Sommaire
Présidence de M. Roland du Luart
Secrétaires :
Mme Michelle Demessine, M. Philippe Nachbar.
répartition de la taxe sur les éoliennes en mer
Question de M. Raymond Couderc. – Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État chargée du commerce extérieur ; M. Raymond Couderc.
Question de M. Ronan Kerdraon. – Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État chargée du commerce extérieur ; M. Ronan Kerdraon.
Question de M. Martial Bourquin. – Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État chargée du commerce extérieur ; M. Martial Bourquin.
bilan de l'application de l'accord de londres sur la traduction des demandes de brevets européens
Question de M. Richard Yung. – Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État chargée du commerce extérieur ; M. Richard Yung.
Suspension et reprise de la séance
sanctions pénales applicables à Saint-Barthélemy dans les matières transférées à la collectivité
Question de M. Michel Magras. – M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État à la justice ; M. Michel Magras.
mise en oeuvre du contrat d'autonomie
Question de Mme Virginie Klès. – M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État à la justice ; Mme Virginie Klès.
traitement des déchets d'activités de soins à risques infectieux
Question de M. Yves Détraigne. – Mme Rama Yade, secrétaire d'État chargée des sports ; M. Claude Biwer, en remplacement de M. Yves Détraigne.
fermeture de l'unité de cardiologie interventionnelle de l'hôpital de mantes-la-jolie
Question de Mme Catherine Tasca. – Mmes Rama Yade, secrétaire d'État chargée des sports ; Catherine Tasca.
état d'avancement du projet de branche sud du tgv rhin-rhône
Question de M. Gilbert Barbier. – Mme Rama Yade, secrétaire d'État chargée des sports ; M. Gilbert Barbier.
Question de M. Aymeri de Montesquiou. – Mme Rama Yade, secrétaire d'État chargée des sports ; M. Aymeri de Montesquiou.
réforme de la formation des enseignants
Question de M. Philippe Madrelle. – MM. Luc Chatel, ministre de l'éducation nationale, porte-parole du Gouvernement ; Philippe Madrelle.
application de la nouvelle bonification indiciaire aux enseignants référents
Question de Mme Gélita Hoarau. – M. Luc Chatel, ministre de l'éducation nationale, porte-parole du Gouvernement ; Mme Gélita Hoarau.
Application des règles sur le bien-être animal
Question de M. Gérard Bailly. – MM. Luc Chatel, ministre de l'éducation nationale, porte-parole du Gouvernement ; Gérard Bailly.
Schéma directeur de la région Île-de-France
Question de M. Michel Houel. – MM. Michel Mercier, ministre de l'espace rural et de l'aménagement du territoire ; Michel Houel.
Crédit d'impôt et financement des congés des agriculteurs
Question de Mme Jacqueline Alquier. – MM. Michel Mercier, ministre de l'espace rural et de l'aménagement du territoire ; Yannick Botrel, en remplacement de Mme Jacqueline Alquier.
réintroduction des farines de viande dans l'alimentation animale
Question de M. Alain Fauconnier. – MM. Michel Mercier, ministre de l'espace rural et de l'aménagement du territoire ; Alain Fauconnier.
procédure de déclaration d'utilité publique d'une zone d'aménagement concerté à orléans
Question de M. Jean-Pierre Sueur. – MM. Michel Mercier, ministre de l'espace rural et de l'aménagement du territoire ; Jean-Pierre Sueur.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
4. Modification de l'ordre du jour
5. Débat sur l'accession à la propriété
M. Jean-François Mayet, pour le groupe UMP.
MM. Thierry Repentin, Jean-Pierre Plancade, Mmes Odette Terrade, Colette Giudicelli, MM. Claude Jeannerot, Adrien Gouteyron, Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, M. Raymond Couderc.
M. Benoist Apparu, secrétaire d'État chargé du logement et de l'urbanisme.
6. Nécessaire réforme des dispositifs « amiante ». – Discussion d’une question orale avec débat
M. Jean-Pierre Godefroy, auteur de la question.
M. Gilbert Barbier, Mme Annie David, MM. Gérard Dériot, Jean-Marie Vanlerenberghe, Yannick Botrel, Mme Nathalie Goulet.
M. Éric Woerth, ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique.
7. Débat sur les conclusions de la mission commune d'information sur le traitement des déchets
MM. Daniel Soulage, rapporteur de la mission commune d’information ; Dominique Braye, président de la mission commune d’information.
M. Jean Milhau, Mme Évelyne Didier, MM. Gérard Miquel, René Vestri, Daniel Dubois, Jean-Marc Pastor, Jacques Muller.
Mme Chantal Jouanno, secrétaire d'État chargée de l'écologie.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE Mme Catherine Tasca
9. Demande de modification de l’ordre du jour
10. Saisine du Conseil constitutionnel
11. Débat sur la participation de la France au budget de l’Union européenne
MM. Denis Badré, rapporteur spécial de la commission des finances ; Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes.
MM. Simon Sutour, Aymeri de Montesquiou, Adrien Gouteyron, Michel Billout, Yves Pozzo di Borgo.
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État chargé des affaires européennes.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances.
12. Ordre du jour
compte rendu intégral
Présidence de M. Roland du Luart
vice-président
Secrétaires :
Mme Michelle Demessine,
M. Philippe Nachbar.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Questions orales
M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions orales.
répartition de la taxe sur les éoliennes en mer
M. le président. La parole est à M. Raymond Couderc, auteur de la question n° 1023, adressée à M. le ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'État.
M. Raymond Couderc. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, voilà un an et demi, j’avais posé une question écrite au ministre chargé du budget sur l’application du décret n° 2008-851 du 26 août 2008 relatif aux conditions d’application et de répartition de la taxe annuelle sur les installations de production d’électricité utilisant l’énergie mécanique du vent situées dans les eaux intérieures ou la mer territoriale. N’ayant pas reçu de réponse, je me permets d’interroger de nouveau le Gouvernement.
En effet, ce décret mérite d’être précisé sur au moins deux points.
Le premier point concerne le mode de calcul de la part communale de la taxe spéciale sur les éoliennes en mer.
Le calcul de la répartition de la première moitié du produit de la taxe dépend de la population totale des communes littorales. Selon le code des impôts, le « chiffre de la population pris en compte est celui de la population totale mentionnée à l’article R. 2151-1 du code général des collectivités territoriales et majoré, le cas échéant, de la population résultant conformément aux dispositions des articles R. 2151-4 à R. 2151-7 du même code d’opérations de recensements complémentaires et d’attribution de population fictive ».
Mais le calcul de la fiscalité applicable aux communes littorales est généralement basé sur la dotation globale de fonctionnement. Qu’en est-il dans ce cas ? En somme, quel est le bon mode de calcul de la population à prendre en compte dans le cadre de cette répartition ? Le mode légal ? Le mode basé sur la dotation globale de fonctionnement, avec ou sans double compte ? Ou encore le mode touristique ?
Second point, un mode de calcul de la taxe privilégiant fortement le nombre d’habitants par rapport à la distance à la côte du projet éolien introduit une distorsion préjudiciable au développement de ces projets. En effet, les recettes fiscales peuvent être dopées au-delà du raisonnable pour certaines communes dont le centre-ville est éloigné du projet et n’en ressent que très peu les effets, pour peu que la population soit suffisamment importante par rapport à des communes moins peuplées mais bien plus concernées.
C’est par exemple le cas pour un projet d’éoliennes en mer qui est actuellement en cours entre les départements de l’Hérault et de l’Aude. Les centres-villes d’Agde et de Narbonne ont une population importante, mais sont éloignés de la côte ; les installations seront visibles seulement depuis le Cap d’Agde et Narbonne Plage, qui ont de la population saisonnière. Or les deux villes capteront l’essentiel de la taxe, car leurs stations se trouvent dans les douze milles nautiques, au détriment de communes uniquement littorales, comme Vias, Portiragnes, Sérignan ou Valras-Plage. Concrètement, et selon des simulations utilisant la population légale des derniers recensements, Narbonne toucherait ainsi deux fois et demie plus de taxe que Sérignan ou Valras-Plage, alors qu’elle subira plus faiblement les effets du projet !
Aussi, madame la secrétaire d’État, pourriez-vous préciser à la représentation nationale le mode de répartition de cette taxe sur les éoliennes en mer, afin notamment de mettre fin aux distorsions fiscales pouvant résulter du type de population prise en compte dans le projet ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État chargée du commerce extérieur. Monsieur le sénateur, votre question m’offre l’occasion de faire un point d’ensemble sur la fiscalité relative aux éoliennes, c'est-à-dire aux « installations de production d’électricité utilisant l’énergie mécanique du vent situées dans les eaux intérieures ou la mer territoriale ».
En effet, un certain nombre de modifications législatives sont intervenues depuis que vous avez posé votre question écrite – je pense notamment à la loi du 27 juillet 2010 de modernisation de l’agriculture et de la pêche –, et je suis désolée que vous n’ayez pas reçu de réponse.
Vous le savez, la taxe que vous évoquez est due par l’exploitant des éoliennes et assise sur le nombre de mégawatts installés dans chaque unité de production au 1er janvier de l’année d’imposition.
Le produit de cette taxe est affecté au fonds national de compensation de l’énergie éolienne en mer, à l’exception des prélèvements effectués au profit de l’État au titre des frais d’assiette, de recouvrement, ainsi que de dégrèvement et non-valeurs que celui-ci prend à sa charge.
Comme je l’indiquais, la répartition des ressources du fonds en question a été modifiée par la loi du 27 juillet 2010 de modernisation de l’agriculture et de la pêche.
Avant l’adoption de cette loi, une première moitié du fonds était répartie par le préfet du département dans lequel est installé le point de raccordement au réseau public de distribution ou de transport d’électricité des éoliennes en mer entre les communes littorales d’où elles sont visibles, en tenant compte de la distance qui les sépare de l’un des points du territoire des communes concernées et de la population de ces dernières.
La répartition s’effectue désormais – c’est l’une des modifications introduites par la loi – directement au profit des communes littorales.
La seconde moitié des ressources prélevées était répartie par le conseil général du département dans lequel est installé le point de raccordement de l’éolienne au réseau public de distribution ou de transport d’électricité, dans le cadre d’un fonds départemental pour les activités maritimes de pêche et de plaisance.
Désormais, cette seconde moitié est répartie de la manière suivante : 35 % des ressources sont affectées au comité national de l’organisation professionnelle des pêches maritimes et des élevages marins pour le financement de projets concourant à l’exploitation durable des ressources halieutiques et 15 % des ressources sont affectées, à l’échelle de la façade maritime, au financement de projets concourant au développement durable des autres activités maritimes.
Je vous précise que la loi adoptée en 2010 n’a pas modifié les critères de répartition. C’est donc le décret du 26 août 2008, que vous avez évoqué, qui fixent les conditions de cette répartition. Il est prévu que les communes bénéficiaires du fonds sont les « communes littorales définies à l’article L. 321-2 du code de l’environnement et dont, dans un rayon de 12 milles marins autour d’une unité de production, celle-ci est visible d’au moins un des points de leur territoire. »
La répartition du produit entre les communes concernées résulte de l’application d’un taux moyen, calculé à partir de deux taux tenant respectivement compte de la population et de la distance à l’éolienne.
Le chiffre de la population pris en compte est bien celui de la population totale, d’après le dernier recensement effectué par l’Institut national de la statistique et des études économiques, l’INSEE. C’est d’ailleurs la population qui est habituellement retenue en matière fiscale ; il n’y a pas de spécificité en la matière.
En tout état de cause, ni la législation, modifiée par la loi du 27 juillet 2010 de modernisation de l’agriculture et de la pêche, ni le décret de 2008 ne font de distinction entre les communes depuis lesquelles les éoliennes maritimes sont visibles et les communes littorales. Les conditions sont cumulatives, le fonds ayant uniquement pour objet de compenser les gênes visuelles ou économiques subies par une collectivité.
M. le président. La parole est à M. Raymond Couderc.
M. Raymond Couderc. Il y a effectivement un problème d’acceptabilité de telles installations par les populations des communes littorales.
Si la majorité des habitants de villes comme Agde ou Narbonne, que j’ai mentionnées tout à l’heure, sont en centre-ville – seule une infime partie de la population réside sur la côte –, certaines communes sont, en revanche, entièrement littorales. Et il risque d’y avoir des difficultés si ces dernières estiment que la répartition retenue les pénalise au profit de communes plus peuplées mais dont les habitants ne vivent pas directement en bord de mer.
avenir des missions locales
M. le président. La parole est à M. Ronan Kerdraon, auteur de la question n° 990, transmise à M. le secrétaire d'État chargé de l'emploi.
M. Ronan Kerdraon. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, ma question porte sur l’avenir des missions locales pour l’emploi des jeunes. Celles-ci sont – faut-il le rappeler ? – des pivots dans l’accompagnement d’un public dont le taux de chômage est particulièrement élevé, atteignant 23,7 %, comme cela a été souligné pendant le débat sur les retraites.
Ces structures œuvrent chaque jour pour permettre une meilleure insertion professionnelle, donc une meilleure insertion sociale. De fait, elles sont indispensables.
Madame la secrétaire d’État, votre collègue Laurent Wauquiez a annoncé très récemment que les financements pour 2011, hors plan de relance, seraient reconduits. Comment le croire alors que les grandes orientations du projet de loi de finances pour 2011 indiquent le contraire ?
Certes, le plan de relance a apporté 51 millions d’euros de crédits supplémentaires à ces structures. Mais il s’agissait d’un palliatif, nombre d’entre elles fonctionnant déjà en conciliant une forte charge de travail et un effectif réduit.
Le document d’orientation sur le budget pluriannuel de l’État sur la période 2011-2013 et le projet de loi de finances pour 2011 ont suscité de nombreuses craintes, que votre collègue n’a pas su lever. Il ne suffit pas de flatter ; encore faut-il apporter des garanties sur le long terme !
Or, dans le même temps, Pôle emploi va mal.
Des agents en contrats précaires voient leur CDD renouvelé parfois jusqu’à sept fois, pour être ensuite remerciés ! Dans mon département, à Loudéac, une personne se trouve dans cette situation. Et vous annoncez dans le même temps la suppression de 800 postes par an dès 2011. Je vous passe les témoignages très cruels des demandeurs d’emploi injustement radiés.
Pour faire face à cette situation, plutôt que de continuer à soutenir les structures de proximité, qui doivent déjà combler les carences de Pôle emploi et dont l’action est ciblée sur une tranche de population en grande difficulté, vous décidez de réduire la participation de l’État dans leurs budgets !
Les moyens supplémentaires accordés dans le cadre du plan de relance n’ont pas suffi à faire progresser l’insertion professionnelle de ces jeunes. Jean-Patrick Gille, député d’Indre-et-Loire et président de l’Union nationale des missions locales, a bien résumé les choses : « on se doutait que ces crédits ne seraient pas pérennisés, mais on s’attendait à ce qu’ils soient retirés progressivement ».
Non seulement vous supprimez ces crédits brutalement, mais, pis, vous décidez de sacrifier plus généralement une grande partie des dispositifs d’aide à l’emploi indispensables. Belle équation ! De moins en moins de personnels, de moins en moins d’outils, pour un service public de l’emploi plus efficace ? C’est le monde à l’envers !
Les contrats d’accompagnement formation seront supprimés à la fin de 2012. Il n’est plus possible aujourd’hui d’engager un jeune en contrat d’initiative emploi par le biais d’un « CIE jeunes », et les collectivités territoriales, parce qu’elles sont étranglées, n’adhéreront plus aux contrats d’accompagnement dans l’emploi passerelle, les « CAE passerelle ».
Conclusion, vous êtes en train de sonner le glas des contrats aidés.
Comment cela se traduira-t-il sur les missions locales ?
Je prendrai le cas de la mission locale de Saint-Brieuc, dont je suis le président. Elle a connu en trois ans 40 % d’augmentation de la fréquentation de jeunes demandeurs d’emploi. En 2009, la structure s’occupait de 3 000 dossiers ; aujourd’hui, elle en gère 3 800. Pourtant le nombre de conseillers n’a pas augmenté. La mission sera peut-être même obligée de licencier dans l’année qui vient.
Un conseiller gère en moyenne 150 jeunes. Il s’agit souvent d’un public peu qualifié et en réelle demande d’accompagnement, ce qui représente deux ou trois rendez-vous par semaine. C’est intenable.
Par ailleurs, vous réduisez le champ d’action des acteurs des missions locales. C’est incompréhensible.
Quels objectifs assignez-vous aux missions locales ? Faire mieux avec toujours moins ?
Le bon fonctionnement de ces structures est entravé faute d’une volonté politique réelle de garantir la pérennité du service public de l’emploi.
Quel sera le devenir de ces missions locales qui font leurs preuves au quotidien dans l’accompagnement des jeunes demandeurs d’emploi ?
Madame la secrétaire d'État, quelles garanties le Gouvernement compte-t-il apporter pour prévenir les risques de licenciement et garantir le bon fonctionnement du service public de l’emploi ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État chargée du commerce extérieur. Monsieur Kerdraon, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser Laurent Wauquiez, qui ne peut être présent dans cet hémicycle ce matin et m’a chargée de vous répondre.
Vous rappelez avec raison le rôle majeur que jouent les missions locales pour accompagner les jeunes dans l’accès à l’emploi, en particulier dans le contexte de crise que nous avons connu.
Je peux vous assurer que le soutien de l’État en faveur de ces missions locales ne faiblira pas. Laurent Wauquiez l’a confirmé lors de la dernière journée nationale des missions locales qui s’est tenue à Bercy le 30 septembre dernier et a signé un protocole avec l’ensemble des associations d’élus – l’Association des maires de France, l’Assemblée des départements de France, l’Association des régions de France –, cofinanceuses avec l’État des missions locales.
Dans le cadre de ce protocole, l’État s’engage à maintenir dans le projet de loi de finances pour 2011 les financements de la mission « Emploi » en direction des missions locales. Néanmoins, ce maintien des crédits doit, à l’évidence, être une incitation à rechercher la performance maximale de chaque mission locale au profit des jeunes accompagnés.
Le renforcement continu par l’État des moyens des missions locales, à travers l’ouverture de la prescription des contrats aidés, une cotraitance rénovée en 2010 avec Pôle emploi, ainsi que le choix de poursuivre au-delà des cinq ans initialement prévus le programme CIVIS, ou contrat d’insertion dans la vie sociale, témoigne de la reconnaissance par le Gouvernement du rôle de « pivot » – vous l’avez très justement évoqué – des missions locales.
Dans ce cadre, le renforcement temporaire effectué par le plan de relance, en 2010, constituait une réponse à la crise exceptionnelle traversée par le pays.
Lors des dix réunions interrégionales avec les présidents et directeurs des missions locales qui ont été organisées par l’Union nationale des missions locales, l’UNML, et le Conseil national des missions locales, le CNML, avec la participation des services du ministère de l’emploi entre avril et juin 2010 pour accompagner le déploiement de cet effort exceptionnel lié à la crise, l’accent a été mis sur le caractère non reconductible des crédits du plan de relance. C’est d’ailleurs le cas de l’ensemble des crédits de la mission « Plan de relance de l’économie ».
Le maintien de moyens pérennes aux missions locales met ces dernières en situation de tenir toute leur place au sein du service public de l’emploi, ainsi que vient de le souligner un récent rapport de l’Inspection générale des finances.
M. le président. La parole est à M. Ronan Kerdraon.
M. Ronan Kerdraon. Madame la secrétaire d'État, je ne suis pas forcément convaincu par la réponse que vous venez de m’apporter.
L’insertion est une réelle chance pour ceux qui n’en ont pas. Or le Gouvernement prend le prétexte d’une prétendue reprise pour supprimer les postes d’insertion.
Chez moi, en Bretagne, ce sont 800 postes qui sont ainsi concernés. Le risque est grand de compliquer le parcours déjà difficile de l’insertion. Nous assistons donc à un véritable désengagement de l’État.
Certes, le Gouvernement a signé un protocole. Laurent Wauquiez, je le sais, a beaucoup complimenté les missions locales et a tenté de les rassurer. Il leur a affirmé qu’elles n’étaient ni des satellites ni des succursales, mais qu’elles se situaient au cœur de la bataille pour l’emploi, qu’elles constituaient la colonne vertébrale de la politique en faveur de l’emploi. Je partage tout à fait cette analyse, mais je souhaiterais qu’elle fasse l’objet d’une traduction concrète.
J’éprouve donc encore quelques inquiétudes.
financement des emplois aidés
M. le président. La parole est à M. Martial Bourquin, auteur de la question n° 1025, adressée à M. le secrétaire d'État chargé de l'emploi.
M. Martial Bourquin. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, ma question est malheureusement une nouvelle illustration du désengagement de l’État dans un secteur que l’on pensait épargné, l’emploi, à l’heure où notre pays traverse une très grave crise économique et sociale.
Des associations et des collectivités locales embauchant des personnes en « contrat aidé » ont en effet appris, par une circulaire en date du 8 juillet 2010, que l’État allait faire passer de 90 % à 80 % sa participation à l’emploi de ces personnes dans le secteur non marchand au cours du second semestre de 2010, le Gouvernement incitant à la limitation des heures de travail proposées.
On pourrait comprendre cette décision dans une situation d’euphorie économique et de bons résultats en matière de lutte pour le plein-emploi. Mais le chômage est en augmentation de 3,9 % en un an et concerne plus de 10 % de la population active. Ce n’est pas que ce que j’appelle de bons résultats !
Cette mesure ressemble à une double peine pour nos concitoyens.
C’est une peine économique et sociale puisque ces contrats aidés sont de vrais garde-fous contre la précarité et constituent des marchepieds appréciables vers l’emploi durable.
Mais c’est une double peine parce que les associations et les collectivités locales qui emploient ces personnes le font au service de la collectivité et accomplissent des missions de service public. Je pense, notamment, aux nombreuses communes en milieu rural qui n’auront pas les moyens de conserver ces personnels. Je pense aussi aux quartiers en difficulté où des associations et des maisons de quartier ne pourront plus employer ces personnes dans la même proportion.
Le désengagement de l’État à hauteur de 10 % menace directement la qualité de ces missions, met en danger ces contrats et, surtout, ne permet plus de nouvelles embauches.
Madame la secrétaire d'État, je pose une question simple : le Gouvernement cessera-t-il de passer aux associations et aux collectivités locales le « mistigri » de la lutte contre la précarité et révisera-t-il son intention de se désengager ?
J’ai entendu votre réponse précédente. La crise n’est pas finie. Les banques ont été sauvées, les grandes entreprises ont été aidées, mais la situation économique et sociale est on ne peut plus grave. Un plan de relance doit être mis en œuvre pour les populations de notre pays, notamment dans les bassins d’emploi qui souffrent terriblement de cette grave crise économique et sociale.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État chargée du commerce extérieur. Monsieur le sénateur, Laurent Wauquiez vous prie de bien vouloir excuser son absence et m’a chargée de vous transmettre sa réponse.
En 2010, l’État a recouru de façon très massive à l’outil que représentent les contrats aidés pour permettre à des personnes éloignées de l’emploi de remettre le pied à l’étrier et faire en sorte qu’elles ne décrochent pas sur la longue durée.
La loi de finances pour 2010 prévoyait 360 000 contrats d’accompagnement dans l’emploi, les CAE, et 50 000 contrats d’initiative emploi, les CIE. Le plan « Rebond pour l’emploi » a abondé ces enveloppes. Au total, sur l’année 2010, ce sont 400 000 CAE et 120 000 CIE qui seront conclus, soit le niveau le plus élevé depuis dix ans.
Les plafonds de prise en charge par l’État du coût de ces contrats sont fixés à 95 % pour les CAE et à 30 % pour les CIE. La loi de finances pour 2011 prévoit pour les ateliers et chantiers d’insertion un taux pouvant aller jusqu’à 105 %. Il revient aux préfets de région de déterminer par arrêté les montants d’aide en fonction des publics prioritaires et non par type d’employeurs.
Il semble à cet égard important de souligner que les contrats aidés ne sont pas des aides pour financer des postes correspondant à des emplois pérennes chez certains employeurs. Il s’agit de leviers pour favoriser l’insertion professionnelle de leurs bénéficiaires.
En ce qui concerne la fin de l’année 2010, dans certaines régions, un volume élevé de prescriptions depuis le début de l’année a entraîné une surconsommation des crédits, ce qui a conduit au dernier trimestre à ralentir ou à reporter des prescriptions. Je vous confirme toutefois que les engagements de l’État en 2010 seront totalement respectés. C’est ce que Christine Lagarde et Laurent Wauquiez ont indiqué aux préfets lors d’une réunion de travail la semaine dernière. La priorité sera donnée aux renouvellements des contrats « prioritaires », c'est-à-dire aux assistants de vie scolaire et aux ateliers et chantiers d’insertion.
Cela étant, il faut aussi être clair. Nous devons faire preuve d’un esprit de responsabilité dans un contexte qui exige de chacun d’entre nous un effort pour rétablir l’équilibre des finances publiques, et ce alors que les perspectives sur le marché de l’emploi s’améliorent : les volumes de contrats aidés en 2011 devront s’ajuster. Le budget de 2011 prévoit ainsi 340 000 contrats aidés dans le secteur non marchand et 50 000 contrats aidés dans le secteur marchand. Ce sont des niveaux qui, vous en conviendrez, restent très élevés.
Notre objectif est ainsi de piloter de façon pragmatique et souple cet outil indispensable que sont les contrats aidés, en tenant compte néanmoins de l’effort budgétaire nécessaire.
M. le président. La parole est à M. Martial Bourquin.
M. Martial Bourquin. Mme la secrétaire d'État, votre réponse appelle de ma part une réaction. Quand le chômage baissera durablement, on pourra envisager la baisse que vous annoncez des contrats aidés.
Selon les derniers chiffres, notre pays compte 28 000 demandeurs d’emploi supplémentaires. C’est une augmentation de la précarité sans précédent. Nous traversons la crise la plus grave depuis 1929.
L’aide à l’économie a été assurée de façon massive ; l’aide à la population, notamment en direction des personnes précaires, des personnes privées de travail, des jeunes parfois qualifiés et n’ayant pas encore trouvé d’emploi durable, doit être non pas seulement maintenue, mais également augmentée.
Nos concitoyens attendent en effet la partie sociale du plan de relance, et elle tarde à venir. Dans une situation aussi grave que la nôtre, il ne faut absolument pas négliger la question déterminante de l’emploi. Nous sortons d’un débat sur les retraites. Nous savons parfaitement que 100 000 personnes cotisant auprès des différentes caisses de retraite pour la protection sociale, cela représente 1,5 milliard d’euros.
En se désengageant du secteur de l’emploi, le Gouvernement aggrave les déficits sociaux et le déficit des retraites. C’est pourquoi toute notre attention, aujourd'hui, doit être portée sur la question de l’emploi. Le désengagement de l’État dans ce secteur est dommageable. Le Gouvernement doit revoir sa copie.
bilan de l'application de l'accord de londres sur la traduction des demandes de brevets européens
M. le président. La parole est à M. Richard Yung, auteur de la question n° 1039, adressée à M. le ministre chargé de l'industrie.
M. Richard Yung. Ma question porte sur l’accord du 17 octobre 2000 sur l’application de l’article 65 de la convention sur la délivrance de brevets européens, plus communément appelé « accord de Londres », qui traite de la traduction des brevets européens.
Après de longues années de combat, cet accord, dont la France a eu l’initiative, est entré en vigueur en 2008. Il a pour principale caractéristique de réduire très sensiblement les coûts liés à la traduction des brevets européens.
Le texte fondateur dans ce domaine – la convention sur la délivrance de brevets européens du 5 octobre 1973, dite « convention de Munich » – prévoyait qu’un brevet puisse être traduit dans chacune des langues des vingt-sept États membres de l’Union européenne.
Cette disposition constitue en fait une sorte d’impôt sur l’innovation que l’Europe s’impose à elle-même. Si l’on considère, mes chers collègues, qu’une traduction coûte de 2 000 euros à 3 000 euros et si l’on multiplie ce coût par le nombre de pays désignés, c’est-à-dire sept ou huit, c’est bien un impôt sur l’innovation avoisinant 20 000 euros que nous nous appliquons à nous-mêmes. Nous nous mettons ainsi en position de faiblesse, en termes de compétitivité, par rapport aux États-Unis, au Japon ou encore à la Corée.
L’accord de Londres vise donc à ne permettre le dépôt et la traduction des brevets que dans une des trois langues officielles de l’Office européen des brevets, c'est-à-dire le français, l’anglais ou l’allemand.
Cet accord étant en vigueur depuis maintenant deux ans et demi, je souhaite interroger le Gouvernement sur sa mise en œuvre. Combien de pays l’ont ratifié ? Quel bilan le Gouvernement tire-t-il de son application ? Quels sont les effets mesurés, s’agissant de la réduction de coûts pour les déposants français et européens ?
Enfin, questions subsidiaires relatives aux préoccupations exprimées quant à l’emploi des traducteurs de brevets, quelles mesures le Gouvernement a-t-il pris par rapport à ces professionnels et comment ce dossier progresse-t-il ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État chargée du commerce extérieur. Vous avez raison, monsieur Yung, de souligner l’importance de cet accord de Londres en matière de réduction des coûts et de facilitation de l’activité d’innovation dans les entreprises. Il y a là, nous le savons bien, une clé de la préservation de la compétitivité européenne et française.
Après plus de deux ans d’application de ce dispositif, le ministre chargé de l’industrie a engagé une évaluation complète des économies réalisées et des bénéfices retirés de l’accord. Cette étude est en cours de finalisation et, bien évidemment, mesdames, messieurs les sénateurs, elle vous sera communiquée.
Les premières analyses des résultats de l’enquête menée auprès des entreprises confirment d’ores et déjà que l’accès aux brevets est moins coûteux et donc plus attractif. Selon les États désignés, les nouvelles règles de traduction permettent de réaliser une économie de 25 % à 30 % des coûts. Les entreprises, pour la plupart, utilisent cette dernière pour élargir la couverture géographique de leurs brevets, en demandant une protection dans un plus grand nombre de pays qu’auparavant. Cette évolution est évidemment très positive, puisqu’elle permet une valorisation plus large, sur un marché potentiel plus important, des innovations.
S’agissant des pays signataires, de toute évidence, plus leur nombre augmentera, plus l’effet sera important et bénéfique. À ce jour, quinze États sont parties à l’accord de Londres, le dernier à y avoir adhéré étant la Lituanie, qui l’applique depuis le 1er mai 2009. La prochaine entrée en vigueur de l’accord aura lieu en Hongrie, à la date du 1er janvier 2011.
Parallèlement, comme vous le savez, monsieur le Yung, les instances européennes travaillent à la création du brevet de l’Union européenne, qui sera un titre unique de protection, valable dans l’ensemble des pays européens (Mme Catherine Tasca acquiesce.), et le système en sera d’autant simplifié.
D’importants progrès sont en cours de réalisation sur cette question, notamment grâce aux propositions du commissaire européen chargé du marché intérieur et des services, Michel Barnier.
Je réponds enfin à votre dernière série de questions. Vous les avez qualifiées de « subsidiaires », mais, comme le prouve d’ailleurs le fait même que vous les ayez posées, elles ont toute leur importance.
S’agissant donc de l’activité des traducteurs de brevets, deux catégories de mesures ont été mises en place : des mesures de formation et de reconversion, d’une part, et des mesures d’accompagnement sociales et fiscales, d’autre part.
Sur le premier point, plusieurs sessions de formation spécifiques ont été organisées par l’Institut européen entreprise et propriété intellectuelle, ou IEEPI.
Des crédits ont également été engagés pour encourager la traduction des normes en français, activité extrêmement importante pour laquelle les traducteurs de brevets disposent de compétences adaptées. L’Association française de normalisation, l’AFNOR, a lancé un appel d’offres pour sélectionner les traducteurs intéressés par ce type de missions et, grâce à ces contrats passés avec l’AFNOR, plusieurs traducteurs de brevets ont pu renouveler leurs activités.
Sur le second point – les mesures d’accompagnement sociales et fiscales –, la situation des traducteurs de brevets est examinée au cas par cas par les URSSAF, les trésoreries et les centres des impôts dont ils relèvent. Les traducteurs peuvent se rapprocher de ces différents services. Des solutions spécifiques à chaque cas particulier ont été recherchées avec les personnes concernées, afin d’assurer, pour elles aussi, la mise en œuvre la plus efficace de l’accord de Londres.
M. le président. La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. Je souhaiterais faire deux commentaires.
Je vois que quinze pays ont signé l’accord de Londres. Ceux qui ne sont pas signataires de ce dernier vont se trouver progressivement isolés : ils ne seront pas désignés dans la mesure où leur désignation impliquerait une dépense de 2 000 à 3 000 euros supplémentaires. Ils seront donc rapidement conduits à ratifier l’accord.
Par ailleurs, je pense que nous ne sommes pas loin d’aboutir à un accord sur les deux points importants qui sont en cours de discussion : le brevet de l’Union européenne – l’ancien brevet communautaire – et l’accord juridictionnel sur la mise en place d’un tribunal compétent en matière de brevets. De longues discussions ont été menées et les deux dernières présidences du Conseil de l’Union européenne ont été très actives.
Néanmoins, un blocage essentiel demeure sur le problème de la langue, celui de l’Espagne.
Sachant que nous sommes réellement très proches d’un accord, il me semble que la France devrait manifester plus d’énergie sur cette question et faire pression sur le gouvernement espagnol. Elle agit, d’après moi, avec une certaine timidité, alors même qu’elle a été à l’initiative de l’accord de Londres, qu’elle joue et pourra jouer un rôle central sur ces sujets, notamment dans le système juridictionnel.
Tel est le message que je souhaitais transmettre : la France devrait faire savoir à l’Espagne toute l’importance d’une convergence dans ces domaines.
D’ailleurs, pourquoi ne pas envisager des coopérations renforcées, c’est-à-dire des coopérations excluant les pays non signataires ? Après tout, l’accord de Londres, sans entrer dans le système communautaire, est une bonne illustration de cette mécanique…
M. le président. Mes chers collègues, dans l’attente de l’arrivée de M. le secrétaire d’État à la justice, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix heures cinq, est reprise à dix heures quinze.)
M. le président. La séance est reprise.
sanctions pénales applicables à saint-barthélemy dans les matières transférées à la collectivité
M. le président. La parole est à M. Michel Magras, auteur de la question n° 1018, adressée à Mme la ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés
M. Michel Magras. Monsieur le secrétaire d'État, dans les domaines de compétence délimités par l’article L.O. 6214-3 du code général des collectivités territoriales, la collectivité de Saint-Barthélemy est habilitée à fixer les règles applicables sur l’ensemble de son territoire. Elle peut donc décider de remplacer les règles en vigueur en métropole par abrogation d’un code ou d’une loi intervenant dans ces domaines.
Parallèlement, l’article L.O. 6214-5 du même code permet à la collectivité de participer, sous le contrôle de l’État, à l’exercice de la compétence en matière de droit pénal en vue de la répression des infractions aux règles qu’elle a fixées.
Pour mémoire, la procédure établie à cet effet par l’article L.O. 6251-3 du code général des collectivités territoriales prévoit que les actes fixant les sanctions pénales sont d’abord transmis au ministre de l’outre-mer qui les transmet à son tour au ministre de la justice. Les actes doivent ensuite faire l’objet d’un décret d’approbation totale, partielle ou d’un refus d’approbation avant leur ratification par le Parlement pour qu’ils puissent entrer en vigueur.
Mais alors que la loi organique laisse un délai de deux mois après transmission au Gouvernement pour la promulgation du décret, ce délai est en réalité largement dépassé.
L’acte fixant les sanctions pénales en matière d’urbanisme a été promulgué par le décret n° 2009-1645 du 23 décembre 2009 et est en cours de ratification. Il n’est donc pas en vigueur.
S’agissant des sanctions pénales des codes des contributions locales et de l’environnement, les décrets sont toujours en attente.
Or la non-applicabilité de ces dispositions pose aujourd’hui des difficultés d’ordre pratique.
En l’occurrence, dès lors que le code national a été abrogé par la collectivité afin d’y substituer un code local, il convient de savoir quelle règle s’applique dans le silence du code local.
Je vous serais donc reconnaissant, monsieur le secrétaire d'État, de bien vouloir me préciser quelles sont les règles pénales applicables dans cette situation et, au-delà, s’il convient de considérer que, même en cas d’abrogation du code national, les sanctions pénales continuent d’être applicables à Saint-Barthélemy.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État à la justice. Monsieur Magras, votre question, très concrète, est tout à fait pertinente.
Saint-Barthélemy, collectivité d’outre-mer autonome, dispose en effet aujourd'hui de compétences plus étendues que celles qui sont dévolues aux départements et aux régions, notamment en matière d’urbanisme.
La collectivité de Saint-Barthélemy peut donc « participer, sous le contrôle de l’État, à l’exercice des compétences qui relèvent de la compétence de l’État en matière de droit pénal », en adoptant « des actes dans le domaine du droit pénal aux seules fins mentionnées à l’article L.O. 6214-5 ».
Ces actes doivent être approuvés par les autorités de l’État qui peuvent les refuser pour des motifs de légalité comme d’opportunité.
Conformément à l’article 74 de la Constitution, les sanctions pénales définies par le législateur national continuent dès lors à s’appliquer sur le territoire de la collectivité lorsque les actes pris localement ne sont pas encore entrés en vigueur. C’est la situation que, précisément, vous avez décrite à l’instant.
Si, toutefois, les incriminations nationales spécifiques en matière d’urbanisme s’avèrent en pratique inapplicables localement – c’est le cas de figure que vous évoquiez – en raison de l’abrogation du code national, il appartient aux autorités locales de faire application des infractions de droit commun les plus adaptées aux faits de l’espèce, l’infraction de mise en danger d’autrui notamment.
Nous sommes donc là dans une démarche d’interprétation des textes, qu’il convient d’adapter à la réalité en se référant aux éléments de droit existant. C’est au fond la méthode que vous suggériez dans votre question qui devra s’appliquer. Telle est la réponse que je peux vous apporter, monsieur le sénateur.
M. le président. La parole est à M. Michel Magras.
M. Michel Magras. Monsieur le secrétaire d'État, j’ai bien compris que, dans l’attente de l’applicabilité des sanctions locales, les sanctions nationales restent applicables sur l’ensemble du territoire, à condition, bien entendu, qu’elles correspondent aux mêmes infractions. (M. le secrétaire d’État acquiesce.)
On peut toutefois regretter que la procédure, qui est particulièrement bien encadrée par la loi puisqu’elle fixe les limites à ne pas dépasser, donne lieu à un processus relativement long, susceptible de retarder l’entrée en vigueur des règles que nous fixons.
Cela étant, je vous remercie particulièrement de la clarté de votre réponse.
mise en oeuvre du contrat d'autonomie
M. le président. La parole est à Mme Virginie Klès, auteur de la question n° 988, adressée à M. le ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique
Mme Virginie Klès. Monsieur le président, mes chers collègues, j’ai souhaité poser cette question orale pour rappeler à M. Woerth les termes de la question écrite n° 08863, adressée le 28 mai 2009 à M. le ministre du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville sous le titre « Mise en œuvre des contrats d’autonomie », qui n’a toujours pas obtenu de réponse.
Monsieur Bockel, je vous remercie donc d’être venu y répondre.
En effet, dans le contexte actuel de chômage très élevé des jeunes, les résultats et les coûts de la mise en place de ces contrats d’autonomie posent problème aux acteurs de la politique de l’emploi. D’ici à 2011, le Gouvernement visait l’embauche de 45 000 jeunes âgés de 16 à 25 ans et issus de zones urbaines sensibles ou vivant dans des territoires couverts par un contrat urbain de cohésion sociale.
L’encadrement et le suivi de ces jeunes inscrits dans ce système ont été confiés à des opérateurs privés, lesquels ont parfois rencontré des difficultés et ont eu recours à des partenariats avec les missions locales et Pôle emploi. D’ailleurs, le dispositif de délégation au secteur privé avait suscité des interrogations en 2008, ainsi que le coût prévu de ces mesures, notamment par comparaison avec les CIVIS, les contrats d’insertion dans la vie sociale, qui, eux, étaient uniquement confiés aux missions locales.
Le ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique a annoncé en avril 2010 qu’après des débuts difficiles 26 486 contrats d’autonomie étaient signés et que 4 247 jeunes bénéficiaient désormais d’un emploi stable, d’une formation qualifiante ou possédaient leur propre entreprise, c'est-à-dire une sortie positive.
Un vrai bilan s’impose aujourd'hui. Il est légitime que la représentation nationale soit informée du taux réel de réalisation du dispositif et des sorties positives ou non, du succès ou des échecs des méthodes employées par les prestataires désignés, du rôle réel des missions locales et de leur plus-value dans le système, y compris quand elles ont été seules à répondre et seules à mettre en œuvre le dispositif. Il est également légitime que nous soyons informés du montant des sommes engagées et, surtout, du nombre de participants insérés durablement dans l’emploi, ainsi que des critères utilisés pour mesurer qualitativement et quantitativement ces sorties.
En conséquence, je renouvelle ma demande tendant à ce que M. le ministre du travail nous précise ses intentions à ce sujet, ainsi que la nature des informations dont il dispose quant à l’évaluation de ce dispositif.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État à la justice. Madame la sénatrice, je vais en effet vous répondre au nom du ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique, dont je vous prie de bien vouloir excuser l’absence ce matin. Je le fais d’autant plus volontiers que le sujet dont traite votre question me tient également à cœur en tant qu’élu local.
À la mi-septembre 2010, 36 940 contrats d’autonomie avaient été signés depuis le lancement de ce programme en septembre 2008. Votre première question en 2009 était donc intervenue à mi-chemin. Nous avons aujourd'hui une meilleure visibilité. Ces contrats représentent 82 % des 45 000 contrats que le Gouvernement s’était fixés comme objectif à l’horizon 2011. Nous pouvons considérer que cet objectif sera atteint, ce qui est une bonne nouvelle.
En effet, cela signifie que les difficultés de démarrage qu’ont pu rencontrer quelques-uns des trente-cinq départements concernés par ce dispositif ont été surmontées : aujourd’hui, le contrat d’autonomie est reconnu comme un outil complémentaire – et non pas concurrent – de l’action du service public de l’emploi, et il profite aux jeunes les plus éloignés du marché du travail, conformément à l’objectif au départ.
Ainsi, ce dispositif, qui concerne près de 7 500 jeunes, a permis à 63 % d’entre eux d’accéder à un emploi et à 35 % d’entre eux de suivre une formation qualifiante. C’est rassurant et encourageant pour les presque 14 000 contrats qui sont encore aujourd’hui au début du dispositif et qui doivent se poursuivre.
Parmi les jeunes qui suivent la totalité du parcours, 50 % retrouvent un emploi, accèdent à une formation qualifiante ou créent une entreprise. C’est un résultat d’autant plus encourageant qu’un jeune sur deux en contrat d’autonomie n’a aucune qualification au départ. Ce résultat justifie l’engagement important de l’État dans ce dispositif, pour un montant total dépensé à ce jour d’un peu plus de 61 millions d’euros.
Au-delà de ces chiffres, je tiens à vous rassurer sur deux points.
Tout d’abord, sur ce dispositif comme sur l’ensemble des politiques conduites en ce domaine, le Gouvernement est très attaché à l’évaluation des résultats. La direction générale de l’emploi et de la formation professionnelle, la DGEFP, a mis en place un système d’information qui est alimenté directement par les opérateurs ; il permet de disposer chaque semaine de toutes les données relatives aux entrées et sorties du dispositif.
Sur le plan plus « qualitatif », une première évaluation a été conduite par la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, la DARES, en lien avec les directions concernées, sur la base d’études monographiques.
Cette première évaluation montre que ce dispositif est très apprécié des jeunes, qui soulignent l’intensité de l’accompagnement et la disponibilité des opérateurs. Nous avons sans doute à progresser sur la prospection des emplois ou le partenariat avec les acteurs économiques, mais les choses s’améliorent, comme l’illustre le fait que le taux de sortie positive est en augmentation depuis 2009.
Des enquêtes complémentaires sont en cours, dont les premiers résultats devraient être connus à la fin de l’année. Au vu de ceux-ci, et avant la fin du dispositif prévu au premier quadrimestre 2011, nous rediscuterons avec le secrétaire d’État chargé de l’emploi, Laurent Wauquiez, des suites de ce dispositif. L’accompagnement des jeunes les plus éloignés du marché du travail vers l’emploi demeure l’une des priorités du Gouvernement, que nous partageons tous.
Mme Virginie Klès. Monsieur le secrétaire d'État, je vous remercie des chiffres que vous nous avez communiqués. Néanmoins, ils ne répondent pas à mes questions sur le plan qualitatif par rapport aux objectifs annoncés.
On nous dit que les jeunes les plus éloignés de l’emploi ont un taux de sortie positive du dispositif. Mais sur quels critères se fonde-t-on ? Quel a été le rôle réel des missions locales dans les cas où elles ont accompagné les partenaires privés ayant obtenu les marchés ? Ont-elles reçu des crédits de la part de ces partenaires privés ? J’aimerais savoir quelle part d’argent a été directement donnée aux jeunes et quelle part est restée dans les cabinets privés qui avaient obtenu ce marché.
Il me manque encore, vous le voyez, beaucoup d’informations pour avoir une réelle évaluation du dispositif. Je continue à me demander pourquoi ce dernier a été créé sans que lui soient délégués un certain nombre de crédits pour le financer dans son ensemble puisque, manifestement, l’argent existe.
Donc, redonnez des crédits aux missions locales pour les remettre au cœur du dispositif en tant que prescripteurs, car elles sont les mieux à même de repérer les jeunes les plus en difficulté et de les orienter non pas vers ce seul dispositif mais vers celui dont ils ont besoin !
Pour moi, les jeunes les plus éloignés de l’emploi ne peuvent pas être accompagnés uniquement par des partenaires privés. Même si ces derniers ont la connaissance des entreprises, l’accompagnement doit être beaucoup plus poussé. Il existe aujourd'hui de nombreux dispositifs, tels que les cadets de la République ou l’école de la deuxième chance, qui mériteraient de recevoir beaucoup plus de crédits, surtout lorsque l’on voit tout l’argent accordé au privé.
traitement des déchets d'activités de soins à risques infectieux
M. le président. La parole est à M. Claude Biwer, en remplacement de M. Yves Détraigne, auteur de la question n° 1014, adressée à Mme la ministre de la santé et des sports.
M. Claude Biwer. Madame la secrétaire d'État, je souhaite, à la demande de mon collègue Yves Détraigne, appeler votre attention sur les retards pris dans l’application du principe dit de « responsabilité élargie des producteurs » à la filière de traitement des déchets d’activités de soins à risques infectieux, DASRI, des patients en auto-traitement.
Cette responsabilité, je le rappelle, repose sur un décret qui a été publié le 22 octobre dernier, décret familièrement appelé « boîtes jaunes », qui prévoit notamment que la mise sur le marché de médicaments à l’origine de DASRI doit être accompagnée de la fourniture gratuite de boîtes vides tant aux pharmacies chargées de les distribuer qu’aux patients en auto-traitement.
Elle repose également sur un décret, toujours en attente de publication, qui impose la collecte des boîtes pleines en pharmacie et le financement de la collecte et de l’élimination par les metteurs sur marché, via un éco-organisme qui n’a toujours pas vu le jour.
Plus de huit mois après la date d’application légale du dispositif et alors que l’article 30 de la loi de finances de 2009 prévoyait la mise en œuvre, à partir du 1er janvier 2010, de dispositifs de collecte de proximité des DASRI en privilégiant, faute de dispositifs locaux, le retour des DASRI en pharmacies, la filière n’est toujours pas en place.
Je souligne que près de 10 % des déchets d’activités de soins à risques infectieux sont encore mélangés aux déchets ménagers banals malgré la promulgation, en juillet dernier, de la loi du 12 juillet 2010, dite Grenelle II, portant engagement national pour l’environnement, qui contraint désormais les pharmacies, laboratoires d’analyse et établissements de soins à collecter gratuitement ces déchets. L’Hexagone compte donc à ce jour 4 000 à 5 000 centres de collecte, alors qu’il en faudrait 10 000 pour couvrir les besoins.
Considérant que près de 2 millions de patients en auto-traitement attendent une solution adaptée, qu’il y va de la responsabilité de l’État d’œuvrer rapidement en ce sens et que la mise en œuvre de ces décrets présente un caractère particulièrement urgent au vu des accidents qui continuent de se produire dans les centres de tri, je vous demande de bien vouloir me préciser sous quel délai sera désormais mise en place une filière sécurisée pour l’élimination des déchets d’activités de soins à risques infectieux.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Rama Yade, secrétaire d'État chargée des sports. Monsieur le sénateur, vous attirez l’attention de la ministre de la santé et des sports, que je représente aujourd'hui, sur la question du traitement des déchets d’activités de soins à risques infectieux.
L’article de la loi de finances pour 2009 auquel vous faites allusion posait un problème important. En effet, il ne différenciait pas les DASRI coupant ou piquant, qui peuvent poser des problèmes de contamination, des DASRI ni coupant ni tranchant, comme les compresses, qui peuvent être éliminés par la voie des déchets ménagers. Si leur collecte devait également être confiée aux pharmaciens, des problèmes insurmontables de stockage et d’hygiène se poseraient alors.
C’est pourquoi l’article 187 de la loi Grenelle II prévoit de restreindre aux DASRI perforants les déchets devant entrer dans cette filière d’élimination.
Le décret d’application prévu par cet article est en cours de rédaction. Quant au décret concernant la mise à disposition de conteneurs pour les patients en auto-traitement, il a été publié au Journal officiel du 24 octobre 2010.
Il indique que les patients en auto-traitement générant des DASRI piquant ou coupant recevront de leur pharmacien un collecteur de déchets d’un volume correspondant à celui des produits délivrés.
Ces conteneurs seront fournis gratuitement aux pharmaciens par les fabricants de médicaments et de dispositifs médicaux piquant ou tranchant. Ce décret entrera en vigueur le 1er novembre 2011.
M. le président. La parole est à M. Claude Biwer.
M. Claude Biwer. Je suis très satisfait de la réponse apportée par Mme la secrétaire d'État. Je regrette toutefois que le décret n’entre en vigueur que le 1er novembre 2011, ce qui est tout de même une date un peu lointaine.
fermeture de l'unité de cardiologie interventionnelle de l'hôpital de mantes-la-jolie
M. le président. La parole est à Mme Catherine Tasca, auteur de la question n° 1019, adressée à Mme la ministre de la santé et des sports.
Mme Catherine Tasca. Madame la secrétaire d'État, la confirmation de la fermeture de l’unité de cardiologie interventionnelle du centre hospitalier de Mantes-la-Jolie suscite une forte incompréhension au sein de la population de ce bassin de vie.
Cette incompréhension est partagée par les élus locaux et les professionnels de santé qui ont rapidement constitué un comité Cœur Hôpital Mantes, dont je salue la délégation conduite par Patrick Lefoulon, premier adjoint au maire de Mantes-la-Ville.
L’hôpital public de Mantes s’était vu autorisé en 2008 par l’Agence régionale de l’hospitalisation, l’ARH, à se doter d’une salle de coronarographie. Cette autorisation a été prise sur la base de plusieurs études portant sur la nécessité pour ce bassin de vie et les départements limitrophes de disposer d’un tel équipement. L’implantation de ce matériel performant pour un coût de 1,2 million d’euros s’est accompagnée du recrutement de deux médecins et de la formation des personnels nécessaires. Une équipe a été mise en place pour assurer le service vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
Moins de six mois après l’ouverture de cette unité, l’Agence régionale de la santé, l’ARS, en décrète la fermeture. Cette décision reste incompréhensible à plus d’un titre.
Tout d’abord, cette fermeture constitue un véritable gâchis humain et financier au vu des moyens investis tant au niveau du personnel que du budget alloué à la rénovation du service.
Mais, surtout, elle repose sur une application rigide de l’arrêté du 14 avril 2009 : elle part du constat comptable d’un nombre d’actes inférieur au seuil fixé par le décret, ce qui apparaît pourtant assez normal pour un service opérationnel depuis seulement six mois.
Or, on observe sur cette même période une augmentation ininterrompue des actes réalisés. Ainsi, les examens pris globalement ont crû de 29 %, les coronarographies de 14 % et les dilatations coronaires en urgence de 304 %, ce qui devait assurer à cette unité d’atteindre, au plus tard au premier semestre de 2011, l’objectif des 350 actes.
Enfin, nous avons appris mercredi dernier la fermeture de l’unité de soins intensifs cardiologiques. L’ARS avait pourtant assuré que la fermeture de l’unité de cardiologie interventionnelle ne remettait pas en cause l’unité de soins intensifs cardiologiques.
On nous affirme que cette fermeture est temporaire, mais il est manifeste que c’est l’ensemble du service de cardiologie de l’hôpital public de Mantes-la-Jolie qui est aujourd’hui menacé.
Madame la secrétaire d'État, le Gouvernement entend-il demander à l’ARS de revenir sur cette fermeture et de proroger l’ouverture du service de cardiologie interventionnelle pour une période de dix-huit mois, seule décision à même de permettre une évaluation objective de la pertinence de cette offre de soins ?
Le Mantois, pauvre en structures de santé publique, est un bassin de vie qui regroupe des populations souvent défavorisées, mais qui connaît une réelle expansion démographique et pour lequel les élus travaillent à dessiner de nouvelles perspectives de développement.
Votre réponse nous éclairera sur la volonté réelle du Gouvernement de soutenir ou non le développement de ce bassin de vie, trop longtemps laissé pour compte.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Rama Yade, secrétaire d'État chargée des sports. Madame la sénatrice, vous interrogez la ministre de la santé et des sports sur le devenir du service de cardiologie interventionnelle du centre hospitalier de Mantes-la-Jolie.
De nouveaux décrets définissant les conditions techniques de fonctionnement conditionnent désormais l’autorisation d’activité de cardiologie interventionnelle à un seuil minimal d’activité fixé à 350 actes de cardiologie interventionnelle par an. L’Agence régionale d’hospitalisation d’Île-de-France a logiquement intégré cette condition dans son nouveau schéma régional d’organisation sanitaire portant sur l’activité de cardiologie. Les établissements souhaitant assurer une activité de cardiologie interventionnelle ont été invités à déposer, au cours de l’été 2010, un dossier de demande d’autorisation.
Pour sa part, le centre hospitalier de Mantes-la-Jolie avait développé, depuis 2007, une activité dans ce domaine, sans obtenir l’accord préalable de l’ARH d’Île-de-France. Il a, de ce fait, pris la décision de ne pas déposer de dossier de demande d’autorisation auprès de l’Agence régionale de santé d’Île-de-France. L’établissement, conscient de ne pas être à même d’atteindre le seuil fixé, a renoncé à ce projet. Cette activité a certes progressé entre 2007 et 2009, mais sans atteindre le seuil requis : 86 actes d’angioplastie coronarienne en 2007, 83 en 2008 et 136 en 2009. L’activité se situe par conséquent en dessous du seuil réglementaire et, au regard des conditions d’implantation, l’ARS d’Île-de-France n’aurait pu autoriser cette activité.
Elle l’aurait d’autant moins autorisée que le département des Yvelines comprend quatre centres pratiquant l’activité de cardiologie interventionnelle, qui garantissent une prise en charge en urgence des patients de façon satisfaisante : deux centres publics – Versailles et Poissy-Saint-Germain-en-Laye – et deux centres privés – Evecquemont et Parly 2.
La sécurité des soins est donc assurée pour les habitants du territoire de Mantes-la-Jolie, et nous n’avons de problèmes ni d’aménagement du territoire ni d’accessibilité à une offre de soins publique.
Une coopération active peut, d’ailleurs, être engagée par le centre hospitalier de Mantes-la-Jolie avec le centre d’Evecquemont, situé à vingt-sept kilomètres. Elle permettrait aux praticiens du centre hospitalier qui le souhaitent de poursuivre une activité de cardiologie interventionnelle.
Cette action, outre qu’elle renforcera les liens entre les structures au bénéfice des patients, sera de nature à maintenir l’attractivité du centre hospitalier pour le recrutement de nouveaux cardiologues. Roselyne Bachelot a demandé à l’ARS d’Île-de-France de solliciter le centre d’Evecquemont pour connaître ses projets dans ce domaine et l’inciter à mettre en place une telle coopération.
Le centre hospitalier de Mantes-la-Jolie a donc logiquement cessé son activité de cardiologie interventionnelle en juillet 2010, sans qu’il en résulte de manquement à la continuité des soins, et poursuit ses activités d’hospitalisation complète et de soins intensifs en cardiologie.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Tasca.
Mme Catherine Tasca. Madame la secrétaire d’État, votre réponse ne nous rassure pas et, de surcroît, vous n’apportez aucun élément d’explication. Nul ne peut croire que la création d’un service de cette importance à l’hôpital de Mantes-la-Jolie s’est faite sans autorisation : il est bien évident que le service avait obtenu le feu vert de l’Agence. Nous avons donc véritablement la démonstration de l’impéritie de la gestion du secteur public de la santé.
Les règles ont changé. Nous demandons au Gouvernement de suspendre la décision de fermeture et de donner une chance réelle à l’établissement de respecter le contrat, c'est-à-dire d’atteindre le nombre d’actes requis. L’établissement était prêt à le faire. Claude Évin, le directeur de l’ARS, a d’ailleurs lui-même reconnu que le nombre d’actes était en progression constante.
Vous devez savoir que la carte de santé du département des Yvelines est très pauvre en structures publiques. L’hôpital de Mantes-la-Jolie a été inauguré en grande pompe par le président Chirac il n’y a pas si longtemps. Il dessert une population particulière, nombreuse, en expansion, et souvent très défavorisée. La décision qui a été prise et la réponse que vous venez de me faire démontrent que l’État et l’Agence ont choisi de favoriser le développement des structures privées.
Vous nous renvoyez sur l’hôpital d’Evecquemont, structure privée, qui couvre d'ailleurs un territoire beaucoup moins bien desservi que celui de Mantes-la-Jolie. Il est clair que le Gouvernement n’a pas comme objectif d’étendre le secteur public de santé. Il en va d’ailleurs de même à Trappes, où un hôpital privé assure le service aux habitants.
Nous ne sommes donc absolument pas satisfaits de l’option qui semble être la vôtre dans ce domaine. Toute confirmation de la fermeture de l’unité de cardiologie interventionnelle équivaudrait pour le département des Yvelines à creuser un peu plus les inégalités d’accès aux soins et la fracture territoriale.
état d'avancement du projet de branche sud du tgv rhin-rhône
M. le président. La parole est à M. Gilbert Barbier, auteur de la question n° 1022, adressée à M. le secrétaire d'État chargé des transports.
M. Gilbert Barbier. Monsieur le président, mes chers collègues, le projet Rhin-Rhône, né dans les années quatre-vingt-dix, avait pour vocation de réaliser une desserte ferroviaire verticale allant de l’Alsace à Barcelone, ce qui aurait permis de réaliser le premier TGV ne reliant pas Paris.
Le 11 décembre 2011, la branche Est du TGV Rhin-Rhône sera mise en service. Les deux autres branches, Est et Sud, ont toujours figuré au projet et devaient, notamment pour la branche Sud, avancer concomitamment ou dans la foulée de la branche Est. On m’a toujours assuré que la branche Sud ne serait, en aucun cas, remise en cause. Or, depuis quelque temps, il n’est plus possible de parler de cette branche sans entendre : « Si elle se fait... ».
Certes, il y a eu les études préalables, l’enquête publique avec des propositions de tracés, notamment pour la partie nord, dans le département du Jura, pour lequel j’ai toujours pensé que le tracé longeant l’autoroute A 39 n’était pas la bonne option.
Pourtant, Réseau ferré de France vient seulement de remettre sa copie au préfet de région coordinateur, alors qu’il aurait dû le faire au début de l’année. Par ailleurs, il semble que des études socio-économiques complémentaires aient été commandées. Doit-on y voir un enterrement de la branche Sud ? Beaucoup le murmurent et les opposants se frottent déjà les mains.
Il faut dire que ni l’Union européenne, ni l’État, ni RFF, ni les collectivités n’ont encore chiffré leur participation financière à ce projet. Pis, tout en se disant favorable à celui-ci, la présidente de la région Franche-Comté a laissé entendre qu’elle n’envisageait pas de le financer, arguant des difficultés financières de la région.
Il semble aussi que la branche Sud ne figure plus parmi les axes prioritaires du schéma européen des infrastructures de transport.
Je peux comprendre que les estimations portant sur la rentabilité d’une telle ligne – 1 000 à 1 100 voyageurs par jour – ne soient guère enthousiasmantes pour d’éventuels financeurs. En tant qu’élu jurassien, il est donc de mon devoir d’insister : sans cette branche, sans oublier les gares, il n’y aura plus de TGV à long terme dans le Jura !
Les Jurassiens comme les élus des communes concernées par les différents tracés sont dans l’attente. Ils aimeraient rester optimistes, mais ils sont légitimement inquiets devant les rumeurs qui, elles, circulent à grande vitesse.
Dans ce dossier, il est temps de trancher, d’autant que des sommes importantes ont déjà été englouties dans des études. Si cette branche est jugée non rentable, si personne n’envisage de la financer, qu’on le dise franchement au lieu d’ordonner des études complémentaires.
Madame la secrétaire d’État, pouvez-vous, sans utiliser la langue de bois, apporter une réponse à tous ceux qui soutiennent le projet de branche Sud ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Rama Yade, secrétaire d'État chargée des sports. Monsieur le sénateur, vous avez souhaité appeler l’attention du secrétaire d’État chargé des transports sur l’état d’avancement du projet de branche Sud du TGV Rhin-Rhône.
Comme vous le savez, la branche Sud de la ligne à grande vitesse Rhin-Rhône doit relier la branche Est entre Dijon et Mulhouse, qui est en cours de construction depuis 2006 et sera mise en service à la fin de 2011, à l’agglomération lyonnaise. Ce projet vise à réduire les temps de parcours vers la vallée du Rhône et l’ensemble de l’arc méditerranéen ; il vise également à permettre la circulation d’un plus grand nombre de trains de fret sur l’axe nord-sud.
Dans le cadre des études préliminaires de la branche Sud, Réseau ferré de France, maître d’ouvrage de l’opération, a étudié différents fuseaux de passage. Une consultation formelle de l’ensemble des acteurs concernés, et donc des élus, a été menée jusqu’au 31 décembre 2009. Le préfet de région Franche-Comté, préfet coordonnateur du projet, remettra à Jean-Louis Borloo le bilan de cette consultation et son avis dans les toutes prochaines semaines.
