PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet

M. le président. Mes chers collègues, nous avons achevé la présentation des amendements déposés sur l'article 3 bis.

Vote sur les amendements

Article 3 bis (priorité)
Dossier législatif : projet de loi pour l'égalité des chances
Vote sur les amendements de l'article 3 bis (priorité) (interruption de la discussion)

M. le président. Conformément au règlement, je vais mettre aux voix les amendements dont le vote a été précédemment réservé.

La parole est à M. Roland Muzeau, pour explication de vote sur les amendements identiques nos 146 rectifié, 273 rectifié, 440 et 648.

M. Roland Muzeau. « Égalité des chances » : c'est avec ce titre mensonger et prétentieux que le Gouvernement vient devant le Parlement pour imposer, en fait, de très graves reculs en matière de droit du travail et de droit au travail.

Contrairement à ce qu'affirme M. de Villepin dans ses déclarations en faveur de l'emploi, nous assistons à un bouleversement du droit ainsi qu'à une précarisation sensible de la société dans son ensemble et, surtout, des couches modestes de la population.

Mesdames, messieurs de la majorité, vous avez déjà oublié le « non » au référendum du 29 mai dernier, au cours duquel les électeurs ont clairement exprimé, ainsi que toutes les analyses des spécialistes l'ont démontré, combien étaient fortes leurs préoccupations devant la gravité de la question sociale et leur exigence de voir enfin un autre système social se mettre en place à l'échelle de notre pays et de l'Europe.

Or, texte après texte, l'insécurité sociale dont parlent nombre de spécialistes s'accroît.

Mais au fait, sommes-nous en train d'assister à une stérile opposition entre droite et gauche ? Participons-nous à un débat dans lequel la majorité détiendrait la vérité alors que l'opposition répandrait la mauvaise foi ? Pour vous convaincre qu'il n'en est rien, je veux citer un remarquable « point de vue » signé par cinq spécialistes, Tiennot Grumbach, Pierre Lanquetin, Pierre Lyon-Caen, Claude Michel et Christine Zbinden : « Non, décidément, l'espoir très aléatoire d'une amélioration de l'emploi ne peut justifier l'existence d'une catégorie de salariés corvéables à merci et l'effacement de trente-deux années d'acquis sociaux, ainsi que la négation de principes fondamentaux internationalement reconnus. »

Ces spécialistes portent un jugement autant sur l'insécurité sociale aggravée pour les salariés que sur celle qui se fait jour dans les entreprises.

Le titre de leur contribution est clair : « Employeurs, salariés, vous avez été trompés ! » Ils écrivent encore : « En effet, en droit commun, le salarié licencié sait ce que l'employeur lui reproche. Il peut donc, en connaissance de cause, décider de saisir ou non le juge, ce qui se fait assez rarement, contrairement à une idée reçue chez les employeurs. Devant le juge, la lettre de licenciement fixe les limites du litige. Avec le CNE, et demain le CPE, la lettre de licenciement sera le plus souvent non motivée. » (L'orateur s'exprime dans un bourdonnement provoqué par des conversations sur les travées de l'UMP.)

Écoutez donc, chers collègues, je pense que c'est important pour que vous puissiez vous forger une opinion en connaissance de cause ! Merci, monsieur le président, de faire respecter l'ordre.

M. le président. Tout le monde écoute l'orateur, s'il vous plaît !

M. Dominique Braye. Mais ce qu'il dit n'a aucun intérêt !

M. Roland Muzeau. « La charge de la preuve incombera au salarié qui devra démontrer que son licenciement n'est fondé ni sur l'insuffisance professionnelle ni sur un motif économique. Perversion du système : l'ignorance du motif du licenciement va contraindre le salarié, pour le connaître, à assigner presque systématiquement en justice son employeur, alors que l'on entretient les employeurs dans l'illusion que le CNE les mettrait à l'abri du juge ! »

Nous, sénateurs de l'opposition, avons développé cette thèse à de très nombreuses reprises ici même, et je prends là quelques exemples dans un désordre qui n'est apparent.

Ces cinq spécialistes poursuivent ainsi : « Or, l'ordonnance en question... » - il s'agit de l'ordonnance n° 158 de l'OIT, ordonnance que vous avez contestée à plusieurs reprises, monsieur le ministre - « ... est contraire à l'article 4 de la convention de l'OIT, qui interdit qu'un travailleur puisse être licencié sans qu'il existe un motif valable de licenciement, ainsi qu'à l'article 7, qui impose l'existence d'une procédure contradictoire en cas de licenciement pour les motifs liés à la conduite ou au travail du salarié. »

Ils ajoutent ceci : « Le Conseil d'État a considéré que le délai de deux ans prévu par l'ordonnance précitée était raisonnable au regard du but poursuivi : favoriser l'emploi. Sa décision, très contestable, ne s'impose nullement au juge judiciaire, qui a toute latitude pour avoir une appréciation contraire. Pour le moins, le juge prud'homal devra tenir compte des termes de la convention n° 158 pour interpréter restrictivement l'ordonnance du 2 août 2005.

« Cependant, le plus préoccupant est ailleurs. Imagine-t-on la situation angoissante de ces salariés qui, chaque matin, et pendant deux années, ignoreront si leur contrat sera maintenu le lendemain, même s'ils bénéficient, en cas de rupture, d'un court délai de préavis, insuffisant pour retrouver un emploi ?

« Comment les salariés parviendront-ils à faire respecter leur dignité alors que, à la moindre contrariété ressentie par leur employeur, ils sauront qu'ils peuvent, sans préalable et sans motif, voir leur contrat rompu ? »

Mes chers collègues, vous aurez noté que ces spécialistes relèvent non seulement beaucoup d'incertitudes, mais aussi beaucoup de certitudes quant aux dangers suscités par le CPE, que le Gouvernement veut faire adopter.

