AGRICULTURE
Débat sur une déclaration du Gouvernement
M. le président.
L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat,
sur l'agriculture.
La parole est à M. le ministre.
M. Louis Le Pensec,
ministre de l'agriculture et de la pêche.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, c'est la première fois que j'ai l'honneur de
m'exprimer devant la Haute Assemblée pour vous présenter la politique agricole
que je souhaite conduire.
J'ai tenu, voilà quelques semaines, à développer devant vous les éléments de
la politique du Gouvernement en matière de pêche, à l'occasion de la troisième
lecture d'un projet de loi d'orientation qui a été adopté récemment. J'aurai
l'occasion de revenir sur ce point au cours de ce débat.
Mais je voudrais tout d'abord présenter de façon plus détaillée les
orientations qui me semblent devoir être mises en oeuvre pour notre
agriculture.
Comme vous le savez, le Gouvernement a décidé de préparer un projet de loi
d'orientation agricole qui sera soumis au Parlement dans le courant de l'année
1998. J'ai engagé le travail de concertation nécessaire à la préparation de ce
projet de loi. Le débat que le Sénat a souhaité et que je conçois, pour ma
part, comme un débat d'orientation est une excellente occasion d'avoir entre
nous un premier échange sur les principes qui pourront être mis en oeuvre dans
le cadre de cette future loi d'orientation agricole.
Mais ce débat étant également un débat prébudgétaire, il sera aussi l'occasion
d'évoquer le budget de mon ministère, sur lequel nous reviendrons en détail le
2 décembre prochain, lors de la séance qui lui sera consacrée.
A l'heure où nous parlons, une négociation très importante s'est engagée à
Bruxelles sur ce que l'on appelle l'Agenda 2000, c'est-à-dire sur les
propositions présentées par la Commission de l'Union européenne pour réformer
une nouvelle fois la politique agricole commune.
Nous avons donc devant nous deux échéances très importantes qu'il nous faut
préparer en définissant de façon précise les principes et les orientations que
nous voulons faire prévaloir pour notre agriculture.
J'évoquerai en premier lieu la loi d'orientation agricole. Celle-ci sera
préparée, probablement discutée et adoptée avant que nous ne connaissions les
résultats définitifs des négociations communautaires sur la réforme de la
politique agricole commune.
Cela constitue plutôt un avantage qu'un inconvénient, car c'est une excellente
occasion pour définir, sur le plan national, la politique que nous entendons
défendre auprès de nos partenaires de l'Union européenne. Il n'y a en effet pas
de coupure entre la politique agricole communautaire et la politique nationale
; l'une et l'autre doivent être cohérentes et complémentaires.
Les défis que l'agriculture française - et le Gouvernement avec elle - doit
relever peuvent, à mon avis, se résumer en deux questions.
Tout d'abord, comment les pouvoirs publics entendent-ils assurer une place à
une activité de production telle que l'agriculture dans une société où les
activités de service l'emportent et l'emporteront de façon croissante sur les
activités de production ?
Par ailleurs, quel peut être le fondement, aujourd'hui, de la légitimité de
soutiens publics importants à une activité qui ne paraît plus à l'opinion
suffisamment créatrice d'emplois pour notre économie nationale ?
Nous vivons la fin d'une période au cours de laquelle les objectifs fixés à la
politique agricole auront été finalement assez simples. Il s'agissait d'assurer
l'augmentation de la production agricole, d'en améliorer la rentabilité
économique, de façon à satisfaire les besoins du marché national d'abord, du
marché communautaire ensuite, et enfin de participer à la croissance des
marchés extérieurs à la Communauté.
Les instruments de cette politique sur le plan communautaire ont été la mise
en place des organisations communes de marché dans le cadre de la politique
agricole commune à partir de 1962. A l'échelon national, les lois d'orientation
des années soixante ont également visé à accompagner ce processus en favorisant
l'agrandissement, synonyme, alors, de modernisation des exploitations
agricoles.
Ces objectifs sont désormais atteints, et une nouvelle page de la politique
agricole doit être écrite, avec des objectifs différents.
Bien sûr, aujourd'hui comme hier, la production de denrées alimentaires reste
l'objet principal de l'activité agricole. Si modernes soient nos sociétés, elle
ne se sont pas affranchies de la nécessité de nourrir les populations. Mais les
politiques publiques ne peuvent pas se limiter à cet objectif de production de
denrées alimentaires ; elles doivent poser les bases d'un nouveau contrat entre
l'agriculture et la société.
Les termes de ce contrat et, par là même, ceux de la politique que j'entends
mener, pourraient être résumés en deux mots : équilibre et ouverture.
Je suis convaincu, en effet, que les interventions publiques dans le secteur
de l'agriculture ne seront pérennes que pour autant qu'elles permettront de
faire prévaloir l'idée que l'agriculture doit contribuer à une occupation
équilibrée de l'ensemble du territoire national.
M. René-Pierre Signé.
Absolument !
M. Aubert Garcia.
Très bien !
M. Louis Le Pensec,
ministre de l'agriculture et de la pêche.
Les agriculteurs sont
considérés par nos concitoyens comme les dépositaires d'un patrimoine commun ;
je veux parler des 80 % du territoire national qui sont occupés par des terres
agricoles et des forêts. Les progrès de l'agriculture se sont accompagnés de
déséquilibres territoriaux importants - surexploitation de l'espace dans
certaines zones, désertification dans d'autres - auxquels il nous faut
remédier. L'occupation équilibrée du territoire est l'un des objectifs
essentiels que j'attends assigner à la loi d'orientation agricole.
Mais cette idée d'équilibre doit également prévaloir dans la répartition des
aides publiques entre les agriculteurs. L'inégale répartition des soutiens
publics est aujourd'hui l'objet de critiques aussi bien de la part de la
majorité des agriculteurs que d'une partie significative des citoyens non
agriculteurs, qui ne comprennent pas les règles actuelles de répartition et
leur inéquité.
Il faut également mettre un terme à la croissance parfois déraisonnable de la
taille des exploitations agricoles.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes.)
Les outils réglementaires et législatifs dont disposent les pouvoirs
publics français ne leur permettent pas de s'opposer à ces phénomènes. Conçus
pour contrôler les individus, ils sont inopérants pour agir lorsque l'essentiel
des agrandissements d'exploitations se font sous forme sociétaire. La loi devra
donc être également modifiée sur ce point.
J'attacherai un intérêt tout particulier à ce que les rapports de forces au
sein des filières agro-alimentaires entre l'amont et l'aval, et entre les
agriculteurs, les industries et la distribution, soient organisés de façon à
permettre à chacun de faire entendre sa voix et de défendre ses intérêts.
La seconde idée est celle de l'ouverture du monde agricole. Elle doit se
traduire par la volonté de faire venir au métier d'agriculteur des jeunes qui
ne sont pas issus du milieu agricole. J'aurai l'occasion, en détaillant devant
vous mon budget, de reprendre cette idée et de vous présenter les outils que je
souhaite mettre en oeuvre à cette fin.
Ouvrir le monde agricole, c'est aussi favoriser la diversité des modes de
développement et de mise en valeur des exploitations agricoles, ne plus les
soumettre toutes à un chemin de conduite des exploitations présenté comme
idéal. Cela veut donc dire mieux respecter l'adéquation entre les modes de mise
en valeur des terres agricoles et le milieu dans lequel ils se développent.
Je souhaite également que les institutions qui gèrent le monde agricole, je
veux parler des nombreux organismes qui assurent la participation des
agriculteurs aux prises de décisions qui les concernent, s'ouvrent également à
la présence ou à la représentation des autres secteurs de la société civile.
Cela me paraît indispensable à la réalisation du consensus social sur le
développement à venir de l'agriculture.
Il nous faut également renforcer les liens entre l'agriculture, les
exploitations agricoles, la formation et la recherche, qui sont, pour
l'agriculture, les éléments de sa compétitivité de demain.
Je n'aurai garde enfin d'oublier le développement de la présence de nos
produits agricoles sur les marchés extérieurs à l'Union européenne. Les outils
de la promotion de cette présence feront l'objet d'un examen particulièrement
attentif dans le cadre du projet de loi d'orientation.
Telles sont les grandes orientations autour desquelles je souhaite bâtir le
projet de loi d'orientation agricole et que je souhaite également défendre dans
le cadre des négociations communautaires sur la réforme de la politique
agricole commune dont je vais vous entretenir maintenant.
Ainsi, une nouvelle fois, ce dossier revient devant les ministres de
l'agriculture de l'Union européenne. Il n'a pas été clos par la réforme
intervenue en 1992. Celle-ci a permis de restaurer temporairement la situation
des principaux marchés agricoles, en particulier ceux des céréales et de la
viande bovine, mais cette amélioration ne peut pas être considérée comme
définitive. Une nouvelle réforme de la politique agricole commune s'impose donc
pour des raisons à la fois internes et externes par rapport à cette politique
communautaire.
Au titre des raisons internes qui justifient la reprise des débats sur ce
sujet, je citerai des perspectives de marché peu encourageantes à échéance de
trois ou quatre ans, notamment en ce qui concerne la viande bovine et, on peut
le craindre aussi, les céréales.
Ce n'est cependant pas la seule raison qui doit nous inciter à améliorer les
règles communautaires prévalant pour l'agriculture. J'ai cité l'inégale
répartition des aides entre les agriculteurs et entre les différents secteurs
de production. On ne peut pas vivre durablement avec de tels déséquilibres.
A ces raisons internes s'ajoutent les raisons externes de réformer la
politique agricole commune. Je veux parler, en premier lieu, de l'élargissement
futur de l'Union européenne à un certain nombre d'Etats d'Europe centrale et
orientale.
Les chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union européenne prendront en ce
domaine des décisions dès le mois de décembre prochain. Cinq pays d'Europe
centrale et orientale entreront vraisemblement à échéance rapprochée dans
l'Union européenne. L'agriculture occupe une place majeure dans l'économie de
ces pays. Il n'est pas envisageable d'intégrer ces nouveaux membres sans que
des adaptations importantes de notre politique à quinze interviennent.
(Marques d'approbation sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées
du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Est également, en perspective, vous le savez, l'ouverture d'un nouveau
cycle de négociations dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce.
Gageons qu'il ne sera pas sans conséquences sur la politique agricole
communautaire.
Tout cela explique que la Commission ait présenté, en même temps que ses
perspectives d'élargissement de l'Union européenne et d'évolution du cadre
financier de la Communauté, une réforme de la politique agricole commune.
Je ne conteste pas la nécessité de cette réforme, mais cela ne veut pas dire
que j'accepte la réforme proposée par la Commission.
S'il faut réformer la politique agricole commune, c'est à mes yeux pour en
affirmer la pérennité et non pour la démanteler. S'il faut réformer la
politique agricole commune, c'est pour affirmer le droit de l'Europe à avoir sa
propre politique agricole. S'il faut réformer la politique agricole commune,
c'est pour affirmer un modèle de développement original de l'agriculture
européenne dans le monde, ce que l'on a coutume d'appeler « l'identité de
l'agriculture européenne ».
Pour ce faire, ainsi que je l'ai indiqué à mes collègues européens lors du
récent conseil des ministres de l'agriculture, le 20 octobre dernier, il est
nécessaire que deux conditions préalables soient réunies.
D'abord l'Europe doit défendre son modèle de développement agricole dans les
instances internationales. Elle doit exiger de l'Organisation mondiale du
commerce la prise en compte des attentes des consommateurs et de la société
ainsi que le respect de l'acquis communautaire sur le marché européen en
matière de sécurité alimentaire.
M. Bernard Piras.
Très bien !
M. Louis Le Pensec,
ministre de l'agriculture et de la pêche.
Elle doit non pas subir
passivement son environnement international, mais au contraire faire en sorte
que la préférence communautaire soit maintenue.
M. Christian Poncelet.
Très bien !
M. Louis Le Pensec,
ministre de l'agriculture et de la pêche.
Le financement de la politique
agricole commune doit en outre être assuré. Pour cela, la ligne directrice
agricole et son mode de calcul doivent être préservés. De ce point de vue, le
projet qui est actuellement sur la table des négociations ne me convient pas.
Présenter la baisse des prix intérieurs, compensée par des aides directes aux
agriculteurs, comme la solution à tous les problèmes de l'agriculture
européenne ne me semble pas approprié.
M. René-Pierre Signé.
Non, en effet !
M. Louis Le Pensec,
ministre de l'agriculture et de la pêche.
Les différents secteurs de
production ne sont pas dans la même situation. On ne peut pas traiter de la
même façon la production de blé - l'écart entre les prix communautaires et les
prix mondiaux est aujourd'hui assez limité pour qu'on ait vu, en 1996, la
Commission taxer nos exportations de blé - et la production de lait et de
viande bovine, pour laquelle les écarts avec les prix mondiaux sont
considérables.
M. René-Pierre Signé.
Le troupeau allaitant !
(Sourires.)
M. Louis Le Pensec,
ministre de l'agriculture et de la pêche.
Des solutions adaptées doivent
donc être trouvées pour chacun des secteurs de production.
Je veillerai attentivement à préserver les intérêts de nos producteurs de
viande bovine. Ceux-ci paraissent, en effet, tout particulièrement menacés par
le projet soumis à la négociation des ministres. Les baisses de prix prévues
sont considérables ; le mécanisme de soutien du marché de la viande bovine
serait démantelé et les compensations prévues sont très insuffisantes, en
particulier pour les éleveurs de vaches allaitantes, qui sont tellement
importants pour l'occupation du territoire national.
MM. René-Pierre Signé et William Chervy.
Très bien !
M. Louis Le Pensec,
ministre de l'agriculture et de la pêche.
Dans le même ordre d'idée, je
ne suis pas favorable à l'instauration d'un mécanisme de baisse de prix
compensée pour la production laitière. Cette proposition me paraît coûteuse et
pas du tout adaptée pour répondre aux questions que ce secteur de production
doit résoudre.
Je veillerai également à ce que la réforme de la politique agricole commune
préserve la production oléagineuse nationale et communautaire, ce qui ne me
semble pas encore assuré à ce stade.
Disant cela, j'ai identifié les principaux points d'achoppement sur lesquels
je défendrai fermement nos conceptions à Bruxelles dans les semaines et les
mois qui viennent. Cependant, au-delà du fonctionnement des organisations
communes de marché, le débat sur la réforme de la politique agricole commune
doit aussi être l'occasion de fixer des règles communautaires quant au
plafonnement des aides aux agriculteurs, ce qui est proposé par la Commission,
et quant à la modulation du versement de ces aides en fonction d'un certain
nombre de critères correspondant aux objectifs de politique agricole que j'ai
rappelés dans la première partie de mon intervention. Il y a là également un
enjeu essentiel des négociations communautaires à venir.
Bien évidemment, vos interventions me donneront l'occasion de répondre aux
multiples questions qui pourront m'être posées sur la réforme de la politique
agricole commune, mais, s'agissant d'un débat pré-budgétaire, je ne saurais
omettre un autre domaine que nous avons évoqué en débutant cette séance, je
veux parler de la pêche.
Votre assemblée vient d'adopter définitivement la loi d'orientation sur la
pêche maritime et les cultures marines, qui a recueilli l'accord de tous les
groupes à l'Assemblée nationale comme au Sénat. J'ai eu l'occasion, lors de la
troisième lecture de ce texte, de présenter ma politique dans le domaine de la
pêche. Je n'en dirai donc que quelques mots.
Je considère qu'il nous faut répondre au besoin de consolidation des filières
de la pêche par une politique déterminée, constante et inventive de
valorisation des produits.
Les conditions en sont connues : une meilleure prévision des apports, une
modernisation du mareyage, le renforcement du rôle des organisations de
producteurs, le développement des accords entre les partenaires de la filière,
enfin, le souci de la qualité et de la traçabilité du produit.
Cette volonté, cette politique, trouve sa traduction dans les moyens qui
seront affectés au fonds d'intervention et d'organisation des marchés,
transformé par la loi d'orientation en office des produits de la pêche et de
l'aquaculture.
