LIAISON À GRANDE VITESSE
ENTRE PARIS ET STRASBOURG
Discussion d'une question orale avec débat
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 5 de
M. Christian Poncelet à M. le ministre de l'équipement, des transports et du
logement sur les incertitudes liées au financement de la liaison à grande
vitesse entre Paris et Strasbourg.
M. Christian Poncelet demande notamment à M. le ministre de l'équipement, des
transports et du logement pourquoi le Gouvernement a estimé la participation de
l'Union européenne à 10 %, alors que la Commission avait décidé, dès mai 1997,
de ne pas accorder de subvention à cette hauteur. Dès lors se pose la question,
si cette participation était limitée à 2 %, de savoir qui financera le
différentiel de près de 1,5 milliard de francs.
Il lui demande, par ailleurs, outre de confirmer l'engagement financier du
grand-duché de Luxembourg, de lui indiquer quelle est la participation attendue
des régions et des autres collectivités locales concernées. Il lui demande de
préciser si l'engagement financier de l'Etat, porté de 3,6 à 8 milliards de
francs, est ferme ou conditionné aux autres participations.
De la même manière, il aimerait connaître la façon dont sera financée cette
participation. Il souhaiterait également savoir si le Gouvernement, comme il en
a le pouvoir, a demandé à la Caisse des dépôts et consignations de consentir -
sur la section des fonds d'épargne - des prêts à long terme et à taux
privilégié pour financer des travaux d'infrastructures de transports. La Caisse
des dépôts est en effet techniquement prête à assurer ce type de financement
long, mais elle s'est vu confier comme seule mission nouvelle celle de financer
des projets de restructuration urbaine.
Enfin, les travaux d'électrification des lignes vosgiennes faisaient partie
intégrante du projet de TGV et ont été déclarés d'utilité publique par l'arrêté
du 14 mai 1996. Le protocole relatif aux études d'avant-projet détaillé précise
en effet que « les aménagements du réseau existant », lesquels comprennent
entre autres l'électrification des lignes vosgiennes, font partie de ces
études. Or, le communiqué du Gouvernement, semble-t-il en contradiction avec le
décret et avec le protocole, renvoie ces investissements connexes aux
négociations préparatoires au futur contrat de plan Etat-région.
En d'autres termes, les lignes vosgiennes ne feraient plus partie du programme
TGV, ce qui serait contraire aux dispositions du décret d'utilité publique.
Reporter les lignes vosgiennes dans le futur contrat de plan serait revenir sur
les délibérations des collectivités locales lorraines, lesquelles se sont
prononcées sur leur participation de 1 milliard de francs pour l'ensemble du
projet TGV, y compris les lignes vosgiennes.
Il lui demande donc de bien vouloir dissiper les ambiguïtés relatives au
calendrier et au financement de l'électrification de ces lignes. (N° 5.)
La parole est à M. Poncelet, auteur de la question.
M. Christian Poncelet.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, une fois
apaisée l'agitation des élections régionales et les nouveaux conseils régionaux
étant à présent mis en place, j'ai souhaité que notre assemblée consacre un
débat à ce que je considère comme un projet majeur d'aménagement du territoire
de cette fin de siècle pour le grand Est de la France ; j'ai nommé le TGV Est
européen, Paris-Strasbourg et, au-delà, l'Allemagne et les pays d'Europe
centrale.
Ce débat m'apparaît d'autant plus nécessaire, monsieur le ministre, que le
Gouvernement a pris récemment d'importantes décisions qui suscitent chez les
élus et dans la population des interrogations, voire des craintes.
Ces interrogations et ces craintes témoignent de notre attachement à un projet
qui depuis plus de dix ans - je le dis avec regret - porte les espoirs de toute
une région.
M. Hubert Haenel.
Quinze ans même !
M. Christian Poncelet.
L'accouchement de cet investissement est particulièrement long, trop long aux
yeux des populations et des élus.
C'est en effet en 1985 - vous me permettrez ce rapide historique - qu'on été
enregistrées les premières études de tracé par le groupe de travail baptisé «
groupe Rattier ».
Pour ma part, dès juin 1986, mettant à profit un débat au conseil régional de
Lorraine consacré aux grandes infrastructures de transport, j'avais plaidé avec
force pour que la priorité fût donnée au TGV Est, en proposant que la région
Lorraine se prépare à apporter, un jour, sa contribution financière.
Le TGV, j'en étais convaincu - je le suis toujours - allait constituer un pas
décisif en vue de l'intégration économique et politique du coeur de l'Europe et
à ce titre sa réalisation finirait par s'imposer.
Lorsque, en mars 1990, M. Essig, expert désigné par le Gouvernement, a remis
son rapport, l'unanimité s'est faite parmi les collectivités pour en approuver
les propositions, qu'il s'agisse du tracé ou de l'esquisse de financement.
Depuis, l'histoire du TGV a été jalonnée de décisions. Celles de l'Union
européenne d'abord, avec le protocole franco-allemand de La Rochelle du 22 mai
1992, et l'accord franco-luxembourgeois signé à Metz le 17 septembre 1992 ;
mais aussi celles des gouvernements français qui tous, depuis plus de dix ans,
n'ont cessé de poursuivre les mêmes objectifs. Tout cela a constitué autant
d'avancées, mêmes faibles, mais avancées cependant, qui, progressivement, ont
conduit, en novembre 1996, le Premier ministre, M. Alain Juppé, à confirmer que
Paris et Strasbourg seraient bien reliées par une ligne nouvelle SNCF à grande
vitesse. L'hypothèse du recours à la technique du TGV pendulaire, véritable TGV
au rabais, tout au moins à mes yeux, s'en trouvait alors et heureusement
écartée.
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
Mais non !
M. Christian Poncelet.
Monsieur le ministre, je tiens à votre disposition la lettre de M. Juppé
confirmant cette décision.
Après avoir attendu en vain durant l'année 1997 que le nouveau gouvernement
précise sa position, ce dernier a, enfin, le 4 février dernier, confirmé
l'engagement de l'Etat de réaliser la liaison à grande vitesse du TGV entre
Paris et Strasbourg.
Cette décision, qui se situe dans le droit-fil des engagements antérieurs,
nous réjouirait pleinement si elle ne comportait une zone d'ombre et une
ambiguïté, l'une et l'autre inquiétantes.
La zone d'ombre concerne le financement de l'opération. C'est aussi, c'est
surtout le contrecoup, le problème de la contribution qui sera mise à la charge
des collectivités locales.
Selon le communiqué du Gouvernement, l'Etat serait prêt à augmenter sa
participation jusqu'à 8 milliards de francs, mais il y met une réserve, « dans
la mesure où la participation des collectivités territoriales permettrait de
boucler le plan de financement, compte tenu des engagements de l'Union
européenne et du grand-duché de Luxembourg ». En d'autres termes, les
collectivités feront l'appoint. On conçoit donc tout naturellement leurs
craintes si, par impossible, les cofinanceurs faisaient défaut.
Or il semblerait bien que les engagements de l'Union européenne ne soient pas
à la mesure des espoirs du Gouvernement français. La participation de l'Europe
avait en effet été prévue de l'ordre de 2 milliards de francs ; c'est du moins
les informations qui nous avaient été données lors de la réunion du comité de
pilotage qui s'est tenue à Metz, en janvier 1997.
Le représentant de la Commission européenne nous avait alors indiqué que la
Commission avait, à cette date, engagé 88,9 millions d'écus de subventions,
soit environ 318 millions de francs, au titre des études. Il avait été fait
état, alors, d'un « cofinancement par l'Europe du projet à hauteur d'un maximum
de 50 % du coût des études et d'un maximum de 10 % des travaux de construction,
conformément au règlement financier en vigueur ». J'ai là, monsieur le
ministre, le communiqué de la Commission de Bruxelles de janvier 1997 qui
précise cette participation.
En réalité, qu'en est-il ?
Si l'on s'en tient aux récentes déclarations du commissaire européen aux
transports, M. Neil Kinnock, la participation de l'Europe serait limitée à 2 %
du coût du projet - et non 10 % - soit moins de 400 millions de francs,
c'est-à-dire moins que la contribution du Luxembourg, pas même la moitié de la
part de la Lorraine. Devant de telles perspectives, les collectivités sont en
droit de s'inquiéter. Un article de presse rapporte, au cas où vous
l'ignoreriez, monsieur le ministre, les déclarations faites par le commissaire
bruxellois.
Il est évident que les collectivités locales, dont la contribution avait été
chiffrée initialement dans le rapport Essig à 4 milliards de francs, ne
pourront pas doubler leur effort comme on l'entend dire ici ou là. La Lorraine,
c'est-à-dire le conseil régional et les quatre départements, qui a voté en 1989
et 1990 sa contribution d'un milliard de francs, ne pourra pas, cela va de soi,
doubler ce montant. La région aura à faire face à d'autres engagements
importants, notamment pour d'autres grandes infrastructures, au cours du
prochain contrat de plan Etat-région et, sans aucun doute, en complément de
quelques transferts de charges déjà annoncés, pour ce qui concerne des dépenses
de fonctionnement.
M. Gérard Braun.
Hélas !
M. Christian Poncelet.
Mais, direz-vous, ma crainte n'est peut-être pas fondée. Je serais tenté de
l'espérer à la lecture de la presse régionale qui a rapporté vos propos, tenus,
il est vrai, lors de la récente campagne électorale, et selon lesquels « il
reste 2 milliards de francs à assurer pour trouver le complément... mais d'ores
et déjà, le Gouvernement se dit prêt à prendre en compte l'évolution de la
situation ». Il est vrai que vous ajoutiez : « il risque de se passer beaucoup
de choses dimanche et des dossiers pourraient être revus une fois les régions
emportées par la gauche ».
Quel qu'ait été le vote des régions Alsace Lorraine et Champagne-Ardenne...
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
Et
l'Ile-de-France ?
M. Christian Poncelet.
Certes, mais comme cette région penche de votre côté, je ne l'ai pas citée car
vous auriez alors eu plaisir à lui donner satisfaction !
Quel qu'ait été le vote des régions Alsace, Lorraine et Champagne-Ardenne,
disais-je, nous espérons, nous voulons croire que les résultats de ce vote
n'auront pas d'incidences sur la poursuite des négociations. Une déclaration
contraire de votre part nous surprendrait et serait, vous l'avez deviné,
particulièrement condamnable.
C'est pourquoi, en l'état actuel des discussions et après vos rencontres à la
fois avec le commissaire européen aux transports et avec votre homologue du
grand-duché de Luxembourg, je souhaiterais savoir à quelles sources le
Gouvernement compte faire appel pour boucler le plan de financement du TGV Est,
et surtout à quel niveau il envisage de fixer la contribution des collectivités
locales.