Enfin,...

M. Dominique Braye. C'est long !

M. Roland Muzeau. ... je citerai un observateur que vous ne contesterez pas, monsieur le ministre, mes chers collègues de la majorité : le directeur de la rédaction du magazine Liaisons sociales. Je crois en effet utile de porter à votre connaissance, avant que vous ne procédiez au vote sur ces amendements, une appréciation que formule M. Denis Boissard.

M. le président. Permettez, monsieur Braye ! C'est moi qui préside la séance ! (Sourires.)

M. Roland Muzeau. Il écrit : « L'erreur du Premier ministre, c'est, au nom de l'urgence, de brûler les étapes, sans prendre le temps ni de l'évaluation promise du CNE, ni de la pédagogie de la réforme, ni d'une concertation poussée avec les partenaires sociaux. Encouragé par l'absence d'opposition significative au CNE, Dominique de Villepin a choisi de tenir les corps intermédiaires pour quantité négligeable. Le voilà, à l'heure où ces lignes sont écrites, sous la menace d'une coalition entre syndicats et mouvements d'étudiants, fort semblable à celle qui avait fait capoter le projet du CIP (Manifestations d'impatience sur les travées de l'UMP), ce "SMIC jeune" qu'Édouard Balladur avait voulu mettre en place en 1994. »

M. le président. Monsieur Muzeau, terminez, s'il vous plaît ! (Exclamations sur les mêmes travées.)

M. Roland Muzeau. L'opposition n'est pas seule à contester le CPE : tous les spécialistes que je viens de citer, les jeunes, les étudiants, les lycéens sont opposés au CPE, et je suis sûr qu'ils obtiendront satisfaction. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. Monsieur Muzeau, j'ai été tolérant, mais je ne le serai pas toujours !

La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, pour explication de vote.

Mme Marie-Christine Blandin. Saisi par la colère d'une jeunesse qui se sent malmenée et discriminée...

M. Josselin de Rohan. C'est beau !

Mme Marie-Christine Blandin. Est-ce le mot « jeunesse » qui me vaut ce sursaut de M. de Rohan ? (Exclamations ironiques sur les travées de l'UMP.)

Je reprends mon propos : saisi par la colère d'une jeunesse qui se sent malmenée et discriminée, le Gouvernement a répondu par un texte sur l'égalité des chances.

Hélas, de même que, aux élèves en difficulté en classe l'article 1er propose, non du soutien scolaire, mais une sortie accélérée, cet article 3 bis ne tend à offrir aux jeunes impatients de prendre toute leur place dans la société que les aléas d'un contrat aux engagements unilatéraux et aux recours incertains puisque les garanties votées hier dans le code du travail se trouvent mises en question dans le texte d'aujourd'hui.

Quant aux amendements déposés par l'opposition et ayant pour objet de sécuriser ce dispositif, tous ont été refusés.

Cela renforce les sénatrices et le sénateur Verts dans leur conviction qu'il faut supprimer cet article, comme ils le proposent dans l'amendement n° 440. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à Mme Raymonde Le Texier, pour explication de vote, et je vous prie de l'écouter, mes chers collègues.

M. Dominique Braye. Non ! On n'est pas obligé d'écouter !

Mme Raymonde Le Texier. Pourquoi voulons-nous supprimer cet article, monsieur le ministre ? Parce que dire à un jeune que la meilleure raison de l'embaucher c'est la certitude qu'on pourra le licencier sans motif, ce n'est pas une proposition, c'est un affront ; parce que utiliser la peur du chômage pour ne laisser d'autre choix que la régression sociale, ce n'est pas une politique, c'est une manipulation ; parce que laisser entendre que la création d'emplois dépend de la destruction de notre modèle social, ce n'est pas dire la vérité, c'est prêcher le faux.

À installer dans les esprits l'idée que c'est la facilité à licencier qui est la clé de l'embauche, vous faites du code du travail le seul frein à la création d'emplois.

L'étape suivante est évidente et, surtout, logique : étendre à tous la précarité et calquer tous les contrats de travail sur le modèle du CPE et du CNE. C'est le contrat unique.

Vous oubliez au passage qu'une économie moderne et dynamique ne peut appuyer sa croissance sur l'exploitation du travail précaire et peu cher. Ce dont elle a besoin, c'est d'investissements, de recherche et d'innovation, c'est de compétence et de motivation, c'est d'éducation et de stabilité.

Or, monsieur le ministre, en guise de modernisation de l'économie, vous n'offrez à notre pays qu'un retour au XIXe siècle : chômage de masse, embauche à la journée, absence de protection sociale.

M. Christian Cambon. C'est honteux d'affirmer des choses pareilles !

Mme Raymonde Le Texier. Un tel choix n'est pas seulement inefficace et contre-productif, il est surtout injuste.

Qu'il soit inefficace, vous le savez bien : depuis que vous êtes au pouvoir, vous n'avez cessé vos attaques contre le droit du travail. Pour quel résultat ? La France ne crée toujours pas d'emplois !

Qu'il soit contre-productif, vous ne pouvez l'ignorer : à défaut de créer des emplois, vous favorisez les effets d'aubaine, et ce sont les contrats stables, du type du CDI, qui ont subi une nette érosion au profit de ces nouveaux contrats jetables.

Contre-productif, il l'est également parce que facteur d'insécurité juridique. À défaut de relancer l'emploi des jeunes, vous allez remplir le porte-monnaie des avocats !

Il est injuste, enfin, parce qu'il n'offre à notre jeunesse qu'une place subalterne dans le monde du travail.

Faciles à supprimer, faciles à renouveler, les CPE devraient rapidement devenir la règle de l'emploi des moins de vingt-six ans, tant ils permettent à l'entreprise d'utiliser son jeune personnel comme une variable d'ajustement en cas de retournement de conjoncture.

