LIAISON À GRANDE VITESSE
ENTRE PARIS ET STRASBOURG

Discussion d'une question orale avec débat

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 5 de M. Christian Poncelet à M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement sur les incertitudes liées au financement de la liaison à grande vitesse entre Paris et Strasbourg.
M. Christian Poncelet demande notamment à M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement pourquoi le Gouvernement a estimé la participation de l'Union européenne à 10 %, alors que la Commission avait décidé, dès mai 1997, de ne pas accorder de subvention à cette hauteur. Dès lors se pose la question, si cette participation était limitée à 2 %, de savoir qui financera le différentiel de près de 1,5 milliard de francs.
Il lui demande, par ailleurs, outre de confirmer l'engagement financier du grand-duché de Luxembourg, de lui indiquer quelle est la participation attendue des régions et des autres collectivités locales concernées. Il lui demande de préciser si l'engagement financier de l'Etat, porté de 3,6 à 8 milliards de francs, est ferme ou conditionné aux autres participations.
De la même manière, il aimerait connaître la façon dont sera financée cette participation. Il souhaiterait également savoir si le Gouvernement, comme il en a le pouvoir, a demandé à la Caisse des dépôts et consignations de consentir - sur la section des fonds d'épargne - des prêts à long terme et à taux privilégié pour financer des travaux d'infrastructures de transports. La Caisse des dépôts est en effet techniquement prête à assurer ce type de financement long, mais elle s'est vu confier comme seule mission nouvelle celle de financer des projets de restructuration urbaine.
Enfin, les travaux d'électrification des lignes vosgiennes faisaient partie intégrante du projet de TGV et ont été déclarés d'utilité publique par l'arrêté du 14 mai 1996. Le protocole relatif aux études d'avant-projet détaillé précise en effet que « les aménagements du réseau existant », lesquels comprennent entre autres l'électrification des lignes vosgiennes, font partie de ces études. Or, le communiqué du Gouvernement, semble-t-il en contradiction avec le décret et avec le protocole, renvoie ces investissements connexes aux négociations préparatoires au futur contrat de plan Etat-région.
En d'autres termes, les lignes vosgiennes ne feraient plus partie du programme TGV, ce qui serait contraire aux dispositions du décret d'utilité publique. Reporter les lignes vosgiennes dans le futur contrat de plan serait revenir sur les délibérations des collectivités locales lorraines, lesquelles se sont prononcées sur leur participation de 1 milliard de francs pour l'ensemble du projet TGV, y compris les lignes vosgiennes.
Il lui demande donc de bien vouloir dissiper les ambiguïtés relatives au calendrier et au financement de l'électrification de ces lignes. (N° 5.)
La parole est à M. Poncelet, auteur de la question.
M. Christian Poncelet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, une fois apaisée l'agitation des élections régionales et les nouveaux conseils régionaux étant à présent mis en place, j'ai souhaité que notre assemblée consacre un débat à ce que je considère comme un projet majeur d'aménagement du territoire de cette fin de siècle pour le grand Est de la France ; j'ai nommé le TGV Est européen, Paris-Strasbourg et, au-delà, l'Allemagne et les pays d'Europe centrale.
Ce débat m'apparaît d'autant plus nécessaire, monsieur le ministre, que le Gouvernement a pris récemment d'importantes décisions qui suscitent chez les élus et dans la population des interrogations, voire des craintes.
Ces interrogations et ces craintes témoignent de notre attachement à un projet qui depuis plus de dix ans - je le dis avec regret - porte les espoirs de toute une région.
M. Hubert Haenel. Quinze ans même !
M. Christian Poncelet. L'accouchement de cet investissement est particulièrement long, trop long aux yeux des populations et des élus.
C'est en effet en 1985 - vous me permettrez ce rapide historique - qu'on été enregistrées les premières études de tracé par le groupe de travail baptisé « groupe Rattier ».
Pour ma part, dès juin 1986, mettant à profit un débat au conseil régional de Lorraine consacré aux grandes infrastructures de transport, j'avais plaidé avec force pour que la priorité fût donnée au TGV Est, en proposant que la région Lorraine se prépare à apporter, un jour, sa contribution financière.
Le TGV, j'en étais convaincu - je le suis toujours - allait constituer un pas décisif en vue de l'intégration économique et politique du coeur de l'Europe et à ce titre sa réalisation finirait par s'imposer.
Lorsque, en mars 1990, M. Essig, expert désigné par le Gouvernement, a remis son rapport, l'unanimité s'est faite parmi les collectivités pour en approuver les propositions, qu'il s'agisse du tracé ou de l'esquisse de financement.
Depuis, l'histoire du TGV a été jalonnée de décisions. Celles de l'Union européenne d'abord, avec le protocole franco-allemand de La Rochelle du 22 mai 1992, et l'accord franco-luxembourgeois signé à Metz le 17 septembre 1992 ; mais aussi celles des gouvernements français qui tous, depuis plus de dix ans, n'ont cessé de poursuivre les mêmes objectifs. Tout cela a constitué autant d'avancées, mêmes faibles, mais avancées cependant, qui, progressivement, ont conduit, en novembre 1996, le Premier ministre, M. Alain Juppé, à confirmer que Paris et Strasbourg seraient bien reliées par une ligne nouvelle SNCF à grande vitesse. L'hypothèse du recours à la technique du TGV pendulaire, véritable TGV au rabais, tout au moins à mes yeux, s'en trouvait alors et heureusement écartée.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Mais non !
M. Christian Poncelet. Monsieur le ministre, je tiens à votre disposition la lettre de M. Juppé confirmant cette décision.
Après avoir attendu en vain durant l'année 1997 que le nouveau gouvernement précise sa position, ce dernier a, enfin, le 4 février dernier, confirmé l'engagement de l'Etat de réaliser la liaison à grande vitesse du TGV entre Paris et Strasbourg.
Cette décision, qui se situe dans le droit-fil des engagements antérieurs, nous réjouirait pleinement si elle ne comportait une zone d'ombre et une ambiguïté, l'une et l'autre inquiétantes.
La zone d'ombre concerne le financement de l'opération. C'est aussi, c'est surtout le contrecoup, le problème de la contribution qui sera mise à la charge des collectivités locales.
Selon le communiqué du Gouvernement, l'Etat serait prêt à augmenter sa participation jusqu'à 8 milliards de francs, mais il y met une réserve, « dans la mesure où la participation des collectivités territoriales permettrait de boucler le plan de financement, compte tenu des engagements de l'Union européenne et du grand-duché de Luxembourg ». En d'autres termes, les collectivités feront l'appoint. On conçoit donc tout naturellement leurs craintes si, par impossible, les cofinanceurs faisaient défaut.
Or il semblerait bien que les engagements de l'Union européenne ne soient pas à la mesure des espoirs du Gouvernement français. La participation de l'Europe avait en effet été prévue de l'ordre de 2 milliards de francs ; c'est du moins les informations qui nous avaient été données lors de la réunion du comité de pilotage qui s'est tenue à Metz, en janvier 1997.
Le représentant de la Commission européenne nous avait alors indiqué que la Commission avait, à cette date, engagé 88,9 millions d'écus de subventions, soit environ 318 millions de francs, au titre des études. Il avait été fait état, alors, d'un « cofinancement par l'Europe du projet à hauteur d'un maximum de 50 % du coût des études et d'un maximum de 10 % des travaux de construction, conformément au règlement financier en vigueur ». J'ai là, monsieur le ministre, le communiqué de la Commission de Bruxelles de janvier 1997 qui précise cette participation.
En réalité, qu'en est-il ?
Si l'on s'en tient aux récentes déclarations du commissaire européen aux transports, M. Neil Kinnock, la participation de l'Europe serait limitée à 2 % du coût du projet - et non 10 % - soit moins de 400 millions de francs, c'est-à-dire moins que la contribution du Luxembourg, pas même la moitié de la part de la Lorraine. Devant de telles perspectives, les collectivités sont en droit de s'inquiéter. Un article de presse rapporte, au cas où vous l'ignoreriez, monsieur le ministre, les déclarations faites par le commissaire bruxellois.
Il est évident que les collectivités locales, dont la contribution avait été chiffrée initialement dans le rapport Essig à 4 milliards de francs, ne pourront pas doubler leur effort comme on l'entend dire ici ou là. La Lorraine, c'est-à-dire le conseil régional et les quatre départements, qui a voté en 1989 et 1990 sa contribution d'un milliard de francs, ne pourra pas, cela va de soi, doubler ce montant. La région aura à faire face à d'autres engagements importants, notamment pour d'autres grandes infrastructures, au cours du prochain contrat de plan Etat-région et, sans aucun doute, en complément de quelques transferts de charges déjà annoncés, pour ce qui concerne des dépenses de fonctionnement.
M. Gérard Braun. Hélas !
M. Christian Poncelet. Mais, direz-vous, ma crainte n'est peut-être pas fondée. Je serais tenté de l'espérer à la lecture de la presse régionale qui a rapporté vos propos, tenus, il est vrai, lors de la récente campagne électorale, et selon lesquels « il reste 2 milliards de francs à assurer pour trouver le complément... mais d'ores et déjà, le Gouvernement se dit prêt à prendre en compte l'évolution de la situation ». Il est vrai que vous ajoutiez : « il risque de se passer beaucoup de choses dimanche et des dossiers pourraient être revus une fois les régions emportées par la gauche ».
Quel qu'ait été le vote des régions Alsace Lorraine et Champagne-Ardenne...
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Et l'Ile-de-France ?
M. Christian Poncelet. Certes, mais comme cette région penche de votre côté, je ne l'ai pas citée car vous auriez alors eu plaisir à lui donner satisfaction !
Quel qu'ait été le vote des régions Alsace, Lorraine et Champagne-Ardenne, disais-je, nous espérons, nous voulons croire que les résultats de ce vote n'auront pas d'incidences sur la poursuite des négociations. Une déclaration contraire de votre part nous surprendrait et serait, vous l'avez deviné, particulièrement condamnable.
C'est pourquoi, en l'état actuel des discussions et après vos rencontres à la fois avec le commissaire européen aux transports et avec votre homologue du grand-duché de Luxembourg, je souhaiterais savoir à quelles sources le Gouvernement compte faire appel pour boucler le plan de financement du TGV Est, et surtout à quel niveau il envisage de fixer la contribution des collectivités locales.