Comme vous le soulignez, cette consultation a donné lieu à de nombreuses contributions et à de multiples prises de position de la part de tous les acteurs concernés. Il en sera fait une analyse approfondie dès que les conclusions du préfet de région auront été transmises. Le Gouvernement sera donc en mesure de décider des suites à donner à l’étude de ce projet après avoir pris connaissance des conclusions des études préliminaires, des résultats de cette consultation et du rapport du préfet.
Je souhaite également vous préciser que ce projet est inscrit au programme des 2 000 kilomètres de lignes ferroviaires nouvelles à grande vitesse, à lancer d’ici à 2020, figurant dans la loi Grenelle I. Ce projet est d’ailleurs inscrit dans l’avant-projet du schéma national des infrastructures de transport publié au mois de juillet.
Vous le savez, le schéma sera soumis au Parlement dans le cadre d’un débat sans vote, qui doit intervenir, au sein de votre assemblée, d’ici à la fin de l’année. Vous aurez alors l’occasion de rappeler l’attachement que vous portez à ce projet.
Je vous confirme également que, comme la branche Est, la branche Sud de la ligne à grande vitesse Rhin-Rhône fait bien partie de l’axe prioritaire n° 24 du réseau transeuropéen de transport, qui relie notamment Lyon aux ports de Rotterdam et d’Anvers via Bâle.
M. le président. La parole est à M. Gilbert Barbier.
M. Gilbert Barbier. Je vous remercie, madame la secrétaire d’État, de cette réponse. Cependant, j’entends ce discours depuis des mois sans que le dossier avance.
Ainsi, le point de savoir si la branche Sud sera ou non une ligne mixte fret et voyageurs n’a toujours pas été tranché. Or créer une ligne mixte ou une ligne à grande vitesse est totalement différent.
En outre, vous m’indiquez que ce projet fait toujours partie de l’axe prioritaire du réseau transeuropéen de transport. Or, quand on se renseigne directement auprès de Bruxelles, il semble en avoir disparu.
Nous aurons l’occasion de soulever à nouveau ce problème lors du débat que vous avez évoqué, qui devrait avoir lieu d’ici à la fin de l’année. En attendant, je ne peux me satisfaire de cette réponse.
fiscalité du floc de gascogne
M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou, auteur de la question n° 920, adressée à M. le ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'État.
M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la fiscalité des vins de liqueur est toujours prohibitive. Le Floc de Gascogne, comme le Pineau des Charentes, fait partie de cette catégorie taxée à 1,63 euro la bouteille, alors que les deux autres catégories, les vins doux naturels et les vins aromatisés industriels, qui ont des caractéristiques similaires, sont respectivement taxés à 40 centimes et à 3 centimes la bouteille.
Quand les vins aromatisés industriels comme le Martini augmentent de 1 centime, le Floc de Gascogne augmente de 63 centimes, ce qui crée une distorsion de concurrence considérable et génère de l’injustice. Cette disparité de taxation entre des vins apéritifs qui ont tous un degré d’alcool compris entre quinze et dix-sept degrés est, je le répète, totalement injuste, et donc inacceptable.
Le produit de cette taxe rapporte 3 millions d’euros à l’État. Certes, dans une période où les recettes sont maigres, le moindre euro compte. Mais, dans un avenir très proche, ces recettes disparaîtront avec les producteurs de Floc.
Dans une région où l’esca fait des ravages, où les revenus des viticulteurs, comme ceux de l’ensemble de la population agricole, sont en forte chute, où les contraintes environnementales sont lourdes et les rendements bas, une fiscalité à un tel niveau stérilisera l’économie. Pour alerter l’État et l’opinion sur leurs difficultés, les producteurs de Floc et de Pineau, rejoints par ceux du Macvin du Jura, ont été conduits à décider, ce qui est grave, une grève fiscale.
Représentants, eux aussi, de la viticulture française, les producteurs de vins de liqueur n’acceptent pas la taxation démesurée et discriminatoire de leurs produits, discrimination dont ils attendent toujours la justification.
En décembre 2002, Alain Lambert, alors ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire, avait mis en place un plan quinquennal de soutien en faveur des vins de liqueur AOC. Le Gouvernement compte-t-il reconduire ce plan ? Envisage-t-il de prendre d’autres mesures ?
Madame la secrétaire d’État, essayez donc de justifier cette fiscalité discriminatoire. Je sais que vous ne pourrez y parvenir. En conséquence, quand le Gouvernement remédiera-t-il à cette injustice en taxant de la même façon des produits similaires ?
M. Gilbert Barbier. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Rama Yade, secrétaire d'État chargée des sports. Monsieur le sénateur, la fiscalité applicable au Floc de Gascogne relève en effet de l’application de la section IV relative aux produits intermédiaires de la directive du 19 octobre 1992 concernant l’harmonisation des structures des droits d’accises sur l’alcool et les boissons alcooliques.
Ces produits comprennent, d’une part, les boissons fermentées ne résultant pas entièrement d’une fermentation et ayant un titre alcoométrique volumique excédant 5,5 % par volume pour les boissons non mousseuses, comme par exemple le Floc de Gascogne ou le Pineau des Charentes, et 8,5 % par volume pour les boissons mousseuses et, d’autre part, les boissons fermentées résultant entièrement d’une fermentation, dont le titre alcoométrique volumique est supérieur ou égal à 15 % et inférieur à 22 %.
Certains produits industriels dont l’alcool résulte entièrement d’une fermentation, et dont le titre alcoométrique volumique ne dépasse pas 15 % par volume, bénéficient d’une fiscalité inférieure applicable aux boissons fiscalement assimilées au vin. Ces produits, considérés communément comme des apéritifs et fabriqués traditionnellement à base de vin aromatisé muté à l’alcool, ont adapté leur processus de fabrication pour bénéficier d’une fiscalité réduite.
Conscientes des conséquences préjudiciables qui peuvent naître de cette différence de taxation entre des produits similaires pour le consommateur, les autorités françaises ont évoqué cette question lors du Comité des accises de l’Union européenne de janvier 2010. Dans ce cadre, tous les nouveaux processus de fabrication des boissons font actuellement l’objet de travaux issus d’une étude communautaire.
Toutefois, les vins de liqueur et ces produits industriels étant des catégories distinctes, il ne sera pas possible d’amener le tarif applicable aux produits intermédiaires à un niveau comparable à celui des vins. En effet, le taux minimum communautaire applicable aux produits intermédiaires reste fixé à un niveau beaucoup plus élevé que celui applicable aux vins. Conscient des problèmes des vins de liqueur AOC, le Gouvernement a engagé une réflexion sur la fiscalité applicable aux vins de liqueur.
Il est à noter cependant que toute modification brutale de la structure de taxation nationale risquerait de provoquer des déséquilibres préjudiciables à l’ensemble du secteur des boissons alcooliques.
S’agissant de l’indexation annuelle des droits d’accises sur les prix à la consommation qui s’applique à tous les produits alcooliques, elle ne fait que compenser l’érosion monétaire des taxes qui n’évoluent pas avec la valeur des produits.
Dans ces conditions, et compte tenu de leur impact, les évolutions de fiscalité sur ces produits ne peuvent intervenir sans une concertation interministérielle associant, d’une part, le ministère de l’agriculture et, d’autre part, le ministère de la santé.
M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou. Madame la secrétaire d’État, je comprends la distinction que vous opérez entre les vins de liqueur et les autres boissons alcooliques. Reste que vous ne justifiez pas leur différence de taxation, qui est prohibitive et totalement injuste. D’ailleurs, aucun membre du Gouvernement n’est parvenu à justifier cette disparité.
Cependant, je constate que vous laissez la porte ouverte en indiquant que le Gouvernement réfléchit à une façon de réparer cette injustice. Il est vrai que, en France, comme souvent, on se contente de procéder à des aménagements quand on constate qu’une situation est anormale. En l’occurrence, il vaudrait mieux repartir de zéro et voir comment on peut taxer de la même façon des produits similaires.
réforme de la formation des enseignants
M. le président. La parole est à M. Philippe Madrelle, auteur de la question n° 1003, adressée à M. le ministre de l'éducation nationale, porte-parole du Gouvernement.
M. Philippe Madrelle. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis la rentrée scolaire, de très nombreux rapports sur l’éducation ont été publiés dans notre pays. Leurs conclusions sont extrêmement alarmantes.
La gravité de tels constats exigerait des réponses fortes, capables de mettre un terme à ces échecs et de redonner au service public de l’éducation nationale un rôle prioritaire. On en est malheureusement très loin avec la réforme de la formation des enseignants, qui risque d’avoir des conséquences particulièrement néfastes sur l’ensemble du système éducatif.
La loi Fillon du 23 avril 2005, qualifiée de loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école, précisait le rôle des IUFM, les instituts universitaires de formation des maîtres. Faisant alterner des périodes de formation théorique et de formation pratique, les cours dispensés par les IUFM donnaient satisfaction. Dès lors, pourquoi avoir imposé une telle réforme souvent qualifiée d’« aberrante » par les professionnels eux-mêmes ?
Les lauréats des concours de 2009 – avant cette réforme, donc – ont accompli une année de formation en alternance, alors que les lauréats des concours de 2010 sont passés directement des connaissances théoriques universitaires à une classe. Vous serez d’accord, monsieur le ministre, pour dire que le tout jeune enseignant que l’on plonge ainsi brutalement dans une classe doit être doté de solides qualités et équilibré psychologiquement pour réussir à se faire respecter.
Pourquoi avoir pris le risque d’accroître les difficultés des enseignants débutants, qui doivent assurer un service d’enseignement aussi lourd que celui des enseignants chevronnés ?
Pour passer les épreuves orales et écrites d’un master 2 effectué en deux ans ou plus, les étudiants devront faire face à un programme d’études ambitieux, avec de très nombreuses heures de cours, sans bénéficier d’une formation pédagogique digne de ce nom. Loin de les préparer au terrain, cette « universitarisation » subite et précipitée de la formation constitue une prise de risque dangereuse pour l’étudiant qui aura à participer à une course d’obstacles particulièrement difficile. En outre, cette « universitarisation » renforcera et amplifiera les inégalités sociales en raison de temps d’études de plus en plus longs, de coûts de plus en plus lourds, sans oublier une sélection de plus en plus sévère, voire cruelle.
Monsieur le ministre, permettez-moi de souligner le caractère paradoxal de telles mesures au moment où l’on assiste à la multiplication de dispositifs d’admission préférentielle destinés à aider les élèves les plus défavorisés. Hélas, ces dispositifs ne sont que cosmétiques, largement insuffisants pour ne pas dire inopérants !
Les étudiants qui se retrouvent dans ce parcours de mastérisation mi-universitaire, mi-professionnel ne bénéficient plus de véritable formation en alternance. Ils doivent se contenter de « compagnonnage » et de « stages en responsabilité ». On peut donc s’interroger sur les modalités de formation et de rémunération de ces « compagnons ». Selon quels critères les professeurs expérimentés seront-ils appelés à exercer ce tutorat sur les étudiants ? Aucun contenu précis ni aucune définition n’ont été apportés à cette formation.
Monsieur le ministre, vous en conviendrez, cette réforme a été décidée dans la plus grande confusion. Les textes d’application restent vagues, très flous et obscurs en ce qui concerne les orientations. Chaque académie va être libre d’interpréter les textes : on peut alors craindre que la mise en concurrence des universités, déjà effective par endroits, n’accentue les inégalités entre les rectorats, les départements et les régions. Une telle réforme peut engendrer de très bons étudiants, futurs précaires de l’éducation nationale, et non pas de bons enseignants. Enseigner est un métier, un métier qui s’apprend.
Lourde à mettre en œuvre, contraire à l’égalité républicaine, une telle réforme remet en cause la continuité du service public. Force est de constater que l’éducation nationale n’échappe pas elle non plus à cette idéologie de l’ultralibéralisme qui réduit les services publics et supprime les fonctionnaires. La politique d’éducation nationale est loin d’être à la hauteur des ambitions affichées.
Comme le remarque fort justement l’écrivain, réalisateur mais aussi professeur Philippe Claudel, « quand une société n’est plus capable de reconnaître le rôle civilisateur de l’éducation, de comprendre que cette fonction est essentielle et qu’elle doit s’exercer dans des conditions satisfaisantes, elle marche sur la tête. »
M. le président. Monsieur Madrelle, je vous rappelle que le temps de parole dont dispose l’auteur de la question est de trois minutes.
La parole est à M. le ministre.
M. Luc Chatel, ministre de l’éducation nationale, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur Madrelle, le recrutement et la formation des enseignants sont des enjeux essentiels pour la performance de notre système éducatif. C’est ce qui nous a poussés à prolonger d’une année la formation de ceux-ci. Une telle mesure traduit la haute ambition que nous avons pour l’école ; nous avons ainsi aligné la durée de formation de nos enseignants sur celle de la plupart des pays développés.
Cette évolution se traduit d’abord par une exigence disciplinaire – il s’agit de recruter les meilleurs dans leur matière – mais aussi par une capacité d’adaptation à l’évolution des connaissances.
Je le dis clairement, l’excellence académique et la transmission des savoirs ne sont pas contradictoires. Le nouveau concours que nous avons instauré reflète d’ailleurs cette complémentarité : les épreuves écrites attestent de la maîtrise des savoirs à enseigner, tandis que les épreuves orales d’admission valorisent la capacité à concevoir et à développer une séquence d’enseignement.
Cependant, comme vous l’avez indiqué, l’apprentissage du métier d’enseignant passe d’abord par la pratique. C’est la raison pour laquelle nous avons décidé de mettre en place des séquences à la fois d’observation et de mise en situation pendant les études.
Dorénavant, en première année de master, les étudiants qui se préparent au concours effectueront 108 heures de stage d’observation et de pratique accompagnée. Lors de leur deuxième année de master, c’est-à-dire en cinquième année d’études, ils pourront même exercer la totalité des missions confiées à un enseignant à l’occasion de stages de mise en situation de 108 heures également. De plus, ils seront encadrés par des professeurs expérimentés tout au long de leur formation.
Une fois le concours obtenu, les professeurs stagiaires effectuent dorénavant des stages de formation au sein de leur académie d’accueil. C’est une nouveauté mise en place à la rentrée dernière. Ils sont ensuite accompagnés et encadrés par un professeur expérimenté dans le cadre d’un tutorat. S’effectuant sur la base du volontariat, ce tutorat est valorisé puisque chaque enseignant-tuteur perçoit une rémunération. Dans le premier degré, l’accompagnement est d’ailleurs très actif puisque ces tuteurs sont présents dans les classes, en doublon avec les professeurs stagiaires, jusqu’aux vacances d’automne.
En outre, tout au long de l’année scolaire, les professeurs stagiaires bénéficient d’une formation complémentaire sur mesure dont les heures peuvent être réparties au cours de la semaine ou groupées par séquence de formation au cours de l’année.
Vous le voyez, monsieur le sénateur, nous avons pris toutes les dispositions pour relever le niveau de formation de nos enseignants, afin qu’il y ait une complémentarité entre le savoir disciplinaire et la pédagogie.
L’année 2010-2011 constitue une année transitoire, vous le savez, puisque les élèves qui ont été reçus au concours ont commencé leurs études sous l’ancien système. Nous ferons un premier bilan au cours du mois de novembre et, si cela était nécessaire, nous pourrions apporter des améliorations au dispositif pour la rentrée prochaine.
M. le président. La parole est à M. Philippe Madrelle.
M. Philippe Madrelle. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse, mais vous ne pouvez pas m’empêcher de penser qu’une telle réforme contient à terme la disparition des IUFM et des concours. L’État recrutera alors des enseignants vacataires et non plus par la voie du concours. Certes, le coût sera moins élevé, mais cet objectif d’économie à court terme et cette pure vision comptable constituent un renoncement à investir, ce qui sera encore plus coûteux à long terme. Cela montre que l’éducation nationale n’est plus une priorité dans notre pays.
C’est la raison pour laquelle, cette réforme, si mal préparée, fait l’unanimité contre elle. L’art d’enseigner ne s’improvise pas. C’est un métier exigeant et extrêmement éprouvant.
application de la nouvelle bonification indiciaire aux enseignants référents
M. le président. La parole est à Mme Gélita Hoarau, auteur de la question n° 1036, adressée à M. le ministre de l'éducation nationale, porte-parole du Gouvernement.
Mme Gélita Hoarau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées reconnaît le droit à tout enfant porteur de handicap d’être inscrit dans l’école la plus proche de son domicile. Cette loi permet l’application d’une éducation adaptée aux besoins et aux attentes de l’enfant et crée le projet personnalisé de scolarisation, dont la meilleure mise en œuvre, tout au long du parcours de formation, est assurée par l’enseignant référent.
Cet enseignant est un pivot de la scolarisation des enfants porteurs de handicap. Il est l’interlocuteur privilégié des familles, de la maison départementale des personnes handicapées, des établissements scolaires et médico-sociaux et des autres partenaires.
Or, selon les chiffres de l’Union nationale des associations de parents, de personnes handicapées mentales et de leurs amis, l’UNAPEI, en 2008, on dénombrait 1 391 enseignants référents pour 265 000 enfants et adolescents porteurs de handicap.
Parallèlement, la demande de scolarisation des enfants est aussi forte que justifiée. Ainsi, 30 % des demandes de la maison départementale des personnes handicapées de la Réunion concernent des enfants handicapés.
Ce manque de moyens humains pourrait être pallié, notamment par certains réajustements réglementaires. Créée par l’arrêté du 17 août 2006, la catégorie des enseignants référents ne peut prétendre bénéficier de la nouvelle bonification indiciaire, dite NBI, fixée par le décret du 6 décembre 1991, c’est-à-dire antérieurement à sa création.
Monsieur le ministre, une mise à jour du texte de référence de la NBI en faveur des enseignants référents ne serait-elle pas envisageable ? Cette actualisation réglementaire permettrait d’éviter une désaffection de cette fonction de la part des enseignants spécialisés, partenaires incontournables d’une politique efficace de suivi des enfants porteurs de handicap.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Luc Chatel, ministre de l’éducation nationale, porte-parole du Gouvernement. Madame le sénateur Hoarau, vous attirez mon attention sur la situation des enseignants référents de la scolarité des élèves handicapés.
Vous avez rappelé à juste titre que ces personnels jouent un rôle très important auprès des familles d’enfants handicapés, des maisons départementales des personnes handicapées et des établissements. Ils sont en quelque sorte la cheville ouvrière de la politique volontariste de scolarisation des élèves handicapés menée par le Gouvernement depuis 2005.
Permettez-moi de rappeler que nous avons enregistré des progrès considérables dans ce domaine. Le nombre d’élèves handicapés scolarisés a augmenté de plus de 40% depuis 2005. Nous sommes sur le point d’atteindre notre objectif de 2 000 unités localisées pour l’inclusion scolaire, les anciennes unités pédagogiques d’intégration. Je rappelle aussi que plus de 13 000 enseignants spécialisés contribuent à la scolarisation des élèves handicapés.
Pour accompagner cette mobilisation, le ministère déploie des moyens importants. Dans le projet de budget de l’éducation nationale pour l’année 2011 qui va vous être soumis, les crédits à destination des élèves handicapés seront en augmentation de plus de 13 %. Dans le cadre de cet effort budgétaire sans précédent, les enseignants référents de la scolarité des élèves handicapés jouent un rôle capital, en favorisant la cohérence de la mise en œuvre du projet personnalisé de scolarisation et en assurant un contact permanent entre les élèves et leur famille, ainsi qu’entre les équipes enseignantes et les équipes soignantes.
Afin de tenir compte de l’importance de cette fonction, nous avons décidé d’accroître le nombre de ces personnels : de 1 214 durant l’année scolaire 2007-2008, ils sont passés à 1 478 à la rentrée 2010.
Comme vous l’avez indiqué, madame le sénateur, les fonctions de ces enseignants référents ne sont pas au nombre de celles qui donnent lieu à l’attribution d’une nouvelle bonification indiciaire. En effet, ces personnels n’étant pas titulaires d’une classe fixe, que ce soit une classe d’intégration scolaire ou une classe de perfectionnement, ils ne peuvent être éligibles aux mêmes indemnités que les professeurs ayant des élèves à temps complet.
C’est la raison pour laquelle nous avons voulu reconnaître la spécificité du travail et l’engagement de ces enseignants référents. À cette fin, nous avons créé une indemnité spécifique, instituée par le décret du 24 août 2010 applicable dès le 1er septembre dernier, qui s’élève à 929 euros par an.
Pour les enseignants référents du premier degré, titulaires d’un diplôme professionnel spécialisé pour la scolarisation des élèves en situation de handicap, cette indemnité est cumulable soit avec l’indemnité de fonctions particulières, d’un montant de 834 euros, soit avec une bonification indiciaire de 15 points prévue par le décret du 26 janvier 1983 pour les instituteurs.
Vous le voyez donc, madame le sénateur, nous reconnaissons l’engagement de ces personnels, car ils constituent un maillon indispensable dans la chaîne de scolarisation des élèves handicapés. C’est la raison pour laquelle nous avons mis en place cette mesure d’indemnité spécifique.
application des règles sur le bien-être animal
M. le président. La parole est à M. Gérard Bailly, auteur de la question n° 788, adressée à M. le ministre d'État, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat.
M. Gérard Bailly. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ma question porte sur le bien-être animal.
J’interviens en tant que président du groupe d’études de l’élevage du Sénat. Ayant participé au Sénat au groupe de travail « Animal et société » dans le cadre des projets de loi Grenelle I et II, j’ai pu mesurer l’attention portée au bien-être animal dans les élevages et les transports.
Il y a quelques mois, l’Union européenne envoyait une brochure à tous les éleveurs de l’Union, intitulée « PAC et bien-être des animaux : des normes élevées dans l’UE ». Ce critère de bien-être est entré dans la plupart des exploitations et on ne peut qu’y souscrire.
La brochure indique que « ces normes de bien-être peuvent conférer un avantage concurrentiel dans la mesure où les consommateurs européens sont prêts à payer davantage pour la viande, le lait ou les œufs produits dans des conditions respectueuses du bien-être, à condition qu’ils soient effectivement commercialisés comme des produits de première qualité. »
Hélas, dans la conjoncture actuelle, les éleveurs n’ont pas perçu dans les prix le moindre retour de leurs efforts. J’aimerais savoir ce que vous comptez faire pour valoriser les efforts réalisés dans ce domaine par la profession.
Par ailleurs, de nombreuses lois européennes en matière de bien-être sont déjà en vigueur afin que les animaux ne subissent pas de douleurs ni de souffrances, principalement au niveau de l’abattage. Conformément à la définition du protocole sur la protection et le bien-être des animaux annexé au traité CE en 1999, ces règles reflètent les cinq libertés largement reconnues comme définissant l’idéal du bien-être animal : être à l’abri de la faim et de la soif, ne pas souffrir de contrainte physique, avoir la liberté d’exprimer des comportements normaux, être à l’abri de la peur et de l’angoisse, ne pas être sujet à la douleur, aux blessures et aux maladies.
Sans parler des sommes importantes engagées dans le budget de l’État ni des préjudices subis par les éleveurs et les bergers, j’aimerais comprendre comment, face à ces textes, on peut tolérer que, du fait de la réintroduction des prédateurs – loups, ours, lynx –, des milliers d’agneaux soient blessés. Pas moins de 3133 ont été mutilés ou déchiquetés dans des conditions exécrables, sans parler d’autres animaux comme les bovins ou le jeune gibier qui sont aussi attaqués.
Est-ce que l’Europe et le gouvernement français vont accepter encore longtemps la réintroduction des prédateurs et ne pas intervenir pour en limiter les effectifs ? L’actualité montre tous les jours les dégâts qu’ils causent et le profond découragement des éleveurs qui en résulte, notamment dans les élevages ovins.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Luc Chatel, ministre de l'éducation nationale, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le sénateur, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser l’absence de M. Jean-Louis Borloo.
La France s’est engagée à protéger les grands prédateurs que sont l’ours, le loup et le lynx, tant à l’échelon international, dans le cadre de la convention de Berne relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel en Europe, qu’à l’échelon communautaire, en application de la directive du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages.
Dans le droit national, ces dispositions sont transcrites dans le code de l’environnement et par l’arrêté du 23 avril 2007 fixant la liste des mammifères protégés sur l’ensemble du territoire et les modalités de leur protection.
Des dérogations au statut de protection peuvent être accordées, notamment pour prévenir des dommages importants à l’élevage – vous y avez fait référence, monsieur le sénateur –, à condition toutefois qu’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante et que la dérogation ne nuise pas au maintien de l’espèce dans un état de conservation favorable.
De ce fait, des mesures générales de limitation des effectifs ne peuvent être envisagées, bien que des opérations de destruction puissent être autorisées pour répondre ponctuellement aux problèmes qui se posent.
Le plan d’action national sur le loup 2008-2012 prévoit ainsi la mise en œuvre d’une gestion différenciée de cette espèce en fonction de critères liés notamment aux caractéristiques des systèmes d’élevage concernés. L’arrêté du 3 juin 2009 fixe les conditions et les limites dans lesquelles des dérogations aux interdictions de destruction peuvent être accordées par les préfets concernant le loup.
Concernant l’application des règles du bien-être animal aux animaux d’élevage exposés à la prédation, l’annexe de la directive européenne du 20 juillet 1998 concernant la protection des animaux dans les élevages précise que « les animaux non gardés dans des bâtiments sont, dans la mesure où cela est nécessaire et possible, protégés contre les intempéries, les prédateurs et les risques pour leur santé ».
À ce titre, il convient de souligner que, en conformité avec la réglementation européenne et nationale sur le bien-être animal, le Gouvernement finance depuis 2004, tant dans les Pyrénées que dans les Alpes, un ensemble de mesures pour assurer la défense des troupeaux contre la prédation. Le financement de ces mesures – gardiennage, chiens de protection, mise en place de clôtures et de parcs – destinées à garantir le bien-être et la sécurité des animaux d’élevage fait l’objet d’un cofinancement à l’échelon européen. Il représente de loin la partie la plus importante du budget consacré par l’État à la conservation des grands prédateurs.
M. le président. La parole est à M. Gérard Bailly.
M. Gérard Bailly. C’est maintenant au porte-parole du Gouvernement que je vais m’adresser, monsieur le ministre, afin que vous fassiez part à vos collègues des difficultés de compréhension des éleveurs.
D’un côté, on leur demande de faire des efforts considérables dans leurs exploitations en faveur du bien-être de leurs animaux. De l’autre, on laisse ces animaux se faire dévorer dans les alpages en autorisant un trop grand nombre de prédateurs, notamment des loups et des ours, voire en les réintroduisant comme c’est le cas avec le lynx. Les éleveurs ne le comprennent pas.
J’avais posé une question sur ce sujet voilà environ deux ans et on m’avait déjà répondu que le nombre de prédateurs serait limité. Il faut savoir que, en 2009, il y a eu dans l’arc alpin 992 attaques, contre 810 en 2008. Alors qu’on compte aujourd'hui 200 loups dans l’arc alpin et que ceux-ci s’étendent, le nombre d’attaques ne cesse de progresser. Mon département a ainsi subi sa première attaque de loup il y a près d’un an. L’élevage attaqué comptait 240 ovins : 40 brebis ou agneaux ont été tués. Aujourd'hui, l’éleveur a quitté la profession, après avoir vendu son troupeau.
Je rappelle que nous avons rédigé, en 2008, avec mon collègue François Fortassin, un rapport sur le devenir de l’élevage ovin. Nous sommes globalement passés de 11 millions de têtes d’ovins à 8 millions, soit une perte de 3 millions. Or la présence ovine est indispensable dans les alpages dans le cadre de notre politique environnementale. Si nous ne diminuons pas le nombre de prédateurs, nous savons aujourd'hui quels dégâts ils provoqueront dans les années à venir.
Je tiens donc une nouvelle fois à attirer l’attention du Gouvernement sur cette question : certes, il faut des loups, des ours, des lynx – nous sommes d’accord sur ce point –, mais leur nombre doit être limité. À cet égard, je rappelle que les loups ne sont plus une espèce protégée. Il conviendrait donc de limiter leur nombre.
J’ai reçu des articles parus dans la presse dans lesquels on évoque d’éventuelles fermetures de sentiers de randonnée. On a vu un loup aux portes de Gap, un autre a été tué à l’entrée de Grenoble. Cette prolifération va poser de réels problèmes, monsieur le ministre.
Le Gouvernement doit donc prendre conscience de la nécessité de limiter le nombre de prédateurs. Peut-être la France pourrait-elle, à l’instar de nos amis suisses, dénoncer la convention de Berne afin que cette question puisse être rediscutée ?
M. le président. Monsieur Bailly, je salue la passion qui vous anime. D’autres prédateurs, telles les buses, devraient également être régulés.
schéma directeur de la région île-de-france
M. le président. La parole est à M. Michel Houel, auteur de la question n° 1027, adressée à M. le ministre de l'espace rural et de l'aménagement du territoire.
M. Michel Houel. Vous le savez, monsieur le ministre, la région Île-de-France, du fait de son statut de région capitale, occupe une place à part dans le paysage régional français.
Ainsi, le SDRIF, le schéma directeur de la région Île-de-France, est le document de planification destiné à bâtir l’avenir de la région dans les vingt prochaines années. Il est donc le document de référence pour la mise en œuvre des projets dans les communes et les départements franciliens. Or, bien qu’il ait été adopté par le conseil régional le 25 septembre dernier, après trois années de travail, il n’est toujours pas en application.
Indépendamment de ce que nous pouvons en penser, monsieur le ministre, le SDRIF va-t-il pouvoir s’appliquer et à quelle échéance, sachant que de nombreuses communes attendent son entrée en vigueur pour lancer leurs projets ? Comment va-t-il pouvoir s’articuler avec le projet du Grand Paris qui prévoit, à court terme, une réforme de l’urbanisme afin de libérer l’offre foncière ?
Les maires franciliens attendent des réponses à ces questions primordiales, car elles conditionnent le lancement de nombreux travaux, lesquels, d’ailleurs, participeront à la relance de l’économie.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Michel Mercier, ministre de l'espace rural et de l'aménagement du territoire. Monsieur le sénateur, le SDRIF est en effet un document essentiel, puisque tous les autres documents d’urbanisme doivent être compatibles avec lui. Le SDRIF actuel, qui date de 1994, est largement obsolète.
La région a lancé la révision du SDRIF en 2004. À la fin de l’année 2008, elle a adopté un nouveau projet. Le Gouvernement lui a fait part depuis d’un certain nombre d’observations. Il souhaitait que, s’agissant de la région capitale, ce schéma soit porteur de plus d’ambition. Ces réserves ont fait l’objet de nombreuses discussions entre l’État et la région et abouti à la conclusion d’un protocole le 13 juillet 2009 prévoyant, d’une part, la transmission au Conseil d’État d’un SDRIF complété dudit protocole, d’autre part, la mise en révision immédiate du projet porté par le conseil régional. Pour des motifs qui lui sont propres, l’exécutif régional n’a pas souhaité soumettre à son assemblée délibérante ce protocole, le rendant immédiatement caduc.
Il a donc fallu attendre la promulgation de la loi du 3 juin 2010 relative au Grand Paris pour arriver à un nouvel accord sur la transmission du SDRIF au Conseil d’État et sur sa mise en révision immédiate après son approbation afin que soient pris en compte les objectifs fixés par le législateur.
Le Conseil d’État a ainsi été saisi le 8 juin 2010 du projet de décret approuvant le SDRIF. De nombreuses réunions de travail associant le rapporteur du texte au Conseil d’État, les services de la région et ceux de l’État ont eu lieu. Au terme de cet examen, le Conseil d’État, réuni en assemblée générale, a examiné le texte le 28 octobre dernier.
À ce jour, le Gouvernement ne dispose pas encore de l’avis du Conseil d’État. Il est vrai que, d’après les premiers éléments dont nous disposons, cet avis serait plutôt négatif. Le Conseil d’État a jugé tout d’abord que la procédure d’élaboration du SDRIF avait fait l’objet de plusieurs irrégularités, ensuite que le projet comportait des mesures qui n’entraient pas dans le cadre des compétences confiées par la loi à la région, enfin qu’un certain nombre de textes, notamment les deux lois dites « Grenelle », ainsi que la loi relative au Grand Paris, n’avaient pas été correctement prises en compte dans le SDRIF.
Aujourd'hui, nous attendons l’avis formel du Conseil d’État. Lorsque le Gouvernement l’aura, il l’étudiera dans le détail avant de prendre quelque décision que ce soit. J’ai d’ores et déjà indiqué au président du conseil régional, M. Jean-Paul Huchon, que l’État était prêt à examiner avec lui les conséquences à tirer de cet avis concernant le SDRIF de 1994 et à étudier les solutions pouvant être mises en œuvre le plus rapidement possible afin de donner à la région Île-de-France le cadre nécessaire aux ambitions qui sont les siennes.
M. le président. La parole est à M. Michel Houel.
M. Michel Houel. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse.
La question que je viens de vous poser est d’actualité : j’ai appris en lisant la presse aujourd'hui que le Conseil d’État, comme vous venez de me l’indiquer, émettrait un avis plutôt négatif sur le SDRIF, qu’il jugerait incompatible avec le Grand Paris et avec le Grenelle de l’environnement.
Même si je comprends ces arguments, il n’en demeure pas moins que, en tant que maire, je suis lié dans ma commune au schéma directeur si je souhaite modifier le plan local d’urbanisme. À titre indicatif, si le SDRIF était applicable, ma commune pourrait immédiatement engager 3 millions d’euros de travaux. Au moins un tiers des 514 communes que compte mon département sont également dans cette situation : elles attendent le schéma directeur pour pouvoir transformer leur plan d’occupation des sols ou leur plan local d’urbanisme et les rendre compatibles avec le SDRIF. Nous faisons donc face, monsieur le ministre, à un problème d’actualité et à un problème économique importants.
Ne pourrait-on pas sortir une version simplifiée du schéma directeur, quitte à la mettre immédiatement en révision afin de prendre en compte la loi relative au Grand Paris et les lois Grenelle I et II ? Le SDRIF, vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, date de 1994. Il est complètement caduc, car la situation a considérablement évolué depuis lors, et il nous bloque. Il faut donc absolument accélérer l’entrée en application d’un nouveau schéma directeur.
crédit d'impôt et financement des congés des agriculteurs
M. le président. La parole est à M. Yannick Botrel, en remplacement de Mme Jacqueline Alquier, auteur de la question n° 1013, adressée à M. le ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche.
M. Yannick Botrel. Monsieur le ministre, de nos jours, les agriculteurs aussi ont droit à des vacances bien méritées. Ce qui paraissait impensable il y a quelques années est devenu réalité parce qu’ils peuvent bénéficier d’un crédit d’impôt pour financer leur remplacement, lorsque celui-ci est indispensable, pendant leur absence de l’exploitation.
Ainsi, en 2009, 20 000 agriculteurs, principalement des éleveurs puisque, par nature, cette activité exige une présence journalière sur l’exploitation, ont pu prendre quelques jours de congé. Il ne s’agit pas là, monsieur le ministre, et c’est le moins que l’on puisse dire, d’une niche fiscale.
Il s'agit d’une mesure de justice sociale qui est extrêmement symbolique. Elle permet de rapprocher les conditions de vie des agriculteurs de celles des autres catégories de la population française. Surtout, grâce à elle, les familles des éleveurs peuvent élargir leur horizon. Les exploitants sont enfin en mesure de planifier des voyages, de partir chez des amis, de visiter en famille des lieux culturels, de vivre des moments de détente hors de leur lieu de travail.
Un médecin ou un pharmacien qui se fait remplacer trouve, dans les recettes supplémentaires suscitées par cet intérim, les moyens de rémunérer son remplaçant. Les agriculteurs, eux, doivent nourrir et soigner leurs bêtes tous les jours. S’il leur faut être là, cette présence n’entraîne aucune recette supplémentaire. Dès lors, est-il scandaleux que la solidarité nationale joue son rôle ?
Quels arguments d’ordre européen peuvent être invoqués alors que l’on voit mal comment cette mesure, dont le coût global ne dépasse pas 10 millions d’euros par an, pourrait affecter les échanges entre les États membres de l’Union européenne ou fausser la concurrence ?
En outre, alors que ce dispositif coûte, je le répète, 10 millions d’euros par an, soit quatre centièmes de ce que rapporte chaque année l’impôt sur la fortune – cette imposition que le Gouvernement veut supprimer, semble-t-il – croyez-vous vraiment que cette aide soit excessive et injustifiée pour nos agriculteurs ?
Monsieur le ministre, les agriculteurs ne comprennent pas que ce crédit d’impôt ne figure pas dans le projet de loi de finances pour 2011 et qu’il puisse être supprimé à l’avenir. C’est vraiment un très mauvais signal envoyé au monde agricole. Une telle décision paraît d’autant plus inconcevable que les agriculteurs, vous le savez bien, vivent une période très difficile.
C’est aussi mettre en péril les services de remplacement concernés. Cette mesure représente 5 000 heures de remplacement dans le seul département du Tarn et, à l'échelle nationale, 160 000 heures, soit 30 % de l’activité des services de remplacement. En termes d’emplois, elle concerne 800 équivalents temps plein dans le domaine agricole, ce qui, là encore, dans la période que nous traversons, est loin d’être négligeable.
Dans une précédente réponse écrite sur ce dispositif, M. Le Maire avait annoncé à mon collègue Yves Chastan qu’une mission d’évaluation de ce dispositif avait été confiée par ses soins au Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux. Les conclusions de ce travail devaient être disponibles courant septembre.
Toutefois, Mme Alquier n’en a pas trouvé trace. Que prévoit ce rapport ? Que proposez-vous ? Nous pensons toujours que ce dispositif doit être au minimum conservé, et même renforcé pour que plus d’éleveurs puissent en profiter.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Michel Mercier, ministre de l'espace rural et de l'aménagement du territoire. Monsieur le sénateur, je vous demanderai tout d’abord de bien vouloir excuser M. Bruno Le Maire, qui est malheureusement retenu ailleurs. Je m’efforcerai de le remplacer, comme vous le faites pour Mme Alquier, et aussi bien que vous ! (Sourires.)
M. Jean-Pierre Sueur. C’est un duo de remplaçants !
M. Michel Mercier, ministre. Vous l’avez interrogé sur le crédit d’impôt remplacement pour congés.
Il est inutile de mêler cette question à celle d’autres impôts : je vais vous expliquer le plus clairement possible ce qu’il en est.
Premièrement, ce crédit a été institué par la loi d’orientation agricole du 5 janvier 2006. Le coût annuel de cette mesure pour l’État est évalué à 10 millions d’euros. Nous sommes tout à fait d'accord sur ce point.
Deuxièmement, nous sommes tous d'accord également, me semble-t-il, pour considérer que l’exercice de la profession agricole comporte des contraintes fortes de présence sur l’exploitation, plus particulièrement pour les productions animales, où le coût du remplacement de l’exploitant, s’il n’est pas compensé, est le plus souvent regardé comme dissuasif.
Il est vrai également – le Gouvernement en est bien d'accord – que les agriculteurs ont le droit, eux aussi, de prendre du repos.
Le crédit d’impôt remplacement permet d’offrir une prise en charge partielle des absences pour congés en complément des dispositifs qui existent par ailleurs. Reconduite annuellement depuis 2006, cette mesure a permis d’obtenir des résultats appréciables et elle est plébiscitée par les exploitants.
Toutefois, ce dispositif a pu susciter des interrogations de la part de certains parlementaires, s’agissant notamment d’un crédit d’impôt s’ajoutant à une fiscalité particulière.
C’est dans ce contexte que, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2010, un amendement, adopté par le Sénat, a visé à proroger ce dispositif d’une année, c'est-à-dire jusqu’au 31 décembre 2010. Par ailleurs, le ministre a précisé que « cette année de prorogation sera[it] mise à profit pour analyser les enjeux du dispositif dont la reconduction est envisagée, conformément à l’article 11 de la loi de programmation des finances publiques du 9 février 2009 pour les années 2009 à 2012 ».
C'est la raison pour laquelle une mission d’évaluation de ce dispositif a été confiée au Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux. Sur la base de ces travaux, et comme Bruno Le Maire l’a déjà annoncé, le Gouvernement est favorable à la prorogation de cette mesure.
Monsieur le sénateur, n’ayez pas d’inquiétude : le Gouvernement, je le redis clairement, est favorable à la prorogation de ce dispositif.
Afin de respecter les règles européennes applicables en la matière, le bénéfice de ce crédit d’impôt remplacement sera désormais placé sous les dispositions du règlement de minimis. Sa reconduite constitue pour le Gouvernement une mesure de justice à l’égard de nos exploitants, qu’il est légitime d’aider à bénéficier de jours de congés.
Il avait été envisagé initialement de faire figurer cette disposition dans la loi de finances rectificative pour 2010. Toutefois, au regard des fortes attentes exprimées par les parlementaires et par les exploitants, le Gouvernement n’est pas hostile à ce que cette prolongation soit actée dès l’examen de la loi de finances pour 2011, c’est-à-dire quelques jours plus tôt.
Toutefois, que ce soit dans un texte ou dans l’autre, le Gouvernement fera en sorte que cette mesure de crédit d’impôt remplacement soit effectivement prorogée.
M. le président. La parole est à M. Yannick Botrel.
M. Yannick Botrel. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse très complète et très circonstanciée.
La préoccupation qui a été exprimée par plusieurs d’entre nous, en particulier par Mme Alquier et M. Chastan, semble partagée au-delà des travées du groupe socialiste.
D’après les éléments que vous avez pu nous fournir, cette mesure sera prorogée, à juste titre d'ailleurs, pour un coût qui ne sera pas très élevé pour la collectivité. Cette réponse me satisfait, et j’imagine qu’elle conviendra également à mes collègues.
réintroduction des farines de viande dans l'alimentation animale
M. le président. La parole est à M. Alain Fauconnier, auteur de la question n° 1016, adressée à M. le ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche.
M. Alain Fauconnier. Monsieur le ministre, ma question porte sur l’inquiétude causée par la réapparition du spectre des farines animales dans l’agriculture française et, plus particulièrement, dans l’élevage. Ces farines animales n’étaient plus qu’un lointain souvenir ; elles refont surface, tout à coup, sans crier gare.
En effet, selon les informations dont je dispose, il semblerait que la Commission européenne, au mois de juillet dernier, ait clairement envisagé de soumettre au Parlement européen, dans les prochains mois, la réintroduction des farines animales à destination des non-ruminants, c'est-à-dire les porcs, les volailles et les poissons d’aquaculture. Ce serait revenir sur l’interdiction, formulée en juillet 1994, de nourrir les bovins, les ovins et les caprins avec des farines de viande et d’os de mammifères.
Comme on l’imagine sans peine, cette nouvelle, certes assortie d’un certain nombre de précautions scientifiques, a provoqué une réelle émotion un peu partout et de sérieuses interrogations chez tous ceux qui n’ont pas oublié la crise des années quatre-vingt-dix, avec ses chiffres terribles : 190 000 cas d’encéphalopathie spongiforme bovine, des milliers de troupeaux sacrifiés, plus de 200 victimes humaines de la maladie de Creutzfeldt-Jakob.
Ce traumatisme collectif marqua autant les producteurs que les consommateurs. Certes, ce régime ne s’adresse pas aux mêmes animaux que dans le passé, mais tout de même : qui nous assure que les porcs, les volailles et les poissons ingéreront sans risque ces produits ? Les experts ? On sait combien ils peuvent se tromper, parfois sur une grande échelle !
Ce projet vise, nous dit-on, à permettre à l’Union européenne de diminuer sa dépendance en protéines vis-à-vis de l’extérieur, en particulier en ce qui concerne l’importation de soja, de réduire les effets négatifs de l’interdiction des farines sur les plans économiques et environnementaux et, enfin, d’accroître la compétitivité de l’élevage et de l’industrie de la viande.
Je veux bien, pour ma part, comprendre ces raisons et accepter le principe de mise en place d’un « plan protéines » ambitieux, auquel, à titre d’exemple, la région Midi-Pyrénées, dont je suis l’élu, travaille sérieusement sous l’impulsion du conseil régional. Pour autant, faut-il soigner le mal par le mal ?
Dans une période marquée par la baisse régulière de la consommation de viande, une telle mesure ne pourrait, à mon avis, que semer le doute et aggraver la situation des éleveurs. Ceux-ci se demandent avec effroi si l’application d’une telle mesure ne sera pas la boîte de Pandore d’une nouvelle catastrophe épidémiologique.
Les consommateurs, déjà échaudés par les expériences passées, ont besoin de signes positifs qui les rassurent. Cette inquiétude, je la partage d’autant plus que je reste persuadé que deux solutions s’offrent à l’Europe.
La première est la remise en cause des accords de Blair House, signés en 1992, par lesquels l’Europe a accepté de limiter son soutien aux cultures de protéine végétale et s’est engagée à importer du soja américain sans droit de douane. Avec une meilleure utilisation du colza et une reconversion de seulement 7 % des surfaces de céréales, il serait possible de réduire les importations de protéines animales de 41 %.
La seconde solution réside dans la qualité des filières. Elle seule pourra assurer l’avenir de l’élevage : les cogitations de tous les docteurs Folamour, elles, ne pourront à la longue que conduire au désastre !
Voilà pourquoi, monsieur le ministre, je serais particulièrement heureux de connaître la position du Gouvernement sur une application du principe de précaution qui intéresse au plus haut point nos compatriotes, les producteurs comme les consommateurs. J’y insiste : ce matin, toute la filière de l’élevage est à votre écoute.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Michel Mercier, ministre de l'espace rural et de l'aménagement du territoire. Monsieur le sénateur, je vous prie également de bien vouloir excuser Bruno Le Maire, qui est retenu ailleurs. Vous l’avez interrogé sur la position du Gouvernement quant à une éventuelle réintroduction des farines animales dans l’alimentation des animaux de rente.
Le 16 juillet dernier, la Commission européenne a adopté une feuille de route faisant état d’un nouveau programme d’actions pour les cinq années à venir en matière de lutte contre les encéphalopathies spongiformes transmissibles, ou EST. Parmi les mesures envisagées figure le réexamen de certains aspects de l’interdiction totale de l’usage des protéines animales transformées dans l’alimentation des animaux producteurs de denrées alimentaires.
Pourraient ainsi être revues certaines des dispositions qui interdisent, à ce jour, le recours à des protéines animales transformées dans l’alimentation des animaux non ruminants, tels que les porcins, les volailles ou les poissons. Cette révision n’irait cependant pas jusqu’à remettre en cause le principe fondamental du non-recyclage des protéines au sein de la même espèce, ou règle du « non-cannibalisme », ni celui selon lequel est interdit l’emploi de protéines animales transformées issues de mammifères dans l’alimentation des ruminants.
La ré-autorisation des protéines animales transformées dans l’alimentation des espèces autres que les ruminants soulève de légitimes questions d’ordre sanitaire, économique ou éthique.
C’est la raison pour laquelle, avant même l’examen des modifications que pourrait proposer la Commission européenne, Bruno Le Maire a décidé, en juillet dernier, de saisir l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail. L’avis de cet organisme n’a pas encore été rendu à ce jour.
L’Autorité européenne de sécurité des aliments, quant à elle, devrait se prononcer, d’ici à la fin de l’année 2010, sur les risques liés à la présence de petites quantités résiduelles de protéines animales dans les aliments pour animaux.
Par ailleurs, le Conseil national de l’alimentation s’est également saisi du sujet : il s’est proposé d’étudier l’acceptabilité sociétale de la réintroduction de farines animales dans l’alimentation de certaines espèces dont les produits sont destinés à la consommation humaine. Un avis définitif est attendu pour la fin du mois de juin 2011.
Enfin, les techniques d’analyse permettant de déterminer l’espèce animale dont sont issues les protéines transformées devront avoir été validées préalablement à l’examen de toute proposition de modification réglementaire. La validation de ces techniques par la Commission et les États membres pourrait intervenir à l’automne de cette année.
C’est à la lumière de ces éléments et des avis attendus que le Gouvernement examinera les propositions de modification de la réglementation communautaire visant à assouplir l’interdiction d’emploi des protéines animales transformées en alimentation animale.
Monsieur le sénateur, aucune décision n’est prise. Nous attendons d’avoir tous les avis avant de prendre quelque mesure que ce soit, et nous avons d'ailleurs pleinement conscience de tous les problèmes qui se posent.
M. le président. La parole est à M. Alain Fauconnier.
M. Alain Fauconnier. Monsieur le ministre, je prends acte des précautions que vous venez d’énumérer.
Je fais bien entendu confiance au ministère de l’agriculture, qui a entrepris cette démarche. Toutefois, je le rappelle, nous avons connu la crise de l’ESB et nous savons combien elle a été dure : en quelques jours, la consommation de viande s’est effondrée de façon absolument apocalyptique dans nos régions, même pour les productions sous signe officiel de qualité.
Je ne suis pas certain que les consommateurs fassent aujourd'hui la différence entre ruminants et non-ruminants : ils mélangent sans doute les porcs, les bovins, etc. Par conséquent, dès l’instant où surgira le spectre des farines animales, je crains que la baisse de la consommation de viande, qui est actuellement comprise entre 4 % et 5 % chaque année, ne s’accentue encore davantage. Ce serait dramatique.
Je le répète : l’une des propositions fortes émises par l’ensemble de la profession, c’est la mise en place d’un grand « plan protéines ». Il faut absolument que notre pays engage un projet ambitieux afin de permettre à la filière d’acquérir une autonomie en matière de protéines végétales. Ce serait une réponse à la décision de la Communauté européenne. J’attends un signe fort en direction des agriculteurs pour les encourager à s’orienter vers ces productions qui leur garantira cette indépendance.
procédure de déclaration d'utilité publique d'une zone d'aménagement concerté à orléans
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, auteur de la question n° 1024, adressée à M. le ministre de la culture et de la communication.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le ministre, ma question porte sur le projet de déclaration d’utilité publique d’une zone d’aménagement concerté dite « Carmes Madeleine », à Orléans.
La mise en œuvre de ce projet se traduirait par la démolition et la destruction d’immeubles du xviie siècle et de caves du xiiie siècle qui ont fait l’objet d’une demande de protection au titre des monuments historiques. Alors que la délégation permanente de la commission régionale du patrimoine et des sites a rendu un avis favorable, le dossier a disparu de l’ordre du jour de la commission pour des raisons inexpliquées.
Je rappelle que ce secteur est classé au patrimoine mondial défini par l’UNESCO. Par ailleurs, les immeubles concernés sont situés au sein d’une zone de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager, une ZPPAUP, dont le règlement interdit toute destruction d’îlots entiers. Cette destruction est en outre inutile, puisqu’il s’agit, dans le cas d’espèce, de permettre dans la rue des Carmes le passage de voitures en plus de la seconde ligne de tramway. Or cette rue peut tout à fait devenir piétonnière, un plan de circulation étant alors défini en conséquence pour les voitures, comme cela a été fait dans de nombreuses villes.
Cette solution présenterait le grand avantage de permettre au tramway de circuler en site propre, ce qui constitue l’une des conditions de son efficacité. Autre atout non négligeable, elle serait strictement conforme aux lois en vigueur concernant à la fois le transport public, l’environnement et la préservation du patrimoine.
Ce projet de zone d’aménagement concerté donne lieu à une enquête publique préalable à la déclaration d’utilité publique du programme par le préfet. Je m’étonne que, dans ces conditions, M. le ministre de la culture et de la communication ait pu donner au préfet du Loiret, préfet de la région Centre, des instructions ou lui faire part de préconisations quant à la déclaration d’utilité publique sur laquelle il revient à ce dernier de statuer, par un courrier en date du 24 août dernier dont l’existence et le contenu ont été rendus publics par ses services, alors même que l’enquête publique n’avait pas encore commencé.
Cette situation est de nature à porter atteinte aux compétences attribuées en propre au préfet et aux conditions d’objectivité et de neutralité dans lesquelles l’enquête publique doit se dérouler. On imagine mal en effet que, sur des sujets aussi sensibles, et sur tout sujet d’ailleurs, le ministre puisse donner au préfet des instructions sur une position en préalable à l’enquête publique, c’est-à-dire en considérant comme nulles et non avenues les observations faites au cours de celle-ci ainsi que les conclusions des commissaires enquêteurs, alors qu’il revient précisément au représentant de l’État de statuer au vu de ces observations et de ces conclusions.
Par conséquent, monsieur le ministre, je vous demande quelles dispositions le Gouvernement compte prendre, tant sur le fond que sur la forme, eu égard à l’ensemble des faits que je viens de rappeler et qui sont à l’évidence préjudiciables au regard de l’application des lois en vigueur et contraires à des principes de notre droit.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Michel Mercier, ministre de l'espace rural et de l'aménagement du territoire. Monsieur le sénateur, je vous prie de bien vouloir excuser M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication, qui ne peut être présent ce matin.
La conciliation d’une volonté affirmée de sauvegarde et de mise en valeur du patrimoine et d’une politique ambitieuse d’aménagement du cadre de vie de nos concitoyens n’est pas sans soulever parfois, sur le terrain, des difficultés d’ajustement. La Haute Assemblée le sait bien, elle qui a joué un rôle décisif dans le débat qui s’est ouvert au moment de la discussion de la loi portant engagement national pour l’environnement, dite « Grenelle II », lorsque le rôle de l’architecte des Bâtiments de France a été remis en cause.
En soutenant, au sein de la commission présidée par M. Tuot, l’émergence du compromis qui a permis le maintien d’un rôle actif de l’architecte des Bâtiments de France dans l’examen des projets de construction et d’aménagement, le Sénat a jeté les bases d’une approche renouvelée des situations. Il a ainsi fait en sorte que la politique du patrimoine portée par le ministère de la culture et de la communication sorte renforcée d’un dialogue avec d’autres politiques, par exemple celle du développement durable, pour mieux faire apparaître et servir l’intérêt général.
Dans ce dialogue entre des objectifs parfois contradictoires, le ministre de la culture et de la communication veille au maintien d’un équilibre, pour que l’arbitrage ne se fasse pas toujours au détriment de la sauvegarde du patrimoine. Ainsi, sur la question des démolitions, qui est toujours délicate en milieu urbain et à laquelle je vous sais particulièrement attentif, monsieur le sénateur, il invite toujours les maîtres d’ouvrage à essayer d’éviter ou de limiter au maximum ces décisions, car ce n’est pas nécessairement en infligeant au bâti ancien des blessures que l’on réparera le mieux celles de la société. Le cadre de vie de demain peut prendre un meilleur essor en s’appuyant sur l’héritage du passé, plutôt qu’en créant un vide qui détruit les repères et bafoue les mémoires.
Monsieur le sénateur, c’est à l’aune de ces principes qu’il faut juger l’intervention du ministre de la culture et de la communication dans l’affaire sur laquelle vous intervenez. Que s’est-il passé, en effet ? Frédéric Mitterrand a été consulté par le préfet de la région Centre, préfet du Loiret, sur l’engagement d’une enquête préalable à la déclaration d’utilité publique d’une ZAC située au cœur de la ville historique d’Orléans : ses services avaient indiqué que la réalisation de cette ZAC comportait un projet de démolition d’un certain nombre de maisons anciennes situées le long de la rue des Carmes, ce qui était susceptible de faire échec à la légalité du projet.
Que faire dans un tel contexte ? Fallait-il considérer que l’obstacle était de nature à bloquer l’engagement de l’enquête ? M. le ministre ne l’a pas pensé, dès lors que cette enquête était seule susceptible de faire apparaître complètement l’intérêt général du projet, de permettre sa maturation et, en fin de course, de prendre un parti définitif, le cas échéant en le modifiant. Dans un dialogue constructif avec M. Serge Grouard, député-maire d’Orléans, un certain nombre de garanties ont été obtenues sur des opérations patrimoniales que la réalisation de la ZAC permettrait d’accomplir. M. le député-maire a bien voulu s’engager à la réalisation anticipée d’un certain nombre de ces opérations.
Dans ces conditions, le ministère de la culture et de la communication devait laisser la procédure d’enquête se dérouler. C’est pourquoi le ministre a donné instruction à M. le préfet de région de l’engager. Il va de soi que cette décision ne préjugeait en rien de l’utilité publique du projet de ZAC, laquelle suppose au demeurant la prise en compte de nombreux critères qui dépassent la compétence du ministère de la culture et de la communication, que le ministre a seul engagé par sa décision. Il souhaite que, si celle-ci est établie au terme de l’enquête, il apparaisse alors que, loin de se traduire par un recul, voire un abandon patrimonial, la ZAC de Carmes Madeleine offrira au riche patrimoine de la ville une occasion nouvelle de mise en valeur.
Enfin, monsieur le sénateur, Frédéric Mitterrand souhaite s’associer à l’hommage implicite que vous semblez avoir rendu à travers vos propos aux agents du ministère de la culture et de la communication qui, dans les directions régionales des affaires culturelles et les services départementaux de l’architecture et du patrimoine, accomplissent avec désintéressement et clairvoyance un travail difficile, situé à la charnière d’intérêts parfois divergents, comme cette affaire nous le montre.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse.
La ZAC de Carmes Madeleine constitue la première application des conclusions de la commission Tuot. Il est très important de voir comment celles-ci seront mises en œuvre, car des pressions peuvent être exercées auprès de l’État pour que des intérêts autres que la protection du patrimoine soient pris en considération. Or, à cet égard, le ministre de la culture et de la communication est, depuis André Malraux, le garant de la politique de défense du patrimoine. Il lui revient donc de s’assurer que l’indépendance et les prérogatives des architectes des Bâtiments de France seront bien préservées. Vous l’avez souligné, monsieur le ministre, il s’agit d’un sujet auquel le Sénat est très attaché.
J’observe cependant que le ministre de la culture et de la communication ne m’a pas répondu sur plusieurs points.
Alors que la délégation permanente de la commission régionale du patrimoine et des sites a voulu engager une procédure de protection, comment se fait-il que celle-ci n’ait jamais été portée à l’attention de la commission elle-même ?
Aucune information ne m’a non plus été fournie sur le patrimoine mondial. Or huit associations nationales de défense du patrimoine ont indiqué leur grande attention à cette question.
J’aurais également souhaité obtenir des éclaircissements sur la déclaration d’utilité publique. Il s’agit pourtant d’une question fondamentale : est-il d’utilité publique de démolir dix-huit immeubles, dont certains sont historiques, pour permettre aux voitures de circuler, en plus du tramway, d’autant qu’il est très facile de procéder autrement, notamment en faisant passer le tramway dans une rue piétonne et en déviant les voitures sur d’autres voies ? Les exemples sont nombreux.
Enfin, les quelques garanties qui ont été présentées à la municipalité d’Orléans portent pour l’essentiel sur des bâtiments dont l’intérêt patrimonial n’est nullement contesté, mais qui se trouvent hors du périmètre concerné.
Je conclurai en évoquant un point qui me réjouit, car, vous le savez, il faut toujours être positif, monsieur le ministre. (Sourires. – M. le ministre acquiesce.) Le ministre de la culture et de la communication a apporté des précisions utiles, car il y avait pour le moins une ambiguïté dans les lettres qu’il a adressées. Il a affirmé avoir ordonné au préfet de mettre en œuvre la procédure de déclaration d’utilité publique. Entre nous, vous savez qu’il n’est nullement besoin d’une quelconque intervention pour mettre en œuvre une telle procédure : dès lors qu’elle est demandée, elle est de droit. Vous avez confirmé, monsieur le ministre, que, sur ce dossier, il n’avait donné aucune instruction au préfet. Celui-ci prendra donc sa décision en toute indépendance, au regard des résultats de l’enquête publique et du rapport du commissaire enquêteur.
M. le président. Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à midi, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
M. le président. La séance est reprise.
3
Décès d'un ancien sénateur
M. le président. J’ai le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue Michel d’Aillières, qui fut sénateur de la Sarthe de 1977 à 1995 et président du conseil général de ce département.
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Modification de l'ordre du jour
M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que, à la demande du groupe socialiste, la conférence des présidents, lors de sa dernière réunion du 27 octobre, a décidé de prévoir l’organisation d’un débat d’orientation sur la défense anti-missiles dans le cadre de l’OTAN, le lundi 15 novembre, sans en préciser l’heure, liée à l’emploi du temps de M. le ministre de la défense.
M. Henri de Raincourt, ministre chargé des relations avec le Parlement, vient de me faire savoir que M. Hervé Morin, ministre de la défense, se rendrait disponible le lundi 15 novembre, à vingt et une heures trente, pour participer à ce débat.
Ce débat commencerait par les interventions d’un représentant du groupe socialiste et du représentant de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
Conformément au droit commun, la discussion générale serait organisée sur deux heures avec un délai limite pour les inscriptions de parole fixé au lundi 15 novembre à onze heures.
L’ordre du jour de la séance du lundi 15 novembre est donc ainsi complété.
Monsieur le secrétaire d'État, je remercie le Gouvernement, notamment le ministre chargé des relations avec le Parlement et le ministre de la défense, d’avoir su organiser l’emploi du temps de manière à pouvoir répondre à nos questions, et ce avant une réunion importante de l’OTAN.
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Débat sur l'accession à la propriété
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur l’accession à la propriété, organisé à la demande du groupe UMP.
La parole est M. Jean-François Mayet, orateur du groupe qui a demandé ce débat.
M. Jean-François Mayet. Monsieur le secrétaire d'État, avant d’entrer dans le sujet de l’accession à la propriété, je tiens à vous dire que mon propos ne constitue pas une charge à l’encontre des mesures que vous proposez en la matière.
Ces mesures, je les voterai, parce qu’elles vont dans le bon sens. Elles sont d’ailleurs incluses dans le projet sur lequel nous travaillons et que j’ai eu l’occasion de présenter à vos collaborateurs. Elles sont cependant partielles, car elles ciblent essentiellement les classes moyennes et ne traitent pas, à mon avis, la globalité du problème. (M. Thierry Repentin s’exclame.)
Pour ma part, je suis convaincu qu’une loi sur l’accession à la propriété capable de faire bouger les choses en France doit intégrer les plus faibles des Français, car maintenir ces derniers dans leur statut de locataire ne leur apporte rien et coûte finalement plus cher à la collectivité.
M. Jean-Pierre Plancade. Absolument !
M. Jean-François Mayet. Je souhaite vous faire partager un certain nombre de constats, qui ont justifié notre travail et ont guidé sa réalisation.
