Séance du 19 janvier 2000
M. le président. « Art. 1er A. _ Le titre II de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication est complété par un chapitre VI ainsi rédigé :
« Chapitre VI
« Dispositions relatives aux services en ligne
autres que de correspondance privée
«
Art. 43-6-1
. _ Les personnes physiques ou morales dont l'activité est
d'offrir un accès à des services en ligne autres que de correspondance privée
sont tenues de proposer un moyen technique permettant de restreindre l'accès à
certains services ou de les sélectionner.
«
Art. 43-6-2
. _ Les personnes physiques ou morales qui assurent,
directement ou indirectement, à titre gratuit ou onéreux, l'accès à des
services en ligne autres que de correspondance privée ou le stockage pour mise
à disposition du public de signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de messages
de toute nature accessibles par ces services ne sont responsables des atteintes
aux droits des tiers résultant du contenu de ces services que :
« _ si elles ont elles-mêmes contribué à la création ou à la production de ce
contenu,
« _ ou si, ayant été saisies par une autorité judiciaire, elles n'ont pas agi
promptement pour empêcher l'accès à ce contenu, sous réserve qu'elles en
assurent directement le stockage.
«
Art. 43-6-3
. _ Les personnes mentionnées à l'article 43-6-2 sont
tenues, sous réserve qu'elles en assurent directement le stockage et
lorsqu'elles sont saisies par une autorité judiciaire, de lui transmettre les
éléments d'identification fournis par la personne ayant procédé à la création
ou à la production du message ainsi que les éléments techniques en leur
possession de nature à permettre de localiser leur émission.
« Un décret en Conseil d'Etat détermine les éléments d'identification et les
éléments techniques mentionnés à l'alinéa précédent, ainsi que leur durée et
les modalités de leur conservation. »
Par amendement n° 1, M. Hugot, au nom de la commission des affaires
culturelles, propose de rédiger comme suit cet article :
« Le titre II de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté
de communication est complété par un chapitre VI ainsi rédigé :
«
CHAPITRE VI
«
Dispositions relatives aux services
de communication audiovisuelle en ligne
«
Art. 43-6-1. -
Toute personne exerçant l'activité de
prestataire de services d'accès à des services de communication audiovisuelle
fournis sur un réseau électronique est tenue de proposer à ses clients un moyen
technique leur permettant de restreindre l'accès à ces services ou de les
sélectionner.
«
Art. 43-6-2. I. -
Toute personne exerçant l'activité de prestataire
de services d'accès à des services de communication audiovisuelle fournis sur
un réseau électronique, ou d'hébergement de tels services, est tenue :
« - de s'assurer de l'identité de ses abonnés et de celle du directeur de la
publication, au sens de l'article 93-2 de la loi n° 82-652 du 29 juillet 1982
sur la communication audiovisuelle, de chacun des services qu'il héberge ;
« - de conserver les données de connexion aux services qu'il héberge pendant
un délai fixé par décret en Conseil d'Etat.
« II. - Les prestataires des services mentionnés au premier aliéna du I
peuvent être tenus pour responsables des contenus illicites des services de
communication audiovisuelle fournis sur un réseau électronique dès lors :
« - qu'ils sont à l'origine de la transmission ou de la mise à disposition de
ces contenus, ou qu'ils ont participé à leur création ou à leur édition ;
« - qu'ils ont refusé de révéler l'identité des auteurs ou des éditeurs de ces
contenus aux tiers justifiant d'un intérêt légitime ;
« - ou, pour les prestataires de services d'hébergement, qu'ayant eu
connaissance du caractère illicite de ces contenus, ils n'ont pas fait toute
diligence pour mettre en demeure leurs auteurs ou éditeurs de les retirer ou
pour en rendre l'accès impossible.
«
Art. 43-6-3. -
1° Est puni de 6 mois d'emprisonnement et de 50 000 F
d'amende le fait, pour toute personne exerçant une des activités définies au
premier alinéa du I de l'article 43-6-2 :
« - de ne pas respecter l'une des obligations définies aux deuxième et
troisième alinéas du I de cet article ;
« - ou de ne pas déférer à une demande de l'autorité judiciaire de lui
communiquer l'identité des utilisateurs de son service.
« Les personnes physiques coupables de ces infractions encourent également,
dans les conditions prévues par l'article 131-27 du code pénal, la peine
complémentaire d'interdiction d'exercer l'activité professionnelle dans
l'exercice ou à l'occasion de laquelle l'infraction a été commise.
