Séance du 10 décembre 1998
AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE
Débat sur une déclaration du Gouvernement
M. le président.
L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat,
sur l'aménagement du territoire.
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le ministre.
Mme Dominique Voynet,
ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.
Monsieur
le président, mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez souhaité, dans
l'ordre du jour qui vous est réservé, que la Haute Assemblée débatte de
l'aménagement du territoire.
Je me félicite de cette initiative qui me permet de vous présenter les
orientations que le Gouvernement poursuit avec la préparation des contrats de
plan, la mise en oeuvre des fonds structurels et le projet de loi sur
l'aménagement et le développement durable du territoire.
J'évoquerai, d'abord, le contexte et les objectifs de l'aménagement du
territoire de notre pays.
Durant les trente glorieuses, l'Etat s'est donné plusieurs objectifs en
matière d'aménagement du territoire : la construction de grandes
infrastructures énergétiques et de transports réputées « structurantes » pour
l'économie, la constitution de métropoles d'équilibre et de villes nouvelles,
afin de contrebalancer le poids de l'agglomération parisienne. La politique
d'aménagement du territoire relevait alors d'une démarche centralisée, définie
à Paris.
Ensuite, depuis le début des années soixante-dix, l'Etat a été confronté aux
conséquences de lourdes mutations industrielles et agricoles, ainsi qu'à la
montée du secteur tertiaire. La décentralisation et la construction européenne
ont modifié les modalités d'intervention de l'Etat.
Aujourd'hui, le Gouvernement dresse quatre constats.
Premièrement, la politique d'aménagement du territoire ne se construit plus
seulement dans le cadre hexagonal. Elle doit prendre pleinement en
considération l'échelle européenne.
Deuxièmement, avec la décentralisation, l'Etat n'est plus le seul acteur de
l'aménagement du territoire, même s'il reste un garant essentiel d'unité et de
solidarité.
Troisièmement, les Français souhaitent être plus associés aux décisions qui
les concernent et participer plus concrètement et de manière permanente à la
construction de leur cadre de vie et de travail.
Quatrièmement, enfin, la conception centralisée de l'aménagement du
territoire, identifié à la mise en oeuvre de plans de construction
d'infrastructures a montré ses limites.
Partant de là, quels sont les grands enjeux pour notre pays ?
A grande échelle, tout d'abord, la France doit occuper une position centrale
d'échange et de contact au sein de l'Europe.
Elle participe de la dynamique et de la solidarité de plusieurs grandes
régions physiques, économiques et culturelles de l'Europe : bassin rhénan,
Europe du Nord-Ouest, bassin méditerranéen, région alpine, façade atlantique.
Notre politique d'aménagement du territoire doit s'appuyer sur cette diversité
et en faire un atout majeur pour assurer un développement équilibré.
A l'échelle des bassins de vie ensuite, car les mutations économiques
provoquent un accroissement de la mobilité professionnelle, sociale et
géographique, qui destructure les réseaux de sociabilité, nourrit l'exclusion
et renforce les inégalités.
La politique d'aménagement du territoire doit contribuer à maîtriser ces
phénomènes, en aidant les territoires les plus en difficulté, notamment les
zones rurales en voie de désertification, les zones en reconversion lourde et
les zones urbaines en difficulté à se forger un projet. Le soutien doit
notamment mettre l'accent sur l'éducation, la culture, l'information, la
communication, et sur l'innovation.
La politique d'aménagement du territoire doit aussi contribuer au renforcement
des dispositifs de proximité et à l'expression des solidarités locales
nécessaires à la constitution des réseaux sociaux. Dans un contexte
d'exacerbation des concurrences, elle doit privilégier les coopérations entre
territoires, afin d'améliorer les services offerts aux acteurs économiques et
aux populations, notamment en donnant corps aux réseaux de villes et de
pays.
Cette qualité de service doit s'appuyer sur l'organisation des services
publics qui structurent les territoires : dotés d'une autonomie et d'une
souplesse permettant de répondre aux besoins locaux, ils doivent répondre à des
cahiers des charges respectant l'organisation territoriale de l'Etat et celle
des collectivités, afin de rendre le service nécessaire, quel que soit le lieu
de résidence de nos concitoyens.
A l'échelle du temps, enfin, la politique d'aménagement du territoire doit
être durable. Elle doit prendre en compte l'environnement et les ressources
dans une perspective de long terme et de pérennité du développement.
L'environnement n'est plus un bien consommable ou un gisement à exploiter. Sa
qualité, sa diversité et les services qu'il rend aux populations sont, en soi,
des facteurs de développement et d'attraction : l'eau potable ou les eaux de
baignade, l'air, la prévention des risques industriels et naturels, la qualité
des paysages et la biodiversité sont de nouveaux paramètres de développement et
des éléments essentiels de bien-être.
C'est dans cette perspective que nous préparons les contrats de plan
Etat-région. Il s'agit d'outils essentiels de l'aménagement du territoire qu'il
nous faut mettre au point, adapter à l'environnement qui est le nôtre au
tournant de ce nouveau millénaire.
En effet, comme l'a rappelé la circulaire de M. le Premier ministre, le 31
juillet dernier, « nous avons besoin d'un autre type de développement, inscrit
dans la durée, qui s'attache à la fois à la création d'emplois ou d'activités
nouvelles et à leur caractère durable, c'est-à-dire compatible avec
l'efficacité économique, la justice sociale et la préservation de
l'environnement ». A la logique de guichet doit se substituer une approche par
projet.
Cette stratégie, que nous devons mettre en oeuvre pour la période 2000-2006,
est aussi nouvelle, par le fait qu'elle mise sur plus de concertation : « plus
de rigueur dans la contractualisation et les choix stratégiques de la part de
l'Etat et plus de participation et d'implication de tous les acteurs dans la
région, publics, privés et associatifs », a écrit M. Lionel Jospin aux membres
de son gouvernement ainsi qu'aux préfets de département et de région.
Enfin, ces contrats de plan entre l'Etat et les régions devront être élaborés
en parfaite cohérence avec les documents uniques de programmation
communautaires afin de bénéficier le mieux possible de l'appui des fonds
structurels de la prochaine génération.
En juillet 1997, la Commission publiait dans le document Agenda 2000 ses
propositions relatives à l'élargissement de l'Union européenne et au budget
communautaire. Ces propositions s'inscrivent dans une évolution historique de
l'Europe marquée par l'élargissement aux pays d'Europe centrale et orientale,
la réalisation de l'Union monétaire, les négociations de l'Organisation
mondiale du commerce.
En mars dernier, elle a rendu publics les projets de règlement qui devraient
permettre de mener à bien les nouvelles politiques de l'Union dans le domaine
des fonds structurels et de la politique agricole commune. Cette réforme
pourrait bouleverser les équilibres territoriaux si nous n'y prenons pas garde.
La concentration géographique des interventions se traduira en effet par un
moindre pourcentage des populations couvertes dans notre pays.
Mais cette réforme se traduira aussi par une simplification des interventions,
par plus de transparence, par l'élargissement et l'approfondissement du
partenariat. L'adoption de ces projets de règlements devrait intervenir au
cours du printemps et, ainsi, ce qui ne compromettra pas le démarrage effectif
des programmes en région.
L'objectif légitime de stabilité générale du budget communautaire doit non pas
conduire à sacrifier les politiques structurelles régionales au profit de la
seule politique agricole mais, bien au contraire, à s'attacher à prendre en
compte les différences de situations et les difficultés particulières de
certaines régions.
Le resserrement de l'intervention européenne autour de trois objectifs et de
trois programmes d'intérêt communautaire doit s'appuyer sur une combinaison des
critères objectifs de richesse et pauvreté - produit intérieur brut - de
difficultés sociales - évolution démographique, chômage et taux d'activité,
importance des situations d'exclusion - et de situations territoriales -
richesse, fragilité ou dégradation de l'environnement, densité d'occupation
humaine.
Vous l'aurez compris à travers mon propos, les régions sont, à mes yeux, les
interlocuteurs privilégiés de l'Etat dans le processus de contractualisation.
Elles doivent être les chefs de file de l'aménagement du territoire. Cette
confirmation répond au souci de clarification que nombre d'entre vous ont
formulé à plusieurs reprises. La reconnaissance pour la région de cette
fonction de chef de file pour l'aménagement du territoire ou le développement
économique n'est pas pour autant exclusive.
Les départements sont invités à s'associer à la contractualisation, à la
mesure de leurs compétences et de leur volonté de s'engager dans le cadre
régional. Ainsi les pays, sur lesquels je reviendrai en vous exposant les
grandes lignes de la loi d'orientation d'aménagement et de développement
durable du territoire sont des territoires de projets constitués sur une base
volontaire par les communes et groupements existants et seront soumis à l'avis
conforme des conférences régionales d'aménagement et de développement du
territoire, auxquelles participent explicitement les conseils généraux. Les
départements sont donc associés à la procédure de constitution, et on peut
supposer qu'ils passeront contrat ou signeront une convention avec les pays
qu'ils agréent.
Ainsi, le Gouvernement distingue clairement deux approches dans sa politique
d'aménagement du territoire : les niveaux de gestion, élus directement et dotés
de compétences, que sont les départements et les régions, et les échelles de
projets que sont non seulement les pays mais aussi, leurs aînés, les parcs
naturels régionaux.
Cette approche différenciée doit permettre de mieux répondre aux attentes des
citoyens, notamment au sein des conseils de développement des pays, de soutenir
des initiatives locales et la créativité citoyenne.
Comme vous le voyez, nous entendons bien renforcer et prolonger les avancées
de la décentralisation, dont vous vous félicitez sans l'avoir plébiscitée à
l'origine.
Pour la première fois, dans le cadre de contrats de plan et de programmes
européens, l'Etat affiche et met en débat sa stratégie en région, sans
obligation, en ne définissant pas
a priori
de « noyau dur », ni
exclusive. La première phase de débat sur la stratégie et les orientations, à
laquelle départements, collectivités locales et acteurs régionaux sont conviés,
sera prise en compte dans la définition des mandats de négociation.
De même, la définition du cadre territorial en agglomérations et pays fera
l'objet d'une première concertation et d'une période de contractualisation
possible jusqu'en 2003, ce qui permettra une élaboration cohérente et sans
précipitation, et laissera la porte ouverte au droit d'expérimentation ou à une
configuration régionalisée des contrats. Il n'y a donc aucune «
recentralisation rampante » dans la démarche du Gouvernement.
Cette démarche permet au contraire de prendre la pleine dimension des
processus de décentralisation en cours, notamment en matière de formation
professionnelle et de transport régional dans les régions, et d'action sociale
dans les départements. Les régions ont donc pour fonction d'animer, avec
l'ensemble des acteurs, le débat sur le projet régional.
Toutes les régions sont conviées dans les mêmes termes à cet exercice, sans
aucune différence de traitement. La composition de certains exécutifs
s'appuyant sur un accord avec l'extrême droite rend cependant l'exercice
démocratique plus difficile, voire inacceptable pour certains acteurs, et
appelle une vigilance accrue du Gouvernement sur les principes
démocratiques.
La réforme de l'assiette de la taxe professionnelle, la création de la taxe
professionnelle d'agglomération ou encore la révision des valeurs locatives
n'ont pas pour objet ni pour effet de centraliser. Elles ont pour effet de
favoriser l'emploi et d'introduire plus de solidarité dans la fiscalité locale.
Elles assurent une garantie des concours financiers de l'Etat aux collectivités
locales, qui les préserve de l'inflation et intègre la croissance.
Plusieurs d'entre vous se sont fait l'écho des difficultés posées par la «
dictature des normes » pour les collectivités locales. Celles-ci ne font que
transcrire - et à mes yeux souvent avec retard - la montée des exigences de
qualité ou de sécurité exprimées par nos concitoyens. Elles participent d'une
plus grande prise en compte des préoccupations qualitatives, par rapport à la
satisfaction des besoins quantitatifs. Ainsi, le désamiantage ou la collecte
sélective des déchets illustrent de façon spectaculaire cette évolution.
M. Jean-Claude Gaudin.
Très bien !
Mme Dominique Voynet,
ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.
L'aménagement du territoire doit s'assurer d'une qualité d'accès de chacun aux
services essentiels. L'évolution des maternités et des services d'urgence, des
commissariats et des gendarmeries ou encore la modernisation de La Poste
affectent la répartition de ces services publics sur le territoire. Elles ne
peuvent être conduites indépendamment les unes des autres, ou sans concertation
suffisante par chacune des administrations et chacun des établissements publics
concernés.
Les projets de réorganisation territoriale des services publics doivent être
étudiés en fonction de l'intérêt pour les populations desservies, de l'intérêt
pour l'Etat et de l'impact territorial, économique et social.
Ils doivent ête envisagés de manière interministérielle et faire l'objet d'une
étude d'impact. Ils ne peuvent être décidés sans une concertation préalable.
Le Gouvernement prépare la mise en place d'un dispositif coordonné de pilotage
en matière de services publics, et prévoit une politique d'accompagnement :
coordination par les préfets, contrats pluriannuels des services publics,
garanties d'accessibilité dans le cadre des volets territoriaux des contrats de
plan, développement des partenariats dans le cadre de services polyvalents,
aide à l'expérimentation locale, accompagnement financier des mutations...
Les obstacles sont donc nombreux pour promouvoir une politique renouvelée
d'aménagement du territoire. Dans sa déclaration de politique générale, le 19
juin 1997, le Premier ministre en prenait la mesure en décidant une « révision
de la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire
afin que toutes les dimensions - écologiques, culturelles, économiques - du
développement soient prises en compte dans les régions ».
C'est dans ce sens que j'ai préparé le projet de loi d'orientation pour
l'aménagement et le développement durable du territoire, que l'Assemblée
nationale examinera à compter du 19 janvier prochain et que la Haute Assemblée
examinera au cours du premier trimestre 1999.
Sans anticiper sur le débat parlementaire, je voudrais vous tracer les grandes
lignes de ce projet de loi.
Première nouveauté : au projet de schéma national, que le précédent
gouvernement n'avait pu formuler ni présenter au Parlement dans les délais
prévus par la loi de 1995, se substitueront des schémas de services collectifs
et des schémas régionaux d'aménagement et de développement du territoire. Ces
schémas seront inédits : ils reconnaîtront au développement des services une
importance au moins aussi grande que celle des équipements dits structurants,
sur les sujets qui appellent nécessairement une approche européenne et
interrégionale.
Les schémas relatifs à l'enseignement supérieur et à la recherche, à la
culture, à l'information et à la communication visent particulièrement au
développement de ces fonctions immatérielles.
Le projet de schéma « espaces naturels et ruraux » assure la cohérence du
projet de loi d'aménagement avec le projet de loi d'orientation agricole.
Les schémas relatifs à l'énergie et aux transports de voyageurs et de
marchandises prendront en compte la satisfaction des besoins à court terme, en
favorisant l'utilisation optimale des équipements et services existants, et la
préservation à long terme des milieux et des ressources.
Le projet de loi réaffirme la place des régions et la pertinence des approches
interrégionales, particulièrement à l'échelle des grands bassins fluviaux, des
massifs montagneux et des littoraux.
Une articulation nouvelle des territoires a été élaborée avec la constitution,
dans ce projet de loi, des agglomérations et des pays en cohérence, bien sûr,
avec le projet de loi relatif à l'organisation urbaine et à la simplification
de coopération intercommunale, que propose le ministre de l'intérieur.
Il s'agit de s'appuyer sur les communes et sur les trois formes de coopération
intercommunale que sont les communautés urbaines, les communautés
d'agglomération et les communautés de communes. Les deux premières seront
incitées à anticiper l'intégration de compétences et la solidarité fiscale par
l'élaboration et la mise en oeuvre de projets de développement à l'échelle de
l'agglomération.
Les communautés de communes seront, quant à elles, conviées à se structurer de
manière volontaire en pays. Ces territoires de projets, créés par la loi
d'orientation pour l'aménagement et de développement du territoire de 1995,
n'ont pas vocation à se transformer en structures intercommunales dotées de
compétences fortes ou à assurer des maîtrises d'ouvrages d'opérations
d'aménagement, et encore moins à se substituer à des collectivités existantes
tels que les départements.
Agglomérations et pays ont pour mission de définir et de mettre en oeuvre un
projet cohérent à l'échelle de leurs territoires. Ils s'appuieront pour ce
faire sur les politiques de l'Etat, sur celles des régions ou, s'ils le
souhaitent, sur celles des départements et des communes dans le cadre d'un
contrat.
La mise en oeuvre de ce projet est une condition nécessaire de la
reconnaissance et du développement des territoires. Elle constitue un facteur
indispensable à un développement équilibré permettant de diminuer les coûts
induits par l'hyperconcentration urbaine. C'est aussi un préalable à un effet
positif de désenclavement. Les territoires ruraux en difficulté et les zones
urbaines en conversion feront l'objet d'un soutien différencié.
Voilà en quelques mots, monsieur le président, mesdames, messieurs les
sénateurs, les grands axes de la politique d'aménagement du territoire que le
Gouvernement entend mettre en oeuvre. Les projets de loi en matière
d'orientation agricole, d'aménagement et de développement durable du
territoire, de renforcement de l'intercommunalité consolideront, j'en suis
convaincue, la mobilisation et la solidarité entre les territoires, ainsi que
la décentralisation.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des affaires économiques et
du Plan.
M. Jean François-Poncet,
président de la commission des affaires économiques et du Plan.
Le Sénat
vous remercie, madame la ministre, d'avoir accepté d'engager avec lui un débat
d'orientation sur l'aménagement du territoire. Il n'est pas de sujet qui soit,
avec la décentralisation, plus proche des préoccupations de la Haute Assemblée.
Comment d'ailleurs en serait-il autrement puisque le Sénat représente les
collectivités territoriales et que le développement est le souci quotidien
majeur des élus de ces mêmes collectivités ?
Mes chers collègues, l'aménagement du territoire, après avoir été dans les
années soixante et soixante-dix l'ardente obligation de la nation, a connu, à
partir du début des années quatre-vingt, des fortunes diverses. On peut
toutefois affirmer, sans grande crainte d'être contredit, qu'il est
progressivement devenu une préoccupation seconde. En effet, d'autres priorités
se sont imposées en raison de la crise économique et des sinistres sectoriels
et régionaux qu'elle a engendrés, aux quatre coins du territoire national, dans
la sidérurgie, dans le textile, dans la construction navale...
Puis est venue la loi du 4 février 1995, dont l'ambition - je ne dis pas le
résultat - a été de redonner à l'aménagement du territoire sa place au premier
rang des priorités gouvernementales. C'est cette loi que votre ministère vous
propose d'amender. Le Sénat en connaîtra le texte vers le mois de mars, si les
remous du calendrier parlementaire le permettent, et c'est alors que nous
aurons à en débattre.
Si vous me le permettez, madame, je voudrais concentrer les quelques
observations que j'ai à faire sur ce texte qui engage l'avenir à long terme.
Il se trouve que la contribution du Sénat à l'élaboration du texte de 1995 a
été particulièrement importante et, je crois pouvoir le dire, particulièrement
positive. Mais, madame, ce n'est pas une raison, soyez-en persuadée, pour que
le Sénat, mû par un amour-propre d'auteur mal placé, se montre systématiquement
critique à l'égard des amendements qui lui seront proposés pour modifier la loi
de 1995. Je tenais à vous en donner l'assurance. Sachez que nous examinerons et
débattrons sans aucun
a priori
de la loi Voynet.
De plus, nous ne nous refuserons nullement à « concevoir autrement
l'aménagement du territoire », comme nous y invite l'exposé des motifs. Si j'ai
bien lu le texte, l'adverbe « autrement » signifie qu'il s'agit désormais de
mettre l'accent sur le caractère durable que le développement et l'aménagement
du territoire doivent revêtir en cette fin de siècle.
Il est vrai que le Sénat se méfie des phrases toutes faites, qui dissimulent
souvent le vide de la pensée ! Mais si le développement durable veut dire
cohésion sociale, qualité de l'environnement et des ressources naturelles,
importance nouvelle accordée aux enjeux écologiques, diversités économique,
sociale et naturelle des territoires et au long terme d'une façon générale,
alors je crois que le Sénat ne trouvera rien à y redire.
