SEANCE DU 21 NOVEMBRE 2000
CONDITIONS DE DÉTENTION
DANS LES ÉTABLISSEMENTS PÉNITENTIAIRES
Discussion d'une question orale avec débat
(Ordre du jour réservé)
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 27 de
M. Jean-Jacques Hyest à Mme le garde des sceaux, ministre de la justice, sur la
suite des conclusions de la commission d'enquête du Sénat sur les conditions de
détention dans les établissements pénitentiaires, suivante :
M. Jean-Jacques Hyest rappelle à Mme le garde des sceaux, ministre de la
justice, les conclusions de la commission d'enquête du Sénat sur les conditions
de détention dans les établissements pénitentiaires en France, dont le rapport
a été déposé le 29 juin dernier.
De son côté, la commission présidée par M. Canivet a également préconisé
certaines réformes concernant le fonctionnement des établissements
pénitentiaires.
Un mouvement important du personnel pénitentiaire a amené le Gouvernement à
promettre des mesures pour améliorer la situation de ces personnels.
Compte tenu de l'urgence des mesures à prendre, la commission d'enquête a
privilégié des propositions concrètes susceptibles d'être mises en oeuvre
rapidement.
Un débat sur la politique pénitentiaire serait très utile, mais un certain
nombre de mesures concernant les conditions de détention ne sont pas de nature
législative, le plus urgent étant l'amélioration des conditions de détention et
le renforcement des contrôles, ainsi que la remotivation des personnels.
C'est pourquoi M. Jean-Jacques Hyest demande à Mme le garde des sceaux de
préciser les intentions du Gouvernement sur ce sujet brûlant.
La parole est à M. Hyest, auteur de la question.
M. Jean-Jacques Hyest.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, le 5
juillet dernier, la commission d'enquête du Sénat sur les conditions de
détention dans les établissements pénitentiaires rendait publiques ses
conclusions, après une soixantaine d'auditions et trente déplacements dans les
établissements pénitentiaires.
Comme vous le savez, mes chers collègues, cette commission d'enquête a été
conduite à parler d'« humiliation pour la République » - depuis, on a fait
mieux à l'Assemblée nationale ! - en ce qui concerne les centres de
rétention.
Elle a découvert, pendant ses travaux, des maisons d'arrêt surpeuplées
accueillant des personnes qui, parfois, n'ont rien à y faire. Elle a constaté
une évolution inquiétante de la population carcérale : de plus en plus de
mineurs, de plus en plus de vieillards, de plus en plus de malades, notamment
des personnes atteintes de maladie mentale ou de troubles graves du
comportement. A la prison républicaine s'est substitué un système confus dans
lequel la prison-asile le dispute à la prison-hospice et à la
prison-hôpital.
Elle a encore constaté que les droits de l'homme n'étaient pas pleinement
respectés dans nos prisons et que les présumés innocents étaient détenus dans
des conditions beaucoup plus rigoureuses que les condamnés.
Elle a aussi découvert que la multiplication des règlements et des circulaires
n'aboutissait qu'au développement de ce qu'il faut bien appeler un certain
arbitraire carcéral. Tel comportement toléré ici sera sévèrement sanctionné
ailleurs...
La prison reproduit, par ailleurs, les inégalités sociales qui existent à
l'extérieur. Le système baroque de la cantine et celui de la location des
téléviseurs permettent aux plus favorisés des conditions de détention
acceptables, mais condamnent les indigents aux tâches obscures et
sous-rémunérées du service général quand ils peuvent travailler et, dans le
meilleur des cas, au travail répétitif en atelier, voire en cellule.
Elle a enfin constaté l'inefficacité des contrôles exercés sur les
établissements pénitentiaires. En théorie, toute une série de contrôles sont
prévus, par les inspections, par les magistrats et par les commissions de
surveillance. Mais les inspecteurs inspectent peu. Ce n'est pas leur faute :
ils ne sont que quatre et deux doivent être présents en permanence à la
chancellerie ; cela ne fait pas beaucoup. Les commissions de surveillance ne
surveillent guère. Les magistrats du parquet répugnent le plus souvent à se
rendre dans les prisons, et ceux qui y envoient les prévenus n'y mettent que
rarement les pieds.
Au sein de cet univers carcéral, la commission d'enquête a pu aller à la
rencontre d'un personnel pénitentiaire qui assure, avec abnégation et courage,
le fonctionnement d'un service public indispensable, mais si difficile à gérer.
Les personnes que nous avons vues sont souvent déboussolées, inquiètes, et cela
d'autant plus qu'il leur est très difficile d'accomplir les tâches demandées,
en raison notamment - je l'ai dit et vous le savez, madame le garde des sceaux
- de l'augmentation dans les prisons du nombre de malades mentaux dont elles ne
peuvent assurer la surveillance dans les meilleures conditions.
Vous l'avez compris, la commission d'enquête du Sénat a estimé qu'il fallait
agir vite. Elle s'est voulue à la fois réaliste et ambitieuse. Elle a donc
proposé une trentaine de mesures d'urgence pouvant, pour la plupart, être mises
en oeuvre dans des délais très brefs. Afin de lancer le processus, nous avons
demandé l'organisation d'un débat d'orientation devant le Parlement.
La commission d'enquête sénatoriale a rendu ses travaux, comme celle de
l'Assemblée nationale. Le Gouvernement a pu en prendre connaissance et arrêter
une stratégie. Où en sommes-nous aujourd'hui ?
Le débat d'orientation que nous avions demandé n'a pas été organisé mais,
après tout, c'est le Gouvernement qui dispose ! Cela m'a conduit, pour avancer
sur le sujet, à déposer cette question orale avec débat, en accord notamment
avec M. le rapporteur de la commission d'enquête. Je regrette que l'initiative
ne soit pas venue du Gouvernement - nous ne vous le reprochons pas, madame le
garde des sceaux, car vous venez de prendre vos fonctions -, dont nous
attendions qu'il apporte aux parlementaires des réponses après les travaux des
commissions d'enquête.
Si le débat d'orientation n'a pas eu lieu, le Premier ministre a, en revanche,
fait des annonces spectaculaires le 8 novembre dernier.
Il a tout d'abord annoncé que 10 milliards de francs sur six ans seraient
consacrés à un plan de rénovation des établissements pénitentiaires, cette
somme devant bien sûr s'ajouter à toutes celles qui ont déjà été annoncées pour
le programme 4 000 et la rénovation des cinq premières grandes maisons
d'arrêt.
Le Premier ministre a également annoncé l'élaboration d'une grande loi
pénitentiaire, le dépôt d'un projet de loi devant intervenir au premier
semestre 2001.
Si j'ai posé cette question orale avec débat, si je suis à cette tribune
aujourd'hui, c'est pour vous dire, mes chers collègues, que les mesures
gouvernementales, pour importantes qu'elles soient, ne répondent pas - ou pas
complètement - aux attentes de la commission d'enquête du Sénat.
Plus les projets sont grandioses, spectaculaires, plus ils ont de chance de
s'enliser et, finalement, de n'aboutir à rien.
Evoquons tout d'abord cette grande loi pénitentiaire annoncée par le
Gouvernement.
Son élaboration sera très utile, tant les textes qui régissent
l'administration pénitentiaire sont épars et enchevêtrés. Mais il faudra très
longtemps avant qu'une telle loi ne voie le jour. Vous nous annoncez, madame le
garde des sceaux, la discussion d'un texte à l'automne 2001 ; vous savez bien
que l'automne est la période d'examen du budget et qu'il sera difficile de
faire examiner un texte aussi lourd par les deux assemblées. Vous savez
également que les échéances électorales au début de l'année 2002 interrompront
les travaux du Parlement. Dans ces conditions, je suis convaincu qu'une grande
loi pénitentiaire ne pourra pas être adoptée définitivement avant la fin de
l'année 2002.
Le plan de rénovation à long terme est indispensable, et notre commission
d'enquête l'a demandé. Mais, là encore, il faudra des années pour que les
premiers effets se fassent sentir. J'en veux pour preuve, madame le garde des
sceaux, le taux de consommation particulièrement faible des crédits inscrits
par le Gouvernement au budget de l'administration pénitentiaire au cours de
l'exercice précédent pour des constructions ou des rénovations
d'établissements.
Ainsi, dans le rapport établi par la commission des finances du Sénat sur le
budget de 2001, on peut lire que, pour le programme spécifique, sur 754
millions de francs de crédits de paiement, une partie sont des reports de
l'année précédente, 43,4 millions de francs seulement avaient été consommés au
2 novembre. De même, en ce qui concerne le programme qui touche toutes les
rénovations, les travaux effectués dans les établissements pénitentiaires, sur
443,9 millions de francs, seuls 199 millions de francs avaient été consommés au
2 novembre.
Dans ces conditions, les mesures annoncées par le Gouvernement ne se
traduiront dans les faits que dans plusieurs années sauf si intervient un
changement complet de gestion des crédits de l'administration pénitentiaire en
matière de construction.
Un certain nombre d'entre nous le disent depuis de nombreuses années : si l'on
veut gérer, si l'on veut vraiment améliorer et rénover, comme nous semblons
tous le vouloir, il faut complètement changer de rythme pour permettre une
meilleure consommation des crédits et un engagement plus rapide des programmes,
à la fois, de rénovation et de construction.
Pouvons-nous attendre sans rien faire ? Pouvons-nous laisser les choses en
l'état dans l'attente de cette grande loi pénitentiaire de la rénovation
globale des établissements ? Je suis convaincu que non, car tant les personnels
que les détenus attendent des réformes significatives et immédiates.
Madame la ministre, la commission d'enquête du Sénat a voulu être concrète.
Elle a proposé des mesures peu spectaculaires, mais qui peuvent être mises en
oeuvre tout de suite. Je vous en cite quelques-unes : la création d'un minimum
carcéral pour les indigents, l'harmonisation à la baisse des tarifs de la
cantine, la réduction à vingt jours de la durée maximale de placement en
quartier disciplinaire, la suppression du prélèvement sur le produit du travail
des détenus destiné à les faire participer à leurs frais d'entretien. Bien
entendu, je ne parle pas de l'indemnisation des victimes, prélèvement que je
crois indispensable de maintenir.
Je peux encore citer le doublement du nombre de lits en unités pour malades
difficiles ou l'expérimentation de la transformation d'établissements
pénitentiaires en établissements publics administratifs dotés d'un conseil
d'administration.
Nous avons aussi proposé d'améliorer l'accueil des familles et de favoriser
les projets des association visant à améliorer cet accueil.
Toutes ces propositions pourraient être mises en oeuvre très rapidement si le
Gouvernement les reprenait à son compte.
Sur l'initiative de notre éminent collègue M. Robert Badinter, dont la grande
expérience en cette matière nous a été si précieuse, nous avons proposé de «
désencombrer » les maisons d'arrêt en permettant que des prévenus dont
l'instruction est terminée puissent être placés en centre de détention.
Je dirais tout à l'heure, madame le garde des sceaux, que les prévenus sont
plus mal traités que les détenus !
M. Robert Badinter.
Oui !
M. Jean-Jacques Hyest.
C'est là une aberration de notre système ! Au moins, quand l'instruction est
terminée, quand les intéressés sont en attente d'appel ou de cassation,
permettons-leur de travailler, de se former ! Ne les laissons pas dans la
maison d'arrêt où ils ne peuvent rien faire !
Vous nous répondrez, madame la ministre, qu'il n'y a pas de place en centre de
détention. Mais la commission d'enquête a calculé que 1 700 places environ
étaient disponibles !
Certes, il faudrait recruter du personnel supplémentaire si l'on voulait que
toutes ces places soient occupées parce que, bien souvent, le personnel est en
nombre insuffisant. Mais même si cela ne suffisait pas à résorber la
surpopulation des maisons d'arrêt, ce pourrait être un progrès !
Par ailleurs, madame le garde des sceaux, on sait très bien que le centre
national d'orientation est saturé et que les personnes condamnées attendent
trop longtemps - trois ou quatre ans parfois - avant leur placement dans
l'établissement où elles purgeront leur peine. Là aussi, il est urgent de
trouver des solutions.
Parmi les propositions formulées par la commission d'enquête, quatre ou cinq
seulement sont de nature législative. Doit-on, dans l'attente d'une grande loi
pénitentiaire, renoncer à améliorer dès maintenant le contrôle des
établissements pénitentiaires ? Je ne le crois pas, madame la ministre.
C'est pourquoi j'ai décidé, avec M. Cabanel - je pense que tous les membres de
la commission d'enquête s'associeront à notre proposition - de déposer une
proposition de loi destinée à mettre en oeuvre rapidement les quelques
propositions du Sénat qui sont de nature législative. Si vous le vouliez,
madame la ministre, cette proposition de loi pourrait être adoptée très vite.
Elle ne contredirait en rien la grande loi pénitentiaire et permettrait
l'entrée en vigueur de mesures d'urgence.
Nous attendons donc aujourd'hui du Gouvernement qu'il nous dise les suites
qu'il entend donner aux diverses propositions de la commission d'enquête du
Sénat que je viens d'évoquer, propositions que nous avons voulues concrètes et
efficaces.
Madame la ministre, nous apprécions les mesures que vous avez annoncées et
nous pouvons les approuver. Mais nous vous demandons instamment d'agir sans
attendre, en prenant tout de suite les mesures d'urgence que nous vous
proposons.
Madame la ministre, mes chers collègues, je vous rappelle les derniers mots du
rapport de la commission d'enquête : « Il y a urgence... Il y a urgence depuis
deux cents ans ».
De grâce, n'attendons plus, avançons dès maintenant ! Avançons dès maintenant,
pour l'intérêt de la société, pour l'intérêt de ceux qui, en sortant de prison,
doivent pouvoir retrouver leur place dans la société, mais aussi pour l'intérêt
des personnels, qui ont une tâche si difficile.
(Applaudissements.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 31 minutes ;
Groupe socialiste, 25 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 17 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 11 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 10 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe,
7 minutes ;
Dans la suite de la discussion, la parole est àM. Pelchat.
M. Michel Pelchat.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le sujet est
si grave que nous pourrions en débattre pendant des heures. Pour ma part, je
souhaite cet après-midi attirer l'attention de la Haute Assemblée et du
ministre de la justice sur trois points qui ont été soulignés par le rapport de
la commission d'enquête du Sénat et dont deux concernent très directement les
jeunes détenus.
S'agissant des jeunes détenus, qui, pour l'administration pénitentiaire, sont
ceux qui ont moins de vingt et un ans, il me paraît essentiel que la prison
leur offre les moyens de se réinsérer dans la société. Il s'agit, me
semble-t-il, d'une évidence.
En amont, la société a précisément échoué puisque ces jeunes ont commis des
délits suffisamment graves, voire des crimes pour se retrouver en prison. S'il
faut les punir, il faut aussi et surtout les aider puisque, pour la plupart
d'entre eux, c'est l'échec de la société qui les a conduits à se retrouver dans
cette situation.
La première façon d'aider ces enfants - à quatorze ou dix-sept ans, on est
encore un enfant - est, me semble-t-il, de faciliter ou de favoriser les
contacts que ces jeunes emprisonnés peuvent avoir avec leur famille, leur
entourage ou, à défaut, avec toute personne qui leur apportera un peu d'intérêt
et d'affection. L'affection manque souvent à ceux qui sont en totale rupture
avec leur famille. Et pourtant, sans affection, rien n'est possible !
Ces visites doivent donc être aussi fréquentes quepossible.
Comme le souligne justement le rapport de la commission d'enquête du Sénat, le
parc pénitentiaire français est d'une extrême diversité : aux « prisons des
villes » s'opposent les « prisons des champs » ou les « prisons grands
ensembles » et bien d'autres encore.
Or, si les prisons les plus appréciées des détenus comme des personnels
demeurent, malgré leur vétusté, les prisons des villes, c'est précisément parce
qu'elles sont très facilement accessibles. Il n'en va pas de même pour ces
prisons excentrées, à l'architecture stalinienne, implantées au milieu de nulle
part, comme celle de Fleury-Mérogis, que je visitai de nouveau voilà juste
trois semaines.
Il faut savoir que, pour certaines familles qui n'ont pas d'autres moyens de
locomotion que les transports en commun, ces prisons sont inaccessibles non
seulement parce qu'elles sont peu ou prou desservies par les transports en
commun, mais aussi parce que ces mêmes transports sont trop souvent coûteux
pour les familles concernées. Que peut-on faire pour aider, financièrement ou
matériellement, les parents très désireux de rendre visite à leurs enfants mais
qui n'en ont pas les moyens ?
Aider les jeunes détenus, c'est aussi penser à ce qu'ils feront une fois
sortis de prison.
Certes, et cela est une bonne chose, ils peuvent entreprendre ou poursuivre
leurs études en prison ou bien encore apprendre un métier. Mais il importe
aussi de savoir dans quel milieu ils se retrouveront à la sortie de la prison.
S'ils baignent à nouveau dans l'univers qui fut le ferment de leur délinquance,
il y a fort à parier qu'ils récidiveront.
L'accompagnement des éducateurs est-il suffisant ? Quelles mesures pourrait-on
prévoir pour éviter que ces jeunes ne soient à nouveau entraînés dans ce cercle
vicieux de l'échec et de la délinquance ? On parle en effet beaucoup de
prévention de la délinquance avant la prison, mais pas suffisamment, à mon
sens, de l'accompagnement de ceux qui sortent d'une incarcération, même si
celle-ci est de courte durée.
Enfin, je voudrais souligner combien l'appréhension du monde carcéral ne peut
se faire que dans sa globalité : on ne peut examiner, à juste titre, les
conditions de détention des détenus sans prendre en considération les
conditions de travail du personnel pénitentiaire, en particulier des
surveillants.
En visitant les prisons, j'ai rencontré des surveillants soucieux de ne pas
être de simples « porte-clés », mais, au contraire, d'être attentifs aux
détenus. J'ai noté que les surveillants des centres de jeunes détenus sont tous
des volontaires, qu'ils ont normalement reçu une formation spécifique et
s'impliquent fortement dans leur mission ; cela est trop peu souvent
souligné.