Et c'est bien là son seul intérêt. La création du CPE témoigne de votre indifférence envers ceux qui sont l'avenir de notre pays. J'en veux pour preuve le fait que vous ne vous êtes même pas attaqué aux inégalités que le chômage des jeunes recouvre.

Prétendre que les jeunes mettent onze ans à s'intégrer dans la vie active c'est énoncer une contrevérité, monsieur le ministre ! Seuls ceux qui sortent sans qualification de notre système scolaire sont dans cette situation. C'est dire si le chômage des jeunes dépend du niveau de formation ! Quand on observe la situation des jeunes cinq à dix ans après la fin de leurs études, on s'aperçoit que seuls 6 % de ceux qui ont un diplôme supérieur au baccalauréat sont au chômage, contre plus de 30 % de ceux qui n'ont aucun diplôme.

Ce n'est pas en créant un contrat tel que les jeunes seront corvéables et révocables à merci que vous leur ouvrirez un meilleur avenir, c'est d'abord en vous intéressant aux questions d'éducation.

M. Roland Courteau. Bien sûr !

Mme Raymonde Le Texier. Si cet article est maintenu, c'est une fin de non-recevoir aux espoirs de toute une génération que vous opposerez là, monsieur le ministre.

Comment trouver sa place dans la société quand on n'entre sur le marché du travail que par le biais d'un sous-contrat ? Comment être fier de son emploi quand on sait qu'on a été recruté parce qu'on était facile à limoger ? Comment envisager l'avenir quand on ne sait jamais de quoi demain sera fait ? Comment affermir ses compétences et progresser quand on est à la merci du bon vouloir de l'employeur ? Comment s'affirmer dans un contexte où la peur du licenciement est promesse de soumission ?

M. Dominique Braye. Trop long !

Mme Raymonde Le Texier. Un tel contrat, loin de rendre espoir à la jeunesse, la stigmatise toujours plus et creuse encore les inégalités qui la traversent.

M. Josselin de Rohan. Votre temps de parole est dépassé !

Mme Raymonde Le Texier. Les employeurs ne sont pas dupes, qui le disent eux-mêmes : « on ne prendra jamais le risque de proposer un CPE à un élève ingénieur très convoité. »

C'est assez dire que, pour eux, le CPE n'est qu'un sous-contrat à destination d'une population interchangeable et paupérisée, un sous-contrat qui risque très vite de devenir l'unique modèle des relations de travail dans l'avenir : par petites touches, de CNE en CPE, c'est le salarié que l'on dépouille de toute protection et le monde du travail que l'on transforme en jungle !

Que la jeunesse soit l'une des premières cibles de cette entreprise de précarisation générale est un aveu du manque total de confiance que vous avez en son avenir. En rognant ses droits, vous la privez de son audace et c'est toute notre société que vous fragilisez. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons déjà exposé toutes les raisons pour lesquelles nous nous prononcerons évidemment pour la suppression de cet amendement.

Un sénateur de l'UMP. De cet article !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il s'agit bien d'un amendement que le Gouvernement nous a infligé, et non d'un article du projet de loi initial.

Si nous voulons le supprimer, c'est parce que, par ce biais, monsieur le ministre, vous mettez à mal les garanties des salariés, qui, ma foi, n'en ont déjà pas beaucoup tant il est vrai que, dans ce pays, il est plus facile d'être licencié que de garder son emploi.

Mais nous avons des raisons supplémentaires de nous opposer à cet article parce que, il n'y a pas si longtemps, vous avez présenté le CNE comme un remède miracle, comme la clé permettant aux petites entreprises d'embaucher. Dans la foulée, vous vous êtes précipité pour étendre le CNE, sous la forme du CPE, à toutes les entreprises, et ce à l'intention des jeunes de moins de vingt-six ans.

Vous savez que le CPE suscite une très grande colère, en particulier chez les jeunes, qui se sentent ainsi, avec raison, méprisés et stigmatisés, mais vous avez bâti toute votre argumentation sur le fait qu'il allait, lui aussi, inciter les entreprises à embaucher des jeunes - reconnaissant au passage que ceux-ci, dans notre société, subissent le plus durement la précarité -, ce qu'elles ne faisaient pas. M. le rapporteur n'a-t-il pas répété à l'envi - à peu près toutes les demi-heures ! - qu'il vaut mieux avoir un CPE que rien du tout ?

M. Alain Gournac, rapporteur. Absolument !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous pensiez, monsieur le ministre, pouvoir annoncer que, grâce au CNE, 250 000 emplois seraient créés ; le chiffre de 300 000 avait même été avancé.

Mais que nenni ! Vos propres services eux-mêmes vous ont contredit : selon eux, seuls 70 000 emplois, en tout et pour tout, étaient dus au CNE ; les autres résultaient d'effets d'aubaine et auraient été créés de toute façon. De plus, le nombre d'inscrits à l'ANPE et de bénéficiaires du RMI laissait penser que, s'il y avait moins de chômeurs, c'était surtout parce qu'ils avaient disparu des fichiers d'inscription au chômage.

Les premiers échos que nous avons du CNE montrent que, si ces personnes ont bel et bien été embauchées au mois de novembre ou au mois de décembre, la plupart sont, hélas ! déjà licenciées.

En réalité, ce CNE a, tout compte fait, vraiment été une aubaine pour embaucher quelqu'un avec un contrat inférieur à un CDD. Ce n'est évidemment pas ce que vous nous aviez promis !

De plus, vos propos concernant la reprise de l'emploi se trouvent totalement contredits : au lieu d'entrevoir l'embellie promise, on s'aperçoit que, ce mois-ci, le chômage a crû de nouveau de 0,7 %, alors même qu'il se situait déjà à un niveau très élevé !