Dois-je vous avouer, madame, que je n'ai à ce jour rencontré aucun sénateur
qui se déclare partisan d'un développement précaire portant atteinte à
l'environnement
(M. Jacques Machet applaudit)
et que personne, à ma
connaissance, n'a fait pareil reproche s'agissant de la loi de 1995 ?
M. Jean-Claude Gaudin.
Tout à fait !
M. Jean François-Poncet,
président de la commission des affaires économiques.
Le principal
reproche que vous-même, à travers cet exposé des motifs, adressez à cette loi,
c'est qu'elle n'a été que très partiellement appliquée.
M. Jean-Claude Gaudin.
Et pour cause !
M. Jean François-Poncet,
président de la commission des affaires économiques.
Je me dois donc de
souligner qu'elle a quand même fait l'objet de quarante-trois décrets
d'application et de cinquante et un arrêtés, circulaires et instructions.
Il est vrai que quelques textes relatifs aux officines de pharmacie, aux
évaluations cadastrales ou à l'obligation de déclaration d'hébergement
touristique n'ont pas été pris avant le changement de majorité.
Il n'en demeure pas moins que l'essentiel des mesures d'application avaient
été prises. Notre collègue Jean-Claude Gaudin, votre précédesseur, madame, y
avait soigneusement veillé, et il mérite à ce titre nos félicitations
rétrospectives.
(Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
Nous voici donc, mes chers collègues, saisis d'un texte qui ne cache pas
son ambition : réorienter profondément la politique d'aménagement du
territoire.
Nouvelle majorité, nouvelle politique ! Personnellement, j'ai un faible pour
la continuité républicaine, mais, après tout, pourquoi pas ? Ce texte, la
commission des affaires économiques n'a pas encore eu le temps de l'étudier,
mais je crois pouvoir dès à présent formuler quelques observations et vous
soumettre quelques questions, madame la ministre.
Ces observations et questions concernent quatre aspects du texte qui a été
déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale : sa dimension démocratique, sa
dimension territoriale, sa dimension économique et sa dimension financière,
c'est-à-dire, en fait, les aspects essentiels de l'aménagement du
territoire.
Je commencerai par la dimension démocratique.
La loi de 1995 était une loi-cadre. Le projet qui va sans doute nous être
soumis - mais encore faut-il savoir quelles modifications l'Assemblée nationale
y apportera - est un texte d'intention, de principe. Or, chacun le sait bien,
entre les intentions et leur mise en oeuvre, la distance est souvent très
grande.
La loi de 1995, bien que loi-cadre et, par la même, plus précise et plus
contraignante que le nouveau texte, avait institué un schéma national destiné à
traduire en termes concrets, en termes de terrain, le cadre tracé par la loi.
Ce schéma devait être soumis au Parlement et il était sur le point de l'être au
moment du changement de majorité.
Je vous ai bien entendue, madame, lorque vous nous avez expliqué, à l'instant,
que le gouvernement précédent n'aurait pas été en état de soumettre ce texte
dans les délais. Sur les délais, vous n'avez certes pas tort. Mais je ne
connais pas beaucoup de gouvernements qui aient respecté les délais prévus dans
les textes de loi ; c'est bien fâcheux, mais cela arrive souvent, et j'espère
simplement, madame, que vous ferez mentir ce jugement pessimiste que je porte
sur le temps qui s'écoule entre la promulgation d'un texte de loi et sa mise en
oeuvre.
Le schéma national disparaît. Or il devait être soumis au Parlement. Dès lors,
avec lui, disparaît également la consultation du Parlement sur l'application de
la loi-cadre.
Quant aux schémas de services, qui constituent l'essentiel de l'actuel projet,
ils seront, certes, débattus au niveau des régions, mais le Parlement, lui,
n'aura pas à en connaître. Je serais presque tenté de dire que tout le monde,
jusqu'à la dernière association, sera consulté, sauf le Parlement !
Vous reconnaîtrez que c'est surprenant, pour dire le moins, et cela m'amène à
vous poser, madame la ministre, la question suivante : acceptez-vous que les
schémas de services soient communiqués et débattus au Parlement ?
Si j'insiste sur ce point, mes chers collègues, c'est parce qu'une petite
phrase figurant à la page 8 de l'exposé des motifs a attiré mon attention et,
je dois l'avouer, a éveillé mon inquiétude. Cette petite phrase, qui pèse très
lourd, la voici : « Les schémas collectifs de services partent des besoins de
services et d'équipements et non de l'offre ou de la seule demande exprimée.
»
Mais qui, en dehors des populations concernées et des élus, de qui émanent les
demandes de services et d'équipements, sera habilité à apprécier les besoins ?
Qui dira, en l'absence du Parlement, qu'il y a un vrai besoin ? S'agira-t-il
des préfets ? Sera-ce la technocratie ministérielle parisienne ? Si c'était la
DATAR, je me sentirais rassuré...
(Sourires sur les travées du RDSE, de
l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Ou encore
s'agira-t-il de vous-même, madame la ministre, voire du Premier ministre ?
Selon moi, si les schémas de services, poutre maîtesse du texte, n'étaient pas
soumis au Parlement et si les besoins étaient arbitrairement évalués par une
autorité administrative ou ministérielle, en fonction de préoccupations qui
pourraient - qui sait ? - être partisanes, nous aurions tout lieu d'être
inquiets, inquiets pour la démocratie, à laquelle je vous sais, madame, si
attachée, inquiets pour l'aménagement du territoire. J'espère que vous pourrez
nous rassurer.
Notre deuxième préoccupation porte sur la dimension territoriale.
L'une des originalités du texte est de faire reposer l'aménagement du
territoire sur trois piliers : les régions, les établissements publics urbains
et les pays. Des départements, il n'est tout simplement pas question !
J'ai observé, madame, avec plaisir et même soulagement, que, dans votre
discours, vous vous étiez souvent référée aux départements. C'est une évolution
qui, je l'avoue, commence à me rassurer.
Il reste que, dans le texte, le mot même de département n'apparaît qu'une ou
deux fois, au hasard d'une phrase au demeurant sans portée.
Franchement, c'est un tour de force d'arriver à fonder toute une politique
d'aménagement du territoire en ignorant la collectivité territoriale sur
laquelle repose la structure administrative française !
On a le droit, bien sûr, d'estimer qu'il existe en France un échelon
administratif de trop. On a le droit d'observer que l'échelon régional est,
sous des appellations diverses selon les pays, l'aire territoriale reconnue
comme pertinaente de l'aménagement du territoire dans de nombreux Etats de
l'Union européenne.
Mais le texte du Gouvernement, s'il ignore le département, ne le supprime pas.
Or qui connaît la réalité française sait qu'il n'existe pratiquement aucun
projet, grand ou petit, économique, routier, universitaire, culturel ou, madame
la ministre, écologique, qui puisse se passer d'un financement départemental.
Comment, dans ces conditions, prétendre à la cohésion en matière d'aménagement
du territoire, souci qui revient sans cesse dans le texte, quand, en même
temps, on exclut un maillon territorial qui est toujours essentiel et souvent
central ?
Madame la ministre, accepterez-vous de réintroduire le département, par voie
d'amendement, à égalité avec les pays, les agglomérations et la région dans le
texte qui nous sera soumis ?
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union
centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
J'en viens à notre troisième préoccupation, qui a trait à la dimension
économique.
J'ai relevé avec satisfaction que la performance économique figurait au nombre
des buts fondamentaux qui sont assignés au projet de loi. Nous ne pouvons
qu'approuver cette mention, de même que nous approuvons l'accent qui est mis
dans le texte sur la nécessité de lancer de solides passerelles entre
l'enseignement supérieur et l'entreprise. Nous ne contestons nullement, non
plus, bien au contraire, le rôle structurant des villes dans le développement
de l'espace rural.
Mais peut-on dire, pour autant, comme on n'hésite pas à le faire dans le
projet de loi, que la richesse n'est produite qu'à la ville et qu'il n'y a pas
de dynamisme économique propre aux zones rurales ? Personnellement, je ne le
pense pas ; à condition, évidemment, que l'Etat dote ces zones des mêmes
infrastructures que leurs homologues urbaines, c'est-à-dire, en premier lieu,
des infrastructures de désenclavement sans lesquelles il n'y a pas, à notre
époque, de développement.
La desserte autoroutière des villes moyennes demeure un élément essentiel de
l'aménagement du territoire.
Il pourrait y avoir, à cet égard, madame la ministre, un point de désaccord.
Nous aurons à nous expliquer sur ce point, le moment venu.
M. le président.
Mon cher collègue, je me permets de vous prier de vous acheminer vers votre
conclusion, afin que puisse être respecté le temps de parole de chacun.
M. Jean François-Poncet,
président de la commission des affaires économiques.
Je vais donc aborder
très brièvement mon dernier point, monsieur le président, bien qu'il soit
peut-être le principal. Il s'agit du problème de la péréquation des ressources
entre collectivités riches et collectivités pauvres.
Le texte ignore totalement ce problème.
Il est vrai que la loi de 1995 en traite abondamment, à mes yeux de façon
d'ailleurs totalement innovante, et que les articles concernés de cette loi ne
sont pas abrogés. Cependant, dans l'énumération qui est faite d'un certain
nombre de dispositions de la loi de 1995 qui sont maintenues, ne figurent pas
celles qui sont relatives à la péréquation.
Cela m'amène évidemment à vous demander, madame, quelle est votre position
concernant la péréquation, que nous considérons ici comme l'un des piliers
centraux de l'aménagement du territoire.
Telles sont, madame la ministre, quelques-unes des observations et questions
que je voulais vous soumettre, en exprimant l'espoir sincère que nos débats
nous permettront de dégager un consensus.
L'aménagement du territoire est un sujet, nous le savons tous, essentiel pour
une grande majorité de nos concitoyens. Mais il ne progressera que s'il est
porté pendant toute une génération par la nation tout entière, au travers des
majorités diverses qui ne manqueront pas de se succéder. Il n'y a d'aménagement
du territoire que dans la continuité.
(Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
Je vous remercie, monsieur le président de la commission des affaires
économiques, de votre compréhension.
La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes
économiques de la nation.
Monsieur le président, madame la ministre, mes
chers collègues, je veux - brièvement, puisque mon temps de parole est compté,
ce qui est bien naturel - me réjouir aussi que ce débat puisse se tenir
aujourd'hui ici, au Sénat, sur l'initiative de son président, notre assemblée
ayant institutionnellement vocation à représenter le territoire et les
collectivités qui le forment.
Vous avez également bien fait, madame la ministre, de choisir le Sénat, car,
si celui-ci sait s'opposer - et il ne le fait que lorsque c'est nécessaire - il
sait aussi très souvent se rassembler sur les grands enjeux. Or l'enjeu de
l'aménagement du territoire mérite, précisément, la recherche d'un large
consensus ; je souhaite que vous puissiez vous y associer.
Ce débat vient également à propos, puisque de nombreuses échéances se
présenteront dès l'année prochaine : les fonds structurels européens, les
contrats de plan Etat-région, puis les contrats de ville.
Nous aurons aussi à débattre de textes importants ; M. François-Poncet y a
fait allusion, je n'y reviens pas.
Madame la ministre, le Gouvernement nous dit vouloir privilégier la recherche
d'un développement durable du territoire. Qui ne souscrirait pas à la volonté
d'inscrire dans la durée une politique d'aménagement du territoire ?
Il nous faut cependant nous accorder sur la signification de l'épithète «
durable », qui, jusqu'à présent, a été utilisée lors des sommets internationaux
portant sur la préservation de notre planète. Il reste à en donner un vrai
contenu pour l'aménagement du territoire français.
Certains ont redouté - c'est le cas du Conseil économique et social - que,
sous couvert d'aménagement durable du territoire, on ne privilégie « l'existant
» au détriment de la réalisation d'infrastructures nouvelles.
Sur une question de cette importance, il est nécessaire, madame la ministre,
que vous leviez toute ambiguïté.
Personnellement, je ne souhaite pas que l'on vous prête des intentions, que
des décisions malheureuses vous soient imputées alors que vous ne le méritez
pas. Il est temps d'expliquer clairement à la nation ce qui relève de
difficultés de financement et ce qui résulte d'un refus d'agir.
Vous le savez, les réticences du Gouvernement à l'égard des propositions
ambitieuses formulées au Sénat en matière d'infrastructures de transport ont
heurté la Haute Assemblée. Cela a été dit ; cela doit être rappelé.
Si nous souhaitons, comme vous, madame la ministre, qu'une politique
d'aménagement du territoire ait l'ambition de la durée, nous souhaitons
également qu'elle réponde à une exigence d'équilibre.
Cette exigence peut se décliner à plusieurs niveaux, et tout d'abord par un
équilibre entre les différents niveaux de décision. Aujourd'hui, la politique
d'aménagement du territoire a une dimension européenne, une dimension nationale
et une dimension locale. Tous ces niveaux se complètent utilement.
Par l'ampleur des masses financières qu'elle mobilise, la politique
structurelle européenne joue dorénavant un rôle essentiel. Des modifications
importantes dans ces mécanismes d'intervention et dans les concours nous
attendent.
Veillons soigneusement à ce que la réforme des fonds structurels, en
particulier la fusion des objectifs « 2 » et « 5 » en un objectif « 2 nouveau
», ne se traduise pas par un affaiblissement de l'effort en faveur du monde
rural, même si je mesure parfaitement, en tant que maire de villes, les défis
urbains que nous avons à relever.
L'échelon national demeure essentiel à mes yeux : c'est à l'Etat qu'il revient
de promouvoir une vision globale de l'aménagement du territoire. Il ne peut se
contenter de relayer la politique structurelle européenne. Tout en cherchant
les complémentarités indispensables, il doit assumer et affirmer sa pleine
responsabilité.
A cet égard, l'abandon du schéma national d'aménagement du territoire nous a
inquiétés : comment les huit schémas de service collectif et les schémas
régionaux garantiront-ils cette vision globale et cette responsabilité
indispensable que j'évoquais ?
La juxtaposition de huit approches sectorielles rendra plus difficile la
cohérence d'une politique. Ne craignez-vous pas qu'il n'en résulte une approche
technocratique où chaque ministère aura son schéma à défendre ?
Un équilibre est aussi à trouver entre les collectivités territoriales de
plein exercice. Les espaces de développement de pays et d'agglomérations
peuvent incontestablement bâtir des projets locaux ambitieux, qu'il faut en
effet encourager. Mais, madame la ministre, soyons lucides : n'allons pas
jusqu'à croire qu'ils couvriront l'ensemble du territoire.
Des discriminations positives, pour employer une expression à la mode,
resteront indispensables pour venir en aide aux zones les plus défavorisées,
qu'il s'agisse des quartiers dégradés ou des zones rurales.
Le « rôle structurant des villes » et leur « capacités à féconder les
territoires qui les entourent », pour reprendre vos paroles, n'auront pas la
force de rayonnement suffisante pour offrir leur chance aux espaces les plus
ruraux de notre territoire.
Des mesures spécifiques et adaptées pour des territoires singuliers - les
quartiers urbains, l'espace rural profond, la montagne ou le littoral -
demeureront nécessaires.
Une politique de soutien aux réseaux de villes moyennes est également capital
si nous voulons maintenir le tissu industriel de la France.
J'insisterai maintenant sur un autre aspect.
A côté des acteurs publics, le rôle des acteurs privés est décisif, n'oublions
jamais de le rappeler. Ce sont des emplois privés dont la France a besoin. Pour
maintenir et pour créer ces emplois, nous devons nous appuyer sur les
entreprises, sur les investisseurs, qu'ils soient français ou étrangers. Nous
devons prendre l'habitude de les considérer comme des acteurs à part entière de
l'aménagement du territoire.
Madame la ministre, mes chers collègues, ayons une claire conscience que,
demain, avec l'euro, une concurrence fiscale et sociale, une mobilité
croissante des entreprises et de leurs salariés vont s'affirmer. Les régions
européennes entreront en compétition et nos territoires doivent se préparer à
devenir très compétitifs.
Nous sortons, mes chers collègues, de trois semaines de longs, parfois trop
longs débats sur la loi de finances et je ne vous cacherai pas une certaine
préoccupation. Oui, il est souhaitable, il est indispensable de réfléchir à
l'aménagement du territoire. Mais il est également urgent et indispensable,
madame la ministre, de diminuer nos prélèvements obligatoires pour stimuler les
créateurs d'entreprises, de limiter les dépenses publiques pour alléger les
charges des entreprises, de réduire les déficits pour ne pas décourager les
jeunes générations et ne pas les tenter d'aller exercer leurs talents à
l'étranger.
Enfin, si nous voulons élaborer une politique d'aménagement du territoire
équilibrée, si nous voulons rendre nos territoires compétitifs, il nous faut
adopter une méthode qui associe tous les partenaires.
Le Parlement et les collectivités territoriales doivent donc être réellement
associés. Nous nous sommes inquiétés, madame la ministre, des déclarations qui
ont pu laisser penser que le Gouvernement serait tenté de brusquer la
discussion parlementaire du projet de loi que vous déposerez sur le bureau du
Parlement. Le débat que nous avons aujourd'hui est un signe encourageant, mais
il doit être conçu comme la première étape d'un échange que nous souhaitons
riche et constructif ; rien ne serait pire qu'il apparaisse comme un lot de
consolation avant une procédure législative écourtée. Cette inquiétude est
aussi celle des collectivités territoriales. Les conditions assez précipitées
dans lesquelles se sont engagées les négociations des contrats de plan
Etat-région ont pu laisser, ici ou là, l'impression, malgré des déclarations
tout à fait positives du Gouvernement, que celui-ci aurait une approche encore
un peu directive. La fermeture de certains services publics en milieu rural, la
tentative de réorganisation des implantations de gendarmeries et de
commissariats ont montré que les concertations préalables avaient été
insuffisantes.
De ce point de vue, l'adoption du projet de loi d'orientation de 1995 aura été
un exemple, car il avait été précédé d'un grand et authentique débat région par
région. Madame la ministre, seule une concertation approfondie avec l'ensemble
des partenaires intéressés permettrait à une politique d'aménagement du
territoire de se doter des fondements solides sans lesquels elle ne peut
espérer être « durable ».
Pour conclure, je souhaite dire un mot de mauvaises habitudes françaises dont
nous tardons à nous corriger.
Le monde de demain, marqué par des changements prodigieux dans les domaines
technologiques, industriels, financiers et humains, n'appelle-t-il pas des
pratiques plus efficaces ? Schémas, zonages, procédures, comités, conseils,
règlements, cofinancements, structures en place et en devenir : cet écheveau -
réputé nécessaire - n'épuise-t-il pas les énergies créatrices de notre pays ?
Ne bride-t-il pas toutes les initiatives ? La non-consommation de crédits
communautaires n'en constitue-t-elle pas, madame la ministre, une présomption
inquiétante ?
Le monde nouveau est un monde de changements importants, il appelle à beaucoup
de souplesse, d'expérimentation, d'adaptation et de grande rapidité dans les
décisions. Il nous invite à nous réformer, à nous moderniser, à devenir plus
efficaces, plus compétitifs, pour redevenir ce que les Français ne doivent
jamais cesser d'être et que le Gouvernement ne doit jamais cesser de leur
demander : être les meilleurs !
(Applaudissements sur les travées de l'Union
centriste, des Républicains et Indépendants et du RPR, ainsi que sur certaines
travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
président, madame la ministre, mes chers collègues, l'aménagement du territoire
s'est imposé, du moins semble-t-il - nous le croyons jusqu'à ce jour - comme
une idée-force et comme une préoccupation politique essentielle.
Peut-être - je m'avance avec beaucoup de prudence - ne nous sommes-nous pas
suffisamment interrogés sur sa signification.
Une politique d'aménagement du territoire s'analyse, en définitive, comme une
tentative de corriger le cours naturel des choses. Cette tentative de
correction concerne, d'abord, la répartition des hommes sur le territoire. Il
existe une tendance normale à la concentration urbaine, avec, de façon
particulièrement nette en France en raison de l'étendue de notre territoire et
de notre faiblesse démographique au kilomètre carré, l'apparition d'une
certaine désertification.
Cette tentative de correction tend à réaliser, ensuite, un certain
rééquilibrage des forces de production.
Aménager le territoire, c'est donc aller contre ce que la force des hommes et
des choses pourrait, peut-être, naturellement produire.
