pour lever les difficultés que poserait le prélèvement d’une retenue à la source pour le compte de la France par les employeurs étrangers, nous proposons une mesure de simplification dans le projet de loi de finances pour 2023, afin de prélever l’impôt par acompte contemporain, sans intervention de l’employeur.
Votre demande va plus loin et supposerait une concession unilatérale et sans compensation. Nous ne pensons pas que ce soit souhaitable. Pour autant, les deux États discutent actuellement d’une solution que nous espérons pérenne et équilibrée, c’est-à-dire respectueuse également des intérêts budgétaires de la France – je suis de Bercy, on ne se réinvente pas ! (Sourires.) Nous espérons aboutir avant le 31 octobre 2022, date à laquelle la tolérance, que nous avons prolongée en dépit de la fin de la pandémie, cessera.
En ce qui concerne la sécurité sociale, lorsque l’activité est exercée sur le territoire d’au moins deux États membres, la législation sociale applicable est celle de l’État de résidence.
Pendant la crise sanitaire, et sur le fondement de la force majeure, une période de flexibilité a été mise en place en faveur des télétravailleurs depuis leur État de résidence.
Cette période a été prolongée jusqu’au 31 décembre 2022. Là encore, une réflexion est en cours au niveau européen sur les conséquences du télétravail sur les règles de coordination des systèmes de sécurité sociale. À cet effet, la commission administrative pour la coordination des systèmes de sécurité sociale a mis en place un groupe ad hoc, dont la France est membre.
nouvelle taxe d’aménagement pour les petites communautés de communes
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Louault, auteur de la question n° 158, adressée à M. le ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie.
M. Pierre Louault. Monsieur le ministre, ma question s’adressait initialement à la ministre déléguée chargée des collectivités territoriales.
Alerté par les élus locaux d’Indre-et-Loire, je me permets d’attirer votre attention sur le nouveau fonctionnement de la taxe d’aménagement communale.
Si le financement est bon et l’objectif de la loi pertinent, la mise en pratique est à revoir. Comme vous le savez, ce sont aujourd’hui les mairies qui perçoivent la taxe d’aménagement. Ces dernières ont déjà la possibilité d’en reverser tout ou partie à l’EPCI en fonction des accords locaux.
La loi de finances pour 2022 modifie ce fonctionnement en mettant en place un reversement obligatoire du produit de la taxe d’aménagement des communes aux communautés de communes.
Si l’idée est la bonne, les EPCI étant en charge des plans locaux d’urbanisme intercommunaux (PLUi) et de certaines autres compétences comme les réseaux d’eau et d’assainissement, sa mise en œuvre place les communes et les communautés de communes dans une situation délicate.
En outre, les communes ont besoin d’une partie de cette taxe, dont le taux maximum est aujourd’hui de 5 %. Si une commune l’applique déjà, elle devra perdre tout ou partie du produit de ces 5 % pour le reverser à l’EPCI, ce qui grèvera ses recettes alors même qu’elle a aussi engagé des frais, notamment en matière de scolarisation ou de transport.
Une solution pourrait être envisagée avec la création d’une part intercommunale de la taxe d’aménagement, en complément de la partie communale, ce qui aurait le mérite d’une plus grande clarté.
Monsieur ministre, pouvez-vous nous dire ce que le Gouvernement entend faire pour surmonter cette situation difficile ? Il me semble que la solution proposée permettrait d’y parvenir sans engendrer de contentieux entre communes et communautés de communes…
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie. Monsieur le sénateur Louault, vous vouliez Caroline Cayeux, vous avez Roland Lescure, j’en suis bien désolé… (Sourires.)
Vous avez appelé mon attention sur la situation des établissements publics de coopération intercommunale auxquels, depuis le 1er janvier 2022, doit être reversé, totalement ou partiellement, le produit de la part communale de la taxe d’aménagement.
Vous considérez que cette nouvelle disposition place les EPCI dans une situation délicate, dans la mesure où ils devront négocier un montant de reversement avec leurs communes membres.
Je rappelle tout d’abord que c’est l’article 109, issu d’un amendement parlementaire, de la loi de finances pour 2022 qui a modifié les modalités de partage de la taxe d’aménagement entre les communes et leur EPCI, en le rendant obligatoire lorsque les communes perçoivent cette taxe.
En effet, depuis 2010, lorsque l’EPCI se substitue à ses communes membres pour instituer et percevoir la taxe d’aménagement, il doit leur reverser tout ou partie du produit, compte tenu de la charge des équipements publics relevant de leur compétence.
Pour instaurer un parallélisme des formes et pour une bonne adéquation entre les charges et les ressources, le législateur a souhaité s’assurer que les EPCI bénéficient bien d’une partie du produit de cette taxe, compte tenu également de la charge des équipements publics relevant de leurs compétences.
Les règles de ce partage, relativement souples, entre les communes et leurs intercommunalités, restent fonction des dépenses d’équipements engagées.
Toutefois, afin d’en faciliter l’appropriation, les services préfectoraux et les associations d’élus locaux ont été destinataires de toutes les informations utiles pour la détermination du montant de ces reversements. Le Gouvernement a également décidé, à titre exceptionnel, de reporter la date limite de délibération pour en fixer les modalités au 31 décembre de cette année. J’espère que ce délai supplémentaire permettra de répondre en partie à votre interrogation.
nécessaire préservation de la recette fiscale de la taxe d’aménagement pour les communes
Mme la présidente. La parole est à M. Max Brisson, auteur de la question n° 168, adressée à M. le ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie.
M. Max Brisson. Monsieur le ministre, ma question, qui s’inscrit dans le prolongement de celle de Pierre Louault, s’adressait aussi initialement à Mme Cayeux.
Actuellement, la taxe d’aménagement est exigible à la date de délivrance de l’autorisation d’urbanisme. Son versement peut s’effectuer en deux échéances : à douze mois, puis à vingt-quatre mois, soit au début du projet.
La loi de finances pour 2021 a modifié ce calendrier. C’est désormais la date d’achèvement des opérations qui s’impose, c’est-à-dire à la fin des travaux.
Ainsi, les collectivités territoriales se voient imposer un décalage dans le versement d’un impôt qui constituait jusqu’alors une recette d’investissement appréciable, car versée au moment où la collectivité supportait le coût des travaux d’aménagement.
De plus, si la loi laissait jusqu’alors la commune libre de reverser ou non une fraction du produit de la taxe d’aménagement à l’intercommunalité, la réforme rend désormais ce reversement obligatoire pour l’ensemble des communes ayant institué une taxe d’aménagement.
Face à ces mesures de calendrier et de reversement, les maires manifestent un sentiment d’incompréhension. Ils craignent d’assister au transfert progressif de la totalité du produit de cette taxe à l’intercommunalité et donc la disparition de cette recette de leur budget communal. Beaucoup nous disent y voir là le décalage entre un discours qui porte les maires aux nues et une réalité : un coup de canif supplémentaire sur les ressources des collectivités.
Monsieur le ministre, ma question est double : ne serait-ce pas un signe fort adressé aux collectivités locales que de rétablir le calendrier initial ou, a minima, d’établir une compensation pour que les collectivités puissent faire face à ce décalage dans le recouvrement de la taxe d’aménagement ? Ne serait-ce pas un signe fort adressé aux communes et aux maires que de rétablir le caractère facultatif du reversement d’une fraction de cet impôt à l’intercommunalité ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie. Monsieur le sénateur Brisson, même motif, même punition : vous parlez fiscalité, vous avez Bercy ; vous rêviez de Mme Cayeux, c’est avec moi que vous allez devoir composer. (Sourires.)
Vous craignez tout d’abord un décalage dans la perception des recettes des taxes d’urbanisme en raison du report de l’exigibilité des taxes à l’achèvement des travaux.
Je tiens à vous rassurer : les études réalisées en vue de cette réforme ont démontré l’absence de conséquences du décalage de l’exigibilité sur la trésorerie des collectivités locales pour près des trois quarts des montants recouvrés, compte tenu de l’accélération du recouvrement induit.
En effet, l’achèvement des projets de faible ampleur intervient majoritairement en moins de vingt-quatre mois, c’est-à-dire avant l’émission du second titre de perception dans le système antérieur.
Par ailleurs, le transfert permet une optimisation des modalités de liquidation des taxes en sus d’une dématérialisation du processus déclaratif, de la création d’un référentiel des délibérations des collectivités et de l’automatisation du calcul des taxes.
Toutefois, il est effectivement possible, en cas de très grands projets immobiliers s’étalant sur plusieurs années, que le reversement aux collectivités fasse l’objet d’un décalage. Pour cette raison, l’ordonnance du 14 juin dernier, relative au transfert à la direction générale des finances publiques (DGFiP) de la gestion de la taxe d’aménagement et de la part logement de la redevance d’archéologie préventive, crée, pour les constructions dont la surface est supérieure à 5 000 mètres carrés, un système d’acompte permettant de neutraliser ces effets.
Vous craignez enfin que la taxe d’aménagement soit insuffisamment contrôlée par les services de la DGFiP. Là aussi, soyez rassuré : les effectifs de la DGFiP ont été renforcés – 290 agents supplémentaires, issus des directions départementales, rejoindront ses services entre le 1er septembre 2022 et le 1er septembre 2024.
Le processus mis en œuvre pour la liquidation et le contrôle des taxes est particulièrement robuste. Il s’appuie sur l’unification des obligations déclaratives fiscales en matière de taxes d’urbanisme avec celles en vigueur en matière de taxes foncières, ce qui permet de profiter de l’expérience acquise pour la surveillance et la relance des redevables. La DGFiP s’appuiera également sur de nouveaux outils de vérification et de contrôle.
Mme la présidente. La parole est à M. Max Brisson, pour la réplique.
M. Max Brisson. Monsieur le ministre, vous vous appuyez sur des études de Bercy, nous nous appuyons sur le ressenti des maires, en particulier ceux des petites communes. Ce décalage les inquiète. Ils espèrent que ce reversement pourra redevenir facultatif et expriment leurs doutes sur la capacité de contrôle de la DGFiP.
devenir des conseillers numériques
Mme la présidente. La parole est à Mme Martine Filleul, auteur de la question n° 126, adressée à M. le ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie.
Mme Martine Filleul. Monsieur le ministre, j’ai été interpellée par Emmaüs Connect Lille, qui accompagne les personnes les plus isolées en agissant sur leur inclusion numérique.
Le constat est clair : malgré le déploiement de 4 000 conseillers numériques, le problème est toujours aussi prégnant.
Quels enseignements quantitatifs et qualitatifs en tirons-nous ?
Je salue la volonté du Gouvernement de doubler le nombre de conseillers numériques d’ici à la fin du quinquennat, pour le passer de 4 000 à 8 000.
Cependant, mis à part l’objectif final, le Gouvernement a très peu communiqué sur sa feuille de route pour y parvenir, ce qui suscite de nombreuses inquiétudes. Comment compte-t-il passer de 3 500 conseillers numériques effectifs aujourd’hui à 8 000 d’ici à 2027 ? Avec quelles orientations ?
Dans le cadre du projet de loi de finances pour 2023, une enveloppe de 44 millions d’euros est destinée au financement de la pérennisation des postes de conseillers numériques, afin, comme l’a déclaré le Gouvernement, de « continuer à financer, sur plusieurs années, ces postes ».
De combien d’années s’agit-il et avec quel statut ? Initialement financés par l’État pendant vingt-quatre mois, au maximum trente-six, quelle sera demain la durée du financement ? S’agira-t-il d’une prise en charge intégrale par l’État ?
Se pose également la question du maillage territorial. Là encore, que compte mettre en place le Gouvernement pour corriger la très inégale répartition des conseillers numériques sur le territoire français ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie. Madame la sénatrice, je vous remercie de m’interroger sur la pérennité du programme Conseiller numérique de France Services, qui, tout comme les maisons France Services, me tient à cœur. J’ai en effet la modeste satisfaction d’être à l’origine de cette idée, que j’ai suggérée au Président de la République, m’inspirant des maisons Service Canada, qui accompagnent de manière efficace les Canadiens dans leurs démarches administratives.
Ce programme est porté par la volonté du Président de la République et une enveloppe exceptionnelle de 250 millions d’euros a été engagée au sein du plan de relance.
Tout d’abord, je rappelle cette bonne nouvelle : ce dispositif ayant fait la preuve de son utilité sur tous les territoires – ce que vous avez souligné, madame la sénatrice –, la Première ministre a annoncé sa pérennisation.
Ensuite, au-delà des 44 millions d’euros que vous avez mentionnés, l’État engagera en réalité 72 millions d’euros l’année prochaine pour les conseillers numériques, si l’on prend en compte les contrats déjà en cours et ceux qui sont sur le point de commencer. Nous conservons donc notre ambition d’accompagnement des personnes éloignées des usages du numérique vers leur autonomie avec les outils et dans l’espace numérique.
Je peux d’ores et déjà vous indiquer que le Gouvernement a bien en tête les quelques structures – vous en avez mentionné une – demandant à être rassurées à court terme. Je parle ici des contrats qui se terminent dans les prochains mois. Dans les tout prochains jours, mes collègues Jean-Noël Barrot et Stanislas Guerini feront une proposition aux structures employeuses concernées par cette situation.
Sur les modalités d’utilisation des 44 millions d’euros dévolus aux conseillers numériques en 2023, le sujet des restes à charge employeurs est bien identifié. Le portage du contrat, la réévaluation des dotations selon les capacités de chacun ou le glissement progressif vers plus de mutualisation sont autant de pistes à l’étude.
Je rappelle enfin que Jean-Noël Barrot a annoncé, dans votre région, me semble-t-il, madame la sénatrice, une réactualisation de la Stratégie nationale pour un numérique inclusif. La définition de cette stratégie devra aboutir d’ici à la fin de l’année, en concertation avec les parties prenantes, notamment les collectivités et les associations. Jean-Noël Barrot a clairement exprimé à Lens sa volonté de voir émerger un modèle de financement qui permettra de former de nouvelles coalitions autour de ce grand enjeu d’inclusion numérique, qui doit embarquer toute la société, y compris le monde de l’entreprise.
Mme la présidente. La parole est à Mme Martine Filleul, pour la réplique.
Mme Martine Filleul. Monsieur le ministre, permettez-moi d’insister sur le fait que les collectivités et les structures qui hébergent des conseillers numériques ont vraiment besoin de prévisibilité et de visibilité au regard de la situation actuelle. De la même manière, les conseillers numériques ont besoin d’éclaircissements sur leur véritable statut.
Par ailleurs, il est temps d’avoir une politique publique d’État concernant la lutte contre l’illectronisme.
référentiel applicable aux communes classées stations de tourisme
Mme la présidente. La parole est à Mme Martine Berthet, auteure de la question n° 065, adressée à Mme la ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme.
Mme Martine Berthet. Monsieur le ministre, je souhaite revenir sur la modification du référentiel applicable aux communes classées « stations de tourisme » par l’arrêté ministériel du 16 avril 2019.
En effet, ce classement, défini par les articles L. 133-13 à L. 133-16 du code du tourisme, reconnaît pour douze ans les efforts fournis par les communes qui proposent une offre touristique d’excellence. Cette labellisation suppose de respecter des critères précis définis par l’arrêté ministériel du 2 septembre 2008. Pourtant, en 2019, un nouvel arrêté a modifié les conditions de classement et imposé la présence d’une pharmacie sur le territoire communal d’une station classée, alors que le référentiel prévoyait jusqu’alors seulement l’obligation d’une offre de soins à moins de vingt minutes.
Des communes déjà labellisées ne disposent pas d’une pharmacie. Elles ont mis en place des organisations locales, et cela n’a pas posé problème. Aussi, plusieurs d’entre elles ne pourront pas renouveler leur label en 2024, quand d’autres sont encore en attente de leur classement, et ce alors même que leur offre touristique correspond à l’ensemble des critères d’excellence demandés par l’arrêté de 2008, hormis celui d’une pharmacie sur leur sol.
Lors de mes échanges avec l’Association nationale des élus des territoires touristiques (Anett), l’ordre et les syndicats de pharmaciens, ainsi que le cabinet de Mme la Première ministre, nous avons évoqué le retour au critère de distance de vingt minutes pour les professionnels de santé, en particulier pour les pharmaciens, ou la possibilité, pour le maire, de prouver qu’une livraison de médicaments peut être effectuée en quelques heures pour sa population touristique, dans les conditions réglementaires.
Par ailleurs, une expérimentation est menée en Savoie par l’ordre des pharmaciens, avec la possibilité pour une pharmacie en bas de vallée d’avoir une annexe en station avec un adjoint durant la saison.
Aussi, monsieur le ministre, je souhaite savoir si le Gouvernement est prêt à revenir par décret sur l’arrêté ministériel du 16 avril 2019.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie. Madame la sénatrice, je vous livre la réponse d’Olivia Grégoire – c’est comme si c’était elle qui vous répondait ! Vous avez appelé l’attention du Gouvernement sur des difficultés liées au renouvellement du classement de certaines communes en « communes touristiques » au titre des articles L. 133-11 et suivants du code du tourisme. Le classement en « communes touristiques » traduit la reconnaissance par l’État des efforts accomplis par les communes pour structurer une offre touristique d’excellence sur leur territoire.
La dernière réforme du classement, en 2019, a eu pour objet de déconcentrer la procédure et de rationaliser les critères fixés par l’arrêté du 16 avril 2019. Lors de cette réforme, il a été décidé, en concertation avec l’Association nationale des élus des territoires touristiques et les élus adhérents, d’inscrire les services d’une pharmacie parmi les services de proximité obligatoirement présents sur le territoire de la commune prétendant au classement.
En effet, il a été estimé que les services d’une pharmacie constituaient une offre de service minimale, qui plus est dans les zones de montagne où les déplacements sont plus complexes qu’ailleurs et où la fréquentation touristique est plus forte en période hivernale, sans compter les problèmes de santé plus fréquents. Avec la crise sanitaire, la présence d’une officine facilement accessible est apparue comme un élément encore plus important pour les clientèles touristiques, et pas seulement pour les familles avec jeunes enfants, lesquelles étaient initialement ciblées pour justifier cette obligation.
Pour autant, l’impossibilité d’installer une pharmacie dans une commune de moins de 2 500 habitants peut créer un effet de bord qui risquerait de facto de rendre difficile l’accès de ces communes au classement.
Le Gouvernement partage dès lors vos inquiétudes. Ainsi, dès le mois d’octobre 2022, une concertation sera lancée sur la manière de faire évoluer le classement, tout en maintenant dans les territoires une offre d’excellence pour la clientèle touristique, dans l’optique d’aboutir à une révision au plus tard au début de l’année 2023.
Nul doute que vos propositions seront intégrées à ce travail, qui sera mené avec les élus, en lien notamment avec les services du ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, du ministère de la santé et de la prévention, du ministère de la cohésion des territoires et de l’Anett.
Mme la présidente. La parole est à Mme Martine Berthet, pour la réplique.
Mme Martine Berthet. Il suffit de considérer les pharmaciens pour ce qu’ils sont, à savoir des professionnels de santé, et d’en revenir au critère de vingt minutes auxquels sont assujettis les autres professionnels de santé.
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à onze heures quarante, est reprise à onze heures quarante-cinq.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
dispositif médical implantable de stérilisation féminine définitive essure
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Deroche, auteure de la question n° 106, adressée à M. le ministre de la santé et de la prévention.
Mme Catherine Deroche. Ma question s’adresse à M. le ministre de la santé et de la prévention. Nonobstant le respect que je vous dois, madame la secrétaire d’État, je suis un peu surprise que ce soit vous qui me répondiez, alors que vous êtes chargée de la ruralité. J’écouterai néanmoins votre réponse avec beaucoup d’attention.
Ma question concerne le dispositif médical implantable de stérilisation féminine définitive Essure.
Quatre ans après l’arrêté du 14 décembre 2018 limitant la pratique de l’acte d’explantation de dispositifs pour stérilisation tubaire Essure à certains établissements de santé et prévoyant un recueil d’informations relatif à l’acte d’explantation et après la mise en place plus récente d’un protocole d’explantation élaboré par le Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF), il se trouve que l’information à destination des femmes porteuses d’Essure et des professionnels de santé doit être largement renforcée.
Le réseau d’entraide, de soutien, d’informations sur la stérilisation tubaire, l’association Resist, dénonce aujourd’hui une situation sanitaire d’urgence pour les femmes souffrant de symptômes liés aux conséquences d’une mauvaise application du protocole d’explantation, comme la non-réalisation des imageries de contrôle préalable à l’intervention chirurgicale et la méconnaissance des risques liés à la casse de l’implant sur leur santé.
C’est pourquoi je souhaite savoir ce qu’il en est du projet de registre des femmes explantées permettant d’améliorer leur suivi et les connaissances scientifiques annoncé au mois de février 2022, de l’étude Ables sur l’amélioration des symptômes après ablation, enfin de la mise en place d’un parcours de soins conforme à l’arrêté de 2018.
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Dominique Faure, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de la ruralité. Madame la sénatrice Catherine Deroche, le ministre de la santé et de la prévention François Braun regrette de ne pouvoir être présent ce matin et m’a priée de vous fournir les éléments suivants.
Un comité de suivi des femmes porteuses du dispositif Essure a été mis en place par le ministère chargé de la santé au mois d’octobre 2017. Le ministère, en lien avec l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, la Haute Autorité de santé, le Collège national des gynécologues et obstétriciens français et les associations de patientes, a ainsi défini un plan d’action pour garantir la sécurité des conditions de retrait du dispositif lorsque cela est nécessaire et pour assurer une information complète des femmes concernées.
Celui-ci s’est réuni à cinq reprises depuis 2017. La mise en œuvre des différentes mesures du plan d’action a fait l’objet d’une présentation par les différents pilotes lors du comité de suivi du 25 janvier 2022 regroupant l’ensemble des acteurs concernés.
Deux documents d’information ont été mis à la disposition des femmes concernées par le dispositif Essure. Élaborés en collaboration avec l’association de patientes Resist et le Collège national des gynécologues et obstétriciens français, ils ont été conçus pour répondre aux questions que les femmes peuvent se poser au sujet du dispositif Essure et de son retrait. Ils constituent ainsi une aide à la prise de décision pour la patiente, notamment si un retrait du dispositif est envisagé.
Ces deux documents sont disponibles sur les sites du ministère de la santé et de la prévention, des associations de patientes et du CNGOF. Les documents d’information ont également fait l’objet d’une transmission auprès de plusieurs conseils nationaux professionnels, du Conseil national de l’ordre des médecins et du Conseil national de l’ordre des pharmaciens.
L’arrêté du 14 décembre 2018 limite la pratique de l’acte d’explantation de dispositifs pour stérilisation tubaire à certains établissements de santé. Il prévoit notamment que l’explantation du dispositif doit être réalisée conformément au protocole établi par le CNGOF.
Le suivi des patientes comporte un contrôle du retrait de la totalité de l’implant en postopératoire, un contrôle anatomopathologique de la pièce opératoire, une consultation de suivi postopératoire et un recueil exhaustif des informations relatives à l’explantation.
Dans le même temps, une communication large a été menée auprès des professionnels de santé.
Il est prévu par ailleurs la mise en place prochaine d’un registre de suivi des explantations, comme vous l’appelez de vos vœux, madame la sénatrice.
Ce registre est élaboré par le Collège national des gynécologues et obstétriciens français. Il est en cours de mise en place sur la plateforme de la Fédération des spécialités médicales, en lien avec le Conseil national professionnel de gynécologie et obstétrique.
Ce registre permettra, d’une part, de collecter, après anonymisation, les données individuelles des femmes relatives aux antécédents médicaux et chirurgicaux, aux effets secondaires présentés, à l’acte d’explantation, d’autre part, de suivre l’état de santé des femmes après explantation du dispositif.
Mme la présidente. Votre réponse est trop longue, madame la secrétaire d’État. Toutefois, le sujet étant important, je vous laisse finir, mais je ne vous accorderai pas de temps supplémentaire lors de vos prochaines réponses.
Mme Dominique Faure, secrétaire d’État. Je vous remercie, madame la présidente.
Concernant le protocole d’investigation clinique Ables, le ministère de la santé et de la prévention assurera le financement de cette étude pilotée par le professeur Gautier Chene, qui exerce aux Hospices civils de Lyon.
Il devrait s’agir d’une étude multicentrique prospective de l’amélioration des symptômes des femmes après ablation de l’implant contraceptif Essure.
Le projet de protocole est en cours de relecture par les parties prenantes, en vue de sa finalisation. À ce stade, l’étude n’a donc pas débuté. Il est prévu qu’elle démarre au début de l’année 2023, à l’issue des autorisations préalables à toute investigation clinique.
Je vous prie de bien vouloir excuser cette réponse un peu longue, madame la présidente.
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Deroche, pour la réplique.
Mme Catherine Deroche. Je vous remercie de votre réponse très argumentée, madame la secrétaire d’État.
Je sais que l’association Resist, que je rencontre régulièrement, est en contact avec le ministère. Je note que le registre serait bientôt mis en place et que l’étude donnerait lieu à des suites.
perspectives d’évolution du centre hospitalier régional metz-thionvillle
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Louis Masson, auteur de la question n° 114, adressée à M. le ministre de la santé et de la prévention.
M. Jean Louis Masson. Madame la secrétaire d’État, je regrette que M. le ministre de la santé et de la prévention, qui a exercé au centre hospitalier régional (CHR) de Metz-Thionville, ne soit pas venu lui-même répondre à ma question.
Comme tous les hôpitaux, le centre hospitalier régional Metz-Thionville rencontre d’importants problèmes de recrutement, lesquels sont encore aggravés par la proximité du Luxembourg, où les salaires du personnel médical sont environ deux fois plus élevés qu’en France. À Metz, la situation est d’autant plus calamiteuse que, sous prétexte de la reconstruction de l’hôpital à deux cents mètres de la limite communale de la ville, l’indemnité de résidence du personnel a subi une forte diminution.
Par ailleurs, compte tenu de l’évolution du CHR d’Orléans, le CHR Metz-Thionville sera le seul des trente-deux CHR français à ne pas avoir le statut de centre hospitalier universitaire (CHU). De ce fait, le CHR est privé des moyens en équipements et en personnels permettant une haute spécialisation des soins. Bien que le département possède une population de plus d’un million d’habitants, plus importante que celle du Bas-Rhin ou de la Meurthe-et-Moselle, les patients concernés par des pathologies compliquées sont obligés, faute de services de pointe, d’aller se faire soigner à Strasbourg ou à Nancy.
En outre, l’absence de CHU aggrave le désert médical, la Moselle ayant un ratio de médecins généralistes et spécialistes considérablement inférieur à la Meurthe-et-Moselle ou au Bas-Rhin.
Malgré les engagements pris par le passé, la situation n’a quasiment pas évolué, en raison de l’obstruction de la faculté de médecine de Nancy, qui craint la concurrence au sein de l’université de Lorraine. Un conseiller technique du précédent gouvernement a d’ailleurs reconnu l’existence de ces blocages, précisant que le doyen nancéien de cette faculté avait refusé de demander les postes spécialisés indispensables pour que la qualité du CHR Metz-Thionville puisse évoluer.
Qu’envisage le Gouvernement au sujet de l’indemnité de résidence des salariés du CHR, ainsi que de l’évolution du CHR vers le statut de CHU ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Dominique Faure, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de la ruralité. Monsieur le sénateur, M. le ministre de la santé et de la prévention François Braun regrette de ne pouvoir être présent ce matin. Il m’a prié de vous fournir les éléments de réponse suivants.
Le site de Metz du CHR situé en centre-ville – hôpital Notre-Dame-de-Bon-Secours et plusieurs annexes – a déménagé en 2012 dans un bâtiment entièrement neuf, l’hôpital de Mercy, en périphérie de Metz et à cheval entre deux communes, Peltre et Ars-Laquenexy.
À la suite de ce déménagement, les agents titulaires et contractuels affectés sur le site de Mercy ont perdu l’indemnité de résidence dont ils bénéficiaient sur le site de Bon-Secours, les communes de Peltre et d’Ars-Laquenexy ne faisant pas partie de la commune de Metz.
Cette décision s’appuie sur le classement établi par l’Insee, qui permet de définir l’éligibilité d’une commune au bénéfice de l’indemnité de résidence, en application de l’article 9 du décret n° 85-1148 du 24 octobre 1985 modifié relatif à la rémunération des personnels civils et militaires de l’État, des personnels des collectivités territoriales et des personnels des établissements publics d’hospitalisation.