La pêche française est fortement dépendante du contexte international,
particulièrement de l'Union européenne. Les deux tiers de nos ressources de
pêche hauturière proviennent des eaux communautaires. Les zones de pêche
thonière océanique dépendent des accords conclus entre la Commission et les
pays tiers.
En majorité, les conditions d'accès à la ressource sont établies dans le cadre
communautaire, qu'il s'agisse de maîtriser l'effort de pêche pour éviter la
surexploitation ou de réglementer les engins de pêche pour protéger les
juvéniles. De ce point de vue, l'accord intervenu à Luxembourg jeudi dernier,
qui a recueilli l'adhésion unanime des ministres des Quinze, marque une avancée
de l'Europe dans la gestion durable de la ressource. Cela méritait d'être
souligné.
Mesdames, messsieurs les sénateurs, le budget du ministère de l'agriculture et
de la pêche, que j'aurai l'occasion de vous présenter dans les prochaines
semaines, sera une première traduction de ces orientations. La discussion sur
la réforme de la PAC est en cours et la loi d'orientation sera déposée au
Parlement au cours du premier semestre de 1998. Il se dessinera là le cadre de
la nouvelle politique de l'agriculture que nous souhaitons.
Le budget du ministère de l'agriculture et de la pêche n'a pas été conçu comme
un budget de rupture. Il marque des évolutions importantes, il indique des
directions, il anticipe des changements inéluctables, mais c'est bien en
fonction du vote du Parlement sur la loi d'orientation et des débats que nous
aurons ensemble autour de la réforme de la politique agricole commune que nous
pourrons donner tout son sens et toute son ampleur à cette nouvelle politique.
Les priorités que j'ai retenues amorcent néanmoins les évolutions
nécessaires.
Le projet de budget présente des crédits en augmentation de 1,22 % par rapport
à 1997, marquant ainsi un très sensible progrès par rapport au mouvement de
réduction des crédits constaté depuis quelques années.
J'ai retenu quatre priorités que je présenterai succinctement.
La première priorité, c'est l'installation des jeunes en agriculture.
J'en ai fait un élément essentiel de mon budget pour 1998 en y affectant près
de un milliard de francs, car je considère que la mise en place de moyens
adaptés à l'évolution du monde rural est bien le gage du maintien du rôle de
l'agriculture dans la société.
Je reviendrai, selon les questions que vous ne manquerez pas de poser, sur les
instruments de cette politique à l'attention des jeunes, notamment sur le
nouveau fonds d'installation en agriculture.
Qu'il me soit toutefois permis d'indiquer que, selon moi, les dispositifs
d'aide tels que les dotations jeunes agriculteurs et les OGAF - opérations
groupées d'aménagement foncier - ont fait leurs preuves. Il faut toutefois les
réorienter afin de donner à un maximum de jeunes, issus ou non du milieur
rural, la possibilité de s'installer. C'est pourquoi les crédits consacrés aux
stages à l'installation se trouvent augmentés de près de 30 %.
L'enseignement et la formation constituent la deuxième priorité.
Il est nécessaire de prendre en compte l'obligation nationale de la priorité à
l'éducation.
Nous disposons d'un système de formation remarquable, dont les résultats
méritent d'être salués et soutenus.
M. Henri de Raincourt.
C'est vrai !
M. Louis Le Pensec,
ministre de l'agriculture et de la pêche.
J'entends, là aussi, me tourner
vers l'avenir. L'enseignement et la formation professionnelle agricoles ainsi
que l'enseignement supérieur agronomique et vétérinaire nous sont enviés en
raison tant de la qualité du contenu pédagogique que des performances obtenues
en matière d'insertion professionnelle.
La deuxième priorité se traduit par 150 créations d'emplois et par un
mouvement significatif de résorption de la précarité.
L'enseignement supérieur fait aussi l'objet, en 1998, de mesures très
favorables, en faveur notamment des troisièmes cycles et des bourses à
l'étranger.
La création du fonds social lycéen répond par ailleurs aux besoins des
familles défavorisées. La première étape en a été mise en place dès la rentrée
dernière.
Les crédits de l'enseignement privé augmentent également de 8 % afin de
respecter la loi de 1984.
Troisième priorité : la sécurité et la qualité de l'alimentation, pour
lesquelles les crédits augmentent de 14 %.
Enjeu de santé publique, la sécurité alimentaire est aussi une question de
société extrêmement importante. Ce sujet a été au coeur des préoccupations du
monde agricole et industriel de la filière alimentaire. Aujourd'hui, il devient
plus prégnant, et nous devons nous attacher à défendre tant la qualité de nos
produits que la sécurité des consommateurs.
Votre Haute Assemblée partage pleinement cette préoccupation, en débattant,
avec l'accord du Gouvernement, de la proposition de loi sénatoriale déposée par
MM. Huriet et Descours.
Dans l'attente de la création effective de l'Agence de sécurité sanitaire des
aliments, le projet de budget pour 1998 se donne également les moyens de
répondre à ces préoccupations.
J'ai souhaité disposer de moyens de contrôle renforcés grâce à une
augmentation forte de 21,3 % des crédits consacrés aux contrôles sanitaires des
produits alimentaires, à la santé animale et à l'hygiène des aliments par
rapport à 1997. La protection sanitaire des végétaux, les analyses vétérinaires
et phytosanitaires ainsi que le fonctionnement des postes d'inspection
frontaliers et de la brigade d'intervention bénéficient de crédits en forte
hausse. Il en est de même pour ceux du Centre national d'études vétérinaires et
alimentaires, le CNEVA, et de l'Institut national des appellations d'origine,
l'INAO.
La quatrième priorité de mon projet de budget pour 1998 est l'amélioration des
retraites agricoles.
Nombreux ont été les élus, en particulier au Sénat, qui ont relevé le niveau
insuffisant des retraites agricoles. J'y ai été, moi aussi très sensible et
c'est pourquoi, dès mon arrivée au ministère, j'ai fait procéder à un bilan de
la situation des retraites des exploitants agricoles.
Il est apparu de manière nette que certaines catégories de retraités étaient
les oubliés des mesures précédentes.
M. Henri de Raincourt.
C'est incontestable !
M. Louis Le Pensec,
ministre de l'agriculture et de la pêche.
J'ai souhaité que l'effort soit
d'abord porté sur ces retraités, c'est-à-dire les anciens aides familiaux, les
conjoints d'exploitants et ceux d'entre eux ayant accompli une carrière mixte,
afin de ne pas pénaliser les agricultrices qui ont repris pendant quelques
années la conduite de l'exploitation au moment du départ en retraite de leur
conjoint.
Le coût de la mesure est de 1 milliard de francs en année pleine. L'incidence
sur le budget de 1998, en termes de dépenses, est de 760 millions de francs,
mais, compte tenu des économies mécaniques sur le fonds de solidarité, cela
correspondra à un coût net de 680 millions de francs.
Il s'agit là d'une première étape de revalorisation des retraites les plus
faibles. Elle me permettra, pendant la législature, d'engager un effort pour
porter la retraite des agriculteurs à un niveau plus convenable, au niveau
qu'ils méritent.
Voilà donc, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, les
traits dominants de ce budget de 1998. Ils s'inscrivent dans un ensemble plus
vaste de négociations européennes et d'élaboration d'un projet d'orientation
qui doit concourir à renforcer la place et le rôle des agriculteurs comme des
pêcheurs dans la communauté nationale.
Nous devons nous efforcer, dans le cadre changeant de l'Europe agricole et de
la réforme de la PAC, d'une part, de l'Europe bleue, d'autre part, d'anticiper
sur les évolutions et, pour cela, de continuer à dire fortement à Bruxelles
notre projet pour l'agriculture et la pêche.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen, et sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des affaires économiques.
M. Jean François-Poncet,
président de la commission des affaires économiques et du Plan.
Monsieur
le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en organisant ces
débats prébudgétaires, le Sénat a entendu situer les propositions du
Gouvernement dans leur environnement économique, politique et international, un
environnement en dehors duquel il est, il faut bien le dire, à peu près
impossible d'apprécier la portée et la pertinence des propositions qui nous
sont faites.
Or, monsieur le ministre, s'agissant de l'agriculture, ce contexte est
particulièrement préoccupant.
Trois échéances majeures et concomitantes pèsent en effet lourdement sur
l'avenir de l'agriculture européenne, et donc sur l'avenir de l'agriculture
française, qui écoule dans la Communauté - ne l'oublions jamais - 20 % de sa
production.
Première échéance : la reprise des négociations commerciales internationales
dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce, où l'Europe se trouvera,
hélas ! une fois encore, au banc des accusés.
Deuxième échéance : l'élargissement de l'Union européenne vers l'Europe
centrale et orientale, dont le potentiel agricole, s'il est faible aujourd'hui,
est appelé à croître de façon considérable demain.
M. Charles Revet.
C'est une certitude !
M. Jean François-Poncet,
président de la commission des affaires économiques et du Plan.
Troisième
échéance : la nouvelle donne financière dans la Communauté, qui arrêtera, à
l'horizon de la fin du siècle, le montant des ressources dont la politique
agricole commune pourra disposer dans les premières années du xxie siècle.
Chacune de ces échéances, séparément, menace la politique agricole commune.
Ensemble, elles pourraient, si nous n'y prenons garde, l'emporter tout entière
et, avec elle, notre propre agriculture.
La Commission européenne l'a bien compris, d'où le volet agricole de l'Agenda
2000 qu'elle a soumis, en juillet dernier, aux Etats membres.
Mais, monsieur le ministre, ce que Bruxelles nous propose ressemble fort à un
tremblement de terre.
Nous voilà, en tout cas, quelques années à peine après la dernière réforme de
la PAC, repartis pour un exercice qui met l'agriculture française en émoi et
qui risque de remettre en cause les bases sur lesquelles la PAC est construite,
un risque qui serait d'autant plus grave que nous nous résignerions à une
double passivité : celle de la Commission face aux Etats-Unis dont elle paraît
accepter par avance tout les diktats ; celle de la France par rapport à la
Commission si nous nous contentions - vous nous avez dit que tel ne serait pas
le cas - de rectifier ponctuellement les propositions de celle-ci plutôt que de
lui opposer un modèle alternatif et cohérent. Nous avons su, dans le passé,
jouer ce rôle avec succès et j'évoque ici, entre autres, un souvenir personnel,
celui de la conférence de Stresa, au cours de laquelle la France a façonné la
politique agricole européenne.
Le schéma soumis par Bruxelles dans le cadre de l'Agenda 2000 n'est certes pas
définitif mais il traduit, mes chers collègues, un alignement anticipé et,
m'a-t-il semblé, presque servile sur les positions de Washington que l'on ne
connaît d'ailleurs pas encore mais que l'on croit pouvoir déduire du dernier
virage de la politique agricole américaine, celui qu'elle a pris l'an passé
avec le
Fair Act.
Les conséquences de cette attitude sont évidemment très sérieuses.
La Commission renonce - vous nous l'avez vous-même confirmé, monsieur le
ministre - à aborder la future négociation à partir d'un modèle communautaire
qui prendrait en compte les réalités agricoles et les aspirations de notre
continent en matière d'occupation de l'espace, en matière d'emploi agricole et
d'autonomie alimentaire. Elle ne retient comme fil conducteur que l'ouverture
des frontières et l'adaptation de l'agriculture européenne au marché mondial.
Elle n'envisage, pour réaliser cette adaptation, qu'un seul instrument : la
baisse systématique de tous les prix.
Cette stratégie sommaire, même si elle correspond à certains de nos objectifs
- en particulier, à la vocation exportatrice de notre céréaliculture - tourne
le dos pour l'essentiel à notre conception d'une agriculture enracinée dans la
diversité historique de ses terroirs et de ses savoir-faire ainsi qu'à notre
volonté de préserver une ruralité qui n'a jamais vraiment existé aux
Etats-Unis.
En se situant ainsi d'emblée sur le terrain de l'adversaire, l'Europe
choisirait-elle du moins une stratégie de négociation efficace. C'est ce que
l'on entend dire à Bruxelles. Personnellement, j'en doute.
J'en doute parce que la Communauté s'engagerait dans une négociation où, ayant
commencé à lâcher sur l'essentiel, elle serait peu à peu acculée à céder ce qui
lui resterait de plumes et achèverait ainsi de priver l'Europe des garde-fous
dont une agriculture à dimension humaine a, sous tous les climats - je dis bien
: « sous tous les climats » - un impératif besoin.
Quant à la France, elle risquerait, en suivant la Commission, d'avoir à payer
deux fois : une première fois, à Bruxelles, dans la définition du mandat de
négociation qui sera donné à la Commission, et une seconde fois, à Genève, pour
aboutir, à partir de ce mandat, à un accord avec les Etats-Unis.
Je n'ai pas le temps de développer ici les inquiétudes que suscitent, dans de
très nombreux secteurs, les propositions de la Commission. Il me suffit
d'indiquer que ces inquiétudes - je viens de le vérifier moi-même sur le
terrain - concernent en particulier les oléoprotéagineux, qui paraissent
sacrifiés bien que chacun s'accorde à constater l'existence d'un déficit
protéique majeur en Europe,...
M. Charles Revet.
Très important !
M. Jean François-Poncet,
président de la commission des affaires économiques et du Plan.
... la
viande bovine, vous l'avez vous-même rappelé, le secteur laitier, le troupeau
allaitant, ainsi que - vous ne l'avez pas mentionné, monsieur le ministre,
c'est pourquoi je me permets de le faire - l'absence de toute référence aux
fruits et légumes...
M. Charles Revet.
Eh oui !
M. Jean François-Poncet,
président de la commission des affaires économiques et du Plan.
... et,
plus généralement, à l'agriculture méditerranéenne dans les propositions de la
commission.
Je me permets sur ce point de formuler l'observation suivante : si les fruits
et les légumes ont été, dans la politique agricole européenne initiale,
laissés, pour l'essentiel, de côté jusqu'à la création de l'OMC « fruits et
légumes » de l'année dernière, c'est parce qu'il ne pouvait pas y avoir, pour
cette catégorie de produits, une organisation du marché fondée sur le stockage.
A partir du moment où Bruxelles part de l'idée qu'il y a découplage entre
production et marchés, d'un côté, et aides, de l'autre, je n'arrive pas à
comprendre pourquoi il n'y aurait pas, par hectare de fruits et légumes, des
aides forfaitaires comme on en envisage pour d'autres secteurs de
l'agriculture.
Attendez-vous en tout cas, monsieur le ministre, à ce que, sur ce point, ceux
qui s'intéressent à ces productions soient vigilants et demandent à savoir
comment les choses se passeront à Bruxelles et à l'OMC.
Face à la situation créée, il serait regrettable que la France se contente de
réactions ponctuelles, concernant tel ou tel aspect particulier du dossier.
C'est une reconstruction d'ensemble des propositions de la Commission que nous
attendons de vous, monsieur le ministre.
Soyons ambitieux. Soyons cohérents. Sachons opposer à la logique sommairement
libre-échangiste qui nous est proposée un modèle agricole qui, sans refuser le
changement ni céder à la tentation du repli, soit conforme aux aspirations de
notre agriculture et à la fonction stabilisatrice que nous souhaitons lui voir
jouer dans la société française de demain.
La loi d'orientation est appelée à tenir, dans cette perspective, un rôle de
premier plan. Nous eussions préféré, monsieur le ministre, que le projet mis au
point par votre prédécesseur pût être soumis sans retard au Parlement, et n'y
voyez pas Dieu sait quelle préférence partisane !
En remettant le projet sur le métier, vous courez en effet le risque d'arriver
tout à la fois trop tard pour influer sur les propositions de la Commission et
trop tôt pour en tenir compte.