La loi de 1995, à laquelle le Sénat, sur la base des travaux remarquables de
la commission des affaires économiques, a beaucoup contribué, a marqué la
tentative d'aboutir à une double correction de ces situations de fait,
essentiellement par une politique de redistribution des aides et de
l'implantation des entreprises.
J'avoue avoir eu quelques doutes quant aux principes sur lesquels elle
reposait. Je ne suis pas persuadé non plus que les premiers résultats aient été
tous positifs.
Ainsi, certaines délocalisations, financées par des fonds publics qui
dispensaient les entrepreneurs d'accomplir un effort d'investissement, ont créé
du chômage dans les lieux d'implantation primitive, sans pour autant aboutir à
un développement économique durable.
Les entrepreneurs n'ont pas besoin d'un assistanat systématique. Ce qu'ils
attendent, c'est la libre implantation de ce qu'ils voudraient pouvoir faire
dans un certain nombre de cas. Ce qu'ils attendent également, c'est une
législation qui, enfin débarrassée de je ne sais combien de contraintes,
aboutisse à la libération des énergies sans lesquelles rien n'est possible.
Cette loi avait toutefois le mérite d'exister. Elle a été conduite avec
énergie et elle aurait pu, à long terme - et moyennant quelques correctifs -
produire tous les effets positifs que l'on attendait d'elle.
Vous avez bien voulu, madame la ministre, venir devant nous pour nous faire
part de vos intentions.
Notons que l'examen en urgence du texte annoncé ne se justifie guère. Le temps
qui vous a été nécessaire et les difficultés rencontrées, les arbitrages
intervenus - sans doute positifs - au cours de son élaboration justifieraient
un examen approfondi par le Parlement.
L'aménagement du territoire est avant tout, qu'on le veuille ou non, un
problème financier. Vos intentions, en la matière, on vous l'a dit,
n'apparaissent pas très clairement. En revanche, vous mettez l'accent sur
l'aspect structurel d'une politique qui demeure nécessaire.
Vous privilégiez le développement des agglomérations, au motif que seule la
ville créerait de l'emploi. Le développement des zones rurales est relégué au
second plan sous l'effet de la prééminence du fait urbain.
Le renforcement des pays que vous annoncez ne doit pas faire d'eux un échelon
administratif supplémentaire. Leur définition, nous dit-on, sera appréciée par
une commission coprésidée par le préfet et par le président du conseil
régional. Qu'entend-on par là ? Quelle sera la portée juridique de la décision
prise ?
Le département a été, jusqu'à ce jour, le cadre de la mise en oeuvre de la
nécessaire solidarité entre la ville et le milieu rural. Vos propos à cet égard
ont été jugés relativement rassurants. Mais, comme nous vous l'avons dit, les
financements départementaux sont indispensables pour assurer cette
solidarité.
Je crains - peut-être mon inquiétude est-elle exagérée - qu'on ne veuille
s'orienter sans le dire expressément - mais toute une série de mesures,
annoncées ou en cours d'élaboration, nous permettraient de le penser - vers un
dépérissement programmé de la structure départementale avec, en corollaire, le
risque d'un affaiblissement de ces solidarités dont elle a été jusqu'à ce jour
le cadre.
Je note, enfin, les contradictions que recèlent vos intentions pour la région
parisienne. Le développement de l'Ile-de-France relève de l'intérêt
national.
J'ai noté avec inquiétude que, selon une enquête, quarante grandes entreprises
internationales ne choisissent pas, pour des raisons diverses, la région
parisienne pour s'implanter. Elles préfèrent s'installer en Grande-Bretagne, en
Allemagne ou aux Pays-Bas.
Dans le même temps, vous affirmez vouloir préserver les zones rurales et
limiter les nécessités des déplacements quotidiens.
S'agissant de la région d'Ile-de-France, nous savons le rôle pour le moins
contestable d'une filiale de la DATAR, d'ailleurs quelque peu mise en sommeil,
Entreprise territoires et développement, dont le rôle de délocalisateur
systématique a été, c'est le moins qu'on puisse dire, diversement apprécié.
On voit mal comment seront favorisées les créations d'emplois à l'échelon
régional, et sur quels pôles de développement elles s'appuieront si l'on veut,
dans le même temps, limiter les déplacements. Nous attendons de votre texte
qu'il définisse de façon plus précise la perspective qu'il vous appartient de
tracer, c'est-à-dire le visage de la France de demain.
Certaines de vos intentions nous inquiètent.
Nous y percevons des risques de surcharge administrative, une élimination
partielle des acteurs réels du développement et, face à un pays éclaté,
atomisé, l'amorce d'une recentralisation souhaitée par certains.
Si telles étaient les conséquences de la politique à laquelle vous souhaitez
attacher votre nom, le Sénat, le moment venu, ne manquerait pas de vous
exprimer ses réserves. Telle n'est pas, vous le savez, son intention première.
Nous souhaitons que vous teniez compte de nos observations et que vous nous
permettiez, le moment venu, dans le cadre d'un débat qui prendrait le temps
nécessaire, de vous apporter notre soutien.
(Applaudissements sur les
travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union
centriste.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 55 minutes ;
Groupe socialiste, 45 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 34 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 31 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 20 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 17 minutes.
Dans la suite du débat, la parole est à M. Puech.
M. Jean Puech.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il est bon que
le Sénat ait inscrit à son ordre du jour ce débat comme il l'a fait, voilà
quelques semaines, pour la décentralisation. Il est, en effet, très important
de resituer nos réflexions dans une perspective politique d'ensemble, à la
veille d'être saisis par le Gouvernement des projets de lois relatifs à
l'aménagement du territoire et à l'intercommunalité.
Ce sujet est vraiment d'actualité. Voilà quelques jours, à Rennes, le
Président de la République nous a montré la voie et a invité le Parlement et
les élus locaux, en toute priorité, à en débattre avec sérénité.
L'Europe se bâtit, la mondialisation de l'économie s'amplifie, accentuant les
tendances à l'hyperconcentration urbaine et à la désertification rurale. Je
souhaite que nous prêtions une attention particulière aux aspects qui se
dégagent avec une grande acuité.
En premier lieu, il faut éviter de considérer que la poursuite de
l'urbanisation est partout inéluctable, sinon, à l'évidence, elle sera de plus
en plus difficile à maîtriser.
En second lieu, il faut porter tous nos efforts sur l'organisation des
services publics et au public qui induit et induira pour les décennies à venir
l'organisation du territoire et le paysage institutionnel de nos
collectivités.
Enfin, il faut conduire cette réflexion au plus près du terrain avec les
acteurs eux-mêmes, au premier rang desquels figurent les élus locaux. Il
convient de clarifier, de conforter, de sécuriser leurs compétences et leurs
responsabilités, afin d'exploiter au mieux leurs capacités d'initiative et
d'expérimentation.
L'urbanisation doit être maîtrisée. Aucune politique de la ville ne réussira
si nous ne nous dotons pas des moyens de cette maîtrise. Si nous ne le faisons
pas, elle sera toujours contrainte à n'être qu'une politique curative
s'efforçant de pallier sans cesse les effets désastreux qu'elle engendre dans
les domaines économique et social.
Comment parler de développement durable quand on passe son temps à courir
après l'insécurité, la délinquance, l'exclusion, la dégradation de l'habitat ?
Actuellement, 80 % de la population vit en zone urbaine ; c'est un fait. Est-ce
un bien pour les populations et les citoyens ? La qualité de vie y est-elle
meilleure ? La citoyenneté y est-elle plus grande ? Le civisme y est-il une
règle partagée ? La démocratie y est-elle mieux assurée ? Cela paraît, vous en
conviendrez, de moins en moins évident.
Certes, dans les années soixante-dix, voire quatre-vingt, certains pouvaient
peut-être prétendre que la richesse économique ne se créait que dans les
grandes agglomérations ; cette corrélation pouvait encore paraître évidente à
une grande majorité d'experts. Nous pouvions encore croire que la valeur
ajoutée ainsi créée dans nos villes remédierait à court terme au fléau des
ghettos de Sarcelles, de Mantes-la-Jolie et de Vénissieux. Il n'en a rien été,
bien au contraire. Aujourd'hui encore, les prestigieuses tours de la Défense
voisinent avec les tours d'HLM de Nanterre, qui secrètent la même
marginalisation que bien d'autres agglomérations urbaines.
La taxe professionnelle même si elle est bientôt aux trois quarts
nationalisée, et les efforts des élus et des acteurs sociaux sur le terrain ne
suffiront jamais à combattre les phénomènes croissants de pauvreté, encore
moins à financer, à des coûts prohibitifs, les infrastructures nécessaires pour
les grands groupes de plus en plus exigeants.
Je me félicite de la préoccupation constante des gouvernements récents de
mettre en oeuvre une politique de la ville cohérente dont les deux principes
directeurs sont l'amélioration de la vie quotidienne de nos concitoyens,
notamment dans les zones périphériques, et un partenariat social renouvelé dans
sa conception, dans ses moyens et dans ses objectifs.
Pourtant, cette relance, encore réaffirmée récemment par un comité
interministériel, me paraît souffrir de plusiers défauts majeurs. Elle ne pose,
tout d'abord, pas les limites de l'exercice. J'entends par là qu'elle ne
prévoit pas les moyens de maîtriser cette urbanisation. Elle se condamne ainsi
sans fin à un effort d'accompagnement social et d'investissement dont elle ne
se donne pas le moindre moyen sérieux d'évaluation.
Il est bien de courir après l'urgence mais où doit-on s'arrêter ? Il s'agit
donc de préciser, d'abord, les limites qu'il ne faut pas franchir, faute de
quoi l'exercice aura vite atteint ses limites.
Enfin, nous devons nous efforcer d'éviter de cloisonner la politique
d'aménagement du territoire entre une politique de la ville et une politique
des espaces ruraux. Telle est la raison pour laquelle notre politique
d'aménagement du territoire doit s'appuyer à la fois sur une politique
économique et une politique de services équilibrées.
Je ne m'étendrai pas sur la politique économique à mettre en oeuvre. D'autres
dans cette enceinte le feront, avec le talent qui est le leur.
A cet égard, bien des exemples étrangers, comme la
Silicon Valley
, mais
il y en a d'autres - et je suis toujours admiratif des équilibres que certains
pays, comme le Japon, ont réussi à trouver -, comme chez nous ceux de Sophia
Antipolis et du Futuroscope, devraient nous amener à considérer que la création
de richesses ne répond plus au même facteur de localisation qu'il y a quelques
années. Ainsi, la tendance lourde à l'urbanisation doit pouvoir être freinée et
inversée sans nuire à la dynamique de notre système économique et à ses
performances.
De plus, nous avons besoin d'une politique de services concertés. J'ai bien
noté l'importance accordée par le Gouvernement à l'élaboration de huit schémas
de services, pas moins ! Je veux, à ce propos, formuler quelques observations
préalables et une demande très formelle allant dans le sens des questions
posées par M. le président de la commission des affaires économiques.
A partir du moment où il n'y a plus de schéma national, comment la cohérence
d'ensemble de ces schémas sectoriels sera-t-elle assurée ? Le Parlement en
sera-t-il saisi ? Nous le souhaitons, mais il semble que, pour l'instant, ce ne
soit pas dans les intentions du Gouvernement. Je ne vois pas pourtant comment
il pourrait s'y soustraire.
A l'inverse, je m'interroge encore beaucoup sur les procédures de concertation
locale qui ont été annoncées et qui me paraissent relever de vastes
grands-messes. La préparation à l'échelon local de la concertation est toujours
délicate et difficile. N'ouliez pas de solliciter les relais qualifiés que sont
les responsables des collectivités territoriales. C'est à ce niveau que l'on
décloisonnera politique de la ville et politique de l'espace rural, ce dernier
étant considéré comme un espace de création de richesses à part entière, et pas
seulement comme un espace à caractère exclusivement agricole ou comme un espace
naturel à protéger, comme on le laisse souvent entendre.
Sur un plan juridique, il importe de savoir clairement quelle sera la portée
de ces schémas, quelles en seront les conséquences à travers les discussions
très concrètes des contrats de plan, de la dévolution des fonds structurels et
de la définition des zonages et de leur mise en oeuvre. Il importe aussi de
savoir clairement comment sera assurée la cohérence sur le terrain avec les
très nombreuses initiatives prises par les collectivités dans leur champ
territorial.
Je pense, vous l'imaginez, à la place du département, échelon indispensable
qui a fait la preuve de son efficacité pour initier, coordonner et adapter les
politiques en tenant compte des spécificités locales.
Je pressens, bien entendu, que ces schémas de services ne feront que tracer un
cadre à long terme pour orienter les politiques respectives des acteurs
publics, mais les critères de sélection qui auront guidé leur élaboration
seront le reflet d'une certaine conception de l'aménagement du territoire.
Enfin, je dirai quelques mots sur les services publics locaux.
Nous dénombrons huit schémas de services. Je proposerais d'en ajouter un
neuvième, relatif aux services publics locaux. Cela concerne l'ensemble du
territoire dans toutes ses composantes : urbaines, périurbaines et rurales.
Nous, élus locaux, ne pouvons nous satisfaire de discuter un jour avec La
Poste, le lendemain avec la SNCF, de protester le surlendemain contre le
redéploiement des forces de gendarmerie et de police, de discuter un autre jour
avec les trésoriers-payeurs généraux et, enfin - ce n'est pas le plus simple -
avec l'éducation nationale.
Dans une région, un département, une commune, l'implantation de ces différents
services de base pour les particuliers comme pour les entreprises ne peut être
traitée de façon indépendante. L'égalité de tous devant les services publics
est l'un des éléments constitutifs de la citoyenneté. Elle ne peut pas non plus
être traitée selon des critères préétablis d'en haut, qui ne prennent en compte
ni la spécificité locale ni les synergies éventuelles entre services et, bien
sûr, entre administrations et collectivités. J'ajoute que, dans la plupart des
cas, les ministères concernés ou les grands services publics prennent
systématiquement en compte l'obligation volontaire pour les collectivités, et
donc pour le contribuable local, de verser une prestation financière. Cela rend
d'autant plus difficiles à accepter ces procédures imposées d'en haut. Les
schémas régionaux, départementaux, intercommunaux ou communaux doivent être
réactivés et systématiquement mis en place.
A cette fin, une vraie déconcentration à l'échelon des préfets doit être
réalisée et toute la souplesse nécessaire à la prise d'initiative et à
l'expérimentation doit être conférée aux collectivités. Sinon, on verra
s'amplifier, dans les mois à venir, la protestation des élus et des citoyens,
mettant à mal tout dialogue avec le service public dans son ensemble. Je ne
crois pas que cela soit vraiment dans l'intérêt de celui-ci.
Voilà les quelques réflexions que je souhaitais vous livrer, madame la
ministre, mes chers collègues. En définitive, ce débat, comme celui qui portait
sur la décentralisation voilà quelques semaines, imposera qu'une discussion
approfondie s'engage, accompagnée d'une réflexion d'ensemble du législateur.
Puisse-t-elle permettre que la France ne s'engage pas dans le troisième
millénaire sur les simples indications de brillants experts dont la science ne
saurait être contestée, mais dont l'expérience ne peut se substituer à la
nôtre, encore moins à notre responsabilité, celle que les Français nous ont
confiée !
(Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et
Indépendants, de l'Union centriste et du RPR, ainsi que sur certaines travées
du RDSE.)
M. le président.
La parole est M. Paul Girod.
M. Paul Girod.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, vous me
permettrez de me livrer à quelques réflexions sur l'aménagement du territoire,
qui, d'une certaine façon, fonde en grande partie notre rôle même d'élu, quels
que soient le niveau de responsabilité auquel nous exerçons nos talents et les
mandats que nous avons reçus, qu'ils soient locaux ou nationaux.
Je commencerai, madame le ministre, par une réflexion sur la situation
actuelle de notre pays au regard de son territoire, de sa population et de son
devenir, en fondant cette réflexion sur une observation.
La fin du xviiie siècle n'a pas été marquée par la seule Révolution française,
elle a aussi été le point de départ de trois phénomènes concomitants : le
lancement, à l'échelon planétaire, de l'idée de démocratie, qui implique au
premier chef que les citoyens sont désormais directement intéressés à tout ce
qui touche à leur vie quotidienne et au développement du territoire sur lequel
ils vivent ; l'entrée en force de ce que l'on pourrait appeler l'économie
moderne, dont le développement tout au long des deux derniers siècles a
totalement transformé les rapports de l'homme à la nature ; la création
ex
nihilo,
pour la première fois - par des méthodes peut-être contestables -
d'un très grand pays, les Etats-Unis d'Amérique, dont la population est
intégralement constituée d'apports de populations étrangères, et qui par
conséquent s'est construit sans aucune base de départ et sans avoir à tenir
compte d'aucune espèce d'héritage millénaire. Il s'agit-là de trois phénomènes
dont la conjugaison aboutit à d'étranges situations.
Puisque l'on parle du développement du territoire français, force est de
regarder comment il s'insère dans le territoire plus large au coeur duquel il
se situe, c'est-à-dire l'Europe.
Si l'on revient à la référence de deux siècles en arrière et si l'on regarde
ce qu'étaient les populations avant l'irruption de cette nouveauté qu'est
l'économie moderne, très largement fondée sur la consommation d'énergies
fossiles - car il ne faut pas oublier que, si l'économie moderne est ce qu'elle
est, c'est parce que les consommations d'énergie par habitant sont sans commune
mesure avec ce que l'on pouvait imaginer, rêver ou oser espérer à la fin du
xviiie siècle - si l'on considère donc ce qu'était l'Europe à cette époque, on
s'aperçoit que la population était partout la même, à savoir un habitant par
hectare cultivable, quel que soit le pays considéré.
Si l'on considère maintenant l'évolution des choses depuis cette époque, on
s'aperçoit que la France constitue, en Europe, un cas très particulier. En
effet, en France, toutes immigrations incluses, la population a été multipliée
par un coefficient de 1,6 tandis que dans les autres pays, toutes émigrations
assumées, la population augmentait avec des coefficients de 4 à 12. C'est
pourquoi, madame le ministre, aujourd'hui, vous avez la responsabilité
d'aménager un pays vide, ou relativement vide, de population.
Certes, on peut gloser à perte de vue pour savoir si la chute de la natalité
française a coïncidé avec la disparition du droit d'aînesse - c'est une thèse -
avec la nécessité d'un héritage partagé entre tous les enfants d'une famille,
ou si elle est due à des pulsions beaucoup plus anciennes. On peut aussi gloser
sur l'influence éventuelle des massacres des guerres napoléoniennes et des
guerres suivantes sur ce phénomène. Cela ne change rien au fait que la natalité
a chuté dans notre pays.
Cela signifie, madame le ministre, que vous avez à gérer un pays dans lequel
le problème des voies de communication ne se pose pas dans les mêmes termes que
chez nos voisins d'Europe, et que le rôle de la ville, ramené à l'ensemble du
territoire, n'est pas le même en France qu'en Allemagne.
Au moment de l'examen de la loi de 1995, j'ai été de ceux - et j'espère que
notre collègue M. Hoeffel qui était, à l'époque, au gouvernement en charge de
ces domaines au niveau ministériel me pardonnera - qui ont attiré l'attention
du Sénat sur cet aspect, en disant que l'on ne pouvait pas faire une loi
exagérément ruraliste dans la mesure où l'on ne saurait pas où prendre la
population pour redynamiser et repeupler le milieu rural, puisque nos grandes
villes ne sont pas tellement trop grandes par rapport aux autres villes
d'Europe. La région parisienne, elle-même, si forte soit-elle par rapport au
reste de la France, ne s'hypertrophie que parce que le reste de la France est
faible, alors que les autres grandes métropoles capitales de l'Europe, voire
hors de notre continent, sont de dimensions comparables.
Nos grandes villes ne sont donc pas trop grandes. En revanche, elles sont peu
nombreuses et elles sont éloignées les unes des autres. Cela nous impose à la
fois de gérer des excédents agricoles - j'y reviendrai dans un instant à propos
du projet de loi d'orientation - et un maillage de circulation sur l'ensemble
du territoire, qui ne comporte pas les mêmes contraintes que dans les autres
pays européens.
