Sommaire
Présidence de Mme Pascale Gruny
Secrétaires :
Mme Esther Benbassa, M. Daniel Gremillet.
1. Ouverture de la session ordinaire de 2022-2023
4. Nomination de membres de commissions
Conclusions de la conférence des présidents
6. Précision du thème d’un débat d’actualité
8. États généraux de la justice. – Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains
M. François-Noël Buffet, pour le groupe Les Républicains
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice
M. Guy Benarroche ; M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice ; M. Guy Benarroche ; M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux ; M. Guy Benarroche.
M. Thani Mohamed Soilihi ; M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Laurence Harribey ; M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice ; Mme Laurence Harribey.
Mme Cécile Cukierman ; M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice ; Mme Cécile Cukierman.
Mme Dominique Vérien ; M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice ; Mme Dominique Vérien.
Mme Esther Benbassa ; M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice ; Mme Esther Benbassa.
Mme Nathalie Delattre ; M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Agnès Canayer ; M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice ; Mme Agnès Canayer.
M. Dany Wattebled ; M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice ; M. Dany Wattebled.
M. Jean-Yves Leconte ; M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice ; M. Jean-Yves Leconte.
M. Philippe Bonnecarrère ; M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Antoine Lefèvre ; M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice ; M. Antoine Lefèvre.
M. Hussein Bourgi ; M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice ; M. Hussein Bourgi.
Mme Nadine Bellurot ; M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Catherine Belrhiti ; M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice ; Mme Catherine Belrhiti.
M. Gilbert Favreau ; M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Christine Bonfanti-Dossat ; M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice ; Mme Christine Bonfanti-Dossat.
M. Philippe Bas, pour le groupe Les Républicains
Suspension et reprise de la séance
9. Urgences hospitalières et soins non programmés. – Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains
M. René-Paul Savary, pour le groupe Les Républicains
Mme Patricia Schillinger, Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé.
Mme Annie Le Houerou, Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé.
Mme Laurence Cohen, Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé, Mme Laurence Cohen.
Mme Jocelyne Guidez ; Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé.
Mme Véronique Guillotin ; Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé.
Mme Dominique Estrosi Sassone ; Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé ; Mme Dominique Estrosi Sassone.
M. Daniel Chasseing ; Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé.
Mme Raymonde Poncet Monge ; Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé.
Mme Émilienne Poumirol ; Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé.
M. Olivier Henno ; Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé.
Mme Florence Lassarade ; Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé.
M. Jean-Luc Fichet ; Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé ; M. Jean-Luc Fichet.
M. Jean Sol ; Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé.
M. Bruno Belin ; Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé ; M. Bruno Belin ; Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée ; M. Bruno Belin.
Mme Sylviane Noël ; Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé ; Mme Sylviane Noël ; Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée ; Mme Sylviane Noël.
M. Laurent Somon ; Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé.
Mme Catherine Deroche, pour le groupe Les Républicains
Suspension et reprise de la séance
10. Prise en compte des territoires, des savoir-faire et des cultures dans l’élaboration de réglementations européennes d’harmonisation. – Débat organisé à la demande de la commission des affaires européennes
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes, Mme Laurence Boone, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée de l’Europe.
M. Lucien Stanzione, Mme Laurence Boone, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée de l’Europe, M. Lucien Stanzione.
M. Pierre Ouzoulias, Mme Laurence Boone, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée de l’Europe, M. Pierre Ouzoulias.
Mme Catherine Morin-Desailly, Mme Laurence Boone, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée de l’Europe, Mme Catherine Morin-Desailly.
M. Louis-Jean de Nicolaÿ, Mme Laurence Boone, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée de l’Europe.
Mme Colette Mélot, Mme Laurence Boone, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée de l’Europe, Mme Colette Mélot.
M. Jacques Fernique, Mme Laurence Boone, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée de l’Europe, M. Jacques Fernique.
Mme Patricia Schillinger, Mme Laurence Boone, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée de l’Europe.
M. Jean-Michel Arnaud, Mme Laurence Boone, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée de l’Europe, M. Jean-Michel Arnaud.
M. Jean-Claude Anglars, Mme Laurence Boone, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée de l’Europe.
Mme Chantal Deseyne, Mme Laurence Boone, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée de l’Europe.
Mme Martine Berthet, Mme Laurence Boone, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée de l’Europe, Mme Martine Berthet.
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Vincent Delahaye
11. Abysses : la dernière frontière ? – Débat sur les conclusions du rapport d’une mission d’information
M. Teva Rohfritsch, rapporteur de la mission d’information « Exploration, protection et exploitation des fonds marins : quelle stratégie pour la France ? » ; M. Hervé Berville, secrétaire d’État auprès de la Première ministre, chargé de la mer.
M. Gérard Lahellec ; M. Hervé Berville, secrétaire d’État auprès de la Première ministre, chargé de la mer.
M. Philippe Folliot ; M. Hervé Berville, secrétaire d’État auprès de la Première ministre, chargé de la mer ; M. Philippe Folliot.
M. Stéphane Artano ; M. Hervé Berville, secrétaire d’État auprès de la Première ministre, chargé de la mer.
Mme Micheline Jacques ; M. Hervé Berville, secrétaire d’État auprès de la Première ministre, chargé de la mer.
M. Joël Guerriau ; M. Hervé Berville, secrétaire d’État auprès de la Première ministre, chargé de la mer.
M. Jacques Fernique ; M. Hervé Berville, secrétaire d’État auprès de la Première ministre, chargé de la mer ; M. Jacques Fernique.
M. Michel Dennemont ; M. Hervé Berville, secrétaire d’État auprès de la Première ministre, chargé de la mer.
Mme Angèle Préville ; M. Hervé Berville, secrétaire d’État auprès de la Première ministre, chargé de la mer.
Mme Nassimah Dindar ; M. Hervé Berville, secrétaire d’État auprès de la Première ministre, chargé de la mer.
Mme Muriel Jourda ; M. Hervé Berville, secrétaire d’État auprès de la Première ministre, chargé de la mer ; Mme Muriel Jourda.
M. Jean-Michel Houllegatte ; M. Hervé Berville, secrétaire d’État auprès de la Première ministre, chargé de la mer.
M. François Bonhomme ; M. Hervé Berville, secrétaire d’État auprès de la Première ministre, chargé de la mer.
M. Hervé Berville, secrétaire d’État auprès de la Première ministre, chargé de la mer
12. Ordre du jour
compte rendu intégral
Présidence de Mme Pascale Gruny
vice-président
Secrétaires :
Mme Esther Benbassa,
M. Daniel Gremillet.
1
Ouverture de la session ordinaire de 2022-2023
Mme le président. En application de l’article 28 de la Constitution, la session ordinaire de 2022-2023 est ouverte.
2
Procès-verbal
Mme le président. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 4 août 2022 a été publié sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
3
Décès d’anciens sénateurs
Mme le président. Mes chers collègues, j’ai le regret de vous faire part du décès de nos anciens collègues Louis Grillot, qui fut sénateur de la Côte-d’Or de 1998 à 2008, Michel Doublet, qui fut sénateur de la Charente-Maritime de 1989 à 2014, et Jacques Mahéas, qui fut sénateur de la Seine-Saint-Denis de 1995 à 2011.
4
Nomination de membres de commissions
Mme le président. J’informe le Sénat que, conformément à l’article 8 de notre règlement, le 11 septembre dernier, M. Jean-Marie Janssens est devenu membre de la commission des affaires sociales et Mme Daphné Ract-Madoux est devenue membre de la commission des affaires économiques.
5
Conférence des présidents
Mme le président. Les conclusions adoptées par la conférence des présidents réunie le 21 septembre 2022 sont consultables sur le site du Sénat.
En l’absence d’observations, je les considère comme adoptées.
Conclusions de la conférence des présidents
SEMAINE DE CONTRÔLE
Mardi 4 octobre 2022
À 14 h 30
- Ouverture de la session ordinaire de 2022-2023
- Débat sur les États généraux de la justice (demande du groupe Les Républicains)
• Temps attribué au groupe Les Républicains : 8 minutes
• Réponse du Gouvernement pour une durée équivalente
• Après la réponse du Gouvernement, séquence de 16 questions-réponses :
2 minutes, y compris la réplique
Possibilité de réponse du Gouvernement pour une durée équivalente
Possibilité pour le Gouvernement de répondre à une réplique pendant 1 minute et à l’auteur de la question de répondre de nouveau pendant 1 minute
• Conclusion par le groupe Les Républicains : 5 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : lundi 3 octobre à 15 heures
- Débat sur les urgences hospitalières et les soins non programmés (demande du groupe Les Républicains)
• Temps attribué au groupe Les Républicains : 8 minutes
• Réponse du Gouvernement pour une durée équivalente
• Après la réponse du Gouvernement, séquence de 16 questions-réponses :
2 minutes, y compris la réplique
Possibilité de réponse du Gouvernement pour une durée équivalente
Possibilité pour le Gouvernement de répondre à une réplique pendant 1 minute et à l’auteur de la question de répondre de nouveau pendant 1 minute
• Conclusion par le groupe Les Républicains : 5 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : lundi 3 octobre à 15 heures
- Débat sur la prise en compte des territoires, des savoir-faire et des cultures dans l’élaboration de réglementations européennes d’harmonisation (demande de la commission des affaires européennes)
• Temps attribué à la commission des affaires européennes : 8 minutes
• Temps attribué aux orateurs des groupes : 1 heure
• Possibilité pour le Gouvernement de prendre la parole après chaque orateur pour une durée de 2 minutes ; possibilité pour l’orateur de répliquer pendant 1 minute
• Temps de réponse du Gouvernement : 5 minutes
• Conclusion par la commission des affaires européennes : 5 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : lundi 3 octobre à 15 heures
À 21 h 30
- Débat sur les conclusions du rapport « Abysses : la dernière frontière ? » (demande de la MI « Exploration, protection et exploitation des fonds marins : quelle stratégie pour la France ? »)
• Temps attribué à la mission d’information : 8 minutes
• Temps attribué aux orateurs des groupes : 1 heure
• Possibilité pour le Gouvernement de prendre la parole après chaque orateur pour une durée de 2 minutes ; possibilité pour l’orateur de répliquer pendant 1 minute
• Temps de réponse du Gouvernement : 5 minutes
• Conclusion par la mission d’information : 5 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : lundi 3 octobre à 15 heures
Mercredi 5 octobre 2022
À 15 heures
- Questions d’actualité au Gouvernement
• Délai limite pour l’inscription des auteurs de questions : mercredi 5 octobre à 11 heures
À 16 h 30
- Débat d’actualité
• Délai limite de transmission par les groupes des propositions de thème et de format : mardi 27 septembre à 14 heures
• Délai limite pour les inscriptions de parole : mardi 4 octobre à 15 heures
- Débat sur la place des outre-mer dans la stratégie maritime nationale (demande de la délégation sénatoriale aux outre-mer)
• Temps attribué à délégation sénatoriale aux outre-mer : 8 minutes
• Réponse du Gouvernement pour une durée équivalente
• Après la réponse du Gouvernement, séquence de 16 questions-réponses :
2 minutes, y compris la réplique
Possibilité de réponse du Gouvernement pour une durée équivalente
Possibilité pour le Gouvernement de répondre à une réplique pendant 1 minute et à l’auteur de la question de répondre de nouveau pendant 1 minute
• Conclusion par la délégation sénatoriale aux outre-mer : 5 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : mardi 4 octobre à 15 heures
- Proposition de loi visant à actualiser le régime de réélection des juges consulaires dans les tribunaux de commerce, présentée par Mme Nathalie Goulet (texte n° 768, 2021-2022 ; demande du Gouvernement)
Ce texte a été envoyé à la commission des lois.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 26 septembre à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 28 septembre matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 3 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 5 octobre matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 30 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mardi 4 octobre à 15 heures
Le soir
- Débat sur les conclusions du rapport « Cinq plans pour reconstruire la souveraineté économique » (demande de la commission des affaires économiques)
• Temps attribué à la commission des affaires économiques : 8 minutes
• Temps attribué aux orateurs des groupes : 1 heure
• Possibilité pour le Gouvernement de prendre la parole après chaque orateur pour une durée de 2 minutes ; possibilité pour l’orateur de répliquer pendant 1 minute
• Temps de réponse du Gouvernement : 5 minutes
• Conclusion par la commission des affaires économiques : 5 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : mardi 4 octobre à 15 heures
Jeudi 6 octobre 2022
À 10 h 30
- Questions orales
À 14 h 30
- Débat sur les conclusions du rapport « Transformer l’essai de l’innovation : un impératif pour réindustrialiser la France » (demande de la mission d’information « Excellence de la recherche/innovation, pénurie de champions industriels : cherchez l’erreur française »)
• Temps attribué à la mission d’information : 8 minutes
• Temps attribué aux orateurs des groupes : 1 heure
• Possibilité pour le Gouvernement de prendre la parole après chaque orateur pour une durée de 2 minutes ; possibilité pour l’orateur de répliquer pendant 1 minute
• Temps de réponse du Gouvernement : 5 minutes
• Conclusion par la mission d’information : 5 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : mercredi 5 octobre à 15 heures
- Débat sur le thème : « Quelle place donner aux acteurs du médico-social dans l’organisation des soins de demain sur nos territoires ? » (demande du groupe RDPI)
• Temps attribué au groupe RDPI : 8 minutes
• Réponse du Gouvernement pour une durée équivalente
• Après la réponse du Gouvernement, séquence de 16 questions-réponses :
2 minutes, y compris la réplique
Possibilité de réponse du Gouvernement pour une durée équivalente
Possibilité pour le Gouvernement de répondre à une réplique pendant 1 minute et à l’auteur de la question de répondre de nouveau pendant 1 minute
• Conclusion par le groupe RDPI : 5 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : mercredi 5 octobre à 15 heures
SEMAINE RÉSERVÉE PAR PRIORITÉ AU GOUVERNEMENT
Mardi 11 octobre 2022
À 14 h 30 et le soir
- Projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (procédure accélérée ; texte n° 876, 2021-2022)
Ce texte a été envoyé à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale avec une saisine pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 3 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 5 octobre matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 10 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mardi 11 octobre matin et début d’après-midi et mercredi 12 octobre matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 10 octobre à 15 heures
Mercredi 12 octobre 2022
À 15 heures
- Questions d’actualité au Gouvernement
• Délai limite pour l’inscription des auteurs de questions : mercredi 12 octobre à 11 heures
À 16 h 30
- Suite du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (procédure accélérée ; texte n° 876, 2021-2022)
À 21 h 30
- Déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat, en application de l’article 50-1 de la Constitution sur la politique énergétique de la France
• Intervention des orateurs des groupes, à raison d’un orateur par groupe, par ordre décroissant des effectifs des groupes, avec 14 minutes pour le groupe Les Républicains, 12 minutes pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, 10 minutes pour le groupe Union Centriste et 8 minutes pour les autres groupes, ainsi que 3 minutes pour les sénateurs non-inscrits
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : mardi 11 octobre à 15 heures
Jeudi 13 octobre 2022
À 10 h 30 et à 14 h 30
- Suite du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (procédure accélérée ; texte n° 876, 2021-2022)
SEMAINE SÉNATORIALE
Mardi 18 octobre 2022
À 14 h 30 et le soir
- Explications de vote des groupes puis scrutin public solennel sur le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (procédure accélérée ; texte n° 876, 2021-2022)
• Temps attribué aux orateurs des groupes pour les explications de vote, à raison d’un orateur par groupe : 7 minutes pour chaque groupe et 3 minutes pour les sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe
• Délai limite pour les inscriptions de parole : lundi 17 octobre à 15 heures
• Délai limite pour le dépôt des délégations de vote : mardi 18 octobre à 12 h 30
- Proposition de loi visant à la consolidation et à la professionnalisation de la formation des internes en médecine générale afin de lutter contre « les déserts médicaux », présentée par M. Bruno Retailleau et plusieurs de ses collègues (texte n° 419, 2021-2022) (demande du groupe Les Républicains)
Ce texte a été envoyé à la commission des affaires sociales.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 3 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 5 octobre matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : jeudi 13 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mardi 18 octobre début d’après-midi
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 17 octobre à 15 heures
- Débat sur les finances locales (demande de la commission des finances)
• Temps attribué à la commission des finances : 10 minutes
• Temps attribué au Gouvernement : 10 minutes
• Temps attribué aux orateurs des groupes : 1 heure
• Possibilité pour le Gouvernement de prendre la parole après chaque orateur pour une durée de 2 minutes ; possibilité pour l’orateur de répliquer pendant 1 minute
• Temps de réponse du Gouvernement : 5 minutes
• Conclusion par la commission des finances : 5 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : lundi 17 octobre à 15 heures
- Proposition de loi encadrant l’intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques, présentée par Mme Éliane Assassi, M. Arnaud Bazin et plusieurs de leurs collègues (texte n° 720, 2021-2022) (demande de la commission d’enquête sur l’influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques)
Ce texte a été envoyé à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 10 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 12 octobre matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 17 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mardi 18 octobre début d’après-midi
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 17 octobre à 15 heures
Mercredi 19 octobre 2022
À 15 heures
- Questions d’actualité au Gouvernement
• Délai limite pour l’inscription des auteurs de questions : mercredi 19 octobre à 11 heures
De 16 h 30 à 20 h 30
(Ordre du jour réservé au GEST)
- Proposition de loi constitutionnelle visant à protéger et à garantir le droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception, présentée par Mme Mélanie Vogel et plusieurs de ses collègues (texte n° 872, 2021-2022)
Ce texte a été envoyé à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 10 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 12 octobre matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 17 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 19 octobre matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 45 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mardi 18 octobre à 15 heures
- Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à faire évoluer la formation de sage-femme (texte n° 224, 2021-2022)
Ce texte a été envoyé à la commission des affaires sociales.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 3 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 5 octobre matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : jeudi 13 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 19 octobre matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 45 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mardi 18 octobre à 15 heures
Éventuellement, le soir
- Suite de la proposition de loi encadrant l’intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques, présentée par Mme Éliane Assassi, M. Arnaud Bazin et plusieurs de leurs collègues (texte n° 720, 2021-2022)
Jeudi 20 octobre 2022
De 10 h 30 à 13 heures et de 14 h 30 à 16 heures
(Ordre du jour réservé au groupe UC)
- Proposition de loi créant une aide universelle d’urgence pour les victimes de violences conjugales, présentée par Mme Valérie Létard et plusieurs de ses collègues (texte n° 875, 2021-2022)
Ce texte a été envoyé à la commission des affaires sociales.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 3 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 5 octobre matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : jeudi 13 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 19 octobre matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 45 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 19 octobre à 15 heures
- Proposition de loi visant à accompagner la mise en place de comités sociaux et économiques à La Poste, présentée par Mme Denise Saint-Pé (texte n° 874, 2021-2022)
Ce texte a été envoyé à la commission des affaires sociales.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 3 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 5 octobre matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : jeudi 13 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 19 octobre matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 45 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 19 octobre à 15 heures
De 16 heures à 20 heures
(Ordre du jour réservé au groupe Les Indépendants)
- Proposition de loi en faveur du développement de l’agrivoltaïsme, présentée par MM. Jean-Pierre Decool, Pierre-Jean Verzelen, Pierre Médevielle, Daniel Chasseing, Mme Vanina Paoli-Gagin et plusieurs de leurs collègues (texte n° 731, 2021-2022)
Ce texte a été envoyé à la commission des affaires économiques.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 3 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 5 octobre matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : jeudi 13 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 19 octobre matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 45 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 19 octobre à 15 heures
- Proposition de loi visant à mieux valoriser certaines des externalités positives de la forêt, présentée par Mme Vanina Paoli-Gagin et plusieurs de ses collègues (texte n° 867, 2021-2022)
Ce texte a été envoyé à la commission des finances.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 10 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 12 octobre matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 17 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 19 octobre matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 45 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 19 octobre à 15 heures
SEMAINE RÉSERVÉE PAR PRIORITÉ AU GOUVERNEMENT
Mardi 25 octobre 2022
À 10 h 30
- Questions orales
À 14 h 30 et le soir
- Sous réserve de sa transmission, projet de loi portant mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi (procédure accélérée ; texte A.N. n° 219)
Ce texte sera envoyé à la commission des affaires sociales.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 10 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 12 octobre matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : jeudi 20 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mardi 25 octobre matin et à la suspension du soir, mercredi 26 octobre matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 24 octobre à 15 heures
Mercredi 26 octobre 2022
À 15 heures
- Questions d’actualité au Gouvernement
• Délai limite pour l’inscription des auteurs de questions : mercredi 26 octobre à 11 heures
À 16 h 30
- Sous réserve de sa transmission, suite du projet de loi portant mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi (procédure accélérée ; texte A.N. n° 219)
À 21 h 30
- Déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat, en application de l’article 50-1 de la Constitution relative à la guerre en Ukraine et aux conséquences pour la France
• Intervention des orateurs des groupes, à raison d’un orateur par groupe, par ordre décroissant des effectifs des groupes, avec 14 minutes pour le groupe Les Républicains, 12 minutes pour le groupe Socialiste, écologiste républicain, 10 minutes pour le groupe Union Centriste et 8 minutes pour les autres groupes, ainsi que 3 minutes pour les sénateurs non-inscrits
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : mardi 25 octobre à 15 heures
Jeudi 27 octobre 2022
À 10 h 30, 14 h 30 et, éventuellement, le soir
- cinq conventions internationales examinées selon la procédure d’examen simplifié :
=> Projet de loi autorisant la ratification de la convention du Conseil de l’Europe sur la manipulation de compétitions sportives (texte n° 604, 2021-2022)
=> Projet de loi autorisant l’approbation de l’accord pour la mise en place d’un mécanisme d’échange et de partage de l’information maritime dans l’océan Indien occidental et de l’accord régional sur la coordination des opérations en mer dans l’océan Indien occidental (texte de la commission n° 757, 2021-2022)
=> Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant l’approbation de l’accord de siège entre le Gouvernement de la République française et la Banque des règlements internationaux relatif au statut et aux activités de la Banque des règlements internationaux en France, et de l’accord de sécurité sociale entre le Gouvernement de la République française et la Banque des règlements internationaux (texte n° 848, 2021-2022)
=> Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant la ratification de la convention portant création de l’Organisation internationale pour les aides à la navigation maritime (texte n° 522, 2021-2022)
=> Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant la ratification du traité entre la République française et la République italienne pour une coopération bilatérale renforcée (texte n° 847, 2021-2022)
• Délai limite pour demander le retour à la procédure normale : mardi 25 octobre à 15 heures
- Sous réserve de sa transmission, suite du projet de loi portant mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi (procédure accélérée ; texte A.N. n° 219)
Prochaine réunion de la Conférence des Présidents : mercredi 5 octobre 2022 à 18 h 30
6
Précision du thème d’un débat d’actualité
Mme le président. Mes chers collègues, la conférence des présidents a inscrit le prochain débat d’actualité à l’ordre du jour du mercredi 5 octobre à seize heures trente.
Après concertation avec les groupes politiques, ce débat porterait, sur proposition de M. le président du Sénat, sur le thème suivant : « Atteinte aux droits des femmes et aux droits de l’homme en Iran », sous forme de discussion générale.
Il n’y a pas d’observation ?…
Il en est ainsi décidé.
7
Rappel au règlement
Mme le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour un rappel au règlement.
M. Jean-Pierre Sueur. Madame la présidente, en 2017, M. Emmanuel Macron, Président de la République, a déclaré que, lorsqu’un ministre était mis en examen, il lui paraissait qu’il devait quitter le Gouvernement.
M. Roger Karoutchi. Ce n’est pas un rappel au règlement !
M. Jean-Pierre Sueur. D’ailleurs, un précédent garde des sceaux a été amené à quitter le Gouvernement.
Je constate, en outre, que les avocats du présent garde des sceaux tiennent des propos mettant lourdement en cause les plus hautes autorités de la magistrature,… (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. S’il vous plaît, mes chers collègues !
M. Jean-Pierre Sueur. … notamment M. le procureur général près la Cour de cassation.
Dans ces conditions, on peut se demander comment ledit garde des sceaux peut être garant de l’indépendance de la justice.
Enfin, je constate, mes chers collègues, qu’il est tout à fait possible, en l’état actuel des choses, que M. le garde des sceaux soit conduit à contribuer à la désignation du prochain procureur général près la Cour de cassation, qui sera – ou serait – son accusateur.
M. Bruno Belin. Ce n’est pas un rappel au règlement !
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. On y vient !
M. Jean-Pierre Sueur. Dans ces conditions – et j’en viens à mon rappel au règlement, monsieur Karoutchi (Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains.) –, j’ai l’honneur, madame la présidente, de vous prier, au nom du groupe socialiste et républicain, de bien vouloir saisir de ces questions M. le président du Sénat afin qu’il demande à Mme la Première ministre de venir exprimer devant la Haute Assemblée la position du Gouvernement sur les faits que je viens de relater et sur les conditions dans lesquelles, au regard de ceux-ci, sera garantie l’indépendance de la justice. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
Mme le président. Acte vous est donné de votre rappel au règlement, mon cher collègue. Votre demande sera bien entendu transmise à M. le président du Sénat.
8
États généraux de la justice
Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains
Mme le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur les États généraux de la justice.
Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je rappelle que l’auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
À l’issue du débat, l’auteur de la demande disposera d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.
Dans le débat, la parole est à M. François-Noël Buffet, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. François-Noël Buffet, pour le groupe Les Républicains. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je suis heureux de ce débat au Sénat, inscrit à notre ordre du jour sur l’initiative du groupe Les Républicains, sur les suites du rapport du comité des États généraux de la justice, remis au Président de la République le 8 juillet dernier.
Il est le fruit d’un travail approfondi auquel j’ai eu l’honneur de participer entre octobre 2021 et avril 2022.
Il faut rappeler que ces États généraux de la justice ont été organisés sur l’initiative du Président de la République à la suite du cri d’alarme – je crois que l’on peut employer ces mots forts – lancé par Mme Chantal Arens, alors première présidente de la Cour de cassation, et M. François Molins, procureur général près cette même Cour, sur la situation critique de la justice française.
Plus de 7 000 magistrats ont ensuite signé une tribune dans la presse, en réaction au suicide dramatique de l’une de leurs collègues, dénonçant leurs conditions de travail et la perte de sens de leur métier, ce qui est sans précédent.
Le malaise dans la justice est une réalité incontestable. La perte de confiance des citoyens dans son action aussi, comme l’a montré l’Agora de la justice organisée par le Sénat le 27 septembre 2021.
Comme l’indique l’enquête que la commission des lois a fait réaliser pour l’occasion, 53 % de nos concitoyens n’ont plus confiance dans la justice.
Cette réalité, le Sénat l’a mise en lumière depuis plusieurs années, tout en faisant des propositions qui n’ont pas toujours reçu un accueil favorable de la Chancellerie…
Je citerai les trois principaux rapports de la commission des lois sur le sujet : en 2017, Cinq ans pour sauver la justice !, au terme d’une mission d’information conduite par Philippe Bas, et dont les corapporteurs étaient notamment Jacques Bigot, François Zocchetto, Cécile Cukierman et Esther Benbassa ; en 2019, La justice prud’homale au milieu du gué, rédigé en commun avec la commission des affaires sociales, dont Agnès Canayer, Nathalie Delattre et Pascale Gruny furent rapporteures ; et en 2021, Le droit des entreprises en difficulté à l’épreuve de la crise, dont François Bonhomme et Thani Mohamed Soilihi furent rapporteurs.
Nos rapporteurs budgétaires suivent attentivement chaque année la situation de la justice et ont souvent alerté sur ses difficultés concrètes.
Il est donc heureux de retrouver de nombreux points de convergence parmi les constats et propositions du rapport des États généraux avec les travaux du Sénat. Je pense par exemple à la mise en place d’un tribunal des affaires économiques ou à l’orientation ab initio des affaires devant le conseil de prud’hommes.
La commission des lois a entendu, le 21 novembre dernier, Jean-Marc Sauvé, président du comité des États généraux, ainsi que Mme Arens, M. Molins et maître Jérôme Gavaudan, président du Conseil national des barreaux.
Je retiens, parmi les points évoqués, outre l’augmentation des effectifs, la nécessité de mettre en place une véritable politique civile, avec un renforcement de la première instance – là encore, le Sénat avait déjà pointé ce besoin –, véritable justice du quotidien qui représente 60 % du contentieux judiciaire, alors que les projecteurs sont principalement braqués sur la justice pénale.
En 2019, la justice civile représentait en effet plus de 2,2 millions de décisions, tandis que la justice pénale n’en représentait que 800 000. En raison de la crise de la covid-19, les chiffres de 2020 ne reflètent pas réellement la situation.
Pour réformer, monsieur le garde des sceaux, il importe que le ministère accepte de changer de méthode en agissant de manière « systémique » au service du justiciable et d’un meilleur fonctionnement, en évaluant en amont les conditions pratiques nécessaires à la réussite de ces réformes et sorte d’une approche strictement « normative ».
À cet égard, le niveau d’exigence des études d’impact doit être revu pour vraiment prendre en compte la réalité du terrain. Trop souvent, les réformes présentées par le Gouvernement ont volontairement ignoré les effets réels induits sur l’organisation des juridictions, le travail des juges et, au final, les justiciables eux-mêmes. Ce type d’approche doit impérativement être abandonné.
D’ailleurs, monsieur le garde des sceaux, malgré les efforts financiers réalisés ces dernières années, la politique numérique tarde à produire des effets concrets sur le terrain, où les équipes se plaignent de nombreux dysfonctionnements, notamment dus à l’impréparation des réformes législatives.
Il faudrait en outre nous discipliner collectivement pour ne modifier les textes que lorsque cela est « strictement nécessaire ». Est-ce un vœu pieux ? Je ne le crois pas. Les juridictions sont épuisées par les modifications incessantes des règles ; cela vaut tant pour la loi que pour les textes réglementaires.
Douze sénateurs de la commission des lois ont pu le constater lors du stage qu’ils ont effectué cette année en juridiction, au sein des tribunaux judiciaires de Paris, de Lyon, de Bordeaux, de Lille, de Rouen ou encore de Marseille.
Il faut donc désormais s’attacher à la mise en œuvre des propositions, qu’il s’agisse des moyens, de l’organisation et du fonctionnement de la justice ou des réformes législatives. Je crois pouvoir dire que le Sénat dans son entier y veillera.
En définitive, le rapport issu des États généraux de la justice est un rapport pragmatique et opérationnel : il donne des clefs pour mieux faire fonctionner l’existant plutôt que d’inventer de nouveaux systèmes, souvent illusoires.
La mobilisation des magistrats, mais aussi celle des greffiers, qui sont moins dans la lumière, nous oblige : ils sont, sinon tous, à tout le moins dans leur très grande majorité, dévoués, au quotidien, à la continuité de l’institution judiciaire.
Il suffit d’observer ce qui s’est passé pendant la deuxième crise sanitaire ou ce qui se passe aujourd’hui, compte tenu de certaines situations et des travaux supplémentaires qu’ils doivent assumer sans forcément disposer de moyens additionnels, malgré les difficultés.
Nous serions collectivement coupables de ne pas leur apporter les moyens de travailler.
Bien sûr, le débat ne se résume pas simplement à cela : à un moment, il faut faire des choix politiques sur des stratégies de justice. Il y a un continuum entre la police, la justice et – pour ce qui relève du pénal – la pénitentiaire. En toute hypothèse, la justice est en crise : si la justice civile l’est de façon très caractérisée, la problématique de la justice pénale tient surtout, me semble-t-il, à la question des peines, qu’il s’agisse de la rapidité de leur exécution ou de leur efficacité.
Pour autant, je crois sincèrement que, à ce stade, il n’est pas nécessaire de revoir encore et encore notre législation, sinon sur un certain nombre de points particuliers ; il vaut mieux se concentrer sur les moyens que nous mettons à disposition de nos magistrats et de nos greffiers, moyens tant numériques qu’humains ou systémiques, de façon à privilégier la réussite de cette mission.
Chacun est bien conscient ici que cet espace où l’on essaie de résoudre les conflits entre la société et les délinquants ou entre des particuliers est absolument essentiel au bon fonctionnement de notre vie tout court et de la vie sociale en particulier. La justice, contrairement à ce que l’on imagine, est un espace d’apaisement, un espace dans lequel les conflits privés doivent trouver des solutions qui apaisent les parties, lesquelles finissent par accepter les décisions rendues. C’est absolument fondamental. Aujourd’hui, tous les magistrats que nous rencontrons, tous les greffiers s’interrogent sur leur utilité, voire sur la reconnaissance dont ils bénéficient de la part de nos institutions.
Mes chers collègues, notre justice est un bien précieux. C’est la raison pour laquelle, monsieur le garde des sceaux, nous attendons que vous répondiez, au cours du débat de cet après-midi, à un certain nombre de questions, notamment sur le calendrier de mise en œuvre des conclusions des États généraux et sur les concertations qui sont prévues – même si vous les avez déjà engagées –, mais aussi sur les mesures réglementaires ou législatives que vous souhaitez engager.
Enfin, on entend parler d’un projet de loi de programmation pour la justice : quand sera-t-il déposé sur le bureau du Sénat ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)
Mme le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis tout particulièrement heureux de revenir devant vous alors que s’ouvre la première session ordinaire de cette nouvelle législature. Je souhaite poursuivre avec chacun d’entre vous le travail de coconstruction qui a guidé mes relations avec le Sénat depuis mon arrivée à la Chancellerie.
C’est pourquoi, dans le cadre des États généraux qui nous réunissent aujourd’hui, je veux faire en sorte que les réformes indispensables se fassent dans le plus large consensus.
C’est le principe même de ces États généraux impulsés par Président de la République et à la demande des deux plus hauts magistrats de notre pays, qui constitue par ailleurs un exercice démocratique inédit avec près d’un million de contributions citoyennes !
Alors que le rapport de très grande qualité issu de ces États généraux de la justice a été remis au Président de la République par le président Sauvé en juillet dernier, je conclus actuellement la dernière phase de concertation de tous les acteurs du monde judiciaire.
Je veux ici saluer le Sénat dans son ensemble, en particulier votre président, Gérard Larcher, ainsi que votre président de la commission des lois, François-Noël Buffet, qui était d’ailleurs membre du comité des États généraux, pour l’engagement qui est le leur en matière de justice. (M. Roger Karoutchi s’exclame avec amusement.)
C’est sincère, monsieur Karoutchi !
Que ce soit dans le vote des budgets – qui sont bons, il faut bien l’admettre –, ou bien dans les propositions formulées – je pense par exemple aux agoras de la justice –, en passant par l’indispensable travail législatif mené de concert, je ne compte plus les fois où Gouvernement et Sénat ont joint leurs forces, avec l’Assemblée nationale, pour faire progresser notre justice.
Mais, vous le savez, ce travail n’est pas fini, tant s’en faut.
C’est pourquoi, comme je l’ai annoncé, je présenterai dans les semaines qui viennent à nos concitoyens, ainsi qu’au Parlement, bien sûr, un plan d’action détaillé pour réformer et améliorer le service public de la justice, avec un impératif : la rendre plus protectrice, plus rapide, plus efficace et plus proche de nos concitoyens.
Ce plan – je vous rassure, il reprendra un certain nombre de propositions sénatoriales, par exemple celles qui concernent les recrutements à venir ou encore la réflexion sur un tribunal des affaires économiques – se déclinera à travers tous les leviers dont nous disposons. L’objectif sera d’aller vite. C’est pourquoi tout ce qui pourra être fait par voie réglementaire le sera, et ce dans les plus brefs délais.
Je pense par exemple à la matière civile ou encore à l’organisation propre du ministère.
Je vais néanmoins vous répondre en quelques points concernant les premières priorités qui font déjà consensus.
Premièrement, nous allons poursuivre le renforcement inédit de la justice en termes humains et financiers, car on ne résout pas vingt ou trente ans d’abandon politique, humain et financier en un claquement de doigts.
Vous le savez, le budget de la justice pour 2023 connaîtra, si vous l’acceptez, pour la troisième fois consécutive, une hausse de 8 %. Ces hausses nous laissent peu à peu entrevoir l’horizon d’une justice de qualité que tous les acteurs du monde judiciaire, mais surtout les justiciables, appellent de leurs vœux.
Je peux d’ores et déjà vous annoncer qu’une première recommandation – et ce n’est pas la moindre – du rapport Sauvé sera suivie : nous embaucherons au moins 1 500 magistrats et 1 500 greffiers sur le quinquennat. Il s’agit là du plus grand plan d’embauche de toute l’histoire des services judiciaires.
Après les volets réglementaire, budgétaire et organisationnel, les arbitrages issus des concertations en cours prendront corps à travers une ambitieuse loi de programmation pour la justice sur la période 2022-2027.
Fidèle à la démarche de coconstruction qui est la mienne, le Parlement sera – j’y insiste – très étroitement consulté en amont des débats et aura toute la place qui lui revient au moment de l’examen de ce texte.
Ces discussions viseront à nous accorder sur l’ampleur des réformes législatives de la justice que nous aurons à porter, qu’elles soient programmatiques, ordinaires, organiques, et même constitutionnelles.
Si la loi de programmation permettra d’inscrire dans le marbre les recrutements massifs de magistrats, de greffiers, mais aussi de contractuels, de personnels pénitentiaires, elle aura également vocation à transposer dans la loi, de manière concise, les principales propositions qui auront fait, pour la plupart, déjà consensus.
En matière pénale, mes priorités, à savoir une réponse ferme et systématique, ont été fixées par la circulaire du 20 septembre dernier. Je pense par exemple à la lutte contre les violences faites aux femmes et aux mineurs, à la lutte contre la délinquance du quotidien et la criminalité organisée, à la lutte contre le terrorisme, à la lutte contre les atteintes à l’environnement.
Mais aucune politique pénale ne pourra efficacement prospérer sans la simplification de la procédure, réclamée par l’ensemble des acteurs du monde judiciaire. Le Président de la République s’y est engagé.
J’aurai donc vocation à vous proposer une méthode consensuelle et une feuille de route claire pour que, ensemble, et si vous en êtes d’accord, nous puissions mener ce chantier législatif colossal.
La nécessité de cette réforme fait l’objet d’un consensus, des forces de l’ordre aux magistrats, en passant par les avocats.
Mais une politique pénale ne peut exister sans politique pénitentiaire volontariste. C’est pourquoi nous poursuivrons le grand plan immobilier pénitentiaire avec la création de 15 000 places d’ici à 2027 afin d’assurer la réponse pénale, d’améliorer les conditions de travail des agents pénitentiaires et les conditions de détention, qui nous indignent trop souvent.
S’agissant du volet réinsertion, qui, je le répète, est absolument indissociable du volet répressif, nous poursuivrons la hausse des moyens alloués ainsi que la mise en œuvre du contrat du détenu travailleur et les remises de peine conditionnées à l’effort.
En matière civile, nos objectifs sont les suivants.
D’abord, poursuivre sans relâche nos efforts de résorption des stocks. Les stocks en matière civile, mesdames, messieurs les sénateurs, ont diminué de plus de 28 % au niveau national, ce qui est absolument considérable.
Ensuite, lancer à l’échelle nationale une politique ambitieuse de l’amiable : une décision de justice coconstruite est une décision mieux acceptée !
Enfin, simplifier le parcours juridictionnel du justiciable, qui ressemble bien souvent à un parcours du combattant.
Le temps qui m’est imparti, huit minutes, ne permet pas, vous me le concéderez, de dresser un exposé complet, mais les questions qui viennent me permettront d’approfondir et d’expliciter mon projet. Je pense, parmi d’autres sujets cruciaux et essentiels, à la transformation numérique du ministère, chère à votre collègue Dominique Vérien, ou encore à la justice économique et commerciale, si importante face à la crise à venir.
Mme le président. Il faut conclure, monsieur le garde des sceaux.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Un mot, sans aucun esprit de polémique, à l’attention de M. le sénateur Sueur, pour lui dire que mes avocats expriment ce qu’ils estiment nécessaire à ma défense.
Par ailleurs, Mme Élisabeth Guigou, pour qui j’ai le plus profond respect, a été chargée d’un travail très important sur la présomption d’innocence. L’impératif, naturellement, m’est interdit lorsque je m’adresse à vous, mais je vous invite à lire son rapport. (M. Alain Richard applaudit.)
Débat interactif
Mme le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question et son éventuelle réplique.
Le Gouvernement dispose pour répondre d’une durée équivalente. Il aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de répondre à la réplique pendant une minute supplémentaire. L’auteur de la question disposera alors à son tour du droit de répondre pendant une minute.
Je serai le gardien du temps…
Dans le débat interactif, la parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Les travaux de ces États généraux s’inscrivent dans le constat partagé d’une justice malade.
Si vous martelez que jamais un gouvernement n’a autant fait pour la justice, les faits sont têtus et les chiffres d’augmentation de budget peinent à convaincre les acteurs du quotidien – magistrats ou greffiers –, ainsi que les citoyens, qui, malgré des projets pour la confiance dans la justice, ont du mal à appréhender un système judiciaire souvent maltraitant.
Notre groupe a eu plusieurs fois l’occasion de regretter de trop nombreuses réformes, qui n’étaient en adéquation ni avec les attentes des citoyens ni avec des demandes des magistrats ou du personnel pénitentiaire. Il s’agit parfois de réformes d’affichage dont les moyens nécessaires à leur bonne exécution au mieux ne suivent pas, au pire ne sont même pas prévus. Je pense aux nouvelles prérogatives conférées aux juges des libertés et de la détention sans que leur nombre augmente ou à la généralisation des cours criminelles départementales avant de prévoir l’arrivée de nouveaux magistrats.
Ces États généraux ont eu le mérite de remettre sur la table de nombreuses discussions, y compris le débat autour du sens à donner à la peine pour favoriser la réinsertion : « La peine doit […] favoriser la réinsertion de l’auteur et réduire les risques de récidive. »
À ce titre, en dehors des effets positifs que cela pourrait avoir sur la population carcérale, l’idée de recentrer le juge d’application des peines sur ses missions premières pourrait s’accompagner d’une plus grande présence des services pénitentiaires d’insertion et de probation (Spip) dans des juridictions, comme cela est proposé dans les États généraux de la justice.
Ma question est la suivante : l’activité en milieu ouvert des Spip, qui concerne un nombre plus important de personnes qu’en milieu fermé, est encore trop méconnue ; que comptez-vous faire pour valoriser et soutenir cette activité essentielle de la pénitentiaire, dont les compétences ne cessent de croître ?
Mme le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur Benarroche, punir, mais réinsérer ; punir et réinsérer.
Vous m’interrogez sur la situation des Spip.
Depuis 2018, il a été procédé à 1 500 recrutements, ce qui a permis de réduire le nombre de dossiers suivis par chaque conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation (CPIP) de 80 à 71.
Des organigrammes de référence fixant les effectifs affectés au sein des Spip ont été mis en place.
Ensuite, en termes de revalorisation, les CPIP ont obtenu plusieurs avancées importantes : passage en catégorie A, revalorisation indemnitaire de 220 euros par mois en 2022.
Les directeurs pénitentiaires d’insertion et de probation (DPIP) ont bénéficié d’une revalorisation indemnitaire de 1,3 million d’euros en 2021 et 2022. Je souhaite aller plus loin en 2023 avec la poursuite de la hausse des primes à hauteur de 1 million d’euros, la réforme du statut pour faciliter la promotion professionnelle et la revalorisation de leur rémunération indiciaire à hauteur de 1,3 million d’euros.
Monsieur le sénateur, vous évoquez également le travail en milieu ouvert : s’il faut punir le délinquant et protéger nos concitoyens avec la prison, les missions réalisées par les Spip en milieu ouvert sont essentielles.
Une politique volontariste en faveur des aménagements de peine et des mesures alternatives à l’incarcération est menée par le ministère de la justice. En 2023, la dotation correspondante s’élèvera à 53,4 millions d’euros, soit une progression de 34 % par rapport à 2022.
De même, 28 millions d’euros seront consacrés au placement sous surveillance électronique, tandis que le placement extérieur bénéficiera d’une dotation de 11,3 millions d’euros, soit un complément de 2,5 millions d’euros destinés au relèvement du prix de journée pour favoriser l’octroi de ces mesures.
Enfin, la dotation allouée à la politique de réinsertion et de lutte contre la récidive des personnes placées sous main de justice sera portée en 2023 à 122,5 millions d’euros.
Mme le président. La parole est à M. Guy Benarroche, pour la réplique.
M. Guy Benarroche. Monsieur le garde des sceaux, les moyens disponibles dans le budget pour 2023 permettront-ils enfin la convergence du régime de rémunération des directeurs et des directrices des Spip, alors même qu’ils n’ont bénéficié d’aucune mesure en ce sens depuis de nombreuses années, avec celui de la pénitentiaire ?
Les carrières et avancements dont bénéficient les directeurs de ces services sont moins avantageux que ceux de leurs cadres.
Mme le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Nous y travaillons évidemment en lien avec le ministère de la transformation et de la fonction publiques.
Mme le président. La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Monsieur le garde des sceaux, j’ai bien compris votre réponse, qui n’en est pas vraiment une…
Je veux ajouter deux choses.
Premièrement, il faudrait également veiller à augmenter la dotation budgétaire des Spip. En effet, ils doivent pouvoir disposer de budgets propres leur permettant de financer – ou d’y participer par un financement croisé, sans quoi c’est impossible – la prise en charge par le milieu associatif des suivis intensifs et individualisés.
Deuxièmement, il faudrait également augmenter les effectifs de ces Spip. Certes, tel a été le cas, puisque, comme vous l’avez indiqué, on compte actuellement un agent pour 71 personnes suivies, mais l’objectif tel qu’il a été fixé, à savoir un agent pour 60 personnes suivies, n’a pas été atteint.
Mme le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.
M. Thani Mohamed Soilihi. « Constat sévère », « au bord de la rupture », « état de délabrement avancé », « crise majeure », « perte de sens » : on ne compte plus les qualificatifs moribonds employés pour décrire la justice et son fonctionnement dans notre pays.
Dans son rapport remis au Président de la République le 8 juillet dernier, le comité des États généraux formule une série de recommandations pour redresser le service public de la justice. Il souligne que, sans renforcement des moyens financiers, humains et en matériel, les réformes resteront sans capacité d’application.
Aussi, pour la troisième année consécutive, le budget de la justice est en hausse, comme en témoigne le projet de loi de finances pour 2023. En cinq ans, il a augmenté de plus de 40 %, avec près de 700 magistrats, 850 greffiers et plus de 2 000 juristes recrutés. Un tel effort est historique. Cette nouvelle augmentation de 8 % permettra la création de 2 253 emplois en équivalents temps plein (ETP).
Dans son rapport, le comité relève, à juste titre, que l’ensemble des constats portant sur la justice sont aggravés en outre-mer et que la défiance envers l’institution y est encore accrue.
C’est le cas du déficit et de la mauvaise gestion des moyens humains. À Mayotte et en Guyane, par exemple, les acteurs de la justice se plaignent d’une désorganisation permanente des juridictions. Cette situation résulte notamment d’un fort absentéisme des magistrats et des greffiers, épuisés par leur charge et leurs conditions de travail. Or l’état de dépendance financière dans lequel se trouvent les juridictions de Guyane ou de Mayotte empêche de répondre directement et efficacement aux besoins de ces territoires.
C’est également le cas du manque de réponse pénale en dehors de la prison, qui subit elle-même une crise sévère.
C’est enfin le cas de la fracture numérique, démultipliée outre-mer.
Monsieur le garde des sceaux, je vous sais sensible aux problèmes que rencontrent, en outre-mer, nos concitoyens dans l’accès à la justice et les acteurs du monde judiciaire dans leur travail. Vous présenterez prochainement un plan d’action et un projet de loi de programmation pour la justice : comment entendez-vous ventiler les crédits et moyens dans ces territoires reculés afin d’y relever les défis constatés ?
Mme le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur, je suis évidemment très préoccupé par la situation guyanaise et mahoraise. Je rentre d’ailleurs de Guyane, où je me suis rendu avec Gérald Darmanin et Gabriel Attal. Nous avons considérablement renforcé les moyens des douanes, des forces de sécurité et des magistrats de ce territoire.
Pour ce qui concerne mon ministère, le problème principal est l’attractivité des postes. Face à cette difficulté, nous avons créé une brigade de soutien au sein de la Chancellerie. Le rôle de cette structure est de convaincre des magistrats métropolitains de partir six mois et un jour – ce délai a été retenu pour des raisons fiscales que vous devinez sans peine – dans les territoires ultramarins afin d’aider les magistrats sur place.
Nous mettons en place ce dispositif en Guyane et nous l’étendrons bien sûr à Mayotte, où nous enverrons, en outre, des personnels supplémentaires. En effet – je l’ai indiqué lors de mon déplacement à Mayotte –, pour un magistrat comme pour un greffier, une telle affectation doit être un tremplin. Nous faisons d’ailleurs en sorte qu’après avoir exercé leurs fonctions à Mayotte ils sachent exactement où ils seront nommés.
