PRÉSIDENCE DE M. Vincent Delahaye
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
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« Femmes et agriculture : pour l’égalité dans les territoires »
Débat sur les conclusions d’un rapport d’information de la délégation aux droits des femmes
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, à la demande de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, sur les conclusions du rapport d’information Femmes et agriculture : pour l’égalité dans les territoires (rapport d’information n° 615, 2016-2017).
Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je vous rappelle que l’auteur du débat disposera d’un temps de parole de dix minutes, y compris la réplique, puis le Gouvernement répondra pour une durée équivalente.
Dans le débat, la parole est à Mme la présidente de la délégation auteur de la demande.
Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, c’est un honneur d’introduire ce débat sur les conclusions du rapport de la délégation aux droits des femmes relatif à la situation des agricultrices, un sujet méconnu, alors même que 30 % des exploitations sont aujourd’hui dirigées par des femmes, que 36 % des salariés agricoles sont des femmes, et que, depuis toujours, les femmes apportent un tribut essentiel à l’agriculture.
Notre rapport est issu d’un travail de longue haleine, accompli entre février et juillet 2017. Il a été porté par une équipe de six corapporteurs représentant le Sénat dans sa diversité politique de l’époque ; notre délégation est en effet attachée à la méthode du consensus.
Ce rapport donne largement la parole au terrain, au travers du témoignage de plus de cent agricultrices, rencontrées à l’occasion d’un colloque organisé au Sénat, il y a tout juste un an, le 22 février 2017, puis dans le cadre d’auditions et de tables rondes, ainsi qu’au cours de quatre déplacements en Vendée, en Bretagne, en Haute-Garonne et dans la Drôme.
Le rapport analyse la situation des agricultrices dans sa globalité, au travers de toutes les étapes de leur parcours professionnel : formation, installation, statut, protection sociale, santé, engagement dans les organisations professionnelles agricoles, accès aux responsabilités et retraites. Il évoque aussi les difficultés spécifiques liées à l’articulation de la vie professionnelle et de la vie familiale pour des femmes qui exercent un métier où la charge de travail est considérable et dont les contraintes d’organisation peuvent être aggravées par un accès parfois inégal aux services publics, aux soins et aux moyens de communication.
Les constats du rapport rendent compte des échos que nous avons recueillis sur le terrain. Certains de ces ressentis concernent tant les femmes que les hommes et reflètent le malaise d’une profession que nous ne pouvions passer sous silence.
Je souligne d’ailleurs qu’une résolution du Parlement européen sur les femmes et sur leur rôle dans les zones rurales, adoptée en mars 2017, rejoint les constats que nous avons établis dans notre rapport.
Premier constat de la délégation : l’insuffisance des revenus et l’impression d’une dégradation régulière de la situation, tant pour les femmes que pour les hommes. Comme l’a exprimé Christiane Lambert, première femme présidente de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles, la FNSEA : « Les agriculteurs qui vendent en dessous des coûts de production se lèvent le matin pour perdre de l’argent ». Autre constat : « Le métier a besoin d’être défendu », car il pâtit d’une image négative qui contribue à l’isolement du monde agricole. Christiane Lambert déclare encore : « Nous sommes la profession oubliée »…
En ce qui concerne les difficultés spécifiques aux agricultrices, il est important de rappeler que celles-ci sont les héritières d’une longue invisibilité. Le fait qu’elles aient longtemps été considérées comme « sans profession » nous a tout particulièrement interpellés.
Par ailleurs, la crise oblige de nombreuses agricultrices à travailler à l’extérieur de l’exploitation pour rapporter un revenu, ce qui multiplie par deux leur charge de travail. Nous avons également voulu insister sur les obstacles que rencontrent souvent les jeunes agricultrices pendant leur parcours de formation et d’installation, qu’il s’agisse de l’accès aux stages, plus compliqué, semble-t-il, pour les jeunes filles élèves de l’enseignement agricole, ou de l’accès au foncier.
Enfin, plusieurs points sont souvent revenus dans les témoignages reçus en lien avec l’isolement du monde rural : le besoin de solutions d’accueil des jeunes enfants et les conséquences très préjudiciables, tout particulièrement pour les femmes, de la désertification médicale.
J’en viens maintenant à la présentation de nos 40 recommandations, adoptées à l’unanimité. Celles-ci visent notamment à adapter les critères d’attribution des aides à l’installation au profil atypique des agricultrices, qui exploitent des surfaces généralement plus petites que les hommes et s’installent plus tardivement qu’eux.
