Séance du 8 février 2000
M. le président. Par amendement n° 6, MM. Laffitte, Cabanel et Trégouët proposent d'insérer, après l'article 4, un article additionnel ainsi rédigé :
« Les services de l'Etat, les collectivités locales et établissements publics assureront, à compter du 1er janvier 2002, l'échange de leurs données et de leurs informations sur supports et réseaux électroniques.
« Les conditions de passage entre les échanges actuels sur papier et les échanges sur supports et réseaux électroniques seront précisées par décret. »
La parole est à M. Laffitte.
M. Pierre Laffitte. Cet amendement, comme les suivants, s'inspire de la proposition de loi n° 114 que nous avons préparée après une très longue concertation, notamment avec l'ensemble de la communauté des internautes français, laquelle représente, cela a été signalé tout à l'heure, environ 10 millions de personnes. Nous avons reçu 1 400 contributions, extrêmement intéressantes pour la plupart, qui nous ont conduits à modifier une première proposition de loi que nous avions soumise à consultation.
Cet amendement, au même titre que les amendements suivants, disais-je, répond à la volonté fortement affirmée par le Gouvernement de faire en sorte que les décisions de développement des nouvelles technologies, dont le projet de loi que nous examinons aujourd'hui constitue la pièce maîtresse initiale, puissent être largement prises en compte par l'ensemble des administrations publiques.
L'amendement n° 6 vise plus précisément à généraliser, à partir de janvier 2002, ce qui donne un certain délai, l'échange des données et des informations sur supports et réseaux électroniques pour l'ensemble des services de l'Etat et des collectivités locales.
Les conditions du passage des échanges sur papier aux échanges sur supports électroniques seront précisées par décret.
Cette disposition me semble d'autant plus importante qu'à l'heure actuelle il est, par exemple, impossible d'organiser une réunion de syndicats de communes par la voie électronique, le contrôle de légalité des préfectures s'y opposant. Or, la rapidité dans les communications peut être un facteur extrêmement important dans la gestion des collectivités locales et des administrations.
Cet outil permet par ailleurs d'amplifier considérablement les contacts des pouvoirs publics nationaux, régionaux, départementaux et locaux avec les administrés.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Charles Jolibois, rapporteur. Si la commission a naturellement été sensible à l'intérêt pratique de cet amendement et même à la vision quelque peu futuriste à laquelle il renvoie, elle n'y a pas été favorable car il ne lui paraît pas avoir un lien direct avec le texte qui nous est aujourd'hui soumis.
Il est possible, lorsque l'habitude sera prise et que tous les officiers publics signeront électroniquement des actes sur support informatique, que nous en arrivions là. Mais, aujourd'hui...
Par ailleurs, nous avons relevé que l'obligation qui serait faite concernerait non seulement l'Etat mais aussi les collectivités locales, ce qui pose des problèmes extrêmement importants.
A la vérité, la commission des lois souhaiterait que ce dispositif soit examiné globalement, lorsque viendra en discussion l'autre texte annoncé aujourd'hui, où il pourrait plus aisément prendre place, plutôt qu'au détour d'un amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je comprends tout à fait l'objet de cet amendement, qui est d'obliger, à compter du 1er janvier 2002, les collectivités publiques à échanger leurs données et leurs informations sur supports et réseaux électroniques. Le Gouvernement est évidemment favorable au développement de l'échange d'informations par voie électronique entre collectivités publiques.
S'agissant de l'échange d'informations entre ministères, nous avons d'ailleurs un programme d'action très précis.
Nous étudions par ailleurs dans quelle mesure le code général des collectivités territoriales permettrait la transmission par voie électronique, cette question devant faire l'objet de consultations avec les associations de collectivités territoriales.
De toute façon, la date du 1er janvier 2002 apparaît trop proche, compte tenu des procédures à actualiser, des compétences disponibles et des moyens financiers à dégager - je pense en particulier aux petites communes.
J'ajoute que je ne peux aujourd'hui souscrire à cet amendement pour plusieurs autres motifs. Il me paraît en effet encourir, sous l'angle de la constitutionnalité, trois séries de reproches.
