SEANCE DU 12 FEVRIER 2002


RÉSORPTION DES DÉCHARGES BRUTES

Discussion d'une question orale avec débat
(Ordre du jour réservé)

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat suivante :
M. Gérard Delfau attire l'attention de M. le ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement sur les difficultés rencontrées par les communes pour satisfaire les objectifs de la loi du 13 juillet 1992, notamment celui de la résorption des décharges brutes.
Rénovant la loi-cadre du 15 juillet 1975 relative à la gestion des déchets, cette loi a initié une politique plus ambitieuse, axée sur le développement de la prévention, de la valorisation et du recyclage, avec pour corollaire une limitation de la mise en décharge, réservée à partir du 1er juillet 2002 aux seuls déchets ultimes.
Elle impose l'obligation aux communes de réhabiliter ou de fermer les décharges, directement exploitées par elles ou laissées à la disposition de leurs administrés, qui n'ont pas fait l'objet d'une autorisation préfectorale au titre de la législation sur les installations classées.
L'arrêté du 9 septembre 1997 fixe précisément les normes à respecter pour l'aménagement et l'exploitation d'un centre de stockage de déchets.
La circulaire du 10 novembre 1997 exige l'introduction dans les plans départementaux d'élimination des déchets ménagers et assimilés d'un volet spécifique, comportant un inventaire précis du nombre de décharges brutes ainsi que la planification de leur mise en conformité ou de leur fermeture.
La circulaire du 28 avril 1998 insiste à nouveau sur la nécessité de mener une action déterminée pour la résorption des décharges brutes.
A moins de huit mois de la date butoir de 2002 et malgré l'énorme effort d'investissement consenti par les collectivités locales, l'application de la loi semble loin d'avoir donné tous les résultats escomptés. L'an dernier, la mise en décharge restait, avec l'incinération, largement prépondérante.
En outre, l'inventaire national des décharges brutes, réalisé en 1998, estimait leur nombre à plus de 6 000, malgré la fermeture de près de 3 000 décharges illégales dans les années 90. A cette date, seulement 300 sites avaient été réhabilités. Où en est-on aujourd'hui ?
De nombreuses petites et moyennes communes n'ont pas encore mis en place les équipements d'élimination ou de recyclage nécessaires ou ont pris du retard, ayant opté pour des techniques difficiles à appréhender. En outre, le simple enfouissement des décharges existantes soulève des questions eu égard à la santé publique.
Se pose enfin le problème du financement des dépenses d'investissement et de fonctionnement, tant pour les installations nouvelles que pour la réhabilitation des décharges brutes et des sites. Plutôt que d'évoquer l'échéance de 2002 comme une date couperet, ne vaudrait-il pas mieux, devant ce constat, mobiliser les moyens financiers, techniques et humains en faveur de ces communes ?
M. Gérard Delfau demande au ministre de dresser un bilan de l'application de la loi de 1992, particulièrement pour ce qui concerne la résorption des décharges brutes, et d'indiquer quelles actions il compte entreprendre pour aider les collectivités à atteindre les objectifs fixés par la loi (N. 39).
La parole est à M. Delfau, auteur de la question.
M. Gérard Delfau. Monsieur le ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement, j'ai souhaité attirer votre attention sur le rendez-vous important et difficile pour l'ensemble de nos communes, y compris les plus petites, que représente l'élimination définitive des décharges non autorisées au 1er janvier 2002, conformément à la loi.
Le premier stade est celui de la mise en place de déchetteries et de lieux destinés à l'incinération ou au dépôt des déchets ultimes. Un très grand nombre de collectivités locales ont résolu ou sont en passe de résoudre cette condition préalable grâce au regroupement en syndicats intercommunaux ou dans le cadre des communautés de communes ou des communautés d'agglomération. Certaines ne l'ont pas pu pour des raisons indépendantes de leur volonté ; quelques-unes ne l'ont pas fait par négligence ou délibérément.
Quelles seront vos instructions et, éventuellement, quels seront l'attitude ou l'appui de vos services dans chacun de ces cas si différents ?
Reste la deuxième phrase qui a peu mobilisé jusqu'à présent la puissance publique, à savoir la rénovation du site des anciennes décharges, leur transformation en un lieu rendu à l'agriculture, au loisir, à la promenade ou à une quelconque activité.
De la réussite de cette étape dépend la qualité environnementale du paysage français.
Or on voit bien que, si l'objectif est identique, les moyens financiers que les communes peuvent y consacrer sont inégaux, à l'image des énormes disparités de ressources liées au revenu de la taxe professionnelle.
Le risque est grand que continuent à subsister, un peu partout dans le pays, des décharges officiellement désaffectées, mais peu ou mal rénovées, sans compter les décharges sauvages que certaines communes n'ont pas su ou pu empêcher de proliférer.
Un certain nombre de départements ont lancé des programmes pour faciliter la disparition de ces points noirs. D'autres ne l'ont pas fait. Il appartient à l'Etat d'organiser et de faciliter, y compris en contribuant à son financement, la rénovation des anciennes décharges dans un délai aussi rapide que possible.
Dans cette perspective, les petites communes, plus particulièrement en zone rurale, à la fois plus sensibles et plus pauvres en raison de leurs faibles revenus, devraient être privilégiées. Il importe de mettre en oeuvre au niveau national une politique du type de celle qui a permis d'étendre l'assainissement collectif à la quasi-totalité des communes.
Votre ministère peut trouver là une mission appréciée par son effet sur la vie quotidienne des Français, notamment en terme de santé publique.
Je voudrais connaître, monsieur le ministre, votre position sur ce sujet et les mesures, d'ordre réglementaire, d'appui technique et de financement que vous comptez prendre. Je voudrais savoir notamment s'il ne serait pas opportun de prélever une partie de la taxe sur les emballages industriels pour financer un fonds d'aide à la rénovation des décharges, en partenariat avec les conseils généraux et les conseils régionaux.
M. le président. La parole est à M. Marest.
M. Max Marest. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à quelques mois de l'échéance prévue par la loi du 13 juillet 1992 relative à l'élimination des déchets ainsi qu'aux installations classées pour la protection de l'environnement, il convient de s'interroger, eu égard aux objectifs et aux priorités affichées, sur l'efficacité de la politique publique qui a été menée au cours de ces dix années.
La loi de juillet 1992 énonçait en effet cinq objectifs fort ambitieux, dont la réalisation devait être effective au 1er juillet 2002.
Première objectif : la fin des décharges, celles-ci étant désormais réservées aux seuls déchets ultimes. Autrement dit, seuls les déchets qui, dans les conditions techniques et économiques actuelles, ne sont pas susceptibles d'être traités pour en extraire la part qui peut être valorisée ou en diminuer le caractère dangereux pourront, à partir du 1er juillet 2002, être mis en décharge. Je passe sur la polémique que nous avons connue quant à la définition d'un déchet ultime !