Par ailleurs, le Gouvernement a-t-il, monsieur le ministre, demandé, comme il en a le pouvoir, à la Caisse des dépôts et consignations, de consentir, sur la section des fonds d'épargne, des prêts à long terme et à taux privilégiés pour financer des travaux d'infrastructures de transport ?
Devant la commission des finances du Sénat, le directeur général de la Caisse des dépôts et consignations, que j'interrogeais, nous a indiqué qu'il était « techniquement prêt », mais que le Gouvernement ne lui avait assigné que les investissements liés à la « rénovation urbaine » comme infrastructures nouvelles à financer. Est-ce exact ?
Nous vous demandons d'intervenir auprès du ministre de l'économie et des finances, nous le ferons nous-mêmes de notre côté, pour que l'accord donné par la Caisse des dépôts et consignations puisse avoir concrètement un prolongement au bénéfice tant de l'Etat et de Réseau ferré de France que des collectivités territoriales, au cas où elles seraient à nouveau sollicitées.
M. Hubert Haenel. Très bien !
M. Christian Poncelet. Notre attente est d'autant plus légitime qu'à l'incertitude sur le financement du projet s'ajoutent plusieurs ambiguïtés qui sont apparues récemment quant à la nature et à la consistance même du projet de TGV. Deux informations données par le communiqué du Gouvernement sont de nature à nourrir nos inquiétudes à cet égard.
La première laisse entendre que la recherche de l'optimisation du projet « pourra conduire à des modifications du tracé de la ligne nouvelle pouvant nécessiter des déclarations d'utilité publique modificatives. » On peut à nouveau légitimement s'interroger : ces modifications n'entraîneront-elles pas de retards supplémentaires dans le lancement des travaux que vous avez annoncé, et pour lequel nous vous avons remercié, pour 1999 ? Cet engagement sera-t-il toujours tenu ?
La seconde information porte sur une question qui revêt à mes yeux une importance particulière, je veux parler de la modernisation des lignes vosgiennes.
M. Gérard Braun. Très bien !
M. Christian Poncelet. Je rappelle que le dossier d'enquête d'utilité publique précisait explicitement que l'électrification des lignes vosgiennes faisait partie intégrante du projet du TGV. Il en détaillait la nature des travaux et en précisait le coût. Plus récemment, le protocole relatif aux études d'avant-projet détaillé, qui vient d'être signé, voilà quelques semaines, souligne que ces études porteront non seulement sur la ligne nouvelle proprement dite mais aussi sur « l'ensemble des aménagements de l'existant conformément au dossier et décret de déclaration d'utilité publique et tel qu'il résulte des engagements déjà pris par l'Etat ». Voilà qui est clair et sans ambiguïté !
M. Hubert Haenel. Comme de l'eau de roche !
M. Christian Poncelet. Ce texte du protocole, logique, cohérent avec l'ensemble du dossier, serait de nature à nous rassurer.
Mais, dans le même temps, - et voilà que réapparaît l'ambiguïté - le communiqué du Gouvernement du 4 février 1998 renvoie les lignes vosgiennes aux négociations préparatoires au XIIe Plan entre l'Etat et les régions.
Vous-même, monsieur le ministre, dans une lettre que vous m'avez adressée le 16 février 1998, vous avez confirmé que « les modalités et le calendrier de réalisation des investissements connexes - c'est-à-dire, je le précise, les lignes vosgiennes - seront examinés dans le cadre des négociations préparatoires au XIIe Plan entre l'Etat et les régions afin d'assurer la complémentarité entre la construction de la ligne nouvelle et la réalisation de ces investissements ». Je tiens bien sûr le texte de cette lettre à la disposition du Sénat.
Si les mots ont un sens, cela signifie que les lignes vosgiennes ne feraient plus partie intégrante du TGV, contrairement aux engagements antérieurs, à la déclaration d'utilité publique et, bien sûr, aux décisions qui ont été prises devant le conseil régional et les élus locaux.
M. Gérard Braun. Tout à fait !
M. Christian Poncelet. En effet, elles n'en feraient plus partie intégrante puisqu'elles ne bénéficieraient plus du même financement, qu'elles donneraient lieu à une programmation distincte et à une réalisation confiée à un maître d'ouvrage différent.
Comment, alors, M. Christian Pierret peut-il déclarer, dans le cadre d'une réunion interministérielle : « J'ai sauvé les lignes vosgiennes » ? Vous me direz qu'il s'agissait d'une période électorale et que, dans ces périodes, les mots excèdent parfois les pensées, nous le savons les uns et les autres...
D'un strict point de vue juridique, l'Etat ne peut ainsi faire « passer à la trappe » un décret d'utilité publique qui a intégré les lignes vosgiennes dans le projet du TGV Est.
Au surplus, je n'ose croire que l'Etat serait prêt à renier les engagements nombreux, précis, constants pris par les gouvernements, de droite comme de gauche, et par les présidents de la SNCF. Les uns comme les autres n'ont cessé d'affirmer par écrit que « l'aménagement des lignes vosgiennes est intégré au projet de travaux de la première phase du TGV Est avec l'objectif de permettre l'irrigation des Vosges ».
J'ai sous les yeux la lettre qui m'a été adressée le 21 avril 1997 par M. Gallois, président de la SNCF, et qui confirme, bien sûr, l'intégration des lignes vosgiennes dans le dossier du TGV Est.
Voilà des ministres, des présidents de la SNCF qui confirment bien que l'électrification des lignes vosgiennes fait partie intégrante du dossier TGV Est. Aujourd'hui, il y a une volonté manifeste d'écarter ce projet du projet initial lui-même.
C'est au vu de ces engagements que la région lorraine - et bien entendu, le département des Vosges - s'est engagé à l'époque sur la participation de 1 milliard de francs pour l'ensemble du projet, lequel comprenait exclusivement, et j'y insiste, les lignes vosgiennes, estimées, pour leur part, à un coût de 500 à 600 millions de francs.
L'étude a été faite. Le coût a été chiffré. Les déclarations émanant des responsables de la SNCF, aux plans tant national que régional, ont confirmé ce coût et, tout récemment encore, ces derniers se sont déclarés prêts à engager les travaux.
J'ai moi-même mené une action auprès du conseil régional, sous le gouvernement précédent et sous le gouvernement actuel, pour demander que ce milliard de francs qui a été voté par la région puisse cofinancer dès maintenant l'électrification des lignes vosgiennes.
Les travaux pourraient commencer, puisque les crédits sont disponibles et sont largement suffisants ; nous disposons en effet de 1 milliard de francs alors que le coût des travaux est de 500 millions de francs. Par ailleurs, cela garnirait les carnets de commande des entreprises et apporterait du travail.
Il serait inéquitable de mettre à la charge des collectivités territoriales de Lorraine une dépense aussi élevée, à laquelle s'ajouterait l'augmentation de leur contribution au titre de la ligne nouvelle que vous nous laissez entrevoir. Ce serait inéquitable et insupportable financièrement parlant. En effet, les lignes vosgiennes, elles aussi, concourent à l'aménagement du territoire, et la solidarité nationale doit évidemment jouer.
Pour toutes ces raisons, je demande avec force que la réalisation de la première phase du TGV comprenant les lignes vosgiennes soit strictement conforme au projet déclaré d'utilité publique. Il va du respect des engagements écrits qui ont été pris.
Je souhaite, monsieur le ministre, que, par votre voix, le Gouvernement apporte aujourd'hui toute clarification à ce sujet.
Vous me permettrez de dire en conclusion qu'il serait quelque peu paradoxal de constater que l'Etat n'est pas en mesure de trouver 2 à 4 milliards de francs pour financer un investissement structurant de dimension internationale, un investissement qui participe incontestablement à l'avenir de notre pays et des régions de l'Est, coeur de l'Europe, alors qu'il peut dégager 35 milliards de francs par an pour les emplois-jeunes, soit 175 milliards de francs sur cinq ans et que le plan de lutte contre les exclusions coûterait 50 milliards de francs sur trois ans.
Il y a là à l'évidence, monsieur le ministre, un déséquilibre flagrant entre l'investissement et le fonctionnement, un déséquilibre qui me paraît aussi incompréhensible que pernicieux pour l'avenir de notre pays.
Si l'Etat ne peut pas consacrer 10 % d'un budget global de 1 600 milliards de francs pour financer l'investissement, c'est pour le moins préoccupant. Il est indispensable de freiner la dépense de fonctionnement à tous les niveaux : au niveau national, bien sûr, mais aussi, j'en conviens, au niveau des collectivités territoriales.
Monsieur le ministre, je vous demande donc avec insistance, à vous dont je connais le franc-parler et dont j'apprécierai les réponses, de bien vouloir préciser clairement votre démarche concernant la réalisation tant attendue du TGV Est ainsi que la position du Gouvernement s'agissant de l'électrification des lignes SNCF vosgiennes. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, en application du deuxième alinéa du 1 de l'article 82 du règlement, les temps de parole dont disposent les groupes sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 30 minutes ;
Groupe socialiste, 25 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 20 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 9 minutes.
Dans la suite de la discussion, la parole est à Mme Printz.
Mme Gisèle Printz. « En 2005, c'est réglé, on gagne une heure ! » Cette phrase, prononcée le mois dernier lors de votre visite à Nancy, monsieur le ministre, et reprise dès le lendemain dans tous les quotidiens locaux, a apporté un grand soulagement à toute une population impatiente de voir débuter le plus grand chantier que connaîtra prochainement le Grand Est, et dont les enjeux n'échappent à personne : le TGV Est.
Je reviendrai bien entendu sur ce projet, qui me tient à coeur, mais, au préalable, il me paraît souhaitable de se féliciter des nouvelles orientations dessinées par le Gouvernement en matière de politique des transports.
Ces nouvelles orientations ont été confirmées par les décisions prises aussi bien lors du comité interministériel du 4 février 1998 portant sur les infrastructures ferroviaires que du comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire du 15 décembre dernier ou encore de la loi de finances pour 1998.