La nécessité de disposer de personnels en quantité suffisante est une évidence
qui appelle une réforme urgente, accompagnée des crédits budgétaires
nécessaires. J'insiste sur le fait que cette quantité suffisante ne doit pas et
ne peut pas aller sans la qualité. Si l'on veut que les personnels
pénitentiaires qualifiés soient motivés et dévoués, il faut revaloriser leurs
métiers et les rémunérer à la mesure de la fonction que l'on souhaite leur
confier, qui est difficile mais constructive pour notre société.
J'ai ainsi noté que, en France, de 60 % à 70 % des centres pénitentiaires sont
dirigés par des chefs de service classés dans la catégorie B de la grille de la
fonction publique, alors qu'ils devraient à ce niveau de responsabilités
appartenir à la catégorie A et recevoir, bien entendu, un salaire en
conséquence.
Dans le même ordre d'idées, est-il vraiment nécessaire d'imposer, pour leur
titularisation, un concours aux quelques surveillants intérimaires qui, pour la
plupart, totalisent de 10 à 15 ans de métier dans l'administration
pénitentiaire ? Leur imposer un concours aujourd'hui, ne serait-ce pas
considérer qu'ils sont incapables d'exercer leur métier qui est pourtant le
leur depuis de nombreuses années ?
Motiver les surveillants pénitentiaires, c'est aussi leur donner des moyens
adéquats pour exercer leur métier. Savez-vous de quelle unique arme disposent
les surveillants pour se défendre contre un détenu dangereux : un sifflet !
Ce ne serait donc pas un luxe de prévoir au moins des escortes de police ou de
gendarmes lors des fréquentes extractions et consultations médicales dans les
hôpitaux de proximité.
Vous n'avez sans doute pas oublié, madame le ministre, que, le 7 août 1998,
cinq surveillants pénitentiaires de Fleury-Mérogis, non accompagnés d'une
escorte policière, se sont fait « braquer » et gazer à l'hôpital de Corbeil et
que, à l'heure où je vous parle, le détenu auteur de ces méfaits et ses
complices courent toujours.
En conclusion, je souhaite attirer l'attention du Gouvernement et de la Haute
Assemblée sur un autre point essentiel : la mise en application de la loi du 12
avril dernier, en particulier de son article 24, qui prévoit la présence de
l'avocat en commission de discipline.
Il apparaît que la mise en place de ce dispositif, tel que prévu par les
textes, depuis le 1er novembre dernier, est une source de difficultés au sein
des établissements pénitentiaires. Ne pourrait-on pas, madame le ministre,
surseoir à l'application de cette mesure jusqu'à la fin de l'année, de manière
à permettre une véritable réflexion dans un climat redevenu serein et
constructif ?
Mes chers collègues, la condition de vie des détenus comme celle des
personnels, qui ne peuvent être dissociées l'une de l'autre, comme elles ne
peuvent être dissociées de l'état du patrimoine construit - M. Cleach insistera
plus particulièrement sur cet aspect - sont de vraies questions de société.
Elles nous concernent tous très directement. Les réponses qu'elles exigent
doivent être apportées dans les meilleurs délais. Ne pourrait-on s'inspirer
pour ce faire des deux rapports du Sénat et de l'Assemblée nationale ?
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Cabanel.
M. Guy-Pierre Cabanel.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en février
2000, dans l'émotion, le Sénat adoptait une résolution créant une commission
d'enquête sur les conditions de détention dans les prisons françaises. Au terme
de cinq mois d'auditions et après la visite de nombreux établissements
pénitentiaires en France et à l'étranger, ses conclusions ont été rendues
publiques le 5 juillet.
Le sévère constat dressé par les sénateurs a mis en lumière, notamment, les
conditions de détention dégradées provoquées par la surpopulation carcérale, la
vétusté des locaux et la pénurie d'effectifs dont souffre l'administration
pénitentiaire.
Au-delà de ces éléments matériels, elle a également révélé le légitime besoin
de reconnaissance des personnels pénitentiaires, tout en invitant la société
française à conduire une réflexion d'ensemble sur le sens et le rôle de la
prison.
La présente question orale devait nous permettre, madame la ministre, de vous
interroger sur les suites que vous comptiez donner à ces conclusions. Plus de
cinq mois s'étant écoulés depuis la publication du rapport, il paraissait
opportun, en l'absence d'éléments nouveaux, de susciter un débat dont l'urgence
avait été admise par tous.
Le discours du Premier ministre, lors de l'inauguration des nouveaux locaux de
l'Ecole nationale d'aministration pénitentiaire à Agen, le 8 novembre dernier,
est venu lever nos incertitudes et calmer en partie notre impatience.
En ma qualité de rapporteur de la commission d'enquête, j'y ai relevé, en
particulier, deux sujets de satisfaction.
Le premier est la mise en chantier d'une loi pénitentiaire destinée à définir
le sens de la peine, les missions de l'administration pénitentiaire, les règles
fondamentales d'un régime carcéral respectueux de la personne humaine. Notre
commission avait appelé une telle loi de ses voeux, en insistant sur la
nécessité de clarifier les droits et les devoirs des détenus, de rénover les
contrôles actuels, souvent inefficaces, voire inexistants, et d'affirmer la
place de la réinsertion dans les objectifs de la détention.
Le second sujet de satisfaction est le lancement d'un plan de rénovation du
parc pénitentiaire, étalé sur six ans, mobilisant des moyens financiers
importants - 10 milliards de francs - et dont la réalisation sera assurée par
un établissement public.
Dans les propositions formulées par notre commission, figuraient un tel plan
ainsi que la création d'une structure publique, dénommée « agence pénitentiaire
», qui gérerait de manière autonome le patrimoine pénitentiaire et serait en
charge à la fois des dépenses d'investissement et des dépenses d'entretien.
L'établissement public annoncé, madame la ministre, est-il cette agence ? Sa
création est en tout cas urgente car, à mon sens, c'est à une telle structure
que doivent revenir les études à mener en vue de la conception des nouveaux
établissement pénitentiaires.
A cet égard, j'insiste sur le fait que les choix d'implantation doivent tenir
compte de la nécessité d'un accès commode pour le personnel, les familles et
les intervenants.
Je rappellerai également notre souhait de privilégier des établissements à
taille humaine. C'est dans de tels établissements que le climat est le plus
favorable.
Enfin, pour la rénovation de l'ensemble du parc, l'encellulement individuel et
l'intégration de la douche dans la cellule doivent être l'objectif pour un
hébergement correspondant aux règles d'hygiène du temps présent.
En dehors de ce programme ambitieux, des mesures d'application immédiate, le
plus souvent de nature réglementaire, quelques-unes de nature législative,
pourraient améliorer à court terme les conditions de détention. La commission
d'enquête du Sénat en a proposé de nombreuses. Comptez-vous y donner suite ?
M. Jean-Jacques Hyest, président de cette commission d'enquête, et moi-même
allons d'ailleurs signer un texte comportant des propositions sur lesquelles le
Parlement pourrait se prononcer.
La période d'attente de l'été n'a pas été vaine puisqu'elle a été occupée par
la mise en place administrative de l'expérimentation du placement sous
surveillance électronique dans quatre établissements pénitentiaires. Je m'en
réjouis, mais cette expérimentation, qui doit durer neuf mois, mérite de
trouver rapidement sa vitesse de croisière.
Un renforcement des effectifs d'agents d'insertion et de probation s'impose
pour tester le dispositif et son efficacité, dans les meilleures conditions
possibles, déceler ses défauts éventuels et les corriger, ainsi que pour juger
objectivement ses résultats. En raison du démarrage lent de l'opération, je
crains que la durée d'expérimentation initialement prévue ne doive être
prolongée de quelques mois, au minimum.
La nécessité de renforcer les effectifs s'impose également pour l'ensemble des
personnels de l'administration pénitentiaire, et particulièrement pour les
surveillants. Le projet de budget pour 2001 apporte, certes, des moyens humains
supplémentaires, mais ils sont déjà jugés insuffisants par les intéressés. Ces
personnels doivent aussi pouvoir bénéficier d'une formation et d'un cadre de
travail satisfaisants.
Soyez convaincue, madame la ministre, que le Sénat restera très attentif au
suivi des engagements du Gouvernement. Toutes ces réformes seraient vaines si
elles n'étaient pas soutenues par une ferme volonté politique, par l'accord des
représentants de la nation et par l'acceptation des personnels concernés. La
direction de l'administration pénitentiaire, qui a déjà fait beaucoup
d'efforts, doit développer la concertation au sein de structures appropriées et
valoriser les expériences innovantes qui sont mises en oeuvre dans certains
établissements.
Ainsi, l'évolution qui se dessine dans le système carcéral français ne doit
pas être négligée. Nous sommes certainement à un moment de l'histoire où il va
être possible de réaliser une réforme profonde, effaçant l'humiliation que
représentent trop de prisons pour la République.
(Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, la
question orale de notre collègue Jean-Jacques Hyest nous offre l'occasion,
quatre mois après la remise des conclusions de notre commission d'enquête,
d'évoquer de nouveau les conditions de détention dans les établissements
pénitentiaires, et cela à ce moment crucial qu'est l'examen du projet de loi de
finances.
Ainsi devrions-nous avoir aujourd'hui un avant-goût du débat budgétaire sur
les crédits de la justice, singulièrement ceux qui sont alloués à
l'administration pénitentiaire, d'autant qu'il s'agit là du premier rendez-vous
important, dans cet hémicycle, sur ce sujet depuis la publication du rapport de
notre commission d'enquête.
Je ne peux que me féliciter de ce débat, qui est l'occasion de rappeler tout
le travail de réflexion mené cette année sur les prisons, notamment au
Parlement, et qui empêche par là même qu'il ne retombe comme un soufflé. Je
souhaite surtout que ce débat permette de lancer concrètement et rapidement les
réformes que nous avons préconisées.
On peut dire que l'année 2000 aura été placée sous le signe des prisons. En
effet, depuis la parution du livre de Mme Vasseur, médecin-chef à la prison de
la Santé, jusqu'à aujourd'hui, on n'aura jamais autant parlé de l'univers
carcéral.
Je ne compte plus les débats, colloques et autres initiatives qui ont eu lieu
cette année un peu partout en France. Ici même, mes chers collègues, « l'ombre
des prisons », si je puis dire, a plané sur plusieurs de nos discussions, et
certaines des lois qui ont été votées récemment ont d'ores et déjà des
incidences sur la politique pénitentiaire.
Par ailleurs, deux autres rapports importants ont été remis cette année :
celui de la commission présidée par M. Guy Canivet, premier président de la
Cour de cassation, portant sur l'amélioration du contrôle extérieur des
établissements pénitentiaires, et celui de la commission dirigée par M. Daniel
Farge, chargée de réfléchir à la question des libérations conditionnelles.
Je profite de ce débat pour annoncer la tenue à Marseille, sur l'initiative de
la FARAPEJ, avec l'ensemble des associations oeuvrant autour de la prison, de
la VIIe Journée nationale des prisons, le samedi 25 novembre prochain, le thème
retenu étant : « La famille devant la prison ».
Le monde carcéral s'est, pour la première fois, ouvert sur l'extérieur, et
nous avons assisté à une véritable prise de conscience d'un univers, celui de
la prison, qu'on voulait jusqu'à présent ignorer, un peu comme s'il s'agissait
d'une maladie honteuse.
On admet désormais que la prison ne peut plus être déconnectée de la société
dans son ensemble. En effet, plus qu'un univers « à part », la prison constitue
le reflet, démultiplié et concentré, de tous les maux de notre société, qu'on a
voulu cacher derrière les hauts murs de nos prisons, situées de surcroît à la
périphérie des villes.
Mais voilà qu'aujourd'hui ils nous reviennent en pleine face, à la manière
d'un boomerang, alors qu'on aurait dû s'attaquer depuis longtemps à la source
même de la délinquance.
La prison est aujourd'hui, enfin, considérée comme un « accident » dans la vie
d'une personne, qui ne doit pas rompre le fil de sa vie en société.
Les rapports parlementaires ont fait naître de réels espoirs en la matière.
Nous n'avons pas le droit de les décevoir.
Si l'idée selon laquelle l'enfermement n'est pas la panacée fait peu à peu son
chemin, pour l'instant, nous n'avons pas trouvé, faute certainement d'avoir
bien cherché, d'autres moyens pour répondre à la délinquance.
J'estime, pour ma part, qu'il est nécessaire de privilégier toutes les
alternatives à l'incarcération pour éviter autant que faire se peut de recourir
à la prison, qui doit rester l'ultime recours.
Des solutions existent déjà mais elles ne sont pas suffisamment utilisées. Je
pense, par exemple, aux centres de semi-liberté, au sursis, au contrôle
judiciaire, à la mise à l'épreuve, à la liberté conditionnelle, à la
surveillance électronique - même si j'émets, à cet égard, certaines réserves -
aux travaux d'intérêt général : ce sont là autant de pistes à explorer ou de
solutions à développer.
On s'intéresse non seulement aux détenus, à leurs conditions de détention, à
leur dignité au sein du monde carcéral, mais aussi à leur avenir à l'extérieur
de la prison, à leur réinsertion, au sens de la peine, bref, de façon plus
générale, au rôle de la prison.
Considérer le détenu comme un citoyen, tout au long de son incarcération, est
un postulat indispensable si l'on veut réellement améliorer les conditions de
détention, qui sont aujourd'hui humiliantes pour la France, indignes d'un pays
qui se réclame des droits de l'homme.
En outre, la personne incarcérée étant destinée à réintégrer un jour ou
l'autre la société, le rôle de la prison doit être d'assurer cette
réintégration dans les meilleurs conditions. En clair, il faut donner un sens à
la prison, de telle manière que le détenu en ressorte avec de plus grandes
chances d'intégration qu'il n'en avait quand il y est entré.
Pourquoi ne pas mettre à profit le temps passé en prison pour former ceux qui
n'ont pas de formation, soigner ceux qui en ont besoin, apprendre à lire et à
écrire aux illettrés, sevrer les toxico-dépendants, etc. ?
Se posent, dès lors, avec force à la fois la question de la formation des
personnels pénitentiaires et celle de la réinsertion, qui permet de prévenir la
récidive, de rompre la spirale infernale : sortie de prison-réincarcération.
Aujourd'hui, tout est question de volonté politique et donc de moyens car, au
coeur de toute réforme, la question des efforts financiers reste
incontournable.
S'il faut noter l'augmentation constante depuis 1997 du budget de la justice,
qui, pour l'année 2001, bénéficie d'une hausse de 3 %, force est de constater
que les retards pris en la matière sont tels qu'ils sont difficilement
rattrapables à court terme. De plus, la réforme globale de la justice entamée
par le Gouvernement depuis 1997 a d'ores et déjà conduit de nouvelles
dépenses.
Il est regrettable que, avant même son entrée en vigueur, la loi du 15 juin
2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des
victimes risque, faute de moyens budgétaires suffisants, de ne pas produire les
effets escomptés, notamment en termes de diminution du nombre de personnes
incarcérées.
De même, j'estime que, en concentrant l'essentiel des crédits de
l'administration pénitentiaire sur la construction de prisons, comme s'il
s'agissait là du remède miracle aux maux de nos prisons, avec notamment
l'ouverture de dix nouveaux établissements, le budget de la justice n'a pris
que très partiellement en compte les propositions avancées par les
parlementaires.
Lutter contre la surpopulation carcérale ne signifie pas nécessairement
construire de nouvelles prisons, car qui dit nouvelles prisons dit augmentation
du nombre de détenus.
N'y a-t-il pas, en l'occurrence, un paradoxe entre, d'une part, l'entrée en
vigueur de la loi renforçant la protection de la présomption d'innocence et la
restauration du parc pénitentiaire existant et, d'autre part, la création de
prisons nouvelles ? A moins, bien entendu, d'envisager de les remplir !
S'il y a aujourd'hui inflation carcérale, c'est en partie à cause d'une
pénalisation de plus en plus lourde, avec des peines de plus en plus longues,
qui trouve sa raison d'être notamment dans la refonte globale de 1992 de notre
code pénal, laquelle a revu à la hausse les sanctions de nombre
d'infractions.
Tant qu'on n'aura pas révisé notre système pénal, qui demeure essentiellement
basé sur la répression, ignorant la prévention, la réinsertion et donc la lutte
contre la récidive, les prisons ont de beaux jours devant elles !
Ne convient-il pas de se poser la question : qui mettre en prison ? Ne faut-il
pas privilégier les modes alternatifs à l'incarcération ?
Trop de détenus, en effet, n'ont pas leur place en prison. D'autres solutions
pourraient être recherchées, notamment pour les prévenus, les mineurs, les
étrangers, les indigents, les précaires, les détenus « psy », les toxicomanes
ou encore les malades du sida ou du cancer en phase terminale.
En ce qui concerne les mineurs, j'ai apprécié, madame le garde des sceaux, les
propos que vous avez tenus hier à Marseille devant les 1 200 participants aux
assises de la protection judiciaire de la jeunesse : « Nous avons affaire à des
adolescents dont la personnalité est en devenir. Notre responsabilité première
est de les éduquer. »
Comme l'a rappelé l'ancient président de la Cour de cassation, M. Pierre
Truche, « les mettre en prison ne fait pas baisser la délinquance ».
S'agissant de la construction de prisons nouvelles, je voudrais attirer votre
attention sur certains points.
Tout d'abord, il convient de ne pas rééditer certaines erreurs du passé ; je
pense ici au « programme 13 000 » de 1987, qui a abouti à la création de
prisons certes neuves, mais totalement déshumanisées.
La maison d'arrêt de Luynes, dans les Bouches-du-Rhône, en fait partie, et je
sais, pour m'y être rendu, que les personnes incarcérées préfèrent de loin une
prison ancienne et vétuste mais jugée « plus humaine », comme les Baumettes, à
une prison moderne où la surveillance électronique a remplacé les contacts
humains.
Selon un rapport confidentiel réalisé par le ministère de la justice, le taux
de suicides se révèle très élevé dans les établissements issus de ce programme
et s'explique par le caractère « déshumanisé » de ce type d'établissements.
Ensuite, à ne pas instituer de
numerus clausus,
ne risque-t-on pas de
connaître à nouveau, malgré ces nouvelles constructions, un surpopulation
carcérale, dans la mesure où les dispositions visant à incarcérer moins de
personnes n'auraient pas été prises ?
