Séance du 06 juin 2000
ORIENTATION BUDGÉTAIRE
Débat sur une déclaration du Gouvernement
M. le président.
L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat,
d'orientation budgétaire.
La parole est à M. le ministre.
M. Laurent Fabius,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Monsieur le
président, messieurs les présidents de commission, monsieur le rapporteur
général, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis particulièrement heureux
d'être devant vous avec Mme la secrétaire d'Etat, Florence Parly. Je connais la
valeur du travail mené par la Haute Assemblée, en particulier dans le domaine
budgétaire et financier, dont nous allons parler.
Ce débat d'orientation budgétaire, que, dans l'horrible jargon qui nous est
familier, nous appelons le « DOB », devrait être l'un des temps intéressants de
notre vie parlementaire. Il répond en effet à une double volonté : la volonté
du Gouvernement d'exposer sa vision des finances publiques tout en écoutant les
parlementaires et la volonté des assemblées de placer le contrôle et
l'évaluation des dépenses au coeur de leurs préoccupations.
Nous sommes d'ailleurs à un moment tout à fait propice pour faire le point et
pour parler de l'avenir. Stratégie des finances publiques, stratégie
économique, sociale, voire industrielle, le Gouvernement veut conduire les
réformes que, grâce à la croissance et à la confiance du pays, il a maintenant
engagées depuis trois ans.
Je vous livrerai, dans un propos qui ne sera pas très long, quelques remarques
introductives. Vous ne m'en voudrez pas, je l'espère, si je laisse de côté
toute une série de débats intéressants - mais, si vous les abordez, je
répondrai à vos questions dans la nuit - pour donner plutôt des coups de
projecteur - avec une part d'arbitraire que je vous prie par avance de bien
vouloir excuser - sur quelques points qui me paraissent particulièrement
intéressants.
Je commencerai, une fois n'est pas coutume - mais, après tout, c'est un
plaisir que nous pouvons tous savourer ensemble sans céder à
l'autosatisfaction, qui n'est jamais bonne conseillère - par présenter un
certain nombre de nouvelles que je considère comme bonnes.
Depuis déjà un certain nombre d'années, collectivement, nous avions perdu
l'habitude et même le goût de la croissance, quand ce n'en était pas l'espoir.
Le contrecoup de deux chocs pétroliers et de périodes de reprise
malheureusement avortées, le poids de ce que j'appellerai des années grises que
chaque famille a porté, l'idée même selon laquelle notre économie devait
s'accoutumer à un chômage fort et à une croissance faible, tout cela nous avait
installés dans un état de crise, dans une culture de crise. Or, reconnaissons
que, depuis un certain nombre de mois, la donne s'est modifiée et que nous
enregistrons de bonnes nouvelles, d'ailleurs de moins en moins espacées dans le
temps. Il faut examiner ces résultats avec prudence et modestie, mais il est
honnête de les examiner.
La première bonne nouvelle a trait au caractère robuste de la croissance. La
France connaît une séquence économique forte, en réalité la plus longue depuis
vingt-cinq ans, comme les chiffres l'attestent. Depuis 1998, le produit
intérieur brut a augmenté de 3,1 % en 1998 et de 2,9 % en 1999. La prévision
est de 3,6 % pour 2000 et de l'ordre de 3 % pour 2001, tout en maîtrisant
pleinement l'inflation. Avec régularité donc, nous rattrapons ce que les
économistes appellent le retard de croissance que nous avions connu au début et
au milieu des années quatre-vingt-dix.
Je dirai, pour être parfaitement précis, que les dernières estimations sont un
peu moins optimistes pour le premier trimestre : la croissance connaîtrait un
léger tassement. Il y aurait deux causes à cette évolution : les tempêtes de la
fin de l'année dernière et le « bogue » de l'an 2000, qui ne s'est pas produit
mais qui, paradoxalement, a conduit les entreprises à reporter un certain
nombre d'opérations de la fin de 1999 au début de l'année 2000.
Personnellement - je peux bien sûr, comme chacune et chacun d'entre nous, me
tromper - je crois que l'accélération de l'activité dans les mois à venir sera
au rendez-vous. Ce qu'on appelle l'acquis de croissance atteint d'ores et déjà
un niveau de 2 %, ce qui garantit un point d'ancrage assez élevé pour
l'ensemble de l'année 2000. De plus - j'en bavardais encore hier avec mes
homologues européens -, c'est l'Europe entière qui est en passe de réaliser
l'objectif d'une croissance de 3 %. Sachons donc garder le sens des
proportions. Par rapport à la période 1994-1996, qui n'est pas si lointaine,
notre taux de croissance a plus que doublé. La légère déception statistique du
premier trimestre, même si elle nous rappelle à une nécessaire modestie, me
paraît sans très grande signification.
La deuxième bonne nouvelle, peut-être plus importante, concerne le dynamisme
de l'investissement des entreprises, en particulier le dynamisme de
l'investissement industriel. La reprise de l'investissement s'opère autour d'un
rythme supérieur à 7 % en moyenne depuis 1998. L'investissement industriel,
nous indiquent les études de l'INSEE, pourrait même progresser de 12 % cette
année, soit plus du double de l'an passé, de 14 % dans le secteur manufacturier
et de 26 % dans le secteur automobile. Or, nous savons tous qu'il n'y a pas de
puissance économique durable sans un élément industriel très solide et un
encouragement manifeste à l'investissement.
Dans ce contexte porteur, les entreprises ne se contentent pas de moderniser
ou de renouveler leur appareil de production, mais une grande partie d'entre
elles accroissent leurs capacités de production, donc se mettent en situation
d'embaucher aujourd'hui ou demain. Nous commençons donc à compenser la
situation antérieure, qui avait vu - c'était très inquiétant - l'investissement
fortement décroître. C'est une sorte de nouveau théorème que nous voyons à
l'oeuvre : les investissements d'aujourd'hui font les innovations de demain et
les emplois d'après-demain.
La troisième bonne nouvelle est le caractère toujours soutenu, depuis trois
ans, de la consommation des ménages, moteur puissant de l'activité : cette
consommation a augmenté de près de 1 % au dernier trimestre, et la progression
pourrait atteindre 2,7 % pour 2000. Le pouvoir d'achat s'est corrélativement
amélioré, progressant de 7,8 % entre 1998 et 2000.
