Sommaire

Présidence de M. Jean-Marc Gabouty

Secrétaires :

Mme Agnès Canayer, M. Yves Daudigny.

1. Procès-verbal

2. Mise au point au sujet de votes

3. Projet de programme de stabilité. – Débat organisé à la demande de la commission des finances

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances

M. Vincent Éblé, président de la commission des finances

M. René-Paul Savary, vice-président de la commission des affaires sociales

M. Didier Rambaud

M. Éric Bocquet

M. Jean-Claude Requier

M. Bernard Delcros

M. Joël Guerriau

M. Philippe Dallier

M. Claude Raynal

Mme Christine Lavarde

M. Vincent Capo-Canellas

M. Jérôme Bascher

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances

4. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de M. Jean-Marc Gabouty

vice-président

Secrétaires :

Mme Agnès Canayer,

M. Yves Daudigny.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix-sept heures.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 11 avril 2019 a été publié sur le site internet du Sénat.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté.

2

Mise au point au sujet de votes

M. le président. La parole est à M. Claude Raynal, pour une mise au point au sujet de votes.

M. Claude Raynal. Monsieur le président, je souhaite procéder à plusieurs rectifications de votes sur le projet de loi portant création de l’Office français de la biodiversité et de la chasse, modifiant les missions des fédérations des chasseurs et renforçant la police de l’environnement.

Lors du scrutin n° 78, Mme Marie-Pierre Monier a été comptabilisée comme ayant voté pour, alors qu’elle souhaitait voter contre.

Lors du scrutin n° 79, MM. Claude Bérit-Débat, Éric Kerrouche et Mme Monique Lubin ont été enregistrés comme s’étant abstenus, alors qu’ils souhaitaient voter contre. Mme Nelly Tocqueville a été comptabilisée comme s’étant abstenue, alors qu’elle souhaitait voter pour.

Lors des scrutins nos 80 et 81, Mme Monique Lubin et M. Éric Kerrouche ont été considérés comme s’étant abstenus, alors qu’ils souhaitaient voter pour.

M. le président. Acte vous est donné de ces mises au point, mon cher collègue. Elles seront publiées au Journal officiel et figureront dans l’analyse politique du scrutin.

3

Projet de programme de stabilité

Débat organisé à la demande de la commission des finances

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la commission des finances, sur le projet de programme de stabilité.

Dans le débat, la parole est à M. le rapporteur général de la commission des finances. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Vincent Capo-Canellas applaudit également.)

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le vice-président de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, nous abordons l’examen en séance publique, après la réunion de la commission, et avant l’Assemblée nationale, du projet de programme de stabilité pour les années 2019 à 2002. Ce texte est récent puisqu’il a été adopté en conseil des ministres le 10 avril dernier. Il doit ensuite être transmis à la Commission européenne avant le 30 avril. Les délais sont donc très contraints.

Présentant la trajectoire budgétaire retenue par le Gouvernement et le scénario macroéconomique sous-jacent, ce texte est accompagné du programme national de réforme, qui retrace l’ensemble des réformes et des mesures prévues pour y parvenir.

L’importance de ce document justifie le souhait de la commission des finances qu’un débat soit organisé en séance publique aujourd’hui, alors que le Gouvernement n’avait pas lui-même prévu de l’inscrire à l’ordre du jour, comme c’est pourtant le cas habituellement.

Ce débat nous est apparu d’autant plus nécessaire que le programme de stabilité présente cette année une double particularité.

D’une part, il est l’occasion pour le Gouvernement de mettre à jour la trajectoire au regard des mesures adoptées fin décembre, dans un contexte particulier dont nous nous souvenons tous : il s’agissait de répondre aux préoccupations exprimées par le mouvement sur les ronds-points.

D’autre part, la programmation pluriannuelle a été établie indépendamment des conclusions tirées par le Président de la République du grand débat national, alors même qu’elles risquent fort d’avoir un impact non négligeable sur la trajectoire budgétaire.

Comme le Haut Conseil des finances publiques, je pense que le scénario macroéconomique retenu par le Gouvernement constitue une base réaliste pour asseoir la programmation pluriannuelle des finances publiques, en prenant acte du nouveau ralentissement attendu de l’économie française.

Pour 2019 et 2020, la révision à la baisse des perspectives tient essentiellement à un « effet base » défavorable et au ralentissement du commerce et de l’économie européenne qui pèse sur les exportations françaises. En revanche, la demande intérieure resterait dynamique.

Le scénario de moyen terme, pour 2021 et 2022, est également revu à la baisse, ce qui constitue une première depuis le début du quinquennat. Le Gouvernement ne retient plus l’hypothèse que l’économie française entrerait dans une phase de légère « surchauffe » en fin de quinquennat.

D’autres hypothèses jouent un rôle décisif dans l’évolution des finances publiques. Le Gouvernement bénéficie d’un fort dynamisme des recettes depuis le début du quinquennat, l’élasticité des prélèvements obligatoires étant supérieure à un. Or il s’agit d’une situation atypique. Pour la suite du quinquennat, le Gouvernement retient l’hypothèse raisonnable d’un retour à une élasticité unitaire.

S’agissant de la remontée des taux d’intérêt, le Gouvernement continue à faire l’hypothèse d’une remontée au rythme de 75 points de base par an, en dépit de la décision de la Banque centrale européenne, la BCE, de ralentir la normalisation de sa politique monétaire. Il s’agit d’un scénario particulièrement conservateur. Certes, la prudence peut se justifier, compte tenu de la grande incertitude entourant ces prévisions.

M. Philippe Dallier. C’est préférable !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Mais il reste étonnant de retenir des hypothèses si éloignées du consensus. La prévision de charge de la dette n’a pas vocation à constituer une forme de « réserve de budgétisation » cachée.

Venons-en maintenant au sujet qui nous intéresse principalement : la trajectoire budgétaire retenue par le Gouvernement. Je le dis, le nouveau scénario proposé apparaît particulièrement dégradé.

Certes, d’un côté, l’exécution 2018 a été légèrement plus favorable qu’escompté, permettant ainsi au Gouvernement de disposer d’un « effet base » positif de 0,1 point. Mais, de l’autre côté, la dégradation des perspectives de croissance de 2019 à 2022 pèse à hauteur de 0,5 point de PIB sur le solde en 2022.

En outre, la trajectoire budgétaire est évidemment bouleversée par les réponses apportées en décembre dernier à la fameuse crise qui est survenue. Le Sénat a approuvé ces dépenses, mais nous aurions pu les éviter comme il l’avait en quelque sorte anticipé. Ces mesures représentent à elles seules 7,4 milliards d’euros en 2019, soit 0,3 point de PIB. En 2022, elles représenteraient 12,9 milliards d’euros, soit 0,5 point de PIB, en retenant le gel de la trajectoire carbone.

Au total, la trajectoire de réduction du déficit public est significativement remise en cause puisque le solde serait dégradé de 0,9 point de PIB en 2022, la France s’éloignant ainsi un peu plus du retour à l’équilibre des comptes publics.

Naturellement, on assisterait aussi à un moindre infléchissement du ratio d’endettement et à une moindre réduction du poids de la dépense publique dans le PIB.

Certes, la réduction de la part des prélèvements obligatoires dans le PIB devrait quant à elle être plus importante qu’escompté, mais, à l’issue du quinquennat, rappelons-le, le poids de ces prélèvements resterait néanmoins supérieur de 1,7 point à celui qui était observé avant la crise financière. Le quinquennat de M. Macron permettra juste d’effacer les excès du quinquennat de M. Hollande.

Alors, que penser de cette nouvelle trajectoire budgétaire ?

Il convenait indéniablement de répondre à la crise communément appelée des « gilets jaunes » et, par-delà, aux attentes des Français. Le Sénat, vous le savez parfaitement, mes chers collègues, a été le premier, dès l’année dernière, à voter le gel de la trajectoire carbone. Nous avons ensuite soutenu, parfois anticipé, les mesures de soutien au pouvoir d’achat en décembre dernier. En compensation, ces mesures devaient s’accompagner, selon nous, d’une plus grande maîtrise de la dépense.

Nous sommes inquiets du nouveau report du redressement des comptes publics – nous venons à l’instant d’en débattre en commission des finances –, car il risque de fragiliser la crédibilité de notre politique budgétaire et la capacité de l’économie française à faire face aux chocs.

Lors de la gestion de la crise financière, la France a choisi un redressement plus progressif – c’est le moins que l’on puisse dire – de ses comptes publics, afin de ne pas fragiliser la timide reprise économique. Si cette stratégie budgétaire peut se comprendre, sa crédibilité repose néanmoins sur l’engagement d’un effort de redressement des comptes publics significatif, une fois l’économie revenue à son niveau d’activité potentiel.

De ce point de vue, le contexte actuel paraît doublement favorable. D’une part, l’écart de production est pratiquement résorbé à l’issue de l’exercice 2019 et devrait même être positif à compter de 2020 ; d’autre part, la France bénéficie depuis 2017 d’un effet « boule de neige » positif, qui facilite la réduction du ratio d’endettement. Cette situation devrait se prolonger.

Pourtant, nous ne profitons pas de ce contexte favorable, le Gouvernement préférant encore une fois reporter cet effort à la fin du quinquennat en « surfant » sur la conjoncture. La réduction du déficit structurel prévue par le Gouvernement, qui s’écartait déjà très significativement des règles européennes, est ainsi revue à la baisse sur la période 2019-2021.

Ce choix aura pour conséquence directe de nourrir la divergence de notre trajectoire d’endettement par rapport au reste de la zone euro. Or cela risque malheureusement de rendre l’économie française plus vulnérable aux chocs, en empêchant la politique budgétaire de jouer son rôle d’amortisseur en cas de ralentissement économique, de crise, ou encore en l’exposant à des enchaînements autoréalisateurs défavorables sur les marchés du fait de son niveau élevé d’endettement.

Au-delà, si peu ambitieuse soit-elle, la trajectoire de redressement proposée par le Gouvernement reste sujette à caution.

Tout d’abord, la trajectoire budgétaire gouvernementale concentre les efforts d’économies les plus significatifs sur la fin du quinquennat, alors même qu’il est assez rare, monsieur le ministre, de voir un gouvernement réaliser des économies à l’approche de la campagne présidentielle ! C’est assez irréaliste, au moins sur le plan politique…

Un second facteur de fragilité tient au manque de documentation de la trajectoire budgétaire, qui ne permet pas réellement au Parlement de porter un jugement sur la crédibilité des engagements pris. Même pour l’exercice en cours, les incertitudes sont importantes.

Ainsi, les économies de 1,5 milliard d’euros annoncées sur l’État pour financer une partie du coût des réponses apportées à la crise des « gilets jaunes » ne sont pas précisées. Où les trouve-t-on ?

Il faudra également compenser le nouveau décalage de la mise en œuvre de certaines mesures. Je pense à la « contemporanéisation » des aides au logement : les économies qu’elle pourrait permettre de réaliser devraient être précisément documentées ; or tel n’est pas le cas. Je pense également au retard dans la mise en œuvre des nouvelles règles d’indemnisation du chômage, qui, pour le coup, sont, elles, documentées.

À tout cela s’ajoute le fait que la trajectoire gouvernementale pourrait pâtir d’une nouvelle dégradation du contexte macroéconomique.

J’ai indiqué dans le rapport écrit deux scénarios macroéconomiques alternatifs. Tous deux montrent que nos finances se dégraderaient plus rapidement si la conjoncture était moins favorable que prévu.

Enfin, et c’est un peu surréaliste, ce programme de stabilité a été établi « indépendamment des conclusions qui pourront être tirées du grand débat national ». C’est là une manière de dire que ce document est d’ores et déjà obsolète !

En effet, au moins quatre des mesures annoncées jeudi dernier pourraient se traduire par un impact significatif sur la trajectoire budgétaire.

Je pense à la baisse de l’impôt sur le revenu, à hauteur d’environ 5 milliards d’euros, même si certaines niches fiscales, mais on ne sait pas lesquelles, devraient être rabotées. Je pense ensuite à la réindexation partielle des pensions en 2020 : je rappelle que le Sénat avait proposé cette mesure, qui coûterait 1,4 milliard d’euros. Je pense au renoncement total ou partiel à la suppression de 120 000 postes dans la fonction publique à l’échelle du quinquennat : cela représente une économie de 3 milliards d’euros sur laquelle on « s’assied ». Enfin, je pense au fait de porter à 1 000 euros le montant de pension minimale pour les carrières complètes dans le privé, ce qui représenterait un surcoût de 150 millions d’euros.

En première analyse, grossière à ce stade, certes, les enjeux budgétaires pourraient donc aller jusqu’à 0,4 point de PIB, en l’absence de mesures de compensation. Peut-être allez-vous nous indiquer, monsieur le ministre, quelles économies réelles permettront de financer ces mesures nouvelles ?

Ce projet de programme de stabilité apparaît plus que jamais déconnecté des arbitrages budgétaires, ce qui crée un doute sur la crédibilité de ce document, pourtant censé constituer le support des engagements européens de notre pays en matière budgétaire.