En parallèle, d’importantes opérations immobilières sont prévues : cité du ministère de la justice à Saint-Laurent-du-Maroni, cité judiciaire à Cayenne, cité judiciaire et centre éducatif fermé à Mayotte, auxquels s’ajoutera bientôt un second établissement pénitentiaire.
Les outre-mer ont besoin de moyens accrus : nous le savons.
Monsieur le sénateur, je tiens à saluer l’engagement total dont vous faites preuve en la matière, pour votre territoire et pour la justice. Vous êtes toujours au rendez-vous, vous nous rappelez ce que nous devons faire et ce que vous dites nous oblige.
M. Alain Richard. Très bien !
Mme le président. La parole est à Mme Laurence Harribey.
Mme Laurence Harribey. Monsieur le garde des sceaux, le rapport des États généraux de la justice préconise l’augmentation du nombre de conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP),…
Mme Laurence Harribey. … mais pas seulement. Il recommande aussi la généralisation de la présence de psychologues dans tous les services. C’est une nécessité que ma collègue Marie Mercier et moi-même avons largement mesurée lors de la mission d’évaluation que nous avons consacrée aux Spip.
Nous avons également pu constater le faible nombre des assistants sociaux : on n’en dénombre qu’un par département. Or ces professionnels sont fondamentaux, à l’heure où les CPIP voient leur métier évoluer : désormais, on leur demande davantage de mesurer le risque de récidive, non de se consacrer à la seule réinsertion.
Ma question est donc simple : quelle suite allez-vous donner au volet du rapport portant sur l’interdisciplinarité à l’intérieur des Spip ?
En parallèle, nous avons remarqué le problème d’attractivité dont souffrent ces postes. En particulier, on déplore un manque d’accompagnement face à l’évolution même des métiers. À l’évidence, il est nécessaire de développer un écosystème des acteurs : quelle suite entendez-vous donner à ces autres propositions du rapport ?
Mme le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la sénatrice, vous posez là une question très importante : celle de l’interdisciplinarité.
Telle est notre boussole pour les recrutements à venir. En répondant à M. Benarroche, j’ai déjà souligné l’intérêt que nous portons aux CPIP, qui sont absolument indispensables. Je rappelle pour mémoire que nous avons engagé 1 500 CPIP depuis 2018. J’ai cité tout à l’heure les mesures de revalorisation prises en leur faveur ; elles témoignent elles aussi de notre intérêt pour cette profession, que nous considérons comme essentielle.
Dans la politique de réinsertion et de lutte contre la récidive des personnes placées sous main de justice, la priorité est de valoriser le travail des CPIP et d’en embaucher davantage. Voilà pourquoi j’ai souhaité que la dotation correspondante soit portée à 122,5 millions d’euros en 2023. Elle augmentera ainsi de 12,9 millions d’euros, soit une hausse de 13 % par rapport à 2022.
Enfin, nous menons une politique active de préparation à la sortie et à la réinsertion, en lien étroit avec les services de l’État, les collectivités territoriales et les partenaires privés. S’y ajoutent les dispositifs de formation professionnelle des personnes prévenues et le développement du travail en détention, auquel je suis particulièrement attaché.
Bref, l’interdisciplinarité fait partie des réponses que nous envisageons : d’ailleurs, il n’est pas possible de s’en dispenser et il est logique qu’elle trouve écho dans les recrutements à venir.
Mme le président. La parole est à Mme Laurence Harribey, pour la réplique.
Mme Laurence Harribey. Monsieur le garde des sceaux, plus que sur les CPIP, au sujet desquels vous aviez déjà répondu en partie, ma question portait sur les assistants sociaux.
Dans ce domaine, nous sommes bien à la croisée des chemins. De nouveaux métiers apparaissent et ils exigent une approche beaucoup plus transdisciplinaire.
En résumé, les CPIP sont passés d’une culture d’assistance sociale et d’accompagnement à l’insertion à une culture de la mesure du risque de récidive. Il est donc nécessaire de développer d’autres métiers à leurs côtés pour défendre une autre ingénierie de la sanction.
Ces considérations nous renvoient à un certain nombre de constats dressés par la mission d’information relative à la lutte contre la délinquance des mineurs. L’augmentation du nombre de places de prison n’est clairement pas une solution. Le rapport Sauvé le souligne lui aussi très clairement.
M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !
Mme le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le garde des sceaux, le rapport du groupe de travail sur la simplification de la procédure pénale prévoit – c’est une première – le recours à l’intelligence artificielle comme outil d’aide à la décision pénale.
Certes, le droit pénal et la procédure pénale sont devenus très complexes. Certes, je ne suis pas de ceux qui rejettent par principe la science et la technologie, qui peuvent aller dans le sens de l’émancipation humaine. Pour autant, recourir à l’intelligence artificielle lors du jugement, n’est-ce pas s’en remettre à un juge robot déshumanisé ? (M. Jérémy Bacchi acquiesce.)
En entrant dans une logique d’automaticité, la justice perdrait tout son sens. Le but, rappelons-le, est de rendre justice au nom de tous en prenant en compte la situation de chacun.
Mme le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la sénatrice, comme vous, je préfère une justice humaine, merveilleusement humaine, parfois terriblement humaine, à n’importe quel robot. S’il suffisait d’introduire je ne sais quelle carte informatisée dans une machine pour obtenir une solution, nous n’aurions tout simplement plus de raison d’être : il n’y aurait plus la moindre difficulté ou la moindre problématique.
Comme vous, je suis très attaché à l’indépendance de la justice. En corollaire, certaines décisions nous font parfois un peu tiquer… (Sourires.)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. C’est comme ça !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Dans les États totalitaires, la justice est à la botte. Pour ma part, je préfère une justice indépendance. D’ailleurs, on ne parle que des choses qui vont mal, jamais de celles qui vont bien et qui sont pourtant extrêmement majoritaires.
Je le répète : je préfère une justice humaine, qui peut se tromper, à une justice informatisée. Je crois que nous sommes tous d’accord sur ce point. Par exemple, je ne sais pas comment l’intelligence artificielle pourrait assurer une quelconque personnalisation de la peine : je n’ai toujours pas trouvé de réponse à cette question.
Mme le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour la réplique.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le garde des sceaux, puisque vous m’y invitez, je pourrais vous dire, comme dans un meeting politique : « L’humain d’abord ! » (Sourires.) Cela me semblait si évident, venant de notre groupe, que j’ai préféré éviter une répétition inutile dans cet hémicycle. (Nouveaux sourires.)
Plus sérieusement, nous avons toujours estimé et nous continuons de penser que la justice ne peut pas se passer de l’humain et de ses émotions. Par définition, l’émotion peut être contestable, mais elle permet de rendre la justice la plus juste possible.
Sans aucun parallèle avec quelque actualité que ce soit, je reprendrai les propos liminaires de M. le président Buffet : la justice est effectivement un lieu qui apaise. Pour apaiser, elle a besoin de ces moyens humains ; de ces personnes qui écoutent, entendent, parfois réparent, réinsèrent, jugent ou contrôlent, notamment les lieux de privation de liberté.
Cette justice qui apaise est indispensable à notre société. Elle est l’exact contraire d’un jugement sur la place publique, qui, lui, hystérise, cristallise et oppose les gens entre eux. (Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit.)
Mme le président. La parole est à Mme Dominique Vérien. (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)
Mme Dominique Vérien. Monsieur le garde des sceaux, en cette rentrée parlementaire, il est important de reprendre tout de suite nos bonnes habitudes : comme vous l’avez deviné, je vais donc vous parler d’informatique ! (Sourires.)
En effet, je vous alerte depuis longtemps sur cet enjeu, en particulier sur les logiciels, Cassiopée en tête.
C’est une question plus centrale qu’il n’y paraît, tant le personnel de justice peut se trouver découragé face à des applicatifs obsolescents qui accumulent les lourdeurs, les incompatibilités et les bugs. Votre ministère évoque même le « goût amer laissé aux agents », comme le note le rapport des États généraux de la justice.
Le comité en appelle ni plus ni moins qu’à une refondation complète de la maîtrise d’ouvrage informatique ainsi qu’à la fondation d’un véritable socle informatique commun, au sein de la justice comme avec les ministères partenaires – l’intérieur par exemple.
Pour mémoire, la procédure pénale numérique (PPN) qui se met en place souffre elle aussi des bugs de Cassiopée, en particulier dans le cadre des transferts entre la gendarmerie et la justice. J’ai pu le constater moi-même à la gendarmerie de Toucy.
Ma question est simple : quel plan d’action entendez-vous mettre en œuvre à ce titre ? Le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi) prévoit la création d’une agence numérique. Une seule agence pour les deux ministères serait-elle envisageable ? (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)
Mme le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la sénatrice Vérien, nous travaillons en concertation avec Bercy pour répondre à la préoccupation légitime que vous exprimez.
En outre, j’ai nommé il y a peu un secrétaire général adjoint du ministère dédié au numérique.
Vous le savez – cela n’a échappé à personne –, la Cour des comptes nous a adressé un certain nombre de critiques. Elle relève néanmoins que nous avions fait beaucoup d’efforts, que je compte évidemment poursuivre.
Le rapprochement des maîtrises d’ouvrage et maîtrises d’œuvre, projet par projet, est une priorité clairement identifiée. Il permettra aux différents chantiers de gagner en cohérence et en efficacité.
Cela étant, je tiens à vous apporter deux précisions au sujet de l’informatisation.
D’une part, je ne crois pas qu’il existe, en la matière, un modèle unique ou un dispositif qui soit nécessairement le plus efficace pour tous les ministères.
D’autre part, au-delà de sa spécificité, la Chancellerie ne doit plus être perçue comme le ministère des vieilles pierres, mais comme un ministère moderne, efficace et exemplaire dans sa gouvernance comme dans son exécution budgétaire. C’est dans cet esprit que nous venons d’imposer un certain nombre d’indicateurs. De même, je serai très attentif à ce que la gouvernance numérique soit organisée de la meilleure manière possible. Je ne doute pas que, dans un avenir proche, je serai interrogé sur ce sujet.
Enfin – je suis d’accord avec vous –, la transformation est un sujet majeur pour l’avenir du ministère. Nous aurons, j’en suis sûr, l’occasion d’en débattre, ne serait-ce qu’à l’occasion de l’examen du projet de loi de finances.
J’espère vous avoir un peu rassurée !
Mme le président. La parole est à Mme Dominique Vérien, pour la réplique.
Mme Dominique Vérien. Monsieur le garde des sceaux, vous nous avez parlé de Bercy. Vous disposez effectivement d’une interface pour le paiement des amendes,…
Mme Dominique Vérien. … qui semble avoir été conçue par Bercy et qui fonctionne bien. Ce ministère, lui, a très bien su se mettre en ordre de marche en matière informatique pour prendre nos sous… Il serait bon d’avancer de même pour rendre la justice.
De plus, il me semble indispensable de travailler sur ces sujets avec le ministère de l’intérieur. La procédure pénale numérique concerne ces deux ministères : ils doivent donc se parler. (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)
Mme le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Mes chers collègues, les conclusions des États généraux de la justice confirment l’état déplorable de notre institution judiciaire.
Une des premières décisions du garde des sceaux fut d’augmenter les magistrats judiciaires de 1 000 euros. Je salue cette initiative, mais les magistrats et greffiers souffrent surtout du manque de moyens humains et matériels.
Dans quelques semaines, nous étudierons le projet de loi de finances pour l’année 2023. Il nous appartiendra d’être particulièrement exigeants quant à la répartition des crédits.
Le texte présenté prévoit une nouvelle hausse de 8 % du budget de la justice. Cette augmentation représente 710 millions d’euros supplémentaires par rapport à l’année dernière, dont 41 % reviendraient à l’administration pénitentiaire.
Je me réjouis qu’un tel budget soit alloué aux établissements pénitentiaires. Toutefois, j’émets quelques réserves sur ces dépenses, qui concerneraient en partie le parc immobilier pénitentiaire.
Monsieur le garde des sceaux, je comprends votre volonté de mettre fin à la surpopulation carcérale ; mais, comme vous le savez, la construction de nouvelles prisons n’est pas la seule solution. Plus on construit, plus on remplit. La réponse à ce problème structurel se trouve du côté de la prévention de la récidive, de la réinsertion et des peines de substitution sous certaines conditions.
J’en viens à ma question. La loi de finances pour 2022 accordait aux solutions alternatives à l’incarcération un budget stagnant à 39,8 millions d’euros, quand près de 1 milliard d’euros étaient alloués à l’investissement immobilier pénitentiaire. Pour 2023, comment comptez-vous répartir l’enveloppe budgétaire entre réinsertion et mesures alternatives à la prison ?
Mme le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la sénatrice, puisque vous m’y invitez, je vais vous répondre sur le registre budgétaire.
La programmation immobilière de 15 000 nouvelles places est essentielle pour mettre fin à la surpopulation carcérale, même si ce n’est pas la seule solution. Comme vous, j’attache une attention toute particulière à la lutte contre les conditions indignes de détention.
Les missions accomplies par les Spip, notamment en milieu ouvert, sont tout aussi essentielles. Elles doivent continuer à se développer.
Le ministère poursuit une politique volontariste en faveur des mesures alternatives à l’incarcération et des aménagements de peine. Pour répondre précisément à votre question, la dotation correspondante s’élèvera à 53,4 millions d’euros en 2023, en progression de 34 % par rapport à 2022.
Ainsi, 28 millions d’euros sont consacrés au placement sous surveillance électronique. Le placement extérieur bénéficiera d’une dotation de 11,3 millions d’euros : le complément de 2,5 millions d’euros accordé est destiné au relèvement du prix de la journée, pour favoriser l’octroi de ces mesures. En outre, 2,6 millions d’euros sont prévus pour accompagner le déploiement du contrôle judiciaire sous placement probatoire. Enfin, la dotation allouée à la politique de réinsertion des personnes placées sous main de justice sera portée, en 2023, à 122,5 millions d’euros. Elle bénéficiera d’une hausse de 13 % par rapport à 2022.
Vous savez combien je suis attaché au sens du travail, à l’effort des publics qui exécutent une peine, qu’elle soit accomplie en milieu ouvert ou en détention. Je vais naturellement favoriser la venue massive de ceux qui peuvent offrir ce travail, car il permet une meilleure réinsertion.
Mme le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour la réplique.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le garde des sceaux, il me semble nécessaire de consacrer prochainement un travail aux lieux de privation de liberté. Ce sujet a certes été abordé par les États généraux de la justice, mais un tel état des lieux permettrait de le traiter spécifiquement.
Mme le président. La parole est à Mme Nathalie Delattre. (Applaudissements sur des travées du groupe RDSE.)
Mme Nathalie Delattre. Monsieur le garde des sceaux, le 13 septembre 2021, je déposais une proposition de loi visant à développer le recours à la médiation.
Le groupement européen des magistrats pour la médiation (Gemme) et plusieurs autres acteurs du monde judiciaire relevaient alors le caractère essentiel de ce texte. S’il nous reste du chemin à parcourir pour promouvoir le recours à la médiation dans notre pays, je tiens à vous remercier de votre engagement personnel pour le développement de ce dispositif, notamment en réaction au dépôt du rapport des États généraux de la justice.
Le recours à la médiation est encore trop peu développé en France, même si des expériences ponctuelles, comme aux référés du tribunal judiciaire de Paris, donnent d’excellents résultats.
J’ajoute que l’usage de ce dispositif est fortement encouragé par nos concitoyens. En effet, d’après un sondage du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) réalisé pour le Sénat en 2021, 90 % des Français interrogés plébiscitaient le recours à la médiation et à la conciliation. (M. le garde des sceaux le confirme.)
La médiation est un outil précieux pour notre système juridique. Grâce à elle, les justiciables peuvent se réapproprier le procès en en devenant des acteurs responsables. En outre, elle permet de résoudre des situations qui semblaient bloquées en renouant le dialogue avec l’aide d’un tiers compétent, neutre et impartial.
En 2021, la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire a marqué une étape en facilitant le recours à la médiation et en actant la création du Conseil national de la médiation. Mais il est nécessaire d’aller plus loin et d’engager une véritable politique nationale de l’amiable judiciaire dans notre pays.
Monsieur le garde des sceaux, pouvez-vous m’assurer que vous développerez le recours à la médiation en faisant évoluer la législation ? Ma proposition de loi est à votre disposition. En attendant, envisageriez-vous de prendre rapidement des mesures concrètes en valorisant la médiation dans l’organisation des juridictions, en développant la formation des acteurs judiciaires et en adoptant des mesures incitatives ? (Applaudissements sur des travées du groupe RDSE.)
Mme le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la sénatrice, je sais avec quelle sévérité Mme la présidente veille au respect des temps de parole. S’il me fallait vous répondre en trois mots, je vous dirais : oui, oui et oui ! (Sourires.)
M. Antoine Lefèvre. Alors, tout va bien ! (Nouveaux sourires.)
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Tout d’abord, je crois en la médiation, car une décision à laquelle on a participé est une décision que l’on accepte mieux. Par ailleurs, la médiation permet d’économiser du temps judiciaire, pour le consacrer, par exemple, au « déstockage ».
Dans le cadre des États généraux de la justice, la médiation fait ainsi l’objet d’un très large consensus. Je pense notamment à une procédure dont j’aurai l’honneur et le plaisir de vous reparler, à savoir la procédure de césure, laquelle est inspirée de l’étranger.
Nous avons uniformisé la liste des médiateurs. Nous avons actualisé les formulaires de candidature. Nous avons triplé la rétribution à l’aide juridictionnelle pour les avocats qui participent à la médiation.
Je sais que vous défendez un texte de loi portant sur ces sujets et je serais ravi de vous recevoir à la Chancellerie pour les évoquer avec vous. Je pense en particulier aux questions de droit civil, dont M. le président Buffet a rappelé toute l’importance.
Nous n’avons pas encore arbitré : les discussions se poursuivent, car j’ai souhaité que tout le monde participe à ces États généraux. Je le répète, venez à la Chancellerie – naturellement, il s’agit là d’une invitation et non d’un impératif. Il faut faire progresser la médiation car, à l’évidence, c’est la justice de demain. Je vous attends ! (Sourires.)
Mme le président. La parole est à Mme Agnès Canayer.
Mme Agnès Canayer. La confiance dans nos institutions est le cœur de notre pacte républicain et, aux côtés des pouvoirs législatif et exécutif, la justice y contribue grandement. Il s’agit là d’un enjeu fondamental.
Je me félicite du travail mené par les États généraux de la justice de manière systémique et globale, en associant l’ensemble des acteurs pour tracer d’ambitieuses pistes de réflexion. Mais on voit aujourd’hui que le travail est abyssal ; il va exiger beaucoup d’investissements et une priorisation.
Monsieur le garde des sceaux, j’entends bien que votre méthode consiste à définir de manière concertée ces actes de priorisation. Toutefois, comme l’a justement rappelé M. le président de la commission des lois, pour redonner confiance dans la justice, il faut d’abord assurer la proximité en investissant dans la justice du quotidien. (M. le garde des sceaux opine.)
Or la justice qui répond aux besoins de chaque jour, c’est avant tout la justice civile et, à cet égard, un sujet nous tient particulièrement à cœur.
Dans un rapport remis il y a déjà trois ans, Mme Delattre, Mme Gruny, Mme Féret et moi-même avons formulé de nombreuses propositions pour restaurer la confiance dans cette justice du quotidien qu’est la justice du travail. Aujourd’hui, alors que le nombre d’affaires a beaucoup diminué – il a baissé de 55 % –, les délais de jugement restent très longs en la matière : ils sont en moyenne de seize mois. De toute évidence, une réforme systémique est nécessaire : cette réforme de la justice prud’homale figure-t-elle parmi vos priorités ? (Mme Nathalie Delattre applaudit.)
Mme le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la sénatrice, au risque de me répéter, la réponse est oui !
Bien sûr, j’ai connaissance de votre rapport ; nous sommes en fait face à une question de temporalité. Un certain nombre de mesures ont été prises – je ne les rappellerai pas aujourd’hui. Je ne pense pas que nous ayons chômé ou perdu notre temps. Néanmoins, le moment est effectivement venu de réfléchir de nouveau à la justice prud’homale.
Ce que nous voulons, c’est une justice plus proche, plus rapide et plus efficace. Les propositions formulées en ce sens seront incluses aux travaux des États généraux. Je vous invite, vous aussi, à venir me présenter les solutions que vous souhaitez voir reprises. J’y insiste, les arbitrages ne sont pas rendus et je suis tout à fait ouvert au dialogue.
Puisqu’il me reste un peu de temps de parole, je tiens à revenir sur la méthode que nous avons retenue. Je ne suis intervenu ni dans les travaux du comité des États généraux ni dans ceux des différents ateliers : je ne voulais pas que l’on dise qu’ils ne faisaient, en somme, que traduire les souhaits du ministre.
Puis, quand le rapport Sauvé et ses annexes ont été remis, j’ai réuni tout le monde. Ce que je souhaite garder, c’est ce qui est consensuel. Voilà notre méthodologie.
Notre modèle de gouvernance n’est pas caporaliste : ces États généraux n’ont pas vocation à partir d’en haut pour irriguer vers le bas, mais à mener une discussion avec tout le monde. Si certains syndicats ne sont pas venus, c’est leur problème. Une porte que l’on ne franchit pas n’est pas une porte fermée. Reste qu’un certain nombre de points très consensuels se dégagent de ces travaux et que c’est ainsi que l’on progressera.
Ces États généraux sont l’affaire de tous et tout le monde a compris qu’il s’agissait là d’un moment historique pour notre justice. Je vous dis donc bienvenue, madame la sénatrice !
Mme le président. La parole est à Mme Agnès Canayer, pour la réplique.
Mme Agnès Canayer. Merci, monsieur le garde des sceaux. Bien entendu, nous participerons à ce travail afin d’étoffer la réflexion engagée.
J’entends votre volonté de consensus. Néanmoins, un certain nombre de réformes devront tôt ou tard s’imposer.
Mme Agnès Canayer. Si le consensus peut être nécessaire, nous avons également besoin de réformes systémiques. Or, pour revenir au sujet de ma question, la justice prud’homale reste au milieu du gué : dans ce domaine, nous devons aller beaucoup plus loin.
Mme le président. La parole est à M. Dany Wattebled.
M. Dany Wattebled. Dans notre pays, la justice est en crise depuis trop longtemps. Alors que, pour la troisième année consécutive, le Gouvernement s’apprête à consentir un effort budgétaire sans précédent en sa faveur, les difficultés de l’institution n’ont toujours pas été surmontées.
À l’occasion des États généraux de la justice, plusieurs dizaines de milliers de contributions de nos concitoyens, tant professionnels du droit que simples justiciables, ont été recueillies. Elles ont souligné la place fondamentale de la justice au sein de notre société démocratique et de notre État de droit.
Il est crucial que la justice fonctionne correctement et efficacement, non seulement pour les parties, mais aussi pour l’ensemble de notre société.
Le rapport du comité des États généraux de la justice rappelle qu’entre 2009 et 2020 le code pénal a été modifié par onze lois chaque année en moyenne et le code de procédure pénale par dix-sept lois. Cette évolution complexifie à n’en pas douter le quotidien des policiers et des gendarmes. En parallèle, elle allonge encore et toujours les procédures.
Au-delà de l’inflation normative, le comité estime que la refonte de la procédure pénale est nécessaire. Il se prononce en faveur du maintien du juge d’instruction, mais surtout envisage d’unifier les cadres de l’enquête de flagrance et de l’enquête préliminaire. Il propose, pour ce faire, de conduire une étude d’impact sur les différents scénarios de l’unification des régimes d’enquête.
Monsieur le garde des sceaux, comptez-vous mener cette étude d’impact ? Que pensez-vous de l’opportunité et de la faisabilité d’une telle fusion ?
Mme le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur Wattebled, parmi les points de consensus figure bien la nécessité de simplifier la procédure pénale.
Vous l’avez dit, une multitude de textes sont venus complexifier la procédure pénale, si bien que, de leur propre aveu, les professionnels ont aujourd’hui beaucoup de mal à s’y retrouver.
Voilà pourquoi l’on envisage une simplification. Les policiers, les gendarmes, les magistrats, les greffiers comme les avocats la demandent.
Cela comprend une unification des délais, par exemple, ainsi que le traitement de la question de l’enquête préliminaire et de l’enquête de flagrance. On ne peut cependant pas supprimer la notion de flagrance, laquelle figure à l’article 26 de la Constitution et permet d’ailleurs d’arrêter un parlementaire sans autorisation du bureau de l’Assemblée nationale ou du Sénat, en cas de crime flagrant.
Ce clin d’œil mis à part, beaucoup de choses peuvent être simplifiées, tout en respectant, évidemment, les droits de la défense, les libertés individuelles et les libertés publiques. C’est vers cela que nous nous dirigeons.
Nous estimons que ce travail durera deux ans. Les parlementaires seront, bien sûr, associés de près à son élaboration et les études d’impact seront conduites. En la matière, nous ne pouvons pas avancer à l’aveugle, soyez parfaitement rassurés sur ce point.
Nous avons commencé à étudier ces sujets, ils sont colossaux, et notre objectif est extrêmement ambitieux, mais le Parlement y sera associé. Ce travail répond aujourd’hui à une demande ; il est absolument indispensable. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme le président. La parole est à M. Dany Wattebled, pour la réplique.
Mme le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le garde des sceaux, nous vous savons attaché au renforcement de l’indépendance du parquet, et nous sommes nombreux, sur ces travées, à partager le souhait de voir enfin aboutir une réforme du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) permettant d’y parvenir.
La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) refuse d’assimiler le ministère public français à une véritable autorité judiciaire au sens au sens de l’article 5 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, lequel garantit le droit à la liberté et à la sûreté.
Le Sénat avait adopté, en juillet 2013, un projet de loi constitutionnelle qui avait pour objectifs de renforcer l’autorité du CSM et de mieux garantir l’indépendance et l’impartialité des magistrats. Malheureusement, il aura fallu attendre avril 2016 pour que ce texte soit voté en des termes identiques par l’Assemblée nationale. Depuis lors, plus rien.
Près de deux ans plus tard, lors de l’audience solennelle de rentrée de la Cour de cassation en janvier 2018, le Président de la République avait lui aussi affirmé ce souhait de renforcer l’indépendance du ministère public et indiqué que la réforme que préparait alors votre prédécesseure, Mme Nicole Belloubet, devait intégrer ces éléments.
Il y a une quinzaine de jours, lors de son audition par la commission des lois du Sénat à l’occasion du rapport remis sur les États généraux de la justice, M. Jean-Marc Sauvé a d’ailleurs indiqué, au sujet du statut du parquet, qu’il avait eu à soumettre au Président de la République un « décret de convocation du Congrès » sur cette réforme, puis un décret de « démontage du Congrès », ajoutant que c’était « la seule fois dans l’histoire de la République qu’un tel acte avait été pris ».
Aujourd’hui, monsieur le garde des sceaux, pouvez-vous nous éclairer sur le calendrier de cette réforme nécessaire pour qu’enfin ce renforcement de l’indépendance du parquet soit effectif ?
Mme le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur Leconte, je n’ai pas de réponse à vous fournir sur le calendrier. Vous avez rappelé qu’une réforme du statut du parquet ne peut se faire que par une modification de l’article 65 de la Constitution. Le rapport Sauvé l’indique dans les mêmes termes.
Pour être tout à fait précis, cette proposition est discutée et ne fait pas consensus. Je vous propose, quant à moi, de mettre ce sujet à l’ordre du jour de la commission transpartisane.
Vous comprendrez, dès lors, que je sois incapable de vous en dire plus en termes de calendrier.
Mme le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour la réplique.
M. Jean-Yves Leconte. Nous avons absolument besoin d’avancer sur ce sujet essentiel pour notre État de droit. Le développement des missions des procureurs de la République exige également cette réforme.
En outre, compte tenu des débats en cours sur l’État de droit dans l’Union européenne et du rôle qu’y joue la France, nous devons être exemplaires et faire évoluer notre droit de manière à répondre à l’ensemble des exigences de la CEDH.
Mme le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Philippe Bonnecarrère. Monsieur le ministre, le rapport sur les États généraux de la justice insiste sur le fait que la justice connaît une crise systémique.
Pourtant, force est de constater que, dans les réponses transmises au Président de la République, il envisage des réponses sectorielles.
Par quel bout aborder une crise systémique ? C’est toute la question !
Je vous ai entendu faire référence à un plan d’action détaillé, à des volets réglementaires, à une loi de programmation 2022-2027, à une feuille de route sur la réforme de la procédure pénale, à une nouvelle politique pénitentiaire, à une politique ambitieuse de l’amiable. Les priorités sont multiples…
Mais vous le savez bien, monsieur le garde des sceaux : quand tout est prioritaire, il n’y a plus de priorité !
Quelle sera donc votre priorité ?
Une autre approche de ce sujet ne consisterait-elle pas à tirer les conséquences et les avantages de l’effort budgétaire massif que vous avez obtenu – il faut vous en faire crédit ! –, à laisser les recrutements produire leurs effets dans le monde de la justice, les nouveaux moyens financiers stabiliser la structure, avant de passer, dans un deuxième temps, à une série de réformes plus sectorielles, même si l’on sent bien que vous bouillez d’impatience sur ces sujets ? Quelle est donc la bonne temporalité pour traiter ces questions ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur Bonnecarrère, il y a beaucoup de « en même temps » dans tout cela ! (Sourires.)
En matière budgétaire, d’abord, car sans les moyens, rien n’est possible : le renforcement, grâce à ce budget, des moyens humains est très attendu par tout le monde. L’un d’entre vous a rappelé ce que nous avions fait en termes d’embauche : 10 000 personnels supplémentaires, 1 500 magistrats, 1 500 greffiers et des contractuels.
S’agissant du civil, cela sera fait de façon réglementaire et l’on ne pourra pas me reprocher d’ajouter à l’inflation législative par une loi nouvelle. Néanmoins, vous serez naturellement associés de près à ces évolutions. Celles-ci auront pour objet de favoriser la médiation et d’en simplifier l’usage.
Ensuite, il y aura du législatif : une loi de programmation, la réforme de la procédure pénale et, très vraisemblablement, une loi organique, puisque les États généraux de la justice suggèrent un certain nombre de modifications qui nous y conduisent. Tout cela sera mené – si j’ose dire – en même temps, quoi qu’il en soit rapidement. Je veux aller vite.
Pour ce qui relève du réglementaire, ce sera le cas ; la loi de programmation est attendue pour janvier 2023, en début d’année, de sorte que ses effets soient étalés jusqu’à la fin du quinquennat et le reste suivra naturellement son cours ordinaire, mais, à mon sens, le consensus me permettra d’obtenir l’adhésion des parlementaires : si tout le monde est d’accord, forces de sécurité intérieure, magistrats, greffiers, avocats, il me semble que les parlementaires constateront cet accord. Ils n’ont qu’une envie : améliorer la justice du quotidien.
Mme le président. La parole est à M. Antoine Lefèvre.
M. Antoine Lefèvre. Monsieur le garde des sceaux, les États généraux de la justice ont été convoqués à point nommé, alors que l’institution judiciaire semblait condamnée à s’enfoncer toujours plus dans la détresse soulignée par les conclusions du rapport. Il est impératif aujourd’hui de ne pas laisser s’éteindre la dynamique qui est née de cette large concertation.
Cela a été dit maintes et maintes fois, la toute première urgence de nos tribunaux est le renforcement des moyens humains, proportionnellement au volume de contentieux en attente de jugement.
C’est pourquoi, s’il est important de saluer la revalorisation salariale des magistrats que vous avez appelée de vos vœux le 12 septembre dernier, celle-ci ne doit pas faire oublier la véritable priorité financière de l’institution judiciaire : sortir ses tribunaux de la déshérence et ses outils informatiques de l’archaïsme.
Je solliciterai, monsieur le ministre, vos précisions sur le point suivant.
Les directeurs pénitentiaires d’insertion et de probation (DPIP) vous ont récemment fait part de leur souhait de voir engager une réforme de revalorisation de leur statut et de leurs indemnités. Cette revendication intervient après qu’une amélioration apportée en 2017 au statut des conseillers d’insertion et de probation (CPIP) a effacé les différences de traitement et de statut entre les deux corps pourtant hiérarchiquement distincts.
La responsabilité exercée par les directeurs sur les conseillers d’insertion souffre ainsi d’une perte de légitimité préjudiciable au bon exercice de leurs missions.
À cela s’ajoute l’importante perte d’attractivité du métier, qui a déjà conduit cet été à ce que seuls six des vingt-deux postes proposés au concours interne soient pourvus. Les demandes de détachement à l’extérieur, quant à elle, ont triplé en quatre ans.
Quelle place souhaitez-vous accorder aux revendications des directeurs d’insertion et de probation dans les chantiers que vous souhaiterez entreprendre à la lumière des conclusions de ces États généraux ?
Mme le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur Lefèvre, vous m’interrogez sur ce que le ministère compte faire pour rendre le métier de DPIP plus attractif. Il est vrai que les réformes interministérielles engagées depuis 2017 ont abouti à revaloriser les salaires des CPIP, mais pas ceux des DPIP. Il en va de même, d’ailleurs, des directeurs des services de la protection judiciaire de la jeunesse.
En ce qui concerne les DPIP, le ministère s’engage à revaloriser leurs primes en 2022 d’environ 700 000 euros, qui viennent s’ajouter aux 600 000 euros octroyés à ce corps en 2021.
En 2023, je porterai la poursuite de la hausse des primes à hauteur de 1 million d’euros, une réforme du statut pour faciliter la promotion professionnelle et des parcours de carrière plus attractifs ainsi qu’une revalorisation de leur rémunération indiciaire à hauteur de 1,3 million d’euros.
Ces évolutions sont légitimes. Nous avons reçu, il y a quelques jours, les représentants des DPIP ; ils savent ce que nous comptons faire, c’est-à-dire mettre en avant bien sûr le service qu’ils rendent à la justice par des revalorisations adéquates.
Mme le président. La parole est à M. Antoine Lefèvre, pour la réplique.
M. Antoine Lefèvre. Je vous remercie de ces précisions, monsieur le ministre. Un service public judiciaire clair, organisé et performant est la garantie de la solidité de notre État de droit.
Mme le président. La parole est à M. Hussein Bourgi.
M. Hussein Bourgi. Monsieur le ministre, lors des audiences solennelles des tribunaux judiciaires comme lors des conseils de juridiction des cours d’appel, deux sujets reviennent de manière récurrente.
Le premier concerne les moyens humains : de nombreux chefs de cour regrettent que les postes de magistrats qui leur ont été alloués lors de la dernière loi de finances ne soient toujours pas pourvus. Cette situation est d’autant plus difficile à comprendre que, dans d’autres juridictions, des postes de juges sont en surnombre.
Comment, et dans quel délai, la Chancellerie entend-elle remédier à cette difficulté ?
Un second point a été soulevé lors de ces réunions : les dysfonctionnements du logiciel Cassiopée déployé depuis une dizaine d’années, à l’époque du ministre Michel Mercier.
Nous en sommes à une cinquantaine de versions et il ne donne toujours pas satisfaction. Ce constat est d’autant plus regrettable que nous ne disposons pas de référentiels d’activité pour évaluer les besoins de chaque juridiction avec des indicateurs et des éléments objectifs.
Dès lors, l’attribution de moyens par la Chancellerie ne se fait pas dans des conditions tout à fait équitables. Pouvez-vous nous indiquer, monsieur le ministre, où en sont les travaux de la Chancellerie pour nous doter d’outils informatiques efficients et d’un référentiel d’activité opérationnel ?
Mme le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur Bourgi, nous devrions disposer du référentiel en décembre, il faut du temps pour créer un tel outil.
J’en ai demandé la mise en place, il y a trop longtemps sans doute. C’est un très bel outil pour la direction des services judiciaires (DSJ), dont nous disposerons donc en décembre. Vous en serez informés.
S’agissant de Cassiopée, il est exact que des difficultés techniques ont été soulevées à Paris et à Versailles, quant à l’utilisation de sa version pour les cours d’appel. Celles-ci sont en cours d’analyse et de résolution, les solutions seront probablement apportées au premier semestre 2023. Le système Cassiopée pour les tribunaux est généralisé sur tout le territoire.
Pour ce qui est des effectifs de magistrats au sein de la cour d’appel de Montpellier, en juin dernier, j’ai décidé d’augmenter les effectifs de magistrats dans cette cour de manière substantielle : pas moins de quatre postes ont été créés, deux juges du siège et deux magistrats du parquet. Ces postes sont encore vacants, nous poursuivons les efforts de recrutement de magistrats.
L’année 2023 verra la plus grande promotion d’auditeurs de justice de l’histoire de l’École nationale de la magistrature, avec 380 auditeurs. Ainsi, dès cette année, nous réduirons la vacance de postes.
C’est une réalité : la justice a subi plus de vingt ans d’abandon budgétaire, humain et politique, on ne peut pas tout régler d’un claquement de doigts. Nous nous y attachons, avec les différents budgets qui ont été obtenus, plus de 40 % de hausse, dont 26 % de mon fait – vous savez que, en matière budgétaire, trois fois huit ne font pas vingt-quatre, mais vingt-six ! (Sourires.)
C’est un effort considérable qui montre l’intérêt que nous portons à la justice de ce pays.
Mme le président. La parole est à M. Hussein Bourgi, pour la réplique.
M. Hussein Bourgi. Monsieur le ministre, je reconnais volontiers les efforts budgétaires que vous évoquez, nous nous en sommes tous félicités en commission des lois.
La difficulté vient du fait que ceux-ci ont du mal à se traduire rapidement sur le terrain et dans les juridictions, singulièrement dans la cour d’appel de Montpellier, qui est celle du ressort où je suis élu.
Effectivement, les postes de magistrats ou de directeur de greffe qui ne sont pas pourvus, comme c’est le cas actuellement au tribunal judiciaire de Béziers, ne facilitent pas la réduction des délais et l’efficacité de la justice.
Nous tous ici, sénatrices et sénateurs, vous saurions gré de nous aider à remédier à ces difficultés.
Mme le président. La parole est à Mme Nadine Bellurot.
Mme Nadine Bellurot. Monsieur le garde des sceaux, le constat dressé par le comité des États généraux est particulièrement sévère sur l’état et le fonctionnement d’une institution qui ne remplit plus, ou très mal les missions de service public que les Français sont en droit d’attendre.
La tonalité de ce rapport se rapproche de celui de Philippe Bas en 2017, intitulé Cinq ans pour sauver la justice ! Malheureusement, cinq ans plus tard, nous en sommes toujours au même point, rares étant les préconisations à avoir été mises en œuvre au cours de la précédente législature.
Deux des constats du rapport Bas se retrouvent dans celui du comité.
En premier lieu, l’augmentation continue des ressources allouées à la justice, dont vous vous êtes encore récemment félicité, n’a pas permis d’améliorer significativement son fonctionnement et le service public rendu aux justiciables.
En second lieu, l’institution judiciaire est confrontée au risque de rater la révolution numérique. Les innovations technologiques les plus récentes font émerger de nouveaux acteurs privés, qui peuvent concurrencer l’institution judiciaire, appelant à une nécessaire régulation.
Il existe donc deux voies de réforme.
La première concerne les procédures en matière civile, pénale, sociale et commerciale ; nous en connaissons la nécessité comme les contraintes internes et conventionnelles.
La seconde concerne le management de la justice : quelle organisation du ministère envisagez-vous pour assurer la bonne exécution des budgets votés, la fluidité de la gestion des ressources humaines, la maîtrise des frais de justice, la mise à niveau d’une informatique judiciaire dont, à chaque visite que nous faisons dans les juridictions, nous constatons l’incroyable inefficacité ?
Mme le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la sénatrice, cela ne vous étonnera pas : je ne suis pas d’accord avec vous. Nous avons embauché 700 magistrats, 850 greffiers, 2 000 personnels contractuels. À propos de ces derniers, certains parlaient de « rustines », et demandaient pourquoi nous n’embauchions pas des magistrats ; je répondais benoîtement qu’il faut 31 mois pour les former !
Ces contractuels ont été envoyés dans toutes les juridictions, 1 000 auprès des parquets et 1 000 au civil, ils ont permis une réduction des stocks de 28 %. Vous trouvez que cela n’est rien ?
Mme Nadine Bellurot. Non, je n’ai pas dit cela !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Pardon, mais il s’agit de la moyenne nationale ; dans certaines juridictions, c’est bien plus encore.
Naturellement, une justice qui déstocke va plus vite. Je ne partage donc pas votre sentiment.
S’agissant de la sous-exécution budgétaire au niveau du ministère, sur les quinze dernières années, en moyenne, moins de 1 % des crédits votés en loi de finances initiale n’ont pas été consommés, soit environ 100 millions d’euros, sur un budget de 9,6 milliards. C’est au fond assez faible.
Ce chiffre n’a pas beaucoup varié. Il était de 1,9 % en 2008, 0,4 % en 2015, 1,8 % en 2021. Je vous concède effectivement une hausse en 2020, à 2,6 %, imputable à la crise sanitaire. Le pays était à l’arrêt pendant des mois et des mois, ce qui n’a pas permis aux ministères de dépenser leurs crédits normalement, pas plus que cela n’a permis à mon ministère de faire pousser les prisons, car, dans un instant, j’entendrai cela, monsieur le sénateur Bas ! Je ne lis pas dans vos pensées, mais je les anticipe… (Sourires.)
M. Philippe Bas. Vous lisez en moi à livre ouvert ! (Nouveaux sourires.)
Mme le président. La parole est à Mme Catherine Belrhiti.
Mme Catherine Belrhiti. Monsieur le garde des sceaux, les constats issus du rapport Sauvé associent une crise de l’autorité judiciaire et une crise du service public de la justice.
Je voudrais insister sur le lien étroit qui les unit, en vous interrogeant sur une cause commune qui ne devrait pourtant pas être un problème : les variations démographiques.
En tant qu’élue de Moselle, je suis sensible aux disparités de peuplement dans les zones rurales, mais je le suis plus encore à leur évolution lorsque nous soutenons les politiques urbaines et la croissance démographique de certaines zones.
Or, ainsi que j’ai pu le vérifier dans ma région comme lors d’un stage d’immersion au tribunal de Bordeaux, l’accroissement de la population urbaine, particulièrement dans les métropoles, s’accompagne naturellement d’une augmentation des affaires pénales et civiles. C’est le cas récemment des atteintes aux personnes, mais aussi des affaires familiales.
Face à cette dynamique démographique, l’accroissement d’une déjudiciarisation de certains contentieux, ou l’invention d’une énième réforme de la carte judiciaire n’auront qu’un effet limité.
Adapter la justice nécessite davantage : outre une augmentation généralisée des moyens, il faut une meilleure anticipation et une meilleure gestion dans l’emploi des ressources humaines et matérielles de la justice. Je pense par exemple à la gestion des carrières, à la mobilité géographique ou à des instruments de suivi des masses contentieuses, entre autres.
Quelle stratégie le ministre de la justice entend-il adopter afin de réussir cette anticipation des évolutions démographiques et d’améliorer la réponse de la justice dans ce contexte ?
Mme le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la sénatrice, les moyens humains des juridictions, qu’il s’agisse des magistrats ou des greffiers, sont ajustés chaque année après examen des données d’activité des juridictions.
L’outil que j’évoquais précédemment et qui sera à notre disposition dès le mois de décembre permettra à la DSJ d’affiner les besoins des différentes juridictions.
Les évolutions démographiques ont un impact déterminant sur l’activité des juridictions puisqu’une augmentation de la population d’un ressort donné entraîne nécessairement une hausse des contentieux.
De même, nous sommes particulièrement attentifs au profil socio-économique de la population d’un ressort donné. À titre d’exemple, nous aurons tendance à favoriser la localisation de postes de juge des enfants dans les départements à la population particulièrement jeune. Je pense par exemple à Mayotte, où nous avons localisé en juin 2022 un poste supplémentaire de juge des enfants.
J’ajoute que les évolutions démographiques et l’activité des juridictions ont également une incidence sur l’évaluation de la charge des magistrats. Il s’agit d’un chantier important qui sera finalisé d’ici le mois de décembre 2022. Nous pourrons ainsi localiser les postes de magistrats au plus près des évolutions d’activité des juridictions.
La direction des services judiciaires suit avec attention ces évolutions démographiques pour y répondre au mieux.
Mme le président. La parole est à Mme Catherine Belrhiti, pour la réplique.
Mme Catherine Belrhiti. Merci de votre réponse, monsieur le ministre, mais il faut toutefois regretter que ces constats et ces propositions aient déjà figuré, en vain, dans les rapports sénatoriaux, dont celui du sénateur Philippe Bas de 2017, éloquemment intitulé Cinq ans pour sauver la justice ! Je forme le vœu que ce travail soit enfin suivi d’effet aujourd’hui.
Mme le président. La parole est à M. Gilbert Favreau.
M. Gilbert Favreau. Monsieur le garde des sceaux, le rapport du comité des États généraux de la justice, présidé par M. Jean-Marc Sauvé, souligne la crise profonde de la justice, résultat de décennies de politiques défaillantes, que seule une augmentation substantielle des moyens qui lui sont alloués permettra de résoudre.
Le projet de loi de finances pour 2023 prévoit une augmentation de 8 % du budget de la justice, qui serait porté à 9,57 milliards d’euros. C’est un effort notable, même s’il sera sans doute insuffisant.
Le rapport Sauvé est également sévère avec les acteurs de la justice ; il considère qu’il faudra clarifier leur rôle dans la société et envisager une réorganisation globale de l’institution ; il met en garde les magistrats contre « l’illusion de croire que la justice seule peut préserver son office et garantir son indépendance ».
Selon ce rapport, il faut maintenir les rôles respectifs du Gouvernement et du Parlement dans les grandes orientations de la justice, tout en associant plus étroitement le Conseil supérieur de la magistrature, à condition de questionner en même temps le rôle et la composition de cette instance, dans le souci de renforcer l’indépendance de la justice.
Au-delà des critiques faites au système judiciaire, le rapport souligne la complexification du droit et la multiplication des procédures, les délais de jugement excessifs, l’augmentation des missions assignées à la justice et, surtout, l’incompréhension des justiciables.
Ce rapport affirme la nécessité d’une réforme, je vous pose donc la question : à quand une grande réforme de la justice en France ?
Mme le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Elle arrive, monsieur le sénateur !
Nous avons pris connaissance du rapport Sauvé, puis de ses annexes. Le jour où le président Sauvé a transmis son rapport au Président de la République, les annexes ont été adressées à tout le monde. Depuis lors, j’ai assisté aux conférences, j’ai reçu des chefs de juridiction, des chefs de cour, le Conseil supérieur de la magistrature, les forces de sécurité intérieure, des citoyens, qui veulent que la justice aille plus vite et qu’elle soit mieux connue. C’est pourquoi aussi je mets en place un « passeport éduc droit » avec Pap Ndiaye.
J’ai reçu les huissiers, les notaires, les syndicats qui ont bien voulu venir, bref, tout le monde. Nous sommes maintenant dans une phase d’arbitrage.
Mme la sénatrice Canayer m’a dit qu’il fallait de temps en temps être un peu directif, mais concertation ne signifie pas mollesse ; les arbitrages seront pris et vous y serez associés.
La loi de programmation sera présentée en début d’année prochaine, le volet réglementaire va se mettre en place dans les meilleurs délais, parce que nous sommes dans une forme d’urgence. Cela demandait des moyens financiers et humains, il faut embaucher, il faut prendre des textes qui permettent une simplification et une fluidité plus importante, et donc de la rapidité, de la proximité et une meilleure protection pour nos compatriotes.
Tout cela est en route et nous aurons très prochainement l’occasion d’en discuter. Je suis incapable de vous donner un calendrier précis, mais la feuille de route est la suivante : le plan d’action sera prêt pour l’automne, il sera communiqué et discuté et nous mettrons en œuvre ce que nous aurons dégagé de ces États généraux. Je ne peux pas vous donner une précision au jour près.
Mme le président. La parole est à Mme Christine Bonfanti-Dossat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Christine Bonfanti-Dossat. Monsieur le ministre, j’ai lu non sans une certaine stupeur les préconisations définitives du rapport Sauvé relatives aux cours d’appel.
Le groupe de travail Ronsin a veillé à adapter les ressorts des cours d’appel aux populations en évitant qu’elles puissent dépendre de deux régions judiciaires distinctes.
Pourtant, il reste difficile de comprendre en quoi le fonctionnement de la justice serait amélioré par le fait de calquer la carte des ressorts des cours d’appel sur celle des régions administratives ; il ne le serait tout au plus que de manière extrêmement marginale pour les parquets généraux. Le groupe de travail raisonne en fonction des limites administratives, et non par rapport aux bassins de population.
Il reconnaît dans le même temps qu’une telle réforme souffrirait de plusieurs difficultés sérieuses. Elle aurait notamment des conséquences sur l’activité de quinze juridictions, et huit juridictions d’appel verraient la leur réduite de plus de 25 % en raison du rétrécissement de leur ressort.