Cette réalité démographique et démocratique car en même temps la démocratie se
développait, est une des raisons du maillage administratif qui est le nôtre,
avec un nombre très important de communes et, bien entendu, toutes les
difficultés qui en résultent et que nous avons trop tendance, me semble-t-il, à
traiter à l'échelon national, sans nous poser de questions. Ainsi, avec la
fameuse loi ATR de 1992, ont été mises en place des communautés de communes
comme étant le système de développement et d'attention de l'Etat en direction
des collectivités territoriales, sans prendre garde au fait que les problèmes
ne se posent pas dans les mêmes termes selon qu'il s'agit d'une communauté de
communes dans le département de l'Aisne, qui compte 816 communes pour 530 000
habitants, ou une communauté de communes dans le Var où chaque commune a la
dimension d'un canton de l'Aisne.
Par conséquent, étant obligé de faire dans le Var une communauté de communes à
deux communes équivalentes à un canton dans mon département, ce n'est ni la
même démarche intellectuelle ni le même aboutissement démocratique, car dans un
département comme le mien il faut dix ou quinze communes pour couvrir un
territoire important. Le nom est le même, mais les moyens et les contraintes ne
sont pas les mêmes.
Par conséquent, une politique d'aménagement du territoire se doit d'être
souple. Malheureusement, je crains que nous ne prenions la direction d'une
politique d'aménagement du territoire rigide. Or, madame le ministre, vous
appartenez à un Gouvernement qui s'attaque à nombre de chantiers en même temps,
ce que nous ne saurions lui reprocher. Aussi votre projet de loi va se noyer
dans un système dans lequel au moins quatre lois vont se télescoper : le projet
de loi pour l'aménagement et le développement durable du territoire ; le projet
de loi sur le renforcement de l'intercommunalité ou son remodelage, qui fera
l'objet d'un ou de deux textes, avec le projet de loi sur l'intervention des
collectivités territoriales en matière économique ; la loi d'orientation
agricole, qui ne peut pas ne pas avoir d'impact sur l'aménagement du
territoire, avec le fameux contrat qui amènera les agriculteurs à assumer une
part de la conception générale que l'on a du territoire rural ; enfin, une loi,
que l'on oublie et que l'on vient d'examiner, la loi de finances pour 1999, qui
bouleversera la taxe professionnelle.
Or, aussi bien dans vos préoccupations que dans celles de M. Zuccarelli, en
particulier en ce qui concerne l'intercommunalité, qu'il s'agisse de
l'intercommunalité des communautés d'agglomération, dont on comprend bien les
contours, ou de l'intercommunalité des communautés de communes, tout le système
repose intellectuellement sur le fait que la taxe professionnelle, telle
qu'elle s'appliquera jusqu'au 31 décembre prochain, était l'impôt local par
lequel on pouvait inciter les collectivités territoriales à se rencontrer entre
elles pour partager une vraie richesse et pour ramener la perception de l'impôt
en direction du lieu d'habitation des citoyens, c'est-à-dire pour aménager leur
territoire proche.
Si vous voulez appuyer votre développement du territoire sur le renforcement
du rôle de l'intercommunalité urbaine et de l'intercommunalité rurale - ce qui
se comprend et, sur ce point, vous trouverez, je crois, des soutiens dans cet
hémicycle - mais que, dans le même temps, vous videz cette démarche de son
principal point d'appui, où est la logique intellectuelle ? C'est ma première
question.
J'en viens à ma deuxième question.
Tout à l'heure, M. François-Poncet vous faisait remarquer que votre discours
et vos écrits s'appuyaient beaucoup sur les villes, les agglomérations et les
pays, mais pas du tout sur les départements. Je partage ses critriques et ses
inquiétudes - comme celles de M. Puech, d'ailleurs - à cet égard.
Le pays a été conçu - c'était un des grands acquis de la loi de 1995 - sous
forme d'un lieu de concertation informelle, de proposition et d'échange. Mais,
à partir de l'instant où vous dites que ce sera un lieu de mise en oeuvre, on
peut se demander ce que signifie « mise en oeuvre » : moi, je connais les
maîtres d'ouvrage et les maîtres d'oeuvre, mais je ne sais pas comment on peut
mettre en oeuvre des projets quand on n'en a pas la responsabilité. N'avez-vous
pas dit tout à l'heure que le pays ne pouvait pas être une nouvelle
collectivité ? Or la mise en oeuvre suppose quand même une structure juridique,
et qui dit structure juridique dit organisation. Qui va la concevoir, qui va en
déterminer la nature, le poids, les ressources et le fonctionnement ? Quel en
sera le coût ?
Il est important de savoir qui va déterminer le pays, autrement dit quelle est
l'autorité - s'il doit y en avoir une - qui va faire le tour de la question et
dire : « Tel secteur peut constituer un pays et non pas tel autre, telle
commune, tel canton seront rattachés ». Qui va décider ? La spontanéité locale,
la complémentarité ressentie et voulue par les élus, ou encore
l'administration, mais à quel niveau et avec quelles contraintes ?
Si vous voulez contractualiser avec les pays, il faut un partenaire qui signe
au nom d'un territoire et, même si ce n'est qu'informel, je ne comprends pas
très bien la démarche qui sous-tend toute cette affaire. C'est donc ma deuxième
question : il faut nous dire sérieusement cette fois-ci, madame le ministre, ce
qu'il y a derrière le mot « pays ».
Pour ma part, dans la responsabilité de président de conseil général que j'ai
exercée un moment, j'avais imaginé dégager, au sein du budget de ce conseil
général, un fonds afin d'intervenir sur des politiques non classiques du
conseil, à la demande d'élus se rencontrant au sein des bassins d'emplois, avec
d'ailleurs la possibilité pour un canton d'être présent dans deux pays
différents puisqu'il peut avoir des intérêts dans chacun d'eux.
Il s'agissait d'interventions totalement informelles, d'une sorte de
labellisation entre élus d'opérations dont chacun prenait la responsabilité.
Est-ce dans cette direction que vous allez, ou vous orientez-vous vers quelque
chose de très structuré ?
De plus, entre ces pays, il faudra faire circuler la vie. Or, la vie, c'est
l'infrastructure, qu'on le veuille ou non. Et, à ce sujet, madame le ministre,
depuis que la majorité a changé, j'entends votre discours, celui de vos amis et
celui du Gouvernement. J'ai ainsi assisté, aussi navré que d'autres, à la
suppression de quelques programmes, justifiée ou moins justifiée, cela peut se
débattre. Quoi qu'il en soit, les décisions ont été arrêtées. Toutefois, la
nécessité de l'irrigation et de la circulation n'en demeure pas moins
réelle.
J'en arrive donc à ma troisième question : il n'y a pas circulation sans
dépense d'énergie, il n'y a pas circulation sans infrastructures.
J'entends bien que vos choix sont plutôt orientés vers le transport collectif.
Reste à savoir si le transport collectif est aussi porteur de vie que le
transport individuel, en particulier en matière économique, où la souplesse
doit être la règle puisque, à chaque instant, tout agent économique trouve en
face de lui une multitude d'interlocuteurs extrêmement variés, et en
localisation et en disponibilité. C'est donc à chacun de s'adapter en
permanence aux autres, ce qui est quelquefois difficilement compatible avec la
notion de moyens de transports collectifs à horaires rigides.
Cela étant, il y a consommation d'énergie dans tous les cas et le problème est
de savoir où se crée l'énergie. En pratique, dans l'état actuel des choses,
deux énergies sont possibles : l'une est utilisable dans tous les cas, c'est
l'énergie pétrolière ; l'autre peut être concentrée sur certains types de
transports collectifs, c'est l'énergie électrique. Mais même cette dernière
doit être produite quelque part !
Par conséquent, nous avons en réalité le choix entre deux types
d'inconvénients : ou bien on renforce l'effet de serre d'une manière ou d'une
autre, ou bien on se retrouve avec des déchets nucléaires. Que l'effet de serre
soit produit par le pot d'échappement d'une voiture qui circule ou par la
cheminée d'échappement d'une centrale thermique qui produit de l'électricité,
il y a toujours une production de substances concourant à l'effet de serre !
M. Hubert Haenel.
Eh oui !
M. Paul Girod.
Les énergies recyclables en sont encore pour longtemps aux balbutiements. Dans
ces conditions, comment fait-on, et sur quel choix de fond va s'appuyer le
Gouvernement ? On ne peut pas à la fois nier tout intérêt à l'énergie nucléaire
et déplorer l'effet de serre : à un moment ou à un autre, il faut concilier les
deux options.
Sur quelle option de fond allez-vous donc, madame le ministre, orienter le
principe même de l'aménagement de notre territoire en matière d'infrastructure
? C'est ma troisième question.
Enfin, puisque nous parlons d'infrastructure, je reviens sur le rôle du
département.
Les grandes infrastructures autoroutières sont absolument nécessaires et, là
encore, la loi de 1995 avait marqué une avancée en permettant la rupture avec
une certaine concentration. Sur ce point, je vous rejoins en ce qui concerne
les préoccupations à long terme, tout en confortant la question de M.
François-Poncet.
Mais il y a aussi la desserte locale et je voudrais vous rappeler, madame le
ministre, que le réseau routier national tel qu'il existe actuellement
comporte, certes, les routes nationales - peu nombreuses - mais aussi les
routes départementales, qui couvrent 85 % du réseau. Ne serait-ce qu'à ce titre
les départements ne peuvent pas être absents du débat car, en définitive, il
s'agit de la vie de tous les jours, de la vie de l'économie réelle, de la vie
de toutes nos entreprises : les entreprises n'ont pratiquement jamais de
débouché sur une autoroute, rarement sur une route nationale, pour des raisons
de sécurité, mais un nombre très important d'entre elles ont accès à des routes
départementales. Vous ne pouvez donc laisser le département à l'extérieur du
débat.
Nous sommes ici, en matière d'aménagement du territoire, devant une oeuvre de
longue haleine qui nous occupera sûrement toute l'année 1999, quelle que soit
la volonté du Gouvernement d'accélérer les discussions de manière plus ou moins
artificielle. Nous vous attendons, madame le ministre, avec sympathie, avec un
esprit constructif, mais aussi avec un esprit attentif, parce que ce sont
d'abord les élus qui ont le contact avec la réalité de la population, vous le
savez mieux que personne.
Je suis mathématicien de formation et, à la fin de cette formation, les
disciplines biologiques sont entrées en trombe dans mon cerveau.
(Sourires.)
Je me suis alors aperçu que les mathématiques, qui imprègnent
un peu trop nos administrations, sont des disciplines qui mènent vers l'orgueil
alors que les disciplines biologiques ramènent à la modestie. Je crois que
notre rôle de législateur et de gérant de notre pays doit concilier les deux.
L'important est surtout que nos concitoyens s'y retrouvent : sinon, la
citoyenneté disparaîtrait.
(Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
(M. Christian Poncelet remplace M. Guy Allouche au fauteuil de la
présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. CHRISTIAN PONCELET
M. le président.
La parole est à M. Gérard Larcher.
M. Gérard Larcher.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, nous exerçons
ce matin l'une des missions fondamentales de notre assemblée : la
représentation du territoire, son aménagement et son équilibre. A cet égard, je
tiens à remercier M. le président du Sénat d'avoir pris l'initiative de ce
débat.
M. Hubert Haenel.
Très bien !
M. Gérard Larcher.
La commission des affaires économiques a réclamé depuis trois ans aux
gouvernements successifs l'application de la loi du 4 février 1995. Les
détracteurs de ce texte répètent à qui veut bien les entendre qu'il ne serait
pas appliqué parce qu'il ne serait pas applicable. Encore faudrait-il le
démontrer concrètement !
Le pacte de relance pour la ville, qui en est l'une des premières applications
concrètes, fonctionne, et avec des aspects positifs que nous avons évoqués lors
du débat budgétaire, si j'en juge, par exemple, par les 20 000 emplois créés en
deux années dans les zones franches urbaines.
Je constate, pour ma part, que nombre de dispositions de la loi dite
Pasqua-Hoeffel entrent peu à peu en vigueur, à commencer, par exemple, par
l'élaboration des directives territoriales d'aménagement, auxquelles nous
sommes attachés.
Bien des dispositions de la loi du 4 février 1995 subsisteront, à commencer
par celles qui concernent la péréquation, c'est-à-dire la réduction des écarts
de ressources entre les régions, prévue par son article 68, sans oublier celles
qui sont relatives au zonage.
Je note que plusieurs de ces dispositions enjoignaient au Gouvernement de
présenter des propositions, notamment sur les finances locales, la péréquation
et la compensation, mais que nous attendons toujours. Quatre ans, c'est long !
Je sais que cette responsabilité est partagée par trois gouvernements, mais au
moins cela aurait-il pu être fait avant de nous présenter un nouveau texte.
D'un point de vue plus général, je regrette que, au lieu de nous présenter
l'ensemble de la politique d'aménagement du territoire dans un texte
d'orientation, le Gouvernement ait décidé de « saucissonner » sa réforme en
plusieurs tranches. Il est souhaitable que le projet de loi préparé par M.
Zuccarelli soit déposé au Parlement avant l'examen du projet de loi
d'orientation sur l'aménagement durable du territoire, d'une part, et avant
l'examen du projet de loi relatif à l'organisation urbaine et à la coopération
intercommunale, d'autre part. Cette mosaïque de textes forme un tout à mes yeux
indissociable.
Que dire, en outre - et nous l'avons peu évoquée jusque-là - de la décision de
déclarer l'urgence sur ce texte, sinon qu'elle lèse gravement les droits du
Parlement et qu'elle est contraire aux premières déclarations lénifiantes du
Premier ministre sur le respect dû au Parlement et à la richesse du débat
parlementaire ?
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste.)
La procédure de déclaration d'urgence doit-elle être utilisée pour
pallier l'incapacité du Gouvernement à gérer l'ordre du jour parlementaire, ou
seulement dans des cas où elle est justifiée par des circonstances
exceptionnelles ?
Je rends hommage à l'initiative de M. le président du Sénat, qui a déclaré sa
ferme opposition à cette attitude du Gouvernement, sur ce texte en
particulier.
Venons-en aux orientations du Gouvernement telles qu'il les traduit dans le
projet de loi d'orientation pour l'aménagement durable du territoire.
Dans ce texte, nous l'avons déjà évoqué, il est beaucoup question de
développement durable. A tout seigneur - ou héros mythique ! - tout honneur. Je
commencerai donc par ce sujet.
Qui pourrait, madame le ministre, n'être pas d'accord avec cette notion ? Elle
figure d'ores et déjà à l'article 2 de la loi que vous souhaitez réformer.
Dans un rapport que je lui ai présenté il y a moins d'un an sur les espaces
périurbains, notre commission des affaires économiques a à nouveau souligné
toute son importance. Le terme « durable » ne saurait cependant constituer
l'alpha et l'oméga de la politique d'aménagement du territoire, pas plus que le
monopole du ministère de l'environnement ou de son ministre actuel !
J'évoquerai, en second lieu, votre souhait de renforcer les pays et les
agglomérations.
Qui, dans cette assemblée, ne souscrirait à cette idée ? Vous poursuivez en
effet un processus entamé par la loi du 4 février 1995, qui a largement été
débattue ici même au mois de décembre 1994.
En revanche, les moyens dont vous vous dotez dans ce projet de loi pour
atteindre cet objectif sont-ils suffisants, appropriés ? Vous me permettrez de
m'interroger.
Et je ne reviens pas sur le quasi-oubli du département dans votre texte !
Encore faut-il que les départements se saisissent eux-mêmes de l'aménagement du
territoire dans un dialogue avec les régions.
Pour prendre un exemple, permettez à celui qui préside la fédération des
hôpitaux publics de France de vous interroger sur la portée du schéma des
services sanitaires. Quel en sera exactement le champ ? Englobera-t-il les
hôpitaux, les cliniques privées, la médecine de ville ?
Je note que les dispositions de ce schéma, si elles s'ajoutaient aux schémas
régionaux d'organisation sanitaire et sociale de seconde génération, pourraient
ruiner tous les efforts consécutifs à une concertation longue et difficile. En
outre, quelle serait l'autorité chargée de l'élaboration de ce schéma ?
Là, il faudra être clair. Les agences régionales de l'hospitalisation
seront-elles remplacées par des agences régionales de santé ? Qui débattra et
décidera de l'organisation sanitaire et sociale : l'Etat, le Parlement, les
conseils régionaux ?
Je ne reviendrai pas sur la multiplication des schémas, qui ne serait pas, en
soi, critiquable, si elle ne dissimulait, comme l'a fort bien suggéré le
président Jean François-Poncet, une recentralisation de fait de la politique de
l'aménagement du territoire.
A vous entendre, madame le ministre, la somme des initiatives individuelles de
la « base » ou, pour reprendre les termes mêmes de votre exposé général, «
l'aspiration des individus à participer à l'élaboration de leur propre avenir »
permettrait de parvenir à un optimum national. En fait, vous faites du
libéralisme sans le savoir ! Vous appliquez à des collectivités publiques le
même raisonnement qu'Adam Smith appliquait aux entreprises. Pour vous, la «
main invisible » serait à l'oeuvre en matière d'aménagement du territoire.
Loin de moi l'idée que l'on peut faire le bonheur des collectivités locales
malgré elles en leur imposant des solutions sans concertation, tout au
contraire !
Pourtant, à trop rapprocher les décisions d'intérêt national des « aspirations
des individus », il y a fort à parier que l'on éloigne le moment où ces
décisions seront prises. En réalité, c'est l'exécutif et, pis encore, les
services dépourvus de toute légitimité élective qui inspireront et guideront
les choix qui seront opérés par décret. C'est dans l'atmosphère feutrée des
cabinets et non pas, comme vous semblez le dire, au vu de tous, dans les
régions, dans les départements, par les élus de la démocratie, que seront
prises les véritables décisions !
La grande vertu du schéma national était, précisément, de contraindre l'Etat à
établir publiquement un diagnostic national et à proposer des priorités. En
supprimant ce schéma, l'Etat s'exonère de cet exercice certes difficile, mais
que nous avons considéré comme nécessaire.
Au demeurant, cette recentralisation de fait participe d'une offensive
générale qui a déjà frappé l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de
l'énergie et qui menace aujourd'hui les agences de l'eau.
Je demeure convaincu que nul autre que le Parlement n'est qualifié pour
débattre et décider, finalement, des principales orientations de l'aménagement
et du développement du territoire.
La réforme que vous proposez, madame le ministre, aura pour premier résultat -
mais n'est-ce pas, en fait, son but ? - de priver le Parlement de son droit de
regard et de proposition sur ce sujet. C'est regrettable et, à mes yeux,
inacceptable ! Je vous renouvelle donc la question du président Jean
François-Poncet : soumettrez-vous les schémas de services au Parlement ?
Vous avez choisi une autre voie. Mais, sur celle-ci, vous avez, me
semble-t-il, contourné une difficulté d'importance, à savoir les problèmes
spécifiques aux agglomérations. Ceux-ci sont-ils traités de façon suffisamment
appronfondie par votre projet ? Ce document est bien loin, me semble-t-il,
d'épuiser la matière !
Le texte que vous nous soumettez ne comporte qu'un article - le vingtième -
qui soit consacré aux agglomérations, auxquelles ils reconnaît le droit
d'élaborer un « projet » d'agglomération. Même si le régime juridique des
agglomérations relève essentiellement du projet Chevènement, permettez-moi
d'estimer que c'est bien court !
Je me dois de rappeler ici que le Sénat réclame depuis quatre ans un
renforcement tant des agglomérations que des pays, dont je souhaite rappeler, à
cette occasion, qu'ils sont d'abord le lieu où l'on constate une volonté locale
partagée de vivre ensemble.
M. Paul Masson.
Très bien !
M. Gérard Larcher.
Or, on nous présente aujourd'hui agglomérations et pays comme une découverte
!
Si je me félicite que le texte du projet de loi reconnaisse aux agglomérations
le droit de signer les contrats de plan et encourage leur regroupement au sein
d'établissements à fiscalité unique, pour autant, a-t-on
ipso facto
résolu la question de la légitimité des autorités d'agglomération ?
J'avais, à l'occasion de la préparation du schéma national d'aménagement et de
développement du territoire, recommandé de conférer à l'autorité
d'agglomération : « le pouvoir d'édicter un projet d'aménagement et de
développement supracommunal ainsi qu'un règlement général ordonnant, les unes
par rapport aux autres, les diverses interventions publiques dans la ville...
».