Nous formulons également des propositions pour faire en sorte que les agricultrices bénéficient d’une retraite et d’un revenu décents ; c’est un prérequis de toute amélioration de la condition agricole. Ce point n’a même pas fait débat entre nous ; il s’agit là d’une question de dignité. De la même manière, plusieurs de nos recommandations portent sur le statut des agricultrices, notamment sur le recensement des agricultrices sans statut – elles sont aujourd’hui entre 5 000 et 6 000 – et sur la sensibilisation du monde agricole au préjudice lié à l’absence de couverture sociale.
En outre, nous avons été surpris de constater qu’à peine 58 % des agricultrices recourent au service de remplacement en cas de maternité. Cette proportion relativement faible s’explique soit par le coût du service de remplacement, soit par le fait que le profil du remplaçant ne correspond pas toujours aux attentes. Plusieurs de nos recommandations portent donc sur un meilleur accès au congé maternité pour les agricultrices, y compris en cas de grossesse pathologique. À cet égard, je me félicite du chantier ouvert par le Gouvernement pour harmoniser le droit à congé maternité selon les professions, ce qui devrait être, je l’espère, bénéfique pour les agricultrices.
De façon plus générale, nous recommandons d’améliorer la communication sur les services de remplacement, et de sensibiliser les agricultrices aux bénéfices que peuvent leur apporter ces services, car ils leur sont indispensables, que ce soit pour les congés maternité, pour suivre des stages de formation continue ou pour l’exercice de mandats syndicaux ou dans les chambres d’agriculture.
Enfin, un pan entier de nos recommandations concerne la nécessité de renforcer la reconnaissance des agricultrices, afin qu’émergent des modèles auxquels les jeunes filles – les agricultrices de demain – peuvent s’identifier. La mise à l’honneur des agricultrices peut passer par des remises de prix ou de trophées, comme l’a illustré notre colloque du 22 février 2017. Nous recommandons ainsi la poursuite et la généralisation à toutes les régions des « prix des femmes en agriculture ».
Dans certains territoires, ces prix ont été abandonnés au moment de la réforme des régions : ils doivent être réactivés. Les remises de prix pourraient, par exemple, se tenir le 15 octobre, à l’occasion de la Journée internationale de la femme rurale ou, plus classiquement, le 8 mars.
Je souhaiterais connaître le sentiment de la secrétaire d’État sur cette proposition, dont la mise en œuvre, en lien avec les préfectures, ne me paraît pas hors de portée.
En outre, nous avons pu constater le rôle décisif des réseaux d’agricultrices, tel le groupe Égalité-parité : Agriculture au féminin, de la chambre d’agriculture de Bretagne, en tant qu’élément essentiel de l’autonomie professionnelle des femmes, de la diffusion des bonnes pratiques et de prise de confiance en soi. C’est pourquoi l’une de nos recommandations vise à encourager la diffusion de tels réseaux dans d’autres territoires.
Je conclurai par la question centrale de la place des femmes dans la gouvernance agricole. Si la proportion de femmes dans les chambres d’agriculture est en moyenne de 27 % sous l’effet de la loi du 4 août 2014, on constate que les bureaux de ces instances – qui, eux, n’ont fait l’objet d’aucune contrainte législative – demeurent très masculins. Nous proposons donc que la proportion d’un tiers de femmes, prévue par la loi du 4 août 2014, s’étende aux présidences de commissions et aux bureaux des chambres d’agriculture, comme aux instances dirigeantes des syndicats agricoles.
Voilà, monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, une présentation sans doute trop rapide de notre rapport que je vous invite à lire en détail, ainsi que les actes de notre colloque qui a, voilà un an, rencontré un vrai succès.
Je souhaite souligner que ce travail collectif a été très bien perçu et relayé dans les territoires et qu’il a suscité beaucoup de satisfaction, mais aussi d’attentes, de la part de nos interlocutrices.
Toutefois, des recommandations n’ont de sens que si elles sont suivies d’effet. Il ne faudrait pas que ces espoirs soient déçus. Nous comptons donc sur vous, madame la secrétaire d’État, pour vous appuyer sur notre travail afin de donner un contenu concret à ses recommandations.
Il faut souligner que ce rapport suscite toujours autant d’intérêt : nous avons eu l’occasion de le présenter au salon international des productions animales, le SPACE, de Rennes, en septembre 2017 avec quelques collègues, puis devant la commission nationale des agricultrices de la FNSEA, en décembre dernier.