La France compte 57 % de propriétaires, soit beaucoup moins que ses voisins, et, si nous ne faisons rien, ce pourcentage baissera encore en raison simplement de la croissance démographique. Notons que 74 % des Français trouvent ce chiffre insuffisant, mais 83 % d’entre eux pensent qu’il est difficile, voire impossible de devenir propriétaire.
J’entends, par ailleurs, des élus politiques de tous bords exprimer les mêmes réserves, ce qui à mes yeux est grave.
Le monde HLM reste extrêmement frileux à l’égard de l’accession à la propriété ; il est confortablement installé dans le métier de loueur qu’il maîtrise depuis soixante ans. Le résultat en est que, depuis vingt-cinq ans, toutes les tentatives de développer l’accession à la propriété, certes très timides, ont échoué, et le constat final est un constat d’échec. Cela est vrai pour le secteur public comme pour le secteur privé.
Je dois dire que je suis stupéfait du silence entretenu par les milieux politiques et les bailleurs sociaux à ce sujet, exception faite, c’est certain, du gouvernement actuel. (Sourires.)
Au-delà des statistiques qui n’apportent pas à elles seules des solutions, essayons de poser le vrai problème et les vraies questions.
Pourrons-nous justifier longtemps qu’un grand nombre de Français soient encore locataires à l’âge de la retraite, …
M. Yvon Collin. Non !
M. Jean-François Mayet. … assujettis ainsi à un loyer qui continuera d’augmenter jusqu’à leur décès ? Telle est la situation actuelle ! La conséquence est qu’ils n’auront aucun patrimoine à transmettre ou à vendre pour assumer leur éventuelle intégration dans la maison de retraite de leur choix.
Je ne crois pas que cette situation puisse durer ; je suis convaincu qu’il existe des solutions qui passent forcément, et d’abord, par les bailleurs sociaux.
Permettez-moi ce rappel : les bailleurs sociaux ont été créés dans les années 1920 et, jusqu’à la guerre, ils ont permis à 80 % de leurs résidents d’accéder à la propriété. C’était la raison d’être de ces organismes.
Après la guerre, ils ont dû loger dans l’urgence et décemment des millions de Français venus de la campagne – c’est une situation que vous avez tous connue en province, mes chers collègues –, puis des millions d’immigrés venus d’ailleurs.
Ils l’ont bien fait, mais ils ont changé de métier en devenant exclusivement des loueurs, ce qui n’était peut-être pas leur choix. De là provient cette spécificité française selon laquelle si, avant la dernière guerre, les Français les plus modestes étaient propriétaires, aujourd’hui, ils ne le sont plus.
C’est avec les bailleurs sociaux que nous assumerons cette seconde mutation, grâce à leur puissance de construction, leur savoir-faire de gestionnaire et leur poids financier, c’est-à-dire leur capacité à autofinancer et à emprunter.
Lorsque cette mutation en faveur de l’accession à la propriété sera engagée, le secteur privé suivra : il sera effectivement dans l’obligation commerciale et financière de le faire, sauf à ce que d’autres le fassent à sa place.
Les bailleurs sociaux doivent être le premier levier et le levier essentiel d’une nouvelle politique qui constitue un véritable et beau challenge.
En effet, il sera nécessaire d’avoir 75 % à 80 % de propriétaires en 2025, si nous voulons faire bénéficier les plus faibles de cette politique. À l’évidence, en dessous de ce niveau, ils ne seront pas inclus. Or nous ne pouvons pas nous contenter de cibler les classes moyennes.
Pour atteindre cet objectif, nous devons, dans la même période, construire 7,5 millions de logements publics et privés.
Un parcours résidentiel devra être systématiquement proposé aux « entrants » chez les bailleurs sociaux, afin qu’ils deviennent propriétaires en fin de parcours.
Au cours de la même période, les anciens locataires, qui ne peuvent évidemment pas être laissés pour compte – ils paient un loyer depuis trente ou trente-cinq ans –, devront pouvoir acquérir leur logement dans le cadre d’un crédit dont les mensualités de remboursement ne dépasseront pas le dernier loyer.
Ce retour au premier métier constitue naturellement un véritable changement résumé par les chiffres suivants : 80 % de constructions neuves dédiées à la location- accession, 20 % seulement étant réservés à la location ; actuellement, 80 % de logement sont construits pour la location et 20 %, pour l’accession à la propriété. De plus, 40 % du patrimoine existant devraient être cédés aux anciens locataires d’ici à 2025.
Par ailleurs, un métier nouveau doit être dévolu aux HLM : celui d’assurer la mobilité en garantissant le rachat-échange aux locataires volontaires ou contraints de changer de résidence ou de ville pour des raisons familiales ou professionnelles, et ce sans perdre de crédit acquis dans le cadre du contrat en cours.
Le financement d’une telle politique est évidemment déterminant pour la réussite et la pérennité de cette dernière.
Jusqu’à maintenant, nous avons privilégié la location en y engageant plus de 45 milliards d’euros par an. Ainsi, la globalité de l’aide à la location, notamment l’aide personnalisée au logement, l’APL, versée à un couple de locataires au cours de sa vie peut atteindre et dépasser 300 000 euros. De plus, les dispositifs de défiscalisation, en particulier les lois « Robien », « Scellier », …
M. Thierry Repentin. Très coûteux !
Mme Odette Terrade. Trop coûteux !
M. Jean-François Mayet. … ont toujours favorisé la location.
M. Jean-Pierre Plancade. Attention aux propriétés dégradées !
M. Jean-François Mayet. Il est donc urgent de réorienter toutes les aides directes et indirectes vers les accédants occupants.
Il faudra aussi que de nouveaux outils juridiques et financiers voient le jour et que l’État ait la volonté d’assainir les transactions foncières qui souffrent d’une spéculation devenue insupportable, notamment dans les territoires en tension. Cette action demandera beaucoup de courage politique à ceux qui tenteront de s’y engager.
Tout cela aura un coût, et je ne perds pas de vue l’obligation plus qu’impérieuse de réduire les dépenses publiques.
Cependant, le coût du système actuel est tellement lourd que nous pourrions avoir de belles surprises.
Créer et transmettre un patrimoine est nécessaire à l’équilibre de l’homme. Cela est vrai pour toutes les classes sociales, en particulier pour les plus faibles.
Quel beau résultat que de réunir les conditions qui permettraient d’inverser les priorités en rendant systématique l’accession à la propriété au travers d’un contrat de location-vente et en réservant la location à ceux qui le souhaitent et seulement à ceux-là.
Pour conclure, permettez-moi d’affirmer que ce dispositif destiné à chaque citoyen ou couple de citoyens n’a de chance d’exister et de fonctionner que si nous lui donnons la force d’une loi. C’est la raison pour laquelle je ferai, dans ce sens, une proposition qui, je l’espère, recueillera l’approbation du plus grand nombre,…
M. Jean-François Mayet. … même si je ne souhaite pas, bien entendu, qu’elle devienne la loi « Mayet »… (Sourires.)
Il convient de préciser que ce projet, sur lequel nous travaillons depuis un an, est celui de plusieurs bailleurs sociaux. L’un de ceux-ci, que je connais bien, est prêt à faire l’objet d’une expérimentation dans ma ville de Châteauroux et dans le département de l’Indre, ma circonscription. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Jean-Pierre Plancade applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Thierry Repentin.
M. Thierry Repentin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’orateur qui m’a précédé a beaucoup parlé de l’accession à la propriété. Je regrette que son initiative ait un écho aussi faible. Ce sujet intéresse-t-il le groupe qui est à l’origine de l’inscription de ce débat à l’ordre du jour ? La question mérite d’être posée au regard de la faible assiduité que je constate en cet instant et qui m’amènera, en tout cas, à abréger mon propos !
Monsieur le secrétaire d’État, l’historien du logement, Roger-Henri Guerrand, qui nous a malheureusement quittés en 2006, avait coutume de dire : « Quand on devient propriétaire, on devient conservateur ». Faut-il chercher là les raisons d’un engouement pour l’accession à la propriété ? L’expérience le montre, on devient, en effet, conservateur en devenant propriétaire. Tous les élus locaux le savent, il est difficile de faire admettre la construction d’un logement neuf par celui qui vient de s’installer dans une maison à côté ! Qui dit propriétaire dit donc, en effet, conservateur !
Monsieur le secrétaire d'État, vous parlez avec insistance d’un « nouveau projet de société » et d’un « impératif nouveau de modèle économique », notamment sur l’accession à la propriété. J‘ai consulté la liste des pays membres « vertueux » de l’Union européenne, je veux dire ceux qui comptent le plus de propriétaires dans leur pays : pour la Roumanie, le taux est de 96 %. Pour la Lituanie et la Slovaquie, il est de 89 %. Pour la Hongrie, il est de 87 %.
Mme Odette Terrade. Quels exemples !
M. Thierry Repentin. Quant à l’Espagne, qui n’en finit pas de plonger dans la crise, elle n’en atteint pas moins le chiffre de 83 % ! Elle vient, d’ailleurs, d’adopter un dispositif pour faire en sorte de porter à 50 % le pourcentage de logements sociaux locatifs nouveaux dans les grandes villes. Ce chiffre est deux fois plus élevé que celui qui est prévu par l’article 55 de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain, la loi SRU.
Il existe, dans l’Union européenne, d’autres pays qui seraient moins vertueux. Ainsi, en Allemagne, en Autriche, au Danemark ou aux Pays-Bas, les taux de propriétaires dans la population sont inférieurs ou équivalents à celui que connaît la France. Et je ne parle pas de la Suisse, qui a beaucoup plus de logements locatifs que de propriétaires ! Mais il est vrai qu’ils accueillent, entre autres occupants, un certain nombre de nos concitoyens qui cherchent un domicile fiscal ! (Sourires.)
Le Centre d’analyse stratégique, CAS, organe rattaché au service du Premier ministre, a publié le mois dernier une étude très intéressante. Elle fait apparaître un lien fort entre statut d’occupation du logement, mobilité et marché du travail. Le CAS souligne que « les pays ayant les plus forts taux de propriétaires occupants sont aussi ceux qui connaissent les taux de chômage les plus élevés ». Dans la même étude, on lit : « Si l’on compare des individus de même profil socioprofessionnel, en France, un propriétaire occupant met plus de temps à retrouver un travail qu’un locataire, sa durée de chômage est d’environ 30 % supérieure, entraînant une plus forte proportion de chômeurs que chez les locataires de même catégorie socioprofessionnelle ».
Si je dis cela, monsieur le secrétaire d’État, c’est pour qu’on n’érige pas une idée en dogme. « Le tout-propriétaire » ne peut pas être un modèle de société.
M. Thierry Repentin. Pour nous, la propriété, c’est une réponse possible à ceux qui en expriment le souhait, et qui tienne compte des contributions à la portée de nos concitoyens. En effet, l’accession à la propriété, c’est l’un des éléments fondamentaux de la politique du logement de notre pays. Pour les ménages qui peuvent acquérir un logement dans des conditions satisfaisantes, c’est un facteur de sécurisation, notamment dans la perspective de la baisse du pouvoir d’achat au moment de la retraite, autre sujet important.
Or l’accession marque le pas, c’est un fait, en raison des difficultés économiques des ménages et du niveau des prix. À l’inverse des ménages les plus aisés, il arrive de moins en moins souvent que les ménages les plus modestes soient propriétaires de leur logement. En 1984, dans le quart le plus modeste de la population, 47 % des ménages étaient propriétaires et 60 % dans le quart le plus aisé. En 2006, ces proportions sont passées à 39 % pour les plus modestes et se sont envolées à 76 % pour les plus aisés.
Par ailleurs, les jeunes ménages, qui sont incités à accéder tôt à la propriété pour tenir compte de l’allongement de la durée de l’endettement, ont également du mal à y parvenir tant du fait de loyers du marché élevés, donc peu favorables à la constitution d’une épargne préalable, que de la précarité de leurs ressources.
Monsieur le secrétaire d’État, vous allez faire des économies grâce à la suppression des dispositions de la loi TEPA, loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, que nous avions combattues à l’époque, considérant qu’elles ne produiraient pas un propriétaire de plus en France et qu’elles coûteraient cher à notre budget. À cet égard, je vais vous soumettre deux pistes.
Grâce à cet argent économisé sur le budget, on pourrait donner un pouvoir solvabilisateur supplémentaire au prêt à taux zéro, PTZ, destiné en priorité aux ménages aux revenus modestes ou moyens. C’est la première piste à laquelle je suis sûr que vous allez apporter une réponse positive, assortie d’une démonstration.
La deuxième piste, c’est l’instauration d’un champ de TVA à 5,5 % pour l’accession à la propriété applicable aux ménages modestes. Vous avez l’argent pour le faire, monsieur le secrétaire d’État, car la suppression du Pass-Foncier et du crédit d’impôt de TVA vont vous faire économiser 4,5 milliards d’euros alors que la modification du prêt à taux zéro, tel que vous le prônez, vous fera dépenser 3 milliards d’euros. Après la réforme, le solde sera donc de 1,5 milliard d’euros d’économies inutilisés.
M. Jean-Pierre Plancade. Quelle cagnotte !
M. Thierry Repentin. La dépense globale de l’État pour l’accession à la propriété sera en nette diminution, une partie importante de l’économie faite sur le crédit d’impôt TEPA étant rapportée au budget de l’État.
Je précise également que l’élargissement aux deux derniers déciles vous fera dépenser 400 millions d’euros, alors qu’avant même la réforme 80 % des ménages parmi les 20 % les plus aisés sont d’ores et déjà propriétaires. Par conséquent, le prêt à taux zéro ne leur sert pas et l’élargissement à ces deux derniers déciles va vous faire dépenser de l’argent inutilement !
Pourquoi donner priorité aux ménages modestes et moyens comme nous le préconisons ? Premièrement, en raison du coût des emprunts : selon les statistiques de la Banque de France, on peut estimer que la durée moyenne d’un emprunt immobilier est passée de 14 années en 1996 à 19 années en 2010. Cela signifie que l’on s’endette sur une période beaucoup plus longue pour être propriétaire ! Deuxièmement, du fait de la hausse des prix : depuis 1996, les prix immobiliers ont été multipliés par 2,5 ; évidemment, aucun revenu n’a suivi cette évolution !
Pour voir son projet aboutir, un candidat à l’accession a dû ajuster son projet en achetant un produit de qualité moins élevé ou plus éloigné de son lieu d’emploi, en augmentant son apport personnel ou en achetant plus petit qu’il ne le rêvait. Par ailleurs, les prix du foncier sur cette même période ont été multipliés par 7,5.
Monsieur le secrétaire d’État, c’est lorsque les sociétés sécurisent le moins les parcours de vie des personnes que le désir d’accession à la propriété est le plus fort. C’est, en quelque sorte, un palliatif individuel lorsque les garanties collectives, c’est-à-dire en fait un modèle de société, ne permettent plus d’envisager sereinement ses vieux jours.
Monsieur le secrétaire d’État, il faut donc changer de braquet et, pour ce faire, il faut agir sur les prix ! Notre effort sur la solvabilisation ne doit pas faiblir mais, en l’état du marché, il ne sera jamais suffisant pour compenser l’inflation immobilière et foncière exponentielle de ces dernières années.
Je vous pose donc des questions très précises, monsieur le secrétaire d'État. Comment allez-vous réguler le prix des terrains, taxer la rétention foncière, plafonner les loyers, séparer le marché de la primo-accession de celui de l’accession secondaire ? Sur ces sujets essentiels, quelles sont vos propositions pour éviter que votre ambition ne se solde par la même absence de réussite que celle de votre prédécesseur avec la célèbre maison à 100 000 euros ?
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Plancade.
M. Jean-Pierre Plancade. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, une « France de propriétaires », telle est l’ambition du Président de la République. Ce slogan n’est pas nouveau : il a été lancé par Valéry Giscard d’Estaing lors de sa campagne présidentielle en 1974.
Certes, il répond sans doute à l’aspiration de nombreux Français. La possession d’un logement est, en effet, une réponse aux craintes sur l’avenir des retraites, ainsi qu’un besoin légitime de transmission et de solidarité intergénérationnelle, et, plus particulièrement, elle correspond au goût des Français pour l’habitat individuel. Il s’agit là d’un vieux mythe conservateur et réactionnaire, faisant fi des réalités qu’implique en pratique une telle politique. Et je parle essentiellement de nos agglomérations !
La maison individuelle, dans une agglomération, c’est l’étalement urbain, avec toutes les dépenses que cela occasionne pour une collectivité publique, mais aussi pour les ménages. Fait aggravant, ce choix a favorisé la spéculation immobilière, ce qui a eu pour conséquence de renchérir le coût des terrains et, par-delà, celui de l’accession à la propriété.
Quant à l’accession sociale à la propriété de type appartement sans accompagnement, la conséquence est souvent ce qu’il est convenu d’appeler les « copropriétés dégradées ». Et pourtant, je continue à penser qu’il faut encourager et favoriser un parcours résidentiel ascendant.
Tout cela pour dire que, si l’on veut favoriser l’accession à la propriété, il faut d’abord maîtriser le foncier. Cela passe par la réactivation des « zones d’aménagement différées » oubliées depuis dix ans, qui ont le mérite de geler le prix du terrain. Cela passe par l’appropriation, par les collectivités, de terrains constructibles en amont le plus tôt possible. Cela passe, également, par une taxation importante et obligatoire des terrains qui sont rendus constructibles à la suite d’une décision publique.
Mais, soyons lucides, l’accession à la propriété est devenue de moins en moins possible pour les ménages à revenus modestes. Tandis que la proportion des ménages sous plafond PLUS – prêt locatif à usage social – grimpait de 64 % à 74 % entre 2001 et 2006, la proportion des ménages à moins de trois SMIC parmi les accédants chutait de 45 % à 33 %. Les classes moyennes ont, elles aussi, subi fortement la crise et la pression immobilière. Il faut dire que, en quinze ans, les prix de l’immobilier ont été multipliés par 2,5, alors que le revenu des ménages n’a progressé que de 1,5 point.
Malgré la déductibilité des intérêts d’emprunt, les prêts à taux zéro, le Pass-Foncier, les maisons à 100 000 euros, celles à 15 euros par jour et les taux d’intérêt très bas, la France des propriétaires n’a pas beaucoup progressé... Nous en sommes à 57 % de propriétaires, ce chiffre n’a pas bougé depuis 2007.
Vous nous avez proposé une réforme des aides à l’accession, une de plus, le PTZ+ dont vous nous dites qu’il mobilisera 2,6 milliards d’euros au lieu de 1,2 milliard pour le PTZ actuel. Mais vous prévoyez de supprimer d’autres financements comme le Pass-Foncier et le crédit d’impôt sur les intérêts d’emprunt, et d’autres encore. J’ai calculé que l’aide à la pierre allait globalement diminuer de 50 %.
Mais cette nouvelle mesure n’est pas soumise à condition de ressources, ce qui devrait la rendre plus intéressante pour les catégories les moins pauvres. De plus, c’est un dispositif qui va être centré sur les zones les plus tendues. Doit-on s’en réjouir ? Oui et non. Oui, pour les zones qui manquent de logements. Mais non, car 30 % des ménages vivent dans des agglomérations de moins de 5 000 habitants, avec des revenus parfois inférieurs à ceux de la ville.
Enfin, je suis l’un de ceux qui pensent qu’il faut que les offices d’HLM mettent à la vente une petite partie de leur patrimoine. Je rappelle que la somme dégagée par la vente d’un appartement permet d’en construire trois ou quatre. Mais aujourd’hui, les offices d’HLM sont arcboutés sur un positionnement idéologique qui laisse entendre que la vente d’appartements publics serait, en quelque sorte, une privatisation rampante d’un bien public.
Je rappelle qu’il s’agirait seulement de vendre à un particulier, que la vente devrait se faire sous garantie en cas d’accident de la vie et que le syndic de la copropriété demeurerait l’office d’HLM vendeur. Mais, selon le proverbe, « Quand on veut tuer son chien, on dit qu’il a la rage ». Et là, les offices d’HLM excellent : les gens ne seraient pas acquéreurs au motif qu’ils ne voudraient pas acheter un logement dégradé dans une zone dégradée. Évidemment, si on met en vente des appartements dégradés, personne n’en voudra ! Mais, dans les propriétés HLM, il n’y a pas que des appartements dégradés dans des immeubles dégradés dans des zones dégradées. Je le sais ! J’y ai habité !
En réalité, on voit aujourd’hui que le problème est moins l’accession à la propriété que l’accès tout court à un logement. Les causes sont diverses : précarisation des ménages, loyers de plus en plus déconnectés des revenus, insuffisance de construction de logements dans les dernières décennies. Le déficit serait de 900 000 logements, dont 500 000 à 600 000 logements sociaux.
Et j’avoue que je suis perplexe dans la mesure où la trésorerie du monde HLM est de l’ordre de 7 milliards d’euros ! Quand on dit cela, il se trouve toujours un savant plus savant que l’autre pour nous dire que c’est vrai, mais que ce n’est pas comme cela que cela se passe en réalité, que tout est beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît…
En fait, ce ne sont que de mauvais arguments. D’ailleurs, le lobby de l’union des HLM est tellement puissant qu’il touche à la fois la droite et la gauche ! On l’a vu ici la semaine dernière avec la suppression d’un amendement gouvernemental. Nous aurons sûrement l’occasion d’en reparler lors de la discussion de la loi de finances.
Pour ma part, je voudrais rappeler – et c’est dramatique d’être obligé de le faire dans cet hémicycle – que les offices d’HLM sont un outil au service des collectivités locales pour rénover et produire des logements et non pour faire de la trésorerie ou se livrer, comme certains – il ne s’agit pas de la majorité, mais c’est tout de même une réalité – à des opérations financières douteuses.
Aujourd’hui, il faut le dire, ces offices sont parfaitement relayés par ce qui est devenu un syndicat professionnel corporatiste, l’Union sociale pour l’habitat. C’est vraiment selon moi ce qui a généré une technobureaucratie qui finit par vivre pour elle-même en perdant de vue ce pour quoi elle est née. Et toutes ces personnes, largement diplômées d’ailleurs, au lieu de mettre leur savoir au service de l’innovation et de la créativité, de trouver des formules intelligentes qui ne coûtent pas cher, emploient toute leur énergie à la défense de la trésorerie des offices d’HLM. C’est une perte de sens totale, monsieur le secrétaire d’État !
D’ailleurs, dès lors que l’on crée une union pour quelque chose, c’est en général pour affirmer la défense d’intérêts particuliers liés à une certaine profession. Passons là-dessus…
Certes, la crise économique et le désengagement de l’État sont des facteurs à prendre en compte, mais ils ne doivent pas en faire oublier un troisième, qui est majeur :
la volonté politique locale, qui ne relève ni de l’État ni de la crise, et que l’on ne peut pas enlever aux maires, aux présidents d’agglomération et aux présidents d’offices d’HLM !
Or, force est de constater que cette volonté politique, sur tous les bancs, est atone ; sans cela, le problème du logement serait résolu depuis longtemps dans ce pays. D’ailleurs, moi qui suis un décentralisateur par essence, je pense aujourd’hui que la politique de construction de logements est trop décentralisée, qu’elle est un frein au développement de l’offre.
En effet, nos élus locaux sont fragilisés par des populations qui, prenant de l’âge, repliées sur elles-mêmes, ne veulent plus voir arriver dans leur ville des populations nouvelles dites « pauvres ». Ils résistent mal, peu, voire pas du tout à cette pression.
Enfin, mes chers collègues, une autre confusion grave est entretenue dans nos agglomérations : ce n’est pas l’architecture, ce n’est pas la concentration urbaine qui créent le malaise social ; c’est le chômage, c’est la crise économique qui en sont responsables !
Monsieur le secrétaire d’État, je vous l’ai dit et je l’ai répété : on ne peut pas prétendre bâtir une politique d’accession à la propriété quand on diminue de moitié les aides à la pierre. Ne pensez-vous pas qu’il est grand temps que l’État reprenne les choses en main, précisément pour parfois enlever quelques contraintes à des élus locaux qui pensent comme vous mais qui n’osent pas le dire ? (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur certaines travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Odette Terrade.
Mme Odette Terrade. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, les sénateurs membres du groupe de la majorité parlementaire ont fait le choix de mettre en débat la question de l’accession à la propriété dans le cadre de l’ordre du jour réservé.
Il est vrai que le Président de la République avait fait de son engagement en faveur d’une « France de propriétaires » un leitmotiv de sa campagne présidentielle. Force est de constater cependant que, quelques années plus tard, les résultats ne sont pas ceux qui étaient escomptés. Il est vrai que, selon l’adage, les promesses n’engagent que ceux qui y croient.
Sans y voir de malice, nous estimons que ce débat sur l’accès à la propriété donne l’impression d’être utilisé par la majorité comme un artifice visant à détourner l’attention de la véritable urgence : le mal logement, qui touche plus de 3,5 millions de personnes dans notre pays et qui est exacerbé par l’absence d’un droit au logement opposable applicable concrètement.
De manière plus cynique encore, on peut y voir un lien avec l’actuel débat sur les retraites, au cours duquel vous avez jugé utile et nécessaire, monsieur le secrétaire d’État, de proclamer : « Posséder son logement, c’est la constitution d’un capital pour la retraite ».
Mme Odette Terrade. Cela s’apparente à une forme d’aveu sur la baisse évidente des pensions que va générer la réforme en cours et donc sur la nocivité sociale de celle-ci, nocivité qui donne raison aux millions de gens qui manifestent. Mais tel n’est pas notre sujet aujourd’hui.
En se faisant l’apôtre d’une France de propriétaires, en consacrant pour ce faire des dispositifs fiscaux avantageux, sans aucune prise en compte de la problématique sociale, le Président de la République a pourtant commis un manquement grave. Il faut d’ailleurs se souvenir que, avant la crise des subprimes, il ne tarissait pas d’éloges sur les crédits hypothécaires ; c’est dire la pertinence qui caractérisait son jugement sur les solutions à mettre en œuvre pour répondre à la crise du logement que connaît notre pays !
Pourtant, la crise des subprimes a largement démontré que vouloir ainsi favoriser à tout prix l’accession à la propriété indépendamment de la question du pouvoir d’achat ne pouvait produire que des catastrophes humaines, puisqu’une telle politique pousse les gens à s’endetter sur plusieurs générations pour le plus grand bonheur des banques.
C’est d’ailleurs un tel mécanisme qui conduit à ce que, aujourd’hui, 778 000 personnes bénéficient d’une procédure de surendettement. Pas étonnant que, dans ces conditions, comme l’a rappelé notre collègue tout à l’heure, 83 % de nos concitoyens pensent qu’il est impossible de devenir propriétaire !
En effet, comment parler d’accession à la propriété en dehors de toute considération humaine ? Ainsi, pour devenir propriétaire aujourd’hui, il faut non seulement disposer de ressources suffisantes mais également pouvoir témoigner d’une certaine stabilité dans son parcours professionnel. Or, les préceptes libéraux et la politique menée par le Gouvernement conduisent la plupart de nos concitoyens à la précarité et à l’instabilité, notamment par une mobilité professionnelle accrue.
Je rappellerai ici le propos de Mme Parisot, présidente du MEDEF, qui s’interrogeait en ces termes : « La vie, la santé, l’amour sont précaires, pourquoi le travail échapperait-il à cette loi ? »
Peut-être a-t-il échappé à la patronne des patrons qu’il est justement demandé aux accédants à la propriété de justifier d’un travail et de revenus non précaires pour obtenir un prêt bancaire.
Par ailleurs, comment se porter acquéreur d’un logement alors même que le pouvoir d’achat est en berne et que l’État, au nom de la rigueur, n’assume plus ses missions de service public et particulièrement celle du logement ?
Ainsi, les propriétaires, comme les locataires, doivent faire face à des dépenses courantes de logement qui augmentent plus vite que leurs revenus, que ce soit en termes de charges d’eau, de gaz ou d’électricité.
Aujourd’hui, d’après l’association CLCV, la Confédération de la consommation, du logement et du cadre de vie, « 500 000 ménages présenteraient des impayés [de loyers] de deux mois ou plus, soit une augmentation de 96 % en quatre ans dans le parc privé et de 58 % dans le parc public ». En onze ans, le nombre de jugements pour impayés a ainsi progressé de 25 %.
Selon la lettre « Conjoncture logement » : « Pour devenir propriétaire de son logement en France, il vaut mieux être jeune ou vieux mais avec des revenus supérieurs à la médiane des salaires français, […]. » Seule une petite minorité de nos concitoyens peut donc prétendre au statut de propriétaire. Les chiffres sont d’ailleurs accablants : entre 2007 et 2009, l’accession à la propriété des personnes à revenus moyens a ainsi reculé de 37 % !
Mme Odette Terrade. Nous le voyons donc bien : en dehors d’une politique sociale ambitieuse, il sera difficile de faciliter l’accession à la propriété !
À cette occasion, je voudrais également évoquer avec vous un élément déterminant qui explique la difficulté liée à l’accession à la propriété. Il s’agit de la spéculation foncière galopante induite par la renonciation des pouvoirs publics à maîtriser le foncier.
En trente ans, on constate une hausse de 572 % des prix du foncier. C’est pourquoi nous plaidons depuis de nombreuses années pour une régulation des prix du foncier afin d’aboutir à une meilleure convergence entre les prix pratiqués et les revenus perçus par nos concitoyens.
Pour clore la partie de mon intervention relative au constat, je ne peux passer sous silence la diminution des aides à la pierre, qui a plongé le logement dans la crise que nous connaissons aujourd’hui, c’est-à-dire le manque d’au moins 900 000 logements. Pourtant, dans la loi de finances que nous allons être amenés à voter prochainement, les aides à la pierre sont, encore une fois, en nette diminution, puisqu’elles représentent 500 millions d’euros. Cette politique récurrente de désengagement de l’État se traduit par le fait que, en 2008, seuls 368 000 logements ont été mis en chantier.
Dans le même temps, la politique fiscale du Gouvernement se traduit par la multiplication des dispositifs de type « Scellier » ou « Robien », dont l’opportunité politique et l’efficacité sociale n’ont jamais été démontrées.
Ces dispositifs fiscaux ont surtout favorisé le logement privé sur fonds publics, ce qui nous apparaît particulièrement contestable. Ces dispositifs n’ont, au final, servi qu’à embraser la spéculation foncière autour du marché de l’immobilier.
Le 14 septembre dernier, le Président de la République Nicolas Sarkozy et vous-mêmes, monsieur le secrétaire d’État, avez présenté de nouvelles mesures, qui trouveront leur prolongement dans la loi de finances. Ces dernières visent soi-disant à favoriser l’accession à la propriété ; en réalité, elles assujettissent plus encore l’accession dite « sociale » à la voracité et à la volatilité des marchés financiers !
Mme Odette Terrade. Ainsi, il est prévu de revenir sur la récente déductibilité des intérêts d’emprunt, qui serait trop budgétivore. Le Pass-Foncier serait également supprimé parce que les fonds du 1 % logement ne suffisent pas à le financer.
Enfin, exit le prêt à taux zéro, dont le plafond avait pourtant doublé avec le plan de relance ; place au nouveau prêt à taux zéro, dit « PTZ+ », sorte de PTZ amélioré qui pourrait concerner 380 000 bénéficiaires en proposant des montants et des durées de prêt allant jusqu’à trente ans. Ce prêt serait universel pour les primo-accédants et sans condition de ressources.
Cette réforme aurait également le mérite principal à vos yeux de participer à l’effort de réduction des dépenses publiques puisque son coût devrait atteindre 2,6 milliards d’euros, ce qui permettrait de réaliser une économie de 1,6 milliard d’euros par an.
À ce sujet, je trouve les propos de Mme Mathilde Lemoine, directrice des études à HSBC France, particulièrement intéressants : « Il ne faudrait pas que l’argent injecté dans l’accession ne serve qu’à alimenter la hausse des prix ».
Mme Odette Terrade. Quelle lucidité !
En réalité, vos mesures ne servent que les banques et nourrissent un système pervers et pernicieux qui financiarise, spécule et prospère sur les difficultés sociales des plus démunis, exacerbant au final la fameuse « fracture sociale ».
Alors qu’il y a aujourd’hui 1,3 million de demandeurs de logement et, je le répète, 770 000 personnes en situation de surendettement, il me semble que ce débat sur l’accession à la propriété ne répond pas à l’urgence logement vécue et ressentie comme une priorité par nos concitoyens.
Soyons clairs : derrière les annonces sur l’aide à l’accession à la propriété, c’est la casse du logement social qui se confirme.
L’accès au logement social est durci, les bailleurs sont contraints de céder une partie de leur parc au nom de l’accession sociale à la propriété. Pour le logement social, on assiste à un véritable désengagement de l’État, incarné dans la période par le hold-up sur les offices d’HLM de 340 millions d’euros par an sur trois années prévu dans la loi de finances, et ce malgré le réajustement opéré en commission des finances à l’Assemblée nationale.
Pour notre part, nous estimons que le logement ne doit plus être considéré comme une marchandise. Les pouvoirs publics doivent mettre en place une politique publique et un service public du logement à la hauteur des enjeux. Cette politique devrait se caractériser par la mobilisation de l’ensemble des outils disponibles : fiscalité, politique foncière, définition du rôle des banques et intervention publique. Il nous semble primordial de revenir à un équilibre plus sain entre « aide à la pierre » et « aide à la personne ».
Dans ce cadre, afin d’inverser les logiques spéculatives, la création d’un pôle public de l’habitat se trouve réaffirmée. Celui-ci permettrait de lancer le grand programme de construction de logements, notamment sociaux, dont notre pays a besoin pour, enfin, garantir à tous le droit opposable au logement digne de notre société du XXIe siècle.
M. le président. La parole est à Mme Colette Giudicelli.
Mme Colette Giudicelli. Monsieur le secrétaire d’État, afin de respecter les engagements du Président de la République, vous avez fait de l’accession à la propriété un objectif politique majeur.
Nous sommes tous d’accord sur ce point : accéder à la propriété est primordial pour chaque Français, car c’est un puissant ressort de promotion sociale, ainsi qu’une garantie patrimoniale essentielle, qui permet, notamment – je m’adresse ici à M. Repentin –, de sécuriser sa retraite.
Sans conteste, certaines mesures mises en œuvre par le Gouvernement, telles que la déduction des intérêts d’emprunts sous forme de crédit d’impôt et le maintien de l’éligibilité des primo-accédants au prêt à taux zéro, ont d’ores et déjà largement contribué au développement de l’accession à la propriété.
Ainsi, grâce aux mesures votées par le Parlement depuis le 1er janvier 2003, 5 millions de Français ont pu accéder à la propriété.
Il est un fait avéré : aujourd’hui, comme tous les orateurs qui m’ont précédée l’ont rappelé, 57 % des Français sont propriétaires. La moyenne européenne se situe à 66 %. Le Président de la République a fixé comme objectif 70 % de propriétaires ; je suis convaincue que nous parviendrons à le réaliser.
Il est en effet incontestable que les conséquences de la crise ont freiné de manière notable – on ne peut pas le nier – la possibilité d’une telle accession. Une part trop importante de nos concitoyens se retrouve en effet exclue du parcours résidentiel auquel ces derniers aspirent pourtant. Les conséquences économiques et sociales qu’une crise structurelle du marché pourrait avoir en matière de tensions sur le marché locatif privé, au gré des reports d’accession enregistrés, ne doivent pas être ignorées.
Les classes moyennes en particulier ont subi fortement les effets de cette crise et la pression immobilière : leurs dépenses contraintes moyennes ont quasiment doublé pour atteindre 40 % de leur budget ; le logement représente en moyenne plus de 20 % du budget d’un foyer, ce qui est tout de même un poste très important !
Afin de rendre plus efficace le dispositif d’accession à la propriété, le Gouvernement a donc décidé de réformer celui-ci. La multiplicité des outils créés au fil du temps a, il est vrai, rendu peu lisible et très coûteuse la politique d’accession. Pourtant, ces mesures sont essentielles pour lutter contre la précarisation des classes moyennes et modestes. La réforme est donc nécessaire et permettez-moi, monsieur le secrétaire d’État, de saluer le travail effectué par vous-mêmes et par vos services.
L’ensemble des mesures qui figurent dans cette réforme nous seront présentées dans le cadre du projet de loi de finances pour 2011, que le Sénat examinera à partir du 18 novembre prochain. Nous serons très attentifs, monsieur le secrétaire d’État, au dispositif qui nous sera proposé.
Dans les faits, le prêt à taux zéro plus, dit « PTZ+ », aide phare réservée aux nouveaux propriétaires d’une résidence principale, doit remplacer, à partir du 1er janvier, les trois grandes aides actuelles d’accession à la propriété.
Lancé en 1995, le prêt à 0 % demeure, aujourd’hui encore, un outil primordial pour l’accession à la propriété. En sécurisant l’apport personnel des ménages modestes et des jeunes primo-accédants, et par conséquent les banques elles-mêmes, il constitue un puissant soutien de la solvabilité de la demande. C’est la raison pour laquelle nous ne pouvons qu’approuver la création du PTZ+.
J’aimerais cependant savoir, monsieur le secrétaire d’État, si les aides personnelles au logement, comme l’APL accession, ainsi que le plan d’épargne logement et l’avantage de la TVA à 5,5 % pour les constructions à moins de 500 mètres des zones de rénovation urbaine, cumulable avec le PTZ, seront maintenus ? Nous savons, en effet, que les plafonds de prix d’achat de logement vont plus que doubler dans certains cas, en raison de la crise qui sévit dans le secteur de l’immobilier, neuf et ancien.
Il est essentiel, également, que la nouvelle aide soit supérieure pour les ménages à revenus modestes et pour ceux des classes moyennes, insuffisamment aidés par les dispositifs actuels.
Il serait vain de penser qu’il existe des solutions miracles et que tout peut se résoudre grâce aux bailleurs sociaux.
Parmi ces bailleurs, il en est d’excellents, d’autres moyens, et d’autres encore moins bons. Certains lancent des opérations de construction et entretiennent correctement leurs immeubles, et d’autres non. Nous disions justement ce matin, lors d’une réunion, que nous devions nous battre face à certains bailleurs qui ne rénovent pas suffisamment les logements dont ils ont la charge ; ces appartements étant dans un état lamentable, ils restent vacants : on ne peut tout de même pas accepter de loger des enfants dans des chambres aux plafonds moisis...
Monsieur le secrétaire d’État, il faudrait aussi aider les petits propriétaires ! Je ne parle pas des patrons du CAC 40, mais de ceux qui ont économisé pour acheter, cinq ans avant de partir en retraite, un petit appartement qu’ils comptent mettre en location.
Ces propriétaires, qui souhaitent vraiment louer, se retrouvent avec des locataires pas très honnêtes qui, parfois, ne leur paient pas de loyer pendant deux, trois ou quatre ans, et qu’ils ont les plus grandes difficultés à faire expulser. Voilà pourquoi certaines villes se retrouvent avec un nombre phénoménal d’appartements vacants. Nous devons absolument agir pour résoudre ce problème.
Les maires devraient aussi prendre l’initiative, dans leur commune, d’imposer à un promoteur privé la construction d’un certain pourcentage de logements sociaux. Ce système, en vigueur dans ma ville, fonctionne très bien : les promoteurs récalcitrants doivent s’acquitter d’une amende de 80 000 euros s’ils ne construisent pas, dans leur parc privé, 20 % de logement sociaux. La légalité de cette décision a été examinée par la préfecture, qui l’a jugée recevable ; je tiens les documents à votre disposition, monsieur le secrétaire d’État.
Vous devez nous aider, monsieur le secrétaire d’État, pour mettre en place ces petites mesures, qui peuvent varier d’une région à l’autre.
Ainsi, lorsqu’une commune dispose de nombreux terrains, le maire a le devoir d’agir ! Et, lorsqu’un promoteur privé réclame en mairie le permis de construire 60 logements sur un terrain qu’il a déjà acquis, il convient de ne le lui délivrer que s’il s’engage à respecter ses obligations.
M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue !
Mme Colette Giudicelli. Vous pouvez compter, monsieur le secrétaire d’État, sur le soutien du groupe UMP pour la réalisation de cet objectif ambitieux, grâce auquel la France ne devrait plus être à la traîne des autres pays européens. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Claude Jeannerot.
M. Claude Jeannerot. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, l’article 56 du projet de loi de finances pour 2011 tend à créer un nouveau prêt à taux zéro renforcé, au service d’une ambition portée par le Président de la République : la France des propriétaires.
Trois aspects positifs éclairent ce projet.
D’abord, il permet de simplifier le dispositif des aides de l’État en matière de logement, qui se caractérise par une complexité croissante des circuits de financement. On peut en espérer une lisibilité et une efficacité accrues.
Ensuite, le nouveau système recentre l’aide là où elle est nécessaire et s’inscrit dans un souci écologique. L’aide sera en effet renforcée pour les achats en zone tendue et les montants varieront selon qu’il s’agit, ou non, d’un logement respectueux de l’environnement.
Bien sûr, il convient d’en savoir plus sur les modalités de mise en œuvre, et je ne doute pas, monsieur le secrétaire d’État, que vous nous en direz plus sur ce point. Nous savons tous que ces modalités sont décisives et conditionnent la réussite d’un dispositif.
Enfin, on ne peut que se réjouir de la suppression du crédit d’impôt sur les intérêts d’emprunt. Je rappelle, à cet égard, que les socialistes réclament depuis bien longtemps la fin des niches fiscales.
Cette suppression était souhaitable, car ce crédit d’impôt a un double effet pervers : il coûte de plus en plus cher à l’État – de 280 millions d’euros en 2008, il passerait, selon nos estimations, à près de 3 milliards en 2013 ! – et il ne bénéficie pas à ceux qui en ont vraiment besoin. Pour une aide qui n’a aucune influence sur la décision d’achat, vous conviendrez que c’est très coûteux. D’autant qu’elle ne correspond finalement qu’à une baisse de 0,6 % du taux d’intérêt contracté par les acheteurs...
Nous ne pouvons que partager votre intention de favoriser l’accession à la propriété. Il est normal que l’État crée les conditions les plus favorables à la réalisation d’un tel objectif. L’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ne dispose-t-il pas que la propriété est l’un des droits naturels et imprescriptibles de l’homme ? Je peux d’ailleurs témoigner, en tant que président de l’Agence nationale pour l’information sur le logement, que l’accès à la propriété correspond à une aspiration majoritaire des ménages, et tout particulièrement des ménages modestes.
Nous devons cependant être conscients, mes chers collègues, que la situation du marché immobilier n’a jamais été aussi défavorable. La baisse du taux, conjuguée à l’allongement de la durée des prêts ne suffit pas à résoudre cette crise et l’envolée des prix crée nombre de désillusions, y compris au sein de la classe moyenne.
Thierry Debrand écrivait récemment dans L’Express qu’il existait au sein de cette classe « une vraie peur du déclassement » : le logement, marqueur social par excellence, deviendrait ainsi un facteur de paupérisation des classes moyennes, car celles-ci continuent de choisir parmi les offres les plus coûteuses du marché, pour tenter de progresser socialement, quitte à s’endetter au-delà du raisonnable ou à acheter trop petit.
C’est pourquoi il ne me paraît pas réaliste, dans le contexte actuel, de fixer cet objectif de 68 % à 70 % de propriétaires. Je doute de l’effet dynamique d’un tel chiffre. Pire : une telle annonce risque de décourager ceux qui sont loin de pouvoir accéder à la propriété.
Si les besoins étaient satisfaits par ailleurs, on pourrait considérer que ce chiffre traduit une volonté. Mais, dans un contexte où la question du logement, dans son ensemble, nécessite un grand « plan Marshall », votre objectif paraît dérisoire et décalé.
J’ai souligné les aspects positifs de votre projet : simplification renforcée, dimension écologique et réalisation d’économies par la suppression du crédit d’impôt. Or, comme Janus, votre projet a un visage double, dont voici le versant négatif : le fait de rendre universel le prêt à taux zéro est lourdement dommageable et, par certains aspects, inopportun, inefficace et injuste. En effet, ce nouveau prêt à taux zéro renforcé, destiné aux primo-accédants pour leur résidence principale, n’est soumis à aucune condition de ressources, bien que les modalités du prêt – je vous le concède ! – diffèrent en fonction des revenus et de la nature du bien acheté.
Dans le contexte actuel de restrictions budgétaires, votre proposition nous paraît inopportune. À l’heure où la ministre de l’économie déclare que les gouvernements doivent désormais s’orienter vers des politiques de réduction des dépenses pour contrebalancer les mesures de soutien à l’économie mises en œuvre pendant la crise économique, n’est-il pas contradictoire d’ouvrir le bénéfice du prêt à taux zéro à des personnes dont les revenus ne le justifient pas ? Vous rendez-vous compte, monsieur le secrétaire d’État, que la perte de recettes fiscales pour l’État, due aux deux tranches supérieures du barème du prêt à taux zéro, est évaluée à 400 millions d’euros ?
Sous cet aspect, votre projet me semble inefficace, car il ne peut avoir aucun impact sur la décision d’accéder à la propriété des ménages aisés ; vous ne créez qu’un effet d’aubaine. Ce dispositif s’inscrit dans une politique qui tend à favoriser les plus prospères et à créer des avantages pour ceux qui n’en ont pas besoin.
Enfin, votre proposition est injuste – et j’ai l’impression que M. Mayet partage cette opinion – à l’égard de ceux qui n’ont pas de revenus suffisants pour accéder à la propriété. Je note que nombre de ces personnes, dont les revenus ne leur permettent pas de devenir propriétaires, sont logées dans ce parc social auquel le Gouvernement voulait imposer un nouveau prélèvement.
Il était en effet prévu, à l’article 99 du projet de loi de finances, d’instituer un prélèvement sur les ressources financières des organismes d’HLM, fondé sur leur assujettissement à la contribution sur les revenus locatifs. Or la non-extension du nouveau prêt à taux zéro aux revenus les plus élevés aurait permis de réaliser l’économie recherchée à travers le prélèvement sur les loyers HLM. Ce nouveau prêt à taux zéro est donc un cadeau sans efficacité pour les plus aisés et un pied de nez pour les locataires d’HLM, ce qui est profondément choquant.
Au-delà de ces critiques, votre réforme continue de soulever un certain nombre d’interrogations.
Tout d’abord, répond-elle au besoin de sécurisation financière, en particulier sous l’angle des risques de surendettement ? Dans un contexte de dégradation du marché de l’emploi, l’accès au crédit ne risque-t-il pas, mécaniquement, de majorer les risques techniques de surendettement des ménages ?
Quels sont les garde-fous ? J’observe que seuls 5 % des emprunteurs en cours de remboursement sont couverts par une assurance chômage...
Même si je salue le rôle des agences départementales pour l’information sur le logement et la grande compétence de leurs personnels, dans la mesure où elles jouent un rôle essentiel dans la sécurisation des projets immobiliers, je me demande s’il ne conviendrait pas d’aller plus loin dans la recherche de mesures concrètes et opérationnelles.
Enfin, il convient de s’interroger sur l’efficacité de vos propositions en matière de mobilité résidentielle.
Je ne reviendrai pas sur les propositions du Centre d’analyse stratégique, évoquées par Thierry Repentin, concernant le champ fiscal. Quelle suite entendez-vous leur donner ?
Nous avons l’opportunité, aujourd’hui, d’examiner votre projet de loi tendant à favoriser l’accession à la propriété. Mais, au-delà de cet aspect du problème, le secteur du logement a besoin d’une grande politique de relance, d’un grand « plan Marshall », qui permettrait de résoudre son déséquilibre persistant et d’éviter que la crise ne devienne irréversible.
J’ai pu entendre récemment l’ancien Premier ministre Jean-Pierre Raffarin réclamer un « plan de relance sociale » pour l’emploi et le logement. Tout se tient ! C’est là que se situe l’urgence pour notre avenir, car le logement constitue, avec l’emploi, la préoccupation première de nos concitoyens : ce sont deux préalables absolus ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Adrien Gouteyron.
M. Adrien Gouteyron. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il est vrai que le Président de la République a adressé au Gouvernement une feuille de route ambitieuse en matière d’accession à la propriété. J’ai été sensible aux propos tenus par les orateurs précédents, cependant je souhaite insister non seulement sur le caractère ambitieux de cet objectif, mais aussi sur sa valeur sociale.
En effet, il me semble que le Président de la République défend là un véritable projet de société, susceptible précisément de renforcer la cohésion sociale. C’est ainsi qu’il convient, me semble-t-il, de l’analyser.
Cet objectif est mobilisateur, même si certaines étapes restent à franchir pour l’atteindre, nous le savons bien. Tout d’abord, il convient de redonner confiance à l’ensemble des ménages, dans un climat économique encore dégradé et affaibli par la timide reprise de la croissance, la faible progression anticipée du pouvoir d’achat, la pression du chômage et l’augmentation des déficits publics. Ensuite, il importe de développer une offre de logements économiquement accessible, diversifiée et équilibrée.
Le contexte actuel impose naturellement de réformer les aides à l’accession à la propriété, notamment dans le cadre du projet de loi de finances pour 2011 que nous allons bientôt examiner. Tout en tenant compte de la rigueur budgétaire imposée par le poids des déficits publics, la reconfiguration des aides existantes doit permettre de réconcilier les ménages avec l’investissement dans la pierre et de développer l’accession à la propriété, notamment sociale, afin de rénover le parc HLM.
Je souhaiterais cependant évoquer la situation du marché de l’immobilier ancien, en particulier en zone rurale, monsieur le secrétaire d’État.
Mme Nathalie Goulet. Ah, enfin !
M. Adrien Gouteyron. Le marché de l’ancien ne doit pas être le parent pauvre de la réforme et j’aimerais, sans vouloir me montrer trop insistant, monsieur le secrétaire d’État, vous demander des précisions quant aux intentions du Gouvernement sur ce point.
Comme nombre de nos collègues, je suis maire d’une petite commune rurale. Je constate que, dans nos bourgs, de nombreux immeubles, non habités, sont désaffectés. Les organismes d’HLM, auxquels nous avons généralement recours, ont malheureusement atteint leurs limites et considèrent bien souvent qu’ils ne peuvent plus prendre en charge la réhabilitation de ces logements.
Or, de plus en plus d’habitants de nos communes souhaiteraient ardemment devenir propriétaires, mais n’y parviennent pas, faute de moyens suffisants pour faire face à une charge trop lourde.
M. Adrien Gouteyron. De la même façon, certains propriétaires seraient prêts à vendre leurs biens immobiliers, mais ceux-ci ne sont plus valorisables du fait de leur vétusté. Pourtant, malgré l’attachement patrimonial qu’ils peuvent avoir pour leur bien, ces propriétaires accepteraient volontiers de s’en défaire. La situation est donc parfaitement bloquée.
Monsieur le secrétaire d’État, vous devez donner aux habitants des communes semblables à celle dont j’ai la charge, la possibilité de devenir propriétaires et de trouver des sources de financements !
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Adrien Gouteyron. J’en reviens à la réforme proposée par le Gouvernement. Le prêt à taux zéro renforcé, qui doit remplacer, à compter du 1er janvier prochain, les trois grandes aides actuelles d’accession à la propriété, mérite bien entendu d’être plébiscité. J’observe d’ailleurs que, si des réserves sont émises, les critiques ne portent pas sur le principe même de ce nouveau prêt.
En effet, ce financement demeure indispensable pour permettre aux jeunes de moins de 35 ans, qui représentent 50 % des bénéficiaires, aux catégories socioprofessionnelles les moins aisées et aux catégories intermédiaires d’accéder à la propriété. Depuis sa création, en 1995, le prêt à taux zéro reste un puissant levier pour la relance de l’activité de construction. Pour autant, c’est dans l’immobilier ancien que la mesure est le plus efficace et permet au plus grand nombre de Français d’être propriétaires de leur logement.
La mise en place d’un prêt à taux zéro renforcé, ou PTZ+, apparaît comme une évidence aujourd’hui pour remplir pleinement son rôle social, pour déclencher et encourager véritablement des projets d’accession à la propriété, notamment au sein des ménages modestes. Ainsi, il importe, pour garantir l’efficacité et la justice sociale du dispositif, que ce prêt puisse être modulé en fonction de la taille et des ressources des ménages, de la typologie des accédants et de la zone géographique des opérations financées.
J’ai pris bonne note des propos, d’ailleurs tout à fait équilibrés, de notre collègue Claude Jeannerot : il a estimé que certains ménages considérés comme aisés n’avaient peut-être pas besoin du prêt à taux zéro renforcé. Toutefois, les prix élevés de l’immobilier dans certaines zones géographiques rendent nécessaires la mise en place de ce dispositif en faveur de ménages même relativement aisés, afin de leur permettre d’accéder à la propriété. Il me semble donc que cette appréciation pourrait être opportunément nuancée. Mon cher collègue, je me permets de vous interpeller, car vos propos méritent d’être pris en considération. Puisque nous entretenons un véritable dialogue, je me permets de vous objecter qu’il me paraît nécessaire de tenir compte du zonage pour moduler l’aide en conséquence.
Notre économie a été mise à mal, et il est vrai que la construction de logements neufs peine à sortir de la crise. Les promoteurs, comme les particuliers, restent prudents. Cependant, il faut rester confiant sur l’évolution à terme du secteur du bâtiment, car les mesures prises depuis deux ans ont heureusement permis aux entreprises de conserver un outil de production performant, nécessaire à un redémarrage à moyen terme de l’activité. Je tiens d’ailleurs à saluer les entreprises de mon département, qui ont « tenu le coup » et traversé la crise dans des conditions, certes douloureuses, mais qui leur permettront de faire face à la reprise.
Je salue également la réforme des aides à l’accession à la propriété, bienvenue en cette période de sortie de crise. Bien entendu, monsieur le secrétaire d’État, comme l’a dit Mme Colette Giudicelli, les membres du groupe UMP apporteront tout leur soutien à cette réforme lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2011. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’article 55 de la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite loi SRU, oblige les communes dont la population est au moins égale à 1 500 habitants, en Île-de-France, et à 3 500 habitants, dans les autres régions, à atteindre une proportion de 20 % de logements sociaux sur leur territoire.
En 2006, le législateur, alors favorable à une évolution de la loi et à la prise en compte, dans ce pourcentage, des efforts des communes pour aider les ménages les plus modestes à devenir propriétaires, a estimé souhaitable que les logements bénéficiant du dispositif d’accession sociale à la propriété soient pris en compte dans le quota de 20 %, mais uniquement pour une période de cinq ans.
Le législateur de 2006 a donc considéré que ces logements sociaux pouvaient tout à fait légitimement continuer à être comptabilisés dans le quota des 20 %, puisqu’ils ne perdent en aucun cas leur caractère social, en dépit du changement de statut de leurs occupants. Il a cependant souhaité limiter dans le temps cette possibilité.
Il me paraîtrait souhaitable d’établir une nette distinction entre les logements initialement construits dans le but de faciliter l’accession à la propriété et les logements HLM acquis par leurs occupants dans des conditions précises, par exemple une durée d’occupation de plus de dix ans. En effet, ces deux cas de figure sont tout à fait différents. Il y aurait beaucoup à dire sur le premier d’entre eux, mais je me concentrerai sur le second : l’acquisition par l’occupant de son logement au terme d’un certain délai.
En effet, favoriser l’accession sociale à la propriété, en permettant à des personnes de conditions modestes, locataires d’un logement HLM, de devenir propriétaires, améliorant ainsi la mixité sociale de la commune, est un objectif noble, qui répond à une demande de la population, mais également au souhait du Président de la République, qui s’est déclaré en faveur de l’encouragement de l’accession à la propriété pour la résidence principale.
Or, les communes qui acceptent la demande de leurs habitants d’acquérir leur logement – et comment le refuser ? – sont de ce fait financièrement pénalisées à l’issue d’un délai de cinq ans par la diminution automatique du quota de logements sociaux résultant de ces ventes.
Cette situation me semble bien étrange. Pourquoi pénaliser ainsi les communes, parfaitement extérieures à la transaction, puisque la demande d’acquisition émane soit de l’organisme HLM, soit de l’occupant ?
L’occupant y trouve naturellement son compte, puisqu’il devient propriétaire : c’est le rêve de toutes les familles et la première des sécurités. Par ailleurs, je tiens à souligner que, si le logement social n’a pas vocation à être l’habitat de toute une vie, il l’est bien souvent dans les faits.
L’organisme d’HLM y trouve lui aussi son compte, puisqu’il reçoit en contrepartie le prix de vente, ce qui assure la rotation des logements sociaux, à laquelle vous semblez très attaché, monsieur le secrétaire d’État, puisque vous vous êtes exprimé en ce sens dans cet hémicycle. La rotation des logements sociaux peut, dans ce cadre, être parfaitement respectée ! En effet, le bailleur social peut réinvestir les fruits de la vente dans la construction de nouveaux logements sociaux. Il serait d’ailleurs sain de l’obliger à le faire !
Pourquoi donc pénaliser la commune ? En plus de l’objectif difficile qu’elle s’efforce d’atteindre, on lui impose des paramètres sur lesquels elle n’a pas d’influence. J’utilise le verbe « imposer » à bon escient : en effet, comment imaginer que les communes refusent à leurs habitants de devenir acquéreurs ? C’est impossible, car ces personnes ont bien souvent réalisé et financé des investissements dans leur logement. Concevez-vous qu’un maire refuse de leur accorder l’autorisation d’acquérir leur logement, au motif que cette acquisition ferait diminuer le quota de logements sociaux de la commune ? C’est tout simplement absurde !
C’est la raison pour laquelle je souhaiterais que l’on établisse une distinction claire entre les logements construits dans le but de l’accession à la propriété, d’une part, et les logements du secteur social locatif, d’autre part.
Le maire fait généralement beaucoup pour son parc locatif social, car il a payé une surcote foncière, cédé des terrains, réalisé un travail considérable. Il me semble donc parfaitement absurde de le pénaliser, alors que personne ne peut lui reprocher son action, en faisant disparaître ce logement du quota de logements sociaux !
M. Thierry Repentin. C’est pourtant possible !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Faire preuve d’un peu plus de souplesse dans ce cas très particulier, qui ne vise pas l’ensemble de l’accession à la propriété, ne remettrait nullement en cause le sacro-saint article 55 de la loi SRU. Or, on ne peut pas reprocher en l’occurrence un usage abusif de la procédure d’accession sociale à la propriété, puisqu’elle est imposée au maire. En outre, il n’est pas anormal que les logements HLM acquis par leurs occupants, ayant bénéficié du prêt social de location-accession, restent définitivement dans le parc social. Cela ne me choque nullement.
On peut bien sûr m’objecter le cas rare d’une revente du logement. Sans être un cas d’école, la revente d’un logement acquis dans les conditions précitées est possible, par exemple en cas de décès de son propriétaire : les héritiers, dans le cadre de la succession, peuvent alors le revendre. Dans ce contexte précis, il n’est pas choquant que l’affectation sociale du logement disparaisse et ces cas pourraient être facilement réglés.
C’est pour l’ensemble des raisons que je viens de développer qu’il me paraît nécessaire de tenir compte de cette situation très particulière, en supprimant la période transitoire de cinq ans ou, à tout le moins, en l’allongeant à dix ans dans un premier temps.
J’ose donc espérer de votre part, monsieur le secrétaire d’État, une attention toute particulière à ce problème, à un moment où l’on ne peut que constater un lourd déficit du nombre de constructions et le renchérissement des loyers et des prix de l’immobilier, alors même que la crise du logement touche tout le monde et que les collectivités locales disposent de faibles marges de manœuvre.
M. Thierry Repentin. Sans oublier la baisse des allocations personnalisées au logement et le déficit du budget de l’État !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Je remercie tout particulièrement M. Jean-François Mayet qui, en demandant l’inscription de ce débat à l’ordre du jour, m’a permis de soulever ce problème. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Raymond Couderc.
M. Raymond Couderc. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la possibilité d’acquérir son logement répond à une aspiration légitime des jeunes ménages et devrait marquer une étape essentielle dans un parcours résidentiel. Elle correspond à la volonté du Président de la République d’évoluer vers une « France de propriétaires ». Elle participe également au maintien des activités économiques primordiales pour le territoire que sont le bâtiment et les travaux publics : ce point est loin d’être négligeable !
C’est pourquoi je remercie notre collègue Jean-François Mayet de nous inviter à nous pencher sur ce sujet, notamment sur les dispositifs tendant à rendre abordable l’accession à la propriété.
En effet, depuis la loi du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement, une douzaine de dispositifs ont été mis en place ou renforcés pour aider les ménages primo-accédants, plus particulièrement ceux dont les ressources sont faibles.
Ces dispositifs, que nous connaissons tous, comme le prêt à taux zéro, le Pass-Foncier, ou, pour les plus anciens d’entre eux, l’épargne logement, le crédit d’impôt ou encore l’aide personnalisée au logement, sont autant d’outils mis à la disposition des Français. Dans la communauté d’agglomération que je préside, ils ont eu des résultats positifs puisque, au cours des dix-huit derniers mois, ils ont permis à 139 ménages d’acquérir leur logement. Les collectivités locales se sont souvent engagées aux côtés de l’État. Ainsi, dans le même laps de temps, cette communauté d’agglomération a consacré près de 455 000 euros aux subventions à l’accession abordable à la propriété.
Contrairement au scepticisme affiché par certains à l’encontre de ce type de mesures, leurs résultats donc sont loin d’être négligeables.
Si une telle action s’est avérée très positive ces dernières années, en revanche, les restrictions apportées au doublement du prêt à taux zéro et la baisse de 20 000 euros des plafonds du Pass-Foncier au second semestre 2010 n’ont plus permis de « solvabiliser » une partie des primo-accédants. De ce fait, aujourd’hui, le nombre de dossiers de demande d’aide soumis à ma collectivité a diminué, dans le contexte de crise financière et de pression immobilière que nous connaissons tous.
À partir du 1er janvier 2011, en raison de l’entrée en vigueur du prêt à taux zéro renforcé, ou PTZ+, la majoration du prêt à taux zéro, le crédit d’impôt sur les intérêts d’emprunt et le Pass-Foncier disparaîtront. Ce nouvel outil financier, qui se veut plus simple et plus utile, restera réservé aux primo-accédants, mais ne sera plus soumis, comme les anciens dispositifs, à condition de ressources. Son attribution dépendra de deux critères : le nombre de personnes composant le foyer et la zone géographique d’achat du bien. Je souhaite insister sur ce second critère.
