Séance du 29 juin 1999
ALLOCUTION DE M. LE PRÉSIDENT DU SÉNAT
M. le président.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, au moment où s'achève cette session
parlementaire - la première que j'aie vécue dans ces fonctions présidentielles
- il m'appartient, selon un rituel désormais bien établi, de dresser un bilan
de l'activité du Sénat au cours des neuf mois qui viennent de s'écouler.
Il ne vous aura pas échappé, mes chers collègues, que, loin de ressembler à un
long fleuve tranquille, ces premiers neufs mois se sont apparentés -
autorisez-moi l'expression - à un parcours du combattant semé d'embûches, avec,
pour seule boussole, la défense et illustration du bicamérisme et du Sénat.
Mais cet environnement difficile, caractérisé par une succession de textes
susceptibles de gommer, par touches successives, la spécificité sénatoriale et,
partant, l'utilité de notre assemblée, n'a pas empêché le Sénat d'accomplir, en
toute sérénité, sa tâche de contre-pouvoir constructif.
Comme je l'avais rappelé dans ma première intervention, en octobre dernier, «
notre premier métier consiste à examiner et à voter les lois ». J'ajoutais : «
Le Sénat est une assemblée parlementaire à part entière, même lorsque sa
majorité ne coïncide pas avec celle de l'Assemblée nationale. »
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Tout à fait !
M. le président.
Ces propos, vous avez tenu, mes chers collègues, et je vous en remercie, à
leur conférer tout leur sens et toute leur signification.
C'est ainsi que, sur les trente-sept textes de loi, hors conventions
internationales, adoptés définitivement par le Parlement au cours de la session
qui s'achève, vingt-neuf - soit près de 80 % - ont été adoptés en termes
identiques par l'Assemblée nationale et le Sénat, selon le jeu normal de la
navette ou à l'issue d'un accord en commission mixte paritaire.
Ce résultat m'apparaît satisfaisant à un double titre.
En premier lieu, il démontre que le vote de la loi par le Parlement,
c'est-à-dire par les deux assemblées, demeure le principe et que le dernier mot
donné à l'Assemblée nationale ne représente, contrairement à une idée reçue,
qu'une exception.
En second lieu, il témoigne de l'attitude constructive du Sénat. En dehors des
textes relatifs à l'élection des conseillers régionaux et au pacte civil de
solidarité, notre Haute Assemblée n'a adopté aucune question préalable au cours
des lectures précédant la commission mixte paritaire. Ouvert au dialogue, le
Sénat s'affirme donc comme une force de proposition constructive, n'opposant
que très rarement un refus catégorique.
Nous devons persévérer dans cet état d'esprit car, par cette contribution
positive, et parfois alternative, à l'élaboration des lois, nous administrons
une preuve vivante et concrète que le bicamérisme constitue un gage
d'efficacite et une chance pour la démocratie.
Cependant, même lorsque les deux assemblées ne parviennent pas à un accord, le
Sénat n'en continue pas moins de participer utilement à l'oeuvre
législative.
C'est ainsi que, pour l'ensemble des textes adoptés définitivement au cours de
la présente session, 51 % des amendements votés par le Sénat ont été, à notre
satisfaction, repris par l'Assemblée nationale.
Bien plus, il est arrivé qu'après un échec de la commission mixte paritaire
l'Assemblée nationale adopte, en nouvelle lecture ou en lecture définitive, un
grand nombre des articles votés par le Sénat. Tel fut le cas, notamment, pour
le projet de loi d'orientation agricole.
Autre illustration de l'attitude constructive du Sénat, le vote des quatre
projets de révision constitutionnelle qui ont été discutés au cours de la
session.
Cet aspect constitutionnel de notre activité de législateur appelle de ma part
deux observations.
La première a trait à l'attitude ouverte du Sénat. Loin d'être obnubilé ou
grisé par le droit de veto que lui confère, en la matière, la Constitution, le
Sénat considère qu'il dispose plutôt d'un pouvoir d'appréciation égal à celui
de l'Assemblée nationale.