Deuxième objectif : la prévention ou la réduction des déchets.
Troisième objectif : la limitation du transport des déchets en distance et en volume.
Quatrième objectif : la valorisation des déchets, de manière à obtenir des matériaux réutilisables ou de l'énergie.
Cinquième objectif : l'information du public.
Le 4 décembre dernier, sur l'initiative de mon collègue Dominique Braye, président du groupe d'étude sénatorial relatif à la gestion des déchets, s'est tenu au Sénat un colloque consacré à la rénovation de la politique de gestion des déchets en France avec, pour exergue, cette question : « 1er juillet 2002... Et après ? »
Cette question, ô combien légitime, est en effet centrale et fédératrice. L'échéance du 1er juillet 2002 suscite en effet de nombreuses inquiétudes, monsieur le ministre, notamment en ce qui concerne le premier des objectifs que j'ai rappelés puisque, à quelques mois de cette échéance, il convient de conclure à un échec, ou à un semi-échec, suivant les lieux, car il semble que nous soyons loin des résultats escomptés.
A cet égard, il convient de signaler que 21 millions de tonnes ont été mises en centre d'enfouissement technique en 1992 et 24 millions de tonnes en 1998. Nous n'avons pas de données précises pour les années suivantes.
Ce constat suscite de multiples questions. Force est de s'interroger, notamment, sur le déficit grave en capacités de réception des déchets dans les cinq à dix ans à venir, sur le caractère indispensable, voire la simple pertinence de la décharge en tant que mode d'élimination, sur la résorption des décharges sauvages existantes, sur le stockage des déchets de chantier.
Très prochainement, les collectivités locales vont devoir gérer la fin des décharges, à l'exception des résidus ultimes.
Or le Gouvernement n'a pas dressé de bilan ni brossé de perspectives quant à l'avenir environnemental, politique et budgétaire de ces collectivités. Pourtant, celles-ci seront en première ligne et devront réaliser de nombreux investissements pour se conformer aux diverses échéances et exigences.
Dans ce domaine, beaucoup de chemin reste à parcourir.
Certes, les collectivités locales bénéficient, en théorie, pour financer leurs équipements et pour mettre en oeuvre les plans départementaux d'élimination des déchets, des aides publiques de l'ADEME, l'agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie. Cependant, les différentes mesures budgétaires et fiscales prises ces dernières années par ce gouvernement sont inquiétantes, et ce à plusieurs titres.
Le barème d'aides de l'ADEME au profit des collectivités locales a été revu à la baisse. Des explications ont été données, tenant à l'accroissement de la qualité des déchets. Ainsi les taux de subventions ont-ils été réduits de 38 %.
J'ajoute que la gestion politique opaque des crédits de l'ADEME a suscité bien des interrogations ; elle a d'ailleurs été dénoncée dans un rapport d'information de notre collègue Philippe Adnot, intitulé : « ADEME : la grande illusion ».
Par ailleurs, dix ans après le vote de la loi de 1992, le tonnage de déchets ménagers continue à progresser inexorablement : on atteint aujourd'hui environ 25 millions de tonnes d'ordures et on compte 4 000 à 8 000 décharges illégales - souvent sauvages - sur le territoire. Le retard pris dans le domaine de la limitation du transport des déchets est considérable. Le bilan de la valorisation des déchets est très contrasté. Enfin, l'absence de concertation et d'information provoque de véritables blocages.
Certes, beaucoup a déjà été fait pour développer les capacités de traitement dans un sens plus moderne et respectueux de l'environnement ainsi que pour favoriser le tri sélectif. Cependant, des investissements importants sont encore nécessaires. Les communes ou leurs syndicats seront, là encore, en première ligne.
Surtout, la croissance sans fin des volumes, dont on ne perçoit pas encore clairement les raisons, demeure un problème pour le moment sans solution.
Ce bilan contrasté, les inquiétudes des collectivités locales ainsi que le chemin restant à parcourir pour atteindre les objectifs de la loi de 1992 mettent en lumière les lacunes et les échecs. La rénovation de la politique de gestion des déchets en France sera, à l'aube de ce nouveau millénaire, l'un des plus ambitieux défis à relever.
C'est pourquoi il est important qu'un bilan objectif soit établi pour que de vraies solutions soient mises en oeuvre.
Sans doute une réelle prise de conscience pourrait-elle vous permettre, monsieur le ministre, non pas d'interdire la mise en décharge des déchets « tout-venant » en juillet prochain, mais au moins d'exiger que chaque collectivité présente un plan, limité dans le temps, en fonction des réalités du terrain et de ses capacités de financement.
M. le président. La parole est à M. Arnaud.
M. Philippe Arnaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d'abord me féliciter que la majorité sénatoriale ait décidé d'inscrire à l'ordre du jour des travaux du Sénat le débat sur la question de M. Delfau, car il s'agit d'un sujet important pour les collectivités locales, et aussi, bien sûr, pour notre environnement.
Aujourd'hui, la maîtrise de la gestion et de l'élimination des déchets constitue un enjeu majeur pour tous les responsables politiques et économiques.
En effet, nous produisons chaque année plus de 22 millions de tonnes d'ordures ménagères, soit une moyenne de près de 370 kilogrammes par habitant, tandis que la production d'encombrants tourne autour de 100 kilogrammes par habitant, soit un total de 6 millions de tonnes par an.
Les collectes des collectivités locales concernent également les déchets non ménagers provenant des commerces et des bureaux, qui représentent plus de 5 millions de tonnes. Et je ne parle pas des déchets industriels...
Nos poubelles enflent, grossissent d'année en année. Bien entendu, si la production d'ordures ménagères ne cesse d'augmenter, c'est en raison de la croissance de la consommation.
Or la moitié de ces déchets continue d'être mise en décharge. Les 50 % restants vont à l'incinération, pour 35 % - dont 29 % avec valorisation énergétique -, au recyclage, pour 8 %, et à la valorisation organique, pour 7 %.
A l'exception de la collecte du verre, il faut le reconnaître, le tri sélectif marque le pas.
En 1950, la France ne produisait que cinq millions de tonnes de déchets ménagers. A l'exception du verre, tout était biodégradable : on pouvait facilement incinérer les déchets.
Par une circulaire en date du 28 avril 1998 adressée aux préfets, le ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement de l'époque, Mme Voynet, s'était efforcée de cadrer, une nouvelle fois, la politique française de modernisation de la gestion des déchets. Louable intention ! Mais on a pu constater que le chemin, clairement tracé par la loi du 13 juillet 1992, s'est révélé douloureux et chaotique.