« 2° Les personnes morales peuvent être déclarées pénalement responsables,
dans les conditions prévues à l'article 121-2 du code pénal, des infractions
définies au 1°.
« Les peines encourues par les personnes morales sont :
« - l'amende, suivant les modalités prévues par l'article 131-38 du code pénal
;
« - les peines complémentaires prévues aux 2°, 4° et 9° de l'article 131-39 du
code pénal. »
Cet amendement est affecté de cinq sous-amendements.
Le sous-amendement n° 143, déposé par MM. Ralite, Renar, Mme Luc et les
membres du groupe communiste républicain et citoyen, tend, dans le premier
alinéa du I du texte proposé par l'amendement n° 1 pour l'article 43-6-2 de la
loi du 30 septembre 1986, après les mots : « fournis sur un réseau électronique
», à insérer les mots : « autres que de correspondance privé, ».
Le sous-amendement n° 101, déposé par M. Pelchat, vise, au début du troisième
alinéa du II du texte présenté par l'amendement n° 1 pour l'article 43-6-2 de
la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986, avant les mots : « qu'ils ont refusé de
révéler », à ajouter le mot : « ou ».
Le sous-amendement n° 144, déposé par MM. Ralite, Renar, Mme Luc et les
membres du groupe communiste républicain et citoyen, a pour objet, à la fin de
l'avant-dernier alinéa du II du texte présenté par l'amendement n° 1 pour
l'article 43-6-2 de la loi du 30 septembre 1986, de remplacer les mots : « aux
tiers justifiant d'un intérêt légitime » par les mots : « à l'autorité
judiciaire ».
Le sous-amendement n° 102, déposé par M. Pelchat, tend, après l'avant-dernier
alinéa du II du texte présenté par l'amendement n° 1 pour l'article 43-6-2 de
la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986, d'insérer deux alinéas ainsi rédigés
:
« - ou qu'ils n'ont pas fait toute diligence pour reconnaître et ne pas
interférer avec les mesures techniques qui ont été mises en place par les
titulaires de droits de propriété intellectuelle pour permettre
l'identification ou la protection des oeuvres ou enregistrements transmis ;
« - ou qu'ils n'appliquent pas vis-à-vis de leurs clients une charte
contractuelle leur rappelant la nécessité de respecter la législation en
vigueur et prévoyant que le contrat de ces derniers pourra être résilié dans le
cas où ils commettent des infractions de façon répétée ».
Le sous-amendement n° 103, déposé par M. Pelchat, vise à rédiger comme suit le
dernier alinéa du II du texte présenté par l'amendement n° 1 pour l'article
43-6-2 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 :
« - ou qu'ayant eu connaissance du caractère illicite de ces contenus ou ayant
été en mesure de le connaître, ils n'ont pas fait toute diligence pour les
retirer ou pour en rendre l'accès impossible. »
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 1.
M. Jean-Paul Hugot,
rapporteur.
Cet amendement vise à proposer une nouvelle rédaction de
l'article 1er A, dont l'objet principal est de définir les conditions dans
lesquelles les fournisseurs d'accès ou les hébergeurs de services de
communication en ligne pourraient être tenus pour responsables des contenus de
ces services.
Il n'est pas de bonne méthode de dissocier cette question de la problématique
d'ensemble de la réglementation et de la régulation des services en ligne, qui
doit faire l'objet, vous nous l'avez annoncé, madame la ministre, d'un prochain
projet de loi.
De plus, il est regrettable, par exemple, que l'on traite de la responsabilité
des prestataires techniques avant de définir la fonction, le rôle et la
responsabilité des éditeurs de sites.
Cela dit, nous pouvons aussi comprendre la démarche de nos collègues députés :
les services en ligne se développeront rapidement et le contentieux et les
polémiques que suscite déjà la responsabilité des différents acteurs d'Internet
imposent d'intervenir, ne serait-ce que pour ne pas accréditer l'idée que le
Net est une zone de non-droit.
Par ailleurs, nous le savons, même si les responsabilités totales des
prestataires techniques à raison des contenus des services pouvaient se
plaider, elles risqueraient d'entraîner l'impunité des véritables responsables
de ces contenus que l'on ne peut parfois identifier que par l'intermédiaire des
prestataires techniques.