Enfin, l' « encellulement » individuel, que favorisent ces nouveaux
établissements, est un aspect positif. Toutefois, il devra être fondé sur le
consentement de la personne et non imposé. En effet, de nombreux détenus
supportent difficilement la solitude, singulièrement au tout début de leur
incarcération, période où l'on constate le plus grand nombre de déprimes et de
suicides.
Puisque j'en viens à évoquer les suicides en prison - sujet grave s'il en est
et qui me tient particulièrement à coeur - nous avons constaté que ceux-ci
surviennent principalement à deux moments précis et distincts de
l'incarcération : soit au tout début, lors du premier contact avec l'univers
carcéral, comme je viens de le dire, soit lors du placement au « mitard ».
S'agissant de ce dernier point, il faut savoir que, pour une personne
incarcérée, le fait de passer devant le prétoire, tribunal interne de la prison
qui se prononce sur les infractions disciplinaires et où le personnel
pénitentiaire est à la fois juge et partie, constitue un moment anxiogène par
excellence. Le placement dans les quartiers disciplinaires qui s'ensuit, et qui
peut aller jusqu'à quarante jours, ne fait que déstabiliser encore un peu plus
l'intéressé.
Aussi notre commission d'enquête a-t-elle proposé, à juste titre, de réduire à
vingt jours la durée maximale de cet isolement, de l'interdire pour les fautes
les moins graves et, enfin, de repenser la discipline et la sanction en
prison.
S'agissant de permettre au détenu d'être assisté par un avocat devant le
prétoire, l'article 24 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des
citoyens dans leurs relations avec les administrations l'autorise depuis le 1er
novembre 2000. Toutefois, si cette disposition constitue une avancée
considérable pour les droits des détenus, en revanche, on peut s'interroger -
et je vous interroge, madame la ministre - sur l'effectivité, dans la pratique,
de ce nouveau droit pour les détenus. Tous les moyens sont-ils mis en oeuvre
pour la bonne application de la loi ?
La circulaire d'application, prise la veille de l'entrée en vigueur de cette
disposition, soit le 31 octobre 2000, ne vient-elle pas en restreindre la
portée de manière drastique, pour ne pas dire qu'elle revient à anéantir les
effets bénéfiques escomptés d'une telle révolution pour notre droit
pénitentiaire ? J'attends, madame la ministre, des précisions sur ce sujet.
Mes chers collègues, comme nous l'avons souligné dans notre rapport, nous
devons nous attacher à améliorer non seulement les conditions de détention,
mais aussi les conditions de travail des personnels pénitentiaires,
indissociables les unes des autres.
Les gardiens de prison, qui ont protesté, au début du mois d'octobre dernier,
contre leurs conditions de travail souvent très dures et ingrates, ont obtenu
des avancées statutaires et indemnitaires, qui traduisent, à l'égard de leur
profession, essentielle au fonctionnement de nos prisons, une certaine forme de
reconnaissance, comme en a attesté le discours du Premier ministre à l'occasion
de l'inauguration des nouveaux locaux de l'ENAP, à Agen, que mon collègue
Georges Othily, rapporteur pour avis pour l'administration pénitentiaire, et
moi-même visiterons demain.
Par ailleurs, permettez-moi de souligner que le problème récurrent du déficit
des effectifs de l'administration pénitentiaire, notamment pour ce qui est du
ratio prisonniers/surveillant, pourrait être résolu à moindre coût si l'on se
dirigeait vers une diminution effective du nombre de personnes incarcérées, par
exemple en mettant en oeuvre rapidement les dispositions relatives à la
détention provisoire, ou en réactivant les modes alternatifs à l'incarcération.
En diminuant ainsi le nombre de personnes incarcérées, on réduit de fait, le
nombre de détenus par surveillant.
Pour ce qui est des deux missions qui incombent à l'administration
pénitentiaire, force est de constater que la dimension sécuritaire est
largement dominante par rapport à la mission de réinsertion pourtant
primordiale, et ce en raison de l'insuffisance des moyens alloués aux services
de réinsertion.
On le voit, changer la prison est une entreprise ambitieuse qui nécessite une
volonté politique solide et des moyens financiers importants.
Les conclusions contenues dans les deux rapports parlementaires doivent
impérativement et rapidement être suivies d'effets, pour aboutir à incarcérer
moins de personnes, accorder plus de droits aux détenus et des conditions de
détention dignes, ainsi que multiplier les contrôles extérieurs. Ne pas le
faire, c'est prendre le risque que ces rapports aillent grossir les rangs de
tant d'autres.
En annonçant une grande loi pénitentiaire portant sur la condition des détenus
et le sens de la peine, les missions des personnels et les contrôles, le
Gouvernement a pris la mesure du problème.
Etant donné que la dernière loi en la matière remonte à 1987, le fait
d'emprunter la voie législative aura assurément l'avantage d'engager un grand
débat national, ouvert et transparent, avec la consultation des organisations
syndicales et des représentants des associations intervenant dans les prisons,
du Conseil supérieur de l'administration pénitentiaire et du Parlement.
Le seul problème réside dans le délai qui va s'écouler entre l'annonce de
cette réforme et son entrée en vigueur effective. Peut-on encore attendre 2002,
voire 2003 ? Ne peut-on pas, dès à présent, prendre par voie réglementaire les
mesures les plus urgentes ?
Nous sommes conscients des efforts budgétaires considérables que tout cela
induit. Mais nous ne pouvons, en la matière, ni faire l'impasse ni renvoyer à
plus tard les changements à opérer.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen
et sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter.
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, je
suis convaincu que nous nous trouvons à un moment essentiel de l'histoire
pénitentiaire. Ce qui adviendra dans les mois à venir s'inscrira dans
l'histoire carcérale de la France qui connaît un intérêt cyclique pour les
prisons.
Cet intérêt s'est développé depuis la Révolution française, où la prison est
devenue un instrument essentiel de la pénalité. Des débats passionnés ont eu
lieu à la Constituante, avec d'admirables discours ; je vous renvoie à Le
Peletier de Saint-Fargeau, à une intervention de Mirabeau, peu connu au moment
de la discussion de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, au code
pénal de 1791.
Ensuite, ce fut le silence... jusqu'à ce que les tumultes de la Révolution et
de l'Empire aient cédé la place à l'ordre du xixe siècle. Alors,
singulièrement, la question carcérale revient au coeur de la société comme une
préoccupation lancinante : on le voit dès la Restauration, avec le duc de La
Rochefoucauld-Liancourt, grand philanthrope s'il en fut ; on retrouve une
ardeur intellectuelle et un très grand talent dans les débats qui se succèdent
ici, qui était alors la Chambre des Pairs, et, à la chambre des députés, sur la
question carcérale ; s'y illustrent notamment, parmi d'autres, Lucas et
Tocqueville.
On mesure donc que l'interrogation est prégnante pour cette société : comment
faire pour que la pénalité - la prison - devienne un facteur d'amendement, un
moyen de réinsertion sociale ?
L'urbanisation et l'industralisation galopantes accroissent sans cesse
l'obsession des classes dangereuses, suspectées d'être porteuses de violences
criminelles et d'inclinations révolutionnaires. Je n'ai pas besoin de rappeler
que Gavroche, à ses heures, est vide-gousset, ou tire-gousset, mais aussi héros
de la liberté.
La société du xixe paraît ainsi en France - mais pas seulement en France - en
proie à une sorte de recherche permanente d'un système carcéral qui redressera,
ou qui brisera les délinquants, et spécialement les plus jeunes d'entre eux.
La défaite de 1870, et surtout la Commune, pousseront au paroxysme cette
angoisse des classes supérieures. On répète volontiers, en 1871, que, dans les
rangs des communards, on comptait un grand nombre de récidivistes et de
délinquants - ce n'est pas ce que le dépouillement des archives de l'époque
permet de vérifier. En tout cas, nous devons à cette angoisse la reprise de la
réflexion et les travaux de la commission d'enquête parlementaire sur les
prisons, présidée par le vicomte d'Haussonville, auquel, à plus d'un siècle de
distance, je tiens à rendre témoignage : rarement ouvrage de cette qualité fut
produit par une commission parlementaire.
Il en résulta une grande loi, celle de 1875, aux termes de laquelle,
dorénavant, la règle serait l'emprisonnement individuel dans toutes les maisons
d'arrêt de France à l'usage des prévenus, éventuellement des condamnés à de
courtes peines. Qu'en advint-il ? Rien ! En effet, les maisons d'arrêt
relevaient, pour l'essentiel, du budget municipal et augmenter les impôts pour
améliorer le sort des prisonniers n'était guère populaire.
Mais enfin, rendons témoignage à nos ancêtres, les grands républicains. Nous
leur devons au moins les lois de la fin du xixe siècle sur le sursis des
courtes peines et sur la libération conditionnelle. Je rappelle ici la mémoire
de notre illustre prédécesseur, le sénateur Bérenger. M. Hyest, M. Cabanel et
le modeste intervenant en cet instant formons un voeu commun : puissions-nous
baptiser du nom de Bérenger la salle de la commission des lois. Ce ne serait
qu'une justice tardive.
Nous leur devons aussi les lois sur la relégation des multirécidivistes, qui
sont, pour la plupart, des petits délinquants, des mendiants et des
vagabonds.
Toutes ces dispositions ont contribué à diminuer considérablement le nombre
des détenus. La France connaissait alors une période de stabilité et de
progrès. Elle était porteuse de valeurs très fermes, structurant puissamment la
société française. Si l'on y ajoute la réduction du chômage, presque
insignifiant à cette époque de plein emploi, le résultat est là : le nombre des
détenus et le niveau de criminalité n'ont cessé de baisser depuis 1890 jusqu'en
1912. Bienheureux vos prédécesseurs de cette époque ! J'en ai souvent rêvé,
madame le garde des sceaux !
La population carcérale avait atteint, en 1913, le plus bas niveau qu'elle ait
connu dans l'histoire pénitentiaire française. Dès lors, nul ne s'est plus
intéressé aux prisons. Seul le bagne et ses excès fascinaient les journalistes
et le public. Il faudra attendre les épreuves terribles de l'Occupation et
l'emprisonnement des résistants pour que l'on prenne conscience de l'état
lamentable des prisons françaises.
En même temps, la suppression du bagne a posé clairement la question de
l'exécution des longues peines dans les centrales en métropole, d'où la mise en
oeuvre de réformes inspirées pour beaucoup par l'école de la défense sociale,
si chère à M. Ancel, sans pour autant, quelles que soient la qualité et
l'inspiration de ces réformes, que l'on remédie aux conditions de vie
archaïques et rigoureuses des détenus.
Je pourrais rapporter, si j'en avais le temps, bien des anecdotes cruelles sur
les prisons. Je les ai découvertes voilà très exactement cinquante ans, puisque
c'est à cette époque que je me suis rendu pour la première fois - en mobylette
! - à la maison d'arrêt de Fresnes.
Le mouvement des idées de 1968, la perméabilité aux idées de l'extrême gauche,
l'intérêt très vif porté à tous les marginaux, les réflexions très poussées sur
les procédures sociales d'exclusion ont renouvelé l'analyse et, c'est vrai, la
réflexion sur la condition carcérale, qui s'étaient, il faut le reconnaître,
quelque peu assoupies depuis près d'un siècle. Elles reprirent, à l'époque,
avec une intensité nouvelle - tous les contemporains s'en souviennent - sous
l'impulsion notamment de Michel Foucault, et, de 1970 à 1980, ce fut un moment
exceptionnel de réflexion sur les prisons, leur signification, leur état. Le
militantisme était grand. Il a fait naître le Groupement étudiant national
d'enseignement aux personnes incarcérées, le GENEPI, parmi d'autres
associations.
C'est peu de temps après - vous me pardonnerez ce rappel personnel - que je me
suis trouvé appelé à la place où vous êtes actuellement, madame la garde des
sceaux. S'agissant des prisons, j'étais entouré d'une équipe de femmes et
d'hommes auxquels je tiens à rendre ici témoignage, puissamment motivés,
inlassables dans l'action et convaincus qu'il fallait agir, même si nous
travaillions, à ce moment-là, dans un climat de profonde défiance, marqué, je
dois le dire, par une hostilité réelle de l'opinion et par les clameurs des
démagogues sécuritaires.
Nous avons fait tout ce que nous pouvions dans la condition où nous nous
trouvions : la suppression des quartiers de haute sécurité, les QHS, la
suppression du costume carcéral, la possibilité enfin donnée de téléphoner à la
famille régulièrement, le terme mis à ce que l'on appelait la « médecine
pénitentiaire » et le transfert à l'Assistance publique, avec, je dois le dire,
le concours particulièrement actif de M. Fourcade et des sénateurs de toutes
tendances membres de la commission des affaires sociales - prélude à
l'excellente loi de 1994 - la création des parloirs libres, l'introduction de
la télévision dans les cellules... Je pourrais continuer la liste.
Je suis forcé de dire maintenant, le détachement venu, que toutes ces
réformes, pourtant nécessaires et que je trouvais modestes, étaient accueillies
au mieux par la défiance, au pire par l'hostilité et les invectives.
En même temps, je ressentais comme une blessure secrète - pourquoi ne pas le
dire ? - l'impuissance, ou l'incapacité où j'étais à mobiliser les crédits
nécessaires à la transformation de nos prisons et à l'amélioration de la
condition des personnels pénitentiaires et des détenus. J'ai obtenu ou, plutôt,
j'ai arraché, pour dire la vérité, à peu près 5 % d'augmentation annuelle du
budget des prisons en francs constants - l'inflation était importante à
l'époque - là où il aurait fallu beaucoup plus. Le tout représentait 25 %. Je
regardais avec admiration sinon avec envie mon éminent collègue ministre de la
culture, qui avait su faire évoluer ses crédits de 100 % durant la même période
!
Pourtant, voyez-vous, ministre du budget, Premier ministre... tous étaient des
hommes de coeur, des amis de surcroît, mais c'était toujours la même antienne :
« Tu as raison, c'est vrai, mais, que veux-tu ? c'est la crise, c'est le
chômage. Il y a des priorités plus importantes encore que les prisons : les
chômeurs en fin de droits, les exclus, les veillards sans ressources, les
hôpitaux à rénover, etc. ». Et ce n'était pas faux.
On me renvoyait ainsi aux jours meilleurs de la prospérité retrouvée. Je ne
l'ai jamais connue ! Et je suis parti de la chancellerie, oui, secrètement
blessé, pour gagner l'Ecole des hautes études, infiniment plus paisible, et y
tenir pendant quatre ans un séminaire pour tenter - à défaut de Michel
Foucault, hélas disparu ! avec qui je devais le faire - avec Michelle Perrot,
la grande historienne, et les spécialistes éprouvés de la réalité carcérale
d'analyser et de mieux comprendre cette singulière institution : la prison
républicaine.
J'en ai tiré, madame la garde des sceaux, un gros livre, qui m'a pris, je le
reconnais ici volontiers, beaucoup de temps et qui a connu ce que l'on appelle
un succès d'estime... c'est-à-dire un échec total auprès des lecteurs !
(Sourires.)
Je me ferai une joie de vous le remettre tout à l'heure pour
des temps à venir.
Depuis lors, je n'ai jamais cessé de m'intéresser aux prisons et aux rapports
singuliers que la communauté nationale entretient avec cette institution.
Comme nous sommes ici non dans un débat académique, comme on pourrait le
croire, mais dans un débat politique, je vous rappellerai en cet instant
quelques vérités amères qui nous concernent tous.
Depuis deux siècles, la France a des prisons indignes d'elle et des droits de
l'homme dont elle se proclame la patrie, indignes de sa grande culture et du
message d'humanisme dont je suis convaincu qu'elle est porteuse.
En un mot, j'estime, comme la commission d'enquête sénatoriale, qui a tant
travaillé - et je rends hommage à son président et à ses rapporteurs, ainsi
qu'à tous ses membres, qui ont témoigné d'une remarquable assiduité, y compris
lors des visites dans les établissements pénitentiaires - que nos prisons sont,
pour la République, une humiliation insupportable et que, alors que la
situation économique s'est améliorée, madame la garde des sceaux, il n'est plus
possible pour le Gouvernement, pour sa majorité et pour toutes les forces
politiques présentes au Parlement, de se résigner à cet état de chose
calamiteux.
Le moment est venu - d'une certaine manière, c'est votre chance, madame la
garde des sceaux - de transformer radicalement le régime de la prison en
France, parce que rarement, dans l'histoire, les conditions auront été aussi
favorables.
Economiquement, tout d'abord, la loi d'airain qui pèse sur les prisons et qui
interdit que, dans une démocratie, les détenus jouissent de conditions de vie
supérieures à celles des travailleurs libres les moins favorisés, cette loi
d'airain s'est desserrée, grâce à l'amélioration des conditions économiques,
que nous espérons durable.
La diminution du chômage a réduit les angoisses et les tensions au sein de
notre société. On peut maintenant, sans donner le sentiment de faire passer le
sort des détenus avant celui des chômeurs, notamment des jeunes sans emploi,
s'intéresser aux premiers sans être indifférent aux autres.
Des recettes fiscales plus abondantes permettent un accroissement du budget
pénitentiaire, sans lequel rien n'est possible. Je salue, à cet égard, les
décisions récemment prises par M. le Premier ministre, avec le concours du
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - et grâce, je le sais,
à votre ferme intervention, que je salue et dont je vous félicite, madame la
garde des sceaux - car elles témoignent de cette volonté d'agir à laquelle nous
aspirons.
Mais il faut être réaliste. Le programme annoncé mobilise 10 milliards de
francs sur six ans. Il est assurément très important et porteur de progrès. Je
sais que vous avez obtenu, avec le soutien actif du ministre de l'économie, des
finances et de l'industrie, 1 milliard de francs pour 2001 en sus des 844
millions de francs initialement prévus. Il s'agit, là encore, d'une avancée
très significative, dont nous vous félicitons.
Mais ces montants, vous le mesurerez vite, sont encore insuffisants. C'est à
13 milliards de francs au moins que se chiffrent les besoins, selon les
estimations les plus raisonnables, pour une rénovation complète des
établissements pénitentiaires en France.