Comme vous l'avez indiqué, monsieur le ministre, lors de la présentation de votre budget en septembre dernier, ces nouvelles orientations « traduisent le volonté du Gouvernement de développer une politique des transports résolument plurimodale au service du cadre de vie, et d'un aménagement équilibré du territoire national ». On ne peut que s'en féliciter.
Les principes de complémentarité et de plurimodalité des modes de transports, qui sont souvent invoqués pour définir la politique choisie, ont rarement été mis en oeuvre. Désormais, c'est chose faite, et il m'a semblé intéressant de le souligner à travers trois exemples.
Tout d'abord, je citerai le remplacement annoncé lors du CIADT du 15 décembre dernier des schémas d'infrastructures unimodaux prévus par la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire par deux schémas de services, l'un pour le transport de marchandises, l'autre pour le transport de voyageurs. Cette proposition est tout à fait novatrice car, pour la première fois, les transports seront pensés en fonction des besoins des usagers en jouant des atouts et des complémentarités de chaque mode de transport.
Ensuite, la priorité est donnée au transport ferroviaire. Celle-ci est, en premier lieu, d'ordre budgétaire. Rappelons en effet que, selon les rapports sur les comptes des transports publiés par l'INSEE, il a été consacré aux infrastructures routières, de 1980 à 1995, y compris par les collectivités locales, 64 % du montant total des investissements d'infrastructures de transport, cette part s'élevant à 70 % pour les dernières années.
Au vu de ces chiffres, un rééquilibrage en faveur du transport ferroviaire s'avérait nécessaire et l'effort budgétaire de l'Etat en ce sens est incontestable dans la loi de finances pour 1998.
Au total, les concours publics en faveur du rerroviaire ont progressé de près de 2,5 milliards de francs, soit une augmentation en termes de moyens dégagés de près de 8 %, à quoi il faut ajouter une augmentation de la dotation en capital en faveur de Réseau ferré de France : 10 milliards de francs en 1998 contre 8 milliards de francs en 1997.
Il faut aussi ajouter le nouvel allégement de la dette de la SNCF - 20 milliards de francs - qui, lui aussi, fait partie de l'effort gouvernemental en faveur des transports ferroviaires.
Cet effort a par ailleurs été conforté lors de la réunion interministérielle du 4 février 1998. Le Gouvernement s'est alors engagé, d'une part, à augmenter de 1 milliard de francs par an, au terme du prochain contrat de plan, les ressources affectées aux investissements ferroviaires, soit un triplement des concours de l'Etat au financement des infrastructures ferroviaires. L'Etat s'est engagé, d'autre part, à consacrer 500 millions de francs par an - au lieu de 200 millions actuellement - la modernisation du réseau ferré dans le cadre des nouveaux contrats de plan Etat-région. C'est dans ce cadre que, par exemple, l'électrification des lignes vosgiennes Blainville - Epinal - Remiremont et Lunéville - Saint-Dié pourra se faire, M. Christian Pierret étant, en effet, parvenu à les faire inscrire au XIIe Plan.
Enfin, la volonté du Gouvernement se traduit par la mise en oeuvre effective des décisions prises grâce à une définition claire des priorités et des moyens de financement réellement mobilisés.
Ainsi en est-il - c'est l'exemple qui me semble le plus probant - du lancement de la construction du TGV Est, grâce à la mise en place d'un plan sérieux de financement. Comme l'a justement noté Mme Catherine Trautmann à la suite de la réunion interministérielle du 4 février dernier : « nous passons enfin des promesses à l'action ».
M. Jean-Pierre Masseret, quant à lui, soulignait : « jusqu'à présent, il n'y avait que du baratin sur le TGV, ce n'est plus le cas aujourd'hui ».
Il est vrai que, du baratin, il y en a eu ! Il aura en effet fallu attendre plus de quinze ans, d'annonces diverses en reculades, la dernière, celle du gouvernement d'Alain Juppé, en décembre 1996, ayant consisté en l'annonce de la réalisation du TGV Est, sans que l'Etat ne s'engage sur le moindre centime, et ce, bien que le projet figure parmi les quatorze grands travaux européens arrêtés au sommet d'Essen en 1994 ainsi qu'au schéma directeur des lignes à grandes vitesses !
Le gouvernement d'alors avait renvoyé le plan de financement aux conclusions des travaux d'une mission confiée à l'inspection générale des finances ainsi qu'au conseil général des ponts et chaussées. Il s'agissait alors de ce que d'aucuns ont appelé le « TGV virtuel ». Désormais, le TGV Est est réalisable.
Le TGV Est est désormais réalisable, et cette infrastructure est non seulement d'intérêt national, mais aussi d'intérêt européen.
Côté allemand, les trains à grande vitesse, les ICE, seront, d'ici à quelques années, en mesure de franchir le Rhin à Strasbourg-Kehl. Nos lignes devraient alors permettre la création d'un axe européen majeur entre la façade Atlantique et l'est de l'Europe. Par ailleurs, l'irrigation de territoire national et les liaisons province-province devraient être assurées par l'interconnexion des lignes nouvelles en Ile-de-France avec les TGV Sud-Est, Nord et Ouest.
Le TGV Est est réalisable, car ce projet a toujours été soutenu par les chefs d'Etat, qu'il s'agisse de François Mitterrand ou encore de M. Jacques Chirac, qui qualifiait, en octobre dernier, le TGV Est de « nécessité absolue ».
Ce projet est réalisable car les freins juridiques éventuels sont tombés, la déclaration d'utilité publique du 14 mai 1996 venant d'être validée par le Conseil d'Etat.
M. Christian Poncelet. Elle a inclus les lignes vosgiennes !
M. Gérard Braun. Tout à fait !
Mme Gisèle Printz. Le TGV Est est réalisable, enfin, car, pour la première fois, un plan de financement est proposé, appuyé par un effort important de l'Etat.
Le Gouvernement a en effet décidé d'augmenter considérablement la participation de l'Etat au financement de la première phase du TGV Est. Il est prêt à « augmenter sa participation jusqu'à 8 milliards de francs dans la mesure où la participation des collectivités territoriales permettrait, compte tenu des engagements de l'Union européenne et du grand-duché de Luxembourg, de boucler le plan de financement ».
L'effort de l'Etat est considérable et indéniable. Il mérite d'être salué. Il traduit bien les nouvelles orientations du Gouvernement, auxquelles je faisais précédemment référence, en matière de politique des transports.
Le Gouvernement a su prendre rapidement ses responsabilités, à la plus grande satisfaction de toute une population en proie au doute depuis deux décennies. Le TGV Est revient donc de loin. Mais quelques inquiétudes demeurent.
En effet, la participation du Luxembourg n'est pas encore connue. Néanmoins, les autorités grands-ducales se veulent rassurantes. Et Mme Delvaux-Stehres, ministre des transports luxembourgeois, déclarait récemment : « le TGV Est européen ne va pas échouer à cause du Luxembourg ».
Par ailleurs, la participation de l'Union européenne, elle aussi, est inconnue pour l'heure. En 1996, le gouvernement d'Alain Juppé tablait sur une participation de l'Europe de l'ordre de 314 millions d'écus - environ 2 milliards de francs - soit 10 % du coût total de l'opération comme l'autorisent les textes communautaires.
Le commissaire européen aux transports, M. Kinnock, s'y était opposé mais, aujourd'hui, les choses peuvent changer. En effet, plusieurs éléments dont je vais vous faire part laissent espérer que l'Union européenne sera plus généreuse.
Tout d'abord, pour la période 1995-1999, la France n'a guère profité des crédits européens visant à financer les grands travaux ; elle n'a, en quelque sorte, pas utilisé sa quote-part.
M. Christian Poncelet. C'est vrai !
Mme Gisèle Printz. D'autres Etats, en revanche, ont reçu des aides confortables, comme par exemple la Belgique, puisque le canal de Charleroi a été financé à hauteur de 10 % du montant de l'investissement, ou l'Allemagne, avec l'autoroute de Nuremberg à Prague. Pour des projets d'une importance similaire au TGV Est, comme la réalisation de la ligne entre Nuremberg et Berlin, le financement a été de près de 3,5 %.
Par ailleurs, la France, qui possède un réseau ferroviaire à grande vitesse de qualité, a jusqu'à présent financé celui-ci sans bénéficier d'aucune aide européenne. Ainsi, alors que l'investissement au titre du réseau TGV atteint 100 milliards de francs, l'Europe n'a, pour l'heure, jamais été sollicitée !
Ensuite, compte tenu du calendrier de réalisation du projet, les aides européennes pourraient être étalées sur deux périodes : 1995-1999 et 2000-2004.
Enfin, l'Union européenne a fait du développement du transport ferroviaire l'une de ses priorités. Or, géographiquement parlant, la France est un pays de transit et il serait donc incompréhensible que l'Union européenne refuse de financer correctement ce projet d'intérêt européen.
Au vu de ces éléments, il semble tout à fait réaliste de solliciter un financement de l'Union européenne à hauteur de ce que prévoient les textes, à savoir 10 % du coût global du projet et 50 % du montant des études.
Aussi, monsieur le ministre, me semblerait-il intéressant que vous puissiez nous éclairer sur les positions que défendra le Gouvernement à l'échelon européen ainsi que sur les demandes qu'il va formuler.
Le Gouvernement a donc su prendre ses responsabilités, et la réalisation du TGV Est est désormais suspendue à la décision des autres collectivités publiques : l'Union Européenne et le Luxembourg que je viens d'évoquer et pour lesquelles le rôle du Gouvernement et des pouvoirs publics est fondamental, mais aussi les collectivités locales dont le concours est inévitable.
Inévitable, il l'est sur le plan politique, puisque la réalisation du TGV Est, entre autres choses, correspond à une demande très forte et unanime des élus locaux de l'est de la France.
M. Philippe Richert. Ce n'est pas une raison pour payer !
Mme Gisèle Printz. Il s'agit d'un enjeu européen, d'un enjeu d'aménagement du territoire, mais aussi d'un enjeu de développement économique pour tout le Grand Est. Cette demande doit donc être assumée et portée par les collectivités locales, dès lors que l'Etat ne se dérobe pas et prend ses responsabilités.
M. Christian Poncelet. Et les transferts de charges, vous les oubliez ?
Mme Gisèle Printz. Depuis le comité interministériel du 4 février dernier, c'est désormais le cas.