La commission des finances considère qu’il ne serait pas acceptable de financer, une nouvelle fois, les annonces du Président de la République par le recours à l’endettement. J’espère que les finances publiques ne seront pas une nouvelle fois sacrifiées. À ce stade, nous en doutons. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.

M. Vincent Éblé, président de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur général de la commission des finances, monsieur le vice-président de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, nous débattons aujourd’hui du projet de programme de stabilité pour les années 2019 à 2022, avant sa transmission à la Commission européenne, qui doit intervenir au plus tard demain.

Notre commission a souhaité ce débat en séance car il s’agit de la programmation de l’ensemble de nos finances publiques, qui engage la crédibilité de notre pays à l’égard de nos partenaires européens, à quelques semaines du renouvellement des institutions communautaires. Le Parlement ne peut pas en être tenu à l’écart.

Ce débat nous laissera cependant sur notre faim. En effet, je cite, « le programme de stabilité a été établi indépendamment des conclusions qui pourront être tirées du grand débat national et constitue le point de référence technique » préalable aux décisions qui seront prises en matière de fiscalité ou de dépense publique. Il est pour le moins singulier que le Gouvernement soumette au Parlement et à la Commission européenne une présentation technique déconnectée des décisions politiques. Mais il est vrai que les ministres étaient dans l’attente des arbitrages présidentiels.

Or les arbitrages du Président de la République ont finalement été annoncés jeudi dernier, lors d’une conférence de presse. Outre l’engagement général de ne pas augmenter l’impôt et de réduire « significativement » l’impôt sur le revenu, sont annoncées la suppression de niches fiscales pour les entreprises, la nécessité de travailler davantage et des réductions de notre dépense publique, sans autres précisions.

Les arbitrages difficiles sur la fiscalité énergétique sont renvoyés à plus tard. Une convention citoyenne serait mise en place en juin.

Depuis l’intervention présidentielle, le Gouvernement a annoncé que 15 millions de foyers seraient concernés par la réduction d’impôt sur le revenu, pour un coût de 5 milliards d’euros, en se gardant bien de préciser les contreparties exigées.

S’il dit avoir entendu la demande de nos concitoyens d’une plus grande justice fiscale, le Président de la République n’entend pas pour autant revenir sur la transformation de l’impôt de solidarité sur la fortune, l’ISF, en impôt sur la fortune immobilière, l’IFI, renvoyant son évaluation à 2020. On ne peut que s’interroger sur une évaluation conduite deux ans après l’adoption d’une réforme décidée par « pragmatisme », selon ses termes.

Comme vous le savez, monsieur le ministre, la commission des finances conduit, avec le rapporteur général, des travaux d’évaluation de cette réforme fiscale et de la mise en place du prélèvement forfaitaire unique. Nous comptons qu’ils aboutissent avant – et non après ! – l’examen du prochain projet de loi de finances.

En matière de maîtrise de la dépense publique, le Président de la République indique : « Nous pouvons faire aussi bien en dépensant moins et donc supprimer nombre d’organismes inutiles. » Exception faite de la suppression de l’ENA, l’École nationale d’administration, qui n’a évidemment pas un objectif de réduction des coûts, de nouveaux organismes sont créés : convention citoyenne, conseil de défense écologique, etc.

En réalité, ce programme, dit « de stabilité », témoigne de la perspective d’une dégradation de nos finances publiques. Celle-ci est due pour partie à la révision à la baisse des hypothèses de croissance : l’an passé, le programme de stabilité tablait sur une croissance de 1,9 % en 2019 et de 1,7 % au-delà. Celle-ci est ramenée à 1,4 % sur toute la période. Ce ralentissement n’est évidemment pas sans lien avec l’évolution de l’économie mondiale et de la zone euro, mais il résulte aussi du surcoût lié à la crise des « gilets jaunes », qui pèse sur les comptes publics à hauteur d’une dizaine de milliards d’euros.

Le solde public, qui devait se redresser jusqu’à redevenir légèrement excédentaire en 2022, serait finalement déficitaire de 1,2 point de PIB à la fin du quinquennat. La dette publique atteindrait 96,8 % du PIB, et non 89,2 %. Le déficit structurel resterait à un niveau élevé sur toute la période, tandis que le taux de prélèvements obligatoires serait de 44 % du PIB en 2022, comme en 2019, avec un rebond en 2020 et 2021, que le Gouvernement explique par le « contrecoup » de la transformation du CICE, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi.

Il est assez singulier que le Gouvernement annonce dans le programme de stabilité que les baisses de l’impôt « se poursuivront sur le reste du quinquennat » en citant la suppression de la taxe d’habitation et la baisse du taux de l’impôt sur les sociétés à 25 %, alors même que le taux de prélèvements obligatoires ne devrait pas continuer de baisser dans la trajectoire qu’il présente – mais sans doute est-elle déjà obsolète – et surtout que le financement de ces mesures reste inconnu.

Certes, le Gouvernement annonce que la dépense publique sera réduite de 54 % du PIB en 2019 à 52,3 % du PIB en 2022, mais le Président de la République n’a rien annoncé de concret à ce sujet. Quant au programme national de réforme, il mentionne seulement le projet de loi de transformation de la fonction publique. Il est vrai que sont citées la poursuite de la « transformation » de la politique du logement, avec la modification de la base de calcul des APL, qui vient pourtant d’être repoussée, la réforme de l’audiovisuel public, qui n’est pas encore faite, la réduction du volume des contrats aidés, dont on voit mal qu’elle puisse encore s’accélérer, et « la revalorisation maîtrisée de certaines prestations de l’État, notamment des pensions ».

L’ensemble de ces mesures, qui visent parfois les plus modestes, ne permettent pas de dessiner des perspectives d’avenir. Le Président de la République les a d’ailleurs contredites en annonçant une réindexation des pensions de moins de 2 000 euros en 2020 et la fin de toute sous-indexation en 2021.

Si l’on regarde les différentes composantes de la dépense publique, on observe que le déficit de l’État restera élevé sur tout le quinquennat. Seuls les excédents des administrations publiques locales, et plus encore des administrations de sécurité sociale, permettraient aux comptes publics de se redresser légèrement, tout en restant déficitaires.

Le Gouvernement s’en remet donc à ses partenaires publics pour redresser la barre, dans un contexte économique incertain et fragile. Nous serons appelés, mes chers collègues, à faire preuve de vigilance sur toutes les promesses, notamment en matière de baisses d’impôts non financées. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le vice-président de la commission des affaires sociales.

M. René-Paul Savary, vice-président de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, j’interviens à la place de Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général de la commission des affaires sociales, qui est retenu sur son territoire.

Il y a seulement un an, la trajectoire des comptes publics pouvait sembler prometteuse. La prévision de croissance était de 2 % pour 2018 et de 1,9 % pour 2019. Le déficit public devait s’établir à 2,3 % du produit intérieur brut pour 2019, les comptes publics devant revenir à l’équilibre, voire connaître un léger excédent en 2022, date à laquelle la dette publique était censée passer sous la barre des 90 % du PIB.

Mais un an en politique, comme en matière de prévisions économiques, c’est un siècle ! Aujourd’hui, force est de constater que les choses ont changé depuis nos échanges du mois d’avril dernier. La prévision de croissance est désormais de 1,4 %, au lieu de 1,9 %. Dans les prochaines années, le déficit dépassera la barre des 3 % du PIB, avant, potentiellement, de diminuer d’ici à 2022.

Toutefois, la contribution des comptes sociaux, lesquels intéressent plus particulièrement le rapporteur général de la commission des affaires sociales, reste positive sur l’ensemble de la période. Elle s’accroît même en fin de période par rapport à l’année dernière puisqu’elle n’est plus plafonnée à 0,8 % du PIB. Le solde des administrations de sécurité sociale prises dans leur ensemble, les fameuses ASSO, serait ainsi de 0,5 % du PIB en 2019, de 0,8 % en 2020, avant d’atteindre 1 % du PIB en 2021 et même 1,2 % en 2022.

Pour le sous-secteur des ASSO, ces chiffres peuvent donc apparaître de prime abord comme une bonne surprise dans un univers globalement moins « rose » pour les finances publiques. Néanmoins, ils interpellent, du fait notamment de l’imprécision des documents d’analyse dont dispose le Parlement. En effet, le détail de la contribution des différents types d’ASSO n’est, lui, pas connu.

Or, s’agissant des prévisions que je connais le mieux, correspondant au périmètre des lois de financement de la sécurité sociale, la situation financière tend, elle, à se dégrader, pour des raisons évidentes : une évolution des recettes moins favorable que ce que nous pensions l’an dernier du fait d’une croissance moins forte qu’escompté, et l’effet des mesures prises dans le cadre de la loi du 24 décembre 2018 portant mesures d’urgence économiques et sociales.

Ainsi, alors que les comptes du régime général et du Fonds de solidarité vieillesse, le FSV, devaient revenir à l’équilibre dès 2019, cet objectif ne sera pas atteint cette année. Il pourrait même ne pas l’être à brève échéance. Il s’agit là d’une évolution un peu contradictoire avec les prévisions du Gouvernement s’agissant des ASSO.

De plus, certains chiffres sur lesquels se fonde la prévision du programme de stabilité peuvent également surprendre. Pour prendre l’exemple le plus frappant, le Gouvernement prévoit que les dépenses des ASSO ne progresseraient que de 1,5 % en 2020, contre environ 2 % ces trois dernières années.

Monsieur le ministre, sur quels éléments vous appuyez-vous pour prévoir un tel ralentissement en 2020, alors même que nous savons que les retraites seront, au moins en partie, réindexées et qu’aucune mesure structurelle telle que le décalage de l’âge de départ à la retraite n’est prévue, non plus, me semble-t-il, qu’une diminution de l’Ondam, l’objectif national de dépenses d’assurance maladie ? Ce sont pourtant deux grands postes, l’un représentant 316 milliards d’euros, l’autre 200 milliards d’euros.

J’espère donc que le débat nous permettra d’y voir plus clair sur la trajectoire financière des ASSO, que la commission des affaires sociales juge encore très optimiste.

À cette fin, monsieur le ministre, j’espère que vous pourrez répondre de façon précise aux questions suivantes.

Les mesures adoptées dans le cadre de la loi du 24 décembre 2018 portant mesures d’urgence économiques et sociales, pour 2,6 milliards d’euros, seront-elles ou non compensées à la sécurité sociale ?

Sur cette base, la nouvelle trajectoire financière du régime général et du FSV est-elle compatible avec la fin de la dette sociale pour 2024, comme cela est prévu ? Je rappelle que la Cades, la Caisse d’amortissement de la dette sociale, doit s’éteindre d’ici là, qu’un peu moins de 100 milliards d’euros restent à financer et que 25 milliards d’euros doivent par ailleurs être remboursés à l’Acoss, l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale.

Enfin, les coupes dans les flux de TVA en direction de la sécurité sociale, que le Sénat avait dès l’automne dénoncées en soulignant leur caractère prématuré et probablement irréaliste, sont-elles toujours d’actualité ? Je rappelle qu’il était prévu de ne plus effectuer certains transferts entre l’État et la sécurité sociale, au motif qu’un excédent de la sécurité sociale était escompté. Or cet excédent n’existe déjà plus !

Telles sont les trois questions précises auxquelles la commission des affaires sociales souhaite obtenir des réponses dans le cadre de ce débat sur la trajectoire budgétaire. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Didier Rambaud. (M. Roger Karoutchi applaudit. – Marques de perplexité sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe socialiste et républicain.)

M. Roger Karoutchi. Je peux l’applaudir, je m’y suis engagé. Mieux vaut l’applaudir avant qu’après ! (Sourires.)

M. Didier Rambaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, le 10 avril dernier, le Gouvernement a présenté, en application des règles fixées par le pacte de stabilité et de croissance, et dans le cadre du semestre européen, le programme de stabilité de la France.

Deux ans après le changement de majorité, deux ans après le début du travail du gouvernement d’Édouard Philippe, ce programme de stabilité donne un état des lieux précis de la situation des finances publiques de la France et de la trajectoire budgétaire de notre pays.

Alors, dans les faits, où en sommes-nous ?

Le déficit public a été réduit d’un point de PIB en seulement deux ans : il se situe désormais à 2,5 % du PIB, soit son niveau le plus bas depuis 2006.

Pour la première fois depuis 2007, la dette publique a été stabilisée à 98,4 % du PIB, cela en intégrant la dette de SNCF Réseau, représentant 1,7 point de PIB.

En 2018, la dépense publique a décru, en volume, de 0,4 % et son poids dans le PIB est passé de 55 % à 54,4 %, hors crédits d’impôts. Une telle tendance est inédite depuis des décennies.

Enfin, les prélèvements obligatoires ont connu une réduction sans précédent. Je vous rappelle que 32 milliards d’euros de baisses d’impôts ont déjà été engagés par le Gouvernement et la majorité. Les baisses effectives depuis le début de la législature représentent 16 milliards d’euros : 11 milliards au profit des ménages ; 5,2 milliards au profit des entreprises. La suppression totale de la taxe d’habitation et la baisse du taux de l’impôt sur les sociétés représenteront les 16 milliards d’euros supplémentaires.