Aujourd'hui, la proportion de salariés payés au SMIC atteint un record : 16,8 %, soit 2,5 millions de personnes. On sait également que le nombre de RMIstes a augmenté. Quant aux chiffres de la précarité et de la pauvreté, ils explosent.

On peut donc considérer que, dans ce pays, 6 millions de personnes vivent en deçà du seuil de pauvreté, c'est-à-dire qu'elles n'ont même pas la tête hors de l'eau.

Mesdames, messieurs les sénateurs de la majorité, ne pensez-vous que, au lieu de vouloir à toute force adopter le CPE, vous devriez vous pencher plus avant sur les moyens de relancer l'emploi ?

Ne croyez-vous pas, car il est inadmissible que le niveau des salaires soit aussi bas dans notre pays, qu'il faudrait envisager une augmentation des salaires, ainsi que le relèvement du SMIC et des minima sociaux. Ah, bien sûr, cela se traduirait par une diminution de la rémunération des actionnaires, qui, elle, ne cesse d'augmenter !

M. le président. Madame la présidente, veuillez conclure !

M. Dominique Braye. C'est trop long !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous seriez bien avisés de constater combien ce type de contrat, qui représente une étape extrêmement dangereuse dans la casse du code du travail, est néfaste pour les jeunes, qui attendent autre chose de leur premier emploi. Vous seriez, par conséquent, bien inspirés de supprimer cet article 3 bis puisque le CPE, loin de constituer un bon moyen de créer des emplois, est parfaitement inefficace. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. Dominique Braye. Trop long !

M. le président. La parole est à M. André Vézinhet, pour explication de vote.

M. André Vézinhet. Depuis bientôt trois heures, nous débattons des amendements déposés sur l'article 3 bis. Pendant ce temps, dans la rue, dans les universités, dans les lycées, des jeunes, de jeunes travailleurs mais aussi, souvent, de jeunes demandeurs d'emplois se mobilisent, disant à quel point leur situation est difficile, criant leur détresse.

La représentation parlementaire, en présentant de nombreux amendements tendant à améliorer cet article, si tant est que cela soit possible, a joué son rôle.

Ces propositions portent sur les thèmes les plus divers. Améliorations concernant la protection sociale : refus par la voix du rapporteur, refus par la voix du ministre ! Aménagements pour parer aux effets néfastes du renouvellement du contrat de travail ou du licenciement, qui devient tellement aisé dans le cadre du CPE : refus par la voix du rapporteur, refus par la voix du ministre ! Aménagements relatifs aux obligations de formation : refus par la voix du rapporteur, refus par la voix du ministre !

Sur ce dernier point, le Gouvernement a émis un avis défavorable alors même que M. le rapporteur s'en était remis à la sagesse du Sénat.

S'agissant des obligations d'évaluation : refus ! Monsieur le ministre, vous êtes allé jusqu'à nier la validité des méthodes statistiques utilisées, qui sont pourtant éprouvées depuis longtemps. Les statistiques seraient-elles donc aux ministres ce que le lampadaire est à l'alcoolique, à savoir qu'elles les soutiennent, mais ne les éclairent pas ?

Nous sommes face à une situation dramatique et je crois que, si les jeunes qui manifestent aujourd'hui avaient été présents lors de ce débat, l'amendement de suppression se serait imposé de lui-même. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 146 rectifié, 273 rectifié, 440, 648.

Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...

Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.)

M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 94 :

Nombre de votants 329
Nombre de suffrages exprimés 328
Majorité absolue des suffrages exprimés 165
Pour l'adoption 127
Contre 200

Le Sénat n'a pas adopté.

M. Roland Muzeau. L'UDF s'est couchée !

M. Robert Bret. Ils ont voté le CPE !

Mme Hélène Luc. Vous avez pris une grave responsabilité, chers collègues !

M. le président. La parole est à M. Philippe Nogrix, pour explication de vote sur l'amendement n° 501.

M. Philippe Nogrix. Nous avons déposé cet amendement parce qu'il nous semble que le CPE ne répond pas aux attentes des entreprises ni à celles des futurs salariés.

D'une part, les entreprises, lorsqu'elles embauchent, ont besoin de l'assurance que tout se passera au mieux lors de la réalisation de la mission confiée au salarié. (Bourdonnement sur les travées de l'UMP.)

M. Jean-Luc Mélenchon. On n'entend rien !

M. Jean-Louis Carrère. Il y en a même un qui téléphone !

M. Philippe Nogrix. D'autre part, le salarié a également besoin d'une certaine assurance, afin d'effectuer dans les meilleures conditions la mission que l'employeur lui aura confiée. (Malgré un rappel à l'ordre de M. le président, le bourdonnement persiste.)

Il nous semble donc nécessaire de mettre en place un nouveau CDI, appelé « contrat progressif », évoluant au fur et à mesure que le salarié, grâce à l'expérience et au savoir-faire acquis, ...

M. le président. Pardonnez-moi de vous interrompre, mon cher collègue, mais j'aimerais que cesse ce bavardage permanent.

M. Jean-Louis Carrère. On peut téléphoner ici ?

M. le président. Qui téléphone ?

M. Jean-Louis Carrère. Si vous ne le voyez pas, alors... (Protestations sur les travées de l'UMP.)

M. Dominique Braye. On ne parle pas ainsi au président !

M. Jean-Louis Carrère. Monsieur le président, faites votre boulot !

M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Nogrix !

M. Philippe Nogrix. Merci, monsieur le président.

Nous proposons donc le remplacement du CPE par un CDI à droits progressifs, qui se caractériserait par quatre éléments importants.