On est moins surpris de ces errements si l'on observe comment cette législation, pourtant riche et porteuse d'avenir, n'a cessé d'être trahie par des interprétations extrémistes, qui en ont dénaturé l'esprit.
« Plus de décharges en 2002 ! », a-t-on tout d'abord entendu pendant les années qui ont suivi la publication de cette loi. Ces propos n'empêchaient pas certains de penser, malgré tout, que les petites décharges brutes municipales n'étaient pas ou ne seraient pas concernées.
Puis, en 1997, un brutal revirement s'est opéré et, tandis que la décharge retrouvait les vertus qui lui avaient été trop hâtivement déniées, on entendit : « Halte à l'incinération des déchets ! » En cela, on oubliait le rôle fondamental que peut jouer la valorisation énergétique des déchets dans une politique fondée sur les notions de développement durable, de maîtrise de l'énergie et de préservation des ressources naturelles.
Comment ne pas s'étonner que d'aussi brusques changements de cap provoquent le désarroi des élus, l'incompréhension des citoyens, retardent surtout la réalisation des objectifs fixés et freinent, par conséquent, les investissements que les collectivités locales doivent consentir pour faire face à leurs obligations de gestion des déchets ménagers ?
Rappelons que en matière de traitement des déchets, la panacée n'existe pas et que la solution optimale pour garantir une protection satisfaisante de l'environnement, à un coût acceptable par la collectivité, réside dans la complémentarité entre les différentes filières.
Il faut néanmoins se réjouir des progrès sensibles réalisés dans la mise en oeuvre des systèmes de collecte, d'élimination et de traitement des déchets par les communes et leurs syndicats, mais aussi de l'action pédagogique entreprise par tous les acteurs locaux auprès des consommateurs-usagers.
Nous pouvons enregistrer aujourd'hui une réelle prise de conscience collective sur cet important problème de société. Toutefois, si l'action est en marche, les objectifs sont loin d'être atteints, force est de le reconnaître.
La loi du 13 juillet 1992 a donné dix ans aux collectivités locales pour réaliser les plans de traitement des déchets, mettre en oeuvre le recyclage et fermer les décharges. Il faut se rendre à l'évidence : l'échéance du 1er juillet 2002 ne pourra être tenue par bon nombre de collectivités locales.
Il est indispensable de donner du temps aux collectivités locales, afin que celles-ci puissent mener à leur terme les schémas d'élimination des déchets. Les installations de traitement ne pourront pas être réalisées dans leur intégralité cette année. De nombreux maires sont concernés et l'inquiétude va croissant.
Passé l'échéance du 1er juillet, les maires ou présidents d'EPCI concernés pourront être inquiétés pénalement pour leur décharge ou leur incinérateur ne respectant pas encore les normes, alors même que beaucoup d'entre eux n'ont accédé aux responsabilités que voilà quelques mois.
Il y a près de deux ans, lors d'une séance de questions d'actualité, Mme Voynet précisait devant notre assemblée que l'échéance du 1er juillet 2002 ne devait pas être interprétée comme la fin de la mise en décharge, qu'il ne s'agissait pas d'une date couperet, qu'elle ne souhaitait pas qu'une interprétation étriquée soit faite de la loi. Elle nous a expliqué que ce qui comptait pour elle, c'était la qualité des plans départementaux beaucoup plus que la satisfaction purement factuelle tirée d'un respect des échéances.
Le Sénat avait donc compris que les communes qui n'auraient pu atteindre l'objectif au 1er juillet 2002 auraient la possibilité de poursuivre leur effort pour l'atteindre après cette date. Mme Voynet laissait en effet la porte ouverte à la concertation, et donc à une certaine souplesse.
Monsieur le ministre, je pense que vous ne pouvez que confirmer les propos que votre prédécesseur a tenus devant notre Haute Assemblée le 4 avril 2000.
Il est bon aussi de rappeler que, déjà en février 1997, cinq ans après l'adoption de la loi du 13 juillet 1992, un rapport parlementaire élaboré à la demande de la commission de la production et des échanges de l'Assemblée nationale et présenté par le député UDF Ambroise Guellec faisait état d'un bilan mitigé de l'application de cette loi.
Si ce rapport ne remettait pas en cause le bien-fondé de la loi et de ses objectifs, ses auteurs s'interrogeaient sur son interprétation maximaliste et uniforme sur l'ensemble du territoire, ainsi que sur les charges qu'elle faisait peser sur les collectivités locales.
Ce rapport dénonçait ainsi des plans départementaux d'élimination des déchets déconnectés des réalités locales, imposant uniformément un même schéma, tablant sur une augmentation de 2 % du volume des déchets attendus, donnant une place prépondérante à l'incinération comme mode de traitement et sous-estimant la valorisation et le recyclage.
Le rapport préconisait de réduire le volume des déchets à éliminer en incitant fortement les industriels à réduire leurs emballages, et proposait de généraliser la redevance d'enlèvement des ordures ménagères, plus responsabilisante pour le client car calculée en fonction du service rendu.
Mais, surtout, le rapport préconisait d'élargir l'éventail des choix offerts aux collectivités locales, insistant sur le développement du recyclage par le biais de la collecte et du traitement, prônant une politique d'utilisation des matériaux recyclés - notamment dans les administrations - et la mise en place de véritables services publics à caractère industriel et commercial pour l'utilisation des déchets.
Enfin, proposant d'adapter le traitement aux situations locales, le rapport préconisait de revoir la tendance au « tout incinération » inscrite dans les plans départementaux et de lever le tabou sur les décharges.
En fait, ce rapport de 1997 contestait le fondement même de la politique française de fermeture des décharges, se faisant l'écho des préoccupations grandissantes des élus locaux.
Le message est clair aujourd'hui : la fin des décharges, prévue pour le 1er juillet, doit être reportée de quelques années. Il faut permettre aux collectivités et aux groupements de communes de s'organiser et de s'équiper pour traiter les ordures ménagères, développer le tri sélectif et rattraper dans de bonnes conditions le retard pris.
Il faut bien reconnaître, en effet, que la politique française de gestion des déchets ménagers piétine depuis trop longtemps et qu'elle a besoin d'une réorientation vigoureuse.
Si les différentes politiques ont toutes leur part de responsabilité, il faut être réaliste et admettre, aujourd'hui, qu'il faut encore quelque temps pour que les communes puissent se mettre aux normes, car elles connaissent, pour beaucoup d'entre elles, d'importantes difficultés de gestion.