Ce pouvoir, le Sénat en a fait un usage républicain lors de l'examen du projet
de loi constitutionnelle relatif à la parité femmes-hommes. Il a fait naître et
vivre dans le pays un débat sur la conception de la citoyenneté - universalisme
ou communautarisme ? - qui, sans lui, aurait été complètement occulté, avant
d'établir un texte qui a été, hier, introduit dans la Constitution.
Ma seconde observation, formulée sous forme d'interrogation, portera sur la
fréquence de nos déplacements, passés et futurs, à Versailles.
Le déclin de la loi ordinaire va-t-il être aggravé par une désacralisation,
une banalisation et une précarisation de la norme suprême qui ne manqueraient
pas d'être préjudiciables à la stabilité de notre Etat de droit ?
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Au-delà de sa participation éclairée à la discussion des textes d'origine
gouvernementale, le Sénat a également fait un usage apprécié de son droit
d'initiative législative pour répondre aux préoccupations de la vie quotidienne
des Français.
C'est ainsi que nous avons examiné, au cours de cette session, dans le cadre
des séances mensuelles réservées, onze propositions de loi d'origine
sénatoriale. Trois d'entre elles sont devenues définitives, à la suite, il faut
le souligner, d'un vote unanime de l'Assemblée nationale.
Il s'agit, tout d'abord, de la loi sur le volontariat dans le corps des
sapeurs-pompiers, qui trouvait son origine dans une proposition du groupe
socialiste.
Ce résultat prouve qu'au Sénat l'opposition n'est pas réduite au silence, même
s'il convient, me semble-t-il, d'envisager - pourquoi pas ? - de lui donner une
place plus institutionnelle, qui pourrait prendre la forme d'un droit de tirage
sur l'ordre du jour des séances mensuelles réservées.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Claude Estier.
Très bien !
M. Jean Chérioux.
Sous réserve de réciprocité !
M. le président.
Il s'agit, ensuite, de la loi sur les soins palliatifs, pour laquelle Lucien
Neuwirth sut se montrer un remarquable fédérateur et qui illustre parfaitement
la méthode sénatoriale. En effet, cette avancée législative, qui fut adoptée à
l'unanimité par les membres de notre commission des affaires sociales, puis par
le Sénat et, enfin, par l'Assemblée nationale, est le résultat de tout un
travail accompli en amont, de plus d'un an de consultation de toutes les
autorités médicales ou confessionnelles concernées, avec, comme étapes
intermédiaires, la tenue d'un colloque et la publication d'un rapport
d'information.
Il s'agit, enfin, de la loi sur les dommages miniers, issue de diverses
propositions émanant tant du groupe communiste républicain et citoyen que du
groupe de l'Union centriste, ou du groupe socialiste et du groupe du RPR. Cette
initiative sénatoriale a permis de surmonter les inerties ou les atermoiements
des bureaux des ministères.
Si j'ai tenu à insister sur ces trois textes, c'est parce que je suis
convaincu que le Sénat doit accentuer son rôle d'assemblée de proximité,
enracinée dans les terroirs et proche des préoccupations des Françaises et des
Français.
Le Sénat, qui dispose de la durée, doit éclairer et préparer l'avenir de nos
concitoyens en s'emparant des problèmes qui les préoccupent ou les
inquiètent.
A cet égard, une initiative sur l'alimentation de demain me semblerait tout à
fait opportune.
Il nous appartient également, par une meilleure articulation entre les
initiatives des groupes politiques et le plan de charge des commissions, de
faire un meilleur usage des séances mensuelles réservées, qui présentent
l'avantage d'être programmées longtemps à l'avance.
En définitive, mes chers collègues, notre bilan législatif est très loin
d'être négligeable et je voudrais remercier les présidents des commissions de
leur précieux concours et de la qualité de leur travail, reconnue par toutes et
par tous.
Mais si ce bilan est globalement positif, certaines ombres subsistent dont la
principale réside dans un usage, contestable, monsieur le ministre, de
l'urgence.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Cela vous va bien !
M. le président.
Cette dérive de l'urgence réside moins dans la fréquence des déclarations
d'urgence,...
