Mme la présidente. La parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Éric Woerth, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'État. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais faire un certain nombre de commentaires par rapport aux propos qui ont été tenus.
Je commencerai par remercier M. le rapporteur général pour son exposé très clair et synthétique sur la situation de la fonction publique, auquel je ne retirerai rien. Je suis parfaitement d’accord avec son analyse.
La fonction publique, c’est 5 268 000 agents. Il faut savoir de quoi on parle ! Il s’agit d’une fonction publique très développée ! Et, quand on parle de réduction des effectifs, il faut savoir qu’on part d’un niveau très élevé. Il y a en effet une réduction d’effectifs sans commune mesure avec le passé. Comment pourrait-il en être autrement puisqu’il aura fallu attendre 2007 pour rompre avec la logique jusqu’alors suivie, qui consistait à augmenter constamment les effectifs de la fonction publique ?
Je ne suis pas certain qu’on ait trouvé la bonne réponse aux difficultés de nos services publics en augmentant de manière continue, systématique et régulière les effectifs de la fonction publique.
Quand on n’a pas le courage de réformer, on apporte toujours la même réponse : on augmente les moyens. C’est un procédé assez classique. C’est plus simple de contenter tout le monde sans rien changer !
La fonction publique compte 1,4 million d’agents de plus qu’en 1980, une époque où je n’ai pas souvenir que la France ait été sous-administrée ! C’était il y a trente ans, ce n’est pas si loin, surtout à l’aune des 1,4 million d’agents supplémentaires. Les volumes d’effectifs en cause sont très importants.
Comme l’a dit Mme Gourault, l’État a décidé de ne pas se contenter de freiner la hausse des effectifs. Il va au-delà, déterminé à les faire diminuer grâce à une démarche politique volontariste et courageuse. Cette démarche, nous l’assumons. On peut, comme le parti socialiste, ne pas être d’accord. Au fond, c’est une démarche de pure logique qui, de surcroît, est favorable aux fonctionnaires.
Assez peu nombreux sont les fonctionnaires qui récusent totalement la réduction des effectifs à titre individuel. Il en va différemment pour les partenaires sociaux.
Ce que veulent les fonctionnaires, c’est avoir un déroulé de carrière plus lisible. Ils souhaitent pouvoir changer de métier et se sentir utiles, ils aspirent à la mobilité et à évoluer dans l’environnement professionnel le plus agréable possible. Ce qui leur importe, c’est d’avoir les moyens de faire leur travail. Et ces moyens, nous les leur donnons.
La réduction d’effectifs s’est traduite par la suppression de 100 000 postes de fonctionnaires entre 2007 et 2010. Le chiffre est considérable. Tout à l’heure, M. Doligé en a avancé un autre, que j’ai rarement entendu, sinon au moment de la révision générale des politiques publiques : le non- remplacement d’un fonctionnaire génère, pour toute sa carrière, une économie générale qui s’élève à un million d’euros. Ne pas remplacer 100 000 fonctionnaires, cela représente une économie d’environ 100 milliards d’euros sur quarante ans.
Cette politique systématique de réduction des effectifs implique une réorganisation et une modernisation de la fonction publique, comme des services publics, à tous les échelons, qu’il s’agisse des départements, des régions ou de l’État. Elle permet à la France d’économiser des sommes considérables.
Plus de la moitié des économies ainsi réalisées sont restituées aux fonctionnaires. Je peux vous assurer qu’il en va bien ainsi, parfois d’ailleurs contre l’avis du ministre du budget… Il faut souvent commencer par prendre quelques mesures catégorielles en particulier en période de réforme.
Les comparaisons internationales portant sur les volumes de fonction publique sont intéressantes. La France compte 6,6 fonctionnaires pour cent habitants, fonction publique d’État et fonction publique territoriale confondues. En Allemagne, le ratio est de 4,2 fonctionnaires pour cent habitants. Il est de 4,6 en Espagne. Au Portugal, la réduction des effectifs a été considérable sous des gouvernements pour la plupart socialistes.