Sur ce point, monsieur le ministre, trouvez-vous normal que 500 millions d'euros, soit 3,3 milliards de francs, soient annuellement affectés au fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale pour financer les 35 heures de Mme Aubry ? Ce reproche, je l'ai déjà formulé à cette tribune le 4 décembre 1999, mais je n'ai, hélas ! pas été entendu.
A cela s'ajoute, monsieur le ministre, la complexité administrative qui fait que les élus chargés de la mise en oeuvre des schémas départementaux ne savent plus à quel saint se vouer : les déchetteries, par exemple, relèvent-elles de la collecte ou du traitement ? On nous répond aujourd'hui que le quai des déchetteries est un élément de collecte, mais que les caissons après tri sont des éléments de traitement ! Et je ne cite pas cet exemple pour l'anecdote, mais parce qu'il a des conséquences graves pour les collectivités en termes de fiscalité, et donc de ressources.
Pour ces raisons, nous vous demandons, monsieur le ministre, comme l'avait laissé entendre votre prédécesseur voilà deux ans au Sénat, d'admettre tout simplement un report de l'échéance du 1er juillet 2002 sur trois ou cinq ans. Nous vous demandons aussi d'affecter à l'aide à l'investissement pour le traitement des déchets le produit de la taxe générale sur les activités polluantes, la TGAP.
Pour conclure, permettez-moi d'espérer que le progrès se poursuivra, que les procédés de gestion des déchets continueront à s'améliorer, comme ce fut le cas au cours des dernières années. Il suffit pour s'en convaincre de se rappeler à quoi ressemblait une décharge, même contrôlée, ou un incinérateur en 1960 !
Dotons-nous de plans d'élimination suffisamment souples pour leur permettre d'accueillir ces nouvelles technologies au fur et à mesure de leur apparition et de leur mise au point.
Enfin, il faut aussi bien prendre conscience qu'un programme ambitieux d'élimination des déchets est porteur d'activités créatrices d'emplois. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Le Cam.
M. Gérard Le Cam. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me félicite du débat qui se déroule aujourd'hui, sur l'initiative de notre collègue Gérard Delfau, au sujet de la résorption des décharges brutes, principe qui a été posé par la loi du 13 juillet 1992. Il s'agit, en effet, d'un enjeu environnemental essentiel, d'une préoccupation majeure pour les populations et d'un souci permanent pour les élus.
Trop souvent, faute de moyens, les collectivités territoriales ont préféré opter pour l'enfouissement et l'incinération des déchets plutôt que de mettre en place des équipements prévus par le dispositif législatif et réglementaire actuel.
Le 1er juillet 2002 était considéré comme la date butoir pour la fermeture des décharges brutes. Mais force est de constater aujourd'hui que de nombreuses communes n'auront pas fait construire leur unité de traitement. Il s'agit donc d'examiner les moyens de créer les conditions d'une bonne application de la loi.
La construction d'une unité de traitement n'est pas la seule condition pour avancer. Le programme de communication est important. L'habitant est, en effet, au coeur de la réussite du dispositif.
Pour la première fois, les techniciens et les élus sont confrontés à une réalité : le système ne fonctionne que sur la base du volontariat des habitants. Il est donc nécessaire non seulement de les informer des consignes de tri, mais aussi de répondre à leur curiosité sur le devenir des produits et l'évolution des coûts.
Chacun doit être associé à l'ensemble de la démarche, car le tri sélectif participe au développement de la citoyenneté. C'est pourquoi, avec mes amis du groupe communiste républicain et citoyen, nous sommes particulièrement soucieux de la réussite de cet immense effort national, car le succès de la filière de traitement des déchets commence par une collecte sélective et par un développement du tri par les habitants, démarche qui repose à 60 % au moins sur la qualité de la communication établie entre les organismes responsables, la collectivité locale et la population.
Je me permets d'insister sur ce point, qui peut apparaître marginal par rapport aux coûts massifs de construction des nouveaux équipements mais qui paraît essentiel pour la réussite globale du processus. Le système d'information et d'échanges doit donc être sophistiqué et suivi avec attention.
Une des caractéristiques de l'approche du traitement tient précisément à son aspect évolutif, car il faut concilier préoccupations écologiques et économiques et tenir compte de la disponibilité des acteurs concernés.
Quoi qu'il en soit, l'alternative la plus utile, écologiquement, économiquement et socialement, à l'accumulation de déchets multiformes, c'est le tri sélectif. Or, aujourd'hui - et c'est l'objet même de notre débat -, on constate un retard non négligeable par rapport aux objectifs de 1992.
Ce retard est lié, bien entendu, aux moyens des collectivités - j'y reviendrai dans un instant -, mais il est également lié aux conditions de la mise en place de l'intercommunalité. Il s'agit, en effet, de l'échelon le mieux adapté, me semble-il, à l'instauration du tri sélectif des déchets.
Je souhaite également, à l'occasion de ce débat, vous alerter sur l'émergence de nouveaux déchets tels que les farines animales ou les boues d'épandage, qui sont aujourd'hui, pour les collectivités locales, un lourd défi à relever et qui constituent un enjeu majeur pour notre environnement futur.
Le financement, je l'ai indiqué, constitue une difficulté majeure pour le traitement des déchets ménagers.
Malgré les taxes instituées en 1992 et en 1995 sur le traitement et le stockage des déchets, la fusion des fonds dans la TGAP en 1999 ne contribue pas à clarifier - ni à amplifier ! - les financements nécessaires aux collectivités. En effet, le produit de la TGAP va directement dans les caisses de l'Etat.
En dépit des aides accordées au développement des techniques innovantes, aux équipements de traitement des déchets ménagers et assimilés, le résultat escompté n'est pas atteint : pour cela, il aurait fallu investir environ 6 milliards de francs par an au lieu de 4 à 5 milliards, comme cela a été le cas.
On pouvait toutefois espérer une relance des projets malgré la conjoncture économique difficile, dans la mesure où les plans départementaux étaient de plus en plus nombreux à être publiés et où les aides ont été, à partir de 1998, plus importantes, les aides à l'investissement de l'ADEME ayant été portées en moyenne à 50 %.
La loi de juillet 1992 prévoyait le financement d'une politique d'aide aux collectivités pour les investissements à réaliser tant au niveau de la collecte que des installations de traitement. Du fait de l'application de nouvelles réglementations et de nouvelles techniques, les coûts de la gestion des déchets se sont en effet accrus dans des proportions importantes.
Le maintien de l'objectif 2002 correspondait alors à une volonté claire de mobiliser davantage de moyens pour réussir la modernisation de la gestion des déchets. C'est dans cette perspective que l'ADEME avait relevé de 50 % en moyenne le taux d'aide aux investissements réalisés, répondant ainsi à l'attente du terrain et donnant un signal plus fort.