En effet, de nombreuses villes moyennes, comme la communauté d’agglomération que je préside, seraient à l’avenir classées en zone B2, c’est-à-dire en « zone moins tendue ». Ainsi, un foyer de cinq personnes s’installant dans cette zone pourrait bénéficier d’une aide de 198 000 euros, alors qu’en zone A, c’est-à-dire en « zone tendue » comme Paris– loin de moi la volonté de contester l’existence de telles zones ! –, cette aide s’élèverait à 359 000 euros pour un logement neuf. Dès lors, indépendamment de ses revenus, une famille se portant acquéreur dans une grande ville, en zone A, pourrait bénéficier d’une aide supérieure de 80 % à celle d’un foyer devenant propriétaire dans une ville moyenne, en zone B2 !
De plus, et malgré l’effort fourni pour relancer les quartiers anciens et les centres-bourgs, évoqués précédemment, il n’en reste pas moins que les foyers subissent une perte de pouvoir d’achat, même lorsqu’ils bénéficient de l’aide proposée dans le cadre du prêt à taux zéro renforcé. En effet, à dossier équivalent, ce système offrira aux habitants des villes moyennes des aides inférieures à celles qui existaient dans le cadre des douze dispositifs d’aide existant au premier semestre de cette année.
Il est dès lors logique de se demander si la population résidant dans les villes moyennes – dans ma communauté d’agglomération, 70 % des foyers sont éligibles au logement social – continuera à se tourner vers cet outil financier pour devenir propriétaire et de s’interroger sur les conséquences économiques qui en résulteraient, notamment dans le domaine du bâtiment et des travaux publics. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Benoist Apparu, secrétaire d’État chargé du logement et de l’urbanisme. Mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d’abord à remercier M. Jean-François Mayet d’avoir bien voulu demander l’inscription à l’ordre du jour de ce débat sur l’accession à la propriété. Tout comme lui, j’ai la conviction qu’il s’agit d’une question majeure pour notre pays et, plus généralement, pour la politique du logement. Nous avons eu l’occasion d’en discuter ensemble à plusieurs reprises, et je sais que, globalement, nous partageons la même analyse sur ce sujet.
Avant de traiter les différentes remarques formulées par M. Mayet comme par les autres orateurs, je souhaite évoquer en quelques mots la réforme qu’a engagée le Gouvernement, ce qui me permettra d’ores et déjà de répondre à un certain nombre de questions posées.
Le 14 septembre dernier, le Président de la République a présenté les grandes lignes de la réforme de l’accession à la propriété. Je vais les rappeler rapidement.
Tout d’abord, le Gouvernement a très clairement souhaité instituer un système plus simple, en réduisant le nombre d’aides – ce point a été souligné –, un système plus efficace, afin d’augmenter le nombre de propriétaires, un système soutenant la construction, à la différence des outils actuels, un système évidemment écologique et, enfin – élément très important, si ce n’est le plus important –, un système épousant la réalité des prix sur le territoire national. Je reviendrai sur ce dernier point, afin de répondre à M. Couderc.
Le Gouvernement a donc la volonté d’offrir un produit beaucoup plus efficace que ceux existant aujourd’hui. Au lieu d’investir 1,2 milliard d’euros, il injectera 2,6 milliards d’euros dans le prêt à taux zéro renforcé. Ce produit sera mieux « familialisé ». Parallèlement, le Gouvernement maintiendra d’autres outils d’accession à la propriété qui constituent des niches très particulières : je pense notamment à la TVA à 5,5 % pour l’acquisition ou la construction d’un logement en zone ANRU ou au prêt social de location-accession, le PSLA.
Enfin, par le biais de cette réforme, le Gouvernement agira sur les prix : c’est un enjeu essentiel. En effet, s’il la met en œuvre, demain, sans accompagnement en termes de politique foncière et de l’urbanisme, cette réforme aura pour unique conséquence d’alimenter la hausse des prix de l’immobilier.
M. Jean-Pierre Plancade. Absolument !
M. Benoist Apparu, secrétaire d’État. C’est la raison pour laquelle, à titre personnel, je suis totalement opposé à la généralisation d’une TVA à 5,5 % sur l’immobilier, comme certains le préconisent.
M. Thierry Repentin. Ce n’est pas ce que j’ai proposé !
M. Benoist Apparu, secrétaire d’État. J’avais cru comprendre, monsieur le sénateur, que telle était votre proposition pour les foyers les plus modestes. Le seul effet direct de l’instauration de ce taux serait une hausse des prix !
Des mesures totalement identiques et uniformes, comme la baisse des droits de mutation ou la TVA à 5,5 % ne feraient qu’alimenter, je le répète, la hausse des prix. C’est la raison pour laquelle, tout en ayant procédé à une étude de ces deux mesures, le Gouvernement n’a pas souhaité s’engager dans cette voie.
Il n’en demeure pas moins que le prêt à taux zéro renforcé, présenté dans le cadre du projet de loi de finances pour 2011, pourrait également avoir des conséquences similaires. Par conséquent, le Gouvernement doit mener parallèlement une action très importante dans le domaine foncier comme en matière d’urbanisme, s’il veut éviter un tel écueil.
En effet, comme plusieurs orateurs l’ont indiqué précédemment, si le Gouvernement souhaite mener à bien cette réforme, c’est en raison de la « désolvabilisation » observée depuis une quinzaine d’années, d’une grande partie des ménages, notamment de la classe moyenne. Des chiffres ont été cités : ainsi, depuis 1995, les prix de l’immobilier ont été multipliés par 2,5, alors que les salaires ne l’ont été que par 1,6.
Mme Odette Terrade. Hélas !
M. Benoist Apparu, secrétaire d’État. C’est bien la raison pour laquelle le Gouvernement, conformément aux engagements pris par le Président de la République au cours de la campagne pour l’élection présidentielle, souhaite aujourd’hui engager cette réforme pour « resolvabiliser », via le nouveau prêt à taux zéro, la classe moyenne notamment, afin de lui permettre d’accéder de nouveau à la propriété.
D’un point de vue philosophique, être propriétaire ne signifie pas être conservateur. L’accession à la propriété est un élément de sécurité ; elle permet aussi de préparer sa retraite, de se constituer un patrimoine, puis de le transmettre ; elle joue donc un rôle essentiel dans la vie quotidienne de nos compatriotes.
Revenons-en à un certain nombre de questions posées.
La « France de propriétaires » qu’avait évoquée le Président de la République traduisait une ambition, un vrai projet de société : elle ne signifiait pas, bien évidemment, que nous nous fixions pour objectif l’accession à la propriété de 100 % de nos compatriotes, ce qui serait une grave erreur eu égard à la mobilité. Pour le Gouvernement, il s’agit de permettre à notre pays d’atteindre la moyenne européenne, soit, peu ou prou, 66 % de propriétaires.
On peut toujours citer l’exemple de certains pays de l’Est, évoqués tout à l’heure par M. Repentin. Mais le Gouvernement n’a jamais souhaité que plus de 80 % des Français soient propriétaires. Monsieur le sénateur, vous avez cité des données récentes du Centre d’analyse stratégique indiquant une corrélation entre le taux de chômage et la proportion de propriétaires : en effet, un taux de propriétaires trop élevé constitue un frein à la mobilité.
Ne faisons aucun procès d’intention : personne n’a affirmé que la France souhaite rejoindre les champions européens de la propriété et atteindre un taux de propriétaires de 85 %. Le Gouvernement estime qu’un taux proche de la moyenne européenne, soit deux tiers des ménages, nous préserverait des difficultés en termes de mobilité et traduirait un véritable développement de l’accès à la propriété.
Monsieur Mayet, je suis d’accord avec vous sur le fond : le monde HLM doit entrer de plain-pied dans la vente de ses logements à ses locataires.
M. Jean-Pierre Plancade. Bien sûr !
M. Benoist Apparu, secrétaire d’État. Cet enjeu de société est très important. Socialement, il serait totalement inadmissible que le Gouvernement concentre son action exclusivement sur les classes moyennes ou sur les plus riches. Les plus modestes de nos compatriotes, notamment ceux qui vivent en HLM, doivent pouvoir accéder également à la propriété. Certes, ces derniers peuvent devenir propriétaires en dehors du parc HLM et ils y sont aidés via les prêts à taux zéro.
Remarquez, mesdames, messieurs les sénateurs, que l’accès à la propriété de son logement par un locataire d’une HLM est doublement facilité. En effet, celui-ci bénéficie de l’ensemble des outils du type prêt à taux zéro et d’un supplément d’aide de cinq points, soit une augmentation de 25 % ou 50 % selon les cas, dans le cadre de la réforme proposée. Par ailleurs, selon les dispositions législatives précédentes, toute vente d’HLM est accompagnée d’une décote pouvant atteindre 35 % par rapport au prix du marché. Par conséquent, les plus modestes de nos compatriotes, logés en HLM, disposent d’une aide formidable pour devenir propriétaires. Cet enjeu absolument essentiel doit être encouragé.
Je serai peut-être moins pessimiste que certains d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, car je sais que le monde HLM partage totalement cette analyse.
M. Thierry Repentin. Absolument !
M. Benoist Apparu, secrétaire d’État. Ses acteurs ont signé un certain nombre de conventions avec l’État, par lesquelles ils s’engagent à vendre 1 % de leur parc annuellement. Je souhaite que ce pourcentage ne reste pas simplement un objectif, mais devienne une réalité. Or, le taux actuel s’élevant à 0,1 %, il doit être multiplié par dix pour respecter les engagements du Gouvernement et du monde HLM, auquel, bien évidemment, je fais une totale confiance.
Monsieur Repentin, votre démonstration relative à la mobilité m’a paru tout à fait exceptionnelle ! Tout d’abord parce que vous vous fondez sur les statistiques des pays de l’ancien bloc de l’Est, pour nous dire que notre objectif est irréaliste.
J’avoue être surpris de vous entendre citer les exemples de pays comme la Roumanie ou la Lituanie, dont le taux de propriétaires atteint 85 %, ce qui ne les empêche pas d’avoir des taux de chômage parmi les plus importants de l’Union européenne. Je vous le répète, nous ne nous sommes jamais fixé pour objectif d’atteindre un taux de 80 % !
En revanche, monsieur Repentin, je ne peux que souscrire à votre plaidoyer pour la mobilité, mais je souhaiterais que cette mobilité se retrouve également dans le monde HLM.
Vous avez raison : l’absence de mobilité est un frein au développement de l’emploi, dont acte ! Je suis parfaitement d’accord avec vous et je partage votre analyse. N’hésitez surtout pas à faire de la mobilité dans le monde HLM un des enjeux de votre mandat, car je crois savoir que vous êtes président de l’Union sociale pour l’habitat, l’USH ; je sais donc que je pourrai compter sur vous à l’avenir pour encourager le développement de la mobilité au sein du parc HLM !
M. Thierry Repentin. Elle est plus importante que dans le secteur privé !
M. Benoist Apparu, secrétaire d’État. On peut effectivement comparer les chiffres : le taux de mobilité s’élève aujourd’hui à 10 % par an dans le monde HLM.
M. Thierry Repentin. Il faut construire plus !
M. Benoist Apparu, secrétaire d’État. Si cette mobilité passait à 15 %, ce qui n’est pas considérable, nous disposerions de 200 000 offres de logements supplémentaires par an.
En France, 100 000 logements sociaux sont en moyenne financés chaque année : 120 000, en 2009, et 140 000, je l’espère, en 2010 ; c’est un record depuis trente ans !
Entre 1978 et 2003, gouvernements de droite et de gauche confondus ont financé 50 000 logements sociaux par an. Depuis 2004, 100 000 logements sociaux sont financés grâce à l’effort massif des collectivités locales, des bailleurs sociaux et de l’État : la mobilisation de l’ensemble de ces acteurs nous a permis d’atteindre ces chiffres. Si nous parvenions à améliorer la mobilité dans le parc HLM en la faisant passer à 15 %, nous disposerions de 200 000 offres de logements supplémentaires par an, avec un coût nul pour les bailleurs, pour l’État et pour les collectivités locales. Un effort majeur reste donc à accomplir en matière de mobilité…
M. Jean-Pierre Plancade. Très bien !
M. Benoist Apparu, secrétaire d’État. … et je sais que je peux compter sur vous, monsieur Repentin, pour atteindre cet objectif.
Vous avez évoqué la question de l’universalité du prêt à taux zéro renforcé. D’autres sénateurs, notamment M. Claude Jeannerot, ont également demandé que le Gouvernement revienne sur cette mesure.
Avez-vous examiné, messieurs les sénateurs, le tableau de ressources correspondant à ce caractère universel ? Je pourrai, bien sûr, vous le communiquer. Voici quelques chiffres correspondant au niveau de ressources pour bénéficier du PTZ+, concernant le neuvième et le dixième décile. Puisque vous êtes sénateur de la Savoie, monsieur Repentin, je prendrai l’exemple de Chambéry, qui appartient à la zone B 1. Pour un célibataire, dans cette zone, la neuvième tranche de revenus commence à 2 407 euros par mois pour un logement neuf et à 2 176 euros pour un logement ancien. La dixième tranche, qui est censée correspondre à de très hauts revenus, commence à 2 824 euros, dans l’ancien à Chambéry, en zone B 1. On ne peut pas considérer qu’une personne qui gagne 2 000 euros par mois est trop riche pour être aidée en matière d’accession à la propriété !
En zone A, les exemples sont encore plus caricaturaux. À Paris, par exemple, peut-on considérer qu’un couple qui gagne 4 000 euros par mois, pour la neuvième tranche de revenus, et 5 000 euros, pour la dixième, peut devenir propriétaire d’un logement ancien par ses propres moyens ? Non, évidemment !
Autrement dit, si vous remettez en cause l’universalité, comme vous le suggérez, les classes moyennes ne pourront pas accéder à la propriété. Mais, dès lors que le Gouvernement réserve ce dispositif aux primo-accédants, les plus riches de nos compatriotes n’en bénéficieront pas, puisqu’ils sont d’ores et déjà propriétaires. Pardonnez-moi d’avoir été un peu long, mais je tenais à insister sur ce point.
Je partage votre point de vue, monsieur Repentin, sur la problématique de la matière première, sujet essentiel que vous avez évoqué, de même que M. Jean-François Mayet et d’autres intervenants. En l’absence de disponibilité foncière et de fiscalité adaptée, le seul effet de cette réforme sera l’emballement des prix, que nous ne souhaitons ni les uns ni les autres.
Je ne reviendrai pas sur les travaux que le Gouvernement a engagés en matière de réforme de l’urbanisme. Nous avons eu l’occasion d’en débattre au sein de cet hémicycle, lors de la discussion du projet de loi portant engagement national pour l’environnement, ou « Grenelle II », puisque vous avez autorisé le Gouvernement à prendre quatre ordonnances pour réformer le droit de l’urbanisme. Un certain nombre de vos collègues participent, d’ailleurs, à ces travaux à nos côtés.
J’ajouterai quelques remarques sur les propos de M. Jean-Pierre Plancade. Je ne suis pas sûr que les politiques d’accession à la propriété soient synonymes d’une politique réactionnaire…
M. Jean-Claude Gaudin. Il n’y a que Mme David pour parler comme cela ! (Sourires.)
M. Benoist Apparu, secrétaire d’État. Je ne partage évidemment pas cette analyse !
En revanche, je vous rejoins totalement, monsieur Plancade, sur la nécessité de maîtriser le foncier. C’est, évidemment, un enjeu déterminant, de même que la vente de logements HLM.
Vous posez une question majeure pour les dix ou quinze années à venir : quelle sera la répartition des compétences entre les collectivités locales et l’État en matière de politique du logement ? Cet enjeu est déterminant.
Je reste convaincu que, si l’État ne conserve pas un rôle régulateur en la matière, nous n’arriverons pas à régler les formidables différences qui existent sur nos territoires en matière de politique du logement.
M. Jean-Pierre Plancade. Absolument !
M. Benoist Apparu, secrétaire d’État. Vous l’avez dit, les crises du logement sont totalement inversées en fonction des territoires. L’Île-de-France connaît une crise de production, de même que la côte méditerranéenne ou l’Aquitaine. À l’inverse, sur d’autres territoires qui connaissent une situation moins tendue, la crise tient à la surproduction qui entraîne un taux de vacance très important. Il nous faut également veiller à ce déséquilibre.
Madame Terrade, oui, je crois à une « France de propriétaires » ! Je crois à cet engagement de campagne du Président de la République !
Selon vous, la volonté d’augmenter la proportion de ménages propriétaires de leur logement démontre que la réforme des retraites est totalement injuste. J’avoue ne pas voir le lien entre les deux termes de votre raisonnement…
Effectivement, d’autres intervenants l’ont dit, devenir propriétaire représente un élément de sécurité pour les retraités, en matière de pouvoir d’achat, car les revenus en période de retraite sont inférieurs à ceux perçus en période d’activité, avec ou sans réforme des retraites !
Si, au moment où elles subissent cette baisse de revenus, les personnes concernées ont fini d’accéder à la propriété, leur taux d’effort consacré au logement chute de façon considérable. Le taux d’effort d’un locataire ou d’un accédant à la propriété représente aujourd’hui 23 % de ses revenus ; il est de 10 % pour celui qui a accédé à la propriété et qui a fini de payer son logement. Il existe donc un écart d’environ quinze points entre le statut d’accédant ou de locataire et le statut de propriétaire. À l’heure de la retraite, la différence est considérable !
Vous évoquez également, madame Terrade, un recul de l’accession à la propriété des classes moyennes. Vous avez raison ! En effet, l’augmentation des prix de l’immobilier étant supérieure à celle des revenus, la classe moyenne s’est trouvée « désolvabilisée ». C’est la raison pour laquelle il faut faire cette réforme pour la resolvabiliser ! Sinon, on se contentera de baisser les bras ou de constater cette baisse de l’accession à la propriété.
Madame Colette Giudicelli, vous affirmez que l’accession à la propriété sécurise la retraite : je ne peux que partager votre analyse, car cet élément est évidemment essentiel.
Vous portez également un jugement très équilibré sur le rôle des bailleurs sociaux. Vous avez raison de le souligner, la plupart d’entre eux font un excellent travail : il faut donc cesser de les prendre pour cible ! Ce n’est pas parce que certains sont peut-être moins efficaces que d’autres qu’il faut en tirer des conclusions générales applicables à l’ensemble de la profession. Je partage votre analyse en la matière, madame la sénatrice : il faut cesser d’opposer les politiques du logement. Si nous voulons réaliser le parcours résidentiel que nous appelons tous de nos vœux, nous avons besoin d’une politique efficace et ambitieuse de production de logements sociaux. Nous ne pourrons pas atteindre cet objectif sans une mobilisation importante des bailleurs et des collectivités locales !
De la même façon, nous avons besoin d’une politique ambitieuse pour créer des logements dans le secteur locatif libre, comme nous avons besoin d’une politique ambitieuse en matière d’accession à la propriété. Ce n’est que dans le cadre de ce parcours global partant du logement social, passant par le développement du secteur locatif libre et aboutissant à l’accession à la propriété que nous parviendrons à répondre aux attentes de nos compatriotes.
Monsieur Jeannerot, votre intervention était très équilibrée – d’autres intervenants l’ont noté. Je vous remercie des propos que vous avez tenus sur la simplification du système, qui est l’un de nos objectifs, et sur son adaptation à la réalité du marché.
Je reviendrai néanmoins sur un point que vous avez évoqué concernant l’universalité. J’ai essayé de répondre à cette question en citant des chiffres concrets et pas simplement des tranches de revenus, qui ne signifient rien pour la vie quotidienne. Je ne considère pas qu’une personne qui, en zone B 1, gagne 2 500 euros par mois soit trop riche pour être aidée.
Si nous voulons cibler les classes moyennes, qui ont été « désolvabiliséés » par l’augmentation des prix de l’immobilier, il faut impérativement maintenir le caractère universel de ce produit.
Vous évoquez également, monsieur Jeannerot, un risque de surendettement. Je ne crois pas qu’il existe. La comparaison que certains – mais pas vous ! – ont faite avec les subprimes me paraît très osée. Nous sommes heureusement très éloignés de cette réalité dans notre pays.
Si nous avons souhaité conserver le dispositif d’aide personnalisée au logement en accession, ou APL Accession, c’est bien parce qu’il constitue une sécurité majeure. Nous avons d’ailleurs pu observer que, pendant la crise, notre pays n’a pas connu une explosion du nombre de sinistres, grâce au caractère très sécurisant de l’APL Accession, qui prend le relais en cas de baisse de revenus de l’accédant.
Monsieur Gouteyron, vous interrogez le Gouvernement sur son engagement en faveur des zones rurales, notamment sur le marché de l’immobilier ancien en zone rurale.
Cet engagement est un des objectifs premiers de cette réforme : elle doit être un outil de production de logements dans les zones les plus tendues, comme Paris ou Marseille ; mais elle doit également nous permettre d’organiser une « reconquête » des centres-bourgs, dans l’ancien, en zones rurales. C’est la raison pour laquelle nous différencions nettement ce nouveau prêt à taux zéro pour les acquisitions dans l’immobilier neuf, afin d’épouser la réalité des marchés, mais la quotité du prêt – soit 20 % du montant de l’opération – sera la même en zone très tendue et en zone rurale.
Les zones rurales, notamment les centres-bourgs, sont donc bien une de nos priorités, notamment en matière de reconquête de l’ancien.
Les zones rurales vivent un drame, nous le savons tous, moi le premier, qui suis originaire d’une zone rurale : la construction d’un logement neuf ou d’une maison individuelle vide une maison en centre-bourg. Nous devons donc conserver un équilibre : il faut aider ceux qui souhaitent acquérir une maison neuve à réaliser leur rêve, mais également pouvoir attribuer un montant de prêt au moins équivalent, si ce n’est supérieur, aux acquéreurs de logements anciens. Favoriser l’immobilier ancien en milieu rural constitue bien l’un des objectifs du Gouvernement dans le cadre de cette réforme.
C’est la raison pour laquelle nous avons effectivement modulé, comme vous le suggériez, les prêts concernés en fonction du revenu, de la composition familiale et, bien évidemment, du zonage. J’en reviens ainsi à votre préconisation : si nous souhaitons organiser la reconquête des centres-bourgs, nous devons privilégier l’aide à l’ancien en milieu rural.
Toutefois, monsieur Couderc, cela ne signifie nullement que nous ne devrions pas aider les villes moyennes. D’ailleurs, ma circonscription d’origine comporte une ville moyenne ; c’est même la commune du président de la Fédération des maires des villes moyennes ! Je mesure donc bien l’intérêt des villes moyennes pour notre territoire… En même temps, comme je vous l’ai indiqué, ma circonscription est aussi extrêmement rurale.
Les aides qui existent aujourd’hui sur notre territoire – je pense notamment au prêt à taux zéro – sont très efficaces, en termes de solvabilité, dans certaines zones rurales et dans des villes situés en zone B2, comme Béziers ou Châlons-en-Champagne, mais ne le sont pas du tout en zone A.
Actuellement, 50 % des opérations du prêt à taux zéro sont effectuées dans des zones C, ce taux atteignant même 75 % si on ajoute les zones B2, alors que ces deux catégories de zones représentent à peine 50 % de la population. Donc, si l’aide de l’État est massive dans les zones B2 et C, elle ne correspond pas à la réalité des besoins dans les zones A et B1.
Le Gouvernement a précisément l’intention de procéder à un rééquilibrage, non pas pour pénaliser les zones B2 et C – l’accession à la propriété doit y être aussi importante que par le passé –, mais pour mieux aider les zones A et B1. L’objectif est que chacun dispose des mêmes chances de devenir propriétaire, quel que soit son lieu d’habitation !
Nous savons aujourd’hui aider nos compatriotes qui vivent dans les zones B2 et C à accéder à la propriété, mais nous ne savons pas aider ceux qui vivent en zones A et B1. Le taux de propriétaires s’élève à 70 % en zone C – la « France des propriétaires » y existe déjà ! –, contre à peine 45 % en zone A. Nous devons donc opérer un rééquilibrage. Chacun, quelle que soit sa zone d’habitation, doit pouvoir devenir propriétaire, tel est l’objectif de cette réforme ; et les aides doivent améliorer la solvabilité des accédants à la propriété dans chacune des zones de notre territoire : c’est tout !
Enfin, madame Des Esgaulx, vous m’avez interrogé sur un point très particulier, la vente de logements HLM.
La règle du maintien pendant cinq années dans le quota de logements sociaux des logements cédés par les bailleurs à leurs locataires a été ajoutée en 2006. Nous sommes ainsi parvenus, me semble-t-il, à un équilibre. À cet égard, je ne partage pas totalement votre analyse, madame la sénatrice, ou plus exactement, je pense que vous y avez déjà répondu vous-même dans votre intervention.
Tout d’abord, les ventes interviennent plus rapidement que vous ne le dites. Les locataires HLM qui achètent leur logement sont bien plus nombreux que vous ne le pensez. De ce point de vue, le délai de cinq années me paraît donc correspondre à la bonne durée.
Surtout, vous conseillez, à juste titre, au Gouvernement de rendre obligatoire l’affectation des produits de la vente à la construction de nouveaux logements sociaux. Mais l’une des raisons pour lesquelles il pousse les organismes bailleurs à vendre une partie de leur patrimoine est bien de leur permettre de constituer une nouvelle offre. Et si un bailleur social vend un logement HLM tout en profitant de cette période de cinq ans pour reconstruire une nouvelle offre de logements sociaux conforme aux principes fixés par la loi SRU, soit un taux de 20 %, la sortie du dispositif à l’issue de cette période ne sera pas pénalisante.
Je rejoins totalement votre conclusion : il faut vendre pour construire. Mais, en l’occurrence, la période de cinq ans est parfaitement adaptée, puisqu’elle permet au bailleur social de reconstituer son offre et de « rester dans les clous » fixés par la loi SRU. Bien entendu, je suis disposé à ouvrir une discussion sur le sujet avec vous ; toutefois, je pense que nous sommes parvenus à un équilibre satisfaisant.
Tels sont, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, les éléments de réponse que je souhaitais apporter aux orateurs qui se sont exprimés cet après-midi.
M. Jean-Claude Gaudin. Très bien !
M. Benoist Apparu, secrétaire d’État. Je tiens à remercier une nouvelle fois M. Jean-François Mayet d’avoir pris l’initiative de ce débat, qui est très important pour l’avenir de notre pays. Je serai très attentif à vos travaux, notamment à la proposition de résolution qui sera discutée, me semble-t-il, dans les semaines à venir.
Tout comme vous, monsieur Mayet, je souhaite l’émergence d’une « France de propriétaires » et je pense que le monde HLM devrait se montrer moins frileux en la matière pour nous permettre d’avancer vers cet objectif partagé. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. Nous en avons terminé avec ce débat sur l’accession à la propriété.
(M. Guy Fischer remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Guy Fischer
vice-président
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Nécessaire réforme des dispositifs « amiante »
Discussion d’une question orale avec débat
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 33 de M. Jean-Pierre Godefroy à M. le ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique sur la nécessaire réforme des dispositifs « amiante ».
Cette question est ainsi libellée :
« M. Jean-Pierre Godefroy attire l’attention de M. le ministre du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville sur la nécessaire réforme des dispositifs “amiante”.
« Aujourd’hui, plus personne n’ignore l’ampleur de ce drame sanitaire, qui se traduira par 100 000 décès dans les 20 à 25 ans à venir.
« Depuis plusieurs années, les rapports et les propositions de réforme se succèdent sans qu’aucune suite y ait jamais été donnée. Les rapports du Sénat (2005) et de l’Assemblée nationale (2006) ont ouvert la voie à une évolution des dispositifs de prise en charge des maladies liées à l’amiante, non sans considérer d’ailleurs leur coût financier. L’inspection générale des affaires sociales (IGAS), la Cour des comptes, le groupe de travail chargé de recenser toutes les victimes de l’amiante et de proposer au Gouvernement une réforme du dispositif de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante (CAATA) mais aussi le Médiateur de la République ont également souligné les carences des dispositifs de préretraite (Fonds de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante-FCAATA) et d’indemnisation des victimes (Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante-FIVA).
« Pourtant, chaque année, à l’occasion de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), le Gouvernement restreint le traitement de cette question à son aspect purement financier et les règles en matière d’irrecevabilité financière empêchent les parlementaires de proposer par amendements les évolutions positives attendues par les milliers de salariés confrontés au problème de l’amiante.
« Aujourd’hui, il est urgent d’agir afin de rendre plus justes les conditions d’attribution des “allocations amiante” mais aussi de rendre plus pérennes les modalités de financement des “fonds amiante”. C’est pourquoi, il lui demande de bien vouloir lui indiquer ses intentions en la matière. »
La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, auteur de la question.
M. Jean-Pierre Godefroy, auteur de la question. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je suis heureux que nous puissions avoir aujourd’hui un débat consacré à l’amiante.
En effet, nous abordons trop souvent ce sujet au détour de l’examen d’autres textes, par exemple, le projet de loi portant réforme des retraites ou le projet de loi de financement de la sécurité sociale, et nous le traitons alors de manière parcellaire, en nous focalisant sur un point précis.
Monsieur le ministre, j’espère que vous montrerez plus d’intérêt pour ce sujet que vos prédécesseurs, car ceux-ci, à mon grand regret, n’ont jamais vraiment manifesté la volonté d’avancer.
En effet, depuis plusieurs années, les rapports et les propositions de réforme se succèdent, sans qu’aucune suite y ait jamais été donnée. Le rapport du Sénat, en 2005, et celui de l’Assemblée nationale, en 2006, ont ouvert la voie à une évolution des dispositifs de prise en charge des maladies liées à l’amiante, non sans considérer d’ailleurs leur coût financier. La Cour des comptes, l’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, le groupe de travail présidé par Jean Le Garrec, mais aussi le Médiateur de la République ont également souligné les carences des dispositifs de préretraite et d’indemnisation des victimes. Aujourd’hui, le décor est planté et les problèmes sont bien connus ; il reste à arbitrer. C’est le plus difficile, j’en conviens !
Pour ma part, je considère qu’il est urgent d’agir, mais qu’il faut le faire en respectant les droits des victimes de l’amiante.
Je veux d’abord insister sur les carences du dispositif de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante, créé par l’article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 de financement de la sécurité sociale pour 1999.
Vous le savez, monsieur le ministre, en contrepartie de la réduction de leur espérance de vie, les salariés ayant été en contact avec l’amiante peuvent bénéficier d’un dispositif spécifique de préretraite consistant en l’attribution d’une allocation de cessation anticipée d’activité servie aux intéressés, jusqu’à ce qu’ils remplissent les conditions pour percevoir une pension de retraite à taux plein et sous réserve de l’arrêt de toute activité professionnelle.
Voilà une dizaine de jours, à l’occasion de la discussion du projet de loi portant réforme des retraites, nous débattions de l’application ou non du report de l’âge légal de la retraite aux victimes de l’amiante. Grâce à la collaboration de tous les groupes du Sénat et du Gouvernement, nous nous sommes entendus pour maintenir les conditions d’âge actuelles permettant de percevoir l’allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante, l’ACAATA, et de partir à la retraite à 60 ans. Mais, comme je vous l’avais alors indiqué, cette décision ne règle pas d’autres problèmes importants.
Vous le savez, monsieur le ministre, pour accéder à la préretraite amiante, les intéressés doivent être âgés d’au moins 50 ans et remplir l’une des deux conditions suivantes.
Premièrement, ils doivent travailler ou avoir travaillé dans l’un des établissements figurant sur les listes fixées par arrêtés interministériels pendant une période donnée, l’âge de départ en préretraite dépendant également de la durée d’exposition.
Deuxièmement, ils doivent avoir contracté une maladie professionnelle liée à l’amiante, à condition que celle-ci figure sur la liste établie par l’arrêté du 29 mars 1999, modifié par les arrêtés du 3 décembre 2001 et du 3 février 2005. Cette liste renvoie aux affections visées aux tableaux n° 30 et 30 bis des maladies professionnelles reconnues par le régime général de la sécurité sociale.
En 2005, à la suite d’une proposition de réforme du Médiateur de la République, cette possibilité d’indemnisation a été étendue à l’ensemble des salariés relevant de ce régime et reconnus atteints d’une maladie professionnelle provoquée par l’amiante, en application de la procédure prévue par l’article L. 461-1 du code de la sécurité sociale, même si la maladie en cause n’est pas explicitement mentionnée dans les tableaux précités.
Le premier problème sur lequel je voudrais insister tient aux modalités d’inscription des établissements sur les listes ouvrant droit à l’ACAATA, qui sont souvent jugées arbitraires par les associations de victimes et les syndicats de salariés. De fait, les auditions de la mission du Sénat sur l’amiante en 2005 ont fait apparaître que ces listes n’ont pas toujours été établies de manière sérieuse et rigoureuse.
Permettez-moi de vous donner quelques exemples.
Parfois, des sièges sociaux figurent sur ces listes, alors que certaines de leurs filiales manipulant de l’amiante en ont été exclues. (Exclamations.) Dans d’autres cas, les sociétés ont changé de nom, d’adresse ou de propriétaire et il est difficile de reconstituer l’histoire ; je me souviens du combat des salariés de Thomson-CSF à Cherbourg.
On connaît aussi le cas d’entreprises comme Moulinex, dont certains établissements seulement ont été classés, alors que leurs activités étaient similaires à celles d’établissements non retenus, ce qui pose un problème aux salariés reclassés d’un établissement à un autre.
Aujourd’hui, ces listes sont fermées et il est très difficile d’y faire inscrire de nouveaux établissements, au terme d’un véritable parcours du combattant. Monsieur le ministre, je suis sûr que plusieurs dossiers émanant d’entreprises demandant leur inscription sur ces listes sont actuellement sur votre bureau. L’un d’entre eux, concernant l’entreprise Tréfimétaux de Dives-sur-Mer, vous a été transmis par moi-même et plusieurs de mes collègues, dont Mme Nathalie Goulet, ici présente.
Le 30 octobre 2008, la cour administrative d’appel de Nantes a annulé, pour non-défense de l’État, l’arrêté d’inscription de cet établissement sur la liste de ceux qui sont susceptibles d’ouvrir droit à l’ACAATA. Un pourvoi en cassation de cet arrêt a été introduit par le collectif des anciens salariés de cet établissement et il est actuellement en cours d’examen par le Conseil d’État. Mais la procédure est longue : en attendant, plus aucun salarié de cet établissement ne peut donc se prévaloir du dispositif de cessation anticipée d’activité, alors même que l’exposition à l’amiante est prouvée et que l’entreprise Tréfimétaux est régulièrement condamnée par les tribunaux dans le cadre de procédures pour faute inexcusable de l’employeur.
Lorsque vous étiez ministre du budget, monsieur le ministre, vous aviez permis de débloquer quatre dossiers de salariés en intervenant auprès de la caisse régionale d’assurance maladie de Normandie. Aujourd’hui, six nouveaux dossiers, faute d’arrêté, sont bloqués et requerraient votre attention. J’espère que vous pourrez nous aider à les faire aboutir et, plus généralement, réfléchir à la question des listes.
L’autre problème concernant l’ACAATA tient à la comparaison des régimes. En effet, comme vous le savez, monsieur le ministre, le dispositif créé par l’article 41 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999 a été ultérieurement complété et des mesures similaires ont été intégrées dans plusieurs autres régimes de protection sociale.
Le décret n° 2001-1269 du 21 décembre 2001 a prévu un dispositif de cessation anticipée d’activité pour les ouvriers de l’État relevant du ministère de la défense, dès lors qu’ils sont ou ont été employés dans des établissements de construction et de réparation navales dépendant de la Direction des constructions navales, la DCN. La loi de finances rectificative pour 2003 a étendu ce régime de préretraite aux fonctionnaires et aux agents non titulaires employés par le ministère de la défense dans ces mêmes établissements : elle fait l’objet du décret d’application n° 2006-418 du 7 avril 2006. Le décret n° 2002-1272 du 18 octobre 2002 a instauré l’ACAATA au bénéfice des marins dépendant du régime d’assurance géré par l’Établissement national des invalides de la marine, l’ENIM. Enfin, la loi n° 2002-1487 du 20 décembre 2002 et le décret n° 2003-608 du 2 juillet 2003 ont étendu l’ACAATA aux salariés agricoles, l’allocation étant servie par les caisses de la Mutualité sociale agricole, la MSA, et financée par une contribution de ce régime au fonds de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante.
Or, la comparaison entre tous ces dispositifs met en lumière les deux principales failles du système existant.
Première faille : l’hétérogénéité des règles mises en œuvre par les différents régimes débouche sur une protection inégalitaire des travailleurs de l’amiante.
Ainsi, certains régimes spéciaux ne couvrent pas le risque spécifique découlant de l’exposition à l’amiante et ne servent donc pas l’ACAATA. C’est le cas pour les fonctionnaires, à l’exception des employés du ministère de la défense, pour les salariés dépendant du régime minier, pour les professions indépendantes, etc.
En outre, lorsque l’ACAATA est prévue, ses modalités d’attribution varient selon le régime considéré. Certains régimes prennent en charge à la fois les travailleurs victimes d’une maladie professionnelle provoquée par l’amiante et ceux qui sont exposés à ce risque, alors même qu’ils n’ont pas développé de maladie, tandis que d’autres régimes n’attribuent l’allocation qu’aux travailleurs reconnus atteints d’une maladie professionnelle causée par l’amiante.
Par ailleurs, pour établir la durée d’exposition à l’amiante, certains régimes retiennent toutes les périodes de travail où l’exposition a eu lieu, quel que soit le régime auquel sont affiliées les entreprises en cause, alors que d’autres se limitent aux périodes d’activité relevant du régime concerné.
Il convient d’ajouter qu’à l’intérieur d’un même régime des salariés exposés à l’amiante peuvent se voir appliquer des règles différentes en fonction de leur statut professionnel ou eu égard au statut de leur entreprise.
À titre d’exemple, monsieur le ministre, je voudrais attirer votre attention sur le préjudice subi par deux catégories particulières de personnel.
Il s’agit d’abord des salariés intérimaires dont les contrats sont reconduits d’une semaine sur l’autre sans autre interruption que le week-end et qui se trouvent défavorisés par rapport aux titulaires d’un contrat à durée déterminée ou indéterminée puisque, dans leur cas, les samedis, dimanches et jours fériés sont exclus des journées prises en compte pour déterminer la durée de travail effectué dans un établissement ouvrant droit à l’ACAATA.
Ce sont ensuite les travailleurs de l’amiante qui exercent leur activité dans des sites figurant sur les listes définies par arrêtés ministériels, mais qui sont employés par des entreprises sous-traitantes et qui sont placés dans une situation plus problématique encore. En effet, le fait que l’entreprise sous-traitante ne soit pas elle-même inscrite sur ces listes conduit à ne pas prendre en considération cette période de travail lors de l’examen de leur demande d’allocation.
Deuxième faille : la comparaison des différents régimes de cessation anticipée d’activité démontre le caractère discordant des règles de prise en charge, ce défaut étant aggravé par le manque de coordination entre les régimes.
Il s’avère en effet que chaque régime établit de manière autonome ses règles de prise en charge : certains régimes n’acceptent de servir l’allocation qu’aux assurés qui leur sont rattachés au moment de la demande ; d’autres attribuent l’ACAATA également à leurs anciens ressortissants. Ainsi, l’autonomie et les logiques internes des régimes sont privilégiées par rapport aux intérêts de l’individu.
Dans les différents rapports que j’ai cités au début de mon intervention, on trouve différentes pistes pour remédier à toutes ces difficultés. Le plus important, selon moi, est de rétablir l’équité entre toutes les personnes exposées à l’amiante dans leur activité professionnelle, en garantissant à celles-ci un même niveau de protection sociale.
Une telle évolution impliquerait tout d’abord d’étendre le bénéfice du dispositif de l’ACAATA à toute personne reconnue atteinte d’une maladie professionnelle ou d’une maladie liée au service, maladie en tout cas causée par l’amiante, quel que soit le régime qui s’est prononcé sur le caractère professionnel de la maladie. L’inégalité de traitement est, en effet, particulièrement intolérable lorsqu’elle concerne des personnes pareillement frappées par la maladie, mais dont le droit à bénéficier d’une retraite anticipée est fonction du régime auquel elles appartiennent.
La mise en œuvre de ce principe supposerait, en outre, de prévoir un droit d’accès à l’ACAATA pour les personnes ayant travaillé dans un établissement à risque pour l’ensemble des régimes, tout en assortissant cette possibilité des garanties nécessaires pour éviter le détournement de la procédure à des fins de gestion de plans sociaux. Il n’est en effet pas admissible que des entreprises utilisent abusivement ce dispositif de préretraite.
Il s’agirait également de veiller à ne pas pénaliser certaines catégories de salariés, en particulier en prenant en compte dans le dispositif de l’ACAATA les travailleurs de l’amiante employés en sous-traitance dans les établissements déjà cités dans les listes.
C’est notamment ce qui a conduit la mission commune d’information sur le bilan et les conséquences de la contamination par l’amiante, présidée par Jean-Marie Vanlerenberghe, dont Gérard Dériot était le rapporteur et dont j’étais, pour ma part, le rapporteur adjoint, à préconiser la mise en place une nouvelle voie d’accès à l’ACAATA, dont bénéficieraient, sur une base individuelle, des salariés ayant été exposés à l’amiante de manière significative et durable dans un établissement appartenant à un secteur non visé par la loi.
Il existe déjà des possibilités d’obtenir l’ACAATA de manière individuelle. Par exemple, le ministère des affaires sociales, par circulaire commune avec la sécurité sociale, a reconnu aux épouses de salariés de l’amiante exposées à la fibre dans le cadre domestique la possibilité de bénéficier d’une cessation anticipée d’activité. À la Direction des constructions navales, il existe également la possibilité de reconnaître, au cas par cas, après examen de leur situation, le bénéfice de l’ACAATA au personnel des entreprises sous-traitantes ou d’intérim qui ont travaillé sur ses sites.
Pour ma part, je crois nécessaire d’institutionnaliser davantage cette voie d’accès. Pour identifier plus facilement les salariés concernés, j’avais proposé à la mission commune d’information la création de comités de site, rassemblant l’ensemble des acteurs concernés – représentants de l’entreprise, des salariés, de l’État, de la caisse primaire d’assurance maladie –, afin de recouper, de manière contradictoire, les informations disponibles. J’en suis persuadé, un tel dispositif permettrait, notamment, de mieux prendre en compte les droits des salariés des entreprises sous-traitantes ou des salariés intérimaires qui ont pu travailler pendant des années dans des établissements utilisant l’amiante sans faire partie de leurs effectifs salariés et qui, de ce fait, n’ont pas droit aujourd’hui à l’ACAATA.
L’article 76 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2010, voté l’année dernière à la même époque, prévoyait d’ailleurs que le Gouvernement devait remettre, avant le 30 septembre 2010, « un rapport évaluant la faisabilité d’une voie d’accès individuelle au dispositif de cessation anticipée des travailleurs de l’amiante ainsi que le nombre de salariés potentiellement concernés par ce dispositif ». Malheureusement, et je ne vous en fais pas grief, monsieur le ministre, nous en attendons toujours la publication…
Mme Nathalie Goulet. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Godefroy, auteur de la question. Ce qui m’inquiète à cet instant, c’est la déclaration faite par M. le Président de la République le 23 juillet dernier lors d’une visite des chantiers navals de Saint-Nazaire. Le Président de la République a établi une distinction entre les « personnes touchées par l’amiante » et les personnes qui ont été simplement « exposées », laissant ainsi entendre que l’on pourrait réserver le bénéfice de l’ACAATA aux seuls salariés malades. C’est la Cour des comptes qui, la première, avait émis cette idée en 2007, alors qu’elle s’alarmait du poids de plus en plus lourd des fonds « amiante ».
Je vous le dis sans ambages, monsieur le ministre, une telle réforme serait totalement inadmissible pour les victimes de l’amiante. Elle viderait totalement le dispositif de cessation anticipée des travailleurs de l’amiante de sa substance puisque 90 % des allocataires environ y entrent par la voie de l’exposition et 10 % seulement en raison de leur pathologie professionnelle. Surtout, cela serait totalement contraire à l’esprit du dispositif de préretraite, qui vise à compenser la perte d’espérance de vie à laquelle sont statistiquement confrontées les personnes ayant été exposées à l’amiante au cours de leur vie professionnelle.
Comme cela vous a été rappelé lors du débat sur les retraites, il peut suffire d’une fibre d’amiante pour développer trente à quarante ans plus tard un mésothéliome et mourir dans les douze à dix-huit mois qui suivent la déclaration de la maladie.
J’espère sincèrement, monsieur le ministre, que ce n’est pas la voie dans laquelle vous envisagez de vous engager.
Au-delà, il apparaît tout aussi nécessaire d’harmoniser les conditions de prise en charge de l’allocation au sein des différents régimes dans le sens le plus favorable aux victimes de l’amiante. Il conviendrait, à cette fin, d’instaurer des mesures de réciprocité entre les régimes d’assurance maladie pour faire en sorte que chacun d’eux puisse opérer le cumul de toutes les périodes d’activité susceptibles d’ouvrir droit à l’ACAATA, tous régimes confondus. La mobilité au sein des parcours professionnels, qui correspond à une tendance forte du marché actuel de l’emploi, doit en effet être prise en considération.
À ce sujet, j’avais déposé avec mes collègues du groupe socialiste, lors du débat sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2007, un amendement visant à harmoniser les régimes pour le service de l’ACAATA. Malheureusement, cet amendement, après avis défavorable du Gouvernement, avait été rejeté. J’espère pouvoir vous convaincre de faire évoluer la position du Gouvernement sur ce sujet…
Le dernier point que je voudrais évoquer s’agissant de l’ACAATA est son montant. Vous le savez, il est fixé par l’article 2 du décret n° 99-241 du 29 mars 1999 et équivaut, on ne le rappellera jamais assez, à 65 % du salaire de référence, lequel correspond à la moyenne des rémunérations perçues au cours des douze derniers mois d’activité salariée.
La plupart des personnes concernées, par la voix des associations de victimes et des syndicats de salariés, jugent ce montant trop faible, notamment pour les ouvriers les moins qualifiés, et estiment que les sommes qui leur sont aujourd’hui octroyées dans le cadre de l’allocation de cessation d’activité ne leur permettent pas de vivre.
En 2005, la mission d’information du Sénat avait pris clairement position en faveur d’une revalorisation du montant de l’ACAATA. J’ai bien noté que le montant minimum de l’allocation a été revalorisé de 20 % à la fin de l’année 2009. Un geste plus significatif ne serait que justice, d’autant que l’assiette servant de base au calcul – c’est un point sur lequel j’aimerais pouvoir vous faire changer d’avis – influe sur le montant de l’allocation.
Vous le savez, monsieur le ministre, en décembre 2007, la Cour de cassation avait considéré que tous les éléments de rémunérations, y compris les indemnités pour des jours de congés payés, de RTT non pris ou cumulés dans des comptes épargne-temps devaient être pris en compte dans l’assiette de calcul. Le Gouvernement est passé outre avec la publication du décret n° 2009-1735 du 30 décembre 2009, qui ne prend en compte que les éléments de revenu qui présentent un caractère régulier et habituel, ce qui exclut les indemnités compensatrices. Pour certains travailleurs, cela a entraîné une baisse tout à fait substantielle du montant de l’ACAATA, les incitant ainsi à renoncer à la préretraite pour des raisons pécuniaires.
Monsieur le ministre, ce sont des économies de bouts de chandelles faites sur le dos des victimes de l’amiante ! Cela me semble particulièrement injuste. Vous seriez bien inspiré de revoir cette décision.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Jean-Pierre Godefroy, auteur de la question. J’en viens maintenant au Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante, le FIVA. Je serai plus bref que sur l’ACAATA, car nous aurons l’occasion d’en rediscuter la semaine prochaine au cours de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2011, dont l’article 49 modifie les règles de prescription applicables aux actions en indemnisation menées par les victimes ou leurs ayants droit devant le FIVA. C’est une évolution importante que vous proposez et qui est attendue, notamment par les associations de victimes.
Je rappelle en effet que, dans sa rédaction d’origine, l’article 53 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001 créant le FIVA ne précise pas les règles de prescription applicables aux actions en indemnisation menées par les victimes ou leurs ayants droit devant le FIVA. C’est donc le conseil d’administration du FIVA qui, en mars 2003, a précisé ces règles de prescription en se référant à la règle générale de la prescription quadriennale des créances publiques, mais en fixant de manière différente le point de départ de cette prescription selon les pathologies indemnisées.
Il en résulte des durées de prescription différentes selon les pathologies considérées. Par exemple, la durée de prescription est de quatre ans après la première constatation médicale pour les fibroses et la pleurésie, de neuf ans après la première constatation médicale pour les cancers, qui sont considérés comme consolidés après cinq ans, de quatre ans après le décès pour les ayants droit, etc. Passé ce délai, une victime ou un ayant droit n’est plus indemnisé. Ainsi, en 2009, le FIVA a rejeté 542 demandes d’indemnisation considérées comme prescrites.
Ce qui est venu tout chambouler, c’est une série d’arrêts rendus en janvier, en juin et en juillet 2010 par la Cour de cassation, dans lesquelles cette dernière confirmait la règle de la prescription quadriennale, mais précisait que ce délai « ne peut commencer à courir tant que la consolidation du dommage n’a pas été constatée » et que l’instruction d’un dossier de maladie professionnelle ou de faute inexcusable « n’interrompt pas le délai de prescription ».
Cela remet totalement en cause la pratique actuelle du FIVA et fragilise la position des victimes. Comme l’a fait remarquer l’Association nationale de défense des victimes de l’amiante, l’ANDEVA, vu la longueur des procédures, le dossier risque d’être prescrit lorsqu’une maladie professionnelle est reconnue par le système complémentaire ou après un contentieux, ou encore après la reconnaissance d’une faute inexcusable en appel.
C’est pourquoi je me réjouis que le Gouvernement propose d’élargir la durée de prescription de quatre à dix ans, ce qui correspond au délai applicable aux victimes de dommages corporels prévu par la loi Badinter et qu’il prévoie également une sorte de mesure rétroactive pour permettre à des victimes dont la demande avait été rejetée pour prescription de déposer une nouvelle demande dans un délai de trois ans.
La question qui reste à trancher est celle du point de départ de la prescription. Nous en reparlerons lorsque nous examinerons le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2011.
L’autre point que je voudrais aborder concernant le FIVA est celui de son fonctionnement interne et de sa gouvernance.
À la suite du rapport pour le moins critique de la mission commune menée en juillet 2008 par l’inspection générale des affaires sociales et l’inspection générale des finances, le FIVA a engagé une importante réforme interne. Le neuvième rapport d’activité du FIVA, publié en juin dernier, détaille la mise en œuvre des recommandations de l’IGAS et de l’IGF : recrutement temporaire de personnels, création d’une cellule d’urgence, mise en place d’une permanence téléphonique pour les victimes, simplification des procédures, amélioration des délais de présentation des offres et de paiement, organisation des échanges électroniques avec les associations, les avocats et les organisations syndicales. On ne peut que se féliciter de ce souci d’améliorer la gestion du fonds.
Le point qui reste en suspens pour l’instant est celui de la gouvernance : le Gouvernement a annoncé qu’une réforme du fonds interviendrait l’année prochaine pour en renforcer le caractère paritaire. Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous en dire un peu plus et éclairer notre lanterne à ce sujet ? En effet, en ce qui concerne le paritarisme, nous avons été quelque peu échaudés lors du débat sur les retraites.
Mme Annie David. Eh oui !
M. Jean-Pierre Godefroy, auteur de la question. Le dernier point de mon intervention concerne le volet financier. Nous aurons également l’occasion d’en reparler lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2011.
Vous le savez, monsieur le ministre, depuis 2003, les charges du FCAATA sont supérieures aux produits et, depuis 2005, le déficit du régime ne cesse de se creuser. L’année dernière, dans son rapport sur la branche accidents du travail-maladies professionnelles, mon collègue Gérard Dériot tenait des propos rassurants et faisait des prévisions optimistes pour 2009 et 2010. Elles se sont malheureusement révélées infondées – mais vous n’y êtes bien entendu pour rien, mon cher collègue ! (Sourires.) – si l’on en croit les chiffres fournis par le rapport annuel d’activité de 2009 du FCAATA.
En 2009, le résultat net annuel qui ne devait être négatif que de 1 million d’euros l’a finalement été de 11 millions d’euros, et le déficit cumulé qui devait se stabiliser à 273 millions d’euros s’établissait finalement fin 2009 à 284 millions d’euros.
Pour 2010, le fonds ne prévoit a priori pas d’amélioration, avec un résultat négatif de 14 millions d’euros et un déficit cumulé de 300 millions d’euros.
S’agissant du FCAATA, je voudrais également revenir sur la question de la participation financière des grands groupes responsables.
En 2005, le Gouvernement avait créé une contribution à la charge des entreprises ayant exposé leurs salariés à l’amiante pour alimenter le FCAATA ; cette contribution a été supprimée en 2009, officiellement en raison de son faible rendement et de l’obstacle qu’elle pouvait constituer pour la reprise d’entreprises en difficulté. C’était pourtant une application limitée, mais intéressante, du principe pollueur-payeur et de responsabilisation des employeurs. J’aurais aimé en la matière que le Gouvernement soit un peu moins prompt à réagir et que l’on prenne le temps nécessaire pour adapter le dispositif et le rendre plus efficace.
La situation financière du FIVA est, elle, plus saine que celle du FCAATA dans la mesure où les dotations qu’il a obtenues ont excédé ses dépenses jusqu’en 2004, ce qui lui a permis d’accumuler d’importantes réserves. Mais celles-ci ont largement fondu ces dernières années.
En 2009, les dépenses d’indemnisation ont été de 359 millions d’euros ; en 2010, elles devraient s’élever à 512 millions d’euros. La dotation prévue cette année sera-t-elle suffisante pour couvrir ces dépenses d’indemnisation en constante augmentation ? Je m’interroge !
Comme le soulignait l’année dernière le rapport de notre collègue Gérard Dériot, l’évolution de l’équilibre du FIVA est difficile à prévoir à moyen terme du fait de la part croissante des maladies malignes dans les demandes d’indemnisation. J’espère seulement que le sous-financement actuel du fonds n’aura pas de conséquences pour les victimes.
Vous le voyez, monsieur le ministre, il y avait de quoi consacrer un débat spécifique à l’amiante. Je remercie d’ailleurs M. le président de m’avoir autorisé à dépasser quelque peu mon temps de parole, mais les sujets de préoccupation sont nombreux. Du reste, je n’ai pas eu le temps d’aborder des thèmes tels que le suivi médical des victimes de l’amiante, le procès pénal de l’amiante, etc.
J’espère surtout vous avoir convaincu, monsieur le ministre, qu’il est aujourd’hui urgent d’agir afin de rendre plus justes les conditions d’attribution des allocations « amiante », mais aussi de rendre plus pérennes les modalités de financement des fonds « amiante ». C’est pourquoi je vous demande de bien vouloir nous indiquer vos intentions en la matière. (Applaudissements.)
Mme Nathalie Goulet. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Gilbert Barbier.
M. Gilbert Barbier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le sujet que nous abordons aujourd’hui est douloureux et difficile.
La mission d’information présidée par Jean-Marie Vanlerenberghe et dont Gérard Dériot et Jean-Pierre Godefroy étaient rapporteurs a montré les négligences, les erreurs et les dénis qui ont abouti au drame de l’amiante.
Trop longtemps, la question de la santé au travail a été reléguée à l’accessoire, alors même que la notion légale de maladie professionnelle existe en France depuis 1919.
L’amiante, utilisé durant plus d’un siècle, est à l’origine de la forte croissance du nombre de maladies professionnelles reconnues depuis dix ans. En 2009, elle a causé 66 % des décès liés à une maladie professionnelle en France et 80,7 % des cancers professionnels en Europe.
Face à ce drame, des mesures ont été prises. La création du dispositif de cessation anticipée d’activité des travailleurs exposés à l’amiante a constitué une réponse que chacun reconnaît comme positive et qui place la France parmi les pays les plus avancés en matière de prise en charge des victimes. Comme nous venons de le voir, les dépenses d’indemnisation, à travers le FIVA, ont atteint 2,4 milliards d’euros depuis 2000 : il s’agit, là aussi, d’un effort sans précédent.
Mais ces dispositifs montrent aujourd’hui certaines limites. Plusieurs rapports officiels, cités par notre collègue Jean-Pierre Godefroy, les ont précisément mises en lumière et ont formulé des recommandations.
Les premières concernent les conditions d’éligibilité au FCAATA.
Tous les rapports s’accordent à dire que le système actuel n’est pas satisfaisant. Il crée surtout des inégalités, qui s’ajoutent aux drames humains engendrés par le développement de maladies trop souvent mortelles.
Comment, en effet, justifier qu’entre deux salariés exposés à l’amiante, l’un ne puisse prétendre au bénéfice d’une réparation simplement parce que l’entreprise qui l’employait n’est pas répertoriée sur une des listes fixées par arrêté ministériel ou parce que la période à laquelle il a été exposé n’est pas cataloguée, ou encore parce qu’il n’est pas affilié aux régimes visés par le dispositif ? Certes, la justice peut imposer de lui accorder le bénéfice de l’ACAATA, mais il lui revient alors de prouver le caractère fondé de sa demande.
Ces victimes exclues ne comprennent pas qu’à situation identique il n’y ait pas traitement similaire.
Le Gouvernement a envoyé des signes positifs en revalorisant de 20 % le montant minimum de l’ACAATA et en acceptant de maintenir les conditions actuelles d’âge de cessation d’activité et de perception d’une retraite à taux plein pour les anciens travailleurs de l’amiante. Ce dernier point a fait l’objet d’un large débat dans le cadre de la réforme des retraites, et je me félicite du résultat.
Cela étant, monsieur le ministre, je crois qu’il convient aujourd’hui d’aller plus loin et d’étudier sérieusement les propositions de réforme qui ont été faites. Il faut prendre en compte la question de la sous-traitance et uniformiser les règles de prise en charge entre les différents régimes de sécurité sociale.
La mission d’information de l’Assemblée nationale proposait d’établir une liste de bénéficiaires du FCAATA croisant une liste de métiers et de secteurs d’activité à risque, sur la base de travaux d’experts, notamment de l’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail. Un amendement du député Guy Lefrand a été déposé en ce sens dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2011. Quelles suites y avez-vous données ?
Par ailleurs, a été maintes fois évoquée la possibilité de créer une voie d’accès individuelle au FCAATA. C’est en effet une solution, mais il est clair qu’il faut connaître le nombre de personnes concernées. L’exemple de l’Italie, qui, après avoir mis en place un tel dispositif, s’est retrouvée complètement engorgée, avec plus de 240 000 demandes déposées, doit nous inciter à la prudence. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2010 prévoyait un rapport pour le 30 septembre 2010. Qu’en est-il de ce rapport ?
Monsieur le ministre, tous ceux qui sont ici présents conviennent que le système a permis de venir en aide à beaucoup de salariés, mais il comporte des failles. Saisi de nombreuses réclamations, le Médiateur de la République lui-même demande avec constance depuis plusieurs années qu’il soit réformé. Je mesure bien entendu toute la difficulté de la tâche dans un contexte financier contraint, mais la valeur humaine ne se discute pas et impose des responsabilités.
Toutefois, je reconnais que des avancées ont eu lieu depuis un an sur le dossier de l’amiante.
Vous avez notamment pris différentes mesures pour réorganiser le fonctionnement du FIVA et créé une « cellule d’urgence » chargée d’apurer le stock des dossiers. Les délais de traitement étaient en effet très préoccupants dans la mesure où les victimes touchées par les pathologies les plus graves ont malheureusement une espérance de vie très courte.
Dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2011, vous revenez sur une récente décision de la Cour de cassation en créant un délai de prescription de dix ans propre aux demandes d’indemnisation présentées devant le FIVA. Cela va dans le bon sens.
Le renforcement des effectifs de la « cellule amiante » de l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique est également un point positif.
S’agissant du suivi médical des victimes d’expositions professionnelles, l’article 25 de la réforme des retraites consacre le carnet de santé au travail et la création d’une fiche individuelle. La Haute Autorité de santé avait par ailleurs préconisé la mise en place d’un suivi professionnel spécifique pour les personnes exposées à l’amiante, avec, comme examen de référence, le scanner thoracique. Cette recommandation a-t-elle été suivie ?
Enfin, s’agissant des fibres courtes et fines présentes dans les bâtiments publics, des études complémentaires ont-elles été conduites ? Le décret d’application précisant les modalités de réalisation des constats d’amiante, obligatoires depuis la loi HPST du 21 juillet 2009 a-t-il été pris ?
Je vous saurai gré, monsieur le ministre, de répondre à toutes ces questions. De nombreux chantiers ont été ouverts depuis l’an dernier et soyez convaincu que nous en suivrons avec attention la mise en œuvre. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Annie David.
Mme Annie David. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est avec satisfaction et une profonde humilité que nous abordons ce débat sur la nécessaire réforme des dispositifs « amiante ».
Encore aujourd’hui, d’après les dernières estimations de l’Organisation mondiale de la santé, l’amiante tue 107 000 personnes par an, soit un mort lié à l’amiante toutes les cinq minutes. En France, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, l’INSERM, estime que ce fléau aura fait 100 000 morts d’ici à 2025. L’ampleur de la catastrophe est telle que le mois dernier, dans une déclaration, les Nations unies ont confirmé leur souhait de voir cesser l’utilisation de l’amiante de par le monde.
Car n’oublions pas, mes chers collègues, qu’aujourd’hui encore, pendant que l’industrie tire profit de l’utilisation de l’amiante, les travailleurs, eux, la paient de leur vie !
En raison des propriétés – résistance à la chaleur et aux agressions chimiques – et du faible coût de ce matériau, l’utilisation de l’amiante a perduré, malgré le lien positif établi entre l’inhalation de fibres d’amiante et le déclenchement de pathologies spécifiques.
La révolution industrielle en a même généralisé l’usage dans de nombreux domaines, particulièrement dans le secteur du bâtiment. Ainsi, le drame de Condé-sur-Noireau, près de Caen, que Jean-Pierre Godefroy a évoqué tout à l’heure, a été signalé dès 1906 par l’inspecteur du travail Denis Auribault. Cela n’aura pas suffi à une prise de conscience des pouvoirs publics : ce n’est qu’en 1945 que les pathologies liées à l’amiante font l’objet d’une première reconnaissance !
Toutefois, au cours des cinquante années qui suivent, les intérêts économiques priment sur la santé des travailleurs et le Comité permanent amiante, puissant lobby des patrons de l’amiante, empêche la reconnaissance de son caractère mortifère et son interdiction. Nos collègues Gérard Dériot et Jean-Pierre Godefroy, dans leur rapport intitulé « Le drame de l’amiante en France : comprendre, mieux réparer, en tirer des leçons pour l’avenir » et daté d’octobre 2005, ont d’ailleurs bien dénoncé les mécanismes mis en place, dans le but de manipuler l’opinion publique, par ce comité qui faisait même du chantage à l’emploi !