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Huit !
M. le président.
... huit, que dans leur concentration sur les textes les plus importants.
M. Charles Descours.
Eh oui !
M. le président.
Je pense notamment au projet de loi d'orientation agricole, au projet de loi
sur l'aménagement du territoire, au projet de loi relatif à l'intercommunalité.
(Oui ! sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants)
ou au
projet de loi sur l'épargne.
(Oui ! sur les mêmes travées.)
Ce tir groupé m'a conduit à appeler l'attention de M. le Premier ministre sur
la « regrettable restriction de la discussion parlementaire » induite par le
recours excessif à la procédure d'urgence.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Moins que vous !
M. le président.
Faire l'économie d'une deuxième lecture revient à priver les assemblées d'un
espace de dialogue susceptible de rapprocher les points de vue. Dès lors, la
déclaration d'urgence s'apparente à la chronique d'un échec annoncé, celui de
la commission mixte paritaire. Ou alors, si cette dernière réussit, la
commission mixte paritaire devient un ersatz de deuxième lecture. Tel fut le
cas, mes chers collègues, de la méga-commission mixte paritaire sur le projet
de loi relatif à l'intercommunalité, qui s'est étalée sur trois journées, pour
une durée totale de dix-huit heures. Il n'y a pas d'équivalent dans le
passé.
Je me félicite que le résultat obtenu ait été à la hauteur des efforts
déployés par le président de la commission des lois, M. Jacques Larché, et les
rapporteurs, MM. Daniel Hoeffel et Michel Mercier.
(Applaudissements sur les
travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi
que sur certaines travées du RDSE.)
Je me félicite que le Sénat ait pu imprimer sa marque sur un sujet,
l'intercommunalité, qui relève au premier chef de sa vocation
constitutionnelle.
D'une manière générale, tout se passe comme si l'urgence était conçue par le
Gouvernement comme un remède à l'absence de programmation harmonieuse et
équilibrée du travail législatif, tout au long de la session unique.
(Très
bien ! sur les travées du RPR. - Protestations sur les travées
socialistes.)
J'en veux pour preuve, monsieur le ministre, l'accumulation
de textes lourds dans la dernière ligne droite de la session.
Tout se passe comme si la restriction du temps dévolu au Parlement devenait la
variable d'ajustement du temps perdu en amont.
(Nouvelles protestations sur
les travées socialistes.)
Cette dérive de la précipation est inquiétante, monsieur le ministre, car,
pour paraphraser Vauvenargues, « le temps se venge toujours de ce qui se fait
sans lui. »
Ne l'oubliez pas, monsieur le ministre, les meilleures lois, c'est-à-dire
celles qui résistent à la double épreuve de la pratique et du temps, sont
celles qui sont « coproduites » par les deux assemblées, sans dernier mot.
Mais, si l'organisation du travail gouvernemental est perfectible - c'est un
euphémisme -, la programmation de nos travaux en séance publique, quant à elle,
s'est améliorée, il faut le reconnaître, sauf en cette fin de session : le
calendrier de nos travaux a été établi pour quatre ou cinq semaines, la semaine
de séance a été recentrée sur trois jours et la « sanctuarisation » du mercredi
matin, dans l'ensemble, a été préservée.
Ces progrès, nous les devons, monsieur le ministre des relations avec le
Parlement, à votre coopération attentive, à votre sens des relations humaines
et à votre courtoisie républicaine.
(Applaudissements.)
Soyez-en chaleureusement remercié, ainsi que vos
collaborateurs.
Au-delà de sa mission législative, le Sénat s'est également acquitté de sa
fonction de contrôle de l'action du Gouvernement.
C'est ainsi que nous avons été tenus régulièrement informés, tant par les
déclarations du Gouvernement que par les questions d'actualité, des
développements de la douloureuse crise du Kosovo.
Par ailleurs, les questions d'actualité, qui nous permettent d'interpeller le
Gouvernement sur de nombreux aspects de sa politique, ont retrouvé un rythme
dynamique, incisif et percutant.