D'abord, il implique nécessairement un accroissement des dépenses publiques sans prévoir aucune compensation. Il me paraît donc irrecevable au regard de l'article 40 de la Constitution.
Ensuite, dès lors qu'il crée une véritable obligation, je m'interroge sur sa compatibilité avec le principe constitutionnel de libre administration des collectivités locales, qui découle de l'article 72 de la Constitution.
Enfin, son exposé des motifs, qui, au demeurant, ne correspond pas exactement à sa rédaction, laisse penser qu'il pourrait être passé outre à l'exercice du contrôle de légalité prévu par l'article 72, que je viens de citer. Or l'utilisation des nouvelles technologies ne doit pas permettre aux collectivités locales et à leurs établissements publics de s'affranchir d'un tel contrôle.
Je crois, au-delà de ces motifs, qu'il faut éviter tout caractère systématique et obligatoire qui aboutirait à des contraintes particulièrement rigides pour les services publics.
Telles sont les raisons qui me conduisent à demander aux auteurs de cet amendement et des suivants de bien vouloir les retirer.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 6.
M. René Trégouët. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Trégouët. M. René Trégouët. Je comprends bien les arguments qui ont été développés par M. le rapporteur et par Mme le garde des sceaux ; ils ont retenu notre attention. De ma modeste place, je tiens cependant à dire à M. le rapporteur que je ne considère pas que ces quatre amendements, que nous pourrions regrouper sous le titre « Sur les logiciels libres », soient tellement étrangers à notre préoccupation de ce jour.
Les deux maîtres mots de notre discussion d'aujourd'hui sont en effet sécurité et transparence. Or un vaste mouvement d'inquiétude est en train de se développer dans le monde entier à propos de la détention des codes sources dans les logiciels que nous utilisons. Il nous faut en effet être bien conscients que, chaque fois que nous communiquons les uns avec les autres - c'est vrai aussi pour les administrations - nous utilisons des logiciels dont une seule société dans le monde détient les codes sources.
Aujourd'hui, nous parlons de la sécurité dans nos transactions. Nous ne sommes pourtant pas du tout certains que, parmi les millions de lignes des codes sources, certaines ne permettent pas à cette société ou à d'autres d'avoir des informations sur toutes les transactions que nous faisons. Je tenais à attirer votre attention sur ce point d'une façon assez solennelle.
De façon tout à fait théorique, nous sommes en train de dire que nous voulons protéger les citoyens et assurer la sécurité de toutes les transactions. Mais nous utilisons malheureusement des logiciels dont nous ne détenons pas les codes sources. Imaginez que nous fassions fonctionner des centrales nucléaires sans en connaître les plans et sans avoir la maîtrise de leur fonctionnement !
C'est pour lutter contre cet état de fait qu'est en train de se développer ce vaste mouvement des logiciels libres. Il ne faut d'ailleurs pas confondre ces derniers avec les logiciels gratuits. Les logiciels libres sont des logiciels dont nous détenons les codes sources.
Il est essentiel, du moment où l'on parle de sécurisation des futurs réseaux, d'aborder ce débat au fond.
Nous avons bien compris, au travers de la réflexion de Mme le garde des sceaux et des propos de M. le rapporteur, que ces amendements ne sont peut-être pas placés au bon endroit, mais M. Laffitte et moi-même voulions attirer votre attention sur ce point.
Demain, des millions de personnes échangeront de plus en plus d'informations sur ces réseaux, et nous ne pouvons leur garantir le secret de leurs transactions, puisque nous ne détenons pas les codes sources de tous les logiciels. Je le répète, nous voulions de façon très symbolique, au travers de ces quatre amendements, attirer solennellement l'attention sur ce point.
M. Laffitte et moi-même nous l'avons fait voilà quelques semaines sur le réseau. Sachez qu'en quelques semaines nous avons reçu 110 000 visites ! Un mouvement de fond est en train de naître.