Je n’ai pas le sentiment que la France soit vraiment mieux administrée que ses voisins. L’Allemagne, par exemple, ne me donne pas l’impression d’être un pays complètement laxiste sur le plan des services publics.
Il faut nous situer dans un monde de plus en plus ouvert, où la compétitivité n’est pas réservée aux entreprises.
La compétitivité globale de la France implique le secteur public, comme le secteur privé. Elle ne peut faire abstraction de la question des effectifs.
La fonction publique d’État met en cause la politique salariale, que nous sommes en train de transformer. Nous faisons un travail très important avec les partenaires sociaux, que je respecte. La fonction publique compte des partenaires sociaux de très grande qualité, avec lesquels nous travaillons ouvertement - nous ne sommes pas souvent d’accord, il est vrai -, mais on peut travailler en se respectant et en se parlant franchement
Sur le plan des rémunérations, nous avons mis en place une garantie individuelle de pouvoir d’achat.
M. Jacques Mahéas. Vous avez seulement revalorisé l’indice !
M. Éric Woerth, ministre. Vous vous en moquez, gentiment, certes, mais pourquoi persister dans l’idiotie et arroser tout le monde quand ce n’est pas nécessaire ! On identifie ceux qui ont le plus perdu de pouvoir d’achat par rapport à l’inflation et on réinjecte du point à ceux qui, à tel endroit dans tel département, ont perdu du pouvoir d’achat faute d’être mobile dans la grille ou parce que leur déroulé de carrière ne s’est pas passé conformément à leurs prévisions. C’est cela une politique salariale efficace ! Elle tend un filet de sécurité.
En même temps, nous mettons en place une prime de fonction et de résultat selon le mérite, c’est-à-dire que nous tenons compte de la capacité du fonctionnaire à s’engager dans un métier ou à occuper un poste réputé difficile dans la fonction publique.
Nous sommes en train de travailler sur l’intéressement collectif parce que je pense important d’avoir plusieurs outils de rémunération dans la fonction publique. Jusqu’alors, nous avions un outil unique, exclusivement fondé sur le point d’indice. C’était l’époque des négociations interminables dont nous ressortions au petit matin, la mine patibulaire et pas rasé – je ne parle pas des femmes, évidemment ! (Sourires.)
Mme Jacqueline Gourault. Elles étaient si rares !
M. Éric Woerth, ministre. Ce temps est passé où, après une nuit à batailler, on sortait en annonçant que, finalement, la valeur du point de la fonction publique augmenterait de 1,27 %...
M. Jacques Mahéas. Ce ne serait pas si mal !
M. Éric Woerth, ministre. Le point de la fonction publique est un élément de la rémunération, déconnecté de l’inflation. À côté, les augmentations dépendent de mécanismes qui relèvent à la fois de l’intéressement collectif et de l’intéressement individuel.
À cet égard, au terme de négociations ministère par ministère, les premiers fonctionnaires concernés commencent à percevoir la prime de fonctions et de résultats, qui remplace les indemnités et devrait s’étendre très vite.
Enfin, toujours à l’issue d’une négociation que nous avons mise en place, nous avons signé voilà quelques jours un accord particulièrement important sur les conditions de travail et la sécurité au travail.
Les partenaires sociaux – FO, CFDT, etc. - qui ont signé cet accord représentent plus de 50 % des voix aux élections professionnelles et j’espère que des syndicats comme la CGT ou la FSU, qui n’ont pas dit « non » – la question est toujours pendante devant leurs instances –, le signeront aussi.
Nous sommes parvenus à ce résultat au terme d’une négociation qui s’est étalée sur un an et demi, ce qui démontre que nous n’avons pas attendu que le sujet soit sur le devant de l’actualité : ce sujet, nous nous en préoccupons tous, et je m’en préoccupe particulièrement pour la fonction publique.