Quant à la remise en état - je n'ose pas dire la remise aux normes - que
commande le respect de la dignité humaine, c'est à 300 millions de francs par
an que la commission d'enquête, après avoir écouté les experts, a justement
chiffré le coût de l'entretien immobilier et de la maintenance. Nous aurons
l'occasion d'en débattre de nouveau lorsque nous analyserons le budget de
l'administration pénitentiaire.
Mais encore faut-il, madame la garde des sceaux, pour que ces rénovations et
ces constructions aient toute leur portée, qu'elles soient l'expression d'une
volonté politique audacieuse et ferme.
A cet égard, je crois pouvoir dire que l'opinion publique nous paraît
aujourd'hui avoir enfin mesuré ce que signifie, en termes de souffrances et
d'atteintes à la dignité humaine, l'état de certaines de nos prisons. La
fermeté, indispensable dans la lutte contre la délinquance et le crime,
n'implique pas des conditions de vie indignes dans les lieux de détention ou de
rétention. La conscience paraît enfin acquise dans le public que des prisons
dégradantes rendent ceux qui y sont détenus, surtout les plus jeunes, plus
révoltés et parfois plus dangereux à leur sortie qu'ils ne l'étaient à leur
entrée.
La rénovation des prisons, leur humanisation, les progrès du régime carcéral
sont perçus dans l'opinion non plus comme l'expression du laxisme, ainsi qu'on
le disait d'une philosophie ou d'une philanthropie naïve, mais comme un élément
important et, à notre sens, essentiel de la prévention de la délinquance.
Le mythe de la prison « quatre étoiles » s'efface enfin devant la conscience
de la misère carcérale et la nécessité d'y remédier.
Madame la garde des sceaux, vous pouvez, et vous devez agir avec la plus ferme
résolution. Je ne doute pas que vous le ferez, d'ailleurs. Et quand j'évoquais
tout à l'heure la primauté de cette volonté politique, je voulais marquer,
après M. Bret, que, s'agissant de la transformation que nous souhaitons, tout
en définitive va en dépendre.
Sur ce point, quand on analyse la situation des établissements pénitentiaires,
on s'aperçoit que les problèmes qui sont partout présents ne se posent pas
partout avec la même intensité.
C'est donc à dessein que, lors des travaux de la commission d'enquête
sénatoriale, nous avons mis l'accent sur la situation des maisons d'arrêt.
Certes, on ne peut pas dire que, pour ce qui est des centrales ou des centres
de détention, tout aille pour le mieux. A cet égard - et là c'est non pas
d'investissement mais de volonté politique et de volonté d'humanisation qu'il
est question - s'agissant des centrales, qui abritent les condamnés au plus
longues peines, il est indispensable que s'accroisse le nombre des libérations
conditionnelles et que reprenne enfin la politique de grâces aujourd'hui
abandonnée.
J'ai regardé les chiffres. Le nombre des libérations conditionnelles décidées
par les gardes des sceaux successifs a diminué considérablement : 513 en 1992,
199 en 1995 et 153 en 1999 !
Nous savons que les conditions mises par la loi au placement en libération
conditionnelle étaient trop rigoureuses compte tenu du chômage, comme nous
savons que la loi de juin les a heureusement assouplies. Mais la situation de
blocage actuelle est lourde de dangers, l'espérance dans les centrales cédant
trop souvent au désespoir ou à la révolte.
Je sais aussi que, à partir du 1er janvier 2001, le pouvoir de décider des
libérations conditionnelles va quitter la Chancellerie pour passer, comme nous
étions nombreux à le souhaiter ici, à une juridiction. C'est une mesure décidée
par le Parlement et que nous appelions de nos voeux depuis longtemps, depuis
1983 exactement.
Mais, avant cette date du 1er janvier 2001, madame la garde des sceaux, vous
avez encore le pouvoir de décider des libérations conditionnelles. Et si vous
le faites, ce sera un signal très fort adressé à la nouvelle juridiction. Vous
conserverez ensuite, cela va de soi, la capacité, par les instructions
générales au parquet, de témoigner de votre voeu de voir s'accroître le nombre
des libérations conditionnelles.
La situation, je dois y insister, est plus tendue encore s'agissant des
condamnés à perpétuité.
Depuis 1995, je regrette d'avoir à le dire, les grâces présidentielles ont
pratiquement disparu. Comme nul, véritablement nul ne saurait croire qu'il
s'agisse là d'insensibilité ou d'absence d'humanité de la part du chef de
l'Etat, on ne peut pas ne pas se poser la question : pourquoi ce gel des
commutations de peines de perpétuité en peines de réclusion criminelle à temps
? Craindrait-on à ce point la récidive ? Mais les statistiques indiquent que ce
n'est pas à ce niveau-là que cela s'inscrit et, surtout, je le rappelle, il
s'agit de grâces individuelles, donc de mesures prises en considération de
l'évolution du condamné, en fonction de son comportement.
En gelant ainsi les grâces, on aboutit, je suis forcé de le dire, à vouer à la
désespérance la population des centrales, particulièrement les condamnés à
perpétuité. C'est prendre le risque d'une explosion ou d'une révolte, dont
l'histoire carcérale - nul n'a oublié 1974 ! - nous enseigne le coût parfois en
vies, toujours en souffrances humaines et, assurément, en terribles
destructions matérielles.
Le problème premier demeure cependant celui des grandes maisons d'arrêt, les
rapports successifs, rapports internationaux ou européens, comme ceux du comité
européen pour la prévention de la torture, ou rapports de commissions
parlementaires en font foi.
Je ne reprendrai pas ici ce qui a été dit excellement sur le problème des
détentions provisoires.
La loi nouvelle va, je le pense, remédier à l'inflation. D'ailleurs, nous
assistons à une diminution, lente mais constante, du nombre des placements.
La vraie question est celle de la durée des détentions provisoires. Là aussi,
les dispositions de la loi nouvelle permettront d'y remédier, je l'espère.
Mais se trouvent aussi, à l'heure actuelle, dans les prisons, des catégories
de justiciables qui ne devraient pas y être, des prévenus dont l'instruction
est terminée et qui sont en attente de comparution devant la cour d'assises
pendant des années, ou qui sont en appel, voire en cassation, ou bien des
étrangers en situation irrégulière, ou bien encore des condamnés pour peines,
qui ne devraient pas se trouver là non plus.
Je sais les avantages familiaux que l'on voit dans ce maintien. Je sais aussi
la difficulté de gestion des personnels. Il faut remédier à cette situation. Il
appartient à l'administration pénitentiaire, donc à vous, madame la garde des
sceaux, de trouver des modes plus modernes de gestion de la population pénale.
C'est seulement ensuite que l'on pourra parler de la question du
numerus
clausus,
que, pour ma part, je juge quasiment impossible à mettre en oeuvre
sans créer des inégalités injustifiables entre les personnes poursuivies en
fonction de la capacité des maisons d'arrêt à les recevoir selon le lieu et le
moment.
Nous aurons l'occasion de reprendre ce problème.
Nous en retrouverons d'autres, qu'il s'agisse de la formation, - je rappelle
son importance - ou de la condition des personnels pénitentiaires, auxquels la
nation n'accorde pas la considération nécessaire quand on connaît la difficulté
et l'importance de leurs missions.
Nous reparlerons aussi de la santé, de la discipline, du travail, de la
formation, et même de la cantine, comme l'a prosaïquement mais avec raison
rappelé M. Hyest.
Madame le garde des sceaux, je suis navré, pour les avoir visités, de
constater quinze ans après la création des parloirs libres, si nécessaires au
maintien des liens familiaux, gage de réinsertion, que leur état est souvent
misérable. Ce n'est pas un grand investissement. Il y faut simplement de
l'attention et, je me permets de le dire, un peu de sensibilité.
Et que dirai-je de la redevance prélevée pour l'usage des télévisions dans les
cellules ? Quand je l'ai introduite en 1985, j'étais convaincu que c'était pour
un an. L'urgence commandait : la Coupe du monde arrivait et il fallait
installer des postes. Aujourd'hui, je constate que la location est de 270
francs par mois à la Santé, que les tarifs varient de 105 francs à la maison
d'arrêt d'Avignon à 300 francs à la maison d'arrêt de Borgo. Est-il
admissible,...
M. Michel Pelchat.
C'est inacceptable !
M. Robert Badinter.
... au début du xxie siècle, d'exiger cette rente de la part des détenus ? Et
on ne sait que trop comment ceux qui ne peuvent la payer se procurent l'argent
nécessaire !
Au-delà de ces considérations immédiates, se pose, madame la garde des sceaux,
mes chers collègues, la question essentielle que nous traiterons enfin quand
viendra le grand débat attendu sur la loi pénitentiaire : quelle est
aujourd'hui, deux siècles après sa consécration juridique, la fonction réelle
de la prison dans notre société ? Lieu de sûreté ? Lieu d'exclusion ? Lieu de
punition ? Lieu de réinsertion ? La prison, telle qu'elle est aujourd'hui
utilisée, paraît avoir changé de nature au regard de la population qu'elle
reçoit : les psychotiques, qui relèvent de soins hospitaliers, les toxicomanes,
qui relèvent de traitements médicaux, les jeunes détenus, les détenus âgés, en
nombre grandissant dans les centrales, des étrangers, qui relèveraient plutôt
de mesures de sûreté.
Je regarde la prison contemporaine - j'ai évoqué ce qu'est aujourd'hui sa
population - et, à dire vrai, je reviens à l'origine. On a le sentiment que la
prison est redevenue presque ce qu'elle était sous l'Ancien Régime : un
hôpital, un hospice, un lieu d'exclusion, un lieu de sûreté indifférencié. La
prison dans notre société a perdu tout sens.
Dans le débat pénitentiaire qui s'annonce - et je suis assuré que d'excellents
esprits sur toutes les travées de cet hémicycle y participeront - c'est bien le
sens de l'emprisonnement et, au-delà, le sens de la pénalité en général qu'il
faudra définir. Je parlais d'heures éblouissantes, je ne sais pas si elles le
seront. En tout cas, je suis convaincu qu'elles seront passionnantes.
(Applaudissements sur l'ensemble des travées.)
M. le président.
La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, après
les interventions des uns et des autres, il est difficile d'intervenir en cet
instant, d'autant que je dois avouer ma totale unité de pensée avec tout ce qui
a été dit par MM. Bret, Badinter, Cabanel et Hyest, ainsi que par M. Pelchat,
qui est intervenu sur un sujet sur lequel je comptais m'exprimer, à savoir les
jeunes.
Moi aussi, monsieur Badinter, je suis un adepte de la pensée de la défense
sociale nouvelle de Marc Ancel et, comme lui, je pense que nous sommes
véritablement devant une nécessité que la République doit traiter. En effet,
nous devons faire un constat : aujourd'hui, la République est coupable,
coupable de deux cents années de silence, coupable d'avoir marginalisé les
prisons ou, plutôt, de les avoir rendues dans un monde différent du nôtre,
ailleurs, comme si c'était quelque chose qui devait être séparé, coupé de la
société.
Certes, dans le passé, nous avons eu des dénonciations de notre système
carcéral. Je me souviens de quelques numéros de
L'Assiette au beurre,
par exemple, dans lesquels, au début du siècle, quelques journalistes courageux
n'hésitaient pas à dénoncer des pratiques inadmissibles.
La République est coupable surtout depuis l'adoption de la déclaration
européenne des droits de l'homme, surtout depuis l'après-guerre, où nous ne
pouvons plus tolérer un certain nombre de dérives qui ont eu lieu dans le
passé, et, par voie de conséquence, tous nos prédécesseurs, ici ou à
l'Assemblée nationale, tous les gouvernements qui se sont succédé depuis la
Libération, tous les gardes des sceaux qui ont été chargés de la justice et des
prisons, sont coupables de ne pas avoir fait évoluer la situation plus vite.
Nous sommes tous coupables, monsieur Badinter !
M. Robert Badinter.
Je refuse cette culpabilité collective, monsieur Gélard ! J'ai fait tout ce
que j'ai pu, dans la mesure des moyens que l'on m'a donnés !
M. Patrice Gélard.
Certes ! Il y a donc responsabilité collective dans le refus des moyens
nécessaires, qui incombe tout à la fois au Parlement et aux gouvernements.
Nous avons trop souvent ignoré les droits de l'homme, et le rapport de MM.
Jean-Jacques Hyest et Guy-Pierre Cabanel le démontre. Les droits de l'homme
n'ont pas été suffisamment respectés dans de nombreux domaines. Nous qui
sommes, comme l'a dit tout à l'heure M. Badinter, la patrie des droits de
l'homme - ou qui voulons l'affirmer - face à cette situation - et vous l'avez
également dit, mon cher collègue - nous accumulons des risques
considérables.
Le premier, que craint tout garde des sceaux, c'est une explosion
pénitentiaire. Nous savons qu'il ne faut pas grand-chose pour qu'elle se
déclenche : une température trop élevée, un été trop chaud et, immédiatement,
ce sont des explosions dans nos prisons, qui, reliées par le téléphone,
s'embrasent comme un feu de broussailles, ce qui entraîne des conséquences
gravissimes, tant pour les détenus que pour les gardiens et le garde des sceaux
lui-même. Il faut éviter ces explosions.
D'autres éléments interviennent et nous interpellent également. La prison
améliore-t-elle le jeune délinquant ou aggrave-t-elle sa situation ?
Par ailleurs, nous sommes confrontés à un problème extrêmement délicat :
certaines victimes ne supportent pas que l'auteur d'un crime ou d'un délit ne
soit pas emprisonné. Il faut que, dans ce domaine, l'opinion publique évolue,
qu'elle apprenne que la justice n'est pas la vengeance et qu'elle ne doit pas
forcément exclure ceux qui, à un moment ou à un autre, se sont rendus coupables
d'atteinte à la propriété ou à l'intégrité physique d'autrui. Les sociétés
primitives attachaient plus d'importance à la réparation matérielle qu'à la
vengeance sur l'auteur d'un crime.
Il faut être conscient des droits des victimes. Elles ont été trop souvent
maltraitées. Lorsqu'un accusé est condamné à verser des dommages et intérêts,
rares sont les cas où les victimes peuvent percevoir la totalité de ce à quoi
elles ont droit.
Il y a aussi les familles des détenus, dont on n'a pas parlé. Les membres de
ces familles rencontrent des difficultés considérables pour rendre visite à
leur mari, à leur père, à leur fils. Là encore, un problème de droits de
l'homme se pose. Le condamné, la victime, les parents des détenus et les
gardiens de prison, toutes ces catégories ont droit au respect de leurs droits
et de leurs libertés.
Des suggestions ont été faites. Je pense aux trente propositions de la
commission présidée par M. Hyest et dont M. Cabanel était rapporteur. Ces
trente propositions sont simples, nettes, peu difficiles à mettre en oeuvre.
Qu'il me soit permis d'insister sur un certain nombre de points qui sont
contenus dans le rapport et peut-être pas directement dans les propositions.
Madame le ministre, nos grandes universités comprennent des centres d'étude de
criminologie. Ne pourriez-vous pas, sur les crédits de recherche dont vous
disposez, demander à ces centres de recherche d'examiner les problèmes que vos
services n'ont pas le temps d'étudier. Ainsi, une étude pourrait être faite,
par un tel centre, sur les formes alternatives à l'emprisonnement. Autre
exemple : en vous adressant à une école d'architecture, en liaison avec un
groupe de criminologie, pourquoi ne pas demander aux étudiants de fin d'année
en architecture de réfléchir sur ce que pourrait être la prison d'aujourd'hui,
et non la prison d'hier ?
Il faut faire travailler nos groupes de recherche, nos jeunes chercheurs sur
ces thèmes. De surcroît, cela relierait la société au problème des prisons, que
l'on veut toujours cacher.
D'autres problèmes existent. On a évoqué la télévision dans les prisons,
l'oeuvre de M. Badinter. Ne faudra-t-il pas envisager d'introduire le web dans
les prisons
(M. Badinter acquiesce),
avec tout ce que cela comporte ?
On dénombre 1 700 éducateurs. Là, se pose un vrai problème de réflexion sur le
rôle que pourraient jouer les prisons dans l'éducation ou l'initiation à des
métiers, bien entendu sur la base du volontariat, car il ne peut en être
autrement.
En tant qu'universitaire, je me souviens avoir été en liaison avec le
directeur de la prison de Rouen pour permettre à un certain nombre de jeunes
détenus de poursuivre des études. Il n'a pas toujours été facile d'agir en ce
sens. D'abord, l'organisation des examens soulevait des problèmes très
difficiles à surmonter. Par ailleurs, se posait le problème du contact
permanent avec le détenu. J'ai eu le plaisir de voir un de ces étudiants
réussir successivement les examens de la première et de la deuxième année puis
obtenir une licence en droit. Après avoir été libéré, il a même obtenu une
maîtrise en droit. Depuis - il n'est pas devenu avocat car il ne le pouvait pas
- il travaille dans le domaine du droit. C'est un cas de réussite de la
réintégration. Hélas ! le directeur de prison qui a succédé à celui qui était
alors en poste n'a pas permis que les choses se déroulent par la suite aussi
facilement.
Faire des études en prison, c'est très difficile ; c'est encore plus difficile
pour des gens d'un certain âge. Je crois qu'il faudrait envisager des
dispositifs nouveaux et faire en sorte, comme cela est précisé dans le rapport,
que l'éducation nationale ne soit pas coupée comme elle l'est du monde
carcéral.
Faire travailler nos chercheurs, mieux intégrer l'enseignement et l'initiation
professionnelle à l'intérieur des prisons, ce sont des pistes que nous
pourrions explorer.
Je formulerai maintenant un regret.
Je déplore que le garde des sceaux, ministre de la justice soit en même temps
le ministre des prisons, et Dieu sait ce que cela signifiait dans certains pays
totalitaires : le ministre de la justice, celui qui est chargé de défendre les
droits de l'homme était, en fin de compte, celui qui ne respectait pas les
droits de l'homme. J'ai toujours pensé qu'il y avait une ambiguïté dans la
fonction de garde des sceaux entre, d'une part, la mission consistant à faire
respecter les droits de l'homme, à faire progresser la justice, et, d'autre
part, la mission qui a pour objet d'enfermer, de condamner et d'écarter de la
société les éléments qui, aux yeux de celle-ci, sont dangereux, douteux ou
inacceptables.