Enfin, en 1996, l’amiante cesse d’être considéré comme un risque professionnel qu’il faut gérer et devient une matière qu’il faut interdire. En 1999, sont créés le FCAATA et son corollaire, l’ACAATA, suivis du FIVA.
C’est la première fois, en France, que la perte d’espérance de vie provoquée par une exposition professionnelle à une substance cancérogène ouvrait droit à une cessation anticipée d’activité. Il s’agissait là d’une mesure de justice sociale : celles et ceux qui risquent de mourir plus tôt du fait de leur exposition à l’amiante dans le cadre de leur travail doivent pouvoir partir plus tôt en retraite.
S’il a constitué un progrès considérable pour les personnes exposées, le FCAATA reste malgré tout source d’injustices, car il exclut de fait des salariés tout autant exposés, mais ne travaillant pas dans les secteurs répertoriés. Cette situation est due à sa gestion par le ministère au moyen d’arrêtés fixant des établissements éligibles et au manque de souplesse du dispositif.
Par exemple, un calorifugeur peut en être exclu, simplement parce que l’établissement dans lequel il travaille n’est pas éligible.
L’exemple d’Arkema, dans mon département, l’Isère, est représentatif de cette injustice. En effet, le site Arkema à Jarrie est inscrit sur la liste des établissements ouvrant droit à l’ACAATA, alors que celui de Brignoud ne l’est pas. Pourtant, ces deux établissements ont réalisé des fabrications communes. Sur les 200 salariés que comptait celui de Brignoud, 106 ont été reconnus comme ayant été exposés à l’amiante. Parmi eux, 84 salariés sont suivis médicalement pour leur exposition et 4 salariés sont décédés ! La bataille pour la reconnaissance de ce site date de 1998 et continue, malgré la fermeture du site et sa démolition presque totale.
Un espoir est d’ailleurs donné à ces hommes et à ces femmes avec l’annulation, prononcée par le tribunal de Marseille, d’une décision du ministère visant à ne pas classer un site équivalent à celui de Brignoud : mêmes donneurs d’ordre, mêmes produits, mêmes procédés… Un espoir, monsieur le ministre, de voir votre décision également annulée par le tribunal de Grenoble.
Ainsi, depuis 1997, l’amiante est interdit d’utilisation, mais force est de constater que la législation n’est pas toujours bien respectée. Une étude de 2006 a révélé que 76 % des chantiers de désamiantage ne se trouvaient pas, eux-mêmes, en conformité avec la réglementation.
Plus grave encore, en 2009, le rapport d’information de M. Guy Lefrand sur la prise en charge des victimes de l’amiante évoque « des certificats d’exposition à l’amiante rarement délivrés » et les difficultés des médecins du travail pour les remplir. II fait écho au rapport de nos collègues Gérard Dériot et Jean-Pierre Godefroy mettant déjà en avant ces manquements graves à la loi.
En outre, les procès civils de l’amiante sont de plus en plus nombreux : le FIVA estime qu’environ 1 000 procédures civiles sont menées chaque année.
Enfin, en juillet 2009, un arrêt de la Cour de cassation a rappelé aux employeurs qu’ils étaient tenus, envers leurs salariés, d’une obligation de résultat en matière de sécurité. Manquer à cette obligation revêt un caractère inexcusable au sens de l’article L. 452-1 du code de la sécurité sociale.
Par ailleurs, les victimes et leurs familles demandent qu’un procès pénal soit enfin ouvert pour que tous les responsables de cette catastrophe sanitaire soient renvoyés devant un tribunal correctionnel.
Mais des obstacles juridiques à la tenue de ce procès persistent : il existe un vide juridique entre la qualification d’empoisonnement, qui ne peut être retenue dans le cas d’espèce car elle suppose l’existence d’un élément intentionnel, et le délit de blessures et d’homicide involontaire. Pourtant, si l’on ne peut pas reprocher aux responsables de la catastrophe d’avoir eu l’intention de tuer des travailleurs, il est évident qu’ils avaient conscience de la dangerosité du matériau et des conséquences de son exploitation.
À la suite de la rencontre entre des victimes de l’amiante, des veuves de victimes de l’amiante et des parlementaires, un groupe de travail devrait être mis en place. Il a notamment pour but de faire évoluer la loi du 10 juillet 2000 tendant à préciser la définition des délits non intentionnels, dite « loi Fauchon », qui est un véritable obstacle à cette reconnaissance et, donc, à la tenue de ce procès. Je vous invite, monsieur le ministre, à veiller à la création rapide de ce groupe de travail.
Ainsi, en dépit des dernières mesures législatives, le scandale de l’amiante continue. La législation doit donc évoluer.
C’est dans cette perspective que nous avons déposé une proposition de loi, datée du 23 octobre 2007, qui a été débattue ici même le 22 janvier 2008, mais que votre majorité a repoussée ! Nous demandons, par exemple, que soit élargi le champ de l’ACAATA et du FIVA à l’ensemble des travailleurs et anciens travailleurs exposés à un titre ou à un autre aux poussières d’amiante. Vous le savez, les fibres d’amiante lorsqu’elles ont été inhalées sont très difficiles à éliminer et une seule exposition, même courte, suffit à faire apparaître certaines pathologies.
J’ai assisté vendredi soir à la projection du documentaire de José Bourgarel 100 000 cercueils, le scandale de l’amiante, dont vous avez sans doute entendu parler, monsieur le ministre. Cette projection était suivie d’un débat, organisé par des anciens salariés du site Arkema de Brignoud. De nombreux salariés d’autres entreprises étaient présents : leur colère, que je partage, face à votre décision de ne pas revoir la liste des sites classés « amiante » est forte, mais leur désarroi face aux risques qu’ils encourent est encore plus grand. C’est le cas de ce technicien de réparation d’ascenseurs, souvent confronté à des poussières d’amiante, mais qui n’a pas le matériel adapté pour s’en protéger !
Alors, que faire ? Refuser de travailler ?
C’est bien l’exposition à l’amiante qui doit être le critère premier d’attribution de la cessation anticipée d’activité. Nous souhaitons ainsi ouvrir, au côté de la voie collective, la voie individuelle d’accès au dispositif de l’ACAATA. Un rapport voté à l’occasion de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2010 devait d'ailleurs être rendu le 30 septembre dernier, mais il n’est toujours pas achevé.
Nous avons d’autres propositions que je n’ai malheureusement pas le temps de développer s’agissant de la responsabilité des entreprises, la gestion des listes des établissements ou la revalorisation de l’ACAATA.
Mais nous devons aller plus loin, en élargissant le débat à d’autres produits, car il ne faudrait pas que le drame de l’amiante se reproduise à travers l’utilisation des produits CMR – cancérogènes, mutagènes, reproductibles –, par exemple. Il est de votre responsabilité de ne pas laisser l’intérêt économique des entreprises prendre le pas sur la santé des travailleurs, comme ce fut le cas pour l’amiante !
Il en va de même dans de nombreux secteurs, tels l’agriculture, le nucléaire ou encore les nanotechnologies, qui représentent peut-être un danger pour les travailleurs.
Si le XXe siècle est celui qui a connu les plus grandes mutations technologiques, à mesure que nos connaissances scientifiques avancent, nous prenons conscience des risques que le travail fait subir aux travailleurs. L’actualité des suicides, la poursuite du scandale de l’amiante, les prévisions inquiétantes relatives à l’utilisation des éthers de glycol, l’exposition aux CMR sont là pour nous le rappeler.
Aussi, pour conclure, je dirai que le PLFSS pour 2011, en l’état, n’est pas à la hauteur des attentes en matière de santé des salariés, hormis l’article 49 qui apporte une bonne réponse pour le FIVA, mais qui c’est une goutte d’eau au regard de toutes les mesures à revoir.
Chers collègues, vous le savez, nous n’avons pas la possibilité de proposer des amendements augmentant les dépenses de l’État. Aussi, monsieur le ministre, en écho à la question de notre collègue Jean-Pierre Godefroy et aux propos que vous avez tenus ici même lors du débat sur les retraites, nous souhaitons savoir quelles propositions vous entendez formuler concrètement pour faire évoluer le droit des travailleurs victimes de l’amiante. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG, du groupe socialiste, du RDSE et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Dériot.
M. Gérard Dériot. Monsieur le ministre, si vous ne le saviez déjà, ce débat vous montrerait combien la question de l’amiante est, au Sénat, un sujet tout à fait prégnant. Une nouvelle preuve en avait été apportée avec la création de cette mission commune d’information, à laquelle mes collègues ont été nombreux à participer, notamment parmi les membres de la commission des affaires sociales, mission chargée de dresser un bilan sur cette question, notamment sur les conséquences de la contamination par l’amiante.
Nous avons tous constaté que les dégâts qui en découlaient avaient été extrêmement importants, qu’ils continuaient à se faire sentir et que bon nombre de nos concitoyens mouraient d’avoir été en contact avec ce produit que l’on trouvait merveilleux il y a un certain nombre d’années en raison de sa grande résistance au feu et de son faible coût. Malheureusement, quelques années plus tard, nous nous retrouvons face aux dégâts que l’on sait.
Cette question orale de notre collègue Jean-Pierre Godefroy intervient quelques jours après qu’un débat important sur l’indemnisation des victimes de l’amiante a eu lieu dans le cadre de l’examen par notre assemblée de la réforme des retraites. La question alors posée était celle des personnes éligibles à l’allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante. À l’unanimité, et avec votre accord, monsieur le ministre, notre assemblée a décidé d’adopter les amendements identiques que nous avions déposés avec Jean-Pierre Godefroy, afin d’exonérer ces personnes des conséquences du report de l’âge de la retraite.
Le dispositif, tel qu’il figure dans le texte définitif retenu par la commission mixte paritaire, permet de préserver sans changement le système actuel, tant pour les victimes de l’amiante que pour la branche accidents du travail et maladies professionnelles.
En effet, au moment où l’on décidait qu’un taux d’incapacité de 10 % permettrait de partir en retraite à 60 ans et alors que la réforme des retraites se fondait sur l’augmentation de l’espérance de vie, nous pensions qu’il n’aurait pas été équitable d’imposer aux travailleurs de l’amiante de continuer leur activité après cet âge, un auquel certains d’entre eux n’ont, hélas, même pas pu parvenir. De nombreux sénateurs ont noté combien ce débat reflétait la manière dont nous approchons collectivement le drame de l’amiante au sein de notre assemblée.
Le Sénat est en effet particulièrement sensible à la situation des travailleurs de l’amiante puisque cette mission commune d’information que présidait Jean-Marie Vanlerenberghe, et dont j’étais, avec Jean-Pierre Godefroy, rapporteur, a fait ressortir les négligences, les erreurs et les dénis qui ont abouti à ce drame.
Heureusement, tous les travailleurs de l’amiante ne développeront pas de maladie, et certaines des victimes ne développeront que des maladies bénignes. Mais je crois utile de rappeler une nouvelle fois qu’il suffit d’une seule fibre d’amiante pour provoquer un mésothéliome.
D’après l’INSERM, entre 1997 et 2050, nous devons nous attendre à un nombre de décès par mésothéliome compris entre 44 480 et 57 020. L’espérance de vie, une fois la maladie déclarée, est de douze à dix-huit mois. En outre, on estime que, chaque année, entre 1 800 et 4 000 cas de cancer broncho-pulmonaire sont attribuables à l’amiante.
Je rappellerai encore que 90 % des cancers professionnels sont liés à l’amiante et que ces cancers sont responsables de la hausse du taux de mortalité par suite d’une maladie professionnelle que nous avons eue à déplorer en 2009, après cinq années de baisse.
Ces chiffres sont connus, mais ils méritent d’être répétés, car, sans eux, sans une bonne appréhension de la réalité des contaminations, on ne saurait débattre en connaissance de cause des évolutions des dispositifs de compensation ou d’indemnisation.
La mise en place du FCAATA, qui est en pratique un dispositif spécifique de préretraite, est destinée à compenser la perte d’espérance de vie des personnes exposées. Les 32 000 allocataires du FCAATA et les victimes de l’amiante qui y sont éligibles ont, en effet, indéniablement subi un préjudice réel qui amputera leur qualité et leur espérance de vie.
Quelles que soient les imperfections du système mis en place au travers du FCAATA, qui prend en charge les salariés d’entreprises limitativement énumérées, il apparaît clairement qu’il n’est pas souhaitable de lui apporter des restrictions.
En effet, ce dispositif, qui compte désormais plus de sorties que d’entrées, devrait atteindre l’équilibre financier en 2017, puis progressivement disparaître. En un sens, c’est heureux, car cela veut dire que les mesures qui ont été prises auront permis de restreindre dans une certaine mesure le nombre de victimes et donc d’entrées, mais il faut aussi se rendre à l’évidence et reconnaître que, s’il y a aussi plus de sorties, c’est malheureusement parce que, entre-temps, des personnes sont décédées.
Limiter les compensations accordées aux victimes de l’amiante relèverait donc d’une vision à court terme, contraire au choix des partenaires sociaux et de l’État de faire assumer le coût de la prise en charge de la cessation anticipée d’activité par l’ensemble des entreprises.
À ce sujet, et pour répondre à la question soulevée tout à l'heure par Jean-Pierre Godefroy, je voudrais rappeler que, si j’avais proposé de supprimer la participation des entreprises, c’est parce qu’il était tellement difficile de recouvrer les sommes demandées que, à la limite, il valait mieux y renoncer. Les procès duraient si longtemps que le coût du recouvrement excédait en définitive les sommes que l’on pouvait récupérer. D’ailleurs, un an auparavant, j’avais proposé d’augmenter la participation des entreprises et, finalement, le rendement avait été moindre que l’année précédente. Cette solution n’en était pas une et c’est la raison pour laquelle j’avais proposé de supprimer cette participation.
Cette participation des entreprises aux indemnisations n’aurait été que justice, c’est certain, mais, comme la vie elle-même, comme tout ce qui existe dans notre société, les entreprises sont en constante évolution : elles naissent, vivent et meurent et, lorsque les mesures ne sont pas prises à temps, on ne peut plus demander aux entreprises qui ont disparu de payer.
Des adaptations sont néanmoins toujours possibles. Je pense, par exemple, à un amendement issu des recommandations du Médiateur de la République, que je vous présenterai lors du débat sur le PLFSS. Il tend à ce que soit enfin pris le décret promis pour harmoniser la prise en charge de l’ACAATA par les différents régimes. Cette participation des différents régimes me paraît, comme à mes collègues qui sont intervenus avant moi, indispensable : ce n’est que justice. Monsieur le ministre, nous comptons sur vous pour prendre ce décret.
Plus largement, la seule réforme envisageable serait l’ouverture d’un droit d’accès individuel par profession, ainsi que les orateurs précédents l’ont également souligné. Sa faisabilité est en cours d’étude par l’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail, à la suite de l’adoption par l’Assemblée nationale d’un amendement à la loi de financement de la sécurité sociale pour 2010, amendement que nous avions confirmé.
Il ne faudrait pas, cependant, que cette réforme se traduise par l’application de critères stricts au point de limiter encore plus le nombre de personnes éligibles. C’est ce qui s’est passé en Italie, et cela n’a fait qu’aggraver l’incompréhension, mais aussi, bien sûr, la souffrance.
Nous risquons, dans ce domaine, d’être pris entre deux feux, partagés entre notre volonté de secourir nos concitoyens contaminés par l’amiante et la nécessité de tenir compte des problèmes financiers qui peuvent se poser. Il faut donc, me semble-t-il, avancer par étapes, de manière à satisfaire progressivement l’ensemble des demandes qu’ont rappelées les différents intervenants. À cet égard, je partage les propos de Jean-Pierre Godefroy, Annie David et Gilbert Barbier, et je pense qu’il est absolument nécessaire d’aller dans le sens qu’ils ont indiqué.
Je propose d’ailleurs qu’ensemble, à vos côtés, monsieur le ministre, nous essayions de voir ce qui peut être fait, à partir des propositions formulées dans le rapport de notre mission, qui, finalement, a permis de mettre au jour la totalité – la totalité ou presque, restons modestes ! – des problèmes liés au drame de l’amiante. Je suis persuadé que nous sommes tous prêts à aider à la résolution des problèmes qui se posent.
Plus qu’à une réforme du FCAATA, c’est, à mon avis, à un renforcement du FIVA qu’il faut nous attacher. Le prochain PLFSS comporte, de ce point de vue, une avancée considérable puisqu’il prévoit de porter à dix ans le délai de prescription pour les demandes des victimes.
Sous réserve de certaines précisions, il me semble que c’est dans cette voie que nous devons nous engager. La prudence et le pragmatisme sont, sur cette question complexe et douloureuse, les meilleurs alliés de la justice.
Il est vrai que l’égalité de traitement des personnes qui ont été en contact avec l’amiante doit être réalisée au mieux et tout ce qui pourra être fait dans ce sens devra être engagé. Nous comptons bien sûr sur vous, monsieur le ministre, pour faire tout ce qui sera possible. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens à saluer l’initiative de Jean-Pierre Godefroy, qui fut rapporteur en 2005 avec Gérard Dériot de la mission d’information sur l’amiante, et à le féliciter pour l’exhaustivité de son propos. Vu le temps qui m’est imparti, je serai plus bref !
Le rapport d’information du Sénat avait listé 28 propositions, dont plusieurs ont été, au moins en partie, reprises par le Gouvernement, notamment les recommandations relatives à la rapidité d’intervention du FIVA et à l’harmonisation des indemnisations avec celles qui sont accordées par la justice.
Même si des mesures doivent encore être prises sur le suivi des chantiers de désamiantage, la formation et la protection des salariés de ces entreprises ont progressé. Comme l’ont signalé les précédents orateurs, il reste à améliorer le dépistage précoce de l’amiante et la délivrance des certificats d’exposition des salariés pour lesquels les médecins du travail rencontrent des difficultés.
Demeurent néanmoins quelques questions à nos yeux essentielles.
En ce qui concerne le FCATAA, Xavier Bertrand, alors ministre du travail, avait confié en 2007 à Jean Le Garrec la présidence d’un groupe de travail sur la réforme de ce fonds, dont je faisais partie avec Gérard Dériot. Dans son rapport, ce groupe de travail indiquait : « Après presque dix ans de fonctionnement, le FCAATA a permis de répondre aux situations les plus graves identifiées par le législateur. » Dont acte ! Il poursuivait ainsi : « Pourtant, des limites importantes sont apparues. En effet, la gestion du dispositif par liste d’établissements a conduit à exclure certains salariés pourtant exposés dans les mêmes conditions. »
Je rappelle que, comme l’a indiqué Annie David, nous pouvons, malgré les lacunes des statistiques, évaluer à 100 000 environ le nombre de morts dus à l’amiante en quelques décennies. Le dispositif du FCAATA a donc été mis en place pour compenser la perte d’espérance de vie que des salariés peuvent connaître en raison de leur exposition à un produit toxique. Voilà un exemple de mise en œuvre de la pénibilité à effet différé, dont nous avons beaucoup parlé récemment !
Mme Annie David. Je n’ai pas voulu rouvrir ce dossier !
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. J’en viens aux propositions du rapport Le Garrec.
Elles concernent, d’abord, la relance des efforts de prévention, avec le contrôle de l’application de la réglementation et la prévention des maladies professionnelles graves, notamment celles qui sont liées à l’utilisation de produits chimiques.
Le groupe de travail a élargi le cadre de sa réflexion, car il était persuadé que le problème auquel nous avons et nous aurons à faire face est celui de la santé au travail, un enjeu considérable, non seulement pour notre économie, mais aussi pour notre société, que la réforme des retraites a contribué à remettre en lumière.
Elles sont, ensuite, relatives à la participation financière de l’État et des entreprises. Aujourd’hui, le financement du FCAATA, qui s’élève à 1 milliard d’euros environ, provient essentiellement de la branche AT-MP. Les deux principaux responsables, l’État et les entreprises, n’y contribuent que pour 8 %. L’État n’assure pas ses responsabilités, pourtant reconnues par le Conseil d’État, et les services de recouvrement font face à des difficultés insurmontables pour retrouver les entreprises responsables, comme l’ont signalé les précédents orateurs. Se pose un problème de traçabilité. Il faudrait ainsi porter la part de l’État à quatre ou cinq ans, comme le propose le rapport, et à 30 %, ainsi que nous le suggérions en 2005. Je souhaiterais recueillir votre avis sur ce point, monsieur le ministre.
Enfin, une série de propositions concerne l’accès au dispositif pour des cas individuels. Avec 38 000 allocataires par an, le FCAATA a à peu près atteint son pic de fonctionnement. Bien entendu, il va s’éteindre progressivement en raison des départs à la retraite ou, hélas, des décès. On peut donc imaginer inscrire dans le dispositif les salariés exerçant ou ayant exercé l’un des métiers figurant sur une liste arrêtée par le Gouvernement. Au plus, comme l’indique le rapport, de 30 000 à 35 000 nouveaux salariés pourraient être concernés, et beaucoup moins après instruction des cas par un comité d’experts. Il est donc envisageable de gérer ces allocataires supplémentaires dans un cadre financier maîtrisé, c'est-à-dire dans le cadre de l’enveloppe actuelle, qui, je le rappelle, permet d’assurer une allocation minimale de 1 095 euros mensuels et un plafond de 65 % du revenu antérieur, plafond qu’il faudrait sans doute revoir à la hausse.
La gestion de ce fonds pourrait aussi être confiée directement à la branche AT-MP et non plus à la Caisse des dépôts et consignations. Cela simplifierait, me semble-t-il, le dispositif. J’aimerais également que vous nous donniez votre opinion sur ce point, monsieur le ministre.
Par ailleurs, il est une question à laquelle je ne voudrais pas vous soustraire, même si elle ne vous concerne pas directement : c’est celle du recours pénal qu’ont intenté des victimes de l’amiante avec leur association de défense, l’ANDEVA. En 2008, la société Alstom a été condamnée au pénal par le tribunal correctionnel de Lille pour avoir exposé ses salariés à l’amiante. Treize ans après le premier dépôt de plainte, c’est le premier procès pénal de l’amiante à être jugé. Qu’en sera-t-il de tous les autres si le ministère de la justice ne fait pas des efforts quant aux moyens alloués à l’instruction de ces affaires ?
Monsieur le ministre, telles sont les remarques et les questions que je souhaitais vous soumettre sur les suites à donner au rapport Le Garrec. Je n’attends pas de « réponses miracles », mais je souhaite que l’État s’engage à ce qu’aucune victime de l’amiante ne soit oubliée. J’espère que cette affaire, dans laquelle l’État a une grande part de responsabilité, servira de leçon pour toutes les autres contaminations qui nous menacent. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste, du RDSE, du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Yannick Botrel.
M. Yannick Botrel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le douloureux problème des victimes de l’amiante est crucial tant par le nombre de personnes concernées que par les effets à long terme sur la santé et la survie de ceux qui ont été exposés à cette contamination. Car personne ne peut prétendre aujourd’hui ignorer les conséquences dramatiques de l’amiante sur la santé humaine, particulièrement sur celle des travailleurs que leur activité a mis en contact avec ce produit.
La responsabilité à ce sujet est collective et nous engage autant par les effets de l’exposition à l’amiante sur la santé publique que par ses effets sur la durée de vie même de milliers d’ouvriers et de salariés.
La nocivité de l’amiante était pourtant connue de longue date puisqu’il en était fait mention dès les années soixante. Malgré cela, rien n’a été fait et, selon les estimations, 35 000 décès sont imputables à l’amiante entre 1965 et 1995.
À titre d’exemple, dans mon département, les Côtes d’Armor, région peu industrielle, 82 salariés de l’ancienne usine Chaffoteaux sont touchés. Je comprends leur colère, légitime : pour eux, ce drame aurait pu être évité, leur santé ne pas être exposée et leur vie ne pas être mise en danger.
La prise en considération de la nocivité de l’amiante a été beaucoup trop tardive puisqu’elle n’est advenue qu’en 1997. À titre de comparaison, l’interdiction de l’amiante en Grande-Bretagne date des années 1930 et le caractère cancérigène de l’amiante a été reconnu par une résolution du Parlement européen de 1978.
Aveuglement ou désintérêt caractérisé ? Quoi qu’il en soit, les risques étaient connus depuis quarante ans. Les pouvoirs publics, les industriels savaient. Le monde ouvrier était majoritairement concerné. Cela a-t-il été vécu comme une sorte de fatalité à laquelle les ouvriers ne pouvaient pas échapper ? Je souhaiterais pouvoir écarter avec certitude cette hypothèse.
Le Conseil d’État, par quatre décisions du 3 mars 2004, a confirmé la responsabilité de l’État pour défaut de règlementation spécifique à l’amiante avant 1977 et pour le caractère tardif et insuffisant de la réglementation après cette date. Cela a été évoqué, la responsabilité civile des employeurs pour faute inexcusable est fréquemment reconnue par les tribunaux, même si c’est avec lenteur.
La réparation du préjudice subi par les victimes de l’amiante apparaît plus que jamais comme une exigence morale et légale. En effet, 10 % des cancers du poumon sont dus chaque année à l’amiante. Les victimes meurent en moyenne à 64 ans, mais souvent avant 60 ans. Elles ne survivent généralement que 18 mois aux premiers symptômes du cancer. Et il faut encore s’attendre, comme cela a déjà été rappelé, à 60 000 à 100 000 décès dans les vingt prochaines années, en raison du temps de latence de la maladie.
La cessation d’activité plus précoce que celle des autres travailleurs, que nous avons obtenue lors du débat sur le projet de loi portant réforme des retraites, ne fait que prolonger la situation existante, c'est-à-dire la possibilité de partir dès 50 ans pour des personnes potentiellement condamnées à mourir plus jeunes.
À cet égard, le FCAATA et le FIVA doivent permettre aux salariés de prendre leur préretraite et de vivre décemment les dernières années de leur vie, en étant correctement indemnisés et pris en charge.
Pourtant, des craintes subsistent, chaque année, lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, lorsqu’on tente de rogner sur les moyens alloués à ces fonds. Il serait plus pertinent et surtout plus équitable de rechercher ailleurs les moyens de faire des économies !
Le débat sur les retraites n’a d’ailleurs représenté qu’un épisode supplémentaire. Il faut cependant saluer la sagesse collective de notre assemblée et votre engagement, monsieur le ministre : nous avons collectivement reconnu qu’il n’était pas possible de laisser partir à la retraite ces salariés à 62 ans, alors qu’il s’agit presque de l’âge moyen de décès des victimes de l’amiante.
Mais cela ne constitue pas une avancée à proprement parler. Prendre en compte la situation des victimes de l’amiante est d’abord une question de justice sociale et de réparation envers ceux dont l’existence est amoindrie et va s’en trouver écourtée. Il ne faut en aucun cas ajouter à l’angoisse des victimes une incertitude quant à leur avenir et une situation matérielle précaire.
L’amiante n’est pas un problème dépassé, bien au contraire ! Nous devons tirer les leçons de ce drame pour ne pas faire subir à d’autres travailleurs ce dont, par manque de vision prospective ou de lucidité collective, nous nous sommes rendus responsables dans un passé récent.
L’amiante a constitué un précédent, ô combien douloureux, et il faudra le garder présent à l’esprit dans les années futures. Le remplacement de l’amiante par d’autres produits potentiellement aussi dangereux représente un risque pour la santé humaine comme pour l’environnement. Je pense en particulier aux fibres céramiques réfractaires. L’information et la prévention devront être, à l’égard des travailleurs, la règle absolue.
Oui, ce précédent doit servir de leçon. Il faut veiller à ce que l’expérience douloureuse de l’amiante nous permette à l’avenir d’établir et de faire observer de bonnes pratiques d’utilisation.
Devant ces constats, il apparaît nécessaire de garantir les droits des victimes de l’amiante, qui ne doivent pas être remis en cause d’année en année, au moment de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Les disparités des règles des différents régimes d’assurance maladie, qui ont été évoquées par plusieurs de mes collègues, et le manque de coordination conduisent à un traitement inégal et inéquitable des salariés victimes de l’amiante, voire à priver certains d’entre eux d’indemnisation au motif que leur régime ne prévoit pas cette allocation. Une prise en charge des frais de santé à 100 %, à titre de juste réparation, doit être envisagée afin de créer les conditions de l’équité et de la justice sociale.
Toutes les entreprises n’endossent pas forcément leur responsabilité. Trente ans après une contamination, il est parfois difficile de retrouver une entreprise qui a changé de nom ou de localisation, qui a connu de grandes mutations ou qui, parfois même, n’existe plus. Si les grandes entreprises ont reconnu leur responsabilité, les salariés des plus petites ne peuvent en général faire valoir leurs droits, que ce soit parce qu’ils ont travaillé en intérim ou pour un sous-traitant ou parce que la société a disparu. Or ces travailleurs doivent, eux aussi, pouvoir faire état de leur exposition aux fibres d’amiante et être pris en charge.
Les victimes de l’amiante doivent continuer à bénéficier des régimes de préretraite qui ont été négociés. Il ne s’agit là que d’une juste réparation par rapport à une espérance de vie dégradée. C’est en outre nécessaire pour que leur pathologie soit prise en charge.
Monsieur le ministre, comment envisagez-vous de prendre en compte la situation des salariés des entreprises d’intérim ou sous-traitantes, qui, actuellement, ne sont pas reconnus en tant que victimes de l’amiante ? Comment les pouvoirs publics comptent-ils protéger les salariés de l’exposition à des matériaux de substitution potentiellement cancérigènes ? Enfin, quelle est votre position vis-à-vis de la prise en charge à 100 % des frais de santé des victimes de l’amiante ?
Sur le sujet de la contamination des travailleurs par l’amiante, il existe des points de vue convergents entre les groupes de notre assemblée. Je crois que vous ne pouvez pas ne pas y être sensible et attentif. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais avant tout saluer Mme Dini, la présidente de la commission des affaires sociales. Sa présence parmi nous cet après-midi montre que le Sénat, en particulier sa commission des affaires sociales – toutes tendances confondues ! –, est sensible à la question de l’amiante. (MM. Jean-Marie Vanlerenberghe et Jean-Pierre Godefroy applaudissent.)
Je n’ai pas l’expérience de notre collègue Jean-Pierre Godefroy – je veux d’ailleurs le remercier d’avoir fait en sorte que ce sujet soit inscrit à l’ordre juste après que nous en eûmes longuement débattu lors de l’examen du projet de loi portant réforme des retraites –, mais les nombreux collectifs de victimes et les associations que j’ai reçus ces derniers jours me donnent envie de vous dire, monsieur le ministre : assez ! Assez de procédures ! Assez de questions écrites et orales ! Assez de commissions ! Assez de souffrances insoutenables pour des salariés qui n’ont fait que leur travail dans des conditions mauvaises, voire très mauvaises !
Leurs employeurs, dont les entreprises sont souvent en liquidation judiciaire, ont disparu. Je parle bien sûr des personnes morales, pas des actionnaires, que j’ai même envie de qualifier, sans mauvais jeu de mots, de personnes immorales et inconscientes.
Dans ces circonstances, des collectifs viennent vous demander d’aligner le traitement de reconnaissance des sites amiantés. À cet égard, six dossiers sont toujours en attente de traitement chez Tréfimétaux, quarante chez Moulinex, entreprise qui a été liquidée il y a une quinzaine d’années, et quatre-vingts personnes du groupe APM, à Argentan, vestige de Valfond – dont le site a d’abord été reconnu comme amianté, puis retiré de la liste –, attendent d’être indemnisées. Et que dire des salariés de la PAMCO, à Pontchardon, dans l’Orne : alors qu’ils ont été licenciés, que la plupart d’entre eux sont malades, mais aussi parce qu’ils restent inorganisés, leur situation n’a pas été reconnue ! Des morts chaque semaine ! Voilà bien une situation indigne !
Monsieur le ministre, vous êtes l’homme du bouclier fiscal, qui est contesté, d’une réforme des retraites qui ne fait pas l’unanimité, d’une transaction avec Bernard Tapie, certes tout à fait légale, mais que certains jugent inopportune,…
Mme Nathalie Goulet. … ou encore du rachat de la salle Pleyel pour 60 millions d’euros.
Mme Nathalie Goulet. Oui, mais vous étiez ministre du budget.
Mme Nathalie Goulet. Non, je veux simplement vous faire observer que vous pourriez aussi être celui qui aura réglé les dossiers des salariés victimes de l’amiante non encore indemnisés. Ils sont quelques centaines !
Ne pourrions-nous pas trouver une procédure plus rapide et plus efficace – tout le monde a parlé de la voie d’accès individuelle –, moins humiliante et moins onéreuse que ces commissions, ces recours et ces contentieux ? Je pense, par exemple, à la commission pour l’indemnisation des victimes de spoliations intervenues du fait des législations antisémites pendant l’Occupation, présidée par Jean Mattéoli, qui a fait aboutir, avec une délicatesse et une efficacité remarquables, des centaines de dossiers extrêmement douloureux, plus de cinquante ans après les faits. J’espère toutefois que les victimes de l’amiante n’attendront pas aussi longtemps !
Monsieur le ministre, une solution alliant rapidité et simplicité, moins administrative en somme, devrait être trouvée. Personne ne pense que cela créerait des effets d’aubaine. Qui simulerait un cancer ou le déclencherait pour le plaisir de recevoir une indemnisation, par ailleurs dérisoire ?
Demandez donc aux préfets des départements de l’Orne, du Calvados, de la Manche de dresser une liste en fonction de l’âge et de l’état de santé des salariés victimes de l’amiante non encore indemnisés, afin de solder ensuite ces dossiers par la voie transactionnelle et réglementaire. Cette solution aurait le mérite de la rapidité. En effet, chaque fois que nous rencontrons des victimes, nous avons tous à l’esprit cette question : combien de temps vont-elles encore attendre avant d’être reconnues pour ce qu’elles sont et indemnisées ?
Vous en avez le pouvoir, et je pense que vous en avez la volonté.
En guise de conclusion, je veux vous suggérer deux formules. L’une consiste à dire : nous ne savions pas que c’était impossible, alors nous l’avons demandé ; l’autre est la suivante : il reste en chacun de nous un peu d’énergie et un peu de conviction pour faire ce en quoi l’on croit. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Éric Woerth, ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mesdames, messieurs les sénateurs, la prévention des risques liés à l’amiante constitue un enjeu capital en termes de santé au travail, et plus largement en termes de santé publique. Les victimes doivent pouvoir être prises en charge de façon efficace. À cet égard, conformément aux engagements qui avaient été pris, la création des fonds d’indemnisation et de compensation, le FIVA et le FCAATA, complète le système de réparation de droit commun de la branche accidents du travail de la sécurité sociale.
M. Godefroy, membre de la commission des affaires sociales du Sénat, a souhaité se saisir de ce sujet essentiel, que nous avons d’ailleurs évoqué au moment de l’examen du projet de loi portant réforme des retraites. Je sais, monsieur le sénateur, que vous y êtes très sensible, car vous avez vous-même travaillé dans la construction navale, secteur qui est particulièrement concerné par cette question. Je veux également saluer l’implication de M. Dériot et de M. Vanlerenberghe dans ce dossier.
Je tiens à le souligner, notre pays – il faut le dire, même si le sujet est très sensible – est l’un des plus avancés, non seulement en termes de réglementation et de prévention des risques liés à l’amiante, mais aussi en termes d’indemnisation des victimes ; M. Barbier l’a d’ailleurs rappelé. Bien sûr, cela ne permet pas en soi de régler les problèmes qui se posent chez nous, mais il faut aussi savoir regarder ce qui se passe ailleurs.
La prévention est essentielle. Elle a été au cœur de nos débats sur la pénibilité, lors de l’examen du projet de loi portant réforme des retraites.
Concernant l’amiante, nous disposons d’un dispositif réglementaire protecteur, que différents gouvernements, soutenus par l’actuelle majorité, ont amélioré, en dernier lieu en 2006. Ce dispositif permet d’assurer une protection des travailleurs encore exposés lors d’activités de retrait, d’entretien et de maintenance : il abaisse les valeurs limites d’exposition ; il rend plus rigoureuses les règles de mesure de la concentration en fibres d’amiante ; il prévoit des mesures de formation très spécifiques pour les personnes intervenant dans ces contextes.
La réglementation française assure depuis plusieurs années, par rapport à ce qui se fait en Europe à cet égard, un niveau élevé de protection des travailleurs. La commercialisation de produits contenant de l’amiante a notamment été interdite huit ans avant le reste de l’Union européenne. Mais nous ne pouvons évidemment pas nous en tenir là.
C’est aussi pour tirer les conséquences du drame de l’amiante que nous avons créé un organisme d’expertise indépendant, l’AFSSET, l’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail, qui a récemment fusionné avec l’AFSSA, l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments, pour devenir l’ANSES, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail.
Monsieur Godefroy, vous avez soulevé un certain nombre de questions dans votre intervention. Je vais tenter d’y répondre point par point, même si je sais que je ne réussirai pas à vous convaincre totalement.
Vous mentionnez tout d’abord les inégalités de l’ACAATA.
Vous parlez de « parcours du combattant » pour les représentants des salariés qui souhaitent obtenir une inscription sur les listes ouvrant droit à l’ACAATA. Vous prenez pour exemple, ainsi que l’a fait Mme Goulet, l’entreprise Tréfimétaux de Dives-sur-Mer – une entreprise que je connais par ailleurs –, dossier dont vous m’avez saisi avec plusieurs de vos collègues.
Il s’agit là d’un dossier complexe, qui a donné lieu à plusieurs décisions de justice. Vous avez rappelé la plus récente, un arrêt du 30 octobre 2008 de la cour administrative d’appel de Nantes, qui a annulé l’arrêté portant inscription de cet établissement, confirmant ainsi le jugement du tribunal administratif.
Vous avez mentionné quatre dossiers individuels que nous avons pu débloquer. Il faut bien le dire, nous avons un peu jonglé avec le droit. En effet, l’arrêté aux termes duquel ces salariés remplissaient les conditions n’avait pas encore été annulé. Depuis, il n’y a plus de base légale permettant aux salariés de cette entreprise de partir dans le cadre de la CAATA. Il faudra donc attendre la décision du Conseil d’État, notamment pour les six dossiers qui sont actuellement en attente.
Sur la question plus générale de l’inscription des établissements, je tiens à préciser que la liste fait l’objet d’une mise à jour régulière, notamment pour rectifier des erreurs matérielles comme celles que vous avez citées.
Le processus d’inscription est piloté par la direction générale du travail, à l’exception des ports. Il associe les DIRECCTE, les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi, et les Caisses d’assurance retraite et de la santé au travail, les CARSAT. Dans un souci de transparence, les demandeurs, le CHSCT ou les représentants du personnel ainsi que le directeur d’établissement sont consultés. Enfin, avant la décision de classement, chaque dossier est soumis aux partenaires sociaux qui siègent à la commission AT-MP. La procédure est donc parfaitement contradictoire et transparente.
La question de l’inscription d’entreprises de sous-traitance, comme celles qui interviennent dans la construction et la réparation navales, a été évoquée par le Conseil d’État à l’occasion de deux arrêts de décembre 2002. Le Conseil d’État a ainsi consacré la possibilité que des établissements sous-traitants de ce secteur puissent être inscrits sur la liste du FCAATA. Plusieurs conditions doivent cependant être remplies afin que seuls des établissements qui ont été exposés à l’amiante soient inscrits sur la liste. Comme vous pouvez le constater, il y a donc une voie d’accès pour les salariés des entreprises sous-traitantes. C’est plus compliqué pour les personnels intérimaires, je vous l’accorde.
Vous mentionnez ensuite les différences entre les régimes.
Comme vous le rappelez, monsieur Godefroy, d’autres régimes que le régime général se sont également dotés de dispositifs de préretraite « amiante » tel l’ENIM, l’établissement national des invalides de la marine, ou encore celui des ouvriers d’État. Cela s’explique par des raisons historiques : ces régimes se sont mis en place au fur et à mesure, et nous avons donc aujourd’hui un système complexe.
C’est un peu comme en matière de retraite : nous avons une multitude de régimes différents qui répondent à des situations diverses. L’harmonisation n’est ni facile techniquement et, si l’on n’y prend garde, elle peut ne pas toujours se faire à l’avantage des bénéficiaires.
Je partage toutefois votre souci, qui a aussi été évoqué par M. Botrel, d’assurer une meilleure coordination entre les différents dispositifs existants. Il est bien entendu souhaitable que les travailleurs changeant de régime de sécurité sociale puissent voir toutes leurs années d’exposition prises en compte dans chaque régime. Mes services ont engagé des travaux d’expertise afin d’instaurer des règles de réciprocité entre certains régimes dans une optique de plus grande équité. Je suis d’ailleurs favorable à ce que cette question puisse être définitivement traitée dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012, puisque le PLFSS pour 2011 est en cours de discussion.
Vous mentionnez la mise en place d’une nouvelle voie d’accès à l’ACAATA, suivant les préconisations de la mission d’information du Sénat de 2005 présidée par Jean-Marie Vanlerenberghe et dont vous étiez corapporteur avec Gérard Dériot.
Sur la question de la mise en place d’une voie d’accès individuelle, qui a également été évoquée par MM. Dériot, Barbier et Vanlerenberghe, le Gouvernement s’est engagé, dans le cadre de la loi de financement pour 2010, à préparer un rapport qu’il remettra au Parlement dans la prochaine quinzaine.
Une telle voie permettrait à des salariés exposés en dehors d’un établissement listé de bénéficier de l’ACAATA. Cette solution réglerait l’injustice que représentent ces listes, étant entendu qu’il faut veiller à ne pas troquer une injustice contre une autre, ce qui est toujours un risque, on le sait bien. Elle permettrait aussi une meilleure prise en charge des personnels des entreprises sous-traitantes et des intérimaires.
La mise en œuvre d’une telle solution n’est cependant pas évidente. Elle nécessite en effet que le demandeur présente un dossier justifiant de son exposition à l’amiante. Or le système actuel repose sur une présomption d’exposition dès lors que l’établissement est inscrit sur la liste.
Elle soulève ainsi la question que nous avons déjà évoquée au moment du débat sur la pénibilité, celle de la traçabilité des expositions. Sur ce sujet, nous avons encore de gros progrès à faire. Nous ne pouvons pas aujourd’hui retracer de manière exhaustive dans la durée les expositions passées
Si l’on veut raisonner par métiers, croisés ou non avec la liste actuelle des établissements relevant d’autres types d’activité ayant utilisé de l’amiante, se pose la délicate question de la détermination d’une telle liste de métiers. Un premier travail de recensement des métiers a été effectué, complété par une synthèse des connaissances scientifiques sur les expositions professionnelles à l’amiante.
Cela doit faire l’objet d’un rapport de l’ANSES, qui sera disponible en janvier 2011. Les conclusions de ce rapport permettront d’affiner la liste des métiers les plus exposés, déjà recensés actuellement, et d’évaluer les effectifs concernés pour estimer les effectifs des allocataires potentiels. Certains chiffres circulent déjà, mais l’évaluation de l’ANSES sera sans doute plus rigoureuse.
La mise en œuvre de cette solution est en effet rendue difficile compte tenu des incertitudes relatives au nombre de personnes concernées. L’Italie, par exemple, a mis en place un tel système et a finalement dû l’abandonner.
Nous devrons donc, de toute évidence, avoir des échanges à ces sujets avec l’ensemble des parties prenantes. Le rapport de l’ANSES de janvier prochain nous permettra notamment de déterminer si nous devons nous en tenir à la liste des entreprises – alors même que cette liste n’est pas nécessairement exempte d’erreurs ou d’omissions – ou la croiser avec une liste des métiers ou secteurs d’activité ayant utilisé de l’amiante.
L’accès individuel est évidemment un sujet sur lequel il faut continuer à travailler.
Par ailleurs, je tiens à lever un malentendu qui a pu naître à la suite du discours du Président de la République, à Saint-Nazaire, le 23 juillet dernier.
Les associations de défense des victimes de l’amiante semblent en effet s’être inquiétées de ce qu’une réforme du FCAATA pourrait conduire à priver de leur droit à l’ACAATA les personnes entrées dans le dispositif au titre de leur exposition au sein d’un établissement listé.
Je tiens à vous rassurer sur ce point : nous n’avons pas l’intention de réserver le régime de la CAATA aux seuls malades. Comme vous l’avez d’ailleurs vous-même dit, le dispositif est inchangé pour les bénéficiaires du FCAATA.
La réforme des retraites qui vient d’être adoptée maintient intégralement les conditions de départ anticipé de ces travailleurs. Il ne faut pas confondre la cessation anticipée d’activité et la réparation.
Vous évoquez le montant de l’ACAATA, jugé trop faible par les associations de victimes et les syndicats de salariés.
Permettez-moi de vous rappeler quelques chiffres : le montant moyen de l’allocation est de 1 625 euros net. II s’élève même à 1 876 euros si l’on ne considère que les allocataires entrés dans le dispositif au titre d’une maladie professionnelle.
Enfin, comme vous le soulignez, le montant minimal de l’allocation a été revalorisé de 20 %, comme le souhaitait M. Vanlerenberghe, par un décret du 29 décembre 2009. Son montant actuel brut minimum est donc de 1 084 euros. Jean Le Garrec, dans son rapport de 2008, avait d’ailleurs estimé que le montant de l’ACAATA était satisfaisant et n’était pas favorable à son alignement sur le SMIC.
Vous mettez en cause la clarification apportée par ce même décret sur les rémunérations prises en compte dans le salaire de référence, en précisant que seules sont prises en compte les rémunérations présentant un « caractère régulier et habituel » au sens juridique. Cela revient à exclure les rémunérations exceptionnelles dues à un « solde de tout compte » et notamment les indemnités compensatrices de congés payés ou de RTT lors d’une cessation de contrat de travail. En revanche, les primes, notamment le treizième mois, ne sont pas concernées et continuent bien entendu d’être prises en compte.
Sur ce point, les arrêts de la Cour de cassation de 2007 contestaient non le principe de l’exclusion de certains éléments de rémunération à caractère non régulier, mais le fait que cette exclusion était prévue par circulaire et non par décret. Il s’agit donc d’une objection de nature strictement juridique.
C’était aussi une question d’équité au regard des règles appliquées aux bénéficiaires d’un autre système de préretraite publique, celui de l’allocation spécifique du Fonds national de l’emploi. C’est d’ailleurs ce qui a été pris pour référence lors de la mise en place du FCAATA.
Le décret du 29 décembre 2009 n’a pas fait l’objet d’un recours et il met en conformité le droit avec la pratique et l’esprit du dispositif de la CAATA depuis son origine. Le texte ne change donc rien pour les personnes concernées et ne remet pas en cause les situations acquises.
S’agissant du FIVA, avec mon prédécesseur, Xavier Darcos, j’ai cosigné en février dernier, en tant que ministre du budget, un contrat d’objectifs et de moyens pour une période de trois ans avec le président du FIVA. Ce contrat reprend les actions engagées pour améliorer le service rendu aux victimes de l’amiante et raccourcir les délais de présentation des offres d’indemnisation.
Notre objectif, c’est que le FIVA prenne mieux en compte les victimes qui ont des pathologies lourdes et dont l’espérance de vie est de ce fait considérablement abrégée.
Nous suivons avec attention la réalisation de ce contrat et nous en mesurons déjà les effets : les délais de traitement et de mise en paiement s’améliorent assez sensiblement. Ainsi, 60 % des victimes ont reçu une offre d’indemnisation dans les six mois et, une fois l’offre acceptée, 90 % des victimes sont payées dans les deux mois. Cela correspond à une amélioration de 20 points en un peu plus d’un an. Vous conviendrez, monsieur Vanlerenberghe, puisque vous avez évoqué ce sujet qu’un progrès notable a donc été réalisé au cours de l’année écoulée.
S’agissant de la gouvernance du FIVA, je rappelle que le conseil d’administration de ce fonds est un lieu de débats et que les pouvoirs publics ont souhaité lui confier une vraie autorité. Ils lui ont notamment conféré le pouvoir de définir la politique d’indemnisation du fonds, en fixant les orientations relatives aux procédures, aux conditions de reconnaissance de l’exposition à l’amiante, d’indemnisation et de versement des provisions aux victimes et aux conditions d’action en justice du fonds.
Sa mission est donc capitale et le conseil d’administration du FIVA doit être le lieu d’harmonisation des positions des différents acteurs : représentants des victimes, partenaires sociaux, État, personnes qualifiées.
Après dix ans de fonctionnement, il convenait de faire un point. Je vous rassure, cela se fera dans la concertation, comme ce fut le cas pour les règles de prescription.
Bien évidemment, les représentants des victimes garderont, en tout état de cause, toute leur place dans le fonctionnement du FIVA. Elles lui apportent énormément par leur implication et leur connaissance humaine des dossiers.
S’agissant de la prescription de l’action devant le FIVA, nous allons donc la porter de quatre à dix ans, monsieur Dériot, en retenant le premier certificat médical comme point de départ pour la prescription. Avec cette proposition, le Gouvernement confirme la pratique du FIVA depuis sa création.
Le critère de la consolidation, que certains défendent, ne serait pas, à notre avis, favorable aux victimes et aboutirait à ce que les personnes atteintes des pathologies les plus graves ne puissent plus être indemnisées de leur vivant. Je relève d’ailleurs qu’une association de victimes comme l’ANDEVA ne soutient pas cette solution et a salué la mesure du Gouvernement, qui permet au FIVA de répondre rapidement et de façon lisible aux victimes.
D’ailleurs, la solution que nous proposons pour la prescription ne remet pas en cause les dispositions de la loi Hyest de 2008. Il faut en effet bien distinguer deux sujets : celui de l’action en responsabilité et celle de l’indemnisation, dans laquelle s’inscrit le FIVA, comme les organismes de sécurité sociale. Il s’agit bien de deux sujets différents, même si les prescriptions sont de dix ans dans les deux cas.
Vous avez également exprimé des inquiétudes sur la situation financière des deux fonds, le FCAATA et le FIVA.
Les comptes du FCAATA reflètent la montée en charge du dispositif jusqu’en 2008, année à partir de laquelle on constate une stabilisation des produits du fonds. Les charges supportées par le fonds devraient se stabiliser en 2010 : 915 millions d’euros, contre 926 millions en 2009.
Parallèlement à l’évolution de ces dépenses, les recettes, qui avaient fortement augmenté entre 2007 et 2009, compte tenu essentiellement de l’augmentation de la dotation de la branche AT-MP, devraient se stabiliser à 911 millions d’euros en 2010 et 2011. Selon les prévisions, le fonds présenterait ainsi un résultat net excédentaire de 14 millions d’euros en 2011. Son résultat cumulé, négatif depuis 2005, devrait s’établir à un déficit cumulé de 288 millions d’euros à la fin de l’année 2010, puis de 274 millions d’euros en 2011.
Je tiens d’ailleurs à souligner que ce déficit ne menace évidemment pas le paiement des prestations : le FCAATA n’est pas en cessation de paiement, et une ligne de trésorerie est prévue pour le versement des allocations au niveau des deux gestionnaires du fonds, la branche AT-MP et la Caisse des dépôts.
Compte tenu de la solidarité de trésorerie qui lie la branche AT-MP au FCAATA, le déficit prévisionnel est pris en compte dans la branche AT– c’est-à-dire les 274 millions d’euros à la fin de 2011 – et sera amorti de ce fait par la CADES.
Vous souhaitez le rétablissement de la contribution instituée en 2004 au profit du FCAATA pour faire participer directement les entreprises dont les salariés ou anciens salariés étaient admis dans le dispositif de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante ; c’est un point qu’ont notamment évoqué MM. Vanlerenberghe et Dériot. Permettez-moi de rappeler les raisons qui ont poussé le Gouvernement à supprimer cette contribution à compter du 1er janvier 2009.
Tout d’abord, le rendement de cette contribution, même après avoir été officiellement augmenté, monsieur Dériot, s’est révélé beaucoup plus faible que prévu. De plus, son recouvrement suscitait de grandes difficultés. En effet, il était difficile d’identifier les entreprises redevables, notamment en cas de reprises successives d’établissements ayant exposé les salariés à l’amiante. Il y avait en outre de nombreux contentieux lorsque ces entreprises avaient pu être identifiées. Cela constituait un obstacle à la reprise de l’activité des sociétés en redressement ou en liquidation judiciaire, pénalisant ainsi l’activité et l’emploi.
S’agissant du FIVA, vous soulignez que sa situation financière est saine, mais vous vous inquiétez pour l’avenir, compte tenu de la part croissante des pathologies malignes dans les demandes d’indemnisation.
Depuis sa création, le résultat cumulé, à la fin de chaque année, est largement positif. C’est également le cas, selon les estimations, pour l’année 2010 puisque ce résultat est estimé à 218 millions d’euros.
Compte tenu de ce fonds de roulement, mais aussi des éventuelles nouvelles dépenses liées aux modifications des règles de prescription, le Gouvernement a proposé d’augmenter la dotation au FIVA par la branche AT-MP pour 2011 de 25 millions d’euros par rapport à celle de 2010. Elle sera donc fixée à 340 millions d’euros. Ce niveau de dotation doit non seulement permettre au fonds de couvrir la totalité de ses dépenses en 2011, mais aussi de disposer, à la fin de 2011, d’un résultat cumulé encore positif. Je tenais à vous rassurer, en tout cas pour ces années-là.
Monsieur Barbier, vous évoquez le rapport de l’AFSSET de 2009 sur les fibres fines d’amiante et sur ses répercussions. Des travaux ont été engagés afin d’abaisser la valeur limite d’exposition. Un décret paraîtra au premier trimestre de 2011 et réduira cette valeur limite d’exposition en la divisant par 10, ce qui placera la France au plus haut niveau de protection avec les Pays-Bas et l’Allemagne.
Je voudrais aussi revenir brièvement sur l’avis que la Haute Autorité de santé a remis le 11 mai 2010 sur le suivi post-professionnel. Nous travaillons actuellement avec la ministre de la Santé, Roselyne Bachelot-Narquin, sur les modalités de mise en œuvre pratique de cet avis et nous serons évidemment amenés à associer pleinement toutes les parties prenantes, et en particulier les associations de victimes.
Madame David, vous avez évoqué les risques liés aux substances CMR, qui pourraient éventuellement entrer dans la composition des produits de substitution à l’amiante.
Je rappelle que la prévention de ces risques fait partie des priorités du plan Santé au travail n° 2. L’accent est mis notamment sur la recherche de produits de substitution, non-toxiques par principe, dans les procédés de fabrication.
Par exemple, la mise en place de conventions avec la chimie devrait permettre le développement de la substitution.
Mme Annie David. Tant mieux !
M. Éric Woerth, ministre. Un site d’échange d’informations à ce sujet a également été mis en place.
La politique du Gouvernement est donc très axée sur la recherche de produits de substitution, même s’il est clair qu’il reste encore beaucoup à faire dans ce domaine.
Comme vous le voyez, nous sommes extrêmement attentifs, et nous le demeurerons au cours des mois qui viennent, à la mise en œuvre des deux principaux volets de ce dossier.
Le premier volet, dont nous avons en fait peu parlé, est celui de la prévention. Notre objectif est bien de garantir un haut niveau de protection aux travailleurs encore exposés à l’amiante, même s’ils sont désormais peu nombreux. Le produit est interdit, mais un certain nombre de professionnels y demeurent exposés, essentiellement ceux qui travaillent dans le désamiantage ou dans la démolition. La mise en œuvre de ce volet fait partie des priorités du plan Santé au travail n° 2, que j’ai déjà évoqué à propos des CMR. L’inspection du travail est très mobilisée sur ce sujet.
Le second volet est celui de la réparation. Il faut évidemment assurer une juste réparation aux victimes en veillant au bon fonctionnement des différents dispositifs d’indemnisation en place. À cet égard, des évolutions sont possibles. J’ai demandé des rapports – leur date de parution est fixée – qui devraient nous permettre d’aller plus loin et d’avancer, notamment sur les problèmes liés à la différence d’approches entre les régimes.
La branche AT-MP a fait un effort financier de taille envers les victimes de l’amiante puisqu’elle a consacré une dotation cumulée de 5,3 milliards d’euros au FCAATA depuis sa création en 1999, une dotation de 6,2 milliards d’euros à la réparation des maladies professionnelles dues à l’amiante depuis 2000, ainsi qu’une dotation cumulée de 2,3 milliards d’euros au FIVA.
Certes, tous les problèmes ne sont pas réglés – des zones d’incertitude ou d’injustice demeurent, sur la liste des établissements ou sur l’accès individuel –, mais le dispositif est complet. Je pense que, aujourd'hui, la France peut s’enorgueillir d’avoir tenté de traiter ce problème extraordinairement difficile, même si, comme je l’ai indiqué tout au long de mon intervention, car j’en ai pleinement conscience, beaucoup reste à faire. (Applaudissements sur les travées de l’UPM, de l’Union centriste, du RDSE et du groupe socialiste.)
M. le président. Je constate, en application de l’article 83 du règlement, que nous en avons terminé avec cette question orale. Je me permettrai d’ajouter que le débat a été très riche, à la mesure de l’importance du sujet.
7
Débat sur les conclusions de la mission commune d'information sur le traitement des déchets
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur les conclusions de la mission commune d’information sur le traitement des déchets.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Daniel Soulage, rapporteur de la mission commune d’information sur le traitement des déchets. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État chargée de l’écologie, mes chers collègues, la mission commune d’information sur le traitement des déchets, a été, il y a un an, la première mission créée en application du droit de tirage reconnu à chaque groupe politique par la réforme constitutionnelle.
J’ai demandé, au nom du groupe de l’Union centriste, la constitution de cette mission après avoir constaté sur le terrain que les débats du Grenelle de l’environnement et les modifications législatives qui les ont suivis avaient fait naître des doutes et des inquiétudes chez les élus locaux responsables de la gestion des déchets.
Ces élus sont aujourd’hui confrontés à plusieurs défis : l’obligation de renouvellement des sites existants, dans un contexte de rejet croissant de ceux-ci par les populations, et l’augmentation sensible du coût du traitement. Or la progression rapide de la dépense des collectivités dans le domaine des déchets devrait sans doute s’amplifier encore du fait des nouvelles contraintes imposées par la législation, qui incite à la mise en œuvre de techniques plus onéreuses.
C’est dans ce contexte que j’ai souhaité que le rapport de la mission soit avant tout un guide à la décision pour les élus locaux et qu’il mette en évidence les performances des différents procédés de traitement, sur les plans technique, environnemental et économique.
C’est également pour cette raison que le rapport n’aborde pas les questions de prévention et de recyclage des déchets. La mission a toutefois bien rappelé, en préambule, que « le meilleur déchet est celui que l’on ne produit pas » et que des efforts notables doivent être effectués pour atteindre les objectifs ambitieux du Grenelle en la matière.
Je laisserai à Dominique Braye, président de la mission commune d’information, le soin d’aborder les questions de TGAP, la taxe générale sur les activités polluantes, et je centrerai mon propos sur la valorisation organique des déchets et leur stockage.
La période actuelle est marquée par un engouement des exploitants, des élus et des pouvoirs publics pour les techniques permettant de valoriser la fraction organique des déchets. Cet engouement est lié notamment à deux facteurs. D’une part, le Grenelle de l’environnement a fixé des objectifs très élevés de valorisation organique des déchets. D’autre part, il est devenu quasiment impossible pour les élus de créer de nouveaux sites d’incinération ou de stockage, ce qui les conduit à chercher des modes de traitement alternatifs.
La mission a considéré que des techniques anciennes, comme le compostage, présentaient des atouts environnementaux certains pour un coût modéré, mais s’est interrogée sur l’intérêt de techniques nouvelles plus coûteuses, comme les installations de tri mécano-biologique et de méthanisation.
Pour ma part, au début de nos travaux, j’avais une préoccupation majeure, touchant au lien entre traitement des déchets et pollution des sols. À cet égard, le procédé du tri mécano-biologique, qui consiste à isoler mécaniquement la fraction organique des déchets pour la transformer en compost, me paraissait risqué aussi bien pour la qualité de nos sols que pour la sécurité de la chaîne alimentaire.
Les scientifiques que nous avons auditionnés et les comparaisons européennes nous ont permis de nous faire une idée assez précise sur ce point : nous avons, en France, une norme autorisant l’utilisation dans les sols agricoles de composts caractérisés par des teneurs en métaux et en inertes bien supérieures à celles qui sont acceptées par nombre de nos voisins européens. Issue d’un compromis social et non d’une analyse scientifique, cette norme est de nature à favoriser l’accumulation des métaux lourds et des inertes dans les sols dans des proportions trop importantes au regard des usages agricoles.
Il paraît donc raisonnable de penser que cette norme sera durcie dans les prochaines années, et il faut même sans doute le souhaiter. C’est en tout cas ce que nous ont laissé entendre les responsables européens.
En outre, la France est quasiment le seul pays européen à autoriser l’utilisation en agriculture de composts de bio-déchets non triés à la source. Certes, les techniques de tri mécanique se sont améliorées et permettent, dans des conditions très strictes, la production de composts dont la qualité est supérieure à la norme française. Pour autant, il existe un risque non négligeable que l’épandage de tels composts soit interdit à terme. Cette possibilité, même faible, pèse sur les installations de tri mécano-biologique. Pour ces raisons, la mission a conclu que les élus devaient les envisager avec une très grande prudence.
J’avais une seconde crainte, relative à l’engouement actuel pour la méthanisation. Cette technique est souvent envisagée du fait de l’impossibilité de créer de nouveaux sites de stockage ou d’incinération, comme ce fut notamment le cas à Montpellier. Il faut donc continuer, sur ce point, à faire œuvre de pédagogie, car la méthanisation, qui ne traite que la partie fermentescible, ne peut en aucun cas se substituer à l’incinération ou au stockage, seuls modes de traitement final des déchets.
Nous avons pu constater, à Lille, que la méthanisation sur biodéchets, couplée à l’existence d’un incinérateur, fonctionnait bien. Son coût élevé a toutefois conduit la mission à recommander son utilisation plutôt pour les grandes agglomérations, au-delà d’un certain tonnage de déchets. En effet, la collecte sélective de biodéchets reste une entreprise aléatoire puisque les quantités captées chez l’habitant sont très souvent inférieures aux prévisions et soumises, de surcroît, à des variations saisonnières importantes.