Il se trouve que l’hôpital de Mercy est situé sur la commune d’Ars-Laquenexy, qui n’est pas répertoriée dans le dernier classement établi par l’Insee comme commune éligible à l’indemnité de résidence, sachant que l’autorité administrative se trouve dans une situation de compétence liée à cet égard.
En 2017, sur une initiative du syndicat Sud Santé Sociaux, 822 agents du CHR de Metz-Thionville ont adressé un courrier à la direction des ressources humaines (DRH) de l’établissement demandant la réattribution de cette indemnité de résidence avec effet rétroactif. Un courrier de refus a été adressé par le CHR de Metz-Thionville à l’ensemble de ses agents, sur les bases juridiques exposées précédemment.
À la suite à ce refus, 67 agents, soutenus par le syndicat Sud Santé Sociaux, se sont pourvus devant le tribunal administratif de Strasbourg. L’audience, au cours de laquelle l’ensemble des recours ont été rejetés, a eu lieu le 2 juillet 2019. Moins d’une dizaine d’agents ont fait appel de cette décision. À ce jour, le jugement en appel n’a pas été rendu.
Sauf décision rendue en appel favorable aux agents, qui viendrait contredire le jugement de première instance, seules une évolution du dispositif ou l’inscription de la commune d’Ars-Laquenexy dans la liste de l’Insee pourraient permettre aux personnels exerçant leurs fonctions à l’hôpital de Mercy de percevoir l’indemnité de résidence.
Sur la question de l’évolution du CHR Metz-Thionville…
Mme la présidente. Vous avez dépassé votre temps de parole, madame la secrétaire d’État ! Vous transmettrez votre réponse à M. Masson. (M. Jean Louis Masson demande la parole.)
Monsieur Masson, je ne puis vous redonner la parole : vous avez déjà épuisé le temps qui vous était imparti.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour un rappel au règlement.
M. Jean Louis Masson. Madame la présidente, nous sommes trois sénateurs non inscrits, il n’y a aucune raison de nous discriminer !
Alors que vous avez accepté que l’intervenante précédente, qui appartient au groupe LR, bénéficie d’une réponse plus longue de la part du Gouvernement, vous censurez plus de la moitié de la réponse à ma question, puisque son aspect le plus important concernait le statut de CHU. Ce n’est pas correct !
Je n’y suis pour rien si le temps de parole du Gouvernement est contraint.
Madame la présidente, dans la mesure où, pour une sénatrice appartenant à un groupe majoritaire, vous tolérez une réponse plus longue de Mme la secrétaire d’État, je demande que vous accordiez le même traitement à ma question. J’ai les mêmes droits qu’un autre. J’ai la même légitimité démocratique !
Mme la présidente. Acte vous est donné de votre rappel au règlement, mon cher collègue.
C’est moi qui décide dans cet hémicycle. Quand je préside, il n’y a pas de discrimination !
M. Jean Louis Masson. Si ! C’est honteux !
Mme la présidente. J’ai rappelé à Mme la secrétaire d’État les règles lors de sa première intervention. Si sa réponse à Mme Boyer est trop longue, je l’interromprai de nouveau.
M. Laurent Burgoa. Bravo !
M. Jean Louis Masson. C’est inadmissible ! (M. Jean Louis Masson quitte l’hémicycle.)
remboursement des nouveaux médicaments antimigraineux
Mme la présidente. La parole est à Mme Valérie Boyer, auteure de la question n° 064, adressée à M. le ministre de la santé et de la prévention.
Mme Valérie Boyer. Madame la secrétaire d’État, alors que vous avez choisi pour slogan le « quoi qu’il en coûte » et, malgré l’existence de la sécurité sociale, les patients atteints de migraines paient leur traitement de leur poche.
Face à une maladie qui leur gâche la vie, ont-ils vraiment le choix ? Ainsi, 13 % des migraineux affirment ne plus travailler en raison de leur maladie. Selon plusieurs sources médicales, la violence des symptômes peut s’accompagner de pensées suicidaires pour 15 % des personnes atteintes de migraine chronique.
Pourtant, une nouvelle classe de médicaments a été reconnue comme représentant une avancée majeure pour la prise en charge de la migraine sévère. Ils ont permis d’obtenir « des résultats spectaculaires dans plus de 70 % des cas », selon des neurologues. Malheureusement, en France, ces traitements ne sont mis à disposition que dans certaines pharmacies hospitalières et pharmacies de ville et aucun n’est remboursé.
Selon les régions et les pharmacies, les patients déboursent, pour une boîte de médicament, entre 206 euros à 350 euros, à renouveler tous les vingt-huit jours, soit treize fois par an. La somme totale annuelle s’élève donc de 2 678 euros à 4 550 euros.
Dans la plupart des pays européens où ces traitements sont autorisés sur le marché depuis deux ans, comme le Danemark, la Slovaquie, l’Espagne, l’Italie, l’Allemagne et la Belgique, ils sont remboursés pour tout ou partie par l’État.
Cette situation très préjudiciable pour les 50 000 patients français souffrant de formes très sévères de migraines serait due à l’absence d’accord financier trouvé entre le Gouvernement et les laboratoires concernés. Pouvez-vous infirmer ou confirmer une telle information ?
Alors que la migraine est la deuxième cause d’invalidité en France, nous pourrions permettre un remboursement, fût-il partiel, de ces nouveaux traitements par la sécurité sociale.
Par ailleurs, avec la baisse du pouvoir d’achat des Français, combien de patients pourront continuer à se payer leur traitement et combien y ont déjà renoncé ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Dominique Faure, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de la ruralité. Madame la sénatrice, M. le ministre de la santé et de la prévention François Braun regrette de ne pouvoir être présent et m’a priée de vous fournir les éléments préparés à votre attention.
Trois spécialités pharmaceutiques indiquées dans le traitement de fond de la migraine et appartenant à la nouvelle classe des anticorps anti-CGRP ont obtenu une autorisation de mise sur le marché en 2018 et 2019. Ces spécialités sont exploitées respectivement par les laboratoires Novartis, Teva et Lilly. La Haute Autorité de santé, chargée d’évaluer l’intérêt thérapeutique de ces produits dans le panier de soins remboursables, a souligné l’existence de différents traitements actuellement pris en charge dans le traitement de fond de la migraine. Ces derniers permettent une comparaison de l’efficacité clinique de ces nouvelles spécialités de la classe des anti-CGRP.
Pour ces trois médicaments, la Haute Autorité de santé a observé une absence d’amélioration du service médical rendu au regard des critères en vigueur, notamment en raison de l’effet modeste sur le nombre de jours de migraine par mois dans la migraine épisodique et chronique.
Conformément aux dispositions de la loi, la fixation du prix d’un médicament tient compte principalement de l’amélioration du service médical rendu (ASMR) par le médicament. Les discussions tarifaires entre le Comité économique des produits de santé (CEPS) et les laboratoires exploitant ces spécialités se sont ainsi fondées sur des critères légaux, réglementaires et conventionnels, qui définissent le cadre de la négociation.
En effet, une spécialité ASMR de niveau V ne peut être inscrite au remboursement que dans le cas où elle entraîne une économie dans les coûts de traitement.
Malgré plusieurs propositions de la part du CEPS, les discussions n’ont pu aboutir du fait des prétentions tarifaires extrêmement élevées des industriels, au regard des dépenses actuellement engagées pour le traitement médicamenteux de la migraine.
En conséquence, ces trois antimigraineux anti-CGRP n’ont pas pu être inscrits sur la liste des médicaments remboursables. Néanmoins, cette non-inscription ne préjuge pas de l’issue de nouvelles négociations qui pourraient se tenir. Il est vivement souhaité que les laboratoires soient en mesure de déposer de nouvelles données démontrant l’intérêt du produit par rapport à des comparateurs médicamenteux ou acceptent de négocier dans le cadre réglementaire existant.
Mme la présidente. Vous avez dépassé votre temps de parole, madame la secrétaire d’État.
La parole est à Mme Valérie Boyer, pour la réplique.
Mme Valérie Boyer. Madame la secrétaire d’État, je suis confuse et consternée de constater que les fiches que l’on vous a préparées ne vous permettent pas de répondre aux questions, alors même que ces dernières ont été déposées à l’avance.
Ma question est simple : pourquoi ces médicaments sont-ils remboursés dans certains pays ? Puisque c’est le cas, c’est vraisemblablement qu’ils sont efficaces…
Vous ne m’avez répondu que partiellement, je le regrette.
développement du métier d’infirmier en pratique avancée
Mme la présidente. La parole est à Mme Véronique Guillotin, auteure de la question n° 109, adressée à M. le ministre de la santé et de la prévention.
Mme Véronique Guillotin. Madame la secrétaire d’État, je souhaite vous interroger sur une profession qui a vu le jour en 2018 et qui, si elle n’était pas confrontée à de nombreux obstacles, pourrait être une partie de la réponse à notre problème croissant de pénurie de médecins – je veux parler des infirmiers en pratique avancée, communément nommés IPA.
Un IPA est un infirmier ou une infirmière expérimenté qui, ayant suivi une formation complémentaire de niveau master, a pu acquérir des compétences médicales. Celles-ci lui permettent de suivre des patients dans le cadre du suivi oncologique ou du contrôle de certaines pathologies chroniques ou maladies rénales, et ce toujours en coordination avec le médecin traitant.
Grâce à un travail d’équipe, l’IPA échange régulièrement avec le médecin sur la situation des patients et renvoie ces derniers vers le médecin lorsque les limites de son champ de compétences ont été atteintes.
L’objectif premier de cette réforme, que j’ai soutenue et à laquelle je crois toujours fermement, était de soulager les médecins traitants lorsque cela était possible, voire d’agrandir leur patientèle, mais surtout d’améliorer le suivi médical des patients atteints de pathologies chroniques. Sachant que 11 % des Français n’ont pas de médecin traitant et que 30 % de la population vit sur un territoire en tension du point de vue des ressources humaines médicales, l’enjeu n’est pas anecdotique.
Or nous atteignons à peine la moitié du nombre d’IPA diplômés espéré ; pis encore, certains renonceraient actuellement à la pratique de ce métier face à de trop nombreuses difficultés. Parmi celles-ci, je citerai un modèle économique peu attractif ou un manque d’information des médecins, des autres praticiens de santé et des patients eux-mêmes quant à cette profession naissante.
Vous le savez, malgré la suppression du numerus clausus, le nombre de généralistes n’augmentera pas de manière significative avant au moins une bonne dizaine d’années. Dans cette attente, accroître les possibilités pour d’autres professionnels de prodiguer des gestes médicaux, toujours en coordination avec le médecin traitant, est une solution pertinente, qu’il faut mettre en œuvre urgemment.
Aussi, madame la secrétaire d’État, aimerais-je connaître le plan du Gouvernement pour augmenter rapidement le nombre d’IPA formés et accompagner de manière volontariste la montée en puissance de cette profession.
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Dominique Faure, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de la ruralité. Madame la sénatrice Guillotin, je renouvelle les excuses que j’ai déjà présentées au nom de M. le ministre François Braun.
Nous partageons avec vous l’idée que la pratique avancée, notamment infirmière, est une chance formidable pour notre organisation et pour notre offre de soins. Il s’agit de poser les bases de leur transformation en confiant à des professionnels non-médecins des activités répondant aux besoins de la population, grâce à de nouvelles compétences acquises et à une étroite collaboration avec les médecins.
Plus d’écoute, plus de soutien, plus d’éducation et une réponse rapide à des demandes de soins, tels sont les premiers bénéfices constatés.
Nous notons d’ailleurs à ce jour une très grande satisfaction de l’ensemble des acteurs impliqués dans le dispositif, qu’il s’agisse des équipes hospitalières, des structures ambulatoires ou des patients, qui en attendent donc légitimement le déploiement massif.
Toutefois, il ne faut pas négliger de relever les points limitants, comme vous le faites, et de trouver rapidement les solutions pour y remédier.
Concernant l’exercice en ville, par exemple, un nouvel accord conventionnel vient d’être signé entre la Caisse nationale de l’assurance maladie et les représentants infirmiers pour revaloriser le financement des activités libérales.
Par ailleurs, l’une des orientations du volet santé du Conseil national de la refondation consistera à mettre en adéquation, grâce à une vaste concertation, les attentes et les solutions à y apporter, en particulier autour de la question de la pratique avancée. Les groupes de travail, qui ont débuté dès la semaine dernière, seront l’occasion pour les citoyens, les élus et les professionnels de santé de proposer des pistes de réponse et des actions à mettre en œuvre pour notre système et au sein de nos territoires. Il conviendra de trouver l’équilibre entre exercice médical et exercice en pratique avancée, en particulier dans le cadre de l’offre de soins en ville.
Le sujet des infirmiers en pratique avancée occupera une place notable dans ces travaux et, plus largement, dans l’action que mènera le ministère de la santé et de la prévention. L’ensemble des parties prenantes est en effet convaincu des vertus de ce dispositif pour l’offre de soins ; il convient donc de le promouvoir en priorité.
Mme la présidente. La parole est à Mme Véronique Guillotin, pour la réplique.
Mme Véronique Guillotin. Nombreux sont les outils à notre disposition, notamment les IPA. Si le Conseil national de la refondation doit jouer un rôle, c’est bien celui de trouver des solutions concrètes avec les acteurs et de tout faire pour les libérer des freins qui empêchent à l’heure actuelle de déployer les bonnes mesures.
aide alimentaire
Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Somon, auteur de la question n° 062, adressée à M. le ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées.
M. Laurent Somon. Dans la mobilisation des crédits du Fonds européen d’aide aux plus démunis (Fead), le gouvernement français a fait le choix partagé d’affecter l’intégralité des financements européens au soutien à l’aide alimentaire. La crise du covid-19 a révélé le caractère indispensable de cette aide ainsi que le rôle essentiel des associations qui la distribuent et leur capacité à répondre aux besoins des personnes.
En 2020, l’Union européenne a affirmé son soutien au dispositif en confirmant le maintien et l’augmentation des fonds européens destinés à l’aide alimentaire pour la période 2021-2027. Elle a ainsi débloqué des crédits supplémentaires dans le cadre du paquet « Soutien à la reprise en faveur de la cohésion et des territoires en Europe » (React-EU) afin de répondre aux conséquences de la crise. Cependant, des dysfonctionnements nationaux ont rendu inopérants les fonds mobilisés, car, au cours des dernières campagnes, plusieurs offres de marché n’ont reçu aucune réponse.
En outre, le contexte économique, environnemental – sécheresse, inondations – et géopolitique – conflit en Ukraine – a un impact fort sur la production et la fourniture de denrées, conduisant certains fournisseurs à résilier les contrats en cours de campagne.
Les marchés dits lots infructueux concernent depuis 2020 de nombreux produits, principalement des fruits et légumes en conserve, et la liste pourrait s’allonger. À titre d’exemple, à l’échelon national, la perte représente pour le Secours populaire français un montant de plus de 6,5 millions d’euros, soit environ 130 000 euros pour la fédération du département de la Somme. Les associations nationales ont engagé des démarches auprès de Mme la Première ministre afin d’alerter sur ces dysfonctionnements dans la mise en œuvre de l’aide alimentaire européenne.
Les associations qui animent la politique de lutte contre la précarité alimentaire demandent que les montants de ces lots infructueux soient couverts en intégralité par une subvention de compensation. Le Secours populaire français a certes obtenu une dotation exceptionnelle de 3 millions d’euros, ce qui représente 48 % de sa dotation globale, 38 000 euros étant destinés à la Somme, mais plus de 3 millions manquent encore à l’appel ; or il s’agit d’apporter une aide aux dizaines de milliers de personnes accueillies s’agissant d’un besoin essentiel.
Quelles mesures le Gouvernement entend-il prendre ? Envisage-t-il de verser une nouvelle subvention de compensation afin de permettre aux associations de venir en aide aux près de 8 millions de personnes qui se déclarent en insécurité alimentaire pour des raisons financières ? Le cas échéant, quel serait le montant de cette subvention ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Dominique Faure, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de la ruralité. Monsieur le sénateur Somon, la question que vous nous adressez a notamment trouvé des réponses dans le cadre de la loi de finances rectificative pour 2022 du 16 août dernier. Celle-ci prévoit en effet d’allouer 55 millions d’euros de crédits exceptionnels à l’aide alimentaire, dont 40 millions d’euros pour le territoire métropolitain, une enveloppe de 28,5 millions d’euros étant réservée aux associations bénéficiaires des achats groupés via les crédits européens.
Au-delà de ces crédits, qui permettent de combler le manque à gagner des deux dernières années, un travail technique est en cours sous le pilotage du ministère des solidarités, en partenariat avec le ministère de l’agriculture et FranceAgriMer et en lien avec les associations, afin de revoir les modalités de passation des marchés et de réduire à l’avenir le nombre de lots infructueux.
Des expérimentations sont ainsi en cours pour tester la passation de marchés pluriannuels et pour séparer les prestations relatives aux denrées et les prestations relatives à la logistique. Un premier bilan pourra être dressé dès la fin de l’année.
Plus largement, je profite de cette réponse pour rappeler la politique du Gouvernement en matière de lutte contre la précarité alimentaire et d’accès de tous à une alimentation durable et de qualité, conformément aux objectifs fixés par la Convention citoyenne pour le climat. Il s’agit en effet d’un enjeu majeur, tant pour la santé publique que pour l’environnement.
Le ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées et le ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire travaillent actuellement sur le sujet, en étroite concertation avec les acteurs associatifs, les collectivités et les agriculteurs mobilisés dans les projets alimentaires territoriaux. Les initiatives locales sont nombreuses ; il faut nous appuyer sur ce savoir-faire et construire des solutions adaptées à la diversité des territoires.
Enfin, je veux rappeler aux maires de petites et moyennes communes que l’État peut les aider à mettre en place une tarification sociale dans leurs cantines, pour que davantage d’enfants bénéficient des repas à 1 euro. Le projet de loi de finances pour 2023 prévoit ainsi 7 millions d’euros de crédits nouveaux pour poursuivre la montée en puissance de ce dispositif.
projet d’implantation d’éoliennes à vay en loire-atlantique
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Garnier, auteure de la question n° 099, adressée à M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Mme Laurence Garnier. Je souhaite appeler l’attention du Gouvernement sur un projet d’implantation d’éoliennes dans la commune de Vay, située au nord de la Loire-Atlantique.
On a là un cas d’école, madame la secrétaire d’État ! Tout le monde est contre : le conseil municipal, les élus des communes voisines, le commissaire enquêteur, l’architecte des Bâtiments de France et le préfet, qui a signé un arrêté empêchant ce projet de se déployer sur le territoire.
Le porteur de projet a saisi la justice et la cour administrative d’appel de Nantes a prononcé l’annulation de l’arrêté préfectoral, ordonnant au préfet d’autoriser le projet d’ici au 24 octobre prochain. Vous comprendrez donc la colère des élus et des habitants de cette commune de Loire-Atlantique, qui ne sont pas contre les éoliennes – je précise que la commune accueille déjà des éoliennes et est même prête à en accueillir d’autres, mais sur un autre emplacement.
La véritable question qui est ici posée est celle de la démocratie : un juge administratif explique aux habitants qu’un projet auquel tout le monde s’oppose va tout de même se faire ! Et après, nous continuerons de nous étonner de concert que les gens ne votent plus et que le taux d’abstention augmente, élection après élection…
Si l’on veut contrer ce problème, il faut redonner du pouvoir aux maires, aux élus locaux et à ceux qui les élisent, qui doivent pouvoir décider de l’avenir de leur territoire. Madame la secrétaire d’État, vous savez que le Sénat a fait beaucoup de propositions en ce sens ; or vous avez souhaité ne retenir dans la loi qu’une consultation obligatoire des maires préalable à la réalisation de tout projet d’éoliennes.
Madame la secrétaire d’État, comment le Gouvernement compte-t-il soutenir les élus, qui, à ce jour, se trouvent totalement désemparés face à de telles situations ?
M. Laurent Burgoa. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Dominique Faure, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de la ruralité. Madame la sénatrice Garnier, l’atteinte des objectifs de la programmation pluriannuelle de l’énergie en matière de développement des énergies renouvelables, y compris de l’énergie éolienne, est une priorité du Gouvernement. Il s’agit, d’une part, de faire face à l’urgence climatique, d’autre part, d’améliorer la résilience de notre mix électrique en le diversifiant.
Comme vous le soulignez, l’association des populations locales au développement des énergies renouvelables sur leur territoire est indispensable : la planification de l’éolien sur le territoire national doit prendre en compte à la fois les impacts environnementaux et paysagers locaux et le risque de saturation d’un territoire.
Les élus locaux ne sont toutefois pas démunis pour agir.
Dans le cadre de la planification territoriale, ils peuvent identifier les zones propices au développement des énergies renouvelables ainsi que les zones où ces installations sont soumises à des conditions restrictives. La circulaire interministérielle du 16 septembre 2022 invite d’ailleurs les préfets à accompagner les collectivités dans le cadre de cette démarche.
Par ailleurs, la consultation du maire de la commune d’implantation du projet par les développeurs avant le dépôt d’un dossier de demande d’autorisation est désormais obligatoire. Les développeurs sont alors tenus de répondre formellement aux observations formulées et de présenter la façon dont ils envisagent en conséquence de faire évoluer leur projet avant de le finaliser.
Enfin, la mise en place prochaine de comités régionaux de l’énergie coprésidés par le président du conseil régional et le représentant de l’État dans la région, associant les collectivités locales et différentes parties prenantes, permettra aux acteurs concernés de se regrouper afin d’élaborer les objectifs de développement des énergies renouvelables à l’échelle régionale ainsi que d’en suivre et d’en évaluer la mise en œuvre.
Pour ce qui est spécifiquement du projet concernant la commune de Vay, l’autorisation environnementale qui sera proposée comprendra des mesures complémentaires afin de tenir compte des enjeux patrimoniaux du site, que l’enquête publique a fait apparaître, conduisant au refus initial d’autorisation ; sera notamment demandée au développeur une compensation renforcée pour les haies détruites.
De surcroît, le projet d’arrêté préfectoral sera examiné en commission départementale de la nature, des paysages et des sites, instance où le maire sera invité à s’exprimer, ce qui témoigne de nouveau de la place du maire dans les décisions d’implantation d’équipements de production d’énergie renouvelable sur son territoire.
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Garnier, pour la réplique.
Mme Laurence Garnier. Madame la secrétaire d’État, vous le savez, la Loire-Atlantique est le département de l’abandon du projet de Notre-Dame-des-Landes. Des projets ne se font pas alors qu’ils sont plébiscités par les élus et par les habitants ; à l’inverse, des projets dont les habitants ne veulent pas sont réalisés. C’est tout le drame de notre démocratie !
Mme Valérie Boyer. Bravo !
prise en charge financière de la rénovation des ponts à la suite du plan national de diagnostics des ponts et ouvrages publics
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, auteure de la question n° 026, adressée à Mme la ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales.
Mme Catherine Morin-Desailly. Alertée par des élus de mon département, je souhaite appeler l’attention du Gouvernement sur la question de la prise en charge financière de la rénovation des ponts à la suite de la mise en œuvre du plan national de diagnostics.
Le plan de diagnostics gratuits des ponts et ouvrages publics instauré dans le cadre de France Relance, demandé notamment par mon collègue Hervé Maurey en 2019 à l’occasion de la mission d’information sénatoriale sur la sécurité des ponts créée à la suite de l’effondrement du pont Morandi à Gênes, a permis de réaliser une mise à jour de l’état des ponts sur l’ensemble du territoire et de décliner les différentes mesures qui devaient être prises pour mener à bien leur éventuelle rénovation.
L’état préoccupant de certains ponts, notamment dans mon département, la Seine-Maritime, a contraint certains maires à adopter des arrêtés de limitation du tonnage, ce qui a des conséquences sur la fluidité du trafic routier et des services publics – ambulances, pompiers, ramassage scolaire, service de collecte des ordures ménagères, etc.
Pour chiffrer le coût des travaux de rénovation des ouvrages, les élus doivent demander des études et devis complémentaires qui ne sont pas pris en charge au titre de la dotation de soutien à l’investissement local (DSIL).
Par ailleurs, le coût des travaux de rénovation est à la charge entière des communes ; les solutions de financement proposées sont l’offre Mobi Prêt de la Banque des territoires, la DSIL ou la mise en place d’un fonds de concours avec l’établissement public de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre. D’autres solutions d’aide existent, notamment avec le département, mais celles-ci restent partielles.
Le nombre de ponts dont l’entretien exige des rénovations d’une telle importance est certes faible, mais de nombreux élus vont se retrouver en difficulté en l’absence d’un fonds destiné tant aux diagnostics complémentaires que, précisément, à la rénovation des ouvrages.
Madame la secrétaire d’État, quelles sont les mesures prévues par le Gouvernement pour éviter que ces élus ne soient contraints d’utiliser des financements normalement alloués à d’autres projets vitaux pour leur territoire ? La création d’un fonds dédié, préconisée par le rapport sénatorial de 2019, est-elle en particulier à l’étude ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Dominique Faure, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de la ruralité. Madame la sénatrice Morin-Desailly, dans le cadre du plan France Relance, le Gouvernement a consacré une enveloppe de 40 millions d’euros au recensement et à l’évaluation des ouvrages d’art des 11 540 communes bénéficiaires.
Ce programme vise, d’une part, à disposer d’une vision nationale du patrimoine des collectivités via le développement d’un système d’information permettant de cartographier précisément l’ensemble des ouvrages d’art, d’autre part, à doter les communes d’un outil adapté pour entretenir et gérer leur patrimoine via l’élaboration et la remise aux communes d’une sorte de carnet de santé des ouvrages.
Il n’existe pas d’enveloppe consacrée au financement des travaux, qui relèvent en premier lieu de la compétence des communes et des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre. Peuvent toutefois être mobilisées les dotations de soutien à l’investissement local, conformément à l’instruction du 7 janvier 2022, qui prévoit l’utilisation de ces fonds pour la sécurisation des ouvrages d’art relevant de la compétence des communes et des EPCI à fiscalité propre, notamment les plus petits d’entre eux, en cohérence avec l’initiative mise en œuvre par le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema) dans le cadre de l’offre d’ingénierie France Relance.
En complément, dans le cadre du plan de relance de la Caisse des dépôts et consignations, la Banque des territoires a mis en place un dispositif destiné à accompagner les collectivités dans la prise de décision, le financement et la réalisation de leurs travaux.
Ainsi, deux types de financements sont proposés : d’une part, le Mobi Prêt, destiné aux investissements dans le secteur de la mobilité et doté d’une enveloppe de 2 milliards d’euros, voit ses conditions d’éligibilité étendues à la rénovation des ouvrages d’art ; d’autre part, l’intervention en fonds propres dans des sociétés de projet associant une ou plusieurs collectivités a vocation à accélérer la mise en rénovation à l’échelle d’un territoire tout en garantissant au mieux les coûts et les temps de mise en œuvre.
Par ailleurs, le programme national Ponts se décline en deux grandes phases : une première phase de recensement des communes volontaires – 11 540 communes – et une seconde phase d’évaluation des ouvrages les plus sensibles – 5 649 communes sont concernées, dans 76 départements, selon les chiffres arrêtés à l’été 2022. La fin de l’exercice 2021 s’est caractérisée par la finalisation du recensement et de la reconnaissance des ouvrages sur le terrain. Quant à la mise en œuvre de la seconde phase, elle est en cours.
À la fin du mois de juin 2022, la moitié des communes bénéficiaires ont obtenu une visite, ce qui représente 25 000 ouvrages. Un panel d’ouvrages parmi les plus sensibles à l’échelle nationale bénéficiera de la phase d’évaluation approfondie ; à l’issue de ce travail, un bilan sera effectué. Le Gouvernement restera bien sûr attentif aux difficultés que pourront rencontrer certaines communes.
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour la réplique.
Mme Catherine Morin-Desailly. Les recommandations figurant dans le rapport d’information de 2019 ont donné lieu à un droit de suite sous la forme d’un rapport d’information publié au mois de juin 2022. C’est un constat alarmant qui y est posé, madame la secrétaire d’État : en réalité, aucun fonds spécifique n’est prévu pour aider le bloc communal.
