Sommaire

Présidence de M. David Assouline

Secrétaire :

Mme Mireille Jouve.

1. Procès-verbal

2. Comment repenser la politique familiale en France ? – Débat organisé à la demande du groupe La République En Marche

Mme Patricia Schillinger, pour le groupe La République En Marche

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé

Débat interactif

Mme Nadine Grelet-Certenais ; Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé.

Mme Colette Mélot ; Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé ; Mme Colette Mélot.

Mme Véronique Guillotin ; Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé.

PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher

3. Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire

PRÉSIDENCE DE M. David Assouline

4. Comment repenser la politique familiale en France ? – Suite d’un débat organisé à la demande du groupe La République En Marche

Débat interactif (suite)

Mme Brigitte Lherbier : Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé.

M. Martin Lévrier ; Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé ; M. Martin Lévrier.

Mme Laurence Cohen ; Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé ; Mme Laurence Cohen.

Mme Élisabeth Doineau ; Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé ; Mme Élisabeth Doineau.

M. Jean-Louis Tourenne ; Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé.

M. Charles Revet ; Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé ; M. Charles Revet.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe ; Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé ; M. Jean-Marie Vanlerenberghe.

Mme Victoire Jasmin ; Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé ; Mme Victoire Jasmin.

M. Édouard Courtial ; Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé.

M. Guillaume Chevrollier ; Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé ; M. Guillaume Chevrollier.

M. Sébastien Meurant ; Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé.

M. Marc Laménie ; Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé ; M. Marc Laménie.

Conclusion du débat

Mme Patricia Schillinger, pour le groupe La République En Marche.

Suspension et reprise de la séance

5. Communication relative à une commission mixte paritaire

6. La politique de concurrence dans une économie mondialisée – Débat organisé à la demande du groupe La République En Marche

M. Richard Yung, pour le groupe La République En Marche

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances

Débat interactif

Mme Colette Mélot ; Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances ; Mme Colette Mélot.

M. Jean-Marc Gabouty ; Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances ; M. Jean-Marc Gabouty.

M. Jean Bizet ; Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances.

M. Georges Patient ; Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances.

M. Joël Bigot ; Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances.

M. Fabien Gay ; Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances.

M. Pierre Louault, Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances, M. Pierre Louault.

M. Gérard Longuet, Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances, M. Gérard Longuet.

M. Jean-François Longeot ; Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances.

Mme Catherine Conconne ; Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances.

M. Marc Laménie ; Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances ; M. Marc Laménie.

M. Serge Babary ; Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances ; M. Serge Babary.

M. Sébastien Meurant ; Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances.

Conclusion du débat

M. Richard Yung, pour le groupe La République En Marche

7. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de M. David Assouline

vice-président

Secrétaire :

Mme Mireille Jouve.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Comment repenser la politique familiale en France ?

Débat organisé à la demande du groupe La République En Marche

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe La République En Marche, sur le thème : « Comment repenser la politique familiale en France ? »

Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.

Je vous rappelle que l’auteur de la demande du débat dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.

À l’issue du débat, le groupe auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.

Dans le débat, la parole est à Mme Patricia Schillinger, pour le groupe auteur de la demande.

Mme Patricia Schillinger, pour le groupe La République En Marche. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avant tout, je tiens à remercier mon groupe, en particulier son président, François Patriat, d’avoir inscrit ce débat sur la politique familiale à l’ordre du jour et de nous donner ainsi l’occasion de mettre en perspective les différentes réflexions conduites depuis plusieurs mois sur ce sujet.

En effet, depuis la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale et les échanges que nous avons eus au Sénat sur cette question, plusieurs travaux importants ont été engagés : la mission interministérielle sur la lutte contre la pauvreté des enfants et des jeunes, la mission d’information de l’Assemblée nationale sur les allocations familiales, la négociation en cours de la nouvelle convention d’objectifs et de gestion – la COG – avec la Caisse nationale des allocations familiales et, au niveau européen, la discussion de la proposition de la directive concernant la conciliation entre vie privée et vie professionnelle.

Le sujet est donc au cœur de l’actualité sans que, pour autant, le Parlement soit saisi d’un texte. C’est pourquoi le débat d’aujourd’hui est nécessaire pour éclairer la situation actuelle, partager certains constats et identifier des pistes potentielles d’amélioration de notre système.

Vous le savez, la politique familiale de notre pays vise aujourd’hui trois objectifs historiques : à sa refondation en 1945, la politique familiale française a eu pour premier objectif le soutien à la natalité par la compensation financière des charges de famille ; à partir des années soixante-dix, l’accent fut également mis sur le soutien aux familles les plus modestes ; depuis plus de vingt ans, enfin, la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle s’est imposée comme un nouvel axe majeur.

À ces trois objectifs, il faut bien entendu ajouter celui de la pérennité financière de la branche famille.

Pour atteindre ces objectifs, l’action de l’État s’exerce sur trois leviers : les prestations monétaires, les avantages fiscaux et des prestations en nature comme les services publics orientés vers les familles.

Le budget que notre pays consacre à la politique familiale est de 59 milliards d’euros par an, soit 2,7 % du PIB. Selon le rapport de la Cour des comptes sur l’application de la loi de financement de la sécurité sociale, la France se situe en tête, au sein de l’OCDE, pour les aides fiscales, dépassée par l’Allemagne, et se classe dans la moyenne pour les prestations monétaires et en nature. Ainsi, nous faisons davantage que nos voisins Espagnols et Italiens, mais moins que les pays du nord de l’Europe, comme le Danemark.

Cette politique familiale forte a porté ses fruits, puisque notre pays connaît, au regard de ses voisins européens, une natalité qui reste soutenue – malgré une baisse depuis 2014 –, une participation élevée des femmes à l’activité économique et une redistribution importante au bénéfice des familles les plus vulnérables.

Ce bilan favorable laisse cependant apparaître des marges de progression que je voudrais rapidement évoquer.

Tout d’abord, nous devons lutter avec une efficacité accrue contre la pauvreté des familles, notamment monoparentales.

Selon l’INSEE, les familles représentaient, en août 2017, 66 % de la population vivant sous le seuil de pauvreté, qui correspond à 60 % du niveau de vie médian et s’établit à environ 1 000 euros mensuels. En termes de répartition de la pauvreté selon l’âge, les moins de trente ans représentent 50 % de la population en situation de pauvreté, jeunes ménages compris. S’agissant des seuls enfants, la pauvreté frappe, en France, 19,6 % d’entre eux et 39,3 % de ceux appartenant à des familles monoparentales.

Devant ce constat, des mesures pour lutter contre la pauvreté des familles ont été prises dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 : majoration du montant maximal d’aide auquel les familles monoparentales peuvent prétendre au titre de la garde de leurs enfants par une garde à domicile ou une assistante maternelle, harmonisation des conditions de ressources, des montants de la prestation d’accueil du jeune enfant, la PAJE, et du complément familial.

Doit-on, peut-on s’en tenir là ? La pauvreté des enfants en France reste à un niveau préoccupant, alors que les moyens consacrés à la politique familiale sont considérables.

Il faut donc, à mon sens, revoir nos instruments de politique familiale pour les adapter à l’objectif prioritaire de lutte contre la pauvreté des familles. Madame la ministre, la discussion doit s’ouvrir sur l’opportunité de redéployer des dépenses et des avantages fiscaux. Cette question ne se réduit pas, tant s’en faut, à celle de l’universalité des allocations familiales, que par ailleurs je soutiens.

Nous devons, ensuite, améliorer encore la capacité d’accueil des jeunes enfants de moins de trois ans. En 2015, celle-ci s’élevait à 56,6 places pour 100 enfants dans les modes de garde formels. Ce manque de solutions et les difficultés que cela implique affectent donc près d’un ménage sur deux.

Or le maintien ainsi que l’évolution des femmes dans la sphère professionnelle dépendent directement de la capacité de soulager celles-ci des charges familiales. On observe en effet qu’après l’arrivée du premier enfant, ce sont elles qui, au sein du ménage, passent à temps partiel ou cessent de travailler.

Ce bref état des lieux a pour but de nous conduire, madame la ministre, mes chers collègues, à des questionnements variés.

Comment aller plus loin ? Quelles pistes le Gouvernement explore-t-il ? Quelles mesures et orientations politiques prendre pour améliorer la situation et lutter plus efficacement contre la pauvreté des familles – une pauvreté notamment subie, je le rappelle, par les enfants et les jeunes ? Faut-il envisager l’attribution de l’allocation familiale dès le premier enfant ? Faut-il cibler les jeunes parents, voire attribuer une allocation fixe par enfant ?

Comment favoriser l’accès des familles modestes aux modes de garde des jeunes enfants ? Malgré un coût relativement modeste, les modes de garde profitent comparativement peu aux familles dont les revenus sont faibles et dont les difficultés d’insertion les plus fortes.

Quelle est la position du Gouvernement français dans la négociation sur la directive européenne, qui vise à favoriser la conciliation de la vie professionnelle et de la vie privée et à encourager un meilleur partage des responsabilités familiales entre les femmes et les hommes ?

Enfin, au regard des différences qui persistent en la matière entre les départements métropolitains et ceux d’outre-mer, toute prochaine réforme touchant à la politique familiale devra être l’occasion d’un rattrapage pour les outre-mer afin d’aller vers plus d’égalité réelle en termes d’accès aux droits familiaux, en tenant compte des particularités sociales, démographiques et économiques propres à chaque territoire.

Tels sont, mes chers collègues, l’état des lieux et les quelques questionnements introductifs au débat de ce jour que je souhaitais vous présenter. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, chère Patricia Schillinger, je vous remercie de me donner aujourd’hui l’occasion de débattre avec vous de la politique familiale, de ses objectifs et de son sens.

Madame la sénatrice, vous avez brossé un tableau très complet de la politique familiale. Nous voyons qu’elle a beaucoup évolué au cours du temps. Elle n’est heureusement pas restée figée, tandis que s’opéraient des changements majeurs dans les conceptions de la famille et dans les réalités que ce terme recouvre.

Mais vous avez raison : on peut, on doit aller plus loin. C’est la raison pour laquelle je vous livrerai brièvement ici mes priorités. Je répondrai ensuite aux questions sur des points plus particuliers qui suscitent votre intérêt.

La politique familiale est tout à la fois l’un des piliers majeurs de la sécurité sociale, donc un lieu de démocratie sociale via la branche famille, un levier puissant de redistribution au service de la réduction des inégalités de revenus et de conditions d’existence et un vecteur essentiel pour aider toutes les familles à concilier engagement dans la vie professionnelle et vie familiale.

Je tiens à l’ensemble de ces objectifs, et il me semble que c’est justement dans leur correcte articulation que se trouve l’originalité de la politique familiale française. Si je suis donc d’accord avec vous, madame la sénatrice, pour dire qu’il faut repenser la politique familiale, je suis également attachée à ses équilibres et je ne prône pas de bouleversement majeur.

Plusieurs chantiers mobiliseront en revanche toute mon attention et mes ambitions : le soutien à la parentalité, la promotion de l’intérêt de l’enfant et un meilleur accompagnement des familles au moment des situations de rupture.

La parentalité, tout d’abord, est le parent pauvre – si je puis dire ! – de la politique familiale aujourd’hui. Or, de plus en plus, les familles ont besoin d’être soutenues et épaulées. Les prestations monétaires, la garde des enfants sont des éléments essentiels, bien sûr, mais il faut aussi des lieux de médiation où échanger sur la fonction parentale, trouver des conseils, exposer ses difficultés sans être jugé. Je ne vous parlerai pas ici de la « maison verte » de Françoise Dolto, mais disons que l’idée est tout simplement de développer ces sortes de lieux qui nous aident à vivre ensemble, parents et enfants, alors que ce n’est pas toujours un long fleuve tranquille…

Les crèches peuvent et doivent aussi jouer ce rôle. C’est la raison pour laquelle j’ai décidé, dans le cadre de la future convention avec la branche famille, de permettre aux personnels des établissements d’accueil du jeune enfant de prendre davantage de temps pour accueillir les parents et échanger avec eux.

C’est aussi le rôle des services de la protection maternelle et infantile, la PMI, et je souhaite qu’ils puissent le tenir davantage, en se rendant au domicile des personnes les plus fragiles pour les accompagner dès les premiers jours de l’arrivée d’un enfant à la maison, moment crucial pour l’avenir.

Je vais me pencher, avec l’Association des départements de France, sur les missions des services de la PMI et sur les moyens à leur donner pour mieux appuyer concrètement les familles, y compris en allégeant certaines de leurs tâches qui me paraissent aujourd’hui moins utiles.

S’agissant ensuite de l’intérêt de l’enfant, vous le savez, mon périmètre ministériel comporte la protection de l’enfance en général et l’aide sociale à l’enfance en particulier. Je ne parlerai pas de ce dernier sujet aujourd’hui, mais, sur le premier, il y a sans doute des questions à se poser en ce qui concerne la politique familiale. Celle-ci s’est construite autour d’un objectif louable, qui fait encore aujourd’hui consensus : le soutien à la natalité.

Le soutien à la natalité s’intéresse avant tout aux adultes, à leurs contraintes, à leurs soucis, à leurs conditions matérielles d’existence. C’est bien naturel et c’est indispensable, mais l’enfant ? Bien sûr, en aidant les parents, on aide les enfants, indirectement mais nécessairement ; pour autant, on ne les aide pas « exactement » et pas toujours comme il le faudrait. L’enfant a des besoins propres qu’il faut protéger en tant que tels, auxquels il faut accorder une place. Là encore, je citerai brièvement une référence importante pour moi, Janusz Korczak, que vous connaissez sans doute tous. Il disait qu’il faut se mettre à la hauteur des enfants, c’est-à-dire non pas se baisser, mais s’élever jusqu’à eux, s’étirer, et ce dans un but bien précis : pour ne pas les blesser. Je trouve que ce mot est très juste. Alors je serai attentive à tout ce qui peut blesser les enfants et je chercherai, a contrario, à développer ce qui est propre à répondre à leurs besoins fondamentaux : jouer, partir en vacances, apprendre, découvrir.

C’est la raison pour laquelle la prochaine convention avec la branche famille et la stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté seront fondées sur des axes permettant de porter une attention particulière à ces sujets à travers le soutien à l’apprentissage précoce du langage en crèche et aux activités extrascolaires, le financement de projets pour les adolescents, par exemple développer une activité de quartier ou soutenir une association par un travail collectif. Ces projets sont parfois minuscules à notre échelle, mais ils ont du sens, parce qu’ils permettent à tous les enfants de s’émanciper, de trouver une place propre, d’agir.

Il y a aussi des sujets plus difficiles, notamment celui des violences faites aux enfants, de leur repérage, de leur prévention par tous les acteurs : ceux de la petite enfance, de la santé et de l’éducation nationale. Nous avons encore beaucoup de chemin à faire en termes de formation, de levée de certains tabous, de travail en réseau pour mieux protéger et éviter le pire.

Je recevrai prochainement les conclusions d’un important rapport de l’Inspection générale des affaires sociales sur les violences faites aux enfants et j’ai demandé que cette inspection puisse se pencher sur les moyens de développer la prévention en matière de protection de l’enfance.

Je terminerai mon propos en évoquant la question des ruptures et de leur accompagnement.

Vous l’avez dit, madame la sénatrice, notre politique familiale représente des dépenses importantes et remplit correctement ses objectifs. Elle soutient les familles et nous permet un niveau de natalité élevé. Mais je souhaite ouvrir un chantier : celui de l’amélioration de l’accompagnement des familles au moment des ruptures.

Ces ruptures, nous les connaissons bien : il s’agit du divorce, de la maladie, du décès d’un parent ou encore de l’annonce du handicap d’un enfant. Dans ces moments, la cellule familiale a besoin d’un soutien fort, adapté à ses besoins, rapide. Il faut favoriser la résilience, l’adaptation à ce qui arrive, et aller de l’avant. Il faut des guichets réactifs et souples, un travail en réseau, des aides versées en urgence, des services adaptés.

Tout cela, notre système ne le permet pas suffisamment. Ses maux sont bien connus : cloisonnement, démarches inutiles, contrôles superflus. Rien ne les justifie, ni la lutte contre la fraude ni le souci légitime de s’assurer du juste droit. Il s’agit d’un défaut de nos organisations et souvent d’une conception encore assez paternaliste de la solidarité.

Je rends ici hommage à la Caisse nationale des allocations familiales pour l’efficacité de ses agents, leur souci de proximité, mais je souhaite que nous allions plus loin via l’allégement des démarches, le développement des téléprocédures, l’information sur les droits et l’établissement d’une relation de confiance avec celui qui demande. Ces chantiers seront inscrits dans la future convention d’objectifs et de gestion. Cela permettra le redéploiement des énergies et des crédits au service de ce qui compte vraiment. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe Union Centriste et du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)

Débat interactif

M. le président. Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes maximum pour présenter sa question, suivie d’une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.

Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.

Dans le débat interactif, la parole est à Mme Nadine Grelet-Certenais.

Mme Nadine Grelet-Certenais. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la maternité, la parentalité et la prise en charge des personnes en perte d’autonomie représentent les premiers facteurs discriminants dont souffrent les femmes qui sont enfermées dans des emplois à temps partiel et peuvent même être obligées de renoncer à leur travail pour s’occuper de leurs enfants, parfois en situation de handicap, ou d’un proche âgé.

En avril 2017, la Commission européenne a proposé d’adopter une nouvelle directive concernant l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Celle-ci, bien inspirée, prévoit une meilleure indemnisation du congé parental et la possibilité de le fractionner, impose un congé paternité de dix jours rémunérés au moins à hauteur de la prestation de maladie, soit le double d’aujourd’hui, et cinq jours de congé rémunéré par an pour s’occuper d’un proche dépendant.

Cependant, la création de ce congé parental européen, une des rares tentatives d’harmonisation sociale au sein de l’Union européenne, risque de ne pas aboutir du fait de l’obstination de plusieurs pays, au premier rang desquels la France !

