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Mise au point au sujet d’un vote
M. le président. La parole est à M. Michel Canevet.
M. Michel Canevet. Monsieur le président, lors du scrutin n° 57 sur la proposition de loi visant à faciliter le désenclavement des territoires, Mme Valérie Létard a été enregistrée comme ayant voté pour, alors qu’elle souhaitait s’abstenir.
M. le président. Acte vous est donné de cette mise au point, monsieur le sénateur. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures dix, est reprise à dix-huit heures trente-cinq, sous la présidence de Mme Hélène Conway-Mouret.)
PRÉSIDENCE DE Mme Hélène Conway-Mouret
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
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Communication relative à une commission mixte paritaire
Mme la présidente. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises n’est pas parvenue à l’adoption d’un texte commun.
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Fracture numérique et inégalités d’accès aux services publics
Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur la fracture numérique et les inégalités d’accès aux services publics.
Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses, dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je rappelle que l’auteur de la demande du débat dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
À l’issue du débat, l’auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.
Dans le débat, la parole est à M. Patrick Chaize, pour le groupe auteur de la demande.
M. Patrick Chaize, pour le groupe Les Républicains. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, j’aimerais pouvoir vous dire qu’il s’agit du dernier débat sénatorial sur la fracture numérique auquel nous participons aujourd’hui. Malheureusement, nous savons tous que ce n’est pas le cas.
Le Sénat continuera d’aborder cette question, d’abord parce qu’il a chevillé au corps tout ce qui a trait à l’aménagement du territoire, mais surtout, parce que, malgré les efforts réels des gouvernements qui se succèdent, nous sommes face à une révolution qui, comme le chemin de fer en son temps, se déroulera sur plusieurs décennies.
Comme le chemin de fer, donc, comme tout progrès en somme, le numérique entraîne son lot d’externalités, tantôt positives, tantôt négatives. Et c’est exactement le sujet d’aujourd’hui : à mesure qu’une technologie se développe, des usages se développent eux aussi. Puis ce sont les comportements qui évoluent : e-commerce, télétravail, coworking, télémédecine, tous ces phénomènes ont une incidence directe sur l’aménagement du territoire.
Bien sûr, la dématérialisation ne fait pas exception, ce qu’a voulu nous dire le Défenseur des droits, dans son rapport du 17 janvier 2019 intitulé Dématérialisation et inégalités d’accès aux services publics.
Voilà la genèse de ce débat sur la fracture numérique et les inégalités d’accès aux services publics. Pour le groupe Les Républicains, qui en est à l’origine, il paraît plus que nécessaire, à l’aune de ce rapport, que le Gouvernement dévoile sa stratégie.
Mais que dit en substance ce document ? Son postulat de départ est sans équivoque : l’essor des téléprocédures dans les services publics est un progrès pour l’accès au droit. Le rapport commence par cette affirmation : au moment où les transformations de l’organisation de l’État, mais également des collectivités territoriales, des organismes de protection sociale, ou encore du système de santé, se traduisent par un recul de sa présence au plus près des usagers, cette révolution numérique offre de nouveaux moyens d’accès aux services publics.
Certains répondront avec malice que le numérique n’est pas uniquement l’une des conséquences de la restructuration de l’État, mais qu’il peut être aussi l’une de ses causes. Ne sachant pas qui, de l’œuf ou de la poule, est arrivé en premier, je ne trancherai pas.
Quoi qu’il en soit, l’apport de la dématérialisation à l’amélioration de l’accès aux services publics est incontestable. Pour s’en convaincre, je donnerai d’abord quelques chiffres.
En 2017, plus de 20 millions de foyers fiscaux ont déclaré leurs revenus en ligne, soit 2,4 millions de foyers fiscaux supplémentaires par rapport à 2016. Près de 90 % des utilisateurs se déclarent satisfaits de ce service. Enfin, les services numériques des administrations sont jugés en avance ou au même niveau que les services des entreprises privées par 70 % des Français.
Je prendrai maintenant un cas pratique. Aux termes d’une étude du ministère des solidarités et de la santé, la dématérialisation s’est révélée un facteur d’amélioration de l’accès à la prime d’activité, avec un taux de recours élevé, estimé à 73 %, dépassant de 23 % les projections initiales.