Pour autant, tout le monde est d'accord, me semble-t-il, pour exclure que l'on
étende purement et simplement aux prestataires techniques le régime de la
responsabilité éditoriale en cascade. Que faire alors ? Deux orientations
semblent se dégager du récent rapport du Conseil d'Etat, des négociations sur
la proposition de directive de commerce électronique et de la jurisprudence
récente.
La première orientation vise à exiger des prestataires techniques qu'ils
collectent les informations permettant de remonter jusqu'aux véritables
responsables des contenus et qu'ils répondent aux demandes d'information de la
justice. L'Assemblée nationale propose une telle orientation. Nous précisons
que le non-respect de ces obligations sera pénalement sanctionné.
La deuxième orientation tend à ce que les prestataires de service techniques
soient soumis, comme tout professionnel et comme tout citoyen, à un régime de
responsabilité de droit commun et, donc, concrètement à une obligation générale
de prudence et de diligence. Cela veut dire qu'ils doivent être tenus, à leur
niveau et chaque fois qu'ils le peuvent, de prévenir ou de faire cesser des
atteintes au droit des tiers ou à la loi.
Sous ce rapport, le texte de l'Assemblée nationale, qui d'ailleurs ne traite
que de la responsabilité civile, n'est pas satisfaisant. En effet, d'après lui,
même s'il est prafaitement informé que le contenu d'un site pose problème -
site pédophile ou site contenant des provocations à des crimes ou délits - le
prestataire technique ne serait pas tenu de faire quoi que ce soit tant que
l'autorité judiciaire ne lui aurait pas ordonné d'empêcher l'accès à ce
contenu. Cela ne nous paraît pas conforme aux principes de notre droit et irait
en outre à l'encontre des efforts consentis par les professionnel - je pense à
l'AFAA, l'association française d'action artistique - pour responsabiliser les
fournisseurs de contenus, pour favoriser la définition de règles déontologiques
et pour jeter les bases d'une future corégulation d'internet.
C'est pourquoi nous vous proposons, mes chers collègues, de mettre
expressément à la charge des prestataires techniques une obligation de
diligence : par exemple, un hébergeur qui serait informé, d'une manière ou
d'une autre, du caractère apparemment illicite d'un contenu pourrait mettre en
demeure l'éditeur de s'expliquer ou de se conformer à la loi avant,
éventuellement, d'interdire l'accès à ce contenu ou d'alerter les autorités
compétences ; de même, un prestataire technique saisi de plaintes de tiers
pourrait être tenu de leur communiquer l'identité du responsable d'un contenu,
afin qu'ils puissent s'adresser à lui pour faire valoir leurs droits. Il
appartiendra au juge d'apprécier au cas par cas si le prestataire a fait tout
ce qu'il pouvait faire, donc s'il a satisfait à cette obligation de
diligence.
Nous avons tout à fait conscience du fait que le texte que nous vous
proposons, mes chers collègues, est perfectible, mais il nous paraît plus
conforme aux exigences de notre droit de la responsabilité. C'est la raison
pour laquelle nous vous invitons à l'adopter.
M. le président.
La parole est à M. Renar, pour défendre le sous-amendement n° 143.
M. Ivan Renar.
Plusieurs motifs nous amènent à considérer la présence, dans le texte relatif
à la liberté de la communication, de dispositions concernant l'internet comme
inopportune.
Tout d'abord, nous pensons qu'il n'y a rien de bon à attendre de la
convergence des technologies, en tout cas telle qu'elle est pensée, et que, dès
lors, il convient de considérer de manière distincte l'audiovisuel et, pour ce
qui nous occupe ici, l'internet.
A cet égard, je dois rappeler la sagesse de la position du Gouvernement, qui
renvoyait à des travaux à venir une loi sur l'internet.
Ensuite, la réflexion sur cette question ne nous paraît pas suffisamment
avancée. Il est des préalables que nous souhaitons voir pris en compte dans la
réflexion sur la question de l'internet et de la responsabilité. Assimiler le
fournisseur d'accès à un responsable éditorial est peut-être, à ce titre, aller
un peu vite.
Certes, internet pose le problème de ses contenus. Il conviendrait de dire que
chacun des utilisateurs de ce réseau peut poser, à un moment ou à un autre et
potentiellement, le problème des contenus du réseau.
On peut certes considérer cette question essentielle au regard des bonnes
moeurs ou de la morale. La protection des mineurs, par exemple, est
indispensable et, d'ores et déjà, des outils existent, si imparfaits
soient-ils.