À cet égard, la mission s’est montrée réticente à l’idée d’une généralisation de la collecte séparée des biodéchets, difficilement acceptable en milieu très urbain et peu opérante en milieu très rural, où le compostage à domicile apparaît préférable. Les exemples de Stockholm et de Lille nous ont démontré toute l’importance de la collecte de gros producteurs. On a par exemple vu que, à Stockholm, la collecte des déchets chez les particuliers avait été pratiquement arrêtée et que, à Lille, elle était très peu importante.
Enfin, la méthanisation sur déchets ménagers non triés à la source pose encore aujourd’hui des difficultés techniques importantes et présente un rendement énergétique relativement faible. Ces inconvénients doivent en conséquence être soigneusement pesés au regard du coût important des installations nécessaires à la mise en œuvre de cette solution.
J’en viens au stockage, qui, comme chacun le sait, fait désormais l’objet d’une stratégie globale de réduction. Nous ne contestons naturellement pas cette trajectoire de baisse des quantités de déchets enfouies, mais nous estimons primordial de la poursuivre avec discernement et réalisme.
Le stockage des déchets pâtit souvent, dans l’opinion, d’une image négative : on assimile généralement les sites de stockage à des dépotoirs sources de fortes nuisances olfactives.
La mission s’est d’abord attachée à démontrer que le durcissement des normes de stockage avait considérablement réduit les risques de contamination des eaux ou des sols et que l’impact sanitaire de ces installations était limité.
Mais le véritable enjeu aujourd’hui est celui de la valorisation du biogaz et, plus globalement, de la limitation des émissions de gaz à effet de serre. Nous le rappelons dans le rapport : les expertises en cours ne permettent pas de trancher définitivement sur les mérites comparés de la valorisation en amont des déchets organiques ou de la valorisation en centre d’enfouissement du biogaz capté.
Compte tenu de ces incertitudes, il nous semble abusif de renoncer au stockage sans autre forme de procès pour se lancer dans des technologies non totalement éprouvées et coûteuses en investissements.
Nous considérons même que ce mode de traitement demeure pertinent, voire indispensable, notamment en milieu rural, sous réserve que le biogaz qui en est issu soit capté et valorisé de la façon la plus performante possible.
À cet égard, un déplacement de la mission dans le département du Tarn, cher à notre collègue Jean-Marc Pastor (Sourires.), nous a montré que l’exploitation des centres de stockage en mode bioréacteur constituait aujourd'hui l’expérience la plus concluante, et de loin, en matière de valorisation énergétique des déchets enfouis. (M. Jean-Marc Pastor applaudit.)
M. Roland Courteau. C’est une référence !
M. Daniel Soulage, rapporteur de la mission commune d’information. Madame la secrétaire d'État, pouvez-vous nous donner votre sentiment sur tous ces points ?
J’ajoute un élément, sur lequel Dominique Braye reviendra dans quelques instants : pouvez-vous nous donner précisément votre position sur la proposition, que nous formulons dans le rapport, d’un moratoire sur la hausse de la TGAP tant qu’une évaluation de cette taxe n’a pas été réalisée ?
En conclusion, je voudrais me féliciter que le rapport de la mission ait été adopté à l'unanimité. L’objectif étant de réaliser un guide pour les élus locaux, nous devions pouvoir nous rejoindre, au-delà des clivages partisans.
Je remercie bien sûr tout d'abord Dominique Braye. Comme on dit en langage diplomatique, nous avons eu des discussions franches ! (Sourires.) Cette façon de procéder, qui nous convient très bien, nous a permis de nous accorder sur l’ensemble des orientations de ce rapport, qui constitue vraiment une œuvre commune.
Je remercie également tous mes collègues, qu’ils appartiennent à la majorité ou à l’opposition. Ils se sont beaucoup engagés et ont participé assidûment aux auditions et aux déplacements. Je salue tout particulièrement Jean-Marc Pastor, qui nous a accueillis dans le département dont il est l’élu, et Evelyne Didier, qui, au nom du groupe communiste, a souligné dans sa contribution annexée au rapport la qualité du travail que nous avions réalisé conjointement.
Enfin, j’adresse mes remerciements très sincères aux fonctionnaires du Sénat qui ont assuré le secrétariat de la mission : ils ont accompli un travail de qualité tout en faisant preuve d’une grande disponibilité. Ils nous ont permis de réaliser ce guide pour les élus, qui se veut pratique et opérationnel. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le président de la mission commune d’information.
M. Dominique Braye, président de la mission commune d’information sur le traitement des déchets. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la mission sur le traitement des déchets, que j’ai eu l’honneur de présider, a procédé à de nombreuses auditions et effectué plusieurs déplacements afin de rendre compte des réussites et des difficultés rencontrées par les collectivités locales comme par les exploitants dans la mise en œuvre des techniques de traitement des déchets ménagers, et cela tant en milieu urbain que dans les zones rurales.
Notre rapporteur, Daniel Soulage, que je tiens dès maintenant à saluer, ayant déjà exposé les objectifs et les conclusions générales de la mission, je centrerai mon propos sur l’incinération et sur les questions de fiscalité.
S’agissant de l’incinération, la mission a considéré que le Grenelle de l’environnement avait davantage contribué à perpétuer, voire à conforter le « tabou » entourant cette technologie qu’à le dissiper.
Soyons clairs : le principal handicap dont souffre encore l’incinération tient aux impacts sanitaires présumés des installations. Or, pendant qu’en France l’incinération paie encore les erreurs du passé, en Allemagne, en Suède, en Belgique, dans les principaux pays défenseurs de l’environnement, l’acceptation de ce mode de traitement fait désormais consensus.
Devant la persistance des discours alarmistes, nous avons montré en quoi les réglementations actuelles, qui figurent parmi les plus sévères en Europe, garantissent la maîtrise, confirmée par les études épidémiologiques les plus récentes, de l’impact sanitaire des installations.
Il y a donc loin du sentiment de risque sanitaire au danger réel, et tandis que le soupçon continue de peser sur l’incinération, d’autres risques potentiels associés à des équipements de grande consommation sont ignorés. Je pense, notamment, au cas de certaines chaudières à bois, qui émettent proportionnellement beaucoup plus de particules que les incinérateurs,…
M. Roland Courteau. Celles qui sont vétustes, oui !
M. Dominique Braye, président de la mission commune d’information. … et qui n’en bénéficient pas moins d’incitations fiscales importantes.
Quand les intervenants n’ont pas eu gain de cause, le débat se déplace sur le terrain des impacts environnementaux de l’incinération. Ainsi, les incinérateurs constitueraient des « aspirateurs à déchets », dont l’existence serait fatale au développement du tri et de la « valorisation matière ».
Mes chers collègues, ces arguments, vous le savez, ne résistent pas un instant à l’examen des faits. L’incinération ne s’oppose ni au tri ni au recyclage, tout simplement parce que les pays européens qui trient le plus sont également ceux qui incinèrent le plus.
Dans ces conditions, notre mission a souhaité non pas faire la promotion de l’incinération, mais la remettre, enfin, à sa juste place dans la hiérarchie européenne du traitement des déchets. Cette démarche implique d’y voir non pas seulement un mode de traitement des déchets, mais aussi et surtout un procédé de valorisation énergétique à promouvoir, dans le cadre des objectifs européens de production d’énergies renouvelables. Or tel n’est malheureusement pas le cas en France, y compris d'ailleurs chez les exploitants d’installations.
À l’étranger, c’est tout le contraire. Au Danemark, l’incinération des déchets ménagers est considérée comme une source d’énergie renouvelable et la population voit ces unités localisées en milieu urbain – j’insiste sur ce point, mes chers collègues – comme de simples chaufferies.
Notre principale recommandation consiste donc à ne plus considérer l’incinération comme un mauvais mode de traitement mais à saisir les opportunités offertes par cette technologie en matière de valorisation énergétique, à travers, par exemple, le développement des réseaux de chaleur.
Optimiser le recours à l’incinération implique également d’en finir avec un parc français d’unités disséminées et de taille modeste, qui n’ont économiquement aucun sens, nous le savons.
Enfin, l’opinion publique doit se réapproprier l’incinération – encore faudrait-il que tous les élus et les responsables concernés l’y aident, mais il ne faut pas désespérer !–, grâce à une information enfin objective et transparente, ainsi qu’à des procédures concertées et adéquates. Les projets ne seront jamais mieux conduits que s’ils reposent sur un conseil scientifique indépendant, de nature à contrer l’expertise autoproclamée de certaines organisations dont l’opposition à l’incinération tient essentiellement, pour ne pas dire uniquement, à l’idéologie.
De surcroît, cet effort de pédagogie et d’information doit être permanent, à travers, par exemple, la délégation aux associations environnementales de la responsabilité des contrôles des rejets des incinérateurs.
Pour conclure sur l’incinération, je rappellerai que l’ADEME, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, s’est récemment alarmée de la possibilité d’un déficit de capacité de traitement à moyen terme dans certains départements si aucune nouvelle installation d’incinération ou de stockage ne voit le jour.
Madame la secrétaire d'État, quelles mesures pensez-vous pouvoir mettre en œuvre pour aider enfin les élus locaux à faire accepter ces projets et à réhabiliter l’image du stockage et de l’incinération aux yeux de nos concitoyens ? En effet, si les Français dénigrent ces techniques, c’est, beaucoup trop souvent, à cause de responsables politiques.
J’en viens à présent au levier fiscal, qui occupe une place essentielle dans la mise en œuvre du volet « déchets » du Grenelle, à travers notamment la TGAP, dont chacun sait ici qu’elle constitue un sujet épineux depuis sa réforme dans le cadre du projet de loi de finances pour 2009 ; Daniel Soulage, les administrateurs de la commission des finances et moi-même en gardons d'ailleurs un souvenir impérissable !
Cette réforme a consisté à augmenter progressivement les tarifs pesant sur les installations de stockage et à créer une fraction de TGAP spécifique sur les installations d’incinération, dont le tarif doit également augmenter jusqu’en 2013.
Nous avons, au sujet de cette réforme, une double conviction.
La première est qu’elle obéit d’abord et même exclusivement à une logique de rendement puisque des objectifs ambitieux de réduction de la mise en décharge auraient pu être atteints aussi efficacement, sinon plus, à travers la diminution des tonnages autorisés par les arrêtés préfectoraux.
La seconde conviction est que les motivations profondes de l’extension de la TGAP à l’incinération sont peu claires – à moins qu’elles ne soient que trop, du moins pour ceux qui savent de quoi il retourne !
Il ressort en effet de façon tout à fait évidente de nos auditions que la création de cette fiscalité nouvelle a été concédée à certaines organisations non gouvernementales, auxquelles un moratoire total sur l’incinération avait par ailleurs été refusé. Ce faisant, la France a créé une TGAP sur l’incinération au moment où des pays exemplaires en matière de protection de l’environnement, comme la Suède, supprimaient la taxe carbone pesant sur les incinérateurs.
La mission n’entend pas remettre en cause ce dispositif, naturellement, mais elle estime indispensable de l’évaluer et de l’aménager.
Nous soutenons le principe d’une modulation des tarifs de la TGAP en fonction des performances environnementales, en particulier énergétiques, des installations. Toutefois, cette modulation doit être plus étendue et plus fine que dans le dispositif actuel. Madame la secrétaire d'État, nous avons beaucoup d’idées pertinentes à vous soumettre sur ce sujet, si vous êtes intéressée...
S’agissant de l’évaluation, il est prévu que soit remis au Parlement, avant le dépôt du projet de loi de finances pour 2013, un rapport sur l’impact de la TGAP. Il nous est apparu indispensable que cette disposition fasse l’objet d’une application anticipée, et cela dès la fin de l’année 2011.
Mes chers collègues, la crise, qui pèse sur les budgets locaux comme sur le pouvoir d’achat des ménages, a sensiblement amplifié l’impact relatif de la TGAP et justifie cette anticipation.
Nous souhaitons également que l’augmentation des tarifs de cette taxe soit subordonnée à la réalisation de cette évaluation et aux résultats qu’elle mettrait en évidence.
Enfin, nous tenons à réaffirmer notre attachement au retour du produit de la TGAP à la politique des déchets, comme s’y est engagé le Gouvernement.
En revanche, nous sommes convaincus que le produit de cette taxe doit rester stable au cours des années à venir.
M. Gérard César. Très bien !
M. Dominique Braye, président de la mission commune d’information. Sous réserve de la clause d’évaluation que j’évoquais à l’instant, une réforme des tarifs pourrait donc s’opérer pour garantir un produit constant en volume par rapport à 2010 ou 2011.
En conclusion, je souhaite indiquer que les travaux de la mission se sont déroulés dans un excellent climat – je souscris tout à fait aux propos de notre rapporteur –, car tous les sénateurs visaient le même objectif : se faire l’idée la plus précise possible des différents modes de traitement pour créer ce guide d’aide à la décision des élus que souhaitait Daniel Soulage. D'ailleurs, l’adoption du rapport à l’unanimité montre, je crois, notre souci permanent d’objectivité.
À mon tour, je tiens d'ailleurs à remercier tous les membres de la mission, ainsi que tous les fonctionnaires qui nous ont aidés. Avant tout, je saluerai notre rapporteur Daniel Soulage, avec qui j’ai effectivement eu des « discussions franches »… Mais pouvait-il en aller autrement entre un vétérinaire et un agriculteur qui ont l’habitude de tenir le même langage ? (Sourires.) En outre, nous avions un même but : parvenir à une réalisation tangible et concrète, et non pas faire des discours qui plaisent à certains mais sont tout à fait inefficaces sur le terrain !
Je ne peux à cet égard que m’étonner de la réaction manifestée à la lecture de notre rapport par certaines associations. Que celles-ci n’en partagent pas toutes les conclusions me paraît tout à fait normal et, pour tout vous dire, mes chers collègues, le contraire m’aurait beaucoup étonné. Je me dois, en revanche, de faire litière de certaines contre-vérités, notamment celle qui consiste à dire que nous n’aurions pas interrogé ces associations sur la question de l’incinération.
Tous les sénateurs présents à l’audition des responsables de l’une de ces associations se souviennent que, en réponse à une question sur le stockage et l’incinération, il nous a été affirmé, d’un air un peu pincé, d'ailleurs, qu’il n’était pas question de choisir « entre la peste et le choléra ». (Sourires.)
Cette réponse ne serait qu’anecdotique, madame la secrétaire d'État, si les responsables de certaines de ces associations ne siégeaient pas dans ce qui constitue aujourd’hui une instance essentielle pour l’élaboration des politiques environnementales, à savoir le Comité national du développement durable et du Grenelle de l’environnement, ainsi d’ailleurs qu’au Conseil national des déchets, d’où on a exclu certains anciens membres pour permettre auxdits responsables d’y faire leur entrée !
Il est clair que l’étroite implication des associations dans les processus décisionnels – une innovation majeure du Grenelle de l’environnement – ne peut perdurer que si celles-ci font preuve d’un esprit de responsabilité, d’honnêteté et d’objectivité. Or ce n’est pas le cas de toutes.
Madame la secrétaire d'État, j’ajoute, à ce sujet, que la mission unanime souhaite instamment que, enfin, les scientifiques soient davantage associés à ces processus décisionnels, au titre de la société civile.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Dominique Braye, président de la mission commune d’information. Ces scientifiques sont laissés sur le côté depuis beaucoup trop longtemps. Il faut absolument les réintroduire dans l’élaboration des décisions.
M. Gérard César. Très bien !
M. Dominique Braye, président de la mission commune d’information. Sur l’ensemble de ces constats et de ces recommandations, nous recueillerons avec intérêt l’avis du Gouvernement.
Je profite enfin de l’occasion qui nous est donnée, madame la secrétaire d'État, pour vous demander, devant Gérard Miquel, de nous informer sur le récent rejet par la commission consultative d’agrément d’Éco-Emballages de l’enveloppe financière de 640 millions d’euros. Les élus contestent vivement, et à juste titre d’ailleurs, le montant de cette enveloppe : ils estiment qu’elle ne correspond pas à 80 % des coûts nets d’un service public « optimisé », terme que nous avons été contraints d’inscrire dans la loi, contre notre volonté, dois-je le préciser.
M. Gérard César. Tout à fait !
M. Dominique Braye, président de la mission commune d’information. Pouvez-vous nous indiquer votre position sur ce dossier très sensible pour les élus locaux, soumis à un coût de gestion des déchets sans cesse croissant et qui ne peuvent continuer à être les porteurs de mauvaises nouvelles auprès de leurs administrés ? (Très bien ! et applaudissements sur la plupart des travées.)
M. le président. La parole est à M. Jean Milhau.
M. Jean Milhau. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à adresser mes plus sincères félicitations à notre collègue Daniel Soulage pour l’excellent rapport qu’il nous a présenté. J’ai eu l’honneur de faire partie de cette mission commune d’information présidée par notre collègue Dominique Braye et je peux témoigner de l’important travail de terrain qui a été accompli. Depuis plusieurs mois, de nombreuses auditions ont été menées ; elles ont permis une analyse précise et pertinente du sujet.
J’espère que ce rapport constituera un élément de référence important pour les élus conduits à faire des choix en matière de gestion des déchets ménagers. C’est le but que nous nous sommes fixé.
Toutes les décisions en la matière sont fondamentales pour nos collectivités, notamment en raison des enjeux, économiques, financiers et environnementaux qu’elles sous-tendent. Il est donc essentiel qu’elles soient prises de la façon la plus éclairée possible.
C’est la raison pour laquelle, je tiens à le préciser, nous nous sommes concentrés sur le traitement des déchets ménagers banals, qui relèvent des compétences des collectivités territoriales, communes et établissements publics de coopération intercommunale.
Les incertitudes nombreuses inquiètent les élus locaux. Elles concernent en particulier la difficulté à atteindre les objectifs des Grenelle I et II dont nous sommes tous d’accord pour souligner l’importance. Pour autant, il nous faut être réalistes et constater que les collectivités ont la plus grande peine à se plier aux nouvelles prescriptions. Dans les faits, il y a loin de l’objectif aux réalités.
De la même façon, la hiérarchie européenne des modes de traitement, qui donne la priorité à la prévention et à la valorisation matière, est louable dans l’objectif qu’elle se fixe. Toutefois, il est évident que sa mise en pratique pose un certain nombre de problèmes sur le terrain.
Le choix entre les différents modes de traitement des ordures ménagères résiduelles constitue un enjeu majeur pour les élus.
Il existe plusieurs systèmes de traitement et il ne faut pas stigmatiser tel ou tel procédé. Tous ont leur place en fonction des conditions locales – zone rurale ou milieu urbain – et des quantités à traiter.
Le rapport a tendance à beaucoup mettre en valeur l’incinération, ...
Mme Évelyne Didier. Ce n’est qu’une impression ! (Sourires.)
M. Jean Milhau. ... ce que certaines associations n’ont pas manqué de stigmatiser. Il est vrai que cette technique a longtemps été très décriée, mais certaines critiques ne lui sont plus opposables aujourd’hui. Pour autant, toutes les collectivités, notamment rurales, ne peuvent s’offrir un incinérateur. Les investissements sont énormes. De plus, l’incinération représente un choix qui engage pour vingt-cinq à trente ans, alors qu’en optant pour le stockage il est plus facile de se reconvertir à d’autres techniques.
Par ailleurs, la législation, notamment européenne, évolue. Cela risque parfois de menacer les décisions des élus et de mettre en péril l’amortissement des équipements choisis.
De même, les territoires ruraux ne peuvent pas avoir les mêmes solutions que les territoires urbains. Et les ruraux, qui travaillent bien en amont de la chaîne de traitement, notamment sur le recyclage, ne devraient pas être pénalisés comme c’est actuellement le cas. Ce n’est pas Gérard Miquel qui me contredira sur ce point.
En effet, concernant la taxe générale sur les activités polluantes, la TGAP, ce prélèvement me semble beaucoup trop pénalisant pour les zones rurales, pour lesquelles le stockage ne représente le plus souvent que la seule possibilité. Pour les milieux très ruraux, qui n’ont pas toujours le choix du mode de traitement des déchets, c’est un coup dur.
Aussi, parmi les conclusions figurant dans le rapport, la mission commune d’information propose, et je m’en réjouis, quelques mesures concernant la TGAP. Son président les a rappelées : avancement de la clause de revoyure d’un an ou de deux ans et gel de la hausse des taux dans l’intervalle. Néanmoins, ce ne sont que des recommandations ; nous souhaiterions les voir prises en compte, madame la secrétaire d’État.
Il serait vraiment bienvenu de faire une pause dans l’augmentation de la TGAP, tout particulièrement en cette période de crise. En effet, le système se révèle plus injuste pour certaines collectivités et pénalisant pour certaines techniques.
Par ailleurs, je m’inquiète aussi de la pression fiscale qui s’exerce sur les contribuables. La hausse des taxes sur l’incinération et le stockage aura un fort impact sur le montant de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères.
Dès lors, la facturation incitative est d’autant plus mal perçue qu’elle viendra encore s’ajouter aux charges des ménages. De mon point de vue, c’est une fausse bonne idée. En outre, elle est très difficile à mettre en œuvre concrètement, surtout dans les zones rurales où il n’y a pas d’individualisation suffisante des bacs. La collecte en bacs collectifs rend l’identification impossible. La mise en place d’un système électronique de contrôle serait fort coûteuse et sans doute très difficile à faire accepter aux ménages. L’effort de pédagogie devra par conséquent être à la hauteur de l’effort financier. Tout cela me semble irréaliste.
J’en viens à la contribution prélevée sur les emballages. La semaine dernière, après des mois de négociation, la commission consultative d’agrément d’Éco-Emballages a rejeté l’annexe financière déterminant les ressources de cet éco-organisme, ce qui ne manque pas de nous inquiéter.
Dans ces conditions, madame la secrétaire d’État, comment comptez-vous parvenir à l’objectif fixé par le Grenelle de l’environnement d’assurer le financement du recyclage à hauteur de 80 % par les producteurs d’emballages ?
Nous sommes tous inquiets de la menace qui plane sur cet accord majeur du Grenelle de l’environnement. Je l’ai déjà dit, les collectivités et les contribuables sont suffisamment sous pression. Les surcoûts liés à l’amélioration des performances de recyclage doivent impérativement être partagés.
Les ménages, quant à eux, trient plus, recyclent mieux, mais ont l’impression de payer toujours plus. La « semaine de la réduction des déchets », organisée à la fin du mois et qui prendra cette année une dimension européenne, sera peut-être l’occasion de faire un peu de pédagogie à leur encontre. En effet, si nous voulons atteindre les nobles objectifs que nous nous sommes fixés, il ne faut pas décourager les bonnes volontés qui se sont mises au travail pour protéger notre environnement ! (Applaudissements sur la plupart des travées.)
M. le président. La parole est à Mme Évelyne Didier.
Mme Évelyne Didier. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je m’associe aux remerciements que M. le rapporteur a adressés aux fonctionnaires avec lesquels nous avons travaillé. Je veux souligner à mon tour combien l’ambiance qui a présidé à nos travaux était bonne, tout comme étaient francs et fructueux nos échanges.
Le traitement des ordures ménagères en France aujourd’hui reste le symbole d’un consumérisme excessif et irréfléchi. Toutefois, la croissance de la masse d’ordures ménagères par habitant a commencé à fléchir depuis quelques années et montre qu’un changement dans la manière d’appréhender la gestion des déchets est en route.
Une nouvelle gestion des déchets doit d’abord s’appuyer sur la réduction des déchets à la source, par exemple par la fabrication d’objets durables, qui doit remettre en cause les pratiques actuelles en matière de production. Celles-ci ont en effet pour conséquence la réduction importante de la durée de vie des objets de notre vie quotidienne, notamment des appareils électroménagers, dans le but d’obliger les consommateurs à remplacer plus souvent leurs appareils, et font fi de la raréfaction des ressources et de la question des déchets. Cela me semble une question essentielle, que nous ne pourrons esquiver.
M. Gérard Le Cam. Très bien !
Mme Évelyne Didier. Une nouvelle gestion des déchets repose aussi sur la valorisation matière. Cela peut passer par la récupération, qui consiste à faire sortir le déchet de son circuit traditionnel de traitement, par le recyclage, en réintroduisant le déchet dans le cycle de production, par le réemploi, pour prolonger la durée de vie du produit, par la réutilisation du produit dans un usage différent par rapport à son usage initial, ou encore par la régénération des déchets. Il convient donc d’optimiser la valorisation matière et le tri en amont afin de minimiser la quantité de déchets résiduels. C’est fondamental dans la manière d’approcher la question du traitement des déchets. Je tenais à le souligner avant d’entrer dans le vif du sujet.
Sur la gestion des déchets, qui a constitué l’objet d’étude de la mission commune d’information, il convient d’avoir une vision intégrée, à même d’adapter la technique de traitement aux contraintes locales. Il faut donc tenir compte des installations existantes, du type d’habitat – les contraintes diffèrent selon que l’on est en ville ou à la campagne –, de l’importance du gisement de déchets – les coûts de collecte dans les territoires ruraux ne sont pas ceux qui existent en milieu urbain – et associer la population, j’y reviendrai.
Il est à noter d’emblée la différence importante de tarif entre tonne enfouie et tonne incinérée, alors que ces deux modes d’élimination ont chacun leurs inconvénients, qu’il s’agisse de pollution des sols ou de l’air, de production de dioxines. Je suis d’accord avec Dominique Braye pour reconnaître que nous avons accompli de considérables progrès dans ce domaine et qu’il faut en tenir compte. Il n’en reste pas moins que c’est un pis-aller : plus on éliminera en amont la production de déchets, mieux ce sera.
Toujours est-il que l’on ne voit pas très bien pourquoi l’un de ces deux modes de production devrait être discriminé plus que l’autre d’un point de vue financier. Il serait à mon sens souhaitable, plutôt que de favoriser l’incinération a priori en la considérant simplement comme une valorisation, de laisser la liberté aux collectivités de choisir leur mode de gestion en fonction de leurs spécificités.
De surcroît, alors même que l’incinération et l’enfouissement sont coûteux et ne génèrent pas de recettes, ces modes de gestion restent aujourd’hui moins onéreux que le tri. C’est un problème d’autant plus important que l’accord majeur du Grenelle de l’environnement qui visait à apporter un élément de correction à cette situation est aujourd’hui menacé. Il s’agit de l’équilibre trouvé entre les éco-organismes de la filière des déchets d’emballages ménagers et les collectivités locales. Cet accord consistait à associer une forte hausse des taxes sur le stockage et l’incinération à une hausse de la participation des producteurs au coût de l’élimination de leurs déchets. L’objectif était de tenter de corriger cette anomalie qui rend actuellement l’incinération et le stockage plus compétitifs.
Cependant, si les taxes sur l’incinération et le stockage ont bien été fortement augmentées dès 2009, il n’en a pas été de même de la participation des producteurs à cet effort. Le groupe d’études sénatorial sur la gestion des déchets s’est ainsi étonné de la proposition de compromis en discussion à 640 millions d’euros, assortie d’une exigence d’un taux de recyclage de 75 %, contre 65 % actuellement, ce qui abaisse en réalité l’enveloppe pour 2011 à 540 millions d’euros, c’est-à-dire précisément la limite basse de la fourchette, au demeurant peu précise, établie par l’ADEME. Pour le groupe d’études, il manque au minimum la prise en compte intégrale de la TVA, à savoir 40 millions d’euros, ce qui porterait l’enveloppe pour 2011 à 680 millions d’euros. Je le répète, c’est un minimum.
Pourquoi les mesures incitatives sont-elles importantes ? Vous observerez, mes chers collègues, que, en dehors du verre et de l’aluminium, moins coûteux à recycler qu’à produire à partir de matière première naturelle, le recyclage nécessite d’intégrer un coût supplémentaire pour les entreprises qui ont ou auront à le faire.
Il ne s’agit donc pas de compter sur la pseudo-rationalité du marché pour inciter les industriels à augmenter la part du recyclage dans leurs productions, mais il apparaît au contraire indispensable de réfléchir à des mesures incitatives permettant de favoriser le recyclage et la valorisation de la matière.
Par ailleurs, la participation de la population est indispensable pour que tout projet en matière de gestion des déchets soit compris, partagé et par là accepté.
M. Roland Courteau. Très bien !
Mme Évelyne Didier. S’il convient d’agir sur les comportements, par exemple en incitant au tri, on ne peut pas à la fois demander au consommateur de trier, de surveiller sa consommation de déchets et de s’affranchir de taxes importantes sans aucune contrepartie : il convient, d’une part, de lui faire bénéficier de l’argent de la valorisation qui permettrait de réduire le coût de la gestion des déchets, et, d’autre part, d’encourager la puissance publique à exercer une pression afin de répondre à la surabondance d’emballages et la non-durabilité des produits, que le consommateur ne peut que subir.
Il serait aussi judicieux de discuter de la question du mode de calcul de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères, aujourd’hui lié au niveau de la taxe foncière et non pas au volume de déchets dont le consommateur veut se débarrasser, ce qui bien sûr altère quelque peu le sens même de cette taxe et lui retire son potentiel pédagogique.
M. Roland Courteau. Eh oui !
Mme Évelyne Didier. Enfin, l’instabilité juridique en matière de gestion des déchets s’oppose à la nécessité, pour les collectivités locales, de s’engager dans du long terme, ce qui est d’autant plus gênant quand on connaît les difficultés financières qu’elles rencontrent actuellement.
Si l’on considère que l’on se situe à un tournant en matière de traitement des déchets, s’il faut agir à la fois en matière de politiques européennes, nationales et locales, s’il faut poursuivre la modification déjà bien amorcée des comportements, il est avant tout nécessaire de clarifier les objectifs nationaux.
En fin de compte, que cherchons-nous ? Éliminer les déchets, produire de l’énergie, limiter les émissions de gaz à effet de serre ou bien encore l’utilisation, et souvent le gaspillage, de matières premières ? Voulons-nous créer une activité économique susceptible d’être rentable ? Nous devons vraiment nous pencher sur ces questions.
En d’autres termes, quels sont nos objectifs prioritaires ? Il peut en effet y en avoir plusieurs. De quels moyens disposent les collectivités, sachant qu’aujourd’hui le compte n’y est pas ?
Ces dernières doivent financer la gestion des déchets et prélever toujours plus sur les habitants. Comme cela a été très bien dit, elles ont le mauvais rôle, sans pouvoir toutefois, en retour, conforter les citoyens dans leurs comportements vertueux.
Mes chers collègues, si j’ai approuvé ce rapport au nom de mon groupe, c’est en raison, d’une part, de la possibilité que j’ai eue de faire une contribution personnelle, et, d’autre part, de la transparence de nos débats et du fait que nous avons vraiment pu travailler sans a priori et en toute tranquillité.
Mais, ne l’oublions pas, la mission commune d’information avait pour sujet d’étude le traitement des déchets, et non l’ensemble de la problématique. Nous savons le poids des taxes et des subventions sur les choix des collectivités. Ne soyons pas dupes, ce sont ces incitations financières qui, au final, orientent les politiques publiques. Faisons en sorte qu’elles favorisent les entreprises qui utilisent l’éco-conception et limitent la production de leurs déchets, et que les citoyens ne subissent pas, comme souvent, la double peine ! (Applaudissements sur un grand nombre de travées.)
M. Gérard Le Cam. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Gérard Miquel.
M. Gérard Miquel. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais à mon tour adresser mes félicitations et mes remerciements au président de la mission commune d’information, Dominique Braye, à son rapporteur, Daniel Soulage, ainsi qu’à tous les fonctionnaires de notre maison qui ont travaillé sur ce rapport.
Le Grenelle nous engage sur des objectifs ambitieux, et nous devons tout faire pour les atteindre.
Les déchets sont un gisement de matières premières. Aujourd’hui, la seule question à se poser est de savoir pourquoi certaines collectivités, en zones rurales comme en zones agglomérées, ont d’ores et déjà atteint l’objectif des 75 % de recyclage, alors que d’autres n’y parviennent pas.
À mes yeux, la réponse est simple. Dans de nombreux cas, nous n’avons pas trouvé le niveau pertinent d’organisation territoriale. Éco-Emballages gère plus de 1 300 contrats ; certains d’entre eux concernent 5 000 habitants : comment optimiser sur de si petites structures ?
Nous n’avons pas non plus harmonisé les systèmes de collecte et la communication en direction de la population. Nous devons tout faire pour simplifier les messages.
Tout cela doit permettre aux Français qui déménagent ou changent de lieu de résidence de ne pas être perturbés par des changements de système et de tri.
M. Didier Guillaume. C’est sûr !
M. Gérard Miquel. Ce qui est apparemment simple, nous n’avons pas réussi à le mettre en œuvre jusqu’à ce jour.
M. Roland Courteau. Absolument !
M. Gérard Miquel. Les plans élaborés à l’échelle départementale avec des retombées infra-départementales sont, pour moi, une avancée. Après plus d’un quart de siècle de décentralisation, il serait anormal de demander au préfet de reprendre la main sur ce dossier.
MM. Roland Courteau et Didier Guillaume. Très juste !
M. Gérard Miquel. Les collectivités doivent être capables de s’organiser entre elles.
La réponse est bien entendu différente d’une région à une autre. Dans les zones rurales, le niveau départemental est le plus pertinent. Dans d’autres, c’est l’agglomération ou le grand bassin de vie.
Ce constat m’amène à dire qu’il aurait suffi de transposer simplement les méthodes utilisées par les collectivités ayant les meilleurs résultats pour obtenir les mêmes sur l’ensemble du territoire national.
Le traitement de la part résiduelle appelle des réponses différentes en fonction des zones géographiques et de la densité de la population.
Il ne faut pas opposer un système à un autre. Au contraire, tous sont souvent complémentaires. Le traitement thermique avec valorisation de l’énergie ne peut pas être la réponse partout. Il doit être réservé à certains secteurs.
Ne jetons pas le tri mécano-biologique quand nous avons la preuve, sur certains territoires, de son efficacité.
M. Didier Guillaume. Très bien !
M. Gérard Miquel. De plus, il permet de récupérer un certain nombre de produits, qui seront recyclés.
Mme Évelyne Didier. Absolument !
M. Gérard Miquel. Les systèmes de méthanisation avec récupération de l’énergie sont, dans certains cas, très intéressants.
Nous devons faire évoluer la TGAP, afin de la rendre moins pénalisante pour les collectivités qui n’ont pas la possibilité de faire du traitement thermique, …
M. Roland Courteau. Oui !
M. Gérard Miquel. … et veiller à ce que l’utilisation de ces crédits vienne bien soutenir les collectivités dans leurs investissements sur les unités de traitement des déchets, quelle que soit leur forme.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Gérard Miquel. Ne le perdons jamais de vue, nous avons l’obligation de travailler à une diminution des quantités de déchets produits, à un recyclage de tout ce qui peut l’être, pour n’envoyer dans les unités de traitement qu’une part résiduelle.
Malgré tous les efforts d’optimisation, les coûts de traitement diffèrent selon les situations – zones rurales, zones d’habitat vertical dense – et le niveau de leur prise en charge, prévu dans le Grenelle à 80 %, ne sera pas atteint.
Nous avons donc besoin de revoir les évaluations de coûts qui ont été faites afin qu’elles correspondent plus à la réalité du terrain. La responsabilité élargie des producteurs, la mise en place progressive des éco-organismes nous permettent de collecter et de recycler un grand nombre de produits.
La compensation financière n’est pas toujours à la hauteur des enjeux. Le Parlement doit continuer à travailler pour améliorer le système.
Madame la secrétaire d’État, je prendrai un exemple sur lequel nous avons à méditer. Nous collectons de grosses quantités de journaux et magazines qui ne cotisent pas à ÉcoFolio. Le coût de la collecte et du traitement est entièrement à la charge des collectivités, et de nos administrés par voie de conséquence.
Je dirai, en outre, un mot sur la tarification incitative. Il y a vingt ans, dans nos campagnes, dans mon département en particulier, Jean Milhau le sait bien, nous disposions d’une centaine de décharges, petites ou grandes, dans lesquelles collectivités et particuliers venaient déposer leurs déchets. Nous avons mis entre quinze et vingt ans pour les fermer ou les réhabiliter.
Si nous mettions en place la tarification incitative, compte tenu des répercussions de la crise sur un grand nombre de nos concitoyens, je crains fort que nous ne retrouvions avec de petites décharges, ici ou là, dans nos coins de bois, ce qui ne serait pas très agréable !
MM. Roland Courteau et Didier Guillaume. Très vrai !
M. Gérard Miquel. Dans un département touristique comme le mien, ce serait en outre très préjudiciable. Soyons donc respectueux des différences. Cette tarification incitative peut tout à fait être mise en place dans les villes, mais pas dans les campagnes, où la collecte est souvent organisée autour de bacs de regroupement. Elle n’y est possible qu’à un second degré, constitué par les syndicats de traitement, qui en factureraient le coût aux syndicats de base en appliquant une tarification différenciée, en fonction des quantités de déchets recyclables et de leur qualité.
Je souhaite évoquer, à présent, l’enveloppe de 640 millions d’euros. De toute façon, au bout du compte, c’est le contribuable-consommateur qui paie. Il paie en achetant le produit, puisque les producteurs répercuteront toute augmentation de l’enveloppe sur le prix du produit, ou au travers de la taxe ou de la redevance que nous leur demanderons si nous n’obtenons pas d’aides suffisantes. En tout état de cause, nous ne trouvons pas notre compte avec cette enveloppe de 640 millions d’euros.
Notre capacité à produire de la norme est très grande. Je ne voudrais pas que, au bout du compte, les normes nous empêchent d’avancer dans le domaine du traitement des déchets. Il est permis de s’interroger sur les limites contributives des ménages ayant atteint des niveaux qui peuvent difficilement être dépassés.
Madame la secrétaire d’État, l’objectif de 75 % de recyclage peut et doit être atteint. Les collectivités s’y engageront avec d’autant plus de facilité que la prise en charge des coûts prévue dans le Grenelle à 80 % sera effective, ce qui ne sera pas le cas à moyen terme, compte tenu des moyens aujourd’hui consacrés, avec l’enveloppe de 640 millions d’euros.
Nous avons donc négocié un barème incitatif, bien meilleur que le précédent, auquel nous tenons car il s’agit d’amener toutes les collectivités à atteindre cet objectif de 75 %. J’espère que nous le validerons prochainement et que nous pourrons ainsi travailler autour d’un objectif commun : atteindre 75 % de recyclage, avec une prise en charge de 80 % des coûts, conformément au souhait des collectivités. (Applaudissements sur la plupart des travées.)
M. le président. La parole est à M. René Vestri.
M. René Vestri. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour débattre d’un thème vital : la gestion des déchets. C’est un défi sans précédent dans l’histoire de l’humanité et de son évolution. En effet, le traitement des déchets s’apparente à la fois à la gestion de l’environnement et aux problématiques du développement durable, et j’ose même dire de notre avenir durable ! C’est devenu une urgence planétaire, car des mesures immédiates doivent être prises pour endiguer les dégradations de l’environnement dont l’homme se rend responsable.
Nos sociétés occidentales très urbanisées produisent, annuellement, des milliards de tonnes de déchets : certains matériaux peuvent être recyclés ou brûlés pour produire de la chaleur, mais d’autres, hautement toxiques, posent problème.
D’ailleurs, toutes nos activités humaines se transforment en déchets, même celles qui sont liées à l’environnement ! Nous en rejetons en moyenne, chaque année, six fois notre poids ! Leur gestion n’est donc pas anodine.
La révolution industrielle n’a fait qu’aggraver la situation, ajoutant aux ordures domestiques de nouveaux produits polluants. La prise de conscience du fait que la pollution a atteint un niveau alarmant est aujourd’hui réelle, tant à l’échelon local et national que sur le plan mondial.
Dans un domaine où les procédés sont techniquement complexes et divers, nous devons redoubler de vigilance pour trouver le procédé adapté à chaque collectivité.
Il est de notre devoir de législateur de nous montrer vigilants : l’utilisation durable des ressources est devenue un enjeu et un facteur de compétitivité, et leur valorisation s’inscrit maintenant dans la mondialisation.
Le traitement des déchets a pu ainsi devenir en quelques années une industrie à part entière, le volume de ceux-ci étant directement lié à la croissance mondiale. En France, le poids des déchets ménagers augmente de façon inquiétante, puisqu’il est passé, par habitant et par an, de 373 kilos en 2000 à environ 600 kilos aujourd’hui.
Les mesures adoptées pour freiner cette tendance doivent répondre à deux impératifs : prévenir les causes de la pollution et traiter les déchets.
Tout d’abord, la prévention des causes de la pollution passe par une implication forte des citoyens dans le domaine du tri sélectif et du recyclage des déchets ménagers.
Cette implication est pourtant loin d’être généralisée aujourd’hui et des efforts considérables restent à faire, à commencer par les collectivités territoriales et les départements, dont l’exemplarité dans ce domaine tout comme leur capacité à inciter les citoyens à trier sont devenues primordiales.
Cette exemplarité est la condition nécessaire à la motivation de tout un chacun pour participer à l’effort de tri et retrouver la confiance dans le système de gestion publique des déchets.
À ce titre, les objectifs du Grenelle II, tels que la mise en place par les collectivités territoriales d’un programme local de prévention des déchets, ou encore l’instauration d’une taxe d’enlèvement des ordures ménagères à part variable, en fonction du poids ou du volume des déchets, nous semblent aller dans le bon sens et devraient même être renforcés par une meilleure incitation à la réduction de la production des déchets ménagers.
Ensuite, en ce qui concerne le traitement des déchets, au nombre des recommandations du rapport de notre collègue Daniel Soulage, que je félicite pour la qualité de son travail, la valorisation énergétique par incinération constitue une technique complémentaire du tri, du recyclage et de la valorisation des matières organiques par compostage ou méthanisation.
La combustion des déchets est, par ailleurs, une source d’énergie renouvelable : elle se substitue aux énergies fossiles pour produire de l’électricité ou de la chaleur.
En effet, reconnaissons que cette technique est une réponse adaptée aux impératifs géographiques, démographiques, techniques, réglementaires et économiques d’un bon nombre de collectivités.
Elle est aussi une alternative majeure au recyclage impossible des produits toxiques. En Europe, 400 unités d’incinération approvisionnent 27 millions d’habitants en électricité, et ce malgré de nombreuses polémiques et questions restant en suspens au sujet des incinérateurs, parce que la combustion des déchets ménagers rejette dans l’atmosphère des polluants toxiques tels que des métaux lourds, notamment le mercure et le cadmium.
Les installations de stockage de déchets aux nouvelles normes et valorisant le biogaz doivent être mieux favorisées, par exemple au moyen de la simplification des démarches administratives d’autorisation, de l’incitation fiscale, ou de l’octroi de la garantie de rachat de l’énergie.
À ce titre, les bioréacteurs doivent pouvoir bénéficier de ces avantages, car ils constituent une étape fiable et reproductible, avant des procédés de valorisation matière et énergétique des ordures ménagères résiduelles, procédés encore mal maîtrisés actuellement.
La technique de traitement des déchets domestiques par compostage individuel de la matière organique reste un mode de recyclage et une pratique traditionnelle nécessitant peu d’investissement. Cette démarche s’inscrit dans une gestion intégrée des déchets : en combinant les différentes filières de traitement, elle apporte une solution locale et durable au problème de la valorisation et permet de maîtriser à long terme le coût d’élimination tout en respectant notre environnement.
Quelle que soit la technique choisie, l’un des objectifs majeurs est bien de concilier la maîtrise des coûts de gestion des déchets avec l’offre d’un service optimal à nos concitoyens.
Le schéma départemental fixe les orientations en matière de traitement de déchets, notamment les transferts de déchets entre les départements. Il faut donc favoriser l’interdépartementalité.
Le département est-il toujours le niveau le plus pertinent pour fixer les règles de gestion des déchets ? L’encadrement est nécessaire pour limiter le risque de voir naître, avec de tels périmètres, des départements « poubelles ».
Ainsi, dans le cas concret du département des Alpes-Maritimes, les déchets traversent le département du Var pour terminer dans celui des Bouches-du-Rhône, alors que le Var dispose des moyens pour traiter les déchets.
Une orientation pourrait consister non seulement à permettre les interdépartementalités, en favorisant le transport de déchets en dehors des périmètres des plans départementaux, mais aussi à pénaliser financièrement les transports sur de longues distances.
À terme, face à la réduction des tonnages constatés dans les filières de traitement du fait de la montée en puissance de la valorisation, constatée et à venir, cette disposition permettra de mieux rentabiliser les équipements structurants et, donc, de maîtriser les coûts de traitement.
Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, élu d’un département du littoral méditerranéen, je ne peux pas ne pas évoquer le traitement des déchets et ses conséquences sur le milieu marin.
La France dispose de 11 millions de kilomètres carrés d’espaces maritimes, soit 10 % de l’ensemble des récifs coralliens dans le monde. Ces récifs constituent des écosystèmes particulièrement productifs, qui, rappelons-le, fournissent la quasi-totalité de la matière organique de base consommée par les poissons.
Ces constats obligent aujourd’hui les collectivités territoriales à revoir leur stratégie d’élimination et de gestion des déchets municipaux dans le respect et la protection de notre environnement.
En effet, sans traitement approprié de ces rejets polluants, les produits chimiques toxiques, le phosphore et les métaux lourds contenus dans ces déchets se retrouvent dans l’océan, produisant la détérioration d’un écosystème aquatique, …
M. Roland Courteau. C’est peu dire !
M. René Vestri. … par la prolifération des algues planctoniques et de certains types de zooplancton, de certains végétaux, mettant en danger la santé des humains et la vie marine.
Je ne m’étendrai pas sur le problème des sacs en plastique qui envahissent le littoral et la mer, provoquant la mort de 100 000 mammifères marins et d’un nombre incalculable de poissons ! Quand on sait que, pour disparaître naturellement, un sac en plastique met quatre cent cinquante ans et une bouteille en plastique entre cent et mille ans, cela ne peut évidemment nous laisser insensibles !
M. Roland Courteau. C’est évident !
M. René Vestri. Les spécialistes de l’environnement déclaraient que tout ce que nous utilisons sur la terre ferme finit dans la mer.
C’est vrai tout particulièrement pour la côte méditerranéenne : en période estivale, du fait du surcroît de population, elle voit augmenter le phénomène de pollution d’origine terrestre, notamment dans les ports, mais aussi au mouillage avec la fréquentation des bateaux de plaisance, de croisière et des navires qui rejettent les déchets domestiques dans la mer.
M. Roland Courteau. Le déballastage !
M. René Vestri. Pour cela, je suggère que nous puissions créer des zones de mouillage écologiques, avec un système de récupération des déchets du type poubelles flottantes.
Je rappelle une mesure de bon sens qui me tient à cœur : imposer, dans le cadre du permis bateau, l’obligation de former les plaisanciers au mouillage propre.
À cette fin, le préfet maritime doit contraindre, lors de la création des zones de mouillage, chaque plaisancier à s’équiper effectivement de réservoirs, fixes ou mis en place à titre temporaire, destinés à recevoir les déchets organiques, dans le respect des mesures édictées par le décret du 4 juillet 1996.
La protection de notre littoral méditerranéen est une cause que je défends depuis une vingtaine d’années et pour laquelle j’ai fondé l’association SOS Grand Bleu, consacrée à la défense du milieu marin.
D’ailleurs, en collaboration avec Monaco et l’Italie, SOS Grand Bleu vient de participer, dans le cadre de l’action « Ramonage », à une opération de mobilisation des citoyens afin d’expliquer et de gérer la problématique des macrodéchets, ces déchets composés de débris naturels de bois, feuilles de posidonie, plastiques et qui viennent s’échouer sur les plages au gré des vents et des courants.
Au-delà de la gestion des déchets et de leur destination finale, il sera aussi nécessaire de recenser toutes les autres sources de pollution pour pouvoir apporter, dans le cadre du Grenelle de la mer, que nous devons absolument relancer, madame la secrétaire d’État, des solutions adaptées pour la sauvegarde de notre environnement maritime.
Tout cela semble difficile, mais tout ce qui est ardu est bénéfique pour l’avenir ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Dubois.
M. Daniel Dubois. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, tout d’abord, à l’instar de tous ceux qui m’ont précédé à cette tribune, je tiens à saluer l’excellent travail de mon collègue Daniel Soulage, qui a été à l’initiative de ce rapport et s’est fortement mobilisé sur le terrain, en tant que rapporteur. Je salue également le travail du président de la mission commune d’information, Dominique Braye, et bien sûr celui de l’ensemble des administrateurs ayant œuvré à la rédaction du rapport.
Je tiens également à souligner, cela a été dit, le bon état d’esprit qui a régné pendant tous ces travaux et au cours des rencontres auxquelles ils ont donné lieu.
Il montre, on le voit bien, que le problème de la gestion des ordures ménagères transcende toutes les idées politiques. Quand on est face à l’obstacle, il faut bien rechercher des solutions. Or elles sont loin d’être simples et quasiment les mêmes pour tous ! (Sourires.)
Le sujet est compliqué et les objectifs chiffrés du Grenelle sont ambitieux. Je les rappelle : la diminution de 15 %, d’ici à 2012, des tonnes enfouies ou incinérées ; la réduction de la part d’ordures ménagères et assimilés de 7 % par an dans les cinq prochaines années ; enfin, l’augmentation du recyclage matière et organique pour aboutir à 35 % recyclés en 2012, et 45 % en 2015.
Ces objectifs, non plus, ne sont pas simples à atteindre !
Or, aujourd’hui, la France n’est pas complètement exemplaire en matière de traitement des déchets. Nos infrastructures atteignent les limites de leurs capacités.
En outre, Dominique Braye l’a dit avec force tout à l’heure – pour ma part, je le rejoins et j’y reviendrai –, l’opinion publique n’accepte pas la construction d’incinérateurs, pas plus d’ailleurs, il faut le dire, que celle de centres d’enfouissement techniques.
Cela signifie que le chemin à parcourir sera long et compliqué. Le rapport de la mission commune d’information peut servir à le baliser et permettre d’apporter un certain nombre de réponses.
Deux points ont particulièrement retenu mon attention dans le cadre de la valorisation des déchets.
Premièrement, j’ai été surpris de la faible capacité du parc d’incinérateurs, qui représente à peine un tiers des capacités de nos voisins allemands, ainsi que l’a relevé le président de la mission commune d’information.
Ce type de traitement permet de valoriser l’énergie dégagée de la combustion, pour alimenter des réseaux de chaleur ou fabriquer de la vapeur pour certaines industries. Faut-il le rappeler, la vapeur représente 7,2 % des énergies utilisées, essentiellement par les industries du papier carton, de l’imprimerie et du secteur de la chimie, du caoutchouc et des plastiques.
Il est donc urgent, à mon sens, de réhabiliter dans l’opinion publique ce mode de traitement des déchets.
Chacun en est bien conscient, il existe une chaîne globale complète du traitement des déchets, dont l’incinérateur est l’un des maillons. Ce dernier souffre aujourd’hui d’une méfiance qui semble durablement installée sur les territoires.
Les experts reconnus doivent donc se saisir de cette problématique afin de rendre plus transparentes les incidences réelles liées à l’incinération.
À l’heure actuelle, nous sommes englués dans ce problème de l’incinération. Si nous ne nous employons pas à le reposer de façon transparente, nous aurons énormément de mal à nous en sortir, alors même qu’il s’agit là d’un outil essentiel.
Deuxièmement, le traitement biologique des déchets nécessite une attention accrue.
Il permet en effet une valorisation de la partie fermentescible des déchets, que ce soit sur le plan organique, avec la fabrication de compost, ou sur le plan énergétique, au travers de la production d’électricité et de chaleur.
Dans cette démarche, il semble particulièrement nécessaire d’être attentif, bien sûr, à la qualité du compost ; en effet, on le retrouve dans les champs, et donc dans le produit des récoltes.
En outre, concernant les installations qui sont mises en œuvre aujourd’hui, les élus ont, me semble-t-il, besoin d’un horizon à la fois lointain et stable pour prendre leurs décisions. Le conseil technique sur les investissements engagés par les élus dans ce domaine reste parfois insuffisant, alors qu’il est absolument nécessaire.
En effet, il y a de vrais risques à installer des équipements dont l’achat s’amortit sur trente ou quarante ans, dans la mesure où, cinq ou six années après leur première utilisation, ils peuvent se révéler inadaptés quand bien même ils auraient coûté très cher au contribuable ; une telle situation peut réellement poser problème.
Pour prendre un peu de recul par rapport au débat, j’insisterai sur trois préoccupations : l’efficience, la différenciation et l’obligation, à laquelle, de toute façon, nous ne pourrons pas nous soustraire, de limiter la production de déchets.
La première préoccupation concerne la nécessaire efficience avec laquelle il faut aborder la question de la gestion des déchets. Pour faciliter les comportements éco-citoyens, il est indispensable, comme les différents intervenants l’ont dit et répété, de ne pas faire peser sur le contribuable une charge financière trop importante.
À l’instar d’autres collègues ici présents, je préside un syndicat de traitement et de gestion des ordures ménagères et j’entends de plus en plus fréquemment des administrés, en milieu rural, mettre en cause l’utilité du tri en tenant ce discours : « Plus je trie, plus c’est cher. J’ai envie d’arrêter ! »
Le tri ne se décrète pas, en particulier en zone rurale ; il repose sur des comportements citoyens, qu’il faut inciter. En ce sens, il importe de favoriser des solutions de traitement des déchets qui s’autofinancent dans la mesure du possible – cela reste compliqué –, notamment par la valorisation énergétique du traitement ou encore par le recyclage.
Ma deuxième préoccupation porte sur la nécessaire différenciation à opérer dans le traitement des déchets entre les ménages, qui ne produisent que 3,6 % des déchets, et les entreprises, mais aussi et surtout entre territoires ruraux et territoires urbains.
Chacun le sait très bien, les territoires ruraux sont plutôt efficaces en amont : dès lors que les élus font preuve d’une certaine pédagogie et que les outils adéquats sont mis à leur disposition, les usagers trient bien, se rendent aux points d’apport volontaire et font du compost individuel assez facilement.
Certains me répondront que la TGAP règle le problème : les territoires ruraux apportent moins de déchets au centre d’enfouissement puisque le tri a été effectué efficacement en amont ; ils devraient donc payer des factures moins élevées.
Un tel raisonnement n’est pas tout à fait exact, car un élément n’est, à mon avis, pas suffisamment pris en compte, madame la secrétaire d’État : les kilomètres ! Efficience et différenciation se trouvent donc alors liées.
Mme Odette Herviaux. Tout à fait !
M. Daniel Dubois. Prenons un exemple simple. J’ai dû lancer un nouvel appel d’offres pour le ramassage et le traitement des déchets sur mon territoire. Avec la mise en œuvre de la TGAP, j’ai choisi un centre d’enfouissement technique qui se trouve à 70 kilomètres de chez moi, alors que le centre avec lequel je contractais auparavant était plus proche, puisque situé à 10 kilomètres.
Certes, j’ai opté pour une solution moins chère en examinant les différentes offres, même si elle reste plus onéreuse que la précédente, mais, en termes d’approche globale, l’empreinte environnementale est plus importante, dans la mesure où tous les camions parcourent 140 kilomètres aller-retour.
M. Roland Courteau. C’est sûr !
M. Daniel Dubois. Autrement dit, par rapport à l’efficience et à la différenciation, l’approche de la norme est à mes yeux essentielle, car il faut être en capacité d’évaluer les pratiques des habitants d’un territoire.
Il est évidemment plus facile de construire une usine d’incinération dans un centre urbain, où la chaleur produite par un tel équipement pourra être récupérée pour chauffer l’hôpital et les logements, ce qui n’est pas possible à la campagne ; tout le monde est d’accord sur ce point.
Un système permettant d’allier efficience et différenciation serait compliqué à mettre en œuvre, mais nul ne peut ignorer l’ensemble des paramètres. À défaut, à terme, les territoires ruraux ne seront plus aussi efficaces en amont ; ce serait tout à fait regrettable.
C’est la raison pour laquelle il faut laisser au département le soin de déterminer son plan de gestion des déchets, sans empiler les normes nationales ni phagocyter les initiatives locales par des seuils ou des taux qui ne prendraient pas en compte les particularités locales et sectorielles.
Les objectifs doivent être clairs, les moyens rester souples et les critères d’évaluation tenir compte à tout prix des spécificités que je viens de mentionner, donc de l’efficience du système de ramassage et de traitement des ordures ménagères.
Madame la secrétaire d’État, ces deux préoccupations reviennent finalement à approuver les objectifs de la loi Grenelle II, dont j’étais l’un des rapporteurs au Sénat ; nul ne peut aujourd’hui aller à leur encontre ! Pour les atteindre, il faut cependant prendre garde de ne pas faire peser des charges insurmontables sur les administrés ou sur les collectivités locales. Vous n’échapperez pas au débat sur la TGAP : il faut trouver une réponse adaptée, car cette taxe devient de plus en plus lourde pour nos administrés, et elle sera bientôt insupportable.
Enfin, la troisième préoccupation que j’évoquais tient à la nécessaire limitation de la quantité de déchets produits. C’est, à mon sens, l’une des réponses au problème. Nous devons nous engager dans cette voie plus résolument, même si, bien entendu, je suis tout à fait conscient qu’une telle action aurait un impact sur l’industrie de notre pays et que nous ne pouvons le faire sans réflexion, délai ni plan.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Daniel Dubois. Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’éducation au tri et la limitation de la production des emballages constituent des leviers qu’il faut aujourd’hui utiliser avec beaucoup plus de volonté. Cela dit, je considère que le rapport qui a été produit est excellent ! (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Pastor.
M. Jean-Marc Pastor. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le traitement des ordures ménagères est aujourd’hui un sujet de préoccupation qui se trouve au premier rang des priorités.
Les collectivités locales sont évidemment concernées au premier chef, d’abord, par la collecte, mais aussi par le traitement et la valorisation des déchets.
Vis-à-vis de nos collègues élus locaux, la mission commune d’information sur le traitement des déchets prend tout son sens. Les élus se familiarisent petit à petit avec des expressions comme « responsabilité élargie des producteurs », « éco-conception », « éco-production », « valorisation matière ».
Je tiens tout d’abord à remercier nos collègues, et plus particulièrement MM. Braye et Soulage, ainsi que nos collaborateurs, de leur travail et de l’excellent rapport qu’ils ont diligenté.
L’exercice effectué par les membres de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire est parti de la volonté d’adopter une vision globale du sujet. Dans son rapport, la mission indique : « L’idée que, du produit au déchet, il est indispensable d’avoir une vision globale s’est progressivement affirmée et les textes Grenelle en portent témoignage. Mais dans l’état actuel de la réglementation, la pression pèse encore essentiellement sur l’aval – élimination du déchet – et insuffisamment sur l’amont – éco-conception. »
En outre, dans son rapport sur la situation des points emballages, la Cour des comptes pointe du doigt certaines entreprises, parmi les plus grosses, qui s’exonèrent aujourd’hui encore de leur contribution au pot commun. Qu’en est-il, madame la secrétaire d’État ?
S’agissant de l’aval, le rapport fait l’état des lieux des techniques ; j’en retiendrai essentiellement deux : le traitement biologique, avec la méthanisation, et l’incinération.
L’ensemble des techniques se sont énormément améliorées. Aucune ne présente que des inconvénients ou que des avantages. Elles sont toutes nécessaires et souvent adaptées à l’acceptabilité sociale locale.
L’incinération n’est plus aussi polluante, elle n’est plus porteuse de dangers sur le plan sanitaire. Le rapport met d’ailleurs l’accent sur le hiatus entre risque perçu et risque réel.
Le traitement biologique, notamment la méthanisation, a beaucoup évolué ces dernières années : le tri, le compostage, la méthanisation par digesteur – une méthode qui comporte aussi parfois ses contraintes – ou, plus récemment, par bioréacteur ont donné lieu à une organisation de la filière et à une maîtrise des coûts de plus en plus grande.
Dans le rapport, il est à mon sens rendu justice à ces techniques. Bien appliquées, elles ont un potentiel d’intégration très grand de l’amont à l’aval, et même de l’aval à l’aval, c’est-à-dire en termes, notamment, de réseaux de chaleur, de production d’électricité, de carburant, de cogénération.
Je n’oublie pas non plus les techniques les plus poussées, à savoir celles qui sont élaborées par le monde scientifique dans le cadre des structures HYPAC, la plate-forme française pour l’hydrogène et les piles à combustible, et HYRAMP, les réseaux européen et national de la recherche sur l’hydrogène provenant en particulier du traitement des résiduels. Puisque de telles techniques sont également développées de manière spécifique en France, il me semble important de les mentionner.
Le nerf de la guerre, comme toujours, ce sont les finances, en l’occurrence la fiscalité appliquée à la politique des déchets. Pour être comprise et durable, cette fiscalité doit tenir compte de la situation et de l’état des techniques.
S’agissant plus particulièrement de la méthanisation par bioréacteur – chacun des membres du groupe a ses spécificités, et c’est de cet ensemble qu’il faut tirer « la substantifique moelle », comme on dit –, je m’interroge : ne faudrait-il pas orienter le dispositif de la TGAP vers une fiscalisation qui soit fonction de la qualité de la mise en œuvre, laquelle est directement liée à la technique employée, plutôt que de la production effective ?
Dans un autre domaine, la culture bio et son label sont soumis à un contrôle de production et de moyens, mais pas à un contrôle de résultats.
Pour le bioréacteur, la circulaire communiquée il y a huit mois aux services de l’État est totalement inapplicable, injuste, voire illégale. (Exclamations sur plusieurs travées.)
En effet, personne ne peut dire précisément quelle quantité de méthane sortira d’un casier ou d’un autre, selon la composition de son contenu, ni quantifier le potentiel de méthane inclus dans une tonne de déchets. C’est incontrôlable en l’état actuel des connaissances.
Or, si la quantité de biogaz produite est faible, cela peut tout de même dénoter de la part de la structure gestionnaire un effort insuffisant sur les moyens mis en œuvre pour un captage maximum du biogaz. Cependant, si cette faible quantité de biogaz obtenue est valorisée à 75 % ou plus, est-il acceptable que la réduction du tarif de la TGAP soit la même que lorsque le rapport entre la quantité de biogaz et la quantité de déchets est nettement plus élevé ?
Autrement dit, peut-être faudrait-il réfléchir à une taxe qui prenne en considération non pas les pourcentages produits, mais plutôt les moyens utilisés.
M. Roland Courteau. C’est sûr !
M. Jean-Marc Pastor. Par ailleurs, on est sorti du « bouclier fiscal » exonérant les unités d’incinération depuis la loi de finances pour 2009.