Qu’il s’agisse du rapport Ronsin, pour les raisons que j’ai évoquées, ou du rapport Sauvé, qui n’exclut pas la fusion des cours d’appel, l’avenir de celles-ci, notamment celle d’Agen, semble menacé, de sorte qu’elles risquent d’être condamnées in fine à disparaître.
Avez-vous pour projet de retirer aux cours d’appel ne siégeant pas dans les grandes métropoles leurs prérogatives de gestion ? Allez-vous retirer ces prérogatives à la cour d’appel d’Agen au profit de celle de Bordeaux ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la sénatrice, votre question me permettra de répondre une fois pour toutes aux inquiétudes qui ont cours sur la suppression de telle ou telle cour d’appel.
En effet, je vois fleurir des initiatives assez singulières. Récemment, dans un théâtre, des avocats se sont réunis pour dénoncer la suppression d’une cour d’appel, alors qu’elle n’avait jamais été annoncée. J’ai appelé le bâtonnier pour lui dire qu’il était curieux de crier « aïe ! » avant de recevoir un coup que personne ne voulait porter.
Je veux donc vous rassurer et vous dire très clairement qu’aucune suppression de cour d’appel n’est prévue.
Je rappelle, en outre, que j’ai créé des audiences foraines et que j’ai rouvert des tribunaux jusqu’alors fermés. Je considère, en effet, que la proximité doit résonner dans les territoires. À Agen, par exemple, un certain nombre de nos compatriotes doivent prendre la route pour se rendre à la cour d’appel. Plutôt que cette situation compliquée, ils préféreraient sans doute l’audience foraine de Villeneuve-sur-Lot. Je pourrais multiplier les exemples.
Par conséquent, il n’est pas question de supprimer des cours d’appel et il n’en a jamais été question. Je vous remercie, encore une fois, madame la sénatrice, de m’avoir permis de m’exprimer sur ce sujet, même si je doute que ce soit la dernière fois que j’aie à le faire. Les fantasmes ont cela de singulier qu’ils reviennent de manière récurrente. (M. François Patriat applaudit.)
Mme le président. La parole est à Mme Christine Bonfanti-Dossat, pour la réplique.
Mme Christine Bonfanti-Dossat. Vous ne m’empêcherez pas de craindre que, si la cour d’appel d’Agen devient secondaire, elle risque d’être condamnée à fermer. Monsieur le ministre, je plaide coupable d’avoir peut-être raison trop tôt. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Conclusion du débat
Mme le président. En conclusion du débat, la parole est à M. Philippe Bas, pour le groupe auteur de la demande.
M. Philippe Bas, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le garde des sceaux, ce débat n’a pas été organisé pour discuter de votre bilan, mais pour examiner ensemble les perspectives ouvertes par les États généraux de la justice. C’est un débat très intéressant et vous avez eu à cœur de répondre, généralement avec précision, à l’ensemble des questions qui vous ont été posées.
Bien entendu, je ne prétends pas, en prenant la parole à cette tribune, clore le débat. Il continuera entre nous, car il nous reste beaucoup de travail à accomplir ensemble.
En outre, j’admets la manière dont vous avez présenté la situation : sur la justice, le Gouvernement et le Parlement doivent, comme ils le font sur la politique étrangère ou sur la politique de défense, trouver les voies, sinon d’un consensus, du moins d’une action commune de redressement d’où émergera un grand service public régalien de la justice. Nous ne pouvons pas en rester au système actuel.
Monsieur le garde des sceaux, je sais à quel point vous êtes sensible à ce que l’on reconnaisse les efforts que vous fournissez et je veux bien le faire. Toutefois, si vous souhaitez obtenir le concours du Sénat, il faut mettre les problèmes sur la table. Cela signifie qu’il ne suffit pas d’afficher les efforts accomplis, mais qu’il faut aussi montrer les difficultés qui résistent au redressement de la justice.
Je tenterai de le faire brièvement, dans le peu de temps qui m’est imparti, car la transparence et le réalisme sont les gages d’un dialogue équilibré entre nous.
Se pose tout d’abord la question des moyens. Monsieur le garde des sceaux, il est absolument exact que, depuis le gouvernement Castex et sous votre impulsion, les moyens de la justice ont fortement augmenté. Il est également exact que l’on a procédé à d’importants recrutements de magistrats et de greffiers, malgré les nombreuses vacances de postes qui demeurent pour ces derniers. Nous ne remettons pas en cause ces efforts.
Toutefois, il faut aussi prendre la mesure, y compris en matière budgétaire et d’effectifs, des difficultés qui subsistent. N’oublions pas tout de même que cette année sera celle d’une inflation à plus de 6 %, de sorte qu’un budget en augmentation de 8 % ne pourra pas garantir une hausse équivalente du pouvoir d’achat. Sans relativiser à l’excès l’effort qui est produit, il faut tout de même constater que, si le pouvoir d’achat de la justice progressait effectivement de 8 %, l’effet de souffle serait tout différent. En réalité, cette augmentation représente environ un quart du chiffre nominal de 8 % et il en ira de même pour le budget de l’année prochaine.
À cela s’ajoute le fait que l’addition des problèmes, que ce soit en matière de défense nationale, en pleine crise ukrainienne, d’éducation nationale ou de santé, rend la bagarre d’autant plus difficile dès lors qu’il s’agit de défendre le budget de chaque grand service public. Sachez que vous aurez notre soutien en ce qui concerne le redressement de la justice, parce qu’il s’agit pour le Sénat d’un engagement de longue haleine.
Je dois dire aussi que, s’agissant de l’effort financier, vous répondez avec exactitude sur la consommation des crédits de la justice ; mais, ce faisant, vous oubliez de préciser que vous vous heurtez à un problème que nous voulons bien faire nôtre, à savoir que vous ne parvenez pas à dépenser vos crédits d’investissement. En trois ans s’est accumulé l’équivalent d’une année de crédits d’investissement que vous n’avez pas pu dépenser.
Certes, nous n’ignorons pas qu’il y a eu la crise de la covid-19, mais le problème existait déjà auparavant, et cela se traduit par la difficulté que vous avez à réaliser le programme des prisons. Je ne veux pas vous associer à ce tour de passe-passe, mais alors que le Président de la République annonçait, en 2017, 15 000 places de prison supplémentaires, il a finalement réparti l’effort sur ses deux mandats. Heureusement qu’il en fait un deuxième !
M. François Bonhomme. C’est Gérard Majax ! (Sourires.)
M. Philippe Bas. Selon lui, 7 000 places ont déjà été créées. Or si l’on fait le compte, le nombre de places nettes ouvertes est de 2 081. Quel travail ! Mettez les difficultés sur la table !
Je ne dis pas qu’il était réaliste d’annoncer que l’on créerait d’un claquement de doigts 15 000 places de prison, mais il se trouve que c’est un engagement présidentiel. Par conséquent, il faut admettre que nous ne nous sommes pas donné les moyens d’atteindre ces résultats et que nous sommes face à un énorme problème, parce que nos prisons sont saturées. Or nous ne sommes pas d’accord avec la conclusion des États généraux qui consiste à dire que pour incarcérer des condamnés, il faudra désormais libérer des détenus. Nous ne pouvons pas l’accepter.
Il est donc essentiel que nous puissions travailler ensemble, sans escamoter les problèmes, mais en les mettant sur la table, afin d’aboutir à des mesures plus fortes que celles qui ont été prises jusqu’à présent.
Enfin, je suis attaché à la stabilité des règles, notamment en matière pénale. Toutefois, il faut simplifier le code de procédure pénale. Les graves problèmes que nous rencontrons sont liés au fait que la police judiciaire est exsangue et qu’elle a besoin d’être encadrée par le parquet. Il n’en reste pas moins que les règles sont tellement compliquées que nos malheureux policiers peinent à mettre en état des affaires qui permettraient ensuite aux magistrats de condamner comme ils le voudraient. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. Nous en avons terminé avec le débat sur les États généraux de la justice.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures douze, est reprise à seize heures quatorze.)
Mme le président. La séance est reprise.
9
Urgences hospitalières et soins non programmés
Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains
Mme le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur les urgences hospitalières et les soins non programmés.
Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je rappelle que l’auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
À l’issue du débat, l’auteur de la demande disposera d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.
Dans le débat, la parole est à M. René-Paul Savary, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. René-Paul Savary, pour le groupe Les Républicains. Madame le président, madame la ministre, mes chers collègues, notre groupe a souhaité inscrire ce débat à l’ordre du jour afin de permettre au Sénat de connaître les intentions du Gouvernement en matière de politique de santé, plus particulièrement celle concernant les urgences, maillon clé de notre système de soins.
Un chiffre peu connu, dont je veux souligner l’importance, concerne la saturation des urgences. Elle est concentrée sur un nombre relativement faible de patients qui vont en moyenne cinq fois par an aux urgences, avec un délai médian entre deux passages de quarante jours. C’est énorme.
Ces quelque trois millions de patients réguliers des urgences sont surtout des personnes âgées, polypathologiques, des usagers qui n’ont pas d’autre recours médical à proximité, ainsi que des personnes exclues socialement, parmi bien d’autres cas.
Par ailleurs, n’oublions pas qu’en 2019 une grève massive des urgences a alerté les pouvoirs publics sur l’état dégradé des services.
Comment en sommes-nous arrivés là ? Au fil du temps, des décisions ont été prises qui peuvent être lourdes de conséquences – il faut le reconnaître.
Pour certains, cela a été la mise en œuvre des trente-cinq heures. Il est vrai qu’on a demandé aux gens de compter leur temps, ce qui a entraîné une désorganisation au niveau de l’hôpital.
Pour d’autres, cela a été la tarification à l’activité (T2A). Il faut reconnaître également que cette mesure s’est traduite par une course à l’acte de sorte que la tarification, initialement instaurée pour compenser les difficultés de la dotation globale, a parfois eu un effet inflationniste.
Du côté de l’hôpital, la difficulté majeure tient à la prise en charge en aval des urgences, qui implique de tenir compte du manque de lits dans les services spécialisés et de la pénurie de places dans les structures extrahospitalières. Lors des auditions organisées en 2017 par notre commission, un chef de service indiquait très justement que l’enjeu était moins d’empêcher les patients de venir aux urgences que de réussir à les en faire sortir.
La prise en charge en aval des urgences répond à un double objectif : il s’agit non seulement d’assurer le désengorgement de ces services, mais également de garantir le bon aiguillage des patients vers la structure spécialisée adéquate, de manière à éviter un retour aux urgences ou des hospitalisations multiples.
Les établissements de santé privés et les médecins de ville ne participent pas tous également à la prise en charge de ces soins non programmés. Selon le chirurgien Bernard Kron, auteur du livre Blouses blanches, colère noire, les contraintes liées à une tarification insuffisante les en ont détournés, car celle-ci est en moyenne quatre fois inférieure à celle pratiquée à l’hôpital, pour les actes non programmés.
Le défaut de formation participe également à cette crise – nous aurons l’occasion d’en reparler.
Par ailleurs, peu de cabinets médicaux restent ouverts le soir pour accueillir les urgences, sans doute à cause d’une rémunération insuffisante et de la nécessité d’adapter les contraintes de la vie professionnelle à celles de la vie familiale – nous devons en tenir compte, désormais, dans notre réflexion.
On constate toutefois des points positifs. Certaines communes ont mis en place des services d’accueil médical initial (Sami) qui sont ouverts en soirée et le week-end. Des médecins généralistes s’y relayent volontairement et traitent les urgences en dehors des heures d’ouverture des cabinets médicaux.
Je veux également évoquer la situation post-covid, qui est révélatrice du malaise de l’hôpital, mais pas uniquement. En mars 2020, la pandémie de covid-19 a provoqué une vague importante de recours aux soins, qui a mis le secteur hospitalier sous tension. Les hôpitaux ont dû s’adapter pour gérer l’afflux de patients, notamment dans les services d’urgence, en recourant à des transferts vers d’autres établissements et à la mobilisation de la réserve sanitaire. L’hôpital a tenu le coup.
Après plus de deux ans de crise sanitaire, le rapport de la commission d’enquête du Sénat sur la situation de l’hôpital et le système de santé en France a pointé une aggravation du malaise hospitalier. Malgré une revalorisation des salaires pour les personnels soignants, selon les accords de Ségur, la dégradation des conditions de travail de l’ensemble des personnels a généré une désaffection à l’égard de l’hôpital, qui reste préoccupante. Les milliards d’euros injectés n’ont pas produit les résultats escomptés. L’hôpital, ce n’est pas qu’une question d’argent.
La médecine libérale, également très engagée dans la crise sanitaire, est elle-même en crise. Les Français ont de plus en plus de mal à trouver des médecins traitants – on le sait.
Dans l’immédiat, ce n’est pas l’annonce de la fin du numerus clausus qui remédiera à cette crise, pas plus que la suppression de la quatrième année d’internat de médecine envisagée pour 2026.
En ce qui concerne le bilan des mesures prises avant l’été, nous noterons que les propositions de la mission flash sur les urgences et soins non programmés portent principalement sur la régulation. Elles ne traitent pas bien sûr les racines du mal, mais nous avions déjà eu l’occasion de souligner l’importance de redonner du corps au métier d’assistant de régulation médicale.
Madame la ministre, il y a des rendez-vous à ne pas manquer, comme celui de la convention médicale, qui doit permettre aux médecins de ville de prendre en charge davantage de patients en libérant du temps médical et en revalorisant l’activité libérale.
C’est aussi le cas de la conférence des parties prenantes, qui doit associer l’ensemble des corps intermédiaires, les syndicats de professionnels de santé, les associations d’usagers et de patients et les représentants des collectivités, qui n’ont pas souvent été entendus ni considérés durant ces dernières années. Elle reposera sur une « approche globale de la santé et de la restauration de l’éthique », dixit le ministre de la santé. Derrière ces termes bien génériques, il est difficile de cerner l’ambition réformatrice du Gouvernement.
Deux sujets restent majeurs pour l’avenir de notre système de santé, à savoir son financement et sa gouvernance.
En conclusion, tous ces constats nous conduisent à considérer qu’il est nécessaire de réformer structurellement et profondément notre système de santé. La situation tendue aux urgences n’est que l’une des facettes d’un mal plus profond. Désormais, la problématique n’est plus celle d’un accès aux soins à plusieurs vitesses, mais de l’accès aux soins tout court.
Les manifestations s’enchaînent pour inciter le Gouvernement à proposer ou à trouver des solutions garantissant l’accès aux soins urgents de la population. C’est à l’échelle des territoires, en concertation avec les acteurs du soin et de la prévention, avec les patients et avec les élus que doivent être élaborées des réponses concrètes et pérennes : telle est notre conviction.
Voilà ce que je souhaitais vous dire en préambule, au nom de mon groupe. Madame la ministre, vous qui vous déplacez dans les territoires – nous avons eu l’honneur de vous recevoir –, vous qui êtes spécifiquement chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé, entendez notre message et n’hésitez pas à nous exposer vos ambitions pour cette mandature.
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. Mesdames, messieurs les sénateurs, je suis honorée de m’exprimer devant le Sénat sur un sujet qui nous tient tout particulièrement à cœur et qui est au centre des préoccupations quotidiennes de nos concitoyens, à l’occasion de ce débat sur les urgences hospitalières et soins non programmés.
Les difficultés que cristallisent les urgences sont le symptôme aigu d’une crise plus large qui touche l’ensemble de notre système de santé, celle de l’accès aux soins. Les urgences sont ainsi le point de convergence des fragilités structurelles qui parcourent notre système de santé – démographie médicale inadaptée, difficultés d’articulation entre la médecine de ville et l’hôpital, perte d’attractivité et de sens de certains métiers, désertification médicale.
Ce système de santé doit pourtant, à bien des égards, faire notre fierté. En effet, nous pouvons être fiers des valeurs d’égalité et d’universalité sur lesquelles il est fondé.
Nous pouvons aussi être fiers d’un système qui a fait preuve d’une remarquable résilience pendant les vagues successives de covid qui ont ébranlé notre pays. À ce titre, je considère qu’il n’est pas excessif de saluer une fois encore la mobilisation exemplaire de nos soignants.
La crise des soins non programmés et les difficultés d’accès mettent en péril l’essence même de ce système de santé, qui est notre héritage commun. Nous nous devons d’entreprendre les réformes nécessaires pour le préserver, autant pour faire face aux défis du présent que pour les générations à venir.
Dans cette perspective, la première urgence consiste assurément à repenser l’organisation de la prise en charge des soins non programmés. Les attentes des professionnels de santé, comme de nos concitoyens, sont fortes et légitimes en la matière.
Le Gouvernement a répondu présent dès son installation. Les quarante et une mesures opérationnelles de la mission flash menée par le médecin urgentiste François Braun, avant sa nomination comme ministre, ont permis de mobiliser des leviers nouveaux pour répondre aux défis immédiats des urgences durant la période cruciale de l’été. Je le dis sans triomphalisme et avec la gravité qui sied à ce sujet : la catastrophe annoncée n’a pas eu lieu et notre système de santé a globalement tenu.
Certes, cela ne fut pas sans effort et nous devons avant tout saluer la mobilisation des professionnels et des administrations impliqués dans la mise en œuvre de ces mesures transitoires, dont certaines pourraient être rapidement pérennisées.
En effet, l’inspection générale des affaires sociales (Igas) vient de remettre un rapport d’évaluation de ces solutions. Nous sommes en train d’en instruire les données et nous réunirons une nouvelle fois le comité de suivi, dans une dizaine de jours, pour travailler sur les dispositions à conserver.
Nous pouvons cependant déjà tirer un bilan positif de ces mesures. Elles ont permis de mobiliser les professionnels dans une logique de responsabilité collective, partagée entre la ville et l’hôpital. Elles ont aussi contribué à sensibiliser nos concitoyens à la fragilité du système de santé, en général, et des soins non programmés, en particulier, générant de premiers changements notables de comportement chez les Français, notamment dans le recours aux urgences et l’appel préalable au 15.
Une idée forte de cette mission, sur laquelle je tiens à insister, est de retrouver le sens de ce que signifie le mot « urgence ». Une urgence médicale se définit en des termes précis, qui la distinguent par nature d’un soin non programmé. C’est une « situation requérant une intervention médicale immédiate afin de secourir une personne dont le pronostic vital ou fonctionnel est susceptible d’être engagé ».
L’urgence relève ainsi nécessairement d’une décision médicale et répond à des critères stricts et limitatifs. Or, au cours des vingt dernières années, le nombre de passage aux urgences a plus que doublé. Nous le savons, les patients qui se présentent aux urgences sont en partie – et même souvent – ceux qui ne pourraient pas avoir accès autrement à notre système de santé, parce qu’ils n’ont pas de médecin traitant ou parce qu’ils ne parviennent pas à obtenir un rendez-vous dans un délai rassurant. C’est en cela que les urgences sont, comme je le disais, un symptôme du malaise que nous connaissons.
Elles sont en quelque sorte victimes de leur succès et cela pèse sur la sécurité des patients. L’inflation du recours crée des situations d’engorgement et le temps de passage dans les services a de ce fait beaucoup augmenté.
Il n’est pas question de limiter ou de restreindre de quelque manière que ce soit l’accès aux soins et encore moins de filtrer ou de trier les malades, comme certains ont pu le laisser entendre, parfois sous l’effet d’une inquiétude légitime, parfois guidés par des raisons politiques.
Il s’agit donc de replacer chacun dans son rôle, le long de la chaîne de prise en charge, afin d’être en mesure de proposer à chaque patient le parcours de soins le mieux adapté à sa condition. Concentrer les urgences sur leur cœur de mission et leur plus-value nécessite de mettre en place, comme nous l’avons fait, un travail de régulation pluridimensionnel.
Garantir une meilleure orientation dans le système de santé, tel a été l’objet d’une campagne de sensibilisation sur le bon usage des services d’urgence.
Il est en effet important de faire évoluer les mentalités, d’où cette campagne menée depuis plusieurs mois pour inciter nos concitoyens à contacter d’abord le 15 pour être orientés vers la solution la mieux adaptée à leur problématique de santé. Pour reprendre un slogan de l’assurance maladie que nous avons tous encore à l’esprit : « Les urgences, c’est comme les antibiotiques, ce n’est pas automatique. »
M. François Bonhomme. Bravo ! L’imagination est au pouvoir. (Sourires.)
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Cet effort de pédagogie va de pair avec une mise à niveau des effectifs d’assistants de régulation médicale (ARM) dans les services d’aide médicale urgente Samu-Centre 15 et un renforcement du déploiement des services d’accès aux soins. Leur ouverture à l’ensemble des professionnels de santé favorisera notamment le développement des filières directes de prise en charge dans d’autres spécialités médicales.
En effet, la régulation des urgences est un sujet transversal qui dépasse les murs des hôpitaux et doit mobiliser l’ensemble du système de soins, par l’optimisation du temps médical et l’augmentation des capacités de réponses non programmées en ville.
Le comité de suivi de la mission flash nous a permis d’avoir, en continu, un tour d’horizon du déploiement de l’application et de l’effet de nos mesures en ce sens.
Ainsi, nous savons que les mesures dérogatoires prises à l’été dernier ont facilité le recrutement d’assistants de régulation médicale. Ces professionnels ont pu orienter les patients dont l’état le justifiait vers des cabinets médicaux en ville ou des maisons médicales de garde. Le nombre de celles qui restent ouvertes le samedi matin a quasiment doublé sur la période considérée.
Sur prescription de la régulation, les ambulanciers ont été mobilisés pour assurer un transport sanitaire des patients vers ces structures.
Preuve de la nécessité du renforcement des effectifs et du succès de la démarche, le taux de recours au 15 a augmenté de 20 % au cours de l’été. L’appel au 15 tend à devenir un réflexe, comme nous le souhaitons.
Nous avons assumé la responsabilité d’absorber cette hausse, notamment en donnant toute leur place aux médecins libéraux régulateurs. Le renforcement des équipes de régulation est donc une mesure que nous inscrirons dans le temps long, dès le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2023.
Nous le ferons grâce à deux leviers. D’une part, nous encouragerons la reprise d’activité des médecins retraités sur des activités de régulation médicale téléphonique, en les faisant bénéficier du régime simplifié des professions médicales pour faciliter leurs démarches administratives ; d’autre part, nous permettrons à tout médecin participant à la régulation en dehors de la permanence des soins ambulatoires de bénéficier de la couverture assurantielle de l’établissement support du centre de régulation, afin qu’ils n’aient pas à souscrire individuellement un contrat d’assurance – il s’agit là d’une revendication ancienne.
Le projet de loi de financement de la sécurité sociale comporte une autre mesure forte liée aux urgences, qui est l’exonération du ticket modérateur sur les transports sanitaires urgents pré-hospitaliers. Elle s’inscrit dans notre politique volontariste en faveur de l’accès aux soins, dans un contexte d’urgence, en supprimant le reste à charge des bénéficiaires qui n’auront plus rien à débourser.
Tout cela est efficace, puisque le nombre de passage aux urgences, toutes causes confondues, a diminué dans une proportion de 5 % à l’été 2022 par rapport à l’année précédente. C’est un progrès concret et une tendance encourageante que nous devons confirmer et approfondir.
Un autre chantier majeur sur lequel il nous faut œuvrer porte sur la pénibilité du travail de nuit que la mission flash sur les urgences et soins non programmés a reconnue pour la première fois. Celle-ci a été mieux valorisée, grâce à la majoration des indemnités de nuit pour les personnels non médicaux et à la majoration des indemnités de garde pour les personnels médicaux.
Je tiens également à souligner que la hausse du point d’indice…
Mme le président. Madame la ministre déléguée, il faut conclure.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Avec le ministre de la santé et de la prévention, nous nourrissons l’ambition de fonder un nouveau modèle pour répondre toujours mieux aux besoins de santé de nos concitoyens, partout sur le territoire, aujourd’hui et demain. Je vous invite donc à participer au Conseil national de la refondation pour la santé (CNR Santé) qui aura lieu dans chacune de vos régions.
Débat interactif
Mme le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question et son éventuelle réplique.
Le Gouvernement dispose pour répondre d’une durée équivalente. Il aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de répondre à la réplique pendant une minute supplémentaire. L’auteur de la question disposera alors à son tour du droit de répondre pendant une minute.
Dans le débat interactif, la parole est à Mme Patricia Schillinger. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme Patricia Schillinger. Affaibli par deux années de crise sanitaire, notre système de santé a connu cet été une situation de tension majeure : les services d’urgence étaient sur le point de ne plus pouvoir assurer la continuité des soins durant la période estivale.
Si les difficultés rencontrées par ces services ne sont que le symptôme d’une crise plus large touchant notre système de soins hospitaliers, il a fallu rapidement trouver des solutions. La mission flash commandée par le Président de la République a ainsi formulé de nombreuses recommandations. L’une d’entre elles visait à réguler les entrées au service d’urgence en orientant les patients dont l’état de santé ne relevait pas de la médecine d’urgence vers une offre de soins adaptée. La désertification médicale aggrave l’engorgement des urgences. Ainsi, de nombreux patients se tournent vers elles pour des soins qui pourraient être dispensés par la médecine de ville ou d’autres professionnels de santé.
Une autre recommandation de la mission tendait à accroître le recours à la télémédecine, dont la pertinence et les bienfaits ont été mis en évidence durant la crise sanitaire. Plus largement, le numérique constitue un vivier d’outils potentiels, qui demeurent en France largement sous-exploités. En s’appuyant largement sur ces nouveaux outils, le Danemark a favorisé une utilisation complémentaire de l’hôpital et de la médecine de ville, tout en préservant l’universalité et l’accessibilité du système.
Madame la ministre, quelle place entendez-vous accorder à l’innovation numérique en vue de la nécessaire transformation de notre système de santé ? Poursuivrez-vous le développement du recours à la télémédecine afin de répondre de manière pérenne à la crise des urgences ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. Comme vous l’avez rappelé, madame la sénatrice Schillinger, le recours à la télémédecine s’est beaucoup développé depuis le début de la crise sanitaire.
Je crois que nous pouvons utilement nous inspirer de l’expérience danoise que vous citez. Dans un rapport consacré à l’évaluation des mesures appliquées cet été, l’inspection générale des affaires sociales (Igas) a mené un travail de comparaison avec le système danois, dans lequel la régulation préalable est une condition d’accès aux urgences.
Les téléconsultations constituent non seulement un outil intéressant pour favoriser l’accès aux soins dans les territoires les moins bien dotés, mais aussi une facilité supplémentaire pour tous. Le Gouvernement a d’ailleurs soutenu leur développement, puisque celles-ci ont été prises en charge à 100 % du début de la crise sanitaire jusqu’au 30 septembre 2022. En 2021, elles ont représenté environ 5 % du nombre total des consultations des médecins généralistes.
Les mesures prises durant l’été 2022 faisaient suite aux recommandations de la mission flash sur les urgences et les soins non programmés : le recours aux unités mobiles de téléconsultation a ainsi été encouragé. (MM. François Patriat et Julien Bargeton approuvent.)
Lorsque les situations ne relèvent pas de l’urgence vitale, une infirmière se rend au domicile du patient afin d’organiser la téléconsultation et assurer un premier niveau de prise en charge, si nécessaire. Le rapport de l’Igas souligne l’intérêt de ces téléconsultations dans ces situations ; dans 75 % des cas, celles-ci ne sont pas suivies par un passage aux urgences ou par une hospitalisation.
Il convient toutefois de maîtriser le développement de la télémédecine, car une prise en charge physique doit toujours être garantie en cas de soins urgents ou non programmés. Par ailleurs, cette pratique ne doit pas se traduire par une diminution du nombre de médecins implantés dans les territoires au profit d’une pratique exclusivement digitale. Enfin, nous devons lutter contre les dérives nées du recours à la téléconsultation : dans le PLFSS pour 2023, le Gouvernement a limité la prescription des arrêts de travail aux seuls médecins traitants ou à un médecin déjà connu du patient, face aux abus constatés parfois. (Mme Patricia Schillinger et M. François Patriat applaudissent.)
Mme le président. La parole est à Mme Annie Le Houerou.
Mme Annie Le Houerou. Personnels épuisés et surmenés, accroissement des départs en cours de carrière, difficultés de recrutement : l’hôpital public traverse une crise sans précédent.
Malgré les revalorisations salariales, la dégradation des conditions de travail, à laquelle s’ajoute la difficulté d’accès aux soins en ville, provoque l’engorgement voire la saturation des urgences et la fermeture de services.
La permanence de l’accès aux soins étant menacée au début de l’été, vous avez instauré un plan pour les urgences et pour les soins non programmés. Selon vous, celui-ci regroupait des réponses rapides et fortes. Régulation de l’accès aux urgences, via le 15, plus grande disponibilité demandée à des professionnels déjà très éprouvés, mobilisation des personnels hospitaliers grâce à des majorations de rémunération et recherche d’une meilleure coordination d’acteurs déjà très sollicités : autant de réponses conjoncturelles visant à faire passer l’été à notre système de santé. L’été est passé. Parfois, le pire a été évité, mais cela n’a pas toujours été le cas. Je tiens à témoigner notre grande reconnaissance au personnel soignant pour son dévouement et sa mobilisation sans faille.
Toutefois, les recommandations de la mission flash sont insuffisantes et ne permettent pas d’assurer un fonctionnement sécurisé optimal en vue d’une prise en charge de qualité. Les difficultés rencontrées sont le signe d’une crise du système de soins et de l’hôpital.
Madame la ministre, quelles sont vos propositions afin de garantir un accès pérenne et durable aux soins pour tous, quel que soit l’endroit du territoire national ? Organiser une concertation au travers du Conseil national de la refondation (CNR) dans des réunions rassemblant 400 personnes en vue d’imaginer des solutions innovantes, comme au Mans hier, ne me paraît pas être une méthode efficace.
Nous souscrivons tous à votre diagnostic : il est urgent d’engager la refondation de notre système de santé afin que celui-ci serve d’abord les patients et qu’il permette aux soignants d’exercer sereinement. Madame la ministre, quel est votre calendrier et quelles sont vos priorités d’action ? (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. Madame la sénatrice Le Houerou, nous devons répondre à cette question de manière globale, en ne regardant pas seulement le fonctionnement des urgences.
Parce qu’ils se situent à la jonction des difficultés de la médecine de ville en amont et des services hospitaliers en aval, les urgences font face à des tensions majeures reflétant les difficultés de notre système de santé. Afin d’améliorer la situation de manière durable, nous devons mieux répondre à la demande croissante de soins non programmés et non urgents, qui contribuent à l’engorgement massif de nos urgences.
Les services d’accès aux soins (SAS) se déploient progressivement sur le territoire national. Ils ont vocation à aider les citoyens à s’orienter dans le système de santé. Lorsqu’un patient est confronté à un besoin de soins non programmés et qu’il n’a pas accès à son médecin traitant – ou s’il n’en dispose pas –, le SAS facilite un contact téléphonique avec un professionnel. Ce dernier lui fournira un conseil médical, lui proposera une téléconsultation ou l’orientera selon son état de santé vers une consultation de soins non programmés en ville, vers un service d’urgence ou déclenchera l’intervention d’un service mobile d’urgence et de réanimation (Smur).
Lorsque le médecin traitant ou un médecin de proximité n’est pas disponible en première intention, les SAS visent à apporter une réponse pour des besoins en soins urgents ou non programmés sous quarante-huit heures. Ils reposent sur la création, au sein d’un même territoire, d’une chaîne de soins lisible et coordonnée entre les acteurs de santé de l’hôpital et de la médecine de ville. Cela suppose une gestion commune des appels des patients entre les médecins urgentistes et les médecins généralistes, ainsi qu’une mobilisation des médecins généralistes effecteurs prenant en charge durant la journée les patients ayant fait l’objet d’une régulation préalable par le SAS. Il est nécessaire d’accélérer le déploiement des SAS sur l’ensemble du territoire national en 2023.
Nous devons aussi améliorer l’attractivité des métiers afin de favoriser le maintien des professionnels de l’urgence dans leur domaine d’activité. La solution n’est pas unique : nous développerons un panel de mesures qui sera décliné dans chaque territoire. Certes, le CNR a été installé hier devant 400 personnes. Toutefois, la méthode de travail se fonde sur des ateliers qui regroupent 15 à 20 personnes travaillant pour apporter des solutions, comme ce fut le cas vendredi dernier au Mans.
Mme le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Avec plus de 20 millions de passages par an, les services des urgences des hôpitaux sont confrontés à de graves problèmes d’engorgement, en raison d’un manque criant de médecins généralistes et d’une pénurie de personnel hospitalier qui démissionne massivement pour ne plus subir la maltraitance institutionnelle de décennies d’austérité en matière de moyens humains et financiers.
Chaque année, nous formons 10 000 médecins, le même nombre qu’en 1975. Or, madame la ministre, depuis quarante-sept ans, la population a augmenté de 30 %. Les besoins sont plus importants, car celle-ci a vieilli et souffre de polypathologies.
Le Président de la République a confié au docteur Braun – avant que celui-ci ne devienne ministre – une énième mission flash, dont j’avais, avec mon groupe, critiqué l’utilité puisque les constats et les solutions de remplacement sont connus depuis des années. Les rapports, y compris ceux du Sénat, ont tous souligné le désengagement financier de l’État dans les hôpitaux. Or, à entendre le ministre Braun, la boîte à outils comprenant 41 recommandations a permis de sauver le système, alors que ce sont bien les personnels qui l’ont sauvé, au prix d’un épuisement et d’une dégradation subie des conditions de prise en charge des malades. (Mme Marie-Noëlle Lienemann et Mme Émilienne Poumirol approuvent.)
Madame la ministre, que pensez-vous de notre proposition de créer un service public de soins primaires construit autour d’un réseau de centres de santé pluriprofessionnels ? Allez-vous rétablir l’obligation de permanence des soins pour tous les médecins – y compris les spécialistes exerçant dans le privé –, tant en médecine de ville qu’à l’hôpital ? (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER.)
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. Madame la sénatrice Cohen, la boîte à outils et ses 41 mesures d’urgence ont permis de tenir bon. Nous l’affirmons avec humilité.
Mme Laurence Cohen. Ce n’est pas grâce à vous, mais grâce au personnel hospitalier !
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. La boîte à outils a permis de tenir bon, grâce à l’investissement des personnels – je crois l’avoir dit très clairement.
La place des centres de santé dans la permanence des soins doit être renforcée. Nous avons commencé à en parler avec leurs représentants qui, s’ils souscrivent au principe d’une participation, mettent en avant deux difficultés.
Premièrement, l’ouverture d’un centre de santé aux horaires de la permanence des soins nécessite une logistique lourde, car il faut également ouvrir l’accueil et les services nécessaires au bon fonctionnement de la structure, même si un seul cabinet médical assure la permanence. Celle-ci pourrait être effectuée dans une maison médicale de garde.
Deuxièmement, la rémunération de l’astreinte : les personnels intervenant dans ces centres de santé sont salariés et les rémunérations sont aujourd’hui versées à l’employeur.
Ces sujets ne sont pas insurmontables. Nous souhaitons travailler en concertation avec les représentants des professionnels de santé en vue de trouver les voies et les moyens afin que les centres de santé soient mieux insérés dans la permanence des soins. Le principe est clair : nous souhaitons que tous les médecins d’un territoire y participent de manière équitable pour mieux partager l’effort et faire vivre cette logique de responsabilité collective.
Mme le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour la réplique.
Mme Laurence Cohen. Madame la ministre, je me réjouis que vous souteniez l’effort des centres de santé. J’espère que vous favoriserez leur développement dans tous les territoires – cela représenterait déjà une première avancée.
J’ai bien noté que vous alliez engager des discussions afin que des gardes soient assurées par des médecins travaillant dans le secteur privé : c’est une bonne chose. Je crois que le décret de 2003, dit Mattei, devrait être abrogé.
Madame la ministre, il faut agir en amont, car 6 millions de Français n’ont pas de médecin traitant. Il faut aussi agir en aval, car la suppression de 4 300 lits en 2021 – correspondant au dernier chiffre que vous avez publié – n’est pas de nature à nous rassurer. Au lieu de vous abriter derrière les 41 mesures de cette mission flash, il faut vraiment aller plus vite et plus loin : il y a urgence ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER.)
Mme le président. La parole est à Mme Jocelyne Guidez. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Jocelyne Guidez. Comme beaucoup l’ont souligné, force est de constater deux réalités : d’abord, l’engorgement des services d’urgence, avec des conséquences en chaîne sur l’hôpital et sur la qualité de vie au travail des soignants ; ensuite, le problème d’accès aux soins dans les territoires.
Face à ces difficultés, je voudrais mentionner le rapport d’Élisabeth Doineau relatif à la proposition de loi visant à répondre à la demande des patients par la création de points d’accueil pour soins immédiats (Pasi).
Madame la ministre, je rappelle que ces Pasi n’auraient pas vocation à ajouter un étage au millefeuille puisqu’ils s’appuieraient sur les structures existantes.
Les dispositions de cette proposition de loi permettraient aux directeurs généraux des agences régionales de santé (ARS) de labelliser pour cinq ans, sur l’initiative des soignants, des structures destinées à prendre en charge des soins non programmés. La création de ces points d’accueil serait soumise à plusieurs conditions, en particulier leur inscription dans un projet territorial de santé ou le projet d’une ou plusieurs communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS).
Les Pasi assureraient une prise en charge intermédiaire entre le cabinet médical et le service d’urgence pour des soins ne relevant pas de l’urgence médicale, comme la petite traumatologie. Ils contribueraient ainsi à la permanence des soins. Le cas échéant, le service d’aide médicale urgente (Samu) pourrait orienter les patients soit vers un Pasi, soit vers les services d’urgence.
Avec mes collègues du groupe Union Centriste, je souhaiterais savoir, madame la ministre, si le Gouvernement conserve, comme le précédent, un avis favorable sur ce dispositif, voire s’il envisage de se l’approprier ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. Madame la sénatrice Guidez, il est nécessaire d’améliorer la réponse aux soins non programmés, car celle-ci manque de visibilité pour nos concitoyens, même si les SAS, en cours de déploiement, facilitent l’accès à une consultation de ce type.
La loi développant les Pasi contient des éléments intéressants afin de rendre les solutions de remplacement aux urgences plus visibles.
Il convient cependant de veiller à ne pas spécialiser les professionnels de santé dans la réponse aux soins immédiats. Selon les premiers constats, certains centres de soins immédiats n’assurent pas le rôle du médecin traitant. Or, face au développement des pathologies chroniques, nous devons consolider la place du médecin traitant et le tenir informé.
Les Pasi doivent découler d’un projet d’organisation partagé entre tous les acteurs d’un même territoire. Il paraît important que ces points d’accueil émergent plus particulièrement au sein des CPTS, en étroite articulation, et non en concurrence, avec les organisations ambulatoires et les établissements du territoire.
Il convient aussi d’éviter que ce type de structure ne constitue un appel d’air pour les médecins urgentistes, alors même que les services d’urgence font face à des difficultés de recrutement.
Enfin, pour améliorer la réponse aux soins non programmés, je souhaite que nous puissions trouver des solutions locales favorisant la participation du plus grand nombre de professionnels de santé aux dispositifs de permanence des soins, plutôt que celles conduisant à la spécialisation d’un petit nombre d’entre eux. Notre proposition vise à mieux encadrer les structures qui se spécialisent dans le soin immédiat.
Mme le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin.
Mme Véronique Guillotin. Ma question porte également sur les centres de soins non programmés – ou centres médicaux de soins immédiats (CMSI) –, dont l’installation a commencé dans de nombreux territoires. Ceux-ci prennent en charge sans rendez-vous les patients aux pathologies peu graves. Ils ont à leur disposition du petit matériel technique et évitent, la plupart du temps, un passage aux urgences.
Sur l’initiative du groupe Union Centriste et à l’occasion de l’examen d’une proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale, nous en avions débattu voilà deux ans. À l’époque, je n’y étais pas particulièrement favorable.
Un an après la présentation du plan Ma santé 2022 et alors que le Ségur de la santé était en cours d’installation, nous avions toutes les raisons d’espérer. Depuis, malheureusement, la situation ne s’est pas vraiment améliorée. Ce week-end, une jeune fille de 18 ans a passé plus de trente-six heures aux urgences de l’un des hôpitaux de mon territoire pour un problème de vertèbre seule sur un brancard – je ne parle bien sûr pas d’un lit dans un box. La situation est complexe ; les soignants ont estimé qu’ils n’avaient jamais vécu un week-end aussi difficile.
Dans ce contexte, toutes les initiatives visant à mieux prendre en charge le bon patient au bon endroit doivent être soutenues. Toutefois, le modèle des CMSI divise. Le ministre François Braun n’a d’ailleurs pas caché ses réticences sur le sujet. Certes, ces prises en charge s’effectuent hors parcours de soins – comme aux urgences d’ailleurs. Je reconnais que le modèle économique de ces centres est peu satisfaisant pour le moment et que des professionnels ont parfois renoncé à leur pratique hospitalière pour des conditions de travail plus acceptables.
Je souscris à votre analyse : les CMSI peuvent trouver leur place dans le paysage sanitaire et dans l’offre de soins de chaque territoire à condition qu’une concertation aboutisse à bâtir un modèle pérenne pour ces structures.
Madame la ministre, quelles sont les intentions du Gouvernement pour que les CMSI s’intègrent dans notre système de santé sur le fondement d’un modèle accepté par l’ensemble de la chaîne de soins ? (Mme Marie Mercier applaudit.)
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. Madame la sénatrice Guillotin, les CMSI sont relativement similaires aux Pasi évoqués précédemment par votre collègue.
Comme je l’ai déjà dit, leur développement peut être bénéfique : je pense aux centres temporaires, souvent créés durant l’été sur l’initiative de personnels de santé libéraux désireux d’offrir une offre de soins non programmés afin de soulager les tensions dans les services d’urgence.
Toutefois, ces initiatives peuvent également avoir des effets regrettables en spécialisant des ressources médicales sur des prises en charge aiguës et en délaissant les patients ayant besoin d’un suivi chronique. C’est là un véritable écueil : certains médecins exerçant dans ces centres ont clairement refusé de devenir médecins traitants des patients, alors que nous entendons placer ceux-ci au centre des parcours de prise en charge.
Mme Laurence Cohen. Et les six millions de Français qui n’en ont pas ?
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Les CMSI doivent découler d’un projet d’organisation partagé entre tous les acteurs d’un même territoire. Ces projets doivent s’articuler autour des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) ; sans doute la prise en charge des soins immédiats serait-elle alors plus effective.
Je le répète : ce type de structures ne doit pas constituer un appel d’air pour les médecins urgentistes, alors même que les services d’urgence font face à des difficultés de recrutement. Vous avez d’ailleurs vous-même insisté sur ce point, madame la sénatrice. Nous entendons travailler à un meilleur encadrement de ces structures spécialisées dans le soin immédiat.
Mme le président. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Dominique Estrosi Sassone. Le 11 juillet dernier, un pic de 310 admissions a été enregistré en une seule soirée au centre hospitalier universitaire (CHU) de Nice. Ce flux a pu être régulé in extremis grâce au filtrage médical efficace du Samu des Alpes-Maritimes : celui-ci a réorienté les patients vers cinq autres hôpitaux du département ou vers des cliniques privées.
De grandes inquiétudes ont plané tout l’été. La saturation quotidienne des services, déjà bien réelle, a été aggravée par la forte affluence estivale. Malgré l’engagement sans faille de l’ensemble des professionnels de santé qui œuvrent avec dévouement pour soigner au mieux toutes les personnes qui se présentent au CHU, la situation reste très préoccupante. L’organisation des services, marquée par les sous-effectifs, fait craindre à tout moment un défaut de vigilance médicale. Les professionnels de santé souffrent d’une charge de travail toujours plus grande. L’inacceptable devient banal, puisque certains patients restent plusieurs heures sur des brancards.
À cela s’ajoutent les violences dont sont victimes les professionnels de santé, principalement en raison du temps d’attente subi par les patients. Plusieurs agressions ont été constatées à l’hôpital Pasteur du CHU de Nice, à l’hôpital Lenval et aussi à Cannes.
Non, madame la ministre, contrairement à ce que vous avez soutenu, notre système de santé n’a pas globalement tenu. Oui, notre système de santé s’effondre. Nous n’avons pas besoin d’un nouveau diagnostic. Que proposez-vous concrètement ? Comment entendez-vous mobiliser durablement les médecins de ville pour épauler les structures hospitalières ? Allez-vous enfin entendre les demandes de SOS Médecins, dont le réseau ne cesse de se déliter dans les territoires ? Pourtant, les structures locales évitent l’embolisation des services d’urgence. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. Oui, madame la sénatrice Estrosi Sassone, je le répète : cet été, les urgences ont tenu ! (Protestations sur les travées des groupes Les Républicains, SER et CRCE.)
La catastrophe annoncée n’a pas eu lieu. Les urgences ont tenu grâce à la forte mobilisation de nos soignants, que je souhaite vivement remercier. Les établissements ont réussi à organiser leur fonctionnement en saisissant non seulement les occasions qui leur étaient offertes afin d’aménager les parcours des patients, mais aussi en utilisant les mesures prises pour valoriser la pénibilité du travail.
Les urgences du CHU de Nice ont fait face à une activité soutenue en juillet et en août, avec en moyenne 230 passages par jour. Ce pic d’activité, auquel s’ajoutent les difficultés rencontrées en matière de ressources humaines, a conduit à la fermeture partielle du service des urgences à Nice durant une durée de cinq heures à une seule occasion, au début du mois de juillet. Comme vous l’avez souligné, la solidarité territoriale a permis un rétablissement rapide des conditions normales de prise en charge : sur les 14 000 passages aux urgences constatés durant la période estivale, moins de 20 patients ont ainsi été réorientés durant ce court moment.
Au niveau national, à la faveur d’une grande campagne de communication, le nombre de passage aux urgences a décru de manière sensible – 5 % – et, en miroir, le nombre d’appels au 15 a augmenté significativement. Tels sont les enseignements les plus marquants du plan que nous avions déployé pour l’été.
Le problème tient non pas aux moyens qui ne seraient pas affectés aux services d’urgence, mais aux postes non pourvus, faute de candidats. Les médecins urgentistes choisissent parfois d’autres modes d’exercice. Il nous faut améliorer les conditions de travail pour favoriser le maintien des personnels en poste, attirer les jeunes médecins et faire revenir ceux qui sont partis.
Je tiens également à souligner les initiatives remarquables instaurées dans plusieurs territoires, en particulier celles favorisant la mobilisation renforcée des professionnels paramédicaux. La télémédecine embarquée, les astreintes d’infirmières libérales et la collaboration entre les professionnels faciliteront la reconquête du temps de soins dans nos territoires. Ces initiatives doivent être fortement soutenues et encouragées à plus grande échelle, car elles contribuent à éviter des passages aux urgences en mobilisant l’ensemble des composantes de notre système de santé.
Mme le président. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone, pour la réplique.
Mme Dominique Estrosi Sassone. Notre système de santé va mal. Il s’effondre ! Il faut guérir le malade avant qu’il ne soit trop tard ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à M. Daniel Chasseing.
M. Daniel Chasseing. Les services d’urgence hospitaliers sont un maillon essentiel de notre système de soins.
Chaque année, près d’un Français sur six se rend aux urgences. Or les urgences hospitalières se trouvent actuellement dans une situation critique : tout en continuant à assurer une prise en charge de pointe, elles sont confrontées à un personnel soignant souvent en sous-effectif et à la carence de lits d’aval. Faute de lits, les patients embolisent les services d’urgence qui se trouvent déjà sous tension. Le problème se résume ainsi : il convient d’assurer les besoins en santé des Français, l’égalité d’accès aux soins sur l’ensemble du territoire et la prise en charge d’une partie croissante de soins non programmés, en raison d’un manque de médecins libéraux.
Madame la ministre, quelles réponses concrètes entendez-vous apporter afin de remédier à la pénurie d’infirmières conduisant à fermer des lits d’aval par manque de personnel et entraînant une embolisation des urgences ? Que comptez-vous faire pour accroître la présence de médecins et d’infirmières au sein des urgences hospitalières ?
Pour les cas peu graves, comptez-vous privilégier en amont les services de soins non programmés à proximité des urgences ? Une telle solution permettrait de désengorger ces dernières.
Quelle mesure allez-vous prendre afin de recruter davantage de médecins généralistes dans les maisons de santé pluridisciplinaires ? Ne faudrait-il pas obliger des médecins en dernière année de troisième cycle à allonger de six mois la durée du stage ambulatoire en soins premiers en autonomie supervisée (Saspas) dans une maison de santé située dans un territoire déficitaire, avec l’aide d’un médecin référent ? La durée du stage serait portée à un an. Durant les six derniers mois, le classement en médecin assistant offrirait la même rémunération au stagiaire que le médecin référent.
M. François Bonhomme. Voilà une question précise !
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. Comme cela a été rappelé à de nombreuses reprises, nos services d’urgences font face à des tensions majeures, reflétant les difficultés de notre système de santé.