Vous faites, certes, un premier pas dans cette direction en prévoyant, à
l'article 20, l'élaboration d'un projet d'agglomération qui détermine les «
orientations » en matière de « développement économique, de cohésion sociale,
d'aménagement et d'urbanisme, de transport et de logement, de politique de la
ville, de politique de l'environnement et de gestion des ressources naturelles
».
Cependant, quelle sera la valeur normative de ce « projet », qui déterminera
également les mesures permettant de mettre en oeuvre ces orientations ?
Je crains de discerner, à travers le flou terminologique qui entoure le terme
de « projet », inconnu dans notre droit positif normatif, un certain malaise
sur ce point. Sur quelle légitimité ces agglomérations se fonderont-elles pour
édicter de telles normes ? Des établissements publics de coopération
intercommunale seront-ils politiquement assez puissants ?
Le problème essentiel de la légitimité des agglomérations reste donc posé. Sur
ce point, j'ai le sentiment que le Gouvernement n'est pas allé jusqu'au bout de
la logique. Est-ce par manque de courage ? Nous l'avions pourtant précédé, en
écrivant qu'il serait nécessaire de prévoir, à un terme pas trop éloigné, dans
le périmètre des agglomérations : « l'élection d'une autorité au suffrage
universel direct dans le cadre de circonscriptions correspondant aux
communautés primaires encore identifiables et instituées - arrondissements
urbains et communes périphériques ».
D'ailleurs, M. le Président de la République ne recommandait rien d'autre,
voilà moins d'une semaine, en affirmant, à Rennes : « L'avenir sera à des
agglomérations et à des communes rurales, constituées volontairement et sans
contrainte, et administrées par des conseils élus au suffrage universel direct.
»
M. Jean-Pierre Raffarin.
Ce fut un excellent discours !
M. Gérard Larcher.
Votre texte, madame le ministre, tout comme d'ailleurs celui qu'a préparé M.
Chevènement, me paraissent bien trop timorés sur ce sujet, qui offrirait
pourtant l'occasion de : « rompre avec les conceptions dirigistes qui font
l'impasse sur l'aspiration des individus à participer à l'élaboration de leur
propre avenir, comme avec les conceptions exclusivement libérales qui font du
marché le seul guide... ». Vous aurez noté, madame le ministre, que je cite ici
l'exposé des motifs de votre projet, en sa page 5.
Enfin, permettez-moi, madame le ministre, de constater que, par rapport au
texte de l'avant-projet de loi qui avait été diffusé au printemps dernier, vous
avez reculé devant la création de ce qu'il était convenu d'appeler, selon une
formule impropre, à mon sens, « la taxe d'artificialisation des sols ».
Quel outil proposez-vous pour maîtriser l'urbanisation sans frein des abords
des villes et cette banalisation à hurler de laideur des limites de trop de nos
cités ?
Quel dispositif imaginez-vous pour pérenniser l'agriculture dans ce contexte
périurbain, pour y assurer la transmission des entreprises agricoles, la
pérennité des exploitations, pour éviter les spéculations différées ?
Pensez-vous reconnaître, à côté des parcs naturels régionaux, ce que nous
avons proposé d'appeler des « terroirs urbains et paysagers » ? Pensez-vous les
doter d'outils pour les préserver, les réhabiliter, y développer l'activité ?
Vous savez comme moi que la politique d'intervention foncière de l'Etat a été
divisée par dix, en francs courants, en vingt-cinq ans. Alors, toutes les
déclarations de bonnes intentions n'y suffiront pas !
Certes, vous créez, à l'article 23, un fonds de gestion des espaces naturels.
Mais de combien sera doté ce fonds ? Comment sera-t-il alimenté ? Qui le gérera
?
Vous vous proposez de renforcer le régime juridique des parcs naturels
régionaux, ce dont je me félicite. Mais n'oubliez pas ces espaces périurbains
que décrivait tout à l'heure M. Puech, et où un Français sur six vit
aujourd'hui ni dans l'espace rural ni réellement dans le coeur de la ville.
Vous risquez de commettre, à mon sens, une erreur et une omission dans la
politique que vous entendez mener à la fois en faveur des zones rurales et des
zones urbaines.
L'erreur consisterait à sanctuariser les espaces ruraux. Vous élaborez
actuellement un schéma des espaces « naturels et ruraux » - l'ordre des mots a
son importance. Je crains que, pour vous, l'espace rural ne soit d'abord une
immense réserve naturelle, ce qui est un non-sens historique, écologique et
humain !
Le contrat territorial d'exploitation proposé par la loi d'orientation
agricole ne serait-il qu'un outil accessoire pour cette politique ?
Oubliez-vous que cet espace agricole et forestier a été façonné par des
générations et des générations pour la production agricole, qui n'est
autosuffisante que depuis trente ans en France ?
A M. le Président de la République, visitant la forêt de Fontainebleau, qui
demandait : « Cette forêt date-t-elle de l'éternité ? », un forestier répondit
: « Non, monsieur le Président, du xviiie siècle ! »
Oubliez-vous que l'espace rural est un espace de production et de vie pour
plus de 20 % de nos concitoyens, un espace qui a besoin aussi de désenclavement
? Voulez-vous le condamner à la marginalité ou à la seule récréation des
urbains ?
Quant à l'omission, elle résulte du désintérêt que vous manifestez, je le
crains - mais, d'ici au mois de mars prochain, vous aurez, je l'espère,
l'occasion d'y remédier - pour ces espaces péri-urbains, ces zones-frontières
où finalement la ville ne cesse de « grignoter » l'espace rural, ce terrain qui
n'est ni plus ni moins qu'un espace jetable !
Je suis, tout au contraire, convaincu de la nécessité de requalifier ces
espaces dégradés et de les embellir, car ils ont droit au beau. Mais cela
suppose une politique de longue haleine, une politique coûteuse, qui dépasse le
stade des effets d'annonce ou les mots mythiques. C'est aussi cela une vraie
politique de réconciliation du territoire !
En insistant sur les problèmes de cette frontière entre ville et espace rural
que constituent les espaces périurbains, je souhaite, tout simplement et
symboliquement, souligner une nouvelle fois que, pour le Sénat, le
développement des espaces ruraux et la gestion des espaces urbains relèvent
d'une seule et même politique.
Vous n'opposerez pas ici l'espace rural et l'espace urbain. Le Parlement a
pour préoccupation l'ensemble du territoire dans sa diversité, un territoire
dont une partie ne peut pas être opposée à l'autre.
(M. Machet applaudit.)
C'est pourquoi une politique d'aménagement et de développement du
territoire doit être, finalement, après les concertations départementales et
régionales, débattue et arrêtée par le Parlement, garant de l'unité et de
l'intérêt national.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste.)
M. François Gerbaud.
Que le ciel vous entende !
M. le président.
La parole est à M. Le Cam.
M. Gérard Le Cam.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dans le
prolongement du débat tenu sur le thème de la décentralisation le 3 novembre
dernier au Sénat, la conférence des présidents de notre assemblée a souhaité
mettre à son ordre du jour la question de la politique d'aménagement du
territoire et ses grandes orientations pour le début du siècle prochain.
Le Sénat anticipe ainsi sur des événements qui vont très probablement
bouleverser l'organisation et la gestion de notre territoire pour les vingt
prochaines années.
En effet, pas moins de quatre projets de loi sont ou seront bientôt examinés
par le Parlement qui auront des répercussions plus ou moins ciblées sur les
équilibres territoriaux de notre pays. Il s'agit, tout d'abord, du projet de
loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire
; puis viendra le projet de loi sur l'organisation urbaine et la simplification
de la coopération intercommunale ; enfin, le projet de loi sur l'intervention
économique des collectivités locales.
Le projet de loi d'orientation agricole, déjà adopté en première lecture par
l'Assemblée nationale, vise plus précisément l'aménagement de l'espace
rural.
Il convient d'ajouter à ces échéances législatives la perspective de la
signature d'une nouvelle génération de contrats de plan Etat-régions pour la
période 2000-2006, puis la réforme escomptée de la politique structurelle
communautaire sur la base des propositions contenues dans l'Agenda 2000.
Autant dire que ce débat revêt une importance capitale pour tenter de dégager
une ligne politique en matière d'aménagement du territoire à la fois fondée et
cohérente, capable d'affronter un avenir pour le moins obscur et incertain.
Sans contester l'utilité de la tenue d'un tel débat, j'avoue m'interroger sur
les motivations réelles de la majorité sénatoriale en sollicitant
l'organisation d'une discussion de cette nature.
S'il s'agit d'exercer le contrôle démocratique du Parlement sur la politique
conduite par le Gouvernement sur des questions essentielles comme celle qui
nous occupe aujourd'hui, nous ne pouvons qu'y souscrire et même encourager une
telle démarche.
En revanche, s'il s'agit d'une stratégie exclusivement politicienne visant à
donner à la droite un terrain favorable à la reconquête politique, dans la même
logique que les commissions d'enquête créées il y a un an pour mettre en
difficulté le Gouvernement et la majorité qui le soutient, je doute fort
qu'elle aboutisse, d'une part, et qu'elle puisse contribuer positivement à
l'échange démocratique, d'autre part.
Je veux retenir, pour ma part, la première hypothèse. C'est donc bien
volontiers qu'au nom du groupe que je représente je tenterai d'exposer ici
l'idée que nous nous faisons de la gestion équilibrée du territoire
national.
Avant toute chose, un constat s'impose à nous : les politiques menées depuis
quarante ans, c'est-à-dire depuis la création de la DATAR, ont échoué, puisque
- ces chiffres sont connus de tous - 80 % de la population est regroupée sur
seulement 20 % de la superficie de notre pays. En outre, un Français sur cinq
habite en région parisienne, alors que, dans le même temps, la capitale
contribue pour un tiers à la richesse nationale.
Cette hypertrophie de Paris, comparée au dépérissement de la plupart des
régions de province, illustre nos insuffisances et notre impuissance dans la
maîtrise des flux économiques et des mouvements de population qu'ils ont
engendrés.
Une loi détermine aujourd'hui les grandes orientations de notre politique en
matière d'aménagement du territoire, je veux parler de la loi dite « loi Pasqua
» du 4 février 1995, que le Sénat examinait voilà tout juste quatre ans.
Trois types de raisons peuvent expliquer la faillite d'une loi dont les
auteurs vantaient pourtant le caractère novateur, voire révolutionnaire pour
l'aménagement du territoire.
Tout d'abord, de nombreuses dispositions, jugées comme étant essentielles,
n'ont pas été mises en place. Ainsi en est-il du schéma national d'aménagement
et de développement du territoire, le SNADT, qui était au coeur de ce
dispositif législatif. Le constat est le même s'agissant des neuf schémas
sectoriels, ou encore des mesures visant à moderniser l'Etat, telles que les
conventions de services publics, la mobilité économique des personnes ou la
péréquation régionale et la fiscalité locale.
Cette loi est restée inappliquée non seulement parce qu'elle était
techniquement inapplicable, mais aussi et surtout parce qu'elle ne
correspondait pas aux besoins et aux aspirations des citoyens et c'est la
deuxième cause de son échec.
A juste titre, notre groupe s'était opposé à ce texte. Nous lui reprochions
une approche à la fois sélective et autoritaire de l'aménagement du territoire
ayant pour objectif de concentrer certaines activités sur des territoires
limités, et cela dans une perspective de rentabilité financière optimale.
Le cadre national affiché n'était en vérité que prétexte à une mondialisation
renforcée de notre économie.
Enfin, la loi Pasqua a également échoué - faut-il le dire ? - parce qu'elle
était soumise plus à une stratégie électoraliste immédiate en vue des élections
présidentielles de 1995, qu'à une vision à long terme.
Le Premier ministre de l'époque n'était-il pas venu défendre lui-même devant
le Parlement cette réforme présentée comme la plus importante de la législature
d'alors ? Les grand-messes régionales qui ont précédé les débats parlementaires
n'avaient d'autre but que de mobiliser les acteurs locaux autour du futur
candidat. En vérité, reconquérir le territoire n'était que prétexte à
reconquérir l'électorat. Chacun a pu juger du résultat sur les deux tableaux
!
Dès lors, une révision de la loi s'imposait.
Je n'entrerai pas ici dans le détail des articles du projet de loi que nous
aurons à examiner au cours du premier trimestre de l'année prochaine.
Cela dit, les orientations définies par ce texte appellent, de ma part,
quelques observations de portée générale et quelques interrogations plus
précises.
Tout d'abord, toute politique ambitieuse et réellement efficace en matière
d'aménagement du territoire doit se donner les moyens de rompre définitivement
avec une logique libérale qui, nous le constatons, déstructure le territoire,
concentre les activités et les richesses, et divise les hommes.
En effet, comment parler d'aménagement du territoire sans s'attaquer dans le
même temps à la mondialisation financière, qui pousse à la restructuration et à
la concentration des industries, à la privatisation des entreprises du secteur
public, à la rationalisation et à la suppression des emplois, ainsi qu'à la
dévitalisation des zones rurales ou péri-urbaines ?
Dans ce contexte, les gouvernements précédents n'ont eu de cesse d'amplifier
ce processus dévastateur par des abandons successifs de souveraineté et un
désengagement planifié de l'Etat.
Selon nous, on ne peut gérer de manière efficiente le territoire sans une
réelle maîtrise de notre potentiel productif, de la répartition des activités
économiques et financières et de la gestion des technologies nouvelles.
C'est pourquoi une politique d'aménagement du territoire ciblée, partielle et
sectorielle est vouée à l'échec.
En outre, à considérer les territoires exclusivement comme des variables
économiques ajustables et modulables selon les intérêts des puissances
financières internationales, on développe la compétition entre les acteurs
locaux, entre les collectivités territoriales et
in fine
on met en échec
la cohésion nationale, et donc les valeurs fondamentales de la République.
De ce point de vue, notre groupe ne peut que regretter que notre pays, malgré
les infléchissements opérés par ce Gouvernement, s'engage toujours davantage
dans les processus d'intégration européenne, qui soumettent les territoires et
les populations aux aléas des flux financiers internationaux.
A cet égard, je suis curieux de constater que nos débats concernant
l'aménagement du territoire éludent, le plus souvent, la perspective de la mise
en place de l'euro au 1er janvier 1999, comme si les bouleversements monétaires
et financiers attendus étaient étrangers aux activités productives.
D'ailleurs, les propos que M. le Président de la République a tenus au conseil
régional de Bretagne, vendredi dernier, ont mystérieusement évacué cette
question de l'euro.
Or l'instauration d'une monnaie unique, si elle annule
de facto
les
fluctuations monétaires au sein de l'Union européenne, conduira inéluctablement
à des ajustements démultipliés au niveau de l'économie réelle.
Dès lors, nous aurions tort de mésestimer l'impact de l'euro sur les
mouvements de capitaux, sur la répartition des investissements productifs, donc
sur l'équilibre du territoire national.
Par ailleurs, la construction européenne telle qu'elle existe et telle que
nous la rejetons contraint l'Etat à démanteler des pans entiers d'une économie
qui contribue fortement à une occupation équilibrée de l'ensemble du
territoire.
S'agissant, par exemple, des infrastructures terrestres, les directives de
Bruxelles sont - reconnaissons-le - en opposition complète avec notre souci
d'une gestion la plus harmonieuse possible de l'espace.
En effet, la Commission européenne perçoit la France comme une vaste zone de
transit traversée par de grands axes internationaux qu'il convient de
rentabiliser, au mépris des préoccupations territoriales, sociales et
environnementales.
Comme j'ai eu l'occasion de le mentionner lors de la discussion budgétaire, je
ne pense pas qu'il faille élaborer, construire nos schémas d'aménagement du
territoire uniquement à partir de ces « sillons » européens.
A ce propos, l'idée d'intégrer les schémas de services collectifs dans le
schéma de développement de l'espace communautaire, le SDEC, suscite les plus
grandes inquiétudes de notre part s'il s'agit d'orienter notre politique
d'aménagement du territoire selon les plans de Bruxelles.
A l'inverse, il nous paraît essentiel de préserver une cohérence nationale aux
schémas de services collectifs ainsi qu'aux schémas régionaux, non pour
uniformiser le territoire, mais pour promouvoir une approche globale et
interrégionale des projets locaux.
Il conviendra également de réfléchir à une bonne articulation entre le contenu
de ces schémas, d'une part, et les contrats de plan, d'autre part.
C'est pourquoi on peut redouter que la suppression du schéma national
d'aménagement et de développement du territoire ne préfigure l'absence d'une
ambition nationale de l'aménagement et du développement du territoire et,
finalement, l'acceptation d'un éclatement de notre espace national en une
infinité de fragments locaux en conflit les uns avec les autres.
De plus, l'Etat ne peut se départir de son rôle central en faveur du maintien
de la cohésion nationale et de l'unité du territoire.
Or qu'observe-t-on de plus en plus souvent ? L'Etat n'est plus le lieu où
s'opèrent les choix stratégiques qui déterminent notre avenir. Un double
mouvement de décentralisation vers les collectivités locales et de
recentralisation vers la Commission de Bruxelles risque, à terme, d'entraîner
la dislocation de nos territoires et l'accroissement des inégalités entre les
régions.
Nous pensons au contraire que l'Etat doit continuer d'occuper la place qui lui
revient, dans le respect des compétences de chacun.
Or seul l'Etat est à même d'assurer la péréquation financière entre les
régions pauvres et les régions riches, et il est le seul garant de l'égalité
d'accès aux services publics de tous les citoyens.
Il est, par conséquent, nécessaire que l'Etat puisse s'appuyer sur une
structure territoriale stable, assise sur le triptyque :
commune-département-région.
Bien évidemment, nous ne sommes pas opposés à des formes de coopération à
différents échelons. Mais il serait, selon nous, dangereux que des entités
intermédiaires, sans aucune légitimité démocratique directe, en viennent à
supplanter des assemblées élues au suffrage universel. C'est cet écho que j'ai
perçu lors de la campagne des élections sénatoriales, au mois de septembre,
dans les Côtes-d'Armor.
Nous proposons que les instances démocratiquement élues soient maintenues et
confortées dans leur pouvoir décisionnel. Nous proposons en revanche que tout
regroupement sous la forme de « pays » ou de communautés de communes ou
d'agglomérations ne soit pas structuré en vue d'éliminer la commune ou le
département.
En ce qui concerne plus particulièrement les pays, si l'on part de l'idée
selon laquelle le projet fait le pays et non le contraire, il me semble
indispensable de laisser suffisamment de souplesse dans les limites
géographiques et le mode de gestion de celui-ci.
Les constructions intermédiaires de second ou troisième degré doivent demeurer
des lieux de concertation, de consultation, de coopération ; en aucun cas,
elles ne doivent être des centres de décisions. En outre, leur contrôle par les
élus locaux doit être assuré et garanti.
Les communistes sont, vous le savez tous, mes chers collègues,
particulièrement attachés aux communes et aux départements, car ils participent
pour une grande part à l'expression de la démocratie locale.
Si l'on en juge par les taux de participation aux élections cantonales et
municipales, les Français sont, dans leur grande majorité, défavorables à la
suppression de l'échelon départemental ou municipal.
Nous pensons que nous n'avons pas, en France, trop d'espaces démocratiques. Il
faut donc valoriser leurs rôles dans le cadre national.
Je rejoins M. le Président de la République lorsqu'il désigne le département
comme « lieu privilégié de coordination et de synthèse des politiques locales
et comme circonscription pertinente de l'action de l'Etat ». En revanche, je ne
partage pas son objectif quant à l'élection des communautés d'agglomérations et
de communes au suffrage universel direct, ce qui aurait pour effet de remettre
en cause la vie même des assemblées existantes.
Présenter la région comme un pivot de la politique d'aménagement du territoire
ne peut se justifier que si la complémentarité et l'articulation avec les
autres institutions fonctionnent pleinement.
La région ne doit pas, selon nous, être au-dessus des départements et des
communes, elle doit être à côté, complémentaire et associée, le cas échéant.
Une vision pyramidale et quasi féodale de l'espace régional me paraît
dépassée.
Ainsi, d'aucuns prétendent que l'émergence d'un pôle urbain de dimension
internationale est seule à même de permettre à une région de sortir de son
isolement et de son dépérissement. C'est peut-être aussi, me semble-t-il, un
facteur de déséquilibre supplémentaire.
A l'inverse, une surconcentration urbaine peut accélérer le processus de
désertification rurale et accroître les inégalités intrarégionales.