Inévitable, il l'est aussi, car le tracé retenu par le Gouvernement est exactement le même que celui qui avait été proposé le 23 décembre 1996 par M. Bernard Pons et Mme Anne-Marie Idrac : une première phase de la ligne du TGV Est entre Vaires et Vandières et la réalisation du pont de Kehl sur le Rhin, qui assure la liaison avec l'Allemagne.
Il me semble que nombre d'élus locaux ont à cette époque fait part de leur satisfaction, comme notre collègue sénateur M. Hubert Haenel, qui déclarait, que « pour la première fois, le Gouvernement répond de manière concrète à un problème concret », ou encore M. André Rossinot, maire de Nancy, qui se félicitait de « cet acte fort que l'on attendait ».
M. Hubert Haenel. Ce sont des personnes raisonnables ! (Sourires.)
Mme Gisèle Printz. Les collectivités locales qui ont souahité la réalisation de ce projet doivent mettre en oeuvre les moyens pour y parvenir, faute de quoi elles anéantiraient des espoirs et des attentes.
Compte tenu de la satisfaction quasi unanime des élus, à la suite de la réunion interministérielle du 4 février, il ne fait aucun doute que les collectivités locales du Grand Est veulent « leur » TGV et ne souhaitent pas décevoir leurs concitoyens. De plus, le protocole d'accord portant sur les études d'avant-projet détaillé a été paraphé le 24 février dernier par le président de la SNCF, le président de Réseau ferré de France, RFF, le représentant de l'Etat et ceux des collectivités locales concernées. On imagine mal ces collectivités revenir sur leur engagement.
Inévitable, ce concours l'est enfin sur les plans juridique et économique.
L'article 13 de la loi du 13 février 1997 portant création de l'établissement public Réseau ferré de France - que la majorité sénatoriale a voté - dispose que les ressources de RFF sont constituées, entres autres, non seulement par les redevances liées à l'utilisation du réseau, les concours financiers de l'Etat, mais aussi par tous autres concours, notamment ceux des collectivités territoriales.
Par ailleurs, le décret du 5 mai 1997 relatif aux missions et aux statuts de RFF précise, dans son article 4, que « RFF ne peut accepter un projet d'investissement... que s'il fait l'objet de la part des demandeurs d'un concours financier propre à éviter toute conséquence négative sur les comptes de RFF sur la période d'amortissement de cet investissement ». Cette disposition vise à empêcher que la dette de RFF ne file comme la dette de la SNCF a pu filer par le passé.
Ainsi, la participation des collectivités locales paraît donc quasi incontournable. La question est désormais de savoir comment parvenir à les mobiliser davantage qu'elles ne le sont.
M. Christian Poncelet. Et pour quel montant !
Mme Gisèle Printz. Pour l'Alsace par exemple, l'annonce du financement du pont de Kehl indique clairement la volonté des pouvoirs publics de relier cette région avec l'Allemagne.
Monsieur le ministre, le Gouvernement peut-il apporter des précisions sur les modalités d'aménagement du tronçon Vandières - Strasbourg ? Quels sont ses projets ?
M. Philippe Richert. Bonne question !
Mme Gisèle Printz. Enfin, M. Poncelet a évoqué la possibilité pour les collectivités territoriales d'avoir recours à des prêts de la Caisse des dépôts et consignations.
Cette idée n'est pas nouvelle. Le rapport Rouvillois sur les lignes à grande vitesse le suggérait déjà, notamment en ayant recours aux fonds d'épargne. C'est là une piste intéressante du fait de la modicité des taux et de la longue durée des prêts accordés par la CDC. Néanmoins, il ne faudrait pas, si cela était autorisé, remettre en cause la pérennité du financement du logement, également du ressort de la CDC. Monsieur le ministre, quelle est sur ce point la position du Gouvernement ?
Pour conclure, je rappellerai simplement que le TGV Est se fera. Le Gouvernement de M. Lionel Jospin a arrêté cette décision huit mois seulement après sa prise de fonction, à charge pour les collectivités locales d'augmenter leur participation.
Si certaines peuvent encore hésiter devant la main tendue de l'Etat, je ne pense pas qu'elles aient intérêt à résister pour des motifs purement politiciens, ce serait une faute grave. A moins de renoncer à une politique structurelle fortement défendue de longue date ou de revenir sur les principes de la décentralisation, les collectivités concernées doivent accompagner cette impulsion nouvelle. Si tout le monde joue franc jeu, le TGV sillonnera prochainement tout le Grand Est. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Philippe Richert. Edifiant ! Les collectivités territoriales financent l'Etat !
M. Joseph Ostermann. « Je paye avec votre argent ! ».
M. le président. La parole est à Mme Terrade.
Mme Odette Terrade. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 4 février 1998, à l'issue d'une réunion interministérielle sur les investissements ferroviaires, le Gouvernement s'est fermement engagé à réaliser, à terme, la nouvelle ligne à grande vitesse reliant Paris à Strasbourg.
Ainsi verra le jour, d'ici à 2005, l'un des projets prioritaires du schéma directeur des liaisons ferroviaires à grande vitesse, qui comportait 4 700 kilomètres.
Le groupe communiste républicain et citoyen souscrit pleinement à la réalisation de ce type d'infrastructures, car elle assure le maintien et la création d'emplois, le développement du service public, un aménagement équilibré du territoire, sans oublier, enfin, le respect de l'environnement.
Le rôle de l'Etat, en liaison avec l'ensemble des collectivités locales intéressées, est, on le comprend, prépondérant.
Encore faut-il que la puissance publique se donne les moyens de ses ambitions sur la base d'engagements précis.
Or force est de constater que, dans un passé récent, les moyens étaient si peu à la hauteur des ambitions du schéma directeur que c'est la crédibilité même de certains projets qui était mise en cause.
C'est ainsi que, sur les 200 milliards de francs nécessaires à la réalisation des projets déclarés prioritaires, seulement 500 millions de francs avaient été inscrits au budget du ministère des transports au moment où la gauche est arrivée au gouvernement, soit 0,25 % du montant global.
Non seulement la réalisation de nouveaux programmes s'en trouvait, de fait, menacée, mais c'est le financement de travaux déjà engagés qui était compromis.
La droite a, aujourd'hui, beau jeu de reprocher au Gouvernement de faire ce qu'elle n'aurait pu faire au centième alors qu'elle était dans la majorité !
Les incertitudes liées au financement du TGV Est ne sont, en vérité, que le reflet des lacunes de la droite lorsqu'elle dirigeait le pays.
La portée de vos critiques, mes chers collègues, est donc aussi limitée que l'ampleur des crédits dont hérite la gauche pour financer les infrastructures ferroviaires.
Le ministre des transports, M. Jean-Claude Gayssot, a eu le mérite, depuis son entrée en fonction, de fixer des priorités en y ajustant des conditions de financement à partir de moyens réels.
Or je vous rappelle que, lors de la dernière loi de finances, la majorité sénatoriale voulait réduire les crédits affectés au ministère des transports.
M. Christian Poncelet. Les crédits de fonctionnement, non d'investissement !
Mme Odette Terrade. N'y a-t-il pas là un paradoxe à réclamer aujourd'hui des moyens nouveaux ?
M. Christian Poncelet. D'investissements !
Mme Odette Terrade. La liaison Paris-Strasbourg non seulement sera bénéfique pour le développement économique des zones défavorisées, mais doit permettre de préserver des milliers d'emplois dans le secteur public.
Il s'agit donc d'une autre logique qui est engagée, inverse à celle qui a prévalu sous les gouvernements de droite.
Je souhaite, à ce stade, attirer l'attention de tous, et du Gouvernement en particulier, pour que la mise en place de lignes à grande vitesse ne génère pas, à terme, une concentration d'activités autour de grands pôles urbains, parallèlement à la désertification économique, sociale, culturelle et humaine de régions entières.
M. Christian Poncelet. Très bien ! Voilà pourquoi nous voulons l'électrification des lignes vosgiennes.
Mme Odette Terrade. Le développement économique, autour de la dorsale Londres-Milan, passant par Strasbourg, est d'ores et déjà une réalité. Si la mise en place du TGV Est ne devait être qu'un facteur de croissance dont seule la région parisienne viendrait tirer parti, autant dire que ce projet serait, à moyen et à long terme, un échec pour tout l'est de la France !
M. Christian Poncelet. C'est vrai !
Mme Odette Terrade. C'est pourquoi le TGV Est ne doit pas être, selon nous, un simple trait d'union entre Paris et un pôle européen, dont Strasbourg serait un élément satellite.
Ce projet, s'il veut réussir, doit pénétrer l'ensemble des territoires, jusqu'aux plus éloignés.
Le maintien et le développement des transports ferroviaires régionaux non seulement sont indispensables pour les populations concernées, mais conditionnent l'efficacité de l'axe Paris-Strasbourg.
Il ne doit pas y avoir, d'un côté, le TGV qui serait performant et rentable et, de l'autre, des trains régionaux ou périurbains obsolètes et coûteux.
M. Christian Poncelet. Très bien !
Mme Odette Terrade. Le plan de financement de ce projet devra impérativement intégrer et associer l'ensemble des réseaux déjà existants.
M. Christian Poncelet. Excellent plaidoyer pour l'électrification des lignes vosgiennes !
Mme Odette Terrade. Un TGV connecté en amont et en aval sur les grands réseaux nationaux et européens sera efficace s'il dispose d'un maillage régional suffisant pour irriguer tout le Grand Est.
A cet égard, il est nécessaire d'augmenter la capacité des dessertes locales et de moderniser les liaisons intra et inter régionales.
Enfin, de nouvelles lignes doivent être créées. Je pense ici, en particulier, à la voie Nancy - Metz - Thionville, qui favoriserait l'évolution d'une région, la Lorraine, particulièrement sinistrée d'un point de vue non seulement économique, mais aussi démographique.
Il en est de même pour l'ensemble des projets inscrits au schéma national des liaisons ferroviaires, comme le TGV Rhin-Rhône, ou pour d'autres régions, telles que l'Aquitaine, la Bretagne ou le Languedoc-Roussillon. Nous nous félicitons, à cet égard, de la décision du Gouvernement concernant le lancement des études pour la ligne à grande vitesse Rhin-Rhône.