Les urgences se situent à la jonction des difficultés de la médecine de ville en amont et de celles de l’hôpital en aval. Trop de postes demeurent vacants, non pas par manque de financement, mais par manque de candidats – je tenais à le souligner pour éviter toute ambiguïté. (Protestations sur les travées des groupes CRCE et SER.)
Cette pénurie de ressources humaines concerne tous les services hospitaliers : au niveau national, 30 % des postes de praticiens hospitaliers et 6 % des postes infirmiers sont vacants, comme vous l’avez souligné.
Nous œuvrons à renforcer l’attractivité des métiers du système de santé.
Mme Laurence Cohen. Heureusement !
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Tel est l’un des axes majeurs du volet santé du Conseil national de la refondation, que j’ai lancé hier avec le ministre de la santé et de la prévention.
Nous apportons aussi des solutions de court terme, notamment les mesures de la mission flash de cet été et la mobilisation de solutions réunies dans une boîte à outils et mises à la disposition de chaque territoire. Nous avons également rappelé à nos concitoyens cette recommandation simple : n’allez pas directement aux urgences et appelez d’abord le 15 si votre médecin traitant n’est pas disponible.
Mme Laurence Cohen. On ne trouve plus de médecin traitant !
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Nous avons favorisé une plus grande disponibilité des professionnels de santé, via des incitations : les médecins de ville ayant pris en charge des patients adressés par le 15 bénéficiaient d’une majoration de consultation de 15 euros.
À l’hôpital, nous avons reconnu les contraintes inhérentes au travail de nuit en doublant les majorations pour les personnels soignants et en revalorisant les gardes des médecins de 50 %. Une évaluation de ces mesures est en cours ; nous pérenniserons toutes les solutions qui auront fait leurs preuves.
Mme le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.
Mme Raymonde Poncet Monge. Depuis la présentation de votre mission flash, le moral des soignants continue de baisser.
Selon l’enquête de l’observatoire Odoxa-Mutuelle nationale des hospitaliers (MNH), un quart des soignants travaillent plus de quarante-cinq heures par semaine, un quart d’entre eux pensent être en mauvaise santé à cause du travail et ils sont deux fois plus nombreux que le reste de la population active à recourir aux arrêts de travail pour stress.
Des conditions de travail dégradées et un manque de personnel et de lits sont leur lot quotidien. À Strasbourg, le 30 août dernier, 50 patients se trouvaient aux urgences pour seulement 30 places. Pas moins de 50 % des lits d’hospitalisation d’urgence étaient fermés par manque de personnel et 26 personnes ont attendu plus de douze heures sur un brancard.
Un homme de 81 ans a attendu plus de vingt-deux heures sur un brancard avant de mourir. Ce drame s’est produit malgré la politique de régulation que vous avez mise en place. Celle-ci a conduit le personnel à faire grève, notamment au CHU de Bordeaux. Le problème ne réside pas tant dans les flux de patients que dans le manque de lits et de soignants.
Dans son rapport d’évaluation de la mission flash, le syndicat Samu-Urgences de France indiquait clairement que la non-disponibilité des lits en aval des services d’urgence restait le principal dysfonctionnement. Par conséquent, il faut ouvrir des lits. Les urgences ne souffrent pas d’un problème de régulation, mais d’un manque de moyens et d’attractivité des métiers.
À cet égard, le PLFSS pour 2023 reste insuffisant, malgré la fin annoncée des économies. La Fédération hospitalière de France (FHF) estime que l’augmentation du volet hospitalier de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) est insuffisante pour absorber l’inflation, les mesures du Ségur, la revalorisation du point d’indice et le paiement des heures supplémentaires ; elle ne permettra aucune embauche supplémentaire, alors qu’il est crucial d’augmenter le ratio de deux soignants par patient.
Eu égard aux conséquences mécaniques des coûts que je viens d’évoquer et compte tenu de l’avis de la FHF, envisagez-vous de revaloriser l’Ondam afin de répondre enfin aux causes structurelles des difficultés de l’hôpital ?
Mme le président. Mes chers collègues, je vous rappelle la nécessité de bien respecter votre temps de parole : quand bien même les dépassements n’excèdent pas cinq secondes, un tel écart, au regard du nombre d’intervenants, entraîne finalement un décalage important.
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. Le plafond de l’Ondam est relevé afin d’accorder des moyens financiers supplémentaires par rapport à l’année précédente. L’Ondam tel qu’il figure dans le PLFSS pour l’année 2023 ne comprend aucune mesure d’économie reposant sur l’hôpital ; au contraire, les dépenses relatives aux établissements sont en hausse de 4,1 %, soit 4 milliards d’euros supplémentaires par rapport au budget de l’année 2022.
Dans les prochaines années, nous continuerons à porter une attention particulière à ce volet de l’Ondam, d’une part pour mettre en œuvre des réformes relatives à l’organisation des soins et pour défendre une ambition d’excellence, d’autre part pour garantir l’attractivité des métiers.
Ce niveau d’Ondam permettra aussi, sur cette période, de faire face à l’inflation, toujours croissante, en apportant un soutien financier tant aux professionnels de santé qu’aux établissements afin de résister à l’augmentation des charges hors rémunération des personnels.
Par ailleurs, pour soutenir les hôpitaux et les personnels, nous lançons, dans le cadre du volet « Santé » du CNR, un chantier pour mieux vivre à l’hôpital, afin d’aborder le sujet des conditions de travail. L’enjeu est de permettre aux soignants actuellement en exercice de retrouver le sens de leur engagement, de façon qu’ils restent en poste et que les jeunes aient envie de rejoindre les établissements de santé.
L’Ondam prévu pour l’année 2023 est bien supérieur à celui des années précédentes. Pour le budget de l’année 2016, son taux de progression avait été fixé à 1,8 %, et à 2,2 % pour 2017. Avec une progression prévue pour l’année 2023 de 3,7 %, hors dépenses de crise, le Gouvernement investit donc massivement dans notre système de santé.
Mme le président. La parole est à Mme Émilienne Poumirol. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Émilienne Poumirol. Madame la ministre, beaucoup d’annonces, beaucoup de consultations, comme celle du CNR, ont été mises en avant ; pourtant, peu de mesures structurelles répondent à la crise de l’accès aux soins en France, et, en particulier, au problème des déserts médicaux. Pourtant, l’organisation territoriale des soins représente un enjeu majeur pour répondre aux besoins de santé de notre population, permettant une meilleure articulation, nécessaire, entre acteurs de ville et acteurs hospitaliers.
La question cruciale de l’engorgement des services hospitaliers est connue depuis longtemps. Tout le monde s’accorde sur le fait qu’au moins 30 % des passages de patients à l’hôpital auraient pu être évités par une régulation préalable. Or, depuis la décision de l’ancien ministre de la santé Jean-François Mattei, en 2002, de supprimer l’obligation de garde des médecins libéraux, une érosion constante de cette permanence des soins s’observe.
Le volontariat n’est plus suffisant pour répondre à la demande sur le territoire, en particulier dans les déserts médicaux. Je reprendrai la question de ma collègue Laurence Cohen : à quand une permanence des soins ambulatoires (PDSA) obligatoire pour l’ensemble des médecins, généralistes compris ?
Au regard de cette situation, votre gouvernement a mis en place cet été différents dispositifs, à la suite d’une – énième – mission flash sur les urgences et les soins non programmés, pilotée par le professeur Braun, comme s’il s’agissait de découvrir les problèmes rencontrés par nos hôpitaux.
Face à des problèmes structurels, vous répondez encore et toujours par des mesures prises dans l’urgence – pour ne pas dire dans la précipitation – en fixant des objectifs de court terme.
Je souhaite centrer mes interrogations sur les mesures qui ont établi une majoration SNP (soins non programmés) pour les actes effectués par les médecins généralistes après régulation. Ce type de consultation – comme vous l’avez évoqué – est soumis à un supplément de 15 euros. Malheureusement, selon MG France, le cadre de cette régulation inclut les actes effectués par SOS Médecins, mais apparemment pas ceux des CPTS, ce qui est incompréhensible ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. Nous avons souhaité encourager cet été les médecins libéraux à prendre leur part dans la prise en charge des soins non programmés.
Pour cela, nous avons suivi la recommandation, issue de la mission flash sur les urgences et les soins non programmés, de créer une majoration en attribuant à titre dérogatoire et temporaire un supplément de 15 euros pour tout acte effectué par un médecin libéral à la demande de la régulation du Samu et du SAS pour un patient qui ne fait pas partie de sa patientèle habituelle.
Cette majoration n’a été utilisée que par 4 % des généralistes libéraux, sur un total d’environ 50 000 actes. Beaucoup de médecins généralistes nous ont cependant signalé qu’ils prenaient en charge des soins non programmés sans que ceux-ci soient nécessairement orientés par le Samu ou les SAS.
Nous sommes en train d’analyser ces données pour déterminer le meilleur schéma de financement des soins non programmés.
Je tiens à mettre en avant la mobilisation des médecins libéraux cet été. Dans beaucoup de territoires, ils ont monté des organisations pour permettre la prise en charge, de manière temporaire, des soins non programmés, afin de soutenir le système hospitalier particulièrement en tension. Cela a très bien fonctionné.
Mme le président. La parole est à M. Olivier Henno. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Olivier Henno. Madame la ministre, lorsque nous abordons le sujet des urgences hospitalières et des soins non programmés, une question vient à l’esprit : comment en sommes-nous arrivés là ?
Au-delà du constat, il nous faut apporter des réponses au problème autour duquel nous tournons, à savoir le temps médical disponible.
Cela relève pourtant de l’évidence : le temps médical disponible assurera la « bientraitance » des patients et permettra que les personnels soignants retrouvent ce qui fonde leur dévouement : apporter des soins dans des conditions dignes.
Les dernières politiques publiques visent à redonner du temps médical. Le bouquet de solutions est de plus en plus large, mais, dans le même temps, l’accès aux médecins généralistes est de plus en plus difficile sur nos territoires, a fortiori les soirs et les week-ends, notamment en province, où grandit un sentiment d’abandon face au droit fondamental à l’accès à la santé pour tous.
Dans son bilan de l’année 2021, le Conseil national de l’ordre des médecins précisait que « le taux de participation global des médecins généralistes à la permanence des soins ambulatoires […] est » – malheureusement ! – « reparti à la baisse ». Il constate ainsi que « 36 % des territoires de permanence de soins sont couverts par moins de 10 médecins volontaires » et « 20 % des territoires de permanence de soins sont couverts par moins de 5 médecins volontaires ». Cela est grave !
Pas loin de chez moi, nos amis belges ont mis en place une permanence de médecine générale sur le même site que leur service d’accueil des urgences, avec un accès unique et un triage commun. Ainsi, les urgences traitent des urgences et les médecins généralistes traitent de ce qui est de leur compétence, à savoir le suivi médical.
Face à l’urgence, chacun doit prendre sa part. La méthode que je viens de citer, madame la ministre, pourrait être bénéfique. La santé des Français en dépend.
Par conséquent, ma question est la suivante : le Gouvernement entend-il soutenir l’ouverture de ce type d’unités, dont les équipes seraient constituées de médecins généralistes volontaires, voire réinstaurer l’obligation de garde des médecins généralistes pour assurer l’efficience de ces structures ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. Nous avons assurément à nous inspirer des bonnes pratiques mises en œuvre dans les pays voisins, notamment en Belgique. Les services des urgences en Wallonie reposent souvent sur un modèle d’accueil par une infirmière dont les fonctions sont assez proches du dispositif de l’infirmier organisateur de l’accueil, déployé en France.
La régulation des appels d’urgence en Belgique ne comprend pas de régulation médicale comme en France ; je crois que, sur ce point, nous devons garder la plus-value du système français, lequel associe les opérateurs dédiés, les assistants de régulation médicale et des médecins présents dans les centres de régulation.
Nos voisins belges sont malheureusement confrontés aux mêmes problèmes que les nôtres, rencontrant les mêmes difficultés à recruter dans les hôpitaux et faisant face à des taux d’absentéisme élevés. Le gouvernement fédéral a adopté des mesures, au mois de juillet 2022, destinées à contrer le manque de personnel soignant dans les hôpitaux, en favorisant la reprise d’activité de soignants retraités.
De même, le ministre fédéral des affaires sociales et de la santé publique de Belgique a annoncé au mois de juin 2022 un new deal visant à réformer l’organisation de la médecine générale en Belgique, partant du constat du nombre insuffisant de médecins généralistes et, dès lors, de la nécessité d’améliorer l’accessibilité à l’égard des patients.
Par conséquent, les difficultés que nous rencontrons ne nous sont pas propres : nos voisins européens connaissent les mêmes. En recherchant les bonnes initiatives dans nos territoires ou chez nos voisins, nous pourrons construire ensemble des solutions durables.
Quant à la problématique de la permanence des soins, nous sommes conscients des enjeux. Le ministère abordera ce sujet avec les médecins lors des négociations de la prochaine convention médicale en mettant sur la table la question de la responsabilité commune. C’est ensemble que nous trouverons des solutions.
Mme le président. La parole est à Mme Florence Lassarade. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Florence Lassarade. Madame la ministre, dans un contexte de démographie médicale tendue, notre système de santé connaît de fortes tensions qui frappent notamment les services d’urgences. Ma question portera sur la crise des urgences en Gironde.
Au sud du département, les urgences vitales dépendent d’une seule équipe : celle des urgences mêmes et du Smur du site de Langon du Centre hospitalier Sud Gironde.
Pendant toute la période estivale, ce service a assuré ses missions, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, sans fermer ses portes. Une fois de plus, le service d’urgences a tenu grâce aux professionnels de santé, malgré des conditions d’exercice très difficiles.
Cet investissement est lié à une équipe d’urgentistes fidèle à l’esprit hospitalier, investie dans le système depuis plusieurs années. Les internes du service y sont encadrés dans leurs apprentissages. Le stage aux urgences du site de Langon est plébiscité par les internes de Gironde.
Pour motiver les jeunes internes urgentistes à intégrer cet hôpital de périphérie, un plan d’accompagnement hospitalier a été élaboré. L’objectif est de leur faire découvrir une médecine polyvalente, exigeante et difficile sur un vaste territoire, une médecine cependant riche et intéressante, permettant de se sentir porté par une solidarité d’équipe.
Or, ces jeunes spécialistes de la médecine d’urgence qui ont pourtant apprécié venir travailler à Langon se tournent ensuite vers les centres hospitaliers voisins qui proposent des contrats très lucratifs sur le long terme.
Madame la ministre, la situation du service des urgences de l’hôpital de Langon n’est pas un cas isolé. Il ne faudrait pas en arriver à la situation des urgences d’Arès, sur le bassin d’Arcachon, qui viennent de fermer leurs portes pour un mois, faute de médecins !
Aussi, madame la ministre, envisagez-vous une valorisation des gardes des urgentistes à la hauteur de l’engagement fourni et de leur activité à très haute responsabilité, afin de maintenir et de consolider les services d’urgences dans les territoires périphériques ? Quelles sont vos propositions pour lutter contre le recours massif à l’intérim, dont le coût est prohibitif ?
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. Madame la sénatrice, comme vous l’indiquez, le service des urgences de Langon a continué à assurer ses missions 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 sans fermer ses portes. Il faut en premier lieu saluer l’engagement des soignants de cet établissement pour le faire fonctionner.
Au sujet de la concurrence des rémunérations, l’ARS Nouvelle-Aquitaine a analysé la situation, notamment après avoir pris connaissance des départs vers l’hôpital de Marmande. Il ressort que cet hôpital ne pratique pas des conditions statutaires ou de rémunération dérogatoires à la réglementation.
J’en profite pour souligner le rôle remarquable cet été du centre hospitalier de Sud Gironde pour venir en appui des évacuations de population dans le cadre des incendies massifs du département.
L’enjeu de la rémunération et de la valorisation des gardes est bien sûr un des facteurs de reconnaissance. À ce titre, les recommandations de la mission flash sur les urgences et les soins non programmés permettent de reconnaître pour la première fois la pénibilité du travail de nuit, en mettant notamment en place pour trois mois un doublement des indemnités de sujétion en raison du travail nocturne pour les personnels paramédicaux, et une majoration de 50 % applicable aux personnels médicaux.
De manière plus globale, le ministre de la santé et de la prévention a annoncé hier, lors du lancement du volet « Santé » du CNR, l’ouverture d’un chantier au niveau national pour mieux vivre à l’hôpital. Il aura vocation à aborder ces sujets relatifs aux conditions de travail.
Créons les conditions pour que les soignants actuellement en exercice retrouvent le sens de leur engagement, pour que les jeunes se sentent accueillis dès la première heure de leurs études en santé, dès le premier jour de leur stage, afin qu’ils aient envie de rejoindre les établissements de santé, et que les plus expérimentés aient envie d’y rester.
Je reviendrai à présent sur la lutte contre les dérives de l’intérim, qui est un sujet majeur. Face à de telles pratiques, le risque est grand que se fissure profondément l’esprit d’équipe dans nos hôpitaux.
La députée Stéphanie Rist a fait adopter, par la loi du 26 avril 2021 visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification, l’encadrement des rémunérations : il est temps de la mettre en application. Le ministre de la santé a annoncé un calendrier : à compter du printemps 2023, il ne sera plus possible de payer démesurément un intérimaire. D’ici cette échéance, les situations à risque devront être identifiées dans les territoires, avec le concours des ARS.
Parce que les hôpitaux nous le demandent également, il ne sera plus possible à la sortie de sa formation de soignants de démarrer son exercice professionnel par de l’intérim. Il s’agit de l’une des mesures inscrites dans le PLFSS pour l’année 2023.
Mme le président. La parole est à M. Jean-Luc Fichet. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Jean-Luc Fichet. Madame la ministre, le pire a été évité grâce à l’investissement exceptionnel des soignants, mais notre système de santé est à bout de souffle.
Les personnels n’ont pas d’espoir d’amélioration de leurs conditions de travail. Il est à craindre que l’hémorragie de démissions à l’hôpital continue, ce qui entraînerait encore des fermetures de lits et de services.
À Morlaix, par exemple, entre arrêts de travail et postes non pourvus, ce sont les gardes et les remplacements qui sont difficilement assurés, et ce malgré la surmajoration des heures supplémentaires.
En oncologie, des chimiothérapies sont pratiquées dans les couloirs ; les services sont embolisés ; les patients demeurent aux urgences : le retour à domicile est compromis face au manque d’ambulanciers.
Malgré cela, l’ARS Bretagne déclare, le 21 septembre 2022, dans un grand quotidien, que « l’été s’est globalement bien passé »: quel mépris, quel déni de la réalité !
Six millions de Français n’ont pas accès à un médecin traitant ; 15 000 personnes dans le Finistère n’ont pas de médecin référent. Dès lors, l’hôpital absorbe de plus en plus de soins non programmés ; pourtant, une baisse du nombre des médecins généralistes est annoncée jusqu’en 2030.
Le système de santé dans son ensemble est à revoir. Depuis la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dite loi HPST, nous alertons sans cesse sur la disparition de l’offre de soins dans les territoires. Nous proposons en vain des solutions qui devront nécessairement être coercitives, pour que l’offre de soins hospitaliers et de médecine de ville soit au plus près des besoins réels.
Il ne doit plus y avoir de place pour les « mercenaires » de la médecine – comme les appelait Mme Buzyn – qui mettent à mal les budgets des petits hôpitaux du fait de leurs exigences financières exorbitantes.
Madame la ministre, il y a urgence : quelles décisions pensez-vous prendre immédiatement pour les Françaises et les Français qui n’ont plus accès aux soins médicaux ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. Si le ministère dont j’ai l’honneur d’avoir la charge s’intitule ministère de l’organisation territoriale et des professions de santé, c’est bien parce que le Président de la République et la Première ministre, après ces quatre mois de campagne, ont pris conscience, comme tout le monde ici, de l’urgence à agir. (Protestations sur les travées du groupe CRCE.)
Pourquoi une urgence ? Parce que les décisions prises lors du dernier quinquennat sont des mesures de temps long et qu’elles ne produisent pas encore l’effet escompté.
Pourquoi une urgence ? Parce qu’après deux ans de crise sanitaire, nous avons des personnels soignants qui sont épuisés.
Pourquoi une urgence ? Parce que nous vivons un phénomène sociétal. Les nouveaux entrants sur le marché du travail, les nouveaux médecins, ne souhaitent plus travailler comme leurs prédécesseurs : actuellement, un médecin qui part à la retraite doit être remplacé par trois autres !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Vous racontez des conneries !
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Je ne pense pas raconter de conneries, madame la sénatrice. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Laurent Burgoa. On n’est pas à l’Assemblée nationale, ici !
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Nous sommes vraiment dans une situation où l’urgence à agir est là.
Nous travaillons depuis le mois de juillet avec les collectivités territoriales, les professionnels de santé ; quant au CNR, il n’est pas chargé d’établir un énième diagnostic. Nous proposons déjà dans le PLFSS des mesures.
J’insiste : il est urgent de travailler ensemble pour permettre à nos personnels, sur les territoires, de répondre aux besoins de soins de nos concitoyens. Malgré la suppression du numerus clausus, il faut compter dix ans pour former un nouveau médecin.
Mme Laurence Cohen. Il faut aussi des moyens pour l’université !
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Nous abordons avec les professionnels tous les sujets, notamment l’évolution des formations : laissez-nous encore quelques mois pour pouvoir y répondre. Ce n’est pas le ministère de la santé seul qui édictera des mesures qui s’appliqueront sur les territoires : elles devront s’adapter à chacun d’entre eux, et nous devons faire œuvre collective. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à M. Jean-Luc Fichet, pour la réplique.
M. Jean-Luc Fichet. Je vous remercie de votre réponse, madame la ministre. Pensez aux élus locaux, tous les jours sollicités face à des administrés qui ne reçoivent pas de réponses à leurs questions.
Je m’occupe de ces sujets depuis dix ans ; je peux vous dire que les réponses sont toujours les mêmes, à savoir des augmentations salariales, des stages, mais jamais de vraies réponses dans les territoires où des administrés ne disposent plus actuellement de médecins.
La situation est extrêmement grave ; il y a urgence à apporter immédiatement de vraies réponses. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)
Mme le président. La parole est à M. Jean Sol. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean Sol. « J’ai mal, j’ai mal, j’ai mal. J’ai 90 ans, j’ai mal ; j’attends au fond d’un couloir depuis vingt-quatre heures sur un brancard inconfortable que l’on vienne me prendre en charge.
« J’ai mal, mal de savoir que ma grand-mère, mon père, ma femme ou mon enfant souffrent, et d’attendre interminablement des nouvelles les concernant.
« J’ai mal de ne pas pouvoir gérer l’afflux de patients au risque d’entraîner une perte de chances de survie, mal de voir mon serment d’Hippocrate bafoué par le poids des normes, par la charge administrative et le manque de moyens humains. »
Comme vous le savez, madame la ministre, nos services d’accueil des urgences, véritables vitrines des établissements, sont en souffrance. Toute une chaîne d’hommes et de femmes en pâtit, alors que l’accueil, la qualité et la sécurité de la prise en charge devraient naturellement s’imposer à tous.
Cependant, nous ne voyons pas dans nos territoires d’améliorations significatives : je le regrette. Les prévisions démographiques en matière de vieillissement ne rassurent pas : flux à prendre en charge dans un contexte de désertification médicale, médecine de ville essoufflée, dégradation des conditions de travail.
Cet été, le président du Samu-Urgences de France nous a rappelé que le Smur et le Samu Centre 15 étaient aussi en grande difficulté de fonctionnement. Le nombre de prises en charge aux urgences a doublé en vingt ans, passant de dix à vingt millions.
J’interrogeais ici même Mme Buzyn en 2018 sur l’ensemble de ces préoccupations : à l’heure actuelle, les mêmes problèmes remontent, non seulement du terrain, mais aussi des enquêtes. En effet, le Samu-Urgences de France pointait récemment l’insuffisance de lits d’avals et de soins de suite et de réadaptation (SSR), la fermeture de certains services d’urgences ou les inquiétants départs en masse de nos soignants.
Alors, madame la ministre, qu’allez-vous faire pour éviter la fuite de nos personnels, épuisés depuis la crise sanitaire, pendant laquelle ils ont tout donné ? Qu’allez-vous faire pour lutter contre la désertification médicale, qui aggrave l’engorgement aux urgences ?
Mme le président. Il faut conclure.
M. Jean Sol. Qu’allez-vous faire pour mettre enfin en adéquation les rémunérations avec les niveaux de formation et les diplômes de nos personnels soignants ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, SER et CRCE.)
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. Nous avons tous mal à notre système de santé. Voilà pourquoi nous travaillons, voilà pourquoi nous allons devoir avancer tous ensemble.
Dans le cadre du volet « Santé » du CNR, je l’ai déjà dit, le groupe de travail « Mieux vivre à l’hôpital » interroge clairement les modalités d’accompagnement de nos personnels soignants, l’attractivité des métiers, afin de leur redonner du sens.
Deux ans de crise sanitaire ont accéléré les défaillances du système. Au risque de me répéter et de vous répéter : former un médecin prend dix ans ; or, cela fait deux ans que nous avons supprimé le numerus clausus…
En attendant, que faisons-nous pour répondre aux besoins de santé de nos concitoyens ? Il nous faut dégager du temps médical : tel est le sens des mesures qui sont prises, notamment le déploiement des assistants médicaux.
Il nous faut améliorer les processus de coopération entre tous les professionnels : nous œuvrons en ce sens, notamment dans le cadre des CPTS.
Il nous faut réenchanter tous les métiers de la santé et les rendre attractifs : tel est le sens du chantier que nous allons ouvrir au ministère sur les formations, initiales comme continues…
Mme Laurence Cohen. Nous demandons des moyens !
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. … de toutes les professions, et non pas uniquement de celle de médecin généraliste.
Nous le savons tous : notre système de santé ne va pas bien. L’origine du problème ne date pas de 2022. Il s’agit peut-être de la conséquence d’une faillite collective, remontant à plusieurs années.
Il faut que ministère et élus se retrouvent tous ensemble ; l’intitulé de mon ministère mentionne à cette fin l’organisation territoriale : élus, professionnels, usagers, ensemble nous réglerons les problèmes en nous organisant de façon territoriale ; nous apporterons des réponses, territoire par territoire.
Mme le président. La parole est à M. Bruno Belin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Belin. Madame la ministre, par votre expérience et votre engagement, vous connaissez la réalité des souffrances et du désespoir dans nos urgences ; vous connaissez également les attentes, les peines.
Vous connaissez aussi la réalité des lits fermés ; rien qu’au CHU de Poitiers, dans le département où je suis élu, 271 lits ont été perdus cet été. À un moment donné, il faudra que vous nous disiez la réalité du nombre de lits perdus depuis quelques années…
Vous connaissez le désespoir des territoires qui se sentent abandonnés, des hôpitaux de proximité où règne l’impression que les politiques de santé sont désertées. Pardon de prendre les exemples que je connais le moins mal : dans le département de la Vienne, à Loudun ou Montmorillon, il n’y a plus de services d’urgence.
La différence entre urgences ou soins non programmés est compliquée quand quelqu’un vient, en souffrance, un dimanche… Il attend une réponse ; dans ces territoires-là, il n’y en a pas. Nous faisons face à cette aberration !
Ma question est simple : elle tient en cinq mots. Quelle est votre stratégie territoriale ?
Que comptez-vous faire sur ces territoires que vous avez oubliés ? Comment allez-vous leur répondre, à la suite de la mission flash ? Suivant quel calendrier ? À vous de nous indiquer votre stratégie ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit également.)
M. Pierre Ouzoulias. Le Conseil national de la refondation ! (Rires sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. L’agence régionale de santé de Nouvelle-Aquitaine tient, en lien avec la préfecture de la Vienne, des réunions territoriales hebdomadaires pour assurer un suivi resserré des tensions hospitalières rencontrées par le CHU. Ces tensions engendrent une diminution des effectifs de l’équipe territoriale d’urgences, qui fonctionne sur les quatre sites.
Le CHU de Poitiers, je le souligne, se mobilise particulièrement dans la recherche de professionnels de santé. Les urgences de Loudun et de Montmorillon, que vous avez citées, font l’objet d’un suivi et d’une vigilance toute particulière pour limiter au maximum les gardes non couvertes et organiser un accès régulé des patients. Sur les deux sites, l’accueil des patients est organisé de la manière suivante : lorsque les gardes ne peuvent être couvertes, la régulation est assurée par le Centre 15 ; la population est informée de la nécessité de ne pas se rendre aux urgences, mais d’appeler le 15. Sur site, si une personne se présente, un accueil est organisé par une infirmière qui sollicite le Centre 15 pour déterminer la réorientation à effectuer,…
M. Laurent Burgoa. Quelle est votre stratégie ?
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. … que ce soit une orientation vers Poitiers ou vers une autre structure hospitalière, un renvoi vers le médecin traitant ou la programmation d’une consultation le lendemain.
Pour répondre précisément à votre question, cher ancien confrère (Exclamations sur les travées du groupe CRCE.), je souhaite vous dire que j’étais dimanche face aux maires ruraux : les territoires ne sont pas oubliés. Je le redis : si le ministère dont j’ai l’honneur d’avoir la charge porte une telle titulature, c’est bien parce que la conscience est prise que les solutions ne se décréteront pas uniquement de l’avenue Duquesne pour être immédiatement appliquées dans les territoires.
Répondre aux questions et trouver les solutions face aux besoins de santé se fera avec les élus, avec les territoires, avec les collectivités et avec les professionnels de santé. La solution qui serait valable dans votre commune ne serait pas valable au Havre, à Montpellier ou à Marseille. Les problématiques sont différentes, les situations sont différentes : notre travail, qui a déjà commencé, se décline territoire par territoire.
Tel est le sens de nos déplacements, le ministre Braun et moi-même, dans vos territoires, afin de venir à votre rencontre. Il s’agit de voir quelles sont les solutions qui fonctionnent, et celles qui ne fonctionnent pas, pour comprendre pourquoi.
Mme Laurence Cohen. Le diagnostic, nous le connaissons depuis longtemps !
Mme le président. La parole est à M. Bruno Belin, pour la réplique.
M. Bruno Belin. Madame la ministre, ma chère consœur, faites de ces hôpitaux de proximité une chance et une priorité. Leur ressenti est d’être victime d’un délestage ; or, réorienter les patients vers tel CHU est, vous-même l’avez dit, un non-sens.
Il s’agit d’un non-sens écologique : nous menons une stratégie bas carbone et nous mettons les gens sur les routes, bloquant des pompiers !
Il s’agit d’un non-sens territorial : nous avons des coquilles vides dans des hôpitaux de proximité.
Il s’agit d’un non-sens, surtout, en matière de santé : la perte de temps, c’est de la perte de chances. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mmes Amel Gacquerre, Victoire Jasmin et Émilienne Poumirol applaudissent également.)
Mme Laurence Cohen. Bravo !
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Entre anciens confrères, monsieur le sénateur, sachez que l’enjeu des hôpitaux de proximité et des hôpitaux périphériques est pour moi essentiel. L’enjeu des formations et de l’évolution des formations – je vous l’ai dit – est primordial.
Nous réussirons si nous pouvons faire en sorte que nos internes qui se forment ne fassent pas tout leur stage dans les CHU. Il faut qu’ils puissent aller le mener dans les hôpitaux périphériques et dans les hôpitaux de proximité. Nous travaillons actuellement là-dessus ; ce n’est pas facile de tout vous expliquer.
Ce chantier est ouvert : mettons les internes dans les hôpitaux de proximité et dans les hôpitaux de périphérie. Un bon nombre d’entre eux pourront après s’y installer ; nous éviterons ainsi les écueils qui ont été soulevés.
Mme le président. La parole est à M. Bruno Belin.
M. Bruno Belin. Chiche, madame la ministre ! Je vous attends dans les territoires ruraux dont vous venez de parler ! Je veux bien qu’on fasse des stages : mais il faut encore qu’il y ait des maîtres de stage !
Mme Victoire Jasmin. Voilà !
M. Bruno Belin. Il faut encore qu’il y ait des médecins pour former ! L’apprentissage ne se fera pas en cyber…
Je vous attends dans les meilleurs délais au sein des territoires ruraux, dans les hôpitaux de proximité, pour que vous veniez voir la réalité.
Mme le président. La parole est à Mme Sylviane Noël.
Mme Sylviane Noël. Madame la ministre, avec plus de 20 millions de passages par an, les services d’urgences de nos hôpitaux sont engorgés au plus haut point, confrontés à un double effet ciseaux : d’une part, la pénurie de soignants, plus grave que jamais, d’autre part, une forte augmentation du recours aux urgences pour nos compatriotes.
En effet, pour des millions de Français, le recours aux urgences est une absolue nécessité, faute de pouvoir bénéficier des services d’un médecin traitant. La médecine de ville ne semble plus, désormais, en capacité de remplir de façon efficiente son rôle de soins de premier recours, souffrant d’un maillage déséquilibré et incomplet de l’ensemble du territoire.
Face à cette situation préoccupante, j’aurais souhaité vous entendre au sujet d’autres propositions. D’une part, que pensez-vous d’une participation plus large des médecins libéraux à la permanence des soins, via les CPTS, puisque cette permanence repose essentiellement, à l’heure actuelle, sur les hôpitaux, s’agissant des week-ends et des jours fériés ? D’autre part, une réforme de la libre installation des médecins généralistes fait-elle partie des pistes envisagées par le Gouvernement pour tenter de lutter contre les déserts médicaux et remédier à l’inégale répartition des médecins généralistes ?
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. Cela a été dit à plusieurs reprises, nous devons améliorer la situation de la permanence des soins, laquelle est une mission de service public, qui doit être assurée partout sur le territoire. Nous souhaitons placer les médecins en situation de responsabilité collective sur la question de la permanence des soins.
Deux solutions se présentent à nous : soit les professionnels de santé s’organisent par eux-mêmes et remplissent le tableau de garde selon leurs contraintes – la CPTS peut être le bon échelon pour ce faire –, soit c’est à l’État, en cas de non-couverture, de prévoir une organisation idoine pour assurer aux Françaises et aux Français l’accès à des soins non programmés en soirée ou le week-end. À cet égard, le code de la santé publique permet déjà de réquisitionner des médecins en cas de défaillance.
Beaucoup demandent à revenir sur la libre installation. On nous oppose régulièrement que les enseignants, par exemple, sont bien contraints de se rendre partout sur le territoire. Il me semble toutefois que cette comparaison ne fonctionne pas. Par ailleurs, je ne crois pas à l’efficacité de l’obligation. Notre objectif est d’inciter plus fermement, et idéalement de convaincre. Nos territoires sous-dotés méritent de voir des médecins s’y installer volontairement et s’y investir.
Oui, nous devons travailler à d’autres modalités d’installation des médecins sur le territoire. Nous avons d’ailleurs prévu d’insérer dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale un nouveau dispositif simplifié en matière d’aide à l’installation, élaboré en concertation avec les représentants des élus locaux, des professionnels de santé et des administrations dans le cadre d’un comité local. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Véronique Guillotin applaudit également.)
Mme le président. La parole est à Mme Sylviane Noël, pour la réplique.
Mme Sylviane Noël. Merci de votre réponse, madame la ministre.
J’aimerais aborder à présent la seconde partie de mon intervention, qui concerne la pénurie de soignants, dont les causes sont diverses, nombreuses et anciennes. Les réponses à cette problématique sont également complexes et multiples.
Il m’est cependant impossible de ne pas profiter de ce temps de parole pour vous sensibiliser de nouveau sur la réintégration des milliers de soignants et pompiers suspendus ou interdits d’exercice depuis plus d’un an dans notre pays. Cette situation n’est plus tenable !
La quasi-totalité des pays ont abandonné cette mesure. Vous laissez même aujourd’hui aux soignants le libre choix de recourir au nouveau vaccin contre la covid-19. Dans ces circonstances, le maintien de cette mesure est incompréhensible et semble relever davantage de la punition et de l’obstination que de la justification sanitaire.
Notre système de santé est à l’agonie : nous ne pouvons plus nous passer du moindre soignant. Ma question est simple : quand envisagez-vous de lever cette mesure, …
Mme le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Sylviane Noël. … qui engendre encore davantage de dysfonctionnements et d’engorgement ? (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. Madame Noël, je vous rappelle que la réplique est censée vous permettre de rebondir sur la réponse du Gouvernement, non de poser une seconde question.
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Je veux dire à celles et à ceux qui pensent que la réintégration des soignants constituerait la réponse miracle aux problèmes d’effectifs de l’hôpital qu’ils se trompent.
Que les choses soient claires : cette question ne concerne que quelques centaines de personnes, qui ont refusé de se protéger pour protéger les autres, sur plus de 300 000 soignants.
Je préfère retenir le sens citoyen et l’éthique des professionnels de santé au contact des Français les plus fragiles. Il faut rendre hommage à tous les professionnels mobilisés, qui ont accompli leur devoir avec courage.
Les avis du conseil scientifique et de la Haute Autorité de santé qui ont été rendus sont favorables au maintien de l’obligation de vaccination contre le covid-19 des personnels exerçant dans les établissements de santé et médico-sociaux. Nous avons toujours géré cette crise en nous basant sur les recommandations des scientifiques ; nous n’allons pas y déroger aujourd’hui.
Mme le président. La parole est à Mme Sylviane Noël.
Mme Sylviane Noël. Rassurez-vous, madame la présidente, je ne poserai pas de troisième question. (Sourires.)
Madame la ministre, je ne peux que me désoler de cette obstination, qui finit par nous conduire dans le mur. Encore aujourd’hui, des étudiants en médecine sont suspendus. Cette situation ne nous permet pas d’aborder dignement les enjeux de l’hôpital en termes d’effectifs et donne encore un argument, par exemple, aux nombreux soignants de Haute-Savoie qui choisissent d’exercer en Suisse, où l’obligation vaccinale a été levée.
J’aimerais que l’on m’explique le sens du maintien de cette mesure. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à M. Laurent Somon. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Laurent Somon. Madame la présidente, madame la ministre, la situation de notre système de santé n’a jamais été aussi préoccupante, avec de nombreuses fermetures de lits, notamment dans les urgences des Hauts-de-France.
Deux raisons ressortent des différents constats, rapports ou missions. La première concerne le déficit d’attractivité des carrières médicales hospitalières, en dépit de la réforme du statut unique. En effet, l’équité de temps et de rémunération au sein d’un même service n’est toujours pas une réalité. Demi-journée de travail, temps continu, seuil du statut unique, plages additionnelles, activité mixte et activité libérale intrahospitalière, recours à l’intérim sont autant d’occasions, pour un même service, de faire cohabiter des rémunérations disparates et d’aggraver les tensions.
Or c’est le sentiment d’appartenance à une équipe médicale solidaire qui peut faire accepter les difficultés inhérentes à la profession. Dans les Hauts-de-France, les effectifs partent vers la Belgique ou le Luxembourg. Que comptez-vous mettre en place pour redonner du sens à l’action de ces professionnels ?
La seconde raison concerne la gestion des flux des urgences, question inhérente à la pénibilité et au sens de l’activité. Comment le Gouvernement permet-il le décloisonnement entre la médecine de ville et l’hôpital général, avec l’objectif de fluidifier le parcours de soins des Français et de désengorger les urgences ? À côté des grands CHU, les hôpitaux de proximité, comme cela a déjà été dit, et la médecine de ville doivent être organisés pour assurer le même service à une patientèle de l’urgence en milieu rural ou sans ressource.
Ce qui est possible aux urgences, comme le tiers payant, doit aussi être vrai et facilité en première ligne. Quel dispositif d’implantation des praticiens en ville prévoyez-vous ?
En l’état actuel, les personnels qui ont quitté le secteur de la santé ne sont pas près d’y revenir. Allons-nous pouvoir arrêter l’hémorragie en réactivant la médecine de ville, avec le retour des gardes et le soutien aux installations obligatoires – ou pas – en ville, y compris pour les Ehpad, les services d’urgence restreignant l’accès des patients, faute de personnel, comme dans la Somme ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. La réforme du statut unique cherchait bien à atteindre l’objectif que vous décrivez pour amener davantage de cohésion au sein d’un même service.
Pour autant, les conditions d’exercice et les sujétions demeurent hétérogènes. Il est nécessaire de pouvoir reconnaître les situations individuelles.
De même, le recours à des professionnels de santé libéraux vise à renforcer des équipes confrontées à de fortes difficultés de recrutement. Les professionnels de santé qui sont ainsi intervenus dans les établissements ont conservé, en parallèle, les charges de leur cabinet et de leur activité hospitalière. Pour favoriser leur engagement, il était justifié de pouvoir les indemniser de manière appropriée.
En ce qui concerne l’intérim, nous avons tracé un chemin. Nous allons appliquer la loi visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification, dite loi Rist, d’ici au printemps 2023, et encadrer la rémunération. De même, comme je l’ai déjà souligné, il ne sera plus possible, à la sortie de sa formation de soignant, de démarrer son exercice professionnel en intérim. Cette mesure figurera dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023.
Vous avez raison, monsieur le sénateur : une partie du flux des urgences peut être prise en charge si l’on fluidifie la réponse aux soins non programmés en ville. Tel est l’objet du service d’accès aux soins, qui se déploie progressivement sur le territoire national. Nous devons en accélérer la mise en place. Ce service a vocation à aider les citoyens à s’orienter au sein de notre système de santé pour obtenir la réponse la plus adaptée à son besoin de santé.
Pour compléter ce schéma, nous devons mieux partager la réponse aux soins non programmés entre l’ensemble des professionnels de santé. C’est la logique des transferts de compétences. Les ordres professionnels, qui sont en train de travailler sur ces sujets, doivent nous faire part très rapidement de leurs propositions.
Ce n’est que collectivement, avec les médecins, les infirmiers, les pharmaciens, les kinésithérapeutes et les autres professionnels, que nous pourrons contribuer à mieux répondre aux soins non programmés.
Conclusion du débat
Mme le président. En conclusion du débat, la parole est à Mme Catherine Deroche, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Catherine Deroche, pour le groupe Les Républicains. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, notre groupe Les Républicains a choisi d’inscrire ce débat sur les urgences hospitalières et les soins non programmés à l’ouverture de cette nouvelle session, ce dont je me félicite.
Après avoir décidé de la création d’une commission d’enquête sur l’hôpital, que j’ai rapportée au début de cette année, cela montre bien la volonté du Sénat, au-delà du travail de la commission des affaires sociales, de ne jamais relâcher l’attention portée à notre système de santé. René-Paul Savary l’a souligné en introduction : et la ville et l’hôpital traversent une crise profonde et les réponses doivent être rapides.
Comme plusieurs de nos collègues l’ont rappelé, ce débat vient après un été que nous redoutions pour les services d’urgences à l’hôpital, au cours duquel un risque de « rupture d’accès aux soins » était avancé par de nombreux professionnels de santé. Si la situation a bien été difficile, ce qui a conduit de grands établissements hospitaliers à des mesures de régulation stricte de l’accès à leurs services, l’hôpital, une nouvelle fois, a « tenu ».
Certes, il a tenu, mais à quel prix ? Ce que nous voyons, c’est une succession ininterrompue de périodes de tensions sur différents secteurs hospitaliers. Ce que nous voyons, c’est la survenue continue de crises dans les crises : à l’été, sur les urgences hospitalières et les maternités ; aujourd’hui, sur les réanimations pédiatriques en Île-de-France, et ce alors que la crise du covid-19, dont on ne parle presque plus, a toujours un impact sensible sur l’hôpital.
Quelles conséquences ? Des risques immédiats pour la sécurité des patients dans leur prise en charge, des soins parfois assurés sur un mode dégradé, des retards d’accès aux soins et donc des pertes de chance. Mais surtout, à moyen terme comme à court terme, des conséquences majeures sur l’état de l’hôpital et la situation des soignants. Car ces crises successives ne font que renforcer l’épuisement des équipes, appelées à se mobiliser toujours plus. Elles ne font que renforcer les départs de médecins et d’infirmiers et fragilisent donc encore notre système. L’hôpital a tenu, mais jusqu’à quand ?
Je voudrais, en conclusion de mon intervention, me concentrer sur l’avenir.
Madame la ministre, votre ministre de tutelle est aussi l’auteur d’un rapport, celui de la mission flash sur les urgences et les soins non programmés, qui devait nous permettre, selon l’expression du moment, de « sauver l’été » à travers quarante et une mesures, dont la mise en œuvre inégale s’est surtout faite par voie réglementaire, même quand ces mesures relevaient du domaine de la loi.
Force est de constater, à la fin de cet été, que nous peinons à trouver dans votre feuille de route des mesures pour prendre le relais de ces « mesures d’urgence ». La régulation de l’accès aux urgences via le 15 sera-t-elle, par exemple, généralisée et pérennisée ? Quel sera le tarif durable des consultations de médecine générale le soir et le week-end ?
J’entends bien que la convention médicale, qui doit être négociée, sera l’occasion de discuter des conditions de revalorisation de la permanence des soins ambulatoires. Une négociation longue, pilotée par l’assurance maladie, et qui échappe pour partie au Gouvernement, mais surtout au Parlement, qui ne peut en prescrire le cadrage.
J’entends que, désormais, nous sommes aussi suspendus à de nouvelles concertations : conférence des parties prenantes, Conseil national de la refondation avec un volet « CNR Santé »… Encore des discussions, dont les soignants sont fatigués, pour des conclusions dont on peine à attendre une originalité quelconque. On concerte, on concerte, et pendant ce temps, on n’agit pas.
Et puis, soyons lucides : pendant qu’on se concerte, on ne parle pas de financement. Or il y a bien un enjeu financier, madame la ministre, qui n’a pas non plus été traité : le Parlement, qui a pourtant le droit de le savoir, ignore encore combien ont coûté les mesures d’urgence du « plan Braun » de cet été ? Bien évidemment, et comme il est courant de répondre en de telles circonstances, « nous ne regardons pas à la dépense quand il s’agit de la santé des Français »…
Mais alors que nous allons examiner, le mois prochain, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023, il est aussi de notre rôle de parlementaires de vérifier que les moyens alloués à la politique de santé sont bien en adéquation avec les besoins. Et alors que la loi de programmation des finances publiques prévoit une modération de la progression de l’Ondam inférieure à la croissance du PIB à l’horizon 2027, il y a matière à s’interroger.
Par ailleurs, après cet été, je constate aussi qu’aucune mesure relative aux urgences ou aux soins non programmés ne figure au PLFSS pour 2023. À croire qu’aucune des mesures visant à renforcer la prise en charge en ville, la structuration de maisons médicales de garde, les téléconsultations ou l’orientation des patients ne serait d’ordre législatif ou n’aurait d’impact financier…
L’article L. 3131-1 du code de la santé publique ne saurait être le véhicule commode de votre action. Je vous invite plus que vivement à inscrire, à l’occasion de l’examen du texte en séance, les mesures législatives prenant acte de vos mesures dérogatoires.
Madame la ministre, nous avions intitulé le rapport de la commission d’enquête sur l’hôpital « sortir des urgences ». Nous revendiquions, au Sénat, non pas sur les seules travées des Républicains, mais très largement au sein de notre assemblée,…
Mme le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Catherine Deroche. … la nécessité de laisser l’hôpital respirer en lui donnant des moyens clairs et durables.
Sortir des urgences, cela voulait dire que les conditions étaient données, en ville comme à l’hôpital, pour assurer correctement les soins programmés et anticiper au mieux les soins non programmés.
Mme le président. Madame Deroche, veuillez conclure.
Mme Catherine Deroche. Cela voulait dire marquer l’arrêt de l’enchaînement de crises qui ne permettent pas aux soignants de faire leur travail dans de bonnes conditions, pour les patients comme pour eux-mêmes.
Or, je le regrette, je ne vois pas, à l’ouverture de cette session, le chemin que le Gouvernement entend proposer sur ce point. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains ainsi que sur des travées des groupes UC, RDSE et GEST.)
Mme le président. Nous en avons terminé avec le débat sur les urgences hospitalières et les soins non programmés.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures quarante-cinq, est reprise à dix-sept heures quarante-sept.)
Mme le président. La séance est reprise.
10
Prise en compte des territoires, des savoir-faire et des cultures dans l’élaboration de réglementations européennes d’harmonisation
Débat organisé à la demande de la commission des affaires européennes
Mme le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la commission des affaires européennes, sur la prise en compte des territoires, des savoir-faire et des cultures dans l’élaboration de réglementations européennes d’harmonisation.
Je vous rappelle que la commission disposera d’un temps de présentation de huit minutes.
Le Gouvernement aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque intervention, pour une durée de deux minutes ; l’auteur de la question disposera alors à son tour du droit de répliquer pendant une minute.
Le temps de réponse du Gouvernement à l’issue du débat est limité à cinq minutes.
La commission disposera de cinq minutes pour le conclure.