Je ne prendrai qu'un exemple que vous avez vous-même mentionné à juste titre :
la politique des structures, qui est appelée à constituer l'un des points forts
du texte que vous êtes en train de préparer. Or, la politique des structures
que nous choisirons devra tenir compte du type d'agriculture vers lequel nous
nous dirigerons. Mais ce modèle dépend avant tout des orientations qui seront
choisies à Bruxelles et à Genève.
Si c'est la vision de la Commission alignée sur celle des Etats-Unis qui
prévaut, nous irons, que nous le voulions ou non, vers une agriculture de
marché mondial. Dès lors, la politique des structures devrait, en bonne
logique, ne pas freiner le développement des grandes exploitations, qui seront
en mesure de s'affirmer sur le marché mondial.
Si, au contraire, l'exploitation familiale demeure, comme je le souhaite,
notre modèle, il faudra que la politique agricole commune, avec l'aval de
l'OMC, lui crée un environnement à sa mesure.
MM. Charles Revet et Roland du Luart.
Très bien !
M. Jean François-Poncet,
président de la commission des affaires économiques et du Plan.
Sinon,
cela n'aurait aucun sens ; la politique des structures ne se définit pas dans
l'abstrait.
J'en viens, monsieur le ministre, au document préparatoire à la loi
d'orientation qui nous a été communiqué au mois de septembre dernier. Il m'a
semblé - si je me suis trompé dans mon interprétation, vous ne manquerez pas de
me le dire - que ce document était construit sur l'hypothèse selon laquelle il
y aurait en France deux agricultures, l'une compétitive, adonnée à la
production de masse, capable d'affronter le marché mondial, dépourvue de
vocation territoriale et relevant de la juridiction européenne, l'autre axée
sur la qualité, moins productive, souffrant de handicaps naturels, fragile et
bénéficiant prioritairement des aides nationales.
Monsieur le ministre, cette distinction me laisse perplexe. Si, à bien des
égards, elle est conforme à une certaine réalité, d'un autre côté, elle est
simplificatrice. Très nombreuses en effet sont les régions et les exploitations
intermédiaires. Une telle distinction pourrait même se révéler dangereuse. En
effet, si l'on réservait dans une large mesure le bénéfice du traitement
communautaire aux exploitations qui relèvent de la logique du marché, c'est
vers elles qu'irait de plus en plus l'essentiel des crédits européens et non
pas vers les exploitations les plus fragiles, qui seraient progressivement
renvoyées à des aides nationales, c'est-à-dire, hélas ! à la portion
congrue.
M. Charles Revet.
Il n'y a plus de sous !
M. Jean François-Poncet,
président de la commission des affaires économiques et du Plan.
Monsieur
le ministre, gardons-nous d'avoir d'un côté la politique agricole commune pour
les grandes productions, qui négligerait la dimension territoriale, et, de
l'autre, une politique nationale qui miserait pour l'essentiel sur les
appellations d'origine contrôlée.
Monsieur le ministre, je ferai un dernier commentaire de « sudiste », que je
suis. Les régions agricoles fragiles sont souvent les plus méridionales. Leur
survie dépend de l'irrigation, dans le développement de laquelle les
collectivités territoriales ont investi depuis trente ans des sommes
considérables. Or, vous venez de pénaliser les cultures irriguées - je ne vous
surpendrai pas en vous le disant - dans la répartition des crédits européens,
sous prétexte d'équité. Etrange équité, excusez-moi de vous le dire, qui
privilégie les forts au détriment des faibles, le nord au détriment du sud, et
qui donne par avance raison aux eurocrates bruxellois qui, depuis longtemps,
n'ont d'autre préoccupation que de juguler l'irrigation.
J'évoquerai très rapidement, pour conclure, vos priorités budgétaires. Telles
que vous venez d'ailleurs de nous les présenter, monsieur le ministre, elles
recueillent, je crois qu'on peut le dire, un quasi-consensus : l'installation,
l'enseignement agricole, la sécurité et la qualité des produits alimentaires
sont des orientations sur lesquelles, depuis deux ans, est construite la
politique agricole de la France.
Vous avez mentionné votre quatrième priorité : les retraites. Comment ne
serions-nous pas, nous aussi, d'accord avec cette priorité ? Je rappelle en
outre que vos prédécesseurs lui ont consacré, de 1994 à 1997, plus de un
milliard de francs en moyenne par an, qui préparent les 500 millions de francs
que vous avez vous-mêmes inscrits dans votre projet de budget.
Monsieur le ministre, les trois années qui nous séparent encore de la fin du
siècle seront décisives pour l'avenir de notre agriculture. Laissez-moi vous
dire que le Sénat suivra avec autant de vigilance que d'espérance les
orientations et les mesures que vous prendrez pour relever les difficiles défis
qui nous attendent.
(Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes
économiques de la nation.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, je
souhaiterais tout d'abord remercier M. le ministre de l'agriculture et de la
pêche d'avoir accepté la tenue de ce débat, que nous qualifions de
prébudgétaire, sur les perspectives de notre agriculture.
Ce débat se situe, chacun le sait bien dans cet hémicycle, dans la continuité
de la procédure que nous avions mise en place l'an dernier, et nous pouvons
nous en faciliter. Il permet au Sénat, en temps opportun, d'alerter le
Gouvernement sur un certain nombre de préoccupations et de présenter des
suggestions. Réciproquement, il fournit l'occasion au ministre de l'agriculture
de dresser un bilan détaillé de la politique qu'il entend conduire.
De plus, un tel débat permet de préparer avec efficacité le grand débat
d'orientation que nous devons organiser - je pense que le principe en sera
maintenu - au printemps prochain sur la politique économique et sociale de
notre pays.
Je souhaite engager mon intervention par une brève analyse de la situation de
l'élevage bovin.
Les perspectives retenues par l'Agenda 2000 sont, à l'évidence,
particulièrement préoccupantes pour l'élevage bovin-viande et pour les zones de
culture extensive.
Le ministre doit pouvoir compter sur notre appui - mais oui ! pourquoi pas ? -
pour refuser cette orientation communautaire lors des réunions auxquelles il
participera.
J'insiste sur ce point parce que l'on constate, dans le pays, une nette
opposition envers l'orientation qui a été prise. Je suis persuadé que M. le
ministre s'efforcera d'apaiser nos inquiétudes. Il vient d'ailleurs de nous
donner quelques apaisements, seulement des apaisements ! Mais il faut
persévérer.
M. Charles Revet.
Il ne faut pas seulement le dire !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Effectivement ! Il faut
également agir ! Mais nous n'allons pas douter, du moins pour l'instant, de
l'efficacité de la démarche de M. le ministre.
(M. Revet fait un signe d'approbation.)
Par ailleurs, trois remarques d'importance inégale me paraissent devoir
être faites.
Tout d'abord, les crédits affectés à la sélection génétique ont enregistré une
baisse tendantielle depuis plusieurs années, baisse qui a été dénoncée sur la
plupart des travées de la Haute Assemblée, aussi bien par l'opposition que par
la majorité d'hier, et inversement aujourd'hui.
Cette diminution a certes été mise à profit - il faut le reconnaître - pour
dénoncer les structures en place. Mais, à présent, elle doit impérativement
être enrayée, sinon, selon les intéressés, nous courrons le risque de remettre
en cause les brillants succès que connaissent les organismes concernés, succès
dont nous nous sommes félicités à juste titre.
Par ailleurs - le montagnard que je suis ne peut pas ne pas évoquer ce
problème - je constate que se sont formées des files d'attente pour les aides
au bâtiment en zone de montagne alors que les crédits du chapitre concerné ne
sont consommés qu'à peine à moitié en raison des lenteurs du programme de
maîtrise des pollutions. Les crédits sont là, monsieur le ministre ! Dans ces
conditions, ne serait-il pas possible d'améliorer la fongibilité des dotations
entre ces deux actions plutôt que de thésauriser des crédits dont on en a tant
besoin par ailleurs ?
Enfin, je constate, pour le déplorer, que des menaces pèsent en permanence sur
certains fromages de haute qualité de notre pays, qui pourraient être victimes
de je ne sais quelle institution internationale ! Comme moi, monsieur le
ministre, vous en avez lu quelques échos dans la presse spécialisée.
Pouvez-vous, nous apporter des éclaircissements sur ces trois dossiers ?
Disons-le clairement, nous pouvons être fiers de la qualité sanitaire de nos
produits agricoles. Ainsi, les Etats-Unis, qui sont de grands donneurs de
leçons, même dans le domaine agricole, enregistrent chaque année - je le
regrette fortement - près de 9 000 décès par empoisonnement alimentaire, alors
que, en France, nous ne connaissons qu'une poignée de cas par an, c'est fort
heureux, mais c'est encore trop, j'en conviens.
Je compte donc sur vous, monsieur le ministre, tant pour être l'ambassadeur de
nos produits de qualité auprès de vos homologues étrangers que pour
perfectionner et faire appliquer la législation en vigueur.
Je voudrais maintenant dire quelques mots de la forêt. Le représentant du
troisième département forestier de France ne peut pas ne pas traiter de cette
question à l'occasion d'un débat agricole.
En raison de la grande diversité de vos fonctions, monsieur le ministre, vous
n'avez pas encore été très explicite sur vos orientations sur ce sujet.
Le projet de budget pour 1998 que nous examinons actuellement en commission
semble d'ailleurs - et je le regrette - s'en ressentir quelque peu.
Je me permettrai donc de vous poser quelques questions très précises
aujourd'hui, et j'attendrai l'examen du volet forestier de la loi d'orientation
agricole pour aborder les problèmes de fond.
Monsieur le ministre, quelle suite entendez-vous réserver à la revendication
des scieurs tendant à abaisser la taxe spécifique de 1,2 % à 1 % ?
Avez-vous progressé dans votre réflexion visant à assurer un financement
beaucoup plus stable plutôt qu'un financement quelque peu hésitant du Fonds
forestier national, dont par ailleurs nous avons bien besoin ?
Estimez-vous qu'il soit judicieux d'étendre les possibilités offertes à
l'Office national des forêts, l'ONF, de vendre des bois selon des modalités qui
sont parfois - pas toujours à juste titre, mais avec raison dans certains cas -
jugées discutables par les entrepreneurs privés ?
Le rapprochement du code forestier et du code de l'urbanisme permettra-t-il un
jour de commencer à régler le problème de l'enrésinement des fonds de vallée en
zone de montagne ?
M. René-Pierre Signé.
Absolument !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
C'est un sujet qui est évoqué
périodiquement, et je vous demande, monsieur le ministre, de prendre cette
question à bras-le-corps. Le Sénat vous apportera, bien sûr, sa contribution
pour trouver une réponse à l'envahissement de nos fonds de vallée par les
résineux.
M. René-Pierre Signé.
Il faut voir avec Mme Voynet !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Les mesures d'application de la
loi sur l'air visant à promouvoir l'utilisation du bois comme matériau de
construction seront-elles bientôt prises ?
Par ailleurs, comment entendez-vous promouvoir l'utilisation du bois dans les
chaufferies collectives pour profiter au mieux de la baisse de la TVA sur ce
produit, baisse que nous avons obtenue ici même au Sénat, non sans difficultés
d'ailleurs ?
Je souhaiterais enfin présenter quelques considérations sur l'aménagement du
territoire rural et, surtout, sur la vie rurale.
Je me permettrai tout d'abord d'attirer assez solennellement votre attention,
monsieur le ministre, sur la nécessité de régler certains problèmes devenus
irritants, qui concernent le droit de la chasse.
S'agissant plus particulièrement des dates de la chasse au gibier d'eau et des
compétences des fédérations départementales de chasseurs, comment entendez-vous
harmoniser réglementation et exigences légitimes des intéressés ?
Ne me dites pas que ces problèmes ne sont pas de votre ressort, monsieur le
ministre, je le sais bien, mais votre qualité éminente de premier défenseur de
la ruralité française doit vous conduire à mieux faire entendre, au sein du
Gouvernement, les aspirations légitimes de ces ruraux, bien sûr préoccupés par
la chasse, qui constitue pour eux une activité extrêmement importante.
N'oublions pas qu'il s'agit d'une raison du maintien de la vie en milieu
rural.
Je souhaiterais par ailleurs que la prochaine loi d'orientation agricole
s'attache avec courage à traiter deux problèmes qui préoccupent de longue date
la commission des finances, à savoir la complémentarité des interventions en
faveur de l'agriculture s'agissant des dotations communautaires, nationales et
mêmes locales, et la remise en ordre des multiples procédures qui concernent
l'aménagement rural.
En période de difficultés budgétaires, monsieur le ministre, chaque franc - je
dis bien chaque franc - doit être dépensé au mieux, c'est pourquoi les
rationalisations et les synergies s'imposent à chacun d'entre nous, quel que
soit notre niveau de responsabilité.
Bien sûr, il va sans dire que les élus locaux souhaitent apporter leur
contribution à cette remise en ordre des concours apportés à l'agriculture et
qu'ils doivent y être étroitement associés.
J'ajoute que cette remise en ordre est d'autant plus nécessaire que, dans
certains cas, on ne s'y retrouve plus.
La commission des finances, qui a procédé la semaine dernière à un premier
examen des crédits de votre ministère, attend avec beaucoup d'intérêt les
réponses que vous allez donner à ces deux dernières questions. La commission
souhaite en effet vivement que vous puissiez vous engager personnellement à
faire conduire très rapidement les études nécessaires pour parvenir à une plus
grande efficacité de la dépense publique, particulièrement des
cofinancements.
Monsieur le ministre, je vous dis à nouveau que nous vous apporterons notre
appui pour renégocier au mieux, dans l'intérêt supérieur du pays, la nouvelle
politique agricole commune.
Si nous voulons - vous y avez d'ailleurs fait allusion voilà un instant à
cette tribune - que des jeunes, du monde agricole ou de l'extérieur, continuent
à s'installer ou souhaitent le faire dans les mois et les années qui viennent,
il faut absolument réduire au maximum la période trop longue, bien trop longue,
d'incertitude qui s'est ouverte du fait des positions non prises par Bruxelles,
en raison de l'indécision de la France.
Quel avenir réserve-t-on aujourd'hui à un jeune agriculteur qui voudrait
s'installer ? Je pose la question, mais nous ne pouvons pas encore y
répondre.
La chute brutale des installations que nous avons constatée en 1992 et en 1993
doit être présente dans toutes les mémoires. Par ailleurs, chacun sait bien,
ici, que l'avenir de notre agriculture repose sur la qualité et le dynamisme de
la relève de ces jeunes qui doivent perpétuer les succès remarquables de leurs
anciens, de leurs aînés.
Tel est le voeu que je formule en conclusion de ce bref propos, sachant que
l'agriculture est et demeure l'un des meilleurs atouts pour l'avenir économique
de notre pays.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants, de l'Union centriste et sur certaines travées du RDSE.)
(M. Jean Faure remplace M. René Monory au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. JEAN FAURE
vice-président
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 58 minutes ;
Groupe socialiste, 49 minutes;
Groupe de l'Union centriste, 42 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 35 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 25 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 22 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe,
9 minutes.
Dans la suite du débat, la parole est à M. Piras.
M. Bernard Piras.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'aborderai
successivement dans mon propos la future loi d'orientation agricole, la réforme
de la PAC et le rééquilibrage des aides européennes aux céréales.
Je commencerai par la loi d'orientation agricole.
L'an passé, à cette même époque, j'avais évoqué ici même le projet de loi
d'orientation agricole que le gouvernement précédent envisageait de soumettre
au Parlement. En raison des événements politiques qui se sont produits, cette
loi n'a pas eu le temps de voir le jour, et c'est vous, monsieur le ministre,
qui présenterez à votre tour un nouveau projet.
J'avais alors totalement approuvé cette volonté de fixer les grands objectifs
vers lesquels notre agriculture devait tendre. En revanche, j'avais reproché la
procédure suivie par votre prédécesseur, qui, à mon sens, n'avait pas prévu une
concertation satisfaisante, et qui n'avait pas suffisamment associé le
Parlement.