Cependant, si le dispositif applicable depuis lors est conçu de telle sorte qu’il privilégie certaines techniques et pénalise les centres de stockage – une position qui ne tient pas compte des performances d’autres systèmes ... –, je veux rappeler, une fois de plus, que cette technique constitue, elle aussi, une approche vertueuse du traitement des déchets ménagers.
Madame la secrétaire d’État, le rapport d’analyse de la TGAP, qui permettrait de prévoir une évolution des taux, pourra-t-il être diligenté en 2011, comme le propose la mission ? Si tel est le cas, sachez que nous sommes tout à fait disposés à vous accompagner dans cette démarche, et même à vous faire des propositions !
En tout état de cause, la fiscalité doit évoluer dès que possible afin d’être en phase avec l’actualité et la modernité, et devenir incitative pour toutes les approches vertueuses que nous connaissons aujourd’hui ! (Applaudissements sur la plupart des travées.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Muller.
M. Jacques Muller. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je salue le travail de la mission conduite par Dominique Braye et Daniel Soulage. Je me félicite de l’ambiance qui a prévalu au cours de nos travaux. Nos débats ont été francs, mais ouverts. Je tiens également à remercier les collaborateurs qui se sont investis dans la rédaction du rapport, véritable mine de données chiffrées.
J’en aborderai trois aspects qui m’ont conduit, in fine, à ne pas voter pour et à m’abstenir : l’incinération, les biodéchets et la facturation incitative.
La réhabilitation de l’incinération pose deux problèmes.
Le premier est l’occultation de la question ultra-sensible des lixiviats issus des traitements des fumées et des mâchefers, dont la dispersion dans l’environnement, notamment dans les ballasts, encore autorisée par la circulaire ministérielle « provisoire » de 1994, deviendra impossible en raison de l’amélioration programmée des normes européennes. À moyen terme, il faut prévoir une forte progression de leurs coûts de traitement, qui devrait nous conduire à fixer des objectifs optimaux de valorisation matière des déchets et à limiter au minimum l’incinération.
Le second problème est l’affirmation, tendancieuse, dirais-je, selon laquelle « les pays qui incinèrent le plus recyclent le plus ». En effet, si on analyse très précisément les chiffres figurant dans le rapport, notamment ceux qui concernent le Danemark, le Luxembourg et la France, on constate que le niveau de recyclage est indépendant du niveau d’incinération – et non proportionnel ! – et, a contrario, que le niveau d’incinération n’est corrélé, négativement, qu’avec celui de la mise en décharge, ce qui est logique.
L’incinération demeure donc une « facilité » conduisant à la création de surcapacités et à la fixation d’objectifs de recyclage timorés. Croyez-moi, c’est du vécu !
Je regrette, à cet égard, que M. le président de la mission commune d’information n’ait pas donné suite à ma proposition de rencontrer les élus du département du Haut-Rhin, dirigé par la majorité présidentielle. Ils auraient pu expliquer comment l’abandon du projet de construction d’un troisième incinérateur, sous la pression citoyenne de personnes parfaitement au fait des progrès possibles en termes de valorisation matière, a permis d’éviter de plomber les finances départementales et a conduit à changer radicalement de politique des déchets, notamment en matière de collecte sélective et de valorisation des biodéchets.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : ils dépassent les prévisions initiales ! Nous nous rapprochons des résultats allemands et les deux unités d’incinération préexistantes sont désormais en surcapacité.
Je maintiens que l’incinérateur, contrairement à ce qui est martelé dans le rapport, est un « aspirateur à déchets », s’il n’y a pas au préalable – j’insiste sur ces termes – une volonté politique forte de recycler de manière optimale, sans faux-fuyant.
Je regrette en outre que la mission ne se positionne pas clairement sur le traitement des biodéchets. Certes, je me félicite de ce qu’un virage ait été enfin pris par rapport aux unités de tri mécano-biologique, dites TMB. Celles-ci ont été mises quasiment hors jeu par l’évolution attendue, et souhaitable, des normes européennes et, par conséquent, par l’absence de débouchés agricoles pour des composts non issus de collectes sélectives des biodéchets : j’avais déposé un amendement en ce sens, refusé lors de la discussion du projet de loi Grenelle II.
Je constate que la roue tourne dans le bon sens ; tant mieux !
En revanche, si j’approuve la priorité donnée au traitement de proximité, notamment en milieu rural, je déplore la mise en garde par rapport aux collectes sélectives en milieu urbain. Pourquoi n’avoir pas donné suite à ma proposition d’étudier in situ le « modèle » allemand, à Fribourg notamment ? Il fonctionne parfaitement, y compris dans les grandes villes, dans l’habitat vertical, tout simplement parce qu’il bénéficie d’une longue expérience pratique de terrain : il fallait oser rencontrer « les premiers de la classe » ! Le Bade-Wurtemberg étant situé non loin du Haut-Rhin, on aurait pu faire d’une pierre deux coups...
Je voudrais conclure sur l’ambiguïté du rapport concernant la facturation incitative. Que celle-ci ne fasse que « réorienter les déchets sans les réduire » est une lapalissade. Il faut en effet agir autrement et fortement pour réduire les déchets à la source : ce doit être notre priorité absolue.
J’avais déposé deux amendements en ce sens, soutenus par Mme la secrétaire d’État et votés par le Sénat, portant sur l’éco-conception des produits et l’obligation pour les commerces de plus de 500 mètres carrés de gérer leurs déchets d’emballage. Hélas ! cette proposition a été quelque peu sabotée par l’Assemblée nationale, qui a porté ce seuil à 2 500 mètres carrés. En effet, si nous ne nous donnons pas les moyens d’agir à la source, c’est-à-dire sur la grande distribution, laquelle impose ses règles aux industriels, ces derniers auront du mal à progresser.
En tout état de cause, optimiser la valorisation matière via la facturation incitative permet de réduire à moyen terme, voire à court terme, la facture du traitement pour nos administrés, raréfaction et hausse des prix des matières premières obligent.
Je regrette, à cet égard, la présentation orientée faite dans le rapport, qui met en garde en caractères gras contre les risques « d’augmentation des coûts », et qui mentionne en tout petits caractères et en bas de page – comme dans les contrats d’assurance ! (sourires sur les travées du groupe socialiste) – cette information essentielle selon laquelle la hausse apparaît « souvent faible comparativement à la forte augmentation qui aurait pu être subie par les collectivités si elles n’avaient pas mis en place la facturation incitative alors que le coût de traitement des ordures ménagères augmentait très fortement ». Autrement dit, la facturation incitative permet, dans tous les cas, de baisser le coût relatif du traitement des déchets.
Il nous faut, me semble-t-il, changer notre regard sur ce que l’on appelait jusqu’à présent « déchets », et appréhender ceux-ci comme des ressources. Nos poubelles valent de l’or !
M. Dominique Braye, président de la mission commune d’information. J’échange mes poubelles contre des lingots ! (Sourires.)
M. Jacques Muller. Les élus doivent choisir, très clairement, entre deux solutions : soit ils abandonnent cette richesse aux groupes industriels qui harcèlent les élus pour la capter, comme je peux en témoigner ; soit ils donnent les moyens à nos administrés d’en bénéficier, sous forme de baisse ou de stabilisation de la facture.
Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, tout cela passe par la généralisation des comportements éco-citoyens, qui résultent de l’adoption de politiques intégrées reposant sur trois piliers indissociables : communication et sensibilisation, optimisation des collectes sélectives en porte-à-porte et gratification financière du geste de tri. Telles sont les leçons tirées du terrain ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Chantal Jouanno, secrétaire d’État chargée de l’écologie. Monsieur le président, monsieur le président de la mission commune d’information, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, l’organisation dans cet hémicycle d’un débat relatif au traitement des déchets est une excellente initiative, car, si peu de temps après le Grenelle de l’environnement, cette question suscite toujours, et légitimement, un grand intérêt. Elle n’est pas simplement technique, mais engage un véritable projet de société : les déchets ne sont que l’expression de notre modèle de consommation.
Je salue donc la démarche du groupe de l’Union centriste, qui est à l’origine de la création de cette mission commune d’information. Le débat me donne l’occasion d’apporter des réponses aux questions contenues dans ce rapport, qui a été adopté à l’unanimité des votants : je reconnais là le vif talent du président du groupe d’études sur la gestion des déchets, Dominique Braye !
La question a été vivement débattue pendant le Grenelle de l’environnement, à l’issue duquel nous avons fixé des objectifs jugés ambitieux par certains, mais dans tous les cas atteignables.
Où en sommes-nous aujourd’hui, peu de temps, je le répète, après l’adoption de la loi dite Grenelle II ?
Il nous reste encore à prendre une série de décrets, afin de rendre l’ensemble des dispositifs pleinement applicables. Certains de ces textes devront être pris à la fin de l’année ou en début d’année prochaine.
C’est le cas des décrets sur le diagnostic déchets réalisé préalablement à la déconstruction, sur la collecte séparée des biodéchets des gros producteurs, sur la planification et sur les trois nouvelles filières de responsabilité élargie des producteurs, dites filières REP.
C’est également le cas de l’ordonnance de transposition de la directive déchets.
Ensuite, nous avons modernisé l’encadrement des installations classées et consacrées à la gestion des déchets.
Dans le cadre du grand emprunt, désormais appelé « programme d’investissements d’avenir », nous consacrons 250 millions d’euros au développement de la filière recyclage.
Enfin, notre plan d’action gouvernemental sur la gestion des déchets 2009-2012 demeure toujours d’actualité.
S’agissant des conclusions du rapport de la mission commune d’information, je les rejoins sur plusieurs points.
Je suis d’accord avec vous, monsieur le rapporteur : il n’existe pas de solution miracle. Je sais l’engouement qu’ont pu susciter, à certaines périodes, le TMB ou les bioréacteurs. Permettez-moi de faire une mise en garde : quelles que soient les solutions retenues, il faut d’énormes moyens pour les faire fonctionner.
M. Jean-Marc Pastor. Exactement !
Mme Chantal Jouanno, secrétaire d’État. À défaut, les résultats seront catastrophiques.
Comme l’a rappelé M. Miquel, la solution dépend en réalité du territoire considéré : chaque territoire étant différent, il n’est pas possible d’appliquer un dispositif identique partout en France.
La solution dépend aussi du cycle global de la gestion des déchets. À cet égard, la clef du problème se trouve bien souvent dans la planification.
En application de la directive-cadre, les différents plans existants seront transformés en un plan régional de prévention et de gestion des déchets dangereux, un plan départemental de prévention et de gestion des déchets non dangereux, et un plan départemental de prévention et de gestion des déchets de chantier du bâtiment et des travaux publics.
Pour réaliser les objectifs fixés dans ces documents de planification, il nous faut bien évidemment définir les critères qui permettront d’identifier les bons projets. Les services de l’État, mais surtout l’ADEME formulent des avis, certes d’ordre général et national, sur les différentes techniques.
On demande souvent à l’ADEME d’intervenir directement et de manière précise auprès de chaque collectivité. Malheureusement, comme de nombreux services de l’État, elle n’a pas les moyens humains de le faire partout. C’est la raison pour laquelle elle émet essentiellement des avis.
Nous avons tous conscience, notamment le directeur général, qu’un vrai problème d’ingénierie se pose. Cela étant dit, l’Agence a très nettement augmenté ses aides à la décision auprès des collectivités locales, puisqu’elles sont passées, entre 2008 et 2009, de 2,2 millions d’euros à 4 millions d’euros. Par ailleurs, l’aide à l’identification des bons projets pourrait également se traduire, comme le souhaite Dominique Braye, par l’accroissement du nombre de scientifiques.
La question de la place des scientifiques doit certainement être posée dans l’ensemble de nos instances. La « méthode Grenelle » consiste, grâce à plusieurs collèges, à représenter l’ensemble des parties prenantes de la société civile afin qu’aucune ne l’emporte sur une autre et que l’on parvienne à un consensus, à des compromis, sans que rien soit imposé.
Cela ne signifie pas que les experts et les scientifiques n’y ont pas une place légitime. De fait, nous nous sommes largement appuyés, comme nous en avons l’obligation, sur l’ADEME, le CEMAGREF et l’INERIS pour élaborer nos politiques. Cependant, il y a sans doute des ajustements à réaliser au sein des différentes instances.
J’aborderai quelques pistes de réflexions communes.
Je commencerai par rappeler un élément d’ordre général : le débat d’aujourd’hui se focalise sur le traitement des déchets, autrement dit sur les solutions ultimes qu’il nous faut en effet envisager dans ce domaine. Depuis deux ans, l’ADEME tire la sonnette d’alarme sur le fait que, faute de décision, en matière d’incinérateurs ou de décharges, un grand nombre de départements se trouveront, à très court terme, sans solution de traitement. Les solutions de prévention et de recyclage sont longues à mettre en place, si bien que les difficultés affleureront rapidement.
Je souhaite ainsi revenir sur la question des incinérateurs et de leur dimensionnement. Le dimensionnement des incinérateurs à 60 % du volume de déchets produits sur un territoire n’a qu’un objectif, éviter ce qu’on a appelé les aspirateurs à déchets. Le Gouvernement, comme le Grenelle, n’a pas décidé d’un moratoire sur les incinérateurs. Il a cependant considéré que les incinérateurs ne pouvaient constituer l’unique solution de traitement des déchets, justifiant ainsi leur dimensionnement.
L’état des lieux initial nous conduisait à ne pas autoriser d’autres incinérateurs. Depuis, nous avons autorisé la construction de l’incinérateur Flamoval, ainsi que le démarrage d’un dispositif à Fos-sur-Mer, même si cela n’a pas été facile. En outre, l’ADEME vient de donner son accord au financement d’un incinérateur en Guadeloupe, où un réel besoin existe.
J’aborderai également la question des débouchés des matières valorisées. Il est primordial que nous parvenions à établir la Charte nationale sur la qualité des composts, ce que nous peinons à faire pour le moment. Toutefois, cela ne nous empêchera pas de prendre l’initiative d’éditer un guide pratique sur la qualité des composts. Je suis parfaitement en accord avec ce qui a été dit, il convient également d’anticiper sur les normes communautaires, plus sévères en la matière.
Je note également que la mission demande dans son rapport une réorientation, ou du moins une réévaluation du plan de soutien au compostage domestique, en faisant état des risques liés à cette pratique. Les réflexions engagées dans le cadre de cette fameuse Charte sur la qualité des composts doivent effectivement clarifier certains éléments et répondre aux interrogations.
Quant à l’amélioration de l’exploitation des installations de stockage, je vous propose, monsieur Pastor, d’en venir directement aux bioréacteurs !
M. Jean-Marc Pastor. Si vous voulez ! (Sourires.)
Mme Chantal Jouanno, secrétaire d’État. C’est un sujet que nous avons bien souvent évoqué ensemble. Nos services ont engagé une modification de la réglementation pour encadrer ces installations, renforcer le captage du biogaz et en favoriser la valorisation énergétique. Les travaux sont en cours, notamment sur l’équipement de captation et la durée de fonctionnement des casiers.
Cependant, il convient de garder à l’esprit qu’une telle installation ne peut fonctionner de façon pertinente que s’il existe un nombre important de déchets fortement biodégradables. Or la législation communautaire nous invite à limiter autant que possible la quantité de déchets biodégradables reçus en décharges. C’est là une contradiction délicate à résoudre ; nous y travaillons. Toutefois, vous devez comprendre qu’il ne sera pas possible d’aller très loin et qu’une telle solution n’est pas généralisable.
J’en viens au suivi du traitement final des déchets. D’après les chiffres dont nous disposons, la mise aux normes des incinérateurs a permis de diviser environ par mille la quantité de dioxines rejetées. Je rejoins toutefois M. Dubois sur la nécessité d’améliorer les contrôles, notamment par le contrôle en semi-continu des dioxines, et de favoriser la transparence absolue et l’information du public.
M. Dominique Braye, président de la mission commune d’information. Absolument !
Mme Chantal Jouanno, secrétaire d’État. C’est le seul moyen d’instaurer la confiance et d’appréhender ces sujets avec pragmatisme et objectivité.
La question des macrodéchets flottants, soulevée par M. Vestri, a été tout particulièrement abordée dans le cadre du Grenelle de la mer. Ses groupes de travail ad hoc ont permis de tracer une feuille de route spécifique. Un premier engagement a été pris, celui de faire un bilan, afin de connaître le volume exact des macrodéchets, du moins en France.
L’ADEME s’est attelée à la tâche et rendra son rapport d’ici à la fin de l’année, ce qui nous permettra d’identifier les modes de collecte à privilégier. Par ailleurs, la transposition de la directive-cadre doit permettre d’introduire la question des macrodéchets dans les outils de planification existants.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nombre d’entre vous ont entamé une réflexion plus large sur la fiscalité des déchets. Je vous propose d’entrer dans le vif du sujet, en évoquant trois points qui vous ont d’ailleurs réunis.
Premier point : la tarification incitative des déchets. Je rappelle l’engagement du Grenelle à mettre en place, dans ce domaine, une part variable. Nous œuvrons de concert avec le ministère de l’intérieur et celui du budget.
Je tiens à rassurer M. Milhau sur son application dans les zones rurales, notamment sur les outils à mettre en œuvre, comme le fichier des contribuables. L’ADEME a mis en place un système d’aides en matière d’outils préalables. Ensuite, les critères - nombre de levées, volume ou poids - varient en fonction des zones. Nous travaillons encore sur le sujet.
D’ailleurs, ne confondons pas la mise en place d’une tarification incitative complète et la prise en compte d’une part variable. Nous en avons bien conscience, la question de la tarification incitative, que nous évoquons depuis des années, est ardue. Mais nous connaissons également son efficacité, démontrée par diverses expérimentations au niveau local.
Le deuxième point concerne la fameuse TGAP.
Une modulation a été instaurée au travers de la création d’une TGAP incinération et de l’augmentation de la TGAP décharges. Elle a été introduite par la loi de finances pour 2009, précisément dans le but de modifier les équilibres actuels qui ne favorisent ni le recyclage ni la valorisation. N’oublions pas l’esprit dans lequel tout cela s’est fait : la modulation a été entreprise sur la base de comparaisons internationales.
J’estime que le dispositif voté, progressif et lisible, doit aujourd’hui être maintenu. Pour répondre à Mme Didier, je précise que, si TGAP incinération et TGAP décharges diffèrent, c’est pour éviter toute distorsion de prix in fine. Puisque certains prétendent que la TGAP incinération fait peser une charge insupportable sur les particuliers, je rappelle qu’elle est aujourd’hui de 4 euros la tonne et qu’elle devrait, à terme, atteindre 10 euros la tonne. Qui plus est, nous incluons également des modulations environnementales afin de prendre en considération des modes de transport innovants.
Le produit de la TGAP incinération couplé à l’augmentation de la TGAP décharges doit alimenter le fonds de soutien de l’ADEME. La question m’ayant été posée, j’indique que ces fonds retournent à 77 % aux collectivités territoriales, qui en sont bien les premières bénéficiaires. L’année passée, le plan de soutien de l’ADEME a été supérieur à la TGAP collectée, le produit de cette dernière ayant été inférieur au montant escompté.
Par ailleurs, il m’a été demandé s’il était possible d’avancer la date du bilan sur la TGAP à 2011. Il me paraît tout à fait incontournable, comme M. Braye l’a suggéré, de dresser ce bilan l’année prochaine, avant d’envisager toute proposition d’amendement, et ce afin de faire évoluer le dispositif si nécessaire, de manière parfaitement claire.
M. Dominique Braye, président de la mission commune d’information. Pas avant d’envisager un amendement, n’est-ce-pas ?
Mme Chantal Jouanno, secrétaire d’État. Non, monsieur le président ! Je suis persuadée, comme l’a dit M. Pastor, que vous aurez des tas de propositions à nous faire à cette occasion ! (Sourires.)
M. Jean-Marc Pastor. Exactement !
Mme Chantal Jouanno, secrétaire d’État. Le troisième point que je souhaitais évoquer porte sur le ré-agrément d’Éco-Emballages.
Pour déterminer les contributions, il importe de se fonder sur des analyses et des modes de calcul arrêtés en concertation, ou qui fassent en tout cas le moins possible débat.
Pour être tout à fait honnête avec vous, j’ignore si le bon montant est de 640, 610 ou 680 millions d’euros ! Toutefois, l’ADEME a mis au point une formule de calcul, à laquelle il me semble raisonnable de se fier. Par ailleurs, une clause de revoyure est proposée en 2013. Peut-être conviendra-t-il de l’avancer également, pour éviter toute contestation. Nous ne pouvons pas vivre dans la confrontation permanente !
À ce stade de nos réflexions, la formule de calcul proposée par l’ADEME me semble la plus sage ; aussi est-il préférable de la respecter. Nul ne peut prétendre, à un instant donné, que l’Agence n’est pas indépendante et, à un autre, qu’elle n’utilise pas la bonne formule de calcul ! Je le dis d’autant plus facilement que cela fait maintenant un certain temps que j’en suis partie.
Je rappelle également que trois nouvelles filières REP seront mises en place, venant compléter les sept filières qui existent depuis 1993. Cela représente une recette versée aux collectivités de 800 millions d’euros aujourd’hui et, à terme, de 1,2 milliard d’euros.
Il convient toutefois de prêter attention aux possibles récriminations des associations de défense des consommateurs, qui pourraient estimer que nous allons trop loin. Si les termes que j’emploie ne sont guère académiques, ils ont le mérite de souligner que les consommateurs pourraient un jour être tentés de remettre en question notre démarche.
Cela étant dit, sur Éco-Emballages, il me semble raisonnable de réaliser rapidement des évaluations afin de vérifier que nous remplissons bien l’objectif de 80 % de prise en compte des coûts.
Pour conclure, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais reprendre ce qu’ont souligné plusieurs d’entre vous, notamment MM. Dubois, Soulage et Braye : le Grenelle a fixé des objectifs ; pour les tenir, adaptons les moyens, soyons pragmatiques, car il n’y a pas de solution unique dans le domaine du traitement des déchets ! La meilleure solution consiste, dès lors, à multiplier les évaluations issues d’instances le plus indépendantes possible.
Sachez que la direction générale, au sein du ministère, est entièrement à votre service sur ces sujets et que nous partageons vos convictions ! (Applaudissements sur la plupart des travées.)
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur les conclusions de la mission commune d’information sur le traitement des déchets.
Nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures, est reprise à vingt-deux heures, sous la présidence de Mme Catherine Tasca.)
PRÉSIDENCE DE Mme Catherine Tasca
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
8
Démission d’un sénateur
Mme la présidente. M. le président du Sénat a reçu de M. Jean-Claude Etienne une lettre par laquelle il remet son mandat de sénateur de la Marne, à compter de ce soir, mardi 2 novembre 2010, à minuit, dans la mesure où ce mandat est incompatible avec la qualité de membre du Conseil économique, social et environnemental.
Acte est donné de cette décision, qui prendra effet ce soir, à minuit.
M. le ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales a fait connaître à M. le président du Sénat que, en application de l’article L.O. 320 du code électoral, Mme Mireille Oudit remplacera, à compter du mercredi 3 novembre 2010, à zéro heure, en qualité de sénatrice de la Marne, M. Jean-Claude Etienne.
9
Demande de modification de l’ordre du jour
Mme la présidente. Par courrier en date du 2 novembre 2010, M. Jean Pierre Bel, président du groupe socialiste, a retiré de l’ordre du jour de l’espace réservé à son groupe le 16 novembre 2010 l’examen de la proposition de loi relative à l’aide active à mourir.
Il demande, en remplacement, l’inscription à l’ordre du jour de la proposition de résolution n° 674 (2009-2010), présentée en application de l’article 34-1 de la Constitution, relative aux enfants franco-japonais privés de liens avec leur parent français en cas de divorce ou de séparation, déposée le 13 juillet 2010.
Cette demande a été communiquée à M. le Premier ministre, en application de l’article 4 de la loi organique no 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution et de l’article 50 ter de notre règlement.
Cette proposition de résolution ne pourra être inscrite, au plus tôt, que quarante-huit heures après cette demande.
10
Saisine du Conseil constitutionnel
Mme la présidente. M. le président a été informé, par lettre en date du 2 novembre 2010, par le président du Conseil constitutionnel que celui-ci a été saisi d’une demande d’examen de la conformité à la Constitution par plus de soixante députés et soixante sénateurs de la loi portant réforme des retraites.
Acte est donné de cette communication.
Le texte de ces saisines du Conseil constitutionnel est disponible au bureau de la distribution.
11
Débat sur la participation de la France au budget de l’Union européenne
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat sur la participation de la France au budget de l’Union européenne.
La parole est à M. le rapporteur spécial. (M. Jacques Blanc applaudit.)
M. Denis Badré, rapporteur spécial de la commission des finances. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, dorénavant examinée en amont de la discussion budgétaire, la contribution française au budget communautaire conserve la forme d’un prélèvement sur les recettes de l’État voté chaque année lors de la discussion du projet de loi de finances.
L’article 46 du projet de loi de finances pour 2011 évalue ainsi ce prélèvement à 18,235 milliards d’euros, c'est-à-dire un montant assez proche de celui qui avait été voté pour 2010, puisqu’il n’enregistre une hausse que de 82 millions d’euros, soit de 0,5 %.
Pour le situer tout de suite plus globalement, je précise que ce prélèvement représente environ 6 % de nos recettes fiscales et un sixième du budget européen, lequel, rappelons-le, est de l’ordre de notre déficit. Cette remarque, intéressante à plus d’un titre, a déjà été formulée et signifie que le budget européen n’est donc pas si important que certains le soutiennent ou que le déficit est trop élevé.
En l’état actuel du système budgétaire européen, nous devons nous limiter à voter ou refuser ce prélèvement. Nous n’avons à discuter ni de son montant, dont le calcul découle des traités, ni de l’usage qui en sera fait, aux mains du Parlement et du Conseil européens, qui, par codécision, adopteront les dépenses correspondantes. Je reviendrai sur ce point.
Mes chers collègues, pour vous inviter à adopter ce prélèvement le moment venu, autrement dit lors de l’examen de l’article 46 du projet de loi de finances pour 2011, j’ajoute simplement qu’un refus ouvrirait une crise européenne dont l’Union n’a certainement pas besoin. De surcroît, une crise ouverte par la France ne servirait ni nos intérêts ni notre image en Europe.
Je vais, bien sûr, évoquer tout de même ce qui se joue derrière ce prélèvement, même si ce n’est pas vraiment le lieu. Au-delà de son montant, son utilisation nous intéresse également. Je souhaite aussi vous donner notre sentiment, monsieur le secrétaire d’État, à propos des négociations en cours sur le budget européen et autour de ce budget, deux points d’importance au moins égale. Ce faisant nous pensons bien être toujours dans notre rôle de membres du Parlement national.
L’Europe, nous le disons souvent, c’est « nous » !
« Nous », ce sont les Européens, unis par un intérêt commun supérieur autour duquel la Commission bâtit son avant-projet, que les codécideurs – Parlement et Conseil européens – sont chargés de prendre en compte.
« Nous », ce sont aussi les Français, qui s’expriment par votre voix au Conseil européen, pour faire prendre en compte l’intérêt national à côté de l’intérêt commun.
« Nous », c’est donc bien alors aussi le Parlement national, appelé à dialoguer avec vous à la veille de nouvelles discussions communautaires.
Au demeurant, si le traité de Lisbonne a consacré le rôle et la responsabilité des Parlements nationaux au regard de la construction européenne, ce n’est pas parce que les membres de ceux-ci seraient plus proches des citoyens que les députés européens, même si telle est la vérité. À l’évidence, la question de la subsidiarité, donc de la répartition et de l’équilibre des compétences entre l’Union et ses États membres, concerne autant les Parlements nationaux que le Parlement européen. Ce fait a été reconnu dès le lendemain de l’adoption du traité de Lisbonne.
Mais il doit être également clair que, aujourd’hui, lorsque l’Union européenne se penche sur les questions de défense – et il faut qu’elle le fasse –, ce sont bien toujours les Parlements nationaux qui demeurent compétents et contrôlent des actions qui restent celles des États. Il en va de même chaque fois qu’il y a mutualisation d’actions, lorsqu’il s’agit des budgets nationaux, de leur coordination, voire de leur « surveillance », ou encore lorsqu’il s’agit de garantir les dettes souveraines des États. Nous avons pu le constater au printemps : ce sont bien des lois de finances rectificatives nationales qui ont permis à l’Europe de soutenir la Grèce, puis de créer le Fonds européen de stabilisation financière ! C’est donc en se sentant totalement impliqués que les Parlements nationaux suivent les travaux engagés pour voir dans quelles conditions le fonds susvisé peut être pérennisé et s’il est possible de mettre en place un dispositif durable de lutte contre les crises.
La question de la solidarité financière a toujours été au cœur des débats européens. Elle était même affichée comme l’un des trois principes de la PAC, la politique agricole commune. Il n’est pas surprenant qu’elle soit centrale maintenant que nous disposons d’une monnaie unique. En revanche, il est étonnant qu’il ait fallu attendre quinze ans pour revenir sur ce sujet depuis l’adoption du traité de Maastricht ! Alors, la solidarité est bien sûr de mise, mais à condition que ce soit pour partager les exigences de façon constructive, non pour abriter durablement ceux qui seraient tentés de s’en affranchir.
C’est dans ce contexte animé que je propose de faire le point sur la négociation du budget pour 2011.
Elle constitue le premier exercice de mise en œuvre de la nouvelle procédure prévue par le traité de Lisbonne, qui a introduit trois grandes innovations : suppression de la distinction entre dépenses obligatoires et non obligatoires, point important pour la PAC ; suppression des deux lectures du budget par le Parlement et le Conseil au profit d’une seule par chacune des institutions ; création d’un comité de conciliation, chargé d’élaborer un projet commun en cas de désaccord entre le Conseil et le Parlement. Nous avons déjà eu un échange sur ce point, mardi dernier, monsieur le secrétaire d’État, lors de notre débat préalable au Conseil européen des 28 et 29 octobre derniers.
Le prélèvement de 18,235 milliards d’euros a été déterminé au printemps, sur la base de l’avant-projet de budget de la Commission. Celui-ci fixait les crédits d’engagement à 142,57 milliards d’euros, en augmentation raisonnable de 0,8 % par rapport à 2010, et les crédits de paiement à 130 milliards d’euros, en progression beaucoup moins raisonnable de 5,8 %.
Le projet révisé par le Conseil, le 12 août, se voulait plus rigoureux, ramenant la hausse de 0,8 % à 0,2 % pour les crédits d’engagement et de 5,8 % à 2,9 % pour les crédits de paiement, les mêmes 2,9 % qui font aujourd’hui l’actualité et furent au centre des discussions de vendredi dernier au Conseil.
Contrairement aux années précédentes où la position du Conseil était adoptée par consensus, le compromis préparé par la présidence belge a été arrêté à une très courte majorité qualifiée, sept États – Royaume-Uni, Autriche, Pays-Bas, Danemark, Finlande, Suède, République tchèque – réunissant 88 voix votant contre, la minorité de blocage étant de 91, la France , pour sa part, souhaitant avec l’Allemagne qu’une issue puisse être trouvée sans pour autant méconnaître les motivations des sept États minoritaires.
Le Parlement européen, intervenant à son tour le 20 octobre, a souhaité revenir à des propositions proches de l’avant-projet de la Commission, en particulier au regard des ouvertures de crédits de paiement. Cette position, plutôt satisfaisante, n’était cependant pas complètement attendue. Un vrai consensus, assez naturel, devrait donc pouvoir se dégager à partir de l’idée simple selon laquelle le budget de l’Union doit participer aux efforts nationaux d’assainissement des finances publiques de chaque État.
Oui, sans doute ! Toutefois il convient de prendre en considération le fait que, en contrepartie d’une hausse ainsi limitée, le Parlement européen exige du Conseil l’ouverture d’une procédure de négociation, dès l’année prochaine, sur la réforme des ressources propres. On retrouve ainsi posé le problème de fond du budget européen, celui de sa structure.
Comme je l’ai déjà indiqué un certain nombre de fois à cette tribune en présentant, en ma qualité de rapporteur spécial, les budgets successifs de l’Union européenne ces dernières années, le budget européen voit ses dépenses arrêtées par codécision du Conseil et du Parlement européens, tandis que 85 % environ de ses recettes proviennent des Parlements nationaux, au travers de leurs contributions. Dans ces conditions, comment mettre en œuvre, en toute clarté, le principe du consentement à l’impôt, base de toute vie démocratique, avec un budget dont les recettes et les dépenses sont fixées par des autorités politiques différentes ?
Une telle situation pousse très naturellement les États – c’est bien fâcheux – à adopter une attitude assez peu communautaire : comme ils cotisent, ils veulent s’assurer d’« en avoir pour leur argent », si j’ose dire. Mme Thatcher l’affirmait déjà voilà quelques années.
Une telle attitude fait disparaître l’intérêt commun derrière les intérêts nationaux parmi lesquels seuls sont pris en considération ceux qui sont localisables dans tel ou tel pays. C’est l’Europe en miettes, l’Europe du « chacun pour soi ». C’est la négation de l’Union européenne.
J’insiste de nouveau en cet instant sur la faiblesse de telles analyses. En effet, à qui profite l’investissement réalisé dans un pays avec les moyens des autres ? Où doit-il être comptabilisé ? Dans le pays où il est effectué ou dans les États originaires des fonds ?
À qui profitent les investissements réalisés au niveau des stations de réseaux transeuropéens – dans une gare ou un aéroport –, par construction appelés à être largement utilisés par d’autres que les nationaux de l’étape ?
La PAC n’a-t-elle pas été créée non seulement pour des agriculteurs dont on connaît le pays d’installation, mais aussi pour l’ensemble des consommateurs européens ? On ne le rappelle jamais assez !
M. Jacques Blanc. Eh oui !
M. Denis Badré, rapporteur spécial. Pourquoi classer par pertes et profits des acquis, comme la libre circulation ou l’ouverture des États, certes non localisables, qui sont sans prix mais non sans intérêt ?
Lorsque l’on fait le bilan de la construction européenne, enfin, faut-il vraiment citer seulement pour mémoire les valeurs d’intérêt évidemment général qui restent sa finalité : la liberté et la paix, l’État de droit, la démocratie et les droits de l’homme ? Chaque pays ne devrait-il pas en comptabiliser au moins une petite partie lorsqu’il calcule son « retour sur investissement européen » ? Évidemment, je plaisante, mais c’est afin de mieux montrer les limites des analyses fondées sur ces formules détestables de « retours nets ».
Eu égard à la priorité qui doit être donnée aux dépenses inspirées par la stratégie Europe 2020, le débat sur la réforme des ressources propres devrait interférer avec la discussion générale qui devrait maintenant être engagée très rapidement sur les perspectives budgétaires 2014-2020.
D’ailleurs, ce n’est pas forcément une mauvaise chose, à condition de ne pas charger excessivement la barque en visant trop d’objectifs à la fois et de conserver un grand souci de cohérence, à condition aussi d’en revenir toujours à l’essentiel, aux principes.
Parmi les pistes envisagées par la communication du 19 octobre de la Commission sur le réexamen du budget de l’Union figurent une taxe sur les transactions financières, un impôt sur les sociétés, l’utilisation de nouvelles recettes liées aux politiques de lutte contre les changements climatiques, une TVA européenne, sachant que la TVA est le seul impôt dont les bases sont aujourd’hui harmonisées et que, si cette idée était retenue, il resterait à déterminer la fraction de cet impôt qui serait affectée à l’Union européenne.
Sur l’ensemble de la question de l’impôt européen, Alain Lamassoure et les membres de la commission des budgets qu’il préside au Parlement européen ont déjà beaucoup travaillé. Ils l’ont fait avec le souci constant de nous associer à leurs réflexions. Nous ne partons donc pas de rien, sachant qu’en aucun cas l’Europe ne doit apparaître à la source d’impôts supplémentaires.
Le ministre fédéral des finances allemand, Wolfgang Schäuble, nous a une nouvelle fois mis en garde tout à l’heure. Nous devons réfléchir à l’impôt européen avec toute la sagesse voulue et en prenant tout le recul nécessaire pour éviter de le rendre contre-productif.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Oui !
M. Denis Badré, rapporteur spécial. Le vrai sujet de fond, à cet égard, est celui de la répartition de l’imposition entre les États et l’Union. Si impôt européen il y a, il faudra moins d’impôts nationaux. Cette répartition est forcément liée à celle des compétences entre les États et l’Union.
On en revient à la subsidiarité, autre sujet central avec la solidarité, sur lequel nous n’avons fait qu’une petite partie du chemin, car il reste beaucoup à faire.
M. Roland Courteau. Oui !
M. Jacques Blanc. C’est sûr !
M. Denis Badré, rapporteur spécial. On en revient toujours à la question de l’organisation du dialogue – n’est-ce pas, monsieur le président Bizet ? –, d’une part, entre les Parlements nationaux, et, d’autre part, entre le Parlement européen et les Parlements nationaux.
Avec le souci de ne pas créer de nouvelles institutions, la COSAC, la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires et européennes des Parlements de l’Union européenne, s’est longuement penchée sur ce vrai sujet la semaine dernière, vous en avez certainement le souvenir.
Je formulerai maintenant quelques remarques sur le montant du prélèvement.
Nous pouvons déjà nous attendre à ce qu’il dérive d’ici à l’exécution 2011. Des ouvertures nouvelles en crédit de paiement seront intervenues, comme c’est toujours le cas, la vie continue… Je le disais, le prélèvement affiché dans l’article 46 a été calculé au printemps, sur la base de l’avant-projet du budget de la Commission, et surtout, sur une estimation de ce que pourra être la part de produit national brut de la France dans la répartition des PNB de l’ensemble des États.
Tout cela est appelé à évoluer, comme toujours, d’année en année.
Ainsi, en 2007, le prélèvement inscrit en loi de finances initiale avait été surestimé de plus de 1,5 milliard d’euros, près de 10 % de son montant. Ce n’est pas négligeable.
En 2008, est apparue, au contraire, une sous-estimation, de 300 millions d’euros. En 2009, il s’agissait de nouveau d’une sous-estimation, de plus d’un milliard d’euros. Et en 2010, le prélèvement a été surestimé de 264 millions d’euros.
Tout cela pour dire que l’estimation du prélèvement mériterait d’être moins mouvante et moins opaque. Il y a sans doute ici aussi, monsieur le secrétaire d’État, un chantier à ouvrir pour que les États acceptent de meilleure grâce d’apporter leur contribution et ainsi de miser vraiment sur l’Europe.
Autorisez-moi, mes chers collègues, à tomber, en passant seulement et pour très peu de temps, dans le défaut des analyses en retours nets que je stigmatisais à l’instant. Puisque tout le monde utilise cette démarche, je suis obligé de le faire à mon tour, ne serait-ce que pour nous situer. Tant que le budget européen est ce qu’il est, nous sommes malheureusement condamnés à tomber dans ce travers.
La France devrait demeurer en 2011 le deuxième contributeur au budget communautaire, derrière l’Allemagne, sa part semblant, enfin, se stabiliser, après avoir subi une crue liée au nouveau mode de calcul du chèque britannique. Je rappelle, au passage, que ce sujet n’est pas marginal, puisque notre participation est tout de même de l’ordre du milliard, pour financer un chèque d’environ 5 milliards d’euros.
Notre pays remplace l’Espagne au rang de premier pays bénéficiaire, en recevant près de 13 % des dépenses de l’Union, cette situation tenant essentiellement au poids de la politique agricole commune.
Mes chers collègues, j’attire toutefois votre attention sur le fait que, si la France reste le premier bénéficiaire de la PAC en valeur absolue, elle n’apparaît qu’au cinquième rang si l’on considère les retours par habitant, lesquels se situent à moins de la moitié de ceux qui sont reçus par l’Irlande.
Il n’est sans doute pas inutile de rappeler cette réalité. Elle permet de relativiser un certain nombre de débats et de ne pas toujours nous installer dans la situation de celui qui est montré du doigt comme le vilain petit canard.
M. Roland Courteau. Tout à fait !
M. Denis Badré, rapporteur spécial. De même, si la France est aujourd’hui le troisième contributeur net au budget communautaire en volume, elle n’en est que le huitième en pourcentage du revenu national brut. Sachons faire dire aux chiffres ce qu’ils signifient vraiment et ne nous laissons pas entraîner dans de mauvaises comparaisons.
Je ferai une autre observation : alors que se pose la question du calibrage du budget européen, il est indispensable de procéder à un examen méticuleux des politiques communautaires.
L’Europe doit dépenser mieux. Nous avons besoin d’un budget communautaire aussi ambitieux que rigoureux, à la hauteur des enjeux de stabilisation conjoncturelle, de compétitivité, de recherche et de formation, de cohésion intérieure et de rayonnement extérieur.
Par exemple, la réflexion très pratique que nous avons engagée sur les relations entre les politiques européennes et nationales de recherche, entre notre BCRD national et le PCRD européen, doit être approfondie.
Vaut-il mieux apporter à la recherche un euro de plus directement au niveau national, au travers du budget français, ou par le biais du budget européen et notre contribution à celui-ci ? Voilà encore une vraie question.
Il convient surtout de renforcer la mise en œuvre vigilante du principe de subsidiarité, au regard duquel devraient être systématiquement examinés le budget, le fonctionnement et les politiques de l’Union européenne.
Je cite, enfin, le travail réalisé l’année dernière, au nom de nos commissions des finances et des affaires européennes, par votre serviteur, sur la multiplication des agences européennes. En partant de cette question particulière, la résolution adoptée par le Sénat le 13 novembre 2009 plaidait pour une amélioration de l’efficacité de la dépense publique européenne.
Vous savez, monsieur le secrétaire d’État, qu’en plein accord avec vous je n’abandonne pas cette réflexion puisque, avec un mandat du Gouvernement, cette fois, je vais aller visiter l’Agence des droits fondamentaux de Vienne, qui dispose d’un budget de 20 millions d’euros, sans que l’on voie complètement jusqu’ici ce qu’elle apporte à côté du Conseil de l’Europe, de son Comité des ministres et de son Assemblée parlementaire, de son Commissaire et de sa Cour européenne des droits de l’homme.
Là aussi, si l’on dispose vraiment de 20 millions d’euros – ce qui reste à prouver –, seront-ils mieux utilisés au travers de la création ex nihilo d’un nouvel organisme, ou par l’abondement des moyens affectés à celui qui existe déjà pour faire la même chose ?
J’ajouterai un mot sur les contributions subies par la France à la suite de refus d’apurements communautaires ou d’amendes. M. le président de la commission des finances le dit toujours, on ne sera jamais assez vigilant pour les éviter.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Oui !
M. Denis Badré, rapporteur spécial. Monsieur le secrétaire d’État, je me suis attaché à montrer combien notre Parlement national se sentait concerné par l’ensemble des sujets qui sous-tendent l’actuelle négociation budgétaire européenne. C’est aussi notre affaire, en plus d’être celle du Parlement européen et du Conseil.
Nous sommes concernés sur les débats ouverts ou à ouvrir sur les ressources propres et l’impôt européen, sur les perspectives financières 2014-2020, sur les montants et la structure des budgets à y inscrire, sur le devenir du Fonds européen de stabilisation financière et, plus généralement, sur tout ce qui touche à la définition et à la construction de solidarités financières durables, hors desquelles l’Europe risque de se chercher longtemps.
L’agenda est chargé. Attachée qu’elle est à la construction européenne, notre Assemblée entend assumer ses responsabilités européennes, désormais consacrées par le traité de Lisbonne. Le président Bizet le soulignera certainement.
Pour conclure, mes chers collègues, je vous recommanderai, le moment venu, lorsque l’article 46 du projet de loi de finances sera soumis à votre vote, de bien vouloir l’adopter. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, 2010 restera sans doute dans les annales comme une année particulièrement mouvementée, mais qui aura vu la construction européenne accomplir en quelques mois, en matière économique, des progrès plus rapides que depuis plusieurs années.
Elle a, en effet, commencé avec la crise grecque, qui, risquant de dégénérer en crise systémique, a suscité de fortes inquiétudes sur la stabilité de la zone euro. L’Europe s’est fait très peur. Fidèles à l’héritage de Jean Monnet, les dirigeants européens, contraints par l’urgence, se sont finalement ressaisis et, après moult tergiversations, ont fait prévaloir la solidarité entre les États membres.
Cette crise a paradoxalement créé un contexte favorable à la réforme de la gouvernance économique de l’Europe, dont les lacunes ont été mises en évidence de façon flagrante. Elle aura permis de renforcer la surveillance budgétaire et macroéconomique des États membres et de mieux coordonner leurs politiques économiques.
Aussi devons-nous nous féliciter de l’accord auquel le Conseil européen des 28 et 29 octobre derniers est parvenu. Ses conclusions, brèves, influencées par la déclaration franco-allemande de Deauville du 18 octobre, procèdent à une réforme ambitieuse de la gouvernance économique en Europe.
Le Conseil européen fait sien le rapport du groupe de travail du président Van Rompuy sur ce sujet. L’automaticité des sanctions sera subordonnée à la maîtrise politique de la procédure pour déficit excessif par les États membres.
Le Conseil européen a entériné le principe d’une modification limitée du traité devant intervenir à la mi-2013, au plus tard, afin d’établir un mécanisme permanent de gestion de crise pour préserver la stabilité financière de la zone euro, l’existence du Fonds européen de stabilisation financière institué en mai dernier étant limitée à trois ans.
La clause de non-renflouement des États membres contenue dans le traité ne sera pas modifiée, cette précision ayant été apportée afin de tenir compte des contraintes constitutionnelles allemandes. En revanche, la question des sanctions politiques, c’est-à-dire la suspension des droits de vote de l’État membre qui violerait gravement le pacte de stabilité et de croissance, a été écartée.
L’année 2010 marque également le début des négociations en vue des prochaines perspectives financières pour l’après-2013. Ne nous le cachons pas, ces négociations seront extrêmement difficiles.
Les débats sur le projet de budget de l’Union européenne pour 2011, le premier à être soumis à la nouvelle procédure résultant du traité de Lisbonne, augurent déjà des difficultés à venir.
Alors que cette nouvelle procédure budgétaire requiert la coopération pour se rapprocher du compromis final, les positions de chacun sont plus que jamais divergentes – M. le rapporteur spécial nous les a rappelées –, ce qui fait peser une incertitude sur l’adoption du budget.
Certes, le Parlement européen est prêt à accepter une hausse très limitée du budget 2011 pour tenir compte du climat d’austérité. Ainsi, pour la première fois depuis vingt ans, il n’envisage pas de dépasser les plafonds prévus dans les rubriques de dépenses.
Mais, en contrepartie, le Parlement européen veut avoir des assurances sur le financement futur des politiques européennes. Concrètement, il cherche à obtenir une double avancée : d’une part, une révision du cadre financier actuel afin de tenir compte des nouvelles compétences européennes introduites par le traité de Lisbonne ; d’autre part, l’ouverture par le Conseil d’un débat sur la réforme des ressources propres susceptibles d’alimenter le budget européen, sur la base de la communication que la Commission a présentée le 19 octobre dernier sur le réexamen du cadre financier.
Notre collègue Denis Badré l’a précisé tout à l’heure, nous avons eu, grâce notamment au président Larcher et au président Arthuis, un échange avec M. Schäuble, le ministre fédéral allemand.
En effet, le Parlement européen critique depuis plusieurs années la part prépondérante que représentent les contributions nationales dans le financement de l’Union européenne, qu’il estime inadaptée. Permettez-moi toutefois de rappeler que le Parlement européen n’est pas compétent en matière de ressources propres.
La Commission a proposé l’introduction de nouvelles ressources propres appelées à remplacer progressivement les contributions nationales, en particulier une taxation européenne du secteur financier, des recettes tirées par l’Union européenne de mises aux enchères dans le cadre du système d’échanges de quotas d’émissions de gaz à effet de serre, une redevance européenne liée au transport aérien, une TVA européenne, une taxe européenne sur l’énergie et un impôt européen sur les sociétés.
Comme les échanges que nous avons eus avec M. Schäuble le laissent augurer, il faudra encore beaucoup de temps avant d’avoir un projet concret sur la table.
Ces pistes de travail évoquent naturellement le thème d’un impôt européen, qui a pour principale caractéristique de faire l’unanimité contre lui dans les capitales des grands États membres, notamment Londres, Berlin et Paris, où une telle idée est jugée « parfaitement inopportune ».
Il est donc fort peu probable que la position des États membres sur ce point évolue. Vous me contredirez si nécessaire, monsieur le secrétaire d’État.
À l’évidence, les positions en présence paraissent pour l’instant irréductibles et suscitent bien des inquiétudes, à un double niveau.
À court terme, que se passera-t-il si le budget 2011 n’est pas adopté avant la fin de l’année ? Le recours aux douzièmes provisoires, fondés sur le budget 2010, se traduirait par une diminution réelle des crédits alloués aux politiques européennes. J’ajoute que le Service européen pour l’action extérieure, le SEAE, ne serait pas financé.
À moyen et long termes, nous ne voyons pas encore de terrain de compromis possible pour les futures perspectives financières, alors que des questions comme la politique agricole commune, la politique de cohésion ou encore la ristourne britannique sont abordées de façon souvent passionnelle, dans un contexte marqué par l’impossibilité, compte tenu des contraintes budgétaires nationales, d’accroître la taille du budget européen.
Sur tous ces sujets, monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous apporter des précisions ? (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Simon Sutour.
M. Simon Sutour. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat qui nous réunit ce soir intervient dans des circonstances particulières, au lendemain d’un Conseil européen qui, sous couvert d’une « nouvelle gouvernance économique », entérine de fait une politique d’austérité à courte vue pour l’Europe et attentatoire aux principes fondateurs de la légitimité du projet européen.
Comme nous l’avions redouté, les États membres, sous l’impulsion de la France et de l’Allemagne, ont approuvé le durcissement du respect des conditions du pacte de stabilité. Une telle priorité n’a pas de sens, surtout si les sanctions viennent peser sur des pays déjà surendettés. À un mécanisme coercitif, nous aurions préféré un mécanisme préventif fondé sur la responsabilité, la solidarité et les choix collectifs, en cohérence avec l’idée même du projet européen. Quelle est donc cette Europe qui retire des droits de vote ou des fonds structurels à des pays en difficulté ?
Sous le prétexte de contraintes budgétaires nationales renforcées, onze États membres, sous la houlette de la Grande-Bretagne, ont négocié le refus non seulement d’une augmentation du budget pour 2011, mais de toute modification future du plafond du cadre financier.
Comme nous l’avions souligné non seulement au mois de juin, mais également la semaine dernière lors du débat préalable au Conseil européen, on a mis la charrue avant les bœufs en faisant des sanctions le préalable à l’élaboration d’une gouvernance économique commune. Une modification du traité pour ces seules sanctions n’a pas de sens si le pacte de stabilité n’est pas réformé en profondeur. Nous regrettons ainsi une vision extrêmement réductrice de ce que pourrait être une véritable gouvernance économique commune, porteuse de croissance et d’emploi pour les Européens.
En définitive, le budget européen 2011 est non pas un budget de crise, mais un budget en crise. À quelques mois de l’ouverture des négociations sur le futur cadre financier de l’Union, la seule perspective que proposent les États membres est de déshabiller Pierre pour habiller Paul.
Pourtant, les politiques d’austérité généralisées pour lesquelles ont opté la majorité des États membres de l’Union ne devraient pas paralyser tout débat sur le budget européen annuel, ni, aujourd’hui, sur les travaux préliminaires de révision du cadre financier. Ou alors, c’est que les États membres ont perdu toute foi en l’Union et en ses capacités à soutenir leurs actions.
À l’opposé de la vision du Conseil européen, trois paramètres sont aujourd’hui à prendre en compte pour l’élaboration de ce nouveau cadre financier.
Le premier est l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, qui offre des compétences renforcées, notamment en matière de politique énergétique commune et d’asile.
M. Jacques Blanc. Et de cohésion territoriale !
M. Simon Sutour. En effet, monsieur le sénateur de la Lozère !
Ce sont bien les États membres qui en ont décidé ainsi. Cela signifie qu’ils étaient prêts à envisager une augmentation des moyens financiers.
Le deuxième paramètre est le lancement de la stratégie 2020, qui nécessite de lourds investissements. Ne croyons pas que, comme pour la stratégie de Lisbonne, les États membres pourront eux-mêmes financer l’intégralité de ces nouveaux objectifs. L’échelon européen est indispensable si l’on veut disposer de politiques de frappe en matière climatique, environnementale, industrielle, de recherche et d’innovation. Je pense que nous serons d'accord sur ce point, mes chers collègues.
Le troisième paramètre est le niveau de la dette publique en Europe, à cause duquel les États membres se déclarent dans l’impossibilité d’augmenter leur contribution au budget européen.
Monsieur le ministre, vous avez vous-même affirmé que l’augmentation de la contribution française dans le cadre des prochaines perspectives financières n’était « pas viable ». Et la position commune franco-allemande adoptée au mois d’août dernier s’oppose, en substance, à l’augmentation du budget européen et à l’éventualité de taxes à l’échelle de l’Union pour combler le manque de financements.
Alors, que comptez-vous faire ? Que comptez-vous proposer ? Nous prenons acte de ce constat, mais nous estimons que vous ne pouvez pas vous en tenir à une telle déclaration, à nos yeux inacceptable.
M. Roland Courteau. En effet !
M. Simon Sutour. Nous sommes tous d’accord pour dire qu’il faudra nécessairement dépenser mieux, sans pour autant condamner certaines politiques. Mais il faut aujourd’hui envisager sérieusement de nouvelles ressources propres.
Même s’il s’agit d’un sujet que nous abordons depuis longtemps dans notre hémicycle, le nouveau pouvoir du Parlement européen en la matière n’est pas étranger à la pression nouvelle exercée aujourd’hui sur la Commission et les États membres pour aborder enfin, véritablement, la question des ressources propres.
Les États membres ne doivent pas non plus se tromper de débat ou, plutôt, ignorer la réalité. Ce qu’il faut envisager, ce n’est pas de gérer les politiques avec ce dont on dispose. Il faut être beaucoup plus ambitieux que cela, en programmant les besoins croissants des États membres en matière de politique de soutien.
On ne peut pas, d’un côté, paraître ambitieux – je pense à la volonté manifestée d’avoir une véritable stratégie industrielle européenne – et, de l’autre, opposer une fin de non-recevoir à un accroissement des moyens.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Simon Sutour. S’il n’est pas acceptable de réduire les crédits européens, il faudra prévoir de nouvelles ressources propres communautaires, lorsqu’on sait que le budget est alimenté à 85 % par les contributions des États membres.
À mon sens, il est important d’avoir un débat sur ces ressources qui soit désolidarisé du reste de la réflexion. Nous aurions bien sûr préféré qu’un tel débat ait été considéré comme un préalable par la Commission. Néanmoins, nous nous réjouissons que le document de réflexion aujourd’hui publié force les États membres à aborder ces nouvelles perspectives et à prendre position sur celles-ci.
En tant que parlementaires nationaux, nous pouvons toujours débattre sur les ressources propres, et même nous entendre. Nous sommes déjà tous convaincus de la nécessité d’en trouver de nouvelles. (M. le président de la commission des finances s’exclame.)
Mais c’est bien les États membres, à commencer par le gouvernement français, qu’il faut convaincre. Si ces États membres continuent à camper sur leurs positions, les prochains budgets européens seront en danger.
Nous sommes plutôt satisfaits des nouvelles propositions de la Commission européenne.
Celle-ci nous rejoint sur de nombreuses options de financement que nous défendons déjà depuis de nombreux mois : l’affectation au budget européen d’une part des recettes taxe sur les transactions financières ; l’affectation au budget européen d’une partie des recettes des enchères des quotas d’émission de gaz à effet de serre ; une taxe bancaire qui aurait la même finalité ; l’émission d’Eurobonds, qui permettrait le financement, via la Banque européenne d’investissement, des infrastructures européennes en matière d’énergie ou de transport ; enfin, une taxe européenne sur les bénéfices des sociétés.
En bref, c’est tout ce à quoi se refusent aujourd’hui une majorité d’États membres, en particulier la France, qui souhaiteraient voir verser directement au budget national ce type de recettes potentielles.
J’attire l’attention sur le fait que, contrairement à la pratique de plus en plus fréquente dans les négociations de trouver un compromis permettant de faire accepter des décisions en reculant simplement leur date d’entrée en vigueur, il n’est politiquement et même financièrement pas envisageable de prévoir un tel report dans la situation des finances européennes actuelles si on veut financer des politiques de sortie de crise, en particulier la stratégie 2020.
Le Parlement européen ne s’est pas trompé, lui, en faisant porter principalement son débat sur les recettes, sur lesquelles il a désormais un droit de regard.
Résoudre en amont la question des ressources propres est désormais incontournable pour élaborer les politiques de demain et financer les projets existants.
En témoigne le débat autour de la politique agricole commune, la PAC, et de la politique de cohésion territoriale.
M. Jacques Blanc. Ah !
M. Simon Sutour. Aujourd'hui, le risque est grand de voir ces deux rares politiques distributives de l’Union constituer les variables d’ajustement de ces prochaines négociations.
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Simon Sutour. La politique de cohésion territoriale, à laquelle nous sommes très attachés, ne doit pas être sacrifiée sur l’autel d’un pseudo-rationalisme budgétaire. Sa valeur ajoutée au niveau européen est incontestable, du point de vue tant du développement territorial de chaque région que de la cohésion entre territoires.
Voilà un an, la Commission européenne avait tenté, dans un document non officiel, de démanteler cette politique au profit des seules régions les plus pauvres d’Europe. Si cette position radicale semble désormais avoir été abandonnée, nous devons rester vigilants, car les débats ne font que commencer.
Soulignons qu’à cet égard la position des nouveaux États membres sera déterminante. Ils se présentent comme favorables au maintien de l’objectif 2, en pensant que s’ils défendent seulement l’objectif 1, beaucoup d’États préféreront nationaliser la politique de cohésion. Mais s’ils doivent faire un choix, ils favoriseront probablement l’objectif 1 ! Le dialogue avec eux est donc primordial.
D’ailleurs, dans une résolution votée le 7 octobre dernier, le Parlement européen a rappelé la nécessité d’avoir une politique de cohésion « forte et bien financée », bénéficiant à l’ensemble des régions d’Europe pour plus d’efficacité et de synergies économiques entre elles.
Par conséquent, monsieur le ministre, il est essentiel que notre gouvernement soit ambitieux en la matière, d’autant plus qu’il pourrait être tentant de fondre la politique de cohésion dans la stratégie Europe 2020 et d’en faire un instrument de financement de cette stratégie. Et cela, en tant que sénateurs – c’est, je crois, un sentiment partagé sur l’ensemble des travées de la Haute Assemblée –, nous ne pourrons pas l’accepter, même si nous devrons peut-être le subir.
D’ailleurs, la dernière communication de la Commission européenne sur le sujet est ambiguë.
Certes, il est nécessaire que les deux politiques soient cohérentes. L’économie de la connaissance et l’innovation doivent être au cœur de nos investissements dans les territoires. De ce point de vue, la proposition de la Commission de mettre en place des « contrats de partenariat pour le développement et l’investissement » entre la Commission, les États membres et les partenaires au niveau local et régional est une idée que nous trouvons intéressante.
Cependant, si la stratégie 2020 devient l’objectif sous-jacent de la politique de cohésion, est-elle vraiment le meilleur instrument pour l’atteindre ? Que restera-t-il de l’objectif de redistribution des richesses et de cohésion territoriale ? La Commission propose ainsi de réserver une partie du budget des fonds de cohésion aux États membres qui respecteraient les objectifs de la stratégie 2020. Elle parle ainsi de « concurrence qualitative » !
Au-delà du jargon, j’aimerais souligner les dangers d’une telle proposition et combien il est essentiel de garder une stratégie fondée sur la solidarité entre États membres et entre régions et sur les besoins spécifiques de nos territoires.
Depuis des années, la politique de cohésion est un pilier du processus d’intégration européenne ; elle la rend concrète pour les citoyens et permet d’améliorer leur perception de l’Union européenne. Elle ne doit pas être le vecteur d’une concurrence nouvelle entre États membres ! Au-delà des stratégies strictement comptables, il ne faut pas oublier que la politique de cohésion territoriale est le symbole d’une certaine idée de l’Europe et qu’elle revêt ainsi un enjeu démocratique majeur.
Enfin, nous attendons dans les prochaines semaines les premières propositions de réforme de la Commission européenne sur la politique agricole commune. Aujourd'hui, en l’état – j’insiste sur les termes « aujourd'hui » et « en l’état » –, il ne semble pas que l’enveloppe globale de la PAC soit remise en question par la Commission, mais l’insistance de certains pays nous inquiète.
M. Jacques Blanc. Nous aussi !
M. Simon Sutour. Cependant, des incertitudes lourdes de conséquences demeurent. Elles concernent la répartition des aides, le verdissement de la PAC, les nouvelles conditionnalités, ainsi que les mesures de marché et de lutte contre la volatilité des prix des denrées alimentaires.
En 2009, la crise agricole actuelle s’est traduite par une chute de plus de 30 % des revenus des agriculteurs français.
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Simon Sutour. Et bien davantage dans certaines régions,...
M. Roland Courteau. Oh oui !
M. Simon Sutour. … n’est-ce pas, mon cher collègue Roland Courteau ? Nous savons ce que cela signifie en Languedoc-Roussillon, en particulier pour la viticulture. (Mme Bernadette Bourzai s’exclame.)
M. Roland Courteau. C’est une catastrophe !
M. Simon Sutour. Une telle chute des revenus a montré combien les dernières réformes de la PAC visant à démanteler les outils de régulation de marché ont été hasardeuses.
La fin des quotas laitiers en est le symbole. Aujourd’hui, la Commission européenne comme la France prétendent vouloir instaurer « un filet de sécurité » pour les agriculteurs. Mais qu’en est-il concrètement ? À cet égard, le papier de position franco-allemand ne peut pas nous rassurer, et je le regrette.
Pour notre part, nos propositions sont claires. Nous demandons la réintroduction de mesures de gestion des marchés, la coordination des objectifs de production, un plafonnement des aides ou encore des mécanismes de stockage privé et public.