Par ailleurs, le Gouvernement a-t-il, monsieur le ministre, demandé, comme il
en a le pouvoir, à la Caisse des dépôts et consignations, de consentir, sur la
section des fonds d'épargne, des prêts à long terme et à taux privilégiés pour
financer des travaux d'infrastructures de transport ?
Devant la commission des finances du Sénat, le directeur général de la Caisse
des dépôts et consignations, que j'interrogeais, nous a indiqué qu'il était «
techniquement prêt », mais que le Gouvernement ne lui avait assigné que les
investissements liés à la « rénovation urbaine » comme infrastructures
nouvelles à financer. Est-ce exact ?
Nous vous demandons d'intervenir auprès du ministre de l'économie et des
finances, nous le ferons nous-mêmes de notre côté, pour que l'accord donné par
la Caisse des dépôts et consignations puisse avoir concrètement un prolongement
au bénéfice tant de l'Etat et de Réseau ferré de France que des collectivités
territoriales, au cas où elles seraient à nouveau sollicitées.
M. Hubert Haenel.
Très bien !
M. Christian Poncelet.
Notre attente est d'autant plus légitime qu'à l'incertitude sur le financement
du projet s'ajoutent plusieurs ambiguïtés qui sont apparues récemment quant à
la nature et à la consistance même du projet de TGV. Deux informations données
par le communiqué du Gouvernement sont de nature à nourrir nos inquiétudes à
cet égard.
La première laisse entendre que la recherche de l'optimisation du projet «
pourra conduire à des modifications du tracé de la ligne nouvelle pouvant
nécessiter des déclarations d'utilité publique modificatives. » On peut à
nouveau légitimement s'interroger : ces modifications n'entraîneront-elles pas
de retards supplémentaires dans le lancement des travaux que vous avez annoncé,
et pour lequel nous vous avons remercié, pour 1999 ? Cet engagement sera-t-il
toujours tenu ?
La seconde information porte sur une question qui revêt à mes yeux une
importance particulière, je veux parler de la modernisation des lignes
vosgiennes.
M. Gérard Braun.
Très bien !
M. Christian Poncelet.
Je rappelle que le dossier d'enquête d'utilité publique précisait
explicitement que l'électrification des lignes vosgiennes faisait partie
intégrante du projet du TGV. Il en détaillait la nature des travaux et en
précisait le coût. Plus récemment, le protocole relatif aux études
d'avant-projet détaillé, qui vient d'être signé, voilà quelques semaines,
souligne que ces études porteront non seulement sur la ligne nouvelle
proprement dite mais aussi sur « l'ensemble des aménagements de l'existant
conformément au dossier et décret de déclaration d'utilité publique et tel
qu'il résulte des engagements déjà pris par l'Etat ». Voilà qui est clair et
sans ambiguïté !
M. Hubert Haenel.
Comme de l'eau de roche !
M. Christian Poncelet.
Ce texte du protocole, logique, cohérent avec l'ensemble du dossier, serait de
nature à nous rassurer.
Mais, dans le même temps, - et voilà que réapparaît l'ambiguïté - le
communiqué du Gouvernement du 4 février 1998 renvoie les lignes vosgiennes aux
négociations préparatoires au XIIe Plan entre l'Etat et les régions.
Vous-même, monsieur le ministre, dans une lettre que vous m'avez adressée le
16 février 1998, vous avez confirmé que « les modalités et le calendrier de
réalisation des investissements connexes - c'est-à-dire, je le précise, les
lignes vosgiennes - seront examinés dans le cadre des négociations
préparatoires au XIIe Plan entre l'Etat et les régions afin d'assurer la
complémentarité entre la construction de la ligne nouvelle et la réalisation de
ces investissements ». Je tiens bien sûr le texte de cette lettre à la
disposition du Sénat.
Si les mots ont un sens, cela signifie que les lignes vosgiennes ne feraient
plus partie intégrante du TGV, contrairement aux engagements antérieurs, à la
déclaration d'utilité publique et, bien sûr, aux décisions qui ont été prises
devant le conseil régional et les élus locaux.
M. Gérard Braun.
Tout à fait !
M. Christian Poncelet.
En effet, elles n'en feraient plus partie intégrante puisqu'elles ne
bénéficieraient plus du même financement, qu'elles donneraient lieu à une
programmation distincte et à une réalisation confiée à un maître d'ouvrage
différent.
Comment, alors, M. Christian Pierret peut-il déclarer, dans le cadre d'une
réunion interministérielle : « J'ai sauvé les lignes vosgiennes » ? Vous me
direz qu'il s'agissait d'une période électorale et que, dans ces périodes, les
mots excèdent parfois les pensées, nous le savons les uns et les autres...
D'un strict point de vue juridique, l'Etat ne peut ainsi faire « passer à la
trappe » un décret d'utilité publique qui a intégré les lignes vosgiennes dans
le projet du TGV Est.
Au surplus, je n'ose croire que l'Etat serait prêt à renier les engagements
nombreux, précis, constants pris par les gouvernements, de droite comme de
gauche, et par les présidents de la SNCF. Les uns comme les autres n'ont cessé
d'affirmer par écrit que « l'aménagement des lignes vosgiennes est intégré au
projet de travaux de la première phase du TGV Est avec l'objectif de permettre
l'irrigation des Vosges ».
J'ai sous les yeux la lettre qui m'a été adressée le 21 avril 1997 par M.
Gallois, président de la SNCF, et qui confirme, bien sûr, l'intégration des
lignes vosgiennes dans le dossier du TGV Est.
Voilà des ministres, des présidents de la SNCF qui confirment bien que
l'électrification des lignes vosgiennes fait partie intégrante du dossier TGV
Est. Aujourd'hui, il y a une volonté manifeste d'écarter ce projet du projet
initial lui-même.
C'est au vu de ces engagements que la région lorraine - et bien entendu, le
département des Vosges - s'est engagé à l'époque sur la participation de 1
milliard de francs pour l'ensemble du projet, lequel comprenait exclusivement,
et j'y insiste, les lignes vosgiennes, estimées, pour leur part, à un coût de
500 à 600 millions de francs.
L'étude a été faite. Le coût a été chiffré. Les déclarations émanant des
responsables de la SNCF, aux plans tant national que régional, ont confirmé ce
coût et, tout récemment encore, ces derniers se sont déclarés prêts à engager
les travaux.
J'ai moi-même mené une action auprès du conseil régional, sous le gouvernement
précédent et sous le gouvernement actuel, pour demander que ce milliard de
francs qui a été voté par la région puisse cofinancer dès maintenant
l'électrification des lignes vosgiennes.
Les travaux pourraient commencer, puisque les crédits sont disponibles et sont
largement suffisants ; nous disposons en effet de 1 milliard de francs alors
que le coût des travaux est de 500 millions de francs. Par ailleurs, cela
garnirait les carnets de commande des entreprises et apporterait du travail.
Il serait inéquitable de mettre à la charge des collectivités territoriales de
Lorraine une dépense aussi élevée, à laquelle s'ajouterait l'augmentation de
leur contribution au titre de la ligne nouvelle que vous nous laissez
entrevoir. Ce serait inéquitable et insupportable financièrement parlant. En
effet, les lignes vosgiennes, elles aussi, concourent à l'aménagement du
territoire, et la solidarité nationale doit évidemment jouer.
Pour toutes ces raisons, je demande avec force que la réalisation de la
première phase du TGV comprenant les lignes vosgiennes soit strictement
conforme au projet déclaré d'utilité publique. Il va du respect des engagements
écrits qui ont été pris.
Je souhaite, monsieur le ministre, que, par votre voix, le Gouvernement
apporte aujourd'hui toute clarification à ce sujet.
Vous me permettrez de dire en conclusion qu'il serait quelque peu paradoxal de
constater que l'Etat n'est pas en mesure de trouver 2 à 4 milliards de francs
pour financer un investissement structurant de dimension internationale, un
investissement qui participe incontestablement à l'avenir de notre pays et des
régions de l'Est, coeur de l'Europe, alors qu'il peut dégager 35 milliards de
francs par an pour les emplois-jeunes, soit 175 milliards de francs sur cinq
ans et que le plan de lutte contre les exclusions coûterait 50 milliards de
francs sur trois ans.
Il y a là à l'évidence, monsieur le ministre, un déséquilibre flagrant entre
l'investissement et le fonctionnement, un déséquilibre qui me paraît aussi
incompréhensible que pernicieux pour l'avenir de notre pays.
Si l'Etat ne peut pas consacrer 10 % d'un budget global de 1 600 milliards de
francs pour financer l'investissement, c'est pour le moins préoccupant. Il est
indispensable de freiner la dépense de fonctionnement à tous les niveaux : au
niveau national, bien sûr, mais aussi, j'en conviens, au niveau des
collectivités territoriales.
Monsieur le ministre, je vous demande donc avec insistance, à vous dont je
connais le franc-parler et dont j'apprécierai les réponses, de bien vouloir
préciser clairement votre démarche concernant la réalisation tant attendue du
TGV Est ainsi que la position du Gouvernement s'agissant de l'électrification
des lignes SNCF vosgiennes.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées
du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur
certaines travées du RDSE.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, en application du deuxième alinéa du 1 de l'article
82 du règlement, les temps de parole dont disposent les groupes sont les
suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 30 minutes ;
Groupe socialiste, 25 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 20 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 9 minutes.
Dans la suite de la discussion, la parole est à Mme Printz.
Mme Gisèle Printz.
« En 2005, c'est réglé, on gagne une heure ! » Cette phrase, prononcée le mois
dernier lors de votre visite à Nancy, monsieur le ministre, et reprise dès le
lendemain dans tous les quotidiens locaux, a apporté un grand soulagement à
toute une population impatiente de voir débuter le plus grand chantier que
connaîtra prochainement le Grand Est, et dont les enjeux n'échappent à personne
: le TGV Est.
Je reviendrai bien entendu sur ce projet, qui me tient à coeur, mais, au
préalable, il me paraît souhaitable de se féliciter des nouvelles orientations
dessinées par le Gouvernement en matière de politique des transports.
Ces nouvelles orientations ont été confirmées par les décisions prises aussi
bien lors du comité interministériel du 4 février 1998 portant sur les
infrastructures ferroviaires que du comité interministériel d'aménagement et de
développement du territoire du 15 décembre dernier ou encore de la loi de
finances pour 1998.