Enfin, je ne saurais conclure mon propos sans évoquer le rôle structurant des
services publics en faveur de l'aménagement du territoire.
S'il faut reconnaître que le maintien de certains services publics de
proximité est rendu difficile lorsque les populations se sont regroupées dans
les grandes agglomérations, on ne peut ignorer que l'absence d'organismes
publics forts et attractifs dissuade les investisseurs potentiels.
Nous ne pouvons donc nous satisfaire d'une conception minimaliste de la notion
de service public, à l'image du « service universel d'intérêt général »
préconisé par le traité d'Amsterdam, d'un service qui ne serait qu'une forme
rescapée de la loi de la concurrence européenne.
La spécificité française en la matière est - faut-il le rappeler ? - le
produit d'une configuration géographique, démographique et historique
particulière de notre pays.
Par conséquent, plutôt que de raisonner en termes d'extinction des services
publics, nous préférons réfléchir à leur reconstruction à partir des besoins
nouveaux exprimés par la société.
Les services publics constituent des instruments irremplaçables d'aménagement
du territoire, qui touchent l'ensemble de la société et pas uniquement un
périmètre limité de notre territoire. La fermeture d'un bureau de poste ou
d'une école est l'affaire de tous et pas seulement des usagers qui en
bénéficient de façon immédiate.
Là aussi, une approche cohérente sur le plan national me paraît indispensable
afin de garantir l'unicité et la continuité du service public au travers des
réformes structurelles qui seront mises en oeuvre.
Notre conviction est que la démocratie locale doit pouvoir s'exprimer dans les
multiples enceintes de la République une et indivisible.
(Applaudissements
sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen et sur les travées
socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Bellanger.
M. Jacques Bellanger.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, pour succéder
à la mission d'information sur l'avenir de l'espace rural français, le Sénat
constituait, en 1992, la mission d'information sur l'aménagement du territoire
dont l'objet était de définir les éléments d'une reconquête de l'espace rural
et urbain.
Cette mission publia ses propositions en janvier 1994 avec pour ambition d'en
faire le socle de la loi relative à l'aménagement du territoire qui fut
présentée au Parlement par M. Charles Pasqua et votée le 4 février 1995.
J'ai le sentiment que le texte de la loi n'était pas à la hauteur des
espérances des animateurs de cette mission, même si, j'en suis sûr, je serai
ici officiellement démenti.
La péréquation financière et fiscale n'était assurée que par la constitution
de quelques nouveaux fonds. Nous étions très loin de l'exemple allemand qui
nous était proposé !
La répartition de l'intelligence sur le territoire national n'était, nous
l'avons constaté dans les faits, qu'un voeu pieux.
La maîtrise de la croissance de la région parisienne ne se manifestait que par
la limitation de sa population, orientation reprise d'ailleurs, hélas ! dans le
schéma d'aménagement de l'Ile-de-France.
Cette loi, éloignée de ces objectifs souhaités, suscita pourtant un grand
espoir.
Trois ans après, son bilan est très décevant. De nombreux textes d'application
n'ont pas été publiés ou n'ont pas eu de suite. J'en ai relevé pour ma part
plus de dix-huit. Il en est ainsi, par exemple, du décret sur les contrats de
services publics, article 29, du rapport sur la polyvalence des services
publics, article 31, des mesures en faveur des zones rurales, article 61, ou de
la répartition des compétences, article 65.
Mes chers collègues, je ne pense pas que le schéma national d'aménagement et
de développement du territoire, dont le premier projet devait être présenté
dans un délai d'un an à compter du 5 février 1995, soit un texte mineur. Je ne
crois pas non plus que le groupement d'intérêt public d'observation et
d'évaluation de l'aménagement du territoire soit un texte mineur. Il n'existe
pas ! En matière d'annonce, ce texte a effectivement battu quelque record !
Les mesures concernant les investissements financiers de l'Etat se sont
révélées particulièrement décevantes.
C'est ainsi que le fonds national d'aménagement et de développement du
territoire, qui regroupait plusieurs fonds préexistants et disposait
théoriquement de 2 milliards de francs avant sa création en 1994, est tombé à
1,2 milliard de francs en 1997.
Le fonds national de développement des entreprises n'a pas été doté jusqu'en
1998.
Le fonds d'investissement des transports terrestres et des voies navigables
est passé sous le contrôle du ministère de l'équipement, qui l'a pour partie
utilisé à des opérations de débudgétisation.
Le fonds de péréquation des transports aériens a été considérablement réduit,
la taxe qui l'alimentait étant passée en trois ans de 4 francs à 1 franc par
passager, même si cette constatation doit être nuancée compte tenu de
l'encadrement des subventions par la législation européenne.
Enfin, le fonds de gestion de l'espace rural semble avoir servi à répondre aux
crises conjoncturelles affectant certaines productions et une grande partie de
ses crédits ont été annulés chaque année : 195 millions de francs utilisés en
1996 sur 388 millions de francs ; 145 millions de francs annulés sur 150
millions de francs en 1997.
Nous pourrions disserter sans fin sur les raisons de cet échec. Il me semble,
pour ma part, provenir de quatre causes principales.
D'abord, cette loi a été conçue comme un instrument de défense des zones
rurales par rapport au développement des agglomérations urbaines opposant les
unes aux autres, et non dans un souci d'organiser leur complémentarité et leur
interdépendance.
Ensuite, à partir de cette confrontation, elle a fait l'impasse sur la
question urbaine alors que l'essentiel des chances de compétitivité de la
France repose sans doute aujourd'hui sur les villes et sur la capacité
d'entraînement qu'elles ont sur les territoires qui les entourent pour créer
une géographie solidaire.
En outre, le développement rural ne pouvait alors s'appuyer que sur une
politique de développement agricole faisant le choix du productivisme, sans
aucun objectif de développement durable.
Enfin, la multitude et l'empilement des structures et des zonages ont abouti à
une imbrication inextricable des compétences. Jean Auroux, dans le rapport
qu'il a remis au Premier ministre, a relevé ainsi 36 zonages dans le cas très
banal de la région Rhône-Alpes ! Trois ans après, il nous faut donc remettre
l'ouvrage sur le métier. Ce serait sans doute une erreur de vouloir déposer un
texte entièrement nouveau. Le Gouvernement nous propose de procéder par voie
d'amendement ; c'est une bonne chose.
Dans le même temps, d'autres textes vont venir recomposer notre paysage
législatif.
Le projet de loi d'orientation agricole ouvre à notre agriculture de nouvelles
voies qui prennent en compte la qualité et la spécificité de notre production
et la notion pérenne de développement durable. Il assurera donc à nos zones
rurales un développement beaucoup plus solide pour l'avenir, privilégiant
l'emploi à la concurrence du marché mondial.
Le projet de loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable
du territoire, qui devrait être soumis à l'Assemblée nationale au début de
l'année prochaine, s'insère dans les objectifs plus larges de l'Union
européenne en respectant les règles de subsidiarité. Il choisit la solidarité
nationale pour améliorer la compétitivité globale de la France et non pas
seulement la compétitivité de quelques parties privilégiées du territoire.
Tout miser sur le développement de quelques agglomérations reviendrait à
déséquilibrer davantage le territoire, irait à l'encontre de la solidarité
nationale, compromettrait toute idée de développement durable, sans améliorer,
bien au contraire, la place de la France dans la compétition internationale,
car les grandes agglomérations génèrent aussi des coûts collectifs élevés.
Il serait cependant absurde de vouloir uniformiser la diversité des paysages
économique, culturel et social de la France. La diversité et la différentiation
en fonction des atouts de chacun sont souhaitables et nécessaires. Il faut
rééquilibrer la répartition des moyens en faveur, à la fois des quartiers en
difficultés et des villes petites et moyennes qui assurent le maillage de tout
le territoire de la France et qui organisent son espace rural.
Il y a complémentarité entre les grandes agglomérations et le monde rural. La
reconquête territoriale ne pourra se faire qu'en donnant de nouveau leurs
chances aux villes petites et moyennes qui formeront un maillon intermédiaire.
Ainsi chacun pourra jouer son rôle dans la complémentarité et la solidarité.
Cette mise en valeur de l'ensemble de notre territoire sur la base d'un
développement durable doit être au coeur du schéma retenu pour l'aménagement du
territoire.
Il reste que certains points doivent être discutés et affinés.
Premièrement, nous avons déjà dit la complexité de l'empilement des structures
et des zonages. Il faut arrêter de créer de nouvelles structures sans avoir le
courage de supprimer celles qui deviennent dépassées. Il faut d'urgence
clarifier les compétences et simplifier les procédures. Face à la
décentralisation, la déconcentration des pouvoirs de l'Etat devient un
complément indispensable. La région compétente en matière d'aménagement doit
pouvoir disposer d'une majorité cohérente pour jouer pleinement son rôle.
Deuxièmement, le pays, institué par la loi de 1995, devient un élément
primordial de notre aménagement. Il doit être, à nos yeux, un espace
indispensable de projets. Il doit être le lieu de programmation stratégique
pilote et complémentaire des structures intercommunales qu'il regroupe, un
niveau d'élaboration des politiques publiques et de mobilisation des énergies
de la société.
Il ne nous paraît pas souhaitable qu'il soit institutionnalisé, ce qui
favoriserait la possibilité de création
de facto
d'un échelon
administratif supplémentaire.
Les pays doivent demeurer des espaces de projets, un peu comme le sont les
syndicats intercommunaux d'études et de projets. Cela n'est pas contradictoire
avec la contractualisation dans le cadre des contrats de plan. J'ai noté,
madame la ministre, que vous exprimiez en ce domaine les mêmes conceptions.
Troisièmement, si les projets d'agglomération retiennent favorablement notre
attention, ils risquent cependant de poser différents problèmes, d'autant plus
qu'ils sont accompagnés d'avantages fiscaux fort tentants.
Ils retiennent notre attention parce qu'il est nécessaire d'assurer une
cohérence entre les différentes collectivités locales qui vont composer
l'agglomération, particulièrement dans le domaine de l'urbanisme. Mais les
seuils retenus sont-ils satisfaisants ? Qu'en est-il si une collectivité refuse
systématiquement d'y participer alors qu'elle est indispensable à l'équilibre
du projet ? Que deviennent les espaces où il serait souhaitable de créer des
agglomérations, mais où il n'y a pas de commune-centre de plus de 15 000
habitants ou une aire urbaine de plus de 50 000 habitants ? Ne serait-il pas
souhaitable de retenir des critères plus souples quant à la population, à la
condition que les délégations de compétences soient automatiquement accordées
?
Quatrièmement, « Les clochers de nos villes deviennent chaque jour un peu
moins pointus » et les collectivités délèguent chaque jour de nouvelles
compétences à des structures intercommunales. Les maires n'en restent pas moins
directement responsables auprès de leurs concitoyens, alors que les décisions
sont prises dans des structures dont nous avons souligné la complexité et
l'opacité. Le problème du mode de désignation des responsables des
établissements intercommunaux gérant la vie quotidienne des administrés doit
dès maintenant être posé.
Enfin, il ne peut y avoir une politique d'aménagement du territoire sans un
accès égal de tous les citoyens, quels que soient les lieux où ils habitent, «
au savoir, à la santé, à la culture, à l'information, aux transports et à un
environnement de qualité ». Cette exigence, qui fait l'unanimité dans nos
assemblées, n'est cependant pas évidente à appliquer concrètement. En effet,
d'une part, la notion de service public à la française n'est pas partagée par
la plupart de nos partenaires européens. D'autre part, les besoins évoluent
avec les technologies, en particulier celles de l'information et de la
communication.
Je crois que cette affirmation forte doit non seulement figurer dans les
textes qui vont nous être soumis, mais être déclinée très concrètement. Le gel
décidé par un gouvernement précédent ne pourra pas perdurer, surtout dans le
contexte européen d'ouverture à la concurrence. Le transfert systématique de
ces charges aux collectivités territoriales n'est pas acceptable, car il
entraînera une discrimination de par l'importance des ressources de ces
dernières.
L'instauration des maisons de services publics sera sans doute une obligation
dans les zones les moins densifiées. Encore faudra-t-il une très large
concertation sur les statuts des personnels pour qu'elles deviennent
réalité.
Les collectivités locales doivent être partenaires à part entière en ces
matières. L'exemple du dernier contrat de plan pour l'avenir de La Poste dégage
des propositions intéressantes en instituant une commission départementale
réunissant, sous la présidence d'un membre du conseil général, des
représentants des élus régionaux et départementaux, d'un représentant des
maires du département et des représentants de La Poste.
Cette commission est informée des projets d'évolution des réseaux.
L'établissement public ne peut décider de la fermeture d'un point de contact
dans les six mois suivant l'annonce de son projet, sauf accord de l'élu
concerné. La commission ne pourra demander le maintien d'une implantation
inadaptée que dans la mesure où les partenaires associés à cette demande auront
arrêté avec La Poste les dispositions permettant d'en assurer l'équilibre
financier pour l'exploitant public.
Pourquoi, d'ailleurs, ne pas envisager, pour assurer cet équilibre financier,
le droit pour les services publics d'exercer des activités plus rémunératrices,
là où l'initiative privée fait défaut ? Je pense, par exemple, à l'absence ou à
la fermeture d'agences bancaires ou de cabinets d'assurances. Des solutions
innovantes, fondées sur la recherche de partenariats, y compris avec d'autres
services publics, pourront être promues. Ces partenariats prendront la forme de
conventions pouvant être prises en compte dans le cadre des futurs contrats de
plan Etat-région. Je crois que nous avons là une piste intéressante.
J'ai noté, madame la ministre, que le Gouvernement envisageait un dispositif
transversal et interministériel en matière de services publics. Nous approuvons
totalement cette orientation.
Telles sont, mes chers collègues, les quelques observations que je souhaitais
vous présenter au nom du groupe socialiste.
J'ajoute qu'il ne me semble pas possible d'exclure le Parlement des grandes
décisions concernant tant l'aménagement du territoire que les choix relatifs
aux grandes infrastructures.
Je conclus donc en souhaitant la création d'un office parlementaire pour la
planification et l'aménagement du territoire ayant pour mission d'informer le
Parlement sur l'élaboration et l'exécution des lois sur ce sujet et pourvu
naturellement des moyens d'investigation nécessaires et de conseils compétents
en la matière, à l'image de ce que nous avions proposé par un amendement
tendant à insérer un article additionnel après l'article 3 de la loi de 1995,
mais que la Haute Assemblée avait à l'époque rejeté.
Enfin, si l'urgence n'est sans doute pas la bonne méthode pour examiner ce
texte, je trouve quelque indécence à soulever cette objection lorsqu'on
organise à l'Assemblée nationale l'obstruction et la paralysie du travail
législatif.
MM. Jean-Pierre Schosteck et Gérard Larcher.
Cela n'a rien à voir !
M. Jacques Bellanger.
Cela justifie, même si je le regrette, madame la ministre, le choix du
Gouvernement.
(Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur les travées du
groupe communiste, républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Hoeffel.
M. Daniel Hoeffel.
Madame la ministre, le présent débat sur l'aménagement du territoire est à la
fois opportun et nécessaire puisque nous nous trouvons entre la loi de février
1995 et le débat, prévu pour le début de 1999, sur le projet de loi que vous
avez élaboré.
Je voudrais d'abord mettre l'accent sur ce que la loi de février 1995, sans
être parfaite - mais quelle oeuvre législative l'est ? - a apporté de positif.
En cet instant, je n'oublierai pas de souligner le mérite qui a été celui de
notre collègue Charles Pasqua, dont le volontarisme avait contribué au vote de
cette loi.
MM. Jean-Pierre Raffarin, Gérard Larcher et Jean-Pierre Schosteck.
Très bien !
M. Daniel Hoeffel.
Je rappellerai également que cette loi, si elle était certes d'initiative
gouvernementale, a aussi été considérablement enrichie par le Parlement,
notamment par le Sénat, et je me plais à le dire en présence de Gérard Larcher,
qui en fut le rapporteur.
M. Jean-Pierre Schosteck.
Un excellent rapporteur !
M. Daniel Hoeffel.
Un aménagement équilibré et durable du territoire, qu'est-ce que cela signifie
ou doit signifier ?
S'agissant du terme « durable », lors des débats de 1993-1994, il a failli
être inclus dans le titre de la loi d'alors. Aujourd'hui, il figure
expressément dans le titre de votre projet, madame la ministre. C'est un terme
à la fois clair et énigmatique. Comment ne citerais-je pas un commentaire lu
récemment à ce sujet ? « Les termes "développement durable" fleurissent
actuellement dans tous les textes, qu'ils soient parisiens ou bruxellois, sans
que les réalités qu'ils sont censés recouvrir soient clairement définies. »
Aménagement du territoire équilibré et durable, cela signifie, à notre sens,
qu'il doit y avoir conciliation du développement économique, de la cohésion
sociale, de la protection de l'environnement et aussi de l'amélioration des
voies de communication. Un excellent connaisseur des questions d'aménagement du
territoire concluait fort justement un article intitulé « Déménagement du
territoire » par cette phrase : « L'aménagement sera lettre morte s'il reste
l'annexe, voire le sous-produit de l'environnement ou de l'équipement. »
L'aménagement du territoire doit rechercher à la fois la réduction des
inégalités sur notre territoire et l'insertion de notre hexagone dans l'espace
européen. Car il est effectivement de plus en plus nécessaire de dépasser une
vision purement hexagonale de notre aménagement du territoire.
L'aménagement équilibré et durable du territoire signifie aussi action
cohérente et coordonnée entre tous les partenaires, Europe, Etat, collectivités
territoriales et acteurs économiques, comme l'a rappelé tout à l'heure notre
collègue Alain Lambert.
Voilà pourquoi, madame la ministre, il est nécessaire que la discussion de
votre projet de loi ne soit pas improvisée. Il faut qu'elle soit approfondie,
qu'elle donne lieu, comme ce fut le cas pour la loi de février 1995, à un débat
préalable sérieux, ce qui implique la consultation de tous les partenaires, de
tous les acteurs.
Ce serait, je le crois profondément, une erreur grave que d'engager la
discussion d'un texte qui doit façonner l'avenir de notre pays sur quinze à
vingt ans sous la pression de l'urgence. Nous en avons eu la démonstration il y
a quatre ans : le débat parlementaire étant toujours source
d'enrichissement,...
M. Gérard Larcher.
Bien sûr !
M. Daniel Hoeffel.
... le laisser se dérouler d'une manière approfondie dans l'immédiat c'est
gagner du temps pour la suite.
(Très bien ! et applaudissements sur les
travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
J'évoquerai brièvement l'aménagement du territoire à l'échelon national, puis
à l'échelon européen.
Sur le plan national, je distinguerai trois volets : la péréquation, le rôle
de l'Etat et celui des collectivités territoriales.
Voulue, en particulier, par le Sénat en février 1995, la péréquation doit
probablement être maintenue, à condition qu'elle ne soit pas synonyme de
nivellement. En effet, dans la perspective européenne, nous devons, tout en
veillant à réduire les inégalités les plus profondes, nous attacher à mettre
aussi en évidence les points forts de notre territoire. Et, ne pouvant à cet
égard prétendre à l'exhaustivité, je mentionnerai trois exemples.
Premier exemple : la région d'Ile-de-France. Bien sûr, il faut éviter sa
congestion et poursuivre une politique active de délocalisation. Mais il
convient également de reconnaître que Paris et l'Ile-de-France sont, à bien des
égards, seuls aptes à accueillir un certain nombre d'états-majors,...
M. Jean-Pierre Schosteck.
C'est évident !
M. Daniel Hoeffel.
... de structures, en concurrence, avec Londres, Francfort ou d'autres.
En d'autres termes, il faut que, nonobstant cette action de décongestion, nous
préservions les atouts de Paris et de l'Ile-de-France.
MM. Gérard Larcher et Jean-Pierre Schosteck.
Très bien !
M. Daniel Hoeffel.
Le deuxième exemple est celui de la façade Est. C'est la plus proche du centre
de gravité de l'Europe, notamment du sillon rhénan. Elle peut drainer un
certain nombre d'activités. Elle est un lien naturel entre la France et le
centre de l'Europe.
M. Jean-Pierre Schosteck.
C'est évident aussi !