Pour autant, pour nous, l'aspect essentiel du développement de l'internet est
de pouvoir concilier la liberté, notamment la liberté de la communication, avec
un certain nombre d'impératifs et que cette liberté ne serve pas seulement les
intérêts du développement du commerce sur le réseau.
En l'absence de cette conciliation, nous nous éloignerions de ce que fut à son
origine la création d'internet.
En l'état, aussi bien la rédaction proposée par l'Assemblée nationale dans
l'article 1er A que la rédaction proposée par le Sénat nous semblent
imparfaites.
La notion de contenus illicites ne mériterait-elle pas d'être approfondie ?
Un fournisseur d'accès sera-t-il en mesure de l'apprécier ?
La déclaration du président du CSA nous semble juste de ce point de vue. S'en
remettre à la seule responsabilité des fournisseurs d'accès, c'est s'en
remettre, selon lui, « à des intérêts commerciaux qui se retrouveraient en
charge de trier le licite et l'illicite. »
La régulation de l'internet doit être multiple ; nul doute qu'elle passe aussi
par une prise de responsabilité individuelle de chacun d'entre nous.
Est-il prudent de confier la surveillance des droits d'auteurs et des droits
voisins aux seuls intérêts commerciaux ?
L'ensemble de ces raisons nous conduit à la plus extrême vigilance quant aux
mesures qui nous sont proposées, un texte cohérent sur l'ensemble des enjeux du
développement d'internet nous paraissant préférable.
En l'état, nous souhaitons exclure du champ du dispositif qui nous est proposé
par la commission, en vue d'assumer la protection du secret de la
correspondance, les fournisseurs d'accès à des services de correspondance
privée.
Tel est le sens de ce sous-amendement que nous demandons au Sénat de bien
vouloir adopter.
M. le président.
La parole est à M. Pelchat, pour défendre les sous-amendements n°s 101, 102 et
103.
M. Michel Pelchat.
Le sous-amendement n° 101 tend à une simple modification formelle.
Quant au sous-amendement n° 102, il vise à compléter l'amendement de la
commission.
Hier, madame la ministre, vous avez indiqué que l'on ne peut pas entrer dans
le secret de l'éditeur. Or, il n'est pas du tout question de cela maintenant ;
il est simplement question d'une négligence, voire d'une faute de la part du
fournisseur d'accès qui n'a pas informé celui qui souhaite être diffusé par ses
soins d'un certain nombre de règles minimales ou qui n'a pas fait toute
diligence pour reconnaître et ne pas interférer avec les mesures techniques qui
ont été mises en place par les titulaires de droits de propriété intellectuelle
- il s'agit de la protection des oeuvres culturelles comme je l'ai rappelé hier
- ou alors qui n'applique pas avec ses clients une charte contractuelle leur
rappelant la nécessité de respecter la législation.
Cela me semble être le minimum que l'on puisse demander aux fournisseurs
d'accès.
Le sous-amendement n° 103 vise les prestataires de service qui, ayant eu
connaissance du caractère illicite des contenus ou ayant été en mesure de les
connaître, n'ont pas fait toute diligence pour les retirer ou en rendre l'accès
impossible.
Il me semble nécessaire, dans ces trois cas, de sanctionner le fournisseur
d'accès pour ce que j'estime être des manquements graves en marquant ainsi sa
responsabilité lorsqu'il diffuse des données ayant trait, comme je le rappelais
tout à l'heure, à la pédophilie, à certains intégrismes ou autres
déviations.
M. le président.
La parole est à M. Renar, pour présenter le sous-amendement n° 144.
M. Ivan Renar.
Dans le même esprit que notre sous-amendement précédent, bien que nous
pensions inadapté le dispositif qui nous est proposé par l'amendement de la
commission concernant les fournisseurs d'accès, par souci de rééquilibrage du
texte en faveur d'une certaine liberté consubstantielle au réseau internet, le
sous-amendement n° 144 vise à poser que l'identité d'un diffuseur de contenu
sur le réseau ne peut être déférée qu'à la seule autorité judiciaire.
Nous partageons le souci de la commission, et les récentes affaires concernant
des contenus du réseau pour le moins douteux amènent à s'interroger sur la
responsabilité éditoriale d'un responsable de site.
Pour autant, peut-on accepter qu'à la demande d'un tiers quelconque le
fournisseur d'accès au réseau puisse s'interroger sur la délivrance ou la
non-délivrance de l'identité du responsable du site ?