En mai 1999, les élus et les responsables de collectivités locales ont accueilli avec désarroi la décision de l'ADEME de réduire le taux des subventions à l'investissement, malgré les engagements pris, pour le ramener à 20 % en moyenne. Arguant de l'augmentation du nombre de projets présentés, l'ADEME justifie son revirement par la définition de nouvelles orientations stratégiques.
Cette baisse brutale des subventions à l'investissement se traduit par de nouvelles difficultés dans l'adaptation nécessaire des modes de traitement des déchets. A terme, c'est la dynamique même des politiques locales d'élimination des déchets qui sera brisée.
On peut donc fortement regretter que l'ADEME n'ait pas eu de ligne directrice claire dans les soutiens qu'elle accordait aux collectivités locales. On peut s'étonner des changements de politiques brutaux qui consistent à majorer fortement le taux de soutien - jusqu'à 50 % des dépenses d'investissement - avant de constater, l'année suivante, qu'une telle position n'était pas tenable, et d'être alors obligé de revenir à des taux de soutien plus modérés.
Dans ce domaine particulièrement, les collectivités locales ont surtout besoin de visibilité et non d'une politique en « accordéon ».
Pour conclure, j'estime important de ne pas fléchir sur les objectifs de la loi, même s'il apparaît, bien entendu nécessaire d'établir un délai supplémentaire pour permettre d'engager la réflexion partout, que que soit le niveau constitutionnel concerné.
Ce débat était donc le bienvenu, tout particulièrement dans cet hémicycle, où nous sommes toujours attentifs aux questions qui concernent directement les citoyens et les collectivités. Demain, d'autres débats nous attendent, et je pense naturellement à la généralisation de la mise aux normes de l'assainissement, tout particulièrement dans nos communes rurales. Mais c'est une autre question, que nous traiterons le moment venu.
Monsieur le ministre, je ne peux qu'espérer que les réponses que vous nous apporterez dans un instant contribueront à rassurer les élus que nous sommes sans remettre en cause une démarche que nous considérons juste et indispensable pour notre environnement et notre avenir. (M. Delfau applaudit.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Yves Cochet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez, au cours de vos interventions, évoqué plusieurs questions portant sur le bilan de l'application de la loi sur les déchets du 13 juillet 1992, et plus particulièrement sur les difficultés que rencontrent les communes ou les intercommunalités pour supprimer les décharges qui ne sont pas conformes à la réglementation.
Monsieur Delfau, vous avez très justement rappelé que la loi du 13 juillet 1992 a rénové la loi-cadre du 15 juillet 1975 relative à l'élimination des déchets. Elle a mis en place une nouvelle politique axée sur le développement de la prévention et de la valorisation des déchets, en insistant sur la nécessaire limitation de la mise en décharge.
D'autres orateurs ont confirmé cette opinion et, la semaine dernière, à l'occasion de la mise en place du Conseil national des déchets, nous avons pu constater qu'il n'y avait pas lieu de rougir du bilan des dix années d'application de la loi de 1992, même si celui-ci est nuancé et si beaucoup de travail reste encore à faire.
Le premier point fort de la loi de 1992 me paraît être le fait que notre pays s'est doté d'une sorte de boîte à outils de travail et de gestion dans ce domaine, qui nous permet d'ores et déjà d'obtenir de bons résultats, meilleur gage du prolongement des actions et des nouveaux progrès pour l'avenir.
Citons quelques-uns de ces outils.
Le premier est la planification. Avancée essentielle de la loi de 1992, les plans régionaux pour les déchets industriels spéciaux, mais surtout les plans départementaux d'élimination des déchets ménagers et assimilés doivent offrir un cadre sur plusieurs années pour une gestion conforme à la loi. Au demeurant, ces plans ont été - vigoureusement parfois - remis en cause par mon prédécesseur en 1997, au motif qu'ils n'étaient pas suffisants et qu'il fallait dont les rénover pour les rendre plus performants.
La circulaire du 28 avril 1998 fixait des objectifs plus ambitieux, mais sans donner une date ! Mme Voynet parlait, par exemple, de 50 % de valorisation, mais sans préciser le délai. Malheureusement, nous n'avons pas encore atteint cet objectif.
Le deuxième outil est le partage des responsabilités des communes auxquelles, comme vous le savez, la loi confie la plus grosse part du travail, avec un développement extraordinaire de l'intercommunalité. Celle-ci a été récemment précisée et fixée dans un cadre assez large par la loi sur l'intercommunalité ; mais du travail reste à faire, en particulier en ce qui concerne le financement.
Le troisième outil est la mise en place progressive, mais massive, du recyclage en France.
Le recyclage, on n'en parlait pas il y a dix ans. Je me souviens que, en tant que militants, nous disions qu'il faudrait valoriser les déchets, c'est-à-dire dégager la valeur ajoutée, au sens économique du terme, qu'ils contiennent au lieu de la dilapider en se contentant de les jeter dans un trou.
Nous étions donc partisans du recyclage de cette valeur ajoutée, et certains de mes amis imaginaient même que la TVA pourrait ne pas être appliquée aux produits de ce recyclage dans la mesure où elle avait déjà été payée une fois. Cet argument est d'ailleurs encore en discussion !..
Le recyclage devrait être opéré grâce au renforcement ou au développement de filières, à la création et à la montée en puissance de certains organismes de type industriel. Je pense à cet égard à Eco-emballages et Adelphe, pour le secteur des emballages.
Ces organismes ont signé des contrats avec un nombre très important de communes et l'on peut estimer que, à l'heure actuelle, huit Français sur dix bénéficient d'un système de collecte sélective.
Un effort considérable a été fait : en cinq ans, 40 millions de nos concitoyens sont passés, d'une manière ou d'une autre, au recyclage soit par collecte sélective, soit par tri sélectif, donc un peu plus en aval. En Ile-de-France, où l'on est parti de pratiquement zéro en 1997, près de neuf millions d'habitants sur onze millions sont maintenant concernés par le recyclage de leur déchets, par collecte ou par tri.
Reste évidemment le problème de Paris, où l'habitat est plus dense et vertical. Le recyclage se met en place, mais c'est bien plus difficile.
Le dernier outil de la loi de 1992, c'est l'information des citoyens en vue de leur participation à la collecte sélective et la mise en place de commissions locales d'information et de surveillance, les CLIS, pour les centres de traitement des déchets, notamment les décharges, mais aussi le regroupement des farines animales, qui constitue aussi un véritable problème, je vous l'accorde, monsieur le sénateur.
Ces CLIS fonctionnent plus ou moins bien selon que les différents acteurs concernés y participent plus ou moins activement. Il faut évidemment que les associations, les élus, tout le monde aient la volonté de faire avancer les choses.