C’est une nouvelle fois l’argument financier qui est avancé par le Président de la République : le grand chantier du quinquennat est sacrifié sur l’autel budgétaire ! Comment s’attaquer véritablement aux inégalités sans une contribution suffisante du budget ? Doit-on comprendre que le Gouvernement se cantonnerait à des mesures cosmétiques pour tendre vers l’égalité des sexes ? Alors que 96 % des congés parentaux sont pris par les mères et seulement 4 % par les pères, nous avons ici une occasion inespérée pour rééquilibrer ce rapport, qui pèse lourdement sur la vie professionnelle et économique des femmes.

Madame la ministre, vous savez que l’on touche ici au point nodal de l’inégalité entre les femmes et les hommes de ce pays. L’ensemble des syndicats et des dizaines d’associations vous invitent à franchir le pas et à approuver cette proposition de directive. Où est la parité, cette égalité femmes-hommes décrétée grande cause nationale par le Président de la République ? Où placez-vous l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée des femmes ?

Cette hésitation française est incompréhensible. En 1791, Olympe de Gouges énonçait dans sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne que « la liberté et la justice consistent à rendre tout ce qui appartient à autrui ». En approuvant cette proposition de directive, vous pourriez faire honneur à ce principe, en libérant les femmes d’un fardeau héréditaire, et donner un vrai signal politique en faveur de l’égalité réelle. Le Gouvernement va-t-il persister dans son choix de bloquer une réelle avancée sociale, nécessaire aux femmes ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Patricia Schillinger applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice, vous m’interrogez sur la proposition de directive européenne en cours de négociation.

Dans sa première version, présentée par la Commission européenne en avril 2017, ce texte prévoyait que le congé parental puisse s’étendre jusqu’aux douze ans de l’enfant, ce qui pose problème au regard du travail des femmes, car il risque d’être difficile de retourner à la vie professionnelle au terme d’une telle durée. Il prévoyait aussi un alignement de la rémunération de ce congé sur les indemnités journalières, mesure dont le coût est estimé à 1,6 milliard d’euros.

Le compromis actuel permet aux États membres de fixer eux-mêmes le niveau adéquat de rémunération. Aujourd’hui, la France s’est engagée sur une rémunération de 396 euros par mois pour les personnes qui ne travaillent pas. Nous continuons la négociation avec les différents États membres, l’adoption de la proposition de directive étant prévue pour le 21 juin. Nous estimons que ce texte ne doit pas aboutir à éloigner les femmes du marché du travail.

Par ailleurs, nous avons conscience que la réforme de la prestation partagée d’éducation de l’enfant – la PREPARE – est un échec relatif, car, de fait, les pères ne prennent pratiquement jamais le congé parental. D’ici à la fin du quinquennat, il nous faudra évidemment proposer une réforme, mais ce n’est pas aujourd’hui la priorité immédiate, car nous attendons un rapport parlementaire sur le congé de paternité.

Tous ces éléments doivent être articulés de manière que le dispositif d’ensemble corresponde à notre vision du travail des femmes. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)

M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes pour poser sa question, et pas davantage. Les trente secondes supplémentaires que j’ai évoquées précédemment ne peuvent être accordées que pour une réplique.

La parole est à Mme Colette Mélot.

Mme Colette Mélot. Depuis la Libération, la politique familiale est l’un des piliers des politiques publiques françaises. C’est le programme du Conseil national de la Résistance qui l’a imaginée et conçue dans ses aspects concrets. C’est elle qui a soutenu le dynamisme de notre natalité pendant des décennies. C’est elle encore qui a contribué à assurer la pérennité de notre système de retraites. C’est elle enfin qui a accompagné la transformation économique et sociale de notre pays pendant plus d’un demi-siècle.

La baisse constante de la natalité depuis quelques années et la transformation du modèle familial remettent pourtant au cœur du débat public cette question cruciale. Durant le précédent quinquennat, la baisse du quotient familial a été un coup dur porté à un domaine qui doit constituer une priorité ; nous le regrettons.

Pour sa part, le gouvernement d’Édouard Philippe a proposé, à l’occasion de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018, de prendre une décision difficile, mais louable : recentrer les aides de la politique familiale sur les familles dans le besoin, en particulier les familles monoparentales.

Madame la ministre, lors de ces débats, vous aviez expliqué que les familles monoparentales allaient bénéficier d’une nouvelle aide à la garde de l’enfant, dite « complément de libre choix du mode de garde », car elles utilisaient moins que les autres familles les crèches collectives, dont les horaires ne sont pas toujours adaptés à leur situation spécifique. Je partage entièrement votre analyse et je pense que ces 138 euros par mois seront une aide effective pour ces familles en difficulté.

Mais, au-delà de la question financière, nous savons que décrocher une place en crèche relève bien souvent du parcours du combattant, alors même que les collectivités locales déploient des efforts importants pour développer l’accueil du jeune enfant sur le territoire. Madame la ministre, ne serait-il pas judicieux, dans une démarche de transparence, de mettre en place un barème à points afin d’uniformiser les procédures d’admission et de soutenir plus particulièrement les familles en difficulté ? Nous le savons, accéder aux crèches collectives permet aux parents de mieux concilier vie familiale et vie professionnelle.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice, je vous remercie d’avoir rappelé que j’ai beaucoup plaidé en faveur du recentrage d’un certain nombre d’aides, notamment en matière de garde d’enfants, au bénéfice des familles monoparentales, dont beaucoup se situent en dessous du seuil de pauvreté. Il s’agit, le plus souvent, de femmes seules qui se heurtent à de très grands obstacles pour accéder à l’emploi, en particulier du fait de la difficulté à trouver un mode de garde adapté.

Nous menons une réflexion en vue de diversifier les modes de garde, qui ne sauraient être que collectifs. Dans cette perspective, nous travaillons avec les associations représentatives des assistantes maternelles, que j’ai rencontrées voilà peu, mais aussi avec l’Association des départements de France. Marlène Schiappa et moi-même avons mis en place un groupe de travail sur la question de la transparence des critères pour l’obtention des places en crèche. Les élus locaux ont bien entendu la main en la matière et nous n’entendons pas agir par la coercition, mais, pour progresser vers la mixité sociale dans les crèches, qui constitue aujourd’hui un véritable souci, il nous semble que coconstruire avec l’Association des départements de France une sorte de charte ou d’engagement représenterait déjà une très grande avancée en vue de l’inclusion des familles les plus éloignées du marché de l’emploi.

M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot, pour la réplique.

Mme Colette Mélot. Je souhaite simplement remercier Mme la ministre de cette réponse.

M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin.

Mme Véronique Guillotin. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, ma question porte également sur la proposition de directive européenne concernant l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle des parents et aidants.

Depuis plusieurs mois, la France, avec d’autres pays européens, bloque la signature d’un accord sur l’une des dispositions de cette directive : l’harmonisation européenne du congé parental.

Je ne vous apprendrai rien, madame la ministre, en rappelant que le congé parental est aujourd’hui pris, dans la très grande majorité des cas – 96 %, chiffre qui n’a pas évolué depuis dix ans –, par les femmes. Sa rémunération, qui s’établit à moins de 400 euros, est la plus faible des pays de l’OCDE qui proposent un congé parental rémunéré. Un tel niveau de rémunération dessert l’égalité entre les femmes et les hommes, puisqu’il n’est acceptable que par le partenaire dont le salaire est le moins élevé, c’est-à-dire la femme dans la majorité des cas.

La proposition de directive prévoit un alignement de la rémunération du congé parental sur les indemnités maladie, soit 50 % du salaire journalier, ce qui, pour la France, en ferait passer le coût de moins de 400 euros à 950 euros en moyenne.

En Allemagne, où l’indemnisation du congé parental est portée à 67 % du salaire net, le taux de recours, pour les pères, est passé de 3 % à 25 % ces dernières années. En Suède aussi, une formule offrant un congé spécifique pour le père et une indemnisation élevée a permis d’augmenter la part des hommes dans le recours au congé parental.

J’ai conscience du coût d’une telle mesure, mais la facture pourrait se révéler moins élevée que prévu, car la pression sur le système d’accueil du jeune enfant se trouverait réduite, des places en crèche seraient libérées et les recettes fiscales augmenteraient. Les dépenses augmenteraient d’un côté, mais baisseraient de l’autre.

Cette mesure permettrait également de réduire les inégalités dans le monde professionnel, puisque les ruptures dans les carrières seraient partagées entre les deux sexes.

Il s’agit aussi d’une mesure d’harmonisation européenne, harmonisation prônée par le Président de la République. Ce serait la première pierre d’un socle commun de droits sociaux pour l’Europe.

Je sais, madame la ministre, l’engagement du Gouvernement pour l’égalité entre les hommes et les femmes,…

M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.

Mme Véronique Guillotin. … mais j’ai bien entendu que ce sujet n’était pas une priorité du Gouvernement. Toutefois, des mesures ne pourraient-elles pas être prises afin de réduire les inégalités entre hommes et femmes et d’accompagner au mieux les premières années de vie des enfants ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice Véronique Guillotin, la France ne bloque pas l’adoption de cette proposition de directive européenne. Elle négocie avec ses partenaires pour parvenir à un compromis qui corresponde à nos choix culturels, notamment à ceux que nous avons faits en faveur du travail des femmes et d’un meilleur accompagnement de leurs choix.

En France, le congé parental est pris, dans la très grande majorité des cas, par les femmes. Le congé de paternité est très peu utilisé. Le rapport de Mme la députée Marie-Pierre Rixain sur ce sujet doit m’être remis aujourd’hui.

Notre priorité, comme l’a annoncé le Président de la République, est plutôt d’élargir le congé de maternité afin de permettre à toutes les femmes qui travaillent, y compris les indépendantes, d’en bénéficier au même titre que les salariées. Il s’agit, vous le savez, d’une demande forte des professions indépendantes.

Notre priorité aujourd’hui est de faire des choix qui répondent aux attentes de notre société. Cela ne signifie pas que nous n’avons aucune ambition quant au congé parental. Nous trouverons un compromis d’ici au 21 juin. Toute la politique que nous menons aujourd’hui vise à ce que les femmes aient le choix et que les femmes comme les hommes puissent concilier au mieux vie professionnelle et vie familiale, au plus grand bénéfice de l’enfant. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)

(M. Gérard Larcher remplace M. David Assouline au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher

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Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire

M. le président. Madame la ministre, mes chers collègues, je salue la présence d’une délégation de députés de la Knesset conduite par M. Yuli-Yoel Edelstein, président de cette assemblée, en visite officielle en France. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que Mme la ministre des solidarités et de la santé se lèvent.)

L’idée de cette visite est née du déplacement que j’ai effectué en Israël, puis dans les Territoires palestiniens, il y a un peu plus d’un an, en janvier 2017, accompagné d’une délégation de sénateurs.

J’ai accueilli hier et aujourd’hui la délégation de la Knesset, en présence notamment de notre collègue Philippe Dallier, vice-président du Sénat et président du groupe d’amitié France-Israël, qui, à ce titre, s’est rendu en Israël du 1er au 4 mai avec d’autres membres du groupe d’amitié.

Votre venue, monsieur le président de la Knesset, à l’occasion des soixante-dix ans de l’existence de l’État d’Israël, traduit la volonté de renforcer le dialogue entre nos deux institutions, notamment en matière de développement technologique, à deux semaines du lancement de la saison croisée France-Israël. Un colloque a d’ailleurs eu lieu hier matin au Sénat sur le thème : « France-Israël : regards croisés sur l’innovation technologique », colloque que nous avons ouvert ensemble.

Mais votre venue traduit aussi la volonté de renforcer notre dialogue sur un certain nombre de sujets, tels que la culture, l’éducation, mais aussi la sécurité et la lutte contre le terrorisme.

Un accord de coopération interparlementaire – le premier dans l’histoire de nos deux assemblées – a été signé en fin de matinée.

L’innovation, l’éducation, les investissements, mais aussi la situation préoccupante au Proche-Orient ont été au cœur de nos échanges.

Les événements tragiques intervenus ces derniers jours témoignent en effet d’un regain de tensions lourd de menaces. Toutes les parties doivent faire preuve de retenue et contribuer à la désescalade. Je partage les propos tenus par le Président de la République le 15 mai, tout comme ceux qui ont été échangés dans cette assemblée mardi dernier, lors des questions au Gouvernement, sur notre attachement à la solution de deux États vivant côte à côte, en paix et en sécurité.

Grâce à vous, monsieur le président, je me suis replongé depuis hier dans la lecture des Responsa de Rachi de Troyes. « Plus grande est la lumière quand elle jaillit de l’obscurité », affirmait-il. Alors, la lumière, c’est la paix, cette quête que l’on ne doit jamais cesser, même dans des temps difficiles et douloureux, lorsque l’on est dans l’obscurité.

Au nom du Sénat de la République française, je vous souhaite à nouveau, monsieur le président de la Knesset, ainsi qu’à l’ensemble des membres de votre délégation, la plus cordiale bienvenue dans notre assemblée. (Applaudissements.)

Je cède maintenant le fauteuil à M. Assouline, vice-président du Sénat : son prénom est David, monsieur le président de la Knesset ; pour ma part, je suis Goliath ! (Rires et nouveaux applaudissements.)

(M. David Assouline remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. David Assouline

vice-président

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Comment repenser la politique familiale en France ?

Suite d’un débat organisé à la demande du groupe La République En Marche

M. le président. Nous reprenons le débat, organisé à la demande du groupe La République En Marche, sur le thème : « Comment repenser la politique familiale en France ? »

Débat interactif (suite)

M. le président. Dans la suite du débat interactif, la parole est à Mme Brigitte Lherbier.

Mme Brigitte Lherbier. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, les enfants d’aujourd’hui seront demain les adultes de notre pays : lourde responsabilité pour notre société que celle d’assumer le bien-être d’un petit être en construction psychologique et physique !

Bien sûr, c’est le rôle essentiel des parents que d’éduquer leurs enfants. Ils n’ont aucune envie d’être dirigés ou contraints en quoi que ce soit dans ce rôle naturel corroboré par l’autorité parentale.

Universitaire, j’ai bien souvent présenté à mes étudiants ces prérogatives légales comme une liberté fondamentale des deux parents. Hélas, la vie du couple n’est pas aussi simple que dans les contes de fées, où « ils se marièrent, vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants »… La vie sociale est devenue compliquée. Les mamans travaillent, les parents ont des difficultés d’organisation de transport, de logement. Ils attendent de l’État une aide financière et des services pour les épauler : modes de garde, crèches, écoles aux horaires adaptés à l’organisation familiale, accueil d’enfants de plus en plus petits, pour un temps de plus en plus long, la journée et même la nuit, et ce à proximité du logement familial.

L’union, légitime ou non, des parents, qui devait être source de bonheur, peut aussi devenir lieu de mésentente. Hélas, beaucoup de couples se séparent et demandent au juge des affaires familiales d’organiser leur désunion, leur séparation et la vie quotidienne des enfants. L’intervention d’une tierce personne est nécessaire pour organiser la garde, alternée ou pas. Si les parents reforment de nouveaux couples, d’autres problèmes peuvent survenir.

Madame la ministre, toutes ces évolutions sociales sont très perturbantes quand il s’agit de mener une politique familiale. L’enfant reste-t-il au cœur de toutes les décisions, de ces grands objectifs ?

Conseillère départementale, j’ai eu à suivre de nombreux dossiers d’enfants devenus objets de discorde, enjeux pour des couples qui se déchirent, sacrifiant sans scrupule l’équilibre des leurs.

Les rapports des juges des affaires familiales et des services judiciaires, les médecins scolaires, les centres médico-psychopédagogiques, les services sociaux des départements nous alertent. Le placement, quand l’enfant est en situation de danger avéré au sein de sa famille, peut être envisagé, voire doit être une solution.

M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.

Mme Brigitte Lherbier. Le tableau que je présente est certes noir, mais ces réalités doivent être évoquées dans un débat sur la politique familiale.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice Brigitte Lherbier, je ne peux évidemment qu’adhérer à votre constat. De fait, notre politique familiale doit s’adapter aux réalités de notre société. Nous le constatons tous : les familles sont en difficulté, souvent pour des raisons extérieures, parfois pour des raisons internes, avec des ruptures extrêmement douloureuses et délicates à gérer.

C’est la raison pour laquelle j’estime, comme je l’ai précisé dans mon propos liminaire, que le soutien à la parentalité doit être l’un des piliers de la future convention d’objectifs et de gestion avec la CNAF. Au-delà de ce que nous faisons déjà en matière d’allocations et de prestations de toutes sortes ou d’aide à la garde d’enfants, nous devons impérativement développer des lieux d’accueil parents-enfants, ainsi que des lieux de médiation pour les familles ; nous y travaillons avec Mme la garde des sceaux.

Cela fait partie de ce que nous demandons à la CNAF au travers de la future convention d’objectifs et de gestion. Je souhaite que nous puissions maintenant structurer cette politique et être en mesure de l’évaluer. En effet, nous avons peu de retours du terrain. Nous savons seulement qu’il s’agit d’un besoin ressenti par tous les acteurs.

M. le président. La parole est à M. Martin Lévrier.

M. Martin Lévrier. À l’occasion de l’arrivée d’un enfant dans son foyer, le salarié peut s’arrêter de travailler pendant une durée déterminée. Il bénéficie alors, sous condition d’ancienneté, d’un congé parental d’éducation.

Après ce congé, le salarié retrouve son précédent emploi ou, à défaut, un emploi similaire. Il a le droit à la tenue d’un entretien professionnel.

Nous savons tous ici qu’une longue absence peut être préjudiciable au salarié lors de son retour. Il devra s’adapter aux réorganisations que l’entreprise aura éventuellement opérées durant son absence. Cela constitue souvent un frein important à la demande de congé parental.

Pour pallier cette inquiétude, après chaque longue absence, un entretien professionnel doit être tenu afin de faciliter la réintégration du salarié et d’éviter son licenciement pour insuffisance professionnelle. En marge de cet entretien, le salarié peut demander une action de formation professionnelle en cas de changement de techniques ou de méthodes de travail de l’entreprise.