L'envergure nationale des infrasctructures envisagées ne doit pas faire oublier leurs dimensions régionales et locales. C'est en ce sens que nous estimons que tout projet d'infrastructures doit contenir essentiellement deux priorités.
La première consiste à assurer la complémentarité des différents modes de transport en limitant l'essor des réseaux routiers par une meilleure et plus juste place faite au rail et aux voies navigables.
La seconde priorité tend à assurer l'égalité du droit d'accès des citoyens aux transports modernes.
Par ailleurs, les objectifs nationaux en matière d'emploi, d'environnement et d'essor de nos services nous imposent de rompre avec les exigences de rentabilité financière immédiate.
La pression exercée par Neil Kinnock, commissaire européen aux transports, au lendemain de l'annonce par le Gouvernement français de la relance du projet de TGV Est, illustre la volonté de la Commission européenne de faire échouer toute alternative au modèle libéral.
Alors que la liaison Nuremberg-Prague ou le canal Charleroi en Belgique ont bénéficié, à concurrence de 10 %, des fonds européens, le TGV Est Paris-Strasbourg, qui profitera à toute l'Europe, ferait exception ?
N'y a-t-il pas, enfin, un paradoxe, mes chers collègues, à demander autant aux Etats membres en matière d'investissement alors que, dans le même temps, on ligote les budgets pour répondre aux critères de Maastricht ?
C'est pourquoi je m'étonne que nos collègues de droite reprochent aujourd'hui au Gouvernement de la gauche plurielle de ne pas aller assez loin et assez vite.
M. Hubert Haenel. On n'a encore rien dit !
Mme Odette Terrade. Mais si ! Depuis le mois de juin 1997, les efforts financiers de l'Etat ont pourtant été considérables, malgré les contraintes monétaristes.
Nous ne pouvons faire l'économie de ce débat.
Voilà, mes chers collègues, les quelques remarques que je tenais à formuler au nom du groupe communiste républicain et citoyen. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Haenel.
M. Hubert Haenel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, on ne peut pas laisser passer ce qui a été dit tout à l'heure, à savoir que, avant le mois de juin 1997, les décisions qui ont été prises étaient du baratin !
Il est vrai que la réalisation du TGV Est, comme d'autres, avance à petite vitesse. Mais des décisions importantes ont été prises concernant l'avant-projet sommaire, la déclaration d'utilité publique. Je reconnais, d'ailleurs j'ai été cité tout à l'heure, que vous avez pris, monsieur le ministre, au début du mois de février, des décisions que nous attendions concernant à la fois le TGV Rhin-Rhône et le TGV Est européen, et que l'on va dans la bonne direction. Il ne faut pas faire de politique politicienne dans ce domaine.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Très bien !
M. Hubert Haenel. Nous devons tous battre notre coulpe concernant les TGV depuis le début des années quatre-vingt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Très bien !
M. Hubert Haenel. L'Alsace, comme d'ailleurs les autres régions du Grand Est, attend d'entrer dans le réseau européen des trains à grande vitesse depuis près de quinze ans.
Deux projets, le TGV Est européen et la TGV Rhin-Rhône, sont essentiels de ce point de vue pour l'avenir de notre région. L'Alsace s'est donc dotée, dès 1991, de l'infrastructure nécessaire pour accueillir la grande vitesse sur la ligne Bâle-Strasbourg. Le premier de ces projets, le TGV Est européen, est aujourd'hui prêt à entrer dans une phase de commencement d'exécution - c'est, je crois, ce que vous avez annoncé au début du mois de février, monsieur le ministre - cependant suspendue à des engagements financiers clairs de l'Union européenne et de l'Etat français.
L'Alsace est particulièrement attachée à la construction d'une Europe au sein de laquelle la France tiendra toute sa place. De ce point de vue, le TGV Est européen sera seul à ouvrir la France à l'Europe vers le Danube, dont le développement s'accélère.
L'Alsace tire une relative prospérité de sa position géographique privilégiée. A une époque où les distances se mesurent non plus en kilomètres, mais en minutes, si notre région, comme les régions voisines, ne bénéficie pas de tous les moyens de communication modernes, dont le TGV, elle pourrait se trouver projetée loin de la France et de l'axe de croissance européen. De région carrefour, l'Alsace deviendrait alors région périphérique, avec les conséquences que l'on imagine, notamment sur le plan économique.
L'Alsace et les régions voisines ont besoin du TGV Est européen et du TGV Rhin-Rhône. Notre région, dois-je le rappeler, a su prendre dès le départ la part des responsabilités qui lui incombaient pour financer un certain nombre d'opérations et pour s'engager à verser une contribution dont le montant, à l'époque, était fixé à 1,5 milliard de francs pour la réalisation de la totalité de la ligne, c'est-à-dire des approches de Paris aux approches de Strasbourg.
Aujourd'hui, nous fondant sur des engagements pris par l'Etat de façon réitéré sous tous les gouvernements, nous pouvons légitimement demander à l'Etat de mobiliser sans délai les financements nationaux et européens nécessaires au commencement de réalisation de ce premier projet. Cette sollicitation pressante est également celle du Grand Est français qui, seul à s'ouvrir sur l'Europe, ne peut concevoir de demeurer seul en France à ne pas bénéficier de la grande vitesse, donc à être à l'écart du réseau.
Où en sommes-nous aujourd'hui à la suite des décisions que vous avez annoncées le 4 février 1998, monsieur le ministre ? Il manque un peu d'argent, et cet argent viendra soit de l'Union européenne, soit de l'Etat, soit peut-être - je dis bien peut-être - des collectivités locales. La question essentielle qui reste à résoudre est bien celle du bouclage du financement.
A l'issue de votre conférence de presse du 4 février 1998, vous avez suggéré, monsieur le ministre, que les collectivités locales devraient augmenter leur effort à due proportion de celui de l'Etat. Mais, si l'on procède à quelques calculs rapides, on se rend compte que cela porterait la contribution de l'Alsace à environ 3 milliards de francs au lieu de 1,5 milliard de francs, ce qui n'est pas vraiment envisageable.
M. Gérard Braun. Et la Lorraine ?
M. Hubert Haenel. La participation de la Lorraine passerait de 1 milliard à 2 milliards de francs. Pour le Luxembourg, elle serait de 1 milliard de francs au lieu de 500 millions. Quant à la région parisienne, elle n'a encore pris aucune décision en ce domaine.
La contribution initialement prévue de l'Alsace, d'un montant de 1,5 milliard de francs, correspondait à un objectif de gain de temps de 130 minutes sur le temps de parcours actuel, ce qui représente 11,5 millions de francs par minute gagnée.
Le gain de temps du projet actuel étant de 90 minutes, on pourrait, avec un calcul rapide exprimé en francs de l'époque, en déduire que l'Alsace ne devrait plus payer aujourd'hui que 1,035 milliard de francs. Ce raisonnement devrait s'appliquer également aux autres collectivités locales concernées par ce projet.
Et l'Etat dans tout cela, monsieur le ministre ?
L'Etat ne peut avoir arrêté définitivement sa position sans consultation ni concertation préalables avec les collectivités concernées.
C'est la raison pour laquelle je vous demande, monsieur le ministre, d'organiser rapidement cette concertation sur le financement du projet de TGV Est, et, parallèlement, d'envisager comment pourra être financé le TGV Rhin-Rhône, auquel nous sommes également attachés.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Merci !
M. Hubert Haenel. Par ailleurs, l'Etat doit revoir sa copie en reconsidérant fondamentalement l'angle sous lequel il aborde le problème du financement et, sur ce point, je crois que vous me comprenez, monsieur le ministre.
Peut-on en effet rester dans une logique bancaire à courte vue en ne considérant qu'une rentabilité - il faut bien le dire - de type capitaliste ? Non ! Si l'Etat doit, certes, avoir le souci de la rentabilité économique, il doit aussi prendre en compte la rentabilité sociale du projet. Or, curieusement, celle-ci, nous n'avons jamais su la mesurer.
M. Jacques Machet. C'est vrai !
M. Hubert Haenel. Nous n'avons pas les outils pour ce faire. Il est vraiment curieux qu'en France on ne puisse obtenir de tous les services techniques et financiers une mesure de la rentabilité sociale - au sens le plus fort du terme - d'un tel projet.
Cette rentabilité, nous aurons aussi à la mesurer en termes d'emplois. Or, sans entrer dans le détail compte tenu du temps qui m'est imparti, je me dois de souligner que, pendant les cinq années de réalisation d'un tel projet, le nombre d'emplois créés dans le domaine du bâtiment et des travaux publics sera considérable. Ce que les entreprises paieront - notamment en impôt sur les sociétés - ne sera pas non plus négligeable. Ces éléments doivent être intégrés dans le calcul de la rentabilité.
Mais la rentabilité doit encore être appréciée en termes d'avenir de l'industrie ferroviaire française. Au prix d'un effort très important, et grâce notamment au TGV, la France s'est hissée au premier rang de la technologie ferroviaire mondiale. Or, le ferroviaire - et pas seulement les liaisons à grande vitesse - est appelé à jouer dans les prochaines années un rôle planétaire essentiel, qui était inimaginable voilà quelques années. Les Allemands, qui l'ont parfaitement compris, ont réalisé plus de 350 milliards de francs d'investissements en quelques années.
Il serait dommage que la France perde cette avance, que préserverait la construction d'un TGV Est européen et d'un TGV Rhin-Rhône dans la foulée, avec la mise en oeuvre d'une nouvelle génération de TGV. On sait - je m'en suis entretenu à plusieurs reprises avec vos collaborateurs - que l'industrie ferroviaire française, qu'elle soit alsacienne, franc-comtoise, du Nord ou de l'Est, souffre beaucoup actuellement. Elle a donc besoin d'un appel d'air non seulement pour maintenir les emplois, mais aussi pour parfaire un outil, un savoir-faire français, qui me paraît actuellement l'un des premiers, sinon le premier du monde - nous en sommes fiers en tant que Français.
Cette rentabilité, monsieur le ministre, doit enfin s'apprécier - nous en sommes tous les deux conscients - en termes d'aménagement du territoire, donc d'équilibre et d'insertion des territoires, de tous les territoires, dans un réseau intermodal de transport des personnes et des marchandises, en termes de place de régions comme l'Alsace et le Grand Est dans l'ensemble national et européen.