En tout état de cause, ces outils existent, et c'est l'une des premières avancées de la loi.
La deuxième avancée de cette loi concerne le traitement des déchets puisque, avant 1992, il n'y avait pas de traitement.
On mettait alors les déchets dans un trou et, vous vous en souvenez, on en arrivait au syndrome de Montchanin. Quelques années plus tard, la décharge empestait et il fallait faire quelque chose. Et c'est cette loi de 1992 qui a imposé de traiter les déchets.
Quant aux déchets toxiques ou spéciaux, les déchets hospitaliers ou les déchets industriels dangereux, alors très médiatisés, on peut considérer qu'ils sont maintenant globalement bien gérés.
Les quelques problèmes qui subsistent concernent non pas les déchets massivement pris en compte dans les centre importants, mais les déchets dispersés, ceux qu'on appelle les DTQD, les déchets toxiques en quantité dispersée, ceux qui viennent des artisans et des ménages, des activités de soins diffuses.
Pour les ordures ménagères qui, du point de vue du tonnage, représentent l'immense majorité, le recyclage rencontre un succès croissant, notamment dans le domaine des emballages.
D'autres filières de valorisation vont être ou sont mises en place, par exemple pour les déchets électriques et électroniques, ainsi que pour les COUNA, ces fameux courriers non adressés qui occupent une place particulière. Leur devenir fait l'objet de débats aussi bien à l'Assemblée nationale qu'au Sénat depuis des années.
Les élus locaux, qui trouvent que le volume important de ces courriers dans les boîtes aux lettres finit par leur coûter très cher refusent pourtant que la publicité politique ou les journaux municipaux soient taxés au titre des COUNA. Et dans quelle catégorie ranger le courrier des sénateurs ? Qu'en pensez-vous, monsieur Delfau ?
Tout cela reste à préciser. Un amendement a été voté, mais il faut maintenant apporter des précisions par décrets interministériels.
J'en viens à la valorisation biologique, sans doute peu développée depuis dix ans et à laquelle je crois beaucoup. Elle est bien encadrée, notamment par une circulaire du 28 juin 2001 qui vise à la fois la qualité et la sécurité. Il s'agit d'éviter par exemple qu'on vende du compost de mauvaise qualité à des agriculteurs. On a parfois le syndrome de « Valorga », du nom de la première unité français de valorisation des déchets implantée à Amiens, au milieu des années quatre-vingt.
Aujourd'hui, nous disposons d'une technologie très fine de valorisation et de méthanisation des déchets. Nous disposons en quelque sorte de « machines biologiques de fabrication ». A cet égard, le site de stockage et de production de biogaz du Plessis-Gassot, dans le Val-d'Oise est particulièrement important.
Il est beaucoup plus intéressant de produire de l'énergie à partir des déchets plutôt que de les laisser pourrir. Le stockage augmente les émanations de gaz à effet de serre. En revanche, leur méthanisation limite la propagation de ce type de gaz.
A cela s'ajoute le fait que, une fois compressé, ce méthane peut être utilisé pour mettre en mouvement les tracteurs ou les bus comme c'est déjà le cas dans l'agglomération lilloise, notamment.
Je ne méconnais cependant pas les difficultés et le coût des opérations qu'il faudra engager pour respecter les objectifs qui sont fixés par la circulaire du 28 juin 2001.
Il convient de citer également le travail en commun réalisé pour doter l'ensemble du pays d'un réseau de déchetteries. Il y en a actuellement plus de 2 300. Et ce nombre va croître encore, puisqu'il en est prévu à peu près 3 000 à moyen terme, dans quelques mois.
Ce fort développement des déchetteries - leur nombre a doublé depuis 1997 - n'est pas sans lien avec le sujet que vous soulevez, les uns et les autres, concernant la résorption des décharges non autorisées, puisque cela constitue l'instrument de base pour prévenir la création de nouvelles décharges. Mais, là encore, l'effort doit se poursuivre.
En ce qui concerne le bilan du traitement des ordures ménagères résiduelles, je souhaite rappeler que l'action réglementaire a été très forte pour la mise en conformité des installations, en particulier celle des usines d'incinération. Une action d'envergure a été engagée à partir de 1997. Les résultats sont là, même si, hélas !, ils ne sont pas totalement atteints.
Pour ce qui est des usines d'incinération de grande taille, celles qui traitent plus de 6 tonnes-heure, une seule n'est pas encore conforme. Depuis 1997, nous avons réalisé un effort soutenu.
S'agissant des usines d'incinération de petite taille, d'un débit inférieur à 6 tonnes-heure, sur les 180 recensées en 1997, une quarantaine seulement - c'est encore trop - sont en situation de non-conformité.
S'agissant des graves anomalies observées sur le site de Gilly-sur-Isère, aussi bien les maires que les associations m'ont alerté parce que les études épidémiologiques prouvaient qu'il y avait de la dioxine. C'est très dangereux.
Je ne cesse donc de dire aux préfets qu'ils doivent ou bien mettre très rapidement en conformité ces incinérateurs, même de petites dimensions, ou bien les fermer.
C'est sur un autre aspect du bilan de la loi de 1992 sur la prévention de la production des déchets, c'est-à-dire sur leur réduction, que la déception a été la plus grande, je l'avoue. L'objectif était symbolisé par un seuil : moins de un kilogramme de déchets par jour et par personne. Cet objectif n'a pas été atteint, hélas ! Certains ont parlé d'échec, d'autre de semi-échec. On peut voir cela comme on veut. Mais, c'est certain, le résultat n'est pas très bon.
Je suis personnellement très attaché à cet objectif, à tel point que, au moment de la mise en place du Conseil national des déchets, la semaine dernière, j'ai indiqué que, pour la nouvelle décennie, c'est-à-dire de juillet 2002 à juillet 2012, l'un des objectifs prioritaires serait de prévenir l'accroissement du volume des déchets, voire de parvenir à le réduire. J'évoquais même - certains estiment que ce n'est pas assez ambitieux, mais je ne le pense pas, à considérer la croissance tendancielle du volume des déchets ! - une réduction de 10 % en dix ans. On peut y arriver. En tout cas, je l'espère.
Une telle perspective rejoint d'ailleurs les conclusions des travaux menés sur l'initiative du groupe d'études du Sénat sur les déchets, animé par M. Dominique Braye, ou du groupe homologue, animé par M. Mariot à l'Assemblée nationale, qui est d'ailleurs aujourd'hui le président du Conseil national des déchets.
Ces remarques ont un lien étroit avec les décharges, qui sont, en principe, le dernier maillon de la chaîne de traitement des déchets.