Pour reprendre l'argumentaire développé par le président Bourges, est-il bon
que ceux qui ont un intérêt commercial à l'internet soient les seuls à juger de
l'opportunité d'une demande d'identité et de sa délivrance ?
Nous ne le pensons pas.
Pour nous, seule l'autorité judiciaire doit avoir compétence.
C'est le sens de ce sous-amendement que nous vous demandons, mes chers
collègues, de bien vouloir adopter.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission sur les sous-amendements n°s 143, 101, 144,
102 et 103 ?
M. Jean-Paul Hugot,
rapporteur.
Le sous-amendement n° 143 est satisfait. En effet, notre
amendement a trait au service de communication audiovisuel. Or, selon l'article
2 de la loi de 1986, la communication audiovisuelle ne peut inclure que des
services qui ne sont pas des services de correspondance privée. C'est pourquoi
la commission ne pourrait que donner un avis défavorable à ce sous-amendement
s'il était maintenu.
Le sous-amendement n° 101 de M. Pelchat a fait l'objet d'un avis favorable de
la commission.
Le sous-amendement n° 144 de M. Renar est, lui aussi, satisfait et
l'argumentaire que j'ai développé pour le sous-amendement n° 143 s'applique à
lui également. La commission ne pourrait donc que donner un avis défavorable
s'il était maintenu.
A la lecture du sous-amendement n° 102, il est clair que M. Pelchat s'est
heurté à la même difficulté que nous. Il n'est pas aisé en effet de remédier,
en quelques alinéas, à un problème très complexe qui nécessite l'intervention
d'un ensemble de dispositions d'une tout autre ampleur.
Au demeurant, son sous-amendement soulève quelques interrogations.
Le cas visé au premier alinéa ne correspond pas, me semble-t-il, à celui dont
nous parlons.
En effet, si le prestataire de services modifie la présentation ou le contenu
du message, il n'agit plus en tant que prestataire de services.
Par ailleurs, s'il porte atteinte à un dispositif protégeant des droits, il
commet une faute qui lui est propre et qui n'a rien à voir avec ce que nous
envisageons ici, c'est-à-dire le cas d'une complicité de faute ou d'un défaut
de diligence.
Quant au deuxième alinéa, il prévoit une obligation d'information, de mise en
garde des fournisseurs de contenu ; c'est une idée très intéressante mais qui
devrait plutôt être intégrée dans un dispositif de régulation ou de
co-régulation. Tel que ce texte est rédigé, il pourrait en effet suffire que le
prestataire de service intègre une simple clause de style dans les contrats
proposés à ses clients pour être exonéré de toute responsabilité.
J'ajoute que ces clients sont tenus de respecter la loi, même si cette
obligation ne figure pas dans leur contrat. En ce sens, la rédaction proposée
est également un peu gênante.
La commission demande donc le retrait du sous-amendement n° 102. S'il est
maintenu, elle sera contrainte de donner un avis défavorable.
La rédaction proposée par le sous-amendement n° 103 comporte trois
inconvénients.
En premier lieu, il paraît difficle de ne pas distinguer, comme le fait
d'ailleurs la proposition de directive, le rôle de fournisseur d'accès et celui
d'hébergeur, même si naturellement une même personne peut cumuler ces deux
fonctions.
En deuxième lieu, il ne paraît pas réaliste de présumer que les prestataires
techniques ont toujours connaissance du caractère illicite des contenus et de
considérer qu'ils devraient intervenir dès lors qu'ils seraient en mesure de le
connaître.
Cette disposition reviendrait en fait à une extension aux prestataires
techniques de la responsabilité éditoriale en cascade, ce que nous sommes tous
d'accord pour écarter.
Enfin, en troisième lieu, il paraît difficile d'imposer à un prestataire
technique d'intervenir en supprimant immédiatement un contenu ou en coupant
l'accès à ce contenu. Le caractère illicite des contenus ne sera pas forcément
évident. Il paraît normal, pour respecter à la fois les droits de la défense et
la liberté d'expression, que l'on permette d'abord à l'éditeur ou à l'auteur du
contenu incriminé de s'expliquer ou d'agir lui-même pour rectifier le tir.
J'ajoute que notre texte ne permet pas au prestataire d'accès de s'exonérer de
sa responsabilité en s'en tenant au stade de la mise en demeure. Je le répète,
il appartiendra au juge d'apprécier au cas par cas s'il aurait dû, compte tenu
des circonstances de l'espèce, aller plus loin.