La quatrième bonne nouvelle - mais ce n'est pas vraiment une nouveauté, même
si c'est renouvelé - réside dans l'excellente santé de notre balance
commerciale. Avant les années 1996 et 1997, cet excédent était inférieur ou
égal à 50 milliards de francs par an, ce qui n'était déjà pas mal, et il
dépasse aujourd'hui régulièrement les 100 milliards de francs par an, ce qui
est très positif.
Mais, à la vérité, toutes ces bonnes nouvelles s'effacent devant leur
résultante, qui est la meilleure nouvelle : le retour vers plus d'emploi - on
dit même le plein emploi - et la confiance. La semaine dernière, pour la
première fois depuis près de dix ans, la France a renoué avec un taux de
chômage à un seul chiffre avant la virgule : 9,8 % contre 12,6 % en 1997, soit
plus de 750 000 chômeurs de moins.
Au-delà du symbole, la croissance française, à taux identique, crée
actuellement deux foix plus d'emplois qu'il y a trois ans ; la baisse du
chômage bénéficie désormais à toutes les catégories de demandeurs d'emplois, en
particulier aux chômeurs de longue durée et aux jeunes. Cela ne signifie
évidemment pas, loin de là, la disparition de tous les problèmes dans ce
domaine : nous avons une population encore très nombreuse de personnes peu ou
mal formées, nous connaissons des pénuries de personnel dans un certain nombre
de secteurs, ce qui doit nous inviter à compléter notre action. Cependant, un
chômage à un chiffre, s'il ne signifie sans doute pas grand-chose pour ceux,
encore trop nombreux, qui sont exclus du marché du travail, permet d'espérer
que, après avoir remporté la victoire contre l'inflation voilà une vingtaine
d'années, nous allons être capables, les uns et les autres, tous ensemble, je
l'espère, de gagner la bataille de l'emploi. En trente-six mois, un million
d'emplois ont été créés. Chaque emploi, c'est de la croissance pour le pays, de
la confiance pour les familles. Tout indique que nous allons briser le mur des
deux millions de chômeurs.
J'en viens à la deuxième série d'observations que je souhaite vous proposer.
On nous dit parfois : « La croissance, au fond, vous n'y êtes pas pour
grand-chose », comme si elle était la progéniture automatique de Kondratieff et
de Microsoft ! Les choses sont en réalité un peu plus complexes, me
semble-t-il. Sur la période 1998-2001, la France devrait profiter d'une
croissance de 12,7 %, contre 8,4 % pour l'Italie, 8,9 % pour l'Allemagne et 9,3
% pour la Grande-Bretagne. Nos résultats sont liés, reconnaissons-le, à un
contexte international favorable. Je ne vois pas pourquoi nous en prendrions
ombrage ! Ils se conjuguent avec la révolution technologique, avec le dynamisme
des entreprises qui se battent pour gagner des parts de marché et créer de
l'emploi. Ils sont aussi - reconnaissons-le également - le fait d'une
politique, qui a su opérer en temps utile les bons choix et - c'est peut-être
plus important encore - éviter les grandes erreurs. Toute croissance est
sensible au pilotage chargé de l'orienter et de la consolider. Croissance ou
récession : selon les choix qu'opèrent les gouvernements, les résultats ne sont
pas les mêmes. D'ailleurs, s'il n'en était pas ainsi, la politique et votre
mandat n'auraient pas de sens ! Plus d'emplois et moins d'impôts : tels
pourraient être résumés certains axes, et même la stratégie de la politique
économique et sociale que nous poursuivons ; à quoi j'ajouterai, pour compléter
la perspective, plus de dynamisme et moins d'injustices, tant l'économique et
le social sont liés, c'est-à-dire la croissance, la justice et la confiance.
Ces premiers acquis - c'est ma troisième série d'observations - devraient nous
permettre de viser trois objectifs : réduire les déficits et la charge de la
dette, assurer le financement de nos priorités, alléger les impôts pour
conforter l'activité et l'emploi.
La clef de voûte de notre politique au service de la croissance réside
largement dans l'évolution maîtrisée de la dépense publique. Le Gouvernement,
vous le savez, préparera le budget de 2001 avec un objectif de progression de
0,3 % des dépenses en volume, soit une progression nominale de 1,2 %. Mme Parly
et moi-même avons d'ailleurs fait parvenir aux membres de la commission des
finances les lettres de cadrage que le Premier ministre envoie aux ministres.
Il n'y a en effet pas de raison que les parlementaires n'en disposent pas. Il
en ira de même dans le futur.
Depuis 1998 - c'est un point sur lequel il faut être attentif parce que, s'il
est compris, il n'est peut-être pas toujours retenu à sa juste valeur - nous
soumettons la dépense publique à une logique pluriannuelle stabilisatrice qui -
c'est là le point important - indépendamment de la conjoncture, cherche à
donner une cohérence de long terme à nos budgets sans préjuger les choix faits
chaque année dans le cadre des lois de finances. Si la conjoncture se révèle
meilleure que prévu, cela doit permettre d'aller plus loin dans la réduction
des impôts ou dans l'allégement du déficit et de l'endettement. C'est ce qui se
produit en ce moment, d'autant plus que les « retours » sur croissance allègent
les charges publiques aussi bien pour le budget de l'Etat que pour celui de la
protection sociale. Un mécanisme légitime serait d'ailleurs, à notre sens, que
l'Etat, qui a été pendant longtemps, lors des périodes de vaches maigres, le
réassureur en dernier ressort de la sécurité sociale et de l'UNEDIC, l'Union
nationale interprofessionnelle pour l'emploi dans l'industrie et le commerce,
ce qui était tout à fait normal, ne soit pas oublié de ces organismes
lorsqu'ils connaissent de nouveau des périodes plus favorables.
Trop longtemps, la charge de la dette, cet impôt masqué et reporté, a dévoré
une part croissante des recettes fiscales de l'Etat. Nous avions alors ce
cercle, qui n'a d'aileurs pas entièrement disparu : le déficit creusait la
dette et la dette augmentait le déficit. Mais reconnaissons - les chiffres sont
là pour l'attester - que les déficits publics ont été divisés par deux depuis
1997. La réduction du besoin de financement des administrations publiques est
confirmée, avec moins 3,5 % en 1997, moins 1,5 % en 2000, et l'objectif de
baisse est maintenu pour les années qui viennent.