Comme vous l'avez indiqué, monsieur le ministre, lors de la présentation de
votre budget en septembre dernier, ces nouvelles orientations « traduisent le
volonté du Gouvernement de développer une politique des transports résolument
plurimodale au service du cadre de vie, et d'un aménagement équilibré du
territoire national ». On ne peut que s'en féliciter.
Les principes de complémentarité et de plurimodalité des modes de transports,
qui sont souvent invoqués pour définir la politique choisie, ont rarement été
mis en oeuvre. Désormais, c'est chose faite, et il m'a semblé intéressant de le
souligner à travers trois exemples.
Tout d'abord, je citerai le remplacement annoncé lors du CIADT du 15 décembre
dernier des schémas d'infrastructures unimodaux prévus par la loi d'orientation
pour l'aménagement et le développement du territoire par deux schémas de
services, l'un pour le transport de marchandises, l'autre pour le transport de
voyageurs. Cette proposition est tout à fait novatrice car, pour la première
fois, les transports seront pensés en fonction des besoins des usagers en
jouant des atouts et des complémentarités de chaque mode de transport.
Ensuite, la priorité est donnée au transport ferroviaire. Celle-ci est, en
premier lieu, d'ordre budgétaire. Rappelons en effet que, selon les rapports
sur les comptes des transports publiés par l'INSEE, il a été consacré aux
infrastructures routières, de 1980 à 1995, y compris par les collectivités
locales, 64 % du montant total des investissements d'infrastructures de
transport, cette part s'élevant à 70 % pour les dernières années.
Au vu de ces chiffres, un rééquilibrage en faveur du transport ferroviaire
s'avérait nécessaire et l'effort budgétaire de l'Etat en ce sens est
incontestable dans la loi de finances pour 1998.
Au total, les concours publics en faveur du rerroviaire ont progressé de près
de 2,5 milliards de francs, soit une augmentation en termes de moyens dégagés
de près de 8 %, à quoi il faut ajouter une augmentation de la dotation en
capital en faveur de Réseau ferré de France : 10 milliards de francs en 1998
contre 8 milliards de francs en 1997.
Il faut aussi ajouter le nouvel allégement de la dette de la SNCF - 20
milliards de francs - qui, lui aussi, fait partie de l'effort gouvernemental en
faveur des transports ferroviaires.
Cet effort a par ailleurs été conforté lors de la réunion interministérielle
du 4 février 1998. Le Gouvernement s'est alors engagé, d'une part, à augmenter
de 1 milliard de francs par an, au terme du prochain contrat de plan, les
ressources affectées aux investissements ferroviaires, soit un triplement des
concours de l'Etat au financement des infrastructures ferroviaires. L'Etat
s'est engagé, d'autre part, à consacrer 500 millions de francs par an - au lieu
de 200 millions actuellement - la modernisation du réseau ferré dans le cadre
des nouveaux contrats de plan Etat-région. C'est dans ce cadre que, par
exemple, l'électrification des lignes vosgiennes Blainville - Epinal -
Remiremont et Lunéville - Saint-Dié pourra se faire, M. Christian Pierret
étant, en effet, parvenu à les faire inscrire au XIIe Plan.
Enfin, la volonté du Gouvernement se traduit par la mise en oeuvre effective
des décisions prises grâce à une définition claire des priorités et des moyens
de financement réellement mobilisés.
Ainsi en est-il - c'est l'exemple qui me semble le plus probant - du lancement
de la construction du TGV Est, grâce à la mise en place d'un plan sérieux de
financement. Comme l'a justement noté Mme Catherine Trautmann à la suite de la
réunion interministérielle du 4 février dernier : « nous passons enfin des
promesses à l'action ».
M. Jean-Pierre Masseret, quant à lui, soulignait : « jusqu'à présent, il n'y
avait que du baratin sur le TGV, ce n'est plus le cas aujourd'hui ».
Il est vrai que, du baratin, il y en a eu ! Il aura en effet fallu attendre
plus de quinze ans, d'annonces diverses en reculades, la dernière, celle du
gouvernement d'Alain Juppé, en décembre 1996, ayant consisté en l'annonce de la
réalisation du TGV Est, sans que l'Etat ne s'engage sur le moindre centime, et
ce, bien que le projet figure parmi les quatorze grands travaux européens
arrêtés au sommet d'Essen en 1994 ainsi qu'au schéma directeur des lignes à
grandes vitesses !
Le gouvernement d'alors avait renvoyé le plan de financement aux conclusions
des travaux d'une mission confiée à l'inspection générale des finances ainsi
qu'au conseil général des ponts et chaussées. Il s'agissait alors de ce que
d'aucuns ont appelé le « TGV virtuel ». Désormais, le TGV Est est
réalisable.
Le TGV Est est désormais réalisable, et cette infrastructure est non seulement
d'intérêt national, mais aussi d'intérêt européen.
Côté allemand, les trains à grande vitesse, les ICE, seront, d'ici à quelques
années, en mesure de franchir le Rhin à Strasbourg-Kehl. Nos lignes devraient
alors permettre la création d'un axe européen majeur entre la façade Atlantique
et l'est de l'Europe. Par ailleurs, l'irrigation de territoire national et les
liaisons province-province devraient être assurées par l'interconnexion des
lignes nouvelles en Ile-de-France avec les TGV Sud-Est, Nord et Ouest.
Le TGV Est est réalisable, car ce projet a toujours été soutenu par les chefs
d'Etat, qu'il s'agisse de François Mitterrand ou encore de M. Jacques Chirac,
qui qualifiait, en octobre dernier, le TGV Est de « nécessité absolue ».
Ce projet est réalisable car les freins juridiques éventuels sont tombés, la
déclaration d'utilité publique du 14 mai 1996 venant d'être validée par le
Conseil d'Etat.
M. Christian Poncelet.
Elle a inclus les lignes vosgiennes !
M. Gérard Braun.
Tout à fait !
Mme Gisèle Printz.
Le TGV Est est réalisable, enfin, car, pour la première fois, un plan de
financement est proposé, appuyé par un effort important de l'Etat.
Le Gouvernement a en effet décidé d'augmenter considérablement la
participation de l'Etat au financement de la première phase du TGV Est. Il est
prêt à « augmenter sa participation jusqu'à 8 milliards de francs dans la
mesure où la participation des collectivités territoriales permettrait, compte
tenu des engagements de l'Union européenne et du grand-duché de Luxembourg, de
boucler le plan de financement ».
L'effort de l'Etat est considérable et indéniable. Il mérite d'être salué. Il
traduit bien les nouvelles orientations du Gouvernement, auxquelles je faisais
précédemment référence, en matière de politique des transports.
Le Gouvernement a su prendre rapidement ses responsabilités, à la plus grande
satisfaction de toute une population en proie au doute depuis deux décennies.
Le TGV Est revient donc de loin. Mais quelques inquiétudes demeurent.
En effet, la participation du Luxembourg n'est pas encore connue. Néanmoins,
les autorités grands-ducales se veulent rassurantes. Et Mme Delvaux-Stehres,
ministre des transports luxembourgeois, déclarait récemment : « le TGV Est
européen ne va pas échouer à cause du Luxembourg ».
Par ailleurs, la participation de l'Union européenne, elle aussi, est inconnue
pour l'heure. En 1996, le gouvernement d'Alain Juppé tablait sur une
participation de l'Europe de l'ordre de 314 millions d'écus - environ 2
milliards de francs - soit 10 % du coût total de l'opération comme l'autorisent
les textes communautaires.
Le commissaire européen aux transports, M. Kinnock, s'y était opposé mais,
aujourd'hui, les choses peuvent changer. En effet, plusieurs éléments dont je
vais vous faire part laissent espérer que l'Union européenne sera plus
généreuse.
Tout d'abord, pour la période 1995-1999, la France n'a guère profité des
crédits européens visant à financer les grands travaux ; elle n'a, en quelque
sorte, pas utilisé sa quote-part.
M. Christian Poncelet.
C'est vrai !
Mme Gisèle Printz.
D'autres Etats, en revanche, ont reçu des aides confortables, comme par
exemple la Belgique, puisque le canal de Charleroi a été financé à hauteur de
10 % du montant de l'investissement, ou l'Allemagne, avec l'autoroute de
Nuremberg à Prague. Pour des projets d'une importance similaire au TGV Est,
comme la réalisation de la ligne entre Nuremberg et Berlin, le financement a
été de près de 3,5 %.
Par ailleurs, la France, qui possède un réseau ferroviaire à grande vitesse de
qualité, a jusqu'à présent financé celui-ci sans bénéficier d'aucune aide
européenne. Ainsi, alors que l'investissement au titre du réseau TGV atteint
100 milliards de francs, l'Europe n'a, pour l'heure, jamais été sollicitée !
Ensuite, compte tenu du calendrier de réalisation du projet, les aides
européennes pourraient être étalées sur deux périodes : 1995-1999 et
2000-2004.
Enfin, l'Union européenne a fait du développement du transport ferroviaire
l'une de ses priorités. Or, géographiquement parlant, la France est un pays de
transit et il serait donc incompréhensible que l'Union européenne refuse de
financer correctement ce projet d'intérêt européen.
Au vu de ces éléments, il semble tout à fait réaliste de solliciter un
financement de l'Union européenne à hauteur de ce que prévoient les textes, à
savoir 10 % du coût global du projet et 50 % du montant des études.
Aussi, monsieur le ministre, me semblerait-il intéressant que vous puissiez
nous éclairer sur les positions que défendra le Gouvernement à l'échelon
européen ainsi que sur les demandes qu'il va formuler.
Le Gouvernement a donc su prendre ses responsabilités, et la réalisation du
TGV Est est désormais suspendue à la décision des autres collectivités
publiques : l'Union Européenne et le Luxembourg que je viens d'évoquer et pour
lesquelles le rôle du Gouvernement et des pouvoirs publics est fondamental,
mais aussi les collectivités locales dont le concours est inévitable.
Inévitable, il l'est sur le plan politique, puisque la réalisation du TGV Est,
entre autres choses, correspond à une demande très forte et unanime des élus
locaux de l'est de la France.
M. Philippe Richert.
Ce n'est pas une raison pour payer !
Mme Gisèle Printz.
Il s'agit d'un enjeu européen, d'un enjeu d'aménagement du territoire, mais
aussi d'un enjeu de développement économique pour tout le Grand Est. Cette
demande doit donc être assumée et portée par les collectivités locales, dès
lors que l'Etat ne se dérobe pas et prend ses responsabilités.
M. Christian Poncelet.
Et les transferts de charges, vous les oubliez ?
Mme Gisèle Printz.
Depuis le comité interministériel du 4 février dernier, c'est désormais le
cas.