Pour conclure, je voudrais relever que la prochaine session de la Commission de la condition de la femme des Nations unies, qui se tiendra dans quelques jours à New York, aura pour thème l’autonomisation des femmes et des filles en milieu rural.
C’est dire si notre rapport reste d’actualité,…
M. Charles Revet. Tout à fait !
Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes. … y compris au-delà de nos frontières nationales.
Je me réjouis donc que, grâce à l’Union interparlementaire, je puisse participer à cette session et montrer l’intérêt que porte le Sénat français au thème central de cette réunion, dédiée aux femmes rurales. (Applaudissements.)
M. Charles Revet. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes. Monsieur le président, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, mesdames, monsieur les rapporteurs, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je vous remercie de m’avoir invitée à débattre des conclusions et des recommandations de ce rapport d’information.
Je salue l’esprit de consensus qui a guidé votre réflexion commune. Ce rapport est le fruit des échanges très constructifs que vous avez eus avec les agricultrices, les organisations professionnelles, les institutions sociales et les services de l’État.
Je voudrais souligner la richesse du travail accompli, mais aussi l’importance des enjeux que nous aurons à relever collectivement pour faire progresser très concrètement l’égalité entre les femmes et les hommes partout en France, et particulièrement dans les territoires ruraux.
Traditionnellement, le monde agricole a longtemps été considéré comme un milieu d’hommes en raison de la pénibilité physique des travaux, du temps de travail conséquent, des risques professionnels importants. Cette culture du risque fait partie de ce que l’Institut Catalyst appelle les « normes masculines du pouvoir », bien plus valorisées dès l’enfance chez les petits garçons que chez les petites filles.
La persistance de ces stéréotypes nous conduit à penser que la direction d’une exploitation, ou même seulement un investissement identique, à parts égales, des femmes dans tous les travaux agricoles ne peut – théoriquement – pas constituer une option pour elles.
Et pourtant, comme votre rapport le montre parfaitement, les femmes occupent depuis longtemps une place de premier plan dans la vie des exploitations.
M. Charles Revet. C’est vrai !
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État. Elles assument une part importante de l’emploi agricole et contribuent, de manière privilégiée, au dynamisme du milieu rural.
J’en veux pour preuve l’état des lieux dressé dans votre rapport : plus de 150 000 femmes chefs d’exploitation, 60 000 collaboratrices d’exploitation, 42 000 femmes salariées dans la production agricole… Garantir aux femmes les mêmes droits que ceux des hommes dans le secteur agricole constitue donc un enjeu fondamental pour notre pays.
Comme vous le savez peut-être, je suis originaire de Corse et élue de la Sarthe. Je sais donc à quel point les agricultrices sont essentielles à la vie et au dynamisme de la France.
C’est la raison pour laquelle j’ai effectué l’un de mes premiers déplacements, en juillet dernier, avec le ministre de l’agriculture, en Meurthe-et-Moselle. Ce fut l’occasion d’échanges très constructifs avec plusieurs femmes chefs d’exploitation – l’une d’entre elles était seule à la tête de son entreprise, les autres associées du groupement agricole d’exploitation en commun, le GAEC, constitué avec leur époux ou leur frère et partageant les responsabilités de manière égale.
J’ai aussi pu observer cette égalité en acte lors de ma visite du domaine agricole de Valle, premier GAEC de Corse géré par un couple à parité. Plus récemment, lors du voyage officiel du Président de la République en Corse, de nouveau, j’ai pu constater l’investissement remarquable d’exploitantes, notamment au service de l’innovation dans l’agriculture.
Tous ces échanges ont bien sûr renforcé la détermination du Gouvernement à agir en faveur des agricultrices. Je me félicite du fait que nous puissions présenter prochainement la feuille de route ambitieuse que Stéphane Travert et moi-même élaborons, pour faire progresser la place des femmes dans le monde agricole.
La haute fonctionnaire en charge de l’égalité au ministère de l’agriculture a activement participé à vos travaux. À la demande du ministre, elle a travaillé en étroite collaboration avec le service des droits des femmes et de l’égalité pour que cette feuille de route 2018–2020 intègre l’essentiel des propositions présentées dans ce rapport.
Je pense tout particulièrement au soutien renforcé aux projets portés par les femmes, à la promotion de la parité dans les instances représentatives, ou encore à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles en milieu rural.
Le ministre de l’agriculture et moi-même assurerons, évidemment dans la durée, la mise en œuvre et le suivi de cette feuille de route.