Cette demande est aujourd’hui laissée à la libre appréciation du salarié ; cette situation est loin d’être satisfaisante. Ne pensez-vous pas, madame la ministre, que, dans le cadre d’une politique familiale bien pensée, il serait préférable d’aller plus loin, en imaginant par exemple la systématisation d’un temps de reprise en douceur ? Cette période, d’une durée à déterminer au sein de l’entreprise en fonction des besoins, pourrait se décomposer au quotidien en deux temps : un travail effectif la première partie de la journée, puis une formation intitulée « formation de retour de congé parental ». (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur Martin Lévrier, vous posez là une excellente question, celle du retour à l’emploi effectif au terme d’un congé parental d’éducation. Effectivement, dans la situation de l’emploi que nous connaissons, la difficulté du retour à l’emploi peut être un frein à la demande d’un congé parental.

Vous proposez de systématiser une reprise en douceur, qui comporterait un temps de formation. Nous sommes tout à fait sensibles à cette idée, mais une telle proposition doit être discutée avec les partenaires sociaux. J’en parlerai donc avec la ministre du travail afin de déterminer si l’on peut éventuellement mettre en œuvre des dispositions concrètes, dans le cadre du droit du travail, pour que la prise d’un congé parental ne handicape en aucun cas le salarié. Je vous remercie d’avoir souligné cette difficulté. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)

M. le président. La parole est à M. Martin Lévrier, pour la réplique.

M. Martin Lévrier. Je vous remercie de votre réponse, madame la ministre, en particulier de votre engagement à aborder ce sujet avec Mme Pénicaud. Le moment me paraît propice, puisque nous débattrons bientôt de la réforme de la formation professionnelle ; on peut imaginer que cette proposition pourra s’inscrire dans celle-ci. (M. André Gattolin applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.

Mme Laurence Cohen. Je veux tout d’abord remercier le groupe La République En Marche de nous donner l’occasion d’aborder le sujet de la politique familiale en France.

J’apprécie, madame la ministre, que vous ayez exprimé la volonté de vous attaquer aux violences faites aux enfants : c’est un problème qui nous concerne toutes et tous.

Plusieurs de mes collègues ont évoqué la proposition de directive européenne concernant l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée des parents et des aidants. Vous nous avez dit, madame la ministre, que le Gouvernement ne bloquait pas son adoption, mais qu’il menait des négociations.

Vous vous inquiétez, à juste titre, du peu d’attractivité du congé de paternité en France, mais la problématique est évidemment plus large : elle englobe la reconnaissance des métiers dits « féminins », la revalorisation des salaires, bref l’ensemble des dimensions de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, dont nous sommes nombreuses et nombreux, notamment au groupe communiste républicain citoyen et écologiste, à réclamer l’instauration effective.

Madame la ministre, je voudrais que vous nous en disiez davantage sur les moyens financiers que le Gouvernement entend débloquer au titre de cette problématique extrêmement importante, sachant que d’autres pays, comme le Portugal, la Grèce ou la Belgique, ont fait savoir que non seulement ils approuveraient la proposition de directive, mais qu’ils mobiliseraient aussi des crédits.

Quand le Gouvernement fait des propositions, leur mise en œuvre doit être effectivement financée, afin que l’on puisse passer des paroles aux actes.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice Laurence Cohen, la France cherche un consensus avec ses partenaires européens. Il est vrai que certains pays ont des pratiques autres que les nôtres, en particulier les pays du nord, où les pères prennent beaucoup plus couramment le congé parental. Nous sommes obligés de tenir compte de cette spécificité française selon laquelle ce sont essentiellement les femmes qui recourent à cette possibilité.

Une réforme du congé parental est intervenue lors du précédent quinquennat, mais sa mise en œuvre n’a pas été évaluée. J’ai donc d’abord demandé que l’on procède à cette évaluation et que l’on mesure l’impact de cette réforme. En outre, comme je l’ai déjà indiqué, un rapport sur le congé de paternité doit m’être remis aujourd’hui.

Forts de ces éléments, nous pourrons décider des moyens que nous souhaitons mobiliser pour accompagner au mieux les familles en termes de modalités de garde de leurs enfants. Nous avons d’ores et déjà pris l’engagement de déployer de réels moyens pour permettre aux indépendantes d’accéder au congé de maternité. Nous aurons à définir des priorités ; nous en débattrons bien évidemment dans cet hémicycle.

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour la réplique.

Mme Laurence Cohen. Je souligne que la proposition de directive européenne prévoit des avancées concrètes : par exemple, un congé de paternité rémunéré de dix jours, comme en Allemagne, en Autriche, à Chypre, en Croatie, en République tchèque ou en Slovaquie, un congé parental de quatre mois rémunéré au niveau des indemnités de maladie, ce qui constituerait une amélioration considérable au Royaume-Uni et en France, ainsi qu’un congé payé de cinq jours par an pour les proches aidants, comme à Malte ou en Roumanie, ce qui faciliterait la vie de nombreuses personnes qui prennent soin de leurs parents âgés.

J’ai bien entendu vos propos, madame la ministre ; nous nous montrerons tout à fait vigilantes et vigilants quant à leurs suites. Le président Macron a affirmé le 17 avril dernier devant le Parlement européen que cette proposition de directive était « une belle idée » : espérons que la situation se débloquera et que nous aurons enfin une bonne nouvelle !

M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Doineau.

Mme Élisabeth Doineau. Madame la ministre, j’ai beaucoup apprécié la teneur de votre discours. En particulier, il est effectivement tout à fait nécessaire de soutenir la parentalité ; on sent bien aujourd’hui que le simple fait d’être parents pose de grandes difficultés.

J’ai aussi apprécié, madame la ministre, que vous ayez évoqué les services de la protection maternelle et infantile et le lien étroit qui doit exister entre ces services des conseils départementaux et les familles. Les visites au domicile, en particulier, sont absolument indispensables pour mieux appréhender les mesures à mettre en place pour l’éducation des enfants.

En 2017, pour la première fois depuis dix ans, la branche famille de la sécurité sociale a été à l’équilibre. Nous ne pouvons a priori que nous en réjouir. L’excédent de cette branche pourrait atteindre 5 milliards d’euros en 2021.

Dans le même temps, la natalité, dont la promotion est la mission historique de la politique familiale, est en baisse pour la troisième année consécutive. Le solde naturel est au plus bas depuis l’après-guerre. Relever ce défi démographique est une nécessité.

Les comparaisons internationales soulignent l’existence d’une corrélation importante entre les efforts des États en faveur des familles et le niveau de fécondité. Le modèle français et le principe d’universalité doivent, en partie pour cette raison, demeurer. À ce propos, j’ai apprécié, madame la ministre, que vous vous déclariez favorable au maintien des grands équilibres et des principes de la politique familiale française plutôt qu’à de grands bouleversements.

Pour autant, apporter une réponse plus contemporaine aux difficultés des familles est une nécessité. On pourrait à mon sens envisager deux pistes : le versement des allocations familiales dès le premier enfant, mesure dont le coût est évalué à environ 2 milliards d’euros, et l’apport d’une aide plus substantielle à la mise en place par les employeurs, publics ou privés, de lieux d’accueil des jeunes enfants. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice Élisabeth Doineau, je ne pourrai peut-être pas répondre sur tous les sujets que vous avez évoqués.

Concernant le budget alloué à la branche famille, nous avons veillé à ce que la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 trace une trajectoire à la fois ambitieuse, responsable et solidaire. Nous avons opéré une redistribution des crédits au sein de la branche famille afin, notamment, de favoriser les familles les plus pauvres et les familles monoparentales. Nous sommes très attentifs à ce que la branche famille réponde aux grands enjeux sociétaux d’aujourd’hui.

Vous avez également évoqué la natalité, sujet qui va bien au-delà, vous le savez, de la seule question des prestations. Aujourd’hui, ce qui peut affecter la natalité en France, c’est le manque de confiance dans l’avenir, la difficulté à trouver un mode de garde. Par ailleurs, les femmes ont tendance à faire leur premier enfant de plus en plus tard pour pouvoir s’inscrire dans une carrière professionnelle ou améliorer celle-ci. La question du versement des prestations dès le premier enfant est loin d’être au premier plan, nous le savons bien, même si elle peut évidemment être évoquée.

À mes yeux, le frein principal à la natalité tient aujourd’hui à la difficulté de concilier vie familiale et vie professionnelle. Il importe donc de renforcer l’accompagnement des familles à cet égard, notamment par le développement des modes de garde d’enfants de proximité. Je l’ai dit tout à l’heure, les crèches ne répondent pas à tous les besoins ; il nous faut aussi développer les possibilités de recourir aux assistantes maternelles et adapter l’accueil en crèches aux horaires de certains parents qui ont des vies professionnelles extrêmement complexes.

Nous sommes attentifs à ce que toute notre politique familiale soutienne la natalité française, qui est un enjeu important.

M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Doineau, pour la réplique.

Mme Élisabeth Doineau. Effectivement, la natalité n’est pas complètement liée au niveau de l’effort financier de l’État, mais on voit, à l’échelle de l’ensemble des pays d’Europe, qu’il existe tout de même une corrélation. Il faut en tenir compte.

Quant aux modes de garde, il est en effet indispensable de davantage aider les grandes entreprises et les employeurs publics à construire des lieux d’accueil pour les enfants de leurs salariés.

M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Tourenne. (Mme Victoire Jasmin applaudit.)

M. Jean-Louis Tourenne. Notre modèle social permet de diviser par quatre les inégalités de niveau de vie, et pourtant l’inégalité des chances persiste. La main invisible de l’organisation sociale nourrit les frustrations, les amertumes, que la violence parfois exprime. Elle alimente le caractère héréditaire des classes dominantes et leur entre-soi.

Édifiants, les chiffres de fréquentation des crèches, des pratiques culturelles et sportives, des universités et des grandes écoles ! Cela a de terribles conséquences : destins tracés et gâchés, violences, déterminisme social, montée des extrêmes.

Ce n’est pourtant pas une fatalité. De nombreuses mesures prises sous le précédent quinquennat visaient à réduire les inégalités et y ont concouru : revalorisation de l’allocation de soutien familial, majoration du montant du complément familial, modulation de la prestation d’accueil du jeune enfant, la PAJE, et des allocations familiales, augmentation des crédits affectés aux crèches.

Mais le présent gouvernement semble s’employer à revenir sur ces acquis, avec la réduction du montant de la PAJE et du nombre des bénéficiaires de celle-ci, le retour à la semaine de quatre jours de classe, qui fait perdre à des enfants l’occasion d’accéder aux pratiques culturelles et sportives, des licenciements facilités, dont la perspective fragilise les familles, la remise en cause envisagée de l’accord avec la CNAF sur la scolarisation précoce.

Pourtant, les initiatives foisonnent. J’en donnerai quelques exemples, que je tire du territoire que je connais le mieux : accroissement du nombre de crèches accueillant au moins 40 % d’enfants issus de milieux populaires, enrichissement du vocabulaire par le parler bambin, et ce pas seulement en crèche, internats de « respiration », séjours de vacances pour ceux qui ne partent jamais et qui découvrent ainsi d’autres horizons, promotion de l’école du bonheur, qui apprend à maîtriser ses émotions et à surseoir au passage à l’acte, scolarisation à l’âge de deux ans. Bref, il y faut la vision d’une société plus juste et une plus grande détermination.

Je rêve que ce débat ne serve pas seulement à cacher les vilains coups de rabot de Bercy, en quête des milliards perdus au bénéfice des plus riches. La politique familiale, dotée de 85 milliards d’euros, peut porter de beaux fruits, non pas seulement par une politique du chiffre, mais surtout par une politique de l’épanouissement de chaque enfant, propre à nourrir l’espoir que le destin de celui-ci ne sera pas déterminé irrémédiablement par les conditions de sa naissance.

La cohésion sociale, le bien vivre ensemble et même la sécurité sont à ce prix. Cela exige la création d’un grand service public de la petite enfance. Y êtes-vous prête, madame la ministre ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur Jean-Louis Tourenne, à vous entendre, je manquerais de volontarisme en matière de lutte contre les inégalités : cela est faux, comme en témoigne la politique ciblée en faveur des familles les plus pauvres et des familles monoparentales que j’ai menée dans le cadre tracé par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018. J’ai pris cette orientation en toute connaissance de cause, car j’estime que le droit commun favorise de fait les inégalités et qu’il faut parfois mettre en place des politiques extrêmement ciblées pour venir en aide aux plus vulnérables.

Je continuerai à viser la réduction des inégalités. Nous avons travaillé à cette fin dans le cadre de la définition de la stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté, qui sera présentée dans les prochaines semaines. Sont notamment prévus une modification du mode de financement des crèches en vue de promouvoir la mixité et l’accessibilité, ainsi que de nombreux programmes visant à favoriser l’inclusion sociale dès la petite enfance, y compris à l’école.

Par ailleurs, la politique de soutien à la parentalité que je conduis, avec la priorité inscrite dans la prochaine convention d’objectifs et de gestion avec la CNAF, vise elle aussi à aider les familles les plus en difficulté dans l’éducation de leurs enfants.

Contrairement à ce que vous avez affirmé, nous avons bien la volonté d’accroître l’accessibilité des crèches et d’en construire dans les zones prioritaires de la politique de la ville. Cela fait partie, naturellement, des orientations de la nouvelle convention d’objectifs et de gestion. Nous entendons aussi adapter les horaires des crèches aux besoins de certaines familles, souvent celles qui rencontrent le plus de difficultés. Toute notre politique vise à réduire les inégalités et à faciliter l’accès aux modes de garde et la conciliation de la vie familiale et de la vie professionnelle.

M. Jean-Louis Tourenne. Monsieur le président, je souhaite répliquer.

M. le président. Mon cher collègue, chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour poser sa question ; les trente secondes supplémentaires d’une réplique ne peuvent lui être accordées que s’il a respecté cette limite. Cette nouvelle règle n’en étant qu’au début de son application, j’ai fait preuve de tolérance à l’égard des collègues qui n’ont dépassé leur temps de parole que de cinq à dix secondes. Tel n’étant pas votre cas, je ne puis vous redonner la parole.

M. le président. La parole est à M. Charles Revet.

M. Charles Revet. Avant d’exposer mes réflexions et de poser mes questions, je voudrais rappeler la définition que donne le dictionnaire Larousse du terme famille : « Ensemble de personnes formé par le père, la mère et les enfants, ou par l’un des deux, père ou mère ». Ce dernier membre de phrase a été ajouté dans les éditions les plus récentes, afin de tenir compte des évolutions importantes de la société constatées ces dernières décennies.

La famille a toujours été, reste et restera la cellule de base de la société. La famille, c’est l’union d’une femme et d’un homme qui ont choisi de vivre ensemble, et c’est ce qui permet la venue au monde d’un ou de plusieurs enfants. C’est la femme qui porte l’enfant, aujourd’hui comme hier et comme demain. C’est ainsi depuis que le monde est monde, et la science, qui permet des avancées dans beaucoup de domaines, ne pourra le changer.

La mère ou le père peut souhaiter s’occuper de l’enfant jusqu’à ce qu’il atteigne l’âge de trois ans pour mieux l’accompagner ; manifestement, c’est le plus souvent la maman qui fait ce choix. Il serait important que les familles choisissant d’avoir plus d’enfants se voient accorder des indemnités assimilables à un salaire familial, assurant une couverture sociale dans sa globalité et prises en compte pour la retraite.

Cela étant, le fonctionnement de la société change, et de plus en plus de femmes souhaitent, par-delà la vie familiale et pour des raisons diverses, s’engager dans une activité professionnelle ; ce choix doit être respecté.

Il appartient aux pouvoirs publics de prendre en compte de l’évolution de la société dans les décisions législatives et réglementaires qui sont prises ; c’est au niveau de la politique familiale qu’il faut agir, et il y a urgence à cela !

La France, comme la plupart des pays occidentaux, connaît un grave problème démographique, lié, dans une large mesure, aux changements que nous avons connus ces dernières décennies. On ne peut que constater une réduction sensible du nombre des naissances chaque année. Le renouvellement de la population n’est, de ce fait, plus assuré, ce qui a des conséquences très graves pour l’avenir de notre pays.

Madame la ministre, pouvez-vous nous indiquer ce que le Gouvernement propose pour mieux prendre en compte les besoins des familles dans leur fonctionnement au quotidien et créer un contexte favorable à une augmentation de la natalité en France ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur Revet, vous souhaitez que les prestations versées aux familles soient plus généreuses, afin de permettre aux parents de prendre un congé parental et de s’inscrire dans une démarche d’accompagnement des enfants, tout en cumulant des droits à la retraite.

Tout cela existe déjà ! Aujourd’hui, les prestations allouées par la branche famille atteignent 50 milliards d’euros. Les droits à la retraite acquis lors des congés parentaux s’élèvent à 18 milliards d’euros. La question est de savoir s’il faut encore augmenter ces prestations ou si nous avons d’autres priorités.

Quant à la natalité, elle est une véritable priorité. Aujourd’hui, je suis convaincue que ce qui freine la natalité, c’est le recul d’année en année de l’âge des mères, ainsi que les difficultés à concilier vie familiale et vie professionnelle. Mes priorités sont donc l’accueil du jeune enfant, afin de permettre cette conciliation, mais aussi les familles les plus en difficultés, en situation de rupture, les questions liées à la parentalité et la médiation, car il y va de la cohésion sociale. Si nous voulons des jeunes en bonne santé physique et mentale, il faut qu’ils aient été élevés dans un environnement accueillant.

Nous devons aider les familles à faire en sorte que leur enfant grandisse dans un environnement favorable. À cet égard, le soutien à la parentalité est aujourd’hui un enjeu de cohésion sociale, et j’en fais ma priorité.

M. le président. La parole est à M. Charles Revet, pour la réplique.

M. Charles Revet. Je vous remercie de votre réponse, madame la ministre. Je crois qu’il y a urgence, car c’est l’avenir de notre pays qui est en jeu, ainsi que celui de l’Europe. Je pense que nous devrons reparler de ces sujets, afin de bien prendre en compte la situation de la famille, en particulier celle de la femme et des enfants.