Je crois qu’il faut se satisfaire collectivement de ces chiffres. Il faut s’en satisfaire, en se remémorant les événements politiques et juridiques des deux dernières années.

Je vous rappelle que le Gouvernement a eu à gérer la censure par le Conseil constitutionnel de la contribution de 3 % sur les dividendes distribués.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Le Sénat avait prévenu à l’époque !

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Il y a lieu de le rappeler en effet !

M. Didier Rambaud. Il a fallu, en conséquence, trouver 10 milliards d’euros, dont la moitié sur l’État.

M. Bruno Le Maire, ministre. Très juste !

M. Didier Rambaud. À ceux-là s’ajoutent 5 milliards d’euros pour rendre sincères les sous-budgétisations de la majorité précédente, sous-budgétisations régulièrement critiquées par la Cour des comptes.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Certes.

M. Bruno Le Maire, ministre. Eh oui !

M. Didier Rambaud. Ces chiffres montrent néanmoins l’effort qu’il reste à fournir pour le redressement de la trajectoire des finances publiques de notre pays. Cela a été dit, la réduction du ratio de dépenses publiques est moins prononcée que celle qui a été prévue et votée en loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022. Nous ne pouvons nous en satisfaire.

Mais ces chiffres, mes chers collègues, doivent aussi être lus au regard de l’actualité.

Cette actualité nous a rattrapés avec force. Elle nous a rattrapés à l’automne dernier, quand les Français ont exprimé une juste indignation et leur impatience face aux problèmes qui les touchent et auxquels nous avions tous collectivement échoué à répondre.

Ils ont demandé une baisse plus rapide de la pression fiscale.

M. Didier Rambaud. Outre les 32 milliards d’euros de baisses d’impôts déjà engagés, le Président de la République a, lors de sa conférence de presse de jeudi dernier, annoncé une baisse de 5 milliards d’euros de l’impôt sur le revenu pour les classes moyennes. Elle sera votée en loi de finances pour 2020 et effective dès janvier 2020.

Vous avez, monsieur le ministre, précisé les contours de cette baisse. Elle concernera environ 15 millions de foyers, principalement sur la première tranche de l’impôt sur le revenu.

Les Français ont aussi demandé plus de services publics, notamment de proximité. Le Président de la République a fait des annonces fortes, avec la création d’un point regroupant l’ensemble des services publics dans chaque canton – il y en a 4 000 en France. Il a aussi annoncé le gel des fermetures d’écoles et d’hôpitaux, qui ne pourront avoir lieu sans l’accord des maires.

Avec ces annonces, le Président de la République a fait le choix de répondre à cette colère sourde, ce sentiment de déclassement et d’abandon de nos territoires.

Il a aussi, et sans ambiguïté, revu l’objectif de suppression de 120 000 postes de fonctionnaires. Nous avons déjà eu une amorce de discussion en commission des finances, et voilà un sujet sur lequel notre groupe sera opposé à la majorité sénatoriale, qui, si j’en crois les propos du rapporteur général, n’a d’autre plan d’économie que de démanteler certains services publics.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Lesquels ?

M. Didier Rambaud. J’ai entendu parler des agences régionales de santé ou des agences de l’eau.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Oui, notez bien : les agences régionales de santé et les agences de l’eau !

M. Didier Rambaud. Une majorité sénatoriale qui n’a d’autre plan que de supprimer des postes de fonctionnaires, sans préciser lesquels.

M. Vincent Éblé, président de la commission des finances. Vous non plus !

M. Didier Rambaud. Nous le dirons très clairement, donner plus de services publics de proximité, c’est une priorité. Limiter à 24 élèves les classes jusqu’au CE1, c’est une priorité dans la lutte contre les inégalités de vie minant notre pays. C’est aussi une urgence pour que notre système éducatif soit à la hauteur.

Nous serons clairs également sur ce fait : la baisse de la pression fiscale et le renforcement des services publics devront être financés, tout en respectant notre trajectoire de finances publiques.

Nous aurons enfin le débat sur les niches fiscales bénéficiant aux entreprises.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Lesquelles ?

M. Didier Rambaud. Il faudra supprimer celles qui n’atteignent pas les objectifs fixés,…

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Lesquelles ?

M. Didier Rambaud. … celles dont l’avantage coût-bénéfice n’est pas favorable, notamment sur les créations d’emplois. Notre pays a besoin d’incitations fiscales à la prise de risque.

Il ne faudra toutefois pas céder à la facilité. Réduire les allégements de charges au-delà de 1,6 SMIC ne conduirait-il pas à construire des trappes à bas salaire ?

Enfin, le Président de la République souhaite que nous aboutissions, pour le premier trimestre 2020, sur un nouvel acte de décentralisation.

Aujourd’hui, toutes les politiques – logement, transport, éducation, sport – sont exercées par plusieurs échelons. C’est incompréhensible !

Clarifier les compétences, supprimer – enfin ! – les doublons, faire correspondre l’élection à une compétence pour que chacun soit responsabilisé, faire correspondre les services publics aux réalités des territoires : ce chemin sera long, mais il est nécessaire.

En conclusion, mes chers collègues, le programme de stabilité dont nous discutons aujourd’hui est une photographie utile…

M. Philippe Dallier. Une photographie un peu floue !

M. Didier Rambaud. … pour objectiver les grands équilibres macroéconomiques de notre pays, les confronter aux choix faits par le passé.

En tout état de cause, deux ans après l’élection d’une nouvelle majorité, ce programme de stabilité confirme l’efficacité des choix pris par le Gouvernement dont vous faites partie, monsieur le ministre : baisse des prélèvements obligatoires, sortie de la procédure de déficit public et, en même temps, investissements massifs sur la formation des plus éloignés de l’emploi, sur l’école et l’enseignement supérieur.

Ces orientations sont confirmées par les annonces récentes du Président de la République.

Mais, dans un pays où le ratio des dépenses publiques sur le PIB ne peut dériver, ces mesures devront s’accompagner de réformes profondes de l’appareil de l’État et de l’action publique.

M. Philippe Dallier. Depuis le temps qu’on vous le dit !

M. Didier Rambaud. Notre groupe sera vigilant à ces choix, dans le respect des préoccupations exprimées par les Français dans le cadre du grand débat. (M. Jean-Claude Requier applaudit.)

M. Bruno Le Maire, ministre. Très bonne intervention !

M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet.

M. Roger Karoutchi. On attend le même soutien !

M. Philippe Dallier. Cela ne va pas être pareil !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Le ton va changer ! (Sourires.)

M. Éric Bocquet. Merci de vos encouragements, mes chers collègues ! (Nouveaux sourires.)

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaiterais à titre liminaire rappeler une position constante des parlementaires de notre groupe : nous nous opposons à la logique même du programme de stabilité et de la procédure de semestre européen.

Comme beaucoup d’entre vous – la plupart, voire tous –, nous sommes profondément attachés au rôle des parlements nationaux. Le contrôle budgétaire et des finances publiques doit être du ressort des représentants élus du peuple, non de technocrates ou des marchés financiers.

Ce n’est pas à la Commission européenne de délivrer, ou non, un satisfecit à la politique budgétaire du Gouvernement ; c’est au contraire aux représentants de la Nation d’en définir les choix.

Cela est d’autant plus vrai que, faute d’avoir été approuvé par les institutions européennes, le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire – dit TSCG –, qui renforce encore le contrôle budgétaire, est de fait devenu caduc depuis le 1er janvier 2018. Preuve en est, la commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen refusa, en novembre dernier, de transférer ce traité en droit européen, pour cause de non-conformité.

En cette période de campagne pour les élections européennes, je veux ici réaffirmer que ce modèle de construction européenne, contraignant les finances publiques, ne répond pas aux attentes légitimes de millions de nos concitoyens européens.

Cette construction européenne est, à l’heure actuelle, un échec économique. Plutôt que de contraindre les plans de relance nationaux, le soutien au développement économique, nous agissons pour un développement solidaire et partagé à l’échelle du continent, adossé, notamment, à un nouveau rôle de la Banque centrale européenne.

Bien qu’illégitime à nos yeux, la procédure dans laquelle se place le programme de stabilité n’en est pas moins fort instructive.

Monsieur le ministre, le débat que nous ouvrons aujourd’hui se place dans un contexte très particulier à plus d’un titre. Il y a, bien sûr, la grande révolte fiscale qui a mobilisé nos concitoyens et continuera de les mobiliser. Il y a également la situation de l’Europe, laquelle fait face à la récession, avec une stagnation de l’économie de nos principaux voisins – l’Allemagne et l’Italie, par exemple.

Ces situations devraient nous faire réfléchir, vous faire réfléchir. Elles devraient influer concrètement sur la politique économique menée.

Face à une croissance atone, pour répondre aux besoins de protection et de service public exprimés par nos concitoyens, la dépense publique et la justice fiscale sont nécessaires, l’une n’allant pas sans l’autre.

Néanmoins, le programme de stabilité que vous nous présentez ne tire aucune leçon de la situation, ni du mouvement social en cours ni du ralentissement économique généralisé au sein de la zone euro.

Le programme que vous nous présentez est le reflet d’un paradigme, d’un cercle vicieux : baisser les impôts des plus riches et les cotisations des entreprises, d’une part ; baisser les dépenses, d’autre part. C’est ainsi que vous tentez d’atteindre l’équilibre. Cela, au moins, vous l’affirmez clairement : « la poursuite des efforts en dépense permettrait de financer la poursuite de la baisse des prélèvements obligatoires ».

Ce choix n’est pourtant pas sans conséquences. Nous voulons, ici, alerter l’ensemble des parlementaires et, à travers eux, l’ensemble de nos concitoyens. Ce choix idéologique est injuste socialement et inefficace économiquement.

Au regard des données de ce programme de stabilité, il aura, au moins, trois conséquences – particulièrement injustes – que je tiens à souligner.

Premier point, sur la durée, le cap fixé est de faire baisser la dépense publique de 3 points à l’horizon de 2022. Un tel objectif ne sera pas neutre pour les politiques publiques. Comme la Cour des comptes le soulignait dans un rapport de juin 2017, il conduira à réaliser près de 80 milliards d’euros d’économie. En somme, c’est véritablement un nouveau plan d’austérité que vous proposez aux Français.

Deuxième point, la poursuite des exonérations de cotisations sociales met en péril l’équilibre de la sécurité sociale et son financement par les revenus du travail. Elle conduit à une fiscalisation toujours plus importante de notre système de protection sociale. La montée en charge de la CSG fera reposer sur tous les citoyens ce qui devrait dépendre des revenus du travail. Elle conduira, lentement, mais sûrement, à faire reculer la gestion par les partenaires sociaux et, donc, la démocratie sociale.

Troisième point, ce programme de stabilité est porteur de choix en matière de politiques publiques. Il faut le dire à nos compatriotes, il privilégie les coupes dans les services publics, dans la protection sociale, pour favoriser un resserrement étroit sur les missions régaliennes et les opérations militaires extérieures, par exemple. Monsieur le ministre, ce que vous détruisez, c’est l’État social ; ce que vous construisez, c’est l’État gendarme.

Ce programme de stabilité marque, par ailleurs, l’échec de la politique économique que vous menez depuis deux ans. Le symptôme immédiat en est le ralentissement de la croissance.

Je voudrais me focaliser sur un autre point : la poursuite du CICE et sa transformation en baisse de cotisations sociales sont, à ce titre, tout à fait exemplaires.

Cela contribue-t-il à créer des emplois ? À ce stade, aucune réponse précise sur ce point. Cela permet-il une relance de l’économie ? Pas davantage. Dès lors, à quoi cela conduit-il, au regard de votre programme de stabilité ? À augmenter la dette et le déficit public : seuls nos créanciers, les marchés financiers, sauront s’en féliciter. Là encore, les cadeaux que vous faites aux grandes entreprises gagent l’avenir de la Nation dans son ensemble.

Enfin, dans la lignée de l’avis adopté voilà peu par le Conseil économique, social et environnemental sur votre programme de stabilité et de réforme, je souhaiterais pointer les sujets qui ne sont pas abordés. Ces impasses définissent, tout autant que vos coupes budgétaires, la nature de la politique que vous entendez mener.

La transformation de l’action publique que vous préconisez ne mentionne même pas l’intérêt général et procède avant tout d’une logique comptable.

Les partenaires sociaux n’ont pas été consultés.

La question du logement n’est pas abordée dans le cadre de la lutte contre la pauvreté.

Vous comprendrez, monsieur le ministre, que nous sommes extrêmement inquiets à la lecture du programme de stabilité que vous nous présentez. Celui-ci n’est pas à la hauteur des défis de relance et de lutte contre la récession que la France et l’Europe doivent affronter. Il organise un transfert de fiscalité des entreprises vers les contribuables dans leur ensemble. À l’image de la conférence de presse du Président de la République la semaine dernière, il ne répond pas du tout à la profonde crise sociale et politique que notre pays traverse. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier. (M. Jérôme Bascher applaudit.)

M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, monsieur le vice-président de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, comme chaque année, la publication du programme de stabilité et du programme national de réforme font l’objet d’un débat au Sénat, comme à l’Assemblée nationale.