Dans le débat, la parole est à M. Jean-François Rapin, président de la commission qui a demandé le débat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’Union européenne « respecte la richesse de sa diversité culturelle et linguistique, et veille à la sauvegarde et au développement du patrimoine culturel européen. » Cet impératif, fixé par l’article 3 du traité sur l’Union européenne, trouve une résonance à l’article 167 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne : « L’Union européenne contribue à l’épanouissement des cultures des États membres dans le respect de leur diversité nationale et régionale, tout en mettant en évidence l’héritage culturel commun. […] Elle tient compte des aspects culturels dans son action au titre d’autres dispositions des traités, afin notamment de respecter et promouvoir la diversité de ses cultures. »
Cette exigence n’est pas ignorée par l’Union européenne, mais elle est parfois négligée, notamment dans l’élaboration des règles d’harmonisation. Plusieurs cas récents ont conduit la commission des affaires européennes, que j’ai l’honneur de présider, à solliciter l’organisation de ce débat afin de mieux apprécier l’ampleur de tels dysfonctionnements et de tenter d’en identifier l’origine.
L’Union européenne s’emploie assurément à prendre en compte la richesse que constitue son patrimoine culturel, matériel et immatériel. L’objet de notre débat n’est pas de faire le bilan de l’action qu’elle mène en ce domaine. Au printemps dernier, la commission des affaires européennes a d’ailleurs adopté le rapport que lui ont présenté nos collègues Catherine Morin-Desailly et Louis-Jean de Nicolaÿ appelant à la mise en place d’une stratégie européenne encore plus ambitieuse pour le patrimoine, élément d’identité, facteur d’enracinement, mais aussi puissant levier d’attractivité, de développement durable et de cohésion pour nos territoires.
Je rappellerai simplement que l’Union européenne, en même temps qu’elle approfondissait l’intégration de son marché intérieur, se dotait des moyens de protéger les dénominations des produits pour lesquels il existe un lien intrinsèque entre leurs qualités ou caractéristiques et leur origine géographique. Divers produits agricoles, denrées alimentaires et vins européens sont aujourd’hui protégés par des appellations d’origine protégées (AOP) ou par des indications géographiques protégées (IGP).
L’Union européenne s’apprête même à étendre le champ de cette protection puisque la Commission a proposé, en avril dernier, un tout premier cadre réglementaire visant à protéger la propriété intellectuelle des produits artisanaux et industriels reposant sur l’originalité et l’authenticité des pratiques traditionnelles de leurs régions. Ce cadre s’appliquera à des produits tels que la porcelaine de Limoges ou le verre de Murano. Ainsi, la protection européenne pourra bientôt bénéficier à des savoir-faire et donc au patrimoine immatériel de nos territoires. Comme le fait valoir la Commission, ce règlement aidera à promouvoir, à attirer et à préserver les compétences et les emplois dans les régions européennes, contribuant ainsi à leur développement économique, jusqu’à l’international.
Si elle témoigne ainsi de son attention aux cultures et savoir-faire locaux, l’Union semble toutefois les ignorer parfois brutalement. L’attention de la commission des affaires européennes a été attirée, ces derniers mois, sur deux exemples frappants, illustrant tous deux les dangers d’une harmonisation aveugle des réglementations qui fondent le marché intérieur.
En mai dernier, notre collègue Jean-Michel Arnaud lui a ainsi soumis une proposition de résolution européenne, que notre commission a adoptée et qui est devenue résolution du Sénat le 5 juillet 2022, pour alerter sur le risque que faisait courir aux producteurs de lavande la prochaine révision de deux règlements européens : d’une part, le règlement Reach, qui tend depuis 2006 à sécuriser l’utilisation des substances chimiques et oblige, à cet effet, les fabricants à fournir des informations sur les propriétés toxicologiques et écotoxicologiques des substances à commercialiser, tout en justifiant de mesures de gestion des risques adaptées à leurs usages ; d’autre part, le règlement dit CLP, datant de 2008, qui porte sur la classification, l’étiquetage et l’emballage des substances afin de permettre aux consommateurs d’identifier correctement les dangers correspondants.
Dans le cadre de la transition environnementale en cours, la Commission européenne a engagé récemment un processus de révision de ces règlements pour en accroître le niveau d’exigence, jusqu’à faire craindre aux producteurs de lavande de devoir faire bientôt évaluer chacune des composantes des huiles essentielles, et non le produit dans son ensemble. Les coûts induits et les risques en termes d’image des huiles essentielles de lavande menaceraient alors toute la filière, c’est-à-dire des emplois, mais aussi un savoir-faire et une culture prisés jusqu’en Amérique, puisque même le Wall Street Journal s’est fait l’écho des préoccupations exprimées par le Sénat dans cette résolution européenne.
En juin dernier, c’était notre collègue Vanina Paoli-Gagin qui déposait une proposition de résolution européenne visant à préserver l’activité des vitraillistes, très inquiets d’une prochaine interdiction du plomb susceptible de survenir, elle aussi, lors de la prochaine révision du règlement Reach, sous l’impulsion de l’Agence chimique européenne.
La commission des affaires européennes a également adopté ce texte et en a même étendu la portée, puisque l’enjeu est partagé par de nombreux autres métiers du patrimoine, comme les facteurs d’orgue, pour qui l’usage du plomb, substance présentant des propriétés sans équivalent, est une condition de survie.
Ces résolutions européennes ont tiré la sonnette d’alarme et sont en voie d’enrayer une mécanique européenne d’harmonisation réglementaire, dont nous ne contestons pas les objectifs, mais qui, faute de prendre en compte l’impact local, entretient l’image d’une Europe se résumant à une bureaucratie aveugle. Dès la fin de ce mois, je me rendrai à Bruxelles avec les rapporteurs pour sensibiliser le cabinet du commissaire Thierry Breton et m’assurer que la Commission proposera des adaptions utiles pour éviter le pire.
Mais la question reste entière : comment empêcher de tels dérapages ? Il est manifestement périlleux de laisser les cinquante-quatre agences que compte l’Union européenne ou même la Commission européenne, par le biais d’actes d’exécution ou d’actes délégués, régler des questions qui, sous des dehors techniques, sont hautement sensibles sur le terrain. En effet, les procédures de révision des règlements européens concernés échappent au contrôle des parlements nationaux, auxquels ne sont transmises que les seules propositions d’actes de nature législative pour vérifier le respect des principes de subsidiarité et de proportionnalité.
Heureusement, mes chers collègues, notre enracinement local nous permet de jouer le rôle de lanceurs d’alerte. Ce faisant, nous sommes au service non seulement des territoires, mais aussi, indirectement, de l’Union européenne, en lui évitant de commettre l’irréparable par méconnaissance des savoir-faire et des cultures locales.
J’y vois, madame la secrétaire d’État, une démonstration évidente du rôle des parlements nationaux et de l’intérêt que l’Union européenne trouverait à mieux les reconnaître. Si une convention devait prendre le relais de la Conférence sur l’avenir de l’Europe et entreprendre une révision des traités, elle ne devra pas l’ignorer. Tel est, selon moi, le filigrane qui se lit derrière notre débat de ce jour : l’Union européenne ne saurait durer sans renforcer le contrôle démocratique de son action. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP. – M. Jean-Pierre Corbisez applaudit également.)
Mme le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée de l’Europe.
Mme Laurence Boone, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée de l’Europe. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires européennes, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est un honneur pour moi de participer à un débat au sein de cet hémicycle sur un thème dont je mesure pleinement l’importance, puisqu’il touche à la prise en compte des territoires dans l’élaboration des réglementations européennes.
Comme vous l’avez souligné, monsieur le président, cette question est essentielle, car les territoires, ce sont avant tout des citoyens qui les habitent et des cultures locales qui les animent. Comme vous, j’ai conscience que beaucoup de nos concitoyens peuvent avoir l’impression que l’échelon européen est trop éloigné ou trop large pour saisir les spécificités de leur environnement quotidien. Et l’objectif même d’une harmonisation des normes peut paraître aller à l’encontre de la diversité des territoires, des cultures et des pratiques.
C’est la raison pour laquelle les procédures d’élaboration de la réglementation européenne intègrent des échelons nationaux, régionaux et locaux. C’est une exigence démocratique, mais c’est également une condition essentielle pour que les réglementations soient pertinentes et efficaces.
Il me semble surtout important de garder en tête que l’Union européenne protège nos territoires. Elle constitue bien souvent l’échelon le plus adapté pour en assurer la défense, notamment face à la concurrence internationale.
L’harmonisation des normes, qui ne doit pas conduire à une uniformisation des cultures et des produits, est une condition indispensable pour que l’excellence de nos savoir-faire locaux puisse rayonner non seulement au sein de l’Union européenne, mais aussi à l’international. Ainsi, grâce au négociateur européen, depuis 2017, les appellations « jambon de Bayonne », « brie de Meaux », « Reblochon », « piment d’Espelette », et j’en passe, sont protégées à l’international.
Bien évidemment, cela n’empêche pas qu’il puisse y avoir, à juste titre, des inquiétudes quant à certaines règles européennes, qu’elles soient déjà en vigueur ou encore en préparation.
Lorsqu’un effet collatéral d’une réglementation européenne est avéré ou anticipé sur nos productions locales, nous devons collectivement tout faire pour le corriger.
Mme le président. Je vous demanderai de bien vouloir conclure, madame la secrétaire d’État.
Mme Laurence Boone, secrétaire d’État. Le Gouvernement est pleinement mobilisé sur les différents dossiers que vous avez identifiés et salue votre rôle de vigie dans ce domaine. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme le président. Dans la suite du débat, la parole est à M. Lucien Stanzione.
M. Lucien Stanzione. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la filière lavande et lavandin constitue un sujet particulièrement propice pour alimenter la discussion et fournir des exemples variés de difficultés avec les réglementations européennes.
En effet, l’huile essentielle de lavande de Haute-Provence est le révélateur de l’inadaptation des réglementations européennes par l’absence de prise en compte des difficultés des territoires historiques de production, des savoir-faire et des cultures traditionnelles.
Cette présentation se déroulera à deux voix, avec ma collègue Marie-Pierre Monier, sénatrice de la Drôme.
Point n’est besoin de rappeler les enjeux nationaux, agricoles, économiques, touristiques, patrimoniaux, énergétiques et de maintien de l’emploi, mais aussi climatiques et d’aménagement du territoire autour de l’huile essentielle de lavande.
La France est le premier producteur mondial d’essence de lavandin et le deuxième d’huile essentielle de lavande. Ces productions sont concentrées dans trois départements du sud-est de la France : le Vaucluse, la Drôme et les Alpes de Haute-Provence, qui comptabilisent 87 % des superficies nationales.
Ces productions emblématiques de la Provence sont créatrices de valeur ajoutée.
Dans mon département de Vaucluse, qui comprend notamment les contreforts du mont Ventoux, j’ai été alerté, dès le mois d’août 2021, par les maires, les agriculteurs et les distillateurs de lavande et de lavandin de la crise économique majeure que traverse la filière, en raison de la très forte baisse des cours – moins 60 % en trois ans –, engendrée par une surproduction importante, par un doublement des surfaces plantées en dehors des zones historiques de cette culture, en particulier dans l’immense plaine de la Beauce.
Les coûts de l’énergie sont venus s’ajouter à cette situation, ainsi que des aléas climatiques tels que le gel, puis la sécheresse et le manque d’eau de cet été, ainsi que la prolifération d’un ravageur, la cécidomyie, contre laquelle il est urgent d’agir.
Nous pilotons, avec ma collègue Marie-Pierre Monier, une série d’actions. Permettez-moi d’attirer votre attention sur la nécessité d’une lutte sanitaire pour la filière lavandicole.
Alors que le Gouvernement a toujours martelé le message selon lequel il n’y aurait pas d’interdiction des produits phytosanitaires actifs tant que des solutions n’étaient pas trouvées, nous sommes aujourd’hui face à la situation inverse.
L’interdiction est bel et bien là. Les produits phytosanitaires ne sont plus fabriqués, alors qu’aucune solution n’a été trouvée. Aussi convient-il de soutenir et de renforcer la recherche de méthodes alternatives efficaces. La solution la plus pragmatique serait d’homologuer de nouveau, à titre temporaire, les anciens produits, dans l’attente de solutions efficaces.
Face à l’incertitude, la filière, via le Crieppam (Centre régionalisé interprofessionnel d’expérimentation en plantes à parfum aromatiques et médicinales), souhaite être soutenue.
Je ne peux que déplorer une telle situation : pourquoi avoir interdit ce type de produit avant que des solutions intermédiaires aient pu être trouvées ?
L’une des réponses élaborées pour répondre à cette grave crise a été d’envisager des mesures d’aide à l’arrachage dans les territoires de plaine où il est possible et rentable de planter des céréales.
Sur l’initiative commune de Marie-Pierre Monier, Jean-Yves Roux et moi-même, le Sénat a voté à une large majorité, dans le cadre de la loi de finances rectificative pour 2022, la création d’une enveloppe budgétaire de 10 millions d’euros, en vue d’aider à l’arrachage dans certaines zones.
Or les services ministériels expliquent aux professionnels de la filière que la réglementation européenne relative à la concurrence pourrait interdire de mettre en œuvre de telles mesures, considérées comme une aide exclusive en faveur des lavandiculteurs français.
Toutefois, il semble que des solutions pourraient être trouvées, si les mesures d’arrachage interviennent dans le cadre d’une restructuration ou d’une diversification de la filière.
Nous espérons que vous pourrez vous montrer convaincante pour défendre auprès de la Commission européenne l’octroi de ces 10 millions d’euros, qui sont indispensables à la survie des producteurs et transformateurs de lavande et de lavandin.
Il faut peut-être, pour éviter tout blocage de cette aide par la Commission, envisager de l’étendre aux autres pays producteurs européens de lavande et de lavandin comme l’Italie, l’Espagne ou la Grèce, qui pourraient l’utiliser face à la nécessité de sauvegarder leur culture.
Mme le président. Madame la secrétaire d’État, vous avez la parole. Je vous rappelle toutefois que vous n’êtes pas dans l’obligation de répondre à chaque intervenant.
Mme Laurence Boone, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée de l’Europe. Bien évidemment, je suis consciente des difficultés que traverse la filière lavandicole, notamment, comme vous le disiez, en raison de l’augmentation rapide de la production de lavandin en Vendée ces dernières années.
Le Gouvernement soutient bien sûr cette filière d’excellence. Nous serons très vigilants à ce que des solutions puissent être trouvées, pour préserver non seulement la qualité de la production, mais aussi les métiers de la filière.
Nous avons aussi conscience que la réduction du recours aux produits phytosanitaires doit être associée à un accompagnement des filières professionnelles concernées, notamment pour les producteurs de lavande.
J’en viens, monsieur le sénateur, à l’amendement que vous avez mentionné, qui prévoit 10 millions d’euros d’aides en faveur de la filière. Comme vous le savez, le cadre réglementaire des arrachages n’est pas simple. Nous sommes en train d’examiner, avec la Commission européenne, ce que permettent les textes européens en termes de diversification à la suite d’un arrachage. Des échanges sont en cours entre les professionnels et nos services. Deux réunions se sont d’ores et déjà tenues, et une troisième est prévue le 6 octobre prochain, pour établir les actions possibles et élaborer un plan d’action. À cet égard, j’ai bien noté vos suggestions, dont je vous remercie.
À ce stade, l’enjeu est de travailler sur l’aide en trésorerie sollicitée et d’objectiver les besoins en termes d’entreprises et de ciblage.
Mme le président. La parole est à M. Lucien Stanzione, pour la réplique.
M. Lucien Stanzione. Je vous remercie, madame la secrétaire d’État. Il convient de mener une réflexion sur les produits phytosanitaires. Si nous ne trouvons pas une alternative rapide à ces produits, il sera inutile de débattre des autres questions, dans la mesure où il n’y aura plus de lavande.
En effet, aujourd’hui, la destruction de la lavande progresse à une vitesse vertigineuse. S’il n’est pas décidé, dans les semaines qui viennent, de proposer un mode de traitement efficace, tout sera fini dans deux ans !
Mme le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias.
M. Pierre Ouzoulias. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, notre groupe tient à remercier M. le président de la commission des affaires européennes de ce débat opportun, qui interroge le sens de la construction européenne dans ses rapports avec les politiques publiques des États membres et la préservation de nos principes républicains.
Nous avons choisi de le traiter à la lumière du processus dit de Bologne et de l’élaboration, par la norme, d’un espace européen de l’enseignement supérieur et de la recherche. Cette thématique peut sembler surprenante tant cette politique paraît consensuelle. Nous estimons au contraire qu’elle est révélatrice des aveuglements auxquels conduisent des gestions technocratiques de domaines de l’activité sociale aussi spécifiques et distinctifs de nos cultures nationales que ceux de la connaissance, de l’éducation et de la science.
Le processus de Bologne a été lancé en 1999. Il a été développé par l’Union européenne dans le cadre des objectifs économiques fixés par le Conseil européen de Lisbonne en mars 2000 pour les quinze États membres qui la composaient alors et au sein du Conseil de l’Europe, afin de constituer un espace européen de l’enseignement supérieur qui rassemble aujourd’hui quarante-neuf États.
Son ambition était de rapprocher les modes d’organisation des cursus universitaires. De façon très pratique, il a notamment abouti à l’adoption par de nombreux systèmes universitaires de la succession des trois années de licence, des deux années de master et des trois années de thèse. Son projet politique était de promouvoir un espace dans lequel les formations pourraient être évaluées, échangées et vendues comme des marchandises. Il devenait alors possible d’assimiler les universités à des entreprises pour les mettre en concurrence et distinguer les meilleures. Ce nouveau marché de la connaissance ouvert sur le monde devait accroître l’attractivité de la science européenne, susciter l’arrivée des chercheurs étrangers et augmenter les ressources des établissements par l’inscription d’étudiants étrangers.
Sur le continent européen, la collaboration des universités de quarante-neuf États, dans le cadre du processus de Bologne, devait favoriser la démocratie par la libre circulation des individus et des idées. Lors de la rencontre des ministres de l’espace européen de l’enseignement supérieur à Paris, le 25 mai 2018, les participants ont constaté que plusieurs États ne respectaient pas les libertés académiques des enseignants et des chercheurs. Les signataires se sont engagés à les promouvoir et à les défendre « grâce à un dialogue politique et une coopération intensifiés ».
Depuis lors, les droits fondamentaux des universitaires n’ont cessé d’être bafoués, dans l’Union européenne et dans les États membres du Conseil de l’Europe. C’est le cas plus particulièrement en Turquie et en Russie, mais l’on pourrait aussi citer l’Azerbaïdjan ou la Biélorussie et, plus près de nous, malheureusement, la Pologne et la Hongrie.
Il y a une grande naïveté à penser que l’instauration d’un marché de la connaissance fondé sur les règles du management entrepreneurial, selon le processus de Bologne, suffirait à garantir les libertés académiques et la démocratie. Il est urgent de reconnaître que cette méthode technocratique et irénique a failli et de refonder la politique universitaire européenne sur les principes historiques théorisés par Humboldt : la liberté de la recherche et de l’enseignement, l’unité de la recherche et de l’enseignement, la communauté scientifique entre enseignants et étudiants.
Pour cela, la déclaration de Bonn sur la liberté de la recherche est un outil précieux. Le Gouvernement doit agir pour lui donner le statut d’une norme juridique en France, dans l’Union européenne et au sein du Conseil de l’Europe.
Enfin, reconnaissons ensemble que la mise en œuvre du processus de Bologne a accru les disparités entre les régions et, finalement, les conditions d’accès à l’enseignement supérieur. Les Länder de l’est de l’Allemagne ne disposent pas d’universités de premier plan et, en France, l’offre universitaire se concentre de plus en plus dans les seules métropoles. Cette polarisation du système universitaire est vécue comme une forme d’exclusion sociale supplémentaire par des populations qui subissent déjà une relégation économique.
Dans ce domaine, comme dans de nombreux autres, l’harmonisation européenne a été réalisée sans débat de fond sur le rôle fondamental de la connaissance et de l’enseignement dans l’émancipation des consciences, l’aménagement du territoire et la formation d’une citoyenneté européenne humaniste. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER.)
Mme le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Laurence Boone, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée de l’Europe. Monsieur le sénateur, nous sommes très attachés au processus de Bologne. Il n’est pas très juste de dire qu’il s’agit d’un processus commercial. Au contraire, vous l’avez dit vous-même, il permet la libre circulation des individus et des idées et offre à tous les étudiants européens la possibilité de travailler ou d’étudier dans tout l’espace européen.
Cela dit, le renforcement de l’écosystème, de la recherche n’est effectivement possible qu’en défendant les valeurs de liberté académique de recherche et d’expression. Tels sont bien les piliers du monde universitaire européen. C’est d’ailleurs pour cette raison que la France a œuvré en faveur de l’adoption de la Magna Charta Universitatum, concomitamment au lancement du processus de Bologne, et a signé, sous présidence allemande du Conseil de l’Union, la déclaration de Bonn en faveur de la liberté de la recherche scientifique.
Bien évidemment, avec votre soutien, nous serons extrêmement vigilants à la préservation des libertés fondamentales. Je vous rejoins concernant la protection de la liberté académique, qui est fondamentale. C’est aussi dans cet esprit que la Commission a adopté une boîte à outils dédiée au début de l’année.
Elle incite les établissements à développer des stratégies pour prévenir et répondre notamment aux menaces d’ingérence étrangère.
Pour conclure, nous avons pu rappeler, sous la présidence française de l’Union européenne, la vivacité de notre écosystème de recherche, avec notamment l’adoption, en mars 2022, de la déclaration de Marseille, qui réaffirme le principe du respect des libertés académiques de toutes les collaborations internationales.
Mme le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour la réplique.
M. Pierre Ouzoulias. Madame la secrétaire d’État, j’aurais aimé que vous évoquiez la déclaration de Bonn, texte fondamental sur les libertés académiques signé par la France. Aujourd’hui, ce texte n’est même pas traduit en français ! Nous avions espéré, sur la foi des assurances données par le ministère des affaires étrangères, qu’il pourrait bénéficier d’une transposition dans le droit européen. J’aimerais savoir où en est ce chantier fondamental pour créer une citoyenneté scientifique européenne. Nous devons penser aux libertés académiques des universitaires hongrois et polonais, qui souffrent de la mainmise de l’État.
On ne peut pas concevoir un espace de la recherche dans lequel la liberté fondamentale des chercheurs ne serait pas respectée.
Mme le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.
Mme Catherine Morin-Desailly. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je remercie M. le président de la commission des affaires européennes d’avoir permis ce débat important.
Le rapport Europe et Patrimoine, que j’ai rédigé au printemps avec Louis-Jean de Nicolaÿ, proposait une stratégie européenne ambitieuse pour le patrimoine.
Il semble que nos espoirs puissent aboutir sous la présente présidence tchèque, dans le cadre du nouveau programme d’action quadriennal 2023-2026 pour la culture, qui aura, nous l’espérons, un axe important consacré au patrimoine.
Or cette Europe du patrimoine, des cathédrales, des châteaux, des monuments historiques et des savoir-faire est aujourd’hui menacée en son sein par une tentative vertueuse dans son principe de réglementation de l’usage des produits chimiques.
Alertés par les professionnels du vitrail, nous avons écrit à notre ministre de la culture, tandis que notre collègue Vanina Paoli-Gagin déposait une proposition de résolution européenne, dont mon collègue Louis-Jean de Nicolaÿ et moi-même avons été rapporteurs.
Nous avons établi les graves dommages qu’entraînerait la révision envisagée par l’Agence européenne des produits chimiques (Echa), du règlement Reach, règlement sur l’enregistrement, l’évaluation, l’autorisation et la restriction des substances chimiques.
L’inclusion du plomb à l’annexe XIV de ce règlement, concernant les substances dites « particulièrement préoccupantes », implique une procédure d’autorisation et un coût prohibitif pour les utilisateurs : plusieurs mois de montage de dossier d’expertise et le versement d’une redevance à l’Echa de plusieurs dizaines de milliers d’euros, selon la taille de l’entreprise. C’est, à court terme, la survie même des TPE et PME françaises du secteur du patrimoine qui est mise en jeu par une telle procédure, cette dernière devant, de toute façon, selon Reach, céder la place à une interdiction pure et simple.
Les parlements nationaux doivent jouer leur rôle de « lanceurs d’alerte » auprès de leur gouvernement, représenté dans le comité d’experts de l’agence. Tel est bien le sens de la résolution européenne du Sénat, madame la secrétaire d’État.
Nous avons également adressé un avis politique à la Commission européenne. Il lui reviendra en effet de suivre, ou non, la recommandation de l’Echa, puis de proposer, en principe dans un délai de douze mois, un projet de règlement, qui devrait donc intervenir d’ici à la fin de l’année 2023. Madame la secrétaire d’État, confirmez-vous ce calendrier ?
Tout comme les maîtres verriers, nous sommes inquiets, car la France concentre plus de 60 % du patrimoine de vitraux européens, la plus grande surface au monde. De nombreux joyaux de nos régions sont inscrits sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco.
Bien d’autres secteurs et métiers du patrimoine sont concernés, nous en avons dressé la liste dans notre rapport et la proposition européenne de résolution, adoptés en commission.
Je mentionnerai ici les facteurs d’orgues : sur près de 10 000 orgues recensés en France, près de 1 600 sont classés. Les manufactures d’orgues représentent environ 65 entreprises en France, toutes petites par le nombre de leurs employés, mais grandes, ô combien, par leur savoir-faire !
L’interdiction du recours au plomb ou la lourde procédure d’autorisation entraînerait la perte de cet immense patrimoine et, à terme, de la musique d’orgue elle-même !
Certes, le plomb est un polluant bien identifié. Nous sommes bien conscients des risques, ceux-ci sont connus et pris en charge de manière générale.
Dans le secteur du patrimoine, des procédures et des guides de bonnes pratiques ont été depuis un certain temps élaborés, notamment par le ministère de la culture et les organismes professionnels. Nous pensons qu’ils devraient être plus largement diffusés, y compris au niveau européen.
Nous notons malgré tout qu’à ce jour il n’existe aucune donnée épidémiologique fiable mettant en question en France et en Europe la santé des travailleurs exposés au plomb dans ce domaine.
Nous appelons donc à la réalisation d’études spécifiques dans le cadre des programmes de recherche européens. Nous avons récemment attiré l’attention de la commissaire Mariya Gabriel sur ce point.
Il existe donc bien d’autres voies et moyens d’agir pour la santé que celle d’une révision quasi automatique de Reach. Sinon, c’est toute une culture européenne, toute une économie touristique patrimoniale, âme et vitrine de nos territoires, qui disparaîtront.
L’harmonisation européenne ne saurait faire passer toute cette richesse par pertes et profits, au nom d’objectifs certes louables, mais au moyen de procédures contestables et manquant de transparence. Madame la secrétaire d’État, nous comptons sur la mobilisation du Gouvernement.
Ma dernière remarque concerne l’alerte lancée par nos luthiers et archetiers quant à l’usage du pernambouc, bois précieux d’Amazonie, réglementé par la convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction, dont l’Union européenne et la France sont parties.
Mme le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Catherine Morin-Desailly. Le Brésil a demandé l’interdiction de l’exportation de ce bois…
Mme le président. Je vous demande de bien vouloir conclure, madame Catherine Morin-Desailly.
Mme Catherine Morin-Desailly. Nous vous alertons sur les conséquences très graves de cette décision pour la profession. (M. Pierre Ouzoulias applaudit.)
Mme le président. Mes chers collègues, vous devez respecter vos temps de parole ! Car ce sont les orateurs suivants, qui, sinon, sont pénalisés. Je vous demande donc de faire attention en la matière.
La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Laurence Boone, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée de l’Europe. Madame la sénatrice, permettez-moi de saluer le travail que vous avez effectué avec vos collègues sur ce sujet. Soyez assurés qu’avec mes collègues de la culture et de la transition écologique, nous sommes pleinement conscients des interrogations et des inquiétudes des corps de métiers du patrimoine au sujet de la classification du plomb au titre du règlement Reach.
Tout d’abord, laissez-moi rappeler que l’identification des propriétés toxiques du plomb, notamment pour la reproduction, n’est pas nouvelle, puisque cette substance figure depuis juin 2018 sur la liste des substances extrêmement préoccupantes du règlement Reach.
Ensuite, je souhaite revenir sur la procédure qui a conduit à la classification de cette substance, et notamment, comme vous le mentionnez, à son éventuelle inscription à l’annexe XIV, qui liste les substances dont l’usage est soumis à autorisation.
En effet, cette procédure repose sur une large association de l’ensemble des parties prenantes concernées. Comme vous le savez, l’Agence européenne des produits chimiques procède systématiquement à une consultation publique pour recueillir des informations sur les usages et les tonnages qui seraient susceptibles de modifier les scores de la substance et, donc, son ordre de priorité par rapport aux autres substances préoccupantes, et ce avant d’adopter une recommandation.
Cette consultation a été organisée du 2 février au 2 mai 2022, et l’ensemble des parties prenantes concernées, les fédérations professionnelles et les autorités françaises, ont pu y contribuer, pour fournir des informations, notamment sur les impacts socioéconomiques et culturels de cette mesure.
En parallèle, la Commission a mené une consultation publique pour obtenir des informations sur les mêmes impacts socioéconomiques et culturels que pourrait avoir une éventuelle inscription à l’annexe XIV.
Ces informations serviront à déterminer la proposition qu’elle fera une fois la recommandation de l’Agence européenne des produits chimiques adoptée.
Pour ce qui concerne le calendrier, la Commission devrait adopter cette proposition d’ici à la fin de l’année 2022. Ensuite, elle proposera un projet de règlement et ne sera pas tenue de proposer l’inscription du plomb à l’annexe XIV.
Mme le président. Veuillez conclure, madame la secrétaire d’État.
Mme Laurence Boone, secrétaire d’État. Les demandes de dérogation peuvent être introduites dans la période de dix-huit à vingt-quatre mois suivant l’adoption de la proposition.
Mme le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour la réplique.
Mme Catherine Morin-Desailly. Je vous remercie, madame la secrétaire d’État, de vos explications. Mais nous connaissons déjà les règles du processus.
Nous souhaitons simplement vous alerter sur la procédure, qui manque singulièrement, à nos yeux, de rigueur. Pouvez-vous plaider en faveur de recherches épidémiologiques rigoureuses et fiables, pour disposer de chiffres sur lesquels nous pourrions objectivement nous appuyer pour décider ou non de cette inscription au règlement Reach ?
C’est donc la méthode que nous contestons et son absence totale de transparence. Selon nous, c’est le rôle des gouvernements d’agir en ce sens, plutôt que de risquer des conséquences extrêmement graves pour un secteur de notre économie et de notre culture. (M. Jean-Michel Arnaud applaudit.)
Mme le président. La parole est à M. Jean-Pierre Corbisez.
M. Jean-Pierre Corbisez. Monsieur le président de la commission, je vous remercie de nous proposer aujourd’hui ce débat.
Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, au fil des décennies, le projet européen s’est affirmé autour de valeurs communes et nourri de politiques toujours plus protectrices pour nos concitoyens. De la simple mise en commun des ressources nécessaires à la reconstruction de l’Europe d’après-guerre, nous sommes passés aujourd’hui à une Union européenne très volontariste dans presque tous les domaines.
Mon groupe, le RDSE, qui est profondément attaché à l’Europe, est bien entendu favorable à la mise en place et l’approfondissement de politiques européennes répondant aux défis du quotidien, qu’ils soient économiques, sociaux, sécuritaires, environnementaux ou sanitaires.
Pour autant, chacun des États membres a ses spécificités liées à son histoire et à son territoire, ou plutôt à ses territoires. Ce constat est une évidence, mais il convient de le rappeler au triptyque institutionnel que forment le Conseil, la Commission et le Parlement européen.
Compte tenu de l’élargissement croissant des compétences de l’Union européenne et du principe de supranationalité du droit européen; il nous semble important d’être vigilants quant au champ des directives et règlements. C’est d’ailleurs ce que fait avec rigueur le groupe de travail « subsidiarité » du Sénat. Je profite de l’occasion qui m’est donnée pour saluer la qualité de son travail.
Il ne s’agit pas de dire que l’Union européenne nie la diversité, d’autant que le traité sur l’Union européenne souligne que l’Union « respecte l’identité nationale des États membres » ou encore « la richesse de sa diversité culturelle ». Toutefois, certaines dispositions peuvent heurter des traditions, des cultures, des richesses territoriales, et parfois même les menacer.
Nous avons tous connaissance d’exemples récents concernant des réglementations européennes pesant sur certains savoir-faire. Je pense au règlement européen Reach sur le contrôle des substances chimiques, qui met en danger la profession des vitraillistes, en interdisant purement et simplement l’usage du plomb. La France, terre de vitraux, pourrait voir ainsi disparaître un artisanat unique. Que serait la reconstruction de Notre-Dame de Paris sans ces vitraux à la française ?
Comme vous le savez, madame la secrétaire d’État, le Sénat s’est ému de cette situation, en adoptant la résolution du 26 août dernier.
Vous avez également été alertée, en particulier par mon collègue Jean-Yves Roux, sur l’avenir de la filière de lavande et du lavandin, dont la production et ses dérivés sont directement menacés par un changement de réglementation européenne, alors que la filière doit faire face à une attaque parasitaire, ainsi qu’à une concurrence très importante.
Les multiples tests qu’entraînerait le changement de classification des huiles essentielles à base de lavande risquent de fragiliser de nombreux acteurs du secteur. Au-delà de la richesse que représentent ces plantes dans la culture provençale, près de 9 000 emplois directs seraient touchés. En outre, que deviendrait le tourisme des Alpes-de-Haute-Provence ou du plateau de Valensole sans les champs de lavande ?
Sans méconnaître les nouvelles exigences des consommateurs, il est important que les États conservent une certaine latitude dans la façon de les protéger.
À mon sens, afin d’éviter les mauvaises surprises liées à une harmonisation trop rigide des normes, il faut garder à l’esprit quelques axes.
Il convient tout d’abord de veiller à ce que l’exécutif national évite la surtransposition, comme cela peut parfois arriver. À cet égard, je rappelle que nous avions adopté ici, en 2018, un projet de loi portant suppression de surtranspositions de directives européennes en droit français.
Il est également fondamental que notre pays se mobilise très en amont concernant l’élaboration des projets de directive, afin de peser au plus tôt dans les négociations qui président à leur élaboration.
Je dirai également un mot de l’inflation normative qui n’épargne pas les institutions européennes. Dès 2014, la Commission européenne avait lancé un programme intitulé Mieux légiférer, qui s’était traduit par une réduction importante du nombre d’initiatives nouvelles de la Commission.
Qu’est devenue depuis lors cette volonté exprimée à l’époque par Jean-Claude Juncker, madame la secrétaire d’État, au sujet de la lutte contre l’inflation des normes au sein de l’Union ?
Enfin, la piste d’une amélioration des analyses d’impact des actes européens dans les États membres mérite d’être explorée. C’est en effet le meilleur moyen de sauvegarder dans nos territoires toutes les richesses culturelles et patrimoniales qui participent de l’exceptionnelle attractivité de la France. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme le président. La parole est à M. Louis-Jean de Nicolaÿ.
M. Louis-Jean de Nicolaÿ. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, à mon tour, je me réjouis de ce débat, et je tiens à remercier, comme l’a fait Mme Catherine Morin-Desailly, M. le président de la commission d’en avoir obtenu l’inscription.
Je souhaite également apporter mon soutien aux propos de ma collègue Catherine Morin-Desailly, avec laquelle j’ai présenté au printemps un rapport d’information proposant une stratégie européenne ambitieuse pour le patrimoine.
Par ailleurs, nous avons présenté cet été un rapport ayant abouti à un avis politique destiné à la Commission européenne, ainsi qu’à une résolution du Sénat, afin de prendre en compte toutes les conséquences, pour les métiers et filières du patrimoine, de la révision en cours du règlement européen Reach sur les produits chimiques, eu égard à l’éventuelle inscription du plomb dans son annexe XIV.
Or l’usage du plomb, comme l’ont montré les nombreux professionnels que nous avons auditionnés, est indispensable à la conservation et à la restauration d’un précieux héritage.
En effet, la taille de pierre classique utilise du plomb. Sa malléabilité et sa durabilité concourent à la conservation de long terme des bâtiments anciens. Certaines toitures historiques sont également constituées de plomb : c’est le cas de celles de nombreuses cathédrales, tout particulièrement Notre-Dame de Paris, mais aussi de nombreux monuments, comme le château de Versailles, le musée du Louvre, ou les châteaux de la Loire.
C’est pourquoi nous avons entendu notamment le Groupement des entreprises de restauration des monuments historiques, qui fédère 252 entreprises de douze métiers, employant en France 10 000 salariés, dont environ 1 000 apprentis. Pour ce qui est des tailleurs de pierre des monuments historiques, on dénombre 78 entreprises employant quelque 5 000 salariés, pour un chiffre d’affaires estimé à 600 millions d’euros. Les couvreurs des monuments historiques, quant à eux, comptent 39 entreprises employant 1 500 salariés, pour un chiffre d’affaires de 170 millions d’euros. Et je ne parle pas des entreprises qui interviennent dans le domaine des chéneaux ou dans celui des fontaines.
L’interdiction ou la restriction de l’utilisation du plomb pour de tels usages reviendrait donc à condamner un nombre important d’entreprises de petite taille au savoir-faire unique – cela a été dit.
De surcroît, les musées et les institutions patrimoniales de l’Union européenne et du monde entier conservent de très nombreux objets d’art et biens culturels contenant du plomb, dont vous retrouverez la liste dans notre rapport, des insignes et sceaux médiévaux aux voitures anciennes.
Nous ne négligeons nullement l’enjeu sanitaire, bien évidemment.
Nous avons constaté de visu, en nous rendant sur le chantier de restauration d’une église historique au cœur de Paris, l’ampleur des mesures de prévention prévues par la législation française, ainsi que la réalité et l’intensité des contraintes et des contrôles qui sont imposés aux entreprises et aux intervenants, pour la bonne protection de la santé des travailleurs concernés.
En matière de santé au travail, le code du travail français a prévu deux indicateurs permettant de vérifier l’efficacité des mesures de prévention mises en place pour parer au risque plomb : la valeur limite d’exposition professionnelle (VLEP) au plomb, d’une part, et, d’autre part, la plombémie, mesure du taux de plomb présent dans le sang, avec des valeurs limites biologiques (VLB) à ne pas dépasser.
Le code du travail prévoit également que le médecin du travail assure un suivi individuel renforcé dès le dépassement de certains seuils. Ces valeurs limites sont susceptibles d’être abaissées et harmonisées au niveau européen dans le cadre de la révision de la directive de 1998 sur les agents chimiques, ce qui renforce les exigences de prévention.
Nous sommes toutefois favorables à ce qu’un protocole national, voire européen, de prévention du risque plomb sur les chantiers des monuments historiques soit instauré, sur le fondement des protocoles récemment mis en œuvre sur les chantiers français, à Paris, Nantes, Rouen ou Clermont-Ferrand.
Cette voie nous semble bien préférable à une révision du règlement Reach.
Pour les filières du patrimoine qui constituent l’objet de la présente proposition de résolution, le moyen le plus sûr de garantir une telle exemption serait donc le statu quo.
Si la Commission européenne jugeait néanmoins nécessaire de durcir les règles d’usage du plomb dans le secteur industriel, elle pourrait aussi bien recourir à d’autres législations européennes existant par ailleurs dans le champ du travail ou de la santé, législations qui, elles, relèvent de la procédure de codécision – mais elle devrait alors veiller à bien exempter les filières patrimoniales de telles dispositions.
Il importe, madame la secrétaire d’État, que le gouvernement français s’engage en ce sens et mobilise son représentant au comité des États membres de l’Echa pour éviter une désastreuse inscription du plomb à l’annexe XIV du règlement Reach.
La France appartient à l’heure actuelle au groupe des pays européens les plus ambitieux en matière de gestion des risques liés aux substances chimiques, dénommé « Reach-up », déterminé à promouvoir des avancées majeures dans le domaine de la sécurité environnementale. Elle est d’autant plus légitime à plaider pour une telle « exception culturelle » qu’elle est dotée d’un patrimoine culturel exceptionnel.
L’Europe peut et doit concilier l’une et l’autre de ces orientations. Notre responsabilité de parlementaires est de le rappeler avec force et d’inciter le Gouvernement, madame la secrétaire d’État, à faire valoir cette position auprès de toutes les institutions européennes.
J’en terminerai en soulignant que l’utilisation de plomb est à 84 % liée aux batteries.
Mme le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Laurence Boone, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée de l’Europe. Je répondrai d’un même mouvement à MM. les sénateurs Corbisez et de Nicolaÿ, en ajoutant un complément de réponse à l’intention de Mme la sénatrice Morin-Desailly.
En ce qui concerne les études, l’Agence européenne des produits chimiques, l’Echa, fonde ses recommandations sur des études scientifiques qui devraient pouvoir être consultées, ce qui satisferait votre demande. En outre, comme vous le savez, même si le plomb devait être inscrit à l’annexe XIV, cela ne voudrait pas du tout dire que l’usage de la substance serait totalement interdit : des demandes de dérogation ou d’autorisation pourraient être déposées dans les dix-huit à vingt-quatre mois suivant la date d’inscription à l’annexe. En tout état de cause, soyez assurés que le Gouvernement dans son ensemble sera mobilisé sur ce dossier.
En ce qui concerne le règlement Reach, le projet de révision ne prévoit rien qui mènerait à une interdiction de facto de l’huile essentielle de lavande. Par ailleurs, nous sommes bien sûr conscients de l’importance de l’industrie des huiles essentielles, en particulier pour la France ; il n’est pas question d’accepter une révision du cadre actuel qui serait déraisonnable au regard des enjeux socio-économiques existants. Nous plaidons pour une proportionnalité de la réforme afin d’éviter l’établissement de contraintes et de contrôles excessifs. Nous souhaitons en outre que soit menée une étude d’impact suffisamment complète permettant d’analyser toutes les conséquences potentielles d’une telle révision pour l’emploi dans cette filière.
Nous savons, bien entendu, que la filière des huiles essentielles est inquiète quant aux évolutions à venir du règlement CLP, relatif à la classification, à l’étiquetage et à l’emballage des substances et des mélanges. Nous en avons parlé notamment au sein d’un comité interministériel qui s’est réuni trois fois entre décembre 2021 et avril 2022. Puisqu’on me demande des études, je citerai celle qui, financée par FranceAgriMer, a été lancée pour mieux comprendre les impacts des évolutions réglementaires sur la filière des huiles essentielles, ce qui va nous aider à mieux accompagner la filière. Nous avons reçu les premiers résultats de cette étude ; le rapport final devrait être bientôt disponible et nous vous le transmettrons.
Mme le président. La parole est à Mme Colette Mélot.
Mme Colette Mélot. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’élaboration des réglementations européennes ne se fait pas sans certaines précautions, ce que nous savons bien, ici, au Sénat, où nous prenons à cœur le rôle qui est le nôtre en matière de contrôle de subsidiarité. L’idée d’une « union sans cesse plus étroite entre les peuples de l’Europe », pour reprendre les termes de l’article 1er du traité sur l’Union européenne, ne signifie pas une harmonisation qui irait à l’encontre de certains principes.
L’article 3 dudit traité dispose en effet que l’Union « respecte la richesse de sa diversité culturelle et linguistique, et veille à la sauvegarde et au développement du patrimoine culturel européen ».
Chacun sait, dans cet hémicycle, la chance que représente l’Union pour nos territoires, nos savoir-faire et nos cultures. Elle les préserve, les promeut et les accompagne dans leurs évolutions.
Un système harmonisé au niveau européen dans bien des domaines permet à nos concitoyens de mieux vivre et d’être mieux protégés. Dernier exemple en date : le marché intérieur de l’énergie, bien que perfectible – son perfectionnement est en bonne voie –, nous montre toute l’importance de l’Union européenne et de nos interconnexions. Cependant, cette harmonisation ne doit pas se faire au détriment de nos particularités.
Le processus législatif européen, très complexe, nous laisse parfois perplexes. Nombre d’entre nous se souviennent encore du règlement encadrant la forme et la courbure du concombre, abrogé depuis 2009 – je tiens à le préciser.
Ce processus est toutefois ouvert et transparent. La Commission européenne procède à de nombreuses consultations, qu’il s’agisse d’élaborer de nouvelles législations ou d’évaluer des législations déjà en vigueur.
De notre côté, en tant que parlementaires nationaux, nous avons le devoir de nous assurer du respect du principe de subsidiarité dans les législations proposées.
Or, malgré tous les encadrements existants, il arrive que certains sujets ne soient pas suffisamment pris en compte dans l’élaboration des règles et dans leur harmonisation. Cela peut mener à des situations difficiles sur nos territoires et pour nos concitoyens.
Deux exemples sont à cet égard particulièrement éclairants.
Le premier concerne notre savoir-faire et notre patrimoine et a été porté à notre attention par l’une de mes collègues du groupe Les Indépendants, Vanina Paoli-Gagin. Actuellement, la Commission européenne réfléchit à une révision du règlement que l’on appelle communément Reach et, dans ce cadre, envisage d’interdire l’utilisation du plomb.
Dans la proposition de résolution européenne adoptée le 26 août dernier est expliqué tout l’enjeu qu’il y aurait à nuancer cette interdiction, notamment pour le secteur du vitrail. Nous avons la chance, en France, de détenir la plus grande surface au monde de vitraux. Les rapporteurs du texte faisaient remarquer qu’environ 60 % des vitraux européens se trouvaient dans notre pays ; notre savoir-faire est en la matière quasi unique. Or il est impossible, pour nos artisans, de se passer du plomb. D’ailleurs, cette filière a mis en place toute une série de mesures pour protéger des risques liés à la manipulation du plomb, mais aussi pour prévenir ces risques.
Ce patrimoine est un savoir-faire, certes, mais il représente aussi des milliers d’emplois sur nos territoires, et même au-delà. En mars 2001, le président Jacques Chirac, s’exprimant lors de la remise du titre de meilleur ouvrier de France, rappelait justement que « ce sont ses savoir-faire reconnus qui assurent pour une très large part la renommée de notre pays dans le monde entier » ; j’ajouterai : la renommée de l’Europe. Il est important que les territoires, les savoir-faire et les cultures soient mieux pris en considération dans la construction des règles européennes. À défaut, nous risquerions de perdre rien de moins que nos identités.
Le second exemple se trouve sur mon territoire. Il concerne les appellations d’origine protégée Brie de Meaux et Brie de Melun. L’obtention de ces AOP s’est avérée complexe, ce qui est normal lorsqu’un cahier des charges doit être défini pour un produit d’exception. Grâce à de nombreux acteurs du département, notamment les confréries, nous avons pu mettre en valeur ces fromages. Les confréries sont précieuses sur les territoires : elles jouent un rôle de garant de nos savoir-faire, de notre culture et de notre patrimoine. Elles connaissent les besoins et, souvent, soulèvent des problèmes. Il en existe plus d’un millier en France, regroupées dans les ambassades régionales des confréries, des produits du terroir, du goût et de la gastronomie.
Ma conviction est qu’il existe un besoin d’ingénierie territoriale, qui pourrait être satisfait sur le modèle d’une des propositions que j’avais formulées dans mon rapport d’information intitulé Pour une mobilisation plus ambitieuse des fonds européens au service des territoires. Le développement d’une telle ingénierie permettrait de faire remonter certains besoins et problèmes des territoires, comme ceux que je viens d’évoquer, et d’accompagner ces derniers.
Il me semble qu’à cet égard l’échelon départemental serait tout indiqué ; qu’en pensez-vous, madame la secrétaire d’État ? Je pense aux centres Europe Direct, dont c’est le rôle, qui ont commencé à voir le jour au sein de certains départements ou de certaines villes, ainsi qu’au réseau des maisons de l’Europe.
Ainsi le lien serait-il renforcé entre l’élaboration des réglementations et les besoins des citoyens et des territoires européens, et donc, in fine – nous en avons plus que jamais besoin –, entre l’Union européenne et les Européens.
Mme le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Laurence Boone, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée de l’Europe. J’ai assez parlé, me semble-t-il, du plomb et du vitrail. Deux mots, peut-être, sur le brie de Meaux, en focalisant mon propos sur la question que vous m’avez posée, madame la sénatrice.
Comme vous le savez, l’Europe protège les produits du terroir via des AOP, et l’organisme de défense et de gestion (ODG) a pour fonction de rédiger le cahier des charges des produits qui sont sous signe d’identification de la qualité d’origine – AOP, IGP, label rouge.
Tout n’est pas parfait, certes. Dans le cas du brie de Meaux, des oppositions ont été formulées quant à la délimitation de l’aire géographique de production de ce fromage. Elles n’ont pas été jugées recevables parce qu’elles ne portaient pas sur un élément du cahier des charges susceptible de modifications, mais, je l’ai dit, sur l’aire géographique elle-même. La position de l’ODG n’ayant pas évolué, peut-être faut-il, pour le convaincre, entreprendre une action au niveau national ; son raisonnement est que la production actuelle est suffisante, bien répartie dans l’aire géographique, et qu’elle permet même la mise en place d’une réserve de lait.
J’ai bien conscience de la sensibilité de ce sujet. Au regard notamment de l’ancienneté des demandes qui ont été formulées en ce sens, je serais ravie d’en discuter à nouveau avec vous, madame la sénatrice.