Premièrement, la période d'essai serait de six mois, la période de deux ans étant à notre avis beaucoup trop longue. Il nous semble en effet qu'en six mois l'employeur peut juger de la qualité et des compétences de celui qu'il a embauché et que celui-ci peut, en retour, exprimer la totalité de son savoir-faire et de son engagement dans l'entreprise.

Deuxièmement, la rupture du contrat devrait obligatoirement être soumise à motivation. En effet, et nous l'avons répété à maintes reprises en présentant nos amendements, comment peut-on laisser partir un jeune sans lui donner la raison réelle de son licenciement ? Comment pourra-il se reconstruire, modifier son parcours ? Quelle formation choisira-t-il afin d'améliorer son efficacité et d'augmenter son attractivité professionnelle auprès d'un nouvel employeur ?

Troisièmement, nous prévoyons un renforcement progressif, au fil du temps, des droits accumulés, notamment des droits à indemnités des salariés signataires de ce contrat.

Enfin, en cas de rupture du contrat de travail, le salarié devrait bénéficier d'une validation des acquis de l'expérience. Vous avez dit, monsieur le ministre, que vous étiez très attentif à cet aspect. En effet, un accompagnement spécifique du salarié par l'Agence nationale pour l'emploi, tel que vous l'avez décrit, est absolument nécessaire.

On va vers une simplification et une flexibilisation du droit du travail : soit ! Cependant, quand on parle de « flexsécurité », je crois que l'on pense beaucoup à la flexibilité et peu à la sécurité. À l'UDF, nous souhaitons qu'il y ait autant de sécurité que de flexibilité.

Dans ce pays, lorsqu'on emploie deux termes juxtaposés, l'un des deux est souvent prédominant. Rappelez-vous nos discussions sur le capital-risque : on parlait beaucoup de capital et très peu de risque. De même, à propos du RMI, il a été beaucoup plus question de revenu minimum que d'insertion. Ne sommes-nous pas dans un cas de figure un peu semblable avec la « flexsécurité » ?

Nous voudrions donc rétablir l'équilibre entre les deux termes. C'est la raison pour laquelle nous maintenons notre amendement, en espérant qu'il sera adopté. En effet, mieux vaut enterrer le CPE et adopter notre CDI à droits progressifs. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UC-UDF.)

M. Jean-Luc Mélenchon. Tiens, tiens !

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Godefroy. Même si ce n'est pas tout à fait sous la même forme, cet amendement reprend certaines des volontés que nous avons affichées dans nos différents amendements. Il présente un certain intérêt puisqu'il y est question d'un contrat à durée indéterminée, qu'il prévoit pour la période d'essai une durée raisonnable, clairement limitée à six mois - durée qui mériterait toutefois d'être examinée - et qu'il institue l'obligation de motiver toute rupture de contrat.

Cet amendement va donc dans le bon sens et il correspond à une optique qui ne s'oppose pas à celle qui pourrait être la nôtre, à savoir un CDI bien aménagé.

Cependant, tel qu'il s'intègre dans ce texte, il nous semble difficile de le voter, d'autant que l'institution d'un CDI qui faciliterait véritablement l'ouverture de l'emploi aux jeunes passerait par une définition beaucoup plus claire du rôle et des moyens que l'on veut donner à ces derniers dans l'entreprise.

Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste s'abstiendra sur l'amendement de nos collègues de l'Union centriste-UDF.

M. le président. La parole est à M. Roland Muzeau, pour explication de vote.

M. Roland Muzeau. Lors de la discussion générale, nous avons écouté avec beaucoup d'intérêt les interventions des membres du groupe UC-UDF, qui ont exprimé, de façon extrêmement claire, me semble-t-il, un refus du CPE. (Marques d'approbation sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

Au long de nos débats, ils ont conservé cette ligne de conduite et ils ont multiplié les interventions dénonçant de manière très explicite les aspects néfastes et dangereux du CPE pour les jeunes.

Certes, nous le savons tous, dans le débat parlementaire, après les amendements de départ, qui traduisent la position la plus éloignée du texte, viennent des amendements « de repli », destinés à « limiter la casse » pour les populations que nous voulons défendre.

En l'occurrence, on soumet maintenant à notre vote un amendement qui, comme vient de le dire mon ami Jean-Pierre Godefroy, est porteur d'un certain nombre de dispositions non dépourvues d'intérêt, mais le vote important était celui qui vient d'intervenir sur les amendements de suppression de l'article.

M. Roland Courteau. Tout à fait !

M. Roland Muzeau. À cet égard, je regrette vivement que nos collègues n'aient pas saisi cette occasion de marquer plus franchement leur désaccord sur le CPE. Convenons-en, avec cet amendement, on descend brutalement de plusieurs crans.

Je crains que la déception que nous pouvons ressentir sur les travées de l'opposition ne soit sans commune mesure avec l'énorme déception des jeunes qui seront victimes du CPE si celui-ci est finalement adopté.

C'est pourquoi le groupe CRC ne participera pas au vote sur cet amendement.

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Mélenchon, pour explication de vote.

M. Jean-Luc Mélenchon. Mes chers collègues, le moment me semble venu de souligner qu'il se produit à cet instant un événement politique qui n'a pas eu d'équivalent lors du débat à l'Assemblée nationale. C'est donc que le développement du débat a permis que mûrissent les esprits, au point que la majorité gouvernementale - je ne crois pas me tromper sur le terme : il s'agit bien de la majorité gouvernementale - n'est pas d'accord sur l'appréciation qu'il y a lieu de porter quant au CPE.

Je ne ferai pas un usage politicien de cet événement, car je veux m'attacher au fond, mais je tiens à le pointer : il ne saurait être question qu'il soit emporté dans le brouhaha et sa portée réduite à rien.

Vous n'êtes pas d'accord entre vous, et c'est un fait politique parce que ce désaccord tient à des raisons de fond.