J'ai toujours considéré qu'il aurait fallu, auprès du garde des sceaux, un
secrétaire d'Etat à l'administration pénitentiaire. Je regrette qu'il n'y en
ait pas eu, sauf à de très courtes périodes. Tout d'abord, cela détacherait le
garde des sceaux d'une série de tâches lourdes qui consistent à surveiller la
manière dont se déroule l'action dans les prisons, dont les choses se passent,
et à prendre en permanence la température.
Je ne reviendrai pas sur les réflexions contenues dans le rapport de la
commission d'enquête, s'agissant de la rénovation de nos prisons. Certaines
abbayes pourraient être rendues aux monuments historiques et certains châteaux
pourraient être restitués aux municipalités ou aux départements en vue d'en
faire des musées. Il me semble temps non plus de reconstruire ou de rénover
certaines prisons inadaptées, mais de les abattre, car elles ne correspondent
plus aux nécessités actuelles.
Bien évidemment, dans une société où nous ne serons jamais maîtres de la
possibilité de mettre fin aux agressions, aux crimes ou aux délits, il faut
voir derrière chaque condamné non pas un criminel ou un délinquant - il l'a été
certes - mais un être humain, qui, comme sa victime et le restant de la
société, a droit au respect de ses droits les plus élémentaires.
Vous êtes donc en face d'un défi, madame la ministre.
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux, ministre de la justice.
Oui, c'est sûr !
M. Patrice Gélard.
... un défi qui ne peut plus attendre. On ne peut plus laisser les choses en
l'état, on ne peut faire en sorte que nos prisons soient pires que celles des
Etats voisins. Le rapport de la commission d'enquête mentionne des expériences
positives et intéressantes réalisées aux Pays-Bas et en Grande-Bretagne, dont
il nous faudrait nous inspirer. Là encore, les groupes de recherche de droit
pénal que j'évoquais tout à l'heure pourraient effectuer des missions à
l'étranger et s'inspirer de ces exemples pour vous présenter, dans le cadre
d'un groupe de recherche, des propositions.
Si la prison est peut-être un mal nécessaire dans notre société, faisons
néanmoins en sorte qu'elle permette à celui qui y vit momentanément de
redevenir, un jour, un citoyen à part entière.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et de
l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Donnay.
M. Jacques Donnay.
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, la
prison semble enfin à l'ordre du jour : l'ordre du jour médiatique,
intellectuel et politique.
Des constats énoncés et des rapports présentés, je retiendrai simplement que
l'on s'est indigné et que nous nous inscrivons aujourd'hui, enfin, dans la
perspective de réformes.
Toutefois, je souhaiterais insister ici sur le fait que, selon moi, ni
l'indignation ni les réformes ne suffisent.
En effet, la prison est un monde très compliqué.
Je reviendrai, dans un premier temps, sur la population carcérale, qui
s'élevait, au 1er septembre, à 48 835 détenus. Après avoir rappelé que les
maisons d'arrêt sont surpeuplées, notamment en raison de la présence « de gens
qui n'ont rien à y faire » - 40 % des détenus sont en détention provisoire - je
m'attacherai à vous présenter le caractère disparate d'une population qui
évolue dans un système confus et engorgé.
La population pénale est actuellement surtout composée de délinquants sexuels
et de toxicomanes, les pourcentages de ces derniers s'élevant respectivement à
21 % et à 16,8 % des condamnés. A Fresnes, plus de la moitié des détenus sont
condamnés pour des affaires de moeurs. Leur nombre a triplé en trois ans sur
l'ensemble du territoire.
Les 40 000 toxicomanes incarcérés chaque année posent d'autres problèmes, et
notamment des problèmes de soins : il s'agit en effet d'une population fragile
psychologiquement et très exposée au risque du suicide, qui transforme la
détention en « prison-hôpital ».
On sait également aujourd'hui que la détention peut prendre la forme de «
prison-asile », les malades mentaux représentant, de nos jours, près de 30 % de
la population carcérale, ou la forme de « prison-hospice », le nombre de
détenus de plus de soixante ans ayant été multiplié par cinq en vingt ans,
alors que ce sont les mineurs délinquants qui constituent la hantise des
personnels pénitentiaires.
Détenus jeunes ou au contraire très âgés, délinquants sexuels, toxicomanes,
cas psychiatriques, il est incontestable que la population pénale vit des
mutations auxquelles l'administration pénitentiaire n'a jusqu'à présent pas pu
faire face.
Nombre de nos concitoyens n'ont rien à faire en prison, la détention ne devant
intervenir que lorsque les autres recours ont échoué.
Pour éviter que les prisons ne deviennent des zones de relégation, il
importerait de s'interroger sur la place et les missions de la prison : ce
regard citoyen sur l'incarcération me semble un préalable incontournable à la
construction d'une véritable réforme des prisons.
Nous savons tous que la prison, malgré les quelques améliorations qu'elle a
connues - la santé des détenus a été confiée aux hôpitaux de proximité, la
gestion privée a été introduite avec le « programme 13 000 », l'ambiance a
considérablement changé, grâce à la meilleure qualité de la restauration, de la
maintenance et à l'absence de surpopulation, même si les contacts entre les
détenus doivent encore être améliorés - reste trop souvent « une machine à
exclure », et que ce système perdure.
Par conséquent, si la prison est à l'ordre du jour, donnons-nous les moyens,
pour la justice et les prisons, d'un véritable plan.
L'avenir de la prison dépend du niveau de connaissance, de l'intérêt et de
l'exigence que l'on aura à son égard.
Cette exigence doit être une exigence d'humanité pour les détenus, une
exigence de reconnaissance de la société vis-à-vis de ceux et de celles qui
assurent le fonctionnement des prisons françaises, une exigence de sécurité
pour tous les Français - je tiens à le souligner à mon tour - et, plus
particulièrement, une exigence de solidarité envers toutes les victimes bien
souvent désabusées par les décisions de justice.
C'est pourquoi il nous faut développer les mesures alternatives à
l'incarcération, telles que le régime de semi-liberté, les travaux d'intérêt
général, le bracelet électronique, une mission de réinsertion sociale - elle
est très importante, car, après avoir purgé leur peine, les détenus seront mis
en liberté - et la prise en charge des mineurs, avec l'organisation de petites
unités de centres éducatifs renforcés et de centres de placement immédiat.
Parallèlement à ces orientations, il importe également de s'intéresser de très
près au personnel avec, pour objectif, la remotivation. Des efforts doivent
donc être menés en termes d'effectifs, de considération de la profession et de
formation.
La faisabilité du projet de réformer la prison est acquise, et de récentes
déclarations ont entendu le démontrer.
Je souhaite donc que nous nous montrions très exigeants dans nos objectifs et
que le système se modifie enfin.
C'est pourquoi, sur les pistes que j'ai pressenties pour un changement, je
demande à Mme la garde des sceaux de nous tenir informés des mesures concrètes
que le Gouvernement entend mettre en oeuvre.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, ainsi que
sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Cléach.
M. Marcel-Pierre Cléach.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, notre éminent
collègue et ami Jean-Jacques Hyest vous a rappelé les quelques propositions de
bon sens émises par la commission d'enquête du Sénat sur les conditions de
détention dans les établissements pénitentiaires français, propositions de
nature à améliorer concrètement, mais surtout rapidement, les conditions de
détention et la situation des personnels.
Je voudrais, pour ma part, évoquer le programme de rénovation immobilier des
établissements pénitentiaires et vous dire mes inquiétudes quant à sa réalité
et à la longueur de sa réalisation.
Cette inquiétude est largement partagée par les membres de la commission -
elle a été exprimée - mais aussi par les associations attachées à
l'amélioration du sort des détenus ainsi que par les syndicats représentatifs
des personnels pénitentiaires et, plus généralement, par un grand nombre de
Français et de Françaises attachés à ce que notre pays ne soit plus compté au
rang des nations les plus retardataires dans ce domaine.
Lors de son audition par la commission des lois, le 15 mars dernier, Mme
Elisabeth Guigou nous a donné les indications suivantes sur le programme
immobilier de construction d'établissements neufs et de réhabilitation
d'anciens établissements.
Elle indiquait avoir obtenu la construction de sept maisons d'arrêt à Lille, à
Avignon, à Toulouse, à Toulon, à Meaux, à Liancourt et à
Saint-Denis-de-la-Réunion, ce programme représentant un investissement de 2,6
milliards de francs.
Elle indiquait également avoir obtenu le financement pour la rénovation des
cinq plus grandes maisons d'arrêt que sont les Baumettes, Loos-lès-Lille, La
Santé, Fresnes et Fleury-Mérogis, le tout représentant un budget de 3 milliards
de francs.
Elle indiquait, enfin, avoir obtenu un budget pour la réhabilitation du parc
classique pour un montant de 3,2 milliards de francs.
Cet engagement représentait donc déjà un investissement total de 8,8 milliards
de francs.
Un dépliant, communiqué quelque temps après par la direction de
l'administration pénitentiaire, détaillait ce programme de construction en
trois grandes étapes portant non pas sur neuf, mais sur dix nouveaux
établissements pénitentiaires : neuf en métropole et un à la Réunion.
Mais il restera 127 établissements à remettre à niveau sur les 186 existants,
et ce non compris les établissements du « programme 13 000 », déjà quelque peu
fatigués, les établissements récents des départements d'outre-mer et les cinq
prisons les plus grandes, qui doivent faire l'objet d'un programme
spécifique.
Selon des estimations approximatives qu'a rappelées M. Badinter, le montant
des autorisations de programme nécessaires à la rénovation des vieux
établissements pénitentiaires et aux constructions s'élèverait au moins à 13
milliards de francs.
D'autres régions attendent des constructions de nouvelles maisons d'arrêt en
remplacement de celles qui existent et qui offrent aux détenus des conditions
de vie indignes et des conditions de travail également indignes au personnel de
l'administration pénitentiaire, la première circonstance n'étant pas sans
conséquence sur l'autre.
On peut donc mesurer, madame le ministre, l'importance des investissements à
mettre en oeuvre pour remplacer les établissements pénitentiaires obsolètes et
pour réhabiliter ceux qui méritent de l'être.
Le projet de budget de votre ministère pour 2001 prévoit 844 millions de
francs d'autorisations de programme, ces moyens s'ajoutant aux 800 millions de
francs d'autorisations de programme déjà ouvertes au collectif du printemps
2000. L'administration pénitentiaire recevra donc 1,6 milliard de francs
d'autorisations de programme nouvelles pour accélérer la rénovation des
établissements, et le programme de construction engagé en 1998 mobilisera près
de 3 milliards de francs pour l'ouverture de dix nouveaux établissements.
Par ailleurs, le programme de rénovation des cinq grands établissements reçoit
500 millions de francs d'autorisations de programme pour une estimation de
travaux d'environ 3 milliards de francs. Il en va tout autrement des crédits de
paiement et des consommations de crédits.
A ce rythme, madame le ministre, combien d'années seront-elles nécessaires
pour remettre à niveau notre parc pénitentiaire ? Même si je reconnais bien
volontiers qu'un effort particulier a été fait au cours des trois dernières
années, combien de temps faudra-t-il ? Quinze ans peut-être, si tout va bien ;
oui, si tout va bien, car rien ne dit que les recettes fiscales suivront le
rythme qu'elles ont connu en 1999 et en 2000.
D'autres affectations budgétaires pourront être jugées plus importantes et
plus prioritaires que l'effort demandé en faveur du service pénitentiaire. Le
financement des déficits sociaux, le coût des 35 heures, l'abondement du fonds
de retraite, la réduction de la dette et celle, nécessaire, du déficit de
l'Etat constituent des impératifs permanents entraînant en leur faveur des
arbitrages positifs.
S'y ajoutent les besoins conjoncturels de financement, les situations de crise
telle que celle que nous connaissons pour la filière bovine. En conséquence, le
financement du programme immobilier que j'ai évoqué risque d'être indéfiniment
reporté ou, en tout cas, très largement fractionné.
Les souhaits des commissions de l'Assemblée nationale et du Sénat
rejoindraient alors le cimetière des voeux et bonnes intentions de tous ceux
qui, depuis des décennies, ont demandé que notre pays soit, également en
matière de gestion de la peine, le pays des droits de l'homme.
Puis-je alors vous suggérer, madame le ministre, d'explorer, en y apportant
les corrections jugées nécessaires par la pratique et par la réflexion de vos
services, mais aussi par la réflexion de tous ceux qui ont travaillé sur ces
problèmes, la voie qu'avait ouverte votre prédécesseur, monsieur Chalandon, et
qui a permis une réalisation relativement rapide du « programme 13 000 » ?
C'est d'autant plus souhaitable que l'appréciation
a posteriori
de ce
système et de l'apport du secteur privé dans ce domaine tout à fait particulier
est aujourd'hui positive, y compris de la part des représentants des syndicats
pénitentiaires, comme ils l'ont déclaré au cours de leur audition par la
commission des lois.
La construction, la réhabilitation et la gestion déléguées nous permettraient
incontestablement de faire face plus rapidement aux besoins du système
pénitentiaire.
Je terminerai en souhaitant que, quel que soit le choix qui sera fait, vous
vous attachiez à redonner espoir aux détenus, bien sûr, mais aussi au personnel
de surveillance.
Puis-je vous suggérer également - et pardonnez-moi de redescendre à l'échelon
local - d'avoir, chaque fois que votre TGV passera en gare du Mans, une pensée
pour sa vieille maison d'arrêt, qui compte en moyenne cent quarante-cinq
détenus pour cinquante-cinq places !
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
Je la connais : c'est vrai !
M. Marcel-Pierre Cléach.
Le terrain d'implantation d'un nouvel établissement est prêt. Il est agréé par
vos services. Les collectivités territoriales et locales sont d'accord sur le
choix du site. Il ne manque que la décision de votre ministère - votre
décision.
Madame le ministre, il y a belle lurette que la nouvelle maison d'arrêt serait
construite si le pouvoir décisionnel en la matière avait été déconcentré ou
décentralisé. Pourquoi faut-il que l'Etat soit si lent, si compliqué, si
inefficace ?
Nous comptons sur votre bon sens, votre réalisme, votre détermination mais
votre coeur aussi, pour qu'en ce domaine si grave, si essentiel pour les droits
de l'homme, bien sûr, mais aussi pour ceux auxquels nous confions l'une des
tâches les plus difficiles et les plus ingrates de la République, cette
inefficacité, au Mans comme ailleurs, ne devienne pas indignité.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Othily.
M. Georges Othily.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, je
tiens tout d'abord à saluer l'initiative de l'auteur de la question orale dont
nous débattons, notre collègue Jean-Jacques Hyest, la procédure réglementaire
des questions orales avec débat étant un outil fort utile pour le Sénat.
Les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires font donc
aujourd'hui l'objet d'une discussion devant la Haute Assemblée.
La fonction punitive ou neutralisatrice de la peine privative de liberté
évoque les contraintes de sécurité emblématisées par les barreaux et les
miradors.
Dans cet univers, symbole de sanction, les individus ne doivent pourtant pas
être ignorés.
Des cris d'alarme ont été lancés, comme l'ont rappelé les éminents collègues
qui m'ont précédé à cette tribune : des conditions de santé déplorables avec
une population jeune souffrant de graves problèmes de santé, des personnes
touchées de plein fouet par le VIH, des pathologies induites par les conditions
de détention, un personnel soignant tentant de pallier les insuffisances du
fonctionnement pénitentiaire, attendant une réforme significative du
Gouvernement ; mais j'arrête là l'énumération des maux dont souffrent encore
certains détenus, l'outre-mer étant marqué plus encore par ces problèmes
humains, particulièrement par la fièvre Q, au centre pénitencier de
Rémire-Montjoly, en Guyane, qui n'a pas encore été totalement éradiquée.
Ces cris d'alarme, relayés par les médias, demeurent à l'esprit de tous. Un
hebdomadaire ne titrait-il pas récemment : « Prisons, le huis clos de la honte
» ?
Des commissions d'enquête ont été créées dans les deux assemblées.
Les conclusions de la commission d'enquête sénatoriale ont été résumées avec
précision par son président et son rapporteur : une population en explosion
face à un personnel qui n'est pas reconnu ou mal reconnu, les directeurs de
prisons inquiets du climat social et de l'état d'esprit du personnel.
Que demandent-ils depuis plusieurs années ? La mise en oeuvre de la
bonification du cinquième au titre de la pénibilité des fonctions et de la
reconnaissance de l'Etat pour la mission de service public assurée, d'autant
que cette mesure est déjà accordée à plusieurs autres professions tout aussi
difficiles : policiers, gendarmes, contrôleurs aériens. Ces personnels de
surveillance, qui représentent 20 000 fonctionnaires, en bénéficient. Pourquoi
cette discrimination ?
La situation du personnel de direction est grave.
Tout effort de modernisation de la prison risque cependant d'être obéré par
des considérations corporatistes. L'Etat démocratique entretient, en fait, des
relations difficiles avec le milieu carcéral. Il doit faire appliquer, au sein
des prisons, les droits de l'homme, tout en laissant respecter la sécurité
publique.
Cette difficulté d'appréhension est mise en exergue dans l'application de la
Convention européenne des droits de l'homme par la Cour et par la Commission,
les conditions de détention bénéfiant de la protection indirecte de l'article 3
de ladite convention. La gêne est patente, l'équilibre très difficile à trouver
en pratique.
La France a déjà fait de grands progrès en abolissant la peine de mort en
temps de paix ; néanmoins, notre démocratie demeure toujours gangrenée par ses
prisons.
L'établissement pénitentiaire est par essence un lieu de souffrance pour des
personnes qui ont enfreint des lois et pour d'autres individus, en attente
d'être jugés. Il faut tenter d'améliorer leur situation.
Nombre de solutions ont été préconisées par les assemblées.
Le Gouvernement, en réponse aux remarques faites par les parlementaires, a
annoncé une dotation de 10 milliards de francs sur six ans, dont 1 milliard de
francs pour 2001 afin de lancer le programme de rénovation du parc
immobilier.
On ne peut que saluer cette initiative. Comme tous mes collègues, j'attends
une présentation claire de ce plan de rénovation devant notre assemblée, qu'il
s'agisse des délais ou des priorités décidées par le Gouvernement. Et je serais
tenté de proposer la création d'une mission d'information pour suivre
l'application de ce grand chantier.