M. Philippe Dallier. Pas tous les ans.

M. Jean-Claude Requier. L’an dernier, cette question avait fait l’objet d’une déclaration du Gouvernement au sens de l’article 50-1 de la Constitution.

C’est toujours un rendez-vous indispensable, surtout à quelques semaines des élections européennes, où nous pouvons prendre du recul sur l’année écoulée et tracer les perspectives du prochain cycle budgétaire.

Nous étions sortis de l’audition du président du Haut Conseil des finances publiques, Didier Migaud, avec l’impression parfois embarrassante d’un manque de visibilité inédit sur les prévisions économiques à court et moyen termes. Nous avons pourtant l’habitude des prévisions incertaines en matière économique, que le rapporteur général aime souvent à comparer à la science météorologique.

Pourtant, cette année, les différents indicateurs dont nous disposons peinent à tracer une voie, tant sont nombreux les points d’interrogation, à commencer par l’état du commerce international.

La chute brutale du commerce mondial à la fin de 2018, après des années de stabilisation et de remontée depuis la crise de 2008, est le phénomène le plus spectaculaire de ces derniers mois : plus que les incertitudes liées au Brexit, la situation de l’Italie ou encore la crise des « gilets jaunes » chez nous, même si je ne sous-estime bien évidemment pas ces autres sujets.

Dans ce contexte, l’économie française bénéficie, pour ainsi dire, de la force de ses faiblesses. Importatrice nette depuis plusieurs années, donc moins exposée que ses voisines allemande, italienne ou néerlandaise, elle est logiquement moins affectée par un ralentissement soudain des échanges mondiaux.

Mais cet avantage, relatif et conjoncturel, ne doit pas faire oublier les difficultés structurelles en termes d’offre, de production, de compétitivité, auxquelles le Gouvernement s’efforce depuis bientôt deux ans de répondre. De plus, nous restons vulnérables à une hausse des prix des carburants, qui a été, ne l’oublions pas, l’un des facteurs déclencheurs du mouvement des « gilets jaunes ».

Dans ce cadre, désormais plus contraint, il faut donner crédit au Gouvernement d’avoir cherché à améliorer la maîtrise des comptes publics, avec un déficit ramené sous la barre des 3 % du PIB en 2017 et 2018, et une certaine stabilisation de l’endettement public un peu au-dessous de 100 % du PIB, un niveau certes élevé.

Le véritable risque pourrait venir de l’endettement privé. Alors que l’endettement des ménages a été à l’origine de la crise financière de 2007-2008 aux États-Unis et dans certains pays européens, l’endettement privé, des entreprises et des ménages, est aujourd’hui plus élevé en France que la totalité de la dette publique. Il est vrai que la politique de taux bas, voire nuls, de la Banque centrale européenne depuis plusieurs années facilite beaucoup l’accès au crédit et que, associée à une inflation faible, elle encourage les agents privés à s’endetter.

Les niveaux désormais atteints devraient conduire à une certaine vigilance, en particulier en ce qui concerne les entreprises. D’après le journal Les Échos, en 2015, la dette des entreprises équivalait à 125 % du PIB, soit 30 % de plus que la dette publique. Si la dette peut être un levier pour investir et faire croître l’économie, les crises passées nous ont appris qu’elle comporte des risques contre lesquels il est essentiel de se prémunir.

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous indiquer quel suivi votre administration effectue de ce phénomène et quel est le niveau de coordination avec les autorités monétaires européennes ?

Pour ce qui concerne la stratégie de gestion des finances publiques, l’année 2019 devait de toute façon être marquée par la transformation du CICE en réduction de cotisations sociales. À cela s’ajoutent les mesures d’urgence votées à la veille de Noël dans le contexte que nous connaissons.

Je note que le Gouvernement a d’ores et déjà décidé de recettes supplémentaires dans le projet de loi sur la taxation des services numériques que nous examinerons prochainement. Son article 2 déroge à la trajectoire de réduction de l’impôt sur les sociétés à l’horizon de 2022, pour un rendement estimé à quelque 1,7 milliard d’euros.

Je n’oublie pas non plus, évidemment, l’impact à venir des dernières annonces du Président de la République, dont nous attendons maintenant de connaître précisément les contours législatifs.

Toutes choses étant égales par ailleurs, le solde public devrait s’améliorer automatiquement en 2020 du fait de la disparition de la mesure ponctuelle liée au CICE. Mais alors, c’est l’environnement international qui reste assez incertain.

Il me semble qu’une des conclusions essentielles à tirer du mouvement des « gilets jaunes » et du grand débat national est une exigence, à la fois, de justice fiscale et de meilleur usage des deniers publics.

Beaucoup de Français refusent davantage d’impôts, cela paraît clair. Mais ils ne veulent pas nécessairement moins de services publics. En revanche, ils souhaitent que chaque euro dépensé par la puissance publique, qu’il s’agisse de l’État, des collectivités, des hôpitaux, le soit avec un meilleur service, une meilleure qualité et dans le cadre d’une répartition équitable sur tout le territoire national. D’autres pays avec une forte dépense publique y parviennent. Pourquoi pas nous ?

Nous avons tendance, au cours de ces débats sur les finances publiques, à citer de nombreux chiffres ou nous appuyer sur de nombreux graphiques. Trop souvent, nous parlons de façon comptable. La priorité, pour le Gouvernement, doit désormais être la qualité de la dépense publique, ainsi que la satisfaction des Français et de leurs représentants ! (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – M. Jérôme Bascher applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Delcros. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)

M. Bernard Delcros. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il faut le reconnaître, la tâche consistant à définir une trajectoire financière à quatre ans, dans un monde et une période si incertains et imprévisibles, est une tâche difficile.

Vos nouvelles prévisions, monsieur le ministre, corrigeant le solde public à -1,2 point de PIB et limitant la baisse de l’endettement à 1,6 point à l’horizon de 2022, sont en adéquation avec les données du moment. Elles sont réalistes et claires. Le groupe Union Centriste tient à le saluer.

Mais, nous le savons, les aléas sont nombreux – sur le plan mondial, européen et national.

Qui pourrait aujourd’hui prédire la stratégie commerciale américaine à l’approche des élections de 2020 et les conséquences de ses à-coups douaniers et tarifaires sur l’économie européenne et française ?

Quid de l’issue du Brexit et de la nouvelle configuration de la politique européenne, au sortir des élections du 26 mai ?

Comment mesurer avec précision l’impact des orientations fixées par le Président de la République à l’issue du grand débat ?

Enfin, la suppression de la taxe d’habitation, d’un coût supérieur à 10 milliards d’euros, est-elle intégrée à la trajectoire des finances publiques que vous nous présentez ?

M. Philippe Dallier. Il faut l’espérer !

M. Bernard Delcros. Pensez-vous, monsieur le ministre, que ces aléas pourraient vous amener à réviser le programme de stabilité ?

Quoi qu’il en soit, malgré ces incertitudes, notre pays doit garder le cap : le cap de la bataille de l’emploi, dont les premiers résultats sont encourageants ; le cap de la nécessaire transformation de notre pays et de son adaptation aux enjeux du XXIe siècle ; le cap du redressement des comptes publics, qui doit rester une priorité.

Cet objectif exige de chacun d’entre nous un devoir de cohérence et de responsabilité.

On ne peut pas réclamer simultanément la baisse des impôts, la réduction du déficit, la diminution de la dette, sans préciser avec quels moyens nous organiserons la présence des services dans les territoires, alors même que nous devons faire face à l’allongement de la durée de vie et au phénomène de dépendance qui l’accompagne.

Pour ma part, je considère que la baisse des prélèvements obligatoires ne doit pas être un objectif aveugle.

Oui à la baisse de l’impôt sur le revenu pour les premières tranches et les classes moyennes ! Oui à la baisse de l’impôt sur les sociétés pour gagner le pari de l’innovation, de la recherche, de l’investissement, de l’emploi ! Mais oui, aussi, à une juste taxation des GAFA ! À cet égard, nous soutenons votre position en faveur de la création d’un impôt minimum mondial ! Et oui à une lutte efficace, plus efficace, contre l’évasion fiscale et à l’encadrement de l’optimisation fiscale : nous pouvons faire mieux !

Pour susciter l’adhésion de nos concitoyens – mieux, pour qu’ils soient partie prenante d’une dynamique collective –, la mise en œuvre des réformes doit avoir, pour principale boussole, la recherche d’une plus grande équité.

Monsieur le ministre, la nécessaire transformation de notre société et le redressement des comptes publics doivent s’appuyer sur une exigence permanente de justice sociale, de justice fiscale, de justice territoriale. Le groupe Union Centriste est prêt à vous accompagner dans cette voie, mais sera attentif au respect de ces valeurs. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – M. Jérôme Bascher applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau.

M. Joël Guerriau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme chaque année, le programme de stabilité fera l’objet d’une attention toute particulière de la part de la Commission européenne, ainsi que des autres pays européens.

Et pour cause : du fait du poids économique de la France, la trajectoire de nos finances publiques revêt une importance singulière aux yeux de nos partenaires. Comme chaque année, le programme de stabilité français suscitera chez eux de nouveaux espoirs.

Mais les gouvernements précédents ont pris la mauvaise habitude de décevoir ces espoirs, si bien que la crédibilité de la France s’en est trouvée écornée. Durant de trop nombreuses années, nous avons inlassablement rejoué la même farce : au printemps, nous nous targuons de notre rigueur future et, à l’automne, nous nous accommodons de notre désinvolture.

Cette année encore, ce document fera donc éclore les mêmes espoirs printaniers.

Cependant, nous aurions tort de ne pas apprécier ce programme de stabilité à sa juste valeur. Il faut le dire, la trajectoire qu’il présente nous remet sur de bons rails. C’est comme si nous entrions dans une gare : l’horaire du train nous convient ; encore faut-il qu’il arrive à l’heure…

Les principaux indicateurs devraient ainsi repasser à l’orange : réduction du déficit à 2,3 % du PIB en 2019, abstraction faite de la bascule comptable du CICE, soit la troisième année consécutive sous la barre des 3 % ; maîtrise de la dépense publique à 0,2 % par an, soit l’équivalent de 3 points de PIB sur l’ensemble du quinquennat ; baisse de 1,4 point de PIB pour les prélèvements obligatoires sur la même période ; inversion de la courbe de la dette, avec, pour la première fois depuis des décennies, une diminution de son volume global sur le quinquennat.

De même, les prévisions actualisées de croissance, bien qu’elles aient été revues à la baisse, confirment une tendance solide, aux alentours de 1,4 % pour 2019 et 2020, au-dessus de la moyenne de la zone euro, portée notamment par une consommation vigoureuse.

Pour réaligner durablement la trajectoire de nos finances publiques sur les objectifs du pacte de stabilité, il faut nécessairement revenir aux fondamentaux. Les réformes annoncées peuvent aller dans le bon sens, mais les efforts portés à la fin du quinquennat nous interrogent.

De plus, tout ne dépend pas de nous et nombreux sont les nuages qui assombrissent ces perspectives de croissance : incertitudes liées au Brexit et à la possibilité d’un no deal ; tensions commerciales avec les deux géants mondiaux ; tentations protectionnistes chez certains de nos partenaires, notamment européens.

Hélas, mes chers collègues, rien de nouveau sous le soleil, et les mauvais augures d’une dégradation généralisée du commerce international vont bon train.

Mais en économie, c’est bien connu, quand la confiance disparaît, la crise survient ! Tâchons donc de reprendre confiance en nous-mêmes pour inspirer confiance aux autres. Nous ferons ainsi entendre les revendications françaises au niveau européen, par exemple sur les questions climatiques dans le cadre des négociations à venir pour un accord commercial avec les États-Unis.

Mes chers collègues, ce programme de stabilité n’est ni une cure d’austérité ni une sinécure : il nous permet simplement de respecter les engagements que nous avons pris au niveau européen.

Pour nous préparer à une prochaine crise, rien ne sert de prédire un éventuel relèvement des taux ou une hypothétique crise de la dette : il faut continuer d’assainir nos comptes publics, afin de nous prémunir de temps moins cléments.

Pourtant, nous aurions vraiment tort de croire que le danger ne peut venir que de l’extérieur. La crise des « gilets jaunes » nous rappelle qu’un équilibre est toujours fragile et que la stabilité ne se laisse pas facilement programmer.

Le Gouvernement l’a réaffirmé à l’issue du grand débat : parce que l’exaspération fiscale est à son comble, il faudra baisser les prélèvements obligatoires et, pour baisser les prélèvements obligatoires, il faudra encore réduire les dépenses publiques.

Aussi, les annonces faites par le Président de la République, notamment concernant la baisse de l’impôt sur le revenu, devront-elles s’inscrire dans le strict respect de cette trajectoire.

Il nous faudra persévérer pour restaurer la crédibilité des programmes de stabilité français. Il y va, à Paris comme à Bruxelles, de la crédibilité des responsables politiques français. Dans la crise de confiance que nous traversons, nous devons démontrer que nous pouvons tenir nos engagements.