Le rapport détaille enfin sous quelles conditions la dématérialisation est une avancée pour l’accès aux services publics : elle doit s’inscrire dans une démarche large portant sur les simplifications possibles des procédures administratives et sur les capacités qu’offre la technologie pour repérer et résoudre les situations de non-recours.
J’en arrive au deuxième grand point du rapport précité. Il existe des fractures sociales et territoriales qui aggravent, via la dématérialisation, les inégalités d’accès aux services publics. Qui peut croire que la dématérialisation est indolore lorsqu’on est situé en zone blanche ? Je ne reprendrai pas à mon compte la liste des communes concernées, identifiées par arrêté, car je crois le problème beaucoup plus profond.
Les zones blanches et ces quelques communes officielles ne sont que la face émergée de l’iceberg. Une statistique me semble éloquente pour rendre compte de la fracture territoriale. Dans les communes de moins de 1 000 habitants, plus d’un tiers des habitants n’ont pas accès à un internet de qualité, ce qui représente près de 75 % des communes de France et 15 % de la population. Bien sûr, les territoires ruraux et les territoires ultramarins arrivent en tête.
Le rapport du Défenseur des droits ne s’arrête pas à cela. Bien qu’elle n’ait pas de lien direct avec la fracture territoriale – quoique –, il rappelle que la dématérialisation accroît les inégalités du fait de l’inaccessibilité financière aux abonnements à internet et au matériel informatique : ordinateurs, imprimantes, scanners ou smartphone.
La dimension sociale rejoint souvent la dimension territoriale. Ceux de nos concitoyens qui éprouvent le plus de difficultés résident souvent dans les territoires enclavés ou insulaires.
Enfin, les inégalités d’accès aux services publics se nourrissent des obstacles techniques, voire du défaut de conception ou d’ergonomie des sites et des procédures dématérialisées, sans oublier les problèmes liés au paiement dématérialisé.
Si les sources de ces inégalités sont nombreuses, les publics victimes de ces difficultés sont, eux aussi, très nombreux et variés. On parle alors de fracture sociale et culturelle.
Autre statistique éloquente du document susvisé, le taux de connexion à internet varie de 54 % pour les non-diplômés à 94 % pour les diplômés de l’enseignement supérieur.
Je n’en dirai pas davantage sur le rapport du Défenseur des droits dont l’examen minutieux me conduirait à dépasser le temps de parole qui m’est imparti.
En définitive, qu’en retenir ? Quel lien y a-t-il entre dématérialisation et inégalités d’accès aux services publics ? La réponse a été rapide à trouver et je la résumerai en une phrase : oui, la dématérialisation des démarches administratives crée des inégalités d’accès aux services publics, mais ces inégalités sont le fait de la fracture numérique et non de la technologie en elle-même.
Oui, il est possible de développer du numérique inclusif ; le seul tort de la technologie est de donner une opportunité à l’administration de masquer son approche budgétaire et comptable en invoquant la modernité et la qualité du service public ; mais rien de plus !
Les administrations ont, elles aussi, une petite part de responsabilité, mais, à leur décharge, elles évoluent dans un cadre budgétaire contraint, et le développement des téléprocédures a été un véritable mirage comptable pour elles. Pensons que, depuis 2013, a eu lieu le choc de simplification, puis le programme de transformation de l’administration, baptisé « Action publique 2022 », a été lancé en octobre 2017 et le 13 septembre 2018, M. le secrétaire d’État chargé du numérique, aujourd’hui au banc des ministres, a présenté le plan national pour un numérique inclusif, afin d’aider les 13 millions de Français souffrant d’illectronisme.
C’est indiscutable, l’administration a pris la mesure des inégalités entraînées par la dématérialisation. Elle apporte des réponses à la fracture sociale qui accroît les inégalités. Je pense aux inégalités liées à l’accessibilité financière au numérique, ou encore aux usages, notamment pour les personnes âgées.