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.) Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je formulerai plusieurs observations.

Tout d’abord, la complexité de notre système le rend très difficilement compréhensible. Comment expliquer que les enfants de certaines familles ne bénéficient d’aucune aide de l’État, alors que, à titre d’exemple, une famille monoparentale avec quatre enfants perçoit jusqu’à 380 euros par mois et par enfant ?

Ensuite, les familles françaises sont segmentées en trois groupes : celles qui ont des revenus modestes et perçoivent de nombreuses aides ; celles qui ont des revenus élevés et bénéficient du quotient familial ; enfin, les classes moyennes, qui profitent le moins de ces dispositifs.

Conditionner l’octroi de l’aide au fait d’avoir deux enfants et plus est délicat. Premièrement, les conséquences de cette politique sur la natalité ne sont pas facilement mesurables. Deuxièmement, rien ne prouve que les coûts soient croissants en fonction du nombre d’enfants. Troisièmement, il est parfois difficile de définir le rang qu’occupe l’enfant dans des familles recomposées avant le remariage.

Madame la ministre, face aux limites de notre système que je viens d’évoquer, nous saisissons la proposition que formule M. Régent dans son ouvrage La Face cachée des prestations familiales pour vous interroger sur la création d’une allocation familiale unique. Mesure d’équité, de rationalisation et de simplification, cette AFU se substituerait aux aides familiales existantes, serait versée dès le premier enfant et supprimerait les effets de seuil des prestations familiales.

Il me serait agréable, madame la ministre, de connaître votre avis sur cette proposition.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur Vanlerenberghe, vous posez une question importante. Les familles n’ayant qu’un seul enfant n’accèdent effectivement pas aux allocations familiales, mais cela ne signifie pas qu’elles ne sont pas aidées.

Vous le savez, elles bénéficient de l’allocation de base de la PAJE pour l’accueil du jeune enfant, de l’allocation de rentrée scolaire, de l’allocation de soutien familial si le parent est isolé, de l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé et de l’allocation journalière de présence parentale, si besoin. En outre, quelque 30 % de ces familles bénéficient du quotient familial parce qu’elles sont suffisamment aisées. Je passe évidemment sur toutes les allocations de solidarité, comme l’allocation logement, le RSA, etc.

Aujourd’hui, nous avons identifié 100 000 ménages avec un enfant qui perçoivent en général au moins 45 euros d’aide via ces différentes prestations, mais peut-être devrions-nous cibler ces familles, peu nombreuses, avec des aides particulières, par exemple en faisant évoluer le complément familial majoré. Une telle mesure devrait être compatible avec la trajectoire de nos finances publiques. Nous travaillons sur cette question.

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe, pour la réplique.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Je vous remercie, madame la ministre, de votre réponse. J’ai bien compris le sens de votre intervention : vous pensez comme moi qu’il faudrait aider un peu plus les familles avec un enfant.

Je pense néanmoins que l’on va complexifier le système. Si l’on accordait une allocation à chaque enfant, l’on créerait une sorte de revenu universel par enfant. Nous y gagnerions en lisibilité, en clarté. Tout le monde serait gagnant, au moins les familles de condition modeste. Les familles les plus aisées y perdraient, j’en conviens, mais c’est un choix politique qu’il faudra faire.

M. le président. La parole est à Mme Victoire Jasmin.

Mme Victoire Jasmin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, repenser la politique familiale outre-mer est une nécessité. En effet, nous connaissons dans nos territoires ultramarins des problématiques statutaires, démographiques, culturelles et sociologiques très différentes, qui nécessitent une politique familiale adaptée à nos particularités.

Pour autant, il demeure impératif de permettre aux acteurs locaux d’adapter, d’expérimenter et de différencier le droit commun, loin d’une vision monolithique des outre-mer.

Ainsi, les Assises de la famille, organisées sur l’initiative de la présidente du conseil départemental de la Guadeloupe, Mme Josette Borel-Lincertin, ont permis, au cours de plusieurs mois de concertation, de repenser le vivre ensemble en Guadeloupe. Par ce biais, les acteurs de terrain ont pu présenter des idées innovantes et concrètes sur la politique familiale. Ils proposent une nouvelle gouvernance de l’action sociale territoriale, permettant d’ailleurs de moderniser l’accompagnement de la parentalité outre-mer.

Il faut savoir que la Guadeloupe a connu ces dernières semaines la fermeture de plusieurs crèches. Or tous les enfants devraient, si leurs parents le souhaitent, bénéficier d’un droit de garde. L’idée est donc de mettre en place un dispositif comparable au système du tiers payant, quel que soit le mode de garde retenu par les parents.

Dans des territoires fortement touchés par les violences intrafamiliales, faciliter l’accueil et la prise en charge des jeunes enfants, au sein de structures privées ou publiques, favoriserait leur socialisation et leur épanouissement, ce qui est fondamental. Cette prise en charge permettrait également de mieux éduquer les enfants contre la violence.

Il s’agirait aussi de mettre en place un partenariat entre la CNAF et les collectivités locales, afin de mettre en adéquation le mode de financement des structures d’accueil et les ressources des familles, à l’aide d’une majoration dérogatoire de la prestation de service unique, la PSU.

Ces pistes de réflexion émanant de nos territoires d’outre-mer, lesquels sont largement sous-dotés en équipements de la petite enfance, tiennent compte au plus près de leurs réalités. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Madame Jasmin, vous avez tout à fait raison de pointer la particularité de certains départements d’outre-mer et la nécessité de travailler spécifiquement, car ces territoires ont parfois des besoins différents.

Ils n’ont pas le même problème de natalité. En revanche, ils ont d’importantes difficultés en termes de modes d’accueil et comptent de nombreuses familles monoparentales. Il s’agit d’un vrai sujet, et nous devons évidemment mener des politiques spécifiques.

Dans le cadre de l’élaboration, qui est en cours, de la convention d’objectifs et de gestion, la COG, entre l’État et l’Union des caisses nationales de sécurité sociale, nous effectuons un travail pour adapter nos politiques familiales dans les départements d’outre-mer, chaque territoire étant différent.

Les CAF ont la possibilité, vous le savez, de verser des compléments financiers spécifiques aux familles. Elles le font déjà, notamment à Mayotte. Nous savons néanmoins qu’il existe des lacunes. La COG actuelle sera l’occasion de mieux aider ces familles, en tenant compte de toutes les particularités.

Votre question me donne l’occasion de m’exprimer sur ce sujet et de vous faire part de mon souhait d’être au plus près des territoires et des besoins.

M. le président. La parole est à Mme Victoire Jasmin, pour la réplique.

Mme Victoire Jasmin. Je vous remercie, madame la ministre. Je compte vraiment sur vous ! Et je remercie le groupe La République En Marche d’avoir proposé ce débat sur la politique familiale en France, notamment dans les outre-mer.

M. le président. La parole est à M. Édouard Courtial.

M. Édouard Courtial. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’un des tristes héritages du gouvernement précédent et de sa majorité est sans nul doute la remise en cause systématique de l’une des politiques qui marchait le mieux dans notre pays et qui faisait, du moins le pensait-on, l’unanimité sur toutes les travées : une politique familiale efficace reposant sur un principe clair, celui de l’universalité de ses allocations. (Murmures sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme Nadine Grelet-Certenais. Voilà un discours tout en nuances…

M. Édouard Courtial. Nous en connaissons les origines, qui remontent au général de Gaulle, en 1945, et la finalité, qui demeure tout à fait actuelle.

Quel est le résultat de ce revirement de vos prédécesseurs ? La fécondité moyenne est historiquement en baisse depuis trois ans et vient de passer sous le seuil critique de 1,9 enfant par femme.

Mme Nadine Grelet-Certenais. C’est ridicule !

M. Édouard Courtial. Pourtant, dans un rapport de la mission d’information de l’Assemblée nationale sur la politique familiale, un député de la majorité préconise d’aller encore plus loin que ce qui a été fait ces cinq dernières années ; c’est d’ailleurs la raison pour laquelle notre collègue Gilles Lurton, corapporteur Les Républicains, s’en est désolidarisé.

Je vous le dis sans ambages, madame la ministre, remettre en cause le quotient familial serait une erreur majeure, politique, économique et historique.

Politique, tout d’abord, car, ne nous y trompons pas, nos compatriotes percevraient cette mesure avant tout comme une hausse d’impôt déguisée, alors que la pression fiscale ne diminue pas et que la lutte contre la fraude doit être une priorité – en 2017, quelque 45 000 fraudes ont été constatées, soit une hausse de plus de 5 %.

Économique, ensuite, à l’heure où notre système de retraite par répartition, qui n’est pas assuré, aux conditions actuelles, pour nos enfants, a toujours besoin de jeunes actifs pour compenser les départs à l’autre bout de la chaîne.

Historique, enfin, car plus que supprimer des allocations ou un simple avantage fiscal, ce serait renier une tradition tournée vers l’avenir, qui vise à donner à la France des artisans de sa propre histoire.

Madame la ministre, le débat sur la politique familiale ne doit pas se résumer à un prétendu clivage entre conservatisme et progressisme ou entre dogmatisme et réformisme. Ne l’emprisonnons pas dans une fausse lutte des classes, hors d’âge et dépassée (M. Fabien Gay sesclaffe), ou dans une politique de compensation court-termiste, mais prenons de la hauteur.

M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue !

M. Édouard Courtial. C’est pourquoi j’en appelle aujourd’hui à la plus grande prudence sur ce sujet, au nom des principes de solidarité et de responsabilité qui nous lient vis-à-vis des générations futures. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur Courtial, comme vous, je suis inquiète en ce qui concerne le taux de natalité, dont je suis l’évolution avec attention. Il était une fierté de notre pays. Il est à noter toutefois que nous restons le pays d’Europe où le taux de natalité est le plus élevé. Ce taux, je tiens à vous rassurer, a beaucoup évolué au cours des années. Je serai attentive au taux de cette année, en espérant qu’il remonte.

La baisse de ce taux – je me suis exprimée à plusieurs reprises sur ce sujet – est liée à la diminution du nombre de femmes en âge de procréer et de la fertilité.

Vous m’interpellez ensuite sur l’universalité de la politique familiale. La politique familiale s’exprime de différentes façons : par les prestations, bien sûr, mais aussi par l’accessibilité aux modes de garde, par des aides financières et par le quotient familial, qui est évidemment une forme de solidarité interfamilles. La politique familiale est, et restera, universelle, je m’y engage. Le Gouvernement s’est d’ailleurs engagé à ce qu’il n’y ait pas de coupe ou de modifications s’agissant du quotient familial.

Enfin, il faut en être conscient, si nous touchions à l’universalité des allocations familiales pour les plus hauts revenus, cela rapporterait en fait assez peu. Ce ne serait pas une politique très performante et cela ne conduirait pas à un bouleversement des prestations qui sont d’ores et déjà offertes aux familles.

Tout cela est évidemment examiné de très près. Je le répète, je ne souhaite pas un bouleversement des équilibres actuels. En revanche, j’ai défini des priorités : la parentalité, le soutien aux ruptures et l’intérêt de l’enfant, qui n’apparaît pas toujours assez clairement dans la politique familiale que nous menons. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)

M. le président. La parole est à M. Guillaume Chevrollier.

M. Guillaume Chevrollier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’évolution démographique à laquelle est confrontée l’Europe tout entière, notamment la France, est sans précédent : baisse des mariages, augmentation des divorces, taux de natalité en berne, taux élevé d’avortements, vieillissement de la population.

En France, en 2017, le taux de fécondité s’élève à 1,88 enfant par femme. Nous ne pouvons donc faire l’économie d’une politique nataliste forte et ambitieuse.

Pour les familles ayant de jeunes enfants, la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle apparaît souvent complexe, notamment pour les femmes, bien sûr. La PAJE, la prestation d’accueil du jeune enfant, est un pilier de la politique familiale qui facilite le désir de concilier vie familiale et vie professionnelle. L’allocation contient en effet la prime à la naissance ou à l’adoption, l’allocation de base, la prestation partagée d’éducation de l’enfant, enfin le complément de libre choix du mode de garde, qui permet aux parents qui travaillent de financer la garde de leurs enfants.

Or votre gouvernement a diminué cette allocation, désormais alignée sur le montant du complément familial. La baisse de la PAJE entraîne une perte totale de 500 millions d’euros pour les familles. Selon l’Union nationale des associations familiales, la PAJE a un rôle certain dans l’augmentation du taux d’emploi des femmes.

Le Président de la République a fait de la défense de l’égalité femmes-hommes la grande cause de son quinquennat. Je vois une contradiction entre cette ambition et la casse de la politique familiale menée par votre gouvernement, dans la continuité d’ailleurs du gouvernement précédent. Ma question est donc la suivante : quelle est votre position, madame la ministre ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur Chevrollier, vous m’interrogez sur les choix que nous avons faits dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018, mais vous ne donnez qu’une seule des informations, c’est-à-dire, effectivement, l’alignement du plafond de revenus pour la PAJE.

Nous avons de fait majoré de 30 % le complément de mode de garde pour les familles monoparentales, ce qui était un choix stratégique. Nous avons débloqué la prime de naissance qui était gelée dans cette prestation, soit une augmentation de 18,5 euros par mois. Nous avons aussi aligné l’allocation de base de la PAJE sur le complément familial pour des raisons de lisibilité et de simplification. En effet, les familles ne comprenaient pas pourquoi leur prestation était modifiée lorsque leur enfant atteignait l’âge de trois ans, ni pourquoi le plafond de revenus permettant l’accès à cette prestation changeait.

Je rappelle qu’il n’y a pas de perdants, puisque les modifications des règles d’accessibilité à cette prestation ne concerneront que les seuls enfants nés après le 1er juillet 2018. Nous avons veillé à ce que le montant de la prestation ne diminue pour aucune famille ayant un enfant né avant cette date. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)

M. le président. La parole est à M. Guillaume Chevrollier, pour la réplique.

M. Guillaume Chevrollier. Je vous remercie, madame la ministre. La conciliation entre vie familiale et vie professionnelle doit faire l’objet d’une stratégie globale. Je pense que faire de la politique familiale une variable d’ajustement financier est une erreur. Les parents ont besoin de visibilité et de stabilité concernant les allocations.

Une bonne politique familiale doit soutenir de manière équitable toutes les familles avec enfants, compenser partiellement la perte de niveau de vie et favoriser véritablement la conciliation entre la vie familiale et la vie professionnelle.

M. le président. La parole est à M. Sébastien Meurant.

M. Sébastien Meurant. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis plusieurs années, la politique familiale est le parent pauvre des politiques publiques. Elle semble n’être pensée que comme une variable d’ajustement de la politique de redistribution, bien que les deux choses n’aient rigoureusement rien à voir.

Surtout, la politique familiale, héritage du Conseil national de la Résistance, se réduit chaque année comme peau de chagrin. Les allocations familiales sont désormais distribuées sous condition de ressources. La majoration de retraite pour les mères de trois enfants et plus a disparu. Il est même question de s’attaquer, cela vient d’être dit, au quotient familial. Et je ne parlerai pas du ministère de la famille, qui, depuis quelques années, joue les Arlésiennes.

Le résultat est là, sans appel : le nombre de naissances diminue sans cesse depuis 2015, et l’arrivée à l’Élysée du président Macron n’a pas inversé la tendance, bien au contraire ! (Sourires. – M. Martin Lévrier sesclaffe.)

En un mot, la politique familiale, qui fut longtemps une marque distinctive de la France, disparaît rapidement. J’ajoute que, à l’origine, dans les années vingt, après la Grande Guerre, notre politique familiale avait pour objectif d’encourager la natalité en France et la fécondité des Françaises. Aujourd’hui, ce qui reste de la politique familiale est devenu l’une des innombrables pompes aspirantes de l’immigration. (Murmures sur les travées du groupe socialiste et républicain.) Nous le constatons à Mayotte de manière éclatante.

Certains ministres et parlementaires de gauche ont déclaré que l’objectif de l’État était d’arracher les enfants à leurs déterminismes familiaux, estimant sans doute que l’État était un meilleur éducateur que les parents. Est-ce pour encourager ce déracinement que vous dites détricoter systématiquement notre politique familiale ?

Quoi qu’il en soit, en faisant abstraction des calculs politiciens et des idéologies sectaires, il me semble que, sur l’ensemble des travées de cet hémicycle, nous devrions pouvoir tomber d’accord sur le fait que les parents sont les meilleurs éducateurs pour leurs enfants et que l’État devrait soutenir leurs actions, d’autant que la génération et l’éducation sont les plus beaux investissements que nous puissions faire pour l’avenir du pays.

M. le président. Il faut conclure !

M. Sébastien Meurant. Madame la ministre, le Gouvernement envisage-t-il une nouvelle direction pour notre politique familiale, afin de mettre l’argent des contribuables français au service de la natalité et de l’éducation des Français, au lieu d’en faire une énième pompe aspirante de l’immigration ou une énième source de financement de l’assistanat ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur Meurant, deux de vos affirmations concernant la politique familiale sont fausses, selon moi.

Il est faux de dire que la politique familiale est une variable d’ajustement budgétaire. Elle est au contraire une véritable réussite. Les budgets n’ont cessé d’augmenter. À cet égard, permettez-moi de détailler nos investissements, car c’est ainsi que je les appelle, en faveur des familles aujourd’hui.

La branche famille concentre 50 milliards d’euros de dépenses chaque année. Les autres branches de la sécurité sociale concourent à la politique familiale, notamment via les indemnités journalières et les congés de maternité et de paternité, pour un total évalué à 12 milliards d’euros. Le droit à la retraite issu de ces congés est estimé à 18 milliards d’euros et les dépenses fiscales réalisées via le quotient familial sont de l’ordre de 14 milliards d’euros. On ne peut donc pas dire que la politique familiale française soit chiche. Il est à mon avis injustifié de résumer notre politique familiale à une « pompe aspirante de l’immigration ».