Je vous renvoie à la proposition 2 du rapport d’information de 2022 : « Constituer un fonds pérenne pour accompagner les collectivités territoriales dans la surveillance, l’entretien et la réparation de leurs ouvrages d’art et apporter des évolutions resserrées au fonctionnement de la DSIL. » Il faut créer un fonds spécial ! (Mme Valérie Boyer applaudit.)
montant dérisoire des aides accordées aux communes à la suite des inondations
Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Burgoa, auteur de la question n° 131, adressée à Mme la ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales.
M. Laurent Burgoa. À la suite des inondations du 14 septembre 2021, l’état de catastrophe naturelle a été reconnu dans 48 communes gardoises. Toutefois, maintenant que le temps de la couverture médiatique est passé et que la promesse d’un soutien indéfectible semble lointaine, nous savons que ces communes manqueront indéniablement de la trésorerie nécessaire pour pouvoir enfin tourner la page de ce triste épisode de leur histoire.
Après avoir attendu un an, elles connaissent enfin les sommes qui leur seront allouées. À titre d’exemple, une commune touchée à hauteur de 690 000 euros percevra 27 000 euros, une autre affectée à hauteur de 99 400 euros recevra 7 400 euros. Ce sont des montants dérisoires !
Par courrier en date du 20 septembre dernier, M. le ministre de l’intérieur m’a informé qu’il avait demandé à M. le préfet, directeur général de la sécurité civile et de la gestion des crises, de procéder à un examen de ma demande de réévaluation de ces montants qui, compte tenu des intempéries subies, paraissent tout à fait indécents.
Je souhaite aujourd’hui, comme les maires concernés, connaître les suites données à cette demande.
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Dominique Faure, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de la ruralité. Monsieur le sénateur Burgoa, au cours des violentes intempéries qui ont eu lieu du 14 au 16 septembre 2021, le département du Gard a subi des inondations et des coulées de boue sur une grande partie de son territoire. L’état de catastrophe naturelle a été reconnu pour 48 communes.
Une subvention versée au titre de la dotation de solidarité en faveur de l’équipement des collectivités territoriales et de leurs groupements touchés par des événements climatiques ou géologiques (DSEC), distincte du dispositif de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle régi par le code des assurances, a été récemment allouée à 37 collectivités territoriales du Gard victimes de cette intempérie, pour un montant global de 1,2 million d’euros.
Régie par le code général des collectivités territoriales, la DSEC a vocation à contribuer à la réparation à l’identique des biens des collectivités territoriales ayant subi des dégâts causés par des événements climatiques ou géologiques graves, une liste de biens éligibles étant définie.
C’est pourquoi le montant de l’assiette de subvention retenu est le plus souvent inférieur au montant des dégâts déclarés par les collectivités, dans la mesure où cette assiette intègre une réfaction visant à tenir compte de l’état de vétusté et du niveau d’entretien du bien au moment de l’intempérie et exclut les biens non éligibles à la dotation ainsi que les travaux d’extension ou d’amélioration.
Il me paraît néanmoins important de rappeler que les dépenses d’investissement engagées par les communes sinistrées pour financer les travaux de reconstruction pourront aussi, sous les conditions d’usage, être éligibles au bénéfice du fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA). De surcroît, pour ce qui est des bâtiments publics affectés par de tels événements climatiques reconnus comme catastrophes naturelles, les communes sont susceptibles d’être couvertes par les assurances souscrites, et ainsi indemnisées.
Une part des dépenses engagées par les communes pour faire face aux conséquences des inondations peut correspondre à des charges de fonctionnement qui, par nature exceptionnelles, peuvent fragiliser la capacité de certaines d’entre elles à financer leur fonctionnement courant. Celles-ci pourront demander à bénéficier de la possibilité d’étaler le poids de ces charges exceptionnelles sur plusieurs exercices.
En tout état de cause, le Gouvernement, comme il s’y était engagé, restera particulièrement attentif à l’évolution de la situation financière de ces communes.
Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Burgoa, pour la réplique.
M. Laurent Burgoa. Madame la secrétaire d’État, je vous remercie de votre réponse. Vous comprenez bien qu’il s’agit pour ces communes non pas d’aides d’agrément, mais d’une pure et simple remise en état de leurs installations. Il ne faudrait pas qu’au fil du temps l’État, adoptant à l’égard des communes une attitude encore moins bienveillante que celle des assurances, indemnise de moins en moins.
De manière générale et quels que soient les gouvernements – je ne stigmatise pas davantage le vôtre que les précédents, madame la secrétaire d’État –, la défiance envers la parole de l’État est très forte. Un ministre se rend le soir même sur le terrain en invoquant la solidarité nationale ; un an plus tard, les aides se révèlent d’un montant dérisoire…
À force, nous n’aurons plus d’élus locaux, et ce déficit sera impossible à combler.
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Rossignol, auteure de la question n° 088, adressée à Mme la ministre de la transition énergétique.
Mme Laurence Rossignol. Ma question porte sur la forte hausse du prix du chauffage aux granulés de bois.
En l’espace d’un an, le prix des granulés à la tonne a plus que doublé et tout porte à croire que la situation risque de se prolonger, voire de s’aggraver. Les commandes en quantité ne sont plus prises en compte et les fournisseurs, qui disent peiner à reconstituer leurs stocks, ne sont plus en mesure de s’engager sur leurs prix. Si telle est bien la réalité, gardons-nous néanmoins d’être trop naïfs quant aux effets d’aubaine qui poussent les prix à la hausse.
Nombre de ménages ont été encouragés à se tourner vers les granulés de bois, mode de chauffage plus écologique et plus économique : 7 millions de foyers se chauffent ainsi actuellement, pour beaucoup d’entre eux de manière exclusive.
Mme la Première ministre a précisé que l’urgence de la protection du pouvoir d’achat était le premier défi du Gouvernement. Par conséquent, comment le Gouvernement compte-t-il intégrer les personnes qui se chauffent aux granulés de bois dans sa réponse à cette ambition ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Dominique Faure, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de la ruralité. Madame la sénatrice Rossignol, vous le savez, nous faisons face à la plus grave crise énergétique depuis les chocs pétroliers des années 1970. La guerre en Ukraine a provoqué l’augmentation du coût des matières premières et du transport, non sans effet sur le prix des granulés de bois. En parallèle, avec la hausse des prix de l’électricité, du gaz et du fioul, on assiste à la constitution de stocks prudentiels, ce qui accroît la pression sur la demande. Pour ces raisons, certains distributeurs ont pu faire face à des ruptures de stock temporaires.
Face à cette situation, le Gouvernement agit pour garantir la disponibilité des granulés à court et long termes et pour soutenir financièrement les Français qui subissent la hausse des prix.
Les producteurs et les distributeurs de granulés travaillent actuellement à assurer l’approvisionnement en granulés des consommateurs français cet hiver. Il est par ailleurs primordial que les consommateurs ne stockent pas plus de granulés que nécessaire pour leurs besoins de chauffage cet hiver, afin de ne pas alimenter les tensions sur les stocks.
Dans le cadre de l’appel à projets « biomasse chaleur industrie agriculture et tertiaire » (BCIAT), l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) a contribué au financement de quatorze chaufferies liées à la fabrication de granulés, ce qui représente une production annuelle de granulés estimée à 850 000 tonnes.
L’appel à projets « biomasse chaleur pour l’industrie du bois » (BCIB), destiné aux projets de production de chaleur à partir de biomasse, pourrait permettre la production, d’ici trois à quatre ans, de 400 000 tonnes de granulés par an si tous les projets sont retenus.
Concernant les aides aux ménages, notamment les plus modestes, un chèque énergie exceptionnel de 100 euros a été attribué à 5,8 millions de ménages au mois de décembre 2021. Ce chèque est utilisable jusqu’au 31 mars 2023 et permet de régler des factures d’électricité, de gaz, de fioul ou d’autres combustibles, notamment le bois. Un nouveau chèque énergie exceptionnel sera envoyé en fin d’année à 12 millions de ménages, soit 40 % des ménages : 200 euros pour les 5,8 millions de ménages les plus modestes et 100 euros pour les autres. Il s’agit là d’une aide directe versée aux ménages qui en ont besoin, y compris à ceux qui sont chauffés aux pellets.
Madame la sénatrice, je tiens à vous assurer de la mobilisation totale du Gouvernement pour accompagner les Français à faire face à la crise énergétique.
Mme Laurence Rossignol. Tout est sous contrôle ! (Sourires.)
conséquences d’éventuelles coupures d’électricité hivernales
Mme la présidente. La parole est à Mme Laure Darcos, auteure de la question n° 164, adressée à Mme la ministre de la transition énergétique.
Mme Laure Darcos. Élisabeth Borne, Première ministre, a récemment évoqué d’éventuelles coupures d’électricité cet hiver, tout en prenant soin de préciser que les ménages ne seraient pas concernés et que seules les entreprises pourraient être affectées. Elle a invité les Français à la sobriété dans le contexte de crise énergétique que nous connaissons – nous n’en contestons pas la nécessité.
Toutefois, madame la secrétaire d’État, permettez-moi de vous dire que les collectivités territoriales sont les grandes oubliées du discours gouvernemental.
Comme vous le savez, celles-ci gèrent directement ou indirectement des services publics essentiels à la population, qui peuvent être brutalement mis à l’arrêt, avec des conséquences potentiellement graves.
Plusieurs maires de communes rurales de l’Essonne m’ont alertée sur les risques que feraient peser des coupures d’électricité sur le fonctionnement des réseaux d’alimentation en eau potable, d’assainissement ou d’eaux pluviales.
Concernant l’eau potable, certains secteurs communaux sont alimentés par des surpresseurs. En cas de coupure, comment desservir les populations des zones concernées et assurer la défense incendie ?
Concernant les eaux usées, les réseaux peuvent comporter des postes de relevage. Comment stocker temporairement les eaux usées avant la remise en route des installations ? Comment assurer l’entretien des réseaux pendant et après la panne et lutter contre d’éventuels problèmes sanitaires liés à des débordements ou à des refoulements chez les particuliers ?
La gestion des collectivités territoriales est évidemment affaire de pragmatisme et les préoccupations des élus sont plus que légitimes.
Ainsi, madame la secrétaire d’État, ma question sera la suivante : le Gouvernement a-t-il bien conscience des difficultés très concrètes auxquelles les collectivités territoriales pourraient être confrontées en cas de coupures d’électricité et, dans l’affirmative, quelles mesures entend-il prendre pour garantir le bon fonctionnement des réseaux d’électricité de nos communes ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Dominique Faure, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de la ruralité. Madame la sénatrice Darcos, notre pays traverse sa pire crise énergétique depuis les chocs pétroliers des années 1970. La crise ukrainienne et la volonté de la Russie d’utiliser l’approvisionnement énergétique comme moyen de pression entraînent des tensions sans précédent sur les marchés du gaz et, par voie de conséquence, sur les marchés électriques.
Ces tensions européennes s’ajoutent à une situation dégradée eu égard à la disponibilité des installations de production électrique en France, fruit de la conjonction d’une hydraulicité faible dans un contexte de sécheresse et d’une disponibilité historiquement faible de notre parc électronucléaire. Au dense programme de maintenance prévu dans le cadre du « grand carénage » s’ajoutent en effet les difficiles opérations qui doivent être réalisées du fait notamment du phénomène de corrosion sous contrainte.
Dans un tel contexte, toutes les dispositions nécessaires pour aborder l’hiver dans les meilleures conditions possible ont été prises et sont en cours d’instruction.
Le premier levier activé est celui de la réduction de notre consommation d’électricité, qui s’intègre dans la démarche plus globale de sobriété énergétique.
Le second levier est celui de la maximisation des moyens de production.
Cela passe tout d’abord par le suivi rapproché de la disponibilité nucléaire et par la sécurisation de nos approvisionnements en gaz, qui permettra à nos centrales à gaz de fonctionner à plein cet hiver. À ce jour, les stocks de gaz sont remplis à plus de 97 %.
Cela passe ensuite par la facilitation de la finalisation des projets d’énergie renouvelable (EnR) en cours ou par l’autorisation d’usages à des seuils supérieurs au cadre usuel.
Dans sa dernière analyse du passage de l’hiver 2022-2023, le gestionnaire du réseau de transport d’électricité (RTE) conclut à un risque de tension accru sur le système électrique, mais maîtrisable, via une forte baisse de consommation.
Pour autant, si le système électrique venait à être confronté à une situation de tension inédite et si tous les autres leviers activés se révélaient insuffisants, des coupures locales, ciblées et temporaires pourraient théoriquement intervenir pour certains usagers raccordés aux réseaux publics de distribution d’électricité. Cette mesure serait alors l’ultime solution permettant de maintenir l’équilibre du système électrique et d’éviter des coupures de plus grande ampleur.
La réglementation prévoit que les installations prioritaires sont inscrites sur des listes afin de ne pas être coupées, la priorité absolue étant d’éviter les menaces immédiates sur la vie d’une personne.
Les installations d’eau potable et d’assainissement ne sont pas explicitement prévues par l’arrêté encadrant ces listes d’usagers dits prioritaires. Pour autant, cela ne signifie pas qu’elles ne sont pas prises en compte dans l’exercice de priorisation à l’échelon local.
Le risque de coupure de certaines installations d’eau potable et d’assainissement sur le territoire n’est ainsi théoriquement pas exclu à 100 %, même si la plupart des installations les plus critiques disposent de moyens de secours pour pallier ce type de situation.
Mme la présidente. Vous avez dépassé votre temps de parole, madame la secrétaire d’État.
La parole est à Mme Laure Darcos, pour la réplique.
Mme Laure Darcos. Madame la secrétaire d’État, l’exercice est compliqué, je le comprends parfaitement, car vous n’êtes pas chargée de la transition énergétique. Je vous demande néanmoins de bien vouloir relayer le message.
Les installations d’eau potable posent un vrai problème – j’en ai parlé avec le préfet de mon département – et des dysfonctionnements ne sont pas à exclure. De nombreuses communes, notamment rurales, pourraient être touchées. C’est un réel souci pour les habitants.
Mme Dominique Faure, secrétaire d’État. Le message sera passé !
application de la réglementation environnementale des bâtiments neufs pour les habitations légères de loisirs
Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Billon, auteure de la question n° 133, adressée à M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Mme Annick Billon. Madame la secrétaire d’État, à l’instar de certains bâtiments tels que les piscines, les saunas ou les lieux de culte, les habitations légères de loisirs (HLL) n’étaient pas soumises à la réglementation thermique 2012 (RT2012).
Cela s’expliquait logiquement en raison des spécificités liées à leurs usages, notamment la grande variabilité de l’occupation, puisque les HLL sont majoritairement installées sur des terrains de camping, des villages-vacances ou des parcs résidentiels de loisirs occupés durant la période estivale.
La réglementation environnementale 2020 (RE2020) est inadaptée aux HLL touristiques tant par ses contraintes techniques que par sa période d’étude de référence de cinquante ans. Or la durée de vie des HLL est d’environ vingt ans. L’application de la RE2020, dont l’intérêt est contestable dans ce cas de figure, entraînerait un surcoût préjudiciable pour les fabricants de HLL.
Concrètement, les clients professionnels ne pourraient plus investir sur des produits qualitatifs sans majorer le prix de la location finale. C’est regrettable, puisque les HLL permettent une meilleure intégration paysagère et une résilience plus forte en cas d’inondation que d’autres formes d’hébergements autorisées dans les campings.
Je n’ignore pas que les HLL peuvent également, mais le cas de figure reste minoritaire, servir d’habitation ou de bureau. En pareil cas, elles nécessitent un permis de construire et leur occupation permanente peut justifier l’application de la RE2020.
C’est pourquoi je demande que l’arrêté ministériel précise que la RE2020 s’applique uniquement aux HLL soumises au droit commun des constructions, à savoir les HLL implantées en dehors d’infrastructures saisonnières et les HLL implantées au sein d’infrastructures saisonnières dont la destination n’est pas l’hébergement touristique ou de loisirs.
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Dominique Faure, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de la ruralité. Madame la sénatrice Billon, vous demandez à ne pas voir appliquer la RE2020 aux HLL du fait de leurs spécificités.
Ces constructions, disposant d’un système de chauffage, présentent des consommations d’énergie plus importantes que la moyenne. C’est pourquoi il est prévu de les intégrer dans le périmètre de la RE2020, tout en appliquant des exigences de performance énergétique et environnementale adaptées à leurs spécificités.
Des adaptations des exigences de la RE2020 peuvent ainsi être appliquées aux HLL dans deux cas.
En premier lieu, les HLL de moins de 50 mètres carrés qui sont exonérées de formalités d’urbanisme seront soumises à la RE2020 à partir du 1er janvier 2023, mais des exigences de moyens adaptées y seront appliquées. Celles-ci seront précisées dans un arrêté qui sera publié cet automne. Elles correspondent principalement aux niveaux de performances à atteindre pour bénéficier d’aides à la rénovation.
En second lieu, les HLL prévues pour une durée d’utilisation de moins de deux ans se verront appliquer des exigences de moyens adaptées à partir du 1er juillet 2023. Là aussi, celles-ci seront précisées dans un arrêté qui sera publié à l’automne.
Les exigences définies par arrêté concerneront les principaux composants du bâtiment – performance des parois, des fenêtres, des systèmes de chauffage et d’eau chaude – et ont été discutées avec les principaux acteurs concernés.
D’ailleurs, l’étude d’impact réalisée indique un temps de retour sur investissement bien inférieur à vingt ans. Ces nouvelles exigences n’auront donc pas d’incidence sur la rentabilité des HLL. Elles permettront d’améliorer le confort des occupants tout en diminuant l’impact énergétique et environnemental de ces habitations.
Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Billon, pour la réplique.
Mme Annick Billon. Nous sommes évidemment favorables aux exigences adaptées. Nous espérons vivement que la rédaction de ces arrêtés sera conforme. Il importe que les entreprises qui construisent les HLL puissent continuer de travailler dans de bonnes conditions.
indemnité de sujétion géographique des enseignants affectés à saint-barthélemy
Mme la présidente. La parole est à Mme Micheline Jacques, auteur de la question n° 081, adressée à M. le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.
Mme Micheline Jacques. Madame la secrétaire d’État, la taille de l’île de Saint-Barthélemy et la nature de son économie entraînent une pression constante à la hausse sur les loyers, provoquant une incertitude grandissante sur la continuité du service public de l’enseignement.
Loger les enseignants venant de l’extérieur se révèle une tâche complexe. Une association de parents d’élèves prend même en charge une partie du loyer de certains enseignants.
Les établissements scolaires font de plus en plus appel à des enseignants contractuels, faute d’attirer des candidats titulaires. Lors de sa réforme en 2013, le décret portant création d’une indemnité de sujétion géographique a porté celle-ci à six mois du traitement indiciaire de base des agents de l’État affectés à Saint-Barthélemy, considérant que l’attractivité de l’île ne justifiait pas de la porter au-delà. Force est pourtant de constater que ce n’est plus le cas. En 2021, l’indemnité a été ramenée à trois mois de traitement, alors que les loyers ne cessent d’augmenter.
Une réflexion globale s’impose, car la réponse indemnitaire ne peut à elle seule constituer une solution à la situation locale. Elle devra être confortée par une adaptation des règles d’affectation académique et des conditions plus encourageantes pour les vocations locales, dans le respect naturellement des grands principes de la fonction publique. La présence d’un maître formateur est déjà une première avancée.
Madame la secrétaire d’État, quel regard portez-vous sur la situation de Saint-Barthélemy et quelles actions le Gouvernement entend-il mettre en œuvre pour l’améliorer ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Dominique Faure, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de la ruralité. Madame la sénatrice Micheline Jacques, le renforcement de l’attractivité du métier d’enseignant et la compensation du différentiel du coût de la vie en outre-mer sont au cœur des mesures de revalorisation des rémunérations adoptées par le ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse, ainsi que par le ministère chargé de la fonction publique.
Le décret du 26 avril 2022 a déjà permis le versement de l’indemnité de sujétion géographique aux agents affectés durant une période minimale de deux années, au lieu de quatre, notamment à Saint-Barthélemy. Son bénéfice a par ailleurs été récemment étendu aux néo-titulaires.
Qui plus est, outre l’augmentation de 3,5 % de la valeur du point d’indice au 1er juillet 2022, les enseignants affectés à Saint-Barthélemy bénéficient, comme l’ensemble des fonctionnaires de l’État, d’une majoration de leur traitement brut de 25 %.
Enfin, il convient de rappeler la mise en place, depuis le 1er janvier 2022, de la participation du ministère aux frais de mutuelle santé de ses agents, soit 15 euros par mois et par agent. Ces derniers peuvent également bénéficier de la prime d’attractivité et de la prime d’équipement informatique.
J’en viens à l’affectation des enseignants titulaires. Pour répondre aux besoins constatés dans les établissements en raison de la spécificité sociale et géographique du territoire, le ministère propose un dispositif qui permet notamment aux enseignants titulaires originaires de cette île d’y obtenir plus facilement leur mutation.
Dans le cadre des opérations de mobilité 2022, le ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse a innové en proposant un mouvement sur postes à profil (PoP). L’objectif de ce dispositif est de proposer aux enseignants des postes qui requièrent des compétences particulières, en lien avec le projet de l’établissement, les caractéristiques territoriales ou les missions du poste. L’intérêt de ce dispositif est de pourvoir les postes proposés, hors barème, par des profils adaptés aux exigences du poste.
Par conséquent, le développement du mouvement PoP permet aux enseignants titulaires, notamment à ceux dont le centre des intérêts matériels et moraux est à Saint-Barthélemy, de candidater directement dans les établissements de ce territoire. C’est ainsi qu’en 2022 trois postes ont été proposés à Saint-Barthélemy ; ils ont tous été pourvus.
Enfin, dans le cadre du développement par le ministère d’une politique en faveur du logement de ses personnels, la mise en place de possibles mesures en faveur du logement des enseignants à Saint-Barthélemy sera examinée dans les prochains mois.
Mme la présidente. La parole est à Mme Micheline Jacques, pour la réplique.
Mme Micheline Jacques. Je note les avancées en faveur de Saint-Barthélemy.
Une personne ayant fait l’objet d’un recrutement PoP a quitté son poste, car elle avait des problèmes santé et n’a pas trouvé sur place d’offre de soins adaptée. Comme je l’ai souligné, le problème est global et appelle donc un travail interministériel.
système de mutations inefficace dans l’éducation nationale
Mme la présidente. La parole est à M. Serge Mérillou, auteur de la question n° 107, adressée à M. le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.
M. Serge Mérillou. Non, la rentrée de 2022 ne s’est pas bien passée. La promesse d’un enseignant devant chaque classe n’a pas été tenue !
Il appartient à la ministre déléguée chargée de l’enseignement et de la formation professionnels de redonner au métier d’enseignant ses lettres de noblesse afin de le rendre de nouveau attractif. Cela passe d’abord par la revalorisation des salaires pour tous les professeurs. Pour l’heure, le projet de loi de finances pour 2023 n’est pas à la hauteur. Les enfants et les enseignants sont les premières victimes de cette crise d’attractivité.
Au mois de mars 2022, près de 14 000 demandes de mutations interdépartementales sur les 17 000 demandes totales n’étaient pas satisfaites. Ce constat ubuesque crée des situations humaines difficiles et laisse des postes vacants.
Paradoxalement, des refus de mutations sont constatés dans des académies employant des contractuels. Ainsi, dans mon département, l’académie de Bordeaux, qui manque elle aussi d’enseignants titulaires, a des difficultés pour obtenir le mouvement d’enseignants titulaires dont le conjoint a été muté. Cela met à mal les politiques de dynamisation du monde rural – politique Petites villes de demain, etc.
Ce manque de mobilité a une double conséquence. Ainsi, de nombreux candidats potentiels se détournent du certificat d’aptitude au professorat de l’enseignement du second degré (Capes) pour préférer la position de contractuel. Dans le même temps, un nombre considérable de titulaires restent chez eux, sans poste, faute d’acceptation de leurs demandes de mutation.
En 2019, l’opacité s’est ajoutée à la frustration. La suppression des commissions paritaires et la mise en place d’un algorithme renforcent l’idée selon laquelle l’administration décide seule, sans contrôle.
Démissions, mises en disponibilité, contractualisation de la profession, système trop rigide : l’école publique ne séduit plus. Élèves et professeurs s’en détournent. Madame la secrétaire d’État, comment comptez-vous clarifier, fluidifier et rendre de nouveau transparent le système de mutation, tout en rendant la carrière d’enseignant plus attractive ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Dominique Faure, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de la ruralité. Monsieur le sénateur Mérillou, la politique de mobilité du ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse a pour objectif de favoriser la meilleure adéquation possible entre la construction des parcours professionnels, la réponse aux besoins en enseignement des académies et le respect des enjeux de continuité et de qualité du service public de l’enseignement.
Le ministère porte une attention particulière aux zones ou territoires connaissant des difficultés de recrutement. Ces opérations ont in fine pour ambition de permettre à chaque académie d’assurer un enseignement de qualité à tous les élèves. Il gère une importante volumétrie des demandes de mobilités et garantit le respect des priorités légales de mutation au moyen d’un barème. Celui-ci prend notamment en compte le rapprochement de conjoints, le handicap, le centre des intérêts matériels et moraux de l’agent.
Dans le second degré, pour les 15 644 titulaires qui ont participé au mouvement, 6 783 titulaires ont obtenu une mutation, soit un taux de mutation de 43,4 %, contre 42,1 % en 2021. Parmi les 10 631 néo-titulaires, 85,4 % obtiennent satisfaction sur un vœu exprimé.
Dans le premier degré, le nombre total de demandes de participation au mouvement interdépartemental s’élève à 17 462 candidats contre 17 179 en 2021. En l’espèce, 3 570 enseignants, soit 20,44 % des candidats, ont obtenu une mutation, 3 121 enseignants, soit 87,4 % d’entre eux, ont vu leur premier vœu satisfait.
Nous sommes évidemment confrontés à un déséquilibre entre les demandes d’affectation géographique et les besoins. Par exemple, en 2022, dans le premier degré, 51 % des demandes de sortie se concentraient sur les départements franciliens, tandis que dix départements situés principalement en Bretagne et sur la façade atlantique concentraient 31 % des demandes d’entrée. Dans le même temps, les départements franciliens représentent seulement environ 6 % des demandes d’entrée.
Ce déséquilibre entre les besoins d’enseignement et les demandes des participants au mouvement conduit à une nécessaire régulation du nombre de sorties et d’entrées dans les départements afin d’assurer la continuité du service public d’enseignement ainsi que l’engagement pris de disposer d’« un professeur devant chaque classe ».
Mme la présidente. Nous en avons terminé avec les réponses à des questions orales.
Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures quarante-cinq, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de Mme Valérie Létard.)
PRÉSIDENCE DE Mme Valérie Létard
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
3
Transformer l’essai de l’innovation : un impératif pour réindustrialiser la France
Débat sur les conclusions du rapport d’une mission d’information
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la mission d’information sur le thème « Excellence de la recherche/innovation, pénurie de champions industriels : cherchez l’erreur française », sur les conclusions du rapport Transformer l’essai de l’innovation : un impératif pour réindustrialiser la France.
Je vous rappelle que, dans ce débat, le Gouvernement aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur pour une durée de deux minutes ; l’orateur disposera alors à son tour du droit de répartie, pour une minute.
Monsieur le ministre, vous pourrez donc, si vous le souhaitez, répondre après chaque orateur, une fois que celui-ci aura retrouvé une place dans l’hémicycle.
La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin, rapporteur de la mission d’information qui a demandé ce débat.
Mme Vanina Paoli-Gagin, rapporteur de la mission d’information sur le thème « Excellence de la recherche/innovation, pénurie de champions industriels : cherchez l’erreur française ». Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis le mois de mars 2020, la crise sanitaire puis la guerre en Ukraine ont mis en relief les fragilités de notre économie. Ainsi, l’incapacité de la France, patrie de Pasteur, à développer un vaccin contre le covid-19 nous a brutalement rappelé que nous ne faisions plus partie des États leaders dans l’innovation.
Sommes-nous pour autant condamnés à jouer le rôle de fournisseur d’innovations technologiques de qualité et bon marché, transformées par des entreprises étrangères en innovations industrielles, nous revenant sous forme d’importations néfastes à notre balance commerciale ? Ce n’est pas ce que nous souhaitons. La crise énergétique pourrait évidemment aggraver le phénomène, puisqu’elle rend plus difficile la réimpatriation des chaînes de production.