Le Gouvernement a également proposé une grande réforme législative. On ne peut
que saluer cette initiative.
Madame le garde des sceaux, c'est un long chantier que nous commençons
aujourd'hui ensemble.
Voilà près de cinq ans que je rapporte devant le Sénat le budget de
l'administration pénitentiaire, que je parcours tous les ans les prisons -
demain, je serai à Agen - et vous me trouvrez toujours à vos côtés pour
soutenir les actions dans ce sens. Mais, je le constate, le Gouvernement a
écouté les parlementaires.
Alors que le système pénitentiaire est devenu une priorité, les prisons
devraient être dignes du pays des droits de l'homme au xxie siècle.
La prison évolue, le détenu est une entité, le personnel s'adapte, mais le
périmètre sécuritaire reste stable.
Nous attendons beaucoup de vous, madame le garde des sceaux. Puis-je former
l'espoir que vous mettrez autant d'énergie à valoriser les métiers
pénitentiaires qu'il en a été mis dans les grandes réformes de la justice et du
droit par votre prédécesseur ?
(Applaudissements sur les travées du RDSE et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux, ministre de la justice.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, l'occasion que nous offre la discussion de
cette question orale est importante pour nous tous.
Je veux d'abord saluer, monsieur Hyest, les travaux de la commission d'enquête
parlementaire du Sénat sur les conditions de détention dans les établissements
pénitentiaires en France. Vous étiez particulièrement bien placé pour
m'interroger sur les suites du rapport de cette commission. A travers vous, je
salue en même temps l'ensemble des parlementaires, d'ailleurs, puisque
l'Assemblée nationale a également effectué un travail sur ce sujet.
J'ai pris connaissance de ces dossiers - ce sont les premiers documents que
j'ai consultés dans les jours qui ont suivi ma prise de fonctions - et je puis
vous dire que l'on ne peut pas rester indifférent en lisant tout ce qui y est
consigné.
J'ai eu l'occasion, le 8 novembre dernier, d'évoquer cette question devant le
Premier ministre et les huit cents personnes qui participaient à l'inauguration
de l'Ecole nationale d'administration pénitentiaire, inauguration qui a été
suivie par un colloque de grande qualité dont l'un des animateurs, je le
souligne au passage, était M. Hyest.
Au travers de vos questions, vous avez montré tout l'intérêt que le Sénat
portait aux questions pénitentiaires, et il est vrai, votre rapport le montre,
que cet intérêt n'est pas nouveau. J'en veux pour preuve la loi du 19 décembre
1997, relative au placement sous surveillance électronique, que nous devons à
M. Cabanel - lui-même rapporteur de la commission d'enquête parlementaire du
Sénat -, ou encore le vote à l'unanimité par le Sénat de la loi du 15 juin 2000
renforçant la présomption d'innocence et les droits des victimes, ainsi que les
dispositions relatives à la détention provisoire et à la libération
conditionnelle, qui auront une incidence significative sur la situation des
prisons. J'y reviendrai.
Je n'oublie pas, enfin, que la commission d'enquête du Sénat a vu le jour sur
l'initiative de M. Robert Badinter, notamment, et chacun sait ce qu'il a
apporté à l'amélioration de la condition des détenus. J'y reviendrai aussi à la
fin de mon propos.
Votre question, monsieur Hyest, traite de plusieurs sujets. Vous y abordez
notamment les propositions contenues dans le rapport Canivet, que la commission
d'enquête du Sénat a entérinées ; vous évoquez les mesures prises à l'issue
d'un récent mouvement social pour améliorer la situation des personnels et vous
rappelez, enfin, les propositions concrètes de la commission d'enquête
relatives à l'amélioration de la condition des détenus, au renforcement des
contrôles et à la remotivation des personnels.
Posant ces questions, vous faites directement référence aux propositions
contenues dans ce rapport, qui a décliné, vous l'avez rappelé, un plan
d'urgence qui s'articule autour de quelques axes prioritaires : l'amélioration
des conditions de détention - et il faut lutter, je suis d'accord avec vous,
contre la surpopulation des maisons d'arrêt et réhabiliter le parc
pénitentiaire - mais aussi la meilleure définition des droits et devoirs des
détenus et la remotivation des personnels, qui devraient être étroitement
associés au projet de réforme sur le renforcement du contrôle extérieur des
établissements.
Je vais essayer de préciser les intentions du Gouvernement, même si,
aujourd'hui, je suis convaincue de ne vous répondre que partiellement.
Permettez-moi de brosser rapidement le tableau des décisions qui ont déjà été
arrêtées et qui présentent un rapport direct avec les préconisations de votre
rapport.
Le 8 novembre dernier, le Premier ministre a inauguré les nouveaux locaux de
l'ENAP, qui, sous l'impulsion de M. Méhaignerie, en 1995, a été délocalisée de
Fleury-Mérogis à Agen. Il me semble que ces nouveaux locaux, spacieux,
respectueux de leurs occupants, sont une première réponse à votre
préoccupation. Ils annoncent les établissements pénitentiaires de demain, qui
participeront à la réinsertion des détenus tout en offrant aux personnels
pénitentiaires des qualités pédagogiques et des conditions de travail en
rapport avec l'importance de leurs missions, qu'elles soient de garde ou de
réinsertion.
J'ai été frappée par le discours des jeunes dans cette école : quel que soit
leur grade, du surveillant au directeur en passant par l'assistance sociale ou
le psychologue, ils ont la volonté de faire ensemble ce qui n'a pas été fait
dans le passé.
Au cours de cette inauguration, le Premier ministre a fait deux annonces
importantes, que vous avez rappelées.
D'abord, s'agissant du programme immobilier, il a rappelé l'existence d'un
programme de 10 milliards de francs sur six ans pour la rénovation complète du
parc pénitentiaire. Un milliard de francs sera inscrit au budget de l'année
2001 par un amendement au projet de loi de finances, parce qu'il faut marquer
que cet engagement est un engagement d'aujourd'hui et non pas de demain.
Ensuite, un établissement public sera constitué pour la bonne conduite de
cette opération, parce que nous partageons votre analyse : il faut une
structure spécifique pour conduire en un temps aussi court que possible
l'ensemble des opérations de destruction, de reconstruction, de rénovation
lourde des établissements pénitentiaires. Sans cela, ce programme, annoncé pour
six ans, durera sept, huit, voire neuf ans, et peut-être sera-t-il oublié en
chemin, ce qui serait profondément dramatique. Nous allons donc créer une vraie
rupture dans la façon de gérer ce type de programme.
J'ajoute que, pour aider à la mise en oeuvre de cette grande réforme, j'ai
décidé de constituer un conseil d'orientation stratégique dont la mission sera
d'aider à la décision sur la dimension, sur le type et sur l'organisation des
établissements à construire.
M. Jean-Jacques Hyest.
Très bien !
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
Ce conseil d'orientation stratégique doit être composé
de personnes qualifiées pour s'occuper de ce dossier, notamment de
parlementaires ayant participé aux commissions d'enquête du Sénat et de
l'Assemblée nationale. Je solliciterai d'ailleurs les présidents de chaque
assemblée à cette fin.
Il me semble, qui plus est, qu'il pourrait être créé - mais ce n'est pas de ma
responsabilité et vous me pardonnerez de ne faire à cet égard qu'une suggestion
- un groupe de suivi permanent dans chacune de vos assemblées parce que, au fil
des ans, sait-on jamais, des difficultés, notamment d'ordre budgétaire,
pourraient survenir. Ainsi, que se passera-t-il en 2003-2004 ? Un tel groupe de
suivi permettrait donc de savoir chaque fois où l'on en est, pourquoi on a pris
telle ou telle option.
On a parlé tout à l'heure des jeunes architectes. C'est vrai, lorsque
l'architecte - celui qui a été retenu pour la prison du Pontet, par exemple -
vous parle du projet, en évoquant l'air qu'il a essayé de faire entrer, le
regard du surveillant vers son collègue, le regard du détenu, qui voit toujours
une longue perspective devant lui, c'est déjà un échange sur le sens de la
peine, sur la dignité de l'homme.
Le groupe qui sera chargé de suivre le programme devra toujours veiller à ce
que l'architecte, le bureau d'études ou le maître d'oeuvre ne s'enferme pas
dans des considérations liées à la qualité actuelle des bétons, au problème des
marchés infructueux ou aux difficultés à trouver tel ou tel matériau ; il devra
aussi veiller à ce qu'il pense toujours au regard du surveillant, à celui du
détenu, à l'emplacement de l'appartement qui permettra le lien familial, à la
façon dont on construira la salle de jeux pour les enfants. Tout cela fait
partie d'un travail que je vous souhaite aussi intéressant et fructueux que
possible.
Voilà une première réponse à votre souci de mesures immédiates et concrètes :
un programme global, un budget, un calendrier et un établissement public
spécialement affecté à la reconstruction ou à la rénovation des établissements
pénitentiaires.
En fait, ce que vous propose le Gouvernement, à savoir un établissement
public, n'est pas éloigné de votre agence. Peu importe les mots, nous avons le
même objectif.
Je rappelle que ce programme immobilier complète celui qui avait déjà été
arrêté, et qu'il porte sur les cinq plus grandes maisons d'arrêt - la Santé,
Fleury-Mérogis, Fresnes, les Baumettes et Loos-lès-Lille - sur la
reconstruction de neuf établissements pénitentiaires - Toulouse, Avignon,
Liancourt, Meaux, Toulon, Lyon, Nice, la Réunion et Basse-Terre - et sur la
construction d'un établissement supplémentaire à Lille, qui souffre d'un grave
déficit de capacité. L'énumération peut paraître fastidieuse, mais elle
correspond à une réalité que vous connaissez mieux que personne.
Est-il besoin de préciser, une fois encore, qu'il ne s'agit en aucun cas de
construire en prévision d'une population plus importante, mais de reconstruire
pour assurer des conditions de détention dignes ?
Il faudra respecter l'obligation d'encellulement individuel que le Parlement a
voulu dans la loi du 15 juin 2000. Par rapport à la population pénale
d'aujourd'hui, le déficit est de 9 000 cellules.
Nous devons être extrêmement vigilants devant la tentation qui consiste à
dire que la plupart de ceux qui ont commis certains actes dans certains
quartiers devraient être enfermés rapidement. C'est dangereux. Ne nous trompons
pas d'objectif : il s'agit bien de satisfaire aux conditions de dignité des
détenus, prévenus ou condamnés et non pas de faire de la place à ceux qui
n'auraient pas été condamnés suffisamment.
Comme je l'ai dit récemment devant la commission des lois, nous devons parler
avec les détenus - nous avons choisi la Santé parce que c'est le premier
établissement que j'ai visité - pour qu'ils nous disent comment ils voient
l'encellulement individuel, qu'ils nous disent leurs angoisses du soir, leur
volonté d'échanger à des moments différents de la journée, qu'ils nous disent
s'ils ont envie d'autre chose que ce que nous avons, nous, cru être un
idéal.
Enfin, pour répondre complètement à votre interrogation sur les mesures à
prendre pour remédier à l'encombrement des maisons d'arrêt, je voudrais
préciser que mes services procèdent actuellement à une étude des moyens grâce
auxquels les condamnés pourraient être plus rationnellement et plus rapidement
orientés vers les centres de détention nationaux et régionaux. Il y a là
effectivement un scandale, vous avez raison de le dire, et nous avons
l'obligation d'y mettre fin.
Ainsi, certaines affectations pourraient être décidées sans passage par le
centre national d'orientation de Fresnes, car, si c'est parfois une commodité,
ce n'est pas une obligation en droit. Nous le ferons aussi vite que possible.
Je vous invite d'ailleurs, au vu des chiffres que nous vous donnerons
régulièrement, à nous dire si nous allons assez vite ou si nous sommes repris
par l'habitude.
M. le Premier ministre a voulu, avec nous tous, accompagner cette annonce d'un
programme immobilier - qui ne suffira jamais - d'un projet de loi
pénitentiaire. Dans son discours d'Agen, il a confirmé sa volonté de voir le
Gouvernement déposer ce projet rapidement.
La commission d'enquête du Sénat, il est vrai, s'est montrée réservée sur le
principe de ce texte qui, selon son expression, ne changerait pas la prison,
pas plus que l'on ne change la société par décret. Je partage cet avis.
Mais l'élaboration d'une loi sur l'application des peines est pourtant
nécessaire, et d'abord pour mieux préciser - certes, pas pour vous, mais pour
tous ceux qui suivront les débats parlementaires - le sens de la peine dans une
société moderne et démocratique. J'attends de ce débat cette finesse d'analyse
dont vous êtes capables. J'attends surtout de ce débat qu'il porte au-delà des
enceintes des assemblées, pour être entendu par chaque citoyen de cette société
qui « met en prison une partie d'elle-même ».
L'élaboration de cette nouvelle loi est également nécessaire parce qu'il faut
élever au niveau législatif une partie des dispositions réglementaires du code
de procédure pénale, ainsi que le recommande le rapport Canivet, qui a été
approuvé par votre commission d'enquête, parce qu'il faut introduire de
nouveaux droits pour les détenus, parce qu'il faut préciser les missions de
l'administration pénitentiaire, définir les grands principes d'organisation des
établissements, actualiser le statut des personnels.
C'était là une demande forte du mouvement. Contrairement à ce que l'on observe
souvent dans de tels mouvements, il y avait, en fait, un accord profond entre
l'ensemble des personnels, les directeurs d'établissement, les directeurs
départementaux et régionaux et l'administration centrale. C'est la première
fois, me semble-t-il, qu'un mouvement traduit un souci collectif d'une
administration.
Enfin, il faut instaurer définitivement un contrôle extérieur des
établissements pénitentiaires. Vous l'avez demandé, et il faut que nous
l'inscrivions dans la loi. Sait-on jamais ! Un jour, nous ne serons plus là et
nous devons donc éviter que, par facilité peut-être, il n'y ait plus ces
contrôles que nous allons instaurer les premières années.
Je suis par ailleurs convaincue de l'intérêt d'un débat national sur les
prisons parce que, sur ce point, les préoccupations de la commission, même si
le projet proposé ne prend pas exactement la forme préconisée, participent de
ce qui peut être un débat d'orientation, et j'espère qu'à la fin de ce débat,
nous pourrons revenir à ce qui sera alors au coeur de notre engagement
collectif, à savoir les mesures immédiates.
Aujourd'hui, les mesures immédiates sont un sujet brûlant, comme l'a fait, à
juste titre, observer M. Hyest dans sa question. Nombre de solutions
s'inscrivent dans le moyen terme, voire dans le long terme, et l'on ne remédie
pas en quelques mois au désintérêt de plusieurs décennies.
Ce désintérêt n'a pas été celui des gardes des sceaux successifs, et, à cet
égard, j'ai bien entendu la réponse spontanée de M. Badinter.
Ce désintérêt a été celui d'une population d'abord inquiète au sortir de la
guerre, occupée ensuite à la construction des années soixante-dix et, enfin,
frappée par la crise économique qui a suivi le choc de 1974, repliée sur
elle-même parce que traumatisée par un chômage qui faisait naître les
insécurités. Du coup, on a totalement abandonné le sujet des prisons.
Bien sûr, vous avez, par votre soutien au budget, permis qu'on inscrive, en
1998, plus de 60 millions de francs pour l'amélioration des conditions de
détention et d'hygiène, qu'il s'agisse de la distribution de produits de
première nécessité, renouvelée pour ceux qui n'ont pas de moyens, ou du
cloisonnement des sanitaires.
Vous avez permis que 20 milliards de francs soient inscrits au projet de loi
de finances pour 2001 pour revaloriser le travail des détenus affectés au
service général des établissements. L'un d'entre vous l'a rappelé tout à
l'heure. Il fallait, dès cette année, résoudre cette question. La décision
intervient sur la recommandation d'un groupe de travail sur l'indigence qui a
rendu son rapport en avril 2000. Elle est en complète harmonie avec une
recommandation de votre commission d'enquête.
(M. Jean-Jacques Hyest
opine.)
Des moyens importants ont été « arrachés », si je puis dire, par Mme Guigou,
dans le même contexte que celui qu'a évoqué précédemment M. Badinter.
Ainsi, 226 postes de surveillants spécialement formés pour les quartiers de
mineurs ont été créés en quatre ans. Je rappelle que cette spécialisation
n'existait pas auparavant ; personne n'était formé pour s'occuper des
mineurs.
Même si 30 millions de francs ont été consacrés à la réhabilitation de ces
quartiers de mineurs - vous avez souligné à quel point ils nous choquent - dont
le nombre a augmenté, passant de 53 à 59, pour assurer une plus grande
proximité des mineurs détenus et de leur famille ou des services éducatifs,
nous sommes toujours insatisfaits de la situation.
Evidemment, dans le même temps, des mesures ont été prises pour la création
des centres éducatifs renforcés et des centres de placement immédiat. J'ai bien
entendu hier, aux assises de la protection judiciaire de la jeunesse, à
Marseille, à quel point la question se posait encore du placement des jeunes,
des plus jeunes, de ceux qui, malheureusement, utilisent la violence pour se
porter mieux. Je sais que cette question se reposera au fur et à mesure de
l'installation de ces centres.
Je reste intimement convaincue que la plupart des jeunes qui sont en grave
situation de violence ou de délinquancce sont des jeunes qui ont une situation
personnelle très difficile, qui sont en choc affectif permanent, qui ont un tel
besoin de réassurance que, parfois, les faire accueillir par des adultes qui
les respectent, qui leur parlent, qui les aident à écrire un projet personnel,
peut-être une solution, même si ce n'est pas la seule.
La procédure disciplinaire a été réformée dans des conditions que nous aurions
préférées différentes puisqu'un avis du Conseil d'Etat a été nécessaire pour
avoir la certitude que la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens
dans leurs relations avec l'administration était applicable dans les
établissements pénitentiaires.
Désormais, les détenus comparaissent devant la commission de discipline
accompagnée d'un avocat ou d'une personne qui les assiste.
Je vois, pour ma part, un progrès considérable dans cette réforme, qu'il nous
faut maintenant parachever en poursuivant la concertation avec le barreau et
avec les organisations syndicales des personnels pénitentiaires, afin d'affiner
les modalités d'application dont nous n'avons pu discuter avant l'entrée en
vigueur de la loi.