Mais il est également faux de dire qu’il n’y a pas de ministère de la famille ! Mon ministère, celui des solidarités et de la santé, est également celui de la famille. Je suis totalement engagée en faveur de la politique familiale et de la protection de l’enfance. Je ne conçois donc pas que l’on puisse imaginer aujourd’hui que les familles ne seraient pas représentées.

Je vous ai présenté mes priorités ; tout le monde ici les a comprises. Elles ne sont pas financières. Nous voulons être, je le répète, auprès des familles en difficulté, au moment des ruptures. Cela concerne des familles dont les moyens ne sont pas très faibles : les divorces sont une véritable rupture, ainsi que des situations à risques pour toutes les familles.

Nous voulons également soutenir la parentalité, car, je le répète, c’est pour moi un enjeu de cohésion sociale. C’est miser sur l’avenir, en permettant à nos enfants d’être éduqués dans un environnement favorable à leur épanouissement. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)

M. le président. La parole est à M. Marc Laménie.

M. Marc Laménie. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je remercie nos collègues du groupe La République En Marche d’avoir pris l’initiative d’organiser ce débat sur la politique familiale en France, qui est un véritable sujet de société.

La conciliation entre vie professionnelle et vie familiale est un enjeu important, cela a été rappelé. Pour cela, il faut maintenir et amplifier les investissements dans les crèches, les haltes-garderies et les mini-crèches, surtout en milieu rural. Les crèches privées permettent souvent de combler le manque de crèches municipales. C’est bien pour l’entreprise, mais seules les familles disposant d’un certain revenu y ont accès.

La loi de financement de la sécurité sociale prévoit que les caisses d’allocations familiales doivent maintenir et amplifier leur soutien aux places créées dans les crèches collectives, à hauteur de 2 000 euros environ. N’oublions pas que les haltes-garderies des collectivités territoriales, qui offrent des plages horaires souples, permettent à des mères de famille de chercher du travail, de suivre des formations, donc de se réinsérer dans le monde du travail.

Madame la ministre, comment créer des moyens d’accueil suffisants alors que les budgets des caisses d’allocations familiales dédiés au soutien à la création de places dans les crèches semblent baisser ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur Laménie, vous pointez du doigt une réalité de nos territoires : les crèches ne répondent pas aujourd’hui à la totalité des besoins des familles françaises.

Nous devons impérativement diversifier les modes d’accueil, notamment dans les territoires ruraux, où une individualisation est nécessaire. Ainsi, dans certains territoires, qu’ils soient ruraux ou urbains, il faut parfois s’adapter aux horaires décalés des familles. Il est donc impératif de développer des services, modulés autour de la garde d’enfants. Il peut s’agir de mini-crèches, de crèches familiales, de maisons d’assistantes maternelles, d’assistantes maternelles individuelles, lesquelles sont absolument nécessaires dans de nombreux territoires ruraux.

Les modalités de garde d’enfants ont été longuement discutées avec les associations qui gèrent ces différentes crèches, avec les représentants des assistantes maternelles et avec les départements de France. Une politique diversifiée est nécessaire, car le modèle unique de crèches, tel que nous le connaissons en ville aujourd’hui, ne répond pas aux besoins d’un certain nombre de familles. Nous devons mener une politique plus volontariste et plus adaptée. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)

M. le président. La parole est à M. Marc Laménie, pour la réplique.

M. Marc Laménie. Madame la ministre, je vous remercie beaucoup de votre réponse, qui nous éclaire. La lutte contre la pauvreté des familles et des enfants et le soutien à la parentalité sont des sujets de société importants. Ils doivent être des combats permanents.

Je vous remercie de cet engagement, qui est d’ailleurs partagé à tous les niveaux – par l’État, par les collectivités territoriales, par la sécurité sociale et, naturellement, par les familles.

M. le président. En conclusion de ce débat, la parole est à Mme Patricia Schillinger, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)

Mme Patricia Schillinger, pour le groupe La République En Marche. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je vous remercie d’avoir participé à ce débat et à la mise en commun de nos réflexions sur ce sujet primordial et complexe qu’est l’avenir de la politique familiale de notre pays. Ainsi, nous avons pu mettre en lumière de manière élargie à la fois des constats et des visions.

De manière pragmatique, il est nécessaire, d’une part, d’évaluer les évolutions des modèles familiaux français et, d’autre part, de considérer les changements de la politique familiale, qui est passée, au fil des décennies, d’une politique purement nataliste à l’accompagnement des ménages sur les thèmes les plus larges : conciliation entre vie professionnelle et vie familiale, égalité dans la liberté de choix.

L’argument nataliste ne doit plus primer. Manque d’études globales, biais temporel entre l’action politique et l’observation éventuelle, effet sur la natalité, il a toujours été difficile d’établir un lien de cause à effet entre les politiques mises en œuvre et leurs répercussions dans la société.

Que la politique familiale ait, jusqu’ici, eu un effet ou non sur la natalité des Français, celle-ci ne suffit apparemment plus à maintenir le seuil de fécondité au-dessus du seuil symbolique et tant recherché de deux enfants par femme. Dès lors, avec près de quatre-vingts ans de recul, la pertinence de l’objectif nataliste de notre politique familiale est à questionner.

Les échanges constructifs que nous avons eus nous auront permis de partager un constat large, faisant état de la nécessité de la dimension redistributive de la politique familiale, mais aussi de l’accompagnement des familles au moment des incidents de la vie, du peu d’attractivité du congé de paternité et de la faible reconnaissance des professions dites « familiales ».

Aujourd’hui, nous ne pouvons plus nous appuyer sur un modèle familial unique pour construire les politiques familiales de demain. Le nombre croissant des familles recomposées ou monoparentales en est une illustration significative, parmi d’autres. Les familles monoparentales, souvent confrontées à une situation financière précaire, notamment, sont l’une des priorités du Gouvernement.

Plus largement, la stratégie de prévention de la pauvreté du Gouvernement a pour ambition de lutter plus efficacement contre la pauvreté des enfants, donc des familles, quelque 20 % des enfants vivant sous le seuil de pauvreté.

Des visions différentes ont également été exposées pendant nos échanges. Elles alimentent une vue d’ensemble de nos points de vue.

La moitié des femmes passe à temps partiel ou bien cesse son activité rémunératrice après l’arrivée du premier enfant au sein du ménage. Érigée en grande cause nationale, l’égalité entre les femmes et les hommes se joue dans la sphère tant professionnelle que familiale, et les solutions de modes de garde sont bel et bien à la croisée de ces deux mondes. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe socialiste et républicain, du groupe Union Centriste et du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)

M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Comment repenser la politique familiale en France ? »

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures quinze.)

M. le président. La séance est reprise.

5

Communication relative à une commission mixte paritaire

M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur la proposition de loi relative à la mise en œuvre du transfert des compétences eau et assainissement aux communautés de communes et aux communautés d’agglomération n’est pas parvenue à l’adoption d’un texte commun.

6

La politique de concurrence dans une économie mondialisée

Débat organisé à la demande du groupe La République En Marche

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe La République En Marche, sur le thème : « La politique de concurrence dans une économie mondialisée ».

Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.

Je vous rappelle que le représentant du groupe auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.

À l’issue du débat, le groupe auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.

Dans le débat, la parole est à M. Richard Yung, pour le groupe auteur de la demande. (MM. André Gattolin et Jean Bizet applaudissent.)

M. Richard Yung, pour le groupe La République En Marche. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, Adam Smith, Walras, Pareto, Schumpeter et bien d’autres…

M. Jean Bizet. Cela démarre très fort !

M. Richard Yung. Nous avons quelques souvenirs de l’université ! (Sourires.)

Les économistes, disais-je, ont mis en lumière les vertus de la concurrence, outil essentiel au bon fonctionnement d’une économie, en ce qu’elle génère une baisse des prix, améliore la qualité des produits et stimule l’innovation. Nous savons bien sûr que ce sont des modèles théoriques et que, dans la pratique, les choses ne se passent pas tout à fait comme cela.

Au sein d’une économie mondialisée, la concurrence entre les entreprises de différents pays est rendue possible grâce au libre-échange, qui permet de baisser les barrières de l’échange, les obstacles non tarifaires, les normes, par exemple en matière de santé, de sécurité, mais aussi la propriété intellectuelle. Il permet en théorie aux pays de se spécialiser en fonction de leur productivité – c’est ce que l’on appelle l’avantage comparatif – et aux consommateurs d’avoir accès à un large éventail de biens et de services.

Le libre-échange a pourtant bien peiné à s’imposer. Après plusieurs siècles de protectionnisme, il a fallu attendre véritablement la fin de la Seconde Guerre mondiale pour que les freins au commerce international soient réduits, à l’exception notable du Zollverein, qui a permis l’unification de l’Allemagne au travers de son unification douanière.

La France elle-même a toujours eu un problème avec la mondialisation, considérée souvent comme négative ou dangereuse. Au contraire, les Pays-Bas, par exemple, ont constamment fait du commerce extérieur le principal moteur de leur développement économique.

La mondialisation telle que nous la connaissons aujourd’hui a engendré des géants économiques qui opèrent sur les différents marchés du monde. La position dominante de ces multinationales constitue un réel avantage, dont celles-ci abusent d’ailleurs trop souvent afin de restreindre l’accès au marché d’autres concurrents.

Le rôle d’une autorité de la concurrence efficace doit être de sanctionner ces pratiques. C’est ce que fait l’autorité de la concurrence française, qui a notamment réussi dans le domaine de l’internet mobile en 2012.

Sur le plan européen, la pratique de la commissaire européenne à la concurrence mérite notre considération, puisque celle-ci a prononcé l’une des peines les plus lourdes en matière d’abus de position dominante, avec une amende de 2,4 milliards d’euros infligée à Google il y a à peine un an.

Malgré ces avancées, force est de constater que la situation demeure critique. Nous avons encore de grands progrès à réaliser, même si, avec le développement de l’OMC, nous espérions une régulation des flux commerciaux internationaux, un accès des pays les plus pauvres aux marchés et la résolution de différends. La pratique est plus décevante.

La planification fiscale est pratiquée par certains États ; nous en connaissons un certain nombre en Europe qui ont recours au dumping fiscal, afin d’attirer des entreprises sur leur sol. Cette politique peu morale, bien que la morale n’ait pas grand-chose à faire avec ces questions, et ce traitement de faveur s’appuient sur des failles juridiques et posent un double problème : la difficile émergence d’acteurs européens compétitifs et, bien sûr, le manque à gagner pour les États.

Nous devons aussi nous pencher sur les subventions étatiques non déclarées. Je pense à la Chine, dont les producteurs d’acier et d’aluminium tirent avantage de larges aides publiques ; sur ce point, Donald Trump n’a pas tout à fait tort. Ceux-ci ne sont en outre pas soumis aux mêmes contraintes en matière d’émission de CO2 que leurs concurrents européens. Même si elle peut entraîner une baisse des prix pour le consommateur, cette concurrence déloyale ne peut avoir que des effets négatifs sur le long terme.

La situation est difficile entre l’Union européenne et ses plus proches partenaires, à savoir les États-Unis et la Chine, dans le domaine de l’accès aux marchés publics. Nous avons bien des difficultés à accéder aux marchés publics américains et plus encore chinois, alors que nos marchés publics sont largement ouverts.

Doit-on considérer que les secteurs d’une économie nationale, y compris ceux qui présentent un intérêt stratégique particulier, doivent être ouverts sans discrimination à la concurrence étrangère ? Nos partenaires chinois et américains ont adopté un certain nombre de mesures restrictives. L’Allemagne et la France demandent depuis trois ans à l’Union européenne de prendre des mesures en la matière, mais ce n’est pas encore chose faite.

La France joue un rôle actif. Nous l’avons fait pour la directive sur les travailleurs détachés. Nous le faisons en essayant d’instaurer une taxe sur le chiffre d’affaires des géants du numérique, qui devrait rapporter entre 3 milliards et 5 milliards d’euros, mais celle-ci est difficile à mettre en œuvre.

Concernant la préservation de nos intérêts stratégiques, l’extension du décret dit « Montebourg » constitue également une avancée positive. Prévue dans le cadre du futur Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises, le projet de loi PACTE, elle obligera les investisseurs étrangers à obtenir une autorisation de Bercy pour investir en France dans des secteurs comme l’intelligence artificielle, le domaine spatial, le stockage de données, les technologies les plus modernes.

Enfin, je citerai le Buy European Act, l’équivalent du Buy Americain Act pratiqué aux États-Unis, qui figurait dans le programme d’Emmanuel Macron.

Vous l’avez compris, mes chers collègues, beaucoup a été réalisé en peu de temps afin que notre politique de concurrence soit refondée. Le Gouvernement a montré sa volonté de faire évoluer la situation au niveau national et international, mais force est de constater que beaucoup d’obstacles se dressent sur notre route. La question se pose désormais de savoir comment surmonter ceux-ci pour atteindre notre objectif d’un modèle de concurrence équitable et durable.

C’est, je l’espère, ce que nous permettra de clarifier le débat de cet après-midi. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe Union Centriste. – M. Gérard Longuet applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie et des finances. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur Richard Yung, je suis très heureuse d’être aujourd’hui avec vous pour débattre d’un sujet qui est au centre de nos réflexions économiques : la politique de la concurrence, notamment son évolution dans le contexte de la mondialisation de notre économie.

La concurrence est une caractéristique intrinsèque de nos économies de marché : sans concurrence, pas de nouveaux entrants, pas de nouveaux produits, pas de mécanisme efficient de formation du prix. Sans concurrence, c’est la logique de la rente qui s’installe.

La politique de concurrence ne bénéficie pas seulement au consommateur : quand elle est bien utilisée, elle permet de faire progresser l’économie dans son ensemble, en faisant respecter l’ordre public économique.

Comme vous l’avez très bien dit, monsieur le sénateur, ce débat a passionné plusieurs générations d’économistes, et il prend un relief nouveau avec la construction européenne et l’approfondissement du marché intérieur, avec l’irruption de la mondialisation comme fait économique majeur ces dernières décennies et, très récemment, avec certaines décisions d’un grand partenaire commercial de la France.

Permettez-moi de commencer par cette actualité récente. Le 8 mars dernier, le président Donald Trump a annoncé la mise en place de droits de douane additionnels sur les importations américaines d’acier et d’aluminium pour des motifs de protection de la sécurité nationale.

L’effet de ces mesures va essentiellement se faire sentir sur les alliés des États-Unis, qui sont les principaux fournisseurs de ce pays dans ces deux secteurs : l’Union européenne, mais aussi le Brésil, le Canada, l’Argentine, le Mexique ou la Corée.

L’Union européenne a instantanément fait valoir une position ferme, par la voix de la Commission, avec le plein soutien de la France et, unanimement, de tous les États membres.

Certes, nous savons que des surcapacités existent dans ces secteurs, mais nous n’en sommes pas l’origine. En outre, l’Europe est un allié des États-Unis et non une menace pour leur sécurité. En tout état de cause, des mesures unilatérales prises par un État en contradiction avec les règles de l’OMC ne sont pas une solution à un problème d’ordre structurel.

L’administration Trump a accepté une exemption temporaire de plusieurs États, dont l’Union européenne, qui a été renouvelée le 30 avril, jusqu’au 1er juin prochain. Néanmoins, l’Union européenne reste ferme et demande aux États-Unis une exemption permanente et inconditionnelle des mesures sur l’acier et l’aluminium, car nous refuserons, bien sûr, toute négociation commerciale sous la menace.

Parallèlement, nous nous sommes mis en capacité de répondre, conformément au droit de l’OMC, aux mesures qui seraient éventuellement mises en œuvre par les États-Unis, à la fois par la saisine de l’organe de règlement des différends à l’OMC, la mise en place de mesures de sauvegarde pour protéger l’industrie européenne de l’acier et des mesures de compensation sur des produits américains ciblés.

Enfin, et c’est très important, nous restons ouverts à un dialogue avec les États-Unis sur le futur de l’OMC et sur un renforcement des règles de concurrence mondiale, en particulier sur le contrôle des subventions industrielles. Voilà une illustration concrète, qui continue de fortement mobiliser le Gouvernement, des enjeux mondiaux de la concurrence dans le commerce international.

Plus généralement, la France considère que les règles du commerce mondial, telles qu’elles résultent des accords fondateurs de l’OMC datant de 1994, ne répondent que partiellement à la situation d’aujourd’hui. Le fait que certains membres de l’OMC continuent de développer des politiques industrielles reposant sur des systèmes de subventions massives et d’avantages considérables donnés à leurs entreprises nationales constitue bien sûr l’un des principaux défis posés à la compétitivité de nos entreprises et de nos économies.

Nos entreprises ne luttent pas toujours à armes égales. Il est donc nécessaire de lutter collectivement contre les surcapacités et de discipliner bien davantage, au niveau multilatéral, les pratiques de subventions massives développées et amplifiées ces dernières années par certains États.

Les surcapacités concernent potentiellement de très nombreux secteurs, y compris des secteurs de haute technologie industrielle, comme les batteries automobiles.

Le cadre multilatéral est alors indispensable. Le renforcement des disciplines multilatérales dans le cadre de l’OMC est un enjeu prioritaire sur lequel l’Union européenne, les États-Unis, mais également les puissances émergentes et les pays en développement doivent travailler ensemble.

Par ailleurs, la construction d’une « Europe qui protège », voulue par la France, appelle des instruments européens robustes en matière commerciale, car l’Union européenne doit non seulement contribuer au renforcement des règles multilatérales, mais également renforcer ses propres instruments dédiés à la protection de ses intérêts légitimes, dans le strict respect des règles de l’OMC.

Or nous avançons : l’Union européenne vient d’adopter une réforme de ses instruments de défense commerciale, dont les deux principaux piliers sont en train d’entrer en vigueur. La nouvelle méthode antidumping de l’Union nous permettra de maintenir des instruments de protection justes et proportionnés, mais parfaitement efficaces pour contrer les pratiques commerciales déloyales. De plus, l’Union s’apprête à publier une réforme de « modernisation des instruments de défense commerciale », qui permettra de renforcer l’arsenal de défense européen. Ce dernier sera rendu plus efficace, plus réactif et plus transparent.