Pour sortir de cette impasse, le groupe Les Indépendants – République et Territoires a lancé une mission d’information sur le sujet, dont les conclusions ont été adoptées à l’unanimité le 8 juin dernier.
La formulation retenue pour l’intitulé de cette mission d’information – « Excellence de la recherche et innovation, pénurie de nouveaux champions industriels : cherchez l’erreur française » – était volontairement provocante. Reste que, parmi les cent vingt-cinq personnes auditionnées, rares ont été celles qui l’ont jugée impertinente. Je crois en effet que nous comprenons tous, chacun avec sa sensibilité politique, le drame industriel qui s’est joué dans notre pays.
J’en profite pour remercier chaleureusement tous les membres de la mission d’information qui m’ont accompagnée au cours de ce travail et qui l’ont enrichi de leur expérience propre et des exemples issus de leur territoire, singulièrement son président Christian Redon-Sarrazy, qui a su nous faire profiter de sa connaissance de ces sujets, notamment pour ce qui concerne la formation dans les territoires.
Nous avons tout d’abord constaté un paradoxe – en France, on adore les paradoxes ! (Sourires.) –, à savoir que notre pays investissait massivement en faveur de l’innovation pour des performances industrielles qui n’étaient pas vraiment à la hauteur. Pourtant, il n’y a pas de fatum : la France dispose des atouts nécessaires pour être une économie de rupture technologique, créatrice d’emplois dans les territoires.
Il s’agit de tenir compte des « erreurs françaises » qui ont jusqu’à présent empêché de transformer mieux l’essai de l’innovation industrielle, ainsi que de prendre les mesures nécessaires pour que la France redevienne une nation industrielle innovante et souveraine.
Deux principes ont guidé l’élaboration de nos recommandations : l’efficacité de la dépense publique et le caractère opérationnel des mesures proposées.
Le soutien de la croissance et du développement des industries innovantes est l’affaire de tous, et seule une action coordonnée du Parlement, du Gouvernement et des acteurs privés permettra de relever les défis auxquels notre pays doit faire face.
Le Parlement a un rôle essentiel à jouer. Deux tiers des dépenses de soutien à l’innovation sont des incitations fiscales, notamment avec le crédit d’impôt recherche (CIR) qui représente une dépense annuelle de 6,6 milliards d’euros. Pourtant, son efficacité est inversement proportionnelle à la taille des entreprises bénéficiaires : véritable incitation à l’innovation pour les petites et moyennes entreprises (PME), il est trop souvent, pour certains grands groupes, une forme d’aubaine fiscale. C’est ce que montre une étude de 2019 de la Commission nationale d’évaluation des politiques d’innovation (Cnepi).
En effet, 1 euro de CIR versé aux PME entraîne 1,40 euro de dépenses de recherche et développement (R&D), alors que le même euro versé aux grandes entreprises n’engendre que 40 centimes de dépenses en R&D.
Or le CIR est très majoritairement accaparé par les grandes entreprises : 10 % des bénéficiaires les plus importants perçoivent 77 % du montant total de l’aide. Pis encore, les cent plus gros bénéficiaires touchent 33 % de son volume !
Au moment de l’adoption du rapport d’information, l’ensemble des membres de la mission d’information, et ce quel que soit leur bord politique, ont reconnu que cette situation de rente n’était plus tenable. Après le « quoi qu’il en coûte » et le « combien ça coûte », il est temps d’opter pour le « mieux qu’il en coûte ».
C’est pourquoi nous proposons, sans remettre en cause la stabilité fiscale du dispositif ni alourdir la dépense fiscale liée au CIR, de renforcer son efficacité par plusieurs ajustements très à la marge, monsieur le ministre.
D’abord, nous souhaitons supprimer le taux de 5 % de CIR au-delà du plafond de 100 millions d’euros de dépenses de R&D, tout en augmentant à due concurrence le taux en deçà de ce plafond.
D’après les calculs de l’économiste Xavier Jaravel entendu par la mission d’information, cette mesure entraînerait une économie de 750 millions d’euros, ce qui permettrait de financer une augmentation du taux tout en ciblant plus les dépenses de R&D des PME, des petites et moyennes industries (PMI), ainsi que des entreprises de taille intermédiaire (ETI).
Dire que, sans cette mesure, nos grands groupes délocaliseront leurs activités de recherche ou que nous n’attirerons plus les investisseurs étrangers est un chantage à l’emploi contre lequel je m’insurge. Une telle allégation signifierait que les investisseurs et les grands groupes viendraient chez nous pour de très mauvaises raisons ; or je pense au contraire qu’ils ont de très bonnes raisons de venir en France !
Les grandes entreprises gardent leurs centres de R&D en France, parce qu’elles bénéficient d’un CIR de 30 % jusqu’à 100 millions d’euros de dépenses et non d’un taux réduit au-delà. Elles s’implantent aussi chez nous parce qu’elles s’inscrivent dans des écosystèmes performants de recherche et d’innovation, qu’elles bénéficient d’une recherche publique d’excellente qualité et – faut-il s’en réjouir ? – très bon marché et qu’elles peuvent s’appuyer sur des infrastructures de bonne qualité ainsi que sur un vivier d’ingénieurs et de techniciens très bien formés.
Ensuite, nous proposons de calculer le plafond du CIR au niveau de la holding de tête pour les groupes qui pratiquent l’intégration fiscale. Nombre d’entreprises consolident leurs résultats pour déterminer leur bénéfice global en compensant les pertes de certaines filiales avec les résultats positifs des autres afin de diminuer leur impôt sur les sociétés.
Or, même dans cette hypothèse, le CIR peut être calculé au niveau de chaque filiale. L’équité fiscale exige qu’en cas d’intégration fiscale le crédit d’impôt soit également calculé au niveau de la holding, et non dans chaque filiale. Selon les calculs du Comité Richelieu, une telle réforme pourrait engendrer une économie de plus de 500 millions d’euros par an ; cela profiterait aux PME-PMI innovantes.
Le CIR ne constitue pas à nos yeux l’alpha et l’oméga de notre politique de soutien à l’innovation, tant s’en faut. Force est toutefois de constater que, depuis que nous avons publié nos recommandations, ce sont bien les ajustements à la marge que nous proposons, au nom de l’efficacité de la dépense publique, qui focalisent l’attention, alors même que nous approuvons la sanctuarisation du CIR.
C’est pourquoi il m’a paru important de concentrer mon propos sur ce sujet afin de lever tout malentendu. Le président de la mission d’information aura tout loisir, en conclusion de ce débat, de revenir sur les autres mesures, nombreuses, que nous proposons.
Je tiens à évoquer, dans le temps qui me reste, quelques pistes d’action qui ne relèvent pas du Parlement, mais qui sont à la main du Gouvernement.
Un principe, d’abord : préférer le chiffre d’affaires aux subventions, en mobilisant la commande publique au service des entreprises industrielles innovantes.
Une règle d’or, ensuite : faciliter les démarches administratives et raccourcir les délais. C’est avant tout une question de volonté politique. L’exemple du terminal méthanier flottant au Havre, dont la construction devrait commencer six mois à peine après que ce projet a été envisagé, montre que nous pouvons le faire ! Nous devons aligner temps administratif et temps économique.
Enfin, les acteurs privés doivent eux aussi s’impliquer pour soutenir le développement des entreprises industrielles innovantes.
Mme la présidente. Il faut conclure, madame le rapporteur.
Mme Vanina Paoli-Gagin, rapporteur de la mission d’information. En conclusion, madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je partage avec vous un espoir : la crise actuelle constitue une opportunité pour réindustrialiser nos territoires et optimiser l’efficacité des dépenses publiques. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très heureux d’être si vite de retour au Sénat pour discuter avec vous de ce rapport d’information extrêmement important – je me demande d’ailleurs si je ne vais pas demander mon rond de serviette, puisque j’étais présent hier soir à l’occasion du débat sur la souveraineté économique et ce matin pour répondre à un certain nombre de questions orales ! (Sourires.)
Monsieur le président de la mission d’information, madame le rapporteur, je vous remercie de ce travail exceptionnel et très complet.
Je partage avec vous le constat selon lequel il est encore difficile de relier la « paillasse » à l’entrepôt. La recherche française, pourtant de qualité internationale, comme en atteste le prix Nobel de physique 2022 attribué à un Français voilà quarante-huit heures, a du mal à se retrouver, de manière concrète, au sein de l’entreprise et des processus productifs. Vous avez procédé à une analyse d’ensemble systématique fort utile ; elle nous permettra de réfléchir à la manière de rendre tous ces processus plus efficaces.
Je vous trouve néanmoins un peu sévère – c’est de bonne guerre… – sur la position de notre pays. Il y a maintenant quelques jours, la France a été classée douzième pays le plus innovant au monde dans le Global Innovation Index. Pour rappel, elle était dix-neuvième en 2019.
Nous faisons déjà quelques progrès auxquels – j’ai la faiblesse de le penser – le gouvernement précédent et la majorité à laquelle j’appartenais ont contribué : je pense à la French Tech et à l’accélération du développement des start-up industrielles.
Néanmoins, vous avez raison : si les soutiens en faveur de l’innovation vers l’industrie et en son sein ont été massifs, les freins sont encore nombreux et il nous appartient de les lever. Nous convergeons sur un grand nombre de vos propositions et avons d’ores et déjà mis en œuvre des actions en ce sens.
J’aurai l’occasion d’y revenir dans le cadre de mon intervention finale. Puisque le rapport d’information est vraiment global, je n’ai en effet pas prévu de répondre après chaque intervention : je ferai plutôt une réponse générale. J’espère que les orateurs, qui seront par conséquent privés de leur droit de réplique, ne m’en tiendront pas rigueur !
Sachez tout de même que, sur le crédit d’impôt recherche, nous aurons quelques divergences que j’exposerai alors, même si je suis sûr que le président de la mission d’information ne manquera pas de m’expliquer à quel point j’ai tort… (Sourires.)
Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de ce débat, auquel je suis très heureux de participer.
Mme la présidente. Dans la suite du débat, la parole est à Mme Patricia Schillinger.
Mme Patricia Schillinger. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens, comme beaucoup d’entre vous le feront certainement, à remercier le rapporteur et le président de la mission d’information du travail rigoureux, exhaustif et expertisé qu’ils ont fourni.
Ce rapport d’information pointe les lacunes de notre industrie et présente des pistes pour permettre à la France de redevenir une nation industrielle, innovante et souveraine.
Notre pays subit en quelque sorte les conséquences de la croyance, à l’œuvre dans les années 1980-1990, selon laquelle il était possible de décloisonner les activités de production de celles de conception et d’innovation, et de créer en quelque sorte une entreprise sans usine.
Suivant cette croyance, l’industrie française a ainsi délocalisé une grande partie de ses moyens de production, détruisant dans le même temps des millions d’emplois industriels sur plusieurs décennies – près de 3 millions d’emplois entre 1975 et 2014.
L’inefficacité de ce décloisonnement est aussi mise en exergue par la faible corrélation, révélée par le rapport d’information, entre le soutien public massif à l’innovation et l’incapacité de la France à faire émerger, dans le même temps, de nouveaux champions industriels.
Sans l’industrie, nous ne serons pas en mesure de redevenir une grande nation d’innovation. Industrialisation et innovation sont deux combats qu’il nous faut mener de front, de manière simultanée. C’est une nécessité comprise au plus haut sommet de l’État, puisque différents plans ont été déployés à l’échelon national depuis 2017 afin d’engager la reconquête industrielle de la France.
Toutefois, des crises extérieures nous ont bousculés.
La crise sanitaire a révélé notre extrême dépendance et a mis en lumière les faiblesses de notre modèle industriel, notamment sa dépendance aux importations.
De la même façon, avec la crise ukrainienne, l’Union européenne a pris conscience qu’elle avait besoin de réduire sa dépendance énergétique, de conserver la maîtrise de ses décisions et de construire la « souveraineté européenne ».
Enfin, l’urgence climatique est là. L’été 2022 a vu se multiplier les catastrophes liées au réchauffement climatique. Il faut mettre notre dépendance aux énergies fossiles derrière nous. Pour atteindre 40 % d’électricité issue d’énergies renouvelables à l’horizon 2030, nous devons diversifier notre mix énergétique. Biométhane, biomasse, hydrogène décarboné, éolien en mer, photovoltaïsme, exploitation de l’énergie des courants des marées : un énorme potentiel technologique et industriel s’offre à nous.
La crise sanitaire, le conflit ukrainien et l’urgence climatique agissent comme des accélérateurs d’innovations. Ces défis nous poussent à faire preuve de courage, d’audace et d’inventivité.
Nous devons nous donner l’ambition de construire nos rêves. C’est l’objectif de France 2030 : une ambition publique pour répondre aux défis écologique, démographique, économique, industriel et social d’un monde en perpétuelle évolution.
Ce sont ainsi 34 milliards d’euros qui ont été investis pour qu’en France les entreprises, les universités et les organismes de recherche réussissent pleinement leur transition vers les filières stratégiques.
En amont, nous devons mettre les bouchées doubles sur la formation et l’apprentissage, les nouvelles filières, nos écoles et nos organismes de recherche dans des segments de pointe.
En cours de processus, il faut permettre à une start-up qui débute ses recherches de monter rapidement ses prototypes.
Au bout de la chaîne, c’est la réindustrialisation de nos territoires : elle a commencé, elle doit être renforcée.
Je ne citerai qu’un exemple, celui de STMicroelectronics à Crolles. C’est, à mon sens, le symbole que la réindustrialisation est possible quand la volonté politique est là. Ce ne sont en effet pas moins de 6 milliards d’euros qui ont été investis sur ce site, où la France va installer la plus grande unité de production de semi-conducteurs en Europe et créer plus de 1 000 emplois supplémentaires. Cet exemple est le symbole de la France du savoir et de la recherche, ainsi que de notre reconquête industrielle.
Le groupe RDPI se tiendra au côté du Gouvernement et de tous ceux qui veulent que la France, soutenue par ses alliés européens, puisse retrouver sa pleine souveraineté économique.
Mme la présidente. La parole est à Mme Gisèle Jourda.
Mme Gisèle Jourda. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens à mon tour à saluer le travail de qualité mené par la mission d’information, dont la technicité et la précision n’ont jamais fait défaut.
Madame la rapporteure, monsieur le président de la mission d’information, votre motivation au cours de ces travaux n’a eu d’égale que votre connaissance parfaite du milieu de la recherche. Merci à tous les deux ! Vous m’avez fait tomber, comme Obélix, dans la marmite, moi qui ne suis qu’un modeste membre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées et de la commission des affaires européennes : je me suis ouverte au monde de l’innovation et de la recherche, dont j’ai découvert la pertinence et dont il se trouve qu’elle est au carrefour des préoccupations qui sont les miennes au sein de ces deux commissions.
Le système français doit considérablement améliorer l’innovation et en faire l’une de ses priorités. Les propositions de la mission d’information vont dans ce sens et gagnent à être entendues par les pouvoirs publics.
Le problème ne se limite toutefois pas à la France. La dimension européenne ne doit pas être oubliée. L’Union européenne doit même reprendre le leadership sur l’innovation de rupture.
Face aux avances technologiques prises ou en passe de l’être par des puissances émergentes telles que la Chine, comment faire de l’Union européenne une puissance qui résiste ?
Prenons l’exemple de la 5G. La législation française est adaptée au contexte, mais il convient de rester attentif à l’évolution des risques sur l’ensemble du territoire européen. Tous les pays n’ont pas le même niveau d’expertise sur ces questions.
Il convient donc non seulement de soutenir la mise en œuvre de la boîte à outils de l’Union européenne susceptible de faciliter l’application de mesures nationales dans le domaine de la 5G et de veiller à l’évolution des risques, mais aussi de soutenir la réalisation du projet Hexa-X et d’autres initiatives et financements communautaires susceptibles de favoriser l’émergence d’acteurs européens de premier plan dans le domaine de la 6G.
Soutenir, mais comment ? La dimension est-elle seulement financière ? Eh bien non, ce n’est pas qu’une question d’argent !
Il s’agit, d’abord, de bien définir les thématiques sur lesquelles un facteur de compétitivité peut être créé, car c’est ce qui permettra aux géants d’émerger.
Il s’agit, ensuite, de soutenir les bons acteurs, en évitant si possible les grands équipementiers non européens. La capacité de la France et de l’Union européenne à soutenir l’émergence d’acteurs européens alternatifs est certainement l’une des conditions sine qua non pour garantir notre souveraineté.
Dans le domaine spatial, l’Union européenne doit se donner les moyens de rester un acteur majeur. Front de la guerre froide entre les États-Unis et l’URSS, l’espace est l’un des enjeux de la course pour la place de première puissance mondiale entre Washington et Pékin. La Chine est devenue une puissance spatiale majeure, qui mène de front des programmes d’exploration lunaire et martienne, des vols habités, des lancements de satellites à vocation scientifique, commerciale ou militaire, et même la construction d’une station spatiale chinoise. Et nous, que faisons-nous pendant ce temps-là ?
Le domaine spatial est l’illustration de quatre axes auxquels nous devons prêter attention.
Premièrement, il est nécessaire de faire preuve de la plus grande prudence en matière de transfert de technologies.
Deuxièmement, il faut définir une politique nationale et une politique communautaire qui prennent en compte les récents développements des ambitions chinoises.
Troisièmement, il convient d’augmenter les budgets publics nationaux des États membres. Pour reprendre l’exemple de l’espace, il est important de donner toute sa dimension au nouveau projet de constellation européenne pour la connectivité. Plus largement, il faut réaffirmer la nécessité d’une recherche publique forte, laquelle ne peut s’accommoder d’un enseignement supérieur en berne, comme c’est le cas aujourd’hui et depuis si longtemps.
Quatrièmement, l’Union européenne doit encourager le développement d’un secteur privé performant en mettant en place les conditions optimales à la croissance des start-up innovantes.
C’est l’application cumulative de ces quatre grands axes qui permettra de favoriser l’innovation et la compétitivité. Le rapport de la mission d’information va dans ce sens. La plupart de ses préconisations sont une déclinaison de ces quatre axes.
Faire de la commande publique un levier essentiel de croissance pour les entreprises industrielles innovantes ? C’est le deuxième axe.
Faire de la propriété industrielle et de la normalisation des sources de compétitivité ? C’est le premier axe.
Inciter les grands groupes à s’impliquer dans l’émergence et la croissance des entreprises innovantes ? C’est le quatrième axe.
Élaborer dès 2022 une loi pluriannuelle de programmation de l’innovation pour renforcer l’efficacité de la politique de valorisation ? C’est le troisième axe.
J’en viens à un point extrêmement important, qui a été mis en exergue.
Nous préconisons de systématiser les évaluations ex post des politiques de transfert et de valorisation menées par les organismes publics de recherche et les établissements d’enseignement supérieur, et de confier cette nouvelle mission au Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur.
Oui, l’évaluation doit être une priorité majeure de nos politiques publiques. Elle est en même temps un enjeu essentiel et une culture que nous ne possédons pas, ce qui est bien dommage. Sans évaluation, l’attribution des financements sera naturellement fléchée vers les acteurs déjà installés, favorisant les consortiums qui bénéficient déjà d’un soutien européen. Ces derniers ne sont donc pas encouragés à se dépasser et à devenir les meilleurs, car les financements viennent malgré tout vers eux, comme le reconnaissent les industriels eux-mêmes.
Nous devons faire l’inverse de ce que l’on fait aujourd’hui. Je cite M. Loesekrug-Pietri : « On sécurise pour que le résultat en 2025 soit ce que l’on voulait en 2022, mais le monde aura changé trois fois entre-temps et on risque de tomber à côté. »
Si le rapport d’information indique que nous devons réorienter les aides fiscales pour mieux accompagner le passage à l’échelle des petites et moyennes entreprises innovantes, ce que je soutiens fortement, je tiens à préciser qu’il faut commencer par évaluer l’utilisation du crédit d’impôt recherche pour qu’un terme soit mis aux stratégies d’évasion et d’optimisation fiscales, si souvent dénoncées, et pour endiguer son détournement par des bénéficiaires insuffisamment contrôlés. (M. Gérard Lahellec applaudit.)
Enfin, pour aller jusqu’au bout de l’évaluation, interrogeons-nous sur le rôle que nous devons donner au Parlement dans les transformations que nous préconisons de mettre en œuvre. N’oublions pas le Parlement, car il a toute sa place !
Sur le modèle de la Darpa (Defense Advanced Research Projects Agency), l’agence du département de la défense des États-Unis chargée de la recherche et du développement des nouvelles technologies qui rend des comptes au Sénat américain, nous devons jouer un rôle important dans ces transformations, dans le suivi aussi bien des crédits budgétaires que de la loi de programmation de l’innovation que nous appelons de nos vœux.
Je n’ai pas abordé tous les champs évoqués dans le rapport d’information, mais je souhaitais mettre en valeur le fait que la recherche était aujourd’hui à un carrefour. Nous devons garder notre souveraineté dans ce domaine, notamment dans la recherche de pointe. De nombreux rapports ont été produits, mais celui de notre rapporteure et de notre président va plus loin : son objectif est de permettre à l’innovation d’être au rendez-vous des ambitions de notre beau pays, à l’échelon tant national qu’européen. J’y insiste, car la valeur de l’innovation ne doit pas être galvaudée.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens à remercier en préambule la rapporteure et le président de la mission d’information, qui ont accompli tous deux un bon travail et réalisé un excellent rapport, dont mon groupe approuve la plupart des conclusions.
Merci à nos collègues qui ont entrepris cette démarche, nous permettant ainsi de débattre et, je l’espère, d’œuvrer à un sursaut bien nécessaire de la politique d’innovation de notre pays.
Monsieur le ministre, j’espère en effet que le Gouvernement se saisira de ce rapport d’information et mettra en œuvre ses préconisations tant l’enjeu est majeur et tant il est urgent de prendre les décisions qui s’imposent. Ce rapport d’information complète celui qui a été examiné hier soir sur la souveraineté économique et l’indispensable réindustrialisation.
Oui, relancer l’innovation est essentiel pour la souveraineté de la France et pour la capacité de notre pays à maîtriser son destin et son avenir.
Vous l’aurez constaté, monsieur le ministre, le rapport d’information met l’innovation au service de la réindustrialisation. Certes, j’ai bien noté votre satisfaction face à l’amélioration de la position de la France dans le classement global en matière d’innovation, mais l’essentiel des start-up de la French Tech sont dans le secteur des services : s’il n’y a pas à s’en plaindre, il faut relever que la part de l’industrie est extrêmement faible. Nos préconisations, qui sont tournées vers cette cible particulière qu’est la réindustrialisation, sont donc d’autant plus importantes.
Force est de constater que d’énormes retards ont été accumulés et qu’inverser les tendances négatives qui ont prévalu depuis près de trente ans exige un véritable sursaut collectif, une mobilisation générale et des interventions publiques non seulement bien supérieures à ce qu’elles sont actuellement, mais également – Mme la rapporteure a insisté sur ce point – mieux orientées.
Développer l’innovation suppose un terreau fertile. Or celui-ci est terriblement appauvri. Ce terreau, c’est une appétence pour la science, ainsi qu’un haut niveau scientifique et technique de nos concitoyens et de notre jeunesse. Comment ne pas être alarmé par la rapide détérioration de ces facteurs ?
Je suis persuadée qu’au-delà des effets sur notre compétitivité économique et industrielle cette situation concourt à la spirale dépressive qui mine notre pays et notre projet républicain. Cette question mériterait en soi un long débat, mais je n’évoquerai que quelques sujets majeurs expressément abordés dans le rapport d’information.
Le niveau en mathématiques des jeunes Français a chuté au point que nous sommes désormais dans les classements internationaux le dernier pays d’Europe et l’avant-dernier de ceux de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) derrière le Chili. L’affaire n’est pas nouvelle : le rapport Villani-Torossian le disait déjà, mais les dispositions prises en 2018 n’ont pas suffi à redresser la barre.
Sans compter que la réforme du lycée engagée par le désastreux M. Blanquer a abouti à ce qu’à peine plus de 58 % des élèves étudiaient encore les mathématiques en terminale et seulement 14 % en mathématiques expertes, la véritable filière scientifique : un désastre ! Si une heure trente de cours a été ajoutée cette année, nous n’avons aucune visibilité pour l’avenir. Il faut un plan complet et rapidement opérationnel, du primaire à l’université, pour retrouver un haut niveau de formation en mathématiques. C’est urgentissime !
Plus largement, la situation de l’enseignement supérieur est elle aussi alarmante. J’approuve la demande d’une loi de programmation pluriannuelle, à condition – mais je sais que telle n’est pas l’intention du président et de la rapporteure de la mission d’information – qu’elle ne soit pas une tartufferie, comme celle sur la recherche votée sous le précédent gouvernement.
Durant le débat qui a eu lieu lors de l’examen de ce projet de loi dans notre hémicycle, nous étions nombreux à estimer que les montants étaient insuffisants et qu’ils ne permettraient pas d’atteindre 3 % de PIB pour la recherche et 1 % pour la recherche publique.
Nous sommes actuellement tout juste dans la moyenne européenne, bien loin derrière l’Allemagne. C’est pourtant un point majeur pour la compétitivité de la France, sans doute bien plus important que l’obsédante course à la baisse du coût du travail – j’en profite pour dire que ce sont ceux qui défendent la valeur travail qui veulent en baisser le coût, ce qui est pour moi incompréhensible.
Le rapport d’information relatif à la mise en œuvre de la loi de programmation de la recherche de nos collègues Laure Darcos et Stéphane Piednoir montre que l’État ne la respecte pas. La trajectoire d’emplois est nettement inférieure, puisque seuls 376 emplois ont été créés contre les 700 prévus. Sans chercheurs, comment innover ?
Il faut insister sur la situation inacceptable des doctorants. La Fédération des associations générales étudiantes (Fage) vient de publier une étude montrant qu’un quart des doctorants ne parviennent pas à subvenir à leurs besoins. Cette situation explique pour partie la perte de 10 000 doctorants en France en dix ans. Comment tolérer qu’aujourd’hui des doctorants, notamment ceux qui enseignent, soient payés en dessous du Smic ?
Au sein de la mission d’information, j’ai plaidé pour que nous demandions une révision de la loi de programmation de la recherche.
Au-delà du terreau à revivifier, il est essentiel de mettre en œuvre les propositions du rapport d’information. Le groupe CRCE sera notamment à vos côtés, madame la rapporteure, pour voter les mesures qui le permettront et pour exiger une révision radicale du crédit d’impôt recherche.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Moga.
M. Jean-Pierre Moga. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en préambule, je souhaite adresser toutes mes félicitations à Alain Aspect, prix Nobel de physique depuis mardi dernier, nouvelle dont je me réjouis particulièrement, car il est natif de mon département !
M. Jean-Pierre Moga. J’ajoute que nous avons le même âge, à quelques jours près !
M. Jean-Pierre Moga. Je remercie la rapporteure et le président de la mission d’information de l’excellent travail qu’ils ont réalisé. Le sujet dont nous débattons aujourd’hui est fondamental. C’est en effet de l’innovation que découlent les nouvelles sources de croissance de notre économie, la bonne santé de nos entreprises, la vitalité de nos territoires et le progrès humain.
Face au caractère inéluctable du changement climatique, il nous est imposé de changer nos modes de production afin de restreindre leurs effets néfastes sur l’environnement et d’atteindre les objectifs bas-carbone à horizon 2050.
Dans une politique visionnaire, nos prédécesseurs nous ont légué le fruit inestimable d’une innovation tout à fait remarquable, une production électrique quasiment décarbonée, nous plaçant de fait parmi les nations les plus avancées du monde en la matière.
La crise sanitaire a agi comme un puissant révélateur de notre manque de capacités d’innovation.
Notre pays a connu une saignée industrielle extrêmement douloureuse à partir des années 1980, dont nous payons toujours les conséquences en termes d’emploi, de cohésion territoriale et de prospérité.
La nécessaire réindustrialisation de notre pays et l’adaptation au climat ne peuvent passer que par un effort puissant en faveur de la recherche et de l’innovation.