Mais je ne crois pas que la fracture territoriale, elle aussi source d’inégalités dans l’accès aux services publics, soit pleinement appréhendée. Chaque mois, de nouvelles téléprocédures apparaissent, de telle sorte que la fracture territoriale devient de plus en plus insupportable.
Alors oui, il est loisible, pour le Gouvernement, de prendre les mesures d’urgence, notamment sur recommandation du Défenseur des droits. Mais si la fracture sociale et culturelle peut trouver des réponses par le biais d’un accompagnement – favoriser l’usage d’un identifiant unique, renforcer la formation initiale et continue des travailleurs sociaux et des agents d’accueil des services publics à l’usage numérique, créer une clause de protection des usagers en cas de problème technique –, la lutte contre la fracture numérique ne peut faire l’économie de mesures beaucoup plus profondes. Je suis sensible, par exemple, à la proposition du Défenseur des droits de voir adopter des dispositions législatives.
Lutter contre la fracture numérique avec cette seule mesure et l’unique concours des maisons de services au public, les MSAP, qui, soit dit en passant, doivent être renforcées, est un coup d’épée dans l’eau !
Mme la présidente. Mon cher collègue, il vous faut conclure !
M. Patrick Chaize. Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, que peut-on faire pour la téléphonie mobile depuis le lancement du new deal ?
Voilà quelques jours, le Président de la République, sous la pression des élus exaspérés, annonçait vouloir mettre la pression à son tour sur les opérateurs. Cette déclaration correspond-elle à un changement de braquet ? Doit-on s’attendre à des changements sur le statut de zone fibrée ? Qu’attend le Gouvernement pour rouvrir le guichet du plan France très haut débit ? Enfin, ultime question, pendant encore combien de temps allons-nous accepter que des principes aussi élémentaires que celui de l’égalité devant le service public soient bafoués ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à vous remercier d’avoir pris l’initiative de ce débat sur le numérique, sujet ô combien important et sur lequel Mounir Mahjoubi et moi-même sommes pleinement engagés depuis près de deux ans.
Contrairement à une idée reçue, le numérique n’a pas constitué, jusqu’à présent, un facteur permettant de limiter la fracture territoriale. Bien au contraire, il s’avère être, à l’instant où je vous parle, un facteur d’aggravation de cette fracture. C’est un constat qu’il nous faut partager : trop souvent, on s’est dit que, grâce au numérique, on trouverait des solutions pour, ici, améliorer un service public, là, apporter un élément de réponse au sentiment de relégation ou d’abandon.
La réalité est tout autre. Aujourd’hui, le numérique a accentué les fractures territoriales, et ce pour une raison très simple : vous ne connaissez pas d’égalité d’accès au numérique en fonction du territoire où vous vivez.
J’en veux pour preuve de nombreuses décisions prises au cours de ces dernières années, ou même de ces derniers mois.
Le Parlement a ainsi récemment adopté une loi permettant de rendre opposable le télétravail. Désormais, la loi offre la possibilité à un salarié de demander à son employeur le droit de pratiquer le télétravail. Toutefois, seule une personne sur deux a accès, dans notre pays, au bon débit ou au très haut débit ; par conséquent, une personne sur deux est incapable de bénéficier de cette avancée.
De la même manière, Mounir Mahjoubi affronte tous les jours le problème de l’illectronisme : à l’heure actuelle, 13 millions de nos concitoyens sont éloignés de l’usage du numérique.
Que faut-il faire face à ces problèmes ? Comment peut-on concilier – c’est la question posée par M. le sénateur Patrick Chaize – la dématérialisation et l’accès aux services publics ?
Tout d’abord, il faut considérer, dans un projet politique, que le numérique et la téléphonie mobile de bonne qualité sont non pas des luxes, mais un droit.
Ensuite, avec une grande détermination, il faut développer les infrastructures partout sur le territoire où elles sont nécessaires.
Concernant le déploiement du numérique, vous le savez, nous nous sommes fixé des objectifs. Le premier d’entre eux est d’apporter à tous nos concitoyens du bon débit d’ici à 2020. Le second est de leur offrir du très haut débit – soit un minimum de 30 mégabits par seconde – d’ici à 2022.