Ce genre de loi mérite un large consensus et doit faire l'objet d'une adhésion
de l'ensemble des acteurs.
C'est pourquoi, monsieur le ministre, je me réjouis de votre volonté de
permettre un large débat avant l'adoption de cette future loi. Cette initiative
est une garantie supplémentaire de la représentativité du texte qui sera adopté
et de ses chances de succès.
Pour ce qui est du fond, un premier constat évident est à faire :
l'agriculture française a connu, depuis plus de trente ans, un tel
développement, une telle modernisation, qu'à ce jour elle est la première
puissance agricole européenne et l'une des toutes premières au monde. Sur ce
point, la réussite est donc incontestable, et les précédentes lois
d'orientation agricole datant des années soixante ont incontestablement atteint
les objectifs fixés.
Cependant, cette réussite ne doit pas masquer certaines difficultés qui
émergent actuellement. En fait, ces problèmes sont bien souvent inhérents à
l'évolution positive de notre agriculture, et en constituent sans doute une des
conséquences regrettables.
Le premier problème qui se pose est lié à la répartition des exploitations sur
le territoire. Un aménagement équilibré du territoire exige une multitude
d'exploitations, plutôt que la mise en place de très importantes structures. On
se rend tout de suite compte de la difficulté du problème, dans la mesure où
ces exploitations doivent être suffisamment grandes pour être viables.
A ce sujet, il est très important, comme cela l'a été par le passé, grâce à
des mesures incitatives telles que le dispositif prévu par les décrets du 27
février 1992 puis du 15 mars 1995, qui avaient pour objectif principal, pour le
premier, la restructuration des exploitations agricoles et, pour le second,
l'installation de jeunes agriculteurs, de faciliter et d'encourager
l'installation de ces derniers.
En pratique, malheureusement, on constate que, bien souvent, la bonne volonté
de ces jeunes se heurte à des oppositions tenaces. A ce titre, il apparaît
nécessaire de revoir le fonctionnement des commissions départementales
d'orientation agricole qui, pour des raisons politiques, peuvent émettre
parfois certains avis non conformes à la législation ou aux priorités d'intérêt
général fixées.
Le second problème porte sur certains risques sanitaires liés à
l'alimentation. Certaines crises récentes, telles que celle dite de « la vache
folle », ont mis en évidence qu'il était indispensable d'instaurer un suivi
strict des produits émanant de l'agriculture. Il me semble, à ce sujet, que la
création d'un ministère de l'alimentation serait peut-être opportune.
Enfin, le dernier dysfonctionnement actuel important de notre agriculture
porte sur l'inadéquation fréquente de l'offre et de la demande, et sur les
déséquilibres parfois très importants qui peuvent se créer. Ce sujet est
évidemment très épineux, car il nécessite bien souvent une anticipation sur
l'évolution des marchés. Par exemple, si la présence de retraits pour certaines
productions est une mesure conjoncturelle compréhensible, en revanche, faire de
ceux-ci un débouché permanent n'est pas admissible.
Je ne souhaite pas, ici, apporter des réponses à tous ces problèmes. Tout
d'abord, je n'en aurais pas le temps, mais surtout les solutions adoptées ne
peuvent qu'émerger du large débat qui va s'instaurer. Je voudrais simplement
mettre l'accent sur différents points qui me semblent cruciaux.
Trois termes me semblent importants.
D'abord, celui de statut : il est désormais temps de réfléchir à un véritable
statut de l'entreprise agricole, qu'elle soit individuelle ou sociétaire.
Ainsi, les conjoints d'agriculteurs doivent faire l'objet d'un statut qui
reconnaisse leur travail au sein de l'entreprise. De même, pour les chefs
d'exploitation, une clarification de leurs compétences doit être apportée.
Ensuite, celui d'installation : comme je l'ai souligné précédemment, si cet
objectif semble partagé par tous, dans les mentalités, bien souvent, un certain
conservatisme est constaté. En prévoyant des mesures d'ordre fiscal, juridique
ou social qui favorisent l'installation de jeunes venant du monde agricole ou
d'ailleurs, la future loi d'orientation agricole contribuera à la réussite de
cet objectif. De cette dernière dépendra une occupation plus rationnelle de
notre territoire.
Enfin, celui de diversité : compte tenu de la nécessaire répartition des
exploitations agricoles sur l'ensemble du territoire, il est évident qu'il
n'est pas possible de les traiter toutes de la même façon. Les diversités
géographique, climatique ou agronomique ne peuvent que conduire à une diversité
des productions. Celle-ci doit être vécue comme une richesse pour l'ensemble de
la société, et non comme un handicap pour les agriculteurs situés en zones
dites défavorisées. La nouvelle loi d'orientation doit prendre en compte cette
spécificité.
Un nouveau projet politique pour notre agriculture doit prendre en
considération et englober de nombreuses politiques appartenant à d'autres
secteurs : une politique des structures, une politique de l'aménagement du
territoire en général, le territoire rural en particulier, une politique de
protection sociale et de formation, une politique sanitaire, une politique
d'environnement, une politique industrielle et commerciale, une politique
internationale.
Ces différentes politiques peuvent être parfois contradictoires et conduire à
des arbitrages délicats, d'où l'intérêt de définir au préalable des
priorités.
Une loi d'orientation agricole est un ensemble de mesures techniques duquel il
est essentiel de laisser émerger un grand dessein qui doit conduire à une
gestion de l'espace plus cohérente, à une régulation des productions plus
efficace, à une politique alimentaire plus sûre, à un rapport avec la nature
plus respectueux et à un lien social plus fort.
Si la future loi d'orientation agricole ne peut, à elle seule, résoudre
l'ensemble des difficultés, elle doit en indiquer les grandes lignes à suivre
qui permettront d'y remédier dans le temps. Comme vous l'avez très justement
indiqué, elle aura, contrairement aux anciennes lois d'orientation, un objectif
plus qualitatif que quantitatif. Elle doit donc être appréhendée de manière
différente. L'élaboration en sera, par conséquent, très subtile, mais cette
difficulté doit rendre le travail de ses auteurs d'autant plus intéressant.
Cette future loi d'orientation est un véritable enjeu de société, et plus
uniquement un enjeu sectoriel. De ce projet devra découler la place de notre
agriculture et de nos agriculteurs dans la société du xxie siècle.
J'en viens à la réforme de la PAC.
C'est volontairement que j'ai placé en premier lieu la loi d'orientation
agricole dans mon intervention, cela pour bien souligner que l'agriculture de
demain que nous voulons pour la France ne peut pas être imposée par l'Europe ;
elle doit être accompagnée et favorisée par cette dernière.
J'ai rappelé précédemment que l'agriculture française avait connu un essor
très important depuis une trentaine d'années. Il est évident que la politique
agricole commune a joué un rôle fondamental dans cette évolution favorable.
J'approuve tout à fait, monsieur le ministre, votre volonté de ne pas
dissocier ces deux éléments de la politique agricole qui sont dépendants. Ces
deux politiques sont et doivent donc être complémentaires, tant dans leur
fonctionnement que dans leurs objectifs. D'ailleurs, l'identité agricole
européenne, telle que vous la définissez, pourrait aussi bien s'appliquer à la
politique agricole nationale : une agriculture performante qui approvisionne
les marchés européen et international, une agriculture soucieuse de la qualité
des produits et qui réponde à l'attente des consommateurs, une agriculture qui
assure un rôle décisif dans l'équilibre du territoire et qui participe à la
vitalité du monde rural, une agriculture qui joue pleinement son rôle dans la
consolidation de l'emploi en milieu rural, notamment par l'installation des
jeunes agriculteurs, une agriculture soucieuse d'une gestion économe des
ressources naturelles qui préserve un environnement de qualité, une agriculture
qui repose sur des exploitations de taille humaine et, enfin, une agriculture
qui participe à la solidarité internationale.
Il apparaît clairement que le modèle agricole européen qui doit être mis en
place ne s'oppose pas à celui que nous voulons pour notre pays. La seule
difficulté, qui est sans doute de taille, repose sur la nécessité de mettre en
adéquation ces objectifs avec les mesures sectorielles ou générales adoptées
par les institutions européennes. A ce titre, la prochaine réforme de la PAC,
programmée par certaines propositions de réforme contenues dans le « paquet
Santer », ne semble pas conduire au respect de l'ensemble des objectifs énoncés
précédemment.
Avant d'aborder la future réforme de la PAC, je souhaite dresser un rapide
bilan de celle qui a été adoptée en 1992.
Evoquons tout d'abord les points positifs.
On constate une augmentation des revenus des agriculteurs dans l'ensemble des
pays européens. De même, une diminution des stocks d'intervention et une
augmentation de la demande de céréales sur le marché européen ont permis de
maîtriser les importations de produits de substitution en provenance du marché
mondial. Par ailleurs, les paiements et subventions directs aux agriculteurs
français ont augmenté de 12 milliards de francs à 50 milliards de francs entre
1990 et 1995. Enfin, le taux de retour du FEOGA sur la France est passé, en
trois ans, de 19 % à 24 %.
Mais il faut aussi prendre en considération les paradoxes auxquels a conduit
la réforme de 1992.
S'agissant des aides compensatoires aux grandes cultures, il est notable
qu'elles n'ont pas été liées à l'évolution des prix du marché. De plus, ce sont
les exploitations les plus performantes qui en ont le plus bénéficié, d'où la
réforme que vous avez souhaitée, monsieur le ministre, et que j'aborderai tout
à l'heure.
Les conséquences de la réforme de 1992 sont aussi paradoxales en ce qui
concerne le secteur de l'élevage. L'ambition originelle était de promouvoir
l'élevage extensif. Mais certaines aides ont eu un effet inverse. Je pense au
maïs ensilage et aux céréales intraconsommées réparties à l'avantage des
régions à agriculture intensive : aide de 2 000 francs par hectare dans la
région Centre et de 1 500 francs par hectare en Auvergne.
Mais si cette réforme a été bénéfique sur certains points, paradoxale sur
d'autres, elle a eu aussi des effets négatifs. Ainsi, au lieu de conduire à un
rééquilibrage des revenus entre les différentes catégories d'agriculteurs, elle
a incité ces derniers, surtout les céréaliers, à s'agrandir sans cesse.
De même, on peut relever une maîtrise insuffisante de la production bovine.
Enfin, un dernier problème, très épineux, porte sur les conséquences agricoles
de l'instabilité monétaire dans l'Union européenne, laquelle favorise largement
les agriculteurs des pays à monnaie faible.
Ainsi, si la future réforme de la PAC doit approfondir celle de 1992, elle
doit aussi remédier aux dysfonctionnements qui viennent d'être très brièvement
évoqués.
Monsieur le ministre, vous avez tout à fait raison d'exiger de profondes
modifications des propositions qui sont faites par la Commission. Je ne
reprendrai pas ici l'ensemble des critiques qui ont été émises à leur sujet. Je
voudrais simplement souligner qu'une baisse généralisée des prix, telle qu'elle
est envisagée, ne peut être appliquée sans une prise en compte préalable des
ses conséquences sur les secteurs concernés. En raison de la situation
financière précaire de nombreuses exploitations, la brutalité d'une telle
décision risquerait de conduire inéluctablement à de nombreuses faillites. De
même, une compensation financière de cette baisse ne serait pas une bonne
solution à long terme.
Je ne peux qu'approuver votre volonté d'intervenir afin que des mesures en
matière d'environnement, d'occupation de l'espace et en faveur d'une
répartition plus équitable des soutiens soient adoptées. De telles réformes
étant nécessaires sur le plan national, il est logique qu'elles le soient aussi
au niveau européen.
Ainsi, la nouvelle politique européenne en matière agricole doit conduire à
une répartition plus équitable et plus efficace des 50 milliards de francs qui
sont versés. Mais il faut sans aucun doute aller plus loin et laisser émerger
de nouvelles idées. Tel pourrait être le cas, par exemple, de la prise en
compte, et donc en charge, de la mission de service public liée au territoire
qui est remplie par les agriculteurs. Il en est ainsi de l'occupation de
l'espace, de la préservation ou même de l'amélioration de l'environnement.
Une évolution possible, qui fait déjà l'objet d'une réflexion sur le plan
national, consisterait à donner un contenu multifonctionnel à l'agriculture, et
pas uniquement une finalité de stricte production. Ce mouvement pourrait être
accompagné, voire encouragé, par les institutions européennes.
Enfin, pour lutter contre le chômage, l'idée de plafonner le montant des aides
par unité de travail pour chaque exploitation pourrait être approfondie. Ce ne
sont là que quelques pistes, mais elles méritent sans doute d'être examinées
attentivement.
En ce qui concerne le rééquilibrage des aides européennes aux céréales, je ne
partage pas le même point de vue que M. le président de la commission des
affaires économiques.
Le dernier sujet que je souhaite évoquer ici est directement lié au thème
précédent, puisqu'il s'agit du rééquilibrage des aides européennes aux
céréales.
Monsieur le ministre, votre gouvernement a désiré prendre de l'avance sur
cette question puisque, dès votre arrivée, vous avez donné la priorité à cet
objectif.
Le projet de réforme des aides aux grandes cultures qui a été présenté cet été
par le Gouvernement a fait l'objet d'un vif débat. L'objet de cette réforme
consistait à adopter un rendement national pour les céréales et à supprimer la
majoration destinée aux cultures irriguées.
S'agissant de la modification du rendement de base servant au calcul des aides
versées, le défaut de l'ancien système était de tenir compte pour deux tiers du
rendement départemental et pour un tiers du rendement national. Cela conduisait
à un écart d'aide à l'hectare de 2 500 francs au profit des régions à haut
rendement, celles qui sont déjà favorisées. Il était donc nécessaire de changer
ce système inéquitable.
M. William Chervy.
C'est vrai !
M. Bernard Piras.
Par ailleurs, il apparaît clairement que l'aide aux surfaces irriguées a
conduit, depuis 1992, au doublement de ces dernières, puisqu'elles sont passées
de 470 000 hectares en 1991 à 900 000 hectares en 1996. Cette aide a sans
conteste permis un développement et une diversification de notre agriculture.
L'irrigation a été un bienfait. Mais, par son intérêt financier, la prime a eu
un effet néfaste, puisqu'elle n'a pas seulement aidé les agriculteurs à
s'équiper en matériel d'irrigation. Elle a, en outre, orienté l'ensemble des
cultures de céréales vers les productions irriguées.
M. François Gerbaud.
Très bien !
M. Bernard Piras.
Malheureusement, l'eau n'est pas une ressource infinie, et il apparaît
désormais comme une impérieuse nécessité sur le plan écologique de limiter ces
ponctions d'eau.
M. François Gerbaud.
Tout à fait !
M. Bernard Piras.
C'est dans cet esprit que vous avez souhaité modifier les primes à
l'irrigation afin de rétablir un certain équilibre. D'ailleurs, à son origine,
en 1992, il était bien convenu avec l'ensemble des organisations agricoles que
cette prime à l'irrigation ne devait être que transitoire.
Mais ce déséquilibre constaté dans l'évolution des ressources en eau n'est, en
fait, qu'une conséquence de l'inadaptation du montant des aides publiques
versées aux producteurs de grandes cultures, aides qui étaient pernicieuses
puisqu'elles incitaient fortement les agriculteurs à privilégier les surfaces
irriguées.
Il est à noter qu'un tel constat était établi tant par le Gouvernement que par
les organisations syndicales.
Compte tenu de l'incompréhension et des remous suscités par votre réforme,
vous avez sagement souhaité mettre en place une négociation afin qu'un
compromis s'en dégage, sans pour autant abandonner votre ambition originelle.
La démarche a été positive puisque, très rapidement, des mesures ont pu être
prises qui ont donné satisfaction à tous.
Une telle réforme était nécessaire, et je me réjouis qu'elle ait pu voir le
jour aussi rapidement et aussi positivement. Mais ce qui a été fait pour les
céréales devra sans aucun doute l'être aussi pour l'ensemble des aides
publiques dans le domaine agricole.