Rompons une bonne fois pour toutes - je crois que nous pourrions parvenir à un accord sur ce point - avec les instruments de mesures actuels, qui sont réducteurs, à courte vue, pour évaluer l'intérêt global de nos projets d'équipements structurants. Il faudra bien commencer un jour à le faire !
Dans l'évaluation de cette rentabilité, nous avons totalement perdu de vue que l'avenir ne se fige pas à l'instant T. Dans notre monde, tout évolue très vite, tout se développe, en particulier - vous le savez, monsieur le ministre - dans le domaine des transports.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, gardons à l'esprit que nous allons être contraints, tant au niveau national qu'au niveau enropéen, de faire des choix stratégiques en matière de transport en réglementant de façon draconienne, notamment, le transport des marchandises, sans doute à travers une politique de quotas.
Par ailleurs, comment ne pas percevoir, en Europe et dans le monde, le regain, inimaginable il y a quelques années, que connaît le transport ferroviaire ?
Enfin, cette notion qui a l'air un peu théorique, virtuelle allais-je dire, la notion de transport duale, n'est pas une simple mode. Sa mise en oeuvre est, à mes yeux, une impérieuse nécessité.
Elle conditionne la survie de certains territoires, de certaines espèces animales, mais d'abord de l'espèce humaine.
Ignorer, dans la mesure de la rentabilité des TGV - il en va de même pour d'autres équipements - les évolutions lourdes qui vont avoir lieu dans les années qui viennent serait non pas une erreur mais une faute pour l'avenir de notre pays.
Je crois qu'il serait nécessaire que, dorénavant, ce ne soit pas toujours le Quai de Bercy et sa logique de rationalisation des choix budgétaires, au sens étriqué du terme, avec ses réflexes bancaires, qui prédomine sur nos intérêts communs et sur l'intérêt général de notre pays. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Hoeffel.
M. Daniel Hoeffel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la question orale dont notre collègue M. Poncelet est l'auteur nous permet de faire le point, aujourd'hui, sur l'état du dossier TGV Est européen, et je l'en remercie. J'ajouterai que je partage pour l'essentiel les propos que lui-même et M. Haenel viennent de tenir sur ce dossier.
Monsieur le ministre, je ne sous-estime pas les difficultés qui sont celles de tout ministre des transports.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. C'est un domaine passionnant !
M. Daniel Hoeffel. Je l'ai connu naguère.
Je ne sous-estime pas les difficultés qui sont celles de tout ministre des transports confronté à la nécessité de concilier la réalisation d'infrastructures lourdes avec les inévitables contraintes budgétaires. Permettez-moi d'ajouter que « l'ère du baratin » n'était pas hier, alors que celle des réalisations serait aujourd'hui. Gardons-nous, sur un sujet si essentiel, d'exposer des visions si abruptes !
M. Jacques Machet. Très bien !
M. Daniel Hoeffel. Je voudrais tout simplement, aujourd'hui, vous faire part brièvement, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, de quelques convictions.
Depuis une quinzaine d'années, des engagements successifs ont été pris, des étapes ont été franchies par les divers gouvernements ; je pense particulièrement aux gouvernements Balladur, Juppé et Jospin. Mais le scepticisme et le doute...
M. Christian Poncelet. Eh oui !
M. Daniel Hoeffel. ... quant à la volonté de réaliser le TGV Est ne sont pas encore totalement dissipés, je ne dirai pas dans les sphères gouvernementales, mais dans d'autres sphères, plus préoccupées par les aspects financiers que par les aspects relatifs à l'aménagement du territoire. Optimisation et rentabilité y sont trop souvent encore évoquées et nous pouvons en éprouver quelques craintes.
C'est la raison pour laquelle il importe d'évoquer très brièvement trois arguments essentiels qui justifient la concrétisation de ce projet auquel, fait unique - il convient toujours de le rappeler - les collectivités territoriales du Grand Est ont décidé d'apporter une contribution financière importante, contribution qui n'est pas extensible à volonté.
M. Jacques Machet. Très bien !
M. Christian Poncelet. Et qui n'est demandée nulle part ailleurs !
M. Daniel Hoeffel. Dans une optique d'aménagement du territoire, et c'est mon premier argument, il n'est pas concevable que le quart nord-est de notre pays ne soit pas irrigué par une liaison ferroviaire à grande vitesse.
M. Jacques Machet. Très bien !
M. Daniel Hoeffel. Le développement économique équilibré de notre territoire dépend entre autre de sa bonne desserte par les quatre modes de transport. Au-delà, nos marches de l'Est, Champagne, Lorraine et Alsace, sont le trait d'union naturel entre Paris et la région d'Ile-de-France d'une part, l'Allemagne du sud et l'Europe centrale d'autre part.
Le schéma de développement de l'espace européen, en cours d'élaboration depuis quelques années, ne doit pas se réduire à un énoncé de grandes orientations abstraites et cartographiques. Sa perception concrète dépendra surtout de la réalisation de quelques grandes voies de communication, telles que le TGV, si nous voulons faire en sorte que notre Hexagone soit ouvert sur l'espace européen, relié à l'espace européen, et non pas marginalisé.
Le deuxième argument est lié à la nécessité de conforter Strasbourg en tant que siège du Parlement européen et du Conseil de l'Europe.
M. Christian Poncelet. C'est important !
M. Daniel Hoeffel. Il faut toujours rappeler à Paris qu'il y a dans notre pays d'autres grandes villes, dont l'une est le siège d'institutions européennes.
M. Christian Poncelet. Tout à fait !
M. Daniel Hoeffel. Ceux qui siègent dans les assemblées en question sont les témoins - et j'en suis - des récriminations fréquentes des délégués étrangers quant à l'insuffisance des liaisons avec Strasbourg, encore aggravée, il faut le dire, par une ponctualité de moins en moins stricte des liaisons aériennes.
A l'heure où Bruxelles est à une heure vingt de Paris, il est urgent de dissiper tout ce qui pourrait donner l'impression que la France doute du TGV Est européen ; tous, où que nous soyons placés, nous devons inlassablement nous y employer.
J'ajouterai un dernier argument qui concerne tous les TGV, et pas seulement le TGV Est européen puisque aussi bien, nous qui sommes attachés au TGV Est européen, nous ne devons pas oublier le TGV Rhin-Rhône...
M. Christian Poncelet. Ils sont complémentaires !
M. Daniel Hoeffel. ... dont d'autres, après moi, je pense, parleront.
Ce troisième argument a trait à l'état de l'industrie ferroviaire française. Comme vous le savez, monsieur le ministre, celle-ci doit faire face à une mutation profonde du marché mondial, et tout retard apporté à la réalisation d'un projet de TGV mettrait en péril la viabilité de cette industrie, qui lui permet de s'imposer dans la réalisation de grands équipements, en particulier à l'étranger.
Il serait dommage que le savoir-faire de l'industrie ferroviaire française, dont nous pouvons être légitimement fiers, ne continue pas à rayonner à travers le monde.
M. Jacques Machet. Très bien !
M. Daniel Hoeffel. Pour toutes ces raisons, monsieur le ministre, nous comptons sur une volonté sans faille de mener à bien le projet de TGV Est européen, sur une voie nouvelle de bout en bout. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous l'avez remarqué, le TGV est aujourd'hui un train de sénateur ! (Sourires.)
Si je prends moi-même ce train - je veux dire le TGV Est - en marche, c'est pour vous demander, monsieur le ministre, de ne pas laisser prendre du retard à l'autre TGV, le TGV Rhin-Rhône.
Je ne le fais pas parce que je suis sénateur du territoire de Belfort...
M. Hubert Haenel. Quoique... (Sourires.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. ... et qu'il paraît paradoxal que les Belfortains fabriquent le TGV mais ne puissent l'emprunter !
Je le fais en revanche, évidemment, parce que la ligne Paris-Vesoul-Belfort-Mulhouse-Bâle-Zurich, qui fut, jusqu'à la Libération, l'une des plus rapides ne s'est quasiment pas améliorée depuis !
Je vous demande de ne pas laisser prendre du retard au TGV Rhin-Rhône parce qu'il est le plus rentable de ceux qui restent à faire, en permettant une liaison rapide internationale de Lisbonne et Madrid à Hambourg, en passant par Perpignan, Montpellier,...
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Et Béziers ! (Sourires.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. ... Marseille, Lyon, Dijon, Besançon, Mulhouse, mais aussi Strasbourg, qui reste donc concerné, tout comme la Lorraine.
Je le fais aussi parce que la réunion interministérielle qui s'est tenue le 4 février dernier a décidé l'engagement des études préparatoires au lancement de l'enquête d'utilité publique de la première phase du TGV Rhin-Rhône, c'est-à-dire entre Mulhouse et Dijon.
Or, pour que ces études puissent être engagées, il faut d'abord que vous satisfassiez vous-même, monsieur le ministre de l'équipement, des transports et du logement, à un préalable nécessaire et suffisant : l'approbation par vos soins des études d'avant-projet sommaire, études qui sont en votre possession depuis sept mois.
Monsieur le ministre, puisque le temps, c'est de l'argent, nous comptons sur vous pour en économiser en procédant sans plus attendre à cette approbation.
Ce faisant, vous accélérerez le moment de voir la division « transports » des usines GEC-Alsthom de Belfort remplir son carnet de commandes et cesser de multiplier les plans dits « sociaux » : après ceux de 1993 - 189 emplois - et de 1995 - 289 emplois - viennent en effet d'être annoncées, dans le cadre d'un nouveau plan, 313 suppressions d'emploi entre le 1er septembre 1998 et le 31 août 1999 !
Une autre demande pressante, monsieur le ministre : à défaut de liaison ferroviaire rapide entre l'aire urbaine Belfort-Montbéliard - sans oublier la Suisse voisine - et Paris, il faut au moins que l'A 5, qui va déjà de la capitale à Langres, soit prolongée, à quelque cent kilomètres de là, jusqu'à l'A 36, entre Belfort et Montbéliard, là où vous avez vous-même récemment inauguré la liaison avec Héricourt et d'où part la « pénétrante » qui sera, au-delà de la frontière helvétique, prolongée par la future « Transjurane ».