Inévitable, il l'est aussi, car le tracé retenu par le Gouvernement est
exactement le même que celui qui avait été proposé le 23 décembre 1996 par M.
Bernard Pons et Mme Anne-Marie Idrac : une première phase de la ligne du TGV
Est entre Vaires et Vandières et la réalisation du pont de Kehl sur le Rhin,
qui assure la liaison avec l'Allemagne.
Il me semble que nombre d'élus locaux ont à cette époque fait part de leur
satisfaction, comme notre collègue sénateur M. Hubert Haenel, qui déclarait,
que « pour la première fois, le Gouvernement répond de manière concrète à un
problème concret », ou encore M. André Rossinot, maire de Nancy, qui se
félicitait de « cet acte fort que l'on attendait ».
M. Hubert Haenel.
Ce sont des personnes raisonnables !
(Sourires.)
Mme Gisèle Printz.
Les collectivités locales qui ont souahité la réalisation de ce projet doivent
mettre en oeuvre les moyens pour y parvenir, faute de quoi elles anéantiraient
des espoirs et des attentes.
Compte tenu de la satisfaction quasi unanime des élus, à la suite de la
réunion interministérielle du 4 février, il ne fait aucun doute que les
collectivités locales du Grand Est veulent « leur » TGV et ne souhaitent pas
décevoir leurs concitoyens. De plus, le protocole d'accord portant sur les
études d'avant-projet détaillé a été paraphé le 24 février dernier par le
président de la SNCF, le président de Réseau ferré de France, RFF, le
représentant de l'Etat et ceux des collectivités locales concernées. On imagine
mal ces collectivités revenir sur leur engagement.
Inévitable, ce concours l'est enfin sur les plans juridique et économique.
L'article 13 de la loi du 13 février 1997 portant création de l'établissement
public Réseau ferré de France - que la majorité sénatoriale a voté - dispose
que les ressources de RFF sont constituées, entres autres, non seulement par
les redevances liées à l'utilisation du réseau, les concours financiers de
l'Etat, mais aussi par tous autres concours, notamment ceux des collectivités
territoriales.
Par ailleurs, le décret du 5 mai 1997 relatif aux missions et aux statuts de
RFF précise, dans son article 4, que « RFF ne peut accepter un projet
d'investissement... que s'il fait l'objet de la part des demandeurs d'un
concours financier propre à éviter toute conséquence négative sur les comptes
de RFF sur la période d'amortissement de cet investissement ». Cette
disposition vise à empêcher que la dette de RFF ne file comme la dette de la
SNCF a pu filer par le passé.
Ainsi, la participation des collectivités locales paraît donc quasi
incontournable. La question est désormais de savoir comment parvenir à les
mobiliser davantage qu'elles ne le sont.
M. Christian Poncelet.
Et pour quel montant !
Mme Gisèle Printz.
Pour l'Alsace par exemple, l'annonce du financement du pont de Kehl indique
clairement la volonté des pouvoirs publics de relier cette région avec
l'Allemagne.
Monsieur le ministre, le Gouvernement peut-il apporter des précisions sur les
modalités d'aménagement du tronçon Vandières - Strasbourg ? Quels sont ses
projets ?
M. Philippe Richert.
Bonne question !
Mme Gisèle Printz.
Enfin, M. Poncelet a évoqué la possibilité pour les collectivités
territoriales d'avoir recours à des prêts de la Caisse des dépôts et
consignations.
Cette idée n'est pas nouvelle. Le rapport Rouvillois sur les lignes à grande
vitesse le suggérait déjà, notamment en ayant recours aux fonds d'épargne.
C'est là une piste intéressante du fait de la modicité des taux et de la longue
durée des prêts accordés par la CDC. Néanmoins, il ne faudrait pas, si cela
était autorisé, remettre en cause la pérennité du financement du logement,
également du ressort de la CDC. Monsieur le ministre, quelle est sur ce point
la position du Gouvernement ?
Pour conclure, je rappellerai simplement que le TGV Est se fera. Le
Gouvernement de M. Lionel Jospin a arrêté cette décision huit mois seulement
après sa prise de fonction, à charge pour les collectivités locales d'augmenter
leur participation.
Si certaines peuvent encore hésiter devant la main tendue de l'Etat, je ne
pense pas qu'elles aient intérêt à résister pour des motifs purement
politiciens, ce serait une faute grave. A moins de renoncer à une politique
structurelle fortement défendue de longue date ou de revenir sur les principes
de la décentralisation, les collectivités concernées doivent accompagner cette
impulsion nouvelle. Si tout le monde joue franc jeu, le TGV sillonnera
prochainement tout le Grand Est.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Philippe Richert.
Edifiant ! Les collectivités territoriales financent l'Etat !
M. Joseph Ostermann.
« Je paye avec votre argent ! ».
M. le président.
La parole est à Mme Terrade.
Mme Odette Terrade.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 4 février
1998, à l'issue d'une réunion interministérielle sur les investissements
ferroviaires, le Gouvernement s'est fermement engagé à réaliser, à terme, la
nouvelle ligne à grande vitesse reliant Paris à Strasbourg.
Ainsi verra le jour, d'ici à 2005, l'un des projets prioritaires du schéma
directeur des liaisons ferroviaires à grande vitesse, qui comportait 4 700
kilomètres.
Le groupe communiste républicain et citoyen souscrit pleinement à la
réalisation de ce type d'infrastructures, car elle assure le maintien et la
création d'emplois, le développement du service public, un aménagement
équilibré du territoire, sans oublier, enfin, le respect de l'environnement.
Le rôle de l'Etat, en liaison avec l'ensemble des collectivités locales
intéressées, est, on le comprend, prépondérant.
Encore faut-il que la puissance publique se donne les moyens de ses ambitions
sur la base d'engagements précis.
Or force est de constater que, dans un passé récent, les moyens étaient si peu
à la hauteur des ambitions du schéma directeur que c'est la crédibilité même de
certains projets qui était mise en cause.
C'est ainsi que, sur les 200 milliards de francs nécessaires à la réalisation
des projets déclarés prioritaires, seulement 500 millions de francs avaient été
inscrits au budget du ministère des transports au moment où la gauche est
arrivée au gouvernement, soit 0,25 % du montant global.
Non seulement la réalisation de nouveaux programmes s'en trouvait, de fait,
menacée, mais c'est le financement de travaux déjà engagés qui était
compromis.
La droite a, aujourd'hui, beau jeu de reprocher au Gouvernement de faire ce
qu'elle n'aurait pu faire au centième alors qu'elle était dans la majorité !
Les incertitudes liées au financement du TGV Est ne sont, en vérité, que le
reflet des lacunes de la droite lorsqu'elle dirigeait le pays.
La portée de vos critiques, mes chers collègues, est donc aussi limitée que
l'ampleur des crédits dont hérite la gauche pour financer les infrastructures
ferroviaires.
Le ministre des transports, M. Jean-Claude Gayssot, a eu le mérite, depuis son
entrée en fonction, de fixer des priorités en y ajustant des conditions de
financement à partir de moyens réels.
Or je vous rappelle que, lors de la dernière loi de finances, la majorité
sénatoriale voulait réduire les crédits affectés au ministère des
transports.
M. Christian Poncelet.
Les crédits de fonctionnement, non d'investissement !
Mme Odette Terrade.
N'y a-t-il pas là un paradoxe à réclamer aujourd'hui des moyens nouveaux ?
M. Christian Poncelet.
D'investissements !
Mme Odette Terrade.
La liaison Paris-Strasbourg non seulement sera bénéfique pour le développement
économique des zones défavorisées, mais doit permettre de préserver des
milliers d'emplois dans le secteur public.
Il s'agit donc d'une autre logique qui est engagée, inverse à celle qui a
prévalu sous les gouvernements de droite.
Je souhaite, à ce stade, attirer l'attention de tous, et du Gouvernement en
particulier, pour que la mise en place de lignes à grande vitesse ne génère
pas, à terme, une concentration d'activités autour de grands pôles urbains,
parallèlement à la désertification économique, sociale, culturelle et humaine
de régions entières.
M. Christian Poncelet.
Très bien ! Voilà pourquoi nous voulons l'électrification des lignes
vosgiennes.
Mme Odette Terrade.
Le développement économique, autour de la dorsale Londres-Milan, passant par
Strasbourg, est d'ores et déjà une réalité. Si la mise en place du TGV Est ne
devait être qu'un facteur de croissance dont seule la région parisienne
viendrait tirer parti, autant dire que ce projet serait, à moyen et à long
terme, un échec pour tout l'est de la France !
M. Christian Poncelet.
C'est vrai !
Mme Odette Terrade.
C'est pourquoi le TGV Est ne doit pas être, selon nous, un simple trait
d'union entre Paris et un pôle européen, dont Strasbourg serait un élément
satellite.
Ce projet, s'il veut réussir, doit pénétrer l'ensemble des territoires,
jusqu'aux plus éloignés.
Le maintien et le développement des transports ferroviaires régionaux non
seulement sont indispensables pour les populations concernées, mais
conditionnent l'efficacité de l'axe Paris-Strasbourg.
Il ne doit pas y avoir, d'un côté, le TGV qui serait performant et rentable
et, de l'autre, des trains régionaux ou périurbains obsolètes et coûteux.
M. Christian Poncelet.
Très bien !
Mme Odette Terrade.
Le plan de financement de ce projet devra impérativement intégrer et associer
l'ensemble des réseaux déjà existants.
M. Christian Poncelet.
Excellent plaidoyer pour l'électrification des lignes vosgiennes !
Mme Odette Terrade.
Un TGV connecté en amont et en aval sur les grands réseaux nationaux et
européens sera efficace s'il dispose d'un maillage régional suffisant pour
irriguer tout le Grand Est.
A cet égard, il est nécessaire d'augmenter la capacité des dessertes locales
et de moderniser les liaisons intra et inter régionales.
Enfin, de nouvelles lignes doivent être créées. Je pense ici, en particulier,
à la voie Nancy - Metz - Thionville, qui favoriserait l'évolution d'une région,
la Lorraine, particulièrement sinistrée d'un point de vue non seulement
économique, mais aussi démographique.
Il en est de même pour l'ensemble des projets inscrits au schéma national des
liaisons ferroviaires, comme le TGV Rhin-Rhône, ou pour d'autres régions,
telles que l'Aquitaine, la Bretagne ou le Languedoc-Roussillon. Nous nous
félicitons, à cet égard, de la décision du Gouvernement concernant le lancement
des études pour la ligne à grande vitesse Rhin-Rhône.