A ce propos, je voudrais que vous me pardonniez, mes chers collègues, de vous
imposer, lors de ces questions d'actualité, une dictature de la maîtrise de
votre temps de parole ; mais je la fais également subir aux ministres, et le
résultat est là : toutes les questions et les réponses tiennent maintenant dans
le créneau de retransmission télévisée.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
C'est important, et vous le savez.
Je voudrais également vous demander, monsieur le ministre, d'être mon
interprète auprès de M. le Premier ministre pour le remercier d'avoir assisté,
depuis octobre 1998, à sept séances de questions d'actualité et répondu
personnellement à deux questions. Peut-être devriez-vous, mes chers collègues,
poser plus directement vos questions au chef du Gouvernement ? C'est bien
évidemment une simple suggestion. Mais nous devons signaler sa présence et ses
réponses.
En outre, un bon usage des questions orales avec débat a permis de se pencher
sur des thèmes importants comme la réforme de l'enseignement, la répartition
géographique des effectifs de la police et de la gendarmerie, l'insécurité
juridique de l'action publique locale et la situation de la santé en France.
Par ailleurs, nous avons constitué, au cours de la session, deux commissions
d'enquête : la première, consacrée à la gestion des personnels de l'éducation
nationale, a remis en mai son rapport, qui a été très favorablement accueilli
par la presse, et je remercie M. Gouteyron, ainsi que nos collègues ; la
seconde, qui se penchera sur la conduite de la politique de sécurité menée par
l'Etat en Corse, vient de voir le jour.
Il me semble que nous devrions, mes chers collègues, faire un usage tout à la
fois plus fréquent et mieux programmé de nos pouvoirs d'investigation. Le
contrôle doit devenir pour notre assemblée une seconde nature.
La retenue dont nous avons fait preuve dans l'exercice de notre mission de
contrôle au niveau national contraste avec un regain de notre activité de
contrôle en matière européenne. A l'élargissement du champ des résolutions
européennes, induit par la ratification du traité d'Amsterdam, a correspondu un
accroissement du nombre de résolutions européennes adoptées par le Sénat après
débat.
Par ailleurs, deux questions orales européennes ont été discutées au cours des
six derniers mois.
Dans l'avenir, il pourrait être envisagé, conformément au souhait exprimé par
M. Michel Barnier, président de la Délégation du Sénat pour l'Union européenne,
de programmer, dès l'ouverture d'une session, l'inscription à l'ordre du jour
de nos travaux de trois questions orales européennes, dont l'une serait laissée
à l'initiative de l'opposition sénatoriale.
M. Claude Estier.
Merci pour elle !
M. le président.
Les progrès réalisés sont indéniables, mais il nous a semblé nécessaire
d'aller plus loin en permettant au Sénat de disposer, plus en amont et plus
rapidement, des informations indispensables à l'exercice de son contrôle de
l'élaboration des normes communautaires.
C'est à cette préoccupation qu'a répondu la création, en mars dernier, d'une
antenne permanente à Bruxelles, qui est au service de toutes les sénatrices et
de tous les sénateurs.
Cette initiative, qui a rencontré un accueil très favorable de la part des
institutions européennes, devrait nous permettre d'intervenir plus en amont
pour tenter d'infléchir les décisions communautaires.
C'est à ce prix que le Sénat pourra contribuer à réduire le déficit
démocratique dont souffre l'Europe - la preuve nous en a été donnée récemment -
à la rapprocher des citoyens et à donner toutes ses chances de réussite à cette
formidable aventure qui, ne l'oublions pas, conditionne notre avenir.
Assemblée parlementaire à part entière, le Sénat a donc exercé, tout au long
de la session, mais à des degrés divers, sa triple mission de législateur, de
force de proposition et de contrôleur.
A cet égard, permettez-moi d'adresser à tous les acteurs de la vie sénatoriale
mes sincères félicitations et mes chaleureux remerciements.
Je pense aux présidents de groupe, habiles négociateurs, à qui échoit la
redoutable tâche de dégager un consensus au sein de leur groupe, tout en
laissant s'exprimer les différences de sensibilité.