D’autres projets méritent d’être signalés pour rétablir des conditions de concurrence équilibrées : le règlement sur l’examen des investissements étrangers en Europe, le règlement relatif à la mise en place d’un instrument de réciprocité dans les marchés publics et l’instauration d’un « procureur » commercial européen.

Toutefois, notre politique de la concurrence ne doit pas seulement se contenter de s’adapter à la mondialisation. Elle doit aussi répondre aux nouveaux défis que représentent les acteurs du numérique.

Vous avez mentionné, monsieur Yung, le cas emblématique des GAFA. Ces nouveaux acteurs, tout en ayant pu stimuler la concurrence et répondre aux attentes des consommateurs, requièrent de nouvelles approches. Nous avons appelé de nos vœux une initiative européenne pour tenir compte de cette économie des plateformes.

D’une part, le marché unique numérique reste, à ce stade, dominé par des acteurs extraeuropéens, ce qui implique que l’Europe doit résolument adopter une stratégie offensive afin de permettre l’émergence d’acteurs européens leaders. D’autre part, sur certains marchés de plateformes B to B, l’existence de dysfonctionnements majeurs fortement préjudiciables à l’efficacité des marchés concernés a été mise à jour.

Dans ce contexte, il importe d’appréhender au mieux les relations contractuelles entre acteurs économiques du numérique, notamment pour protéger les PME face aux incontournables mastodontes du marché.

Notre droit français des pratiques restrictives de concurrence est en pointe pour appréhender certaines pratiques des acteurs du numérique, à l’instar de celles de la grande distribution. Sur ce fondement ont été condamnées les sociétés Booking et Expedia, pour des pratiques déloyales à l’encontre des hôteliers français. Nous avons assigné, avec Bruno Le Maire, Amazon, Google et Apple pour pratiques commerciales déloyales liées au fonctionnement des places de marché ou aux magasins d’applications.

Nous plaidons pour que l’Union européenne se dote, elle aussi, d’un cadre juridique adapté. Il faut saluer l’initiative de la Commission européenne de proposer un règlement européen qui mettrait en place un encadrement renforcé des plateformes numériques en Europe.

Par ailleurs, vous le savez, la France porte avec beaucoup d’énergie le débat sur la fiscalité, qui est bien évidemment un enjeu majeur de régulation de l’activité des GAFA.

Les géants du numérique paient peu ou pas d’impôts dans la plupart des États où ils déploient leur activité et réalisent des bénéfices. Cette situation pose un problème d’équité et mine le fonctionnement du marché intérieur. À cet égard, la proposition de la Commission de taxe sur les services du numérique a permis d’engager la discussion très concrètement avec nos partenaires européens.

Ces deux exemples montrent combien nous sommes actifs, nous réfléchissons, nous nous adaptons, nous travaillons, pour que notre politique de concurrence soit pleinement ancrée dans l’actualité et dans les enjeux d’aujourd’hui.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je me tiens à votre disposition pour répondre à vos questions sur tous les points spécifiques que vous voudrez aborder. (Applaudissements.)

Débat interactif

M. le président. Mes chers collègues, madame la secrétaire d’État, je rappelle que chaque orateur dispose au maximum de deux minutes pour présenter sa question, avec une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.

Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition toutefois qu’il ait scrupuleusement respecté le temps de parole de deux minutes imparti pour présenter sa question.

Par rapport à cette règle claire établie par la conférence des présidents, je suis prêt, comme dans le débat précédent, à ajouter un battement de dix secondes : dès lors que l’auteur de la question ne dépasse pas son temps de parole de plus de dix secondes, il a un droit de réplique de vingt secondes.

Dans le débat interactif, la parole est à Mme Colette Mélot.

Mme Colette Mélot. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis que l’Europe est l’Europe, la politique de concurrence est inscrite dans son ADN économique.

Le traité de Rome, à l’origine de la Communauté économique européenne, prévoyait déjà, en 1957, que la politique de concurrence est une prérogative communautaire. C’est ainsi que, depuis plus d’un demi-siècle, les autorités européennes travaillent à offrir aux citoyens européens la meilleure gamme de produits au meilleur prix, à l’appui d’un environnement concurrentiel pour les entreprises.

Le secteur de l’économie numérique ne peut échapper à cette mise en concurrence. Aujourd’hui, en raison des effets de réseaux, quelques grands opérateurs dominent le marché européen : les GAFA – Google, Apple, Facebook, Amazon – et les NATU – Netflix, Airbnb, Tesla et Uber – sont installés sur le marché et freinent l’entrée des PME et des TPE. De nombreuses professions traditionnelles craignent en effet que leur entrée sur le marché du numérique et leur transformation digitale ne les fassent disparaître à très court terme du marché.

Les pouvoirs publics ne sont pas pour autant démunis face à cette situation. En 2015, quatre économistes du Conseil d’analyse économique publiaient une note intitulée Économie numérique, faisant état de plusieurs propositions pour ouvrir le secteur de l’économie numérique à la concurrence. Évolution des réglementations en vigueur, soutien aux expérimentations pratiques, ouverture des données publiques et partage des données privées, toutes ces solutions sont des pistes pour l’avenir.

Madame la secrétaire d’État, ma question est simple : face au gigantisme des entreprises du numérique, quelles solutions le gouvernement français envisage-t-il pour accompagner les autorités européennes dans sa politique de concurrence appliquée au secteur du numérique ? J’ai conscience que vous avez précédemment apporté des éléments de réponse, mais pourriez-vous nous donner quelques compléments d’information ?

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie et des finances. Madame Mélot, je vous remercie de votre question. Comme je le disais, le numérique ne doit pas faire exception ; il doit y régner de bonnes pratiques de concurrence. Nous ne devons pas laisser prospérer des situations anormales d’abus de position dominante ou de rentes de situation, préjudiciables aux nouveaux entrants, à l’innovation et, in fine, à notre économie.

Au niveau national, j’ai évoqué l’action du Gouvernement, en particulier les condamnations des sociétés Booking et Expedia, ainsi que les procédures lancées contre Amazon, Google et Apple pour des pratiques commerciales jugées déloyales.

Au niveau européen, de récentes décisions ont également confirmé la mobilisation de la Commission européenne, notamment celles contre Google ou contre Apple.

Pour autant, nous devons continuer à renforcer notre arsenal juridique, et cela passe d’abord par le rétablissement d’une juste concurrence fiscale.

C’est tout l’objet des orientations que nous poussons au niveau européen, avec Bruno Le Maire, pour une juste fiscalisation des GAFA. Il existe une initiative de la Commission européenne, que le Gouvernement soutient très fortement, en vue de proposer un règlement européen en faveur d’un encadrement renforcé des plateformes numériques en Europe. La France a été précurseur en la matière, notamment avec la loi pour une République numérique. Il convient de porter ces avancées au niveau européen, pour rééquilibrer les rapports de force entre les plateformes, parfois monopolistiques, et les fournisseurs de ces dernières.

Enfin, nous devons poursuivre la réflexion sur les critères autres que le chiffre d’affaires pour l’examen des concentrations, afin de capter certaines transactions dans le domaine du numérique, du type du rachat de WhatsApp par Facebook. Certains États membres, comme l’Allemagne ou l’Autriche, ont déjà fait évoluer leur réglementation en la matière, et nous avons nous-mêmes des réflexions en cours à ce sujet.

M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot, pour la réplique.

Mme Colette Mélot. Madame la secrétaire d’État, je vous remercie de ces compléments. Sur ce sujet, vous le savez, les PME et les TPE sont véritablement dans l’attente de réponses du ministère de l’économie. C’est une question d’équité : il faut absolument que les GAFA soient traités comme les autres entreprises de l’Union européenne. Je vous remercie d’y veiller.

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty.

M. Jean-Marc Gabouty. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, pas une semaine ne passe sans que la politique de concurrence dans l’économie mondiale soit sous le feu de l’actualité, en ce sens qu’elle est souvent utilisée comme un outil pour déployer des politiques publiques ou subordonnée à des décisions géostratégiques.

Par ailleurs, la définition de la politique de concurrence varie d’un État à l’autre, voire d’un continent à l’autre, et affecte les entreprises publiques et privées, ce qui rend l’approche tout particulièrement délicate et a nécessairement des conséquences sur les stratégies d’implantations industrielles et commerciales.

L’équilibre à trouver entre, d’une part, la lutte contre le protectionnisme parfois clairement affiché de certains États, l’entente ou la concurrence déloyale, que vous avez vous-même évoquée, madame la secrétaire d’État, et, d’autre part, l’intérêt des consommateurs et la liberté d’entreprendre est un exercice complexe, qui, certes, ne peut déboucher que sur des résultats imparfaits.

À ce jour, quelques bassins géographiques au sein d’organisations régionales connaissent de longue date ces situations ou prennent des initiatives louables pour concilier ces impératifs avec des règles particulièrement transparentes. Je pense bien entendu, en premier lieu, à l’Union européenne, qui a fait de la politique de la concurrence un pilier de sa construction.

Il ne faut pas cependant que cet effort éthique de la France et des pays de l’Union européenne cède à une forme de naïveté, qui ne ferait que pénaliser nos économies et empêcher la constitution de champions européens, dont l’émergence est particulièrement souhaitable dans le cadre d’une concurrence mondialisée.

Ma question portera sur la manière d’aborder, sur le plan éthique et sur le plan opérationnel, de graves atteintes au droit légitime des entreprises de librement commercer face à des décisions de boycott décrétées de façon unilatérale par certains pays. Je pense en particulier à des pays dits « amis », comme les États-Unis, qui veulent empêcher toute entreprise d’entretenir des relations d’affaires avec l’Iran, et ce au mépris de l’ensemble des règles internationales, puisque leurs décisions politiques et économiques ont un caractère totalement unilatéral.

Quelle réponse apporter à cette difficulté majeure, qui, en dehors de son caractère néfaste sur le plan géopolitique et en termes de sécurité, est la manifestation d’une attitude impérialiste et constitue une entrave insupportable à la liberté du commerce et des échanges ? (MM. Pierre Louault, Marc Laménie et Sébastien Meurant applaudissent.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie et des finances. Monsieur Gabouty, sur ce sujet en effet d’une brûlante actualité, les ministres Bruno Le Maire et Jean-Yves Le Drian on fait le point avec les entreprises concernées.

Il s’agit de disposer, au niveau national, d’une évaluation du risque encouru et des positions des uns et des autres pour en discuter avec les États-Unis et protéger les intérêts légitimes de nos entreprises, sachant toutefois que ce sera, in fine, à ces opérateurs privés de prendre la décision de rester ou non en Iran.

Bien évidemment, pour trouver une réponse au bon niveau, c’est au sein de l’Union européenne que nous devons travailler et réfléchir à l’impact de telles sanctions extraterritoriales. L’Europe doit affirmer sa souveraineté économique. Pour cela, nous allons travailler sur trois pistes.

Premièrement, il convient de renforcer les outils existants pour empêcher l’application de lois extraterritoriales et protéger nos entreprises. S’il existe un règlement européen de blocage, publié en 1996, celui-ci n’est pas parfait et doit donc être révisé, renforcé, afin d’inclure les dispositions sur l’Iran.

Deuxièmement, il importe de créer les moyens de notre autonomie financière, car le financement de nos entreprises et de leurs investissements dans cette zone est le nerf de la guerre. Nous devons donc mettre en place des instruments de financement européens ad hoc quand les canaux traditionnels ne peuvent plus être utilisés.

Troisièmement, et enfin, il nous faut nous donner les moyens de parler d’égal à égal avec les États-Unis, en particulier avec l’OFAC américain, le bureau qui fait partie du Trésor, met en œuvre les sanctions et poursuit les entreprises. Nous réfléchissons à la création d’un OFAC européen.

En un mot, nous devons nous donner les moyens, en Europe, de façon autonome, de pouvoir continuer à commercer avec les pays et dans des conditions que nous estimons légitimes.

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty, pour la réplique.

M. Jean-Marc Gabouty. Je vous remercie de votre réponse, madame la secrétaire d’État. Vous nous dites – c’est un constat que nous partageons et nous en sommes tous responsables – que nous sommes désarmés pour répondre effectivement au diktat américain, puisque nous n’avons pas, jusqu’à présent, mis en place les moyens nécessaires.

Cela aura comme traduction, par exemple, le retrait de Total du premier projet gazier iranien, dans lequel l’entreprise détenait 51 %. Elle va laisser sa part à l’actionnaire n° 2, qui est une compagnie chinoise… Loin d’être uniquement une affaire privée, c’est pour moi une affaire d’État, et je ne suis pas sûr que M. Trump soit sensible aux câlins ou aux accommodements. Si nous en avions les moyens, il serait peut-être plus sensible à la menace qu’à autre chose. (M. Sébastien Meurant applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Jean Bizet.

M. Jean Bizet. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la politique de concurrence est une dimension historique fondamentale de la construction européenne depuis les années cinquante.

Seule une concurrence libre et non faussée permet au marché unique de fonctionner efficacement et de produire pleinement ses effets, qu’il s’agisse de la dynamisation des entreprises, de l’accroissement de la compétitivité ou de la baisse des prix pour les consommateurs.

Or nous sommes aujourd’hui confrontés à plusieurs défis : tout d’abord, l’accélération des évolutions de l’environnement économique international ; ensuite, l’émergence de nouveaux acteurs, dont les pratiques sont parfois discutables au regard des principes de concurrence ; enfin, le développement des échanges matériels et immatériels. Autant d’éléments qui doivent conduire l’Union européenne à adapter sans plus tarder sa politique de concurrence.

Je prendrai l’exemple de son approche en matière de contrôle des concentrations d’entreprises. Vous le savez, trop souvent, nos entreprises sont empêchées de se rapprocher de partenaires européens dans des secteurs-clés.

M. Gérard Longuet. C’est vrai !

M. Jean Bizet. Elles sont condamnées à rechercher des alliances extraeuropéennes. C’est la condition pour atteindre une taille critique qui leur permette d’affronter la concurrence internationale.

L’Europe perd ainsi le contrôle des technologies qu’elle a elle-même créées. Elle devient dépendante des centres de décision étrangers ; sa souveraineté économique est fragilisée. Voilà tout simplement mise en cause une approche datée, restrictive, d’une politique de la concurrence, qui doit changer d’échelle de référence.

La commission des affaires européennes du Sénat le répète depuis longtemps, cessons d’être naïfs, cessons de mettre en œuvre une vision inadaptée du marché pertinent. Cette approche erronée empêche l’émergence de champions européens capables d’affronter la compétition internationale.

Madame la secrétaire d’État, pouvez-vous nous dire comment le Gouvernement entend faire évoluer les approches européennes en la matière, dans un domaine qui relève de la compétence exclusive de l’Union ?

Au-delà, quelles sont les perspectives de rééquilibrage de la concurrence au niveau international, alors que des États interviennent directement au soutien de leurs entreprises nationales, tant en matière d’investissements directs étrangers qu’en matière d’offres de service ? Et je ne ferai que mentionner la dimension anticoncurrentielle de l’application extraterritoriale des lois américaines ; ce sujet mériterait un débat à lui tout seul. (M. Sébastien Meurant applaudit.)

M. Gérard Longuet. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie et des finances. Monsieur Bizet, je ne reviendrai pas sur les évolutions que nous sommes en train d’encourager pour ce qui concerne les plateformes numériques.

S’agissant de la réponse à apporter à la politique extraterritoriale américaine, je me concentrerai sur les nouveaux thèmes que vous avez évoqués. Avoir des champions industriels au niveau européen est évidemment un objectif qui nous tient à cœur. Le Gouvernement a montré d’ailleurs qu’il était prêt à l’action, à l’occasion d’opérations récentes de rapprochement.

C’est un sujet que nous continuerons à porter dans le cadre de la promotion d’une politique européenne industrielle. Il importe vraiment que l’Europe ait une vision industrielle, qui nous conduise à identifier les voies menant à la création de ces champions dont nous avons besoin pour renforcer notre tissu européen et garantir de façon pérenne son ancrage sur notre continent.

Par ailleurs, dans le droit fil du souhait du Président de la République de construire une Europe qui protège, les instruments de défense en matière de politique commerciale sont renforcés et rendus plus efficaces, plus réactifs et plus transparents.

Nous continuerons à soutenir des mesures allant dans le sens d’un renforcement des instruments de défense commerciale, notamment en poussant à l’adoption du règlement sur les investissements étrangers au niveau de l’Union européenne, à l’adoption d’un règlement relatif à la mise en place de la réciprocité dans les marchés publics et à l’instauration du procureur commercial européen.

Au niveau national, notre arsenal en matière de contrôle des investissements étrangers va également être renforcé dans le cadre de la future loi PACTE, comme l’a annoncé le Premier ministre : davantage de secteurs seront soumis à la procédure de contrôle, et les sanctions prononcées seront plus crédibles et efficaces.

M. le président. La parole est à M. Georges Patient.

M. Georges Patient. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous parlons de « concurrence libre et non faussée », objectif inscrit dans le préambule du traité fondant la Communauté économique européenne. On ne peut nier, plus de soixante ans après, les retombées positives de cette vision économique.

Pour autant, il existe des territoires français, européens, restés à l’écart, qui, eux aussi, rêvent de prospérité et attendent leurs « trente glorieuses ». Les territoires ultramarins, puisqu’il s’agit d’eux, restent coincés dans une dépendance économique quasi exclusive avec la France ou l’Union européenne, à l’écart de leur environnement régional.

En effet, si l’accord de Cotonou, adopté en 2000 entre l’UE et les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique – les pays ACP –, donne à ces pays un large accès préférentiel au marché de l’Union européenne, puisque 92 % de leurs produits y entrent en franchise de droits de douane, cet accord est asymétrique, sans réciprocité. Conséquence : les entreprises ultramarines se retrouvent concurrencées par des produits issus des pays ACP bénéficiant des mêmes conditions d’accès au marché européen, souvent subventionnés par l’Europe, fabriqués selon des normes sociales et environnementales beaucoup moins contraignantes, sans pour autant voir en contrepartie s’ouvrir à elles de nouveaux marchés.