L'envergure nationale des infrasctructures envisagées ne doit pas faire
oublier leurs dimensions régionales et locales. C'est en ce sens que nous
estimons que tout projet d'infrastructures doit contenir essentiellement deux
priorités.
La première consiste à assurer la complémentarité des différents modes de
transport en limitant l'essor des réseaux routiers par une meilleure et plus
juste place faite au rail et aux voies navigables.
La seconde priorité tend à assurer l'égalité du droit d'accès des citoyens aux
transports modernes.
Par ailleurs, les objectifs nationaux en matière d'emploi, d'environnement et
d'essor de nos services nous imposent de rompre avec les exigences de
rentabilité financière immédiate.
La pression exercée par Neil Kinnock, commissaire européen aux transports, au
lendemain de l'annonce par le Gouvernement français de la relance du projet de
TGV Est, illustre la volonté de la Commission européenne de faire échouer toute
alternative au modèle libéral.
Alors que la liaison Nuremberg-Prague ou le canal Charleroi en Belgique ont
bénéficié, à concurrence de 10 %, des fonds européens, le TGV Est
Paris-Strasbourg, qui profitera à toute l'Europe, ferait exception ?
N'y a-t-il pas, enfin, un paradoxe, mes chers collègues, à demander autant aux
Etats membres en matière d'investissement alors que, dans le même temps, on
ligote les budgets pour répondre aux critères de Maastricht ?
C'est pourquoi je m'étonne que nos collègues de droite reprochent aujourd'hui
au Gouvernement de la gauche plurielle de ne pas aller assez loin et assez
vite.
M. Hubert Haenel.
On n'a encore rien dit !
Mme Odette Terrade.
Mais si ! Depuis le mois de juin 1997, les efforts financiers de l'Etat ont
pourtant été considérables, malgré les contraintes monétaristes.
Nous ne pouvons faire l'économie de ce débat.
Voilà, mes chers collègues, les quelques remarques que je tenais à formuler au
nom du groupe communiste républicain et citoyen.
(Applaudissements sur les
travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Haenel.
M. Hubert Haenel.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, on ne peut
pas laisser passer ce qui a été dit tout à l'heure, à savoir que, avant le mois
de juin 1997, les décisions qui ont été prises étaient du baratin !
Il est vrai que la réalisation du TGV Est, comme d'autres, avance à petite
vitesse. Mais des décisions importantes ont été prises concernant
l'avant-projet sommaire, la déclaration d'utilité publique. Je reconnais,
d'ailleurs j'ai été cité tout à l'heure, que vous avez pris, monsieur le
ministre, au début du mois de février, des décisions que nous attendions
concernant à la fois le TGV Rhin-Rhône et le TGV Est européen, et que l'on va
dans la bonne direction. Il ne faut pas faire de politique politicienne dans ce
domaine.
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
Très bien !
M. Hubert Haenel.
Nous devons tous battre notre coulpe concernant les TGV depuis le début des
années quatre-vingt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Très bien !
M. Hubert Haenel.
L'Alsace, comme d'ailleurs les autres régions du Grand Est, attend d'entrer
dans le réseau européen des trains à grande vitesse depuis près de quinze
ans.
Deux projets, le TGV Est européen et la TGV Rhin-Rhône, sont essentiels de ce
point de vue pour l'avenir de notre région. L'Alsace s'est donc dotée, dès
1991, de l'infrastructure nécessaire pour accueillir la grande vitesse sur la
ligne Bâle-Strasbourg. Le premier de ces projets, le TGV Est européen, est
aujourd'hui prêt à entrer dans une phase de commencement d'exécution - c'est,
je crois, ce que vous avez annoncé au début du mois de février, monsieur le
ministre - cependant suspendue à des engagements financiers clairs de l'Union
européenne et de l'Etat français.
L'Alsace est particulièrement attachée à la construction d'une Europe au sein
de laquelle la France tiendra toute sa place. De ce point de vue, le TGV Est
européen sera seul à ouvrir la France à l'Europe vers le Danube, dont le
développement s'accélère.
L'Alsace tire une relative prospérité de sa position géographique privilégiée.
A une époque où les distances se mesurent non plus en kilomètres, mais en
minutes, si notre région, comme les régions voisines, ne bénéficie pas de tous
les moyens de communication modernes, dont le TGV, elle pourrait se trouver
projetée loin de la France et de l'axe de croissance européen. De région
carrefour, l'Alsace deviendrait alors région périphérique, avec les
conséquences que l'on imagine, notamment sur le plan économique.
L'Alsace et les régions voisines ont besoin du TGV Est européen et du TGV
Rhin-Rhône. Notre région, dois-je le rappeler, a su prendre dès le départ la
part des responsabilités qui lui incombaient pour financer un certain nombre
d'opérations et pour s'engager à verser une contribution dont le montant, à
l'époque, était fixé à 1,5 milliard de francs pour la réalisation de la
totalité de la ligne, c'est-à-dire des approches de Paris aux approches de
Strasbourg.
Aujourd'hui, nous fondant sur des engagements pris par l'Etat de façon réitéré
sous tous les gouvernements, nous pouvons légitimement demander à l'Etat de
mobiliser sans délai les financements nationaux et européens nécessaires au
commencement de réalisation de ce premier projet. Cette sollicitation pressante
est également celle du Grand Est français qui, seul à s'ouvrir sur l'Europe, ne
peut concevoir de demeurer seul en France à ne pas bénéficier de la grande
vitesse, donc à être à l'écart du réseau.
Où en sommes-nous aujourd'hui à la suite des décisions que vous avez annoncées
le 4 février 1998, monsieur le ministre ? Il manque un peu d'argent, et cet
argent viendra soit de l'Union européenne, soit de l'Etat, soit peut-être - je
dis bien peut-être - des collectivités locales. La question essentielle qui
reste à résoudre est bien celle du bouclage du financement.
A l'issue de votre conférence de presse du 4 février 1998, vous avez suggéré,
monsieur le ministre, que les collectivités locales devraient augmenter leur
effort à due proportion de celui de l'Etat. Mais, si l'on procède à quelques
calculs rapides, on se rend compte que cela porterait la contribution de
l'Alsace à environ 3 milliards de francs au lieu de 1,5 milliard de francs, ce
qui n'est pas vraiment envisageable.
M. Gérard Braun.
Et la Lorraine ?
M. Hubert Haenel.
La participation de la Lorraine passerait de 1 milliard à 2 milliards de
francs. Pour le Luxembourg, elle serait de 1 milliard de francs au lieu de 500
millions. Quant à la région parisienne, elle n'a encore pris aucune décision en
ce domaine.
La contribution initialement prévue de l'Alsace, d'un montant de 1,5 milliard
de francs, correspondait à un objectif de gain de temps de 130 minutes sur le
temps de parcours actuel, ce qui représente 11,5 millions de francs par minute
gagnée.
Le gain de temps du projet actuel étant de 90 minutes, on pourrait, avec un
calcul rapide exprimé en francs de l'époque, en déduire que l'Alsace ne devrait
plus payer aujourd'hui que 1,035 milliard de francs. Ce raisonnement devrait
s'appliquer également aux autres collectivités locales concernées par ce
projet.
Et l'Etat dans tout cela, monsieur le ministre ?
L'Etat ne peut avoir arrêté définitivement sa position sans consultation ni
concertation préalables avec les collectivités concernées.
C'est la raison pour laquelle je vous demande, monsieur le ministre,
d'organiser rapidement cette concertation sur le financement du projet de TGV
Est, et, parallèlement, d'envisager comment pourra être financé le TGV
Rhin-Rhône, auquel nous sommes également attachés.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Merci !
M. Hubert Haenel.
Par ailleurs, l'Etat doit revoir sa copie en reconsidérant fondamentalement
l'angle sous lequel il aborde le problème du financement et, sur ce point, je
crois que vous me comprenez, monsieur le ministre.
Peut-on en effet rester dans une logique bancaire à courte vue en ne
considérant qu'une rentabilité - il faut bien le dire - de type capitaliste ?
Non ! Si l'Etat doit, certes, avoir le souci de la rentabilité économique, il
doit aussi prendre en compte la rentabilité sociale du projet. Or,
curieusement, celle-ci, nous n'avons jamais su la mesurer.
M. Jacques Machet.
C'est vrai !
M. Hubert Haenel.
Nous n'avons pas les outils pour ce faire. Il est vraiment curieux qu'en
France on ne puisse obtenir de tous les services techniques et financiers une
mesure de la rentabilité sociale - au sens le plus fort du terme - d'un tel
projet.
Cette rentabilité, nous aurons aussi à la mesurer en termes d'emplois. Or,
sans entrer dans le détail compte tenu du temps qui m'est imparti, je me dois
de souligner que, pendant les cinq années de réalisation d'un tel projet, le
nombre d'emplois créés dans le domaine du bâtiment et des travaux publics sera
considérable. Ce que les entreprises paieront - notamment en impôt sur les
sociétés - ne sera pas non plus négligeable. Ces éléments doivent être intégrés
dans le calcul de la rentabilité.
Mais la rentabilité doit encore être appréciée en termes d'avenir de
l'industrie ferroviaire française. Au prix d'un effort très important, et grâce
notamment au TGV, la France s'est hissée au premier rang de la technologie
ferroviaire mondiale. Or, le ferroviaire - et pas seulement les liaisons à
grande vitesse - est appelé à jouer dans les prochaines années un rôle
planétaire essentiel, qui était inimaginable voilà quelques années. Les
Allemands, qui l'ont parfaitement compris, ont réalisé plus de 350 milliards de
francs d'investissements en quelques années.
Il serait dommage que la France perde cette avance, que préserverait la
construction d'un TGV Est européen et d'un TGV Rhin-Rhône dans la foulée, avec
la mise en oeuvre d'une nouvelle génération de TGV. On sait - je m'en suis
entretenu à plusieurs reprises avec vos collaborateurs - que l'industrie
ferroviaire française, qu'elle soit alsacienne, franc-comtoise, du Nord ou de
l'Est, souffre beaucoup actuellement. Elle a donc besoin d'un appel d'air non
seulement pour maintenir les emplois, mais aussi pour parfaire un outil, un
savoir-faire français, qui me paraît actuellement l'un des premiers, sinon le
premier du monde - nous en sommes fiers en tant que Français.
Cette rentabilité, monsieur le ministre, doit enfin s'apprécier - nous en
sommes tous les deux conscients - en termes d'aménagement du territoire, donc
d'équilibre et d'insertion des territoires, de tous les territoires, dans un
réseau intermodal de transport des personnes et des marchandises, en termes de
place de régions comme l'Alsace et le Grand Est dans l'ensemble national et
européen.