Nous souhaitons donc le retrait de ce sous-amendement auquel nous serions
amenés à donner un avis défavorable s'il était maintenu.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 1 et les sous-amendements
n°s 143, 101, 144, 102 et 103 ?
Mme Catherine Trautmann,
ministre de la culture et de la communication.
L'objectif du dispositif
contenu dans l'amendement n° 1, associant liberté et responsabilité des
acteurs, est conforme aux principes de l'amendement de M. Patrick Bloche adopté
en première lecture par l'Assemblée nationale et j'avais annoncé lors du débat
qui s'est instauré sur ce point à l'Assemblée nationale que certains
compléments me semblaient devoir être apportés au texte actuel.
Dans le cadre de la consultation publique conduite jusqu'en décembre dernier
par le Gouvernement, nous avons eu l'occasion de préciser que la responsabilité
des hébergeurs devait être étendue aux cas où, ayant été informés du caractère
illicite d'un contenu, ils n'ont pas accompli les diligences normales.
Le projet de directive européenne sur les aspects juridiques du commerce
électronique, qui a donné lieu en décembre dernier à un accord politique au
niveau du Conseil, a validé ces orientations préconisées par la France.
Deux dispositions sont particulièrement importantes : la suppression de la
déclaration préalable, remplacée par une procédure d'identification, et
l'organisation de la responsabilité des prestataires techniques.
La première disposition a une grande portée symbolique et politique. Elle
signifie que la liberté d'expression publique de nos concitoyens n'est soumise
à aucune condition préalable, à aucun contrôle
a priori.
Elle témoigne
donc de la confiance du législateur dans la maturité démocratique de nos
concitoyens.
C'est dans le même état d'esprit que j'aborde la question de la responsabilité
des prestataires techniques. Précisément parce qu'ils ne sont ni les auteurs ni
les éditeurs des contenus, il convient que les dispositions prises pour
préciser leur responsabilité n'aient pas pour effet de les transformer en juges
du contenu.
Dans son principe, l'amendement n° 1 rejoint ces préoccupations. Il me semble
cependant que sa rédaction reste mal adaptée sur plusieurs points.
Le texte proposé vise à insérer au titre II de la loi un chapitre VI relatif
aux « services de communication audiovisuelle en ligne ». Le corps de
l'amendement utilise une autre notion qui est celle de « services de
communication audiovisuelle fournis sur un réseau électronique ». Tout en
comprenant ce souci de voir les services caractéristiques de l'internet définis
autrement que par la négative, il me semble que cette rédaction est source
d'équivoques pour ce qui concerne les réseaux câblés.
S'agissant de l'identification, l'amendement impose aux fournisseurs d'accès
ou d'hébergement une obligation de vérification de l'identité de leurs abonnés
ou clients. Si l'identification des auteurs ou éditeurs, responsables du
contenu de ces services, apparaît indispensable, il ne semble pas approprié de
mettre à la charge du prestataire technique une contrainte supplémentaire de
vérification. Elle interdirait, en particulier, certaines pratiques courantes
d'abonnement ou d'hébergement gratuit puisque la vérification en ligne de
l'identité s'opère par l'intermédiaire des moyens de paiement.
Le même article traite de la conservation des données de connexion. Cette
disposition s'étend largement au-delà de ce que nécessite la procédure
d'identification, c'est-à-dire la conservation des données sur l'identité des
responsables des contenus. La conservation des données de connexion est un
sujet fondamental en matière de libertés publiques. Son traitement exige que
soient conciliées la protection des données personnelles, corollaire de la
protection de la vie privée, et la poursuite des auteurs d'infraction, dans le
cadre des procédures judiciaires. Ce sujet a été évoqué dans la consultation
publique sur l'adaptation de notre cadre législatif à la société de
l'information et sera traité dans le projet de loi sur la société de
l'information. Il me semble que l'on pourra, dans ce cadre, aller au-delà du
texte proposé par cet amendement, qui laisse encore ouvertes certaines
questions.
S'agissant, enfin, de la responsabilité des hébergeurs, je m'en tiendrai à une
observation. Il ne m'apparaît pas souhaitable d'imposer au prestataire
technique informé d'un contenu supposé illicite qu'il prenne dans tous les cas
les dispositions pour rendre impossible l'accès au service. Cette disposition
revient à demander à l'hébergeur de valider le caractère supposé illicite du
contenu et de procéder à une censure de précaution. Le risque de confusion
entre la responsabilité de l'auteur-éditeur et celle du prestataire technique
est évidente. La disposition m'apparaît donc contradictoire avec l'orientation
générale du dispositif. Il est préférable d'imposer à l'hébergeur, dans ce cas,
une réaction appropriée, modulée, se concrétisant par des diligences
normales.