Mme le président. La parole est à Mme Colette Mélot, pour la réplique.
Mme Colette Mélot. J’avais aussi évoqué l’AOP Brie de Melun. Il me paraît nécessaire d’accorder encore un peu d’attention aux conditions d’obtention de ces AOP, qui font vraiment la renommée de nos fromages.
Mme le président. La parole est à M. Jacques Fernique.
M. Jacques Fernique. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, on le voit, les propositions d’harmonisation des normes émises par la Commission européenne peuvent s’avérer hors-sol.
Ainsi – cela a été dit et répété – la révision du règlement Reach, entièrement élaborée à Bruxelles, manque-t-elle un peu de prise en compte des réalités spécifiques à certains territoires ou filières. Le président de notre commission des affaires européennes évoquait voilà quelques instants les dangers d’une harmonisation aveugle des réglementations du marché intérieur ; avec le règlement Reach, c’est manifestement le cas. Ce texte concerne les substances chimiques, mais aussi les huiles essentielles, l’huile essentielle de lavande notamment, élément particulièrement important de notre patrimoine culturel.
La révision des règlements Reach et CLP va encore accroître les exigences en vigueur. La filière des huiles essentielles dans sa diversité – lavande, eucalyptus, etc. – ne pourra qu’échouer à s’adapter face à des méthodes d’évaluation conçues – insistons-y – pour la chimie de synthèse. Ne laissons pas des règlements mettre à mal ces filières alors même qu’ils n’apportent, en l’espèce, aucun gain de sécurité pour les consommateurs.
En somme, nous plaidons, et le bon sens plaide, en faveur d’une harmonisation européenne des normes lorsque celle-ci a pour objectifs des plus-values sociales, environnementales, sanitaires, économiques, et sait tenir compte de la clairvoyance des acteurs locaux. Or, dans ce cas précis, la démarche adoptée par l’Union européenne témoigne d’une vision technocrate s’agissant de produits traditionnels élevés au même rang que des produits chimiques classiques. Cette démarche est hors-sol !
On l’a dit, l’interdiction européenne du plomb et la lourde procédure d’autorisation prévue seraient catastrophiques pour les métiers du patrimoine français des vitraux. Nous avons donné l’alerte via une résolution de notre commission des affaires européennes qui a déjà été évoquée – notre collègue Catherine Morin-Desailly vient de le rappeler très clairement.
Cela dit, critiquer les défauts des propositions de loi européennes n’exclut pas, à l’inverse, de dénoncer également les retards français en matière de transposition et d’application de certaines directives – je pense à la qualité de l’air, à la directive-cadre sur l’eau ou à la gestion des déchets.
Je donne un exemple précis, très actuel, de non-respect par la France de normes européennes : celui du chanvre, et plus spécifiquement du cannabidiol (CBD). Dans ce domaine, nous observons d’importants blocages gouvernementaux limitant la possibilité de développement d’une filière alors même que nous disposons des savoir-faire, des conditions et du cadre juridique européen nécessaires !
La demande de CBD, produit non psychotrope et non toxique – il faut le dire –, est forte ; l’opinion publique y est favorable. Bien que cette filière ait en France un potentiel économique important, nos autorités prohibent l’usage de la fleur, donc l’extraction de CBD, pourtant non psychotrope. La France a par conséquent été condamnée par la Cour de justice de l’Union européenne, sa réglementation étant contraire au droit européen. Je vous renvoie sur ce sujet à la proposition de résolution transpartisane cosignée par plus d’une cinquantaine de sénatrices et sénateurs ; en novembre, nous aurons l’occasion d’en débattre dans notre hémicycle.
L’harmonisation au niveau européen des législations fiscales, sociales et environnementales, loin d’être une orientation idéologique réservée à quelques proeuropéens convaincus et autres forcenés du fédéralisme, est aujourd’hui une nécessité si nous ne voulons pas que l’Union européenne s’effondre, et nos écosystèmes avec elle.
À considérer par exemple la dimension écologique, la nécessité d’une harmonisation des normes européennes tombe sous le sens : on ne lutte pas contre le réchauffement climatique en agissant seul dans son coin, c’est évident, et certaines règles – je pense aux pesticides – vont devoir être harmonisées au niveau européen.
La subsidiarité ne doit pas servir de prétexte à l’immobilisme. Par exemple, élever des poules ou des lapins dans des cages de la taille d’une feuille de format A4 n’est en aucun cas une tradition : c’est une mauvaise pratique qui perdure. Quel bénéfice, par ailleurs – et je ne parle pas uniquement de bénéfice économique –, tirons-nous de traditions comme la corrida ?
Il me paraît nécessaire de rappeler, pour conclure, que nous ne saurions nous contenter de normes écologiques, sociales et sanitaires à usage interne : il s’agit d’étendre ces exigences à nos importations. Cela vaut pour le devoir de vigilance sociale et environnementale qu’ont nos entreprises à l’égard de toutes leur chaîne de valeur, par-delà les frontières ; cela vaut également, madame la secrétaire d’État, pour nos accords commerciaux.
On nous a promis que nous allions entrer dans une nouvelle ère du commerce européen ; nous attendons toujours ! À quand des accords contenant des clauses miroir réellement appliquées de respect de nos normes européennes ? L’accord de libre-échange signé récemment entre la Nouvelle-Zélande et l’Union européenne en est loin, très loin ! C’est pourtant aussi par ce biais que nous préserverons la vitalité et la riche diversité de nos territoires, de leurs savoir-faire et de leurs cultures.
Mme le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Laurence Boone, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée de l’Europe. Monsieur le sénateur, vous avez couvert un vaste champ de sujets ; j’espère bénéficier de votre indulgence pour ne traiter que de quelques points.
En ce qui concerne la révision du règlement Reach, permettez-moi d’y insister : la révision n’est pas faite ! La Commission européenne ne devrait pas proposer ses projets de révision avant la fin de l’année 2022. Des consultations et des discussions continuent donc d’avoir lieu et, dans ce cadre, nous défendons les intérêts de nos territoires.
Je le rappelle, ce règlement permet aux États membres de s’appuyer sur des analyses de risques et des listes de substances communes destinées à protéger les consommateurs et l’environnement. Des consultations sont menées aux niveaux national, régional, départemental ; vous-mêmes, parlementaires, pouvez déposer des propositions de résolution européenne. On ne peut pas prendre dans l’Union européenne ce qui nous arrange et rejeter ce qui nous dérange : les discussions, nous les avons à vingt-sept, et nous nous efforçons d’élaborer des positions communes ; à vingt-sept, en effet, nous sommes plus forts, notamment dans les négociations commerciales. (Mme Marie-Noëlle Lienemann proteste.)
Je vous remercie d’avoir mentionné l’accord commercial entre l’Union européenne et la Nouvelle-Zélande, le premier du genre à inclure des clauses environnementales fortes. Lorsque je le lis, je finis toujours par me demander pourquoi la Nouvelle-Zélande a accepté de le signer tant il nous est favorable et tant il protège nos appellations d’origine contrôlée !
Cet accord contient bel et bien des clauses miroir, qui sont autant de grandes avancées imputables à la présidence française de l’Union européenne. Comme vous le savez, les personnes qui souhaitent exporter dans l’Union devront respecter les mêmes règles qui s’appliquent sur son territoire.
Mme le président. La parole est à M. Jacques Fernique, pour la réplique.
M. Jacques Fernique. C’est entendu, madame la secrétaire d’État, la messe n’est pas dite pour ce qui est du règlement Reach : il existe encore une chance pour les autorités nationales et pour les acteurs locaux et régionaux de se faire entendre, dites-vous. J’espère que notre gouvernement y contribuera.
En ce qui concerne la nouvelle génération d’accords commerciaux, en revanche, je suis moins convaincu que vous ne semblez l’être…
Mme le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger.
Mme Patricia Schillinger. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’Union européenne, à travers sa réglementation d’harmonisation, veille à lever les obstacles à la libre circulation, permettant ainsi l’existence d’un marché unique sur lequel les consommateurs ont accès à des produits sûrs et de qualité, et ce dans des conditions de transparence.
Il n’est pas impossible que certaines professions, ainsi que leurs savoir-faire, puissent être mises en difficulté dans le cadre de l’élaboration des normes européennes. En juillet dernier, notre commission a choisi de porter son attention sur le régime européen d’autorisation de l’usage du plomb et son incidence sur des éléments constitutifs du patrimoine européen. Par une proposition de résolution européenne, nous avons souhaité encourager la Commission européenne et le Gouvernement à préserver l’activité des vitraillistes et autres professions d’art, menacée par l’interdiction du plomb qui pourrait intervenir dans le cadre de la prochaine révision du règlement Reach relatif aux substances chimiques.
Par ce texte, notre commission a affirmé la nécessité pour l’Union européenne de reconnaître et de protéger ces métiers et leurs savoir-faire, qui sont partie intégrante de notre patrimoine européen, qui en font la richesse et celle de nos territoires.
Elle a fait de même concernant la préservation de la filière des huiles essentielles à base de lavande, menacée elle aussi par la révision du même règlement Reach. Notre commission a défendu cette filière en faisant valoir que nos huiles essentielles de lavande sont des produits agricoles artisanaux non chimiques et que la filière de l’herboristerie fait partie intégrante du patrimoine immatériel français.
En outre, le Sénat, chambre des territoires, s’attelle à ce que lesdits territoires, leurs savoir-faire et leurs cultures soient défendus et représentés dans l’élaboration de la norme, à l’échelon national comme à l’échelon européen. Je remercie d’ailleurs notre commission d’avoir mis à l’ordre du jour ce débat.
Plus largement, dans un espace européen où règne la libre circulation, des produits qui sont l’emblème d’un territoire, l’expression d’un savoir-faire et le fruit d’une culture peuvent être mis en concurrence avec des importations susceptibles d’en usurper la qualité, la provenance ou la sûreté.
Aussi, valoriser ces savoir-faire par une indication géographique permet avant tout de rassurer le consommateur quant à la provenance et à la qualité réelle d’un produit. L’indication met en avant les producteurs locaux authentiques et les protège de la contrefaçon ; elle valorise les particularités des patrimoines locaux, favorise l’emploi et pérennise les savoir-faire.
C’est ce que le droit européen autorise. Les États membres, sous couvert de protection de la propriété intellectuelle et commerciale, sont autorisés à protéger ces productions spécifiques au moyen d’appellations géographiques.
Avec la loi relative à la consommation, la France a ainsi, sur le modèle de ce qui se fait en matière agroalimentaire, mis en place des indications géographiques dans les domaines industriels et artisanaux.
Le recours à de telles indications permet d’interdire l’usage de l’appellation aux entreprises qui n’en respectent pas le cahier des charges. En France, c’est l’Institut national de la propriété industrielle (Inpi) qui gère les indications géographiques et les homologations. Toutefois, une simple protection nationale présente des limites. Et c’est bien là tout l’enjeu d’une reconnaissance accrue au niveau européen.
En effet, en l’état, l’absence d’un système européen harmonisé de reconnaissance des indications géographiques revient à laisser à la seule charge des États le soin de garantir et de préserver ce qui fait la richesse, et même la raison d’être, de l’Union européenne : sa diversité. Cette absence de cadre harmonisé pénalise les métiers traditionnels et leur production, inégalement protégés d’un État à l’autre.
Or, dans le prolongement de la crise sanitaire, l’exigence de protection est forte. La libre circulation et l’accès aux marchandises ne suffisent plus : les citoyens européens attendent de l’Union qu’elle les protège. La culture et les savoir-faire qui figurent au cœur de leur identité et, a fortiori, au cœur de l’héritage européen, font partie des éléments qu’ils souhaitent voir protéger. Poteries d’Alsace, savon de Marseille, faïence de Gien, espadrille basque, tous doivent pouvoir bénéficier d’une reconnaissance et d’une protection européennes.
De ce point de vue, nous saluons la proposition de règlement présentée en avril dernier par la Commission européenne en vue de protéger les indications géographiques non agricoles. Il s’agit d’instaurer au niveau européen une indication géographique pour les produits artisanaux et industriels, dont la gestion serait centralisée et l’obtention simplifiée. Les négociations devraient se poursuivre sous la présidence tchèque du Conseil de l’Union européenne, pour une entrée en vigueur en 2024.
Nous encourageons cet effort et souhaitons le voir aboutir. Une étape décisive serait ainsi franchie pour la prise en compte des territoires, des savoir-faire et des cultures dans l’élaboration des réglementations européennes d’harmonisation.
Nous y serons attentifs, au nom de nos producteurs et de la défense de notre patrimoine français et européen, dans le souci permanent de la protection des consommateurs.
Mme le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Laurence Boone, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée de l’Europe. Je concentrerai mon propos sur les indications géographiques qui, comme vous le soulignez, sont d’une grande importance à nos yeux.
La révision législative européenne qui est en cours en la matière est un sujet que nous suivons de très près. Tout en partageant évidemment les objectifs qui sont ceux de la Commission, nous nous attachons à certains points de vigilance qui ont été à maintes reprises évoqués au cours du débat : en particulier, l’harmonisation des pratiques ne doit pas amoindrir la spécificité des produits qui sont sous indication géographique.
En ce qui concerne les indications géographiques pour les produits industriels et artisanaux, comme vous le savez, la France a mis ce sujet sur la table pendant la présidence française du Conseil de l’Union européenne (PFUE). Et nous sommes ravis que la Commission fasse sienne cette entreprise : elle a présenté en avril la proposition de règlement que vous mentionnez ; nous avons fait avancer les travaux techniques sur le texte et l’examen se poursuit. Nous partageons les mêmes objectifs et serons très attentifs à ce que les dispositions de ce texte ne soient pas affaiblies ; nous veillerons même à ce qu’elles soient renforcées, en matière de contrôle notamment.
Si tel n’était pas le cas ou si certaines inquiétudes n’étaient pas levées, je vous serais reconnaissante de nous le signaler.
Mme le président. La parole est à Mme Marie-Pierre Monier. (MM. Lucien Stanzione et Jacques-Bernard Magner applaudissent.)
Mme Marie-Pierre Monier. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, mon intervention est complémentaire de celle de mon collègue Lucien Stanzione – je ne reviendrai donc pas sur les éléments de présentation de la filière lavandicole qu’il a donnés.
J’en viens directement aux difficultés auxquelles se heurte cette filière du fait de deux réglementations, Reach et CLP, emblématiques des paradoxes propres à certaines législations européennes.
Précisons que, pas plus que nous, les professionnels de la lavande, et plus généralement des plantes à parfum, aromatiques et médicinales, ne contestent le bien-fondé des objectifs qui motivent ces réglementations.
Pour le dire vite, Reach instaure un système d’enregistrement, d’évaluation et d’autorisation qui a permis une harmonisation des exigences et un meilleur contrôle des substances chimiques. De son côté, le règlement CLP, qui a trait à la classification, à l’étiquetage et à l’emballage, vise à améliorer l’information relative aux substances chimiques.
Mises en œuvre selon des calendriers progressifs, ces réglementations avaient déjà donné lieu à des adaptations pour les producteurs d’huiles essentielles, dont la filière lavandicole représente la plus grande partie de la production en France.
Des révisions doivent intervenir dans les prochains mois, portant sur l’augmentation du niveau d’exigence des contrôles, afin de supprimer les produits chimiques les plus nocifs, et sur une meilleure identification des perturbateurs endocriniens.
Une nouvelle fois, la filière lavande, plus généralement celle des huiles essentielles, se voit ainsi confrontée à des dispositions qui ne sont pas du tout adaptées.
Elles ne sont pas adaptées, d’une part, à leurs caractéristiques : celles d’un produit naturel, simplement extrait de la plante grâce à la vapeur d’eau, qui doit être considéré comme un tout – totum – et non réduit à une composition de molécules.
Elles ne sont pas adaptées, d’autre part, à leur mode de production, organisé en petites entités, dans des territoires historiques de production constitués de zones de collines, de plateaux et de montagnes sèches.
Enfin, elles ne sont pas adaptées à l’usage traditionnel millénaire des huiles essentielles et des plantes en général, patrimoine vivant qui a vocation à être reconnu au titre du patrimoine culturel immatériel.
Ces inadaptations font peser un risque important sur la survie de la filière, dans ses territoires de production historiques où les cultures de plantes à parfum, aromatiques et médicinales (PPAM) ont peu ou n’ont pas de substituts possibles. Au-delà des emplois directs de la filière, c’est l’ensemble de l’économie des territoires provençaux qui est menacé, car les champs de lavande font aussi vivre l’apiculture et surtout le tourisme.
En outre, en ne prenant pas en compte les spécificités de la filière des huiles essentielles, ces réglementations entrent en contradiction avec les objectifs affichés par le Pacte vert européen d’amélioration du bien-être et de la santé des citoyens, mais aussi avec la volonté croissante, exprimée depuis de nombreuses années par les consommateurs européens, d’accéder à des produits toujours plus naturels.
Il est donc indispensable pour l’avenir de la filière lavandicole que les révisions des réglementations Reach et CLP tiennent compte de la spécificité des huiles essentielles.
De la même manière, la filière doit être aidée, comme mon collègue Lucien Stanzione vient de le rappeler, pour passer la crise de marché qu’elle rencontre ; des solutions doivent être trouvées rapidement.
Sans cela, cette filière est vouée à disparaître, alors même qu’elle est en pleine dynamique de valorisation, comme en témoignent les démarches pour toiletter l’AOP Huile essentielle de lavande de Haute-Provence, pour créer une IGP Lavandin de Provence ou encore pour lancer une demande de reconnaissance des « paysages olfactifs et poétiques de la lavande » au patrimoine mondial de l’Unesco. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mmes Marie-Noëlle Lienemann et Patricia Schillinger applaudissent également.)
Mme le président. La parole est à M. Jean-Michel Arnaud.
M. Jean-Michel Arnaud. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, vous l’aurez compris par la résonance des interventions dans cet hémicycle, « la lavande est l’âme de la Provence ».
Si j’emprunte aujourd’hui les mots de Jean Giono, c’est pour défendre un patrimoine vivant, un atout reconnu au niveau international. Bien plus qu’une plante, la lavande est un symbole de notre tissu agricole, un savoir-faire ancestral, une identité paysanne, bref un emblème culturel.
Aujourd’hui, sa production – tout comme celle des plantes à parfum, aromatiques et médicinales – se voit menacée par la révision de deux règlements européens sur les produits chimiques : le règlement Reach et le règlement CLP. En ce sens, je remercie la commission des affaires européennes et son président, Jean-François Rapin, d’avoir permis l’inscription de ce débat à l’ordre du jour de nos travaux. Je les remercie également d’avoir permis à la commission des affaires européennes et au Sénat d’adopter une résolution sur ce sujet.
Oui, il s’agit d’un exemple criant du manque de prise en compte des territoires, des savoir-faire et des cultures dans l’élaboration de réglementations européennes d’harmonisation.
Ces deux règlements – Reach et CLP – visent respectivement à sécuriser l’utilisation des substances chimiques par rapport à la santé humaine et à l’environnement, et à informer correctement les consommateurs des propriétés et des dangers d’une substance. Si les objectifs visés par la Commission européenne à travers ces dispositions sont plus que respectables – il s’agit en fait d’une nécessité –, les modalités d’application de ces deux règlements ne sont absolument pas adaptées à la filière lavandicole ni à celle des huiles essentielles.
Concrètement, l’accès au marché européen est subordonné à l’obligation de fournir des données fondées sur des tests scientifiques. Le résultat de ces tests conditionne les autorisations de mise sur le marché ainsi que les modes de commercialisation.
Toutefois, la nature des tests ne prend pas en compte les réactions chimiques propres aux huiles essentielles. Cette révision prévoit ainsi, pour certains dangers, d’évaluer les huiles essentielles en utilisant uniquement les composants, sans étudier le produit dans son ensemble. La lavande et le lavandin sont utilisés depuis l’Antiquité pour leurs vertus : les différentes huiles essentielles de lavande, testées dans leur globalité, n’induisent pas, à notre connaissance, d’effets graves pour le corps humain.
La révision prévoit également des tests scientifiques supplémentaires que les producteurs devront prendre en charge ; ces derniers ne sont pas sûrs de pouvoir les supporter. Alors que la lavande et le lavandin représentent en France 9 000 emplois directs et 17 000 emplois indirects, de telles mesures seraient dramatiques pour une filière regroupant majoritairement de petites exploitations et distilleries. Si, dans le cadre du projet de loi de finances rectificative, le Sénat a alloué 10 millions d’euros supplémentaires à la filière, le durcissement de ces règlements mènerait inévitablement à l’augmentation des prix des huiles essentielles.
En conséquence, les industriels pourraient être tentés de substituer aux produits naturels des substances synthétiques contenant du pétrole, ce qui mène ironiquement à l’effet inverse de celui recherché par la Commission.
M. Lucien Stanzione. Eh oui !
M. Jean-Michel Arnaud. Il convient également de noter que la Commission européenne propose la création d’une nouvelle classe de danger concernant les perturbateurs endocriniens, dont les critères sont en cours de consultation publique jusqu’au 18 octobre prochain.
Dans ce contexte d’incertitude, les professionnels s’inquiètent d’une éventuelle confusion entre les perturbateurs endocriniens et la notion de modulateurs hormonaux, laquelle obéit à des phénomènes physiologiques différents.
Pour finir, imposer des normes restrictives à une filière aussi dépendante du commerce international aurait pour conséquence de l’exposer à une publicité négative. Cela pourrait ternir sa compétitivité hors prix, la simple annonce de révision de réglementation ayant engendré un vent d’inquiétude jusque dans les colonnes du Wall Street Journal. Si des huiles essentielles étaient, à tort, considérées comme très dangereuses ou si des pictogrammes dissuasifs venaient à être imposés sur le packaging des produits, les ventes en seraient évidemment impactées.
Le Sénat sera toujours présent pour veiller sur les terroirs et les territoires. Le Gouvernement se doit d’être aux côtés de nos professionnels afin que « l’âme de la Provence » ne soit pas mise en jachère à jamais.
Mme le président. Il faut conclure !
M. Jean-Michel Arnaud. Je vous remercie, madame la secrétaire d’État, de vous assurer du soutien complet du Gouvernement, tous ministères confondus, afin que notre unité puisse porter ses fruits auprès de la Commission, que nous rencontrerons dans quelques jours.
Mme le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Laurence Boone, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée de l’Europe. Madame la sénatrice, monsieur le sénateur, permettez-moi de vous rassurer : nous avons évidemment à cœur les intérêts de la filière lavandine et de la Provence, ainsi que ceux de toutes les personnes qui vivent de la production des huiles essentielles.
Il y a derrière la révision du règlement Reach un souci de santé publique, comme l’a souligné Marie-Pierre Monier. Il importe donc que nous puissions trouver un équilibre entre l’impact socio-économique et la santé publique.
Voilà pourquoi des consultations ont été lancées. Bien évidemment, ma porte, comme celle du ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire ainsi que du ministre de la santé et de la prévention, reste ouverte pour discuter de tous ces sujets.
M. Lucien Stanzione. Nous en prenons note !
Mme Laurence Boone, secrétaire d’État. Je souligne également que cette révision – j’ai le sentiment qu’il y a parfois une confusion – ne tendra pas à exiger l’analyse de chaque molécule des huiles essentielles. En revanche, il s’agira d’analyser toutes leurs composantes. De la sorte – j’ai entendu votre inquiétude –, l’utilisation de pétrole sera clairement notifiée. Certes, les huiles essentielles sont naturelles, mais pour les obtenir il faut recourir à des processus chimiques. C’est pourquoi elles tombent sous le coup de la réglementation Reach.
J’ai précisé qu’aucune décision ne serait prise avant la fin de l’année 2022 : que Mme la sénatrice Marie-Pierre Monier soit rassurée, le projet de révision du règlement Reach devrait être présenté en 2023 par la Commission.
Mme le président. La parole est à M. Jean-Michel Arnaud, pour la réplique.
M. Jean-Michel Arnaud. Madame la secrétaire d’État, je vous remercie de cette réponse, qui me convient pour partie. La consultation et la concertation ont bien eu lieu puisque certains d’entre nous ont rencontré Marc Fesneau. J’attends surtout qu’une coordination soit mise en place au niveau ministériel afin que la position française soit solide lors des futures discussions avec la Commission.
Vous avez parlé de la présence de molécules chimiques : nul ne le nie. Mais l’huile, dans sa globalité, n’est pas un produit chimique. Il faut en faire la démonstration, notamment à Bruxelles ! Les huiles essentielles ne portent pas atteinte à la santé publique. En 2 000 ans d’utilisation, elles n’ont jamais eu, hors usage inadéquat, de conséquences néfastes sur la santé des usagers.
Enfin, je me permets une observation de procédure. La commission souhaite user de son pouvoir réglementaire. Il me semble au contraire nécessaire de s’en tenir à un processus purement législatif : il est important que les parlementaires exercent leur contrôle, comme le fait aujourd’hui le Sénat pour la France. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)
Mme le président. La parole est à M. Jean-Claude Anglars. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Claude Anglars. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’harmonisation est le plus souvent perçue comme une solution face à la diversité des cadres normatifs des pays membres de l’Union européenne. C’est pourquoi l’uniformisation des droits nationaux connaît une expansion continue, touchant de plus en plus de secteurs.
Néanmoins, je crois important de relever une limite essentielle de cette harmonisation, avant de l’illustrer par l’exemple de la généralisation annoncée du Nutri-score à l’échelle européenne, un système d’étiquetage nutritionnel à cinq niveaux.
Sur le principe, il est utile de rappeler que l’harmonisation normative telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui ne correspond bien souvent ni à la lettre ni à l’esprit des traités européens. L’étendue et l’intensité de l’intégration s’apparentent, parfois, à une voie d’extension du champ des compétences de l’Union européenne, contrairement à ce que prévoient les traités, et ce au détriment de l’intérêt des productions nationales.
Il en est ainsi de la généralisation annoncée du Nutri-score au niveau européen résultant de la stratégie « de la ferme à l’assiette » publiée en mai 2020 par la Commission européenne, qui a annoncé « une proposition législative d’étiquetage nutritionnel obligatoire et généralisé » pour le quatrième trimestre de 2022. Si l’on ne peut qu’approuver la volonté louable d’orienter le consommateur vers une alimentation saine, la généralisation du Nutri-score à tous les produits est problématique pour deux raisons principales.
Elle est problématique, d’abord, car l’indicateur retenu produira une information tronquée et trompeuse sur certaines productions alimentaires de qualité, comme le fromage ou la charcuterie, reconnus par des AOP ou des IGP. Ces produits, qui sont au cœur des terroirs et des identités locales, pourraient donc, bientôt, être moins bien « notés » par l’algorithme Nutri-score que certains produits industriels transformés.
Elle est problématique, ensuite, car la généralisation du Nutri-score se fait au détriment des territoires et de la variété des productions locales dans les pays membres de l’Union européenne. Je pourrai ainsi évoquer les craintes des producteurs dans la zone d’appellation Roquefort ou celles des producteurs italiens et espagnols de la filière oléicole, car l’incompréhension devant cette règle aveugle aux territoires se retrouve dans tous les pays membres.
La stratégie de la Commission européenne n’est donc pas d’harmoniser des droits nationaux, qui reconnaissent et protègent chacun la qualité de leurs productions locales, mais bien de promouvoir un nouveau modèle par une uniformisation juridique européenne à marche forcée.
Il s’agit donc non pas d’une harmonisation juridique, mais bien d’une uniformisation idéologique pouvant conduire à une dérive dangereuse.
Mme le président. Il faut conclure, cher collègue !
M. Jean-Claude Anglars. Devant ce risque, il est temps que le Gouvernement réagisse pour les consommateurs et les producteurs, et qu’il défende les terroirs ainsi que la diversité des productions locales qui font la culture alimentaire française. Il est temps que le Gouvernement demande l’exemption de certains produits AOP et IGP du Nutri-score européen !
Mme le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Laurence Boone, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée de l’Europe. Monsieur le sénateur, la France est favorable à l’harmonisation d’un système d’étiquetage nutritionnel qui soit frontal et harmonisé à l’échelle de l’Union européenne. Il s’agit d’une priorité, ainsi que l’a répété Marc Fesneau lors du dernier Conseil des ministres de l’agriculture le 26 septembre dernier.
Comme vous le savez, un récent rapport du Centre commun de recherche (CCR) a montré que les consommateurs appréciaient cet étiquetage nutritionnel : ils y trouvent un moyen rapide et facile d’obtenir des informations.
Bien évidemment, ce système doit être fondé sur des données scientifiques. Il doit être solide et ces données doivent être indépendantes. La France soutient un système qui évalue la qualité nutritionnelle globale des denrées alimentaires, avec un code couleur établi selon des quantités standards pour permettre la comparaison entre les aliments.
Depuis 2019, la France a mis en place une stratégie d’influence afin de promouvoir le Nutri-score au niveau européen et de répondre aux attaques de l’Italie. Ce pays y est en effet fortement opposé, car il juge que le Nutri-score a un impact défavorable sur sa gastronomie et ses produits traditionnels.
En janvier 2021, nous avons mis en œuvre une gouvernance transnationale du Nutri-score à laquelle participent six États membres, dont la France, constituée d’un comité de pilotage et d’un comité scientifique.
Je comprends que vous soyez préoccupé par le décalage observé entre l’étiquetage nutritionnel mis en place en France et la composition des fromages, notamment lorsqu’il s’agit d’appellation d’origine protégée. C’est pourquoi la France soutient une adaptation de l’algorithme du Nutri-score, notamment pour les fromages. Vous savez que cette révision est en cours et qu’il existe une réflexion sur le traitement des produits sous signe de qualité – vous avez mentionné la filière roquefort.
Quoi qu’il en soit, comptez sur nous : nous allons continuer à promouvoir sur ce dossier une position d’équilibre entre l’amélioration de la santé publique et la préservation de la production des produits locaux.
Mme le président. La parole est à Mme Chantal Deseyne. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Chantal Deseyne. Il n’est pas simple d’intervenir en fin de débat… Je souhaite en effet, madame la secrétaire d’État, appeler votre attention sur la restriction, voire l’interdiction, de l’usage du plomb et sur ses conséquences pour les entreprises du secteur du vitrail.
Depuis 2018, le plomb figure sur la liste des substances candidates à l’inscription de l’annexe XIV du règlement européen Reach, entré en vigueur en 2007 pour sécuriser la fabrication et l’utilisation des substances chimiques dans l’industrie européenne.
À terme, l’usage du plomb pourrait ainsi être interdit d’ici trois à quatre ans en Europe, sauf à disposer d’une autorisation au coût prohibitif pour les utilisateurs. Les métiers du patrimoine risquent de prendre de plein fouet cette interdiction.
L’interdiction ou la restriction de l’utilisation du plomb pour les vitraillistes pourrait condamner un nombre important d’entreprises ayant développé un savoir-faire unique. Madame la secrétaire d’État, les professionnels de ce secteur sont légitimement inquiets, car – vous le savez – la fabrication et la conservation du vitrail restent indissociables de l’usage du plomb. Élue d’Eure-et-Loir, où se trouve implanté le Centre international du vitrail de Chartres, je suis particulièrement attentive à l’évolution de la réglementation européenne.
Bien évidemment, l’enjeu sanitaire est central. Le plomb est un polluant identifié depuis longtemps. Les artisans du vitrail ont mis en place des protocoles rigoureux garantissant leur sécurité et leur protection par rapport à une surexposition au plomb, sans parler des deux indicateurs du code du travail rappelés par notre collègue Louis-Jean de Nicolaÿ.
L’ajout officiel du plomb à l’annexe XIV du règlement Reach fragilisera tout un secteur d’activité ayant développé un savoir-faire unique contribuant à l’entretien, à la restauration et à la mise en valeur du patrimoine bâti français. À terme, il pourrait même conduire à sa disparition.
Madame la secrétaire d’État, quelles mesures le Gouvernement entend-il mettre en œuvre auprès de la Commission européenne pour préserver le secteur du vitrail ?
M. René-Paul Savary. Très bien !
Mme le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Laurence Boone, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée de l’Europe. Comme je l’ai déjà souligné, nous sommes ouverts au dialogue et nous continuerons de discuter avec tous les acteurs de la filière. Qu’il s’agisse de la ministre de la culture, du ministre de la transition écologique ou de moi-même, nous sommes pleinement conscients des interrogations et des inquiétudes des différents corps du patrimoine, notamment ceux des vitraux que vous avez mentionnés ou des fabricants d’orgues.
Nous suivons avec beaucoup d’attention l’évolution du cadre législatif en ce domaine. Deux consultations ont été menées : l’une, scientifique, conduite par l’Echa ; l’autre conduite par la Commission, assortie d’une consultation publique mesurant à la fois les impacts socio-économiques et culturels d’une éventuelle inscription à l’annexe XIV, ainsi que les impacts sanitaires.
L’Agence européenne des produits chimiques n’adoptera pas sa recommandation avant la fin de l’année 2022. C’est à ce moment-là que la Commission proposera son projet de règlement. J’insiste sur le fait qu’elle ne sera pas tenue de proposer l’inscription du plomb à l’annexe XIV, même si l’Echa devait le recommander.
Par ailleurs, si le plomb était inscrit à l’annexe XIV, cela ne signifierait pas pour autant que l’usage de cette substance serait interdit. En effet, des demandes de dérogation ou d’autorisation pourraient être introduites dans les dix-huit à vingt-quatre mois après la date d’inscription. Ces délais varieront en fonction de la décision de la Commission.
Soyez assurée que si le plomb devait être inscrit à l’annexe XIV, l’ensemble du Gouvernement, notamment mes collègues de la culture, de la transition écologique et moi-même, sera mobilisé sur ce dossier que nous suivons, en lien avec les filières concernées. Mesdames, messieurs les sénateurs, je le répète encore une fois : n’hésitez pas à nous faire remonter les inquiétudes émanant des différents acteurs.
Mme le président. La parole est à Mme Martine Berthet.
Mme Martine Berthet. Madame la secrétaire d’État, je souhaite évoquer le pastoralisme, qui est un savoir-faire ancestral emblématique de l’identité de nos territoires de montagne. Aujourd’hui, il est malheureusement mis en péril par une forte prédation, faute d’une réglementation européenne et internationale adaptée.
En effet, le loup est classé comme « espèce de faune strictement protégée » au niveau européen selon la directive dite Habitat, faune, flore de mai 1992 et au niveau international selon la convention de Berne de 1979. Si ce cadre réglementaire a permis de protéger sensiblement la biodiversité au sein de l’Union européenne – nous pouvons nous en réjouir –, il a également favorisé la prolifération des grands carnivores.
On estime à 17 000 le nombre de loups présents sur le territoire européen. En France, l’Office français de la biodiversité (OFB) l’a récemment réévalué à environ un millier, contre 3 000 loups selon les chasseurs et les agriculteurs, qui se fondent sur une réalité observée au quotidien et dont témoignent les attaques incessantes. Celles-ci exercent une pression considérable sur des éleveurs passionnés, mais épuisés et découragés. Parmi eux, beaucoup ne veulent plus faire monter leurs troupeaux dans les alpages, par crainte pour la survie de leurs animaux.
Certains pâturages ne sont par conséquent plus entretenus et se referment progressivement. À terme, cette dégradation des paysages posera d’importants problèmes de sécurité, en augmentant les risques d’avalanche l’hiver et d’incendie l’été.
Par ailleurs, la multiplication des attaques, non seulement sur des ovins et des caprins, mais de façon croissante sur des bovins, conduit à une diminution du temps passé par les troupeaux dans les pâturages, voire de leur taille. Certains éleveurs arrêtent leur activité, comme tout dernièrement dans le Vercors. Derrière ce triste constat, ce sont toutes nos appellations d’origine protégée et nos indications géographiques protégées pour la viande et le fromage qui sont mises en danger. Le pastoralisme répond pourtant à nos objectifs de consommation locale, responsable, et durable, en contribuant à la fois à notre sécurité alimentaire et au respect du bien-être animal.
C’est pourquoi réviser la réglementation européenne et internationale en déclassant le loup de la catégorie « espèces de faune strictement protégées » pour l’ajouter à celle des « espèces de faune protégées » est absolument essentiel pour préserver un savoir-faire traditionnel, la qualité du travail de nos éleveurs, ainsi que nos AOP et nos IGP.
À travers un avis politique devenu résolution européenne le 21 août 2020, le Sénat avait déjà alerté sur les écueils de cette réglementation, en vain. À présent d’autres pays européens réagissent : ainsi le 26 septembre dernier, lors du Conseil « Agriculture et pêche », la délégation autrichienne a demandé la révision de la directive « Habitat, faune, flore », avec le soutien de la Croatie, la Finlande, la Hongrie, la Lettonie, la Roumanie et la Slovaquie. Madame la secrétaire d’État, nous devons faire bloc à leurs côtés.
Mme le président. Il faut conclure, chère collègue !
Mme Martine Berthet. Dans nos territoires, nous voulons protéger nos éleveurs, nos traditions, nos produits du terroir, mais pas le loup, dont la survie n’est plus en danger.
Mme le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Laurence Boone, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée de l’Europe. Madame la sénatrice, le loup est évidemment un sujet qui affecte bon nombre d’États membres. Vous avez eu raison de mentionner le Conseil des ministres de l’agriculture et tous les pays qui demandent à la Commission de réexaminer l’interprétation de la directive Habitat, puisque c’est également le cas de la France.
L’objectif pour nous est d’obtenir une souplesse accrue afin d’organiser une coexistence entre élevage et présence du loup, notamment en zone pastorale, dans le respect de l’état de conservation de l’espèce.
Les résultats du suivi de la population de loups à la fin de l’hiver 2021-2022 font état d’une poursuite de la croissance de la population, mais avec un effectif estimé seulement à 921 loups, chiffre largement inférieur au seuil de viabilité génétique de 2 500 individus, qui n’est pas atteint à l’échelle nationale.
En outre, si l’augmentation de la population des loups est évidemment une bonne nouvelle pour la biodiversité, comme vous l’avez souligné, elle n’est pas synonyme de dommages accrus aux troupeaux. Au contraire, ces dommages se sont stabilisés en 2018. Par la suite, le nombre d’animaux domestiques tués a connu une légère baisse au cours des deux dernières années. Il s’élève à 11 000 ovins et caprins, ce qui, je le comprends, reste un chiffre très élevé pour nos éleveurs.
La volonté du Gouvernement est donc bien de réduire encore le nombre de prédations. Cela passe en priorité par le déploiement de mesures de protection puisque tous les élevages ne sont pas aujourd’hui protégés. Nous continuons à mobiliser tous les moyens identifiés dans le plan national pour le loup afin de renforcer la protection des troupeaux, notamment avec la filière qualité des chiens de protection et l’accompagnement des éleveurs.
Un observatoire des mesures de protection a également été mis en place pour améliorer notre connaissance de la localisation et des taux de mise en place des mesures de protection, afin de mieux venir en appui aux éleveurs.
Mme le président. La parole est à Mme Martine Berthet, pour la réplique.
Mme Martine Berthet. J’entends vos réponses, madame la secrétaire d’État, mais il est temps de réactualiser vos chiffres.
Mme Marie-Christine Chauvin. Tout à fait !
Mme Martine Berthet. Vous ne faites référence qu’aux ovins et aux caprins. Or le risque concerne maintenant également les bovins, qui sont de plus en plus touchés. Ce sont eux qui interviennent le plus dans nos filières AOP et IGP fromages et viande. Si les choses étaient si simples et si les attaques diminuaient, nos éleveurs n’arrêteraient pas leur activité, comme c’est le cas actuellement.
L’OFB a effectivement réévalué ses chiffres grâce à des comptages réalisés en commun avec les chasseurs et les éleveurs. Pour autant, cette révision n’est pas suffisante dans la mesure où les observations locales de chasseurs et d’éleveurs font plutôt état de la présence de 3 000 loups en France, loin des 921 individus dont vous faites état. Des mesures ont été mises en place en matière de protection, mais elles ne sont pas suffisantes puisque des éleveurs se découragent et arrêtent leur activité.
Conclusion du débat
Mme le président. En conclusion de ce débat, la parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Laurence Boone, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée de l’Europe. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires européennes, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de la richesse de ce débat et de l’ensemble de vos questions, qui traduisent l’inquiétude de nos concitoyens, des artisans, des entreprises et des élus locaux quant à la possibilité pour eux de continuer à faire vivre leurs savoir-faire. Car ce sont ces savoir-faire qui animent les cultures locales et contribuent à la vie économique des territoires. Ils participent au rayonnement de la France hors de ses frontières, qu’il s’agisse du patrimoine, de la gastronomie – qui fait aussi partie de notre patrimoine – ou des produits d’artisanat.
De manière plus personnelle, je vous remercie d’avoir abordé dans cet hémicycle le sujet de l’huile essentielle de lavande,…
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. On la sent presque ! (Sourires.)
Mme Laurence Boone, secrétaire d’État. … du brie de Meaux, du brie de Melun et des produits issus des pâturages alpins, qui témoignent tous de la diversité et de la richesse de nos terroirs.
Loin de moi l’idée de masquer les situations parfois difficiles des femmes et des hommes qui font vivre ces productions. Dès le premier jour de son premier mandat, le Président de la République a fait de l’Europe un réflexe dans la recherche de solutions face aux défis auxquels nous sommes confrontés. Ce n’est pas une posture, mais c’est bien l’application stricte du principe de subsidiarité consacré dans notre Constitution, comme dans les traités européens.
Comme lui, nous croyons que face aux défis en matière de sécurité collective, de crise énergétique, de prospérité économique, de transition verte et de protection de la santé, l’échelon européen est le plus pertinent, celui qui nous protège et protège le mieux nos artisans, nos éleveurs et nos producteurs.
C’est également celui qui assure la protection de nos productions les plus locales dans le système économique très mondialisé, caractérisé par de fortes distorsions de concurrence, dans lequel nous vivons. Le système des indications géographiques, que je vous remercie d’avoir mentionné, est un outil précieux, tant pour garantir la qualité de nos produits que pour en favoriser le rayonnement en France et à l’étranger.
C’est pourquoi la France a plaidé – je l’ai déjà indiqué – pour la création d’un système d’indications géographiques pour les produits non agricoles, afin de permettre aux artisans européens de mieux défendre leurs savoir-faire.
Je me réjouis que la commission ait adopté la proposition de résolution que vous avez mentionnée. Nous la soutiendrons pleinement et discuterons avec vous afin de nous assurer que le texte soit bien adapté aux spécificités de nos territoires et à leurs productions.
Cette adaptation de notre réglementation européenne aux spécificités de nos territoires, qui est au cœur de nos débats d’aujourd’hui, est bien la question essentielle. Dans notre vie courante, nous sommes de plus en plus aux prises avec les réglementations européennes. J’ai entendu votre message : ces réglementations sont souvent – je dirais même, trop souvent – perçues comme le fruit d’une élaboration lointaine, technocratique et opaque. Mais je vous l’assure, pour les acteurs de la vie publique que nous sommes, je veux qu’il en aille autrement : les éléments concrets que vous avez évoqués – l’association des territoires et des secteurs professionnels à l’élaboration des réglementations d’harmonisation les concernant – doivent être plus fortement pris en compte qu’ils ne l’ont été jusqu’à présent.
Bien sûr, nous avons aussi besoin que les citoyens participent à la vie démocratique de l’Union, et qu’un dialogue régulier soit mené avec les associations représentatives et la société civile – des principes au fondement de l’Union européenne. Mais ce qui traduit le mieux la vie démocratique européenne, c’est l’association des parlements nationaux à l’adoption des textes législatifs ainsi que, comme cela a été dit cet après-midi, les procédures de pétition ou d’initiative citoyenne européenne, les avis du Comité européen des régions et du Comité économique et social européen (Cese), et les rapports mentionnés tant par M. le président de la commission au début de son intervention que par les différents intervenants.
J’entends vos propositions, monsieur le président Rapin, visant à permettre une meilleure prise en compte de l’avis des parlements nationaux. La diplomatie parlementaire, à laquelle vous êtes très attaché, me paraît à cet égard essentielle – et nous vous appuierons sur ce point.
Je veux également vous assurer une nouvelle fois que les autorités françaises sont les premières à défendre les intérêts des territoires et les savoir-faire locaux dans le processus décisionnel européen. En ce qui concerne la révision à venir du règlement Reach, nous avons entendu les préoccupations exprimées par de nombreux secteurs, et nous serons très vigilants sur la réforme du cadre existant. Cette réforme est nécessaire pour rendre notre cadre de vie plus sain, mais doit se faire en intégrant les considérations sociales, économiques et culturelles des territoires.
Mme le président. Veuillez conclure, madame la secrétaire d’État.
Mme Laurence Boone, secrétaire d’État. Il n’y a pas d’arbitrage à faire entre l’objectif de santé publique et la défense de notre patrimoine. Il faut, au contraire, trouver une position équilibrée et accompagner les acteurs concernés. (Mme Patricia Schillinger et M. Jean-Pierre Corbisez applaudissent.)
Mme le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. Madame la secrétaire d’État, vous l’avez compris, si cette enceinte respire l’Histoire, elle respire aussi les territoires, comme le montre l’expression sincère par les sénateurs des spécificités de ces territoires.
Je veux signaler deux points importants.
D’abord, les paroles très ambitieuses et volontaires que vous avez prononcées et qui soutiennent nos propos pourraient être concrétisées par la mise en place, dans les institutions européennes, d’une mesure simple. La culture d’une nation est véhiculée par son drapeau, mais aussi par sa langue. Il me semble donc très important de faire respecter le multilinguisme au sein des institutions. Prenons l’exemple de Reach. Le règlement Reach fait environ mille pages, presque entièrement en anglais,…
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Alors que les Anglais ont quitté l’Union !
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. … et le site internet qui a permis d’alimenter la réflexion est uniquement en anglais. Nous pourrions donner une impulsion en faveur non seulement du français, mais du multilinguisme !
Ensuite, sur la question des dérogations, sur laquelle vous nous avez apporté des précisions, il faut aller plus loin. Nous devons expliquer à nos collègues que les États doivent mener le combat. En effet, la Commission ne peut adopter de modification si le comité Reach, composé d’un représentant de chaque État membre, émet un avis négatif à la majorité qualifiée. Les choses ne sont pas simples, et il faut que l’État fasse preuve d’une forte volonté.
Voilà en quelques mots ce que je souhaitais dire. Je remercie mes collègues de leur participation.
Madame la secrétaire d’État, si je porte avec fierté un pin’s européen, j’estime qu’il est aussi important d’écouter les parlements nationaux – je sais que j’ai votre oreille sur le sujet. Je n’ai pas évoqué les fromages ou les bières de mon département du Pas-de-Calais (M. Jean-Pierre Corbisez opine.), mais nous devons être fiers de toutes ces richesses : si elles existent, c’est aussi grâce à l’Europe, mais il ne faudrait pas qu’elles disparaissent à cause d’elle. (Applaudissements.)
Mme le président. Nous en avons terminé avec le débat sur la prise en compte des territoires, des savoir-faire et des cultures dans l’élaboration de réglementations européennes d’harmonisation.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures quarante, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Vincent Delahaye.)
PRÉSIDENCE DE M. Vincent Delahaye
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
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Abysses : la dernière frontière ?
Débat sur les conclusions du rapport d’une mission d’information
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la mission d’information « Exploration, protection et exploitation des fonds marins : quelle stratégie pour la France ? », sur les conclusions du rapport Abysses : la dernière frontière ?.
Je vous rappelle que dans ce débat, le Gouvernement aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur pour une durée de deux minutes ; l’orateur disposera alors à son tour du droit de répartie, pour une minute.
Monsieur le secrétaire d’État, vous pourrez donc, si vous le souhaitez, répondre après chaque orateur, une fois que celui-ci aura retrouvé une place dans l’hémicycle.
La parole est à M. Teva Rohfritsch, rapporteur de la mission d’information qui a demandé ce débat.
M. Teva Rohfritsch, rapporteur de la mission d’information « Exploration, protection et exploitation des fonds marins : quelle stratégie pour la France ? ». Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je me réjouis que nous puissions débattre des conclusions du rapport que la mission d’information sur l’exploration, l’exploitation et la protection des grands fonds marins a adopté le 21 juin dernier. Le titre que nous avons choisi pour ce rapport Abysses : la dernière frontière ? comporte un point d’interrogation. Une interpellation bien à propos, tant sont nombreux les défis pour franchir avec intelligence et discernement cette barrière de la connaissance.
En effet, et bien que cela soit difficilement concevable en 2022, il ressort de nos travaux qu’il nous reste tout, ou presque, à découvrir des grands fonds marins. Ceux-ci s’apparentent à bien des égards à une véritable terra incognita, et c’est un paradoxe : alors que douze hommes ont foulé le sol lunaire, seuls quatre ont plongé à plus de 10 000 mètres de profondeur.
En conséquence, nous ne connaîtrions, selon les plus optimistes estimations de l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer), que 5 % de la biodiversité de l’océan profond, et 2 % de la bathymétrie avec une résolution d’un mètre.