Quant au déficit budgétaire, il est passé de 267 milliards de francs en 1997 à
227 milliards de francs en 1998 et à 206 milliards de francs en 1999. Les
prévisions confirment sa réduction pour les années à venir : pour 2000, nous
espérons un montant d'environ 200 milliards de francs et, pour 2001, de 195
milliards de francs et même peut-être moins. Hors dépenses exceptionnelles,
l'ensemble des dépenses de l'Etat sera stabilisé en volume en 2000,
conformément à l'objectif de la loi de finances initiale.
Les chiffres que je cite pour cette année sont d'ailleurs conformes - c'est
très important - au niveau du solde protecteur estimé par la Commission
européenne, c'est-à-dire le niveau qu'il faut atteindre pour que, même en cas
de retournement de la conjoncture - on peut toujours l'envisager - nos finances
publiques ne se détériorent pas d'une façon inadmissible.
Si le déficit est acceptable et, à vrai dire, impossible à empêcher en période
de difficultés économiques où il incombe à l'Etat d'enclencher la relance, un
déficit trop élevé est préjudiciable en période d'expansion où l'Etat doit
réduire ses dettes et transmettre aux générations futures des comptes sûrs
plutôt que des factures.
La situation des comptes de la France - nous en discuterons, bien sûr - est en
train de s'améliorer.
Dans cet esprit, je vous confirme que l'éventuel surplus de recettes que nous
connaîtrons pour 2000 sera affecté à la réduction du déficit de l'Etat.
Je vous confirme également ce que je viens d'annoncer à vos collègues de
l'Assemblée nationale, à savoir que le produit des licences dites de mobiles de
troisième génération sera, pour l'essentiel, attribué au fonds de réserve des
retraites, afin de diminuer l'endettement global du pays ; en aucun cas, il ne
sera utilisé pour les dépenses courantes du budget.
Cette double nécessité de maîtriser les dépenses et de réduire la dette doit
être rendue compatible avec le financement de nos priorités. Il faut à la fois
assainir et agir.
Priorité sera donc donnée en 2001 à la lutte contre le chômage, en poursuivant
les dispositifs d'incitation à la réduction du temps de travail, en soutenant
la création d'entreprises et l'innovation.
Priorité sera donnée, comme l'a indiqué M. le Premier ministre, à l'éducation
et à la formation, premier poste budgétaire mais aussi condition essentielle de
la croissance dans un monde où le savoir est la plus précieuse des richesses :
je le dis souvent, l'éducation, en particulier l'éducation continue, est la «
sécurité sociale » du xxie siècle.
Priorité sera donnée au renforcement de la sécurité et à la modernisation de
la justice, qu'exigent les personnes les plus modestes, souvent premières
victimes des délits, des crimes et de la délinquance.
Priorité, enfin, sera donnée à l'environnement et à l'amélioration du cadre de
vie, à la mise en place de sécurités sanitaires et alimentaires, au choix du
développement durable.
Dans ce contexte, réduire les impôts d'aujourd'hui et, à travers la réduction
de la dette, de demain, constitue un élément non pas simplement d'une stratégie
fiscale, comme on le dit souvent, mais d'une stratégie sociale.
Telle est notre ambition pour favoriser l'emploi - ce qui est la première des
justices - et soutenir le dynamisme de l'économie. En effet, baisser les impôts
et les prélèvements obligatoires, à condition de le faire avec discernement,
c'est aussi réduire les inégalités, qui s'étaient malheureusement creusées.
Le gouvernement de Lionel Jospin a engagé, entre 1997 et 1999, une réduction
des prélèvements indirects par des baisses ciblées de TVA qui ont rendu à
l'activité 29 milliards de francs.
Mais il fallait, à notre avis aller plus loin. Pour accompagner la croissance
retrouvée, le Gouvernement a donc choisi de réduire d'un point le taux normal
de TVA. Cette baisse se traduira, dès cette année, à travers le collectif 2000
que vous présentera Mme Parly, par un allégement d'impôt de 18 milliards de
francs en 2000 et de plus de 30 milliards de francs à partir de 2001.
Depuis juin 1997, l'action menée par cette équipe gouvernementale a donc rendu
aux consommateurs 60 milliards de francs en année pleine au titre de la TVA et
effacé des hausses qui avaient eu une conséquence économique - et pas seulement
sociale - assez désastreuse dans le passé : en 1995, la hausse de deux points
de la TVA avait amputé le budget des ménages de 57 milliards de francs, ce qui
avait eu une conséquence extrêmement négative sur l'activité économique.
Au total, avec la diminution des deux premières tranches du barème de l'impôt
sur le revenu et la disparition - compensée - de la part régionale de la taxe
d'habitation, la pression fiscale devrait être réduite de 80 milliards de
francs en 2000, soit environ un point de produit intérieur brut, s'ajoutant aux
mesures que vous avez déjà adoptées, c'est-à-dire à la réforme de la taxe
professionnelle, à l'allégement des charges dans le cadre de la réduction
négociée du temps de travail, à la suppression de la taxe de droit au bail et à
la réforme des droits d'enregistrement.
Dans le passé, vous le savez, j'ai souvent insisté sur le fait que nous
devions, sur ce terrain, aller encore plus loin et, comme l'a indiqué le
Premier ministre, confirmer la baisse des prélèvements directs. Ces réductions
devront contribuer à l'augmentation des revenus d'activité, afin d'encourager
la formation professionnelle, l'initiative individuelle et l'investissement des
salariés dans le travail et d'éviter ce que l'on appelle les « pièges à
inactivité », qui sont l'un des maux dont nous souffrons.