Depuis le début des années 2000, la France a su accroître le volume du soutien public à l’innovation, qui est passé de 3,5 à 8,7 milliards d’euros par an en quinze ans. Au total, 110 milliards d’euros seront mobilisés de 2010 à 2030.
L’écosystème du soutien à l’innovation a été réaménagé à de nombreuses reprises : création du crédit d’impôt recherche, lancement du premier programme d’investissements d’avenir (PIA) et mise en œuvre des trois suivants, création de Bpifrance en 2012, etc.
La France compte désormais 20 000 start-up et 27 licornes. Une seule est une start-up industrielle. L’innovation bénéficie donc en majeure partie au secteur du numérique.
La mission d’information à laquelle j’ai eu la chance de participer propose plusieurs voies d’action, qui, je le crois, permettront à l’innovation et à la recherche de redevenir le centre de gravité de notre économie.
En la matière, notre vision est trop linéaire. Elle conduit les pouvoirs publics à soutenir l’innovation essentiellement au travers d’appels à projets qui ne permettent ni de construire des feuilles de route industrielle et technologique ni d’avoir une vision de long terme.
Avant toute mesure paramétrique et sectorielle, il convient de résoudre la problématique que représente l’enseignement scientifique dans notre pays. Les besoins de l’économie française en termes de nouveaux ingénieurs sont estimés entre 50 000 et 60 000 chaque année ; or nos écoles n’en forment que 33 000 par an. Ce différentiel contribue à un affaissement de notre compétitivité.
Pour rester une grande puissance innovante et industrielle, il faut dès maintenant s’attaquer à la question de l’enseignement des sciences dans notre pays. Si l’on en croit les statistiques du ministère de l’éducation nationale, « le niveau des élèves de 4e en 2019 en maths est équivalent à celui des élèves de 5e en 1995 ». Il nous faut inverser la tendance. Une hausse des rémunérations des enseignants et des chercheurs ainsi qu’une loi de programmation de l’enseignement supérieur sont indispensables pour relever le niveau de l’enseignement, susciter des vocations d’ingénieurs, de doctorants, de scientifiques, attirer et conserver nos talents.
Le lien entre innovation et industrie est fondamental.
Ainsi, 70 % de la recherche privée en France est réalisée par l’industrie manufacturière. Il est donc essentiel d’orienter l’innovation vers la réindustrialisation en favorisant les partenariats entre centres de recherche publics et privés et en permettant à un nombre accru d’entreprises, notamment les petites, de se saisir des dispositifs de soutien existants.
Il convient également d’organiser des transferts de technologie vers des entreprises françaises produisant sur le sol national.
Dans cet esprit d’encouragement de l’innovation, il est impossible de ne pas évoquer le crédit d’impôt recherche. Je serai cependant bref sur le sujet, car vous l’avez longuement évoqué, madame la rapporteure, et je partage vos propos.
L’impôt sur les sociétés ayant été abaissé substantiellement durant les dernières années, ce dont je me félicite, la situation actuelle offre l’opportunité d’un recalibrage du CIR vers les bénéficiaires en ayant le plus besoin. La mission d’information propose de doubler le plafond du crédit d’impôt innovation pour le porter à 800 000 euros et d’instituer un « coupon recherche-innovation » à destination des PME. Nous le constatons dans nos territoires, nous l’avons constaté dans le cadre de la mission d’information : celles-ci en ont vraiment besoin.
Il faut également lever certaines contraintes administratives que nous nous sommes imposées, année après année, rendant la vie de nos entreprises de plus en plus difficile. Il est anormal qu’un laboratoire de thérapie génique, secteur innovant par excellence, puisse démarrer ses activités dès la demande d’autorisation en Suisse, mais doive attendre près d’une année, voire davantage, en France.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, c’est tout le pays qu’il nous faut remettre en état de marche, à commencer par notre jeunesse, pour lui donner le goût de la découverte et de l’expérimentation scientifique.
Il nous faut accompagner les entreprises innovantes financièrement, mais aussi engager la puissance publique dans un rôle de facilitation de l’innovation. Les leviers à activer sont nombreux : utiliser la commande publique pour favoriser l’innovation, simplifier les procédures administratives, affiner les dispositifs fiscaux existants et faciliter le financement privé de l’innovation.
Notre groupe sera résolument engagé en faveur de cet impératif. J’ai la sincère conviction que la France dispose de tous les atouts nécessaires pour relever ce challenge. Monsieur le ministre, replacer l’innovation industrielle au cœur de l’économie française est un défi qu’il est impératif de relever dans les plus brefs délais. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mmes Gisèle Jourda et Colette Mélot applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Guylène Pantel.
Mme Guylène Pantel. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, au nom du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, je tiens tout d’abord à saluer le travail réalisé par M. le président Redon-Sarrazy et Mme la rapporteure Paoli-Gagin dans le cadre de la mission d’information « Excellence de la recherche/innovation, pénurie de champions industriels : cherchez l’erreur française ».
Lorsque le groupe Les Indépendants – République et Territoires a pris l’initiative de créer une mission d’information sur ce thème, nous avons été curieux et enthousiastes à l’idée de débusquer des réponses à ce qui pouvait s’apparenter à un paradoxe à la française. Force est de constater que des faits historiques, culturels, politiques, économiques et financiers sont venus enrichir nos interrogations initiales – il n’est qu’à parcourir le rapport d’information !
Nous avons très vite compris que notre pays n’avait pas traîné des pieds lorsqu’il avait fallu investir dans l’innovation et consacrer une politique publique à part entière à ce secteur.
Cette médaille a toutefois son revers : le soutien à l’innovation par l’accroissement des dépenses de recherche et de développement n’encourage pas les entreprises à se spécialiser en France dans des branches d’activité particulières. Ce phénomène amplifie au contraire notre fragilité dans une économie de marché dérégulée, libéralisée, privatisée et compétitive.
L’une des raisons avancées pour expliquer les obstacles à la constitution de grandes industries en France est la difficulté à recruter et à accéder aux compétences. Comme en atteste à juste titre le rapport d’information, le problème est que « l’État a tendance à considérer l’éducation et la recherche comme des coûts, ce qui conduit à un déficit structurel de leur financement ». Ce constat accablant est dressé chaque année par les acteurs du secteur, qui, dans des conditions dégradées, sont dans l’impossibilité de produire un travail suffisamment qualitatif. En outre, ce déficit structurel porte atteinte à des droits fondamentaux comme l’égal accès à l’éducation.
Par conséquent, il conviendrait de renoncer à cette conception mercantile de l’enseignement supérieur et de la recherche et de considérer qu’il s’agit d’un investissement pour l’avenir, afin de former celles et ceux qui intégreront les exécutifs de potentielles futures industries.
Par ailleurs, en Européens convaincus, nous plaidons nous aussi pour une meilleure coordination des politiques d’innovation à l’échelle nationale et européenne, ainsi que le suggère le rapport d’information.
La France doit être plus impliquée dans l’élaboration des orientations stratégiques en matière de recherche et d’innovation. Nos laboratoires doivent avoir voix au chapitre et pouvoir s’inscrire dans une logique de complémentarité, et non de concurrence avec nos voisins européens. Il y a là un enjeu d’efficacité et de souveraineté si nous voulons limiter notre dépendance aux autres grandes puissances, a minima la rendre bien moins asymétrique.
En somme, toutes les recommandations formulées dans le rapport d’information revêtent une grande importance, mais certaines nous paraissent particulièrement saillantes.
Je pense d’abord à l’augmentation du nombre de « sites industriels clés en main » par une meilleure planification de leur utilisation. Ceux-ci permettraient de valoriser les filières en s’appuyant sur les savoir-faire locaux. En outre, des sites industriels existants, inoccupés depuis longtemps, pourraient ainsi être recyclés.
Il faudrait toutefois veiller à mieux répartir ces investissements sur l’ensemble du territoire national – j’y insiste, en tant qu’élue de la ruralité. Le secteur de l’industrie constitue un gisement d’emploi et un facteur d’attractivité non négligeable pour nos régions qui connaissent un déclin démographique.
Je pense ensuite à l’adoption de critères économiques, écologiques, sociaux et de souveraineté pour évaluer l’objectif de promotion du transfert technologique et de l’innovation, qui est fondamentale. Il s’agit de permettre à ce secteur de relever les défis qui s’imposent à la société tout entière.
Je pense enfin à la volonté d’intégrer, au sein des critères de la responsabilité sociale des entreprises (RSE), la collaboration des grands groupes avec les start-up et les PME innovantes. S’il s’agit là d’un premier pas intéressant qu’il faut expérimenter, il faudra peut-être mettre en œuvre des mesures coercitives, car il est permis de douter de la générosité spontanée de certaines grandes sociétés !
Telles sont certaines des observations que je tenais à formuler au nom de mon groupe. En son nom, j’adresse de nouveau tous nos remerciements à celles et ceux qui ont engagé ces discussions capitales. Madame la rapporteure, vous pouvez compter sur le soutien du groupe du RDSE pour faire avancer vos recommandations.
Mme la présidente. La parole est à M. Serge Babary. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Serge Babary. Monsieur le président de la mission d’information, madame le rapporteur, je tiens tout d’abord à vous remercier de votre travail, auquel j’ai eu le plaisir de participer.
Je me réjouis que soient évoqués à plusieurs reprises tout au long du rapport d’information la situation et le rôle singulier des PME et des ETI face à l’innovation.
Je reviendrai sur quatre points qui ont particulièrement retenu mon attention.
Premièrement, il faut renforcer la culture de l’innovation et de l’entrepreneuriat. L’innovation et l’entrepreneuriat devraient être encouragés dès l’école, les formations à l’entrepreneuriat généralisées dans l’enseignement supérieur. Il faut mettre fin à la culture de la peur de l’échec, de la honte, afin d’encourager la créativité et l’innovation. Relancer l’esprit d’entreprise est crucial, dans un pays qui glisse sur la pente dangereuse de l’assistanat.
Deuxièmement, il faut faire converger le temps administratif et le temps économique. Il faut intégrer le temps de l’entreprise dans les procédures administratives, mettre en place des procédures rapides pour agir et adopter des lois pluriannuelles pour sécuriser l’environnement juridique des entreprises.
En matière de commande publique, il faut former l’acheteur public à l’achat innovant. Par ailleurs, il est indispensable de le sensibiliser au monde de l’entreprise. Nous avons déjà abordé ces sujets hier soir avec vous, monsieur le ministre.
Quand allons-nous, enfin, copier les États-Unis et adopter un Small Business Act européen ? Les PME pourraient ainsi enfin accéder à la commande publique, qui représente des montants considérables. Le triplement du plafond de l’achat innovant irait également dans le bon sens.
Plus généralement, ce qui ressort du rapport d’information, c’est la nécessaire simplification des procédures administratives. Les entreprises ont besoin de pragmatisme, de lisibilité, de simplicité !
En 2010, selon l’OCDE, les charges administratives représentaient 3 % du PIB de la France, soit 60 milliards d’euros. Aujourd’hui, selon une étude de l’iFRAP, le montant de ces charges est compris entre 75 et 87 milliards d’euros. En 2017, dans son rapport d’information relatif aux moyens d’alléger le fardeau administratif des entreprises pour améliorer leur compétitivité, la délégation sénatoriale aux entreprises, alors présidée par Élisabeth Lamure, formulait vingt et une recommandations.
Une simplification ambitieuse des démarches des entreprises favoriserait la création et la croissance des entreprises, et par là même l’innovation !
Troisièmement, il faut réorienter les aides fiscales et financières. On ne peut en effet penser innovation sans mettre en place un environnement fiscal, financier et économique adapté.
Madame le rapporteur, je vous remercie d’avoir souligné l’iniquité du versement du crédit d’impôt recherche, dont 77 % reviennent aux 10 % des entreprises les plus importantes, la plupart des PME étant laissées de côté.
Quatrièmement, j’évoquerai le rôle des acteurs privés. Si la fiscalité et le soutien public ont évidemment leur rôle à jouer, l’investissement privé doit en être le complément.
La posture de nos grandes entreprises vis-à-vis de nos start-up et PME doit évoluer. Les grands groupes n’aident pas nos petites entreprises. L’inscription de ce critère dans la RSE serait une excellente chose, afin que ces grands groupes soient plus que des « grands frères bienveillants ».
Monsieur le ministre, j’insisterai enfin sur le caractère interministériel du sujet. (M. le ministre délégué acquiesce.) On ne peut penser innovation et recherche sans intégrer le développement économique. Sans débouchés pour nos chercheurs, pour nos innovations, le risque, comme on l’a malheureusement déjà constaté, c’est la fuite de nos cerveaux et le déclassement de nos entreprises en raison de l’obsolescence technologique.
N’oublions pas que la conquête de nouveaux marchés se fait sur les prestations de rupture, qui sont le résultat de l’innovation. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Laure Darcos.
Mme Laure Darcos. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la France est-elle en train de décrocher définitivement en matière de recherche et d’innovation ? Ma question est évidemment provocante, mais il faut constater que la situation est inquiétante pour notre pays, qui n’investit pas suffisamment dans sa recherche.
Depuis vingt-cinq ans en effet, le financement de la recherche publique et de la recherche privée stagne autour de 2,2 % du produit intérieur brut, à tel point que nous avons abandonné à d’autres pays européens le leadership en matière de R&D. Dans ces conditions, nos gains économiques sont nettement plus faibles que ceux de nos voisins ayant fait de la recherche et de l’innovation un enjeu majeur de dynamisme industriel.
La loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l’enseignement supérieur (LPR), dont j’ai eu l’honneur d’être la rapporteure, était censée tenir la promesse d’un réinvestissement massif dans la recherche publique, l’objectif étant de parvenir à un effort national de recherche équivalent à 3 % du PIB.
Cette loi prévoyait également de renforcer l’attractivité des métiers scientifiques, de consolider les dispositifs d’évaluation, d’organisation et de financement de la recherche et de faciliter la diffusion de la recherche dans l’économie et la société.
Lors de l’examen de ce texte, j’avais affiché un optimisme très relatif tant la trajectoire budgétaire me semblait peu crédible et surtout peu efficace au regard de l’importance de l’écart de compétitivité à combler entre notre pays et les pays européens les plus avancés en matière de recherche et d’innovation. C’est d’ailleurs sur l’initiative du Sénat que l’intensité de l’effort budgétaire a été renforcée sur les premières années de la programmation.
J’avais en outre émis des doutes sur la capacité de cette loi à fixer un cadre réellement motivant pour nos chercheurs et enseignants-chercheurs, susceptible de favoriser leurs activités de recherche en France et non à l’étranger. L’absence de vision sur ce que doit être la politique publique de recherche à moyen et long termes y est sans doute pour beaucoup…
La commission de la culture du Sénat a récemment rendu public son rapport d’information sur la mise en œuvre de la LPR. Le bilan que nous avons dressé démontre que ce texte était nécessaire, mais que son application sur le terrain reste perfectible.
Si cette loi de programmation a permis un bon début de réinvestissement public dans la recherche, sa durée – dix ans – et l’intensité de l’effort budgétaire doivent néanmoins être reconsidérées, d’autant que cet effort est aujourd’hui très largement absorbé par l’inflation.
La mission d’information sur l’excellence de la recherche et de l’innovation, dont nous rendons compte des travaux aujourd’hui – je salue la qualité de ses auditions et de ses déplacements – juge pour sa part nécessaire de considérer la recherche comme un investissement de long terme dans l’innovation.
Trop longtemps, hélas, l’investissement public dans la recherche a été perçu comme un coût et celle-ci a, de ce fait, régulièrement fait fonction de variable d’ajustement pour réduire le déficit budgétaire de l’État. Or, tout démontre à quel point cette vision est néfaste pour la France.
Nous en avons la conviction : la recherche fondamentale se situe au cœur de l’innovation et doit bénéficier d’un puissant soutien financier sur le long terme.
Par ailleurs, la politique de rémunération des chercheurs doit être plus attractive qu’elle ne l’est aujourd’hui si nous voulons retenir nos meilleurs chercheurs et attirer les talents étrangers à fort potentiel.
Le cas d’Emmanuelle Charpentier, jeune prix Nobel de chimie, partie mener ses recherches pionnières et majeures hors de France, n’est pas anecdotique : quand un chercheur de ce niveau fait le choix de poursuivre ses recherches à l’étranger, il emporte avec lui son aura, ses financements et ses compétences. En outre, il ne fera pas bénéficier de jeunes chercheurs français de l’étendue de ses connaissances.
Je suis pour ma part assez optimiste pour l’avenir, même s’il nous faudra persister dans notre effort budgétaire.
En effet, le réinvestissement dans la recherche est en marche. L’Agence nationale de la recherche a connu une année 2021 exceptionnelle, les financements alloués aux équipes de recherche et aux établissements ayant connu d’une augmentation très significative. Grâce à la LPR, l’Agence a vu son rôle renforcé dans l’écosystème de la recherche et de l’innovation et ses missions ont été confortées.
Les budgets en croissance offrent de nouvelles perspectives d’accompagnement des communautés scientifiques. Les premiers résultats sont là : le taux de succès aux appels à projets génériques atteint désormais plus de 23 % et le taux de préciput est passé de 19 % en 2020 à 25 % en 2021. En outre, le soutien à la recherche partenariale a été considérablement renforcé. Nous savons qu’il s’agit d’un puissant levier en faveur de l’innovation.
En conclusion, j’évoquerai trois enjeux majeurs auxquels nous devrons apporter une réponse singulière et courageuse.
Il nous faudra tout d’abord procéder à une clarification du paysage français de la recherche. Celui-ci est en effet constitué d’une pluralité d’acteurs – organismes nationaux de recherche, établissements d’enseignement supérieur, agences de financement, unités mixtes de recherche –, dont les missions ne sont pas forcément bien réparties et les relations pas toujours fluides.
Il nous faudra ensuite donner un cap à la recherche française. La programmation budgétaire de la LPR n’a pas été accompagnée d’une programmation stratégique et c’est incontestablement l’une des raisons pour lesquelles la communauté scientifique a modérément adhéré à la réforme promue par le Gouvernement.
Il nous faudra enfin favoriser une meilleure articulation entre recherche publique et secteur privé, et ce dès l’amorce des projets de recherche, car il n’y a pas d’innovation sans recherche fondamentale.
Si nous sommes capables de répondre à ces trois enjeux, la France redeviendra un grand pays innovant dans tous les secteurs d’avenir – systèmes numérisés, nanotechnologies, nouvelles énergies, biologie, santé – et nous pourrons ainsi renouer avec notre brillant destin collectif, ce que nous appelons tous de nos vœux. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Malhuret.
M. Claude Malhuret. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le sujet qui nous réunit aujourd’hui n’a rien de nouveau, et c’est là tout le drame. Voilà plusieurs décennies que la France s’est engagée sur la voie de la désindustrialisation. Nous avons laissé partir nos usines, ne gardant ici que les centres de décision. C’était le rêve de la mondialisation heureuse !
Résultat : nous n’avons plus guère d’usines, nous exportons nos cerveaux et nous importons les produits que ces mêmes cerveaux, formés sur deniers publics, fabriquent à l’étranger. Nous sommes perdants sur toute la chaîne de valeur.
Ce qui est heureux toutefois, c’est que nous en sommes désormais conscients. Il aura fallu plusieurs crises, singulièrement la crise sanitaire et la guerre en Ukraine, pour nous en rendre compte : nous avons perdu notre souveraineté industrielle.
L’objectif fait maintenant consensus : il faut réindustrialiser le pays. C’est bon pour nos importations, bon pour nos emplois, bon pour la transition énergétique, bon pour la cohésion sociale. La bataille théorique a été gagnée. Nous devons désormais passer à la pratique.
Or, en la matière, les choses se compliquent : d’abord parce qu’il faut analyser précisément les causes de notre déclin industriel, ensuite, parce qu’il faut identifier des remèdes pour guérir le mal – et c’est souvent là que le bât blesse.
C’est pourquoi je me réjouis que le groupe Les Indépendants – République et Territoires, auquel j’appartiens, ait créé cette mission d’information, qui visait précisément à identifier les principaux blocages empêchant notre pays de convertir ses innovations scientifiques en innovations industrielles.
Je tiens à saluer l’engagement de Vanina Paoli-Gagin, qui est à l’origine de cette initiative et qui a accompli un travail de fond pour auditionner de très nombreux acteurs et proposer des solutions opérationnelles et concrètes pour relever cet immense défi. Ce travail a porté ses fruits : toutes les recommandations ont été adoptées à l’unanimité. C’est dire s’il y a consensus sur le sujet.
Je ne reviendrai pas en détail sur chacune d’elles. Le rapporteur a déjà rappelé les principales mesures, notamment fiscales, pour transformer l’essai de l’innovation. Je me contenterai de tirer deux leçons du rapport d’information.
La première leçon concerne la relation entre science et entreprise.
Transformer l’essai de l’innovation, c’est traduire les avancées scientifiques en solutions opérationnelles, c’est faire le lien entre la recherche fondamentale et les projets industriels, entre le monde académique et le monde de l’entreprise.
À cet égard, notre université recèle encore de très puissants éléments de conservatisme. Il n’est pas rare d’y croiser des enseignants et des chercheurs qui soutiennent mordicus que la recherche, pour rester pure, ne doit surtout pas trouver d’application concrète, que tout transfert de propriété intellectuelle ou tout brevet déposé avec une entreprise est une compromission terrible avec le Grand Capital. Ces réflexes corporatistes découragent encore trop souvent les vocations de ceux qui veulent valoriser autrement leurs savoirs.
Et pour cause : une incursion dans le monde de l’entreprise est parfois perçue par les chercheurs comme un égarement de carrière, qui peut pénaliser l’avancement au sein de l’université. Il faut donc repenser le modèle académique pour permettre de mieux appréhender ces trajectoires, qui sont enrichissantes, à la fois pour nos chercheurs et pour nos universités.
J’espère que la récente attribution du prix Nobel de physique à Alain Aspect, directeur de recherche émérite du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) à Paris-Saclay, professeur à Polytechnique, mais aussi grand entrepreneur, puisse les convaincre que l’on peut à la fois entreprendre et réussir une carrière académique…
La seconde leçon que je tire du rapport d’information, c’est l’absolue nécessité de simplifier notre bureaucratie.
Nos entrepreneurs, mais aussi nos universités, nos chercheurs, nos laboratoires, tout l’écosystème l’affirme sans ambages : la France est un Absurdistan, où le formulaire est la norme et l’administration l’arbitre de tout. Nous avons laissé se développer tout un ensemble de règles qui nous étouffent.
Le rapport d’information l’illustre par un exemple éloquent : pour démarrer l’activité d’un laboratoire de thérapie génique, il faut attendre près de dix mois en France. En Suisse, on part du principe que tout est en règle et l’entreprise peut commencer à produire cependant que le dossier est instruit en bonne et due forme.
Voilà ce que nous devons faire en France : miser sur la confiance et remettre l’administration au service des usagers. C’est non pas aux Français, notamment aux entrepreneurs, qui prennent des risques pour faire bouger les choses, de s’adapter à l’administration, mais bien à l’administration de s’adapter à eux. Il est aberrant de financer par nos impôts des délais qui font perdre de l’argent à la collectivité.
Pendant la crise sanitaire, le Gouvernement a mis en place des instruments très efficaces, notamment parce qu’ils étaient immédiatement opérationnels. Bien sûr, il y a eu des erreurs et parfois des abus, mais y en a-t-il plus lorsque la défiance prévaut au sein de l’administration ? À mon avis, non, évidemment.
J’espère que nous saurons capitaliser sur ces réussites récentes pour stimuler l’innovation et réindustrialiser le pays. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDPI et Les Républicains. – Mme Gisèle Jourda applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Roland Lescure, ministre délégué. Madame la présidente, monsieur le président de la mission d’information, madame le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, au préalable, je souhaite vous remercier de ce débat très enthousiasmant et stimulant – le débat d’hier soir sur la souveraineté économique était plutôt long et autrement plus déprimant. Ces débats sont en quelque sorte les deux faces de la même médaille : nous regardons tous vers l’avant, industrie et innovation vont de pair pour que la France se développe. Je pense qu’ici tout le monde partage ce point de vue.
Depuis cinq ans, notre politique se fonde sur une triple accélération : celle, d’abord, de la recherche et développement, laquelle, je le reconnais, est plus ancienne que le quinquennat qui vient de s’achever, celle, ensuite, du transfert de la recherche vers l’industrie, celle, enfin, de l’innovation industrielle, qui est, je pense, une nouveauté. Mme Lienemann l’a rappelé : les trois composantes de cette accélération sont essentielles et sont le gage d’une véritable culture de la réindustrialisation.
Du « mythe funeste » du fabless – cette France « sans usine » que vous avez à raison dénoncée, madame Schillinger –, nous sommes bel et bien revenus ! Pourquoi ? Parce que nous savons tous que l’industrie, c’est l’innovation. Un pays qui se désindustrialise, c’est un pays moins innovant, et un pays moins innovant, c’est moins de croissance.
Le tandem innovation-industrie nous permet de réaliser l’indispensable transition écologique, voire d’accélérer en la matière, car nous avons déjà pris ce virage. Il nous permet aussi de redynamiser nos territoires et de créer partout des emplois pour tous les niveaux de qualification. Ce tandem nous permettra également de rester une grande nation sur tous les plans et dans tous les territoires.
La dimension territoriale de notre politique industrielle est essentielle – Mme la sénatrice Pantel a bien insisté sur ce point –, car, là où l’industrie recule, l’extrémisme et la colère progressent.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. C’est vrai !
M. Roland Lescure, ministre délégué. Si nous réindustrialisons de nouveau les territoires, je suis convaincu que l’extrémisme et la colère reculeront.
Rendons à Nicolas Sarkozy ce qui lui appartient : le réveil national en matière d’innovation date de 2010…
M. Roger Karoutchi. Très bien !
M. Roland Lescure, ministre délégué. … avec la mise en place des programmes d’investissements d’avenir, à la suite des travaux de la commission Juppé-Rocard – le dialogue était déjà transpartisan à l’époque ! (Sourires.) –, dont les recommandations très innovantes ont toutes été mises en œuvre.
En revanche, reconnaissons que c’est à notre gouvernement que nous devons le grand retour de la politique industrielle française (Sourires.), la définition de priorités sectorielles pour l’innovation et le soutien à l’émergence de la French Tech, label internationalement connu aujourd’hui, qui représente – je l’ai dit hier, je le répète aujourd’hui – plus d’un million d’emplois directs et indirects dans le secteur de l’innovation.
L’innovation et la technologie sont essentielles pour notre industrie, M. Malhuret l’a souligné.
Les efforts que nous avons réalisés en matière de financement des start-up sont payants : après avoir démontré leur résilience durant la crise sanitaire, les start-up tricolores ont levé, au cours des six premiers mois de l’année, 8 milliards d’euros, soit dix fois plus qu’en 2017.
Nous avons plus de 25 licornes en France – soyons-en fiers. Les champions sont en train d’émerger, de préférence en Europe, madame Jourda, vous avez raison de souligner ce point. À cet effet, le Président de la République a lancé en 2021 l’initiative Scale up Europe, qui vise à trouver des fonds à l’échelle de l’Union européenne afin de financer les start-up européennes.
Mme Lienemann a indiqué que l’on manquait de start-up industrielles, mais on en dénombre tout de même 1 500 aujourd’hui ! Certes, c’est encore insuffisant en comparaison des 20 000 start-up que compte notre pays, d’autant qu’une grande partie de celles-ci exercent leur activité dans le secteur des services. Cependant, n’oublions pas que le développement industriel prend du temps : il faut treize ans pour créer une véritable entreprise de biotech et dix ans pour créer une entreprise de technologie profonde, appelée aussi deep tech.
Le développement des projets industriels issus de la R&D s’inscrit dans le temps long, mais nous commençons à récolter certains fruits, ce qui va dans le bon sens. Ainsi, une première génération de sites industriels portés par des start-up est en train d’émerger. J’ai eu l’occasion de voir les robots fabriqués par la remarquable start-up Exotec, bien implantée dans le Nord, et utilisés dans les locaux d’une autre entreprise exceptionnelle Lacroix Electronics, située dans le Maine-et-Loire. Ces robots made in France révolutionnent la logistique partout dans le monde.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous allons encore accélérer grâce au déploiement de la stratégie « Start-ups industrielles et deep tech », annoncée au mois de janvier dernier. Nous nous sommes fixé l’objectif d’atteindre cent projets d’industrialisation par an et souhaitons que les start-up s’implantent partout dans le territoire. À cet effet, nous déployons plus de 2 milliards d’euros et nous renforçons notre accompagnement. Le plan d’investissement « France 2030 » amplifiera encore cette dynamique, puisque 50 % de ses financements seront à destination de PME innovantes – j’espère que M. Babary s’en réjouira.