Cette méconnaissance n’est pas propre à la France, qui se situe dans la moyenne des principales puissances maritimes. Mais la France accuse bien quelques retards sur le plan industriel en dépit de ses performances reconnues sur le plan de la recherche et de l’innovation. Cette situation résulte à titre principal des difficultés liées aux grandes profondeurs, mais également, il faut le reconnaître, d’un désintérêt relatif et de longue date de la part des pouvoirs publics.
Pourtant, les enjeux sont nombreux, colossaux même, dans un monde qui va vite et dont la soif de connaissances et de ressources alternatives paraît insatiable au regard des enjeux de la transition énergétique. Souvent comparé à une nouvelle ruée vers l’or ou encore à la course aux étoiles, l’accès aux grands fonds marins, que l’on pense riches en ressources minérales, participe aux jeux et enjeux de puissances avec pour compétiteurs la Chine, la Russie, les États-Unis, la Norvège et de nombreux autres pays.
En parallèle, il a aussi été démontré que, contrairement à ce que nous pensions encore récemment, les abysses abritent une vie abondante, disposant de caractéristiques génétiques exceptionnelles pour survivre dans ces milieux hostiles. Ces écosystèmes doivent absolument être préservés. Nous n’en sommes qu’au stade de la description, et non de la compréhension de ces milieux, de leurs interactions et de leurs fonctions. Partant de ce constat et du fait que les procédés industriels d’extraction minière sous-marine n’ont pas atteint leur maturité, la mission d’information a estimé qu’il était prématuré d’envisager une exploitation.
Cela ne doit pas pour autant nous contraindre à l’immobilisme. Nous prônons au contraire un soutien accru à la recherche française, aux industriels et aux entreprises de services mobilisés sur l’exploration. Je suis en effet persuadé que la valorisation comme la protection de ces milieux fragiles passent par une première étape indispensable de recueil des connaissances. Connaître et comprendre pour protéger et préserver, tels doivent être nos maîtres-mots et je me réjouis, monsieur le secrétaire d’État, de l’appel à projets que le Gouvernement a lancé le 27 septembre dernier pour 25 millions d’euros dans le cadre du plan France 2030.
Cette première phase appelle déjà la suivante, car les opportunités de développement sont nombreuses. À titre d’exemple, il faudrait 3 500 ans à un robot autonome de type AUV (Autonomous Underwater Vehicle), pour cartographier l’ensemble de la zone économique exclusive (ZEE) française. Pourriez-vous, monsieur le secrétaire d’État, nous annoncer la suite du calendrier pour France 2030 ?
Ces enjeux globaux ne doivent pas faire oublier la dimension locale et profondément humaine de notre rapport à la mer, qui s’apparente à l’intime dans certaines cultures, comme chez nous dans les outre-mer, comme chez moi en Polynésie française : la mer y est considérée comme le premier garde-manger, le trait d’union entre les îles et les peuples, le temple sacré, la voie de l’envol des âmes, tout simplement le lieu où l’on vit en bord de terre. Cette dimension locale est souvent oubliée, comme nous l’ont unanimement signalé les représentants des territoires ultramarins que nous avons auditionnés. Il est impératif d’associer nos populations, nos élus locaux, ou ce sera l’échec et le rejet.
Dans nos collectivités du Pacifique, l’impératif culturel, viscéral, se joint au respect des lois organiques et de la Constitution, qui consacrent de larges compétences aux collectivités, que l’usage local dénomme « pays » non par défiance à l’égard de la Nation, mais par fierté de l’identité particulière, fondée par l’histoire et la géographie, qu’elles portent en son sein. Nos territoires d’outre-mer sont bien aux premières loges de tous ces défis, la ZEE française est la deuxième mondiale en termes de superficie, 97 % de celle-ci est ultramarine et 47 % en Polynésie.
Je ne doute pas, monsieur le secrétaire d’État, que vous trouverez dans ces mots les ressources pour faire naître la concertation, mais aussi l’esprit d’initiative. Ia nui te aroha : que l’amour soit grand, dit-on chez nous.
Dans ce contexte d’enjeux multiples, nous sommes convaincus que la France a un rôle essentiel à jouer non seulement dans cette immense ZEE, mais également à l’échelle internationale. Elle fut l’une des toutes premières nations à s’intéresser aux grands fonds marins, dès les années 1960. Elle dispose d’un vivier de scientifiques et d’entreprises innovantes de renommée mondiale. La France est un membre historique et actif de l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM), qui lui a octroyé deux contrats d’exploration dans les eaux internationales. Sa marine est présente sur tous les océans.
Notre pays, avec toutes ses composantes ultramarines, est donc bien incontournable. C’est une chance pour lui, autant qu’une responsabilité que le Président de la République a fait sienne. Nous devons tous ensemble assumer cette responsabilité devant les Nations du monde, en particulier celles qui sont moins attentives aux impacts de l’immixtion de l’homme dans les milieux abyssaux. « Homme libre, toujours tu chériras la mer », nous disait Baudelaire : la France doit défendre au sein de l’AIFM une position exigeante quant aux garanties environnementales et aux moyens consacrés à leur respect.
Ces défis sont passionnants et nous obligent, mais ils appellent une forte mobilisation de l’ensemble des acteurs concernés, en particulier l’État. C’est dans cet esprit de responsabilité que nous avons formulé vingt recommandations. Il faut notamment, monsieur le secrétaire d’État, associer davantage le Parlement, clarifier la gouvernance, aujourd’hui peu lisible, et soutenir aussi bien la recherche française que le tissu industriel par une commande publique forte et constante.
À ce stade, nos recommandations ne portent ni sur l’ouverture de crédits supplémentaires ni sur l’élaboration d’une énième stratégie interministérielle, mais sur la confirmation de ce qui a été conçu et annoncé autour de deux piliers : le pilier civil, avec la stratégie nationale d’exploration et d’exploitation des ressources minérales dans les grands fonds marins, issue de travaux collectifs menés par Jean-Louis Levet – ce pilier a été renforcé par le dixième objectif du plan France 2030, évoqué précédemment ; le pilier militaire, avec la stratégie de maîtrise des fonds marins du ministère des armées.
Pour le premier pilier, deux enveloppes, normalement distinctes, de 300 millions d’euros ont été annoncées et validées par l’ancien Premier ministre Jean Castex. Il ressort néanmoins de nos auditions que sa mise en œuvre souffrirait d’un portage politique diffus et trop faible. Si tel était le cas, ce serait un échec cuisant pour notre pays, celui de Jules Verne, du commandant Cousteau, mais aussi de Pasteur.
Pourriez-vous nous éclairer, monsieur le secrétaire d’État, sur la politique du Gouvernement en faveur de la connaissance de nos grands fonds marins ? Avec quels moyens et à quel rythme ? Les deux budgets de 300 millions d’euros sont-ils confirmés ? Quel regard portez-vous sur les vingt recommandations formulées par notre mission d’information ? Au regard des tensions géopolitiques en mer Baltique, pouvez-vous nous indiquer si la France dispose de moyens suffisants pour assurer la sécurité de ses infrastructures sous-marines de communication et d’énergie ? De nombreuses questions se posent, et ce débat permettra – je n’en doute pas – d’y répondre.
Pour conclure, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je ne pense pas me tromper en soutenant que nous partageons tous ici le souhait que la France confirme son rang de puissance maritime comme son excellence en matière de recherche et d’industrie sous-marine. Nous pouvons relever tous ensemble ce défi de la connaissance avec responsabilité.
Jules Verne ne s’y était pas trompé en nous invitant à aimer la mer, cet « immense désert où l’homme n’est jamais seul, car il sent frémir la vie à ses côtés ». Ne cédons donc pas à l’immobilisme, mais faisons ensemble la démonstration qu’un modèle vertueux et performant est possible dans le respect des écosystèmes et des fonctions vitales de l’océan. Ce modèle doit être porté par la France, avec ses outre-mer. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Hervé Berville, secrétaire d’État auprès de la Première ministre, chargé de la mer. Monsieur le président, monsieur le président de la mission d’information, monsieur le rapporteur, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je tenais à faire un court propos liminaire, d’abord pour vous remercier de la qualité de ce rapport, qui porte sur un domaine sur lequel nous connaissons pourtant très peu de choses.
Vous avez mené plus d’une soixantaine d’auditions – 69 pour être tout à fait précis ! –, et fait un certain nombre de déplacements, dont un en Norvège. On voit dans ce rapport la patte d’un connaisseur de la mer et de ses enjeux en termes tant de préservation de la biodiversité marine que de valorisation de ce patrimoine. Vous avez mis, monsieur le rapporteur, au cœur des enjeux pour la Polynésie, les territoires ultramarins et la France la nécessité de faire de la mer et des questions maritimes un moyen de lutte contre le changement climatique et un enjeu de souveraineté.
Le Gouvernement et tous ceux qui travaillent sur cette belle politique ont pris connaissance des recommandations. Avant de répondre à vos questions, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je voudrais revenir sur trois points de clarification.
Premier point, il y a un pilote dans l’avion : c’est le Président de la République, qui affirme avec force une ambition dans ce domaine. Comme il a eu l’occasion de le rappeler lors de différents sommets, notamment la Conférence des Nations unies sur les océans à Lisbonne, mais aussi dans cette belle région de Bretagne que, comme lui, nombre d’entre vous connaissent bien ici – notamment le président de la mission d’information –, la connaissance des fonds marins et de l’océan est un enjeu crucial.
Le pilote dans l’avion, c’est aussi l’instance de décision qu’est le Comité interministériel de la mer (CIMer) au sein duquel a d’ailleurs été prise la décision de faire de l’exploration des fonds marins une priorité.
La deuxième clarification, que vous avez apportée – et je vous en remercie – avec un peu d’avance sur le Gouvernement, c’est que nous ne devons pas, et que nous n’allons pas, nous engager dans la voie de l’exploitation. La stratégie du Gouvernement et de tous les acteurs concernés est guidée par la volonté d’améliorer la connaissance, et de développer l’exploration et la recherche scientifique. Nous allons avancer dans cette voie, en incluant bien sûr tous les territoires – j’y reviendrai –, notamment ultramarins.
Troisième et dernier point de clarification, que je veux indiquer d’emblée, l’enveloppe consacrée à ce qui représente une aventure entrepreneuriale nationale, puisque nous allons devoir mobiliser nos industriels s’agissant notamment de la partie militaire, est dotée de 350 millions d’euros – 352 millions si l’on inclut quelques petits crédits dispensés dans différents ministères. Cette enveloppe importante est le signal politique que nous faisons de l’exploration des fonds marins un sujet prioritaire.
Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je vous remercie d’être présents ce soir pour discuter de ce magnifique sujet qui a trait à la souveraineté, à l’urgence écologique et à notre capacité à répondre aux grands enjeux, pour nos concitoyens et pour les générations suivantes.
M. le président. Monsieur le secrétaire d’État, je vous ai laissé terminer votre propos, mais je vous demande de respecter le temps de parole qui vous est imparti dans la suite du débat.
La parole est à M. Gérard Lahellec.
M. Gérard Lahellec. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, comme les autres membres de cette mission d’information sur les fonds marins, j’ai participé à ses travaux avec beaucoup d’intérêt. J’ai lu attentivement le rapport et je partage l’essentiel de ses conclusions. En effet, si l’Amazonie est le poumon vert de notre planète et nécessite à ce titre l’attention du monde au moindre départ de feu, nos océans sont sûrement le poumon bleu indispensable à notre avenir. Le rôle des océans dans la régulation du réchauffement climatique est indéniable, et les abysses en sont peut-être la réserve naturellement préservée.
Au même titre que nous nous soucions de l’état de nos forêts et de nos sols afin de garantir la qualité de notre air, la bonne santé de nos océans doit demeurer l’une de nos préoccupations majeures dans l’intérêt de notre planète et des générations futures.
La France possède le deuxième espace maritime au monde, et a donc une responsabilité particulière de ce point de vue. Ne nous comparons pas à ceux qui, si vous me passez l’expression, sauteraient les étapes en confondant vitesse et précipitation et en espérant trouver une nouvelle manne énergétique, voire économique et financière. On sait que l’enjeu est trop important pour jouer à ce jeu-là.
Alors que le Président de la République souhaitait, comme il l’a dit en octobre 2021, le lancement d’une ère de conquête de « cette dernière frontière » que représentent les profondeurs maritimes, nous appelons, pour notre part, à la suite de cette mission d’information, à la prudence. Je tiens à souligner que les infléchissements intervenus depuis cette déclaration sont de nature à me permettre d’affirmer ici que le rapporteur a vraisemblablement d’ores et déjà été entendu.
Pour autant, la fascination pour ces fonds marins, que nous ne connaissons pas, n’empêche pas l’action. Notre méconnaissance nous éclaire au moins sur la nécessité d’améliorer notre connaissance. Paul Valéry, portant un regard sur le monde qui l’entourait, disait déjà en son temps que l’avenir serait cognitif…
Vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur, quatre personnes seulement ont observé les fonds marins au-delà de 10 000 mètres de profondeur, soit trois fois moins que les personnes ayant foulé la surface de la lune.
La recherche pour une meilleure connaissance des abysses est donc une impérieuse nécessité. Pour cela, il faudra des moyens techniques, mais aussi des moyens humains.
Les organismes existent, et nous avons d’ailleurs rencontré leurs représentants, tout comme vous, monsieur le secrétaire d’État. Je pense à l’Ifremer, dont je salue l’action, au passage, et au Service hydrographique et océanographique de la marine (Shom), dont la notoriété dépasse nos frontières.
Il sera également important d’associer pleinement nos collègues d’outre-mer au pilotage et au suivi de ce dossier, et même de le leur confier : la manière dont cette mission d’information s’est déroulée ne peut que nous y inviter. À tout le moins, c’est un souhait que j’exprime en toute liberté.
En tant que Breton, alors même que – j’en suis persuadé – d’autres Bretons nous regardent ce soir, et en tant qu’élu des Côtes-d’Armor, département auquel je tiens tant, monsieur le secrétaire d’État, je serai également ravi de participer à ces études, qui doivent être poursuivies, et d’en consulter les résultats. Elles sont indispensables car, s’il est vrai que « science sans conscience n’est que ruine de l’âme », « « science sans connaissance n’est que démagogie ». À bon entendeur… (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Hervé Berville, secrétaire d’État auprès de la Première ministre, chargé de la mer. Monsieur le sénateur, j’indique tout d’abord que je partage votre amour des Côtes-d’Armor, et des citations ! (Sourires.)
Comme le Président de la République a eu l’occasion de le rappeler notamment à Lisbonne, je le confirme et le redis devant vous ce soir au nom du Gouvernement : c’est dans la voie de l’exploration des fonds marins que nous voulons nous engager, et non dans celle de leur exploitation. De fait, je partage votre prudence.
De même, je partage aussi l’exigence que vous avez exprimée non pas en creux, mais très clairement, d’impliquer nos collègues d’outre-mer. C’est ce que nous ferons notamment dans le cadre du Conseil national de la mer et des littoraux (CNML).
D’ici à un an, nous déploierons la stratégie nationale pour la mer et le littoral, qui comprend un volet consacré aux grands fonds marins ; à cette occasion, nous reviendrons vers vous pour vous soumettre un certain nombre de propositions. Si le pilotage doit être assuré par le Président de la République, la Première ministre et votre serviteur au secrétariat d’État à la mer, nous aurons l’exigence de vous impliquer dans l’élaboration de cette stratégie – on peut même parler de coconstruction –, non seulement parce que vous en êtes les premiers acteurs, mais également parce que, partout sur vos territoires, vous êtes confrontés de plein fouet au changement climatique.
Enfin, nous souscrivons à votre exigence d’un partage de la connaissance ; c’est d’ailleurs le dernier point qui a été évoqué lors du comité de pilotage France 2030. À cet effet seront financées des actions de vulgarisation des connaissances et de communication de tout ce qui est fait en la matière.
C’est également un moyen de susciter des vocations et de sensibiliser davantage nos concitoyens à la protection des océans et de la biodiversité marine.
M. le président. La parole est à M. Philippe Folliot.
M. Philippe Folliot. Monsieur le secrétaire d’État, je salue tout d’abord le président de notre mission d’information, Michel Canévet, ainsi que son rapporteur, Teva Rohfritsch, et les félicite de la qualité du travail qu’ils ont mené à cette occasion.
Si plusieurs milliers d’êtres humains ont gravi l’Everest, point culminant de notre planète, si plus de trois cents personnes sont allées dans l’espace, si douze êtres humains ont marché sur la Lune, seuls quelques-uns ont exploré les profondeurs de la mer et les abysses. Cela démontre toute l’importance du mare incognitum et des enjeux qui y sont liés.
Si nous connaissons relativement bien la partie supérieure de nos océans – jusqu’à 3 800 mètres, leur profondeur moyenne –, leur partie la plus profonde nous reste inconnue.
Au-delà de la masse d’eau, il existe un autre enjeu tout aussi important, celui des fonds marins à proprement parler. À cet égard, monsieur le secrétaire d’État, tout comme vous, nous proposons dans ce rapport une attitude de sagesse et de prudence. Cependant, prudence ne veut pas dire naïveté : le droit établit une distinction entre la res communis et la res nullius, c’est-à-dire entre les biens communs à l’humanité et les biens n’appartenant à personne, que, dans l’absolu, chacun peut s’approprier. C’est ainsi que, dans le cadre du programme Extraplac, nous avons obtenu la maîtrise d’1 million de kilomètres carrés supplémentaires de fonds marins et des ressources qu’ils contiennent. C’est là un point important.
Pour autant, nous devons avoir conscience que ces fonds marins représentent un enjeu économique : ainsi, 32 % du gaz et du pétrole sont exploités en offshore.
Je ne reviens ni sur les gazoducs – il en a été beaucoup question ces derniers jours – ni sur les câbles sous-marins, dont la sécurité est un enjeu majeur.
Pour conclure, je veux attirer votre attention sur un point, monsieur le secrétaire d’État : l’avenir du Nautile. Trop hâtivement à mon goût, il a été décidé de mettre fin à son exploitation à partir de 2028. Pour moi, plus qu’une erreur, c’est une faute. Pour plusieurs raisons : premièrement, ce que fait un sous-marin, un drone le fera différemment ; deuxièmement, après son recarénage, prévu pour 2028, le Nautile pourra continuer d’être opérationnel pendant encore dix à quinze ans.
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Philippe Folliot. Troisièmement – et je conclus, monsieur le président –, la France compte parmi les cinq pays qui disposent de la capacité d’envoyer à 6 000 mètres de profondeur des bâtiments habités. Il serait donc problématique de sortir de ce club fermé, et pas seulement au regard des enjeux que représente la recherche scientifique.
Une telle décision serait catastrophique, tout cela pour économiser 1 million d’euros ! (Applaudissements.)
M. le président. J’ai été très tolérant avec vous, mon cher collègue. Par conséquent, vous n’aurez pas droit à une réplique ! (Sourires.)
La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Hervé Berville, secrétaire d’État auprès de la Première ministre, chargé de la mer. Monsieur le sénateur, je sais votre implication sur ce sujet. Je veux vous rassurer : prudence ne signifie pas naïveté de la part de la France. Le Gouvernement est bien conscient de l’enjeu stratégique que représentent les grands fonds marins. C’est la raison pour laquelle, outre une stratégie de recherche marine, nous développons, avec le ministère des armées, une stratégie de maîtrise de ces fonds marins, notamment pour être en capacité d’assurer la surveillance de notre espace maritime et de nos câbles sous-marins.
Le rapporteur, parfaitement au fait de ces enjeux, sait bien la nécessité d’accroître ces moyens de surveillance – en surface et en profondeur –, notamment dans le cadre de la loi de programmation militaire, et de développer nos capacités d’innovation.
Pour vous répondre concrètement sur le Nautile, je prends l’engagement devant vous d’étudier très précisément s’il est possible et souhaitable de poursuivre, grâce à un financement du plan France 2030, son exploitation, compte tenu de son caractère stratégique, comme vous l’avez très bien souligné.
Sans en revenir toujours à la Bretagne, je veux indiquer à votre collègue des Côtes-d’Armor que tous les résultats de la campagne qu’a menée cet été la mission Hermine 2 de l’Ifremer sont accessibles via son blog. C’est là un élément de partage et de connaissance de la science.
M. le président. La parole est à M. Philippe Folliot, pour la réplique.
M. Philippe Folliot. Monsieur le secrétaire d’État, poursuivre l’exploitation du Nautile, je le redis, coûterait 1 million d’euros. Cependant, la formation des opérateurs sous-mariniers nécessite plusieurs années ; par conséquent, une éventuelle décision doit intervenir rapidement, faute de quoi nous perdrons notre capacité opérationnelle. C’est un enjeu important.
Si nous voulons offrir du rêve à nos enfants, celui-ci doit être incarné. Et être opérateur sur le Nautile peut être un rêve.
M. le président. La parole est à M. Stéphane Artano. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. Stéphane Artano. Monsieur le secrétaire d’État, il y a près d’un an, lors de son discours sur le plan de relance France 2030, le Président de la République déclarait ceci : les fonds marins « sont un levier extraordinaire pour la compréhension du vivant ; il ne faut pas laisser dans l’inconnu une partie du globe ».
Si plus de 71 % de la surface de la Terre est couverte par des océans, les grands fonds marins restent très peu connus. Selon les scientifiques, 95 % des océans profonds restent encore inexplorés.
Je rappellerai trois chiffres pour qu’on se rende compte de l’ampleur de notre méconnaissance.
On recense actuellement environ 250 000 espèces vivantes sous-marines. Or, selon Jean-Marc Daniel, directeur du département chargé de l’exploration des grands fonds à l’Ifremer, on pourrait découvrir vraisemblablement entre 1 million et 10 millions de nouvelles espèces.
Au-delà de la découverte de nouvelles espèces, les fonds marins recèlent de nombreuses ressources minières, très convoitées, comme le cobalt, le manganèse ou le nickel. Ces métaux entrent notamment dans la composition des batteries électriques, éléments incontournables pour l’avenir de la décarbonation, de la production d’énergie et de son stockage.
Il est vrai qu’à l’heure où l’exploration des grands fonds marins s’accélère dans le monde, la France, l’un des pays pionniers de l’exploration des océans, doit aussi accroître ses efforts pour rester dans la course et maîtriser sa souveraineté dans son espace maritime.
Disposant du deuxième plus vaste domaine maritime au monde après les États-Unis, et ce grâce à nos outre-mer, notre pays a souvent été présenté comme un défenseur du monde marin. Or, dans un contexte où toutes les puissances maritimes renforcent leur développement technologique et leurs programmes d’exploration des eaux sous leur juridiction, comme avec les eaux internationales d’ailleurs, la problématique de l’exploitation des grands fonds marins refait surface.
Il faut noter que l’exploitation minière en haute mer constitue pour nombre d’entreprises privées une opportunité de développement, en particulier dans le secteur industriel, comme la production d’engins sous-marins d’avenir.
Cependant, cette exploitation inquiète de nombreux scientifiques et organisations non gouvernementales (ONG), car elle implique des dégradations irréversibles de notre écosystème et de la biodiversité, avec notamment un effet immédiat sur la chaîne alimentaire océanique.
Ces craintes sont plus que légitimes et on ne peut les écarter d’un revers de main. C’est pourquoi je les rejoins quant à la revendication de renforcer avant tout notre connaissance des profondeurs. Il s’agit d’un préalable indispensable à l’élaboration d’un cadre juridique d’exploitation minière le plus respectueux de l’environnement possible. Ces raisons ont justifié le moratoire qui a été adopté.
Monsieur le secrétaire d’État, je m’interroge donc naturellement sur la position du Gouvernement à cet égard. Vous avez défloré le sujet précédemment, mais quelle politique souhaitez-vous mettre en œuvre pour l’exploration et l’exploitation des fonds marins ?
Vous comprendrez que nous soyons parfois un peu perdus entre la déclaration, en juillet dernier, du Président de la République lors de la conférence des Nations unies sur l’océan, dans laquelle il en appelait à « l’élaboration d’un cadre légal pour mettre un coup d’arrêt à l’exploitation minière des fonds en haute mer », et ses déclarations précédentes soutenant la quête d’une extraction minière en eaux profondes.
La publication des excellents travaux de la mission d’information sur l’exploration et la protection des fonds marins, dont nous débattons aujourd’hui, tombe donc à pic.
Ainsi, je souscris à la recommandation de nos collègues visant à temporiser sur une prospection et une exploitation prématurée des ressources minières dans l’attente d’acquérir une connaissance scientifique suffisante sur la question. Néanmoins, comme cela a été souligné dans le rapport, cette prudence ne doit pas être synonyme d’immobilisme et nous extraire de la compétition mondiale.
À ce titre, comme l’a rappelé le rapporteur, l’État doit s’impliquer pleinement dans la structuration d’une base industrielle et technologique souveraine et compétitive au niveau international, car nous devons garder à l’esprit que d’autres puissances mondiales, comme les États-Unis ou la Chine, sont moins timorées en la matière.
Dans tous les cas, le pilotage de la politique à mener sur les abysses, au regard du caractère transversal des enjeux, mérite de gagner en visibilité. On ne peut donc que soutenir la création d’un ministère de la mer de plein exercice, compétent pour établir une stratégie maritime centralisée pour les fonds marins, comme le propose la mission d’information.
Enfin, en tant qu’élu ultramarin, j’insiste sur cette recommandation, ainsi que sur celle de renforcer en particulier les moyens humains et financiers de l’Ifremer.
Quelle que soit la position du Gouvernement, cette politique doit absolument y associer le Parlement et les outre-mer, aux différents stades : élaboration, pilotage et suivi. En effet, la question des grands fonds marins ne doit pas être uniquement abordée sous le prisme des avis des instances étatiques et des experts. L’opposition ferme des habitants de Wallis-et-Futuna en 2010 et 2012 doit nous servir de leçon.
Cette décision doit être prise de manière transparente et démocratique, car elle concerne directement l’ensemble des personnes qui résident dans des régions où les modes de vie, l’économie et la culture sont influencés par l’environnement maritime. Dès lors, nous devons établir, tous ensemble, une stratégie maritime respectueuse de la biodiversité et des écosystèmes, sans quoi elle pourrait susciter la méfiance des territoires et engendrer des blocages.
J’espère, monsieur le secrétaire d’État, que vous saurez nous éclairer et nous offrir une meilleure visibilité. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Hervé Berville, secrétaire d’État auprès de la Première ministre, chargé de la mer. Monsieur le sénateur, je commencerai par vous répondre sur la déclaration qu’a faite le Président de la République à Lisbonne, déclaration centrale puisqu’elle va déterminer ce que sera notre stratégie, le fléchage de nos financements et la manière dont nous allons travailler ensemble.
En effet, il convient de créer un cadre juridique afin de mettre fin aux activités minières en haute mer et d’interdire tout nouveau projet en la matière qui mettrait en danger les écosystèmes, comme nous l’avons fait en France pour les hydrocarbures.
Très clairement, depuis cette déclaration du Président de la République, la France s’est engagée, dans sa stratégie d’investissements, uniquement sur la voie de l’exploration. D’ailleurs, c’est ce à quoi seront consacrés les 350 millions d’euros qu’il est prévu de débloquer.
Dans le même temps, la protection de la haute mer, c’est la bataille que nous devons mener à l’international, en particulier dans le cadre de la conférence intergouvernementale Biodiversity Beyond National Jurisdiction (BBNJ) – comme on dit en grand-breton. (Sourires.) Même si la France ne s’engage pas dans la voie de l’exploitation, nous avons bien conscience, car nous ne sommes pas naïfs, que d’autres que nous peuvent s’y engager et qu’il nous faut donc, comme dans bien d’autres domaines, convaincre nos partenaires ou d’autres États de renoncer à ces initiatives. C’est pour cette raison que nous souhaitons codifier les règles.
La France, me semble-t-il, est en avance dans ce domaine. Je vous renvoie aux décisions qui ont été prises concernant l’exploitation de gisements d’hydrocarbures ou le projet Montagne d’Or, en Guyane. C’est pour cela que notre pays doit s’impliquer dans les instances internationales pour convaincre que la protection de la biodiversité marine et des océans nécessite la mise en place d’un cadre strict.
M. le président. La parole est à Mme Micheline Jacques.
Mme Micheline Jacques. On ne peut naturellement aborder un sujet maritime sans parler des outre-mer, puisque c’est autour de la France ultramarine que se situent 97 % de sa ZEE, équivalant à 17 fois sa surface terrestre, comme de nombreux collègues n’ont pas manqué de le rappeler. Notre pays est donc bien un pays maritime.
À la lumière de ces chiffres, on peine donc à croire que la stratégie maritime française ne soit pas davantage affirmée. Le rapport de nos collègues Michel Canévet et Teva Rohfritsch, d’une grande richesse, est à mon sens un plaidoyer particulièrement nourri en faveur d’une politique maritime ambitieuse, qui doit aller au-delà des eaux surjacentes pour partir à la conquête des profondeurs marines.
Avec ce débat et celui qui se tiendra demain sur la stratégie maritime, à la demande de la délégation aux outre-mer, on ne peut que se réjouir de la séquence maritime qui s’ouvre, preuve s’il en fallait de la vigilance particulière du Sénat sur ces questions.
La mission d’information formule ainsi de nombreuses préconisations en vue de dessiner l’architecture du pilotage de la stratégie d’exploration des grands fonds marins. Elle ne peut en effet se concevoir sans identifier les acteurs qui l’incarneront et la déploieront.
À cet égard, il va sans dire que j’approuve la nomination au sein du Gouvernement d’un secrétaire d’État chargé de la mer. Mais l’exhortation à une politique ambitieuse est aussi le signe que la volonté politique de l’État, dans sa continuité d’ailleurs, n’est pas à la mesure du potentiel que recèle la mer française. C’est pourquoi je pense que ce n’est pas tant le rang protocolaire qui compte que la volonté au sommet de l’État, et au sein du Gouvernement tout entier.
Le Parlement devra en outre être pleinement associé en vue de la sécurisation juridique des grands fonds marins, que le « vide juridique » qui les entoure fragilise.
Dans le code minier, l’imprécision quant à leur exploitation fait encourir un risque et il s’agit de sécuriser ce patrimoine pour ne pas laisser se développer les initiatives d’autres pays, qui pourraient se faire d’ailleurs au détriment des outre-mer.
Légiférer c’est protéger le patrimoine marin, son intégrité et, partant, notre souveraineté, la mer étant une partie de notre territoire.
Par ailleurs, au moment où la délégation aux outre-mer rouvre ses travaux sur la différenciation territoriale, je suis sensible à la place que la mission accorde aux collectivités d’outre-mer dans la coordination de la stratégie pour les fonds marins.
Si elle juge leur exploitation prématurée à ce stade de leur connaissance, elle invite à se placer dans une logique d’anticipation. La recherche et l’exploration ouvrent là aussi des perspectives économiques et scientifiques qui devraient placer les territoires ultramarins au cœur de la politique des grands fonds marins. C’est depuis la terre que l’on conquiert la mer et, de ce point de vue, les outre-mer constituent des bases avancées géostratégiques, et des bases arrière notamment pour la recherche scientifique.
Pour autant, les représentants des collectivités ultramarines auditionnées ont unanimement déploré l’absence d’information et d’association à l’élaboration de la stratégie 2021. Elle constitue pourtant un enjeu économique, social, éducatif et d’intégration régionale qui mérite d’être pensé avec les outre-mer, et pas seulement pour eux. Enfin, qu’ils s’emparent pleinement de ce défi !
Une vision maritime ambitieuse, c’est aussi la possibilité pour les territoires ultramarins de renforcer leurs compétences locales, de tourner leur jeunesse vers de nouveaux métiers. La cartographie et la bathymétrie doivent offrir une connaissance précise des grands fonds, partagée avec les collectivités.
En outre, l’approche globale des travaux de nos collègues tient compte de la place des populations, de leur nécessaire adhésion et de l’indispensable respect de leurs représentations pour assurer le succès d’une stratégie.
Plus généralement, les profondeurs marines de nos ZEE sont dotées d’une richesse minérale exceptionnelle. Que ce soit par les minéralisations hydrothermales, les encroûtements cobaltifères ou grâce à la présence de nodules, les scientifiques recensent pas moins de 27 métaux différents.
Un déplacement à Brest avec la mission a été l’occasion de découvrir le travail remarquable de l’Ifremer, dont le rôle central aux côtés des autres instituts – le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et le Shom, pour ne citer que les principaux – mérite d’être souligné. Ce travail vaut à notre pays de figurer dans le « top 10 » des grands pays océaniques.
Oui, la recherche doit être soutenue ; elle est la clé de la maîtrise des profondeurs et, malgré la période troublée qui impose des arbitrages, la recherche stratégique ne devrait pas faire l’objet de compromis.
Nous devons également placer l’industrie au cœur de l’ambition pour les grands fonds marins. Dans cette politique, les outre-mer devront trouver une place de premier plan et bénéficier des fruits du développement des activités autour des profondeurs maritimes qui les entourent.
J’en terminerai par un mot sur la coopération. En matière maritime, elle est incontournable et doit se situer au niveau international, mais aussi, pour une bonne intégration des outre-mer, au niveau régional. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Hervé Berville, secrétaire d’État auprès de la Première ministre, chargé de la mer. Madame la sénatrice, je vous remercie de votre implication sur ce sujet. Comme je l’ai indiqué, nous porterons une attention toute particulière aux territoires ultramarins dans la mise en œuvre des recommandations de ce rapport, et je veux indiquer concrètement comment.
D’abord, notre stratégie maritime, qui intègre la stratégie des grands fonds, est portée au plus haut niveau de l’État par le CIMer, en association avec le ministère chargé des outre-mer et, bien évidemment, l’ensemble des collectivités.
Ensuite, le Conseil national de la mer et des littoraux, qui est chargé de sa déclinaison, comprend en son sein des élus des outre-mer et des représentants de ces magnifiques territoires.
Et, puisqu’il est parfois nécessaire de disposer d’un peu plus de temps et de pouvoir échanger dans un cadre informel, je vous propose d’intégrer dans le groupe de concertation piloté par le secrétariat général de la mer (SGMer), chargé de la coordination administrative, l’ensemble des élus des outre-mer qui le souhaiteront pour travailler avec les ONG et les scientifiques et pour faire entendre la voix des territoires ultramarins. Tout cela nourrira la stratégie nationale pour la mer et le littoral, qui sera mise en œuvre en 2023.
Enfin, le déploiement de notre planification stratégique des grands fonds marins nécessitera que nous intégrions les stratégies des territoires à la stratégie nationale décidée au niveau ministériel, et ce par souci de coordination – les stratégies locales peuvent varier en fonction des résultats aux élections.
D’ici à 2023, cette planification stratégique des grands fonds marins se fera donc territoire par territoire, avec une véritable ambition nationale.
M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau.
M. Joël Guerriau. Monsieur le secrétaire d’État, « les Français aiment la mer, mais ils la connaissent mal », disait Jacques Chirac. La surface maritime de la France est, en effet, 17 fois supérieure à sa surface terrestre. C’est dire à quel point il est difficile d’appréhender la présence française sur tous les océans.
Ces vastes espaces contiennent un grand potentiel de ressources maritimes. Parmi celles-ci se trouvent les ressources de nos fonds marins. Nous ne connaissons que très peu ces fonds. Il est en effet relativement difficile et coûteux d’explorer les abysses, surtout lorsque les profondeurs se comptent en milliers de mètres. De précieuses ressources minières sont néanmoins susceptibles de s’y trouver.
Nous ne sommes pas les seuls à nous intéresser à ces ressources. En Europe, l’Allemagne et la Norvège sont en train de creuser l’écart. Elles restent pourtant encore très loin derrière les deux superpuissances que sont les États-Unis et la Chine.
Certains pays s’intéressent de près à nos territoires, notamment dans le Pacifique, pour les ressources qu’ils pourraient contenir, mais aussi parce que nos fonds abritent des infrastructures stratégiques : câbles de communication, pipelines. De récents sabotages soulignent ce caractère stratégique, ainsi que la volonté de certains acteurs de les instrumentaliser.
L’une de nos premières priorités doit être l’exploration. Dresser l’état des lieux de nos fonds marins est indispensable pour préserver efficacement notre biodiversité. Cela l’est tout autant pour déterminer l’existence de ressources minières.
Il nous semble à cet égard que la France doit investir suffisamment dans la technologie pour mieux contrôler ses espaces maritimes. Les drones sont une technologie particulièrement utile à l’exploration sous-marine ; il est essentiel que nous puissions la maîtriser.
Les recommandations du rapport d’information traduisent la nécessité d’investir le sujet. Notre groupe est bien sûr favorable au renforcement du rôle du Parlement dans le développement de ces projets ; il est nécessaire de parvenir à des solutions équilibrées pour permettre à la France d’avancer.
Nous sommes également très favorables au retour d’un ministère de la mer de plein exercice. Cela contribuerait à redonner toute sa place à cette dimension majeure. L’Histoire démontre amplement que la maîtrise des mers est un important facteur de puissance.
Et maintenant, un paragraphe sur la Bretagne ! (Exclamations amusées.)
Mon cher Michel Canévet, le jeudi 30 octobre 2014 reste gravé dans ma mémoire avec amertume. Nous débattions de la loi relative à la délimitation des régions. Nous défendions ensemble une Bretagne à cinq départements. Nous voulions créer un pôle mondial de compétitivité mer conciliant tous les domaines de l’innovation, de la recherche jusqu’à la construction navale.
Économiquement, la Bretagne à cinq départements, c’était la constitution d’une vraie région maritime, avec en façade deux grands ports : Brest et Nantes-Saint-Nazaire.
La Bretagne, berceau d’activités liées à la mer, est une porte maritime naturelle. Elle permettrait de déployer, en la matière, une grande politique utile à l’ensemble de la France, à l’heure où l’essentiel du trafic mondial de marchandises s’effectue par voie maritime. Nous n’avons pas été entendus et, aujourd’hui, nous constatons une perte de compétitivité des ports français, qui réclament d’importants investissements.
Monsieur le secrétaire d’État, j’ai bien entendu qu’une coordination nationale serait mise en œuvre ; mais, si les régions françaises étaient un peu moins nombreuses et les régions littorales mieux tournées vers la mer, ce serait plus simple.
Il n’est pas réaliste de croire qu’avec des moyens limités la France est en mesure de rivaliser avec les capacités américaines ou chinoises. Bien entendu, il reste indispensable que notre pays soit à même de garantir sa souveraineté sur l’ensemble de ses espaces.
Pour être crédible tout en tenant compte de ses capacités, la France peut compter sur la conclusion de partenariats avec des puissances ayant, avec elle, des intérêts communs. Ainsi, en juin dernier, le ministre des armées a signé un accord de soutien logistique avec Singapour. Nous nous en réjouissons, puisque les armées de nos deux pays en tireront bénéfice.
Nous ne disposons pas de moyens militaires nous permettant de contrôler intégralement les vastes étendues placées sous notre juridiction. À l’inverse, Singapour détient d’importants moyens, mais n’a pas l’espace suffisant pour les déployer. Cet accord pourrait servir de base à d’autres partenariats, plus globaux, destinés à protéger notre patrimoine marin.
J’espère que la construction d’un nouveau porte-avions – quelques bruits se font entendre à ce propos – aura bien lieu comme prévu. En parallèle, nous devons renforcer nos coopérations et alliances face à des superpuissances qui ne cessent d’envahir les espaces marins.
Nos partenaires européens disposent en effet de capacités significatives : la Suède est ainsi en train de construire la coque d’une frégate de 7 000 tonnes. La France ne possède pas de capacités comparables. En revanche, nombre de systèmes embarqués destinés à ce navire sont français.
Les fonds marins seront l’un des prochains enjeux de rivalité entre les États et – j’y insiste – nous devrons être en capacité de défendre nos intérêts. Étant donné l’importance des sources de développement économique dont il s’agit, c’est un rendez-vous à ne pas manquer ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDPI, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Hervé Berville, secrétaire d’État auprès de la Première ministre, chargé de la mer. Monsieur le sénateur, un grand Breton, Éric Tabarly, insistait lui aussi sur la nécessité de renforcer les connaissances maritimes de nos concitoyens. Il disait en son temps : « La mer, c’est ce que les Français ont dans le dos quand ils sont à la plage. » (Sourires.)
Depuis, nous avons fait beaucoup de progrès et, au sein de mon secrétariat d’État, nous nous efforçons d’avancer en ce sens car, dans tous les territoires, on mesure l’importance de la sensibilisation.
Peut-être parviendrai-je à vous convaincre que le secrétariat d’État placé auprès de la Première ministre permet déjà de répondre aux différents enjeux que vous avez évoqués.
Étant rattaché à la Première ministre, j’ai la légitimité pour agir au niveau interministériel. (Mme Nassimah Dindar acquiesce.) On le voit bien : le maritime, c’est à la fois le littoral, donc la terre, la haute mer et les fonds marins ; c’est à la fois l’économie, l’écologie, la défense et l’aménagement du territoire.
Je le constate tous les jours : mon rattachement à Matignon m’épargne de nombreuses réunions interministérielles. Il me permet d’avancer beaucoup plus rapidement et de mobiliser tous les services de l’État pour faire de l’océan un objectif prioritaire.
Avec l’appui du SGMer et, surtout, de la direction générale des affaires maritimes, de la pêche et de l’aquaculture (DGAMPA), créée il y a six mois et forte de plus de 300 agents, je déploie de mon mieux cette action interministérielle. J’y insiste, car j’en suis persuadé : ce secrétariat d’État me permet de travailler avec beaucoup plus d’efficacité, de cohérence et de convergence, notamment pour la maîtrise des fonds marins.
La mer est un enjeu de compétition stratégique : notre rattachement à la Première ministre nous permet de plaider en ce sens de manière beaucoup plus efficace. Avec le ministère de la défense et le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), nous parvenons à déployer une stratégie coordonnée, qu’il s’agisse de l’exploration, donc de la connaissance, ou de la sécurité, autrement dit de la surveillance et du contrôle de nos espaces maritimes.
Voilà pourquoi l’échelon interministériel me semble tout à fait adapté aux enjeux maritimes. (Mme Nassimah Dindar applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Fernique. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Jacques Fernique. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je suis le troisième orateur à citer cette phrase ce soir, si bien que nous allons finir par la connaître par cœur (Sourires.), mais je pense qu’elle le mérite : « Nous devons élaborer un cadre légal pour mettre un coup d’arrêt à l’exploitation minière des fonds en haute mer et ne pas autoriser de nouvelles activités qui mettraient en danger les écosystèmes. »
Voilà les termes exacts par lesquels le Président de la République, le « pilote de l’avion », a défini la ligne française à Lisbonne, en juin dernier. Il faut le dire : cette clarté a tranché avec les ambiguïtés, pour ne pas dire la confusion, qui jusqu’ici caractérisaient la politique française au sujet des ressources minérales des fonds marins.
C’est de ce « défaut de lisibilité » que le rapport de notre mission d’information a dressé le juste constat. Notre mission a ainsi pointé un « éclatement de la gouvernance entre divers ministères dont aucun ne paraît jouer de véritable rôle fédérateur ».
La stratégie française se brouillait dans trois démarches différentes.
La première est celle du rapport Levet : elle vient de revoir la stratégie de 2015 sur l’exploration et l’exploitation minières, qui, comme le rapport de notre mission l’indique, s’est soldée par un échec.
La deuxième est la stratégie militaire, qui travaille à maîtriser tout ce qui se joue de sensible dans les profondeurs.
La troisième et dernière démarche est la stratégie financière France 2030, qui affecte 310 millions d’euros au spatial et à la mer. Lors de l’annonce de cette stratégie, les déclarations présidentielles avaient des accents extrêmement enthousiastes pour l’eldorado recelant « 84 % des réserves de nos minerais ».
On comprend que la déclaration de Lisbonne, que je citais en préambule, contre l’exploitation minière des océans et en faveur d’un cadre légal international contraignant, ait surpris ceux qui avaient jusqu’ici cru comprendre que l’exploitation industrielle des grands fonds était, à terme, le cap fixé.
Notre débat d’aujourd’hui est donc particulièrement bienvenu. Parmi les questions qu’il soulève figure cette interrogation centrale : la déclaration du Président de la République à Lisbonne se traduira-t-elle concrètement en actes, pour changer une donne jusqu’à présent on ne peut plus inquiétante ?
Je pense notamment à la perspective de l’extraction minière ; et, à ce sujet, je tire trois conclusions principales des auditions menées par notre mission d’information.
Tout d’abord, le fonctionnement des écosystèmes des fonds marins et des équilibres fragiles d’absorption du carbone par les océans reste très largement méconnu. Sa déstabilisation pourrait avoir de très graves effets.
Ensuite, on constate la grande vulnérabilité des écosystèmes profonds : les impacts ravageurs des expérimentations menées dans les années 1970 ont montré que la restauration de la biodiversité des abysses était terriblement lente.
Enfin, la rentabilité économique d’une telle exploitation est tout sauf avérée, face à l’extraction terrestre et surtout au potentiel de l’économie circulaire. L’énergie qu’il faudrait déployer pour remonter des matériaux des abysses est, à elle seule, particulièrement rédhibitoire.
La déclaration de Lisbonne a été mise à l’épreuve une première fois en juillet dernier, lors du conseil de l’AIFM sur la perspective d’un code minier.
On peut regretter que la France n’ait pas saisi ce moment pour se montrer aussi ferme que le Président de la République à Lisbonne. Certains s’attendaient à ce qu’elle renforce les tenants du moratoire. L’échéance de la règle des deux ans posée par l’État de Nauru approche et, déjà, de nombreux pays s’opposent à l’adoption d’un règlement à l’horizon de juillet 2023. Ils préconisent plutôt une pause dans les négociations, afin de pouvoir entamer un travail approfondi menant vers un cadre juridique solide et protecteur de la biodiversité marine.
Il semble que notre pays souhaite gagner du temps dans les négociations qui vont conduire à l’adoption d’un code minier. Le Président de la République a fait savoir que la Conférence des Nations unies sur les océans de 2025 lui semblait un cadre approprié. Il serait raisonnable de continuer à pousser en ce sens.
De plus, la fameuse règle des deux ans reste entourée d’un flou juridique et, de ce fait, mériterait une analyse claire. Certes – je le sais –, la France n’interprète pas cette règle comme une obligation pour le Conseil d’approuver provisoirement, de manière automatique, toute demande déposée à partir de juillet 2023 ; mais, à ce jour, une telle disposition n’en constitue pas moins une menace, dans la mesure où elle pourrait conduire à l’approbation de licences.
Monsieur le secrétaire d’État, ces ambiguïtés persistantes doivent impérativement être clarifiées. C’est indispensable pour engager les négociations cruciales qui nous attendent.
La France, c’est-à-dire tous les services et personnes chargés de ce dossier, s’oppose-t-elle fermement à cette exploitation minière ? S’engage-t-elle, pour commencer, à l’interdire dans les eaux territoriales françaises ?
La France confirme-t-elle de façon claire son opposition à l’adoption du code minier d’ici à juillet 2023 ? S’assure-t-elle, à ce titre, qu’un travail collectif et robuste sera entrepris ?
À l’issue du délai de deux ans, dès juillet 2023, la France soutient-elle le principe que toutes les demandes de délivrance de licences provisoires d’exploitation soient fermement rejetées en attendant qu’un cadre réglementaire solide et protecteur des abysses soit adopté ?
Ces questions sont d’autant plus graves à l’heure où, au sein de l’AIFM, divers problèmes de gouvernance et de transparence sont mis en lumière. Est-il tolérable que son opaque commission « LTC » (Legal and Technical Commission) autorise, au terme d’une procédure très peu démocratique, peu transparente et absolument pas inclusive, la société canadienne TMC à effectuer – excusez du peu ! – des tests d’extraction de 3 600 tonnes de nodules dans l’océan Pacifique ? De quelle manière et par quels moyens la France œuvre-t-elle en faveur d’une réforme de l’AIFM ? (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi qu’au banc des commissions. – M. Joël Bigot et Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Hervé Berville, secrétaire d’État auprès de la Première ministre, chargé de la mer. Monsieur le sénateur, je crois que vous pouvez rejoindre l’équipe gouvernementale… (Sourires.) En effet, aux différentes questions que vous posez, je réponds oui, oui et oui !
Depuis plus d’un an, nous menons au sein de l’AIFM un important travail pour convaincre les autres États d’adopter le nouveau code minier, eu égard à son importance pour la préservation de la biodiversité en haute mer.
À cet égard, il n’y a aucune ambiguïté, bien au contraire. Nous sommes parfaitement clairs : la France ne s’engage pas dans la voie de l’exploitation, mais dans celle de l’exploration, de la connaissance et de la recherche scientifique marine.
Dans le même temps, nous constatons la nécessité de ne pas livrer la haute mer aux entreprises de privatisation, qui conduiraient à telle ou telle monopolisation et au développement d’activités incontrôlées. Partout, dans toutes les instances multilatérales, nous nous battons donc en faveur d’un cadre contraignant.
J’en viens aux actes.
Premièrement, le plan France 2030 ne soutient que des appels à projet destinés à l’exploration. Aucun – c’est explicite – n’est dédié à l’exploitation.