A ce stade de mon propos, je voudrais relever que cette stratégie des finances
publiques n'est peut-être pas encore totalement comprise - j'y ai fait allusion
d'un mot tout à l'heure - ou, si elle l'est, qu'elle n'inspire pas encore
suffisamment certaines propositions, d'ailleurs souvent de sens contraire, qui
sont formulées ici ou là. Je suis d'ailleurs frappé par le fait que certains -
souvent au nom de la solidarité - recommandent, dès lors que la croissance est
là, d'augmenter massivement les dépenses publiques. Le problème, c'est que, à
partir d'une approche que je reconnais être généreuse, ce serait
vraisemblablement une politique vouée à l'échec, non seulement parce qu'elle
creuserait le déficit - mécaniquement - et nous obligerait à tailler
ultérieurement davantage dans les crédits à un moment où la conjoncture serait
moins favorable, mais aussi parce que cette politique, je le dis en passant,
serait contraire à la coordination européenne que nous avons nous-mêmes
réclamée, et surtout - et je demande que l'on considère cet argument - parce
que cette dépense supplémentaire faite au nom de la solidarité porterait
atteinte à la solidarité vis-à-vis des années futures, sur lesquelles
reposerait alors la totalité du prix de notre éventuel laisser-aller.
(M. le
président de la commission des finances applaudit, ainsi que plusieurs
sénateurs sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Vous avez vu qui vous applaudit, monsieur le ministre ?
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes
économiques de la nation.
Eh oui, j'approuve !
M. Roland du Luart.
C'est courageux !
M. Jean Delaneau.
On a le droit d'applaudir !
M. Laurent Fabius,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Je ne vous visais
pas, madame Beaudeau !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Mais vous êtes applaudi par la droite, monsieur le ministre !
M. Marcel Debarge.
Nous applaudissons aussi !
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Laurent Fabius,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Et je vais
peut-être, dans un instant, me faire applaudir par d'autres !
D'aucuns réclament, au contraire, une baisse encore plus forte du déficit, ou
une baisse encore plus marquée des impôts, sans insister ni sur les
contradictions internes de leurs demandes ni sur les conséquences
qu'entraîneraient ces évolutions sur des dépenses - civiles ou militaires -
qu'ils jugent pourtant incompressibles, voire qu'ils réclament d'augmenter.
M. Philippe Marini,
rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et
des comptes économiques de la nation.
Applaudissez, madame Beaudeau !
(Sourires.)
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Oui, j'applaudis !
(Nouveaux sourires.)
M. Laurent Fabius,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Vous avez bien
compris !
(Nouveaux sourires.)
J'ajouterai, si je le puis, un degré dans le raisonnement : il est et il
demeurera nécessaire que nous maîtrisions nos dépenses publiques, qu'il
s'agisse des dépenses budgétaires ou des dépenses sociales, cela n'est pas
contesté. N'oublions pas que c'est dans la mesure où le rythme de ces dépenses
progresse moins vite que le taux de croissance de notre économie que nous
pouvons, grâce à ce décalage et tout en finançant nos priorités et les services
publics, réduire les déficits et réduire les impôts !
Si notre taux de croissance venait dans le futur à ralentir - ce qu'à Dieu ne
plaise ! - sans que le rythme de nos dépenses soit maîtrisé, alors l'un de nos
objectifs s'éloignerait mécaniquement : nous sacrifierions soit la réduction du
déficit, soit la baisse des impôts, soit les deux. Or les deux sont
indispensables, en même temps qu'une bonne couverture du service public.
Il nous faut donc rechercher une forte croissance avec une maîtrise réelle des
dépenses publiques et, si la croissance fléchit, une maîtrise encore plus
affirmée pour maintenir les marges d'action indispensables.
En entendant certains commentaires, je ne suis pas sûr qu'on intègre toujours
cette logique de sérieux budgétaire. Cela implique - c'est pourquoi je me suis
permis ce développement, et j'espère que je ne vous ai pas heurtés - que l'on
soit parfaitement au clair sur la démarche intellectuelle et politique qui
sous-tend ces choix que je viens d'exposer.
Cette présentation des grands axes de la politique budgétaire du Gouvernement
serait évidemment incomplète si nous ne portions notre attention au moins sur
deux volets, la transparence et l'euro, qui ne sont pas sans lien entre eux et
qui vont contribuer, dans les années à venir, à une définition plus exigeante
et plus complète de notre stratégie des finances publiques et de ses moyens
d'application.
La transparence, mesdames, messieurs les sénateurs, c'est tout simplement une
exigence démocratique. L'Etat demande aux particuliers - ce qui est tout à fait
légitime - de faire connaître avec sincérité revenus et patrimoine, aux
entreprises chiffre d'affaires et bilan. Au nom de quelle dérogation
s'exonérerait-il lui-même des principes et des règles qu'il a fixés pour les
autres ?
M. Roland du Luart.
C'est tout à fait vrai !
M. Laurent Fabius,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Le choix d'une
plus grande transparence correspond aussi - on l'oublie souvent - à un
impératif économique. Dans une économie mondialisée, l'opacité - on en connaît
quelques exemples - aggrave les crises. Dans un contexte de croissance durable,
la transparence représente un atout pour attirer les entreprises, les
technologies, les compétences.
Favoriser l'efficacité et une clarté accrue de la dépense publique, dont le
volume représente en France un aspect très important du produit intérieur brut,
renvoie aussi à la nécessité plus large de réformer l'Etat. J'ai souvent eu
l'occasion d'exprimer ma conviction : l'Etat moderne ne peut obtenir la
confiance et le respect de ses interlocuteurs s'il ne rend pas des comptes
détaillés sur son administration. Vous le faites dans vos communes, dans vos
départements - tout au moins je l'espère - et il doit en être de même au niveau
de l'Etat.
C'est la raison pour laquelle je plaide en faveur d'un Etat qui ne fasse pas
mystère de ses comptes. La formule a beaucoup servi, il faut parler vrai, et
j'ajouterai pour ma part compter juste et gérer clair ! Ce sont des points
cardinaux de ce que j'appelle une bonne pratique de l'Etat.
Je n'oublie pas, en même temps, que ce n'est pas sur un réseau de villes ou
sur un système marchand que s'est construite la France, mais, à bien des égards
- nous le savons - sur la notion d'Etat. Là sont notre culture et notre
histoire et je sais qu'en matière d'amélioration de la transparence et de
signification des comptes publics, nous avons déjà accompli des avancées, mais
je crois qu'il faut aujourd'hui aller plus loin en termes d'information et de
contrôle.
A cet égard, monsieur le président, vous qui êtes très attentif à ces choses,
permettez-moi de souligner l'essentiel des mesures que Mme Parly et moi-même
avons retenues pour les temps qui viennent.