Les difficultés sont trop nombreuses, à l’intérieur comme à l’extérieur de nos frontières. Mais c’est le chemin qui doit nous ramener dans les clous de Maastricht, avec, en ligne de mire, une dette ramenée sous la barre des 60 % du PIB.

Sans aller jusqu’à l’austérité, nous aurons besoin de rigueur. Comme l’a dit Paul Valéry, « la plus grande liberté naît de la plus grande rigueur ».

Mes chers collègues, attachons-nous à tenir rigoureusement un programme de stabilité. C’est notre devoir à l’égard des générations futures. Mais c’est aussi la première étape d’une réflexion de fond, qui doit nous amener à repenser la place et le rôle de l’État dans la société. (MM. Michel Canevet, Jérôme Bascher, Roger Karoutchi et Sébastien Meurant applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Dallier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Philippe Dallier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant tout, je tiens à remercier le président de notre commission des finances et notre rapporteur général d’avoir pris l’initiative d’organiser ce débat au Sénat, puisque le Gouvernement ne l’avait pas jugé utile… Certes, ce débat est percuté de plein fouet par l’actualité, mais c’est ainsi.

En effet, monsieur le ministre, le Gouvernement est en séminaire, pour plusieurs jours, nous précise-t-on – c’est dire si la tâche est ardue ! –, afin de trouver 9 à 10 milliards d’euros, coût en année pleine des mesures annoncées jeudi dernier par le Président de la République, lesquelles s’ajoutent aux 10 milliards d’euros votés en décembre dernier.

Comment croire que toutes ces décisions n’auront pas d’impact sur la trajectoire que vous nous présentez et dont nous débattons aujourd’hui ? Je crois que personne ne le pense ici. Mais ce n’est pas tout : il y a à la fois les mesures annoncées et les déclarations du Président de la République, qui laissent perplexe. Lors de sa conférence de presse, il a en effet annoncé son intention de ne pas tenir l’objectif de suppression de 50 000 postes dans la fonction publique d’État. Quel est donc le nouvel objectif ? Quelles seront ses conséquences sur la trajectoire des finances publiques ? Nul ne le sait.

S’y ajoute une autre réforme majeure pour l’équilibre à venir de nos finances publiques : celle des régimes de retraite. Coincés par la promesse électorale de ne pas toucher à l’âge de départ, vous avez perdu des mois, et certainement la confiance des partenaires sociaux, en laissant finalement entrevoir votre point d’arrivée : un départ toujours possible à 62 ans, mais avec une décote. Ce sera d’ailleurs, manifestement, votre argument majeur : la liberté de choisir entre obtenir une pension avec décote ou travailler plus longtemps. Quel manque de courage !

Surtout, comment anticiper les effets d’un tel système sur l’équilibre du futur régime, puisqu’il dépendra de ce choix laissé aux Français ? Seule une décote importante les contraindra à travailler plus longtemps. Sur quelles hypothèses sera donc bâtie la réforme ? Quel sera son impact sur nos finances publiques ? Nous ne le savons toujours pas.

Je pourrais également parler de nos collectivités territoriales, qui depuis 2014 ont été largement mises à contribution au titre du redressement des finances publiques et qui sont – rappelons-le ici, au Sénat – les bons élèves de la classe.

Pourtant, elles sont de nouveau sollicitées par le Président de la République depuis jeudi dernier, pour l’ouverture de maisons de services publics dans tous les cantons de France et la réduction du nombre d’élèves par classe. Ces mesures impliqueront forcément des investissements et des dépenses de fonctionnement nouvelles. Or votre collègue Gérald Darmanin le déclarait ce matin sur une radio périphérique : si l’État ne réduira pas de 50 000 le nombre de ses fonctionnaires, les collectivités territoriales sont priées de bien vouloir tenir l’objectif de 70 000 postes en moins.

Comment feront-elles pour concilier tout cela ? Avec quelles ressources, puisque vous avez repoussé à l’automne la réforme de la fiscalité locale ? Elles ne le savent toujours pas.

Au total, 20 milliards d’euros de mesures nouvelles ont été accumulés depuis décembre ; certains objectifs sont clairement abandonnés ; des réformes sont annoncées, mais elles sont toujours si floues et sans calendrier précis. Dans ces conditions, comment croire en ce programme de stabilité ?

Au-delà des chiffres, le plus important est certainement l’abandon pur et simple de l’objectif de retour à l’équilibre de nos comptes publics en 2022. Il en va donc de ce quinquennat comme de celui de François Hollande, toutes proportions gardées… Moins de deux ans après son commencement, on change de politique et l’on repousse encore et toujours le retour à l’équilibre des finances publiques. En 2012, François Hollande le promettait pour 2015 : on connaît la suite. En 2017, vous le promettiez pour 2022 : c’est terminé.

Le point commun de ces deux tournants, c’est bien sûr le ras-le-bol fiscal.

Certes, monsieur le ministre, vous n’avez pas assommé les Français de 30 milliards d’euros d’impôts nouveaux, comme le fit le gouvernement de Jean-Marc Ayrault, cher Claude Raynal (Sourires.),…

M. Claude Raynal. Et Sarkozy ?

M. Philippe Dallier. … mais vos choix – taxe carbone, hausse de la CSG, désindexation des retraites – ont exaspéré les Français. Sous la pression de la rue, vous voilà donc contraints de faire marche arrière, sans avoir engagé les grandes réformes de l’État, et au moment même où la croissance mondiale connaît une faiblesse.

Sur ce point, vos prévisions à la baisse semblent prudentes, mais le sont-elles assez ? Comme ce fut le cas en 2008 et 2009, la situation en Allemagne se dégrade plus vite qu’en France. Certains s’en réjouissent. Mais souvenons-nous, mes chers collègues, que cette situation est d’abord due au fait que l’Allemagne exporte beaucoup et que nos exportations sont bien moindres, ce qui est l’une de nos faiblesses.

Monsieur le ministre, vous anticipez effectivement ce ralentissement, mais n’êtes-vous pas encore trop optimiste ?

Si, dans ce contexte, les mesures de décembre et celles de jeudi dernier soutiendront opportunément la consommation et le pouvoir d’achat des ménages, elles constituent certainement – il faut en avoir conscience – la dernière cartouche de votre gouvernement, sauf à laisser s’emballer le déficit et la dette, en cas de coup dur, bien au-delà des 100 % du PIB.

Ainsi, onze ans après la crise de 2008, alors que la plupart de nos partenaires européens ont rétabli ou grandement amélioré le solde de leurs comptes publics, la France est toujours à la traîne, au moment même où les nuages s’amoncellent de nouveau. La petite phrase du Président de la République – » l’important ce n’est pas la comptabilité, mais la transformation de l’État » – est un renoncement inquiétant, qui s’apparente à un « après nous, le déluge », d’autant que, pour la transformation de l’État, nous attendons toujours de voir.

Encore une fois, il aura été démontré que les erreurs commises en début de quinquennat ne se rattrapent pas et se paient cash.

Il ne nous reste plus qu’à prier le ciel, pour que le trou d’air de la croissance ne soit pas trop violent ; pour que le prix du pétrole ne remonte pas trop ; pour que la guerre commerciale ouverte par les États-Unis trouve enfin un terme ; pour que le Brexit se dénoue sans trop de dommages ; et pour que les taux d’intérêt restent relativement bas. Que d’incertitudes !

Plus le temps passe, plus le sort de la France dépend fortement d’éléments extérieurs, plutôt que de ses propres choix. Voilà où nous en sommes, deux ans à peine après l’avènement du « nouveau monde ».

Monsieur le ministre, nous ne pouvons pas considérer cette situation comme satisfaisante. Ce soir, le Sénat ne sera pas appelé à voter, et nous le regrettons ; mais, vous l’avez compris, si un vote avait eu lieu, les élus du groupe Les Républicains se seraient prononcés contre ce programme de stabilité ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Claude Raynal. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Claude Raynal. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, je commencerai par relever les biais méthodologiques que subissent, dans leur construction, le programme de stabilité et le programme national de réforme qui lui est joint.

Tout d’abord – ce constat a déjà été fait –, la perspective du Brexit, si elle est évoquée, ne donne lieu à aucune simulation dans les hypothèses macroéconomiques formulées.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. On ne peut rien savoir !

M. Claude Raynal. Pourtant, les travaux conduits par notre commission des finances laissent à penser qu’un « hard Brexit » pourrait se traduire par une perte de 1 point de PIB pour la France, et qu’un Brexit négocié aurait également des conséquences, tout comme un report du Brexit.

Par ailleurs – vous l’indiquez vous-même, monsieur le ministre –, le document transmis n’inclut aucune des annonces qui viennent d’être formulées par le Président de la République et qui auront un impact significatif sur les scénarii de finances publiques projetés, avec notamment la baisse des prélèvements de 5 milliards d’euros et la réindexation des retraites, en partie pour 2020, totalement pour 2021, pour 1,5 milliard d’euros au total.

En ce sens – nous le savons tous –, le document est d’ores et déjà dépassé au moment où nous nous exprimons.

Si le Haut Conseil des finances publiques a pu qualifier le scénario macroéconomique de ce programme de stabilité de crédible, je reste très réservé, pour les raisons indiquées. Du fait de cette conjoncture très particulière, il eût très certainement été opportun de solliciter la Commission européenne pour obtenir d’elle un report de quelques jours pour la remise du document, afin de prendre en compte ces éléments.

Après l’épisode du projet de loi « gilets jaunes », débattu dans des conditions pour le moins baroques, le Gouvernement réitère et transmet au Parlement un document de toute évidence très approximatif. Nous en prenons acte.

J’en viens maintenant au fond. En tant que tels, les éléments mis en avant dans le programme de stabilité ne sont pas à proprement parler originaux, mais ils méritent à certains égards d’être évoqués, car la présentation qui en est faite me semble lacunaire.

La prévision de croissance pour 2019 et les années suivantes s’établit à 1,4 % du PIB, soutenue principalement par la consommation des ménages, traditionnellement plus favorable à la France qu’à ses principaux partenaires. Si l’on peut se réjouir de cette embellie, elle ne signifie pas forcément, malheureusement et contrairement à ce qu’affirme le Gouvernement, que le pays se porte mieux et que l’appareil productif est relancé.

Le document s’appuie également sur une amélioration notable de la balance commerciale de la France. Néanmoins, il convient de rappeler, d’une part, que la France reste largement déficitaire en la matière, et, d’autre part, que la remontée en cours des prix du baril par rapport aux prévisions établies dans le document, tout comme l’importance accrue de la consommation des ménages, risque de conduire à une dégradation de cette balance commerciale. Monsieur le ministre, je ne peux que vous inviter à la plus grande prudence sur ce point ; je ne doute pas que vous en fassiez preuve.

Ainsi, comme le document l’établit, la demande mondiale adressée à la France devrait perdre 1 point en 2019, pour s’établir à 2,7 %. Cette décélération, plus marquée que celle du commerce mondial, témoigne des risques pesant sur le solde commercial du pays. Les prévisions d’amélioration de ce solde à partir de 2019 et 2020 m’apparaissent, en ce sens, très hypothétiques.

En matière de croissance, il convient également de noter les aléas frappant le programme de stabilité, liés aux difficultés tant européennes – Brexit, montée de l’euroscepticisme et du populisme – que mondiales, qui jouent sur le commerce. Ainsi, comme le note le document, « les perspectives d’investissement des entreprises françaises demeurent soumises à un aléa » : comme c’est bien tourné ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

C’est dans cette perspective qu’il faut envisager les mesures de pouvoir d’achat prises, sous la contrainte, je le rappelle, alors que le groupe socialiste et républicain du Sénat, et même la Haute Assemblée dans sa quasi-totalité vous y avaient appelés des semaines plus tôt, en décembre dernier.

Je ne peux que me satisfaire de mesures qui accroissent le pouvoir d’achat et reviennent pour partie sur vos politiques profondément inégalitaires. Ainsi, il est amusant de lire : « La consommation des ménages serait fortement soutenue en 2019 par les mesures de soutien au pouvoir d’achat, notamment celles décidées en décembre. » Pour un peu, on croirait à une volonté politique, et non à ce qui fut une retraite en désordre face au mécontentement de la rue !

Toutefois, à ce stade du moins, cette action est menée au détriment des finances publiques, dans la mesure où les dispositions annoncées ne sont, à ce jour, que très imparfaitement financées. Ce n’est pas la taxe sur les services numériques, qui sera soumise à notre examen le mois prochain, qui permettra de trouver 11 milliards d’euros par an, auxquels s’ajoutent les montants liés aux dernières décisions, pour un total proche de 20 milliards d’euros.

Ce constat me conduit à évoquer le déficit public, qui est annoncé pour 2019 à 2,5 % du PIB.

Monsieur le ministre, je note votre acharnement à ne plus intégrer dans ce calcul le doublement du CICE pour l’année 2019. Mais je vous rappelle quand même que, en politique comme ailleurs, les décisions prises ont des conséquences : refuser d’assumer cette mesure et de l’inclure dans vos calculs ne la rend pas moins coûteuse pour les finances publiques. De plus, même si elle est ponctuelle, elle fait de la France le seul pays européen à se situer cette année au-delà des 3 % de déficit public. Encore bravo !