Madame le rapporteur, nous partageons votre souhait de sanctuariser les financements et de donner de la visibilité à l’ensemble des acteurs : nous lui donnerons corps avec le plan « France 2030 ».
Mme Darcos nous a reproché de ne pas avoir de cap en matière de recherche. Nous en avons un, qui est bien fixé : le plan « France 2030 ». C’est dans cette direction que nous devons aller.
Je conclurai sur notre point de désaccord : le crédit d’impôt recherche. (Mme Gisèle Jourda et M. Jean-Pierre Moga s’exclament.)
J’entends ce que vous dites : on peut sans doute faire mieux ! Le Gouvernement, pour être franc, est prêt à examiner en détail la manière dont on pourrait optimiser ce crédit. Pour autant, de grâce, comme la Constitution, ne le touchons que d’une main tremblante ! Il est aujourd’hui extrêmement bien identifié par les investisseurs internationaux… (Mme Sophie Primas s’exclame.)
Ce crédit d’impôt recherche permet aujourd’hui aux ingénieurs français de faire jeu égal avec les ingénieurs du monde entier.
Nombre d’entrepreneurs français qui réussissent en Amérique du Nord – je le sais, puisque, jusqu’à récemment, j’étais député des Français établis aux États-Unis et au Canada – viennent désormais installer leurs laboratoires de recherche en Europe, notamment en France grâce au crédit d’impôt recherche.
Alors, soyons prudents ! Vous avez mentionné l’abaissement du plafond du CIR à 100 millions d’euros de dépenses de R&D, mesure qui rapporterait à l’État 700 millions d’euros, mais qui diminuerait les dépenses au-delà de ce seuil de 1,8 milliard d’euros. Nous avons besoin d’étudier en détail les effets de vos propositions – nous sommes prêts à vous aider dans ce chantier – avant de les inscrire dans la loi. Le CIR fait aujourd’hui partie de l’image de marque de la France dans le monde entier ; je le répète, n’y touchons que d’une main tremblante.
L’autre grand chantier devant nous est celui de la commande publique. Beaucoup l’ont souligné : celle-ci doit devenir un véritable levier d’innovation, d’industrialisation et d’achats français. J’ai eu l’occasion d’en parler hier soir lors du débat sur la souveraineté économique – tout se recoupe, en somme (Sourires.) – : au Sénat comme à l’Assemblée nationale, où je siégeais alors, des dispositions permettant d’atteindre cet objectif ont été votées dans la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises (Pacte), dans la loi d’accélération et de simplification de l’action publique (Asap) ou encore dans la loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite Climat et résilience.
Nous devons sécuriser nos acheteurs, notamment dans les collectivités territoriales, de manière qu’ils comprennent que l’on peut acheter des produits durables, issus des circuits courts, innovants et français, sans passer sous les fourches caudines du code de la commande publique.
Pour le dire de façon extrêmement claire : la protection, oui, le protectionnisme, non. Notre industrie doit avoir des fondements solides, mais elle doit également être en mesure de gagner des parts de marché. Nous devons attirer des capitaux en France, construire des entreprises qui seront capables de s’exporter et de conquérir le monde. Je suis intimement convaincu que nous sommes capables d’y parvenir et, mesdames, messieurs les sénateurs, que votre rapport d’information nous y aidera.
Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, ce n’est pas la vision du seul ministre délégué chargé de l’industrie que je viens de vous exposer. La ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche Mme Sylvie Retailleau, ancienne présidente de l’université Paris-Saclay, dont est issu notre récent prix Nobel de physique, avec laquelle j’ai eu une longue conversation, partage cette volonté d’avoir une recherche et innovation de rang mondial, fortement connectée avec le monde de l’entreprise.
Nous travaillerons de concert à cet objectif, je vous le garantis. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et Les Républicains. – Mme Gisèle Jourda applaudit également.)
Conclusion du débat
Mme la présidente. Pour conclure ce débat, la parole est à M. le président de la mission d’information.
M. Christian Redon-Sarrazy, président de la mission d’information sur le thème « Excellence de la recherche/innovation, pénurie de champions industriels : cherchez l’erreur française ». Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, au moment de conclure ce débat, je soulignerai que cette mission d’information s’est penchée sur une question qui nous préoccupe tous, peu importe notre couleur politique : comment et à quelles conditions l’innovation peut-elle nous aider à reconquérir notre souveraineté industrielle, à créer et maintenir des emplois pérennes dans nos territoires ?
Cet après-midi, le CIR a été au cœur des débats. Faut-il maintenir une rente de situation que nous avons dénoncée et qui fait l’objet de critiques régulières dans de nombreuses études économiques ?
Je rappelle que les modifications que nous proposons ne font que corriger à la marge certains abus, sans porter atteinte au cœur du dispositif. Le crédit d’impôt recherche français restera d’ailleurs le dispositif fiscal le plus généreux parmi l’ensemble des pays de l’OCDE pour favoriser la R&D. Il sera même encore plus généreux, puisque l’actuel taux de 30 % sera augmenté à due concurrence des économies réalisées, en supprimant le taux de 5 % au-delà des 100 millions d’euros de dépenses de R&D et en calculant le plafond du CIR au niveau de la holding de tête pour les groupes qui pratiquent l’intégration fiscale. En outre, le CIR sera plus efficace, puisqu’il bénéficiera davantage aux PME et aux ETI, c’est-à-dire aux entreprises pour lesquelles le levier qu’il représente pour favoriser les dépenses de R&D est le plus important.
Quant à l’argument de stabilité fiscale qui a été évoqué, il ne tient pas davantage selon moi. Comme Mme le rapporteur l’a souligné et comme certains collègues l’ont rappelé, le contexte fiscal des entreprises a changé. En outre, le dispositif du CIR n’a pas évolué depuis quatorze ans. Le temps d’une évolution est donc venu, d’autant que les études économétriques démontrent qu’une révision même marginale du CIR s’impose pour garantir l’efficacité de la dépense publique.
Mes chers collègues, à l’heure où le Parlement est souvent critiqué pour son impuissance, j’espère que nous vous avons convaincus de cosigner et de voter les amendements transpartisans que nous vous proposerons, Vanina Paoli-Gagin et moi-même, au moment de l’examen du projet de loi de finances pour 2023, afin de renforcer la compétitivité de nos PME et ETI par l’innovation.
Au-delà du CIR, je souhaite insister sur une autre mesure qui nous paraît importante pour promouvoir l’innovation dans les PME qui ne font pas encore appel aux dispositifs d’aide à la R&D. À l’instar de ce qui se fait en Belgique, nous proposons d’instituer un « coupon recherche-innovation » de 30 000 euros à destination des PME, dans la limite d’une enveloppe globale de 120 millions d’euros. Ce dispositif permettrait d’élargir le vivier des bénéficiaires des aides à l’innovation à des PME, lesquelles sont souvent rebutées par la bureaucratie associée au dispositif de soutien à l’innovation.
Dans nos circonscriptions, nous avons tous entendu des chefs d’entreprise se plaindre qu’ils n’avaient ni le temps ni les ressources humaines pour remplir les dossiers d’appels à projets. Par ailleurs, au cours de nos auditions, nous avons constaté que c’étaient souvent les mêmes entreprises qui bénéficiaient des aides publiques d’une année sur l’autre, notamment parce qu’elles pouvaient s’appuyer sur des services juridiques disposant d’une expertise pour remplir ce type de dossiers.
Nous avons également été choqués d’entendre que 15 % du montant des appels à projets servirait en réalité à rémunérer des cabinets de conseil chargés de monter les dossiers !
Le « coupon recherche-innovation » vise donc à rétablir une certaine égalité devant les aides publiques en permettant aux PME de se lancer dans un processus d’innovation indispensable pour leur compétitivité future, donc pour leur pérennité, tout en veillant à ce que le dispositif ne soit pas trop complexe, afin de simplifier sa mise en œuvre.
Tout ne doit toutefois pas venir du Parlement : le Gouvernement a également son rôle à jouer pour soutenir la réindustrialisation de notre pays par l’innovation.
D’une part, le Gouvernement doit mobiliser la commande publique au service des entreprises industrielles innovantes. Les chefs d’entreprise attendent moins des subventions que des opportunités pour faire croître leur chiffre d’affaires. Or la commande publique représente chaque année 111 milliards d’euros…
Il existe une idée fausse, malheureusement très répandue, selon laquelle les règles communautaires seraient à l’origine de notre incapacité à utiliser la commande publique pour soutenir nos entreprises. En réalité, nous nous mettons nous-mêmes des bâtons dans les roues à cause d’une conception rigide et peureuse des règles des marchés publics.
D’autre part, le Gouvernement doit renforcer toutes les initiatives de facilitation des démarches administratives et de raccourcissement des délais, afin d’aligner le temps administratif sur le temps économique.
En conclusion, si les défis sont grands, je suis, comme Mme le rapporteur, optimiste, car la France dispose des atouts nécessaires pour faire partie des grandes nations innovantes. Le débat d’aujourd’hui a montré une réelle prise de conscience, de la part aussi bien du Parlement que du Gouvernement.
Désormais, il nous faut agir collectivement pour améliorer l’efficacité des dépenses publiques consacrées à l’innovation et, surtout, pour les mettre au service de la réindustrialisation de nos territoires – de tous nos territoires.
Je tiens à remercier particulièrement Mme le rapporteur, à l’initiative de ce débat avec son groupe, dont je salue l’engagement et l’expertise sur ce sujet – nous avons pu le mesurer tout au long des auditions. Je ne doute pas qu’elle continuera de mener ce combat. Nous serons à ses côtés, comme nous l’avons été au cours des quelques mois de travail de la mission d’information. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et Les Républicains.)
Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur les conclusions du rapport d’information Transformer l’essai de l’innovation : un impératif pour réindustrialiser la France.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures cinquante, est reprise à quinze heures cinquante-trois.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
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Quelle place donner aux acteurs du médico-social dans l’organisation des soins de demain sur nos territoires ?
Débat organisé à la demande du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, le débat sur le thème : « Quelle place donner aux acteurs du médico-social dans l’organisation des soins de demain sur nos territoires ? »
Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses, dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je rappelle que l’auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
À l’issue du débat, l’auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.
Dans le débat, la parole est à Mme Patricia Schillinger, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme Patricia Schillinger, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la crise sanitaire a exacerbé les faiblesses de l’hôpital public, où le manque de lits ne constitue que la partie émergée de l’iceberg.
Nous en avons parlé longuement lors de notre débat mardi : les difficultés éprouvées par le secteur sanitaire, au plus fort de la crise, pour répondre à la demande de soins, témoignent de la défaillance plus large à laquelle fait face, comme dans tant d’autres pays voisins, notre système de santé.
La Nation a pu, à cette occasion, témoigner sa reconnaissance au personnel soignant et hospitalier, en première ligne face à la covid-19. Les personnels des établissements médico-sociaux se sont également mobilisés pour maintenir la continuité du lien et des accompagnements, que la situation menaçait de mettre gravement en péril. Ils ont été centraux pour tout notre système de soins – sanitaires et sociaux – si cher à nos valeurs et à notre histoire.
La crise sanitaire a suscité dans l’urgence des solidarités nouvelles et a encouragé la mise en œuvre de prises en charge innovantes. C’est dans les crises que nous sommes le plus créatifs, que les barrières s’abaissent et que les collaborations se lient. Une fois encore, la pandémie nous a démontré la véracité de cette idée. Au moment où il nous faut tirer les enseignements de la crise sanitaire et repenser l’organisation des soins pour la rendre plus efficace, le groupe RDPI a jugé pertinent que nous nous interrogions sur la place que pourraient occuper les acteurs du médico-social dans la nouvelle organisation des soins de demain.
Trop souvent, un regard inquiet se porte sur l’hôpital et sur la médecine de ville, considérés comme uniques garants de la continuité des soins. Ceux-ci sont essentiels, c’est certain, et notre groupe saura, dans les mois prochains, défendre avec vigueur leur rôle. Mais ils ne sont pas les seuls pour résoudre le problème grandissant des zones sous-dotées ; ils ne sont pas les uniques relais pour assurer la prévention. Le secteur du médico-social et tous les professionnels qu’il comprend sont au cœur de notre politique du soin dans toute sa pluralité et sa complexité.
Ses acteurs interviennent dans des domaines variés, tels que celui de l’enfance, du plus grand âge, du handicap, de la protection maternelle et infantile, auprès de personnes en grande difficulté sociale et de santé, ou encore dans le cadre de la protection des majeurs. Il joue un rôle déterminant dans notre société. Un rôle économique, d’abord, en libérant du temps pour les aidants salariés ou en prévenant la désinsertion professionnelle des personnels fragilisés par le handicap ou la maladie. Il assume aussi un rôle social de maintien du lien de solidarité, dont la nécessité a été exacerbée durant la crise.
Alors que les attentes vis-à-vis de ces personnels sont fortes, et que ceux-ci doivent assurer la prise en charge de la précarité, ils se sentent parfois eux-mêmes précaires. Aussi, comme l’hôpital, le secteur médico-social est-il en proie à des difficultés de recrutement.
Je tiens ici à souligner l’effort consenti par le Gouvernement pour un million de professionnels de ces secteurs dont les rémunérations ont été revalorisées, qu’il s’agisse des professions médicales, des professions du soin ou, pour certains secteurs, comme celui du grand âge, des professions de l’accompagnement. Cette reconnaissance, accordée dans le cadre du Ségur de la santé, a été élargie également aux professionnels du secteur socio-éducatif dans tous les établissements et services du handicap, de la protection de l’enfance, de l’insertion ou encore de l’hébergement.
S’adressant à un public de personnes par définition vulnérables et dépendantes, les acteurs du médico-social occupent une position stratégique dans l’organisation du soin et sont susceptibles d’intervenir à des étapes clés de la prise en charge médicale d’éventuels patients.
Face au vieillissement de la population et à l’accroissement du nombre de personnes âgées de plus en plus dépendantes, garantir à celles-ci une prise en charge adaptée à leur état, selon leur degré d’autonomie, permettrait de libérer du temps médical. Il s’agit de favoriser le maintien à domicile des personnes légèrement dépendantes, grâce au renforcement de l’aide à domicile et au financement de l’adaptation des logements.
Dans nos territoires, où nous manquons parfois de structures dédiées, comme mon collègue Dominique Théophile le rappellera, les professionnels du secteur médico-social peuvent aussi être des relais à domicile, pour que, en France, vieillir soit vécu non pas comme une fin, mais comme l’ouverture d’un nouveau chapitre.
Dans le même temps, pour accueillir des personnels de plus en plus dépendants, les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) doivent être démédicalisés. Garantir une prise en charge adaptée à nos aînés, c’est permettre de mieux vieillir, et c’est encore du temps médical qu’on libère.
Je pense aussi à nos enfants, dont les problématiques de santé mentale se font de plus en plus inquiétantes. Les éducateurs spécialisés connaissent les jeunes, ils pourront être des garants d’un diagnostic précoce et ils sont utilement formés à ces enjeux. Je pense encore à nos concitoyens en situation de handicap, dont l’inclusion dépend aussi de la place donnée aux professionnels du médico-social dans toutes nos structures, qu’il s’agisse d’éducation ou d’emploi.
Aussi nous faut-il imaginer de nouvelles formes d’organisation des soins afin d’être, demain, en mesure de proposer, dans les territoires, une offre de soins adaptée aux besoins qui sont exprimés.
Organiser les soins de demain en collaboration avec les acteurs de nos territoires, c’est donner à chacun toute sa place. C’est laisser la possibilité aux élus locaux de trouver des solutions aux enjeux de terrain qu’ils connaissent si bien. C’est donner aux nouvelles générations de professionnels des possibilités novatrices pour collaborer vers un vivre ensemble inclusif et protecteur.
Mes chers collègues, le sujet qui nous occupe aujourd’hui est vaste, mais il existe toujours, dans les questions d’ampleur, des solutions concrètes et, dans les grands débats, de petites victoires.
Madame la ministre, je sais votre attachement à la question de l’organisation des soins et votre souhait d’assurer que notre modèle de soin et d’accompagnement, cher à notre culture française, perdure pour tous nos concitoyens. Je vous remercie d’être présente aujourd’hui parmi nous pour échanger avec nous. J’espère que chacun pourra contribuer à une vision nouvelle, enrichie par nos expériences variées, qui sera force de propositions pour l’avenir. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite tout d’abord remercier le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants d’avoir inscrit ce débat à l’ordre du jour de votre assemblée.
Je profite de la tenue de ce débat pour saluer les quelque 11 millions de nos concitoyens engagés qui viennent en aide chaque jour aux personnes en perte d’autonomie dans notre pays. Le 6 octobre est, comme vous le savez, la journée nationale des aidants. Ceux-ci ont tout notre respect et méritent une attention constante.
Quelle place donner aux acteurs du médico-social dans l’organisation des soins de demain sur nos territoires ? Je veux vous redire le plaisir qui est le mien d’intervenir devant vous sur ce sujet, qui soulève des enjeux cruciaux pour l’avenir de notre système de santé, tant en matière d’égalité d’accès à la santé sur le territoire que d’attractivité des métiers du médico-social.
Avant de parler de demain, ce débat mérite un mot sur hier, avec un constat : la crise sanitaire, qui a été une épreuve collective, a notamment montré combien notre système de soins a besoin de dépasser l’hospitalo-centrisme pour aller vers des coopérations territoriales entre acteurs du soin et du médico-social. Le Gouvernement tire toutes les leçons de ce constat. C’est pourquoi le sujet de l’organisation territoriale des soins est au cœur de mon ministère, en lien avec mes collègues François Braun, Jean-Christophe Combe et Geneviève Darrieussecq.
Au moment où le Parlement s’apprête à examiner le projet de loi de financement de la sécurité sociale, voici les chiffres. En 2023, l’objectif global de dépenses augmenterait respectivement de 5,1 % et de 5,2 % pour la prise en charge des personnes âgées et des personnes vivant avec un handicap, pour atteindre 30 milliards d’euros. Près de 1,5 milliard d’euros supplémentaires seront ainsi consacrés au secteur médico-social l’année prochaine. C’est un signe fort de notre engagement dans ce domaine.
En particulier, le sujet du bien vieillir constituera un axe central de notre action gouvernementale. Il s’agit notamment d’assurer le « virage domiciliaire », en permettant à nos concitoyens de disposer de solutions de maintien à domicile ou de prise en charge dans des structures adaptées à la diversité de leurs situations. Cet objectif est au centre de notre stratégie de prévention de la perte d’autonomie et de la lutte contre la dépendance.
Ces sujets seront d’ailleurs au cœur du travail du Conseil national de la refondation (CNR), récemment installé par le Président de la République, et pour lequel les secteurs de la santé et des solidarités feront l’objet de déclinaisons thématiques particulières, afin d’organiser une large concertation avec l’ensemble des acteurs pour faire émerger des solutions concrètes, pragmatiques et adaptées aux besoins des territoires.
La crise a agi comme un révélateur de nos faiblesses, mais aussi comme un formidable catalyseur en matière d’innovation technologique et organisationnelle. Partout sur le territoire, des organisations nouvelles ont été déployées, des freins historiques ont été levés et des solutions locales ont été trouvées, en matière d’aller vers, d’accompagnement et de prise en charge. C’est cet état d’esprit que nous souhaitons conserver et promouvoir dans le cadre de ce CNR, pour construire la santé de demain avec l’ensemble des parties prenantes, locales et nationales, dans une logique de confiance, de coopération et de subsidiarité.
Pour revenir au cœur même du débat, je voudrais rappeler que le secteur médico-social a d’ores et déjà une place essentielle dans l’organisation actuelle des soins. Je suis convaincue que, dans un avenir proche, la coopération renforcée entre le sanitaire et le médico-social constituera un enjeu clé et pourra apporter des solutions concrètes aux besoins exprimés par nos concitoyens. Il nous faut donc réinventer la place des acteurs du secteur médico-social dans l’organisation territoriale du soin, au sens du care, avec des enjeux de sensibilisation, de formation, de coordination, d’accompagnement des professionnels de santé et de prévention, en ce qui concerne notamment l’autonomie.
Réinventer la place des acteurs du secteur du médico-social dans l’organisation territoriale des soins, c’est aussi, bien entendu, parler de l’avenir des métiers de ce secteur, qui est aujourd’hui le quatrième pourvoyeur d’emplois dans notre pays, et qui s’est fortement mobilisé pendant la crise sanitaire.
À ce titre, je tiens une nouvelle fois à saluer l’engagement de l’ensemble des personnels du secteur qui, partout sur le territoire, se sont mobilisés sans relâche pour combattre l’épidémie. Je remercie de même tous ceux qui ont accompagné nos personnes âgées pendant la canicule cet été.
Ces métiers essentiels de l’accompagnement et de la prise en charge du médico-social souffrent, comme tous les métiers du soin, de profondes difficultés. Je tiens à rappeler l’importance des efforts financiers réalisés en 2022 en faveur de l’attractivité des métiers de l’autonomie, sous l’effet notamment de l’extension des mesures de revalorisation salariale du Ségur de la santé au personnel des établissements accueillant des personnes en situation de handicap, avec les accords Laforcade, ainsi que des revalorisations issues de la conférence des métiers de l’accompagnement social et du médico-social, qui ont représenté un effort de 3,2 milliards d’euros pour la branche autonomie.
Néanmoins, les tensions qui subsistent sur les métiers de l’accompagnement ne se résument pas aux enjeux, légitimes, de rémunération. Il nous faut aller toujours plus loin pour renforcer l’attractivité de ces métiers, améliorer les conditions de travail, accompagner la construction de parcours et de carrières ou encore rénover la formation. C’est aussi l’objet de notre débat ce jour.
Aussi l’action du Gouvernement en faveur de l’attractivité des métiers de l’autonomie est-elle guidée par deux grands principes, qui nous permettront de préparer cet avenir. D’abord, simplifier et fluidifier, parce qu’il faut faciliter les démarches à celles et ceux qui veulent s’engager dans ces filières. Puis, reconnaître et valoriser, parce que ces métiers doivent pouvoir susciter des vocations et trouver leur juste place au sein de notre société.
Ces principes sont traduits par des mesures concrètes dans le PLFSS. Je pense à l’instauration de deux heures hebdomadaires consacrées au lien social auprès de nos aînés, à la transformation des Ehpad, à la création de nouvelles places de services de soins infirmiers à domicile (Ssiad), ou encore aux mesures en faveur de l’amélioration de l’accès à la santé.
Mais je voudrais surtout mettre en avant le changement de méthode pour appréhender au mieux les changements de demain. Nous souhaitons poursuivre cet effort, à travers le CNR et l’ensemble de notre action.
Dans ce but, j’ai notamment engagé des discussions avec les fédérations représentatives du secteur, dans le cadre d’une réflexion plus globale intégrant les problématiques de formation initiale et continue en santé. Cette méthode, notre méthode, repose sur l’ouverture, le dialogue et la concertation.
En effet, les réponses doivent être issues des territoires et coconstruites avec l’ensemble des acteurs concernés : les parlementaires que vous êtes, les collectivités locales, les associations, les entreprises, les professionnels de santé, mais aussi les personnes accompagnées. Tous doivent être impliqués dans l’élaboration des politiques publiques de demain. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Colette Mélot applaudit également.)
Débat interactif
Mme la présidente. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes, y compris l’éventuelle réplique. Le Gouvernement dispose pour répondre d’une durée équivalente, ainsi que d’une minute pour répondre à une éventuelle réplique ; l’auteur de la question disposera alors à son tour du droit de répondre pendant une minute.
Dans le débat interactif, la parole est à M. Dominique Théophile.
M. Dominique Théophile. Le 6 octobre est en France la journée nationale des aidants. Ceux-ci sont près de 10 millions à soutenir au quotidien un proche en perte d’autonomie. Cette journée des aidants m’importe tout particulièrement, car, en Guadeloupe, la tradition de solidarité familiale est ancrée dans les valeurs.
Cette tradition est malheureusement d’autant plus importante que notre taux d’équipement figure parmi les plus faibles au sein des départements français, ce qui nous impose d’élaborer une vision nouvelle de la prise en charge des personnes âgées de demain. Quel regard porter sur le vieillissement ? Quelle place donner aux professionnels du médico-social et aux proches ? Quel accompagnement offrir dans nos territoires ultramarins trop souvent sous-dotés ?
Je me félicite que des pierres successives viennent consolider notre politique du mieux vieillir dans toute sa complexité. Je pense notamment au projet de loi portant mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi, que nous examinerons prochainement et qui reconnaît la variété des compétences des proches aidants à travers le dispositif de validation des acquis de l’expérience.
Mais l’organisation des soins de demain nous impose de poursuivre nos efforts. Dans le dernier rapport de l’Insee, il est souligné que, entre 2020 et 2030, le nombre de seniors dépendants âgés de 60 à 74 ans augmenterait de 15 % en Guadeloupe. Au-delà de 75 ans, cette hausse sera de 45 %. Or, actuellement, seuls 5 % d’entre eux vivent en institution, et 6 695 emplois seraient nécessaires en 2030 pour prendre en charge, avec respect et dignité, nos concitoyens âgés.
Quelle collaboration mettre en œuvre demain entre citoyens et professionnels du domaine sanitaire et médico-social pour assurer une prise en charge adéquate sur tous nos territoires, notamment les moins dotés ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. Monsieur le sénateur, vous rappelez la tradition de solidarité familiale qui est ancrée dans les valeurs et l’organisation de l’accompagnement des personnes dans votre territoire de Guadeloupe.
Tout d’abord, et particulièrement en ce jeudi 6 octobre, il me semble important de rappeler et de souligner une nouvelle fois l’engagement des 11 millions d’aidants qui incarnent le lien social et la solidarité familiale dans notre pays. Leur rôle est précieux pour les personnes qu’ils soutiennent, que celles-ci vivent en établissement ou à domicile.
L’accompagnement à domicile des personnes en situation de handicap et âgées est un enjeu pour notre société, une ambition pour le Gouvernement, et ce pour l’ensemble du territoire. C’est pourquoi de nouvelles places seront créées dans les services de soins infirmiers à domicile et le modèle de tarification évoluera dans les mois à venir, pour mieux valoriser la prise en soin des personnes les plus dépendantes.
C’est aussi pour améliorer le soin à domicile qu’un tarif plancher de 22 euros a été mis en place pour les interventions des services d’aide à domicile qui interviennent dans le cadre de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) et de la prestation de compensation du handicap (PCH).
Vous soulignez aussi le manque d’établissements sur votre territoire pour les personnes qui ne pourraient ou ne souhaiteraient plus vivre à domicile. Un plan d’aide à l’investissement, géré par la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), est en cours : 17 millions d’euros seront ainsi destinés aux territoires d’outre-mer et à la Corse dans le cadre d’un plan de rattrapage visant à la réhabilitation du parc existant, mais également à l’installation de places nouvelles.
Mme la présidente. La parole est à Mme Michelle Meunier.
Mme Michelle Meunier. Je salue l’initiative de nos collègues du groupe RDPI et je saisis l’occasion d’orienter ces échanges vers un sujet majeur à mon sens : la nécessité de changer fondamentalement la perception des métiers du médico-social pour renforcer leur attractivité.
C’est historique et c’est culturel, les fonctions du soin souffrent d’avoir été longtemps, trop longtemps, naturellement exercées par des femmes : moins un métier qu’une occupation, une inclination personnelle, voire une vocation. Ces différentes appréciations rendent invisibles les compétences exercées, la technicité des gestes, la complexité des relations humaines construites avec les personnes vulnérables et leurs familles.
La valeur de ce travail est clairement sous-estimée. Si l’on compare les tâches professionnelles de prendre soin à d’autres métiers, qui mettent en jeu une technicité comparable, une aisance relationnelle similaire et l’exercice de responsabilités, l’écart de considération est flagrant, notamment quand on les compare avec des métiers à prédominance masculine.
Ce qui découle de cette sous-reconnaissance est évident : le cumul de faibles rémunérations et de temps de travail partiels, scindés, le plus souvent subis. Rien ne justifie la persistance d’une telle vision des choses.