La loi de 1992 prévoyait, en effet, qu'au 1er juillet 2002 seuls pourront être mis en décharge les déchets ultimes, c'est-à-dire ceux qui ne sont pas susceptibles d'être valorisés dans les conditions techniques ou économiques du moment.
La remarquable circulaire de Mme Voynet du 28 avril 1998 - c'est un des textes réglementaires les plus beaux que je connaisse, à la fois par sa force de conviction et par ses objectifs, en même temps que par les débats qu'il a suscités - était « un coup de fouet », au sens métaphorique du terme, à tous les élus locaux. C'était une façon de souligner que les plans départementaux n'allaient pas, qu'il fallait les revoir, et que, si les collectivités se regroupaient, il y aurait demain moins de déchets.
Les résultats tardent un peu, je dois le dire, puisque la circulaire date d'il y a pratiquement quatre ans. Nous y avons cependant gagné une définition, celle du déchet ultime qui dépend, au premier chef, des conditions locales.
Il n'y a pas de définition du déchet ultime valable sur tout le territoire. Tous les départements ne sont pas en mesure de traiter les mêmes produits. Cela dit, il ne faut pas encourager ceux qui auraient fait moins d'efforts que d'autres, il ne faut pas qu'ils puissent continuer à mettre beaucoup plus de déchets non ultimes en décharge après le 1er juillet 2002. Il nous faut désormais lutter aussi contre certains effets pervers des textes.
La circulaire du 28 avril 1998 rappelle également qu'en aucun cas il ne s'agit de considérer que seuls les résidus d'incinération pourraient être qualifiés de déchets ultimes : une politique équilibrée associe nécessairement la prévention à la source, la collecte sélective, la valorisation et les différentes filières de traitement des déchets. Même après le 1er juillet 2002, des décharges seront donc, hélas ! toujours nécessaires.
Il convient de rappeler dès lors un autre objet de la loi, un objectif déjà affiché en 1975 : les déchets doivent être éliminés dans des installations adaptées et d'une façon respectueuse de l'environnement.
Il était en premier lieu nécessaire de définir un cadre réglementaire solide pour ces installations, ce qui a été fait avec l'arrêté ministériel du 9 septembre 1997. Un colloque s'étant tenu au Sénat en juillet dernier sur ce thème, je n'y reviens pas.
Un important travail a été réalisé par les préfets et les administrations locales, à partir de 1998, pour assurer sur le plan technique la mise au norme des décharges existantes et, à partir de 1999, pour veiller à la mise en place des garanties financières.
Dans ce contexte, les problèmes liés à l'insuffisance des actions de résorption des décharges anciennes se posent avec encore plus d'acuité. Je ne sais pas à qui il faut s'en prendre.
Sans méconnaître les contraintes que cela entraîne pour les collectivités, je tiens à souligner que leur rôle est essentiel pour la résorption des décharges illégales ou leur mise aux normes. Pour apporter la preuve des nuisances ou des risques potentiellement générés par ces pratiques illégales, il suffit d'évoquer l'incendie survenu l'été dernier dans le Var, à partir de la décharge communale non autorisée de Rians-Artigues, qui a détruit 1 000 hectares de forêt. C'est insupportable. Dans de tels cas - je le dis avec gravité - la jurisprudence retient la responsabilité de la commune pour les dommages subis par des tiers.
Je ne sais pas comment évolueront les contentieux après cette date du 1er juillet 2002, qui est la date butoir, même si elle n'est pas si fatidique que cela. Certes, les communes seront exposées...
M. Philippe Arnaud. Pénalement ?
M. Yves Cochet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Elles le sont déjà puisque toutes les décharges ne sont pas autorisées, mais il est possible que certains plaignants, du fait de l'existence de cette date limite, déposent plus de recours qu'aujourd'hui. Nous verrons comment tout cela va évoluer. Il faudra suivre attentivement les dossiers.
M. Gérard Delfau. Me permettez-vous de vous interrompre, monsieur le ministre ?
M. Yves Cochet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Je vous en prie.
M. le président. La parole est à M. Delfau, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Gérard Delfau. Monsieur le ministre, je vous remercie.
Je comprends bien qu'il y a la loi, le règlement, la responsabilité des communes devant la justice. Mais le moment n'est-il pas venu que les pouvoirs publics, l'Etat, plus précisément le Gouvernement que vous représentez, se saisissent de ce sujet et réunissent autour de la même table les représentants de différentes collectivités territoriales - plus particulièrement les conseils généraux, et l'Association des maires de France -, dans les trois mois qui précèdent ce seuil fatidique - et au-delà, bien évidemment, avec le Gouvernement qui sera en place -, cela pour organiser cette mutation et faciliter la tâche aux communes qui sont les plus démunies, les plus exposées ?
Monsieur le ministre, le rôle de l'Etat est bien un rôle d'impulsion. Sinon, j'ai envie de vous demander à quoi servons-nous, vous comme nous ?
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur le ministre.
M. Yves Cochet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Nous l'avons dit, monsieur le sénateur. Par exemple, au mois de septembre, aux assises nationales des déchets à La Baule, présidées par M. Jacques Pélissard, nous n'avons cessé d'attirer l'attention sur le fait que le compte à rebours était commencé et que la date approchait !
Sans vouloir stigmatiser telle ou telle collectivité, il faut bien reconnaître que depuis la promulgation de la loi de 1992, c'est-à-dire pratiquement dix ans, certaines ont réagi plus rapidement que d'autres et, pour éviter d'avoir des ennuis en 2002, se sont donc mises en quête de nouvelles installations, notamment des systèmes d'incinération.
Je parle d'incinération car, au départ, le mythe du feu qui purifie tout prévalait. Mais on s'est aperçu par la suite que ce procédé avait des effets pervers - je pense aux plastiques, par exemple, avec le dégagement de dioxine et de furanes. C'est pourquoi les cheminées sont mises aux normes européennes, lesquelles seront renforcées en 2005.
Monsieur le sénateur, au fur et à mesure que l'échéance approche, nous ne cessons donc, d'attirer l'attention sur cette échéance. Nous l'avons dit devant le Conseil national des déchets, qui a été mis en place la semaine dernière et au sein duquel siègent des représentants des collectivités locales, des grandes associations d'élus et de maires, ainsi qu'au congrès de l'Association des maires de France voilà trois mois. On peut toujours faire de nouvelles réunions. Mais tout le monde le sait maintenant : les préfets, les intercommunalités, les collectivités locales, les mairies. Je le redis encore devant vous aujourd'hui !
Pour conclure mon propos, je donnerai quelques pistes et des informations sur l'action de l'Etat pour aider les collectivités en ce sens.