Les uns - ils reconnaîtront que nous leur faisons la grâce de les prendre au mot - pensent que le CPE va favoriser l'emploi et manient depuis des heures le paradoxe selon lequel un droit plus grand de licencier faciliterait l'embauche ! Depuis le début du débat, nous leur disons qu'ils se prévalent de leurs propres turpitudes.

Constatant que le niveau d'emploi des premiers entrants dans le travail, que nous nommons « les jeunes », baisse -  et cela du fait de quoi, sinon de la politique que vous menez ? - vous proposez, comme remède, l'aggravation des conditions qui conduisent à ce désemploi !

M. Christian Cointat. Et pourquoi, alors, les jeunes partent-ils travailler en Angleterre ?

M. Jean-Luc Mélenchon. Mais nous vous prenons au mot : supposons que le but soit bien de favoriser l'emploi et non pas de donner aux patrons un outil de pression de plus sur les jeunes travailleurs. Car, à vingt-six ans, c'est bien de travailleurs et de travailleuses que nous parlons, pas de bambins en culottes courtes ! Supposons donc que vous ne vouliez pas seulement donner un avantage au MEDEF, qui réclame tout et son contraire et qui voudra sans cesse aller plus loin dans l'art de domestiquer les travailleurs. Eh bien, s'il s'agit d'augmenter l'emploi, faites-nous en la démonstration !

Nous continuons à vous dire que le travail fait dans la peur du lendemain sera mal fait. Nous continuons à vous démontrer que, lorsque la qualification existe, l'embauche est meilleure,...

M. Dominique Braye. Et, vous, qu'avez-vous fait lorsque vous étiez ministre ?

M. Jean-Luc Mélenchon. ...que vous développerez l'emploi par la croissance et que l'on développe la croissance par la qualification et par la qualité du travail qui est produit, à moins que ce ne soit par le partage du temps de travail. Il n'existe d'exception à cette règle dans aucune économie développée !

Vous n'avez pas été capables de nous démontrer qu'un seul poste supplémentaire serait créé de la manière que vous nous proposez. Chose incroyable, vous vous prévalez de vos propres turpitudes, c'est-à-dire du désemploi !

M. Dominique Braye. C'est long !

M. Jean-Luc Mélenchon. C'est peut-être long, mais c'est notre argument central : souffrez donc de l'entendre !

Nous ne sommes pas d'accord avec vous et vos collègues de l'UDF non plus. Sur un point au moins, nous sommes d'accord avec eux : ce n'est pas la précarité qui crée l'emploi, mais au contraire la stabilité.

Alors, chers collègues de l'Union centriste-UDF, nous devrions, si nous n'étions que politiciens, pour encourager le mouvement et soutenir l'ambiance, voter avec vous. Nous ne le ferons pas : nous allons nous abstenir de participer au vote. Pourquoi ? Parce que vous maintenez l'illusion de l'encouragement à l'emploi par la précarité. Vous faites à vos collègues de la majorité une concession qui n'a pas de sens : vous ne proposez que de « réduire » la précarité en réduisant la durée de la période d'essai. Or il faut abroger la précarité, il faut éradiquer la précarité ! C'est la condition de la croissance ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. François Fortassin, pour explication de vote.

M. François Fortassin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, tout le monde convient que le moment est décisif. Il y a, d'un côté, le Gouvernement, accroché à son texte, de l'autre, le pays, et l'on sent bien que ce texte ne le rassure pas !

L'inquiétude est forte dans le pays, mais une opposition frontale ne permettra pas davantage d'apporter les garanties qui restaureraient la confiance. Or l'important, au-delà de nos débats d'assemblée, c'est ce que ressentent tous les jeunes en situation de précarité.

La précarité doit être abolie, et tout doit être fait en ce sens. Bien entendu, l'amendement proposé par nos collègues de l'Union centriste-UDF n'est pas la panacée et il y a des raisons de s'abstenir, mais, en ce qui me concerne, parce que je veux éviter le choc frontal et parce que cet amendement permet sans doute une petite avancée, je le voterai, sans d'ailleurs me faire d'illusions quant au résultat... (Applaudissements sur certaines travées de l'UC-UDF, ainsi que sur quelques travées de l'UMP.)

MM. Jean-Pierre Raffarin et Dominique Braye. C'est un fait politique majeur ! (Rires sur les travées de l'UMP.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 501.

Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...

M. le président. Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.)

M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 95 :

Nombre de votants 209
Nombre de suffrages exprimés 208
Majorité absolue des suffrages exprimés 105
Pour l'adoption 40
Contre 168

Le Sénat n'a pas adopté.

La parole est à Mme Évelyne Didier, pour explication de vote sur l'amendement n° 650.

Mme Évelyne Didier. Je tiens d'abord à dire que je regrette de n'avoir pu défendre l'amendement n° 649 : il est « tombé » parce que le président de séance a souhaité montrer son autorité. C'est le seul que nous n'avons pas pu défendre au cours de ce débat !

Pour présenter cet amendement n° 650, nous avons fait référence à plusieurs reprises au rapport Proglio, du nom du président de Véolia Environnement. Il indique que les avis ne sont pas unanimes dans les rangs des libéraux. Il affirme aussi que les CDI sont la forme normale de l'embauche.

Deux ans ! Comment pouvez-vous vouloir laisser pendant deux ans des personnes en situation précaire ? On ne bâtit pas une vie de cette façon, on ne bâtit pas une relation durable, pérenne avec son employeur. Vraiment, ce n'est pas une solution ! D'ailleurs, certains parmi vous n'y croient même pas.

Les droits sociaux, vous les caricaturez, vous les considérez comme des « problèmes ». Eh bien, les droits sociaux, c'est ce qui garantit, face à un employeur qui a tous les pouvoirs dans l'entreprise, la dignité du salarié. Ils sont donc la réponse normale d'une société évoluée, et il faudra bien vous y habituer !