À cette fin, depuis presque deux ans, nous avons déployé une méthode spécifique : à la fois, sécuriser le cadre législatif – ainsi, nous n’avons pas remis en cause les réseaux d’initiative publique, que certains décriaient abondamment, mais que nous avons choisi de consolider – et accélérer le déploiement des financements. Plusieurs centaines de millions d’euros ont été engagées au titre du plan très haut débit depuis janvier 2018. Par ailleurs, la première enveloppe de ce plan a été sécurisée.
Notre méthode passe également par une transparence largement accrue. Nous avons rendu contraignants les engagements souscrits par les opérateurs du déploiement de la fibre.
Les chiffres dont nous disposons quant à l’ensemble de l’action que nous avons menée montrent que, depuis le 1er janvier 2018, 11 000 lignes à très haut débit FTTH – Fiber To The Home – ont été raccordées ou sont rendues raccordables chaque jour ouvré. On avance donc très vite et avec beaucoup de détermination.
Venons-en au détail. Dans les zones très denses, on ne rencontre pas de difficultés ; d’ici à la fin de cette année, toutes ces zones devraient a priori être couvertes.
Les zones dites AMII connaissaient quant à elles un problème spécifique : les engagements pris par les opérateurs dans ces zones n’étaient pas contraignants. Citons la loi Montagne et le fameux article L. 33–13 du code des postes et des communications électroniques. Ce point a été modifié par voie législative. Dorénavant, les engagements pris par les opérateurs dans ces zones sont contraignants et contrôlés par l’Arcep, l’Autorité de régulation des communications électroniques. Cela aussi permet d’accélérer le déploiement.
Restent les zones relevant des réseaux d’initiative publique, dites zones RIP. M. le sénateur Chaize, avec lequel nous échangeons avec un plaisir extrême de manière presque quotidienne, met en avant plusieurs interrogations et points d’attention concernant ces zones. Les nouvelles procédures que nous avons permises pour accélérer le déploiement dans ces zones, dites « procédures Amel », ne sont absolument pas obligatoires, mais elles fonctionnent bien dans un certain nombre de territoires.
Vous avez également évoqué, monsieur Chaize, dans votre propos introductif, la fameuse réouverture du guichet. Nous avons, pour notre part, pris l’engagement d’analyser au cours de 2019, soit dans les dix prochains mois, l’ensemble des besoins, afin que des financements puissent être débloqués à destination des phases ultérieures des RIP, entre 2023 et 2025. Nous procédons actuellement à cette évaluation, afin de pouvoir prendre au plus vite les autorisations d’engagement qui sont nécessaires ; ainsi sera réalisée la réactivation pleine et entière de ce guichet, que vous appelez de vos vœux.
Vous avez enfin évoqué le sujet ô combien important de la téléphonie mobile. Il n’est pas acceptable, pour la vitalité et l’attractivité de nos territoires, pour que les enfants de la République continuent à habiter dans certains territoires, que votre téléphone portable n’affiche pas toutes les barres disponibles. Aujourd’hui, il est trop souvent nécessaire d’aller au fond du jardin et de lever la jambe droite, le pied gauche pour espérer pouvoir capter un réseau sur son téléphone ! (Sourires et marques d’approbation sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.) Cela n’est plus supportable !
L’origine de ce problème est la suivante : jusqu’à présent, lorsque l’État octroyait les fréquences, cette fameuse électricité dont les opérateurs ont besoin pour fonctionner, il les mettait aux enchères. On demandait ainsi aux opérateurs toujours plus d’argent, qui aboutissait dans le budget de l’État. Or les opérateurs, après avoir remporté ces enchères, recherchaient la rentabilité de leurs opérations et se concentraient donc sur les zones les plus denses. Nous avions nous-mêmes organisé leur concentration de facto sur ces zones !
Voilà ce que Mounir Mahjoubi et moi-même avons changé en janvier 2018 lorsque nous avons conclu le new deal qu’évoquait M. Chaize. Nous avons déclaré aux opérateurs que les fréquences qui seraient octroyées à l’été 2018 le seraient sur le fondement, non pas d’enchères, mais d’engagements contraignants et contrôlés par l’Arcep de déploiement d’infrastructures dans les territoires les plus ruraux.