Tout en partageant, sur le fond, le souci du rapporteur, j'ai souhaité
répondre de façon détaillée sur les points qui me paraissent encore nécessiter
une évolution.
Compte tenu de ces observations, j'en appelle à la sagesse de votre assemblée
sur cet amendement n° 1.
Pour ce qui est du sous-amendement n° 143, j'y suis défavorable pour les mêmes
raisons que M. le rapporteur.
S'agissant du sous-amendement n° 101, je viens d'indiquer les réserves du
Gouvernement sur l'obligation de vérification de l'identité. J'émets donc un
avis défavorable, même si ce sous-amendement est formellement logique.
M. le rapporteur disait que le sous-amendement n° 144 était satisfait. Il me
semble toutefois intéressant, car il précise que les hébergeurs sont tenus de
transmettre l'identification des éditeurs seulement à l'autorité judiciaire et
non à toute personne intéressée. Le Gouvernement y est favorable.
Au sujet du sous-amendement n° 102, je fais mienne l'argumentation de M. le
rapporteur et j'en demande également le rejet.
A propos du sous-amendement n° 103, j'ajouterai simplement à la démonstration
faite par M. le rapporteur une remarque concernant la troisième disposition,
qui conduit, encore plus que l'amendement n° 1, à ce que la réaction du
prestataire revienne à fermer systématiquement le site incriminé ; par
conséquent, elle va contre la notion de réaction appropriée, c'est-à-dire
proportionnée, adaptée et se traduisant par des diligences normales. C'est,
pour moi, un motif supplémentaire d'émettre un avis défavorable sur ce
sous-amendement.
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix le sous-amendement n° 143, repoussé par la commission et par
le Gouvernement.
(Le sous-amendement n'est pas adopté.)
M. le président.
Je vais mettre aux voix le sous-amendement n° 101.
M. Michel Pelchat.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Pelchat.
M. Michel Pelchat.
Ce sous-amendement est de pure forme puisqu'il vise simplement à ajouter le
mot « ou » afin d'éviter que des responsabilités alternatives ne soient
considérées comme cumulatives. La commission l'a bien compris ainsi et a émis
un avis favorable. Je ne comprends pas que le Gouvernement puisse s'y
opposer.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix le sous-amendement n° 101, accepté par la commission et
repoussé par le Gouvernement.
(Le sous-amendement est adopté.)
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix le sous-amendement n° 144, repoussé par la commission et
accepté par le Gouvernement.
(Le sous-amendement n'est pas adopté.)
M. Jack Ralite.
La commission l'avait adopté, ce matin !
M. le président.
L'amendement n° 102 est-il maintenu, monsieur Pelchat ?
M. Michel Pelchat.
J'indique d'ores et déjà, monsieur le président, que je retire le
sous-amendement n° 103, qui pourrait effectivement donner lieu à des
difficultés. On peut certes imaginer qu'il ne serait pas aisé de déterminer si
les fournisseurs d'hébergement ont été ou non en mesure d'avoir connaissance
des contenus. Il reste que c'est un sujet qui mérite d'être étudié.
En revanche, je ne retirerai pas le sous-amendement n° 102, car il m'apparaît
comme un minimum que le transporteur ne puisse s'opposer aux dispositions
techniques que prennent les ayants droit pour protéger leurs droits et pour
empêcher les copies pirates.
Aujourd'hui, on constate une baisse considérable de la vente de disques,
notamment sur les petits formats, parce que ceux-ci sont piratés non seulement
à petite échelle, par des particuliers, mais aussi à grande échelle, pour
alimenter un commerce parallèle qui nuit considérablement aux ayants droit et
notamment aux jeunes talents, aux espoirs, qui sont édités pour la première
fois.
Dans ces conditions, le refus, par un transporteur, de mettre en place les
mesures techniques prévues par les ayants droits pour protéger leurs droits
doit être considéré comme une faute.
Par ailleurs, prévoir que le fournisseur d'accès demande à son client de
signer une charte dans laquelle celui-ci s'engage à respecter la législation
des pays dans lesquels il va être diffusé m'apparaît également comme un minimum
en termes de responsabilisation du transporteur. Si celui-ci fait ce que je
demande, la faute de celui qui fournit le contenu est évidente ; s'il ne le
fait pas, il s'agit de sa part d'une grave négligence.