A ces remerciements, j'associe les collaborateurs des groupes et les
assistants des sénateurs qui facilitent grandement leurs tâches.
Je pense aux vice-présidents, qui ne ménagent pas leur peine pour conduire,
chacun avec son style, mais toujours avec talent et efficacité, nos travaux en
séance publique.
Je pense aux présidents des commissions, déjà félicités, qui, vous avez pu le
constater, sont sans cesse sur la brèche.
Je pense aux questeurs
(Exclamations.)
que leur gestion de la vie
quotidienne du Palais n'empêche pas de se projeter dans l'avenir de notre
institution.
Je pense aux membres du bureau, qui constitue en vérité le conseil
d'administration de l'entreprise Sénat.
Je pense, enfin, aux fonctionnaires du Sénat, tous grades confondus, sans qui
rien ne serait possible.
M. Jean-Claude Gaudin.
Très bien !
M. le président.
Ils savent la considération et le respect que je leur porte. Je sais que je
traduis là le sentiment de chacun.
(Applaudissements.)
Assemblée parlementaire à part entière, le Sénat dispose, en outre, d'un
« bonus constitutionnel », à savoir son rôle de représentant des collectivités
territoriales de la République. Cette mission nous confère une responsabilité
particulière à l'égard des collectivités locales.
C'est pourquoi j'ai souhaité la création d'un site internet, dédié aux
collectivités locales et intitulé « Carrefour des collectivités locales ». Ce
site, d'excellente tenue, offre, d'ores et déjà, des services appréciables aux
élus locaux.
Par ailleurs, nous avons institué une mission d'information sur la
décentralisation qui remettra prochainement ses premiers rapports et qui est
conduite par notre collègue Jean-Paul Delevoye.
(Applaudissements sur les travées du RPR.)
Cette mission est notamment alimentée par les informations que nous
recueillons sur le terrain, à l'occasion des états généraux des collectivités
locales.
Cette croisade en faveur de la décentralisation, cette grande réforme promise
à un grand avenir, m'a révélé l'ampleur du malaise qu'éprouvent les maires de
France en raison notamment de la mise en jeu sans cesse plus fréquente de leur
responsabilité pénale.
(Très bien ! sur les travées du RPR.)
Si l'on n'y prend pas garde, cette crise des vocations risque de
déboucher sur une démocratie fantôme, c'est-à-dire une démocratie sans élus et
sans électeurs. C'est pourquoi il appartient au Sénat de formuler, avant la fin
de la prochaine session, des propositions d'ordre statutaire et juridique, pour
redonner aux élus locaux des raisons d'espérer.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - M. Courrière
applaudit également.)
En définitive, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Sénat
travaille et travaille bien. Mais pour que nos concitoyens en soient pleinement
informés et conscients, il est nécessaire que nous définissions ensemble une
politique de communication plus adaptée aux nécessités de notre civilisation de
l'image.
Il me semble que nous pourrions réitérer l'expérience des « jeunes Turcs » ou
des « jeunes rénovateurs », qui, au début des années quatre-vingt-dix, avaient
planché sur la rénovation du Sénat.
Il s'agirait de désigner, au sein du bureau, un groupe de travail qui serait
chargé de définir une politique de communication du Sénat.
Cette promotion de l'image du Sénat suppose également de susciter l'intérêt
des journalistes, que je remercie de suivre nos travaux, même si j'estime
qu'ils pourraient leur conférer un plus grand retentissement.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste.)
A cet égard, le Sénat a décidé de « s'exposer », dans tous les sens du
terme, en allant au-devant des citoyens pour mieux se faire connaître. Tel est
l'objectif de l'exposition itinérante Média Sénat et de l'exposition sur le
Sénat de la Ve République qui se tient actuellement au musée du Luxembourg.
Enfin, la création d'une chaîne parlementaire et civique, qui pourrait voir le
jour au début de l'an 2000, devrait contribuer à résorber notre déficit de
communication.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, l'attachement que nous portons
toutes et tous à l'institution sénatoriale et au bicamérisme transcende, et
c'est la vérité, nos divergences politiques.