Madame la ministre, comment le Gouvernement entend-il prendre ses responsabilités pour changer cette vision de ces métiers ? (Mme Victoire Jasmin applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. Madame la sénatrice, je vous remercie très sincèrement de votre question. Ces dernières années, de nombreux travaux ont été menés dans le secteur du grand âge. Dans un rapport intitulé Vers un service public territorial de l’autonomie, le docteur Libault appelle à changer de regard, qu’il s’agisse du regard de notre société sur le vieillissement de la population ou de celui que nous portons collectivement sur ces métiers du care, qu’on appelle encore souvent les métiers du soin.
Chacun le sait, les métiers du secteur social et médico-social sont très féminins – je ne sais pas s’il faut dire qu’ils le sont trop.
Après la crise du covid-19, nous avons lancé une grande campagne de communication et de sensibilisation pour montrer l’intérêt et la beauté de ces métiers, dont nous aurons de plus en plus besoin dans les années à venir, car le nombre de personnes qui devront être accompagnées va nécessairement augmenter.
Après une période de ce que l’on pourrait qualifier d’Ehpad bashing, notre responsabilité collective est de montrer que ces métiers sont importants et attractifs : ils font appel à notre humanité ; qui plus est, ils ne sont pas délocalisables.
Jean-Christophe Combe, ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées, annoncera prochainement l’organisation d’une journée de l’aide à domicile pour mettre l’accent sur ce sujet.
En tout état de cause, si nous voulons changer de regard, comme je le disais à l’instant, c’est ensemble que nous y arriverons ! (M. François Patriat applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Michelle Meunier, pour la réplique.
Mme Michelle Meunier. Madame la ministre, j’espère que nous aurons l’occasion de concrétiser vos propos par l’examen dans cet hémicycle d’un projet de loi sur le grand âge et l’autonomie…
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Je souhaite tout d’abord remercier nos collègues du groupe RDPI d’avoir demandé l’organisation de ce débat.
Le secteur médico-social est composé d’une diversité de lieux d’exercice et de métiers, de la petite enfance à la gériatrie, mais toutes et tous vivent la même réalité : le manque de reconnaissance de leur métier.
Comment ne pas évoquer le réseau des centres médico-psychologiques (CMP), tellement affaibli par le manque de personnel que les délais pour obtenir un rendez-vous sont démentiels ?
La situation est identique dans les centres médico-psycho-pédagogiques (CMPP), des structures conçues comme des lieux d’accueil et de soins centrés sur l’enfant. Actuellement, un quart à un tiers des actes de pédopsychiatrie en ambulatoire est effectué en CMPP. Or il n’en reste que 309 en France !
Quand on sait les conséquences de la pandémie sur les enfants et les adolescents, il y a de quoi s’inquiéter. Ce sera d’ailleurs l’objet d’un colloque, que j’organise lundi au Sénat.
Madame la ministre, nous sommes face à un abandon institutionnel de ces professionnels et, de fait, de leurs patients, d’autant qu’en excluant nombre de ces professions des revalorisations du Ségur de la santé, le sentiment de dévalorisation de leurs métiers s’est généralisé. Malgré les rattrapages de l’an dernier, les « oubliés » du Ségur existent toujours.
Quand allez-vous revaloriser tous ces métiers de la deuxième ligne, madame la ministre ?
Enfin, je voudrais attirer votre attention sur un sujet qui me tient particulièrement à cœur, ainsi qu’à ma collègue Cathy Apourceau-Poly : les aides à domicile. Il y aurait beaucoup à revendiquer, mais je vais centrer mon propos sur le prix de leurs déplacements en voiture qui s’envole depuis la crise en Ukraine et les conséquences sur le prix de l’essence.
Allez-vous enfin, madame la ministre, relever le barème kilométrique des aides à domicile de 0,22 euro à 0,35 euro pour permettre à ces personnes de faire face aux difficultés qu’elles rencontrent ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mme Michelle Meunier applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. Madame la sénatrice, je ne peux pas partager votre idée selon laquelle les acteurs du secteur médico-social manquent de reconnaissance.
Oui, il faut changer le regard – je le disais en réponse à l’intervention de Mme Meunier – et il est de notre responsabilité à tous d’encourager ces acteurs pour assurer leur pleine reconnaissance.
C’était d’ailleurs l’un des axes du Ségur et vous savez très bien que nous avons rattrapé au fur et à mesure les situations des personnels qui avaient échappé aux premières conclusions et que l’on a appelés les « oubliés » du Ségur.
En ce qui concerne la prise en charge de la santé mentale, que vous avez évoquée en parlant des CMP et des CMPP, c’est certainement le secteur qui a connu le moins d’investissements ces dernières années et qui est donc le plus touché par les difficultés de notre système de santé.
C’est pour cette raison qu’Agnès Buzyn avait lancé dès décembre 2017 un plan de rattrapage en faveur du secteur de la santé mentale. Malheureusement, la crise sanitaire a aggravé l’état de certains de nos concitoyens, notamment parmi les jeunes.
Je le redis, les enjeux de la prise en charge de la santé mentale, notamment dans le cadre des CMP et des CMPP, et de la reconnaissance des métiers du médico-social sont très importants à nos yeux.
Concernant le secteur de l’aide à domicile, le dernier quinquennat a permis une première, à savoir la mise en place d’un tarif plancher de 22 euros – je l’ai évoqué – qui permet une meilleure prise en compte des spécificités du secteur.
Plus précisément, des discussions sont en cours avec les services d’aide à domicile en ce qui concerne la question de l’augmentation des prix des carburants. Nous devrons, le cas échéant, intégrer ce sujet dans les contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (CPOM) et prévoir des dotations complémentaires pour les aides à domicile particulièrement touchées.
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour la réplique.
Mme Laurence Cohen. Madame la ministre, je me réjouis que vous nous appeliez à changer de regard, mais nous n’avons pas les mêmes responsabilités : vous êtes ministre, vous êtes en poste, nous attendons donc des actes !
Vous nous dites que toutes les situations des « oubliés » du Ségur ont été rattrapées : nous ne devons pas rencontrer les mêmes personnes, parce que je vous confirme qu’il reste toujours des « oubliés » du Ségur !
J’ai évoqué la question du barème kilométrique pour les aides à domicile, mais la véritable question est celle d’une revalorisation salariale de ces métiers.
Madame la ministre, de grâce, arrêtez d’attendre et donnez au secteur les moyens humains et financiers dont il a besoin ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mme Michelle Meunier applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Jocelyne Guidez.
Mme Jocelyne Guidez. Le secteur du grand âge se mobilise face à la transition démographique et la prise en charge médicale et paramédicale des résidents en Ehpad évolue. Ainsi, de nouvelles exigences, utiles et nécessaires, sont venues modifier la pratique des soignants : coordination des parcours de soins, concertation, pluridisciplinarité, démarche qualité, etc.
Alors que les établissements peinent à recruter des personnels soignants, le marché de l’emploi des secrétaires médicales, des enseignants en activité physique adaptée ou des référents qualité ne présente pas de fortes tensions.
L’apport de ces professionnels est désormais démontré ; leur présence permet notamment de dégager du temps qui pourra être consacré au suivi médical des résidents.
Il est donc temps de mettre en cohérence le financement des Ehpad avec les ambitions sociétales, de répondre aux nouveaux besoins des prochaines années et de donner une impulsion au secteur du grand âge de demain.
Ainsi, l’intégration de ces professions dans le champ du forfait soins des Ehpad permettrait une application durable et immédiate de mesures favorables aux résidents – contact avec les familles, coordination des soins, etc. – et aux équipes – soulagement des professions en tension ou encore accroissement du temps passé au chevet des résidents.
Madame la ministre, plusieurs agences régionales de santé (ARS), conscientes du rôle de ces professionnels dans la prise en charge, attribuent ponctuellement aux Ehpad des crédits pour financer certaines initiatives – par exemple, des postes de secrétaire médicale en Gironde ou des interventions d’enseignants en activité physique adaptée (APA) –, alors que ces crédits sont théoriquement destinés à des expérimentations ou à des besoins ponctuels.
Toutefois, ce mode de financement n’est pas satisfaisant, puisqu’il ne permet pas d’ancrer ces professionnels dans le fonctionnement de l’établissement de manière durable.
Le groupe Union Centriste souhaiterait connaître, madame la ministre, la position du Gouvernement sur l’idée d’intégrer ces professionnels à la section soins des Ehpad afin de soutenir les personnels médicaux et paramédicaux et de répondre à la pénurie de professionnels, en tenant compte de l’émergence de nouvelles professions au service du soin.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. Madame la sénatrice, votre question pose finalement celle de la prévention de la perte d’autonomie, notamment dans les Ehpad.
De nombreux établissements du secteur médico-social ont intégré l’activité physique adaptée, que vous évoquez, en tant que nouvel outil pour développer la prévention et améliorer la qualité de vie.
L’activité physique est évidemment essentielle à tous les âges de la vie et le Gouvernement souhaite notamment l’intégrer, en tant qu’élément central d’une stratégie globale de prévention, dans les parcours de santé. Ainsi, le sport-santé inclut l’activité physique adaptée.
Je rappelle que la loi du 2 mars 2022 visant à démocratiser le sport en France prévoit que chaque établissement social et médico-social désigne, parmi ses personnels, un référent pour l’activité physique et sportive.
Vous le voyez, nous prenons en compte ces questions et nous continuons d’y travailler.
Mme la présidente. La parole est à Mme Jocelyne Guidez, pour la réplique.
Mme Jocelyne Guidez. Je vous remercie de votre réponse, madame la ministre, mais vous devez aussi prendre en compte le fait que les médecins et les infirmières, débordés par les tâches administratives, n’ont plus le temps de s’occuper de leurs patients. Un effort de simplification doit vraiment être fait !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Je souhaite à mon tour remercier nos collègues du groupe RDPI d’avoir demandé l’inscription de ce débat à notre ordre du jour.
Grâce aux avancées de la médecine et aux politiques de santé publique, nous vivons de plus en plus longtemps, ce dont nous devons évidemment nous réjouir. Il y a un siècle, seuls quatre Français sur dix atteignaient l’âge de 65 ans. Aujourd’hui, la France compte 1,5 million de personnes âgées de 85 ans et plus. À l’horizon de 2060, elles seront 5 millions et le nombre de personnes âgées dépendantes pourrait atteindre 2,3 millions.
Cette évolution démographique et épidémiologique constitue un défi majeur pour notre société et impose que nous allions plus loin par la mise en place d’un plan ambitieux pour accompagner le vieillissement de la population, domaine dans lequel les professionnels médico-sociaux jouent un rôle essentiel.
Or ces métiers souffrent aujourd’hui d’une pénurie croissante et ne parviennent pas à recruter à la hauteur des besoins.
Certes, il est indispensable d’améliorer les rémunérations et les conditions de travail, mais il faut aussi travailler sur la question des formations. Nous devons notamment fournir des efforts particuliers pour développer massivement la qualification d’infirmier en pratique avancée (IPA), car ces professionnels contribuent à améliorer la qualité des soins et à réduire la charge de travail des praticiens.
Actuellement, la gériatrie ne fait pas partie des domaines dans lesquels des infirmiers en pratique avancée peuvent pratiquer. Cette absence de reconnaissance freine le développement de la filière IPA, que ce soit en Ehpad ou à domicile, alors qu’il apporterait une véritable valeur ajoutée sur la qualité des prises en charge, l’organisation des soins et la valorisation des professionnels. Cette reconnaissance est d’ailleurs fortement attendue par le secteur du grand âge, comme le rappelle la Société française de gériatrie et de gérontologie.
Aussi, madame la ministre, j’aimerais connaître votre position sur la reconnaissance de la spécificité des infirmiers en pratique avancée en gérontologie.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. Merci, monsieur le sénateur, de nous faire remarquer que nous vivons de plus en plus longtemps, et en plutôt bonne santé !
Je vous remercie également de rendre hommage, à travers votre question, aux infirmiers et aux infirmières.
Vous l’avez souligné, la pratique avancée constitue l’une des réponses aux problèmes de démographie médicale que nous connaissons. Ce dispositif, qui a en partie été créé pour cela, offre surtout une réponse adaptée aux besoins des patients.
Les infirmiers en pratique avancée disposent d’un champ d’exercice très large et le Gouvernement entend soutenir fermement cette spécialisation. Pour cela, nous travaillons avec les universités pour augmenter les capacités de formation et nous prévoyons d’enrichir le domaine d’activité de ces professionnels pour rendre ce métier encore plus attractif.
Pour autant, la création d’une mention gérontologie dans la formation des IPA nécessite une réflexion complémentaire et nous devons éviter deux écueils.
D’une part, les IPA avec la mention pathologies chroniques peuvent déjà répondre aux besoins de prise en charge en gérontologie, car la prévalence des pathologies ciblées par cette mention est particulièrement forte parmi les personnes âgées.
Dans ce cadre, certaines universités ont adapté leur programme pédagogique pour prendre en compte la prévalence de certaines de ces pathologies chez les personnes âgées. Il pourrait éventuellement être envisagé d’adapter et de compléter cette formation et l’intitulé de cette mention pour élargir cette démarche.
D’autre part, nous ne souhaitons pas multiplier les domaines d’intervention des IPA et les faire correspondre à chaque spécialité médicale, car nous devons conserver à la pratique avancée l’ambition d’une prise en charge populationnelle.
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Deroche. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Catherine Deroche. Le décloisonnement entre le médico-social et le médical est indispensable, si l’on veut penser la santé de manière globale.
Au-delà de l’offre binaire de prise en charge des personnes âgées – domicile ou Ehpad –, il existe maintenant des formes alternatives d’accompagnement.
Dans mon département, le maire d’une commune nouvelle a un projet très innovant : une collaboration entre deux Ehpad et un service de soins infirmiers à domicile (Ssiad).
Des financements existaient pour ce type de projet, en particulier le dispositif innovant de vie à domicile (Divadom), et des appels à candidatures sont lancés par les agences régionales de santé pour mettre en place des centres de ressources territoriaux pour les personnes âgées.
Madame la ministre, quels financements sont prévus pour ces centres ? Comment ces financements vont-ils évoluer dans les années à venir ? Dans les Pays de la Loire, il était initialement prévu deux centres par département, soit dix centres, mais il semblerait que des financements ne soient possibles que pour cinq centres.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. Madame la sénatrice, Divadom est un dispositif expérimental qui vise à renforcer l’accompagnement des personnes âgées à domicile comme alternative à l’Ehpad.
Quand l’accompagnement à domicile par une aide ou une infirmière ne suffit plus, il faut apporter un complément, par exemple un renforcement du temps passé avec la personne, l’intervention d’une diététicienne ou d’une psychologue, la sécurisation du domicile par un ergothérapeute ou encore le renforcement des interventions la nuit.
La mesure votée l’année dernière dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2022 a créé le cadre juridique pérenne qui permettra de généraliser des dispositifs expérimentaux, tels que Divadom ou Drad (dispositif renforcé de soutien à domicile) – ce dernier étant expérimenté au niveau national depuis 2019.
Les centres de ressources territoriaux qui sont en cours de déploiement présenteront de manière pérenne une offre d’accompagnement renforcé à domicile en alternative à l’Ehpad.
Notre objectif est bien de donner corps à la promesse du virage domiciliaire : permettre aux personnes âgées de vieillir chez elles, même lorsque leur niveau de perte d’autonomie et leurs besoins de soins augmentent. Alors qu’on les orienterait aujourd’hui vers un Ehpad, l’accompagnement renforcé à domicile permettra à ces personnes de rester chez elles plus longtemps.
Chaque porteur de projet – un Ehpad ou un acteur du secteur du domicile – peut bénéficier d’une enveloppe forfaitaire de 400 000 euros.
Pour 2022, l’enveloppe globale est de 20 millions d’euros ; pour 2023, elle sera augmentée de 40 millions, soit 60 millions d’euros au total. Cette enveloppe continuera de croître de manière constante jusqu’en 2027 au moins.
Brigitte Bourguignon, alors ministre déléguée chargée de l’autonomie, avait fixé un objectif minimal de quatre centres de ressources territoriaux par territoire.
Mme la présidente. La parole est à Mme Colette Mélot.
Mme Colette Mélot. Alors que nous travaillons déjà sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 et que nous sommes confrontés depuis des années à la difficulté d’accès aux soins dans nos territoires, je veux insister de nouveau sur l’importance des acteurs du médico-social partout en France.
La demande en personnel est croissante dans ce secteur, de nombreuses offres d’emploi restent vacantes et, chaque jour, des personnes vulnérables ne reçoivent pas les soins nécessaires.
Notre société et nos territoires évoluent très rapidement. Les besoins ont changé, la manière d’y répondre également. Il me semble essentiel d’avoir une vision d’ensemble pour répondre aux problématiques du secteur médico-social et repenser l’organisation spatiale des soins de demain. De manière globale, les secteurs médico-social, paramédical et médical doivent travailler main dans la main.
Dans ce cadre, la formation, qu’elle soit initiale, continue ou de reconversion, est la clé. Et cette formation doit être dispensée au plus près des territoires. J’en veux pour preuve l’implantation à Melun d’une antenne de l’université Paris-Est Créteil. C’est excellent pour notre territoire, surtout lorsque l’on sait que les étudiants s’installent généralement là où ils ont étudié. Cela doit être encouragé et développé.
De plus, la construction de pôles de santé sur nos territoires est un enjeu et il faut savoir qu’ils sont très souvent associés à des services médico-sociaux. Nous devons donc consolider ces pôles.
C’est pourquoi nous devons développer un panel de formations intégrées dans un système complet, équilibré et efficace, qui s’adapte autant aux spécificités de nos territoires qu’aux évolutions démographiques, sans oublier de valoriser ces métiers.
Madame la ministre, quelles sont vos pistes de réflexion pour faire évoluer les formations dans ce secteur ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. Madame la sénatrice, vous avez raison de rappeler l’importance des acteurs du secteur médico-social partout en France – nous ne le dirons jamais assez !
Leur engagement a été particulièrement remarquable lors de la crise du covid-19 et nous avons besoin de leur présence et de leur investissement – ce sera encore plus vrai demain, je l’ai déjà mentionné.
Le Président de la République a affiché des ambitions claires en la matière, à la hauteur des besoins qui se dessinent. Je pense notamment aux 50 000 recrutements programmés au cours du quinquennat pour renforcer les équipes dans les Ehpad.
Que les acteurs paramédicaux et médicaux travaillent main dans la main est une nécessité. Ce n’est pas un fait nouveau, mais cela demande du temps et de la méthode. Un exemple concret des avancées en la matière est la mise en place des dispositifs d’appui à la coordination (DAC) qui concernent à la fois le champ du sanitaire et celui du médico-social, y compris les professionnels libéraux : ils visent prioritairement à coordonner les interventions autour de situations complexes, quels que soient la pathologie et l’âge de la personne.
Nous partageons vos remarques sur la formation, madame la sénatrice. Il s’agit d’un axe essentiel pour améliorer, d’une part, les compétences et les connaissances de nos futurs professionnels, d’autre part, l’attractivité des métiers.
Nous devons travailler de manière interministérielle pour améliorer l’accès à la formation par un effort de simplification, mieux faire connaître nos métiers et favoriser les parcours professionnels, notamment avec la validation des acquis de l’expérience. Hier, l’Assemblée nationale a d’ailleurs voté en première lecture la création d’un véritable service public de la validation des acquis de l’expérience.
Enfin, nous devons mener une réflexion sur les maquettes des formations et sur la mise en cohérence de celles-ci.
Nous nous attelons activement à faire avancer l’ensemble de ces chantiers.
Mme la présidente. La parole est à Mme Victoire Jasmin.
Mme Victoire Jasmin. La prise en charge du grand âge et l’autonomie sont des enjeux majeurs pour notre société. La reconnaissance et la valorisation de tous les acteurs du secteur médico-social sont essentielles.
En Guadeloupe, comme ailleurs, il est urgent d’innover, de repenser les outils à la disposition du secteur médico-social de façon différenciée pour chacun des territoires et en corrélation avec le schéma départemental de l’autonomie.
Une attention toute particulière doit être portée sur la formation des personnels et sur la mise en œuvre d’outils de concertation entre l’État, les collectivités locales et tous les acteurs du soin et de l’accompagnement.
Il est particulièrement important sur mon territoire, la Guadeloupe, qui est un archipel, de coordonner la prise en charge des personnes âgées à travers les dispositifs d’appui à la coordination (DAC) dans le cadre des méthodes d’action pour l’intégration des services d’aide et de soins dans le champ de l’autonomie (Maia) en application de la loi relative à l’organisation et à la transformation du système de santé.
Il est également important de rétablir une équité salariale entre les différents personnels du secteur médico-social. Ces inégalités provoquent des tensions, mais aussi des difficultés de recrutement dans la plupart des établissements privés à but non lucratif, en particulier pour le secteur associatif, qui prennent en charge des personnes en situation de handicap, des personnes âgées ou des enfants.
Madame la ministre, quelles mesures entendez-vous prendre pour que nos différents territoires reçoivent des réponses concrètes ? (Mme Michelle Meunier applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. J’ai indiqué tout à l’heure, madame la sénatrice, qu’une enveloppe de 17,5 millions d’euros serait consacrée spécifiquement aux territoires d’outre-mer pour qu’ils rattrapent leur retard en termes de nombre de places en Ehpad ou en établissements accueillant des personnes en situation de handicap.
Vous avez insisté sur la nécessaire coordination entre tous les professionnels de santé et je suis pleinement d’accord avec vous. La crise sanitaire a d’ailleurs permis d’accélérer la prise de conscience de l’importance de tous travailler ensemble et de coordonner les parcours.
Votre intervention met le doigt sur un autre aspect important : la nécessité de ne pas empiler les dispositifs, mais de les coordonner étroitement afin de faciliter la vie des soignants.
Comme vous le savez, la revalorisation constituait l’un des enjeux du Ségur de la santé. De plus, comme je l’ai déjà indiqué, la situation des « oubliés » du Ségur a été traitée et les différences entre les Ehpad publics et privés ont été prises en compte – ce différentiel n’existe plus.
Nous avons pleinement conscience des besoins de prise en charge outre-mer pour mieux accompagner les personnes en situation de handicap ou âgées. C’est pour cette raison que nous avons dégagé une enveloppe de rattrapage. J’ai d’ailleurs pu mesurer ces difficultés lors d’un récent déplacement à La Réunion.
Mme la présidente. La parole est à Mme Victoire Jasmin, pour la réplique.
Mme Victoire Jasmin. Je ne suis pas tout à fait satisfaite de votre réponse, madame la ministre : il y a encore des « oubliés » du Ségur ! Le rattrapage dont vous parlez n’est pas exhaustif.
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Henno.
M. Olivier Henno. Le champ du médico-social est large : les personnes handicapées, les personnes âgées, l’enfance. Ces trois secteurs sont en manque de personnel, ce qui aboutit à des politiques publiques essayant de juguler le manque d’attractivité de ces métiers.
Pour répondre à ce déficit de vocations, les ajustements sont multiples. Je pense aux revendications salariales – le Ségur, l’avenant 43 ou la prime de 183 euros – ou encore aux actions pour la qualité de vie au travail, comme les deux heures de temps social pour les services d’aide et d’accompagnement à domicile (Saad) – cette mesure, prévue dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 est une bonne idée, mais qui va payer ? Les départements sont inquiets.
En ce qui concerne la tarification et la qualité, un tarif plancher pour les services d’aide à domicile et un bonus qualité sont mis en place.
Madame la ministre, avant d’imaginer la place des acteurs du médico-social dans l’organisation des soins de demain, encore faudrait-il sécuriser le périmètre afin que les professionnels des Saad puissent exercer correctement leur métier qui est de prendre soin, tout en trouvant du sens à leur activité professionnelle.
Or le compte n’y est pas. Ainsi, dans le département du Nord, c’est de la survie même des Saad qu’il est question : leurs finances sont fragilisées et l’année est pourtant loin d’être terminée. C’est pourquoi nous appelons à des dispositions bordées et soutenables.
Sur le plan organisationnel, nous avons déjà voté la fusion prochaine des Saad et des services de soins infirmiers à domicile (Ssiad) et nous aimerions avoir un point d’étape concernant les dispositifs d’appui et de coordination (DAC). Le rapport de Dominique Libault, qu’on a salué, est-il mis en œuvre ?
Voilà beaucoup de questions, madame la ministre, mais j’insiste sur l’urgence qui caractérise la situation des Saad du Nord.
En conclusion, je souhaite faire référence à la parole des proches aidants : pour eux, les soins médicaux sont à laisser aux soignants. Je renverse la question : quelle place pour les acteurs du soin dans le médico-social de demain ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. Monsieur le sénateur, les services d’aide et d’accompagnement à domicile et les services de soins infirmiers à domicile aujourd’hui, comme les futurs services d’autonomie à domicile, sont des briques essentielles à la vie à domicile des personnes en situation de handicap et âgées.
Vous le soulignez à juste titre, la proposition contenue dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 de dégager deux heures de convivialité pour les bénéficiaires de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) et la nouvelle grille des salaires permettront de mieux reconnaître les métiers et l’expérience acquise.
D’autres dispositions ont été mises en œuvre ou sont prévues pour améliorer la qualité de l’aide et des soins apportés aux personnes, ainsi que la qualité de vie au travail des professionnels. Cela passe notamment, pour les services à domicile, par la mise en place d’un tarif plancher par heure d’aide réalisée dans le cadre de l’APA ou de la prestation de compensation du handicap (PCH). Je vous rappelle que ce tarif est fixé à 22 euros pour les Ssiad.
Nous travaillons sur la réforme tarifaire prévue par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2022 ; son application en 2023 permettra de mieux valoriser les Ssiad qui prennent en charge des personnes très dépendantes.
La loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 prévoit aussi une augmentation des places en Ssiad – il faut le souligner.
Pour les futurs services d’autonomie à domicile, le forfait coordination déjà en place sera maintenu.
Créer les conditions d’un travail en équipe est un levier complémentaire des revalorisations salariales pour la qualité des interventions et la qualité de vie au travail des personnels.
La mise en place du service public territorial de l’autonomie (SPTA) permettra un parcours plus aisé pour les personnes en situation de handicap ou âgées comme pour leurs aidants – vous avez rappelé, monsieur le sénateur, l’importance de l’implication des aidants dans le cadre de la solidarité familiale. Les SPTA devront assurer un lien entre les structures, mais leur mise en place se fera en respectant et en s’appuyant, territoire par territoire, sur les organisations qui fonctionnent déjà.
Mme la présidente. La parole est à Mme Béatrice Gosselin.
Mme Béatrice Gosselin. En 2050, la France comptera 4 millions de personnes âgées de 85 ans et plus, contre 1,4 million aujourd’hui.
En Normandie, par exemple, de 125 000 en 2022, leur nombre passera à 250 000 en 2050. Une grande partie de ces personnes seront en perte d’autonomie et la place des acteurs du médico-social dans l’organisation des soins sera donc de plus en plus importante.
Avec le Ségur de la santé, le Gouvernement a prévu d’investir autant dans le secteur médico-social que dans les établissements de santé. Pourtant, les structures qui gèrent les personnes dépendantes, âgées ou porteuses de handicap se trouvent souvent en difficulté, malgré le soutien financier très important des conseils départementaux.
Tout d’abord, elles sont confrontées à des problèmes de recrutement en raison d’un déficit d’attractivité des métiers de l’aide à la personne : faible rémunération, manque de reconnaissance de la profession et conditions de travail pénibles. C’est un engrenage, car cela ne permet pas d’assurer l’encadrement suffisant des résidents et entretient des conditions de travail dégradées pour le personnel.
Il y a aussi des difficultés face à l’augmentation des charges de fonctionnement liées à la hausse des prix de l’énergie, des denrées alimentaires, des fournitures, sans oublier les charges de personnel. Ces coûts supplémentaires ont un impact sur la capacité des établissements à investir dans la modernisation du bâti, souvent ancien, des Ehpad publics et contribuent à l’augmentation des tarifs d’hébergement.
Pour répondre à ces enjeux, l’État doit mener une politique volontariste.
J’ai deux questions à vous poser, madame la ministre.
Quelles mesures le Gouvernement entend-il prendre rapidement pour soutenir le secteur médico-social ?