Examen et évaluation par la commission des comptes économiques de la nation, à
la rentrée de septembre, des prévisions de recettes fiscales du budget ; charte
de budgétisation pour mieux effectuer les comparaisons d'un budget à l'autre ;
communication aux commissaires des finances des lettres de cadrage du Premier
ministre ; présentation à ces mêmes commissaires du programme pluriannuel des
finances publiques transmis à Bruxelles ; résumé des objectifs, des coûts et
des résultats attendus pour chaque ministère et compte rendu de gestion ;
informations rendues plus claires - c'est nécessaire - aux contribuables sur
l'utilisation de l'impôt qu'ils payent ; communication tous les quinze jours
aux présidents et rapporteurs des commissions des finances de la situation des
finances publiques ; révision ouverte, à votre diligence, de l'ordonnance du 2
janvier 1959, tels sont quelques aspects de notre feuille de route pour assurer
la maîtrise globale de la dépense publique, mettre à la disposition des
parlementaires et de l'opinion une information plus riche et plus simple,
apprécier l'efficacité des politiques et mesurer la performance des
administrations chargées de les mettre en oeuvre.
Pour autant, il me paraît essentiel - et ce point doit être souligné car il ne
s'agit pas entre nous de faire preuve de démagogie - de laisser au ministère
des finances et au Gouvernement l'espace indispensable de réflexion et de
délibération, le droit à l'hypothèse, à la prévision, à la correction,...
M. Paul Loridant.
... à l'erreur...
(Sourires.)
M. Laurent Fabius,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
... sans lequel
il n'est pas de politique possible. La liberté d'appréciation et d'arbitrage du
ministre, puis du Premier ministre, sont des principes indispensables au bon
fonctionnement de nos institutions.
Evitons le risque de voir se constituer tacitement deux circuits
d'information, l'un officiel mais apuré, l'autre officieux mais complet, et, au
final, d'obtenir plus d'obscurité quand on exigeait plus de lumière. Bref - et
vous en serez certainement d'accord - le besoin légitime de transparence ne
doit pas conduire à tout confondre ou à nier la réalité du pouvoir exécutif.
Une dernière donnée que je veux souligner, parce qu'elle va changer notre
regard sur beaucoup de choses, c'est la réalité de l'euro. Il est à lui seul
une révolution profonde et, des lois de finances aux débats budgétaires, il
faudra dans l'avenir que nos discussions se déroulent en euros - ce qui n'est
pas bien difficile - mais aussi par rapport aux autres pays de l'euro, ce qui
est plus important.
Au-delà des aléas des marchés des changes, je veux souligner que l'euro est
une monnaie déjà solide, dont l'utilité doit se mesurer à la seule évocation de
ce que chacune des récentes crises financières - asiatique, russe,
sud-américaine - aurait naguère déclenché s'il n'avait pas été là : divergences
monétaires entre les Etats européens, ajustements brutaux, sans doute
dévaluations entre les pays membres, et donc augmentation massive des taux
d'intérêt, qui aurait freiné la croissance.
L'utilité récente de l'euro n'est donc pas à démontrer, pas plus, je le crois
- même s'il reste des progrès à faire - que sa puissance future ; les «
eurofondamentaux », comme on dit, sont bons, et les perspectives de croissance
de l'Euro 11 - qui sera bientôt Euro 12 avec l'entrée de la Grèce dans le
système - sont favorables.
La présidence française de l'Union européenne, qui s'ouvrira dans quelques
semaines, fera des propositions pour renforcer la coordination de nos
politiques économiques et, par conséquent, l'efficacité de la nôtre. Un euro
solide et des taux d'intérêt modérés, accompagnés de bonnes pratiques
budgétaires et économiques dans chacun des Etats, telle est la vision que nous
devons avoir de la monnaie unique. Il ne s'agit pas de pratiquer une politique
uniforme, mais de réaliser une certaine convergence des politiques économiques
des uns et des autres.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la croissance est
sans doute une récompense, mais elle est surtout une invitation. C'est la
récompense des choix qui ont été faits depuis maintenant trois ans, qui l'ont
accompagnée, orientée et, je le crois, fortifiée.
Nos concitoyens, pour la première fois depuis longtemps, commencent à
considérer que, pour eux-mêmes et pour leurs enfants, demain pourra sans doute
être meilleur qu'aujourd'hui. C'est un changement majeur de perspective.
De partout nous sentons une invitation monter pour convertir sans cesse
davantage la croissance en plus de solidarité et en plus de réformes. C'est ce
que, parodiant une formule célèbre, nous devons nous attacher à faire : des
réformes, encore des réformes, toujours des réformes, à condition que ce soient
des réformes, vers la solidarité et l'efficacité. C'est, je crois, ce
qu'attendent les Français. C'est ce que devraient permettre les choix
économiques, budgétaires et sociaux du Gouvernement pour les temps qui
viennent.
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du
groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du
RDSE et de l'Union centriste.)
(M. Jean Faure remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la
présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. JEAN FAURE
vice-président
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini,
rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et
des comptes économiques de la nation.
Monsieur le président, monsieur le
ministre, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, l'année dernière,
je terminais mon intervention dans le débat d'orientation budgétaire en citant
le président de l'Assemblée nationale d'alors, qui disait d'excellentes choses
en matière de baisse des prélèvements obligatoires et de réduction des dépenses
publiques.
(Sourires.)
Je veux commencer, cette fois-ci, en saluant comme elle le mérite la
déclaration de politique générale qui vient de nous être faite et en
approuvant, bien entendu, les intentions, elles aussi générales, qui ont été
exprimées.
Permettez-moi cependant, monsieur le ministre, en m'inspirant d'une actualité
immédiate, de revenir en quelques mots, dans cette introduction, sur la
transparence, qui est l'un des maîtres mots que vous avez invoqués voilà
quelques instants.
Chacun sait, pour lire la presse, que le grand débat de ces jours-ci est de
savoir comment et pour quel prix certaines licences téléphoniques vont être
cédées à des opérateurs. Sera-ce au terme d'un processus d'enchères, ou d'un
processus de nature différente ? De combien s'agira-t-il, par rapport aux 200
ou 215 milliards de francs du déficit budgétaire dont nous allons parler au
titre du collectif ? Sans doute s'agira-t-il de montants très significatifs.