Pour conclure, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers
collègues, j'aimerais simplement souligner que la loi d'orientation agricole et
la réforme de la PAC sont très importantes, car elles vont modeler
l'agriculture française et européenne du début du xxie siècle.
Comme j'ai essayé de le démontrer au cours de mon intervention, cette
agriculture sera loin d'avoir un simple intérêt productiviste. De nombreux
autres enjeux, écologiques, sociaux et d'aménagement du territoire, doivent
être pris en compte. Des décisions que nous allons être amenés à prendre
dépendra l'organisation de la société de demain. Nous devons toujours garder à
l'esprit cette vision globale.
(Très bien ! et applaudissements sur les
travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Soucaret.
M. Raymond Soucaret.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues,
permettez-moi tout d'abord de me réjouir de ce débat préalable au débat
budgétaire que notre assemblée a pris l'initiative d'institutionnaliser et qui
nous offre l'occasion d'aborder d'une manière plus fondamentale que chiffrée
tous les aspects de la politique agricole.
Quoique essentiel et fixant les priorités nationales pour l'année à venir,
l'exercice du seul débat budgétaire pourrait paraître modeste face aux
questions cruciales qui se présentent à notre agriculture.
L'année 1996 a été terrible pour les agriculteurs avec la crise de « la vache
folle » et celle qui a secoué la filière fruits et légumes, mais elle a aussi
contribué à cristalliser l'émergence de valeurs nouvelles, aujourd'hui
clairement exprimées et auxquelles nous devons tous nous référer si nous
voulons maintenir et renouveler le lien entre l'agriculture et notre
société.
Désormais, la première attente du consommateur se concentre sur la sécurité
alimentaire. On pourrait s'en étonner dans un pays dont la gastronomie a fait
la réputation à travers les siècles et le monde, et où l'alimentation est,
globalement, l'une des plus sûres. Mais le risque zéro n'existe pas et il
appartient à tous, décideurs politiques et acteurs de la chaîne alimentaire, de
minimiser ce risque à toutes les étapes, de la terre à l'assiette.
La deuxième attente du consommateur porte sur la qualité, valeur défendue
depuis longtemps par tous les professionnels de la production et de la
transformation artisanales ou industrielles. Là encore, la demande est plus
forte et plus précise. Depuis plusieurs années déjà, les produits régionaux ou
des terroirs ont le vent en poupe.
Doit-on s'interroger sur ce phénomène ? L'intérêt des consommateurs pour ces
produits provient sûrement de l'évocation rassurante des modes de fabrication
traditionnels ou artisanaux, mais également de la promesse de produits qui
flattent les papilles, sans parler des sentiments identitaires.
L'objectif doit être de faire de la France la championne de la qualité. Nous
en avons les atouts. Ce sera notre spécificité et notre meilleure chance sur
les marchés de demain.
La précédente majorité s'était engagée dans cette voie, et je me félicite que
vous ayez réaffirmé cette priorité, monsieur le ministre. Toutefois, je
souhaiterais connaître votre intention à l'égard du projet de loi, présenté en
première lecture par votre prédécesseur Philippe Vasseur, relatif à la qualité
sanitaire des denrées alimentaires. Sera-t-il repris et inscrit à l'ordre du
jour du Parlement ?
Enfin, la troisième attente du consommateur a trait à la préservation de
l'environnement. Il n'y a pas d'incompatibilité de principe entre l'activité
agricole et la préservation de l'environnement. Bien au contraire ! J'insiste
avec force sur ce point, à un moment où un membre du Gouvernement auquel vous
appartenez, monsieur le ministre, s'attaque violemment aux agriculteurs.
Outre son rôle économique et social, l'agriculture a également une vocation
environnementale. La qualité d'aménageur de l'espace, de par leur présence et
leur travail, unanimement reconnue aux agriculteurs. Ces derniers ont, au cours
des siècles, modelé nos paysages, les ont rendus accessibles à chacun d'entre
nous et contribuent toujours largement à entretenir et à valoriser le
territoire.
Certes, il ne faut pas nier la réalité. Les agriculteurs, dans leur activité
quotidienne, provoquent parfois des nuisances, comme d'autres, est-il besoin de
le rappeler ? Mais les réalités scientifiques, techniques et économiques
doivent s'imposer face aux visions dogmatiques. Les agriculteurs n'ont pas
attendu Dominique Voynet, dont la vigilance est utile, mais dont l'action
pourrait être plus raisonnée,...
M. Serge Vinçon.
C'est vrai !
M. Raymond Soucaret.
... pour prendre conscience de leurs responsabilités et s'y atteler !
L'environnement est devenu leur affaire. Encore faut-il que les pouvoirs
publics accompagnent cette évolution en adaptant la réglementation aux réalités
de notre agriculture et de notre industrie agroalimentaire en leur donnant des
moyens à la hauteur de ces enjeux.
Voilà donc les nouvelles attentes auxquelles notre agriculture doit répondre
demain, mais ce ne sont pas les seuls défis à relever.
L'agriculture française a changé. Elle s'est modernisée et restructurée au
prix de douloureux bouleversements. Ainsi pourrait-on dire qu'elle a été
victime de son succès.
En quelques décennies, l'agriculture française est devenue la première
d'Europe, et la France est la deuxième puissance exportatrice mondiale de
produits agroalimentaires, avec 58,5 milliards de francs d'excédents dans le
secteur agroalimentaire, dont 48,8 milliards de francs pour les produits
transformés.
La production agricole n'a cessé de croître depuis un demi-siècle.
L'agriculture et la forêt restent encore parmi les plus gros employeurs de
main-d'oeuvre, offrant un peu plus d'un million d'emplois, soit 5 % de l'emploi
total.
Parallèlement, le territoire agricole a diminué, en cinquante ans, de 6
millions d'hectares et ce secteur a perdu plus de 4 millions d'actifs. Le
nombre d'exploitations, au cours de ces dernières années, a diminué de 4,2 %
par an alors que la surface moyenne exploitée a été multipliée par 2,5 et que
les terres se concentrent dans des unités de plus en plus importantes : 10 % de
la surface agricole utile sont rassemblés dans 1 % des exploitations de plus de
200 hectares.
Enfin, les jeunes n'ont pas pris la relève des agriculteurs âgés ayant cessé
leur activité.
Cette évolution a conduit à une concentration excessive des exploitations, à
une accentuation des déséquilibres régionaux et à la désertification de
certaines zones rurales, autant de problèmes auxquels il est nécessaire de
remédier.
Autre défi : il s'agit de maintenir nos positions acquises sur le marché
européen et de développer l'accès de nos produits aux marchés tiers dans un
environnement économique libéralisé et mondialisé.
Les accords de Marrakech, signés en 1994, ont fait sortir l'agriculture de son
exception et portent gravement atteinte au principe même de la préférence
communautaire, auquel nous sommes attachés.
Il est à craindre que les futures négociations qui auront lieu dans le cadre
de l'organisation mondiale du commerce ne conditionnent encore davantage les
échanges agricoles entre l'Union européenne et les pays tiers et n'accélèrent
ce processus de libéralisation.
Comment, dans de telles conditions, l'agriculture française restera-t-elle
compétitive alors que nos prix intérieurs restent supérieurs à ceux du marché
mondial ?
Les politiques agricoles dans le monde ont, ces dernières années, profondément
évolué et s'orientent pour la plupart vers une généralisation des aides
directes, aux dépens du soutien des marchés.
La réforme de la PAC en 1992 a ouvert la voie à un tel dispositif. Si elle a
conduit à une plus grande lisibilité des soutiens, le mode de distribution des
aides a favorisé l'agrandissement démesuré de certaines exploitations et la
fragilisation des revenus ; en outre, cette évolution suscite des inquiétudes
quant à la pérennité des moyens budgétaires : autant de questions, dont
l'énumération n'est pas exhaustive, qui requièrent l'audace d'un vrai projet
d'avenir définissant ce que l'on attend de l'agriculture, reconnaissant ses
multiples fonctions et orientant son développement durable.
L'année 1997 a vu le lancement d'un grand chantier, celui de la loi
d'orientation pour l'agriculture, que le Président de la République a qualifié
d'acte majeur permettant de redéfinir un nouveau contrat entre les agriculteurs
et la société et de préparer l'entrée de l'agriculture française dans le xxie
siècle. Je suis heureux de constater, monsieur le ministre, que ce texte figure
parmi vos priorités, puisque vous nous avez assurés tout à l'heure qu'il serait
discuté au printemps de 1998. Je m'en réjouis, et j'espère que son examen
trouvera un aboutissement heureux pour les agriculteurs.
Vous avez déjà présenté un document préparatoire au projet de loi
d'orientation, appelé à servir de cadre à la concertation avec les
organisations professionnelles agricoles. C'est très bien, mais il me paraît
important que ce projet de loi soit présenté au plus vite au Parlement.
En effet, il s'agit de reconstruire les fondations d'un pacte avec la nation,
permettant à l'agriculture de s'adapter aux nouveaux besoins, d'affronter un
contexte communautaire et international chargé d'incertitudes et d'offrir aux
agriculteurs de nouvelles perspectives.
Il s'agit aussi d'affirmer les valeurs que notre agriculture continue de
porter, au bénéfice de la société tout entière, et de faire prévaloir un modèle
français à la veille de choix importants pour notre avenir, qu'il s'agisse de
l'approfondissement de la réforme de la PAC, de l'élargissement de l'Union
européenne ou du prochain cycle de négociations dans le cadre de l'Organisation
mondiale du commerce. Il serait donc utile de fixer nos propres orientations
avant d'entamer ces réflexions plus larges !
Permettez-moi tout d'abord, monsieur le ministre, de faire une remarque sur
l'approche fondamentale qui se dégage de ce projet de loi d'orientation.
Si j'ai bien lu votre document, votre vision est celle d'une agriculture duale
: l'une des branches étant consacrée à la production en masse de matières
premières à bas prix destinées aux industries agroalimentaires et chimiques,
l'autre étant orientée vers l'élaboration de produits finis, vendus à un prix
plus élevé, soit à des distributeurs, soit au consommateur final. A côté d'une
agriculture compétitive apte à affronter le marché mondial, une agriculture «
ménagère » approvisionnerait des niches du marché intérieur. Autrement dit,
vous réinventez la fable de La Fontaine : le loup et l'agneau vivent en bon
ménage.
Il est sûrement juste de vouloir diversifier l'agriculture tant dans ses
activités que dans ses méthodes de production. Il est aussi louable de vouloir
restaurer le lien entre l'agriculteur, son produit et son terroir.
Ce sont effectivement les hommes et non les machines qui occupent le
territoire, le rendent vivant et créent le lien social.
Toutefois, ne craignez-vous pas que cette vision éclatée de deux agricultures
antagonistes n'opposent les uns aux autres, là où l'unité et les valeurs du
métier devraient être réaffirmées et tirer les agriculteurs vers des objectifs
communs ?
La loi d'orientation doit promouvoir une agriculture « plurielle », comme la
qualifient certains, c'est-à-dire une agriculture cultivant la peformance
globale : la performance économique car c'est l'activité de base ; la
performance environnementale car elle est utilisatrice d'un patrimoine
collectif qu'elle doit transmettre aux générations futures ; la performance
sociale car son mode de développement doit être accepté par les consommateurs
et la société, et répondre à leurs attentes de natures diverses et parfois
contradictoires.
Je n'entrerai pas dans le détail de ces orientations, ne voulant pas anticiper
sur un futur débat, qui ne manquera pas, j'en suis sûr, d'être nourri.
Monsieur le ministre, vous avez déclaré au congrès de la FNSEA, en septembre
dernier, que cette loi d'orientation ne répondra pas à toutes les questions que
se pose le monde agricole. Je vous cite : « Elle doit se concentrer sur ce qui
reste de la compétence du législateur français, en acceptant qu'une partie des
problèmes soit traitée à Bruxelles et non plus à Paris. »
Nous en avons tous conscience, particulièrement dans l'exercice budgétaire. Le
budget français de l'agriculture ne représente en effet que 20 % de l'ensemble
des dépenses publiques concernant l'agriculture. C'est pourquoi on ne saurait
isoler l'examen du budget ni même la préparation de la loi d'orientation des
discussions déjà en cours à Bruxelles et qui se dérouleront tout au long des
mois à venir.
Cependant, nous ne pouvons esquiver nos responsabilités vis-à-vis de nos
agriculteurs en invoquant ce motif, vous pas plus que les autres.
Au moment où se dessinent de nouveaux contours européens, il ne s'agit pas de
relâcher nos efforts, notre présence et notre soutien à notre agriculture : la
voix de la France doit plus que jamais se faire entendre.
Sachez que nous serons très attentifs à la manière dont vous aborderez ces
négociations. Pour l'heure, nous n'avons pas eu l'occasion, sinon peut-être ici
cet après-midi, de vous entendre sur les propositions de la Commission
contenues dans l'Agenda 2000.
Bien qu'une adaptation de la PAC soit nécessaire, les modifications des
mécanismes ne peuvent être brutales, et ces propositions ne me paraissent ni
acceptables ni tenables, en l'état, pour les agriculteurs français.
Si ces mécanismes doivent être revus, tant il est vrai que certaines
exploitations ont bâti leur modèle de développement sur les subventions
communautaires et qu'ils donnent lieu à des dysfonctionnements contraires à
l'équité, il faut agir de manière progressive.
Nous serions heureux que ces questions essentielles pour l'avenir de
l'agriculture soient l'objet d'un véritable débat dans notre asemblée, afin que
nous soyons en mesure de connaître la manière dont vous voulez les aborder.
Vous avez préparé votre budget pour 1998 dans ce contexte marqué par la
reprise du chantier de la loi d'orientation et le coup d'envoi de la réforme de
la PAC, et vous nous avez dit avoir cherché à traduire d'ores et déjà la
nouvelle logique de l'agriculture de demain. J'en jugerai lors du débat
budgétaire et ne manquerai pas, alors, de faire des observations.
Au moment où le président de la FNSEA, M. Luc Guyau, s'interroge sur
l'éventualité d'un krack agricole qui frapperait l'Europe, comme le krack
boursier et monétaire vient de frapper l'Asie du Sud-Est, au moment où la
Commission européenne semble vouloir verser dans l'ultra-libéralisme pour
réformer la PAC, dans le cadre de l'Agenda 2000, la discussion du budget de
l'agriculture prend, cette année, une importance encore plus déterminante que
les années précédentes.
Nous sommes en effet à un grand tournant. Ce tournant, il vous sera d'autant
plus difficile de le négocier, monsieur le ministre, que vous succédez à
Philippe Vasseur, l'un des meilleurs ministres de l'agriculture que nous ayons
eu depuis Jacques Chirac, sans oublier Jean Puech qui, dans des conditions
difficiles, avait su faire face aux difficultés du moment.
Votre budget, monsieur le ministre, est un budget sans ambition et sans
priorité. C'est un budget qui ne reflète pas le volontarisme de nos paysans. On
est même surpris de voir un homme de terrain se préparer à nous présenter un
tel budget. J'attendais mieux, beaucoup mieux ! Vous me permettrez de penser
que vous ne devez pas être le véritable auteur de ce budget, que celui-ci
répond à des considérations dogmatiques, qu'il vous a été dicté par des hommes
de parti, de ces hommes qui ont toujours fait la caractéristique du parti
socialiste français.
M. Philippe François.
Très bien !
M. Raymond Soucaret.
Je le regrette d'autant plus que je considère le budget de l'agriculture comme
un acte politique essentiel, au meilleur sens du mot, élaboré par des hommes
politiques pour les agriculteurs, pour l'intérêt général du monde agricole et
rural, c'est-à-dire pour toutes celles et tous ceux qui vivent par et pour
l'agricuture.
L'intérêt général de l'agriculture française méritait mieux !
Je souhaiterais, maintenant, examiner un peu plus en détail le budget que vous
présenterez à la Haute Assemblée dans quelques jours.