J’avais déjà évoqué le sujet l’an dernier, et je vous pose de nouveau la question : quel objectif vous étiez-vous initialement fixé en matière de progression de la dépense publique ?

Je me souviens : vous aviez pris pour engagement 0 % de progression en volume des dépenses publiques sur toute la durée du quinquennat. Certes, en 2018, une inflation particulièrement élevée a permis d’y arriver. Mais je note que, à l’échelle du quinquennat, l’ambition est passée de 0 % en volume en moyenne à 0,2 %, toujours en moyenne, et que nous commençons par 0,4 % cette année, ce qui augure mal de votre capacité à tenir cet engagement.

De plus, je rappelle une nouvelle fois que le gouvernement Philippe n’a rien engagé de neuf depuis deux ans. Il se contente de poursuivre une démarche vertueuse amorcée durant le quinquennat précédent (Exclamations amusées sur plusieurs travées.),…

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Oh, ce n’est pas vrai !

M. Philippe Dallier. On l’attendait !

M. Claude Raynal. … et même sous le quinquennat Sarkozy – vous voyez si je vais loin ! (Mêmes mouvements.) J’avais d’ailleurs eu l’occasion de l’indiquer le 18 avril 2018, lors du débat sur le précédent programme de stabilité.

Durant le quinquennat précédent – je m’arrêterai là –, le déficit a diminué de 2,4 points de PIB, avec une croissance de 1 % en moyenne.

M. Philippe Dallier. Sous Sarkozy, la croissance était à 2 % !

M. Claude Raynal. Vous nous présentez une diminution de 1,6 point avec une croissance moyenne supérieure de 50 %. Sur ce plan, comme sur beaucoup d’autres, vous faites donc largement moins bien que vos prédécesseurs.

Au contraire, loin d’être plus vertueuses que celles des gouvernements précédents, vos politiques ont accru les inégalités. Les allégements d’impôts et de taxations décidés pour le premier décile de la population, voire pour le premier centile, accroissent les disparités et contreviennent à votre objectif de rééquilibrage des comptes publics, sans que les études disponibles montrent un véritable différentiel en matière d’investissement, qui serait le fait de votre action.

Ainsi, le document présenté indique à juste titre : « L’investissement des entreprises continuerait de croître à un rythme élevé dans le prolongement de ce qui est observé depuis 2015. » J’attends d’ailleurs avec impatience l’aboutissement des travaux du Sénat en la matière. Je ne doute pas que vous aurez alors la lucidité de réorienter votre politique.

La seule certitude dont on dispose, c’est que les très riches ont été les grands gagnants de votre politique fiscale. Quant aux prévisions à plus long terme, il me semble risqué, du fait des grandes incertitudes macroéconomiques et politiques de la période, de donner trop de crédit à des prévisions n’intégrant que de manière marginale ces risques. J’observe cependant que, comme souvent, les deux dernières années du programme sont celles des plus gros efforts… Prière d’y croire !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Ah, ça…

M. Claude Raynal. Pour nous éclairer, rappelons que, l’année dernière, le programme de stabilité prévoyait un solde public nominal de -0,9 % en 2020. Cette année, vous nous parlez de -1,2 % en 2022.

Enfin, le document évoque la problématique de la gouvernance budgétaire et la juge « pleinement opérationnelle ». Or le Parlement travaille bien souvent sur la base d’hypothèses mal assurées, voire de mesures non évaluées, et les éléments statistiques utiles ne sont pas toujours transmis aux parlementaires, par exemple en matière d’évaluation des dépenses fiscales.

J’aurais pu évoquer en détail le programme national de réforme annexé, mais l’heure tourne : je serai donc extrêmement bref.

Comme le programme de stabilité, ce document n’intègre pas les suites données au grand débat national par le Président de la République : on ne peut que le regretter.

Dans sa construction, il part du postulat que la France souffre de faiblesses structurelles en matière d’emploi, de travail et d’insertion, ce malgré un taux de prélèvements obligatoires très élevé et un modèle social coûteux, qui permet de contenir les inégalités, mais pas de les corriger.

Je tiens à le dire clairement : toutes les analyses macroéconomiques publiées permettent d’affirmer que les inégalités dans notre pays, si elles tendaient à se résorber durant le quinquennat précédent, progressent de nouveau, du fait notamment des allégements de la fiscalité pesant sur les plus fortunés. Le symbole de cette orientation, assumée politiquement par le Gouvernement, est sans conteste la suppression de l’ISF. Mais j’aurais également pu évoquer la tentative d’élargissement de la niche dite « Copé », ou encore la suppression de l’exit tax, votée dans le cadre de la dernière loi de finances.

Pourtant, on peut penser qu’une solution réside dans une meilleure répartition de la charge fiscale dans notre pays,…

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Et l’augmentation de l’impôt sur les sociétés, c’était une bonne idée ?

M. Claude Raynal. … dans la mise en place d’une redistribution accrue et plus pertinente et dans le maintien d’un haut niveau de service public, lequel constitue un avantage comparatif hors coût significatif pour la France sur le plan international ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Christine Lavarde. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai retenu de mes années étudiantes que tenir compte des remarques du correcteur permettait de progresser pour le devoir suivant. Assez naturellement, j’ai donc relu l’évaluation du 25 mai 2018 du Conseil européen portant sur le programme national de réforme de la France pour 2018 et sur le programme de stabilité de la France pour 2018.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Très bien !

Mme Christine Lavarde. Ledit Conseil formule trois recommandations à l’élève France pour améliorer ses performances macroéconomiques.

La première a particulièrement retenu mon attention : « Veiller à ce que le taux de croissance nominale des dépenses publiques primaires nettes ne dépasse pas 1,4 % en 2019,…

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Raté !

Mme Christine Lavarde. … ce qui correspondrait à un ajustement structurel annuel de 0,6 % du PIB » ; « utiliser les recettes exceptionnelles pour accélérer la réduction du ratio d’endettement public » ; « réduire les dépenses en 2018 et pleinement préciser les objectifs et les nouvelles mesures nécessaires dans le contexte de l’Action publique 2022, afin qu’ils se traduisent en mesures concrètes de réduction des dépenses et de gain d’efficience dans le budget 2019 » ; et « uniformiser progressivement les règles des différents régimes de retraite pour renforcer l’équité et la soutenabilité de ces régimes ».

Monsieur le ministre, vous ne serez pas étonné que, en tant que représentant du Sénat au sein du comité Action publique 2022, je me sois particulièrement intéressée à la déclinaison opérationnelle du chantier de transformation de l’action publique.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Il a fait pschitt !

Mme Christine Lavarde. Vous devez également savoir à quel point j’ai été déçue par le résultat et la conduite de ces travaux, alors même que je m’étais engagée avec enthousiasme dans la démarche.

Je note que les termes « Action publique 2022 » ne figurent nulle part dans le programme de stabilité de la France pour 2019, alors que le document d’avril 2018 leur accordait dix mentions, ainsi qu’un encadré aux pages 48 et 49.

Dans le programme national de réforme 2018, Action publique 2022 était la source des réponses au deuxième axe du quatrième défi, « transformer l’État et restaurer l’équilibre de nos finances publiques ».

Dans la version 2019 de ce programme, si l’on en croit le tableau de la page 124, l’action de transformation est en marche : « transformation des administrations centrales, déconcentration, refonte du cadre de gestion publique, nouveau contrat social, mise en place d’un suivi de l’exécution à haut niveau, révision de la gestion du parc immobilier de l’État, nouveaux services publics de proximité sur le territoire »… soit « 75 % des recommandations du comité Action publique 2022 », du moins, vous me permettrez de le préciser, après intervention de la direction interministérielle de la transformation publique dans l’écriture du rapport final.

À cette même page 124, on peut lire : « Les transformations issues d’AP 2022 vont notamment se traduire par des baisses du nombre d’emplois publics, déjà mises en œuvre par les lois de finances pour 2018 et 2019. » Cette affirmation ne manquera certainement pas d’étonner les analystes de la Commission européenne, car elle apparaît en décalage avec la réalité, comme l’a révélé, données chiffrées à l’appui, l’iFRAP.

En effet, la baisse annoncée de 4 164 postes en équivalents temps plein coïncide avec une augmentation du plafond d’emplois cumulé de l’État et de ses opérateurs de 1 322 postes entre 2018 et 2019. Dans le même temps, certains postes sortent de l’emploi public sans être supprimés pour autant, par la simple transformation d’un opérateur en établissement public à caractère industriel et commercial, ou EPIC.

Lors de sa conférence de presse de jeudi dernier, le Président de la République a d’ailleurs fait preuve de réalisme, en se disant « prêt à lever » son objectif de réduction de 120 000 du nombre de fonctionnaires – promesse de campagne ! –, s’il n’était pas tenable au regard de la sortie du grand débat.

Les effets annoncés du programme Action publique 2022 ne sont pas là : entre les versions 2018 et 2019 du programme de stabilité, la baisse des dépenses publiques est moindre de 42 milliards d’euros. En douze mois, l’excédent de 0,3 point de PIB, soit 7,9 milliards d’euros, en 2022 a laissé place à un déficit de 1,2 point. Avant même les dernières annonces du Président de la République, la baisse de la dépense s’est donc dégradée de 1,5 point de PIB.

Monsieur le ministre, comment votre gouvernement va-t-il donc financer les moindres recettes et les nouvelles dépenses évoquées jeudi soir, dont le coût avoisine les 10 milliards d’euros ?

Il ne vous a pas échappé que, pour la maîtrise de la dépense publique, les efforts annoncés dans le programme de stabilité sont très loin d’être suffisants : l’effort structurel n’est que de 0,1 point en 2019, et il s’établit entre 0,2 et 0,3 point jusqu’en 2022. Nous sommes donc très loin de l’objectif, fixé par Bruxelles, de 0,5 point.

En juillet 2017, vous aviez pourtant posé le bon diagnostic, en déclarant : « Depuis vingt, trente ans, la France est droguée à la dépense publique. C’est une prison qui va peser sur les générations futures. »

Ces générations, ce sont celles de mes enfants et de mes petits-enfants. Je m’en sens donc responsable. Au cours des vingt dernières années, dans seize pays de l’Union européenne, la diminution des dépenses publiques a été supérieure à 3 points de PIB potentiel sur cinq ans. Un tel effort est donc réalisable. C’est la voie dans laquelle nous devons nous engager pour atteindre les objectifs de la stratégie Europe 2020, pour une croissance économique « intelligente, durable et inclusive ».

À cette fin, des choix courageux s’imposent : il s’agit, par exemple, de dire aux Français qu’ils devront travailler plus longtemps ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)

M. Vincent Capo-Canellas. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, monsieur le vice-président de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, les précédents orateurs l’ont souligné : par un hasard du calendrier, nous débattons du programme de stabilité au moment même où le Gouvernement est réuni en séminaire – monsieur le ministre, je vous remercie d’autant plus de votre présence.

Ce qui nous frappe, c’est sans doute l’importance des choix qui sont devant nous collectivement, qu’il s’agisse du Gouvernement ou des représentants de la Nation. Il nous faut retisser le lien social, reconstruire la cohésion sociale, qui, dans notre pays, est fragmentée, voire atomisée. Nous devons également consolider une crédibilité financière que nos partenaires européens nous dénient parfois.

J’en ai la conviction : nous ne devons pas perdre le fil de la nécessaire amélioration de nos comptes publics. Au-delà du programme de stabilité, nous devons tenir compte des annonces faites par le Président de la République au cours de sa conférence de presse et des suites que nous devinons, ou que nous tentons de deviner, au travers des intentions du Gouvernement.

Cela étant, le document qui nous est soumis contenait des prémices : à cet égard, je vois non pas de rupture, mais plutôt un approfondissement – dans le sens de la dépense, diront certains –, dans les mesures annoncées par le Président de la République, avec, bien sûr, des inflexions.

Monsieur le ministre, la soutenabilité financière de cette politique pose question. À ce titre, je tiens à dire quelques mots de la stratégie globale : c’est bien de cela qu’il s’agit. En effet, la croissance faiblit en France – moins qu’ailleurs en Europe, certes, mais elle faiblit tout de même. Votre programme de stabilité prend acte de cet élément, et il en tire diverses conséquences.

Premièrement, le retour à l’équilibre des finances publiques est retardé. Jean Pisani-Ferry l’a déclaré hier à un grand journal du dimanche : en ajoutant au programme de stabilité transmis les mesures annoncées par le Président de la République, on atteint 30 milliards d’euros de dépenses publiques supplémentaires et de moindres recettes. Ce chiffrage inclut la suppression de la taxe d’habitation. Or, à ce stade, le Gouvernement n’annonce que 10 milliards d’euros d’économies et de recettes nouvelles. Ce montant comprend les 5 milliards d’euros de réduction des niches fiscales. Si l’on s’en tient à ce chiffrage, il y aurait donc 20 milliards d’euros à trouver, soit 1 % du PIB.