Où parle-t-on de ces sujets ? Je me permets, monsieur le ministre, de vous
poser cette question, à vous qui, naguère, nous disiez que les droits du
Parlement devaient être revalorisés ? En parle-t-on au Parlement ?
M. Laurent Fabius,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Oui !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Peut-être allons-nous en parler, et nous serons alors
heureux de vous entendre, parce que, jusqu'ici, c'est en interrogeant les
journalistes que nous avons pu nous informer et non pas en interrogeant vos
services ou les membres du Gouvernement.
Nous demanderez-vous d'apporter des modifications à la législation existante
?
Nous exprimerez-vous les enjeux de politique industrielle, les enjeux
stratégiques, financiers, budgétaires de la téléphonie de nouvelle génération
?
Nous direz-vous si les versements sollicités des opérateurs sont assimilables
à une contribution, en d'autres termes à une taxe nécessitant l'accord
préalable du Parlement ?
Nous direz-vous si, selon votre analyse, il s'agit pour ces 100 ou 200
milliards de francs d'une redevance, ce qui suppose une certaine règle de
proportionnalité par rapport à l'utilité économique que l'on est susceptible de
tirer de l'utilisation du domaine public ?
Nous direz-vous si vous avez l'intention de nous demander des adaptations
fiscales ? Etc.
Monsieur le ministre, j'ai entendu avec grand plaisir vos propos sur la
transparence. J'espère simplement que vous allez nous en donner un premier
exemple à propos de cette affaire si importante, afin que nous ne nous
retrouvions pas, d'ici à quelques mois, lors de la discussion du projet de loi
de finances pour 2001, dans l'obligation de voter en régularisation de
décisions déjà prises un certain nombre de dispositions réputées techniques.
Vous avez dit aussi - transparence toujours ! - que cette somme très
importante serait affectée au fonds de réserve pour les retraites. On ne peut
naturellement que s'en réjouir puisqu'une affectation de cette nature équivaut,
en réalité, à une réduction du déficit public.
Mais nous direz-vous qui va gérer le fonds de réserve, selon quels horizons de
gestion, en arbitrant quelles catégories de produits financiers ? Quelle
relation établirez-vous entre l'Etat et les professionnels qui assureront ces
gestions de capitaux ? Tous sujets qui jusqu'ici, mes chers collègues, me
semblent être restés quelque peu dans le flou.
Nous avons au cours de cet après-midi, de cette soirée, de la journée de
demain et de celle d'après-demain, une série de rendez-vous financiers. Ils ont
le très grand mérite de nous faire parcourir une période qui va de 1998 à
2003.
Par le hasard des choses et de la mécanique parlementaire, nous allons, à la
vérité, procéder à rebours de ce qu'il faudrait faire logiquement. Il faudrait,
en effet, commencer par examiner la loi de règlement de 1998, premier exercice
plein sous la gestion du Gouvernement de M. Jospin, aborder ensuite le
collectif budgétaire pour 2000, à savoir l'adaptation de la loi de finances
initiale aux résultats de gestion de 1999 et aux heureuses surprises - mais
étaient-ce des surprises ? - en matière de recettes budgétaires, et, enfin,
tracer une perspective plus longue et aborder l'avenir, c'est-à-dire la manière
dont nous nous situons dans le programme pluriannuel des finances publiques
2001-2003.
Je le répète, nous allons, mes chers collègues, faire cet exercice à rebours.
Mais l'important est de bien se situer dans une cohérence d'ensemble.
Cette cohérence, nous nous sommes efforcés de l'exprimer en intitulant le
rapport de la commission
Rapport sur le débat d'orientation budgétaire,
avec en sous-titre : « Comment être crédible en Europe ? » Car tel nous
semble bien être, à nous, commissaires des finances, l'enjeu essentiel.
Et, du moins sur cet enjeu, celui de la présidence française de l'Union
européenne, celui de la compétitivité de notre pays, sinon sur les moyens d'y
parvenir, je pense que nous pouvons nous situer de la même manière, monsieur le
ministre.
Mais lorsque nous approfondissons les choses et que nous regardons la réalité
de l'économie française en Europe, nos chemins divergent.
L'approche de la commission des finances se fonde sur des études que nous
commandons, comme nous avons l'habitude de le faire, à des économistes. Nous
l'avons fait, cette année, sur l'initiative du président Alain Lambert, auprès
de deux organismes, l'Observatoire français des conjonctures économiques et le
Centre d'observation économique.
L'un comme l'autre ont appelé notre attention sur le fait que la politique
conduite dans une période de conjoncture favorable et de belle croissance est
très probablement une politique exagérément procyclique, trop favorable à une
demande déjà vigoureuse, alors même que la politique économique qui serait en
mesure de prémunir notre pays des risques d'un retournement pourrait être,
devrait être, selon les avis qui nous sont donnés et selon nos analyses, une
politique davantage centrée sur l'offre et permettant d'assainir davantage et
plus vite les finances publiques.
Partons en effet, mes chers collègues, de l'appréciation du cadre
macro-économique. Nous ne saurions contester les chiffres de la belle
croissance. Nous nous en réjouissons, comme le ministre l'a fait voilà quelques
instants.
Nous nous interrogeons, bien entendu, sur ce qui nous attend dans les
prochaines années et au terme de la perspective triennale qui a été tracée.
Nous savons bien que des aléas existent, qui sont de différentes natures : le
risque américain, le risque européen, le risque lié à notre propre politique
des finances publiques, le risque, surtout, lié à l'aggravation des rigidités
structurelles.
Nous pensons, du moins pour ce qui est de la majorité de la commission des
finances, que la réduction de la durée du travail, que l'absence de
perspectives claires en matière de réforme des retraites, de réforme de l'Etat,
font peser de réels risques sur notre économie, compte tenu de la part
excessive de la sphère publique dans le produit intérieur brut.
Nous pensons aussi que l'environnement international peut nous réserver des
surprises, que l'évolution de la croissance ou le rythme d'atterrissage, un
jour, de l'économie américaine représentent des points d'interrogation tout à
fait sérieux à moyen terme.