En ce qui concerne l'installation, vous nous parlez de crédits-formation en
augmentation, notamment pour les stages de pré-installation. Cette augmentation
n'est pas de votre fait : elle correspond à la dynamique de la charte pour
l'installation mise en oeuvre par Philippe Vasseur. Cela dit, je vous remercie
d'y avoir donné une suitefavorable.
Vous n'avez augmenté aucun des moyens permettant des restructurations
foncières. Je pense, bien sûr, aux fameuses OGAF - opérations groupées
d'aménagement foncier - dont vous connaissez les effets, mais également aux
SAFER - sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural.
A ce sujet, je n'ai pas très bien compris vos intentions quant à
l'instauration d'une nouvelle politique des structures dans notre pays.
J'espère que cette politique sera l'une de vos priorités, comme elle était, en
tout cas, une des priorités de votre prédécesseur.
Vous annoncez également la création d'un nouveau fonds, le Fonds
d'installation pour l'agriculture, le FIA, en faisant disparaître le FIDIL, le
Fonds d'intervention pour le développement industriel local. Quand on sait que
l'objectif de ces deux fonds est identique, pourquoi supprimer l'un pour créer
l'autre ? Vous me répondrez peut-être, monsieur le ministre, que les objectifs
du FIA sont plus larges que ceux du FIDIL, et ce serait tant mieux, mais il
faudra nous le démontrer.
Vous ne vous donnez pas les moyens d'atteindre vos objectifs. En effet, ce
n'est pas en augmentant de 10 millions de francs les crédits du FIA que vous
allez à la fois financer les excellentes initiatives prévues hier dans le cadre
du FIDIL et la prime d'orientation des terres.
Je ne veux pas croire qu'il s'agit là de la recherche d'un nouvel effet
d'annonce démagogique à l'égard du monde agricole et rural.
Je vous remercie par avance de m'apporter des précisions sur ce point, faute
de quoi j'aurai la triste certitude que la substitution du FIA au FIDIL
conduira tout bonnement à une diminution des aides à l'installation.
Etait-il opportun, monsieur le ministre, de créer ce FIA, alors que le FIDIL,
qui se situait dans la logique de la signature de la charte à l'installation,
se mettait en place avec bonheur et n'avait pas encore produit tous ses effets
? Vous donnez l'impression aux paysans de compliquer toujours davantage le
processus d'aide à l'installation.
Je voudrais d'ailleurs insister sur les fameux taux bonifiés. Ils connaissent
aujourd'hui une baisse. En outre, l'intérêt de la bonification est de moins en
moins évident, à tel point que 60 % de l'emploi agricole dépendent de prêts non
bonifiés. Permettez-moi, monsieur le ministre, de m'inquiéter profondément des
conséquences, demain, de ce phénomène sur l'installation des jeunes.
Je ne souhaite pas, en effet, que nos jeunes prennent des risques financiers
de plus en plus importants, à l'écart des dispositifs de soutien de l'Etat,
pour la seule et unique raison que ceux-ci sont trop complexes.
Avant d'aborder les problèmes sociaux, ceux des hommes et des femmes de notre
terroir, je souhaite vous poser un certain nombre de questions.
Pensez-vous sincèrement que c'est en instituant les 35 heures dans les
exploitations que la France va rester l'une des premières puissances
agro-alimentaires du monde ? Le soleil, la pluie, la terre n'ont que faire d'un
volontarisme législatif, tenant plus de l'idéologie que du bon sens.
Montesquieu n'écrivait-il pas, d'ailleurs, voilà plus de deux siècles : « Les
paysans ne sont pas assez instruits pour raisonner de travers » ? Eh bien, ils
ne raisonneront pas de travers sur les 35 heures, car les 35 heures, je le dis
ici haut et fort, sont inapplicables dans le monde agricole.
Pourquoi avoir diminué les actions de promotion et, en particulier, supprimé
40 millions de francs sur le montant des crédits attribués à la SOPEXA, la
société pour l'expansion des ventes des produits agricoles et alimentaires ?
Quand on sait que notre pays compte 15 000 entreprises agroalimentaires
exportatrices, représentant plus de 500 000 emplois, un chiffre d'affaires à
l'exportation des produits agricoles de 213 millions de francs et un solde
commercial de 58 milliards de francs - soit un quart du chiffre d'affaires
global réalisé à l'exportation - il y a de quoi être surpris et même trouver
cette mesure hautement critiquable.
A moins que vous ne vouliez faire peser sur les petites et moyennes
entreprises du monde agricole et rural des investissements de promotion qui
seraient autant de charges qu'elles ne peuvent, en aucun cas, assumer...
Monsieur le ministre, les marchés extérieurs sont le salut de la France. Ne
pénalisez pas les PME. Ne faites pas perdre à notre pays sa place de leader
dans le monde de l'agro-alimentaire.
J'ajoute que ces aides à la promotion sont parfaitement conformes aux règles
du commerce mondial, telles qu'elles ont été définies dans les accords de
Marrakech.
Le fait d'imposer les 35 heures, la diminution des crédits de promotion de nos
produits agricoles et agroalimentaires ainsi que celle des crédits aux
industries agroalimentaires, avec la réduction de la prime d'orientation
agricole et celle de la dotation des offices, sont autant d'éléments
dramatiques pour l'exportation, l'avenir de notre commerce extérieur, comme
bien sûr, pour les agriculteurs français.
Pourquoi n'avez-vous pas augmenté les crédits consacrés à la modernisation des
exploitations à la fois en autorisations de programme et en crédits de paiement
?
Pourquoi les crédits du fonds de gestion de l'espace rural sont-ils en baisse
?
J'attends avec impatience des réponses à ces quelques questions.
J'aborderai maintenant le problème lancinant et déterminant du volet social de
la politique agricole du Gouvernement.
Votre projet, monsieur le ministre, ne comporte rien sur la poursuite de la
réforme de l'assiette des cotisations sociales agricoles visant à assurer au
monde rural la parité d'assiette avec les salariés, alors qu'une parité de taux
existe.
Certes, les 220 000 exploitants dont le revenu est inférieur à 800 fois le
SMIC horaire gagneront à cette réforme de parité entre exploitants et salariés,
mais d'autres vont perdre beaucoup, alors qu'ils sont prioritaires dans le
cadre de la politique agricole. Il s'agit des jeunes, qui ne bénéficieront plus
de l'abattement ni de dégressivité au regard de la CSG, des pluri-actifs, qui
paieront 3 000 francs de plus et, enfin, des veuves, des veufs, des divorcés et
séparés qui reprennent l'exploitation.
La fin du dispositif de préretraite, qui est intervenue le 15 octobre 1997, me
paraît constituer une erreur, monsieur le ministre. La prime à la transmission
des exploitations ne saurait le remplacer. Cela est d'autant plus regrettable
que l'Union européenne avait favorisé cette mesure en la cofinançant.
Les médias ont annoncé 33 % d'augmentation pour les retraités agricoles. Mais
citons de vrais chiffres, monsieur le ministre : pour une personne qui
recevait, après plus de quarante ans d'activité, 23,07 francs par jour, il
faudra renouveler plusieurs fois cette fameuse augmentation pour atteindre les
trois quarts du SMIC, c'est-à-dire 4 997,75 francs par mois, alors que la
moyenne des retraites en France est de 7 900 francs par mois. Vous m'avez
apporté une réponse partielle tout à l'heure, monsieur le ministre, mais elle
n'est pas totalement satisfaisante.
Oui, le volet social de votre budget est insuffisant. Il ne s'inscrit pas dans
une perspective claire et pluriannuelle assurant la parité tant des prestations
que du mode de financement entre le monde agricole et les autres secteurs
d'activité.
Avant de conclure, j'évoquerai un point particulier qui constitue un enjeu
considérable pour l'évolution de l'agriculture et la compétitivité de nos
productions.
L'alimentation du xxie siècle se mijote aujourd'hui, pas seulement dans les
prairies et les jardins, mais également dans les laboratoires. Je veux parler
ici des organismes génétiquement modifiés, les OGM. Comme vous le savez, la
commission des affaires économiques du Sénat a approuvé la constitution d'un
groupe de travail sur les OGM.
Avec tous les problèmes relatifs à la sécurité alimentaire que nous avons
connus, ce dossier a connu des rebondissements. Ainsi, après que la Commission
eut décidé, en décembre 1996, la mise sur le marché des variétés de maïs
transgénique, la France a refusé de les inscrire à son catalogue.
Loin d'être refermé, ce dossier devrait bientôt revenir sur le devant de la
scène. Dans les semaines à venir, les autorités européennes vont devoir statuer
sur le sort de trois nouvelles constructions génétiques. De l'autre côté de
l'Atlantique, les Américains ont cultivé massivement des variétés
transgéniques, jusqu'à atteindre 10 % de la récolte en cours au lieu de 0,5 %
l'an dernier.
Sans nul doute, la polémique va une nouvelle fois s'ouvrir entre les partisans
et les détracteurs de ces plantes. En Europe, le maïs résistant à la pyrale est
arrivé au terme d'un parcours de plusieurs années, allant de la commission du
génie moléculaire aux comités scientifiques européens. Les uns affirment que
c'est la première fois qu'une nouvelle technologie a été autant « épluchée »
avant son autorisation, tandis que les autres prêchent l'inexistence du risque
zéro.
A l'autre extrémité de la chaîne, le consommateur voit se dérouler la partie
de ping-pong, en ne comprenant ni la portée sanitaire ni l'enjeu économique que
représentent les plantes transgéniques. Il faut dire que le manque
d'information est patent !
Combien de temps encore cet imbroglio va-t-il durer ? Il me semble utile
d'alimenter le débat avec des informations objectives et compréhensibles par
tous, et d'arrêter ensemble une position française cohérente. L'examen du
projet de loi d'orientation devrait être l'occasion de ce débat.
Pour conclure, je citerai Xénophon : « Il avait raison celui qui a dit que
l'agriculture est la mère et la nourrice des autres arts. »
Cette valeur lui donne vocation à contribuer autant au « bonheur national brut
» qu'au produit national brut. De notre choix dépend en effet non seulement
l'avenir du monde rural mais aussi celui de la société toute entière.
Je souhaite que nous fassions preuve de discernement, de volonté et
d'imagination, pour sceller durablement le contrat entre la nation et les
agriculteurs, dans un souci de modernité, de sécurité, d'efficacité et
d'équilibre.
Voilà, monsieur le ministre, ce que je tenais à vous dire. J'attends, avec
beaucoup d'intérêt, vos réponses. Je doute qu'elles tranforment, comme dans un
conte de fées, la citrouille de votre budget en carrosse de l'agriculture de
l'an 2000 ; je doute aussi que vos réponses apparaissent comme la carotte que
les paysans, tels des lapins, iraient grignoter avec bonheur. Non, décidément,
votre budget est un brouet bien fade, bien loin de ces soupes consistantes que
peut donner l'alliage mystérieux de la citrouille et de la carotte.
(Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur celles de
l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Minetti.
M. Louis Minetti.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, trois
chapitres forment l'ossature de mon intervention : le « paquet Santer », ses
conséquences prévisibles sur notre politique et le projet de budget de
l'agriculture dont j'examinerai l'adéquation, ou la non-adéquation, avec le «
paquet Santer ».
Je vous félicite, monsieur le ministre, de votre volonté affirmée de ne pas
accepter les propositions de la Commission européenne dans leur état actuel.
J'ai d'ailleurs cru comprendre que, à quelques détails près, nous avions dans
cette enceinte une approche commune du « paquet Santer ». J'ai ainsi écouté
avec un grand intérêt le président de la commission des affaires économiques et
le président de la commission des finances.
Il est évident que ce projet de réforme, élaboré dans le cadre de l'Agenda
2000, est un véritable acte de guerre contre l'agriculture à visage humain et,
plus généralement, contre une agriculture européenne de qualité.
Ce projet, qui aggrave la réforme de 1992 - que j'avais déjà vigoureusement
combattue - s'articule schématiquement autour de deux objectifs : premièrement,
mettre en concurrence aveugle les agricultures sur le marché mondial par
l'abaissement des prix agricoles à la production et supprimer dans les faits le
principe de la préférence communautaire, même si on nous accorde de le laisser
figurer en fin de ligne ; deuxièmement, tout en élargissant la Communauté à
cinq pays de l'Est européen et à Chypre, réduire les crédits à l'agriculture
qui, jusqu'à aujourd'hui, représentaient la moitié du budget communautaire.
En fait, cela implique à terme un recul encore jamais égalé du revenu des
agriculteurs puisque les pertes subies, liées à la baisse des prix
d'intervention, ne seront que modestement compensées.
De toute évidence, ce projet de réforme est fortement marqué par une logique
capitaliste productiviste, avec les conséquences évidentes d'accentuation des
déséquilibres écologiques et territoriaux que cela implique. Il vise à préparer
de nouveaux abandons dans le cadre de la PAC sur l'autel de ce que certains
appellent « la libéralisation du commerce des denrées alimentaires ». Je note
d'ailleurs que le mot « libéralisation » est employé à contresens. En réalité,
il s'agit tout simplement d'une adaptation à la politique américaine.
La Commission de Bruxelles propose de baisser les prix dans le cadre d'une
guerre économique au détriment de l'installation des jeunes agriculteurs, de
l'aménagement équilibré de l'espace rural, de l'environnement, de la qualité
des produits et de l'alimentation dans les pays en développement et dans les
nôtres.
Ce choix inspiré directement du modèle américain satisfait pleinement les
intérêts des firmes du complexe agro-alimentaire, dans lequel quelques firmes
européennes se sont glissées.
Pour nous, l'ensemble de cette logique est inadmissible.
En outre, en prévoyant de supprimer dans les faits la préférence
communautaire, pilier de la politique agricole commune, le projet de réforme
remet en cause la politique agricole commune elle-même. En effet, sans ce
principe, ne subsistera qu'un grand marché mondial où la concurrence aveugle et
déloyale sur les produits de base en provenance de toutes les régions du monde
sera la règle. Nous avons employé, en d'autres temps, le terme de « dumping
social » ; il reste d'actualité.
Selon nous - et la grande majorité des organisations syndicales et
professionnelles agricoles partagent ce point de vue - l'objectif affiché
d'être compétitif à n'importe quel prix sur le plan mondial ne répond pas au
besoin d'un développement agricole durable en Europe. A cet égard, je note à
nouveau qu'il semble que nous soyons nombreux, dans cette assemblée, à être sur
la même longueur d'ondes.
Le prix à payer pour atteindre cet objectif aura en effet inévitablement une
traduction en termes de compétitivité sociale et de perte d'emplois, de bradage
du territoire et de concentration des exploitations.
D'ailleurs, un débat devrait être organisé sur la signification des mots «
compétitivité », « sûreté », « qualité alimentaire » et « productivité ».
Personnellement, j'y suis prêt, car les mots que je viens de citer sont piégés
et ne signifient pas la même chose pour tout le monde. Je ne m'engage pas là
dans un débat de linguistique, les 9 000 décès par an pour empoisonnement
alimentaire dénombrés aux Etats-Unis en témoignent. Il est certain que la
conséquence de la compétitivité à tout prix sera la disparition de très
nombreuses exploitations agricoles. Dans une excellente publication, j'ai ainsi
pu lire que, selon M. Hervieu, le président de l'APCA, l'assemblée permanente
des chambres d'agriculture, le nombre d'exploitations agricoles qui pourraient
continuer leur activité à temps plein serait de 150 000.
A cet égard, l'expérience de la précédente réforme de la PAC est parlante.
Avec cette réforme, la course à la productivité est devenue en agriculture le
principal critère de gestion, avec les conséquences que l'on peut imaginer :
baisse de la qualité sanitaire - je pense à la maladie de la vache folle mais
je pourrais citer d'autres exemples - et problèmes environnementaux -
consommation excessive d'eau, d'intrants en tous genres, pollution des nappes,
etc.