Nous allons traiter les risques psychosociaux, qui recouvrent le stress au travail, vrai sujet qui ne doit pas être négligé mais au contraire abordé très sérieusement, et, bien évidemment, le suicide, risque à l’égard duquel l’on doit être très vigilant, notamment lorsque l’on réforme.
Les changements de structures peuvent, en particulier, déstabiliser un certain nombre d’agents, ici ou là, et il faut donc expliquer – je le ferai encore plus largement – les réformes, leur but et leurs conséquences sur le travail des uns et des autres.
Cela étant dit, je n’ai jamais rencontré un fonctionnaire qui me dise vouloir rester immobile ! Je rencontre au contraire des agents plutôt contents de servir la fonction publique d’État ou la fonction publique territoriale, fiers de le faire, mais qui, dans le même temps, ont besoin d’une boussole, ce qui, en période de réforme, est normal : ils souhaitent savoir où nous allons, et c’est tout particulièrement vrai dans les départements, les directions départementales devant être réorganisées, vous le savez, à partir du 1er janvier 2010.
S’agissant de la fonction publique territoriale, je ne stigmatise personne : dire la vérité revient-il à stigmatiser ?
Je pense, pour ma part, qu’il ne faut pas se gêner pour dire la vérité. Or la vérité, c’est que les effectifs de la fonction publique territoriale ont considérablement augmenté, et cela sans que l’augmentation soit liée à la seule décentralisation et aux transferts de compétence qui l’accompagnent.
Certes, et ce n’est évidemment pas devant le Sénat que je pourrais dire le contraire, les collectivités territoriales sont autonomes, mais, dans le même temps, leurs comptes sont consolidés dans les comptes publics, et elles ont donc une responsabilité à l’égard de l’État, qui a un déficit beaucoup trop important.
M. Jacques Mahéas. Les collectivités sont beaucoup moins endettées que l’État !
M. Éric Woerth, ministre. Peut-être, monsieur le sénateur, mais l’État assure les services publics pour les uns et pour les autres !
M. Jacques Mahéas. Les collectivités ne le font-elles pas elles aussi ? N’importe quoi !
M. Jacques Mahéas. Les collectivités le font aussi !
M. Éric Woerth, ministre. … notamment les fonctionnaires de l’éducation nationale ou de l’armée, et qui assure ainsi le fonctionnement de services publics dont par ailleurs vous souhaiteriez le développement.
À vous entendre, il y a trop de déficits, mais pas assez de services publics ; j’avoue que j’ai du mal à suivre votre raisonnement ! J’attire cependant votre attention sur le fait qu’il y a une dérive trop forte des coûts dans les collectivités, dérive qui, évidemment, est en partie imputable au fait qu’elles embauchent trop.
Le nombre d’agents de la fonction publique territoriale aura ainsi augmenté de 35 000 ou de 40 000 cette année. …
Mme Jacqueline Gourault, rapporteur pour avis. Comment l’expliquer ?...
M. Éric Woerth, ministre. … alors que, dans le projet de budget qui nous occupe, l’État prévoit la suppression de 34 000 postes. C’est à l’évidence un problème et nous devons en parler.
Enfin, s’agissant de la fonction hospitalière, je tiens à dire que les moyens sont là, et j’en profite pour dénoncer une contrevérité.
Il n’y a pas moins de fonctionnaires, d’infirmières, de soignants dans les hôpitaux : entre 2000 et 2007, les effectifs de la fonction publique hospitalière ont augmenté de 136 000 personnes, soit une augmentation de 15 % sur la période, et ils ont continué à croître après 2007.
Bien sûr, il peut y avoir, dans tel ou tel hôpital, une réduction de l’effectif due au fait que cet hôpital a dépassé ses capacités budgétaires. Cependant, la réalité est bien qu’il y a davantage de fonctionnaires dans les hôpitaux.