Conformément à vos recommandations, cet enjeu d’égalité est pleinement pris en compte au sein de l’enseignement agricole qui développe une pédagogie innovante sur les sujets liés à l’égalité filles-garçons. Peut-être aurons-nous l’occasion d’y revenir au cours de nos échanges.
Comme vous le savez, le Président de la République a choisi de faire de l’égalité entre les femmes et les hommes la grande cause du quinquennat. L’annonce faite le 25 novembre dernier à l’Élysée est la traduction d’un engagement pris par le Président durant sa campagne, lorsqu’il déclarait : « La loi a changé ; maintenant c’est la vie des femmes qui doit changer ». (M. Michel Savin s’exclame.)
Pour ce faire, il faut agir au plus précis, au plus concret des situations de chaque territoire. L’objectif est le même partout et pour tous : l’égalité entre les femmes et les hommes, ni discutable ni négociable.
Toutefois, les moyens mis en œuvre pour atteindre cet objectif peuvent différer d’un territoire à l’autre, en fonction de plusieurs paramètres : l’accessibilité des services publics, la richesse du tissu associatif, la situation économique et sociale, les particularités géographiques.
Repenser la manière dont le service public s’organise partout en France, au plus près des réalités des territoires, voilà l’un des enjeux. C’est la raison pour laquelle le Premier ministre et moi-même avons lancé, en octobre dernier, le Tour de France de l’égalité entre les femmes et les hommes. Dans ce cadre, j’étais hier encore en Gironde, à Pessac, et dans le bassin d’Arcachon, pour me rendre compte de la réalité au plus près des territoires.
L’objectif de ce Tour de France est d’identifier précisément les besoins, les attentes des femmes, pour adapter les politiques publiques à la diversité des situations, mais aussi pour partager les bonnes pratiques et faire connaître les dispositifs innovants qui existent à l’échelle des territoires.
En six mois, près de 850 ateliers ont été organisés dans toute la France – métropole et outre-mer – et ont rassemblé plus de 55 000 personnes. À l’issue de ces échanges, je constate que les préoccupations et les demandes qui se sont exprimées dans les zones rurales rejoignent de nombreuses recommandations formulées dans votre rapport, notamment en matière de droits sociaux.
Au cours des deux dernières décennies, la protection sociale des femmes exerçant une activité agricole s’est améliorée, en particulier avec la fin du statut de conjointe participant aux travaux et la création du statut de collaboratrice d’exploitation qui ouvre des droits plus importants singulièrement en matière de retraite.
Vous proposez d’aller plus loin en prévoyant de limiter sa durée dans le temps. J’imagine que nous allons avoir l’occasion de détailler cette mesure dans quelques instants.
Une telle réforme permettrait de compléter l’évolution vers l’égalité des droits, avec la limitation progressive des statuts secondaires et du statut des aides familiaux.
Nul ici ne conteste le fait que ces statuts ont constitué un véritable progrès voilà une vingtaine d’années. Toutefois, il me semble temps de les faire évoluer, notamment pour combattre la précarité dans laquelle ils peuvent maintenir certains et, surtout, certaines de leurs bénéficiaires.
Vous suggérez, dans votre rapport, de limiter à cinq ans la durée du statut de conjoint collaborateur. Cette piste de réflexion doit être étudiée à condition qu’elle corresponde aux attentes des agricultrices. Les femmes qui, aujourd’hui encore, travaillent sur une exploitation sans aucun statut doivent faire l’objet d’une attention toute particulière.
Mon collègue ministre de l’agriculture et moi-même serons aussi particulièrement vigilants à garantir les droits des femmes agricultrices à certaines périodes charnières de leur vie. L’arrivée d’un enfant fait partie de ces moments particuliers, votre rapport le souligne.
La réglementation permet aujourd’hui de se faire remplacer pour une durée égale au congé maternité des salariées. Il me semble tout d’abord important de faire connaître plus largement ce droit.
Nous travaillons également à la création d’un congé maternité harmonisé pour permettre aux agricultrices de bénéficier véritablement de ce droit. C’est la raison pour laquelle nous avons confié à la présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes de l’Assemblée nationale, Marie-Pierre Rixain, une mission temporaire sur le congé maternité.
Je sais les agricultrices très attachées aux dispositifs existants. Je ne doute pas que cette mission saura être attentive à la recherche d’un équilibre entre ce qui existe et ce que nous pouvons proposer pour améliorer la protection de ces femmes quand elles deviennent mères.