Rompons une bonne fois pour toutes - je crois que nous pourrions parvenir à un
accord sur ce point - avec les instruments de mesures actuels, qui sont
réducteurs, à courte vue, pour évaluer l'intérêt global de nos projets
d'équipements structurants. Il faudra bien commencer un jour à le faire !
Dans l'évaluation de cette rentabilité, nous avons totalement perdu de vue que
l'avenir ne se fige pas à l'instant T. Dans notre monde, tout évolue très vite,
tout se développe, en particulier - vous le savez, monsieur le ministre - dans
le domaine des transports.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, gardons à l'esprit que nous allons
être contraints, tant au niveau national qu'au niveau enropéen, de faire des
choix stratégiques en matière de transport en réglementant de façon
draconienne, notamment, le transport des marchandises, sans doute à travers une
politique de quotas.
Par ailleurs, comment ne pas percevoir, en Europe et dans le monde, le regain,
inimaginable il y a quelques années, que connaît le transport ferroviaire ?
Enfin, cette notion qui a l'air un peu théorique, virtuelle allais-je dire, la
notion de transport duale, n'est pas une simple mode. Sa mise en oeuvre est, à
mes yeux, une impérieuse nécessité.
Elle conditionne la survie de certains territoires, de certaines espèces
animales, mais d'abord de l'espèce humaine.
Ignorer, dans la mesure de la rentabilité des TGV - il en va de même pour
d'autres équipements - les évolutions lourdes qui vont avoir lieu dans les
années qui viennent serait non pas une erreur mais une faute pour l'avenir de
notre pays.
Je crois qu'il serait nécessaire que, dorénavant, ce ne soit pas toujours le
Quai de Bercy et sa logique de rationalisation des choix budgétaires, au sens
étriqué du terme, avec ses réflexes bancaires, qui prédomine sur nos intérêts
communs et sur l'intérêt général de notre pays.
(Applaudissements sur les
travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union
centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Hoeffel.
M. Daniel Hoeffel.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la question
orale dont notre collègue M. Poncelet est l'auteur nous permet de faire le
point, aujourd'hui, sur l'état du dossier TGV Est européen, et je l'en
remercie. J'ajouterai que je partage pour l'essentiel les propos que lui-même
et M. Haenel viennent de tenir sur ce dossier.
Monsieur le ministre, je ne sous-estime pas les difficultés qui sont celles de
tout ministre des transports.
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
C'est un domaine
passionnant !
M. Daniel Hoeffel.
Je l'ai connu naguère.
Je ne sous-estime pas les difficultés qui sont celles de tout ministre des
transports confronté à la nécessité de concilier la réalisation
d'infrastructures lourdes avec les inévitables contraintes budgétaires.
Permettez-moi d'ajouter que « l'ère du baratin » n'était pas hier, alors que
celle des réalisations serait aujourd'hui. Gardons-nous, sur un sujet si
essentiel, d'exposer des visions si abruptes !
M. Jacques Machet.
Très bien !
M. Daniel Hoeffel.
Je voudrais tout simplement, aujourd'hui, vous faire part brièvement, monsieur
le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, de quelques
convictions.
Depuis une quinzaine d'années, des engagements successifs ont été pris, des
étapes ont été franchies par les divers gouvernements ; je pense
particulièrement aux gouvernements Balladur, Juppé et Jospin. Mais le
scepticisme et le doute...
M. Christian Poncelet.
Eh oui !
M. Daniel Hoeffel.
... quant à la volonté de réaliser le TGV Est ne sont pas encore totalement
dissipés, je ne dirai pas dans les sphères gouvernementales, mais dans d'autres
sphères, plus préoccupées par les aspects financiers que par les aspects
relatifs à l'aménagement du territoire. Optimisation et rentabilité y sont trop
souvent encore évoquées et nous pouvons en éprouver quelques craintes.
C'est la raison pour laquelle il importe d'évoquer très brièvement trois
arguments essentiels qui justifient la concrétisation de ce projet auquel, fait
unique - il convient toujours de le rappeler - les collectivités territoriales
du Grand Est ont décidé d'apporter une contribution financière importante,
contribution qui n'est pas extensible à volonté.
M. Jacques Machet.
Très bien !
M. Christian Poncelet.
Et qui n'est demandée nulle part ailleurs !
M. Daniel Hoeffel.
Dans une optique d'aménagement du territoire, et c'est mon premier argument,
il n'est pas concevable que le quart nord-est de notre pays ne soit pas irrigué
par une liaison ferroviaire à grande vitesse.
M. Jacques Machet.
Très bien !
M. Daniel Hoeffel.
Le développement économique équilibré de notre territoire dépend entre autre
de sa bonne desserte par les quatre modes de transport. Au-delà, nos marches de
l'Est, Champagne, Lorraine et Alsace, sont le trait d'union naturel entre Paris
et la région d'Ile-de-France d'une part, l'Allemagne du sud et l'Europe
centrale d'autre part.
Le schéma de développement de l'espace européen, en cours d'élaboration depuis
quelques années, ne doit pas se réduire à un énoncé de grandes orientations
abstraites et cartographiques. Sa perception concrète dépendra surtout de la
réalisation de quelques grandes voies de communication, telles que le TGV, si
nous voulons faire en sorte que notre Hexagone soit ouvert sur l'espace
européen, relié à l'espace européen, et non pas marginalisé.
Le deuxième argument est lié à la nécessité de conforter Strasbourg en tant
que siège du Parlement européen et du Conseil de l'Europe.
M. Christian Poncelet.
C'est important !
M. Daniel Hoeffel.
Il faut toujours rappeler à Paris qu'il y a dans notre pays d'autres grandes
villes, dont l'une est le siège d'institutions européennes.
M. Christian Poncelet.
Tout à fait !
M. Daniel Hoeffel.
Ceux qui siègent dans les assemblées en question sont les témoins - et j'en
suis - des récriminations fréquentes des délégués étrangers quant à
l'insuffisance des liaisons avec Strasbourg, encore aggravée, il faut le dire,
par une ponctualité de moins en moins stricte des liaisons aériennes.
A l'heure où Bruxelles est à une heure vingt de Paris, il est urgent de
dissiper tout ce qui pourrait donner l'impression que la France doute du TGV
Est européen ; tous, où que nous soyons placés, nous devons inlassablement nous
y employer.
J'ajouterai un dernier argument qui concerne tous les TGV, et pas seulement le
TGV Est européen puisque aussi bien, nous qui sommes attachés au TGV Est
européen, nous ne devons pas oublier le TGV Rhin-Rhône...
M. Christian Poncelet.
Ils sont complémentaires !
M. Daniel Hoeffel.
... dont d'autres, après moi, je pense, parleront.
Ce troisième argument a trait à l'état de l'industrie ferroviaire française.
Comme vous le savez, monsieur le ministre, celle-ci doit faire face à une
mutation profonde du marché mondial, et tout retard apporté à la réalisation
d'un projet de TGV mettrait en péril la viabilité de cette industrie, qui lui
permet de s'imposer dans la réalisation de grands équipements, en particulier à
l'étranger.
Il serait dommage que le savoir-faire de l'industrie ferroviaire française,
dont nous pouvons être légitimement fiers, ne continue pas à rayonner à travers
le monde.
M. Jacques Machet.
Très bien !
M. Daniel Hoeffel.
Pour toutes ces raisons, monsieur le ministre, nous comptons sur une volonté
sans faille de mener à bien le projet de TGV Est européen, sur une voie
nouvelle de bout en bout.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et
Indépendants et du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous l'avez
remarqué, le TGV est aujourd'hui un train de sénateur !
(Sourires.)
Si je prends moi-même ce train - je veux dire le TGV Est - en marche, c'est
pour vous demander, monsieur le ministre, de ne pas laisser prendre du retard à
l'autre TGV, le TGV Rhin-Rhône.
Je ne le fais pas parce que je suis sénateur du territoire de Belfort...
M. Hubert Haenel.
Quoique...
(Sourires.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
... et qu'il paraît paradoxal que les Belfortains fabriquent le TGV mais ne
puissent l'emprunter !
Je le fais en revanche, évidemment, parce que la ligne
Paris-Vesoul-Belfort-Mulhouse-Bâle-Zurich, qui fut, jusqu'à la Libération,
l'une des plus rapides ne s'est quasiment pas améliorée depuis !
Je vous demande de ne pas laisser prendre du retard au TGV Rhin-Rhône parce
qu'il est le plus rentable de ceux qui restent à faire, en permettant une
liaison rapide internationale de Lisbonne et Madrid à Hambourg, en passant par
Perpignan, Montpellier,...
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
Et Béziers !
(Sourires.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
... Marseille, Lyon, Dijon, Besançon, Mulhouse, mais aussi Strasbourg, qui
reste donc concerné, tout comme la Lorraine.
Je le fais aussi parce que la réunion interministérielle qui s'est tenue le 4
février dernier a décidé l'engagement des études préparatoires au lancement de
l'enquête d'utilité publique de la première phase du TGV Rhin-Rhône,
c'est-à-dire entre Mulhouse et Dijon.
Or, pour que ces études puissent être engagées, il faut d'abord que vous
satisfassiez vous-même, monsieur le ministre de l'équipement, des transports et
du logement, à un préalable nécessaire et suffisant : l'approbation par vos
soins des études d'avant-projet sommaire, études qui sont en votre possession
depuis sept mois.
Monsieur le ministre, puisque le temps, c'est de l'argent, nous comptons sur
vous pour en économiser en procédant sans plus attendre à cette approbation.
Ce faisant, vous accélérerez le moment de voir la division « transports » des
usines GEC-Alsthom de Belfort remplir son carnet de commandes et cesser de
multiplier les plans dits « sociaux » : après ceux de 1993 - 189 emplois - et
de 1995 - 289 emplois - viennent en effet d'être annoncées, dans le cadre d'un
nouveau plan, 313 suppressions d'emploi entre le 1er septembre 1998 et le 31
août 1999 !
Une autre demande pressante, monsieur le ministre : à défaut de liaison
ferroviaire rapide entre l'aire urbaine Belfort-Montbéliard - sans oublier la
Suisse voisine - et Paris, il faut au moins que l'A 5, qui va déjà de la
capitale à Langres, soit prolongée, à quelque cent kilomètres de là, jusqu'à
l'A 36, entre Belfort et Montbéliard, là où vous avez vous-même récemment
inauguré la liaison avec Héricourt et d'où part la « pénétrante » qui sera,
au-delà de la frontière helvétique, prolongée par la future « Transjurane ».