J'ai cité la circulaire du 10 novembre 1997, demandant aux préfets d'insérer dans les plans départementaux un volet sur les actions à mener pour la résorption des décharges non réglementaires.
Alors qu'en 1998 les trois quarts de ces plans avaient été jugés trop faibles pour atteindre l'objectif en 2002, après avoir fait l'objet d'une redynamisation, les plans départementaux sont maintenant pratiquement tous achevés, à l'exception d'une petite dizaine. C'est essentiellement dans le Sud-Ouest, si je me souviens bien, que des efforts restent à faire, mais je ne dis pas cela pour montrer du doigt tel ou tel département.
S'agissant de la fermeture de ces sites, la circulaire a précisé qu'il devait s'agir d'une démarche volontariste, mais graduelle. La fermeture de certaines décharges peut en effet nécessiter un délai, afin de trouver des solutions alternatives d'élimination des déchets admis sur ces sites. Il convient toutefois de limiter le plus possible les nuisances pendant cette période transitoire.
Je ne peux pas préciser le délai qui sera nécessaire, malgré les questions qui m'ont été posées sur ce point. En effet non autorisées, des milliers de décharges ne seront pas fermées au 1er juillet. Mais nous n'aurons de cesse de dire aux préfets et aux collectivités de tout mettre en oeuvre pour y parvenir.
Les collectivités qui engagent des actions de résorption peuvent être aidées financièrement par l'ADEME dans les départements ayant contractualisé à cette fin, ce qui est le cas de 80 % d'entre eux. Les aides apportées conjointement par l'ADEME et le conseil général du département peuvent ainsi atteindre 60 % pour les études et 80 % pour les travaux.
La non-contractualisation n'est pas la faute de l'Etat. Parmi les principales causes de celle-ci, on peut noter le manque d'intérêt des élus sur le sujet ou l'affirmation que les décharges de leur département sont déjà réhabilitées.
Là encore, je ne cesse de le dire, l'implication des collectivités locales, depuis le conseil général jusqu'à chaque commune concernée, est tout à fait essentielle. Il doit s'agir d'une démarche volontariste, à laquelle tout le monde doit s'intéresser. De nombreux exemples locaux de réussite montrent toujours une bonne implication de l'ensemble des acteurs, jusqu'à ces maires qui signent des arrêtés municipaux de fermeture de leurs propres décharges ! Ils ont donc un souci d'écologie au quotidien, que je salue.
Ces différents outils seront d'autant mieux utilisés que la connaissance sur le terrain des sites concernés sera précise. Mes services travaillent avec l'ADEME à affiner les données et les connaissances disponibles. En effet, nous constatons que la situation est très variable d'un département à l'autre, ne serait-ce qu'en termes de connaissance localement du nombre précis de décharges non réglementaires en exploitation et du nombre de décharges fermées à réhabiliter. Ces disparités de connaissance se reflètent d'ailleurs dans la manière dont les plans révisés traitent de cette question.
Pour encourager la réhabilitation de ces décharges, il est donc nécessaire d'affiner les données sur ces sites en effectuant un recensement aussi exhaustif que possible, complété par un diagnostic permettant de hiérarchiser les sites prioritaires. Parmi les départements qui ont contractualisé avec l'ADEME, cette étape est terminée pour plus de quarante d'entre eux ; elle est en cours ou en négociations pour vingt-cinq.
Il ressort des résultats que, sur les huit mille sites à réhabiliter recensés dans ce cadre, près d'un quart ont un impact significatif sur l'environnement.
S'agissant maintenant des décharges non autorisées encore en exploitation, les estimations disponibles à ce jour au niveau national varient entre six mille et neuf mille. Certains d'entre vous ont situé la fourchette entre quatre mille et six mille. Ce chiffre, qui paraît démesuré, est à nuancer compte tenu des incertitudes qui s'y rattachent. Il recouvre, en effet, des situations locales très différentes, au niveau tant de la taille des sites considérés que des déchets admis. Dans certaines communes rurales, par exemple, ces sites anciens sont conservés pour le dépôt de déchets verts ou d'objets encombrants. Ces pratiques sont illégales, mais elles doivent être distinguées des décharges qui reçoivent l'ensemble des ordures ménagères de la commune.
Même si l'image de la situation au niveau national n'est pas aussi précise qu'on pourrait le souhaiter, l'analyse de certains indicateurs, notamment des données disponibles par le biais de la taxe sur la mise en décharge des ordures ménagères désormais intégrée dans la TGAP - que certains d'entre vous ont critiquée -, fournit des éléments encourageants sur les évolutions observées.
Sans vouloir prolonger le débat, permettez-moi d'insister sur un point : la fongibilité des taxes. C'est très important pour l'environnement. On nous a dit de nous méfier de Bercy, qui risquait de tout nous prendre. En fait, l'ADEME a été injustement critiquée pour sa gestion, car elle a permis de faire beaucoup, par un effet levier, pour les collectivités locales en matière non seulement de déchets, mais également d'énergies renouvelables.
Le nombre de décharges, autorisées ou non, soumises à la taxe diminue : entre 1994 et 1999, il est passé de 3 079 à 1 895. Proportionnellement, la réduction du nombre de décharges est deux fois plus importante pour les décharges non autorisées - moins 46 % - que pour les décharges autorisées - moins 23 %.
Il est également intéressant de noter que les décharges non autorisées sont de petites décharges. Pour l'année 1999, 75 % de ces décharges brutes ont reçu moins de cent tonnes de déchets sur un an. La situation est inverse pour les décharges autorisées.
Globalement, au niveau national, les quantités de déchets reçues dans les décharges non autorisées sont très faibles - 3 % - par rapport à celles qui sont reçues dans les décharges autorisées - 97 %, soit 24,8 millions de tonnes.
Ces premiers éléments seront à l'évidence complétés dans le cadre des travaux engagés sur la base du bilan général de la loi du 13 juillet 1992, notamment par le Conseil national des déchets, dont j'évoquais la création.
Le chemin à parcourir reste long, mais je crois toutefois pouvoir d'ores et déjà affirmer que nous sommes sur la bonne voie. Les outils réglementaires et financiers sont là, les solutions alternatives à ces mises en décharge sauvages existent.
Il faut maintenant, comme cela a déjà été fait dans bon nombre de départements, mobiliser les collectivités locales et les acteurs de terrain pour changer ces pratiques, qui sont désormais d'un autre siècle ! Je compte également sur vous pour oeuvrer localement en ce sens. L'objectif du 1er juillet 2002 devrait se traduire déjà, et avant tout, par la fin des ordures brutes dans des décharges non autorisées.
M. le président. En application de l'article 83 du règlement, je constate que le débat est clos.

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