La fin de la vie active est un autre moment particulier de la vie des femmes.
Le plan de revalorisation des petites retraites agricoles, avec l’attribution de points gratuits de retraite complémentaire obligatoire, a surtout bénéficié aux femmes, ce qui est une bonne chose. Toutefois, malgré les efforts consentis, il faut reconnaître que les retraites agricoles sont plus faibles que celles des autres régimes, notamment pour les agricultrices.
Autant de constats qui illustrent la pertinence de votre recommandation visant à limiter l’accès au statut de collaboratrice. Je vous confirme que cette question sera portée par le ministère de l’agriculture à la faveur des travaux sur la réforme globale des retraites.
Bien évidemment, les agricultrices aujourd’hui en activité bénéficieront des évolutions qui seront retenues dans le cadre de cette réforme. C’est la raison pour laquelle, dès la semaine prochaine, je lance, dans la Vienne, notamment avec Jean-Paul Delevoye, une réflexion sur la retraite des femmes.
Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, le temps qui m’est imparti ne me permet pas d’évoquer l’ensemble des sujets, mais le débat qui va s’ouvrir nous donnera l’occasion d’aborder certaines questions.
Je voudrais simplement souligner que le ministère de l’agriculture est le tout premier à s’être engagé dans une démarche de budgétisation sensible au genre, comme il en existe depuis des dizaines d’années dans d’autres pays, au Canada ou au Maroc, par exemple. Il s’agit d’une avancée concrète pour le budget consacré aux agricultrices et à la défense de leurs droits.
Je me rendrai mi-mars à New York, auprès des Nations unies. J’ai choisi de consacrer l’un des événements organisés sur place par la France à la question de la place des femmes et de leurs conditions de vie dans les zones rurales. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et sur des travées du groupe socialiste et républicain, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union Centriste. – M. Michel Savin applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la présidente de la délégation aux droits des femmes, pour la réplique.
Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes. Merci, madame la secrétaire d’État, de ces informations.
Notre rapport a créé de fortes attentes dans les territoires. Certaines de nos quarante recommandations doivent se traduire de manière législative, mais pas seulement. Les territoires doivent aussi s’en emparer.
À la veille du Salon de l’agriculture, il est urgent de répondre à toutes ces attentes. Améliorer la situation des femmes agricultrices, c’est améliorer la situation des familles, améliorer la situation des hommes agriculteurs.
Toutes ces femmes, tous ces acteurs du monde agricole, attendent de vous de vraies réponses, madame la secrétaire d’État.
Ce rapport est le début d’un long travail. Le Sénat et la délégation aux droits des femmes resteront vigilants pour suivre l’application de ces mesures. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, ainsi que sur plusieurs travées du groupe Les Républicains et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. Mes chers collègues, madame la secrétaire d’État, je vous rappelle que chaque orateur dispose au maximum de deux minutes, y compris la réplique, avec une réponse du Gouvernement également pour un maximum de deux minutes.
Dans le débat interactif, la parole est à M. Franck Menonville, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
M. Franck Menonville. Je tiens tout d’abord à féliciter la délégation aux droits des femmes pour cet excellent rapport que j’ai eu beaucoup de plaisir à découvrir, n’étant pas membre de cette assemblée lors de sa parution.
Les agricultrices disposent d’un niveau de pension de retraite très modeste. Force est de constater que la retraite moyenne des agriculteurs est inférieure de 38 % à celle du régime général qui s’élève, en moyenne, à 1 300 euros par mois, contre 800 euros pour les agriculteurs et 500 euros pour les agricultrices, quand le minimum vieillesse est de 900 euros par mois, pour un travail à temps plein.
Ces faibles montants s’expliquent notamment par le mode de calcul : la retraite d’un agriculteur est basée sur ses quarante meilleures années, celle d’un salarié du privé sur ses vingt-cinq meilleures années et celle d’un fonctionnaire sur les six derniers mois d’activité.
Madame la secrétaire d’État, ces disparités importantes sont flagrantes et extrêmement pénalisantes. Je voudrais savoir si le Gouvernement entend établir des critères de calcul plus convergents, voire identiques, quel que soit le domaine d’activité, pour tendre à une égalité des droits.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes. Monsieur le sénateur, vous avez tout à fait raison : les montants que vous venez de rappeler, bien trop faibles, ne sont pas acceptables.
En raison de cotisations moins élevées, les retraites de collaborateurs – qui sont majoritairement des collaboratrices – sont nettement inférieures à celles des chefs d’exploitation.