C'est pourquoi le sous-amendement n° 102 me paraît important au regard de
l'avenir de la diffusion par l'internet.
M. le président.
Le sous-amendement n° 103 est retiré.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix le sous-amendement n° 102, repoussé par la commission et par
le Gouvernement.
(Le sous-amendement est adopté.)
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 1.
Mme Danièle Pourtaud.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à Mme Pourtaud.
Mme Danièle Pourtaud.
L'article 1er A résulte de l'adoption, à l'Assemblée nationale, d'un
amendement présenté par Patrick Bloche.
Peut-être n'est-il pas inutile de rappeler ce qui avait conduit notre collègue
à déposer cet amendement. L'affaire Altern avait provoqué un grand émoi dans le
milieu des internautes français, et cet amendement a en quelque sorte constitué
une réponse dans l'urgence, de manière à sécuriser les opérateurs de la société
de l'information en France.
C'est pourquoi l'amendement de Patrick Bloche, tout en favorisant la liberté
d'expression sur Internet, tendait à rappeler qu'Internet ne pouvait être un
espace de non-droit.
Aujourd'hui, le contexte est légèrement différent : d'abord, nous avons
commencé à examiner la directive sur le commerce électronique ; ensuite, le
Gouvernement prépare une loi sur la société de l'information qui traitera des
problèmes de la responsabilité.
C'est à la lumière de ces éléments qu'il faut examiner l'amendement de la
commission.
Contrairement à M. le rapporteur, j'estime qu'il ne revient pas au prestataire
de services d'identifier ses abonnés ou ses clients.
Par ailleurs, le dispositif adopté par l'Assemblée nationale prévoit que les
prestataires techniques ne peuvent voir leurs responsabilités engagées que dans
deux cas : s'ils ont eux-mêmes contribué à la création ou la production du
contenu litigieux ou si, ayant été saisis par l'autorité judiciaire, ils n'ont
pas agi promptement pour empêcher l'accès à ce contenu.
L'intervention nécessaire de l'autorité judiciaire permet d'éviter qu'un
hébergeur, alerté par n'importe qui, se sente tenu d'exercer une sorte de
censure en limitant lui-même la liberté d'expression sur le réseau. D'ailleurs,
on peut se demander à quel titre il serait apte à juger du caractère illicite
d'un contenu. Or c'est précisement cette capacité de sélectionner les contenus
que tend à lui conférer l'amendement de M. le rapporteur.
Il nous semble que cette proposition revient en fait à donner à l'hébergeur
une mission d'évaluation des contenus, donc un pouvoir de censure, et que, dès
lors, elle ne peut être retenue. Il nous paraît préférable d'imposer à
l'hébergeur, comme l'a prévu l'Assemblée nationale, une réaction appropriée.
Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste ne votera pas l'amendement n°
1.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je voudrais ajouter une remarque d'ordre technique, et il s'agit non de
technique audiovisuelle, mais de technique juridique.
Lorsque nous avons, après de très longs débats dans les deux assemblées,
adopté le nouveau code pénal, nous sommes convenus que, chaque fois qu'une loi
contiendrait une disposition pénale, il serait de bonne règle de l'introduire
dans le code pénal. Malheureusement, la plupart des commissions l'oublient ;
cela arrive même à la commission des lois ! C'est évidemment regrettable.
En la matière, la loi de 1986 comporte un titre VI qui s'intitule «
Dispositions pénales ». En dépit de nombreuses révisions, toutes les
dispositions pénales ont été introduites dans ce titre. En attendant un nouveau
titre du code pénal, il serait au moins de bonne technique juridique de faire
figurer les présentes dispositions pénales dans le titre VI. Or l'amendement n°
1 ne le prévoit pas, alors même que le texte proposé pour l'article 43-6-3 ne
contient que des dispositions pénales.
Ce texte commence d'ailleurs par ces mots : « Est puni de six mois
d'emprisonnement et de 50 000 francs d'amende le fait... ». Or le code pénal
fixe également pour règle que l'amende qui accompagne une peine
d'emprisonnement de six mois est toujours de 60 000 francs.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix, ainsi modifié, l'amendement n° 1, pour lequel le
Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, l'article 1er A est ainsi rédigé.
Article 1er B