Nous proposons également une remise à plat de l’architecture de la PAC avec des aides réparties en fonction de l’emploi créé et de la formation, de la qualité des productions, du service rendu à l’écologie et à la gestion des territoires, de la compensation des handicaps naturels.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Simon Sutour. En définitive, nous avons la vision d’une politique agricole commune ambitieuse et renouvelée, axée sur l’emploi, l’environnement et l’alimentation.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Simon Sutour. Monsieur le ministre, à mes yeux, un certain nombre de principes doivent être fermement défendus dans les prochains mois par la France : la solidarité, le refus de toute renationalisation de politiques européennes, une vision ambitieuse et non restreinte de l’utilité de l’Union et, enfin, un niveau de ressources à la hauteur des ambitions européennes. Il y va de l’avenir de la construction européenne, de l’efficacité de ses politiques et de sa légitimité auprès des citoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – M. Jacques Mézard applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le vote sur la participation de la France au budget de l’Union européenne pour plus de 18 milliards d’euros intervient dans le contexte dense du sommet de Deauville – qui marquera, je l’espère, une nouvelle ère dans les relations entre l’Union et la Russie – et du Conseil européen de jeudi et vendredi derniers, qui a pris d'importantes décisions.
Parmi elles, l’instauration d'un « fonds permanent de stabilité financière » dont la première ébauche a été improvisée dans l’urgence au printemps dernier du fait de la crise européenne. Ce fut décisif car l’enjeu était sans doute plus que la stabilité de la zone euro, peut-être sa survie.
Il ne faudrait pas laisser croire aux citoyens et aux gouvernements de la zone euro, comme aux prêteurs sur les marchés financiers, que tout endettement est dorénavant permis, puisqu’il y aurait un payeur en dernier ressort.
Il semble que la clause interdisant le renflouement d'un État restera dans le traité européen. La non-assistance est le principe, le sauvetage l’exception. Mais comment, dans la pratique, opérer ce sauvetage ? À quelles conditions, avec quelles ressources ? Monsieur le secrétaire d’État, ne craignez-vous pas qu’une nouvelle révision du traité ne conduise à ouvrir la boîte de Pandore ?
S’agissant des sanctions financières à l'encontre d'un État excessivement déficitaire, la France a obtenu qu’elles ne soient pas automatiquement déclenchées, comme le proposait la Commission, appuyée par Jean-Claude Trichet. L’étendue des sanctions a-t-elle été discutée au Conseil européen ?
L’Europe a su faire face et réagir à la crise financière et économique, parfois dans l'improvisation et de manière imparfaite, mais elle a évité la faillite de son système bancaire. Après le temps de l'urgence, vient donc celui de la reconstruction. Les avancées sur la surveillance des politiques économiques nationales et la coordination des budgets nationaux sont autant de nouveaux chapitres de la « gouvernance économique » qui pourront être écrits dans les mois à venir.
Toutefois, l’Europe ne doit pas seulement surveiller et sanctionner ; elle doit aussi relancer et promouvoir ! Or, l’Europe piétine sur une stratégie de croissance. La stratégie de Lisbonne a été globalement décevante. La nouvelle stratégie Europe 2020 propose des objectifs communs, recentrés et clairement évalués. Mais, soyons réalistes, elle ressemble plus à un catalogue de bonnes intentions…
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. C’est vrai !
M. Aymeri de Montesquiou. … qu’à une volonté commune.
M. Jacques Blanc. Il a raison !
M. Aymeri de Montesquiou. De plus, elle ne tire pas les leçons du passé.
M. Roland Courteau. Bien vu !
M. Aymeri de Montesquiou. Même s'il est prévu de donner un rôle moteur au Conseil européen, la stratégie Europe 2020 continue de reposer essentiellement sur les actions des États membres.
Quant à la question capitale des financements, elle est éludée.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Eh oui !
M. Aymeri de Montesquiou. Il est nécessaire, dans le cadre d'une stratégie de croissance, d’avoir une politique ambitieuse d'investissement public. Or, le budget européen, qui repose sur des contributions nationales, donc limité, n’est pas susceptible de financer à lui seul les grands projets d'avenir envisagés. Il n’est qu'à voir les exemples des projets ITER et Galileo, qui connaissent de considérables difficultés de financement.
Certains estiment qu’il faudrait porter le budget européen à 2 % voire 3 % du PNB communautaire. Je serais tenté de me rallier à cette opinion, d’autant que le traité de Lisbonne a considérablement étendu le rôle et les missions de l’Union. Mais il est vrai que, dans le contexte de déficit actuel, ce n'est pas envisageable.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Très bien !
M. Aymeri de Montesquiou. On a parlé à un moment d'un « grand emprunt européen ». Cette idée soulève évidemment des interrogations et des espoirs mais est-elle d'actualité ?
Reste donc à dépenser mieux. Il y a là incontestablement des marges de manœuvre car le budget européen laisse aujourd'hui le sentiment d'un saupoudrage de moyens sans réelle adéquation avec les besoins, d’un gaspillage dans des procédures reconduites mécaniquement et souvent complexes, coûteuses et inefficaces.
Les négociations à venir sur les perspectives financières de l’après-2013 doivent être l’occasion de repenser complètement la structure du budget européen.
En matière de dépenses, il nous faut appliquer le critère de la valeur ajoutée que propose la Commission, c’est-à-dire déterminer quand un euro dépensé au niveau européen est plus utile qu’un euro dépensé à l’échelon national. Cela devrait être une interrogation constante. Il y a tellement de redondances entre budgets européen et nationaux !
Il faut tendre à une mutualisation des efforts nationaux sur de grands projets dans les domaines de la recherche, de l’innovation, de l'énergie, des transports et de la défense. C’est le seul moyen d'atteindre une masse critique, gage d'efficacité et donc de croissance et d'emplois. Les réformes proposées en la matière ne vont pas, hélas ! aussi loin.
Cette exigence de clarification sur les dépenses s’applique bien entendu au volet des recettes. Le système actuel exacerbe les égoïsmes budgétaires nationaux, amenant chacun à faire le détestable calcul coût-bénéfice de sa participation. Ces concurrences étriquées entre États nous affaiblissent et nous dispersent face à la compétition exacerbée qui nous oppose aux géants de demain. Il est temps de donner à l’Europe des recettes claires et stables, en retrouvant l’esprit des pères fondateurs et de leurs émules, qui croyaient en une Europe politique.
La Commission a proposé plusieurs pistes : taxe sur les transactions financières, impôt sur les sociétés, taxe énergétique, TVA européenne. Quelle piste privilégie la France ? Pour ma part, j'ai toujours été favorable à la mise en place d’un véritable impôt citoyen à l'échelle européenne mais je conçois qu’elle soit aujourd'hui difficile en raison, notamment, du contexte de crise.
La réflexion sur les recettes devra prendre en compte la multiplicité des défis qui se présentent à l'Europe. Celle-ci veut apparaître comme un véritable acteur global. À terme, les chantiers que sont la lutte contre le changement climatique, la sécurisation des approvisionnements énergétiques ou encore le renforcement de sa compétitivité économique nécessiteront immanquablement une très nette montée en puissance du budget communautaire.
L'année 2011 sera, à n'en pas douter, une année importante. Nous comptons sur vous, monsieur le secrétaire d’État, pour être particulièrement vigilant afin que la PAC ne fasse pas les frais de la réforme à venir.
M. Adrien Gouteyron. Très bien !
M. Aymeri de Montesquiou. À ceux qui pensent que l'agriculture appartient au passé et que l’Union doit se concentrer sur autre chose, nous répondons que la PAC, c’est la souveraineté alimentaire, la préservation de nos territoires, mais que cette politique est aussi, à ce jour, la politique communautaire qui a le mieux rempli ses objectifs avec les fonds structurels.
M. Jacques Blanc. Oui !
M. Aymeri de Montesquiou. L’année 2013 devra être l’année de la refondation de la PAC, en aucun cas celle de son démantèlement.
M. Jacques Blanc. Très bien !
M. Aymeri de Montesquiou. Notre participation au budget européen nous permet de proposer une réflexion sur sa structure et son ampleur et de peser sur les choix politiques de l’Union. Je rejoins Pierre Messmer qui estimait que « les esprits et les cœurs [des Européens] ne seront gagnés, mobilisés que par des projets concrets et ambitieux ».
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Très bien !
M. Aymeri de Montesquiou. J’espère que cet esprit de solidarité inspirera le prochain budget, et nous permettra de penser que l’Union européenne a un avenir. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Adrien Gouteyron.
M. Adrien Gouteyron. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, messieurs les présidents de commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’intérêt d’un débat est toujours de permettre l’expression de ce que l’on appelle aujourd’hui des « sensibilités différentes ». Peut-être mon propos en exprimera-t-il une qui s’éloigne sensiblement des opinions précédemment exposées.
Nous sommes appelés à nous prononcer, comme chaque année, sur le montant du prélèvement opéré sur les recettes du budget de l'État au titre de la participation de la France au budget de l'Union européenne.
Nous le ferons, comme tous les ans, avec une certaine marge d’incertitude – comme l’a signalé notre excellent rapporteur – puisque le montant de ce « prélèvement européen » est seulement une évaluation de ce que sera la contribution française, et pour cause. Le budget 2011 de l’Union est en effet en cours de discussion, entre la proposition initiale, ambitieuse, de la Commission, la contre-proposition plus raisonnable du Conseil, et l'intervention du Parlement européen, avant que Conseil et Parlement parviennent à un compromis d’ici à quelques semaines. J’ajoute que les nouvelles règles du traité de Lisbonne s’appliquent pour la première fois cette année, ajoutant à l’incertitude. Le Parlement et le Conseil sont désormais sur un pied d’égalité.
Enfin, la négociation du budget annuel se trouve imbriquée dans un chantier plus vaste, celui de la réforme d’ensemble du système budgétaire communautaire, chantier qui sera lui-même immédiatement suivi par l'ouverture des négociations sur les montants du cadre financier pluriannuel post-2013.
Faute d'accord sur le budget, la période de conciliation se déroule de la fin octobre à la fin novembre afin d’aboutir à un compromis… j’espère que cela ne sera pas un fiasco ! Les débats risquent donc d'être particulièrement vifs, en particulier entre le Parlement et le Conseil.
Ce qui est certain, c’est que la préparation du budget pour 2011 a révélé un accroissement des dissensions sur le niveau global des dépenses notamment au sein des vingt-sept États membres. La position du Conseil des ministres du mois d’août dernier repose non pas sur une unanimité traditionnelle – notre rapporteur l’a relevé tout à l’heure –, mais sur un compromis forcément fragile. On peut noter – pour s’en réjouir – la position commune de la France et de l’Allemagne : elle a permis qu’une majorité se dégage sur la position du Conseil, limitant à 2,9 % la hausse des paiements par rapport à l’année précédente. Sept États membres traditionnellement défenseurs du « juste retour » des montants qu’ils investissent dans le budget européen ont voté contre la proposition du Conseil, qui, selon eux, ne va pas assez loin dans les réductions.
La position du Parlement européen est quant à elle différente, dans la mesure où le projet de budget prévoit 4 milliards d’euros de crédits de paiement de plus par rapport au Conseil et une hausse de 6,2 % des paiements par rapport à 2010. Cette position, évidemment décalée par rapport à la réalité économique, s’est parfois accompagnée de quelques déclarations pour le moins tonitruantes.
Ainsi s’affirme le nouveau pouvoir du Parlement européen, qui est désormais en mesure de refuser le budget. C’est un peu grisant, mais cela aura des conséquences très directes. Privée de budget 2011, l’Union se financerait par le système des douzièmes provisoires : on reviendrait ainsi aux crédits décidés en 2010, très inférieurs à ceux qui ont été proposés par le Conseil. Concrètement, ce choix impliquerait par exemple le quasi-abandon du service diplomatique de l’Union européenne. Cela aussi a été signalé par le président de la commission. Et je ne parle pas des fonds de cohésion, dont on a parlé à très juste titre, et des fonds agricoles. Autant éviter l'impasse !
Il faut évidemment que le Parlement européen prenne en compte les difficultés des États en matière budgétaire. Les efforts doivent être partagés équitablement par tout le monde. Il n’est pas admissible et il ne serait pas admissible que l’on donne le sentiment de dépenser à Bruxelles alors que les États se serrent la ceinture. Le contexte économique rend l’exigence de discipline budgétaire encore plus impérative que les années précédentes.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Très bien !
M. Adrien Gouteyron. À cet égard, le dernier Conseil européen a estimé qu’ « il est essentiel que le budget 2011 tienne compte des efforts d’assainissement déployés par les États membres ».
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Excellent !
M. Adrien Gouteyron. Cela nous paraît une évidence, mais encore fallait-il le dire !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Oui !
M. Adrien Gouteyron. L’objectif de la France dans cette négociation doit être clair : limiter la hausse globale du budget de l’Union et rechercher les possibilités d’économies dans chaque rubrique, en veillant à ce que l'essentiel des coupes ne porte pas sur les dépenses de la PAC. Monsieur le secrétaire d’État, confirmez-vous que nous avons obtenu satisfaction sur ces points ?
Mais au-delà, c’est déjà le sujet autrement plus délicat des prochaines perspectives financières pour l’après-2013 qui se profile. Et le dialogue franco-allemand sera évidemment crucial pour forger un compromis inévitablement douloureux.
Pourquoi douloureux ? Parce que l’écart risque d’être plus grand que jamais, pour les États comme la France et l’Allemagne, entre le souhaitable et le possible, entre l’appel à une plus grande efficacité du budget communautaire pour investir dans la recherche et l’innovation, pour déployer une réelle politique étrangère, pour combattre la piraterie, pour réinsérer les Roms, pour soutenir la relance ou pour stabiliser l’euro et la nécessité pour chacun de limiter sa contribution nationale.
Pour notre pays, l’enjeu est de taille. Il faut absolument s’impliquer activement sur deux sujets clés du prochain cadre financier pluriannuel. Je pense au rabais britannique, dont la fin est souhaitable, et à la politique agricole commune, qu’il importe de pérenniser.
Disons-le tout net : le rabais britannique qui date de 1984 n’a absolument plus aucune pertinence aujourd’hui. Je vous rappelle, mes chers collègues, que le principal financeur de ce rabais est la France puisque nous assurons presque un tiers de son montant. Cela représentait, en 2009, une dépense de 1,4 milliard d’euros sur un total de 5,6 milliards d’euros. J’espère que les prochaines perspectives financières marqueront la disparition de cette anomalie.
Monsieur le secrétaire d'État, s’il ne fallait retenir, pour la France, qu’un sujet à défendre à l’occasion des négociations sur le prochain cadre financier pluriannuel – je veux ajouter ma petite musique à celle qui a déjà été jouée par de nombreux orateurs avant moi –, ce serait celui de l’avenir de la PAC.
Comme le Président de la République l’a dit et affirmé, nous sommes viscéralement attachés à cette politique, qui n’a rien perdu de sa pertinence, bien au contraire !
M. Jacques Blanc. Tout à fait !
M. Adrien Gouteyron. Il n’est pas question pour la France d’abandonner cette politique. Il faut au contraire continuer à se battre pour obtenir les aides dont nos agriculteurs ont besoin. Nous avons des intérêts communs avec l’Allemagne et la position franco-allemande du 14 septembre dernier est un document majeur sur lequel nous devons nous appuyer. Il faut renouveler une PAC forte au-delà de 2013, adaptée au nouveau contexte mondial et répondant mieux aux attentes et aux besoins des citoyens européens. Les agriculteurs ont besoin de stabilité et de visibilité pour investir. La PAC est un élément fondamental de notre engagement européen, et elle doit être préservée. C’est pour ces raisons que nous devons disposer de ressources à la hauteur de nos ambitions.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Eh oui !
M. Adrien Gouteyron. En ce qui concerne notre contribution au budget européen, je tiens à préciser certaines choses. En 2011, le prélèvement sur recettes au profit de l’Union européenne est évalué à 18,2 milliards d’euros, soit 7,2 % des recettes fiscales nettes françaises.
D’abord, il faut rappeler, M. le rapporteur spécial de la commission des finances l’a très bien souligné tout à l’heure, avec toutes les atténuations nécessaires, que la France figure parmi les tout premiers contributeurs au budget de l’Union européenne. Ensuite, le solde net déficitaire de la France, qui s’élève en 2009 à près de 5 milliards d’euros par an ne va cesser de croître jusqu’à la fin des actuelles perspectives financières, c’est-à-dire environ jusqu’en 2013. La contribution française devrait ainsi connaître une progression moyenne de 600 millions d’euros par an, pour atteindre un solde net déficitaire de près de 7,3 milliards d’euros en 2013.
Comme vous l’avez rappelé, ce prélèvement est inclus dans la norme dite « zéro valeur », c’est-à-dire qu’il faut financer sur les autres budgets ces 500 millions d’euros de plus chaque année, dont les 300 millions d’euros pour l’année 2011.
Cette détérioration du solde net français est inéluctable et ne doit pas être ignorée à l’heure où la crise plombe gravement nos comptes publics. L’esprit européen de solidarité ne doit pas nous exonérer de cette lucidité.
Cela exige une grande rigueur de notre part, mais aussi de la part de la Commission de Bruxelles. Il serait nécessaire que les efforts de réduction des dépenses auxquels nous, les États, nous soumettons soient également partagés par les institutions européennes. Personne ne comprendrait qu’il n’en soit pas ainsi.
La contribution de la France au budget européen nous rappelle une réalité qu’il ne faut pas nous cacher : la construction européenne a un coût dont la collectivité nationale doit prendre toute la mesure. C’est le prix à payer pour que l’Europe reste un espace commun d’avenir et de développement. C’est le prix que nous devons payer pour que les grands projets technologiques de l’avenir voient le jour. Je pense à Galileo, aux réseaux transeuropéens de transport ou à ITER, dont nous avons parlé tout à l’heure. Il est vrai que ces projets sont en train de prendre un retard inquiétant. Je lisais il y a peu de temps dans la presse que Galileo risquait d’être devancé par un projet chinois. Cela nous donne la mesure de la difficulté. C’est également le prix à payer pour que nos politiques communes – agricole, industrielle ou énergétique – soient pérennisées. Mais ce prix à payer doit être équitablement partagé et chacun doit prendre sa juste part de l’effort.
Dans ce contexte, il est nécessaire d’engager la réflexion sur les ressources propres. Je dirai ici, sans doute brièvement et brutalement, que nous devons éviter de faire dériver ce débat – c’est pour moi une position définitive – vers la création d’un impôt européen. Ressources propres, peut-être, mais pas d’impôt européen : personne ne le comprendrait et aucun de nos concitoyens ne l’admettrait.
M. Yves Pozzo di Borgo. Ce n’est pas vrai !
M. Adrien Gouteyron. Je tenais à profiter de ce débat pour l’affirmer.
Un budget alimenté par les États, mes chers collègues, n’est-ce pas le moyen le plus sûr d’éviter les dérapages, à condition que les choses soient claires et que l’on se garde précisément des anomalies comme le chèque britannique ou la litanie des rabais en tout genre. Le système actuel, certes, est opaque et inéquitable. Sur ce point, le consensus est général en Europe.
Monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, au-delà de la contribution française au budget de l’Union européenne, je suis convaincu que nous devons mettre tout en œuvre pour aborder la prochaine négociation du cadre financier pluriannuel de l’Union, à partir du printemps 2011, avec une extrême détermination.
L’exercice est très difficile dans une Europe à vingt-sept, touchée par la crise ; mais il est tout simplement vital, à la fois compte tenu de l’état de nos finances publiques et pour la poursuite de l’adhésion des Français à l’idéal européen.
Dans ce cadre, la consolidation du moteur franco-allemand de l’Union est une absolue nécessité. Ne nous voilons pas la face : en matière de finances communautaires comme en matière de gouvernance économique, il y aura un compromis franco-allemand ou il n’y aura rien. Essayons, monsieur le secrétaire d'État, de ne pas l’oublier ! (MM. Jacques Blanc, Jacques Mézard et Aymeri de Montesquiou applaudissent.)
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Billout.
M. Michel Billout. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la participation française au budget de l’Union européenne proposée s’élève pour 2011 à 18,2 milliards d’euros, soit 7,2 % des recettes fiscales nettes de la France. Ce prélèvement est loin d’être négligeable et il devra continuer d’augmenter dans les années à venir.
D’un montant atteignant péniblement les 141 milliards d’euros, le budget communautaire, pour sa part, reste cependant très insuffisant au regard des richesses créées dans l’espace européen et ne paraît pas en mesure de faire face aux défis sociaux, économiques et environnementaux qui se posent à l’Union.
Concernant les recettes, qui ont été évoquées par l’orateur précédent, la part des ressources propres traditionnelles et de la TVA ne cesse de diminuer au profit de la contribution des États selon le revenu national brut. En effet, alors que les traités fondateurs prévoyaient la possibilité d’asseoir le budget européen sur la base de ressources propres et non sur des contributions prélevées sur les budgets nationaux, cette dernière ressource représente presque les trois quarts des participations des États membres au budget communautaire.
Malgré les grands discours et les propositions de débat réitérés sur une réforme des ressources propres, il semble qu’il n’y ait aucune réelle volonté de la part des institutions européennes pour trouver de nouvelles ressources budgétaires.
Pourtant, le Parlement européen, en contrepartie d’une hausse limitée du budget de 2011, a exigé du Conseil européen « l’ouverture d’un débat institutionnel dès l’année prochaine sur la réforme des ressources propres, notamment sur la création de nouvelles sources de financement ». Nous ne pouvons qu’approuver l’ouverture d’un tel débat.
Dans sa communication sur le réexamen du budget communautaire, reprise dans son rapport, notre collègue Denis Badré indique que « la Commission européenne suggère de réduire les contributions des États membres en abandonnant la ressource propre liée à la TVA et de la remplacer progressivement par une ou plusieurs nouvelles ressources propres ». Parmi les pistes envisagées figure, notamment, la taxation des transactions financières. (M. le président de la commission des finances s’exclame.)
Maintes fois évoquée, particulièrement par le gouvernement autrichien, la taxation des transactions financières constitue une piste particulièrement intéressante tout comme celle d’une taxe bancaire, car il s’agit de secteurs économiques qui, aujourd'hui, ne souffrent pas d’un excès de prélèvements. Elle reste cependant à être concrétisée par les instances européennes. La France, selon moi, s’honorerait à jouer un rôle moteur en ce domaine.
Concernant le projet de budget général de l’Union, il est, comme tous les budgets des États membres, soumis à un seul mot d’ordre, l’austérité, et assorti de mesures particulièrement coercitives qui pèseront sur les budgets nationaux des pays constituant l’Union, et donc directement sur les populations pourtant déjà très malmenées.
Ainsi, avec des crédits quasiment stables, la rubrique « croissance durable », incluant les actions en matière d’emploi, révèle qu’aucune stratégie n’est réellement mise en œuvre pour sortir de la crise. Comme toujours, les dirigeants européens préfèrent abandonner les outils publics et laisser le marché régler les questions d’emploi et de dynamisme économique.
Le développement de l’emploi et la sauvegarde des droits sociaux devraient être une priorité de l’Union pour 2011 et pour les années qui viendront. Les crédits attribués au financement des systèmes de protection sociale, de lutte contre les délocalisations et le dumping social, fiscal et environnemental devraient être adaptés aux réels besoins. Malheureusement, le budget alloué à l’Agenda pour la politique sociale de l’Union est en diminution de plus de 10 %.
S’agissant des dépenses en faveur de la politique de cohésion, il semble qu’elles soient remises en question, la Commission européenne recommandant de mieux soutenir les grandes priorités communes à toute l’Europe au lieu de se concentrer sur la réduction des disparités entre régions. Nous regrettons ces orientations. La politique de cohésion, bien au contraire, devrait être, selon nous, au cœur de toutes les actions européennes.
Les politiques en matière de liberté, sécurité et justice verront, pour leur part, leurs crédits d’engagement croître de 12,8 % et leurs crédits de paiement de 15,4 %.
Comme chaque année, les crédits de cette rubrique augmentent de manière spectaculaire. À défaut d’engager de véritables actions de coopération et d’intégration des populations migrantes, les politiques sécuritaires semblent être confortées. J’en veux d’ailleurs pour preuve l’augmentation de 22 % des crédits attribués au Fonds européen pour les frontières extérieures ainsi que l’augmentation de 29 % des crédits alloués au Fonds européen pour le retour.
Ces augmentations, ajoutées au peu de cas accordé au budget octroyé aux actions extérieures, démontrent une fois de plus l’absence de volonté de l’Union pour s’imposer sur la scène internationale comme un acteur important.
Pourtant, les priorités devraient se situer dans le respect des droits des migrants et de leur dignité. La réaction de la Commission européenne contre la situation faite aux populations Roms en France doit être saluée. Mais les éléments du budget semblent en contradiction avec le discours tenu. Nous le regrettons profondément.
Je dirai un mot sur l’avenir de la politique agricole commune.
Dans le budget communautaire de 2011, les crédits proposés pour les dépenses relatives aux marchés agricoles et aux aides directes sont en recul de 73 millions d’euros. Pourtant, la volatilité des marchés, l’instabilité des prix et la survenue de crises, comme celle du lait il y a quelques mois encore, démontrent la nécessité de réguler les marchés pour mettre fin à la spéculation et à la baisse des prix.
Dans l’optique de la réforme de la PAC, les rapports se multiplient. Nombre d’entre eux prônent des logiques libérales de dérégulation et de productivisme alors qu’il est urgent d’engager une véritable politique de prix rémunérateurs pour les agriculteurs et favorisant le maintien d’exploitations à dimension humaine.
En définitive, cette année encore, le budget communautaire ne semble pas en phase avec la réalité que vivent les Européens, qui manifestent par millions dans les rues en France, mais aussi en Grèce, en Espagne ou en Pologne.
L’Union européenne, avec ce budget, ne s’est toujours pas dotée des moyens lui permettant de financer les politiques solidaires ambitieuses dont nous aurions pourtant besoin.
Les membres du groupe communiste républicain et citoyen et des sénateurs du parti de gauche contestent les orientations de ce projet de budget communautaire ainsi que le montant et la destination de la contribution française, et appellent de leurs vœux la construction d’une autre Europe, fondée sur le progrès social. (M. André Vantomme applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo.
M. Yves Pozzo di Borgo. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la semaine dernière, le débat préalable au Conseil européen a permis au Sénat de mesurer l’ampleur des changements nécessaires pour tirer les leçons de la crise.
Tout en saluant les propositions franco-allemandes visant à renforcer la discipline et les sanctions, j’ai insisté sur le fait qu’il serait vain de vouloir instaurer une véritable gouvernance européenne sans réunir les conditions de la croissance.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que la croissance européenne ne dispose pas de la vigueur de la croissance des pays émergents ou, tout simplement, de celle des pays africains.
J’identifiais deux urgences, qui ne sont bien sûr pas les seules à devoir être traitées. La première est la convergence économique des États membres et, tout particulièrement, le rattrapage de la France par rapport à l’Allemagne. La seconde urgence est la recherche scientifique, puisqu’on sait aujourd’hui que le savoir est le moteur de la croissance.
Une semaine plus tard, aujourd’hui, nous débattons de la participation de la France au budget de l’Union européenne. Il s’agit en fait d’un seul et même débat : quel est l’avenir économique de l’Union et quels moyens sommes-nous prêts à mobiliser pour préparer cet avenir ?
Entre-temps, le Conseil européen s’est réuni jeudi et vendredi derniers. À cette occasion, les chefs d’État et de gouvernement ont souligné qu’il est essentiel que le budget de l’Union européenne tienne compte des efforts d’assainissement des États membres pour réduire leurs déficits et leur dette.
Comme le rapporteur spécial, je me félicite de la volonté de l’Union européenne de s’associer aux efforts de redressement des finances publiques nationales.
Mais je ne peux pas, un jour, défendre le volontarisme et, la semaine suivante, me faire le chantre de la rigueur. Aujourd’hui, je veux donc redire que le savoir est le principal moteur de l’économie et qu’il serait dangereux de l’ignorer.
Monsieur le président de la commission des finances, en ne finançant pas assez la recherche publique, en n’encourageant pas assez la recherche privée, la France et l’Europe s’affaiblissent.
La semaine dernière, j’illustrais l’importance de la recherche en prenant l’exemple de l’exploration spatiale. Ses retombées militaires, économiques, technologiques et scientifiques sont immenses et elle apporte des bénéfices concrets aux citoyens de l’Europe et du monde entier.
Les dépenses de recherche et développement sont inférieures à 2 % en Europe, alors qu’elles atteignent 2,6 % aux États-Unis et 3,4 % au Japon. Avec la stratégie Europe 2020, nous nous sommes engagés collectivement à investir 3 % du produit intérieur brut européen en recherche et développement en 2020.
Pour y arriver, il faut investir plus dans la recherche publique et encourager plus efficacement la recherche privée.
Au niveau national, nous y veillerons lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2011, puisque l’enseignement supérieur et la recherche restera la priorité budgétaire du Gouvernement.
À l’échelle européenne, il faut fournir le même effort : priorité à la recherche, d’une part, amélioration de l’efficacité de la dépense publique, d’autre part.
Je rejoins en ce sens la préoccupation du rapporteur spécial M. Denis Badré devant le phénomène européen qu’il appelle l’« agenciarisation ». En 2009, les agences européennes ont reçu plus de 560 millions d’euros de subventions et leurs effectifs, ayant doublé en cinq ans, s’établissaient à plus de 4 800 agents. Leur travail est-il évalué ? Ce serait la moindre des choses ! En outre, pour ne prendre qu’un exemple, quelle nécessité y a-t-il à créer l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne à Vienne, alors que le Conseil de l’Europe existe déjà ?
Aujourd’hui, nous confions plus de compétences à l’Union européenne, plus de responsabilités. Mais nous lui demandons aussi de faire un effort de rigueur budgétaire.
Nous avons besoin d’investir bien plus dans la recherche, mais nous ne voulons pas abandonner les politiques communes comme la PAC et nous refusons de réduire la politique européenne de cohésion, qui permet le rattrapage des nouveaux États membres.
Nous ne voulons pas augmenter nos contributions à l’Union européenne et nous ne voulons pas accroître ses ressources propres.
En somme, nous demandons plus d’Europe avec autant de ressources !
Dans l’immédiat, il faut donc rechercher des marges d’économies… et elles existent ! J’ai évoqué les agences. Il faut améliorer l’efficacité de la dépense publique européenne. Le sujet étant vaste, je me contenterai de rappeler que, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2007, je m’interrogeais sur le rôle et l’efficacité du Forum pour l’avenir de la démocratie. Quatre ans après, ce forum existe toujours et je m’interroge toujours !
Les exemples de gaspillages sont malheureusement nombreux.
À plus long terme, au-delà de la contrainte budgétaire, il faudra aborder une question de fond : le niveau adéquat des ressources propres de l’Union européenne.
Ce n’est pas une question idéologique ou de pères fondateurs, c’est une question d’efficacité. Il faut réfléchir au meilleur échelon pour agir en nous posant une question simple : où un euro de dépense publique est-il le mieux investi ? Au vu de cet examen, il faut donner à chaque échelon, national et communautaire, les moyens de ses ambitions.
Telles sont, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les quelques généralités dont je voulais vous faire part. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et sur certaines travées du RDSE, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État chargé des affaires européennes. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, une semaine après notre débat préalable au Conseil européen et en amont de la discussion budgétaire, j’ai l’honneur, ce soir, de soumettre à l’examen de votre Haute Assemblée l’article 46 du projet de loi de finances pour 2011, évaluant le montant du prélèvement sur recettes qui sera versé par la France au budget de l’Union européenne pour 2011.
Ce sera pour moi l’occasion d’insister, dans un contexte marqué par la volonté forte du Gouvernement de revenir à l’équilibre de nos finances publiques, sur l’effort substantiel que représente, pour la France, le versement de cette participation, et d’évoquer avec vous les grands enjeux du débat qui est appelé à s’ouvrir, dès le printemps prochain, sur le budget européen post-2013.
Si vous me le permettez, je profiterai également de cette intervention pour évoquer les conclusions du Conseil européen des 28 et 29 octobre relatives à la gouvernance économique européenne, ainsi qu’à la préparation du budget européen post-2013.
Le renforcement des disciplines pesant sur les dépenses publiques nationales et la maîtrise des dépenses publiques européennes sont en effet deux sujets intimement liés. D’ailleurs, tous les orateurs qui m’ont précédé ont fort justement mis en avant ce lien. Le Conseil européen, dans ses conclusions, n’a d’ailleurs pas manqué de souligner que « parallèlement au renforcement de la discipline budgétaire au sein de l’Union européenne, il est essentiel que le budget de l’Union européenne et le prochain cadre financier pluriannuel tiennent compte des efforts d’assainissement déployés par les États membres pour ramener le déficit et la dette à un niveau plus viable ».
Je précise que le Conseil européen a souhaité revenir plus en détail sur cette question dans sa session de décembre, notamment en examinant comment le volet « dépenses » du budget européen peut contribuer au processus plus général d’assainissement des finances publiques.
Permettez-moi donc, mesdames, messieurs les sénateurs, avant de procéder à l’examen du prélèvement sur recettes, de tirer les principales leçons du Conseil européen en matière de mise en place d’une « gouvernance économique européenne ».
J’en ai retenu trois.
Première leçon, comme je l’avais annoncé devant votre Haute Assemblée il y a une semaine lors du débat préalable au Conseil européen, le couple franco-allemand a joué un rôle absolument fondamental dans l’organisation des débats du Conseil européen et dans l’orientation de ses conclusions.
Cela est parfaitement conforme à la position qu’il a adoptée depuis le début de la crise de l’euro. Je crois même que les événements qui se sont déroulés autour de cette affaire monétaire marquent un tournant très clair.
Un tel résultat n’était ni nécessairement simple à obtenir ni écrit d’avance, comme l’ont illustré les déclarations très virulentes, voire inacceptables, de certains, y compris de membres de la Commission. Je pense notamment aux déclarations visant directement des chefs d’État élus – la Chancelière allemande, le Président de la République française –, évoquant même un « diktat » franco-allemand et les pires catastrophes, alors que les deux dirigeants ne cherchaient, en révisant le traité, qu’à pérenniser notre zone monétaire commune.
Or, que constate-t-on à l’issue des débats de la semaine dernière ?
La déclaration franco-allemande de Deauville a bien été le point de convergence des débats des Vingt-Sept, non pas parce qu’il s’agissait d’une déclaration commune de la France et de l’Allemagne qui aurait, par principe, vocation à s’imposer à tous, mais parce que cette proposition – je veux le redire ici très solennellement – était vraiment dans l’intérêt de tous. C’est, en définitive, ce qu’ont parfaitement compris tous les chefs d’État et de gouvernement.
Le principe d’une révision du traité, que le Conseil européen souhaite limitée – monsieur Aymeri de Montesquiou, il est question non pas d’ouvrir la boîte de Pandore, mais de réviser le texte à deux endroits précis par une procédure accélérée –, pour « établir un mécanisme permanent de gestion de crise pour préserver la stabilité financière de la zone euro » est désormais acquis. Ce n’était pourtant pas évident dimanche dernier…
Cette pérennisation du mécanisme de gestion des crises est un résultat tout à fait fondamental et le Conseil européen a également fixé les grandes orientations de travail pour y parvenir.
Le Président du Conseil européen est chargé d’engager les consultations, dans la perspective du Conseil européen de décembre, au cours duquel les chefs d’État et de gouvernement prendront la décision finale sur les grandes lignes de ce mécanisme et sur la modification du traité.
La modification du traité, qui doit pouvoir être ratifiée « pour la mi-2013 au plus tard », ne doit pas toucher à l’article 125 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, la fameuse clause de non-renflouement.
Enfin, la question de la contribution du secteur privé – même si elle n’a pas été évoquée ce soir, elle est extrêmement importante et intéressante –, et du Fonds monétaire international, à ce mécanisme sera examinée très attentivement.
En effet, il n’est pas complètement absurde que ceux qui ont spéculé sur les dettes souveraines et pratiquement causé la faillite d’un État participent au mécanisme de renflouement et de caution collective. C’est donc un débat qui, je le crois, doit être ouvert devant nos opinions publiques.
Par ailleurs, la France et l’Allemagne ont également obtenu que la question des sanctions politiques, qui était au cœur de la déclaration de Deauville, figure explicitement dans les conclusions de ce Conseil européen et fasse l’objet d’un examen ad hoc. Là encore, ce n’était pas gagné d’avance.
M. Sutour a critiqué les sanctions financières et politiques. Mais, par définition, sans sanctions, il n’y a pas de discipline commune. Je serais donc intéressé de connaître les solutions alternatives qui pourraient exister dans ce domaine…
Toujours est-il que le Président du Conseil européen est chargé, en consultation avec les États membres, d’examiner – c’était bien le sens de la proposition franco-allemande – « la question du droit des membres de la zone euro de participer à la prise de décisions dans le cas des procédures en rapport avec l’UEM en cas de menace permanente pour la stabilité de la zone euro ».
Cette question des sanctions politiques n’est donc absolument pas écartée, monsieur le président Bizet. La France et l’Allemagne ont bien obtenu, ensemble, que ce débat soit ouvert et que cela soit inscrit noir sur blanc dans les conclusions du Conseil européen.
Vous avez néanmoins raison de noter que de nombreux États opposent une certaine résistance sur ce point. La plupart d’entre eux souhaiteraient continuer à bénéficier du fonds de garantie, mais ne veulent pas entendre parler de la discipline qui doit accompagner ce dispositif. Tout le travail consiste donc à trouver le juste équilibre entre la pérennisation du dispositif et la mise en œuvre de mécanismes de discipline commune.
Deuxième leçon, le Conseil européen « fait sien » le rapport du groupe de travail sur la gouvernance économique, piloté par le président Herman Van Rompuy. Sa mise en œuvre constituera, toujours selon les conclusions du Conseil européen, « une avancée importante dans la consolidation du pilier économique de I’UEM en renforçant la discipline budgétaire, en élargissant la surveillance économique et en approfondissant la coordination ».
Cette reconnaissance par les vingt-sept chefs d’État et de gouvernement de l’importance, et de la pertinence, des travaux conduits par la task force de M. Van Rompuy est essentielle.
Comme l’a dit le président Bizet, elle ouvre la voie à plusieurs innovations importantes : une meilleure coordination au niveau européen des politiques macroéconomiques ; une meilleure coordination des politiques budgétaires à travers la mise en place, dès 2011, du « semestre européen » ; enfin, le renforcement du volet préventif et correctif du pacte de stabilité et de croissance dans un sens conforme aux positions franco-allemandes.
Je rappelle en effet que le grand apport de la déclaration de Deauville, et du rapport du groupe Van Rompuy, est, par opposition aux propositions initiales de la Commission, de remettre le Conseil au cœur du processus de sanctions sans affaiblir l’efficacité de celles-ci.
Ce mécanisme – je réponds à M. Aymeri de Montesquiou qui s’interrogeait sur ce point – garantira à tous les États membres de la zone euro que l’appréciation de leur situation restera fondamentalement politique, tout en élargissant de façon très sérieuse les disciplines qui leur seront appliquées.
Les chefs d’État et de gouvernement ont fixé par ailleurs un calendrier ambitieux pour l’adoption du nouveau dispositif, en appelant à une « approche rapide » et à un accord entre le Conseil et le Parlement européen sur les aspects législatifs « d’ici à l’été 2011 ».
Troisième leçon, la question de la réforme des retraites, toujours elle, est bien au cœur de la nouvelle gouvernance économique européenne.
Je vous avais dit, la semaine dernière, à quel point l’adoption de la réforme des retraites par le parlement français était un enjeu fondamental pour la pérennité de notre modèle social, pour la maîtrise de nos finances publiques mais aussi pour la restauration de notre compétitivité et pour la cohérence de nos engagements européens.
Je vous avais également indiqué que cette question de la réforme des retraites ne s’arrêtait pas à nos frontières et que nombre de nos partenaires s’étaient déjà engagés dans ce processus, consubstantiel à la survie de leur économie et de leurs emplois.
M. Schäuble a été aujourd'hui reçu au Sénat. Une délégation de députés du Bundestag l’a été à l’Assemblée nationale. Vous savez que l’âge de la cessation du travail en Allemagne a été repoussé à soixante-sept ans.
Ce sujet, dont l’impact sur l’évolution des finances publiques nationales est fondamental, a effectivement été évoqué par le Conseil européen à travers les travaux de la task force de M. Van Rompuy.
In fine, le Conseil européen « invite le Conseil à accélérer les travaux sur la manière dont l’incidence de la réforme des retraites est prise en considération dans la mise en œuvre du pacte de stabilité et de croissance, et à lui faire rapport en décembre ». C’est la demande d’un certain nombre de pays, en particulier de la Pologne.
Mesdames, messieurs les sénateurs, c’est donc dans ce contexte de mise en place d’une « gouvernance économique » européenne que se situe notre débat sur l’article 46 du projet de loi de finances qui est soumis ce soir à votre approbation et qui concerne le montant de notre prélèvement effectué sur les recettes de l’État au titre de la participation de la France au budget de l’Union européenne.
Vous connaissez les données chiffrées, elles ont été rappelées par M. Badré, notamment : en 2011, le prélèvement sur recettes au profit de l’Union européenne est évalué à 18,2 milliards d’euros, soit 7,2 % des recettes fiscales nettes françaises. Ce chiffre est plus élevé que celui que vous avez cité tout à l’heure, monsieur Badré.
Comme l’an passé, les ressources propres dites « traditionnelles » – droits de douane et cotisations sucre –, estimées à 1,4 milliard d’euros, sont exclues du périmètre du prélèvement sur recettes, conformément à la recommandation de la Cour des comptes.
La participation française au budget de l’Union européenne représente donc un effort de solidarité substantiel, notamment à l’égard des nouveaux États membres qui bénéficient pleinement des dépenses de cohésion, fonds structurels et fonds de cohésion.
Cet effort est d’autant plus important qu’il doit être mesuré à l’aune des trois éléments suivants.
Premièrement, il faut rappeler que la France figure désormais – hélas ! – parmi les tout premiers contributeurs au budget de l’Union européenne. Notre pays était, en 2008, le troisième contributeur net, et, en 2009, le deuxième contributeur net après l’Allemagne, le président de la commission des finances le sait parfaitement.
Deuxièmement, le solde net déficitaire de la France, qui s’élevait à près de 5 milliards d’euros par an en 2009, ne va cesser de croître jusqu’à la fin des actuelles perspectives financières, c’est-à-dire jusqu’en 2013. La contribution française devrait connaître une progression moyenne de 600 millions d’euros par an, pour atteindre un solde net déficitaire de près de 7,3 milliards d’euros en 2013 ! Comme la règle de progression dite du « zéro valeur » s’applique, un transfert de 600 millions d’euros en Europe, ce sont 600 millions d’euros en moins d’investissement en France même.
Troisièmement, l’application de cette règle de progression est donc difficile et se traduira par un véritable sacrifice pour nous, Français.
Je crois donc de mon devoir de ne pas masquer cette réalité et, à travers vous, de dire la vérité aux Français : la solidarité que nous affichons légitimement vis-à-vis de nos partenaires européens a un véritable coût, dont la collectivité nationale doit bien prendre toute la mesure.
Pour le Gouvernement, c’est cependant un prix nécessaire que nous acceptons de payer pour que la France, s’appuyant sur l’Europe, soit au rendez-vous du XXIe siècle, pour qu’elle soit un véritable « multiplicateur de puissance », au service d’un espace commun de valeurs, de démocratie et d’un modèle social unique au monde et pour qu’avec nos partenaires nous bâtissions des grands projets pour l’avenir. Je pense ici – d’autres orateurs avant moi ont mentionné ces projets – à Galileo, aux réseaux transeuropéens de transport ou à ITER, et à l’espace, cher à M. Pozzo di Borgo.
La discussion ouverte tout à l’heure par M. Badré sur la fausseté de ce discours sur les retours nets est fondée, mais il faut quand même garder toujours à l’esprit le fait que nous consentons à l’Europe élargie des transferts extrêmement importants, que nous ne faisions pas il y a quelques années.
Enfin, c’est le prix nécessaire pour que nous nous donnions les moyens de nos politiques communes. Plusieurs d’entre vous ont rappelé à quel point nous étions « viscéralement attachés » – je reprends l’expression d’un des orateurs – à la politique agricole commune. C’est notamment le cas dans cette assemblée.
Tel est donc l’objectif de cette contribution française. Encore faut-il en tracer les limites de bon sens, et si vous le permettez, celles-ci m’amèneront à formuler trois remarques.
Première remarque : il est nécessaire que les efforts de réduction des dépenses auxquels nous, les États, nous soumettons soient également partagés par les institutions européennes.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Très bien !
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. M. Gouteyron l’a justement dit tout à l’heure, il est en effet quelque peu curieux que la Commission qui, d’une main, entend flétrir, par des sanctions automatiques, les États qui ne sont pas suffisamment rigoureux sur le plan budgétaire leur propose, de l’autre main, un budget européen pour 2011 en augmentation – excusez du peu – de 6 % en crédits de paiement !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Quelle contradiction !
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. La même remarque vaut pour le Parlement européen qui, lui, souhaitait carrément une augmentation de 7 %.
C’est la raison pour laquelle le Conseil a refusé très fermement cette augmentation et, après avoir longuement réfléchi sur le sujet, a consenti à une augmentation tout de même importante de 2,9 % des crédits de paiement en août dernier, sur la base de laquelle est calculé le prélèvement sur recettes qui vous est présenté ce jour.
À l’issue du Conseil européen, une lettre signée par douze chefs d’État et de gouvernement – dont la France, l’Allemagne, la Grande-Bretagne, l’Italie, l’Autriche, les Pays-Bas ou encore la Suède – et adressée au président du Conseil européen et à la présidence belge a très clairement rappelé qu’il n’était pas question d’aller, dans un contexte européen de maîtrise des finances publiques, au-delà de l’augmentation déjà substantielle de 2,9 % consentie par le Conseil.
Aussi, je ne doute pas que, dans ce contexte, le Parlement européen, tenté par les mêmes excès, la même envie de dépenser, saura faire preuve de sagesse et, dans le cadre de la procédure de conciliation avec le Conseil, qui s’est engagée la semaine dernière, saura prendre pleinement en compte les réalités budgétaires européennes, qui s’imposent à tous les États membres, et, par-delà, aux 500 millions de citoyens européens.
La semaine dernière, lors du débat préalable à la tenue du Conseil européen, j’ai eu l’occasion de préciser que, pour la première fois cette année, le Conseil et le Parlement faisaient l’expérience des nouvelles dispositions du traité de Lisbonne et d’une procédure budgétaire désormais limitée à une lecture par chacune des institutions. Nous verrons, monsieur le président Arthuis, comment les choses se passeront.
Selon cette procédure nouvelle, et pour répondre à la question du président Bizet, les articles 314 et 315 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne sont clairs : en cas de rejet du budget, la Commission serait appelée à présenter un nouveau projet. Dans l’attente, l’Union fonctionnerait sur la base des douzièmes provisoires, c’est-à-dire l’équivalent d’un douzième du budget ouvert l’année précédente. Ce système des douzièmes provisoires permettrait d’assurer a minima la continuité des institutions, mais, chacun l’imagine bien, un certain nombre d’engagements nouveaux seraient compromis.
Toutefois, je veux le redire, nous ne sommes pas dans une situation de blocage pour l’instant : le Conseil et le Parlement ont, comme le traité le prévoit, adopté chacun une position. Ces positions sont, comme on pouvait s’y attendre, divergentes ; mais c’est le cas, vous le savez, au début de toutes les négociations sur le budget annuel. C’est le rôle de la conciliation que de définir des compromis mutuellement acceptables.
Permettez-moi d’ajouter, pour terminer sur cette première question de la maîtrise des dépenses, que cet impératif s’impose naturellement à toutes les institutions européennes, y compris aux très nombreuses agences dont l’Union s’est dotée. À cet égard, je me félicite du travail que vous allez engager, monsieur Badré, à la demande du Premier ministre sur l’Agence des droits fondamentaux à Vienne, que j’ai eu l’occasion d’examiner attentivement. Je pense que vous trouverez là certains enseignements qui seront probablement valables dans d’autres structures du même genre.
Deuxième remarque de bon sens, mesdames, messieurs les sénateurs : quand l’argent européen est effectivement disponible, qu’il a donc été transféré par les États, notamment par la France, afin que soit menée une politique sociale urgente, par exemple, nous serions en droit d’attendre que cet argent soit utilement et efficacement dépensé. Or c’est très exactement l’inverse qui se passe sur l’un des dossiers évoqués ce soir par M. Billout, c’est-à-dire le dossier des Roms, qui concerne tout de même 11 millions de personnes, dont 9 millions de citoyens européens.
En effet, dans ce dossier, la France a été injustement accusée, menacée, vilipendée, quelquefois dans des termes parfaitement insultants, inacceptables, pour la politique pourtant totalement conforme au droit européen qu’elle a engagée l’été dernier, à savoir faire respecter en France le droit d’occupation des sols et les conditions de séjour, elles-mêmes prévues par la directive de 2004.
Or, je veux le dire, pour m’être investi dans ce dossier depuis un an et demi et pour m’être rendu trois fois à Bucarest, nous avons, les premiers, appelé l’attention de nos partenaires sur l’existence, au sein de l’Europe au sens large, y compris parmi les candidats à l’adhésion, d’un véritable scandale, d’un « quart monde » de 11 millions d’individus, dont personne ne s’occupait et qui, pourtant, je le répète, pour 9 millions d’entre eux, sont citoyens de l’Union européenne.
Cette situation est le produit d’un échec patent des politiques d’intégration des Roms dans leurs pays d’origine, et d’une carence non pas du Parlement européen, qui a évoqué le sujet, mais au moins de la Commission, qui connaissait bien ce problème, notamment lors des études de préadhésion de ces pays et au moment des élargissements de 2004 et surtout de 2007. Elle n’a pas suffisamment pris la mesure de cet enjeu ni envisagé les mesures qui s’imposaient.
Or que constate-t-on ? Que c’est le procès de la France qui a finalement été instruit, et non celui des pays d’origine, comme si le problème des Roms était celui de la France et non celui de la Roumanie ou de la Bulgarie. Pourtant, ce sont dans ces pays que l’argent a été transféré, que cet argent disponible n’a pas été dépensé au profit des minorités roms !
Faut-il rappeler, en effet, que, sur près de 20 milliards d’euros transférés, dont va bénéficier, à titre d’exemple, la Roumanie sur la période 2007-2013, seuls 85 millions d’euros ont été programmés à destination des populations roms ?
George Soros, le célèbre financier américain, qui a créé à Budapest une fondation concernant les Roms, a déclaré devant moi, à Mme Reding, lors du sommet européen sur les Roms qui s’est tenu au mois d’avril 2010, qu’il donnait plus d’argent aux Roms que l’Union européenne, et sur ses deniers personnels. Je dis là qu’il y a scandale !
Mieux encore, alors même qu’on instruit le procès de la France, certains pays d’origine, loin d’assumer la moindre responsabilité vis-à-vis de leurs propres citoyens, préfèrent considérer cette question de l’intégration des Roms comme un « problème paneuropéen », dont il reviendrait à tous les États membres – sous-entendu à tous les autres – de prendre leur part.
Cela reviendrait à faire « payer deux fois » la France : une première fois au titre des fonds structurels, des fonds de cohésion, qui sont transférés d’Ouest en Est en Europe, et une seconde fois au titre de l’argent que l’État français, mais aussi nos collectivités locales, de droite comme de gauche, vont devoir verser pour mener à bien le travail d’insertion que les pays d’origine ne mènent pas à l’égard de leurs propres citoyens.
Dans ce contexte, je peux me permettre de parler de « carence », voire de « scandale », au regard de l’ampleur des sacrifices financiers que nous consentons.
Au-delà des mots tout à fait regrettables qui ont parfois été employés, la polémique de cet été aura peut-être, du moins peut-on l’espérer, une vertu : elle a démontré qu’il est temps, comme la France le demande depuis des mois, de s’intéresser aux véritables enjeux de fond que sont, d’une part, l’intégration sociale de ces malheureuses populations dans les pays dont elles sont citoyens à part entière – qui est le seul moyen d’améliorer effectivement leurs conditions de vie – et, d’autre part, la lutte contre les trafics d’êtres humains dont ces populations, en particulier les femmes et les enfants, sont les victimes.
C’est donc pour mettre les points sur les « i » et rappeler les États d’origine à leurs responsabilités premières que la France a pris l’initiative lors de la réunion ministérielle du Conseil de l’Europe, mercredi dernier, de faire adopter une déclaration, non sans mal d’ailleurs. En effet, comme vous le savez peut-être, mesdames, messieurs les sénateurs, le délégué roumain a préféré considérer que cette responsabilité n’était que passagère et que, pendant la période des quatre mois prévue par la directive de 2004, les citoyens roumains résidant légalement dans un autre pays de l’Union étaient sous la responsabilité de celui-ci. Il s’agit là d’une conception assez intéressante de l’article 2 du traité !
Ainsi, le gouvernement roumain estime n’être responsable de sa population Rom que huit mois de l’année, les quatre mois restants étant aux frais d’un autre État membre. J’insiste sur ce point, car c’est ce genre d’attitude qui peut être à l’origine de véritables crises en l’Europe. Nous n’en avons en tout cas pas fini avec cette affaire.
Troisième remarque : nous devons faire connaître clairement nos priorités dans la grande négociation qui se prépare sur le « cadre financier » européen, et qui prendra, à partir de 2014, la suite des actuelles perspectives financières 2007-2013. Beaucoup de choses ont été dites sur cette question par les orateurs précédents, et le Gouvernement les approuve totalement.
Vous le savez, les grandes manœuvres ont commencé avec la présentation par la Commission, le 19 octobre, de sa communication sur le réexamen du budget de l’Union. Ce document est la traduction de la « clause de réexamen », inscrite dans les conclusions du Conseil européen de décembre 2005.
Cet exercice, constamment repoussé, ne constitue cependant plus un réexamen à mi-parcours du cadre financier actuel. Il engage la réflexion sur les prochaines perspectives financières dans l’attente des propositions législatives de la Commission, le « paquet chiffré », annoncées pour juin 2011.
Les autorités françaises examinent attentivement cette communication, dont il ressort, en première approche, quelques grandes caractéristiques.
D’abord, ce document est, comme nous nous y attendions, assez court et essentiellement qualitatif. Tout le volet chiffré est renvoyé à l’été prochain.
Ensuite, les formulations employées dans ce document restent, pour l’essentiel, assez prudentes, notamment sur le volet « dépenses ». Il faut cependant prendre garde : derrière l’habileté de certaines formulations, on devine, ou l’on perçoit, que la PAC est la seule politique faisant l’objet d’une indication tendanciellement négative. Sur ce point, je partage les inquiétudes exprimées par certains d’entre vous. De même, aucune indication claire n’est donnée sur la limitation du budget de l’Union européenne.
Enfin, sur le volet « ressources », la communication est très fournie. De nombreuses nouveautés sont proposées, sur lesquelles nous devons prendre le temps de l’expertise : accroissement de la flexibilité au sein du budget, allongement de la durée de vie du cadre financier – dix ans –, recours accru à des instruments financiers novateurs, introduction de nouvelles ressources propres en remplacement de la ressource TVA et d’une partie de la ressource RNB.
Deux autres étapes jalonnent le parcours qui nous conduit au Conseil européen de décembre : le 10 novembre, la Commission publiera son cinquième rapport sur la politique de cohésion, et, le 17 novembre, elle rendra également publique une communication très attendue sur l’avenir de la PAC.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je n’ignore ni les dilemmes, ni les espoirs, ni les contradictions mis en lumière par certains d’entre vous ce soir – politique agricole commune contre recherche, ressources propres, impôt européen, limitation du budget. Ces contradictions existent dans notre pays, mais également, je tiens à vous rassurer, chez tous nos partenaires.
Dans ces conditions, il est d’autant plus nécessaire pour le Gouvernement, en liaison avec la représentation nationale, d’essayer de garder un cap clair et ferme. J’ai d’ores et déjà fait passer au commissaire européen en charge du budget, M. Janusz Lewandowski, quatre grands messages, lorsque je l’ai reçu à Paris le 31 août dernier.
Premier message : le budget européen doit rester stable au cours des prochaines années. Non, monsieur Billout, il n’est pas question de l’augmenter, et d’ailleurs avec quelles ressources ? Compte tenu de la hausse sensible et régulière de sa contribution brute et de la dégradation parallèle de son retour net, la France sera extrêmement vigilante sur ce point qui est, je crois, partagé par l’ensemble des États membres.
Deuxième message : il est indispensable de maintenir une PAC forte. C’est le message que j’ai entendu ce soir ici même. Je peux vous assurer de la fermeté du Gouvernement dans ce domaine. Il n’est pas question d’accepter une évolution à la baisse du budget de la PAC, celle-ci représentant encore près de trois quarts des retours de la France au titre du budget européen.
On peut encore adapter et améliorer la PAC, même si, comme vous le savez, celle-ci fait partie des politiques européennes qui ont été le plus réformées depuis leur création. En revanche, il ne faut pas l’affaiblir, surtout au moment où la sécurité alimentaire et la sécurité sanitaire sont des enjeux cruciaux partout dans le monde.
Je veux dire à MM. Gouteyron et Sutour combien nous sommes attachés à cette affaire de la PAC. Par ailleurs, et je m’adresse notamment à MM. Bizet et Badré, nous avons besoin de conserver une part de fonds structurels, parce qu’ils assurent la visibilité de l’Europe auprès de nos concitoyens. À cet égard, je vous renvoie à la lecture des rapports parlementaires portant sur ces sujets.
Troisième message : la stabilité du budget européen est parfaitement compatible avec une action européenne ambitieuse. La mise en œuvre des politiques communes obéit à des procédures parfois lourdes et inefficaces qui ne satisfont pas les publics visés. Il est impératif d’améliorer ces politiques et de les adapter à un monde en profonde transformation : plutôt que de dépenser plus, il faut, comme l’a dit notamment M. Sutour, dépenser mieux. C’est particulièrement clair dans le secteur de la recherche et de l’innovation. C’est également le cas pour la politique de cohésion. Sur ce sujet, vous avez tous à l’esprit le rapport de Pierre Lequiller, président de la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale.
Quatrième et dernier message : s’agissant des ressources, nous devons regarder les choses en face. Le financement du budget européen est devenu illisible, inefficace et injuste. Les rabais – certains sont permanents, d’autres non – prolifèrent : chèque britannique, rabais TVA, « rabais sur le chèque britannique », rabais RNB. Savez-vous que la France est, mesdames, messieurs les sénateurs, la première contributrice à la correction britannique, dont elle acquitte près de 25 % ? Cela représentait, en 2009, une dépense de 1,4 milliard d’euros sur un total de 5,6 milliards d’euros.
Comme vous l’avez souligné justement, monsieur Gouteyron, le rabais britannique, qui date de 1984, n’a absolument plus aucune pertinence aujourd’hui. Cette situation n’est plus acceptable. Si le prochain cadre financier doit être l’occasion de se pencher, naturellement, sur le volet « dépenses », personne ne comprendrait qu’il ne soit pas aussi l’occasion d’examiner le volet « ressources ».
La France sera, dans ce cadre, naturellement disponible pour une réflexion d’ensemble sur le financement des dépenses de l’Union. Oui, monsieur Sutour, elle sera prête à discuter de financements nouveaux, des ressources propres. Mais soyons clairs : cette réflexion sur les ressources ne doit conduire ni à une hausse des dépenses ni à la création d’un impôt européen, qui impliquerait de transférer à l’Union européenne une compétence propre sur la fixation de l’assiette et du taux d’une nouvelle ressource. Ce n’est pas le moment de créer un impôt nouveau ou de changer la nature du système de financement de l’Europe. Aucun État membre n’est, du reste, prêt à l’accepter. À cet égard, les déclarations de la chancelière allemande aujourd'hui même font écho à la position de la France sur ces questions.
Sur tous ces sujets, messieurs Gouteyron et Bizet, nous pouvons nous attendre à ce que la négociation soit complexe, difficile, et probablement longue. Souvenons-nous que, lors de la préparation des actuelles perspectives financières 2007-2013, les manœuvres avaient commencé dès 2003, c’est-à-dire quatre ans avant, avec l’envoi à la Commission de la « lettre des Six », dont la France était signataire, réclamant le plafonnement du budget européen à 1 % du PNB européen. Les négociations ne s’étaient achevées qu’en décembre 2005.
Mais, dans ce chantier de longue haleine qui vient de s’ouvrir, vous avez raison de souligner, monsieur Gouteyron, que la France et l’Allemagne sont appelées à jouer, sur ce sujet comme sur tous les autres, un rôle moteur. L’Agenda franco-allemand 2020, adopté en février 2010 par le Président de la République et par la Chancelière, prévoit d’ailleurs que « la France et l’Allemagne préparent ensemble les négociations du prochain cadre financier pluriannuel européen, en veillant notamment à ce qu’il soit cohérent avec les contraintes qui pèsent sur les budgets nationaux et que les charges soient équitablement réparties ».
Pour conclure, tels sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les quelques éléments que je souhaitais vous présenter, en réponse à vos interventions, sur les résultats du Conseil européen des 28 et 29 octobre et sur le prélèvement sur recettes au profit de l’Union européenne pour l’année 2011.
Sur cette base, le Gouvernement a l’honneur de demander à la Haute Assemblée de bien vouloir approuver l’article 46 du projet de loi de finances. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Yves Pozzo di Borgo applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Je tiens à remercier la conférence des présidents et le Gouvernement, tout particulièrement M. le secrétaire d'État, ainsi que vous-mêmes, mes chers collègues, d’avoir accepté que le débat sur la participation de la France au budget de l’Union européenne ait lieu par anticipation dans le cadre d’une semaine de contrôle réservée au Sénat.
Ainsi, nous allons pouvoir réduire le temps que nous consacrions habituellement à cette question au cours de la discussion budgétaire, un mercredi matin, avant le vote sur l’article d’équilibre. Le vote sur l’article 46 interviendra bien évidemment non pas ce soir, mais juste avant que nous nous prononcions sur l’article d’équilibre. Mais nous pourrons considérer que la discussion a eu lieu ; soyez-en remerciés. C’est notre contribution à l’innovation et à la réforme du travail parlementaire ! (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur la participation de la France au budget de l’Union européenne.
12
Ordre du jour
Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mercredi 3 novembre 2010, à quatorze heures trente et le soir :
1. Débat sur les prélèvements obligatoires et l’endettement et projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014 (n° 66, 2010-2011).
Rapport de M. Philippe Marini, fait au nom de la commission des finances (n° 78, 2010-2011).
Texte de la commission (n° 79, 2010-2011).
Avis de M. Alain Vasselle, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 69, 2010-2011).
2. Débat sur les effectifs de la fonction publique.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt-trois heures cinquante-cinq.)
Le Directeur adjoint
du service du compte rendu intégral,
FRANÇOISE WIART