Telle est la raison pour laquelle nous devons, ensemble, veiller à préserver
la spécificité sénatoriale.
En effet, tout amoindrissement de notre différence altère notre utilité et
remet en cause notre rôle. Mes chers collègues, ne l'oublions pas : affaiblir
le Sénat, c'est à l'évidence fragiliser notre démocratie.
(Applaudissements
prolongés sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de
l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées de RDSE.)
M. Daniel Vaillant,
ministre des relations avec le Parlement.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Daniel Vaillant,
ministre des relations avec le Parlement.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, demain nous achèverons la deuxième session
ordinaire de la législature qui s'est ouverte en juin 1997. Grâce à un rythme
dense, grâce à des efforts partagés, nous n'aurons pas à nous réunir en session
extraordinaire.
Pour la deuxième année consécutive, le Gouvernement a traduit, au Parlement,
les engagements pris par sa majorité devant les Français et par le Premier
ministre devant la représentation nationale.
A l'heure du bilan, je voudrais souligner, au préalable, que le Gouvernement a
pu mener les réformes qu'il avait décidées en respectant son calendrier et que
l'apport du Sénat, au-delà des divergences politiques, a été décisif pour de
nombreux textes.
Demain, nous aurons siégé un peu moins que lors de la précédente session
ordinaire, à savoir cent huit jours, mais nous aurons adopté un peu plus de
textes, avec toujours une forte proportion de textes d'initiative parlementaire
- plus de 30 %. Comme le Sénat aura siégé un peu plus d'heures que l'an
dernier, on peut dire que sa productivité a augmenté
(Sourires),
comme celle de l'Assemblée nationale, d'ailleurs, signe que
nous avons adopté un bon rythme de croisière...
Le calendrier prévisionnel, publié en février dernier, a été presque
totalement respecté. Les textes ont été inscrits à l'ordre du jour selon le
calendrier prévu. Le Gouvernement a même pu alléger le calendrier des jours
précédant les élections européennes, comme le Sénat l'avait demandé. Surtout,
tous les textes qui devaient être adoptés au 30 juin l'ont été, ou devraient
l'être, grâce aux efforts de chacun, sur toutes les travées de cet
hémicycle.
Le respect de ce calendrier indicatif a permis une meilleure organisation de
nos travaux. Il montre surtout que l'enlisement, redouté ou attendu, ne s'est
pas produit.
Il s'agit donc d'une preuve du fonctionnement harmonieux du bicamérisme, qui
n'a jamais été remis en cause par le Gouvernement, et qui, je l'espère, a
répondu, monsieur le président, à vos voeux. Dans votre allocution
d'investiture, le 7 octobre 1998, vous souhaitiez que la majorité sénatoriale
résiste à la tentation du « toujours oui » ou du « toujours non », selon les
périodes et les gouvernements.
Pendant cette session, cela a été tantôt « oui » et tantôt « non », et certes
plutôt « non » que « oui » pour la modernisation de la vie politique comme pour
les réformes économiques et sociales, mais plutôt « oui » que « non » pour les
textes qui intéressent la vie quotidienne des Français. Cela se traduit
notamment par trente-cinq accords entre les deux assemblées sur les
quarante-sept textes qui devraient être adoptés demain au plus tard.
Le Sénat a bien voulu examiner certains textes dans des délais courts, comme
celui concernant la couverture maladie universelle, lestée pourtant de
dispositions diverses, mais indispensables et attendues par les professions
concernées. De même, la particulière célérité de votre commission des lois a
permis d'adopter la loi organique et la loi ordinaire du 19 mars 1999 mettant
en oeuvre la réforme des institutions de Nouvelle-Calédonie. Je salue ici une
nouvelle expression du consensus républicain.
Pour d'autres textes, l'apport du Sénat et le dialogue entre les assemblées
ont été très constructifs. Je pense, notamment, au succès des commissions
mixtes paritaires sur la lutte contre le dopage, les polices municipales, la
sécurité routière et l'intercommunalité.