M. Daniel Hoeffel.
Troisième exemple : l'arc atlantique, cher à notre collègue Jean-Pierre
Raffarin, et la façade méditerranéenne, qui sont des ponts vers l'extérieur et
qui, de ce fait, sont aussi des atouts. Une politique d'aménagement du
territoire doit poursuivre son indispensable action de désenclavement.
M. Jean-Pierre Raffarin.
Excellent !
M. Daniel Hoeffel.
J'en viens au rôle de l'Etat.
Je regrette, madame la ministre, à cet égard, l'abandon du schéma national,
car je suis convaincu qu'aménagement du territoire, décentralisationn et
affirmation du rôle de l'Etat peuvent et doivent aller de pair.
L'Etat a une mission de solidarité, de garant de la cohésion et d'arbitrage
entre les choix à opérer dont nous ne pouvons pas nous passer.
M. Jean-Pierre Schosteck.
Bien sûr !
M. Daniel Hoeffel.
La juxtaposition de schémas régionaux et de schémas de services ne donne pas
une politique cohérente, sur le plan national, de l'aménagement du
territoire.
M. Bernard Murat.
Tout à fait !
M. Daniel Hoeffel.
Cette mission de l'Etat, elle s'exprime à travers les contrats de plan
Etat-région, son rôle de négociateur des fonds structurels européens, sa
politique des voies de communication, sa politique de zonage.
Il faut éviter que l'Etat ne cède à une politique de saupoudrage qui passerait
à côté de l'objectif de l'efficacité.
Je crois, par ailleurs, à la nécessité de maintenir des procédures
dérogatoires pour les quartiers urbains difficiles comme pour les zones
rurales. Cela pose le problème du rôle essentiel des services publics dans ces
quartiers difficiles et dans ces zones rurales où, nous le savons, l'exigence
de rentabilité entre en contradiction avec la nécessité sociale des services
publics et l'impulsion économique qu'ils apportent. Pour éviter le
dépérissement de certains secteurs géographiques, des procédures dérogatoires
sont, de ce point de vue, indispensables.
M. Gérard Larcher.
Absolument !
M. Daniel Hoeffel.
Au passage, je soulignerai la mission importante que la DATAR remplit à cet
égard, et je tiens à lui rendre hommage pour le travail qu'elle accomplit.
Enfin, troisième volet, le rôle des collectivités territoriales.
Nous l'avons dit en 1994, il faut que l'Etat assume sa place. Mais on ne
saurait mettre en oeuvre un aménagement strictement volontariste sans une
mobilisation de toutes les collectivités territoriales : c'est là une condition
absolument nécessaire, car ce sont elles qui expriment la volonté venant de la
base, c'est d'elles que dépend le dynamisme. Une telle politique ne s'impose
pas d'en haut ; une volonté affirmée doit s'exprimer depuis la base.
L'état actuel de nos structures territoriales est-il, à cet égard, gage
d'efficacité ? La question vient d'être posée par mon prédécesseur à cette
tribune. Est-ce que la coexistence des régions, des départements, des
structures intercommunales, des communes, auxquels s'ajoutent les pays, ne pose
pas des problèmes de coordination ?
Il faut clarifier les rôles respectifs de la région et des départements et
rappeler que ces derniers sont des cofinanceurs indispensables et
irremplaçables ; d'où, madame la ministre, le souci, ne serait-ce que pour des
raisons d'intendance, d'inclure expressément dans le projet de loi la mission
qui continue à incomber au département.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR
et des Républicains et Indépendants.)
A propos des pays, madame la ministre, évitez de les ériger en structures
territoriales. Le pays doit demeurer un espace pertinent de solidarité et de
développement : c'est à cette condition qu'il n'y aura pas confusion.
M. Gérard Larcher.
Tout à fait !
M. Daniel Hoeffel.
S'agissant de cette remise en ordre des structures territoriales, je souhaite
que l'expérimentation dans telle ou telle région ou dans tel ou tel secteur
géographique ne soit pas purement et simplement écartée.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Absolument!
M. Daniel Hoeffel.
Je crois en effet beaucoup aux vertus de l'expérimentation pour parvenir à une
généralisation non hasardeuse par la suite.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants. ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Très bien !
M. Jean-Pierre Schosteck.
Grande sagesse !
M. Daniel Hoeffel.
J'en arrive à l'aménagement du territoire à l'échelon européen.
L'Europe se manifeste au regard de l'aménagement du territoire à travers sa
politique de fonds structurels, dont la France a incontestablement
bénéficié.
L'Europe, c'est aussi la négociation qui est menée en son sein en vue
d'élaborer le SDEC, le schéma de développement de l'espace communautaire.
Puisse-t-il ne pas rester un serpent de mer !
Mais je voudrais insister sur un autre point : celui de la politique des
réseaux transeuropéens, dont le rôle structurant et stimulant est
incontestable.
Voilà dix ans, voire quinze ans, on faisait déjà état des maillons manquants
dans les réseaux de voies de communication européens.
L'élargissement progressif de l'Europe vers l'est fait apparaître avec encore
plus d'acuité ces maillons manquants qui doivent être complétés. Le sommet
européen d'Essen avait retenu quinze projets. Hélas ! six ans après, nous ne
sommes pas encore passés de l'incantation à la concrétisation.
La France, elle, a décidé, ce à juste titre sur le principe, d'établir, en
dehors des TGV nationaux, des projets de liaison avec la Belgique, l'Allemagne,
la Suisse, l'Italie, l'Espagne. L'aménagement du territoire européen, c'est
aussi cela ! Mais que de retard et d'hésitations sur certains de ces projets
!
J'ai le sentiment que le TGV-Est européen, par exemple, continue à être
considéré comme une liaison purement nationale, ne dépassant pas l'horizon,
dans le meilleur des cas, du Rhin, et, dans le moins bon des cas, les Vosges.
Or il y a un horizon européen au-delà du Rhin : Stuttgart, Munich, Vienne,
Prague ; c'est par là que nous pouvons être reliés au centre de l'Europe. Il
s'agit d'un élément fondamental, qu'il convient de rappeler.
A certains égards, les réticences, les hésitations me rappellent la position
de certains grands spécialistes, après 1945, qui s'opposaient à la réalisation
d'un réseau autoroutier, parce que la France avait le meilleur réseau routier
d'Europe.
J'en arrive au deuxième volet de mon intervention : les voies navigables.
Dire que les voies navigables présentent un aspect désuet serait, à mon avis,
une erreur. La France est le seul pays de l'Europe occidentale qui se trouve à
l'écart d'un grand réseau de voies navigables modernes. Je crois, madame la
ministre, qu'il s'agit d'une nécessité écologique. Il suffit de rappeler qu'un
convoi poussé sur le Rhin ou sur le Rhône remplace, à lui seul, deux cent vingt
camions de vingt tonnes.
A ce propos, le projet de loi prévoit, parmi les huit schémas de services
collectifs, deux schémas multimodaux de transport : l'un pour les transports de
voyageurs, l'autre pour les transports de marchandises. Si nous ne rectifions
pas cette orientation, ne risquons-nous pas de passer à côté d'une chance et de
faire courir un risque à notre pays ?
Nos voisins européens prévoient des schémas européens de réseaux, mode de
transport par mode de transport, qui débouchent sur le comblement des lacunes
et des maillons manquants, alors que, je le crains, nos systèmes plurimodaux
risquent d'être un prétexte pour ne s'en tenir qu'à ce qui existe et ne pas
supprimer ces lacunes, ce qui nous place en position de faiblesse par rapport à
nos partenaires, qui sont aussi nos concurrents.
M. Jean-Pierre Schosteck.
Cela fait plaisir à entendre !
M. Daniel Hoeffel.
En conclusion, voilà environ un an, plusieurs de nos collègues, notamment
présidents de groupe, tel M. de Raincourt, avaient demandé que soit constituée
une commission d'enquête sur les grandes infrastructures de transport.
M. Henri de Raincourt.
Absolument !
M. Daniel Hoeffel.
A l'occasion de cette demande, ils dressaient deux constats.
Tout d'abord, l'aménagement du territoire exige la continuité des actions,
dans une véritable vision stratégique de développement économique, d'équilibre
des territoires et d'insertion dans le cadre européen.
Ensuite, la France doit occuper en Europe une position centrale. Il serait
insensé, ajoutaient-ils, qu'elle laisse passer la chance d'en tirer tous les
bénéfices.
A cet égard, la loi de 1995 avait représenté une tentative méritoire. Elle
avait ses faiblesses, je le répète, elle avait ses lacunes, mais elle avait
aussi ses points forts : elle comportait des éléments de cohésion et reflétait
une vision d'avenir ; elle était également le fruit d'une large et authentique
consultation démocratique à laquelle toutes les parties prenantes étaient
associées.
Elle a été soit inappliquée, soit annulée dans certaines de ses dispositions,
soit mise en veilleuse.
La France ne peut pas se permettre de ne pas avoir rapidement une vision
claire et cohérente eu égard à l'aménagement de son territoire. Puissions-nous,
madame la ministre, avoir sur votre projet de loi un débat approfondi et non en
urgence afin d'apporter la réponse à ces questions essentielles.
(Bravo ! et
applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. Jean-Pierre Raffarin.
Quelle hauteur de vue !
M. le président.
La parole est à Mme Heinis.
Mme Anne Heinis.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, conduire une
politique d'aménagement du territoire n'est pas une chose facile dans notre
pays, tant nous avons peine à définir le rôle des différents acteurs et à
dépasser la contradiction qui, chez nous, oppose toujours un vieux jacobinisme
et une très grande aspiration à la valorisation de l'initiative
individuelle.
Ce contexte donne incontestablement à la fonction de ministre de l'aménagement
du territoire un rôle clef au coeur des politiques publiques.
En présentant votre projet de loi en juillet dernier, madame le ministre, vous
avez reproché au texte de 1995 d'être « ruralo-ruraliste ». Votre texte, lui,
semble en effet suivre une logique urbaine et environnementale, malheureusement
au sens trop étroit du terme.
Autrement dit, aux grandes agglomérations le développement économique, aux
ruraux l'entretien et la préservation d'un espace bucolique et « récréationnel
», propre à assurer le repos des citadins stressés. C'est une vision
extrêmement réductrice et urbaine, comme ne cesse de le dénoncer, à juste
titre, ma collègue Janine Bardou.
Permettez-moi, en premier lieu, de m'élever contre vos déclarations aux termes
desquelles la loi de 1995 n'aurait été que partiellement appliquée.
Quatre-vingt-quatorze décrets d'application ont été pris sous le gouvernement
d'Alain Juppé, et nous avons adopté, en novembre 1996, la loi relative à la
mise en oeuvre du pacte de relance pour la ville.
Il est vrai que tous les décrets n'ont pas été publiés, mais si vous aviez
poursuivi le travail à ce rythme, tous les textes d'application seraient
aujourd'hui en vigueur, comme me l'a confirmé notre collègue Jean-Claude
Gaudin, que j'associe, bien sûr, à mon propos.
Il se révèle en second lieu, de plus en plus nettement, que votre texte est
étroitement subordonné aux projets de loi relatifs à l'intercommunalité et aux
interventions économiques des collectivités locales, souvent pour des
opérations qui relèvent, en fait, de la responsabilité de l'Etat.
Il y a là une logique qui est construite au détriment de l'harmonie entre les
zones rurales et les zones urbaines, harmonie que, pour notre part, au Sénat,
nous cherchons toujours à préserver.
Cet équilibre, lié à l'identité française, doit prendre en compte les aspects
positifs de l'exceptionnelle densité et variété de notre maillage
territorial.
Alexis de Tocqueville soulignait déjà, en 1856, que la diversité des lieux et
des moeurs justifiait la multiplication des petites communes. Certes, depuis,
les moeurs se sont uniformisées et les moyens de communiquer ont raccourci,
voire aboli les distances.
Il n'en demeure pas moins que les citoyens aspirent toujours à la proximité
des services publics locaux, garants de la cohésion sociale et économique.
C'est bien par l'initiative locale et la décentralisation que nous
parviendrons à enraciner l'activité. En revanche, il n'existe pas de solution
universelle ; c'est l'expérimentation qui doit guider la politique.
A ce titre, il apparaît indispensable de penser les services, les
infrastructures en termes de bassins de vie, à géométrie et à contenu
variables, afin de mettre un coup d'arrêt à la fameuse spirale infernale -
moins d'habitants, moins de services ; moins de services, moins d'habitants -
ce au sein de l'ensemble de notre organisation politique du territoire, où
péréquation financière, désenclavement géographique et solidarité de moyens
doivent être des règles de référence.
Bien sûr, l'intercommunalité progresse, au demeurant plus en quantité qu'en
termes d'intégration. Son incontestable intérêt et donc sa réussite ne peuvent
reposer que sur le volontariat, favorisé par des incitations.
Mais que sont devenus, madame le ministre, le schéma national d'aménagement du
territoire, le plan en faveur du Massif central, ou encore le plan pour
l'avenir du monde rural, auxquels rien ne s'est substitué ?
Quant au fonds de gestion de l'espace rural, dont vous annonciez pourtant le
maintien en septembre dernier, il a été remplacé sans coup férir par un fonds
de gestion des milieux naturels qui, malheureusement, nous le savons tous, ne
rendra pas les mêmes services.
Je ne m'attarderai pas sur les grandes villes et leurs banlieues à problèmes,
car ce n'est pas ma spécialité. Mais je souhaite en tirer quelques
enseignements sur ce qu'il ne faut pas faire.
Il faut éviter la surconcentration de populations souvent déracinées,
hétéroclites quant à leurs origines, leurs moeurs, leur culture, le chômage,
assortie de la disparition quasi complète de tous les services reposant sur des
moyens humains de proximité. Or, pour être efficaces, les moyens humains ont
toujours besoin de « proximité ».
A contrario,
on observe que, là où l'on veut créer ou recréer ces
moyens parce qu'ils ont disparu, ceux-ci sont extrêmement coûteux, difficiles à
organiser et pour une efficacité moindre que si l'on s'y était pris à temps.
C'est l'exemple des îlotiers, des équipes de sécurité dans le métro, des agents
de toutes sortes, médiateurs ou d'ambiance, pour n'en citer que
quelques-uns.
Sans doute faudrait-il aussi se reporter aux grands besoins communs, dont la
réponse collective et sociale doit être donnée par la société où l'on vit. J'y
reviendrai.
Je ciblerai mon propos sur ce que nos statistiques appellent les « petites
villes », c'est-à-dire les villes de trois mille à vingt mille habitants, parmi
lesquelles on trouve les bourgs ou villes-centres, qui jouent un rôle capital
dans le maillage des fameux 80 % de notre territoire, non occupé par les
grandes villes, cela ne semble pas être votre sujet majeur, sauf pour la
sanctuarisation.
C'est cet espace, immense et naturellement hospitalier dans notre pays, que
visait l'article 61 de la loi Pasqua, et que le nouveau projet de loi a tout
simplement supprimé. Quelle erreur !
Quand on examine de près ces petites villes, qui sont à peu près deux mille
cinq cents sur trente-six mille, on s'aperçoit qu'à population égale elles ont
un rôle et une influence très variables en fonction de différents facteurs que
je n'énumérerai pas.
Il n'en reste pas moins que c'est vers elles que convergent les innombrables
très petites communes pour y trouver le minimum de réponses collectives dont
elles ont besoin, en particulier les commerces et services divers. C'est à ce
titre que les petites villes sont des points forts de notre réseau rural,
malgré la modestie de leur taille.
Les très petites communes sont, en général, à prédominance agricole ou
maritime pour les communes littorales. Cependant, c'est à elles et à leurs
agriculteurs que nous devons d'avoir un territoire qui ne retourne pas en
friche. La friche n'est pas séduisante ; elle ne correspond nullement à la soif
« d'espace de respiration » des habitants de nos grandes villes. C'est
d'ailleurs dans cette optique que les CTE bien pensés et bien ciblés peuvent
rendre de grands services.
Ces communes ont à leur tête des maires, derniers défenseurs bénévoles de
territoires souvent très grands qu'ils aiment de toutes leurs fibres. Ils sont
les ultimes garants de la démocratie locale et au plus proche de la population.
Pourtant, on ne parle d'eux que pour leur reprocher leur trop grand nombre.
Mais si les grands capitaines du territoire oublient leurs troupes de terrain,
leurs généraux n'auront plus d'armée. Est-ce ce qu'ils souhaitent ? Je
m'interroge parfois.
J'observe aussi, et je m'élève contre cet état de choses, que les règles
concernant les « pays » écartent systématiquement les parties démographiquement
les moins denses de nos zones rurales alors qu'il faudrait très certainement
des règles plus souples en matière de périmètre, d'importance de population, en
particulier pour les bourgs-centres, et de choix dans les modes de
coopération.
J'en reviens aux petites villes. Une étude américaine arrivait à la conclusion
que la dimension optimale d'une ville pour l'épanouissement des individus était
de l'ordre de 10 000 habitants.
La première exigence est la vie économique. Sans création de richesse, on
stagne et on ne partage que la pauvreté et l'immobilisme forcé. Et ce sont les
entreprises, essentiellement les PME, qui créent la richesse et l'emploi et non
les activités économiques des collectivités locales, comme vous semblez le
supposer, du moins c'est ce que j'ai crû comprendre, car c'est alors prendre
l'effet pour la cause.
Pour s'implanter, la vie économique a besoin d'infrastructures et de supports.
Et c'est là que les collectivités locales, de tous niveaux, ont un rôle majeur
à jouer. Leur tâche consiste à préparer les structures d'accueil pour les
implantations d'entreprises et les diverses formes d'activités économiques et à
organiser, pour leur personnel et leur famille, l'ensemble des services et des
conditions de vie que la population est en droit d'attendre. L'uniformisation
des modes de vie fait que les exigences de base sont quasiment les mêmes
partout.
En tout état de cause, je pense que, en termes d'aménagement du territoire,
c'est de l'existant, des besoins et des attentes, tels qu'ils sont exprimés
dans la société d'aujourd'hui, qu'il faut repartir. Le recensement de ces
besoins est en définitive assez simple même s'il n'est pas si aisé d'y répondre
et se retrouve dans les différents schémas de services ; ce qui m'inquiète,
c'est la cohérence et la coordination de ces schémas.
Les premiers besoins sont un emploi, un toit. Et, dès que la vie collective
prend forme, on voit apparaître le besoin de sécurité, qui nécessite la
proximité de la gendarmerie, de la police et de la justice, le besoin de santé
et de soins qui se traduit par les hôpitaux de proximité, les services sociaux
divers, le besoin d'éducation et de formation par le biais des écoles, des
collèges et des lycées, sans oublier les lycées techniques et professionnels et
les universités, le besoin d'accompagnement avec les cantines, les crèches, les
maisons de retraite et les établissements spécialisés et, enfin, le besoin de
loisirs variés, dans le domaine des sports et de la culture, qui se traduit, en
général, pour les collectivités locales, par des besoins en locaux et en
équipements variés.
La satisfaction de ces besoins impose des engagements financiers excédant
souvent les moyens des petites communes, dont la capacité d'autofinancement est
très faible. C'est là que doit intervenir la solidarité d'échelle entre les
différents niveaux de collectivités territoriales.
En revanche, l'animation, dont on parle beaucoup, me semble devoir revenir non
pas aux collectivités, mais de plein droit à l'initiative privée et aux
associations, dont c'est la vocation majeure dans ce domaine.
A ce sujet, je veux souligner l'importance de la qualité des hommes et des
femmes qui les dirigent et qui, parfois, font vraiment des merveilles.
C'est à la fois la force et la fragilité des associations qui permettent plus
de souplesse et d'initiative par rapport aux institutions qui, elles, sont par
définition pérennes et astreintes à des règles sévères.
Un accueil, une compréhension des difficultés, un encouragement, une aide
financière et des lieux d'exercice, tels sont les besoins des associations
auxquels ont à répondre les différentes collectivités.
C'est de leurs projets et de leurs initiatives - j'insiste sur ce point - que
devront naître les projets de réponse en termes de structures ou d'équipements
de sports et de loisirs, et non le contraire.
Toutefois, les petites villes ne sont qu'un maillon d'une chaîne à la fois de
responsabilités et de solidarité.
La véritable solidarité, en dehors des secours nécessaires pour atténuer les
grandes détresses ou passer des caps difficiles, consiste à inventer les moyens
pour que chaque individu, chaque famille puisse trouver sa place dans la
société, construire sa vie à sa façon et ne pas se trouver écarté des réponses
collectives aux besoins communs.