M. Jean-Jacques Jégou. La convergence, monsieur le ministre !
M. Éric Woerth, ministre. N’étant pas chargé des hôpitaux, je ne sais pas si ces fonctionnaires sont mal répartis ou non, mais j’indique que 150 missions sont programmées avec l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux. Elles vont se rendre dans chacun des hôpitaux, notamment dans ceux qui sont en déficit, pour les aider, le cas échéant, à revenir à l’équilibre, à améliorer leur gestion, à repenser l’organisation de leurs pharmacies ou encore des urgences, où parfois le manque de personnel crée des files d’attente dont la longueur a effrayé plus d’un de nos concitoyens,…
Mme Jacqueline Gourault, rapporteur pour avis. Il n’y a pas assez de médecins libéraux !
M. Éric Woerth, ministre. … bref, à s’attacher aux aspects opérationnels de leurs missions dans le cadre fixé par la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires.
Enfin, monsieur le rapporteur général, s’agissant des opérateurs de l’État, à propos desquels nous sommes en train de lancer de nombreuses actions dont je rendrai ultérieurement compte de manière plus précise, je tiens à dire qu’il n’y aura pas de point de fuite.
Nous tenons à soumettre les opérateurs, qui emploient près de 300 000 personnes, en fait 250 000 personnes en équivalent temps plein, soit 10 % des effectifs de l’État, aux mêmes règles – sauf, bien sûr, quelques différences selon les missions exercées – que celles que l’État s’applique à lui-même. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. Nous avons achevé le débat sur les effectifs de la fonction publique.
débat sur l’évolution de la dette
Mme la présidente. Nous en venons maintenant au débat sur l’évolution de la dette.
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Jean-Pierre Fourcade, rapporteur spécial de la commission des finances. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous allons voter tout à l’heure, à l’article d’équilibre, le tableau de financement de l’État et le plafond de variation de la dette à plus d’un an.
Notre vote va porter sur la modeste somme de 212 milliards d’euros.
Mme Nathalie Goulet. Une paille !
M. Jean-Pierre Fourcade, rapporteur spécial. Je commencerai par exposer la situation telle qu’elle se présente en cette fin d’année 2009, situation que je qualifierai de contrastée.
En effet, entre 2008 et 2009, la dette a beaucoup augmenté mais la charge d’intérêts a diminué, mouvements contraires qui s’expliquent de deux manières.
Si l’augmentation de la masse a été de 123 milliards d’euros d’une année sur l’autre, la dette de l’État dépassant ainsi, à la fin de l’année 2009, 1 140 milliards d’euros et la dette totale – de l’État, de la sécurité sociale, des entreprises, etc. – atteignant quant à elle 77 % du produit intérieur brut, d’une part, les taux d’intérêts ont assez fortement baissé et, d’autre part, l’Agence France Trésor a beaucoup développé le financement par bons du Trésor à court terme.
Pour ces bons, on est passé d’un taux de 3,76 % à la fin de 2007 à un taux inférieur à 1 % à l’heure actuelle, de sorte que le « matelas » de bons du Trésor qui sert à financer l’ensemble des opérations a dépassé dans le courant de l’année 2009, pour la première fois, 200 milliards d’euros.
Cette technique qui consiste à beaucoup tirer sur les bons du Trésor à court terme malgré l’augmentation du volume de la dette explique le fait que la charge de la dette ait diminué de 2008 à 2009.
En 2008, la charge de la dette avait été très forte à cause du coût des obligations indexées, car, hélas, il y avait eu cette année-là une petite poussée d’inflation.
En 2009, la charge de la dette sera inférieure à 40 milliards, rejoignant ainsi le niveau de 39 milliards d’euros qui était habituellement le sien au cours des années 2004 à 2007.