Il faut également relever que de nombreux textes ont été adoptés sans
modification par l'Assemblée nationale : en deuxième lecture, l'accès au droit
et à la résolution amiable des conflits, les enquêtes techniques sur les
accidents dans l'aviation civile et la lutte contre les termites ; en troisième
lecture, enfin, la réforme de l'ordonnance de 1945 relative aux spectacles.
De même, cinq propositions de loi émanant du Sénat ont été adoptées conformes
par l'Assemblée nationale. La réflexion du Sénat sur des sujets de société a
également permis l'adoption d'une loi sur les soins palliatifs, dont le
Gouvernement sait que la paternité revient au Sénat et à M. Neuwirth.
M. Adrien Gouteyron.
Très bien !
M. Daniel Vaillant,
ministre des relations avec le Parlement.
Bien entendu, les réformes
constitutionnelles, celles qui étaient préalables à la ratification du traité
d'Amsterdam, à la ratification du traité créant la Cour pénale internationale
et celle qui est relative à l'égalité entre les femmes et les hommes, ces deux
dernières ayant été adoptées hier au Congrès, ont obtenu, plus ou moins
facilement, l'accord du Sénat. Sur le dernier point, je me réjouis de l'accord
unanime donné par le Sénat à la création d'une délégation parlementaire aux
droits des femmes, qui permettra de mieux suivre la mise en oeuvre de la
parité.
A plusieurs reprises, l'utilisation de la procédure d'urgence a été critiquée
au motif qu'elle réduit le dialogue parlementaire. Le Gouvernement a entendu
cette critique puisque la procédure n'a été utilisée que huit fois au cours de
cette session, contre treize fois lors de la session précédente.
M. François Autain.
C'est vrai !
M. Daniel Vaillant,
ministre des relations avec le Parlement.
Au-delà de cette procédure, qui
n'est engagée que lorsque cela est nécessité par des considérations
objectives,...
M. Alain Gournac.
Non, non !
M. Daniel Vaillant,
ministre des relations avec le Parlement.
... je voudrais souligner que
le rythme de la session a été modulé par le Gouvernement afin de concilier la
volonté de mettre en oeuvre rapidement des réformes attendues par les Français
et en même temps d'approfondir la concertation avec les parlementaires. Il est
curieux de se voir reprocher le report de certaines réformes pour cette raison,
qui manifeste pourtant le respect du Gouvernement pour le Parlement et la
majorité parlementaire.
Il est tout autant curieux d'entendre parler d'enlisement des réformes lorsque
le Gouvernement donne toute son ampleur au bicamérisme, ce qui peut donner lieu
à sept lectures pour chaque projet de loi.
Le contrôle parlementaire a revêtu, lors de cette session, une dimension
particulière, à l'occasion de l'engagement des forces françaises au Kosovo.
Trente-six heures après l'engagement des opérations militaires, le
Gouvernement a fait, le 26 mars, une déclaration suivie d'un débat dans les
deux assemblées. Le ministre des affaires étrangères et le ministre de la
défense se sont rendus à de multiples reprises devant la commission des
affaires étrangères du Sénat.
M. Emmanuel Hamel.
C'est vrai !
M. Daniel Vaillant,
ministre des relations avec le Parlement.
De nombreuses questions
d'actualité ont été posées sur la situation au Kosovo. Au Sénat, une séance de
questions a été organisée pendant les vacances parlementaires de printemps le
15 avril, une autre le 29 avril. Le Premier ministre a personnellement répondu
aux questions des sénateurs au cours de ces deux séances.
J'ai veillé à ce que les présidents des groupes parlementaires et des
commissions compétentes soient reçus par le Premier ministre, qui les a
informés de l'évolution des opérations, et le Premier ministre s'est également
entretenu à plusieurs reprises avec vous-même, monsieur le président.
C'est d'abord et avant tout le Parlement que le Gouvernement a informé, ce qui
était nécessaire et bien légitime.
Je dirai enfin quelques mots des réformes institutionnelles et politiques.