Si nous rejetons, aujourd'hui, d'une pichenette ce vaste débat de fond qui préoccupe toute la communauté des internautes du monde, cela démontrera que, pour nous, il s'agit d'un sujet secondaire, que nous traiterons dans plusieurs mois. Ce serait regrettable. Mais cela illustrerait une fois encore le fait que, en France, culturellement, nous ne sommes pas prêts à entrer dans la société de l'information !
M. le président. Monsieur Laffitte, l'amendement n° 6 est-il maintenu ?
M. Pierre Laffitte. Je voudrais souligner un point relatif à l'utilisation de la carte Sésame Vitale, désormais rendue obligatoire. Cette carte concerne non seulement tous les patients mais aussi tous les médecins. Or on oblige ces derniers, par le canal de la sécurité sociale, à communiquer sur des logiciels dont, justement, nous ne connaissons pas le code source.
A mon sens, c'est la démonstration claire que les problèmes de la sécurité et de la communication, d'une part, de la transparence nécessaire, d'autre part, ne sont pas réglés.
Si mon collègue M. Trégouët et moi-même avons déposé les amendements n°s 6, 7, 8 et 10, c'est après une longue réflexion. Nous souhaitons qu'un débat s'engage sur ce sujet et nous pensions, par ce biais, montrer à nos collègues de l'Assemblée nationale que nous avions réfléchi et les engager à prendre le relais.
Je sais parfaitement qu'au cours de la navette nous serons amenés à retirer ces amendements. Mais si nous le faisons maintenant, nous empêchons nos collègues députés de participer à ce débat. C'est pourquoi je maintiens l'amendement n° 6.
En ce qui concerne les dépenses, s'agissant plus particulièrement des contrats publics qui seraient conclus par voie de messagerie électronique, les études qui sont en cours tant au ministère de la défense qu'au ministère de l'équipement, des transports et du logement montrent que des dizaines de milliards de francs d'économie en découleraient. Ce n'est tout de même pas négligeable, même si l'année écoulée a été un peu plus positive en matière de recettes fiscales ! Il n'est pas concevable d'attendre 2003 ou 2004 avant de commencer à réaliser ces économies.
M. le président. Messieurs Laffitte et Trégouët, nous vous sommes reconnaissants d'attirer l'attention de la Haute Assemblée, du Parlement tout entier et du Gouvernement, qui vous a répondu d'ailleurs, sur les évolutions rapides qui interviennent dans tous ces domaines que beaucoup de nos compatriotes, et sans doute beaucoup de parlementaires, comme moi-même, ignorent.
Cependant, monsieur Laffitte, j'attire votre attention une fois de plus - mais je ferai ce que vous désirerez, bien entendu - sur le fait que la commission et le Gouvernement viennent d'émettre un avis défavorable sur votre amendement, ce qui laisse à celui-ci, me semble-t-il, peu de chance d'être adopté.
Finalement, dois-je mettre aux voix cet amendement ou bien le retirez-vous ?
M. Pierre Laffitte. Je le maintiens.
M. Alain Lambert. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Lambert.
M. Alain Lambert. J'en appelle à mes collègues pour qu'ils retirent leurs amendements, faute de quoi ils vont obliger le Sénat à délivrer un message négatif alors que, sur ce sujet, il ne le souhaite pas.
Mes chers collègues, vos préoccupations sont partagées par le Sénat, mais, franchement, le véhicule législatif que vous avez choisi n'est pas le meilleur. Je vous en supplie ! Vous avez des alliés sur toutes les travées de notre assemblée. Ne nous obligez pas à voter contre votre amendement !
M. Pierre Laffitte. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Laffitte.
M. Pierre Laffitte. Je me rends aux arguments du président de la commission des finances. Mais je souhaite très vivement que nous soyons tous bien conscients que ces amendements correspondent à un vrai problème, problème qu'il nous faudra résoudre, et ce très clairement, à l'occasion de la discussion du texte relatif à l'entrée de la France dans la société de l'information. J'espère que nous serons soutenus à ce moment-là.