Deuxièmement, je m’interroge quant à la nature de la politique suivie. Jusqu’à présent, il s’agissait clairement d’une politique de l’offre. On peut comprendre que des ajustements conjoncturels aient été nécessaires, et – M. le rapporteur général l’a rappelé –, le Sénat les a votés pour ce qui concerne la première partie en décembre dernier.

Toutefois, si, au titre de ces ajustements, des dépenses nouvelles semblent inévitables, prenons garde à ne pas passer à une politique de la demande : l’on risquerait de basculer vers une politique du pouvoir d’achat et du déficit. Le choc du pouvoir d’achat, si choc il y a, peut avoir des effets positifs, mais la dette, comme les erreurs, finit toujours par se payer. En résumé, si une prise de risque est nécessaire, elle suppose que la conjoncture tienne et que les mesures prises aient un effet vertueux sur l’emploi, avec les conséquences économiques et financières que l’on pourrait en attendre.

Je ne crois pas que la réduction des déficits puisse s’accommoder durablement d’une moindre baisse du nombre de fonctionnaires. Viser une réduction de la dépense publique sans une baisse significative du nombre de fonctionnaires revient même, à mon sens, à poser une équation impossible.

Troisièmement et enfin, j’évoquerai la réduction des impôts. Bien sûr, elle est souhaitable – chacun le sait, la France bat des records d’imposition –, à condition toutefois que les baisses accordées à certains n’impliquent pas des augmentations pour d’autres catégories. La réduction des niches des entreprises est une voie ; mais, même si l’instabilité sociale est pire encore que l’instabilité fiscale, veillons à préserver la stabilité fiscale pour les entreprises.

L’hyperconcentration fiscale semble s’accentuer de plus en plus. La réforme fiscale sera donc, demain, une nécessité.

En résumé, deux marqueurs s’imposent pour l’avenir : la réforme de l’État et l’âge de la retraite. Les deux sujets sont posés. Pour ce qui concerne l’âge de la retraite, les termes du débat sont connus. La réforme de l’État est, à mon sens, la question essentielle.

Je conclurai en formulant une mise en garde quant au risque d’augmentation des taux d’intérêt : si les États-Unis modifient leur politique d’endettement, ce danger sera réellement devant nous ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – MM. Jean-Claude Requier et M. Michel Vaspart, ainsi que M. le rapporteur général de la commission des finances, applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Jérôme Bascher. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jérôme Bascher. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, monsieur le vice-président de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, j’ai lu le programme de stabilité ; et, si ce document n’émanait pas du Gouvernement, je me serais dit qu’il s’agissait d’un rapport à charge. Heureusement, monsieur le ministre, vous pouviez compter sur le talent de votre administration pour le rédiger de la manière la plus plate possible…

Toutefois, vous devez être bien malheureux : vous avez été ministre des affaires européennes. Or ce projet de programme de stabilité contrevient non seulement à la loi de programmation des finances publiques – nous avons passé, dans cet hémicycle, un temps certain sur ce texte, pour constater que, finalement, il n’est absolument pas respecté par le même gouvernement qui en avait demandé l’adoption –, mais aussi aux règles bruxelloises. Je comprends que cela vous fasse de la peine, et je le crois sincèrement.

Bruxelles exige une réduction du déficit structurel d’au moins 0,6 point. Mais, cette année, vous faites encore moins bien que l’an passé : au maximum, vous promettez une baisse de 0,3 point, et ce vers 2021-2022, pas en 2020. Pour l’année prochaine, vous avez déjà compris que c’était « cuit », alors que le programme de stabilité précédent prévoyait 0,4 point de réduction des déficits publics.

Dans ces conditions, pour réduire le déficit, il faut davantage de croissance. À sa page 7, votre rapport avance que l’« environnement international soutiendrait la croissance ». Mais, en voyant la chute de la croissance mondiale, on se demande si cette solution ne s’apparente pas à la corde du pendu… Je suis donc un peu inquiet.

Pour augmenter notre croissance potentielle, des mesures ont, dit-on, été prises. D’abord, la fameuse loi Macron, qui a permis d’appauvrir plusieurs notaires et grâce à laquelle on a créé des compagnies de bus, toutes en déficit : c’était donc cela, la croissance potentielle améliorée…

La croissance potentielle s’améliorerait-elle également dans le bâtiment ? Grâce à la loi ÉLAN et à la réduction de loyer de solidarité, la RLS, qui fait chuter le secteur ? On le sait bien, quand le bâtiment ne va plus, la croissance non plus !

Heureusement, vous avez fait passer la loi Pacte, qui contient beaucoup de bons éléments. Votre administration a toutefois eu du mal à les chiffrer et il y aurait un tout petit peu de croissance potentielle vers 2025. Nous n’y croyons donc pas beaucoup.

La trajectoire des finances publiques est, quant à elle, deux fois mise à mal dans votre texte : par rapport à l’année dernière et par rapport à la norme européenne. C’est un document bien triste !

Il faut réduire la dépense publique, et je n’évoquerai pas le budget de l’État. L’exercice est difficile. Parlons des ODAC, les organismes divers d’administration centrale. J’ai entendu le Président de la République indiquer que nombre d’entre eux étaient inutiles, que nous le savions tous et qu’il fallait les supprimer. Bon, il n’a pas dit qu’il fallait supprimer l’ENA, laquelle ne fait pas beaucoup de déficit, sauf quand elle a une bonne directrice… Nous attirons donc votre attention sur un organisme inutile, que Christine Lavarde a évoqué : le comité Action publique 2022, qui, visiblement, ne sert strictement à rien ! (M. le président de la commission des finances sourit.)

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. En effet !

M. Jérôme Bascher. S’agissant des administrations publiques locales, les APUL, soyons clairs : vous avez passé un contrat léonin avec les grandes collectivités en leur disant qu’elles pouvaient dépenser ce qu’elles voulaient, tout en braquant un pistolet sur leur tempe ! Je rappelle pourtant que les APUL sont à l’équilibre et ne font donc pas le déficit de la France. Voilà comment vous voyez la liberté ; elle est à tout le moins limitée !

Il en va de même en ce qui concerne les administrations de sécurité sociale : vous avez repris la main sur le chômage. Laissez faire les administrations publiques locales et les administrations de sécurité sociale, elles sont en excédent. Prenez exemple sur elles !

Enfin, pour l’avenir, monsieur le ministre, il faut savoir réduire la dette. Nous sommes d’accord, la critique est aisée et l’art est difficile. Cela fait plus de vingt ans que l’on essaye, vous l’avez dit et nous pouvons en convenir.

Ce qui est certain, c’est que la politique du « en même temps » ne marche pas, qui consiste à être de droite sur les recettes, et en même temps, de gauche sur les dépenses. Je vous invite à revoir votre copie ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. « En même temps » !

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, je rassure M. Bascher, je suis très heureux de venir débattre avec vous dans le cadre de la semaine de contrôle du Parlement pour vous présenter le programme de stabilité pour 2019-2022, même si cette présentation m’a obligé à quitter le séminaire gouvernemental.

Après tout, en quittant un séminaire pour une thébaïde, je ne perds pas au change ! (Sourires.)

Je vous présente ce programme dans un contexte économique international préoccupant, marqué par le ralentissement de la croissance mondiale, souligné par tous mes interlocuteurs lors des réunions de printemps du FMI à Washington, du président de la Réserve fédérale américaine jusqu’à la présidente du FMI en passant par le président de la Banque centrale européenne.

Deux facteurs de risques doivent notamment appeler notre vigilance.

Le premier est constitué par les risques de nature politique, dont nous sommes entièrement responsables, avec l’augmentation des tensions commerciales entre les États-Unis et la Chine, mais également entre les États-Unis et l’Europe. J’ai eu l’occasion de dire à mes interlocuteurs américains, qui n’avaient que ce mot à la bouche, qu’entre alliés et partenaires les sanctions ne devaient pas être un mode systématique de relations, d’autant qu’elles conduisent directement à l’affaiblissement de la croissance économique mondiale et sont donc défavorables aux États-Unis comme à l’Europe.

Le second sujet de préoccupation est le niveau d’endettement public et privé, qui a été évoqué. Aux États-Unis, l’endettement avoisine 50 % de la richesse nationale pour les entreprises, 150 % si l’on y ajoute l’endettement des ménages. En Europe, l’endettement du secteur privé dépasse partout 100 % de la richesse nationale sauf en Allemagne, il atteint 120 % dans la zone euro et 130 % en France. C’est ce qui m’a amené à prendre des décisions de précaution dans le cadre du Haut Conseil de stabilité financière.

Ces risques de tensions commerciales, cet endettement excessif, ajoutés aux incertitudes politiques liées au Brexit, créent un environnement économique international moins favorable qu’il y a quelques mois.

C’est ce contexte, avec le ralentissement marqué dans la zone euro, en particulier en Allemagne et en Italie – qui est en récession, je le rappelle –, qui m’a conduit à proposer un nouveau contrat de croissance à mes partenaires de la zone euro et je recommencerai dans quelques jours. Ce partenariat et ce contrat de croissance doivent bénéficier de la situation monétaire et de la politique accommodante en la matière de la Banque centrale européenne, laquelle nous a accordé de la prolonger encore pour quelques mois, avant d’y mettre un terme un jour ou l’autre. Nous devons profiter de ces taux d’intérêt bas pour mener des réformes ambitieuses.

Ce contrat de croissance doit d’abord reposer sur la poursuite des réformes structurelles dans les pays qui ont besoin de gagner en compétitivité. Contrairement à certains de mes prédécesseurs, je ne suis pas le ministre des finances français qui va systématiquement faire la leçon à nos partenaires européens, en particulier à l’Allemagne, pour leur dire seulement : « Dépensez plus, dépensez plus, dépensez plus ! » Je leur indique qu’il s’agit d’un contrat. Nous allons poursuivre la transformation économique du pays, le Président de la République l’a dit.

Le sort de la France, monsieur Philippe Dallier, dépend effectivement de nous,…

M. Philippe Dallier. Nous sommes d’accord !

M. Bruno Le Maire, ministre. … de notre courage, de notre détermination, de notre constance dans la poursuite de la transformation économique du pays.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Nous en sommes convaincus.

M. Bruno Le Maire, ministre. Regardez le projet qu’a présenté le Président de la République : une réforme ambitieuse de l’indemnisation du chômage d’ici à quelques semaines, indispensable pour introduire plus de justice et plus d’efficacité dans le retour à l’emploi ; une réforme des retraites qui changera radicalement le système français, avec un système de retraite par points, et qui permettra d’égaliser les conditions entre le secteur public et le secteur privé, car c’est aussi une question de justice et d’équité profondément attendue par nombre de nos compatriotes ; une transformation de la fonction publique. Tel est le programme qui est devant nous et qui sera poursuivi avec la même constance et la même détermination.

Cela nous autorise à demander aux États qui le peuvent d’investir davantage pour lutter contre le ralentissement de la croissance mondiale et de la zone euro. J’estime que l’Allemagne, les Pays-Bas et d’autres États de la zone euro disposent des marges de manœuvre nécessaires pour cela. La zone euro, cela ne peut pas être le chacun pour soi, le « vous devez faire des transformations, vous devez faire des réformes, vous devez vous adapter, mais nous, nous ne bougeons pas ». À partir du moment où la France respecte ses engagements de transformation économique, elle est légitime à demander que certains États qui ont des marges de manœuvre budgétaires suffisantes investissent davantage pour soutenir la croissance.

J’insiste sur le dernier point de ce contrat de croissance parce que c’est un élément clé du programme de stabilité que nous vous présentons : il est temps d’achever la transformation de la zone euro, qui n’est pas armée pour faire face à une éventuelle nouvelle crise économique et financière. Les États qui en sont membres n’ont pas tiré toutes les conséquences de la crise financière de 2008. Oui, nous avons pris des mesures, nous avons eu une réaction responsable, nous avons mis en place de nouveaux instruments, mais ceux-ci ne sont pas suffisants ni pour faire face à une éventuelle crise économique ou financière ni pour accélérer la convergence indispensable entre les économies des États membres de la zone euro.

Or une zone monétaire unique dans laquelle nous partageons la même monnaie, mais où les économies divergent, risque fort de disparaître un jour. Il est donc temps que nous accélérions les décisions nécessaires pour consolider la zone euro et notre monnaie unique afin d’en faire une monnaie de référence sur la scène internationale.

Il est temps que nous achevions l’union bancaire. Tous les éléments techniques sont sur la table, qu’attendons-nous pour nous décider ? À force de ne pas le faire, nous laissons notre marché, et tous les consommateurs qui vont avec, à la disposition de pays étrangers. La part de marché des grandes banques américaines sur le marché unique européen était de 43 % il y a quelques années, elle s’élève aujourd’hui à 47 %. Pourquoi ? Parce que nous n’avons pas fait l’union bancaire. Nous construisons l’Europe non pas pour laisser notre marché à des investisseurs étrangers, fussent-ils américains, mais d’abord pour le profit de nos entreprises, de nos industries financières ou manufacturières et de nos consommateurs.

Il est temps que nous achevions l’union des marchés de capitaux, c’est cela qui nous permettra d’investir, de faire grandir nos entreprises et d’avoir des géants dans les technologies de pointe, comme les Américains ou les Chinois ont su en faire émerger.