On peut craindre, dans un tel contexte, de nouvelles et nombreuses
disparitions d'exploitations agricoles et une diminution persistante du nombre
des installations de jeunes agriculteurs. Bref, on peut craindre que la
fracture territoriale ne se creuse encore !
Paradoxalement, les objectifs affichés dans l'Agenda 2000 pourraient sembler,
après une lecture rapide, rejoindre certaines de mes préoccupations tant en
matière de santé que d'aménagement durable. Mais il s'agit là, si vous me
permettez l'expression, d'une « manoeuvre » qui ne vise qu'à rassurer et à
faire croire que le « paquet Santer » prend en compte ces matières.
En effet, si les conséquences environnementales de l'agriculture intensive ou
la nécessité d'une politique rurale et d'aménagement du territoire sont
mentionnés dans ce projet, l'incohérence est évidente. Le texte de M. Santer
est un modèle de la langue de bois !
M. Philippe François.
Parfaitement !
M. Louis Minetti.
L'approche actuelle de la Commission européenne témoigne d'une absence totale
de prise en compte de l'objectif prioritaire que constitue le renouvellement
des générations.
Quelles conséquences la politique agricole commune aura-t-elle sur l'avenir de
la population agricole, sur sa tendance au vieillissement et à la diminution,
et, par là même, sur le monde rural ? Nous sommes très inquiets et je donne
aujourd'hui l'alerte.
Il est plus que jamais nécessaire de donner la priorité à l'installation de
jeunes agriculteurs, ce qui implique la mise en place de mesures très
spécifiques, sur lesquelles je reviendrai tout à l'heure. Que seront, en effet,
les terroirs en France, mais aussi ailleurs en Europe, s'il ne reste qu'une
poignée d'agriculteurs dans quelques décennies ?
La question dépasse d'ailleurs très largement le cadre du monde agricole et
rural ; elle intéresse toute la société française, et c'est un débat de société
que nous devons engager.
Vous donnez, monsieur le ministre, une place prioritaire à ce problème dans le
document préparatoire à la future loi d'orientation agricole. Nous nous en
félicitons. La création d'un fonds pour l'installation en agriculture, par
exemple, est un bon début. Elle était d'autant plus nécessaire que moins de la
moitié des jeunes qui s'installaient bénéficiaient jusqu'à aujourd'hui de la
DJA, la dotation jeune agriculteur, qui était soumise à des critères
d'attribution trop restrictifs, ce que j'avais critiqué en son temps.
Je le répète, il est impératif d'inverser la tendance et d'insuffler une
nouvelle dynamique de renouvellement et de rajeunissement des exploitations
agricoles. En effet, malgré tout ce que l'on peut écrire et entendre, on
enregistre toujours quatre départs pour une installation.
Parallèlement aux aides à l'installation, je demande avec force - et mes
collègues sénateurs savent que ce n'est pas la première fois - une
revalorisation morale au sein de la société française du métier d'agriculteur,
l'accent devant être mis sur sa modernité et les connaissances techniques et
scientifiques nécessaires à son exercice.
Je vous propose donc un certain nombre de mesures visant à la promotion d'une
agriculture à visage humain, diversifiée et de qualité, adaptée et valorisant
le potentiel de chacune des régions de notre pays.
Je vous suggère même d'aller encore plus loin : je vous propose d'engager, par
le biais de la loi d'orientation agricole, mais en lui donnant peut-être un
début de mise en oeuvre dans le prochain budget, une grande campagne publique
sur la beauté et l'intérêt du métier de paysan, qui est devenu un métier de
très haut niveau technique, comparable à tous les autres métiers et très
souvent supérieur, un métier où l'on se réalise.
Cette campagne publique devrait couvrir l'ensemble des questions, de la
production à la transformation, de la vie dans les communes jusques et y
compris à l'apprentissage. Elle devrait toucher les collèges, les lycées,
toutes les écoles nationales avec le message suivant : « Allez travailler et
installer votre exploitation personnelle à la campagne ou en forêt. Là, il y a
de l'avenir ! »
Bien entendu, l'élévation du niveau de vie, qui passe par celle du niveau des
prix, doit accompagner, voire précéder une telle campagne.
Je souhaite vivement entendre votre réponse à ma proposition, monsieur le
ministre, tout en comprenant bien que vous ne puissiez vous engager à
introduire cette idée dans le texte de la loi d'orientation sans l'avoir au
préalable finalisée et actée.
Vous aurez peut-être remarqué que j'emploie toujours le mot « paysan ». J'en
suis un, je le revendique.
M. Philippe François.
Bravo !
M. Louis Minetti.
Les puristes m'excuseront de citer de mémoire un poète régional mais de
renommée nationale, Frédéric Mistral, qui, envoyant à Lamartine son immortelle
oeuvre
Mireille,
laquelle lui valut un prix Nobel, l'accompagnait de ces
quelques vers :
« Te counsacre Mireïo : es moun cor e mon amo ;
« Es la flour de mis an ;
« Es un rasin de Crau qu'eme touto sa ramo
« Te porge un païsan. »
(Sourires.)
Pardonnez-moi, mes chers collègues, d'avoir utilisé le provençal ! Bien
que cette langue soit enseignée à l'université et qu'elle soit une épreuve du
baccalauréat, je vais vous traduire ces quelques vers.
(Merci ! et exclamations amusées.)
« Je te consacre Mireille : c'est mon coeur et mon âme ;
« C'est la fleur de mes années ;
« C'est un raisin de Crau qu'avec toutes ses feuilles
« T'offre un paysan. »
(Applaudissements.)
MM. Roland du Luart et Philippe François.
Très bien !
M. Louis Minetti.
Monsieur le ministre je vous avais envoyé une lettre pour vous présenter mes
remarques sur le projet de loi d'orientation agricole. J'apprécie, vous le
savez donc, que votre action aille dans le sens de la promotion d'une
agriculture à visage humain, diversifiée et de qualité.
J'apprécie d'autant plus votre volonté de contrôler les structures que - vous
n'êtes pas sans le savoir - depuis plus de trente ans, les diverses
dispositions prises à cet effet dans les multiples lois d'orientation agricole
n'ont abouti à rien. En effet, les chiffres parlent d'eux-mêmes : voilà
quarante ans, lorsque je me suis installé et que j'ai obtenu mon prêt
d'installation aux jeunes agriculteurs à 2 % sur vingt ans - je m'en souviens
comme si c'était hier et c'était quelque chose en ce temps-là - on dénombrait
2,8 millions d'exploitations agricoles ; aujourd'hui on en compte un peu moins
de 700 000, malgré tout ce ce qui est écrit dans les lois.
Cette évolution est le résultat d'une politique déterminée. En effet, en dépit
des belles intentions pour contrôler la concentration, les mesures en question
ont été inefficaces car elles ne s'appliquent pas aux sociétés. Par conséquent,
si l'on est un peu malin ou un peu argenté, on peut concentrer et
surconcentrer, à condition de tourner la loi. Je tenais d'ores et déjà à le
dire pour que le débat sur le projet de loi d'orientation agricole en prenne
acte.
Nous allons à présent mettre le doigt sur la contradiction fondamentale qui
existe entre les objectifs affichés dans le document préparatoire de la loi
d'orientation et dans le projet de loi de finances pour 1998, ainsi que dans le
« paquet Santer ». Comment le Gouvernement pense-t-il pouvoir gérer et dépasser
cette contradiction ?
Je le répète, je me félicite de propos forts que vous avez tenus en juillet
dernier : « Le Gouvernement français refuse de s'engager dans une logique qui
consiste à poursuivre sur la voie de l'abandon du soutien des prix des produits
agricoles », disiez-vous. Il me semble que l'opposition soit déjà un peu moins
affirmée à la fin du mois de septembre. En effet, devant la commission de la
production et des échanges de l'Assemblée nationale, le 30 septembre dernier,
vous faisiez part de « la position de questionnement actif du Gouvernement
français vis-à-vis du contenu agricole du "paquet Santer" ».
La position que vous avez adoptée en septembre me semble en retrait par
rapport à celle de juillet. Je souhaiterais que vous repreniez le discours que
vous teniez en juillet. Il me plaît plus, car c'est celui du raisin qui
commence à mûrir, et non pas celui du raisin prêt à aller à la cuve.
(Sourires.)
Je suis particulièrement inquiet à ce sujet, quand on sait que 80 % des
décisions prises dans le domaine agricole sont sous directive européenne et que
vous écrivez vous-même - je vais vous citer puisque vous m'avez envoyé le texte
- que « la loi d'orientation agricole doit se concentrer sur ce qui reste de la
compétence souveraine du législateur français ».
Mers chers collègues, vous le savez parce que vous m'avez souvent entendu le
dire : je conteste la suprématie de Bruxelles sur Paris.
(Applaudissements sur plusieurs travées du RPR.)
Quand je dis « Paris »,
je pense aux campagnes françaises, tout le monde m'aura compris !
M. Roland du Luart.
Heureusement !
M. Louis Minetti.
Par conséquent, affirmer que la loi ne peut s'affranchir des contraintes de
l'OMC limite considérablement, voire annule la portée de celle-ci, puisque les
contraintes en question s'opposent aux objectifs contenus dans la loi.
Il est plus que jamais nécessaire d'affirmer une position française
extrêmement ferme face au « paquet Santer », et de faire des propositions
alternatives privilégiant la valorisation d'un modèle rural plaçant l'homme et
le territoire au coeur des débats. Sur ce positionnement-là, vous aurez l'appui
non seulement de notre groupe mais aussi, si j'ai bien compris, de nombreux
collègues siégeant sur d'autres travées de cette assemblée.
La France, en tant que premier agriculteur européen et deuxième puissance
exportatrice mondiale de produits agricoles, a les moyens de se faire entendre.
Nous ne sommes pas une quelconque petite principauté d'Andorre, bien que j'aie
du respect pour les Pyrénéens au sud de notre pays. Nous sommes la France avec
toutes ses composantes. Nous avons donc les moyens de nous faire entendre pour
réorienter les approches bruxelloises et pour passer, notamment au sein de
l'Organisation mondiale du commerce et des différentes organisations communes
des marchés, d'une logique d'affrontement à une logique de complémentarité
réaliste et de codéveloppement avec les autres pays de la planète.
Ce n'est qu'à ces conditions qu'une réelle agriculture durable, respectueuse
des hommes et de l'environnement, pourra se mettre en place.
Il me semble donc impératif que la loi d'orientation agricole soit discutée et
votée avant le début des négociations de la PAC au printemps prochain, mais
vous l'avez d'ores et déjà annoncé, monsieur le ministre.
Notre loi d'orientation agricole doit constituer un texte de référence,
permettant de défendre la position française. Dans le cas contraire, on peut
craindre que ce texte ne soit qu'une loi d'accompagnement de la réforme de la
PAC.
J'ai noté que, tout à l'heure, M. le président de la commission des affaires
économiques a attiré votre attention sur les fruits et légumes. Je ne
souhaitais pas en parler car j'ennuie assez souvent mes collègues avec ces
questions.
(M. Philippe François fait un signe de dénégation.)
Cependant, puisque le président François-Poncet est intervenu sur ce
point, je veux dire à nouveau combien ce sujet me préoccupe et constitue, à mes
yeux, une interrogation majeure. Voilà quelques jours, je vous ai interrogé ici
même sur les fruits et légumes ; aujourd'hui, j'ai fait un rappel au règlement
sur cette question. Si vous le souhaitez, je vous adresserai les documents de
nos travaux ; il ne s'agit pas seulement d'un rapport puisque, si ma mémoire
est bonne, nous avons abordé ce sujet à quatre reprises. Plusieurs de mes
collègues seraient sans doute heureux de vous rencontrer pour vous donner des
détails à cet égard.
Je tiens maintenant à préciser que si nous nous battrons pour que l'approche
et les priorités présentées dans le document préparatoire de la loi
d'orientation agricole soient prises en compte à Bruxelles, nous sommes
néanmoins critiques sur un certain nombre d'aspects de cette loi d'orientation,
ainsi que sur diverses dispositions du projet de budget pour 1998, sur
lesquelles je n'insisterai pas aujourd'hui.
La volonté exprimée dans les deux documents de mettre l'accent sur le
renforcement de la sécurité et de la qualité sanitaire nous semble pertinente.
De même, l'augmentation de 4,9 % des crédits alloués à l'enseignement agricole
est une bonne chose.
En revanche, d'autres aspects du projet de budget sont particulièrement
inquiétants. Certes, il existe une solidarité gouvernementale, mais la
diminution sensible du montant de l'indemnité spéciale de montagne et des
crédits affectés aux régions défavorisées m'interpelle.
Par ailleurs, la progression des retraites agricoles qui a été annoncée nous
paraît beaucoup trop faible et est très loin de correspondre aux nécessités.
Vous le savez, nous avons déposé, à l'Assemblée nationale et ici même, une
proposition de loi visant à augmenter les retraites pour atteindre 75 % du SMIC
: nous reviendrons sur ce point lors de l'examen du projet de budget pour 1998.
Par ailleurs, je dépose chaque année depuis 1993, lors du débat sur le BAPSA,
un amendement allant dans ce sens. Je le déposerai de nouveau cette année. Je
ne suis pas un maximaliste, ni, pour reprendre une expression à la mode, un
intégriste barbu
(Sourires),
mais je souhaite que vous fassiez bouger le budget, encore
plus que vous ne l'avez fait à l'Assemblée nationale.
On remarque également que trop peu de place est accordée au développement et à
l'amélioration du pouvoir et du rôle des producteurs, par le renforcement des
politiques de filières, des actions interprofessionnelles et des
coopératives.
Or, si on veut développer l'agriculture durable, pour reprendre un terme à la
mode - peut-être faut-il discuter du sens exact qu'il convient de donner à ce
mot, comme à l'adjectif « compétitif » - il est nécessaire de reconsidérer les
relations, voire les rapports de forces, entre les producteurs, les groupes de
l'agroalimentaire et les distributeurs.
Je sais que cette question ne dépend pas uniquement du ministre de
l'agriculture mais il est temps que, s'agissant des groupes de
l'agroalimentaire et des distributeurs, on puisse leur « mettre le nez dans
l'assiette », au lieu de traduire devant les tribunaux quelque 88 organisations
syndicales professionnelles. En effet, je le dis au passage bien que ce ne soit
pas l'objet du débat, ils sont largement responsables de la grève des routiers.
Il faut donc donner plus de poids aux producteurs.
D'une manière plus globale, il faut reconsidérer l'ensemble des règles de
commerce existantes ainsi que les modes de financement et de production. Tout à
l'heure, j'ai fait allusion aux intrants. Je crois qu'il faut engager un très
large débat.
L'agriculture doit faire face à un contexte et à des défis nouveaux. Il est
urgent de replacer l'être humain à la base de toute logique, afin que prévale
son intérêt et non plus celui des puissances financières. Ou alors, au lieu de
débattre de projets de loi, allons tous au théâtre assister à une
représentation de
Volpone
et peut-être aurons-nous une idée plus précise
du rôle que jouent les financiers. Certes, l'action se déroulait voilà plus de
cinq siècles, dans la Venise ancienne, mais les problèmes restent
identiques.
Impulser un mouvement nouveau nécessite une réelle et profonde volonté
politique, des choix courageux et des ruptures avec certaines logiques que l'on
veut nous imposer de l'extérieur au détriment de notre intérêt. Si vous oeuvrez
dans ce sens, et il n'existe aucune raison de croire que vous n'en ayez pas la
volonté, vous pouvez compter sur notre soutien.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen
ainsi que sur les travées socialistes. - M. Courtois applaudit
également.)
M. le président.
La parole est à M. François.
M. Philippe François.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues,
l'agriculture française vit aujourd'hui une véritable crise d'identité.
J'ai malheureusement le sentiment de faire le même constat qu'à la veille des
échéances de 1992 relatives à la politique agricole commune, période de triste
mémoire pendant laquelle nos agriculteurs étaient déjà plongés dans un profond
désarroi.