En revanche, je pense que nous devons tirer toutes les leçons des premières
expériences. En fait, je ne veux plus entendre les surveillants me dire qu'il
ne s'agit plus maintenant de commissions de discipline mais du procès des
surveillants. Tel n'est pas l'enjeu. L'enjeu, c'est de permettre à chaque
détenu, à égalité d'armes, d'expliquer son comportement, peut-être de demander
la clémence.
En tout cas, ce texte, en l'état, nous conduira à avoir une large concertation
avec ceux qui doivent défendre les détenus en prison. Moi, je ne regrette rien
parce que, plus il y aura d'avocats ou de mandataires qui entreront dans les
prisons, plus on parlera dans les prisons, plus l'opinion publique restera
totalement et constamment informée. Cet acquis n'est pas négligeable.
On a insisté pour que deux autres séries de mesures concernant l'accès au
droit des détenus soient mises en place.
En application des dispositions de la loi du 18 décembre 1998, des points
d'accès au droit sont progressivement installés dans les établissements. C'est
le cas à Fleury-Mérogis et à la Santé. Même si, c'est vrai, cela ne se passe
pas dans de très bonnes conditions, ce n'est pas une raison pour ne pas le
faire.
D'autres projets doivent voir le jour à Fresnes et à Loos-lès-Lille. Nous
devons en tirer rapidement les leçons pour que tous les établissements aient
ensuite ce type de lieu.
Enfin, la juridictionnalisation de l'application des peines permettra à la
défense d'entrer dans les établissements pénitentiaires pour débattre
contradictoirement des aménagements de peines auxquels un détenu peut
prétendre, avec la possibilité d'un second débat contradictoire en appel si la
réponse est défavorable. C'est collectivement, l'espoir des détenus, donc le
nôtre.
D'autres réformes que préconise la commission d'enquête sont à l'étude par mes
services. Nous n'avons pas pu, en si peu de temps, aller au bout d'un travail
difficile. Un groupe étudie, en particulier, la possibilité de détenir une
radio au quartier disciplinaire - cela semble anodin, mais c'est fondamental -
et la possibilité d'avoir des parloirs.
Ces mesures, à mon sens, sont urgentes. Mais il faut absolument que les
personnels pénitentiaires y soient associés. Cela se fera dans les mois qui
viennent. Nous ne devons pas, dans ce mouvement formidable que vous avez lancé,
oublier ces personnels, qui doivent s'associer à la mise en place des mesures,
les porter bien haut, pour ne pas avoir l'impression qu'on leur reproche quoi
que ce soit.
Ces personnels ont été traumatisés non seulement par tout ce que l'on a dit
d'eux à l'extérieur, mais surtout par de graves agressions et la mise en cause
de leur autorité. Ils doivent comprendre - on doit les y aider - qu'il s'agit
non pas d'accorder une faveur aux détenus, mais de poursuivre un objectif de
réinsertion, même à l'égard des punis, en empêchant ce qui pourrait avoir des
effets déshumanisants pour certains d'entre eux. Il faut diminuer les tensions
et permettre à chacun de s'exprimer. Le personnel lui-même en sera bénéficiaire
parce qu'il travaillera dans une plus grande sérénité, même si le mot lui est
pour l'instant presque étranger.
La commission d'enquête préconise une plus grande transparence des
établissements pénitentiaires. Sur ce point, nous sommes tous tellement
d'accord que nous devons laisser les tournages de reportages, de films et les
interviews des personnels se faire.
Mais un encadrement est nécessaire. J'ai du mal à expliquer à certains
journalistes que l'on ne peut pas interviewer un détenu identifié ou
identifiable... ou faire un reportage qui amènerait l'administration
pénitentiaire à révéler des informations relatives à la sûreté de
l'établissement ou des familles à découvrir sur leur écran de télévision un
familier qu'ils ne veulent pas voir dans les conditions d'un détenu.
Bref, il faudra encadrer l'entrée de la médiation des journalistes dans les
établissements pénitentiaires, tout en reconnaissant qu'il faut continuer à en
parler beaucoup.
Monsieur Hyest, vous avez évoqué le récent mouvement social au sein de
l'administration pénitentiaire. Je retiens que votre rapport dit des personnels
pénitentiaires qu'ils sont « dévoués, désorientés et soucieux de reconnaissance
». Ce que j'ai vu et lu ces derniers temps me permet de souscrire totalement à
ce diagnostic. Ils sont dévoués, ils sont désorientés ; ils sont soucieux de
reconnaissance et ils craignent que les commissions d'enquête parlementaires
n'aient pas de lendemain.
Comme je l'ai déclaré lors de l'inauguration de l'ENAP le 8 novembre dernier à
Agen, les personnels qui souffrent d'une situation qu'ils n'ont pas créée, pas
voulue et qui accomplissent avec courage une difficile mission méritent toute
notre reconnaissance.
Les moyens qu'ils ont obtenus, que je vous ai détaillés lors de ma dernière
audition en commission, les espoirs importants qu'ils ont d'un suivi de ces
premières mesures, mais aussi leur déception à la lecture du projet de loi de
finances pour 2001, qui ne leur apporte pas - même si c'est un bon projet
puisqu'il crée 545 emplois - tout ce qu'ils souhaitaient - 1 000 postes en 2000
et 1 500 en 2001 - doivent être pris en compte.
Nous avons donc fait un premier pas. Nous reconnaissons certes qu'il est
insuffisant, mais nous poursuivrons dans cette voie.
Le traumatisme des personnels doit toujours être pris en compte. La tentative
d'assassinat d'un surveillant de la maison d'arrêt de Saint-Etienne en juillet
dernier, commise à l'extérieur de l'établissement, aggravée par l'assassinat le
8 septembre d'un surveillant de la maison d'arrêt d'Avignon, pour un motif
sûrement lié à sa vie privée, ont créé des conditions d'insécurité, non
seulement au sein des établissements mais aussi à l'extérieur.
Nous devons donc être très vigilants - j'y reviendrai, monsieur Badinter - sur
l'ambiance générale de ces maisons où la société s'enferme. Si les
surveillants, si les personnels sont dans un état de crainte, il déteindra
forcément sur les détenus et nous aurons des situations terribles.
Ce mouvement social, dont la vision donnée par les surveillants massés devant
les prisons était pénible à supporter, doit être pris en compte tel qu'il est.
Nous avons pu inscrire les moyens nécessaires dans le budget pour répondre à
l'urgence. Je revois régulièrement les représentants des syndicats de
personnels, dont les indemnités ont été revalorisées. Même si les contraintes
et le fait que le projet de budget était arbitré depuis l'été ne nous ont pas
permis de résoudre tous les problèmes, il faut leur dire que le Gouvernement et
le Parlement réparent l'injustice subie par les personnels administratifs et
revalorisent les carrières. Cette réforme est historique pour eux car on
reconnaît enfin qu'ils jouent un vrai rôle dans la société. Ce protocole marque
une étape ; nous devons rester à leur écoute, améliorer le dialogue social et
parler de gestion des ressources humaines.
Comment veut-on que les détenus soient respectés si les personnels ne se
sentent pas soutenus lorsqu'on les oblige à changer de lieu d'affectation,
qu'ils ne trouvent pas de logement et qu'ils sont éloignés de leurs enfants
?
Bref, nous devons avoir comme souci particulier de redessiner notre
organisation générale de la ressource humaine.
Les directeurs ne se sont pas ou peu exprimés. Je voudrais dire, puisque l'un
de vous m'y a invitée, qu'ils ont, en particulier ceux qui ont la charge des
plus grands établissements, de lourdes responsabilités. Ils s'inquiètent - ils
m'ont déjà expédié plusieurs courriers à ce propos, ainsi qu'à vous - d'une
grille indiciaire qui ne les favorise pas au regard d'autres corps. Je pense
qu'ils ont raison. Nous devons donc prendre en compte la situation des
directeurs, parce qu'il est anormal que des personnels accomplissant une
fonction aussi noble que celle-là aient l'impression d'être oubliés.
Je répondrai maintenant directement à vos questions, mesdames, messieurs les
sénateurs.
M. Hyest a beaucoup parlé de la surpopulation des maisons d'arrêt. Il est vrai
que l'on pourrait songer à placer certains détenus en centre de détention. Il
est en effet exact que 1551 cellules ne sont pas utilisées - même si ce chiffre
est un peu moins élevé cette année. Mais il faudrait alors modifier la loi, car
ce placement est impossible pour les détenus qui purgent une peine inférieure à
sept ans. Pourquoi ne pas la fixer à dix ans ? C'est une question que je me
pose, et elle pourrait très bien recevoir une réponse en urgence dans la loi
pénitentiaire.
Toutefois, il faut être prudent, car nous aurons bientôt besoin de ces places
disponibles, lors de la rénovation ou de la destruction de certains
établissements.
Le surpeuplement actuel des maisons d'arrêt est fort dommageable. Il
conviendra de réfléchir à ce que nous pouvons faire pour améliorer la
situation.
Parmi les mesures immédiates que nous envisageons, nous pensons qu'il faut
tranformer les centres de détention régionaux en centres de détention
nationaux.
Quant au centre national d'observation, ce n'est pas une nécessité, je l'ai
dit tout à l'heure. Il faut donc l'éviter, et chaque fois que l'on pourra
l'éviter on l'évitera.
Par ailleurs, placer les détenus en établissements pour peines implique qu'il
faudrait peut-être scinder nos établissements monolithiques en établissements
fractionnés, avec une aile pour chaque type de peines. Il faudrait aussi parler
de géographie et de localisation.
Tout est possible. Il ne faut pas s'enfermer dans des définitions rigides,
mais trouver ensemble la bonne façon de répondre aux problèmes, avec beaucoup
de souplesse, et ce dans le respect du droit.
Vous avez également relevé, monsieur Hyest, que les crédits de paiement
n'étaient pas consommés. Effectivement. Chaque fois qu'il y a des pics, comme
dans tout budget de collectivités publiques, on lance un programme - par
exemple, le « programme 13 000 », puis le « programme 4 000 » - ...
M. Jean-Jacques Hyest.
Ce sont des autorisations de programme !
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux
... et ensuite on inscrit les crédits de paiement dans
un souci de rapidité. Je l'ai dit en commission, je le répète du haut de cette
tribune, mieux vaut garder ces crédits, c'est plus prudent. Sait-on jamais
comment ils pourraient être récupérés ! Accélérer les choses, c'est accélérer
la mise en place de cet établissement public qu'on a annoncé.
Vous avez parlé de gestion de ces crédits par le directeur de l'établissement
ou par une délégation générale, et un intervenant s'est référé aux
établissements hospitaliers. Mais le statut de ces établissements est différent
: ils sont gérés à la fois par une direction et par un conseil
d'administration. Il est impossible de déléguer cette mission de service public
à l'établissement pénitentiaire proprement dit. En revanche, pourquoi ne pas
déconcentrer un certain nombre d'actions à l'échelle des directions régionales
?
Un effort est certainement à faire dans ce domaine ; l'administration en est
consciente et reste vigilante quant à l'utilisation des crédits et s'agissant
des priorités que vous avez dégagées. Nous rechercherons l'efficacité ; au-delà
de l'établissement public, d'autres systèmes pourront être trouvés.
S'agissant du fonctionnement et de son évaluation permanente, il faut
effectivement disposer d'indicateurs spécifiques de suivi : sanitaires
cloisonnés, restauration, quartiers disciplinaires, troisième douche
hebdomadaire - malheureusement, nous n'en sommes qu'à la troisième, loin encore
de la douche quotidienne.
Bref, nous devons vous fournir un état des lieux, si je peux me permettre
cette expression, qui n'est guère appropriée, fondé sur des critères que vous
partageriez.
J'en viens à ce que vous avez dit sur les téléviseurs - et cinq autres
intervenants ont évoqué cette question.
C'est vrai, il faut être franc, ce système permet de fournir aujourd'hui
gratuitement aux détenus les plus démunis des téléviseurs. Ce qui est versé par
les autres sert aux oeuvres sociales. Si l'on revient sur ce système, il faudra
trouver d'autres moyens de financer les oeuvres sociales.
Cela étant, pour ma part, je ne suis pas contre le fait, comme dans les
hôpitaux - parce que c'est ainsi dans les hôpitaux - qu'on participe, quand on
a des revenus suffisants, au coût de location d'équipements de ce type. En tout
cas, il faut tout de même se garder d'aller trop loin dans l'autre sens, à ne
pas envoyer le balancier tout au bout de sa course, car alors les malades
hospitalisés pourraient formuler la même demande.
Nous avons prévu 5 millions de francs dans le projet de budget pour 2001 pour
améliorer les choses ; mais on peut aller au-delà. Il restera à financer les
oeuvres sociales, qui permettent aussi des réinstallations. Sur ce point,
j'examinerai de plus près ce que prévoit au total ce budget et étudierai
comment on peut répondre à votre préoccupation, qui est fondée.
Je suis désolée d'être un peu plus brouillonne, je réponds mais dand l'ordre
où vos questions ont été posées.
Vous avez parlé ensuite de l'octroi du RMI aux détenus.
C'est très délicat. D'ailleurs, je relisais récemment que le Secours
catholique et la NVP sont opposés à toute aide financière qui aurait un
caractère automatique. Je ne sais pas quel est - je n'ai pas fait le tour de la
question ; vous imaginez bien qu'en quatre semaines je n'ai pas eu le temps de
tout voir - le fondement de leur position.
Pour nous, en tout cas, le fait générateur de l'attribution du RMI est de
donner des moyens convenables d'existence. Cette notion ne s'applique pas bien
aux personnes détenues.
En revanche, je le disais ce matin à une journaliste qui m'interrogeait à ce
sujet, je trouve qu'en ôtant tout droit social à une aide personnelle à une
personne incarcérée, on crée une autre forme de double peine, qui frappe non
pas le détenu, mais sa famille, car le détenu, lorsqu'il était libre,
contribuait, bien ou mal, quelquefois très mal, aux ressources de la famille ;
certains détenus peuvent avoir été salariés et seuls générateurs droits sociaux
: une fois incarcérés, ils perdent ces droits, et alors la famille tout entière
en pâtit.
Nous devons réfléchir ensemble sur cette éligibilité au RMI. Doit-il être
versé directement au détenu ? Doit-on prendre en compte sa famille ? Je n'ai
pas encore la réponse à cette question. En revanche, j'entends bien que
l'absence totale pour quelqu'un de possibilité d'acheter quelque chose à un
moment donné de son existence en prison est sûrement très lourd à porter. Même
si les services dits des indigents apportent à celui qui n'a rien la télévision
ou quelque nourriture, je pense que ce n'est pas digne. La possibilité
d'acheter peut aider à la réinsertion.
Je me saisis de ce dossier tel qu'il est, c'est-à-dire sans expertise et je
m'engage à mettre cette question sur la table et je m'engage avec vous et avec
la ministre de l'emploi et de la solidarité, qui est particulièrement informée
de cette demande.
Monsieur Cabanel, vous avez évoqué l'expérience, à laquelle vous tenez
beaucoup, du bracelet électronique. Il est en cours d'expérimentation dans les
établissements d'Aix, d'Agen, de Grenoble et de Loos-lès-Lille. Deux sociétés
ont été sélectionnées et les premiers bracelets sont expérimentés sur trois
sites, où trois personnes seulement sont actuellement placées sous bracelet.
En effet, je vous l'ai déjà dit en commission, le juge d'application des
peines, qui à tenu à en essayer un certain nombre, a dû constater qu'ils se
déclenchaient tout le temps ; nous avons connu quelques problèmes
techniques.
Il faut aussi trouver des condamnés qui l'acceptent ; le dernier condamné a
refusé. Les juges d'application des peines doivent donc faire preuve de
prudence, mais aussi parfois de persuasion.
J'ajoute que le juge d'application des peines est aussi alerté par des
familles qui ne souhaitent pas que ce soit « leur condamné » qui bénéficie de
cette expérimentation.
Un travail important reste donc à faire. Je souhaite que plus de détenus
soient placés sous bracelet électronique. Nous pourrions ainsi tirer
suffisamment de leçons pour déterminer si ce système est bon ou non. Je ferai
tout ce qui est en mon pouvoir, avec l'aide des services pénitentiaires, pour
que nous allions plus vite.
M. Pelchat a parlé des jeunes.
Ni les personnels ni les établissements pour mineurs ne sont à la hauteur de
ce que nous attendons d'eux. Certes, notre pays compte maintenant trente
centres éducatifs renforcés et vingt-trois centres de placement immédiat.
Toutefois, même si les mineurs sont séparés des majeurs, même si leur quartier
est identifié, l'état du parc pénitentiaire immobilier fait qu'ils ont
l'impression de partager la prison des majeurs et sont blessés de leur
situation, ou, parfois, à l'inverse, en tirent gloire.
Nous avons donc vraiment l'obligation d'aller plus vite.
Nous avons créé 380 emplois supplémentaires en 2000, auxquels viendront
s'ajouter 128 autres emplois pour les quartiers des mineurs en 2001. Il nous
faut accélérer ce mouvement - j'ai évoqué tout à l'heure les débats qui
l'entouraient, je n'y reviens pas - sans oublier quelque chose de plus
important peut-être, à savoir la sortie du jeune détenu.
L'administration pénitentiaire a renforcé - c'est bien - ses liens avec la
protection judiciaire de la jeunesse sur le terrain, afin que le relais soit
pris par les éducateurs de la PJJ dès la sortie du jeune. C'est nécessaire,
particulièrement en région parisienne, dans les quartiers les plus difficiles.
S'il n'y a pas ce travail des personnels de la PJJ, entrant dans
l'établissement pour discuter avec le personnel de ce qui va se passer à la
sortie, il y aura trop de récidive. Le travail bien fait doit favoriser les
remises de peine au bénéfice en particulier des mineurs, qui pourront ainsi
sortir plus rapidement de ces établissements.
M. Pelchat s'est interrogé sur la catégorie A. Nous ferons mieux cette année -
j'y reviendrai plus en détail lors de la discussion budgétaire - pour ceux qui
exercent les activités de chef d'établissement. Il s'agit donc plutôt d'une
bonne nouvelle pour eux. C'est un souci de moins pour vous, même s'il faudra
poursuivre dans cette voie.