Cependant, il est important de relever que le déficit primaire – c'est-à-dire la couverture des dépenses hors charge de la dette par les recettes fiscales –, qui était à un niveau correct en 2006 et en 2007, a beaucoup diminué et que notre dette se situe aujourd'hui à une profondeur abyssale.
Pour 2010, l’inquiétude domine.
En effet, l’augmentation de la dette de l’État va être de 113 milliards d’euros et la charge de la dette va passer de 39 milliards à 42,5 milliards d’euros.
Le Gouvernement, dans la crainte et dans l’anticipation d’une augmentation des taux d’intérêt, a préféré limiter le recours aux bons du Trésor, dont la variation ne serait que d’une trentaine de milliards d’euros pendant l’année 2010, et insister au contraire sur l’augmentation des émissions d’emprunt à moyen et long termes, dont la valeur passerait de 165 milliards d’euros cette année à 175 milliards d’euros l’année prochaine.
La perspective d’une augmentation des taux d’intérêt est effectivement inquiétante. Ainsi, si la Banque centrale européenne augmentait en cours d’année son taux de 0,25 %, cela se traduirait par 150 millions d’euros de charge supplémentaire par trimestre et, si tous les taux d’intérêt augmentaient de 1 % l’année prochaine, la charge budgétaire s’alourdirait de 2,4 milliards d’euros.
À plus long terme, de l’examen des différents scénarios établis par les économistes de la délégation à la prospective dans le cadre d’une étude sur les perspectives d’avenir jusqu’en 2030, qu’il s’agisse des scénarios adoptés pour la croissance, pour l’inflation et pour la gestion de la dette publique, je retire l’impression suivante.
Selon le scénario le plus favorable, on peut parvenir, à l’horizon 2030, à ramener le poids de la dette par rapport au PIB à 63,5 %, soit un taux inférieur aux taux atteints en 2008 et en 2009.
En revanche, dans le scénario le plus défavorable – une croissance molle et des taux d’intérêt élevés –, le poids de la dette par rapport au PIB pourrait s’élever jusqu’à atteindre un taux 135 %, taux qui se rapproche des taux japonais mais nous éloigne de nos voisins…
J’ajouterai que le risque essentiel pour l’année prochaine découlera du grand emprunt national : si celui-ci dépasse 40 milliards d’euros, nous reviendrons aux chiffres de l’année dernière et, surtout, nous emprunterons sur les marchés plus que l’Allemagne.
En effet, en additionnant aux 215 milliards d’euros annoncés les 35 milliards ou 40 milliards de l’emprunt et la facilité de trésorerie de l’ACOSS pour la sécurité sociale, on dépasse 300 milliards d’euros, chiffre qui motive mon inquiétude.
Je souhaite donc que le volume de l’emprunt soit le plus faible possible, de manière à éviter une trop importante dégradation de nos finances.
En conclusion, mes chers collègues, la France est entrée depuis le début de l’année 2008 dans un système de dette perpétuelle et je ne vois pas comment, d’ici à 2030, elle pourrait en sortir. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai assez souvent utilisé ces derniers temps cette expression : être comme en état d’apesanteur financière.
Nous vivons bien un paradoxe, car, à certains égards, nous sommes dans une bulle de taux d’intérêt, avec une dette qui explose ou, en tout cas, s’alourdit très sensiblement en termes de capital restant dû, tout en pesant moins lourdement en termes de charge d’intérêt.
Pour l’année 2009, les frais financiers auront été inférieurs, comme le rappelait à l’instant Jean-Pierre Fourcade, de 5,7 milliards d’euros à ceux de 2008, et cela malgré une augmentation de l’encours de 123 milliards d’euros.
Faut-il appréhender la sortie de crise ? Faut-il craindre le retour à la normale ?
Nous savons bien que l’inflation va réapparaître et que les taux d’intérêt vont remonter, tandis qu’il faudra bien rembourser toute cette dette accumulée.