Nous sommes donc arrivés à un paradoxe, dans lequel l’Europe, partant d’une volonté louable de faire de l’aide au développement fondée sur le commerce et la libération des échanges, a organisé une concurrence déloyale et complètement faussée au détriment de nos outre-mer.

Personnellement, j’ai vu s’effondrer la riziculture en Guyane, soumise à la réglementation européenne et française, quand, dans le même temps, à quelques kilomètres de là, elle se développait au Suriname. Aujourd’hui, vous trouvez du riz du Suriname dans tous les supermarchés européens, alors que le riz de Guyane a disparu.

Madame la secrétaire d’État, l’accord de Cotonou arrive à son terme en février 2020 et les négociations entre l’UE et les pays ACP doivent commencer, au plus tard, en août de cette année. Pouvez-vous nous assurer que, cette fois, les régions ultrapériphériques ne seront pas les laissés-pour-compte de ces négociations ? (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie et des finances. Monsieur Patient, le nouvel accord que vous mentionnez, dont le mandat de négociation sera prochainement adopté par le Conseil, doit remplacer le cadre actuel de l’accord de Cotonou, qui structure la relation entre l’Union européenne et les pays ACP et qui prendra fin en 2020. Ce mandat porte sur la négociation, par la Commission, du futur accord de dialogue politique avec les pays ACP.

Dans le cadre des discussions sur ce mandat, la France se montre attentive au traitement des régions Caraïbes et Pacifique, au sein desquelles la présence de pays et territoires d’outre-mer et de régions ultrapériphériques constitue une opportunité pour l’UE de consolider une approche régionale du développement.

Les autorités françaises ont proposé que les territoires ultramarins et les régions ultrapériphériques soient associés à la mise en œuvre de l’accord et que des modalités spécifiques soient prévues pour le développement de projets de coopération conjoints entre les territoires ultramarins, les pays ACP et les régions ultrapériphériques.

M. le président. La parole est à M. Joël Bigot.

M. Joël Bigot. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je remercie le groupe La République En Marche d’avoir proposé l’organisation de ce débat. Il est en effet intéressant de nous interroger sur notre politique de concurrence, qui mérite peut-être mieux que des mesures de dumping fiscal, telles que la suppression envisagée de l’exit tax.

Au-delà du paradigme concurrentiel mis en avant par le Gouvernement, je souhaiterais évoquer un autre paradigme qui devrait recueillir toute votre attention : je veux bien sûr parler d’environnement, madame la secrétaire d’État. C’est un domaine souvent évoqué par le Président de la République dans ses discours, mais dont on peine à voir les réalisations concrètes.

Les récentes interrogations du ministre de la transition écologique et solidaire sur la feuille de route écologique du Gouvernement démontrent que le « nouveau monde » ne sera pas si vert, si ce n’est de façade. Par exemple, les accords internationaux de libre-échange risquent d’entraîner une harmonisation par le bas des normes environnementales.

Où en est-on, madame la secrétaire d’État, du projet de « veto climatique », qui permettrait d’empêcher des intérêts privés supranationaux de contourner la loi en matière d’obligations environnementales ? Vous le savez, les tribunaux d’arbitrage, chargés de régler les différends entre États et investisseurs, peuvent être un instrument dévastateur pour nos législations. Regardons la réalité en face. Ce veto, très attendu par la société civile, garantirait la primauté de l’accord de Paris sur le climat sur d’autres accords internationaux, tels que le CETA et, demain, le Mercosur.

Où en sont les négociations européennes sur ce veto climatique, que Nicolas Hulot défendait à l’automne dernier ?

Dans le climat de guerre économique actuel, que je qualifierai, pour paraphraser François Mitterrand, de « guerre sans mort, mais de guerre à mort », quelles sont les options choisies par le Gouvernement pour faire du développement soutenable ou durable au mieux un nouveau paradigme, au moins un garde-fou de notre politique de concurrence ?

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie et des finances. Monsieur Joël Bigot, je reviens sur cette préoccupation que vous mentionnez, celle de ne pas voir minés, au travers des accords et échanges commerciaux que nous concluons avec nos partenaires, les enjeux et les objectifs environnementaux que nous nous fixons.

C’est bien un débat qui a émergé au moment de la signature de l’accord CETA et qui a amené le Gouvernement à prendre des positions très en pointe s’agissant des objectifs, sur le fait que les valeurs environnementales et les objectifs environnementaux de l’Union européenne doivent être pleinement reflétés dans sa politique commerciale et dans les futurs accords qui seront négociés par l’Europe.

Sur ce sujet, je puis vous assurer que nous travaillons avec la Commission européenne et que nous poussons cette idée, largement reconnue. Nous avons d’ores et déjà obtenu, dans le cadre des discussions en cours avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande, l’inscription de ce sujet à l’ordre du jour, de telle sorte que ces nouveaux accords commerciaux puissent tenir compte de la feuille de route sur le CETA voulue par la France.

M. le président. La parole est à M. Fabien Gay.

M. Fabien Gay. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, en optant pour une économie de marché et une libéralisation de l’ensemble des secteurs industriels, l’État, sous l’impulsion européenne, a laissé notamment libre cours au dumping social.

Ainsi, dans les entreprises industrielles, de nombreuses restructurations ont eu lieu ; la valeur du travail a été niée, au profit de la rémunération de l’actionnariat privé. Les délocalisations et les licenciements boursiers se sont multipliés, alors que l’État devrait les interdire.

Il nous paraît essentiel de renoncer au dogme, aujourd’hui infondé, de la concurrence libre et non faussée. La concurrence n’est pas la seule loi naturelle du marché. La réglementation et la régulation lui sont tout aussi nécessaires. En effet, les échanges marchands ont gagné une telle ampleur qu’ils ne répondent plus aux besoins humains et ne favorisent que des gains financiers déconnectés de l’économie réelle.

C’est pourquoi il est impératif de respecter et de revaloriser nos services publics, voire de réaffirmer la notion de service public à la française, comme le droit de l’Union européenne nous y autorise. Cela implique de protéger les infrastructures essentielles, de reconnaître que certains biens et secteurs – énergie, transport, santé, éducation, la liste n’est pas exhaustive – sont non pas des marchandises, mais des biens communs de l’humanité.

Or la Commission européenne a négocié un nombre important d’accords de libre-échange avec des partenaires extérieurs. Loin de mettre en avant des clauses de réciprocité sociale et environnementale, ces accords tendent à niveler par le bas nos standards nationaux et européens. Dès lors, une question se pose : ces différents accords servent-ils pleinement les intérêts des citoyens et des entreprises ?

D’un point de vue juridique, une politique de concurrence doit s’appuyer sur un réseau de contrôle efficace sur tout le territoire, sur un renforcement des moyens et des compétences de la répression des fraudes. Il doit aussi renforcer le droit de la concurrence dans son volet répression. Or le mouvement de dépénalisation du droit des affaires et du droit de la concurrence fragilise le rôle de l’État, gardien de l’ordre public économique.

Une politique de concurrence doit savoir protéger les entreprises, en particulier les PME et les TPE. Dans cette perspective, cela fait plusieurs années que nous appelons à un Small Business Act à la française.

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie et des finances. Monsieur Gay, je ne pense pas qu’il faille laisser s’installer l’idée qu’il y aurait un dogme de la concurrence libre et non faussée. En revanche, il existe des règles dont l’objet est de garantir le bon fonctionnement des marchés au bénéfice de l’emploi, de la croissance et des consommateurs. Le Président de la République a d’ailleurs insisté sur la nécessité de ne pas faire preuve de naïveté en matière de concurrence.

Cette approche, qui vise à garantir la coexistence entre les mécanismes de marché et les activités économiques d’intérêt général, est une constante historique de notre action européenne. La France a toujours promu ce modèle, qui préserve les services publics, et elle a plutôt réussi, le droit européen de la concurrence s’étant largement inspiré du droit français.

C’est d’ailleurs sous l’impulsion de la France que la notion de service d’intérêt général économique a été consacrée par le droit de l’Union européenne, dans les traités. Un exemple de conciliation de ces deux orientations réside dans le rôle joué par l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières, l’ARAFER, pour réguler le marché du transport par autocar, avec comme souci de préserver la qualité et la continuité du service public.

S’agissant du rôle de l’État comme régulateur et garant de l’ordre public économique, nous restons pleinement mobilisés, je vous l’assure. La DGCCRF est extrêmement active et elle a à cœur d’utiliser les nouveaux outils à sa disposition, en particulier les sanctions renforcées de la loi Sapin.

M. le président. La parole est à M. Pierre Louault.

M. Pierre Louault. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les accords commerciaux entre l’Union européenne et un certain nombre de pays – Canada, Nouvelle-Zélande, Australie, Brésil – posent le problème de l’harmonisation et de la cohérence des normes et principes sociaux, sanitaires et environnementaux auxquels les produits agricoles sont soumis.

Des contraintes importantes sont aussi une garantie de qualité des produits agricoles et alimentaires. Aujourd’hui, l’agriculture française ne peut lutter face à la concurrence internationale, voire européenne, qui applique des normes sanitaires et environnementales très éloignées de notre réglementation.

Les produits agricoles correspondant à l’exigence des consommateurs sont des produits de très haute qualité – blé sans OGM, camembert au lait cru, élevages en plein air… –, mais cette qualité a un prix pour les agriculteurs. L’absence de normes des produits agricoles importés entraîne l’agriculture française vers la faillite : un tiers des agriculteurs français est déjà en situation de cessation de paiement.

Madame la secrétaire d’État, n’est-il pas possible d’imaginer l’introduction d’un nouveau marché ? Aujourd’hui, les céréales relèvent du marché de Chicago, régi par des normes américaines. Afin de valoriser nos cultures, mais aussi notre culture, ne peut-on imaginer un second marché de produits de qualité, distinct du marché mondial et répondant à des normes européennes ou françaises ? (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie et des finances. Vous abordez, monsieur Louault, le sujet sensible du traitement du secteur agricole et agroalimentaire dans les accords commerciaux. Celui pose un défi, mais aussi présente des potentialités. Je vous l’assure, le Gouvernement est très attentif à l’ensemble de ces enjeux et porte à Bruxelles des positions extrêmement fermes.

Les concessions faites dans le domaine agricole et agroalimentaire lors des négociations commerciales à l’OMC ou dans le cadre des accords de libre-échange doivent bien entendu être maîtrisées, pour ne pas déstabiliser les filières de production en France.

Par ailleurs, les ouvertures des marchés extérieurs obtenues en retour doivent être substantielles, afin de garantir l’équilibre des accords.

Enfin, il est évident que ces accords ne doivent absolument pas conduire à une détérioration de nos exigences sanitaires. Au contraire, ils doivent favoriser un alignement vers le haut.

Enfin, les normes et les standards européens, notamment en matière de protection des indications géographiques, doivent être promus. Ces négociations commerciales doivent nous permettre d’exporter notre modèle, nos niveaux d’exigence et nos indications géographiques, afin que ceux-ci soient aussi mieux protégés à l’extérieur.

En effet, les avantages et les gains potentiels des négociations commerciales pour nos filières agricoles sont substantiels, en ouvrant de nouveaux marchés pour nos exportateurs. Prenons l’exemple de la viande bovine : nous avons des intérêts défensifs à l’égard de certains partenaires, et non des moindres, mais aussi des intérêts offensifs vis-à-vis d’autres partenaires tout aussi importants.

Les négociations menées par l’Union européenne dans le cadre d’accords de libre-échange ou les négociations bilatérales sanitaires menées par le gouvernement français devraient ainsi permettre, dans les années qui viennent, l’ouverture de marchés asiatiques comme la Corée du Sud ou la Chine, avec la levée effective de l’embargo ESB annoncé par les autorités chinoises lors de la visite en Chine du Président de la République. Je pourrais aussi citer des exemples de marchés ouverts sur le fromage.

Nous devons donc trouver un équilibre dans la relation commerciale et utiliser celle-ci pour exporter notre qualité.

M. le président. La parole est à M. Pierre Louault, pour la réplique.

M. Pierre Louault. Aujourd’hui, le défi pour les agriculteurs français et européens est de produire de la qualité au cours mondial.

Notre objectif est que la qualité se paye à un prix supérieur au cours mondial, et il faut pour cela la faire reconnaître, au travers de normes françaises ou européennes. Sinon, demain, l’agriculture française et une partie de l’agriculture européenne disparaîtront. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet.

M. Gérard Longuet. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je remercie le groupe La République En Marche d’avoir demandé et obtenu l’organisation de ce débat.

Je suis un libéral et j’ai eu la chance de mettre en œuvre mes convictions en signant, en avril 1994 – c’était au siècle précédent… –, les accords de Marrakech instituant l’OMC. Hélas, aucune clause environnementale ou sociale n’avait été fixée alors. Plus de vingt ans après, nous nous trouvons dans une situation paradoxale : le volontarisme politique exprimé par les accords de Paris est détricoté par la réalité d’échanges internationaux qui ne prennent pas en compte les effets directs et indirects de la production industrielle sur l’environnement.

Depuis vingt ans, l’empreinte globale de notre pays a augmenté, alors même que l’empreinte directe des productions françaises en CO2 a diminué. En effet, la désindustrialisation de la France, facilitée notamment par les contraintes réglementaires environnementales, nous a conduits, à tout le moins dans certains domaines – acier, aluminium, produits chimiques, silicium… – à nous tourner vers des producteurs étrangers qui émettent davantage de CO2.

Ma question est simple, madame la secrétaire d’État : pensez-vous raisonnablement que nous puissions durablement porter le certificat carbone à un niveau dissuasif ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe La République En Marche et du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie et des finances. Monsieur Longuet, c’est un vaste débat ! Nous devons tout d’abord faire en sorte que le souci de l’empreinte carbone et de la lutte contre le changement climatique soit partagé par un maximum de pays.

Au cours de l’année écoulée, nous avons pu voir à quel point la mobilisation au plus haut niveau en France avait eu un effet sur la mobilisation des acteurs, publics ou privés, partout dans le monde.

M. Gérard Longuet. Pas sur les États-Unis…

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire dÉtat. Les opinions publiques, les municipalités ou encore certaines régions peuvent avoir un impact important : de multiples interlocuteurs et acteurs sont aujourd’hui en mouvement, dans le sillage de l’accord de Paris et des sommets organisés en France l’an dernier.

Les politiques de protection de l’environnement et de lutte contre le changement climatique doivent également irriguer l’ensemble des politiques européennes et déterminer la façon dont nous négocions nos accords commerciaux. Nous tenons en effet à ce que nos partenaires commerciaux et les pays avec lesquels nous signons des accords de libre-échange soient engagés dans la dynamique de l’accord de Paris et dans la lutte contre les changements climatiques.

M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet, pour la réplique.

M. Gérard Longuet. Madame la secrétaire d’État, je crains que votre patience ne conduise à poursuivre la désindustrialisation du pays…

Je vous fais une proposition. Nous débattrons bientôt de la révision de la programmation pluriannuelle de l’énergie et du schéma national bas carbone. Faisons en sorte que le prix du certificat soit dissuasif. Affichons notre conviction qu’une industrie décarbonée est possible dans notre pays et militons pour un prix du CO2 qui soit réellement décourageant au plan mondial. Faisons payer lourdement ceux qui savent le produire et reversons le cas échéant une partie des bénéfices à ceux qui savent l’épargner ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe La République En Marche et du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. Jean-François Longeot. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)

M. Jean-François Longeot. Je veux à mon tour remercier le groupe La République En Marche d’avoir demandé ce débat.

La politique de concurrence au niveau mondial nous amène à nous interroger sur les questions de concentrations d’entreprise et sur les régulations internationales qui peuvent intervenir.

Les phénomènes de concentration sont récurrents et touchent quasiment tous les secteurs de l’économie. Pour leurs promoteurs, ils sont favorables, non seulement aux entreprises, avec des capacités nouvelles de levées de fonds et des effets de mutualisation, mais aussi aux consommateurs, par une diminution des prix.

Ces concentrations conduisent toutefois à des situations de monopole, et les craintes s’amplifient actuellement dans un certain nombre de domaines. Je pense notamment aux entreprises du numérique et de l’internet, qui détiennent énormément de données personnelles. Lorsque l’on observe que Facebook a racheté progressivement WhatsApp et sa concurrente Instagram, on imagine la quantité phénoménale de données que cette entreprise est capable de posséder et de traiter.

La richesse, c’est aujourd’hui l’information personnelle, mais nous ne sommes plus capables de mesurer les capacités cumulées. Comment pouvons-nous adapter nos outils de régulation à ce type de mesures et d’évaluation de richesses ?

Nous mesurions jusque-là les effets de monopole sur des données économiques. Aujourd’hui, la politique de concurrence doit prendre en compte la détention de données personnelles, et pas seulement de matière. Le Gouvernement milite-t-il aujourd’hui au niveau international pour réguler ces concentrations, non plus économiques, mais de l’intelligence ? (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie et des finances. Monsieur Longeot, la question de la valeur des données dans le monde d’aujourd’hui est assez nouvelle, et les politiques de la concurrence ne la prennent pas forcément totalement en compte.

La donnée constitue pourtant un avantage décisif pour l’économie. En France, l’existence de bases de données centralisées massives, en particulier dans le secteur public, peut créer une dynamique de création de valeurs et offrir des occasions extrêmement intéressantes de développement d’outils d’intelligence artificielle, par exemple. L’ouverture et l’exploitation de ces masses de données constituent donc un premier axe stratégique en faveur de la compétitivité des activités françaises dans ce secteur.

Toutefois, il convient aussi d’engager les entreprises dans une nouvelle logique d’ouverture et de partage de données. Le Gouvernement soutiendra et encouragera toutes les initiatives sectorielles des entreprises, notamment dans les domaines de la voiture connectée ou de l’aéronautique, qui visent à mettre en place des plateformes d’échange, de partage et de fertilisation croisée des données entre acteurs industriels, pour éviter justement l’appropriation des données par un seul acteur.

Ces politiques d’ouverture et de valorisation des données, tant dans le secteur public que dans le secteur privé, sont inconcevables sans un cadre protecteur des données personnelles.