M. le président. L'amendement n° 6 est retiré.
Par amendement n° 7, MM. Laffitte, Cabanel et Trégouët proposent d'insérer, après l'article 4, un article additionnel ainsi rédigé :
« Afin d'assurer une large transparence et un accès rapide à l'information par les entreprises, les appels d'offres publics ainsi que les documents annexes feront l'objet d'une publicité sur supports et réseaux électroniques à compter du 1er janvier 2002. De même, il sera répondu aux appels d'offres publics sur supports et réseaux électroniques.
« Un décret déterminera les modalités de transition aux procédures électroniques. »
La parole est à M. Laffitte.
M. Pierre Laffitte. J'ai déjà explicité et les raisons du dépôt de cet amendement et les raisons qui me conduisent à le retirer.
M. le président. L'amendement n° 7 est retiré.
Par amendement n° 8, MM. Laffitte, Cabanel et Trégouët proposent d'insérer, après l'article 4, un article additionnel ainsi rédigé :
« Les services de l'Etat, les collectivités locales et établissements publics ne peuvent utiliser à compter du 1er janvier 2002 que des logiciels dont l'usage et la modification sont libres et pour lesquels le code source est disponible.
« Un décret fixera les conditions de transition avec la situation actuelle et notamment les structures - agences et services de l'Etat ou des collectivités locales - précisant les licences d'utilisation de logiciels qui rentrent dans le cadre de la présente loi, veillant à l'interopérabilité des logiciels libres au sein des administrations publiques, réalisant l'inventaire, par secteurs d'activité, des manques en matière de logiciels dont l'usage et la modification sont libres et pour lesquels le code source est disponible et susceptibles d'autoriser les administrations publiques à déroger à la présente loi pour certaines catégories de logiciels spécialisés et pour des durées de mise en place.
« Ces structures seront ouvertes aux internautes et leurs décisions devront être précédées par des consultations sur Internet. »
La parole est à M. Laffitte.
M. Pierre Laffitte. Je retire cet amendement, dans les mêmes conditions que le précédent.
M. le président. L'amendement n° 8 est retiré.
Par amendement n° 10, MM. Trégouët, Laffitte et Cabanel proposent, après l'article 4, d'insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« Il est créé l'Agence du logiciel libre. Elle est chargée d'informer les services de l'Etat, les collectivités locales et établissements publics des conditions d'application du passage sur supports et réseaux électroniques de leurs échanges de données et de leurs informations. Elle détermine les licences d'utilisation de logiciels dont l'usage et la modification sont libres et pour lesquels le code source est disponible.
« Elle veille à l'interopérabilité de ces logiciels au sein des administrations publiques.
« Elle réalise l'inventaire, par secteurs d'activité, des manques en matière de logiciels dont l'usage et la modification sont libres et pour lesquels le code source est disponible. En fonction de cet inventaire, elle autorise les administrations publiques à déroger aux règles fixées au paragraphe I de cet article pour certaines catégories de logiciels spécialisés et pour des durées de mise en place.
« L'Agence du logiciel libre est ouverte aux internautes et ses décisions devront en particulier être précédées par des consultations sur Internet.
« Un correspondant de l'Agence du logiciel libre est désigné au sein de chaque préfecture.
« L'Agence du logiciel libre veille, dans le respect des droits des auteurs, à la diffusion des modifications portées aux logiciels utilisés dans le cadre du paragraphe I de cet article.
« Les modalités de fonctionnement de l'Agence du logiciel libre seront établies par décret. »
La parole est à M. Trégouët.
M. René Trégouët. Monsieur le président, je crois avoir déjà tout dit il y a quelques minutes. Le présent amendement ne se suffit pas en lui-même : je l'avais rédigé après le dépôt des amendements de M. Laffitte, sur lesquels il s'appuyait.
Je regrette bien sincèrement que nous n'ayons pas été compris. Je voulais attirer un peu solennellement l'attention sur ce problème et faire en sorte que l'Assemblée nationale s'en saisisse, ce que malheureusement, comme l'a fort bien dit Pierre Laffitte, elle ne va pas faire. Or un problème de fond se pose, et il doit être rapidement traité.
Je retire donc cet amendement, mais à regret.
M. le président. L'amendement n° 10 est retiré.
Article 5