L’afflux de liquidités à coût nul commence à faire sentir ses effets pervers sur les marchés des changes, avec la baisse annoncée du dollar. Aujourd’hui même, l’euro est à 1,50 dollar, tandis que l’or atteint de nouveaux records, à 1 118 dollars l’once.
La sortie de crise sera le moment de vérité des modèles économiques, et nous allons voir se creuser les différences entre les pays. Je parle, bien entendu, des modèles économiques nationaux.
Regardons les écarts de taux d’intérêts, les spreads. Le tableau sur les différentiels de taux montre que le marché se scinde de plus en plus nettement en trois groupes, autour de trois couples de pays : Allemagne-France, les mieux placés, Italie-Espagne, et Grèce-Irlande, qui sont très loin.
L’Italie a un endettement élevé, 113 % du produit intérieur brut, qui l’a toujours mal placée, mais la crise l’affecte moins, ses banques ayant été peu touchées, d’où sa tendance à retrouver la moyenne. Si la dette française devait être payée au taux de l’Italie, cela nous coûterait quand même un milliard et demi d’euros de plus par an.
Le ratio dette de l’Espagne est de 63 %. Elle a connu de grands chocs et a pu résister, car elle disposait d’une meilleure situation initiale, mais elle n’arrive plus à réagir maintenant avec le groupe réputé le plus solvable, et s’en éloigne de plus en plus.
Que peut-on dire de l’avenir, en particulier de la surveillance qui s’exerce au niveau de l’Union européenne et de la pression des marchés ?
Faire appel aux marchés a des contreparties : tôt ou tard, ceux-ci vont se poser à nouveau la question de la solvabilité des États pour établir une nouvelle hiérarchie en fonction de la soutenabilité de leurs finances publiques. Nul doute qu’ils n’apprécieront pas seulement notre aptitude à investir utilement, mais aussi et surtout à faire des économies de fonctionnement, et même des sacrifices : c’est indispensable si l’on veut, monsieur le ministre, que les marges de manœuvre que l’on se donne avec le grand emprunt servent à quelque chose et que les frais financiers qu’il induit soient supportables.
Ce grand emprunt vient donc opportunément pour élargir notre marge de manœuvre. Si nous pouvons profiter de la fenêtre d’opportunité des taux, tant mieux ! Mais attention : il ne sera vertueux qu’en tant que déclinaison de la règle d’or, entendue comme n’autorisant l’État à emprunter que pour financer des dépenses d’investissement, et seulement s’il permet d’escompter à terme un retour sur investissement ; c’est la fameuse rentabilité dont nous aurons l’occasion de reparler.
Ma conviction est que, sans doute plus tôt qu’on ne le pense, la pression sur les comptes publics – pas seulement celle, assez compréhensive finalement, de nos grands partenaires européens, mais surtout celle, anonyme, résultant des marchés ! –, pression aujourd’hui entre parenthèses, va ressurgir et représenter pour nous un véritable défi pour les années à venir. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. J’indique au Sénat que la conférence des présidents a fixé pour cette discussion à cinq minutes le temps de parole dont chaque groupe dispose et à trois minutes celui dont dispose la réunion des sénateurs n’appartenant à aucun groupe.
Par ailleurs, le temps programmé pour le Gouvernement est prévu au maximum pour quinze minutes.
Mme la présidente. La parole est à M. Charles Guené.
M. Charles Guené. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le soutien apporté par le groupe UMP du Sénat à la politique de relance conduite par le Gouvernement ne lui interdit pas de tenir un langage de vérité sur la dette publique.
Nous considérons qu’il est de notre devoir de bien distinguer les enjeux structurels des enjeux conjoncturels, le long terme du court terme. Nous approuvons ainsi, sans réserve, le choix du Gouvernement de ne pas augmenter les taux des impôts pour compenser la diminution des recettes fiscales liée à la crise économique.