Il se trouve que votre prédécesseur, M. Pons, s'était expressément engagé, à
Vesoul, auprès de l'ensemble des parlementaires franc-comtois, à concéder la
construction et l'exploitation de ce court barreau manquant entre l'A 5 et l'A
36.
Il n'est évidemment pas pensable qu'il n'y ait pas, en la matière, continuité
de l'Etat ni que le Gouvernement de la gauche plurielle soit moins réceptif que
son prédécesseur aux demandes justifiées de populations unanimes.
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen. - M. Gérard Braun applaudit
également.)
M. le président.
La parole est à M. Ostermann.
M. Joseph Ostermann.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, quel dommage
d'être à nouveau obligé de débattre aujourd'hui de ce qui n'est encore et
toujours que le « projet » de liaison à grande vitesse entre Paris et
Strasbourg, et ce treize ans après le rapport Ratier ! C'est M. le président
Poncelet qui nous permet, grâce à sa question orale avec débat, d'évoquer ce
dossier essentiel pour l'est de la France.
Permettez-moi de vous rappeler quelques dates.
En 1989, M. Michel Rocard, alors Premier ministre, confiait à M. Philippe
Essig une mission d'évaluation de la faisabilité technique et financière du TGV
Est.
Il a publié ses conclusions en mars 1990 et, dans un entretien accordé au
magazine
Inter-Régions,
il annonçait que le premier coup de pioche
serait donné en 1995.
Ces propos laissent songeur, surtout si l'on pense aux atermoiements que nous
avons eu à surmonter et au nombre incalculable de réunions de travail qui se
sont succédé. Et je n'oublie pas que, à cette époque, à l'issue de la première
cohabitation, le gouvernement de M. Rocard disposait de capacités financières
impressionnantes : celles-ci n'ont sans doute pas été suffisamment exploitées
pour mener à bien ce projet.
Pour illustrer ces atermoiements, j'évoquerai les rapport Rouvillois et
Blanc-Broissier, publiés en octobre 1996, qui dénonçaient de concert la «
rentabilité aléatoire » du TGV Est, provoquant ainsi une valse-hésitation et
des remises en question de toutes parts.
Malgré cela, en décembre 1996, le gouvernement d'Alain Juppé annonçait le
lancement des travaux du premier tronçon pour 1998.
L'arrivée au pouvoir du nouveau gouvernement a encore retardé le lancement des
travaux et ce n'est qu'en février dernier que le Premier ministre, M. Lionel
Jospin, avançait prudemment la date de 2005-2006 pour la mise en service.
Ainsi, si les délais sont respectés - ce qui n'est nullement acquis
aujourd'hui - le TGV Est verra le jour avec dix ans de retard.
Que de temps perdu ! Comment ne pas en être affligé quand on connaît les
nombreux avantages que procurerait à notre pays en général et à l'Alsace en
particulier la réalisation de cette ligne à grande vitesse ?
Mais est-il encore utile qu'un élu alsacien apporte son témoignage sur les
atouts d'un tel équipement structurant pour sa région, eu égard au peu de cas
qu'il en a été fait dans le passé ? L'épisode du canal Rhin-Rhône en
témoigne.
Toutefois, étant persévérant, je me permettrai quand même de rappeler les
nombreux bénéfices qui peuvent être tirés du projet.
D'abord, le TGV constituera un facteur de dynamisation du tissu économique
local. Il favorisera ainsi les échanges et la communication, deux éléments
essentiels de la compétitivité des entreprises aujourd'hui.
Le TGV, synonyme de modernité et de performance technologique, contribuera
également à réhausser l'image et le prestige de Strasbourg et de sa région,
c'est-à-dire, en fait, tout l'est de la France.
Le TGV peut ainsi constituer pour nos collectivités une chance supplémentaire
dans l'éventail des outils dont elles disposent pour attirer les services, tant
parisiens qu'allemands ou suisses, désirant se délocaliser et offrir aux
entreprises déjà installées les moyens de conquérir de nouveaux marchés. Et je
ne parle même pas de l'effet de levier que représentera ce projet pour le
secteur touristique !
De plus, si l'on se place à l'échelle nationale, le TGV constituera - les
liaisons en service le prouvent - un puissant facteur d'aménagement du
territoire.
Au-delà des atouts que représentera une ligne à grande vitesse en termes de
développement économique et d'aménagement du territoire, il convient d'évoquer
le rôle de carrefour européen de l'Alsace et celui de capitale européenne de
Strasbourg.
N'oublions pas que, depuis quelques années, la France a perdu la place qu'elle
occupait au sein du « croissant fertile » où se concentre actuellement
l'essentiel des activités et des agglomérations de taille européenne, cette «
dorsale » s'étant déplacée et se déplaçant toujours plus vers l'Est.
Une nouvelle ligne ferroviaire reliant, à terme, notre pays au Luxembourg, à
l'Allemagne et, au-delà, à l'Europe centrale permettra à la France de retrouver
son influence, de s'ouvrir sur son voisinage et de renforcer le sentiment
d'appartenance de nos concitoyens à l'Union.
Comme l'écrivait justement notre collègue Daniel Hoeffel dans un grand
quotidien national en juin 1996, « la Lorraine, la Franche-Comté, la
Champagne-Ardenne et l'Alsace, longtemps aux avant-postes dans une Europe en
conflit, veulent être le fer de lance d'une Europe unifiée ».
Cette nouvelle ligne renforcera aussi la place de Strasbourg en tant que
capitale européenne face à Bruxelles, comme le prévoit d'ailleurs le contrat «
Strasbourg ville européenne 1997-1999 ».
Mais cette ligne ne constituera pas seulement un atout pour les régions
qu'elle traversera ; elle est également primordiale pour la SNCF elle-même, qui
voit son réseau Est se marginaliser rapidement du fait de la déréglementation
aérienne. Le rail n'assure plus que 35 % des déplacements entre Paris et
Strasbourg, contre 45 % pour l'avion et 20 % pour la route.
La réalisation du TGV est donc vitale pour la SNCF si celle-ci veut préserver
ses parts de marché.
Précisons, en outre, que la réalisation du TGV permettra de désengorger les
aéroports parisiens, actuellement saturés, alors même que l'agrandissement de
l'aéroport d'Entzheim a suscité une très forte croissance du trafic aérien. Or
cette croissance est génératrice de fréquents retards et de nuisances diverses.
Le transfert d'une partie des voyageurs sur le rail est donc indispensable.
Enfin, un dernier argument en faveur d'une ouverture rapide de cette ligne
tient au caractère doublement novateur, et donc attrayant, du projet.
C'est, d'une part, la première fois - nous pourrions nous en passer, mais
j'insiste sur cette nouveauté - que des collectivités locales sont sollicitées
financièrement. C'est, d'autre part, également la première fois que pourrait
être utilisée la technique du train pendulaire.
Il s'agit donc d'un nouveau défi technologique et de l'ouverture de nouvelles
perspectives commerciales pour GEC-Alsthom, qui, rappelons-le, possède une
usine de construction de TGV à Bischheim, près de Strasbourg.
Ces différents éléments rendent décidément incompréhensibles et difficilement
excusables les tergiversations que nous connaissons depuis dix ans.
On a longtemps mis en avant le problème du financement - c'est plus que jamais
le cas - pour justifier les retards et les remises en question, camouflant
ainsi un manque de volonté politique, et ce quelle que soit la majorité au
pouvoir.
La rentabilité financière directe, avec moins de 4 %, est certes faible,
quoique cette évaluation doive être revue en fonction des données
d'aujourd'hui. Cependant, comme je viens de l'indiquer, ce n'est pas le seul
critère à prendre en compte pour juger de l'opportunité d'un tel projet.
Aujourd'hui, la volonté politique semble être au rendez-vous, mais le plan de
financement reste flou.
En effet, le TGV Est a été relancé par le comité interministériel pour
l'aménagement du territoire du 4 février 1998 puis par la signature, le 24
février dernier, du protocole d'accord de financement des études d'avant-projet
détaillé et des travaux préliminaires engageant l'Etat, les collectivités
territoriales, le Réseau ferré de France et la SNCF.
Toutefois, comme s'en étonne à juste titre le président François Poncelet dans
sa question, ni le calendrier des travaux ni le plan de financement ne sont
clairement et précisément arrêtés.
Le communiqué final du protocole dispose ainsi que l'Etat s'engage à débuter
les études d'avant-projet détaillé « tout de suite et sans délai ». Le moins
que l'on puisse dire est que cette formule ne brille pas par sa précision.
Permettez-moi d'ailleurs de vous faire remarquer, monsieur le ministre, que
nous n'avons que peu l'occasion d'entendre sur ce sujet, dans notre
département, la voix de votre collègue Mme le ministre de la culture, qui
n'avait pourtant pas manqué d'exprimer ses critiques nombreuses et incessantes
à l'égard des gouvernements précédents lorsqu'ils étaient en charge du
dossier.
Cette parenthèse étant refermée, revenons aux déclarations du présent
Gouvernement.
Le communiqué du 24 février dernier indique encore, non sans ambiguïté : «
L'Etat est prêt à augmenter sa participation jusqu'à 8 milliards de francs dans
la mesure où celle des collectivités locales permettrait de boucler le plan de
financement, compte tenu des engagements de l'Union européenne et du
grand-duché de Luxembourg. »
Ainsi, compte tenu des contributions, seulement, malheureusement, « espérées »
de l'Union et « attendues » du Luxembourg, cela laisserait à la charge des
collectivités locales 5,5 milliards de francs alors qu'elles ne se sont
engagées qu'à hauteur de 3,5 milliards francs pour la totalité de la ligne.
Par conséquent, on note une plus grande participation des collectivités
alsaciennes, un terminal à Vandières et le passage de deux heures à deux heures
trente du temps de trajet prévu.
Philippe Richert.
Marché de dupes !
M. Joseph Ostermann.
Je rappelle que les collectivités alsaciennes se sont engagées à hauteur de
1,5 milliard francs, soit la plus grosse contribution des collectivités
locales.
Il ne paraît donc pas concevable pour l'Alsace d'apporter une contribution
financière plus importante, d'autant que, à mon grand regret, la première phase
du projet s'arrêtant à Vandières, l'Alsace ne sera pas pour l'instant
desservie. Sans ligne nouvelle en Alsace, notre participation me semble
hypothétique.
La contribution financière supplémentaire, demandée ou imposée, me paraît
d'autant plus injustifiée que l'Alsace est, à mon sens, déjà bien trop souvent
sollicitée. Ainsi, par exemple, le département du Bas-Rhin verse une forte
contribution au titre de la solidarité interdépartementale, dont le montant
s'est élevé à 34 millions de francs en 1996 et à 35 millions en 1997. Vous ne
pouvez, monsieur le ministre, continuer à taxer les collectivités alsaciennes
!