Vous connaissez l'attachement du Gouvernement à la modernisation de nos
institutions et de la vie politique. Nous connaissons l'attachement du Sénat à
la vie locale et aux réformes qui concernent les collectivités territoriales.
C'est pourquoi je veux souligner l'importance de l'accord survenu en commission
mixte paritaire, après trois réunions et dix-huit heures de débats, sur la
réforme de l'intercommunalité, bien que ce texte ait fait l'objet d'une
déclaration d'urgence.
Les élus locaux que vous êtes également ont approuvé une réforme qui simplifie
la coopération intercommunale et ont ainsi encouragé la démarche du
Gouvernement visant à dépasser la dichotomie entre le rural et l'urbain.
Sur d'autres sujets, la loi d'orientation agricole, les polices municipales,
l'aménagement et le développement durable du territoire, la réflexion du Sénat
a substantiellement enrichi le débat.
L'intérêt du Sénat pour le projet de loi relatif à l'aménagement et au
développement durable du territoire s'est ainsi traduit par la création d'une
commission spéciale et plus du quart des amendements que celle-ci a présentés
ont été acceptés par le Gouvernement. Dans le même sens, le Sénat a approuvé la
création, proposée par l'Assemblée nationale, de délégations parlementaires à
l'aménagement et au développement du territoire.
Avec le projet de loi sur l'intercommunalité, ce texte a constitué le deuxième
volet d'une politique cohérente visant à améliorer l'efficacité de
l'intervention des collectivités locales dans l'aménagement du territoire.
Le Gouvernement attend donc beaucoup des propositions du Sénat de nature à
faciliter l'exercice des compétences locales, comme il est à l'écoute de ses
propositions sur la responsabilité juridique des élus et administrateurs
locaux.
M. Jean-Claude Gaudin.
Il était temps !
M. Daniel Vaillant,
ministre des relations avec le Parlement.
Afin de prendre en compte
l'intérêt du Sénat pour ces questions, je peux vous confirmer que, suivant ma
suggestion, le Gouvernement déposera sur le bureau du Sénat le projet de loi
relatif à l'action économique des collectivités locales.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, afin de vous
permettre, ainsi qu'au personnel du Sénat que je veux également, au nom du
Gouvernement, remercier très chaleureusement, de prendre un repos bien mérité
après une session intense, nous allons nous séparer pour les trois prochains
mois, en tout cas pour ce qui concerne les séances publiques, car je sais que
les parlementaires, qu'ils soient députés ou sénateurs, continueront à tenir
des réunions de groupe pour échanger, travailler et préparer la future session
de 1999-2000.
A la rentrée d'octobre, le Sénat devrait être saisi de la modernisation du
service public de l'électricité, de la réforme constitutionnelle relative à la
Polynésie et à la Nouvelle-Calédonie, du projet de loi relatif au rôle du
parquet et de la Chancellerie, nouvelle étape dans la réforme de la justice.
L'importance de la discussion sur la deuxième loi portant sur la réduction du
temps de travail devrait conduire à décaler d'une semaine le débat budgétaire,
comme je le disais ce matin lors de la réunion de la conférence des présidents.
L'adoption de la loi de finances en conseil des ministres restant avancée,
comme l'an dernier, à la mi-septembre, c'est donc un délai supplémentaire qui
sera laissé au Parlement pour examiner l'acte majeur de la vie parlementaire,
dont vous avez récemment débattu des grandes orientations.
Une lourde session s'achève, une autre s'annonce. La réforme avance. Au-delà
des clivages politiques légitimes en démocratie, le débat d'idées enrichit la
vie démocratique et parlementaire. La contribution du Sénat pour l'amélioration
de la qualité de la loi demeure essentielle. Je puis vous l'assurer, le
Gouvernement n'a pas besoin d'en être convaincu.
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur les travées du groupe
communiste républicain et citoyen, ainsi que sur plusieurs travées du RDSE, de
l'Union centriste et des Républicains et Indépendants, et sur quelques travées
du RPR.)
M. le président.
Mes chers collègues, avant d'aborder le point suivant de l'ordre du jour, nous
allons interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures, est reprise à dix-sept heures
quinze.)