Enfin, j’ai cru comprendre que la loi Grand âge et autonomie verra le jour. Pouvez-vous être plus précise sur le calendrier ? Il s’agit de supprimer enfin toutes ces disparités et de permettre à ces personnels de travailler correctement. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. Madame la sénatrice, tout d’abord, je constate que les métiers du médico-social, notamment l’aide à domicile, sont perçus comme utiles par 96 % de nos concitoyens, mais aussi comme difficiles par 93 % d’entre eux. Le secteur de l’aide à domicile reste ainsi, en 2017, l’activité professionnelle la plus sinistrogène.
Pourtant, je le répète, la place de ces professionnels est essentielle pour prendre soin de nos aînés et des personnes en situation de handicap. Plusieurs leviers sont mobilisés par l’État pour mettre ces acteurs au cœur de notre cité, parce qu’ils sont indispensables, notamment pour réussir le virage domiciliaire.
Vous l’avez fait, et la conseillère départementale que je suis abonde dans ce sens : il faut aussi souligner l’engagement des départements aux côtés de l’État pour la prise en charge du secteur de l’aide à domicile.
Plusieurs mesures ont été prises pour renforcer l’attractivité de ces métiers de l’accompagnement et du soin à domicile. Il y a d’abord eu une amélioration des rémunérations du secteur, avec une augmentation de 183 euros nets mensuels pour l’ensemble des agents et salariés des Ehpad, puis la revalorisation de 15 % en moyenne des professionnels de l’aide à domicile. Une stratégie nationale de promotion de la qualité de vie au travail a aussi été lancée en 2018 et renforcée en 2020.
Nous visons par ailleurs une augmentation du nombre de personnes qualifiées dans les secteurs sanitaire et médico-social, avec des places de formation supplémentaires, des dispositifs de formation courte pour les demandeurs d’emploi. Il s’agit également de faciliter l’accès à la formation continue des professionnels en poste, en leur offrant plus de possibilités de bénéficier de la validation des acquis de l’expérience (VAE).
Enfin, nous souhaitons favoriser le développement de viviers de recrutement en aidant des employeurs à recruter, notamment avec les vingt plateformes des métiers de l’autonomie, qui facilitent le recrutement et l’intermédiation au niveau départemental. Il s’agit aussi de faire découvrir les métiers du grand âge à de nouveaux publics, notamment les jeunes, en leur proposant des missions de service civique et des stages de troisième, et les demandeurs d’emploi, en travaillant avec Pôle emploi pour leur proposer des formations courtes, des contrats aidés, des périodes de mise en situation professionnelle. Nous visons également les personnes éloignées de l’emploi, les personnes réfugiées, avec des dispositifs pour leur faire découvrir ces métiers. C’est bien en travaillant sur l’image de ceux-ci que nous arriverons à recruter massivement les professionnels dont nous avons besoin.
Mme la présidente. La parole est à Mme Béatrice Gosselin, pour la réplique.
Mme Béatrice Gosselin. Madame la ministre, j’entends bien vos explications, mais certains « oubliés » du Ségur de la santé n’ont pas reçu ces primes. Par ailleurs, l’État vient d’étendre le bouclier tarifaire énergétique aux Ehpad pour 2023, alors que les établissements hébergeant des personnes handicapées sont exclus de ce soutien financier.
Mme la présidente. La parole est à Mme Michelle Meunier.
Mme Michelle Meunier. La revalorisation issue du Ségur de la santé, déclinée ensuite dans le médico-social, a conduit au versement d’une prime par touches successives, après de multiples appels à considérer les « oubliés » du Ségur. Et pourtant, deux ans après la prime décidée pour l’hôpital, le Ségur est encore très inéquitablement appliqué dans le médico-social.
Là où il est censé s’appliquer, la réalité est assez confuse et, malheureusement, il subsiste encore des invisibles du Ségur. Tout l’été, des professionnels ont témoigné de ces injustices, notamment les agents affectés aux missions administratives ou logistiques dans les établissements.
Cette segmentation est injuste et délétère.
Injuste, car les personnels savent que, sur le terrain, ce cloisonnement n’a pas lieu d’être : un agent d’accueil en Ehpad est au contact des résidents et de leur famille ; un agent de ménage travaillant dans un établissement de l’aide sociale à l’enfance (ASE) participe à la mission éducative quand il s’assure du respect des règles de propreté.
Délétère aussi, car elle indique la porte de sortie à des personnels formés et compétents, rapidement employables dans le privé.
Certes, ces tensions ne dépendent pas que de l’État, certaines collectivités tardant aussi à financer leur part de cette revalorisation, mais il est de votre devoir, madame la ministre, d’orchestrer l’entrée en application de ce dispositif.
Ma question est simple : le Ségur pour toutes et tous, c’est pour quand ?
M. Xavier Iacovelli. C’est pour maintenant !
Mme la présidente. La parole est à Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. Madame la sénatrice, vous le savez, ce Ségur de la santé a été suivi de décisions historiques. Les revalorisations, tant à l’hôpital que dans les Ehpad, n’avaient jamais atteint ce niveau. Je crois qu’il est bon de le rappeler et de le souligner.
L’enjeu est bien de proposer un rattrapage, mais lorsque l’on propose un rattrapage à des « oubliés » du Ségur, on découvre en général de nouveaux oubliés. C’est un peu ce qui se passe depuis 2020. Cela nous a fait prendre conscience de la nécessité d’un véritable dispositif qui nous permettrait d’éviter cet écueil : je veux parler de la convention collective unique pour le secteur du médico-social et du social.
C’est un véritable enjeu, sur lequel l’État et les départements sont en train de travailler. Ils se sont engagés à soutenir financièrement ce rapprochement, afin d’éviter qu’il y ait encore des oubliés à l’avenir.
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Mouiller. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Mouiller. Les pouvoirs publics incitent depuis plusieurs années à la mise en place d’une médecine de « parcours » – de santé, de soins, de vie –, à même de renforcer la prise en charge des patients et des résidents sur tout le territoire et de décloisonner les secteurs.
L’objectif affiché est de prévenir, de soigner et d’accompagner de manière globale et continue les patients et les résidents, au plus près de chez eux.
Cet objectif suppose une bonne répartition des structures sanitaires, médico-sociales et ambulatoires sur le territoire national, mais aussi la complémentarité efficace des professionnels de ces structures.
Cet objectif doit aussi accompagner un virage domiciliaire, qui répond aux souhaits d’une part grandissante de la population.
Dans ce contexte, les acteurs du médico-social ont donc un rôle à jouer dans l’organisation de l’offre de soins, et notamment dans l’offre de soins de demain, qui va devoir prendre en compte le vieillissement de la population.
Compte tenu des difficultés de recrutement du secteur médico-social aujourd’hui, des médecins aux aides-soignants, cette participation à l’organisation des soins de demain suppose néanmoins de faire bouger les lignes pour renforcer l’attractivité du secteur.
Ma question, madame la ministre, portera sur l’architecture budgétaire, et donc, indirectement, sur les moyens.
Les dépenses relatives aux soins à domicile, à savoir celles du virage domiciliaire, relèvent de deux enveloppes différentes, répondant à des logiques de régulation différentes : dotation limitative pour les services de soins à domicile ; enveloppe ouverte pour les actes infirmiers, pour me limiter à ces exemples.
Comment faire, alors, pour que cette architecture institutionnelle ne soit pas un frein à la participation du médico-social à l’organisation des soins de demain ? Quelles sont, selon vous, les conditions à réunir pour qu’une telle réforme réussisse à atteindre les objectifs fixés ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. Monsieur le sénateur, vous l’avez souligné dans vos propos, prévoir et accompagner, c’est le véritable enjeu auquel l’État doit s’atteler, avec les partenaires que sont les conseils départementaux.
Cela doit se faire autour d’un parcours de prise en charge de la personne, qui nécessite une vision globale de tous les acteurs sur le territoire. C’est tout à fait le sujet de notre débat : acteurs du médico-social et organisation territoriale.
Le virage domiciliaire, c’est le souhait de 80 % de nos concitoyens, qui veulent pouvoir rester chez eux le plus longtemps possible. Ce souhait a été pris en compte lors du dernier quinquennat avec la restructuration des services d’aide à domicile, mais nous voyons bien que le virage domiciliaire ne peut pas être la seule réponse. Il s’agit bien de trouver un mix de solutions d’accompagnement du grand âge.
L’enjeu est avant tout celui du modèle économique.
Il y a d’abord l’heure de prise en charge. C’est pour cette raison que nous avons créé un tarif plancher de 22 euros, qui n’existait pas jusqu’alors, les tarifs étant très inégaux selon les départements. C’est un vrai progrès, voté dans la dernière loi de financement de la sécurité sociale. Il y a également eu l’augmentation de 15 % du taux horaire, via l’avenant 43, pour les personnels des aides à domicile.
On voit bien que l’articulation entre les services à domicile et les actes infirmiers, deux domaines différents et complémentaires, est nécessaire. À nous d’inventer les modèles de financement qui permettent une prise en charge globale à domicile.
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Mouiller, pour la réplique.
M. Philippe Mouiller. Madame la ministre, nous avons entendu votre constat, en gros le même que le nôtre, et vos objectifs, mais, concrètement, l’architecture administrative est un frein global à la mise en place d’un véritable service de qualité. Nous pourrons toujours ajouter des moyens supplémentaires, comme avec le Ségur de la santé, tant que nous ne réglerons pas ce problème d’architecture, nous aurons en permanence des difficultés. Ce point me paraît essentiel, au-delà même des budgets complémentaires, souvent aléatoires, à mettre en place.
Mme la présidente. La parole est à Mme Annie Delmont-Koropoulis. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Annie Delmont-Koropoulis. Les acteurs du médico-social sont divers et variés. En plus des acteurs éducatifs, nous y retrouvons des soignants – aides-soignants, infirmiers, médecins généralistes, psychiatres –, et des paramédicaux – kinésithérapeutes, orthophonistes, ergothérapeutes, psychologues.
Les dirigeants de ces structures ont depuis longtemps compris l’intérêt du maillage territorial et de la coordination du parcours des personnes accompagnées par leurs structures : parcours éducatif, parcours de soins, maillage et partenariat.
Les communautés professionnelles territoriales de santé et médico-sociales pourraient être l’une des réponses. Il s’agirait de s’appuyer sur ce secteur pour renforcer les soins de demain sur nos territoires, ce qui apporterait une valeur ajoutée exponentielle.
Nous pouvons citer l’exemple de la communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS) d’Aulnay-sous-Bois, portée par une association médico-sociale, et qui, pourtant, répond aux missions socles des CPTS et à leur cadre réglementaire.
En revanche, dans un contexte de traitement inégalitaire entre le sanitaire et le médico-social au regard des revalorisations Ségur et Laforcade, comment comptons-nous donner envie à ce secteur de s’engager dans un nouveau défi portant sur le soin ? Quelle reconnaissance du médico-social et quels moyens pour demain allez-vous proposer ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Catherine Deroche. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. Madame la sénatrice, je vous remercie de votre question, où vous avez présenté ces communautés professionnelles territoriales de santé du médico-social.
Je vais replacer votre intervention dans le contexte du CNR. Très clairement, ce genre d’expérimentation mérite d’être présenté, et peut-être d’être un peu plus accompagné. C’est la vocation du CNR de rendre pérennes les expérimentations qui fonctionnent et de les mettre à disposition d’autres territoires dans une sorte de boîte à outils. La création de communautés professionnelles territoriales de santé et du médico-social, dans un parcours de prise en charge globale, est à mon sens une bonne idée. Je viendrai donc volontiers observer comment fonctionne la structure que vous avez citée. On ne peut pas parler de décloisonnement et ignorer ce genre de dispositif, à partir du moment où ce sont les professionnels eux-mêmes qui se sont entendus pour le créer. Je suis intimement convaincue que ce dispositif ne peut fonctionner que s’il est créé par les professionnels, pour les professionnels, au seul bénéfice de l’accompagnement de nos concitoyens.
Madame la sénatrice, n’hésitez pas à mettre en valeur cette solution dans le cadre du CNR, à aller plus loin dans l’expérimentation d’un modèle de financement. Au croisement de la santé et du médico-social, on rencontre souvent des difficultés, car il y a plusieurs acteurs, mais si l’on trouve la maquette pour le financement, pourquoi ne pas l’intégrer dans le droit commun et la proposer à d’autres territoires ? C’est tout l’intérêt du CNR. En tout cas, je le répète, je viendrai me rendre compte sur place, car je crois que c’est l’une des réponses au problème de prise en charge globale de nos concitoyens.
Mme la présidente. La parole est à Mme Annie Delmont-Koropoulis, pour la réplique.
Mme Annie Delmont-Koropoulis. Madame la ministre, en tant que médecin coordinateur de cette structure, je vous invite bien volontiers à venir nous rencontrer. Si ce type de projet peut faire l’objet d’une expérimentation généralisée, c’est parfait.
Rappelons tout de même qu’il est primordial de donner plus de moyens à tous les acteurs du secteur médico-social.
Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Petrus. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Annick Petrus. La crise sanitaire provoquée par le covid-19 et les nombreux décès en Ehpad ont renforcé la conviction d’une nécessaire amélioration de la prise en charge des personnes âgées dépendantes.
Cette approche doit également permettre d’accroître l’efficience du soutien à l’autonomie. Elle est aussi la promesse d’une solidarité renforcée pour l’ensemble des citoyens nécessitant un soutien à l’autonomie.
Aussi, l’un des chantiers prioritaires permettant de parvenir à une réelle transformation de l’offre est, pour moi, le développement de maisons départementales de l’autonomie (MDA) ; dans la collectivité d’outre-mer de Saint-Martin, il s’agirait d’une maison territoriale de l’autonomie (MTA).
À la suite de la création, en 2007, des collectivités de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy, il n’y a pas été créé de maison territoriale des personnes handicapées, analogue des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) de métropole. Une convention pluriannuelle relative aux relations entre la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) et la collectivité de Saint-Martin a été renouvelée en décembre 2020, pour la période 2021-2024, sans offrir aux instances locales – commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH) et équipe pluridisciplinaire d’évaluation (EPE) – le statut juridique de MDPH.
Ces instances fonctionnent à l’intention des personnes en situation de handicap ; la collectivité a recruté en interne des personnes dont les compétences permettent d’assurer pleinement les missions d’une MDPH au sein de la direction de l’autonomie. Cette direction est organisée de manière à assurer sa mission auprès des personnes en situation de handicap, mais aussi en perte d’autonomie.
À l’instar de la collectivité de Saint-Pierre-et-Miquelon, mon territoire doit pouvoir rapidement migrer vers le dispositif de MTA. Cela nécessite une modification du code de l’action sociale et des familles, comme l’ajout de l’article L. 531-8 a pu le faire pour Saint-Pierre-et-Miquelon.
Madame la ministre, ma question est la suivante : l’État est-il prêt à nous accompagner dans cette évolution que nous réclamons depuis trop longtemps ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. Madame la sénatrice, l’équité dans l’accès aux droits pour toutes les personnes âgées et en situation de handicap est une nécessité défendue fermement par le Gouvernement.
Cette équité demande de pouvoir décliner les organisations des maisons départementales des personnes handicapées et les services du département en fonction du territoire. Ainsi, on ne propose pas un accueil de proximité de la même façon dans les Hauts-de-Seine, en Haute-Loire, en Guyane, ou a fortiori à Saint-Martin.
La mise en place, dès 2006, d’une maison territoriale de l’autonomie à Saint-Pierre-et-Miquelon résulte d’un choix fort de cette collectivité. D’autres travaux sont conduits par les collectivités d’outre-mer, comme il est prévu dans la loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, à la décentralisation, à la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dite loi 3DS.
Dès maintenant, pour garantir l’équité de traitement pour les personnes, les professionnels du pôle autonomie de Saint-Martin peuvent s’appuyer sur les outils mis à leur disposition par la CNSA : guides, webinaires d’information et échanges de bonnes pratiques. On peut saluer le suivi individualisé et personnalisé proposé aux habitants âgés ou en situation de handicap de Saint-Martin, Saint-Barthélemy et Saint-Pierre-et-Miquelon par les équipes des collectivités, qu’il s’agisse d’une maison territoriale de l’autonomie ou d’un pôle social.
J’invite donc les acteurs du territoire à formuler une demande – c’est d’ailleurs un peu ce que vous avez fait avec votre question, madame la sénatrice – et nous verrons comment nous pourrons les accompagner.
Mme la présidente. La parole est à M. Hugues Saury. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Hugues Saury. Dix mille : c’est le nombre de médecins généralistes que la France a perdus en seulement douze ans !
Un tiers de la population française vit désormais dans un désert médical ; dans le Loiret comme dans plus des trois quarts de nos départements, la densité médicale a diminué en 2021. Sans surprise, la pyramide des âges des praticiens assombrit un peu plus encore ce paysage.
Parmi les propositions faites récemment, notamment par le Sénat, on trouve l’extension du champ des actes médicaux prodigués par des professionnels du paramédical. Cette proposition a trouvé un écho particulier en 2018 avec la création du métier d’infirmier en pratique avancée. Celui-ci, rappelons-le, peut désormais se voir confier par un médecin le suivi de patients, dans le strict respect du champ des compétences médicales pour lequel il a été formé et diplômé.
Le modèle de cette profession mérite notre attention : il peut nous inspirer si l’on veut atténuer les difficultés que rencontrent des acteurs du secteur médico-social.
Contraints de composer avec des moyens limités, des revenus souvent modestes et un système de formation inadapté, la majorité des professionnels du secteur regrettent de n’être ni considérés ni reconnus.
Dès lors, madame la ministre, votre éclairage est espéré sur plusieurs points.
En attendant de retrouver un nombre de professionnels de santé en cohérence avec les besoins de nos concitoyens, prévoyez-vous d’étendre la délégation de certaines compétences aux professionnels du médico-social ? Si oui, pouvez-vous préciser les actes concernés ?
Enfin, quelles mesures comptez-vous prendre pour accroître l’attractivité de ces métiers essentiels, notamment celui des aides-soignants ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. Monsieur le sénateur, vous m’interrogez sur l’attractivité des métiers dans le secteur médico-social ; vous avez commencé par rappeler le nombre de médecins que nous avons perdus en quelques années.
C’est bien parce que nous avons perdu 10 000 médecins que nous nous trouvons aujourd’hui dans cette situation pour répondre aux besoins de santé de nos concitoyens. Mais la pyramide des âges n’est pas le seul facteur problématique pour le nombre de médecins, car il y a aussi, si je puis dire, un facteur sociétal : les médecins d’aujourd’hui ne souhaitent plus tout à fait travailler comme les médecins d’il y a quelques années. Quand un médecin prend sa retraite, il en faut trois pour le remplacer.
Nous partageons bien évidemment cette préoccupation, comme je l’ai déjà dit plusieurs fois aujourd’hui ; nous avons bien conscience des fortes tensions de recrutement existant dans tous les secteurs du social et du médico-social.
Les métiers du lien social souffrent aussi de leur faible attractivité. Afin d’y répondre, je le redis, nous avons déjà mené un nombre important d’actions. Nous avons engagé un effort de 4 milliards d’euros en année pleine pour l’ensemble des professionnels du secteur social et médico-social. On compte près de 700 000 bénéficiaires d’une revalorisation équivalente à 183 euros nets mensuels, dont 500 000 au titre du Ségur de la santé et de la mission Laforcade et 200 000 à la suite des annonces de la conférence des métiers de l’accompagnement social et médico-social du 18 février 2022. Jamais pareil investissement n’avait été entrepris dans ce secteur ; je crois qu’il faut le dire et le redire.
Mon collègue Jean-Christophe Combe a par ailleurs annoncé, le 15 septembre dernier, l’élargissement aux salariés du secteur associatif, toutes professions confondues, des mesures de revalorisation du point d’indice prises dans la fonction publique. Cette mesure est sans conteste une avancée très significative.
En outre, dans la continuité de la conférence des métiers du 18 février 2022 et pour accompagner la mise en place des actions concrètes qui ont été annoncées, le comité des métiers socio-éducatifs lancé au printemps dernier devra notamment faire avancer les chantiers relatifs à la validation des acquis de l’expérience (VAE) et au plan d’amélioration de la qualité de vie au travail.
Nous attendons dans les jours à venir un rapport de l’inspection générale des affaires sociales (Igas) sur la profession des infirmiers et des infirmières. Ce rapport devra très vite nous aider à nous orienter, parce que nous avons bien conscience que nous avons beaucoup à faire pour les métiers d’infirmier et d’aide-soignant, dans le cadre des formations initiales et continues, afin de rendre ces métiers beaucoup plus attractifs ; nous en avons grand besoin et nous allons en avoir encore plus besoin dans les années à venir.
Mme la présidente. La parole est à M. Hugues Saury, pour la réplique.
M. Hugues Saury. Madame la ministre, ce que l’on constate aujourd’hui, ce sont de grandes difficultés à recruter, de nombreux arrêts de travail, des démissions et des demandes de rupture conventionnelle, un sentiment de lassitude et de frustration, enfin une affirmation exacerbée des revendications d’ordre socio-économique autour de la vie chère et du bas niveau de pouvoir d’achat.
Je doute que votre réponse appelant à changer de regard ne parvienne à rassurer les acteurs du médico-social ! Pendant ce temps, l’hémorragie continue. Or, ne nous y trompons pas, l’avenir de notre système de soins dépend aussi de notre capacité à rendre attractifs ces métiers essentiels dont l’utilité sociale est reconnue. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Conclusion du débat
Mme la présidente. En conclusion du débat, la parole est à M. Xavier Iacovelli, pour le groupe auteur de la demande.
M. Xavier Iacovelli, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je voudrais, en guise de conclusion, saluer la tenue de ce débat au sein de notre assemblée.
Les propositions concrètes qui en ressortent témoignent de l’intérêt que nous, législateurs, portons aux acteurs du secteur médico-social, dont le rôle – cela a été unanimement rappelé – est essentiel auprès de nos concitoyens les plus fragiles.
Le renforcement de l’attractivité de ces métiers, améliorer la coopération, notamment à travers des CPTS étendues aux professionnels du secteur médico-social, comme l’a proposé notre collègue Annie Delmont-Koropoulis, et la garantie de l’égal accès, sur tous nos territoires, à ces soins de demain sont autant d’enjeux que de solutions possibles.
Nous sommes au cœur de la semaine nationale des personnes retraitées et personnes âgées, à laquelle nous avons cette année donné comme thème « Changeons notre regard sur les aînés ». Un tel changement de regard est crucial pour nos personnes âgées, mais nous pouvons aussi souligner, comme cela a été fait pendant nos débats, qu’il convient également de changer de regard sur les métiers du médico-social.
Leur rôle est au cœur de la République, comme la crise sanitaire l’a encore une fois démontré. Aux côtés des soignants, ils ont été aux avant-postes, mobilisés 24 heures sur 24 pour maintenir la continuité du lien, offrir un accompagnement digne à nos concitoyens les plus vulnérables et gérer, bien souvent, des situations d’urgence.
Cela a été dit, ces femmes et ces hommes sont indispensables, parce qu’ils contribuent au maintien des liens de solidarité et au développement de la vie sociale du pays. Ils sont présents dans tous les territoires et dans tous les domaines de l’intervention sociale : ceux du grand âge et de la politique du handicap, celui des personnes rencontrant des difficultés sociales et, bien sûr, celui de la protection de l’enfance.
Nés de l’instauration de la sécurité sociale qui a suivi la Seconde Guerre mondiale, les travailleurs sociaux sont intimement liés à notre histoire. Ils sont les fers de lance de notre système de solidarité nationale, au contact direct de nos concitoyens.
Ces métiers, que nous pourrions qualifier de vocations – éducateurs spécialisés, assistants maternels, aides-soignants, éducateurs de jeunes enfants –, sont au cœur de notre modèle social, puisqu’ils ont un impact sur la vie et sur l’avenir de celles et de ceux qu’ils assistent.
Le constat est clair et unanimement partagé, que l’on traite de la protection de l’enfance, du grand âge ou de la politique du handicap : le secteur médico-social souffre.
Il souffre d’un manque d’attractivité – vous l’avez rappelé, madame la ministre –, d’un manque de reconnaissance et, par conséquent, d’une pénurie alarmante.
Celle-ci a bien sûr des conséquences directes sur les travailleurs sociaux, puisque leur mission est entravée, mais aussi sur les publics fragiles.
Concrètement, je pense aux enfants placés sous protection qui n’ont même plus la possibilité de se rendre en visite médiatisée avec leurs parents, faute de professionnels pour les accompagner.
Je pense à diverses informations préoccupantes : la durée de traitement des demandes s’allonge parfois faute de personnel suffisant, ce qui peut entraîner des situations dramatiques pour l’enfant en danger.
Je pense à l’épuisement des travailleurs sociaux dans certains foyers de l’enfance, qui ont pour mission de gérer, parfois seuls, 40 enfants placés sous protection et devant donc faire l’objet d’une attention toute particulière. Nous, parents ou grands-parents, serions incapables de mener efficacement cette mission. Dès lors, comment un travailleur social, aussi dévoué soit-il, pourrait-il assumer correctement la mission que nous lui confions ?
À cet égard, je souhaite saluer l’action du Gouvernement qui, conscient de ces difficultés, décrétera un taux et des normes d’encadrement qui permettront de soulager les travailleurs sociaux et, par ricochet, de mieux protéger les enfants.
Mes chers collègues, dans tous les centres de loisirs des 36 000 communes de notre pays, un taux d’encadrement est fixé, qui protège les enfants et sécurise le personnel périscolaire. Il apparaît donc urgent d’établir des règles similaires dans les foyers de l’enfance, alors que nous savons qu’un enfant sur quatre pris en charge par l’aide sociale à l’enfance est en situation de handicap.
La revalorisation historique des métiers du secteur médico-social, dont le Gouvernement a pris la décision en février dernier et que nous avons tous soutenue, témoigne de la reconnaissance par l’État du rôle essentiel des travailleurs sociaux dans le soin et l’accompagnement de nos concitoyens les plus vulnérables.
Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023, qui prévoit près de 1,5 milliard d’euros supplémentaires pour le secteur médico-social, apporte également des solutions concrètes. Je pense notamment à l’effort important en faveur de l’attractivité des métiers de l’autonomie afin de renforcer la qualité et l’offre d’accompagnement sur l’ensemble du territoire.
Je pense également à l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam), qui continuera sa forte progression en 2023 : une hausse de 3,7 % hors dépenses liées à la crise sanitaire.
Les mesures prévues dans ce PLFSS traduisent notre volonté partagée de bâtir une société plus inclusive pour nos concitoyens en situation de handicap, par la poursuite de l’investissement en faveur de la scolarisation des enfants en situation de handicap et les mesures spécifiques concernant l’autisme et les troubles du neurodéveloppement.
Nous le remarquons sur tous nos territoires, les professionnels du secteur médico-social ont toute leur part dans l’organisation des soins de demain, parce que le soin inclut non seulement le sanitaire, mais également le social, parce qu’accompagner est aussi une manière de soigner.
Pour conclure, je souhaite une nouvelle fois saluer la tenue de ce débat et remercier Mme la ministre et l’ensemble des orateurs des groupes pour la qualité de nos échanges.
Ces enjeux, nous le savons, sont d’une importance cruciale. Ils ont trait à notre modèle social, à l’égalité des chances, à notre conception de la solidarité nationale.
Nous devrons les traiter ensemble durant les mois et les années à venir et le Sénat, chambre des territoires, devra y prendre toute sa place aux côtés du Gouvernement, des acteurs locaux et du monde associatif.
Enfin, le Sénat se grandirait à créer une délégation aux droits de l’enfant, comme compte le faire aujourd’hui l’Assemblée nationale ; une telle délégation aurait aussi toute sa place dans notre chambre. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et RDSE, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Quelle place donner aux acteurs du médico-social dans l’organisation des soins de demain sur nos territoires ? »
5
Ordre du jour
Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 11 octobre 2022 :
À quatorze heures trente et le soir :
Projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (procédure accélérée ; texte de la commission, n° 19, 2022-2023).
En outre, de quatorze heures trente à quinze heures :
Scrutin pour l’élection d’un juge suppléant à la Cour de justice de la République ; ce scrutin secret se déroulera, pendant la séance, en salle des Conférences.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-sept heures quinze.)
Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
FRANÇOIS WICKER