M. Bret a indiqué que le plus important réside dans la prévention pour les
jeunes. Il est vrai que, si nous acceptons bien collectivement l'objectif des
centres de placement immédiat et les centres d'éducation renforcée, nous devons
créer un lien entre l'enfant déjà délinquant et l'école.
Je n'ai pas bien admis, je dois être franche, que certains personnels me
disent hier que l'éducation nationale était tellement faible face à cette
situation qu'elle appelait systématiquement l'extérieur au secours. Il faut
comprendre que cela se fasse dans certains établissements. Il faut l'admettre
et chercher pourquoi.
Ces centres seront une réponse intéressante si les 112 emplois de conseillers
d'insertion que nous allons créer dans le projet de loi de finances pour 2001
sont envoyés rapidement sur le terrain pour prendre en compte un projet
d'éducation.
Certains éléments sont tout de même positifs. Ne soyons pas totalement
pessimistes aujourd'hui. En effet, 65 % des premiers jeunes sortis sont à
l'école ou en apprentissage, et nous enregistrons beaucoup moins de récidives
immédiates qu'autrefois.
Le projet du jeune est réellement pris en compte. Ce que vous avez dit est
suffisamment fort pour que l'on y soit encore plus attentif demain.
M. Bret a parlé de la réforme de la libération conditionnelle, de la loi du 15
juin 2000, des critères non seulement de travail, mais aussi de formation, de
santé, de contribution à la famille. Tous ces éléments sont pris en compte.
Nous avons élargi les critères.
Je compte beaucoup sur la juridictionnalisation, sur la présence de l'avocat
auprès du juge de l'application des peines. Je note que les libérations
conditionnelles sont encore insuffisantes. Je relève également qu'il est bon
que l'on ait abandonné l'idée de travail obligatoire parce que l'on ne peut pas
exiger cela d'un détenu qui a été en grande difficulté. En revanche, qu'il ait
un projet pourrait permettre qu'il sorte.
Vous avez également parlé des alternatives à la détention. En 1989, 77 000 cas
et 149 000 aujourd'hui. C'est mieux.
Nous avons plus de travailleurs sociaux, plus de formations, mais nous aurons
besoin du concours des collectivités territoriales. Il faut que le travail
d'intérêt général soit bien accepté par les habitants, les personnels, par les
municipalités et par les maires eux-mêmes ; il faut qu'il soit porté par les
communes. Si tel n'est pas le cas, ce travail deviendra une sorte d'humiliation
organisée : celui qui ramasse les feuilles, alors que personne n'a envie
d'accomplir cette tâche, sera montré du doigt.
Avec les collectivités, d'abord, mais aussi avec les artisans, les chambres de
métiers, les chambres de commerce, on peut trouver des solutions, en
apprentissage par exemple, qui soient tout à fait valorisantes pour tout le
monde.
Monsieur Bret, vous avez proposé l'instauration d'un
numerus clausus
.
Je n'y crois pas. Je crains que ce ne soit une solution de facilité. Comme je
l'ai déjà dit dans une autre enceinte, les Hollandais n'en sont pas satisfaits
; la population commence à parler des gens condamnés qui n'ont pas effectué
leur peine, et cela crée un climat difficile.
Prévoyons plus de peines alternatives à la privation de liberté, travaillons
sur les conditions d'accueil, mais méfions-nous d'une solution qui nous
donnerait peut-être bonne conscience mais qui nous obligerait à contrôler le
nombre de personnes qu'on met en prison. Et qui ferait le « tri » ?
Je crains que ce dispositif ne soit d'une application délicate et qu'il ne
relance certains discours sécuritaires que ni vous ni moi ne voulons entendre.
Je ne rejette pas votre proposition parce qu'elle serait mauvaise, je pense
simplement que les conséquences doivent être examinées très précisément.
Monsieur Bret, vous avez également évoqué la loi du 12 avril 2000 ; mais je
n'y reviens pas.
Vous avez surtout insisté, comme beaucoup d'autres orateurs, sur la fréquence
des suicides.
Le suicide, c'est ce qui est le plus insupportable, car c'est l'échec le plus
grave d'une personnalité.
Il y en a moins aujourd'hui, dans les établissements qui ont été réhabilités
que dans les autres, c'est tout ce que je peux dire. Nous avons donc un léger
espoir.
Interrogeons-nous également, comme je le disais tout à l'heure, sur les
problèmes liés à la solitude, aux horaires, qui se posent aussi à
l'extérieur.
Il y a moins de suicides, monsieur Bret, mais ce n'est pas une consolation, il
y en a toujours trop !
Vous avez tous parlé du sevrage des toxicomanes dépendants, qui conduit au
suicide. La souffrance de la personne en sevrage est telle qu'elle est plus
insupportable encore que d'autres types de souffrances physiques. Nous le
savons tous maintenant, pour l'avoir lu et entendu, souvent en direct. Il nous
faudra donc parler à nouveau des soins en milieu carcéral.
Je relance actuellement, avec Elisabeth Guigou et Dominique Gillot, le travail
sur la santé. Je me permets toutefois d'évoquer tout de suite la dramatique
pénurie de psychiatres, aussi bien dans les hôpitaux que dans les prisons.
Je ne sais ce que la société doit faire pour que de jeunes futurs médecins
aient envie de devenir psychiatres dans le secteur public. Dans les hôpitaux
psychiatriques, il y a aussi beaucoup de honte cachée et des services qui
ressemblent parfois aux prisons les plus dures. Comment faire pour que cette
assistance qui est tellement nécessaire, soit donnée, alors que la médecine
médiatique, la médecine où l'on enregistre des succès que l'on peut qualifier
d'éclatants, c'est une médecine plus organiciste.
Nous aurons de nouveau à parler de la psychiatrie tous ensemble.
Malheureusement, nous ne sommes pas, je vous le dis franchement, à la veille
de pouvoir régler ce problème, tant les psychiatres sont peu nombreux à
accepter de partir vers l'hôpital ou la prison.
Nous devons également travailler sur l'alternative que représente l'hôpital
psychiatrique, et qui dépend actuellement du juge, et sur l'injonction de
suivre des soins. Quatre établissements seulement, c'est insuffisant. Nous
devons ouvrir ce débat avec le ministère de la santé. Mais ce n'est pas tout à
fait au point, je le dis très franchement.
A propos de l'accueil des familles et des visiteurs, vous avez tous évoqué ces
salles d'attente, en amont des parloirs, qui ne sont pas adaptées. Equipons au
moins ces salles d'attente d'un mobilier adapté aux enfants, de livres, de
distributeurs de boissons... Faisons entrer de la vie, de la couleur, de la
chaleur humaine !
Pour avoir vu ces salles d'attente, comme vous, avant d'être garde des sceaux
et depuis, j'ai été aussi choquée que vous. Seule une vingtaine d'espaces
d'enfants est actuellement programmée pour. Mais, dans tous les établissements,
l'accueil de la famille sera une priorité.
Dans le même ordre d'idées, tous les projets architecturaux prévoient des
unités familiales de vie pour que le détenu passe quarante-huit heures avec sa
famille. Je sais l'anxiété des surveillants, je sais l'anxiété des juges de
l'application des peines, je sais les risques que nous prenons. Mais il faut le
faire. Si nous ne prenons pas ces risques, nous n'aurons pas le courage minimal
nécessaire pour continuer à exercer les mandats qui nous sont confiés.
Vous avez également pu constater que nous avons étudié l'élargissement des
plages horaires d'accueil. Cependant, en travaillant avec la direction sur la
mise en place des 35 heures et sur l'organisation de la journée des personnels,
nous nous sommes aperçus qu'il fallait reparler de l'organisation de la journée
des détenus. C'est là un vrai grand sujet, et vous avez tous raison de dire
qu'il faut, pour les familles, que les établissements soient desservis par des
transports en commun.
J'ai été quelque peu étonnée que l'on m'interroge sur le
web
dans les
prisons, alors que nous sommes actuellement sous les feux médiatiques à propos
des téléphones portables. Le
web
est un outil de communication beaucoup
plus intéressant et beaucoup plus performant que le téléphone portable : je
vous le dis tout de go, il n'y aura pas de
web
dans les prisons, c'est
impossible à gérer.
En revanche, rien n'empêche d'avoir des postes informatiques et des cédéroms.
A partir de l'informatique, on peut apprendre à lire quand on n'a pas envie de
lire, on peut apprendre l'art, on peut apprendre la musique, on peut apprendre
des langues, on peut apprendre le plaisir de découvrir des paysages. On peut
tout apprendre avec ces merveilleux outils. Il faut donc faire un énorme effort
sur les cédéroms. Parce que, comme le disait récemment Louis Mermaz, des
détenus sont pauvres et, souvent, n'ont pas eu la chance d'aller à l'école, le
maniement des cédéroms peut être un moyen de s'ouvrir à la vie en même temps
que de faire « entrer » des paysages dans un lieu clos et triste. De ce point
de vue, rien ne vaut cet outil informatique.
Je plaiderai donc encore pour que, au-delà des dix ordinateurs en place à la
Santé, il y ait des ordinateurs dans tous les établissements pénitentiaires,
d'autant que, dans tous les métiers ou presque, il est nécessaire de savoir se
servir de ce type d'outil.
Vous avez parlé également des architectes. Je l'ai dit tout à l'heure, mais
j'y reviens : lorsque l'on met en place un conseil d'orientation dans
l'établissement public, c'est aussi pour parler aux architectes et les amener à
faire le même travail que celui que vous avez fait, c'est-à-dire pour les
conduire à ne plus voir le bâtiment tel qu'il est, mais à le voir à travers la
vie des détenus en prison - les visites de sa famille, sa vie avec les
surveillants... - mais aussi par rapport à leur sortie.
M. Gélard y insistait, nous pouvons réussir si le conseil d'orientation, comme
je l'ai appelé, nous aide à faire partager cette vue plus proche et plus
humaine de la construction.
Vous avez également parlé de l'enseignement, monsieur le sénateur. A cet
égard, 233 brevets de collèges, 257 CAP ou BEP, une centaine de baccalauréats,
50 diplômes d'enseignement supérieur, c'est mieux, mais c'est peu.
Je me souviens du GENEPI, de ces merveilleuses manifestations où j'ai
rencontré certains d'entre vous. Je veux saluer ces personnels qui développent
la formation dans les centres de détention, les prisons et les maisons d'arrêt.
Leur enthousiasme est tel que je vous invite à les rencontrer. Si vous les
écoutez, ils vous retiendront une, deux ou trois journées, voire presque toutes
vos journées de sénateur ! Ils ont tant envie de travailler mieux sur les
méthodes pédagogiques, sur l'enseignement individualisé et sur la dignité par
la culture. Cette démarche est en cours, même si ce n'est jamais suffisant.
M. Cléach a parlé de gestion déléguée, en évoquant l'idée de confier au privé
la construction, la réhabilitation et la gestion.
La gestion déléguée est bien prévue dans les établissements en cours de
construction dans le cadre du « programme 4000 ». Elle le sera pour les autres
établissements qui ont fait l'objet également d'une décision.
Mais évitons toute confusion dans les mots et dans ce que l'on dit à
l'extérieur parce que le « programme 3000 », par exemple, a été financé non pas
par le privé, mais par l'Etat. C'est donc bien d'un programme public dont il
s'agit, même si la gestion est déléguée.
En revanche, s'agissant toujours de gestion déléguée, beaucoup reste à faire
en ce qui concerne les cantines. M. Badinter et d'autres orateurs ont beaucoup
insisté sur ce sujet.
La situation est très variable d'un établissement à l'autre. Il leur a été
donné comme consigne de prévoir des prix bas pour ce que l'on a appelé,
peut-être malencontreusement, le « panier du détenu ».
Cela ne suffit pas. A la direction générale de Strasbourg, sera lancée une
expérimentation qui consiste à passer un appel d'offres régional pour la
cantine. Si des sociétés sont intéressées, les prix devraient baisser, ce qui
permettra de distribuer plus et mieux.
Si les repas proposés sont bien acceptés, nous aurons réussi. De nombreux
rapports insistent sur le « refus de plateau » ; mais il n'est pas besoin d'un
rapport pour savoir qu'il est tentant de refuser des plateaux.
Il s'agit d'un vrai sujet d'étude, et je compte beaucoup sur l'expérience qui
sera menée à Strasbourg, d'autant que, à ce propos, on pointe l'inégalité
fondamentale entre les détenus, selon qu'ils ont de l'argent ou pas. Je crois
que ce problème devrait être résolu dans peu de temps.
Monsieur Badinter, chacun comprendra que je m'adresse en dernier à l'ancien
garde des sceaux que vous êtes.
Ce programme, même si nous ne sommes pas certains, ni vous ni moi, ni aucun de
ceux qui sont ici, qu'il soit suffisant, découle des travaux de la commission
d'enquête du Sénat et de l'aide de M. Fabius. Il vise non pas à emprisonner
plus, mais à donner un sens à la privation de liberté. J'espère que ces 40 000
à 45 000 nouvelles places répondront à nos voeux communs.
Grâce à vous, monsieur Badinter - je le disais il n'y a pas longtemps dans une
autre enceinte - étant plus jeune, je suis sortie un matin la tête plus haute,
car la peine de mort avait été abolie dans mon pays. C'est un formidable élan,
qui nous a tous alors profondément émus, au sens vrai du terme.
Moi, je souhaite qu'un jour vous sortiez à votre tour la tête plus haute parce
que nous aurons respecté les droits de l'homme et contribué à faire recouvrer
leur dignité à ceux qui sont dans les prisons. Ce n'est pas pour demain matin,
j'en suis parfaitement consciente, mais c'est notre engagement réciproque.
Vous avez décrit avec force ce qu'a été l'histoire. Il est exact
qu'aujourd'hui nous devons rénover ce qui peut l'être, détruire ce qui ne peut
pas être rénové et ne construire que lorsqu'on est certain que ce sera possible
dans de bonnes conditions. Tout cela sera accompli, je crois, car vous serez
tous présents, aussi bien au Sénat qu'à l'Assemblée nationale, pour porter ce
dossier.
Il est vrai que les QHS et les costumes ont disparu, que des téléphones et des
parloirs ont été mis en place. Mais les conditions d'incarcération restent
terribles. C'est pourquoi - je l'ai dit tout à l'heure - je souhaite que le
projet de loi pénitentiaire que je promets de déposer sur la table du conseil
des ministres en juillet 2001 - sinon, on réfléchira encore pendant des années
et on n'en sortira pas - soit d'abord et avant tout l'occasion d'affirmer que
le détenu est une personne. Certes, on a, souvent, collectivement souffert de
sa délinquance ; ses conditions de vie et d'environnement, ses « accidents de
vie » l'ont déstructuré au point de le conduire à l'acte délictueux. Il faut
donc lui rendre sa dignité.
Parmi les moyens à ma disposition dans l'immédiat, il y a effectivement, vous
avez raison, la libération conditionnelle. J'ai pris une telle décision la
semaine dernière pour une femme qui était condamnée à la réclusion à
perpétuité, parce que c'est une façon, je crois, de redonner de l'espoir et
parce qu'elle méritait de bénéficier de cette mesure.
M. Robert Badinter.
Très bien !
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
J'en ai déjà signé deux ; c'est insuffisant, mais je
pense que j'en signerai d'autres. Je serai attentive tous les jours aux
demandes qui seront faites, quitte d'ailleurs à les susciter, monsieur
Badinter, car certains détenus ont été totalement oubliés et ne font plus de
demande parce qu'ils n'ont pas toujours à l'extérieur une famille qui les
porte, parce qu'ils ne sont pas soutenus par une association ou parce qu'ils
n'ont plus d'avocat. Nous devons donc, avec l'administration pénitentiaire et
les juges de l'application des peines, régulièrement regarder si tel détenu
oublié au fond du couloir, dans la cellule X ou Y, ne réunit pas depuis
longtemps les conditions de la libération conditionnelle. C'est à nous de le
faire et je m'engage - j'allais dire je vous le promets - à utiliser cette
mesure, d'autant plus que cette société a une faculté d'oubli qui est
terrible.
L'un des détenus dits de longue peine que j'ai récemment rencontrés me disait
: « Madame, j'ai trente-sept ans et trente ans de réclusion devant moi. La
seule chose que je vous demande, c'est, plus que la rénovation des locaux, de
me donner de l'espoir. Ne me donnez pas de garanties, donnez-moi de l'espoir !
»
Comme je l'ai déclaré devant les avocats du barreau de Paris vendredi, si nous
parvenons, grâce aux mesures que je viens de décrire, mais aussi grâce à une
véritable étude sur le sens de la peine, à redonner de l'espoir à ces personnes
qui souffrent et à qui l'on demande de comprendre le sens de la peine, alors
qu'on ne le demande pas aux autres citoyens de ce pays, alors elles
retrouveront une forme de dignité. Ce n'est qu'une fois leur dignité recouvrée
qu'elles comprendront, avec nous, à nouveau le sens de leur peine, car on ne
peut pas vivre sans dignité. Nous aurons aussi une chance d'avoir avec eux un
vrai projet permettant une libération conditionnelle.
C'est ainsi que je vis les choses, monsieur Badinter.
Cela dit, je suis consciente que, d'ici à mon retour au Sénat pour la
présentation de ce projet de loi pénitentiaire dont je parlais, peu de progrès
auront été faits. Je souhaite néanmoins que l'espoir que nous aurons rendu à
beaucoup de détenus permette aux autres détenus de supporter mieux leurs
conditions de détention et à ceux qui sont dehors de comprendre enfin qu'une
société trouvera son équilibre non pas en enfermant ceux qui, à un moment
donné, ont été déviants, mais en combattant la déviance et en permettant à ceux
qui ont été déviants de retrouver la société et de vivre avec les autres une
vie qui vaut toujours la peine d'être vécue... dehors !
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe
communistre républicain et citoyen. MM. Cléach et Pelchat applaudissent
également.)
M. le président.
En application de l'article 83 du réglement, je constate que le débat est
clos.
Mes chers collègues, avant d'aborder le point suivant de l'ordre du jour, nous
allons interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures cinquante, est reprise à dix-huit
heures cinquante-cinq.