En conclusion, plus de dix ans après la naissance du projet, il me semble que
le temps est largement venu pour l'Etat de prendre des décisions et des
engagements fermes, clairs et en toute transparence, notamment sur les délais
de réalisation, mais aussi sur la date du début des travaux à Paris et en
Alsace.
En l'absence de tels engagements, monsieur le ministre, les collectivités
locales ne pourront pas vous suivre et la date cible de 2005-2006 ne restera,
une fois de plus, qu'un voeu pieux.
(Applaudissements sur les travées du
RPR, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Grignon.
M. Francis Grignon.
Tout d'abord, permettez-moi de vous remercier à mon tour, monsieur Poncelet,
d'avoir organisé ce débat sur un projet si cher au Grand Est et à l'Alsace en
particulier.
Qu'est-ce qu'un TGV ? Un moyen de transport rapide, sûr et non polluant, c'est
certain ; un puissant outil d'aménagement du territoire, compétitif avec
l'avion sur les distances inférieures à mille kilomètres et le suppléant
pratiquement sur celles qui sont inférieures à six cents kilomètres, c'est
évident.
Mais, avant de devenir cela, un TGV c'est d'abord un tracé, du matériel
roulant et une technologie qui déterminent un temps de parcours et un coût
global. C'est, ensuite, un plan de financement, mis en oeuvre avec plus ou
moins de volonté politique, qui conditionne les délais de réalisation.
En premier lieu, qu'en est-il du tracé ? En relisant le protocole
franco-allemand du 22 mai 1992, je constate, à l'article 1er, que « les réseaux
ferroviaires à grande vitesse allemand et français seront reliés
via
Sarrebruck et Strasbourg ».
Je constate également, à l'article 4, que les travaux de construction et de
modernisation prévus pour la partie française concernent, premièrement, la
construction d'une ligne nouvelle entre Paris et Vendenheim au nord de
Strasbourg, autorisant une vitesse maximale de 350 kilomètres à l'heure et,
deuxièmement, la modernisation de la ligne Vendenheim-Strasbourg pour autoriser
une vitesse maximale de 220 kilomètres à l'heure.
Je constate enfin, à l'article 5, que, en vue de l'interconnexion des deux
réseaux ferroviaires à grande vitesse, on entreprendra du côté français - en
prolongement du TGV Est et en sus des travaux prévus à l'article 4 -
l'aménagement du tronçon Strasbourg-Kehl et la liaison entre le TGV Est à l'est
de Metz et de Forbach.
C'est dans le cadre de ce protocole que le Gouvernement, je l'imagine, a pris
ses décisions lors de la réunion interministérielle du 4 février 1998.
Comme vous n'avez apporté, le 4 février, qu'une réponse partielle au protocole
du 22 mai 1992 puisque la ligne nouvelle ne sera réalisée que de Vaires à
Vandières, j'aimerais vous poser deux questions très précises sur le tracé,
monsieur le ministre.
Premièrement, est-il bien dans votre intention de réaliser à terme une ligne
nouvelle complète entre Paris et Strasbourg ? Je suis inquiet à ce sujet parce
que votre communiqué de presse, témoignant de la confirmation de l'engagement
de l'Etat, est elliptique sur ce point.
Par ailleurs, vous précisez que l'optimisation technico-économique et
environnementale de RFF pourra conduire à des modifications limitées du tracé,
pouvant nécessiter des déclarations d'utilité publique modificatives.
Connaît-on aujourd'hui l'ampleur prévisible de ces ajustements et des
déclarations d'utilité publique modificatives qui seront nécessaires ? Quand
aura-t-on des données précises et définitives sur l'ensemble du tracé pour
pouvoir, enfin, engager en toute sécurité les indispensables opérations de
remembrement ?
Deuxièmement, comme le protocole franco-allemand prévoit de relier les deux
réseaux
via
Sarrebruck et Sarrebourg, est-il bien dans votre intention,
une fois la ligne nouvelle Vaires - Vandières terminée, de poursuivre par
Vandières, Baudrecourt et Vendenheim, avant ou au moins en même temps que
Vandières, Baudrecourt et Sarrebruck ?
Je sais bien qu'il est difficile pour vous d'annoncer ce qui sera décidé dans
six ans. C'est pourquoi je vous demande un avis personnel, mais ô combien !
autorisé sur ce sujet.
Vous comprendrez qu'il est fondamental pour nous, en Alsace, de voir se
réaliser au plus tôt ce tracé qui reliera Paris à Francfort et Munich
via
Strasbourg. Nous ne pouvons pas imaginer que le tracé Paris -
Baudrecourt - Sarrebruck - Francfort soit privilégié aux dépens de
Strasbourg.
Pour ma part - mais cela n'engage que moi - je considère que la participation
des collectivités locales d'Alsace devrait se positionner fortement en fonction
de la réponse à la première question sur le tracé, certes, mais aussi en
fonction de la réponse à cette deuxième question.
Ma troisième question portera sur le temps de parcours.
Le protocole de La Rochelle - j'y reviens - affiche, dans son article 3, un
objectif de temps de parcours de trois heures trente minutes, avec un temps de
parcours entre Paris et Mannheim
via
Strasbourg de deux heures
quarante-huit minutes, contre deux heures cinquante-deux minutes entre Paris et
Mannheim
via
Sarrebruck.
Nous constatons donc que le trajet Paris - Francfort serait plus rapide par
Stransbourg que par Sarrebruck de quatre minutes. C'est peu mais, si c'était
l'inverse, certains n'hésiteraient pas à brandir cet argument contre la
réalisation d'une interconnexion à hauteur de Strasbourg.
Dans votre communiqué de presse - toujours lui ! - vous annoncez, monsieur le
ministre, un gain de temps de une heure vingt-cinq minutes entre Paris et
Strasbourg, de une heure vingt-cinq minutes entre Nancy et Paris et de une
heure vingt minutes entre Paris et Metz. Nous constatons, au passage, que le
gain de temps est quasi identique pour Nancy, Metz et Strasbourg pour la
première phase, ce qui constitue un élément intéressant pour la future
répartition des participations financières, surtout si l'on juge que le gain de
temps est un critère déterminant.
Au-delà de ce rappel sur les gains de temps, une troisième question s'impose :
dans la mesure où le projet est « saucissonné », arrivera-t-on bien, à terme, à
relier Paris - Mannheim
via
Strasbourg en deux heures quarante-huit
minutes ? Si tel est le cas, qu'en sera-t-il de la liaison Paris - Strasbourg
?
Ma quatrième question concerne le financement.
On annonce 25,6 milliards de francs au total, dont 18,7 milliards des francs
pour la première tranche. Réseau Ferré de France qui, rappelons-le, doit, selon
ses statuts, garantir l'équilibre financier de l'opération dans son bilan,
prendrait à sa charge 2,7 milliards de francs. Par conséquent, 16 milliards de
francs de concours publics restent à trouver.
L'Etat s'engage sur 8 milliards de francs, le Luxembourg sur 0,5 milliard de
francs, l'Europe sur 1,2 milliard de francs au maximum ; les collectivités,
pour un tracé nouveau et complet, s'étaient engagées sur 3,5 milliards de
francs, soit environ 2,5 milliards de francs pour une première phase. A ce
jour, les engagements publics totaux s'élèvent donc à environ 12,2 milliards de
francs. Il manque 3,8 milliards de francs pour boucler le financement de la
première tranche.
Que les choses soient claires ! Je considère que le TGV est un projet
exemplaire de solidarité entre les territoires et qu'il doit le rester. Mais
qui dit solidarité dit justice et pour aborder les discussions relatives au
financement, une honnêteté intellectuelle absolue s'impose.
Il faudra, en particulier, effectuer en toute transparence un calcul du
rendement global prévisionnel de ce projet pour la société. Quand je dis « pour
la société », c'est non pas pour RFF en particulier, mais pour la société en
général.
A ce sujet, j'aimerais savoir, par exemple, si un effet frontière est toujours
massivement pris en compte pour procéder aux calculs économiques, alors que le
Rhin n'est plus une frontière et qu'à Strasbourg la moitié des passagers d'Air
France vient de la rive droite du Rhin.
J'aimerais aussi que l'on arrête de toujours considérer que l'on « monte » à
Paris. Si l'on monte si souvent à Paris et dans la région parisienne, c'est
parce que notre capitale a la chance de bénéficier d'un maximum de centres de
décision. Cette chance et ces atouts devraient avoir une contrepartie, qui
serait d'aider fortement les provinciaux à se rendre à Paris, par exemple en
finançant substantiellement un équipement tel que le TGV.
M. Christian Poncelet.
Très bien !
M. Francis Grignon.
Pour l'heure, nous n'en sommes pas encore aux discussions. Je souhaite savoir,
monsieur le ministre, ce que l'on fait des 3,8 milliards de francs qui manquent
en première phase et des 6,9 milliards de francs qui font défaut dans la
deuxième phase, par rapport à mon calcul purement théorique. S'agira-t-il d'un
emprunt ? La route payera-t-elle pour le fer ? Les moyens prévus pour la voie
d'eau seront-ils réaffectés ? L'investissement privé pourra-t-il s'en mêler ?
Sera-ce un autre partage des concours publics ? Tel est le sens de ma quatrième
question, monsieur le ministre.
Vient enfin la cinquième et dernière question - la plus simple dès lors que
l'on a répondu à toutes les autres - qui est relative au délai de réalisation
globale.
En respectant les limitations de vitesse, il faut aujourd'hui entre quatre
heures trente minutes et cinq heures pour se rendre de Paris à Strasbourg en
voiture.
En avion, suivant les heures du jour, les conditions météo et la bonne entente
sur toute la chaîne humaine qui participe à ce miracle permanent de
l'enchaînement des décollages et des atterrissages à Orly, il faut de deux
heures trente minutes à trois heures trente minutes pour aller de Paris à
Strasbourg.
En TGV, de gare à gare, en toute sécurité, sans polluer et avec un maximum de
confort, on pourrait aller de Paris à Strasbourg en moins de deux heures.
M. Christian Poncelet.
Et avec des horaires respectés !
M. Francis Grignon.
Monsieur le ministre, quand cet objectif sera-t-il enfin atteint ? Tel était
le sens de ma cinquième et dernière question.
(Applaudissements sur les
travées de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du
RPR.)
M. le président.
Mes chers collègues, à la demande de M. le ministre, nous allons interrompre
nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures quarante-cinq, est reprise à dix-sept
heures cinquante-cinq.)