Nous soutenons le plan de relance, qui donne la priorité à l’investissement, et saluons l’ambition du grand emprunt, qui nous force à anticiper les enjeux de demain et à investir pour l’avenir à moyen et long terme. Nous n’ignorons cependant pas que ces choix politiques ont un coût en termes de déficits et surtout de dette publique.
Vous tenez un langage de vérité dans ce domaine, monsieur le ministre, ce que nous apprécions, et vous comprendrez donc que le Sénat fasse de même.
Notre commission des finances est dans son rôle lorsqu’elle alerte sur l’augmentation vertigineuse de la dette publique, qui devrait atteindre 84 % du PIB à la fin 2010 et progresser ainsi de vingt points entre 2007 et 2010.
Certes, comme vous l’avez souligné lors de la discussion générale, monsieur le ministre, l’ensemble des pays de la zone euro connaissent la même situation et, sur la même période, la dette publique des États-Unis a augmenté d’un peu plus de trente points du PIB, celle du Royaume-Uni et du Japon d’un peu moins de quarante points. Il n’en reste pas moins qu’au-delà de 2010, en dépit d’un objectif de réduction du déficit public d’au moins un point de PIB chaque année, les perspectives pluriannuelles offertes par le Gouvernement montrent un endettement qui demeurerait supérieur à 91 % à l’horizon 2013.
Nous y voyons de nombreux motifs d’inquiétude, pour nous-mêmes, mais aussi et surtout pour nos enfants, sur lesquels reposera le poids de la dette.
Mais nous avons également un motif d’espoir. Il n’y aura en effet de réduction durable des déficits et de l’endettement que si nous parvenons collectivement à maîtriser les dépenses publiques. Or, de ce point de vue, nous notons avec satisfaction que les dépenses de l’État n’augmenteront pas plus vite que l’inflation, alors même que la crise impose des dépenses sociales supplémentaires. Nous notons aussi que la réduction des effectifs de l’État se poursuit à un rythme soutenu, avec 34 000 postes de moins en 2010. Ce n’est pas pour nous une fin en soi, mais l’un des moyens de réaliser des économies structurelles durables et de stopper la spirale infernale de l’endettement.
Au-delà des mesures conjoncturelles de soutien de la croissance, nous accordons donc la plus grande attention aux réformes de structure engagées par le Gouvernement depuis 2007. C’est un travail de fond, parfois ingrat, souvent difficile, dont les effets budgétaires peuvent paraître, dans un premier temps, limités, mais qui se cumulent année après année et finissent par générer des économies significatives et surtout durables.
Ces réformes de structures doivent être mises en œuvre sans précipitation, mais avec détermination et persévérance. Elles s’imposent aujourd’hui, d’autant plus que nous savons que les dépenses sont de plus en plus rigides et que les marges de manœuvre sont limitées.
« L’effet volume » de la dette ne sera pas indéfiniment compensé par « l’effet taux ». Après les « déficits sans pleurs » évoqués par notre excellent rapporteur général, nous risquons de connaître des lendemains qui déchantent en matière de charge de la dette.
Nos conditions d’emprunt risquent de se dégrader et nous devons, à cet égard, observer de très près l’évolution des spreads vis-à-vis des autres pays européens, en particulier de l’Allemagne. C’est tout l’enjeu de la coordination des stratégies budgétaires de sortie de crise.
Nous devons réduire notre déficit structurel pour pouvoir, demain, rembourser nos dettes, car il n’y a pas d’autre sortie de l’endettement que le remboursement.
Cet effort structurel est l’affaire de tous les acteurs publics : l’État, bien sûr, qui doit continuer à réduire son train de vie, la sécurité sociale, qui doit rationnaliser son organisation, mais aussi les collectivités territoriales, qui ne peuvent s’affranchir de l’effort collectif.
Soyez assuré, monsieur le ministre, que le groupe UMP du Sénat soutiendra les efforts que vous réalisez en ce sens, en particulier dans le cadre de la RGPP et de la réforme de l’État. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)