Depuis le 1er janvier 2018, environ 3 500 points fixes sont passés des anciennes générations aux nouvelles générations d’antenne ; d’ici à la fin de 2020, ce sera le cas de 10 000 antennes.
En outre, 600 zones blanches ont été identifiées l’année dernière et feront l’objet d’un traitement spécifique, soumis à un engagement contraignant, dans un délai de douze ou de vingt-quatre mois, selon que le terrain sera, ou non, mis à disposition par la collectivité locale.
Cette année, 700 nouveaux sites qualifiés de zones blanches seront identifiés ; nous y travaillons en donnant le choix de ces identifications aux opérateurs, comme cela se faisait auparavant, mais aussi aux collectivités locales.
C’est ainsi que, chaque année, on traitera entre 600 et 800 zones blanches de manière très déterminée, avec un volet contraignant : ces accords sont signés sous le sceau de l’Arcep, gendarme des télécoms, qui vérifiera si ces engagements sont tenus et pourra prendre des sanctions s’ils ne le sont pas.
Un déploiement très important est également engagé sur les axes routiers ; un autre, tout aussi important, sur les axes ferrés.
Un deuxième grand axe de notre débat, sur lequel je le suppose, beaucoup de vos questions porteront, mesdames, messieurs les sénateurs, concerne l’utilisation de ces infrastructures. Une fois qu’elles sont construites, comment faire pour renforcer l’usage ? C’est tout l’objet du travail engagé par Mounir Mahjoubi : déterminer comment lutter avec efficacité contre l’illectronisme sans pour autant considérer que le numérique et la dématérialisation seraient la solution miracle à tous les problèmes d’accessibilité.
En conclusion, je tiens à réaffirmer ma conviction absolue qu’il faut partir des territoires et des projets territoriaux. Les maisons de services au public, ou MSAP, que j’ai beaucoup défendues, sont de très bonnes structures, mais dans certains endroits seulement. Leur forme même dépend des territoires. Ailleurs, il faudra trouver autre chose. En somme, il faut se fonder sur les réalités territoriales. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe Union Centriste. – M. Daniel Chasseing applaudit également.)
Débat interactif
Mme la présidente. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes maximum pour présenter sa question, suivie d’une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.
Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.
Dans le débat interactif, la parole est à M. Guillaume Gontard.
M. Guillaume Gontard. Je sais bien que la tendance du nouveau monde est à la numérisation des services publics. De fait, celle-ci constitue une formidable opportunité de simplification des démarches administratives.
Nombreux sont ceux qui ont l’impression de ne pas parler le même langage que l’administration et qui se découragent devant la multiplicité et la complexité des démarches, allant parfois jusqu’à renoncer aux droits qui leur sont dus. Nombreux sont ceux qui bénéficieront de cette formidable possibilité de réaliser leurs démarches administratives à toute heure du jour ou de la nuit, sans attendre une RTT ou poser une demi-journée de congé.
Mais c’est une lame à double tranchant. La technologie numérique ne doit pas être un outil d’amoindrissement du service public et d’économies de bouts de chandelle au détriment des plus fragiles.
L’enquête du Défenseur des droits sur les impacts de la numérisation des services publics a révélé en juin dernier que celle-ci ne rend pas service à ceux qui en auraient le plus besoin lorsqu’elle se substitue à l’accueil humain. Elle revient alors à ériger un nouveau fossé entre l’administration et les citoyens.
Numérisation ne doit pas rimer avec désertification, car internet n’est qu’un outil qui ne peut se substituer intégralement à l’humain.
Tel est le cas, tout d’abord, parce que 8 % des Français, soit plus de 5 millions de nos compatriotes, n’ont pas accès à internet, mais aussi parce que des millions d’autres ne sont pas suffisamment familiarisés avec cet outil ou ne sont pas en mesure de l’utiliser seuls.
Aussi, la numérisation progressive de l’administration doit être accompagnée par des agents répartis le plus finement possible sur le territoire. Quoi de plus efficace, pour ce faire, que les mairies de nos 36 000 communes, qui sont le maillage le plus fin possible du territoire ?