Il se trouve que votre prédécesseur, M. Pons, s'était expressément engagé, à Vesoul, auprès de l'ensemble des parlementaires franc-comtois, à concéder la construction et l'exploitation de ce court barreau manquant entre l'A 5 et l'A 36.
Il n'est évidemment pas pensable qu'il n'y ait pas, en la matière, continuité de l'Etat ni que le Gouvernement de la gauche plurielle soit moins réceptif que son prédécesseur aux demandes justifiées de populations unanimes. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen. - M. Gérard Braun applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Ostermann.
M. Joseph Ostermann. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, quel dommage d'être à nouveau obligé de débattre aujourd'hui de ce qui n'est encore et toujours que le « projet » de liaison à grande vitesse entre Paris et Strasbourg, et ce treize ans après le rapport Ratier ! C'est M. le président Poncelet qui nous permet, grâce à sa question orale avec débat, d'évoquer ce dossier essentiel pour l'est de la France.
Permettez-moi de vous rappeler quelques dates.
En 1989, M. Michel Rocard, alors Premier ministre, confiait à M. Philippe Essig une mission d'évaluation de la faisabilité technique et financière du TGV Est.
Il a publié ses conclusions en mars 1990 et, dans un entretien accordé au magazine Inter-Régions, il annonçait que le premier coup de pioche serait donné en 1995.
Ces propos laissent songeur, surtout si l'on pense aux atermoiements que nous avons eu à surmonter et au nombre incalculable de réunions de travail qui se sont succédé. Et je n'oublie pas que, à cette époque, à l'issue de la première cohabitation, le gouvernement de M. Rocard disposait de capacités financières impressionnantes : celles-ci n'ont sans doute pas été suffisamment exploitées pour mener à bien ce projet.
Pour illustrer ces atermoiements, j'évoquerai les rapport Rouvillois et Blanc-Broissier, publiés en octobre 1996, qui dénonçaient de concert la « rentabilité aléatoire » du TGV Est, provoquant ainsi une valse-hésitation et des remises en question de toutes parts.
Malgré cela, en décembre 1996, le gouvernement d'Alain Juppé annonçait le lancement des travaux du premier tronçon pour 1998.
L'arrivée au pouvoir du nouveau gouvernement a encore retardé le lancement des travaux et ce n'est qu'en février dernier que le Premier ministre, M. Lionel Jospin, avançait prudemment la date de 2005-2006 pour la mise en service.
Ainsi, si les délais sont respectés - ce qui n'est nullement acquis aujourd'hui - le TGV Est verra le jour avec dix ans de retard.
Que de temps perdu ! Comment ne pas en être affligé quand on connaît les nombreux avantages que procurerait à notre pays en général et à l'Alsace en particulier la réalisation de cette ligne à grande vitesse ?
Mais est-il encore utile qu'un élu alsacien apporte son témoignage sur les atouts d'un tel équipement structurant pour sa région, eu égard au peu de cas qu'il en a été fait dans le passé ? L'épisode du canal Rhin-Rhône en témoigne.
Toutefois, étant persévérant, je me permettrai quand même de rappeler les nombreux bénéfices qui peuvent être tirés du projet.
D'abord, le TGV constituera un facteur de dynamisation du tissu économique local. Il favorisera ainsi les échanges et la communication, deux éléments essentiels de la compétitivité des entreprises aujourd'hui.
Le TGV, synonyme de modernité et de performance technologique, contribuera également à réhausser l'image et le prestige de Strasbourg et de sa région, c'est-à-dire, en fait, tout l'est de la France.
Le TGV peut ainsi constituer pour nos collectivités une chance supplémentaire dans l'éventail des outils dont elles disposent pour attirer les services, tant parisiens qu'allemands ou suisses, désirant se délocaliser et offrir aux entreprises déjà installées les moyens de conquérir de nouveaux marchés. Et je ne parle même pas de l'effet de levier que représentera ce projet pour le secteur touristique !
De plus, si l'on se place à l'échelle nationale, le TGV constituera - les liaisons en service le prouvent - un puissant facteur d'aménagement du territoire.
Au-delà des atouts que représentera une ligne à grande vitesse en termes de développement économique et d'aménagement du territoire, il convient d'évoquer le rôle de carrefour européen de l'Alsace et celui de capitale européenne de Strasbourg.
N'oublions pas que, depuis quelques années, la France a perdu la place qu'elle occupait au sein du « croissant fertile » où se concentre actuellement l'essentiel des activités et des agglomérations de taille européenne, cette « dorsale » s'étant déplacée et se déplaçant toujours plus vers l'Est.
Une nouvelle ligne ferroviaire reliant, à terme, notre pays au Luxembourg, à l'Allemagne et, au-delà, à l'Europe centrale permettra à la France de retrouver son influence, de s'ouvrir sur son voisinage et de renforcer le sentiment d'appartenance de nos concitoyens à l'Union.
Comme l'écrivait justement notre collègue Daniel Hoeffel dans un grand quotidien national en juin 1996, « la Lorraine, la Franche-Comté, la Champagne-Ardenne et l'Alsace, longtemps aux avant-postes dans une Europe en conflit, veulent être le fer de lance d'une Europe unifiée ».
Cette nouvelle ligne renforcera aussi la place de Strasbourg en tant que capitale européenne face à Bruxelles, comme le prévoit d'ailleurs le contrat « Strasbourg ville européenne 1997-1999 ».
Mais cette ligne ne constituera pas seulement un atout pour les régions qu'elle traversera ; elle est également primordiale pour la SNCF elle-même, qui voit son réseau Est se marginaliser rapidement du fait de la déréglementation aérienne. Le rail n'assure plus que 35 % des déplacements entre Paris et Strasbourg, contre 45 % pour l'avion et 20 % pour la route.
La réalisation du TGV est donc vitale pour la SNCF si celle-ci veut préserver ses parts de marché.
Précisons, en outre, que la réalisation du TGV permettra de désengorger les aéroports parisiens, actuellement saturés, alors même que l'agrandissement de l'aéroport d'Entzheim a suscité une très forte croissance du trafic aérien. Or cette croissance est génératrice de fréquents retards et de nuisances diverses. Le transfert d'une partie des voyageurs sur le rail est donc indispensable.
Enfin, un dernier argument en faveur d'une ouverture rapide de cette ligne tient au caractère doublement novateur, et donc attrayant, du projet.
C'est, d'une part, la première fois - nous pourrions nous en passer, mais j'insiste sur cette nouveauté - que des collectivités locales sont sollicitées financièrement. C'est, d'autre part, également la première fois que pourrait être utilisée la technique du train pendulaire.
Il s'agit donc d'un nouveau défi technologique et de l'ouverture de nouvelles perspectives commerciales pour GEC-Alsthom, qui, rappelons-le, possède une usine de construction de TGV à Bischheim, près de Strasbourg.
Ces différents éléments rendent décidément incompréhensibles et difficilement excusables les tergiversations que nous connaissons depuis dix ans.
On a longtemps mis en avant le problème du financement - c'est plus que jamais le cas - pour justifier les retards et les remises en question, camouflant ainsi un manque de volonté politique, et ce quelle que soit la majorité au pouvoir.
La rentabilité financière directe, avec moins de 4 %, est certes faible, quoique cette évaluation doive être revue en fonction des données d'aujourd'hui. Cependant, comme je viens de l'indiquer, ce n'est pas le seul critère à prendre en compte pour juger de l'opportunité d'un tel projet.
Aujourd'hui, la volonté politique semble être au rendez-vous, mais le plan de financement reste flou.
En effet, le TGV Est a été relancé par le comité interministériel pour l'aménagement du territoire du 4 février 1998 puis par la signature, le 24 février dernier, du protocole d'accord de financement des études d'avant-projet détaillé et des travaux préliminaires engageant l'Etat, les collectivités territoriales, le Réseau ferré de France et la SNCF.
Toutefois, comme s'en étonne à juste titre le président François Poncelet dans sa question, ni le calendrier des travaux ni le plan de financement ne sont clairement et précisément arrêtés.
Le communiqué final du protocole dispose ainsi que l'Etat s'engage à débuter les études d'avant-projet détaillé « tout de suite et sans délai ». Le moins que l'on puisse dire est que cette formule ne brille pas par sa précision.
Permettez-moi d'ailleurs de vous faire remarquer, monsieur le ministre, que nous n'avons que peu l'occasion d'entendre sur ce sujet, dans notre département, la voix de votre collègue Mme le ministre de la culture, qui n'avait pourtant pas manqué d'exprimer ses critiques nombreuses et incessantes à l'égard des gouvernements précédents lorsqu'ils étaient en charge du dossier.
Cette parenthèse étant refermée, revenons aux déclarations du présent Gouvernement.
Le communiqué du 24 février dernier indique encore, non sans ambiguïté : « L'Etat est prêt à augmenter sa participation jusqu'à 8 milliards de francs dans la mesure où celle des collectivités locales permettrait de boucler le plan de financement, compte tenu des engagements de l'Union européenne et du grand-duché de Luxembourg. »
Ainsi, compte tenu des contributions, seulement, malheureusement, « espérées » de l'Union et « attendues » du Luxembourg, cela laisserait à la charge des collectivités locales 5,5 milliards de francs alors qu'elles ne se sont engagées qu'à hauteur de 3,5 milliards francs pour la totalité de la ligne.
Par conséquent, on note une plus grande participation des collectivités alsaciennes, un terminal à Vandières et le passage de deux heures à deux heures trente du temps de trajet prévu.
Philippe Richert. Marché de dupes !
M. Joseph Ostermann. Je rappelle que les collectivités alsaciennes se sont engagées à hauteur de 1,5 milliard francs, soit la plus grosse contribution des collectivités locales.
Il ne paraît donc pas concevable pour l'Alsace d'apporter une contribution financière plus importante, d'autant que, à mon grand regret, la première phase du projet s'arrêtant à Vandières, l'Alsace ne sera pas pour l'instant desservie. Sans ligne nouvelle en Alsace, notre participation me semble hypothétique.
La contribution financière supplémentaire, demandée ou imposée, me paraît d'autant plus injustifiée que l'Alsace est, à mon sens, déjà bien trop souvent sollicitée. Ainsi, par exemple, le département du Bas-Rhin verse une forte contribution au titre de la solidarité interdépartementale, dont le montant s'est élevé à 34 millions de francs en 1996 et à 35 millions en 1997. Vous ne pouvez, monsieur le ministre, continuer à taxer les collectivités alsaciennes !