Il ne faut pas confondre différence et discrimination.
La véritable solidarité consiste aussi, à l'échelle des communes et des
petites villes, à s'insérer dans des dispositifs plus vastes en ce qui concerne
notamment les grandes infrastructures d'accès et les services publics, qui
doivent, eux aussi, être maillés en réseau. C'est toute l'architecture du
territoire qui est concernée. Il me semble, par exemple, tout à fait anormal
que les petites communes participent financièrement à la création et au
fonctionnement d'une agence postale, alors que les bureaux de poste sont
gratuits pour les villes. Ou ils sont nécessaires, ou ils ne le sont pas !
Le territoire est un vaste ensemble déjà très structuré, qui a ses échelons, à
savoir les communes, les structures de coopération intercommunale, les
départements et les régions.
Les départements font aujourd'hui l'objet d'une adhésion réelle. Ils ont été,
rappelons-le, la première forme de décentralisation et leur mission, depuis
plus de deux cents ans, a été de structurer et d'organiser notre territoire. Or
toute mention à leur présence et à leur action a totalement disparu de votre
projet de loi. Pour quelles raisons, madame la ministre ?
Quant aux régions, je laisse aux présidents de conseils régionaux le soin d'en
parler. Il me semble toutefois que leur mission devrait être prioritairement
une mission de coordination et de coopération avec les institutions nationales
et européennes.
Pour conclure, il me semble que, au-delà de la gestion du présent, penser et
organiser ce que nous savons de l'avenir est une des grandes responsabilités
des élus de tous niveaux, et en particulier du Sénat, représentant des
territoires. Combien d'élus regrettent aujourd'hui que leurs « grands anciens »
n'aient pas saisi la chance d'avoir une gare, une route importante ou tel ou
tel grand établissement ou service ?
L'aménagement du territoire - et je rejoins ici les propos de M. Hoeffel -
doit être un élan partagé par tous. A ce titre, il réclame de la conviction, de
la détermination et de la compréhension.
Vous ne manquez pas, madame la ministre, des deux premières qualités mais,
pardonnez-moi de vous le dire, je souhaiterais que, pour la troisième, il en
soit de même et que de vrais dialogues constructifs s'instaurent, enfin, entre
nous tous.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Delevoye.
M. Jean-Paul Delevoye.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je me réjouis
de l'organisation de ce débat sur l'aménagement du territoire. Mais
permettez-moi de dire, en préambule, qu'il ne doit pas être faussé dès le
départ. J'entends par là qu'il ne doit pas être l'occasion pour certains de s'y
réfugier dans l'espoir d'obtenir toutes les garanties pour ne surtout pas
bouger et de tomber ainsi dans un conservatisme qui sera balayé par les forces
qui, aujourd'hui, modulent notre société de l'extérieur.
Le deuxième danger de ce type de débat est de mettre l'accent sur les
structures et les moyens et peut-être pas assez sur les objectifs.
Vous avez manifesté la volonté, madame la ministre, de vous inscrire dans un
échelon européen, dans lequel vous intégrez la mobilité des personnes. En
outre, vous avez indiqué que les contrats de plan s'inscrivaient plus, selon
vous, dans une logique de projet que dans une logique de guichet, les régions
devant être les chefs de file et les volontés locales faisant l'objet d'un
accompagnement.
Je veux donc comparer nos analyses et poser les questions auxquelles nous
serons obligés de répondre.
Avec le passage à l'euro, au 1er janvier 1999, nous allons être amenés à
confronter la performance des territoires. L'absence de risque de change dans
une économie intraeuropéenne accentuera encore davantage la concurrence en
matière fiscale et les coûts sociaux et environnementaux pèseront dans la
localisation des activités.
Allons-nous nous orienter vers une spécialisation des territoires en fonction
de pôles industriels qui deviendront de plus en plus mono-industriels ?
Verra-t-on un pôle aéronautique dans le Sud et un pôle automobile dans le Nord
? C'est un sujet sur lequel il serait intéressant de vous entendre, madame la
ministre, car il pose le problème de l'étroite dépendance des territoires à la
survie des industries qui s'y sont implantées. On s'aperçoit que les arbitrages
mondiaux posent aujourd'hui le problème de la pérennité d'une industrie par
rapport à l'activité du territoire dans laquelle elle s'est établie.
Que se passe-t-il en Europe ? En vertu d'une formidable solidarité, l'épargne
et les capitaux des pays du Nord ont été investis dans les pays du Sud, ce qui
a permis à ces derniers, d'une part, d'accroître leur taux de croissance et
leurs revenus et, d'autre part, de rattraper leurs retards.
En même temps, cette réduction des écarts contribuera-t-elle à harmoniser les
coûts ? Si la réponse est positive, dans quel type de scénario allons-nous nous
trouver ? Allons-nous assister à une concentration de plus en plus forte des
centres d'activité ou, au contraire, à des irrigations périphériques ? A cet
égard, il conviendrait également de savoir quelle est la part de la volonté
politique eu égard à cet objectif d'aménagement du territoire.
Par ailleurs, dans la mesure où nos communes, nos bourgs-centres ont été
structurés par les activités marchandes, agricoles ou industrielles, il est
difficilement concevable que nos frontières politiques n'évoluent pas par
rapport aux nouvelles forces économiques. Il suffit de constater toute la
structuration nouvelle apportée par les services, les réseaux de savoir et
d'intelligence.
Il serait très tentant de dire que la réponse, en termes de dimension, est la
plus pertinente. Après l'ère du
small is beautiful,
on est passé à celle
du
big
, voire du
very very big is beautiful
. Cette question est
d'autant plus importante que, si les entreprises mettent au point des
organisations opérationnelles stratégiques pour faire face aux marchés, il
faudra des organisations politiques à la dimension des enjeux.
La question de fond qui se pose est de savoir s'il existe une fatalité à la
concentration urbaine. Est-ce une volonté ? La question est d'autant plus
importante que, si vous affichez une volonté contraire, nous devrons nous
assurer de la cohérence de la politique gouvernementale. En effet, dans un
volume d'enveloppe de dépenses publiques auquel nous ne pourrons pas échapper
compte tenu des critères de Maastrich, la performance économique variera bien
évidemment selon la mobilisation des capitaux privés et leur attractivité, mais
aussi la capacité de préserver un investissement public.
A l'évidence, l'Etat a aujourd'hui perdu cette capacité que nous retrouvons
chez les collectivités locales. Les incitations par la dotation globale de
fonctionnement aux communautés d'agglomérations, afin de prendre en charge une
partie du fonctionnement, ne sont-elles pas une prime un peu perverse ?
N'a-t-on pas tendance à privilégier le fonctionnement au détriment de
l'investissement ?
M. le président de la commission des finances a mis en évidence l'obligation
de concilier la volonté politique et la puissance des forces du capital. Or, le
capital s'investit, aujourd'hui, dans les régions les plus dynamiques...
M. Jean-Pierre Raffarin.
Ou les mieux placées !
M. Jean-Paul Delevoye.
... certes, ou dans celles qui leur assurent le meilleur retour sur
investissement.
Les inégalités territoriales et sociales s'accélèrent. J'en veux pour preuve
que, si l'on se réfère à l'étude réalisée par l'INSEE sur les années 1982-1996
et concernant le au développement des régions, on constate que les écarts ont
augmenté entre la région parisienne et les quatre régions représentant la
moitié de la richesse mondiale. Est-ce une fatalité ou peut-on utiliser ces
forces pour mieux répartir la richesse ?
Ce point n'est pas inintéressant car, si nous avons une monnaie forte, une
pression s'exercera nécessairement sur les outils économiques afin qu'ils
réalisent des produits à haute valeur ajoutée, à haute technologie, requérant
de plus en plus de savoir.
Or, une étude a démontré que les réseaux du savoir doivent trouver leur
logique dans la concentration métropolitaine. Nous avons besoin, sur ce point,
de percevoir votre volonté politique.
Si l'euro conforte le développement des places financières européennes les
mieux placées, des risques existent pour les économies qui ne pourront pas
innover ou développer leur productivité et leur compétitivité.
Aujourd'hui, nous sommes obligés, et c'est un discours qui nous plaît, madame
la ministre, d'opter pour une modification culturelle du développement
territorial par la recherche de la performance des territoires intégrant le
capital humain, les infrastructures, les services publics et la qualité de vie
mais aussi, et c'est une autre question, par la conservation de certaines
activités traditionnelles, qui, aujourd'hui, sont sacrifiées sur l'autel de la
compétitivité au moment où le besoin d'un sentiment d'appartenance est en train
de les faire réémerger. L'égalité des chances passe par une inégalité de
traitement. Il faut faire en sorte de ne pas voir disparaître un savoir-faire
artisanal, une culture artisanale, voire agricole, au profit de la banalisation
de l'économie de marché mondiale, qui serait contraire à notre volonté
politique.
Madame le ministre, en fonction de vos objectifs, il conviendra de savoir
comment l'Etat doit être un Etat préréquateur. Là, je ne partage plus votre
point de vue, mais, je le comprends, vous êtes solidaire d'une politique
gouvernementale et vous indiquez que vous ne croyez pas à la recentralisation
de l'Etat par la réforme de la taxe professionnelle. Nous avons eu un débat sur
ce sujet à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 1999, je
n'y reviens pas.
Cependant, je voudrais attirer votre attention sur un point. En chargeant la
barque de l'Etat par la prise en charge de compensations ou de dégrèvements de
la fiscalité locale, la part péréquatrice de l'Etat reste extrordinairement
faible. Nous avons le même débat à l'échelon européen, où la péréquation ne
représente que 1,4 % du PIB européen.
Aujourd'hui, si nous sommes d'accord sur une logique d'accroissement des
inégalités territoriales telles que nous les avons perçues au cours des dix ou
quinze dernières années de décentralisation, nous sommes non pas pour une
recentralisation de l'Etat, mais pour une autorité sur la répartition des
revenus entre les régions les plus riches et celles qui sont les plus pauvres.
Le rôle de l'Etat péréquateur me paraît devoir être clairement réaffirmé. Il
conviendra que, peut-être, nous vous aidions à obtenir un certain nombre de
moyens en la matière.
Si les écarts entre pays européens se réduisent, paradoxalement les écarts
entre les régions d'un même pays se creusent. Il s'agit là de phénomènes
quelque peu contradictoires.
Une comparaison entre la France et les Etats-Unis à propos de ce que
j'appellerai les amortisseurs de l'adaptabilité et de la mobilité des économies
mondiales, montre qu'il existe outre-Atlantique trois types d'amortisseurs que,
à l'évidence, nous ne possédons pas.
Le premier amortisseur, ce sont les flux migratoires. Là aussi, nous devons
nous interroger sur le rapport entre les flux migratoires, le budget fédéral et
l'ajustement structurel du système productif. Ce grand débat sur l'adaptabilité
du système productif, dans lequel je n'entrerai pas, rebondira probablement à
l'occasion de la réflexion sur les trente-cinq heures.
Si on analyse les flux migratoires et le budget fédéral, la véritable question
que l'on peut se poser est la suivante : faut-il déplacer les entreprises là où
il y a des chômeurs ou, au contraire, déplacer les chômeurs là où les
entreprises sont implantées ? Il serait intéressant que nous ayons ce débat,
car il pose tout le problème du financement du logement, de l'adaptabilité des
structures à caractère public. C'est un vrai débat qui, je crois, mérite d'être
ouvert.
S'agissant des transferts budgétaires, dans tous les pays, chaque région par
définition, de par son activité, génère des revenus et reçoit des financements
au titre des dépenses publiques. Quel sera le budget pour réduire les
inégalités territoriales ? Aux Etats-Unis, dans le budget fédéral, plus d'un
quart de la richesse produite est prélevée et redistribuée. En Europe, je l'ai
dit voilà un instant, la péréquation représente seulement 1,4 % du PIB. Il faut
que nous ayons un éclairage très précis sur le calendrier de l'Agenda 2000,
qui, peut-être, a tendance à réduire la capacité de mobilisation des mécanismes
nationaux de solidarité, voire à les plafonner, et que nous examinions cela par
rapport aux futurs fonds européens ou aux futurs contrats de plan Etat-région.
S'agissant de ces derniers, si vous ne parlez pas de recentralisation, madame
la ministre, pour notre part, nous parlons depuis quelques années, et ce quels
que soient les gouvernements, d'un transfert de la faiblesse de l'Etat sur les
épaules un peu larges des collectivités territoriales.
Si les contrats de plan Etat-région consistent à faire financer par les
collectivités territoriales ce que l'Etat ne sait pas faire, nous aboutirons à
un affaiblissement général, au lieu que l'Etat puisse tirer profit des forces
desdites collectivités.
J'attire votre attention sur la question de l'université. Nous sommes en train
de réfléchir sur l'université du troisième millénaire, et il est tout à fait
extraordinaire que plus personne n'élève l'objection selon laquelle, dans la
loi de décentralisation, il était clairement indiqué que l'université relevait
de la compétence exclusive de l'Etat et que, à l'évidence, jamais les
collectivités territoriales ne devaient franchir ces frontières intangibles
votées par le législateur.
Un sénateur du RPR.
Tout à fait !
M. Jean-Paul Delevoye.
Si nous devions nous y investir - et pourquoi pas ? - nous devrions à
l'évidence, en même temps, modifier les frontières des compétences posées par
les lois de décentralisation. En effet, je le rappelle, quand il y avait
transfert de compétences, il y avait concomitamment transfert de charges. Or, à
l'évidence, l'Etat ne cesse de modifier les frontières des dépenses de la
décentralisation, tout en resserrant les frontières des recettes.
Si l'aménagement du territoire est une volonté ou un élan, comme l'a dit M.
Daniel Hoeffel, une péréquation s'impose. Mais c'est d'abord et avant tout un
problème d'hommes. J'ai entendu vos propos sur l'investissement, le savoir, la
recherche et sur le développement qualitatif des hommes. Je crois que vous avez
raison. La politique d'aménagement du territoire bute sur un vrai problème :
celui du soutien aux PME-PMI. Nous sommes dans un moment de
fusions-acquisitions important et rapide des méga-entreprises, ce qui,
systématiquement, sous la pression des actionnaires, se traduit par des plans
de licenciements massifs.
M. Jean-Pierre Raffarin.
Exact !
M. Jean-Paul Delevoye.
A côté de cela, nous avons un grand nombre de PME et PMI sur l'ensemble du
territoire national - et pas dans les métropoles ! - qui, aujourd'hui, ont
besoin d'un soutien à l'exportation, qui ont besoin d'informations et de la
recherche. Il faudra trouver les moyens de mobiliser ce formidable réservoir
d'énergie et de capacité et mettre en place un soutien aux entrepreneurs.
J'attire votre attention sur le fait que, dans ce secteur, le nombre de
créations d'entreprises est passé de 160 000 à 125 000 et que 85 % d'entre
elles ne comptent que un ou deux salariés. Aujourd'hui, il existe, d'un côté,
des entreprises « survie » pour éviter la déprime du RMI qui s'approche et, de
l'autre, beaucoup de jeunes qui ont tant de talent. Nous avons intérêt à
réfléchir à cette capacité de mobilisation.
M. Jean-Pierre Raffarin.
Très juste!
M. Jean-Paul Delevoye.
Madame le ministre, je vous ai entendue - et je vous soutiens sur ce sujet -
prononcer le mot « expérimentation ». Dans ce pays, il faut cesser d'avoir une
vérité imposée par le haut, afin de passer de l'ère du soupçon à l'ère de la
prise de risques, du goût d'entreprendre, du droit d'initiative, que ce soit
dans le domaine économique ou dans le domaine social.
S'il en était ainsi, vous feriez une véritable révolution culturelle, madame
le ministre. Au moment où la Bourse joue sur les potentialités de demain, les
traitements politiques portent sur les handicaps d'aujourd'hui. Or, à
l'évidence, l'expérimentation permettrait de faire confiance aux animateurs
locaux et serait un formidable pari sur leurs atouts et leur capacité à
concevoir et à créer.
On le voit bien, il y a aussi, derrière tous ces mécanismes, deux types de
besoins, d'offres territoriales, sur lesquels, à mon avis, nous n'avons pas
suffisamment porté attention. Nous sommes dans une logique quelque peu
cartésienne, et généralement de la pensée unique, qui consiste à dire que
l'aménagement du territoire, c'est forcément le développement de l'économie
marchande. Or, nous le constatons aujourd'hui, il y a deux types de richesses
tirées des territoires : les revenus tirés de l'économie marchande mais aussi
les revenus mobiles, que sont les revenus du capital, des retraités et des
touristes. On voit bien qu'il peut y avoir une opposition d'offres
territoriales entre celles et ceux qui chercheront à tirer de leur territoire
les moyens d'assurer le développement de leur industrie et qui, en même temps,
dans d'autres territoires, auront des comportements de consommateurs
territoriaux, avec des exigences en matière d'environnement, de qualité de
service et de santé.
Comment parvenir à concilier les deux ? En effet, à la lecture de vos
paramètres sur le PIB, on s'aperçoit que si dans certaines régions le PIB
augmente, c'est non pas parce qu'un plus grand nombre d'entreprises y sont
implantées, mais parce qu'elles comptent plus de retraités. Pour relativiser la
richesse des territoires, il faut sans doute aussi que l'on essaie d'avoir une
approche plus qualitative de la réalité de cette création de richesse.
Il faudra aussi, madame le ministre, que nous réfléchissions, probablement
avec les régions, à un investissement très lourd dans l'ingénierie à la
disposition des élus pour concevoir des projets. Mettons en place dans notre
pays une formidable capacité d'intelligence des développeurs locaux. Les élus
sont quelquefois frileux lorsqu'ils n'ont pas, à leur côté, des compétences
adaptées en ingénierie sociale ou en ingénierie du développement. Quand on ne
sait pas, quand on a peur de l'avenir, on épargne, on n'investit pas ; quand on
a peur de l'avenir lorsqu'on est élu, on ne bouge pas.
Aujourd'hui, pour créer, mettons en place les formidables lumières
intellectuelles qui existent dans nos universités. Mobilisons le réseau des
universités pour interpeller la classe politique, dans la mesure où, demain, il
faudra concevoir les projets de territoire. Aujourd'hui, nous devons réfléchir
à la modernisation de nos outils. Nous devons faire en sorte qu'une volonté
politique soit aussi affichée, madame le ministre. Nous sommes entrés dans une
logique de relative stabilité de l'évolution globale démographique, avec 0,5 %.
Avons-nous, avez-vous une lecture de l'acceptation de l'augmentation
systématique de la démographie du Bassin parisien ? Avons-nous une lecture très
claire de la répartition démographique et des objectifs de taux de croissance ?
Je crois m'en être déjà ouvert auprès de vous.
A l'évidence, nos départements et territoires d'outre-mer, avec la pression de
la jeunesse, ont besoin d'un taux de croissance économique supérieur à celui
que connaît la métropole. Il en est de même de la région Nord -
Pas-de-Calais.
Il faudra responsabiliser chaque région, ...
M. Jacques Bellanger.
Très bien !
M. Jean-Paul Delevoye.
... mais pas avec la politique de guichet que vous évoquiez. Si la France
affiche une volonté de croissance de 2,7 %, dans certaines régions le taux de
croissance devra, à l'évidence, être plus important, pour tenir compte de
divers paramètres et d'exigences légitimes. Enfin, il faudra aussi que la
politique de l'aménagement du territoire soit une politique de lisibilité,
madame le ministre.
Alors que vous nous invitez à réfléchir au projet de loi que vous nous
proposerez dans six mois, l'Etat redistribue la totalité de ses services
publics. Sont notamment concernés La Poste, les écoles, les hôpitaux, les
maternités, les casernes, les gendarmeries et le Trésor. Si la loi nous demande
d'intervenir sur la réorganisation des services publics une fois que celle-ci
aura eu lieu, cela traduira un manque de lisibilité, en tout cas un manque de
cohérence. La remarque vaut pour le discours sur le moratoire.
Madame le ministre, vous nous avez invités, dans votre conclusion, à la
mobilisation et à la solidarité. Nous souhaitons lisibilité, volonté et
solidarité, en n'oubliant pas que la véritable richesse des territoires, ce
sont les hommes.
(Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les
reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures cinquante-cinq, est reprise à quinze heures.)