Deuxièmement – vous l’avez vous-même évoqué –, la France a modifié en 2022 son code minier pour limiter les activités dont il s’agit aux entreprises d’exploration.
Je le répète, nous nous battons à l’international, que ce soit auprès de la BBNJ ou de l’AIFM, pour construire le nouveau cadre légal. Fruit de la convention de Montego Bay, l’AIFM est, du moins pour l’heure, le cadre de ces discussions.
M. le président. La parole est à M. Jacques Fernique, pour la réplique.
M. Jacques Fernique. Monsieur le secrétaire d’État, j’entends votre « oui, oui, et oui » et la proposition de rejoindre votre équipe ! (Sourires.) J’aurais aimé entendre la même clarté lors de nos auditions des derniers mois ; cela étant, je me réjouis de votre réponse.
Il serait tout de même bon de nous faire savoir dans quel sens le Gouvernement souhaite réformer l’AIFM. De même, pour ce qui concerne la fameuse règle des deux ans, il serait bon qu’il nous fasse part de son analyse juridique, car elle serait susceptible de nous rassurer.
M. le président. La parole est à M. Michel Dennemont.
M. Michel Dennemont. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, à l’évocation de cette mission d’information, qui a fourni un travail remarquable, j’ai pensé au film de Louis Malle, Le monde du silence.
En 1956, date de sortie de ce film – le deuxième dans l’histoire des prises de vues sous-marines en couleur –, nous vivions dans un autre contexte. Le grand public, encore naïf, découvrait une corne d’abondance qu’il croyait inépuisable. C’est dans cet état d’euphorie que nous avons déversé, pendant des décennies, des déchets dans les océans : des boues d’épuration, des déchets chimiques, industriels, radioactifs et plastiques.
Aujourd’hui, la place de l’océan doit être à la mesure de son rôle dans les équilibres climatiques, environnementaux et sociaux planétaires. Le Président de la République l’a répété en février dernier lors du sommet de Brest : « L’océan est la première victime de ce que nous n’avons pas su faire, ou mal fait : surexploitation, pollution, acidification qui l’ont mis en danger. »
Il est temps de préserver notre biodiversité, et notamment la haute mer, qui commence là où s’arrêtent les ZEE des États. Cet espace nous appartient à tous. Il ne doit pas être une zone de non-droit.
Nous ne le nions pas, les discussions pour élaborer un texte contraignant visant à sauvegarder cette vaste zone qui couvre près de la moitié de la planète sont difficiles. La ligne d’arrivée est visible, elle est à portée de signature, mais elle s’est encore évanouie le 26 août dernier à l’issue de quinze jours d’âpres tractations aux Nations unies.
Parmi les sujets les plus débattus figure la répartition des bénéfices possibles issus de l’exploitation des ressources de haute mer, où industries pharmaceutiques, chimiques et cosmétiques espèrent découvrir des molécules miraculeuses.
Dans le même temps, nous apprenons qu’une société canadienne testera dans la zone de Clipperton, espace si cher à notre collègue Philippe Folliot, un système composé d’un prototype de collecteur de nodules au fond de la mer. Les risques sont multiples : faire remonter des sédiments, entraîner une perte de biodiversité, menacer des puits de carbone essentiels tout en remettant en cause les pêcheries internationales de thon et d’autres espèces.
Le temps presse. Aussi, le Président de la République souhaite « mettre en place un cadre légal pour arrêter l’exploitation minière des grands fonds marins en haute mer ». On doit donc continuer à s’activer pour faire entendre cette voix : celle de la protection de la biodiversité marine, de la protection des océans, de la lutte contre le dérèglement climatique et de la capture du carbone.
Nous savons que cette ligne ne fait pas l’unanimité : outre certaines grandes puissances économiques, c’est toute une sphère privée qui s’est engagée dans la course aux fonds marins. Mais il n’y a aucune honte à défendre la sobriété énergétique, seul moyen d’éviter l’épuisement de nos ressources.
Le réchauffement climatique, à commencer par le phénomène El Niño, a entraîné le blanchissement massif des coraux, particulièrement dans l’océan Indien, au Japon et dans les Caraïbes. En tout, la planète a perdu 14 % de ses coraux entre 2009 et 2018.
Le rapport de mission de Jean-Louis Levet nous le rappelle : l’océan constitue la principale source de protéines pour 3 milliards d’êtres humains, fournit la moitié de l’oxygène que nous respirons et représente l’un des principaux réservoirs de biodiversité dans le monde. Notre devoir est donc de le préserver.
Cette mise en garde ne doit pas occulter notre besoin de connaissance. La mission d’information le souligne d’ailleurs très bien : « Si 100 % des fonds marins ont été cartographiés par satellite, la résolution obtenue par ce moyen inadapté aux fonds marins est de l’ordre du kilomètre, voire de la dizaine de kilomètres, ce qui est évidemment insuffisant pour de l’exploration fine. »
Dit autrement, il n’est pas logique de faire des projets pour atteindre Mars et la Lune, ou de mener des missions spatiales prometteuses, tout en négligeant nos fonds marins.
Dans la lignée des missions réalisées par Cousteau, qui nous a permis de découvrir la féerie de l’or bleu, nous devons poursuivre nos recherches en direction de cet horizon sans lumière, encore si nébuleux.
Le Gouvernement a constitué à cette fin un comité de pilotage interministériel. Cette instance s’est réunie à plusieurs reprises : sa première session s’est tenue sous la présidence des ministres chargés de la mer, de l’industrie et de la recherche en février 2022.
Le fil directeur de ce comité est la mobilisation de crédits publics pour des appels d’offres encourageant l’exploration des fonds marins, en étroite association avec la communauté scientifique. La dynamique est enclenchée : nous devons la poursuivre.
Monsieur le secrétaire d’État, pourriez-vous nous expliquer le but de ce comité ? Va-t-il être réuni à nouveau ? Participe-t-il de la volonté de la France d’accroître ses connaissances scientifiques sur les grands fonds marins ? (Mme Nassimah Dindar et M. Michel Canévet applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Hervé Berville, secrétaire d’État auprès de la Première ministre, chargé de la mer. Monsieur le sénateur, vous avez parfaitement rappelé la nécessité de renouer le fil de l’aventure maritime pour susciter des vocations. Dans tous nos territoires, notamment à La Réunion, nous devons faire naître de futurs scientifiques, de futurs chercheurs, de futurs explorateurs qui nous aideront à mieux connaître nos océans.
Votre question m’invite à clarifier la gouvernance relative aux enjeux des grands fonds marins. Comme vous l’indiquiez, j’ai réuni avec mes collègues chargés de l’industrie, de la recherche et de l’enseignement supérieur un comité de pilotage des grands fonds marins.
Ce comité avait pour objectif de faire le point sur la mission n° 1, menée à Mayotte, et surtout de lancer l’appel à projet de 25 millions d’euros sur les grands fonds marins. Ce dispositif est destiné à financer des projets de recherche et de développement, à construire des équipements, par exemple des drones et des navires, en portant une attention toute particulière à leur autonomie. Il s’agit par exemple de développer des sous-systèmes, des capteurs et des composantes adaptés au milieu marin, ainsi que des logiciels et des systèmes de traitement de données.
Lors de la réunion du comité de pilotage des grands fonds marins, nous avons aussi annoncé un programme d’équipements prioritaires de recherche, comme des drones. À ce titre, quatre missions exploratoires scientifiques sont prévues : cartographie, analyse de l’activité sismique du volcan de Mayotte, développement d’un drone scientifique et mise au point d’un robot d’intervention.
Ce comité de pilotage, répondant au dixième objectif du plan France 2030, a pour sa part une triple mission.
Tout d’abord, il réunit toutes les parties prenantes, à commencer par les ministères compétents et les six ambassadeurs concernés.
Ensuite, il est chargé de dresser le bilan du travail accompli depuis quelques années déjà, en en tirant les leçons qui s’imposent.
Enfin, il doit défendre la nécessité de donner aux scientifiques français, à tous nos organismes de recherche, notamment le CNRS et l’Ifremer, les moyens de faire de la France une grande puissance scientifique en la matière.
Le prochain comité de pilotage, qui se réunira au début de l’année prochaine, permettra d’entretenir cette dynamique.
M. le président. La parole est à Mme Angèle Préville. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit également.)
Mme Angèle Préville. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, « l’humanité a dépassé les limites de la capacité de charge de la planète et s’aventure toujours plus loin en territoire non durable ». Voilà ce qu’affirme aujourd’hui dans le journal Libération Jørgen Randers, professeur émérite de stratégie climatique à Oslo, l’un des auteurs du fameux rapport Meadows.
Intitulé Les Limites de la croissance et publié en 1972 – il y a cinquante ans déjà, alors que nous commençons tout juste à réagir –, ce rapport dressait un constat alarmant : celui d’une croissance physique exponentielle dans un monde fini.
La quantité de ressources naturelles utilisées par personne et par an dans le monde ne cesse d’augmenter : c’est ce que j’appelle la croissance physique.
De fait, six des neuf limites planétaires ont déjà été dépassées. Nous habitons un monde qui se dégrade sans cesse. Allons-nous répéter dans les abysses les erreurs que nous avons commises sur terre ? Une extraction ne peut être menée sans dommage collatéral. Elle altère forcément l’environnement et présente des risques non négligeables pour les êtres vivants habitant les profondeurs.
Coraux d’eau froide, crabes yétis, vers tubicoles, anémones transparentes : c’est dans des écosystèmes uniques, plongés dans l’obscurité, que l’on trouve ces espèces endémiques. Les abysses abritent une grande diversité biologique que nous ne faisons qu’entrevoir et qui promet de superbes découvertes.
Or notre mode de vie implique une consommation de plus en plus forte de métaux et de terres rares. Il induit une utilisation importante d’appareils numériques et de véhicules électriques. Le développement indispensable des énergies renouvelables face aux défis énergétiques va nécessiter une consommation accrue de ces ressources.
Face à ces deux enjeux contradictoires – préserver et produire –, la sensibilisation du grand public devient une nécessité afin d’atténuer la pression qui s’exerce pour la recherche de nouveaux gisements.
Les grands fonds océaniques, précisément, sont riches en ressources minérales. De plus, l’état actuel du monde nous montre la nécessité d’être plus indépendants – la majorité des métaux viennent aujourd’hui de Chine.
À ce jour, trois types de minéralisations sont connus : les nodules polymétalliques, les encroûtements cobaltifères et les amas sulfurés. Toutes ces richesses suscitent de plus en plus de convoitises. C’est pourquoi l’AIFM doit être confortée. En parallèle, elle doit faire preuve d’une plus grande transparence, non seulement dans sa gouvernance, mais surtout dans son rôle de contrôle, pour la préservation des écosystèmes.
Actuellement – les précédents orateurs l’ont rappelé –, seulement 1 % de la haute mer fait l’objet d’une protection juridique. Il faudra aller plus loin, car il s’agit là d’un bien commun.
Sur notre continent, des pays comme la Norvège, où s’est rendue notre mission d’information, ont légiféré pour autoriser, dans un avenir proche, l’exploitation des grands fonds marins.
Cette exploitation industrielle, qui implique des extractions de minerais, se traduira par de nouvelles atteintes au vivant. Destruction du milieu, qu’il s’agisse des habitats ou de la faune ; mise en suspension de sédiments et de particules métalliques ; vibrations provoquant des impacts acoustiques ; perturbations lumineuses dans des zones plongées dans l’obscurité : tel sera, au minimum, l’impact des extractions minières.
L’océan produit plus de la moitié du dioxygène de l’air et fixe le carbone. Il constitue d’ailleurs un prodigieux puits de carbone, ce uniquement grâce au vivant qui s’y trouve. Or – vous le savez – le vivant est menacé par le réchauffement, les pollutions diverses et variées, qu’elles soient chimiques, plastiques ou sonores, lesquelles sont toutes provoquées par l’homme.
À titre d’exemple, lorsqu’un prélèvement scientifique est effectué en milieu marin, on peut en voir les traces des années plus tard. Ce qui est détruit ne se reconstituera pas avant des décennies, car les écosystèmes s’y régénèrent bien moins vite que sur terre.
Pour autant, la recherche doit être soutenue et encouragée. Comme le souligne le rapport, la France doit se doter d’une filière scientifique marine de premier plan, puisque nous disposons du deuxième domaine maritime mondial. Ce constat vaut pour l’Ifremer, dont il faut accroître les moyens, mais aussi pour le CNRS, où 2 000 scientifiques travaillent sur le monde marin et, bien sûr, pour le Shom.
En effet, nous devons avoir les moyens de garantir notre souveraineté et la sûreté de nos données numériques qui transitent par les câbles sous-marins. N’oublions pas non plus que nos territoires d’outre-mer ne sont parfois reliés à l’Europe que par un câble.
Face aux risques géopolitiques, nous devons maintenir, voire renforcer, les capacités françaises d’intervention dans les grands fonds.
La découverte des abysses nous laisse deviner un univers fabuleux, emblématique de la beauté du monde ; une nature foisonnante, inattendue et, plus que tout, magnifique.
On nous assure que chaque prélèvement révèle des dizaines d’espèces nouvelles. Ce seul constat est, d’une certaine manière, réconfortant. Toutefois, la France se montrera-t-elle active à l’international pour œuvrer à la préservation de la haute mer ?
Je remercie M. le rapporteur et M. le président de cette mission d’information pour le formidable travail accompli. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST, ainsi qu’au banc des commissions et sur des travées du groupe CRCE. – M. Marc Laménie applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Hervé Berville, secrétaire d’État auprès de la Première ministre, chargé de la mer. Madame la sénatrice, vous avez évoqué de nombreux points. J’ai déjà abordé certains d’entre eux et je vais tenter d’éviter les répétitions, étant donné l’heure tardive – même si, pour les débats parlementaires, il est presque tôt. (Sourires.)
Parmi les sujets que vous avez mentionnés et qui n’avaient encore été que peu traités ce soir, la sensibilisation de nos concitoyens me semble tout à fait essentielle. En effet, il faut s’efforcer d’entretenir un élan collectif en faveur d’une plus grande protection de nos océans et de la biodiversité marine.
Ce travail de sensibilisation doit permettre d’attirer de nouveaux jeunes vers les métiers de la mer, qui sont parfois méconnus ou font l’objet de visions dépassées. En particulier, il faut insister sur la pluridisciplinarité qu’ils présentent, au carrefour de la géologie, de l’océanographie et de l’économie.
Entre autres enjeux figurent : les liens entre le littoral et la mer ; le déploiement et la gestion des câbles sous-marins ; la surveillance, la protection et l’autonomie stratégique.
Voilà pourquoi il faut sensibiliser les publics les plus jeunes tout en s’adaptant à la réalité des territoires : on ne parle pas de la mer de la même manière dans une région littorale, où ces questions sont très bien connues, et dans des lieux plus éloignés des côtes.
Dans le cadre du plan France 2030, nous avons notamment financé la réalisation d’un documentaire de vulgarisation tourné dans l’océan Atlantique.
Ce travail met l’accent sur l’enjeu environnemental. Chacun doit mesurer les conséquences de sa consommation quotidienne et, à cet égard, il faut insister sur l’impact du numérique : entre autres appareils, les téléphones portables nous permettent, en deux clics ou en deux swipes, de contempler de magnifiques images de l’océan, mais leur usage a un impact sur lesdits océans et sur la biodiversité.
Il faut avoir conscience de l’exploitation minière que ces équipements impliquent et se montrer particulièrement vigilants : c’est la sobriété énergétique qui permettra de limiter l’impact du numérique sur la biodiversité marine.
M. le président. La parole est à Mme Nassimah Dindar. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Nassimah Dindar. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les grands fonds marins, en France et pour la France, restent ce soir une grande question, alors même qu’une bonne politique de protection et d’exploitation de notre potentiel maritime pourrait être une solution pour notre Nation.
Mes collègues Michel Canévet et Teva Rohfritsch ne s’y trompent pas, dans leur rapport d’information, quand ils déplorent le faux départ constaté depuis de nombreuses années.
Il ne s’agit pas de vous, monsieur le secrétaire d’État ! Au contraire, plus je vous écoute, plus je pense que vous prenez un très bon départ. (Sourires.)
C’est une gouvernance éclatée qui entrave la dynamique nécessaire à une vision politique des fonds marins en France.
Il est toujours utile de préciser les points suivants : la France est la deuxième puissance maritime mondiale après les États-Unis ; 97,5 % de sa ZEE sont liés aux outre-mer et restent pourtant dans l’ombre des collectivités de La Réunion, de Mayotte, de la Polynésie, de la Nouvelle-Calédonie, de Saint-Pierre-et-Miquelon et de la Guyane ; le potentiel économique et géopolitique de nos îles Éparses, dans l’Indianocéanie, est important, grâce à la ZEE dont la France dispose dans le canal du Mozambique.
Les vingt recommandations émises par mes collègues donnent un nouvel élan à la stratégie nationale telle que la souhaitent les nombreuses autorités auditionnées. Ces propositions vont dans le bon sens.
Je me permettrai simplement de souligner les deux principales.
Premier point, sur le volet des écosystèmes à préserver, que mon collègue a évoqué, nous avons beaucoup avancé dans nos îles Éparses. Nous les avons même sanctuarisées, jusqu’à abattre 16 000 vaches sur les îles Saint-Paul et Amsterdam. Et il est question aujourd’hui d’abattre les rennes qui peuplent les îles Kerguelen…
Nous pouvons donc continuer à gérer de façon durable la faune et la flore de ces régions, sans devenir des ayatollahs de l’écologie. Cela vaut également pour les fonds marins.
Il nous faut allier la présence humaine et la préservation de l’environnement dans nos îles vierges de l’océan Indien, les îles Éparses, lesquelles restent des territoires d’expérimentation particulièrement pertinents. C’est une autre région maritime de France, après la Bretagne !
L’information de la population environnante, des élus, des collectivités territoriales, reste primordiale au cœur d’une mobilisation intelligente et partagée qui faciliterait l’acceptabilité sociale des mesures prises pour les populations impactées.
Ainsi, nombreux sont les élus qui demandent une coordination entre La Réunion et Mayotte sur une vision partagée des fonds marins, en matière environnementale comme en matière économique, et, au-delà, avec la Commission de l’océan Indien (COI). Pour ce qui concerne cette dernière, il me semble que nous devons aborder la question de la coopération régionale avec les pays qui en sont membres, et notamment la grande île de Madagascar.
S’agissant des énergies marines, un centre de recherche existe aujourd’hui à La Réunion, des travaux y sont menés par l’lfremer et l’Institut de recherche pour le développement (IRD). Quel partage serait-il possible de mettre en place pour assurer l’implication des pouvoirs publics, des collectivités territoriales, et particulièrement des communes littorales, nombreuses sur nos îles ?
Les décisions relatives aux ressources de l’océan profond et à leur utilisation durable au service d’une prospérité commune, ainsi qu’à l’implication de toutes les parties prenantes dans les choix éventuels en matière d’exploration ou d’exploitation des grands fonds marins, ne doivent pas être prises en vase clos, mais de manière concertée et élargie. La France prend à ce titre le bon chemin ; j’ai ainsi à l’esprit les recherches conduites en lien avec les outre-mer français ainsi qu’avec les pays limitrophes, comme l’Australie, dans le domaine des géosciences marines.
M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Nassimah Dindar. Le deuxième point sur lequel je souhaite attirer votre attention, monsieur le secrétaire d’État, concerne l’état de la flotte d’outre-mer et la dotation en drones sous-marins. Le rapport fait état de la nécessité d’acquérir des patrouilleurs « grands fonds », en lien avec l’industrie française. Six de ces navires seront livrés d’ici à 2025, dont deux à La Réunion. Je m’en réjouis.
Il me semble que nous pouvons compter sur votre implication au secrétariat d’État à la mer. Les outre-mer attendent beaucoup du travail que vous mènerez, en lien avec nous. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Hervé Berville, secrétaire d’État auprès de la Première ministre, chargé de la mer. Madame la sénatrice, vous avez abordé les sujets de la stratégie et de la nécessité d’impliquer les acteurs, c’est-à-dire à la fois la vision et la méthode.
Tout d’abord, le Gouvernement reconnaît qu’il faut aller beaucoup plus loin en termes de stratégie pour l’Indianocéanie. Depuis cinq ans, nous avons mené un travail approfondi, en lien avec les différentes collectivités locales, sur la stratégie indopacifique ; nous devons maintenant entamer le même effort concernant la stratégie indianocéanique, également avec les territoires concernés. Je vous invite donc à travailler avec nous, en vue de développer une stratégie et une vision.
Ensuite, vous avez évoqué l’importance des territoires dans le cadre de la réflexion portant sur les enjeux de valorisation et de souveraineté. Ainsi, à La Réunion, l’océan joue un rôle fondamental pour l’autonomie alimentaire.
Enfin, vous avez fait état de la nécessité de moderniser la flotte. Le ministre des outre-mer et moi-même poursuivrons nos efforts en ce sens.
Je vous propose donc, conformément à ce que j’ai indiqué à propos de la planification des grands fonds marins, de puiser dans la force de ces territoires, dans leurs spécificités et dans votre connaissance de cet espace pour travailler sur les sujets de la valorisation, de la protection, voire de la sanctuarisation, ainsi que de la déclinaison d’une coopération régionale.
Vous évoquiez le Mozambique et les États de la COI. Nous allons engager ce travail dans le cadre, également, du CNML. Il devrait aboutir, raisonnablement, d’ici à l’été 2023 à une stratégie basée sur la force de territoires comme celui de La Réunion.
M. le président. La parole est à Mme Muriel Jourda. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Nassimah Dindar applaudit également.)
Mme Muriel Jourda. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, mes premiers mots iront à Teva Rohfritsch, rapporteur de ce travail sur une meilleure maîtrise des fonds marins, dont l’importance n’est plus à démontrer.
Les événements récents concernant les gazoducs Nord Stream nous rappellent que les fonds marins sont le lieu du transport des hydrocarbures, mais aussi du transit de 98 % des échanges et des informations numériques, ainsi que de ressources, minerais et métaux dont notre industrie a besoin aujourd’hui.
À cet égard, notre rapport a révélé plusieurs obstacles auxquels se heurte l’appréhension de cette question particulière.
Le premier est celui de la connaissance : la biodiversité des fonds marins n’est connue qu’à hauteur de 5 %. Cela ne saurait constituer un obstacle total à leur exploitation, mais nous devons être vigilants. Nous ne pouvons pas les exploiter sans mieux connaître cette biodiversité, et ces fonds eux-mêmes.
Les connaissances bathymétriques portent sur 2 % à 5 % du plancher océanique ; à la vitesse à laquelle nous allons, il nous faudrait 3 500 ans pour le connaître entièrement… Il est donc nécessaire que nous nous dotions de moyens suffisants, dont certains ont été précisés par les précédents orateurs.
Il s’agit, bien sûr, de moyens destinés à nos organismes publics – Ifremer, CNRS, Shom, BRGM, IRD –, mais également à nos entreprises privées, lesquelles sont nombreuses et ont un rôle à jouer, mais manquent un peu de leadership et, surtout, de visibilité politique.
Je vous ai bien entendu, monsieur le secrétaire d’État, indiquer à quel point le Président de la République était impliqué. Notre rapport a révélé que pas moins de huit ministères étaient en charge de ces stratégies, dont aucun n’exerce de véritable leadership. Le secrétariat d’État chargé de la mer n’a malheureusement pas cette prérogative ; nous aurions souhaité qu’il en dispose.
S’y ajoute le SGMer. Vous nous expliquerez en quoi la nomination de Didier Lallement est un signe positif pour cette stratégie maritime – ou plutôt pour ces stratégies, tant plusieurs d’entre elles cohabitent, ainsi que l’indique le rapport. Plan d’investissement France 2030, réunions du CIMer, stratégie des fonds marins relevant du ministère des armées : nous avons rencontré quelques difficultés pour comprendre comment ces démarches s’interpénétraient, ainsi que pour déterminer si les financements se cumulaient ou non. Vous nous avez cependant livré un chiffre sur le dernier point au cours du débat.
Au-delà de cette volonté politique, il a été rappelé que 97 % de notre ZEE se situaient dans les territoires ultramarins. Les auditions des élus concernés auxquelles nous avons procédé ont établi que ceux-ci avaient le sentiment de n’avoir pas été associés à ce qui se passait sur leur territoire. Et ce n’était pas seulement un sentiment ! Pourtant, cela a été dit, la mer confine parfois au sacré dans la culture de certaines de ces zones. Il ne paraît donc pas envisageable de travailler sans ces élus ; il me semble que vous l’avez parfaitement compris, monsieur le secrétaire d’État.
Tels sont les obstacles et les enjeux. Ne nous y trompons pas : il ne s’agit pas de trouver au fond de la mer des minerais dont nous manquerions sur terre. Le rapport a ainsi démontré que plus nous avions besoin de minerais, plus nous en trouvions sur terre. L’enjeu, c’est véritablement la souveraineté sur des territoires et dans des domaines où nos compétiteurs sont nombreux et agressifs.
Il ne suffit pas de détenir une zone économique exclusive de 11 millions de kilomètres carrés ; encore faut-il avoir la volonté de refaire de la France une grande puissance maritime. Nous avons tous les atouts pour cela. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Hervé Berville, secrétaire d’État auprès de la Première ministre, chargé de la mer. Madame la sénatrice, votre intervention me permet de clarifier certains aspects de la gouvernance.
Je souscris pleinement à vos propos sur la nécessité de continuer à faire de la France une puissance maritime. Il s’agit non pas seulement d’une question de délimitation de l’espace, mais d’un enjeu de puissance économique, militaire et scientifique.
Le cadre de la gouvernance est très clair.
La mer est un espace dans lequel prennent place des activités relevant de plusieurs secteurs, et donc de plusieurs ministères. Nous avons considéré que la meilleure manière de prendre en compte cette interministérialité et de traiter les enjeux maritimes sous les angles écologique, stratégique et de souveraineté, était de les placer auprès de la Première ministre.
Il y a, tout d’abord, le CIMer, le cadre politique, présidé par la Première ministre, où se décident les grandes orientations de la politique de la mer.
La déclinaison politique, ensuite, revient au secrétaire d’État chargé de la mer, qui coordonne politiquement tout ce qui se passe sur la mer. C’est ce que nous faisons, ainsi, en matière de planification maritime pour les énergies marines renouvelables, en lien avec le ministère des armées comme avec le monde de la pêche.
Quant aux questions stratégiques que vous évoquiez, elles relèvent du CNML, qui est, au fond, le parlement de la mer. Il regroupe des parlementaires, des usagers, des associations, sous l’autorité du secrétaire d’État chargé de la mer, qui opère cette coordination.
Enfin, le SGMer assure la coordination administrative, et non l’animation ou l’impulsion politique.
Vous le voyez, le dispositif est clair : d’un côté, le CIMer et le secrétariat d’État chargé de la mer ; de l’autre, le SGMer, qui assure la partie administrative et la déclinaison partout sur les territoires, en lien avec les préfets et les préfets maritimes.
M. le président. La parole est à Mme Muriel Jourda, pour la réplique.
Mme Muriel Jourda. Je ne suis pas certaine que vos explications aient apporté beaucoup de clarté ! Elles ont démontré, en revanche, la multiplicité des acteurs, et l’on peine encore à comprendre comment ceux-ci sont réellement articulés.
M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Houllegatte.
M. Jean-Michel Houllegatte. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, comme de nombreux orateurs précédents l’ont mentionné, les océans présentent des potentiels inégalés dans les domaines nutritionnel, pharmacologique, énergétique, minier. Certains s’emploient à dire que la vie serait issue des océans et que, aujourd’hui, notre survie en dépendrait, pourvu que nous sachions exploiter leurs ressources de façon raisonnée.
Les océans font aussi l’objet d’enjeux stratégiques et géopolitiques, et les conflits terrestres trouvent désormais leur prolongation dans les fonds marins.
Le rapport qui sert de base au débat de ce soir insiste sur la nécessité d’une cohérence dans la stratégie et d’une coordination des actions. Mais, au-delà de la gouvernance, se pose la question de l’ambition de la France de devenir une grande nation maritime. Notre pays devra, comme le mentionne Christian Buchet, s’affranchir de son passé, et de sa tendance à vouloir desserrer la mâchoire de fer de Charles Quint et à se tourner vers l’Est, et donc vers la terre.
L’exposition « Miroir du Monde », que l’on peut admirer au musée du Luxembourg, témoigne que la connaissance et la puissance ont dépendu de la maîtrise des mers et de l’organisation des circuits logistiques, apanage successif des Portugais, des Hollandais, des Anglais, et aujourd’hui des Chinois.
Affirmer une vocation maritime, c’est impulser une identité qui passe par la sensibilisation, l’éducation, la vulgarisation scientifique et technique, la constitution d’un réseau de formation et de recherche, la création d’un pôle d’excellence permettant de structurer une filière industrielle dont l’amorçage ne pourra être effectué, comme le souligne le rapport, que par la commande publique.
Je voudrais souligner les efforts des villes et des régions de France, lesquelles ont lancé de nombreuses initiatives. Ainsi, à Cherbourg, de l’autre côté du Couesnon – en Normandie, une région comptant, elle, cinq départements (Sourires.) –, la Cité de la Mer, qui vient d’être élue « monument préféré des Français 2022 », accueille en cette fin de semaine un cycle événementiel dénommé « Grands Océans », organisé par Sciences et Avenir et Les Échos.
Monsieur le secrétaire d’État, au moment où la récente nomination du nouveau secrétaire général de la mer nous interroge, quelle est votre feuille de route ? Quelles seront les prochaines actions que vous impulserez pour structurer une véritable filière océanique ?
Sur le plan international, l’exploration et l’exploitation des fonds marins prennent l’allure d’une ruée vers l’or bleu, au détriment de la préservation de l’environnement.
Aussi, au-delà des recommandations du rapport, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain du Sénat insiste sur la nécessité de soutenir une initiative diplomatique visant à promouvoir, au niveau international, un moratoire sur l’exploitation minière des fonds marins n’excluant pas la possibilité d’interventions pour l’exploration, qui devront être néanmoins codifiées afin de ne pas détruire des écosystèmes.
De même, il importe de mettre en place des sanctuaires des profondeurs en délimitant des zones qui seraient totalement protégées et qui pourraient être reliées entre elles par des corridors biologiques sous-marins. Cette proposition figure dans l’étude intitulée « Les grands fonds marins : quels choix stratégiques pour l’avenir de l’humanité ? », réalisée par la Fondation de la mer en 2022.
Enfin, il est impératif de refondre complètement l’AIFM et notamment de réviser son mode de financement, actuellement basé sur une taxe perçue sur l’exploitation, qui la place donc dans une situation ambiguë. Cette refonte doit aussi lui permettre de contrôler et de sanctionner les pays et les acteurs qui contreviendraient aux obligations de protection de la biodiversité.
Monsieur le secrétaire d’État, le Gouvernement partage-t-il cette analyse visant à refonder l’AIFM et son financement, et à lui conférer un pouvoir de contrôle et de sanction ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Nassimah Dindar et M. Michel Canévet applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Hervé Berville, secrétaire d’État auprès de la Première ministre, chargé de la mer. Monsieur le sénateur, la feuille de route qui a été assignée à ce secrétariat d’État comprend trois objectifs.
Le premier est la protection des océans et de la biodiversité marine, à la fois sur le territoire et au niveau international. Cela fait l’objet de ce que nous portons dans le cadre du processus BBNJ.
Le deuxième est le développement de l’économie maritime partout sur nos territoires. Il s’agit de lancer la décarbonation de ce secteur, notamment des ports et des navires, et de soutenir notre modèle de pêche très divers, qui va de la Méditerranée à la Manche.
Le troisième objectif est de lancer un grand exercice de planification de l’espace maritime, nécessaire, car la mer est un objet aux usages multiples et denses : énergies marines renouvelables, pêcheurs, activités touristiques, etc.
Cet exercice de planification va précisément nous permettre de répondre à l’objectif de sanctuarisation proposé par la Fondation de la mer. Dans le cadre de la stratégie nationale pour la biodiversité, nous pouvons aller vers une telle issue ; j’y suis favorable. Pour ce faire, nous aurons besoin de ce cadre de planification, en lien avec les territoires.
S’agissant de l’AIFM, nous sommes favorables à une réforme de son financement, à l’adaptation de son organisation aux nouveaux enjeux et aux nouvelles demandes, à la protection des fonds marins et à la mise en place d’un cadre international à cette fin. Nous allons avancer en ce sens, grâce aux débats parlementaires ; je sais que vous y êtes prêt, monsieur le sénateur, comme le rapporteur et les orateurs qui vous ont précédé.
M. le président. La parole est à M. François Bonhomme. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. François Bonhomme. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je me félicite de l’initiative du groupe RDPI et de l’organisation de ce débat, qui nous permet de mettre en exergue la situation de la France du point de vue maritime.
L’espace maritime français est, dans le domaine économique, mais aussi militaire, un élément constitutif fort de la capacité d’influence de notre pays et, plus largement, de sa puissance.
Cette mission d’information vient nous rappeler fort à propos que notre ZEE est source d’immenses richesses qu’il nous faut protéger, d’abord pour une raison économique : la quasi-totalité de nos échanges transite par des voies maritimes et l’intégralité ou presque de nos données internet passe dans des câbles sous-marins – notre sécurité en dépend étroitement, nous en prenons conscience depuis quelque temps. Si l’on interrompt ces flux, notre vie individuelle et collective sera complètement bouleversée et désorganisée.
Cet impératif met en exergue le rôle premier de protection et de sécurisation de notre marine nationale, que je tiens à saluer ici.
De manière plus générale, l’approche maritime de notre puissance est essentielle pour de multiples raisons. C’est pourquoi les orientations stratégiques et les capacités de les respecter sont particulièrement importantes, pour peu que nous voulions conserver une capacité de puissance à l’échelle de la planète ou, tout au moins, conforter notre position de puissance régionale de premier plan.
Ces dernières années, certains signes nous ont laissé penser que notre zone d’influence avait tendance à se réduire au regard de celle d’autres grandes puissances maritimes. C’est d’autant plus dommageable que nous disposons de ressources considérables.
J’ai particulièrement à l’esprit les grands fonds marins. Ceux-ci ont certes leur place dans le plan d’investissement France 2030, mais cette mission d’information sénatoriale nous a rappelé combien les enjeux liés à ces fonds ont été insuffisamment partagés. Pourquoi se limiter à quelques experts sous la houlette de l’État pour fixer les grandes orientations et les moyens adéquats ?
Nos rapporteurs ont souligné combien nous avions besoin d’un pilotage clair et élargi. C’est pourquoi la désignation d’un délégué interministériel aux fonds marins, chargé d’animer la politique des fonds marins et de coordonner l’action des différents ministères et des acteurs scientifiques, est nécessaire.
De même, le rapporteur appelle de ses vœux, à juste titre, la création d’un ministère de la mer de plein exercice afin de mettre en œuvre la politique maritime française relative aux grands fonds marins, mais aussi à la pêche et à l’aquaculture.
Pourquoi, en outre, ne pas impliquer le Parlement en désignant un représentant de chaque assemblée au sein du comité de pilotage de la stratégie, et y associer les délégations parlementaires aux outre-mer ainsi que les exécutifs ultramarins ?
Enfin, nous comptons sur vous pour que nous disposions de l’ensemble des connaissances préalables avant que ne soit prise toute décision de prospection et d’exploitation des ressources minières des fonds marins. Celles-ci constituent sans nul doute une option stratégique. Mais les rapporteurs ont indiqué à bon droit combien nous avions besoin de connaissances scientifiques approfondies, lesquelles font aujourd’hui parfois défaut, sur les grands fonds et leurs écosystèmes.
Monsieur le secrétaire d’État, pour éviter toute procrastination, faites en sorte d’écouter le Sénat, au moment où tant d’autres puissances maritimes convoitent de manière de moins en moins voilée ces espaces. Les échos de ce qui se passe dans le Pacifique ne manquent pas de nous inquiéter à cet égard : l’implication des États-Unis et les manœuvres de la Chine sont de moins en moins feutrées.
Il est temps de réagir. Ce travail d’approfondissement de nos connaissances et d’élargissement des partenariats avec les parties prenantes – chercheurs, élus, associations, entreprises – est une étape préalable avant de considérer l’opportunité de chercher ou non à atteindre l’objectif d’une exploration en vue d’une exploitation industrielle des fonds marins.
Telles sont, monsieur le secrétaire d’État, les conditions indispensables pour donner un nouveau départ, que nous appelons de nos vœux, à la stratégie nationale pour les grands fonds marins. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi qu’au banc de la commission. – M. Joël Bigot applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Hervé Berville, secrétaire d’État auprès de la Première ministre, chargé de la mer. Monsieur le sénateur, ma présence ici et notre riche débat montrent à quel point le Gouvernement écoute et va faire siennes certaines propositions concernant, notamment, l’implication des élus des territoires ultramarins, la nécessité d’une planification stratégique, avec des objectifs de sanctuarisation, ou encore le renforcement de l’interministérialité et de la cohérence des différentes stratégies.
Nous allons donc vous écouter et mieux prendre en compte ce qui est dit par les parlementaires. C’est pourquoi j’ai relancé, dès la semaine dernière, le Conseil national de la mer et des littoraux. J’y insiste, parce qu’il s’agit du parlement où se réunissent tous les acteurs, où l’on définit la stratégie, où l’on mène l’évaluation, où la concertation trouve sa place.
Peut-être le CNML n’est-il pas assez connu, mais il est très utile. Il me semble, en outre, qu’il a été défendu par tous les acteurs concernés lors du Grenelle de la mer. Je souhaite donc en faire le lieu où ceux-ci se rassemblent, discutent, avancent et coconstruisent.
Je suis à la disposition du Parlement, et singulièrement du Sénat, pour poursuivre ce débat et la réflexion sur les investissements, sur leur déclinaison territoire par territoire ainsi que sur les moyens que nous devons consacrer, dans le cadre du projet de loi de finances, au CNRS, à l’Ifremer, à l’IRD ou encore à la flotte océanographique française.
Autre point sur lequel nous allons vous écouter : nous devons disposer d’un responsable qui ne se contente pas de coordonner, mais qui décline cette politique territoire par territoire. À cette fin, j’ai proposé la création au sein de mon secrétariat d’État d’un poste de coordinateur de la planification des grands fonds marins. Son titulaire mènera ce travail avec l’ensemble des ministères, et l’une de ses missions principales sera d’entendre ce que dit le Parlement, notamment le Sénat, et de le traduire en actions concrètes.
Conclusion du débat
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Hervé Berville, secrétaire d’État auprès de la Première ministre, chargé de la mer. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de la possibilité que vous nous avez offerte d’échanger, de discuter et d’avancer sur ce sujet passionnant qu’est celui des abysses et des grands fonds marins. Comme vous l’avez dit, les mers et les océans couvrent 71 % de la surface de la planète et constituent dans leur plus grande partie ce que l’on nomme « les grands fonds », à savoir des eaux d’une profondeur entre 200 et 6 000 mètres qui couvrent 65 % de la surface du globe.
Vous le savez, la France de par son histoire, sa géographie et ses territoires ultramarins est une grande puissance maritime. Le Président de la République et la Première ministre, dans la feuille de route qu’elle m’a confiée, ont pour objectif de tout faire pour protéger nos océans, pour valoriser nos espaces maritimes et pour que la France devienne une puissance maritime du XXIe siècle, capable de porter des actions exemplaires non seulement sur son territoire, mais aussi à l’international.
Car la puissance maritime, mesdames, messieurs les sénateurs, ne se résume pas à la puissance militaire ou économique ; elle implique aussi – je le crois profondément et votre rapport l’a parfaitement montré – une puissance scientifique, de sorte qu’il faut se donner les moyens d’avoir une stratégie pour la recherche marine. En effet, comme vous l’avez parfaitement décrit au cours de vos travaux, la connaissance des grands fonds marins est la condition indispensable pour mesurer tous les effets qu’ils recouvrent, pour les valoriser, pour tenir compte de leur fragilité et in fine pour les protéger.
Nous disposons d’un comité interministériel de la mer, le CIMer, qui en janvier 2021 a défini l’exploration scientifique des grands fonds marins comme sa priorité. Vous l’avez très bien dit, nous ne connaissons qu’une infime partie de ces territoires, qui restent à nos yeux sans doute encore plus étrangers que l’espace.
Il s’agissait donc de poser un premier cadre, grâce au comité interministériel de la mer, qui s’inscrit dans une architecture de gouvernance très claire pour nous, même si je sais qu’elle a pu susciter un certain nombre d’interrogations. Elle s’organise autour de la Première ministre, du secrétaire d’État chargé de la mer et d’une coordination assurée en lien avec le secrétaire général de la mer.
Le même dispositif existe dans d’autres domaines, comme celui de la défense, avec un ministre de la défense et un secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale, ou bien celui de l’Europe, avec un ministre délégué auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe et un secrétaire général des affaires européennes. Il permet d’assurer une coordination qui prend en compte l’aspect interministériel des enjeux.
Je souhaite que la priorité définie par le CIMer soit mise en œuvre dans le cadre du parlement de la mer, c’est-à-dire du Conseil national de la mer et des littoraux, instance de concertation principale qui réunit les usagers de la mer, les ONG, les élus de tous les territoires et les services de l’État. C’est en son sein que sera discutée la stratégie nationale pour la mer et le littoral que nous aurons à construire d’ici à 2023. C’est également là que nous défendrons les priorités pour les grands fonds marins, que nous déclinerons les investissements et que nous prendrons en compte les spécificités des territoires.
Pour satisfaire votre deuxième recommandation, monsieur le rapporteur, je nommerai une personne qui s’occupera du pilotage des grands fonds marins et qui fera le lien entre l’aspect financier, défini dans le plan France 2030, et la planification que nous aurons à établir partout dans les territoires.
Grâce à cette gouvernance, je suis convaincu que nous pourrons mieux concerter, décider et financer les priorités sur les grands fonds marins, qui nous permettront de répondre à tous les objectifs que vous avez définis.
Conformément à une autre recommandation de votre rapport, nous augmenterons le soutien à la recherche pour développer nos capacités en la matière, dans le cadre du CNRS, de l’Ifremer et de l’IRD. Nous mobiliserons toutes les forces de la recherche française pour atteindre un double objectif, celui de la préservation des océans et de l’exploration des grands fonds.
Vous l’aurez compris, ce sujet est porté au plus haut niveau par le Président de la République, dans le cadre de France 2030, et par la Première ministre grâce au CIMer et à la coordination qui se fera au niveau de mon secrétariat d’État. Comme plusieurs d’entre vous l’ont dit, nous devons concentrer tous les financements sur l’exploration. Celle-ci servira à la recherche scientifique pour mieux comprendre le fonctionnement des écosystèmes et le rôle des grands fonds marins dans le système océanique et climatique.
Nous investirons par exemple dans un projet de planeurs sous-marins français pour étudier le volcan sous-marin de Mayotte ou encore dans des campagnes en mer conduites grâce à l’utilisation d’un drone, développé par une entreprise française et mis en œuvre par l’Ifremer, au milieu de l’Atlantique.
Nous mènerons en parallèle une action forte à l’international, avec pour objectif de développer une stratégie multilatérale sur les grands fonds marins. La France n’exploite pas dans ses eaux territoriales et nous nous mobilisons pour convaincre les autres pays de s’engager dans cette voie, sous l’égide de l’AIFM, qu’il faudra transformer, notamment en ce qui concerne les financements. Il s’agit de faire en sorte que les pays soient suffisamment nombreux à défendre cette position pour qu’elle l’emporte.
Les sujets de recherche sont nombreux pour la France. Il faudra les traiter en tenant compte des enjeux stratégiques de maîtrise des grands fonds marins, de défense et de surveillance de nos territoires. C’est là toute l’ambition du ministère des armées qui accompagne cette stratégie d’exploration des fonds marins.
Mesdames, messieurs les sénateurs, l’ambition scientifique est bien là et je sais qu’elle est collective et partagée par le Sénat. Je formule le vœu – et je suis convaincu qu’il se concrétisera – que nous pourrons atteindre nos deux objectifs : d’une part, faire de la France un leader dans l’exploration des fonds marins et relever le défi de la connaissance scientifique pour que le dernier espace inexploré de la planète soit mieux connu ; d’autre part, nous doter des moyens pour accroître cette connaissance. Les missions que nous avons lancées permettent aussi de tester le matériel français de manière que notre pays soit toujours à la pointe en matière scientifique.
Permettez-moi de conclure par ces vers de José-Maria de Heredia que je trouve très beaux :
« Ils regardaient monter en un ciel ignoré
« Du fond de l’Océan des étoiles nouvelles. »
Continuons à porter l’ambition maritime de notre pays, et longue vie à la mer et à la France ! (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Michel Canévet, président de la mission d’information.
M. Michel Canévet, président de la mission d’information « Exploration, protection et exploitation des fonds marins : quelle stratégie pour la France ? ». Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord remercier les différents orateurs des groupes qui ont relayé la vingtaine de recommandations que la mission a élaborées, tout en apportant des éclairages sur certains aspects particuliers.
Je remercie tout particulièrement le rapporteur Teva Rohfritsch pour l’excellent travail accompli. Notre mission d’information a entendu en audition plus de soixante experts. Il en ressort que la dimension politique est essentielle sur le sujet des fonds marins. Nous devons donc continuer d’investir très largement dans ce domaine.
Les connaissances manquent sur les grands fonds, de sorte qu’il faut poursuivre l’exploration. La science pourra ainsi nous informer et nous faire connaître toutes les richesses qu’ils recèlent.
Soyons clairs, il faut des moyens pour soutenir la recherche et pour renouveler la flotte océanique. C’est en partie grâce à elle que l’Ifremer est reconnu sur la scène internationale, en matière de connaissance maritime. L’Institut doit pouvoir se doter des outils qui lui permettront de continuer ses recherches.
J’ai bien noté la préoccupation de Philippe Folliot quant à l’avenir du Nautile, qui est effectivement un outil très important.
La France, c’est une ambition maritime et je suis heureux que Joël Guerriau ait réaffirmé celle, nécessaire, de la Bretagne à cinq départements, comme l’est actuellement la Normandie si je me réfère à Jean-Michel Houllegatte… (Sourires.) Il n’y a pas de raison que la Bretagne fasse moins bien que la Normandie, d’autant qu’elle a entretenu de tout temps un lien historique très fort avec la mer, qu’il faut préserver.
Monsieur le secrétaire d’État, 322 millions d’euros de crédits ont été prévus dans le plan France 2030, qui doivent servir à soutenir un certain nombre d’actions, non pas seulement en subventionnant quelques projets, mais aussi en accentuant la commande publique.
En effet, lorsque nous avons rencontré les industriels, il est apparu que nous devions nous montrer plus actifs dans ce domaine. Nous avons pu observer, notamment en Norvège, que le soutien à la commande publique était opérant, de sorte qu’un certain nombre d’industriels se montraient extrêmement efficaces. Il faut que la France suive ce modèle qui s’affiche désormais de manière bien réelle et non plus sous des dehors de science-fiction. Ainsi, des autorisations ont été délivrées à Nauru Ocean Resources, une filiale du groupe canadien TMC, pour l’exploitation de nodules polymétalliques dans la zone de Clarion-Clipperton.
Par conséquent – vous l’avez dit, monsieur le secrétaire d’État –, il faut consolider l’AIFM pour qu’elle veille à rendre efficace l’application du code minier, à renforcer les moyens de contrôle et à modifier son mode de financement.
Enfin, Joël Guerriau l’a rappelé, la guerre des fonds marins s’est particulièrement développée. On l’a constaté en mer Baltique, mais elle peut survenir dans l’Atlantique, en Méditerranée, dans la zone indopacifique ou indianocéanique. Il est donc nécessaire de mettre en place une protection très forte, car les enjeux énergétiques, de télécommunication ou de maintien de la biodiversité sont essentiels dans ces régions. Il importe que nous puissions préparer l’avenir.
Je conclurai en rappelant que le sujet des grands fonds marins est d’une importance absolue dans notre pays, car il y va de notre souveraineté économique, militaire, industrielle et écologique. L’enjeu est immense pour le XXIe siècle, et la France doit s’en emparer.
Je vous remercie tous pour votre participation et vos propositions. (Applaudissements.)
M. le président. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Abysses : la dernière frontière ? ».
12
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, mercredi 5 octobre 2022 :
À quinze heures :
Questions d’actualité au Gouvernement.
À seize heures trente :
Débat d’actualité sur le thème « Atteintes aux droits des femmes et aux droits de l’homme en Iran » ;
Débat sur la place des outre-mer dans la stratégie maritime nationale ;
Proposition de loi visant à actualiser le régime de réélection des juges consulaires dans les tribunaux de commerce, présentée par Mme Nathalie Goulet (texte de la commission n° 902, 2021-2022).
Le soir :
Débat sur les conclusions du rapport « Cinq plans pour reconstruire la souveraineté économique ».
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt-trois heures vingt-cinq.)
Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
FRANÇOIS WICKER