En conclusion, plus de dix ans après la naissance du projet, il me semble que le temps est largement venu pour l'Etat de prendre des décisions et des engagements fermes, clairs et en toute transparence, notamment sur les délais de réalisation, mais aussi sur la date du début des travaux à Paris et en Alsace.
En l'absence de tels engagements, monsieur le ministre, les collectivités locales ne pourront pas vous suivre et la date cible de 2005-2006 ne restera, une fois de plus, qu'un voeu pieux. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Grignon.
M. Francis Grignon. Tout d'abord, permettez-moi de vous remercier à mon tour, monsieur Poncelet, d'avoir organisé ce débat sur un projet si cher au Grand Est et à l'Alsace en particulier.
Qu'est-ce qu'un TGV ? Un moyen de transport rapide, sûr et non polluant, c'est certain ; un puissant outil d'aménagement du territoire, compétitif avec l'avion sur les distances inférieures à mille kilomètres et le suppléant pratiquement sur celles qui sont inférieures à six cents kilomètres, c'est évident.
Mais, avant de devenir cela, un TGV c'est d'abord un tracé, du matériel roulant et une technologie qui déterminent un temps de parcours et un coût global. C'est, ensuite, un plan de financement, mis en oeuvre avec plus ou moins de volonté politique, qui conditionne les délais de réalisation.
En premier lieu, qu'en est-il du tracé ? En relisant le protocole franco-allemand du 22 mai 1992, je constate, à l'article 1er, que « les réseaux ferroviaires à grande vitesse allemand et français seront reliés via Sarrebruck et Strasbourg ».
Je constate également, à l'article 4, que les travaux de construction et de modernisation prévus pour la partie française concernent, premièrement, la construction d'une ligne nouvelle entre Paris et Vendenheim au nord de Strasbourg, autorisant une vitesse maximale de 350 kilomètres à l'heure et, deuxièmement, la modernisation de la ligne Vendenheim-Strasbourg pour autoriser une vitesse maximale de 220 kilomètres à l'heure.
Je constate enfin, à l'article 5, que, en vue de l'interconnexion des deux réseaux ferroviaires à grande vitesse, on entreprendra du côté français - en prolongement du TGV Est et en sus des travaux prévus à l'article 4 - l'aménagement du tronçon Strasbourg-Kehl et la liaison entre le TGV Est à l'est de Metz et de Forbach.
C'est dans le cadre de ce protocole que le Gouvernement, je l'imagine, a pris ses décisions lors de la réunion interministérielle du 4 février 1998.
Comme vous n'avez apporté, le 4 février, qu'une réponse partielle au protocole du 22 mai 1992 puisque la ligne nouvelle ne sera réalisée que de Vaires à Vandières, j'aimerais vous poser deux questions très précises sur le tracé, monsieur le ministre.
Premièrement, est-il bien dans votre intention de réaliser à terme une ligne nouvelle complète entre Paris et Strasbourg ? Je suis inquiet à ce sujet parce que votre communiqué de presse, témoignant de la confirmation de l'engagement de l'Etat, est elliptique sur ce point.
Par ailleurs, vous précisez que l'optimisation technico-économique et environnementale de RFF pourra conduire à des modifications limitées du tracé, pouvant nécessiter des déclarations d'utilité publique modificatives. Connaît-on aujourd'hui l'ampleur prévisible de ces ajustements et des déclarations d'utilité publique modificatives qui seront nécessaires ? Quand aura-t-on des données précises et définitives sur l'ensemble du tracé pour pouvoir, enfin, engager en toute sécurité les indispensables opérations de remembrement ?
Deuxièmement, comme le protocole franco-allemand prévoit de relier les deux réseaux via Sarrebruck et Sarrebourg, est-il bien dans votre intention, une fois la ligne nouvelle Vaires - Vandières terminée, de poursuivre par Vandières, Baudrecourt et Vendenheim, avant ou au moins en même temps que Vandières, Baudrecourt et Sarrebruck ?
Je sais bien qu'il est difficile pour vous d'annoncer ce qui sera décidé dans six ans. C'est pourquoi je vous demande un avis personnel, mais ô combien ! autorisé sur ce sujet.
Vous comprendrez qu'il est fondamental pour nous, en Alsace, de voir se réaliser au plus tôt ce tracé qui reliera Paris à Francfort et Munich via Strasbourg. Nous ne pouvons pas imaginer que le tracé Paris - Baudrecourt - Sarrebruck - Francfort soit privilégié aux dépens de Strasbourg.
Pour ma part - mais cela n'engage que moi - je considère que la participation des collectivités locales d'Alsace devrait se positionner fortement en fonction de la réponse à la première question sur le tracé, certes, mais aussi en fonction de la réponse à cette deuxième question.
Ma troisième question portera sur le temps de parcours.
Le protocole de La Rochelle - j'y reviens - affiche, dans son article 3, un objectif de temps de parcours de trois heures trente minutes, avec un temps de parcours entre Paris et Mannheim via Strasbourg de deux heures quarante-huit minutes, contre deux heures cinquante-deux minutes entre Paris et Mannheim via Sarrebruck.
Nous constatons donc que le trajet Paris - Francfort serait plus rapide par Stransbourg que par Sarrebruck de quatre minutes. C'est peu mais, si c'était l'inverse, certains n'hésiteraient pas à brandir cet argument contre la réalisation d'une interconnexion à hauteur de Strasbourg.
Dans votre communiqué de presse - toujours lui ! - vous annoncez, monsieur le ministre, un gain de temps de une heure vingt-cinq minutes entre Paris et Strasbourg, de une heure vingt-cinq minutes entre Nancy et Paris et de une heure vingt minutes entre Paris et Metz. Nous constatons, au passage, que le gain de temps est quasi identique pour Nancy, Metz et Strasbourg pour la première phase, ce qui constitue un élément intéressant pour la future répartition des participations financières, surtout si l'on juge que le gain de temps est un critère déterminant.
Au-delà de ce rappel sur les gains de temps, une troisième question s'impose : dans la mesure où le projet est « saucissonné », arrivera-t-on bien, à terme, à relier Paris - Mannheim via Strasbourg en deux heures quarante-huit minutes ? Si tel est le cas, qu'en sera-t-il de la liaison Paris - Strasbourg ?
Ma quatrième question concerne le financement.
On annonce 25,6 milliards de francs au total, dont 18,7 milliards des francs pour la première tranche. Réseau Ferré de France qui, rappelons-le, doit, selon ses statuts, garantir l'équilibre financier de l'opération dans son bilan, prendrait à sa charge 2,7 milliards de francs. Par conséquent, 16 milliards de francs de concours publics restent à trouver.
L'Etat s'engage sur 8 milliards de francs, le Luxembourg sur 0,5 milliard de francs, l'Europe sur 1,2 milliard de francs au maximum ; les collectivités, pour un tracé nouveau et complet, s'étaient engagées sur 3,5 milliards de francs, soit environ 2,5 milliards de francs pour une première phase. A ce jour, les engagements publics totaux s'élèvent donc à environ 12,2 milliards de francs. Il manque 3,8 milliards de francs pour boucler le financement de la première tranche.
Que les choses soient claires ! Je considère que le TGV est un projet exemplaire de solidarité entre les territoires et qu'il doit le rester. Mais qui dit solidarité dit justice et pour aborder les discussions relatives au financement, une honnêteté intellectuelle absolue s'impose.
Il faudra, en particulier, effectuer en toute transparence un calcul du rendement global prévisionnel de ce projet pour la société. Quand je dis « pour la société », c'est non pas pour RFF en particulier, mais pour la société en général.
A ce sujet, j'aimerais savoir, par exemple, si un effet frontière est toujours massivement pris en compte pour procéder aux calculs économiques, alors que le Rhin n'est plus une frontière et qu'à Strasbourg la moitié des passagers d'Air France vient de la rive droite du Rhin.
J'aimerais aussi que l'on arrête de toujours considérer que l'on « monte » à Paris. Si l'on monte si souvent à Paris et dans la région parisienne, c'est parce que notre capitale a la chance de bénéficier d'un maximum de centres de décision. Cette chance et ces atouts devraient avoir une contrepartie, qui serait d'aider fortement les provinciaux à se rendre à Paris, par exemple en finançant substantiellement un équipement tel que le TGV.
M. Christian Poncelet. Très bien !
M. Francis Grignon. Pour l'heure, nous n'en sommes pas encore aux discussions. Je souhaite savoir, monsieur le ministre, ce que l'on fait des 3,8 milliards de francs qui manquent en première phase et des 6,9 milliards de francs qui font défaut dans la deuxième phase, par rapport à mon calcul purement théorique. S'agira-t-il d'un emprunt ? La route payera-t-elle pour le fer ? Les moyens prévus pour la voie d'eau seront-ils réaffectés ? L'investissement privé pourra-t-il s'en mêler ? Sera-ce un autre partage des concours publics ? Tel est le sens de ma quatrième question, monsieur le ministre.
Vient enfin la cinquième et dernière question - la plus simple dès lors que l'on a répondu à toutes les autres - qui est relative au délai de réalisation globale.
En respectant les limitations de vitesse, il faut aujourd'hui entre quatre heures trente minutes et cinq heures pour se rendre de Paris à Strasbourg en voiture.
En avion, suivant les heures du jour, les conditions météo et la bonne entente sur toute la chaîne humaine qui participe à ce miracle permanent de l'enchaînement des décollages et des atterrissages à Orly, il faut de deux heures trente minutes à trois heures trente minutes pour aller de Paris à Strasbourg.
En TGV, de gare à gare, en toute sécurité, sans polluer et avec un maximum de confort, on pourrait aller de Paris à Strasbourg en moins de deux heures.
M. Christian Poncelet. Et avec des horaires respectés !
M. Francis Grignon. Monsieur le ministre, quand cet objectif sera-t-il enfin atteint ? Tel était le sens de ma cinquième et dernière question. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. le président. Mes chers collègues, à la demande de M. le ministre, nous allons interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures quarante-cinq, est reprise à dix-sept heures cinquante-cinq.)