Je souhaiterais vous poser une question : accepteriez-vous que vos enfants ou vos petits-enfants soient dans cette situation ? Certainement pas !

Je souhaite vraiment que ce débat se poursuive, en espérant qu'ainsi on n'ira pas trop loin dans le « n'importe quoi ». (M. Jean-Louis Carrère applaudit.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 650.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Yannick Bodin, pour explication de vote sur l'amendement n° 148.

M. Yannick Bodin. Que vous le vouliez ou non, monsieur le ministre, le mot qui est venu le plus souvent à la bouche de tous ceux qui se sont préoccupés de ce projet de loi - c'est-à-dire, en fait, l'ensemble de nos concitoyens -, c'est le mot « précarité ».

Quelle que soit la conclusion de nos débats, ce projet de loi sera marqué d'une étiquette sur laquelle il sera écrit en gros caractères : « précarité ».

À partir du moment où vous essayez de nous convaincre qu'il ne s'agit pas d'un contrat précaire mais d'un véritable CDI, pourquoi faire une loi instituant le CPE ? Vous auriez tout simplement pu préciser les conditions dans lesquelles vous entendiez favoriser l'embauche des jeunes sur de véritables CDI !

En d'autres termes, vous aviez la possibilité de donner de l'espoir à notre jeunesse, de lui donner des assurances sur son avenir, de lui permettre de croire en son destin. Or aujourd'hui, qui y a-t-il dans l'esprit de la jeunesse ? Il y a de l'inquiétude, il y a de l'angoisse pour l'avenir et il y a le sentiment d'être exclu.

On comprend d'ailleurs que vous ne parliez pas véritablement de CDI puisque, chaque fois que nous avons demandé des garanties quant à la bonne application du code du travail, nous n'avons pas eu de réponse, sinon cette affirmation : « C'est déjà dans le code du travail ! »

Vous le savez, votre projet est rejeté par l'opinion. Malgré toutes les procédures utilisées à l'Assemblée nationale ou ici, c'est un projet dont ne veulent ni le monde du travail ni les jeunes. Or ceux-ci se mobilisent un peu plus chaque jour. Et ce n'est pas terminé, vous le verrez dans les jours prochains !

Ne croyez pas, même si vous arrivez à faire voter cette loi, en particulier cet article, que vous allez remporter une victoire. En réalité, vous allez traîner un boulet ! Tant pis pour vous : c'est votre choix !

Si vous aviez parlé le langage de la vérité, ce contrat, vous l'auriez appelé « contrat précarité-exclusion ». (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Mahéas, pour explication de vote.

M. Jacques Mahéas. Pour nous, membres du groupe socialiste, il est nécessaire de dire la vérité aux jeunes. Certes, cet amendement peut paraître à certains un peu provocateur. Il n'en reflète pas moins l'exacte vérité.

M. Jacques Mahéas. Mais si ! Et les jeunes s'en apercevront très vite !

Votre gouvernement est malade du chômage. On l'a vu récemment encore, malgré les dissimulations, avec les derniers chiffres publiés. La baisse de popularité du Gouvernement est manifeste, notamment celle du Premier ministre, qui perd onze points dans les sondages

Vous dites que ce CPE, c'est mieux que rien. Nous, nous disons que c'est pire que tout !

C'est mieux que rien ? C'est même bien pour le patronat, évidemment ! Mais c'est pire que tout pour les jeunes, car vous les dupez. Vous avez inventé le jeune travailleur-Kleenex : on se sert et on jette ! (Protestations sur les travées de l'UMP.)

M. Alain Gournac, rapporteur. Ce n'est pas correct de dire ça !

M. Jacques Mahéas. On ne lui donne aucune garantie. Il pourra être licencié sans motif.

Vous créez la suspicion. Pensez à ce jeune qui, par la suite, présentera un curriculum vitae comportant une succession de CPE : l'employeur éventuel devant lequel il se présentera ensuite ne sera-t-il pas nécessairement suspicieux ? (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.)

M. le président. Un peu de silence, s'il vous plaît !

M. Jacques Mahéas. La concurrence entre générations est évidente puisque vous incluez le CPE dans l'emploi productif. Avec les emplois-jeunes, c'était complètement différent ! (Même mouvement sur les mêmes travées.) En effet, ils n'entraient pas en concurrence avec les autres salariés. Nous avons d'ailleurs, convenez-en, pleinement réussi dans ce domaine.

M. Dominique Braye. Et les 35 heures ?

M. Jacques Mahéas. Ce CPE ne créera pas d'emplois précisément parce qu'il concerne le secteur productif.

L'abandon du CDI est manifeste. Tout à l'heure, on a cité un grand chef d'entreprise. Bien sûr, s'il n'y a pas de jeunes formés qui arrivent sur le marché du travail, les chefs d'entreprise pourront conserver ceux qu'ils ont embauchés, mais ils comprennent très bien que, là où la concurrence est forte, ils pourront prendre un jeune pendant quelque temps, le licencier, en prendre un autre, etc. Ainsi, ils bénéficieront pleinement des avantages du CPE.

M. Dominique Braye. Ce sont les 35 heures qui ont tout détruit !

M. Jacques Mahéas. En fait, les qualifications sont bradées.

Et le bluff vaut aussi en ce qui concerne le Locapass. En tant que maire, je sais bien comment on désigne les locataires d'HLM dans les collectivités territoriales. Bien entendu, nous proposons aux sociétés et offices d'HLM des candidats, mais la pénurie de logements est telle que ce n'est pas le Locapass de quelqu'un qui sera peut-être limogé dans deux ans qui lui permettra d'« emporter le morceau » dans l'attribution de tel ou tel logement !