Il est temps que nous mettions en place un budget de la zone euro pour partager les investissements et pour faire face à une éventuelle crise économique.

Je le dis avec beaucoup de gravité : nous ne pouvons plus attendre pour prendre ces décisions de consolidation de la zone euro et nous porterions une responsabilité considérable envers les générations qui viennent si nous laissions la zone euro dans l’état où elle est aujourd’hui. Le statu quo est impossible, la décision est nécessaire et le courage, requis.

La France, pour sa part, est dans une situation plus solide que beaucoup de ses partenaires de cette zone. Notre taux de croissance va atteindre 1,4 % pour 2019 ; il est supérieur à la moyenne de la zone euro ainsi qu’à celui de nos principaux partenaires, comme l’Allemagne, où il atteint 0,5 %, et l’Italie. En 2017, nous avions enregistré une croissance de 2,2 %, en 2018, de 1,6 %. Ce taux est supérieur au taux moyen observé au cours des dix dernières années en France, qui était de 0,9 %.

Notre politique économique donne des résultats et nous devrions tous, ici, nous en féliciter, quelle que soit notre appartenance politique, parce que nous nous portons mieux avec une France qui réussit qu’avec une France qui échoue.

S’agissant de nos engagements en matière de déficit public, je veux rassurer Jérôme Bascher : je suis heureux quand nous respectons nos engagements européens et malheureux quand nous ne les respectons pas, parce que je considère que cela affaiblit notre voix sur la scène internationale, alors que celle-ci est absolument décisive. La France n’est grande que lorsqu’elle est européenne et qu’elle est capable de peser sur le cours des affaires internationales.

Je constate simplement que, en tenant nos engagements en matière de déficit public, nous sommes sortis d’une procédure pour déficit public excessif, dans laquelle nous étions encalminés depuis dix ans, tout en faisant face, je le rappelle, à des choix hérités des années passées qui nous ont coûté très cher en termes de finances publiques.

Avec les décisions prises par le Président de la République, notre engagement de rester sous les 3 % de déficit public jusqu’en 2022 – ensuite, il y aura des élections – sera tenu, parce qu’il protège d’abord les intérêts du contribuable français.

Enfin, je le rappelle, nous avons renversé la tendance à la hausse du chômage et donné un nouvel élan à l’emploi dans notre pays. Au cours des deux dernières années, nous avons en effet créé un demi-million d’emplois, inversé cette fameuse courbe du chômage et enfin entamé sa décrue.

Pour la première fois depuis plus de dix ans, nous avons également ouvert plus d’entreprises industrielles que nous n’en avons fermé. La réindustrialisation est donc amorcée.

Je ne vous dis pas que tout cela est suffisant ou satisfaisant ; je vous dis simplement que nous tenons le bon bout, que nous sommes dans la bonne direction et qu’il faut donc poursuivre en accélérant les transformations nécessaires. Vous connaissez ma sincérité, elle apparaît dans les documents qui vous sont transmis ; je reconnais bien volontiers que notre modèle économique conserve au moins deux points de fragilité.

Le premier, c’est la dette. Je continuerai à affirmer que celle-ci est un poison pour notre économie. Des analyses suggèrent aujourd’hui que l’endettement serait moins grave parce que, les taux d’intérêt étant très faibles, nous pourrions nous permettre de l’augmenter légèrement. Puisque la question m’a été posée, je tiens d’abord à dire au président de la commission des finances que nous avons pris en compte l’amélioration de nos conditions de financement de la dette dans la trajectoire du programme de stabilité. Nous avons ainsi intégré 2,8 milliards d’euros de moindres dépenses en deux étapes successives de 1,6 milliard et de 1,2 milliard respectivement, par souci de sincérité.

Je n’en tire pourtant pas la conclusion que nous pourrions nous résigner à laisser la dette française croître et je ne partage pas les analyses de certains économistes qui nous disent : « Ne vous inquiétez pas pour la dette, les taux d’intérêt sont faibles, les conditions de remboursement sont meilleures, vous pouvez donc continuer à vous endetter. » Je considère qu’il est crucial de continuer à nous battre contre la dette ; dès que des marges de manœuvre se feront jour, je souhaite qu’elles soient consacrées à la réduction de cette dette publique française, qui est aujourd’hui stabilisée.

Notre seconde faiblesse a été soulignée à juste titre par beaucoup d’entre vous au-delà des clivages politiques. Elle est structurelle : le volume global de travail en France n’est pas suffisant.

Ce n’est pas un reproche envers qui que ce soit, et certainement pas envers ceux qui ont un travail, qui sont productifs et qui donnent le meilleur d’eux-mêmes dans leur emploi.

Ne prenons pas comme élément de comparaison européenne la durée de travail hebdomadaire, parce que, sur une semaine, nous sommes plutôt dans le haut des pays de l’OCDE et des pays européens. Nous avons en revanche plus de jours de congés que nos partenaires européens, beaucoup plus que l’Allemagne, par exemple ; nous entrons plus tard sur le marché du travail et nous en partons beaucoup plus tôt que la plupart de nos partenaires européens ; nous sommes, enfin, l’un des derniers États européens à n’avoir pas vaincu le chômage de masse. Tant que cela sera le cas, je ne serai pas un ministre de l’économie satisfait. Tout cela fait que notre taux d’activité est globalement beaucoup plus faible que celui de nos partenaires européens : il est de 71 % en France, contre 78 % en Allemagne.

Ne cherchez pas ailleurs les causes de cette différence qui me révolte : chaque citoyen européen a aujourd’hui un revenu par habitant supérieur de 25 % à celui des Français.

Il est donc impératif que nous créions plus de richesses et que nous accroissions le volume global de travail dans notre pays. La solution passe par le travail ; la meilleure réponse au problème du pouvoir d’achat, au problème de la pauvreté, c’est le travail et l’emploi pour tous les Français : travailler plus, travailler mieux et, surtout, travailler tous. Cela me paraît être la bonne orientation pour notre pays, celle qui a été rappelée avec beaucoup de force par le Président de la République.

C’est dans ce contexte que nous présentons le programme de stabilité que vous avez commenté au cours de ce débat. Le déficit sera réduit et maintenu sous les 3 %, c’est un engagement que nous prenons et que nous tenons.

M. Philippe Dallier. Encore heureux !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Nous n’avons pas le choix.

M. Bruno Le Maire, ministre. La décision de bascule du CICE en allégements de charges était exceptionnelle et reconnue comme telle par la Commission européenne. Si l’on retire son coût, le déficit public réel en 2019 sera de 2,3 %, inférieur aux 3 % de la règle européenne. Nous visons un déficit de 2 % en 2020 et de 1,2 % à la fin du quinquennat, en 2022.

Sur la dette, je rappelle que, si des marges de manœuvre supplémentaires apparaissaient, notamment en raison d’une croissance plus forte que prévu, elles devraient être consacrées en priorité au désendettement de l’État.

Sur les dépenses publiques, nous maintenons notre objectif : diminution de 3 points du ratio de dépense publique sur le quinquennat. En 2019, nous l’aurons déjà baissé d’1 point.

S’agissant des impôts, cela a été dit par quasiment tous les intervenants, les Français ont été victimes d’un véritable matraquage fiscal au cours des dix dernières années.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Taxe carbone !

M. Bruno Le Maire, ministre. Les courbes sont encore plus explicites que les chiffres, elles montrent une explosion, à partir de 2009, des impôts qui pèsent sur les ménages.

À partir de 2014, les prélèvements baissent pour les entreprises, grâce à la mise en place du CICE, mais continuent d’augmenter vertigineusement pour les ménages, qui ont été les premiers à payer la facture, au moment même où l’on commençait à l’alléger pour les entreprises.

Ce n’est dès lors que justice d’entendre ce cri poussé par beaucoup de nos compatriotes : « Nous voulons vivre dignement de notre travail et, pour cela, nous voulons que les impôts continuent à baisser ! »

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Nous l’avions entendu avant vous !

M. Bruno Le Maire, ministre. Je dis bien « continuent à baisser », puisque nous avions déjà commencé à baisser les impôts des Français avec la taxe d’habitation, avec la suppression de la cotisation assurance maladie ou assurance chômage.

Les impôts vont donc continuer à baisser. L’impôt sur le revenu sera réduit, le Président de la République l’a indiqué, de 5 milliards d’euros et les Français bénéficieront de cette baisse dès le 1er janvier 2020. Je souhaite que ces impôts baissent massivement pour les personnes qui travaillent, en particulier pour les classes moyennes, surtout pour les classes moyennes modestes de la première tranche à 14 %.

Plus de 15 millions de foyers fiscaux qui travaillent seront donc concernés. Le Président de la République a été très clair, cette baisse doit être financée par une diminution des dépenses publiques, conformément au principe que j’ai eu l’occasion de présenter à de multiples reprises à cette tribune comme à la tribune de l’Assemblée nationale : si nous voulons baisser durablement les impôts, il faut aussi baisser durablement la dépense publique, sinon, cela se solde par plus de dette.

Ce financement sera garanti par trois volets d’action.

Tout d’abord, je le rappelle, nous allons continuer à nous attaquer aux inefficacités de l’action publique, notamment à tous les opérateurs de l’État dont le fonctionnement et les résultats ne sont pas à la hauteur de ce que les contribuables peuvent espérer.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Vous voulez créer l’Office français de la biodiversité !

M. Bruno Le Maire, ministre. Gérald Darmanin et moi-même passerons en revue l’ensemble des opérateurs de l’État pour nous assurer que ceux-ci remplissent leurs fonctions de manière satisfaisante, à la hauteur de la contribution des Français. Je le dis alors que j’ai eu le courage d’engager une réforme qui a fait couler beaucoup d’encre, mais qui me semble efficace : la réforme des chambres de commerce et d’industrie. Nous l’avons menée à bien et nous avons économisé presque un demi-milliard d’euros de taxe affectée en transformant en profondeur les chambres de commerce et d’industrie, grâce au soutien et à la détermination des présidents de chambre, que je tiens à saluer. Nous avons donc apporté la preuve que, si l’on a la volonté et la méthode, c’est possible !

Ensuite, nous supprimerons certaines niches fiscales sur les entreprises sans dévier de nos priorités : valoriser le travail et favoriser l’innovation. Je rappelle que la baisse de l’impôt sur le revenu a trois sources de financement et ne repose pas exclusivement sur cette suppression.

Enfin, nous devrons accélérer pour mettre en œuvre les réformes structurelles nécessaires qui recèlent les vraies économies sur le long terme ainsi que la possibilité de dégager des marges de manœuvre budgétaires : la réforme de l’assurance chômage, mais aussi la réforme des retraites, laquelle devra être présentée à l’été.

Tels sont donc, mesdames, messieurs les sénateurs, les quelques messages que je souhaitais vous transmettre ce soir, en vous disant de nouveau le plaisir que j’ai à vous retrouver.

Je voudrais insister en conclusion sur la constance et la cohérence de l’action menée : une transformation économique en profondeur du pays.

La question m’a été posée, en 2017, nous avons fait le choix d’une politique de l’offre comme politique économique de notre pays. Je le maintiens, parce que je considère que la faiblesse française vient du manque de richesses que nous créons, de la faiblesse de notre compétitivité, d’un outil de production qui doit innover et se robotiser davantage, et que c’est comme cela que l’on améliorera la prospérité de nos compatriotes et des territoires.

L’élément clé structurant de notre politique économique restera donc bien l’amélioration de l’offre française : offre de formations, offre de qualifications, offre de produits.

La cohérence, cela consiste à dire que le travail doit payer ! Je l’ai dit une centaine de fois à cette tribune et je le répéterai autant de fois que nécessaire : si nous voulons que plus de Français travaillent, il faut que le travail paye davantage.

La baisse de l’impôt sur le revenu que le Président de la République a décidée est une nouvelle illustration de notre détermination à faire en sorte que chaque Français qui travaille puisse vivre dignement de son travail et que chaque Français qui souhaite travailler puisse trouver un intérêt objectif à le faire, puisque le travail sera enfin valorisé en France.

La cohérence de cette politique repose enfin dans notre volonté de nous inscrire dans le cadre européen, dans le cadre de la zone euro, en respectant nos engagements, d’abord parce que c’est conforme à notre intérêt, ensuite parce que c’est cela qui donne à la France sa crédibilité aux yeux de ses partenaires ! (MM. Didier Rambaud, Jean-Claude Requier et Michel Canevet applaudissent.)

M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur le projet de programme de stabilité.

4

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, mardi 30 avril 2019 :

À quatorze heures trente :

Débat sur la zone euro.

À seize heures quarante-cinq :

Questions d’actualité au Gouvernement.

À dix-sept heures quarante-cinq :

Désignation des vingt-sept membres de la mission d’information sur le thème : « Transports aériens et aménagement des territoires ».

Débat sur le thème : « Quelle politique de lutte contre la pollution et de recyclage du plastique et, plus généralement, quelle utilisation du plastique en France ? ».

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-huit heures cinquante-cinq.)

Direction des comptes rendus

ÉTIENNE BOULENGER