Le montant des retraites allouées aux conjoints d’exploitants a été au cœur des dispositifs de revalorisation des retraites agricoles. Depuis 2011, les collaboratrices d’exploitation sont affiliées au régime de retraite complémentaire obligatoire, le RCO, ce qui contribue à améliorer légèrement le niveau de retraite de ces femmes jusqu’alors affiliées au seul régime de base.
Les femmes sont les principales bénéficiaires du plan de rattrapage des retraites agricoles qui s’est concrétisé dans la loi du 20 janvier 2014. Depuis 2014, 66 points gratuits de RCO sont attribués aux conjoints et aux aidants familiaux justifiant d’une durée minimale d’assurance au titre des années antérieures à la création du régime, et ce dans la limite de dix-sept années.
Le montant de la retraite des chefs d’exploitation ayant effectué une carrière complète a été porté à 75 % du SMIC net par la création d’un complément différentiel de RCO mis en œuvre au 1er janvier 2015.
S’agissant de l’action du Gouvernement, sachez que, ce matin même, Jean-Paul Delevoye, haut-commissaire chargé de la réforme des retraites, a réuni un groupe de travail sur la réforme des retraites, auquel le ministère de l’agriculture et de l’alimentation est bien sûr pleinement associé.
Les réflexions sont en cours et je sais que la spécificité des conjoints d’exploitants est sérieusement prise en compte.
Comme je l’ai dit voilà quelques instants, nous organiserons bientôt dans la Vienne, avec un député national, une députée européenne, Élisabeth Morin-Chartier, et le haut-commissaire Jean-Paul Delevoye, un grand atelier du Tour de France de l’égalité entre les femmes et les hommes destiné à faire remonter toutes les propositions visant à améliorer le pouvoir d’achat des femmes retraitées, et tout particulièrement celui des femmes retraitées des zones rurales.
M. le président. La parole est à M. Didier Mandelli, pour le groupe Les Républicains.
M. Didier Mandelli. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la délégation, chère Annick, mes chers collègues, elles s’appellent Karen, Catherine, Jacqueline, Émeline, Marie-Blandine, Élodie, Sarah, Nathalie, Ghislaine, Brigitte, Perrine, Marie-Christine, Anne, Sylvie…
Elles vivent dans les départements du Lot, du Doubs, du Maine-et-Loire, du Gers, de Loire-Atlantique, de Haute-Garonne, de la Drôme, des Ardennes, d’Ille-et-Vilaine, du Rhône, de Haute-Marne, du Morbihan, du Loiret, de Meurthe-et-Moselle, de Vendée.
Elles ont en commun d’être « femmes en agriculture ». Elles élèvent des ovins, des vaches laitières et allaitantes, des lapins, des porcs, des chevaux, des volailles. Elles produisent des céréales, des légumes, des fruits, du vin.
Elles sont engagées, parfois militantes, dans les organisations professionnelles agricoles, présidentes de lycée agricole, présidentes de chambre d’agriculture, présidentes de section féminine, élues municipales, départementales, régionales, et ancienne sénatrice, pour l’une d’entre elles.
Elles, ce sont les femmes que j’ai eu la chance de rencontrer, parmi d’autres, en tant que corapporteur, aux côtés de mes cinq collègues, à l’occasion du colloque organisé ici même ou lors de nos déplacements.
Elles ont fait de leur passion un métier choisi et assumé.
Elles se caractérisent par leur esprit d’ouverture. Elles ont le souci de la recherche de valeur ajoutée, une sensibilité aux questions environnementales et sociétales. Certaines accueillent des touristes ou pratiquent la vente directe.
Elles sont vives d’esprit et épanouies.
Pourtant, ce rapport met en exergue les conditions parfois difficiles dans lesquelles elles vivent leur activité, de la formation à la retraite, à l’instar de leurs homologues masculins sur certains aspects.
Aussi, nous avons l’obligation collective de faire vivre ce rapport et ses quarante recommandations pour reconnaître les carences et insuffisances, pour redonner du sens à ce noble métier et de l’espérance à celles qui l’ont choisi.
Il nous appartient désormais, législateur, ministre de l’agriculture – pour l’enseignement agricole –, chambres consulaires, mutualité sociale agricole, banques, coopératives agricoles, collectivités locales et autres acteurs de l’agriculture et de la ruralité de tout mettre en œuvre pour obtenir des résultats à la hauteur des espoirs suscités.