On pourrait imaginer – cela a même déjà eu lieu – des permanences hebdomadaires ou plurihebdomadaires, assurées par des agents et des travailleurs sociaux. On accompagnerait ainsi toutes celles et tous ceux qui ne sont pas en mesure d’effectuer seuls leurs démarches en ligne.
Dès lors, monsieur le secrétaire d’État, ma question est simple : quelles assurances et quels moyens pouvez-vous donner pour garantir, dans toutes les communes de France, un accompagnement humain et de proximité au service public dématérialisé ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique. Pendant ce débat, de nombreuses questions aborderont le sujet visé sous différents angles. Je me permettrai donc, à chaque fois, d’apporter des réponses qui n’en couvriront pas la totalité, mais qui concerneront un point précis.
Monsieur le sénateur, vous me posez une question sur la numérisation des services publics. Vous avez rappelé que, pour beaucoup de Français, l’outil numérique, quand on sait l’utiliser, qu’il fonctionne bien et qu’on a accès au réseau, est une révolution.
C’est le cas pour les cartes grises, si on sait se connecter à internet…
M. Joël Bigot. Et si on ne sait pas ?
M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État. … et que l’on ne rencontre aucun bug. Chaque année, plusieurs millions de cartes grises sont obtenues par ce biais ; en revanche, quelques milliers de nos concitoyens connaissent des difficultés et il faut dans ce cas que nous soyons capables d’être présents.
Rappelons que les services publics numériques apportent un bien-être dans la vie. Cependant – vous savez que cela a été une de mes inquiétudes dès mon arrivée au Gouvernement –, selon des analyses et des rapports que nous avons nous-mêmes produits, 20 % des Français sont confrontés à une difficulté majeure dans le domaine du numérique ; pour eux, il faudra toujours que l’on apporte des solutions.
Le Président de la République nous a fixé un objectif : permettre que 100 % des services publics soient disponibles en ligne d’ici à 2022. Cela ne signifie surtout pas que tous les services publics deviendront numériques à 100 %. Ce n’est pas la même chose ! Cela implique simplement qu’ils seront tous disponibles en ligne.
Mais nous avons rappelé que, pour tous les services publics qui seront disponibles en ligne, il y aura la chaleur d’un être humain pour accompagner. (Sourires.)
M. Jean-François Husson. C’est beau, mais c’est moins simple !
M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État. Il s’agit d’être là pour ceux qui ne savent pas du tout se servir du numérique, ou pour ceux qui ont besoin d’être orientés.
C’est aussi le travail qu’ont mené les équipes de la mission Société numérique, toute l’année dernière, en collaboration avec les départements et les régions de France : déterminer, en toute finesse, qui sont ces oubliés du numérique. Quels sont ceux qui n’ont pas le réseau ? Quels sont ceux qui n’apprendront jamais ? Quels sont ceux que l’on peut former ? Enfin, quels sont ceux qui, mieux encore, peuvent profiter de cet apprentissage du numérique pour en retirer une compétence personnelle ?
Nous reviendrons sur chacun de ces points à l’occasion des prochaines questions, mais je répète que nous partageons trois convictions : quand le numérique fonctionne, il faut l’utiliser ; il faut être très présents pour ceux qui ne le maîtrisent pas ; enfin, pour celui qui est perdu, on ne remplacera jamais un être humain.
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour la réplique.
M. Guillaume Gontard. Monsieur le secrétaire d’État, vous n’avez pas tout à fait répondu à ma question. Vous venez de terminer votre propos en affirmant qu’on ne remplacera jamais l’être humain. Or on le constate bien, sur l’ensemble des territoires, tel n’est pas le cas. J’en veux pour exemple les MSAP. Certes, ce sont de jolis outils, mais en vérité, faute de présence humaine, d’accompagnement, de moyens, ils ne fonctionnent pas. Les MSAP peuvent être un plus, elles peuvent être intéressantes, elles peuvent apporter un service supplémentaire, mais à la condition qu’on leur consacre un minimum de moyens. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)