Nous pensons également que la résurgence de l'inflation peut se produire sur
le territoire européen et qu'elle peut conduire les autorités monétaires du
système européen de Banque centrale à prendre, un jour, des décisions
susceptibles d'avoir des effets récessifs sur l'activité.
Bref, si, aujourd'hui, tout paraît en quelque sorte anesthésié par la belle
croissance, il est certain que l'on doit se préparer à l'évolution de la
conjoncture et que les cycles de l'économie, un jour, se retournent.
Pour tenir compte de telles préoccupations, la commission des finances estime
que deux priorités doivent être conjuguées avec beaucoup plus de force que vous
ne le faites, monsieur le ministre : en premier lieu, la baisse des
prélèvements obligatoires en second lieu, la maîtrise des dépenses
publiques.
Vous le savez, en 1999, plus de 70 % de l'augmentation de la richesse
nationale a été en quelque sorte confisquée par les prélèvements obligatoires.
Vous savez aussi que l'heureuse conjoncture, qui, en apparence, est celle de
nos finances publiques, provient dans une très large mesure des surcroîts de
recettes intervenus en 1999 et à venir en l'an 2000. De ce point de vue, en
effet, monsieur le ministre, il y a bien des progrès à faire vers la
transparence !
M. Roland du Luart.
Oh oui !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Je ne saurais, naturellement, dévoiler les travaux
qui sont actuellement menés par la commission des finances en tant que
commission d'enquête, s'agissant des conditions de préparation et d'exécution
des dernières lois de finances.
Je peux cependant, puisqu'il s'agit de documents publics, me référer à ce qui
a été dit de manière tout à fait indépendante par la Cour des comptes : selon
elle, les méthodes utilisées pour clore un exercice budgétaire n'ont pas le
caractère de pérennité et de certitude que devraient avoir des méthodes
comptables. Elle estime qu'en quelque sorte l'Etat clôt ses comptes selon la
commodité du moment et que des reports de recettes ont été faits, de 1999 à
2000, à des niveaux bien supérieurs à ce qui a été avoué, d'ailleurs très
tardivement : 9 milliards de francs de recettes fiscales et, en ce qui concerne
les recettes non fiscales - ces éléments d'ajustement si commodes, monsieur le
ministre, pour vos prédécesseurs - le report serait de 18 à 19 milliards de
francs, et non pas de 15,6 milliards de francs.
Pour l'année 2000, nous considérons qu'avec l'hypothèse officielle de 3,6 % de
taux de croissance, dont, encore une fois, on ne peut que se réjouir, le
surcroît de recettes pour les administrations publiques par rapport aux
documents initiaux est de 50 milliards de francs pour l'Etat, de 14 milliards
de francs pour la sécurité sociale et de 8 milliards de francs pour l'ensemble
des collectivités locales. Si l'hypothèse de croissance était de 4,2 % et non
pas de 3,6 %, comme le prévoient certains économistes - je n'ai pas d'avis
particulier sur ces hypothèses - 20 milliards de francs s'ajouteraient aux 72
milliards de francs.
Aussi permettez-moi, monsieur le ministre, de vous poser une question : au nom
de la transparence, comment nous informerez-vous, en cours d'exercice, de
l'évolution réelle des choses ? C'est très bien de recevoir les situations deux
fois par mois, après - le président Lambert le dirait mieux que moi - des mois
et des mois de demandes répétées et légitimes ; vous l'avez décidé et,
naturellement, nous ne pouvons que nous réjouir de cette information
supplémentaire.
S'agissant des recettes, nous avons, monsieur le ministre, examiné les
affectations que vous proposez. En ce qui concerne les baisses d'impôts, la
commission des finances proposera bien évidemment au Sénat de les accepter.
Mais, vous le savez fort bien en tant qu'ancien parlementaire chevronné, les
textes organiques nous interdisent de substituer aux baisses d'impôts que vous
proposez des baisses de cotisations sociales.
S'agissant du programme de baisse des prélèvements obligatoires, vous savez
que l'hypothèse qui, sur le plan économique, aurait notre préférence serait non
pas une dispersion des mesures mais au contraire une concentration de celles-ci
sur ce qui nous semble être la voie la plus efficace à tous égards : une baisse
de l'impôt sur le revenu pour toutes les tranches couplée à une baisse des
cotisations sociales par employeur. Les économistes nous disent que c'est la
voie qui assure les meilleurs effets économiques, notamment en termes d'emploi,
sur la période à venir.
La seconde préoccupation centrale de notre commission est naturellement la
maîtrise des dépenses publiques.
Dans le collectif qui va nous être présenté demain par Mme Parly, 10 milliards
de francs de dépenses supplémentaires apparaissent sans aucune réduction du
déficit - j'y reviendrai dans quelques instants. Or, nous savons que la
proportion des dépenses publiques dans le produit intérieur brut est
actuellement supérieure de quatre points à la moyenne de la zone euro et de
sept points au chiffre de l'Allemagne, qui partage avec nous le même modèle de
développement et d'organisation de la société.
Monsieur le ministre, il est possible d'être plus ambitieux en matière de
diminution des dépenses et de recul de la part du produit intérieur brut
mobilisée par les dépenses publiques. Si vous avez besoin d'être aidé dans vos
efforts louables en ce domaine, vous pouvez naturellement compter sur notre
commission et sur la majorité du Sénat.
Nous nous appuyons, en ce qui nous concerne, sur les préconisations des
économistes que nous avons consultés.
Pour atteindre notre objectif, c'est-à-dire la parité avec l'Allemagne à la
fin de l'année 2002 en termes de prélèvements obligatoires rapportés au produit
intérieur brut, il faut baisser les prélèvements obligatoires, et baisser en
contrepartie la dépense publique annuelle en volume de l'ordre de 0,95 point.
C'est un effort qui, si on en a la volonté, dans une période de croissance, est
tout à fait susceptible d'être accompli par l'Etat.
Monsieur le ministre, à la suite de ces considérations sur les recettes et sur
les dépenses, nous ne pouvons nous empêcher de faire quelques commentaires sur
le solde.
La belle conjoncture a permis d'arrêter, au moins provisoirement, les
compteurs de l'année 1999 à un déficit budgétaire de 206 milliards de francs,
venant se substituer à l'estimation d'origine, qui était de 236,5 milliards de
francs.