C'est un cadeau aux entreprises, mais ces exonérations entraîneront automatiquement un déficit supplémentaire de la sécurité sociale

M. le président. Veuillez conclure, monsieur Mahéas.

M. Jacques Mahéas. Un jeune pourra aller de CPE en CPE. Ne pas permettre à des jeunes travailleurs d'avoir, à vingt-six ans, une situation stable et un avenir clair, c'est vraiment les décourager !

Pour conclure, je dirai que l'intitulé exact de ce contrat, c'est « contrat précarité-exclusion ». (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 148.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. La parole est à Mme Gisèle Printz, pour explication de vote sur l'amendement n° 147.

Mme Gisèle Printz. Au risque de me répéter (Rires et exclamations sur les travées de l'UMP), je dirai que le CPE est un instrument de précarisation pour tous les jeunes qui ne sont pas encore précarisés, car tous les jeunes qui étaient embauchés avec un CDI le seront désormais avec un CPE. Belle façon de débuter une carrière professionnelle, d'entrer dans la vie active !

De plus, rien ne garantit qu'un jeune en recherche d' emploi ne sera pas réduit à enchaîner CPE sur CPE et, avec l'âge, suprême promotion, accéder à un CNE !

Nous sommes en train de faire un gigantesque retour en arrière, un retour à l'époque où les maîtres de forge...

M. Dominique Braye. Ça, c'est vraiment d'actualité !

M. Josselin de Rohan. Pourquoi pas au Moyen Âge ?

Mme Gisèle Printz. ... régnaient souverainement sur le monde du travail, rendant les hommes et les femmes corvéables à merci. (Exclamations sur les travées de l'UMP.) J'ai fait mon apprentissage à quinze ans : je sais de quoi je parle !

Monsieur le ministre, messieurs, je me suis posé une question : si votre fille ou votre fils était chômeur, irait-il postuler à un CPE ?

M. Dominique Braye. Eh bien oui ! Plutôt que de rester au chômage, comme les vôtres !

M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.

M. David Assouline. Nous nous rendons compte, en cet instant, des raisons réelles qui vous ont conduit à proposer un tel contrat, monsieur le ministre.

Selon votre motivation affichée, le CPE s'adresse aux jeunes en recherche d'emploi. Or il est clair que tel n'est pas le cas : je pense notamment à la possibilité que vous introduisez, pour une même personne, de cumuler plusieurs CPE, avec le délai de trois mois.

À l'Assemblée nationale, vous êtes même allé plus loin puisque, à une question qui vous était posée, vous avez répondu qu'il serait possible, en cas de licenciement d'un titulaire d'un contrat de CPE, d'embaucher immédiatement une autre personne en CPE, sur le même poste de travail.

Nous sommes donc là au coeur du sujet. Il s'agit en fait ni plus ni moins que d'une facilité offerte aux patrons, notamment à ceux qui, disons-le, sont les moins civiques. Car, je dois le dire - et cela invalide les accusations que vous nous lancez -, les patrons n'ont pas tous recours à de telles facilités. (Ah, tout de même ! sur les travées de l'UMP.) Cependant, en tant que membre du Gouvernement, vous devriez imposer à tous un comportement responsable.

De quoi parle-t-on depuis le début de ce débat sur le projet de loi pour l'égalité des chances ? D'une réalité qui touche au plus profond de chacun d'entre nous.

Nous connaissons tous le désarroi actuel dans lequel est plongée notre jeunesse et nous savons que, grâce à l'éducation, un certain nombre de problèmes pourraient être résolus si l'on y mettait les moyens.

Nous savons tous aussi combien la relation de travail est structurante pour les jeunes. Lutter contre la précarité, c'est donc lutter pour que se reconstitue cette relation de travail structurante qui, il faut le dire, fait défaut depuis presque une génération à une masse de jeunes obligés de se diriger sans attendre sur le marché du travail. À tous ces jeunes, on ne répond que par le chômage ou des contrats à durée déterminée, des petits boulots, etc.

Or la relation de travail n'est structurante que si elle est pérenne et donc sécurisante.

Le Gouvernement ne cesse de dire qu'une société a besoin de sécurité, que nos concitoyens ont besoin de sécurité. Or, sachez-le, monsieur le ministre, les jeunes sont les premiers à réclamer cette sécurité ou à en ressentir le besoin même quand ils ne le formulent pas.

Cette sécurité pourrait s'illustrer de la façon suivante : les jeunes âgés de moins de vingt-six ans qui entrent dans l'emploi, tout en étant pleinement conscients qu'ils ne seront pas véritablement opérationnels tout de suite, faute d'expérience, doivent être sûrs qu'ils ne seront pas sanctionnés pour cette raison, leur contrat leur permettant d'évoluer, de se former, d'apprendre, et qu'ils ne risqueront donc pas à tout moment d'être « virés » ! Telle est la sécurité dont un jeune a besoin.

Dès lors, si vous teniez à créer un contrat précaire de ce type en faveur des patrons, il est une catégorie qu'il aurait fallu protéger : les jeunes. Car ce sont eux qui ont le plus besoin de visibilité, d'avenir, de s'engager en fondant une famille, de se loger, de pouvoir accéder à des prêts bancaires et, surtout, d'être à l'aise dans cette société.

Voilà la réponse qu'il convenait d'apporter aux émeutes des banlieues ! Or vous faites tout l'inverse : vous misez sur le désespoir, en considérant que les jeunes se contenteront de ce que vous leur « offrez » parce qu'ils n'auront pas d'autre choix. Je le répète : vous ne faites là que miser sur le désespoir !

Pour ce qui nous concerne, nous voulons continuer à croire que l'on peut offrir un véritable avenir aux jeunes ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 147.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante-cinq.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente-cinq, est reprise à vingt et une heures quarante-cinq, sous la présidence de Mme Michèle André.)