C’est précisément tout l’intérêt du règlement général de la protection des données, qui entre en vigueur le 25 de ce mois. Il offre aux Européens un niveau de protection inégalée dans le monde, et c’est un atout fondamental pour la France et l’Europe dans la compétition internationale. Les produits et services numériques commercialisés par les Européens sont les seuls à offrir de tels standards de protection sur la vie privée et les données personnelles : il s’agit d’un atout commercial que toutes les entreprises françaises et européennes doivent systématiquement mettre en avant.

Les évolutions récentes illustrées par l’affaire Cambridge Analytica montrent que le modèle européen apparaît de plus en plus comme une référence au plan international. L’avance dont nous disposons nous permet d’espérer la création d’activité et d’entreprises puissantes en Europe.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Conconne.

Mme Catherine Conconne. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, j’habite un pays particulier, situé à 8 000 kilomètres des centres classiques d’approvisionnement, qui se trouvent, peut-être par réflexe atavique, en Europe. J’habite la Martinique, mais ces propos valent aussi pour mon île sœur, la Guadeloupe.

Dans nos pays, des filières de production animale se battent pour tendre vers un maximum d’autonomie alimentaire pour notre population.

Parallèlement, nos pays dits « d’outre-mer », membres de l’Union européenne malgré des régimes d’exception de moins en moins protecteurs, deviennent des zones de déversement des trop-pleins de production de la zone Europe. Ces produits arrivent en quantité astronomique et font l’objet d’une grande braderie, aussi bien en qualité qu’en prix. Les producteurs locaux, impuissants, assistent à cette concurrence sauvage de ces productions aidées par les régimes d’éloignement de l’Union européenne, entre autres le POSEI, le Programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité !

Dans ladite « outre-mer », plus encore qu’ailleurs en France, vu la cherté de la vie, la course au moindre coût oriente le choix des consommateurs.

Ces déversements sont fréquents, sauvages. Ils n’obéissent à aucune règle, ne sont pas contingentés et surviennent à tout moment de l’année, sans aucun regard des administrations qui se cachent derrière la sacro-sainte liberté du commerce.

La libre concurrence n’est pas, pour moi, un blasphème ni un gros mot, madame la secrétaire d’État. Mais, pour nos pays, les règles ne sont pas équitables. Petite population, petits marchés éloignés des centres d’approvisionnement : la situation vire à l’affrontement entre pot de terre et pot de fer !

Je prendrai l’exemple de l’une de nos productions principales, la banane étiquetée « banane française ». Figurez- vous que l’enseigne Monoprix a choisi de l’évincer de ses étals au profit d’une banane équatorienne dite « bioéquitable ». Le drapeau bleu-blanc-rouge qui sertissait nos fruits jaunes a été remplacé par le label international Max Havelaar…

D’après le président de l’enseigne, que j’ai interpellé, cette banane garantirait « une plus juste rémunération du producteur ». En gros, on essaie de nous faire croire que les lois sociales et les conventions collectives françaises, appliquées à la lettre dans nos pays, ne permettent pas de garantir l’aspect dit « social » de la production. Malgré notre système de protection sociale et nos normes appliquées strictement, l’Équateur serait donc meilleur élève que nous !

M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.

Mme Catherine Conconne. Madame la secrétaire d’État, osez ce qui est devenu un gros mot en Europe : le protectionnisme est légitime pour certaines activités, afin de permettre à ces insulaires éloignés de vous de vivre, tout simplement ! (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie et des finances. J’entends votre plaidoyer, madame la sénatrice. Les marchés de dégagement outre-mer posent en effet des problématiques spécifiques. Je rappelle à cet égard que la loi relative à l’égalité réelle outre-mer a prévu la possibilité pour les préfets d’intervenir en cas de situation anormale causée par un afflux de produits.

Au sujet de la banane, un accord commercial est entré en vigueur le 1er janvier 2017 entre l’Union européenne et l’Équateur, premier exportateur mondial – 27 % du total des exportations –, avec pour conséquence une situation particulièrement difficile pour les producteurs de bananes ultramarins, soumis à des normes sociales et environnementales exigeantes. En effet, l’Équateur a obtenu, dans cet accord, de passer d’un tarif douanier de 167 euros par tonne à un tarif de 75 euros par tonne.

La ministre Annick Girardin et le ministre de l’économie et des finances, qui connaissent très bien ce sujet, plaident auprès du commissaire européen compétent pour que la situation des producteurs de bananes ultramarins soit mieux prise en compte dans le futur accord en 2020.

M. le président. La parole est à M. Marc Laménie.

M. Marc Laménie. Je m’associe aux remerciements adressés pour l’organisation de ce débat à nos collègues du groupe La République En Marche.

Je rappelle le savoir-faire de nos entreprises – vous aviez pu le mesurer lors de votre déplacement dans les Ardennes, madame la secrétaire d’État – et notre attachement au développement économique.

Les démarches engagées au niveau de l’Union européenne ont été rappelées, mais nos entreprises méritent aussi d’être soutenues par l’État et les collectivités territoriales. Il est nécessaire par ailleurs de lutter contre la fraude et de s’interroger sur l’imposition des géants du numérique, car le manque à gagner pour les États est considérable. La lutte contre la contrefaçon est aussi un sujet particulièrement sensible.

Je note enfin que les entreprises, notamment les plus petites, ont encore des difficultés d’accès au haut débit, et parfois même à la téléphonie mobile – mon département compte toujours de nombreuses zones blanches.

De façon générale, quelles mesures envisagez-vous pour réduire les contraintes qui pèsent au quotidien sur les chefs d’entreprises artisanales, commerciales ou industrielles ?

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie et des finances. Votre question a plusieurs facettes, monsieur le sénateur.

Vous avez souligné combien il était important pour les entreprises d’accéder aux outils numériques et de profiter de tout ce que la technologie peut aujourd’hui leur apporter.

En la matière, l’Europe porte une ambition assez forte et entend mettre à niveau l’ensemble du tissu économique. La France a également consacré des moyens significatifs et mène une action résolue en direction des opérateurs pour accélérer le déploiement du très haut débit partout sur le territoire, avec un premier rendez-vous en 2020, pour offrir un haut débit de 8 mégabits par seconde sur l’ensemble du territoire, et un second rendez-vous en 2022, cette fois pour rendre accessible partout le très haut débit.

Nous sommes absolument convaincus qu’il s’agit là d’éléments-clés de la compétitivité des entreprises et de leur capacité à affronter une concurrence forte.

S’agissant de la fraude, j’ai compris que vous vouliez évoquer la difficulté à taxer les géants du numérique. Sur le plan européen, nous avons désormais sur la table une proposition intermédiaire de taxation des géants du numérique qui nous convient et sur laquelle nous allons travailler avec nos partenaires.

M. le président. La parole est à M. Marc Laménie, pour la réplique.

M. Marc Laménie. Je vous remercie de votre réponse et de votre engagement, madame la secrétaire d’État. Ce débat aura permis d’identifier les problèmes essentiels et d’avancer. C’est un combat permanent, et il ne faut surtout pas baisser les bras !

M. le président. La parole est à M. Serge Babary.

M. Serge Babary. Dès l’origine, le processus d’intégration européenne a été marqué par le choix de l’économie de marché. C’est ce même choix qui prévaut pour l’ouverture à la mondialisation.

Le principe d’une économie ouverte n’implique cependant pas une foi inconditionnelle dans le fonctionnement des mécanismes du marché. Il exige au contraire une vigilance constante, pour que le jeu de ces mécanismes puisse être préservé et orienté dans le sens de l’intérêt général.

Conçue comme la contrepartie de la libre circulation des marchandises, la politique de concurrence européenne consiste à repérer et à sanctionner les pratiques anticoncurrentielles : concentrations, ententes, abus de position dominante.

Cette politique de concurrence a aujourd’hui atteint ses limites et ne peut plus être appréhendée d’une manière purement juridique. Elle doit également être envisagée d’un point de vue économique, social et sanitaire.

En ouvrant ses frontières, l’État français participe à la mondialisation de l’économie. Il doit en assumer les responsabilités. À ce titre, il doit assurer la protection non seulement des consommateurs, mais également des producteurs nationaux, qu’ils soient industriels, transformateurs, éleveurs ou agriculteurs.

Dans de nombreux domaines, on constate en effet que les produits français se voient imposer des normes très strictes induisant des coûts de production élevés, pour ensuite subir la concurrence de produits importés qui ne respectent pas ces obligations. Cela concerne, par exemple, les normes sanitaires et phytosanitaires, environnementales, sociales, les conditions de travail et les obligations de description des produits à la vente.

L’État négocie des accords internationaux qui permettent l’importation de produits ne respectant pas les normes européennes et françaises imposées à nos producteurs. Ces transactions doivent être empêchées ou, à tout le moins, taxées, afin de limiter la concurrence déloyale qu’elles représentent, et faire l’objet d’une information précise auprès du consommateur. Instaurer cette exigence est impératif pour la pérennité de nos capacités productives industrielles et agricoles. Pouvez-vous, madame la secrétaire d’État, me préciser les intentions du Gouvernement à ce sujet ? (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie et des finances. Monsieur le sénateur, vos observations rejoignent une préoccupation forte du Gouvernement. Je peux vous assurer que ce sujet nous tient à cœur.

Vous exprimez la crainte que des produits d’importation ne respectent pas les normes européennes. Je peux vous garantir que nous sommes pleinement mobilisés sur ce sujet et prêts à prendre des sanctions le cas échéant. Il est bien évident que les normes sanitaires ou phytosanitaires et les mesures de protection des consommateurs, en particulier, doivent absolument être respectées par tous.

Par ailleurs, vous relevez que, même quand les produits importés sont conformes, ils peuvent avoir été manufacturés dans des conditions qui ne sont pas celles en vigueur dans les pays européens, où les contraintes environnementales, sociales et fiscales sont plus fortes. Cela fait écho à ce qui a été dit tout à l’heure sur les éléments de dissymétrie qui existent par exemple en matière environnementale, mais que l’on retrouve aussi dans les champs financier, économique ou social. Là encore, il s’agit pour l’Europe d’utiliser sa puissance commerciale, de faire preuve de cohésion, de promouvoir, sur le plan international, sa vision et son modèle dans le cadre de la négociation des accords commerciaux, afin que puissent être pris en compte ces effets de dissymétrie. Je suis toutefois bien consciente que l’on ne peut pas y parvenir en toutes circonstances.

M. le président. La parole est à M. Serge Babary, pour la réplique.

M. Serge Babary. Madame la secrétaire d’État, je vous donne acte, sinon de votre optimisme, du moins de votre bonne volonté affichée, mais j’ai plutôt l’impression d’un fatalisme certain face à la situation qui a été décrite par beaucoup d’intervenants. Pendant ce temps, notre tissu économique se délite, qu’il s’agisse de l’industrie ou de l’agriculture. Dans tous les cas, le sacro-saint accès au marché mondialisé ne profite pas aux consommateurs, qui se voient proposer des produits low cost. C’est sur ces sujets qu’il faut travailler pour éviter un effondrement de notre économie marchande. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Sébastien Meurant.

M. Sébastien Meurant. Madame la secrétaire d’État, vous nous avez parlé de souveraineté industrielle européenne : croyez-vous vraiment que l’Allemagne en ait besoin pour asseoir sa domination sur l’industrie européenne ? La France enregistre un déficit commercial de plus de 60 milliards d’euros, l’Allemagne un excédent de quelque 230 milliards d’euros… Nous sommes les dindons de la farce de la concurrence mondialisée et de l’hyperconcurrence au sein de l’Union européenne.

L’Allemagne a développé ses relations nearshore avec l’Europe de l’Est, en proposant des emplois sous-payés dans l’agriculture et d’autres secteurs. Même l’industrie italienne est mieux armée que la nôtre ! L’Espagne, quant à elle, est en train de redévelopper un certain nombre de filières. Les résultats, terribles, sont là : nous sommes, je le répète, les dindons de la farce.

On assiste depuis des années à une désindustrialisation. On a fait disparaître Alcatel-Alsthom, qui employait 200 000 personnes il y a vingt ans ; aujourd’hui, Alstom connaît une forte croissance. On pourrait également évoquer Péchiney, et bien d’autres exemples.

Il est clair que la France souffre d’un grave handicap en matière de concurrence économique au sein même de l’Union européenne par rapport aux autres pays socialement comparables.

À mon sens, ce handicap a deux causes.

La première est le niveau des prélèvements obligatoires : 57 % du PIB ; lorsqu’on prélève plus de la moitié de la richesse produite, on prive de plus de la moitié de leur liberté la société et les créateurs de richesses.

La seconde cause, c’est une certaine forme de haine de soi, très répandue chez certaines élites françaises, conjuguée à une fascination pour les modèles étrangers, au détriment de nos propres atouts. La marque France représente pourtant tout de même quelque chose, à condition de faire preuve d’un minimum de patriotisme économique, à l’instar des Allemands, des Italiens et, bien entendu, des Japonais, des Chinois et des Américains. Nous, nous faisons confiance à l’Europe pour nous défendre dans la concurrence mondialisée…

Qu’attend le Gouvernement pour aider les petites entreprises françaises, notamment, qui sont bien souvent écrasées par les grands groupes ?

M. le président. Il faut conclure !

M. Sébastien Meurant. Qu’attend-il pour promouvoir un patriotisme économique intelligent et une forme de protectionnisme, afin de défendre la marque France, les emplois et les producteurs français ?

M. le président. Vous avez largement dépassé votre temps de parole !

La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie et des finances. Monsieur le sénateur, la situation que vous évoquez n’est pas nouvelle. En effet, l’érosion de la base industrielle française est constatée depuis plusieurs décennies. (M. Victorin Lurel sexclame.) On pourrait débattre à perte de vue de ce qui a été fait ou de ce qui n’a pas été fait, de ce qu’il aurait fallu faire pour réussir aussi bien que certains de nos voisins, mais, pour notre part, nous sommes dans l’action. Le Gouvernement est prêt à tout mettre en œuvre pour redonner aux entreprises et à la base industrielle françaises toute leur place dans l’économie européenne ; il entend agir, et non pas rester dans la sinistrose ambiante.

C’est dans cet esprit que nous avons engagé une réforme de notre système fiscal et une réforme du marché du travail d’une ampleur inédite, que nous nous attaquons à la problématique cruciale de la compétitivité hors coût, en travaillant sur l’amélioration de la qualité du travail et de l’adéquation des compétences aux besoins.

Nous sommes prêts à ouvrir les chantiers de la simplification des normes, de la « dé-surtransposition », à agir sur tous les leviers pour faire en sorte que notre économie retrouve du dynamisme et puisse exprimer pleinement son potentiel. Quelques signes nous donnent aujourd’hui à penser que le programme très cohérent du Gouvernement est de nature à le permettre.

M. le président. En conclusion de ce débat, la parole est à M. Richard Yung, pour le groupe auteur de la demande.

M. Richard Yung, pour le groupe La République En Marche. Monsieur Meurant, nous ne devons pas avoir honte de la marque France. La France est un grand pays de marques, nous avons sans doute l’un des plus importants portefeuilles de marques au monde, notamment dans le secteur du luxe. Nous comptons aussi nombre d’indications géographiques protégées, dont la haute qualité est reconnue partout dans le monde, y compris dans le domaine agricole.

Une des principales demandes exprimées au cours de ce débat est la prise en compte des normes environnementales, en particulier en matière d’émission de gaz à effet de serre, dans les relations économiques et commerciales. L’obtenir sera difficile, car si certains traités prennent en compte cette dimension environnementale, tel n’est pas le cas des traités économiques. Il faudra donc renégocier ceux-ci ; comme on peut l’imaginer, ce ne sera pas une tâche facile, beaucoup de pays ne marquant pas un grand enthousiasme pour s’engager dans cette voie, qui est néanmoins la voie à suivre.

La remise en cause du multilatéralisme commercial par le président des États-Unis est un élément important. Nous sommes confrontés à de nombreuses difficultés : sanctions commerciales additionnelles contre la Russie, exigences, dans le domaine commercial et dans celui de la propriété industrielle, tout à fait inacceptables par la Chine, menaces à l’encontre de la France, de l’Allemagne et de l’Europe en matière de déficit commercial, sortie des États-Unis de l’accord nucléaire avec l’Iran, de surcroît assortie de menaces de représailles commerciales et financières contre nos entreprises… La presse de ce matin nous apprend ainsi que Total envisage de se retirer d’un grand projet gazier en Iran. PSA et Renault sont également très présents dans ce pays. Ajoutons que les banques françaises, qui ont déjà eu à payer entre 2 milliards et 9 milliards d’euros d’amendes à nos amis Américains, sont désormais très prudentes pour consentir des prêts aux entreprises exportant vers l’Iran.

C’est regrettable, mais un conflit s’annonce donc, qu’aucun d’entre nous ne souhaitait. Madame la secrétaire d’État, vous avez détaillé un certain nombre de mesures envisagées au niveau européen, mais nous devons avant tout adopter une position ferme à l’égard des États-Unis, ne pas accepter ces mesures unilatérales et ces menaces, montrer que l’Europe est forte, qu’elle peut, étant l’une des premières puissances commerciales du monde, si ce n’est la première, résister, développer ses relations avec d’autres partenaires, comme l’Inde, la Chine ou l’Amérique latine. Nous ne sommes pas voués à nous plier au diktat américain. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « La politique de concurrence dans une économie mondialisée ».

7

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 22 mai 2018 :

À neuf heures trente : vingt-six questions orales.

À quatorze heures trente et le soir :

Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense (n° 383, 2017-2018) ;

Rapport de M. Christian Cambon, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (n° 476, 2017-2018) ;

Avis de M. Philippe Bonnecarrère, fait au nom de la commission des lois (n° 472, 2017-2018) ;

Avis de M. Dominique de Legge, fait au nom de la commission des finances (n° 473, 2017-2018) ;

Texte de la commission (n° 477, 2017-2018).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-sept heures quarante.)

Direction des comptes rendus

GISÈLE GODARD