Vous nous avez dit tout à l'heure que l'année 2000 se terminerait probablement
par un solde d'environ 200 milliards de francs. Monsieur le ministre, pourquoi
alors nous présentez-vous, dans le même temps, un collectif budgétaire qui fait
apparaître - loi de finances initiale et collectif budgétaire - un déficit de
215 milliards de francs ?
Vous conviendrez avec nous que ce collectif apparaît, au moment même où vous
le présentez, comme dépassé par les événements et par les prévisions que vous
faites vous-même.
Au demeurant, pour être crédible en Europe, mieux vaut, semble-t-il, faire
état d'une séquence en baisse des déficits publics non pas pour le plaisir
mais, comme vous l'avez très bien dit vous-même, pour ménager la capacité
d'action et les marges de manoeuvre de ceux qui nous succéderont aux uns et aux
autres, c'est-à-dire de ceux sur qui pèseront les charges de cette dette que
nous continuons à contracter.
Si la dette publique s'est en effet stabilisée en termes de produit intérieur
brut, c'est grâce non pas à l'Etat mais aux collectivités territoriales, car la
dette de l'Etat va augmenter - mes chers collègues, je tiens à vous le rappeler
- en valeur absolue de 200 milliards de francs en l'an 2000 ! Ainsi, l'encours
de la dette à la fin de l'année, selon vos prévisions, monsieur le ministre,
s'établira à 4 500 milliards de francs contre 4 300 milliards de francs à la
fin de l'année 1999. Je tiens à répéter que nous allons contracter, en l'an
2000, 622 milliards de francs d'emprunts nouveaux, qui seront utilisés à
hauteur de 407 milliards de francs à rembourser des emprunts antérieurs et
même, pour 50 milliards de francs, à solder les dépenses de
fonctionnement...
M. Jacques Oudin.
C'est scandaleux !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
... méthode qui devrait naturellement être bannie de
nos finances publiques, et le plus vite possible.
J'ai évoqué les collectivités territoriales pour dire que leur solde était, en
termes macro-économiques, tout à fait favorable à notre pays. Je voudrais en
quelques mots développer cette considération.
Dans le document que vous nous avez fait parvenir, monsieur le ministre, j'ai
cru lire des phrases laissant entendre qu'il existerait une sorte de dérapage
de la dépense locale. Ce n'est pas vrai ! En réalité, si les dépenses locales
semblent augmenter, c'est en raison de la prise en compte des différentes
obligations résultant de la législation proposée par le Gouvernement, par
exemple sur la revalorisation des traitements, ou sur l'élimination des
déchets.
En ce qui concerne le solde des administrations publiques, les collectivités
territoriales affichaient en 1999 un solde positif de plus de 34,5 milliards de
francs. Elles se désendettent ; leur poids dans l'endettement public, je le
rappelle, est passé de 26 % en 1980 à 12 % en 1998. Pendant la même période -
la très longue période, celle dont nous sommes tous collectivement responsables
- l'Etat, lui, a contribué à plus de 80 % de la hausse du ratio d'endettement
des administrations publiques.
Alors, monsieur le ministre, il n'est pas conforme à la réalité de laisser
entendre que le financement des collectivités locales serait une charge
excessive pour l'Etat. Les modalités d'évolution des dotations de l'Etat ne
sont pas aussi favorables aux collectivités territoriales que le document qui
nous a été adressé semble le dire. Mais, surtout, les concours de l'Etat
servent de plus en plus à compenser la fiscalité locale : 77 % de
l'augmentation des concours de l'Etat aux collectivités territoriales en 2 000
proviennent de la substitution de dotations à des éléments de fiscalité
supprimés. C'est d'ailleurs dans cette voie que vous voudriez nous entraîner un
peu plus, monsieur le ministre, avec la suppression de la part régionale de la
taxe d'habitation.
Toujours plus de concours de l'Etat, toujours moins d'autonomie réelle fiscale
et financière des collectivités territoriales : c'est bien ce qui s'appelle un
processus de recentralisation !
M. Gérard Braun.
Tout à fait !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Enfin, monsieur le ministre, permettez-moi, en guise
de conclusion, d'évoquer très brièvement les finances sociales - MM. Oudin et
Descours, ainsi que le président Delaneau, le feront de façon beaucoup plus
argumentée et précise.
A la vérité, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'Etat, nous sommes
des sénateurs vraiment très frustrés. Nous voulions un débat consolidé ; nous
voulions que l'on nous expose au moins, dans la perspective triennale, ce que
donne la consolidation des finances de l'Etat et des finances des organismes
sociaux - nous savons bien qu'aujourd'hui 60 % des prélèvements obligatoires
ont pour origine la loi de financement de la sécurité sociale, nous savons bien
que, pour les agents économiques et pour les entreprises en particulier, c'est
bien l'addition de tous les prélèvements obligatoires, sociaux et fiscaux,
qu'il faut prendre en compte. Or ce débat consolidé nous a été refusé, et je le
regrette vivement.
M. Jacques Oudin.
Oui, c'est bien dommage !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Au demeurant, lorsque votre collègue ministre de
l'emploi et de la solidarité se félicite de la bonne tenue des soldes des
organismes sociaux, elle oublie simplement de préciser qu'en 1999 les
prélèvements sociaux ont augmenté de près de 5 % et qu'avec une telle manne il
eût été vraiment très étrange, la croissance et la diminution du chômage
aidant, que l'on n'arrive pas à des comptes en excédent !
Monsieur le ministre, madame la secrétaire d'Etat, telles sont les quelques
considérations que la commission des finances tenait à vous livrer et qui, vous
le voyez, concernent les impératifs : impératif de baisse des impôts et des
prélèvements sociaux, impératif de réduction de la dépense publique, impératif
de réduction de l'endettement public. Ces orientations, semble-t-il, nous les
partageons.
L'an dernier, le rapport d'orientation budgétaire de la commission des
finances s'intitulait :
Des intentions aux faits.
Nous y avons donc
ajouté cette année la question :
Comment être crédibles en Europe ?
Permettez-nous, monsieur le ministre, de ne pas prendre pour argent comptant
les propos agréables que vous avez bien voulu tenir devant notre assemblée.
Mes chers collègues, je vous remercie de votre attention.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de
l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
7