A l'époque, en effet, le modèle de développement défini par les grandes lois
d'orientation du général de Gaulle en 1960 et en 1962 tendait à s'essouffler
après quelque vingt ans de succès remarquables. La politique agricole commune
était parfois perçue comme une contrainte plutôt que comme un atout. Le revenu
agricole se dégradait alors que des efforts de productivité étaient consentis
sans relâche. La profession agricole se sentait de plus en plus affaiblie, que
ce soit à travers sa représentation dans les mairies des petites communes, son
pouvoir de négociation en amont et en aval de la production, ou encore la
distance croissante constatée entre le terrain et les centres de décision
nationaux, communautaires et internationaux.
Aujourd'hui, rien, ou presque, n'a changé, et les inquiétudes exprimées alors
par nos agriculteurs sont toujours d'actualité. Malgré la contribution
exemplaire des organisations professionnelles, le monde agricole n'apparaît
plus mobilisé au service d'un projet d'avenir. Il s'efforce, de son mieux, de
réagir au jour le jour aux nouveaux défis qui l'assaillent.
Or, monsieur le ministre, je n'ai malheureusement pas le sentiment que le
Gouvernement ait réellement saisi quel est, aujourd'hui, l'enjeu du monde
agricole.
(Protestations sur les travées socialistes.)
Un certain
attentisme, à l'aube des échéances vitales que sont les négociations de la
nouvelle politique agricole commune, m'inquiète.
Dans un environnement international et communautaire grevé d'incertitudes, il
est en effet devenu impératif de doter notre agriculture, en perpétuelle
mutation, des instruments nécessaires pour lui permettre de répondre pleinement
aux attentes de notre société.
Ces incertitudes, monsieur le ministre, sont liées tout d'abord au contexte de
la mondialisation résultant d'un accroissement considérable des échanges, de
l'internationalisation des investissements, de la multiplication des réseaux de
communication et de la rapidité de l'innovation technologique. Elles tiennent
ensuite, alors que la politique agricole commune a hissé, en près de quatre
ans, l'Union européenne au premier rang mondial des marchés alimentaires, aux
évolutions qui sont apparues dans les années quatre-vingt.
Pour nos agriculteurs, la mondialisation, caractérisée par la libéralisation
et la régionalisation des échanges commerciaux, ne doit pas aller à l'encontre
d'une politique d'exportation dynamique, construite sur des bases définitives
et solides. Notre agriculture doit, au contraire, tirer parti de cet
environnement international incertain en revalorisant ses atouts, tels que la
diversité et la qualité de ses produits, ses compétences techniques, l'avancée
de sa recherche, sa position de premier exportateur alimentaire au niveau
mondial. Surtout, n'oublions pas que ce sont des hommes et des femmes qui
travaillent toute leur vie pour assurer la pérennité et le développement de
cette agriculture.
M. Jean-Patrick Courtois.
Absolument !
M. Philippe François.
C'est bien tout cela le modèle agricole français, et il a fait ses preuves
dans le passé !
Par conséquent, il nous faut aujourd'hui nous donner les moyens de promouvoir
un nouveau modèle agricole français au sein de l'Union européenne.
Alors que la Commission européenne a d'ores et déjà communiqué les grands axes
de la réforme de la politique agricole commune dans un document intitulé « PAC
2000 », ou encore « paquet Santer », nos objectifs doivent être non seulement
la garantie d'un niveau de vie équitable pour nos agriculteurs, mais aussi
l'amélioration régulière de notre compétitivité agricole.
Etablir un nouveau pacte entre la nation et ses agriculteurs, tel est l'enjeu
du monde agricole et agro-alimentaire. A l'instar des lois de 1960 et 1962 que
j'évoquais, le monde agricole a en effet besoin d'une réforme en profondeur et
d'une ouverture sur le futur. C'est pourquoi je ne puis vous cacher ma
déception, monsieur le ministre.
En effet, ce n'est pas de quelques mots bien dosés prononcés par le Premier
ministre lors d'une déclaration de politique générale dont le monde agricole a
besoin. Le monde a considérablement changé et a connu ces dernières années des
mutations fulgurantes qu'il est urgent et vital de prendre en compte pour le
monde agricole. C'était ici la philosophie du projet de loi d'orientation pour
l'agriculture, préparé et présenté par M. Philippe Vasseur, à qui je tiens à
rendre un hommage mérité.
Conformément aussi à la volonté du Président de la République, exprimée dès
1995, il est grand temps d'agir, monsieur le ministre.
Je souhaite, par conséquent, au nom du groupe du Rassemblement pour la
République, que des mesures soient rapidement débattues et adoptées afin de
répondre aux besoins vitaux de nos agriculteurs et d'assurer la pérennité de
notre agriculture. Tel est l'objet de la proposition de loi que nous venons de
déposer sur le bureau du Sénat : elle tend à créer de la valeur ajoutée et des
emplois agricoles, à maintenir un nombre important d'agriculteurs, à poursuivre
la relance de l'installation des jeunes agriculteurs et à faire de la politique
de la qualité alimentaire des produits agricoles un atout décisif dans la
compétition internationale.
Mais cette proposition de loi n'est pas à elle seule suffisante. Il faut
encore aller plus loin.
La promotion de notre agriculture sur les marchés nécessite, en effet, une
redéfinition de la fonction commerciale agricole. Une évolution profonde de
l'organisation économique de la production agricole est inévitable. A partir
des coopératives et de véritables groupements de producteurs, l'agriculture va
devoir trouver un second souffle dans la définition des processus de
commercialisation, afin de répondre à la fois aux exigences industrielles et
aux demandes de plus en plus différenciées des consommateurs.
Par conséquent, il paraît de plus en plus indispensable que les organisations
de producteurs se fixent pour objectif l'acquisition d'une responsabilité
économique et commerciale réelle, propre à consolider le rôle et la place des
producteurs dans les filières. L'établissement et la hiérarchisation des
différents niveaux d'organisation en fonction du degré de maîtrise de la
commercialisation, tout comme l'instauration d'un contrôle durable des
producteurs sur leurs propres organisations paraissent également
nécessaires.
En outre, il est urgent d'inciter les agriculteurs à mobiliser collectivement
des capitaux dans les outils d'aval, en priorité dans ceux qu'ils contrôlent.
De tels investissements productifs devraient pouvoir bénéficier de conditions
fiscales identiques à celles de tous les placements financiers.
L'incitation à la souscription de capital social dans les coopératives est une
bonne mesure. Elle pourrait prendre la forme de l'extension du champ de la
dotation pour provision aux investissements aux parts sociales de la
coopérative, lorsqu'elles constituent la contrepartie d'un capital finançant
les investissements nouveaux.
L'agriculture de l'an 2000 sera bien la résultante des grands choix
stratégiques qui doivent être définis aujourd'hui, mes chers collègues.
A cet égard, la nouvelle politique agricole commune doit notamment adapter le
système des aides. Ces dernières doivent néanmoins conserver leur nature
économique en raison des variations du marché mondial et du dollar, de
l'existence d'aides outre-Atlantique - je fais allusion ici au fameux
Fair
Act
américain signé par le président Clinton en 1996 - ainsi que de niveaux
de vie et de coûts de production très différents dans le monde.
Ainsi, les aides devront-elles, demain, prendre en compte les fluctuations des
prix du marché - les aides deviendront alors variables - du potentiel
agronomique local des exploitations, du nombre d'actifs sur l'exploitation,
enfin des zones sensibles du territoire. Mais, je le répète, cette adaptation
des aides ne doit pas aller à l'encontre du dynamisme de nos exploitations et
ne doit pas se traduire par une perte de compétitivité de notre outil de
production agricole.
C'est pourquoi je me permets devant la Haute Assemblée de mettre
solennellement en garde le Gouvernement contre les mesures qu'il entend prendre
à l'égard des propositions ultra libérales de la Commission européenne, qui,
certainement sous l'influence américaine - ne nous le cachons pas ! -
préconisent une baisse généralisée des prix institutionnels et l'ouverture
systématique aux marchés mondiaux.
Je m'associe ici pleinement aux préoccupations de nos agriculteurs céréaliers
qui, dans la perspective d'une telle évolution, verraient la suppression de
l'aide spécifique aux cultures irriguées.
Comme souhaitait le souligner notre collègue Gérard Fayolle, qui n'a
malheureusement pu être présent aujourd'hui, la spécificité de régions telles
que l'Aquitaine fait de l'irrigation une absolue nécessité pour produire en
quantité suffisante et en qualité. En Dordogne, plus de trois mille
exploitations sont concernées par l'obligation d'irriguer. Elles seraient donc
gravement touchées par la suppression de l'actuelle compensation aux cultures
irriguées.
Par ailleurs, les efforts d'investissements dans la maîtrise de l'eau seraient
remis en cause à une époque où les experts s'accordent à penser qu'il
conviendrait de pratiquer une ambitieuse politique de stockage et de gestion
rationnelle de l'eau.
Accepter cela reviendrait à signer l'arrêt de mort de notre agriculture et, au
delà de celle-ci, du modèle agricole européen.
Je vous demande donc, monsieur le ministre, de nous préciser votre position
sur ce point essentiel pour l'avenir de nos agriculteurs,
Au nom du groupe du RPR, je m'oppose à ces propositions qui ne préservent ni
la préférence communautaire ni l'identité agricole européenne. Je n'accepterai
jamais le fait que la Commission européenne n'ait pas la volonté politique de
défendre de façon différenciée les intérêts de chacun de nos secteurs agricoles
et qu'elle ne tienne pas compte des spécificités régionales de l'Europe.
N'oublions jamais que notre agriculture a aussi un rôle essentiel à jouer sur
notre territoire. La gestion de l'espace rural est devenue un enjeu économique
impliquant une réforme permettant pleinement à nos agriculteurs d'adopter une
véritable démarche d'entreprise rurale. L'affirmation de la
multi-fonctionnalité des agriculteurs, l'institution de zones agricoles
protégées au sein desquelles l'« artificialisation » de l'espace serait mieux
contrôlée, l'assurance de la sécurité juridique de l'exercice des activités
agricoles sont autant de mesures qui renforceraient la place de notre
agriculture dans l'espace rural et qui lui permettraient d'être à nouveau un
acteur incontournable de l'aménagement et du développement de notre territoire,
sur le plan tant national qu'européen. En effet, là aussi est l'enjeu de notre
agriculture.
Dois-je rappeler ce que représente notre agriculture aujourd'hui ? Dois-je
rappeler qu'elle reste encore l'un des plus gros employeurs de main-d'oeuvre ?
Avec un peu plus d'un million d'emplois, c'est près de 5 % de l'emploi total et
trois fois plus que les industries automobile et ferroviaire. Dois-je rappeler
que l'ensemble du secteur agro-alimentaire représente 1,6 million d'actifs,
soit 46 % des effectifs de l'industrie manufacturière ? Ce secteur fournit
ainsi un emploi sur trois dans les communes rurales. Dois-je enfin rappeler que
le secteur agricole gère 85 % de notre territoire, que la production agricole
reste l'activité essentielle de nombreuses régions, ou encore que le nombre
total d'emplois induits par l'agriculture est de 3,5 millions ?
Oui, l'agriculture de l'an 2000 sera bien la résultante des grands choix
stratégiques qui doivent être définis aujourd'hui.
J'observe malheureusement, monsieur le ministre, que le projet de budget du
ministère de l'agriculture et de la pêche, pour l'année 1998, est loin de
répondre à ces enjeux. Plus grave, il est en rupture avec la dynamique et les
orientations fortes que votre prédécesseur, M. Philippe Vasseur, avait su lui
donner.
(Protestations sur les travées socialistes.)
M. Bernard Piras.
Et les budgets de 1997, de 1996, de 1995 ?
M. Philippe François.
Le budget de l'agriculture de ce gouvernement est, pour reprendre les propos
de mon collègue et ami Christian Jacob, ancien président du Centre national des
jeunes agriculteurs, le CNJA, « un budget fade, sans ambition et sans priorités
».
M. René-Pierre Signé.
Le budget de 1997 était sans doute meilleur ?
M. Philippe François.
A qui fera-t-on croire que l'agriculture est une priorité de M. Jospin ?
Comment peut-on réduire de 23 % les crédits de la SOPEXA, la société pour
l'expansion des ventes des produits agricoles et alimentaires, au moment précis
où de nouveaux marchés s'ouvrent et où nous avons des positions commerciales à
prendre dans les pays tiers ?
M. Alain Pluchet.
Ils ne répondent rien !
M. Philippe François.
Le Gouvernement oublie-t-il que notre agriculture a subi, en 1996, un
ébranlement majeur avec la maladie de « la vache folle », qui a frappé de plein
fouet les élevages bovins ? Oublie-t-il que cette crise a eu de sévères
répercussions sur l'ensemble de la filière...
M. René-Pierre Signé.
Est-ce la faute des socialistes ?
M. Philippe François.
... et a engendré une situation difficilement maîtrisable ? C'est aussi en
cela que je n'accepte pas les positions ultralibérales de Bruxelles, qui auront
pour ultime conséquence la destruction de notre élevage bovin.
M. René-Pierre Signé.
Là, nous sommes d'accord !
M. Philippe François.
Par ailleurs, la revalorisation des retraites agricoles ne semble pas être une
grande avancée, contrairement à ce que le Gouvernement voudrait bien nous faire
croire.
M. William Chervy.
Mais qu'avez-vous fait, vous ?
M. Philippe François.
Ce n'est en réalité qu'une pâle et imparfaite copie du projet de loi
d'orientation agricole du gouvernement d'Alain Juppé
(Rires sur les travées socialistes.),
critiqué et dénigré voilà encore
quelques mois par les socialistes.
M. Bernard Piras.
Vous avez mal lu le projet debudget !
M. Philippe François.
Je tiens en effet à rappeler ici que ce projet de loi comportait, à la demande
du Président de la République, un volet relatif aux retraites des agriculteurs.
Ce dispositif avait pour objet la revalorisation progressive des retraites
agricoles les plus faibles, leur permettant ainsi d'atteindre un niveau
minimal, comparable à celui des retraites versées dans d'autres secteurs
économiques pour les chefs d'exploitation, les conjoints et les aides familiaux
ayant accompli une carrière complète.
M. Bernard Piras.
Mais c'est précisément ce que nous essayons de faire !
M. René-Pierre Signé.
Vous n'avez rien fait, vous !
M. Philippe François.
Enfin, je ne m'attarderai pas longtemps sur le fonds de gestion de l'espace
rural que, dans votre budget, monsieur le ministre, vous vous contentez de
préserver, évitant certainement la suppression pure et simple de cet
instrument, alors qu'il pourrait offrir à nos agriculteurs de formidables
perspectives.
Il faut bien le reconnaître, et j'en suis désolé, l'agriculture n'est
définitivement pas une priorité socialiste, malgré des propos qui se veulent
rassurants, et dont nous souhaitons qu'ils ne soient pas, comme à l'habitude,
pur angélisme.
(Rires sur les travées socialistes.)
La France a une vocation agricole qu'il convient d'affirmer sans complexe
et de solides atouts qu'il nous appartient de préserver avec ténacité. Je tiens
à affirmer, au nom du groupe du Rassemblement pour la République, notre
attachement aux valeurs agricoles.
M. René-Pierre Signé.
Vous êtes bien mal placé pour donner des leçons !
M. Philippe François.
Les agriculteurs de notre pays peuvent compter sur notre soutien résolu pour
contribuer à la sauvegarde d'une agriculture puissante au sein de l'Union
européenne...
M. Jacques de Menou.
Très bien !
M. Philippe François.
... gardant l'image permanente que Frédéric Mistral, le Provençal, a offerte
de Mireille pour la gloire de la terre de France.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. René-Pierre Signé.
Le régionalisme, c'est le début du nationalisme !
M. le président.
La parole est à M. Barraux.
M. Bernard Barraux.
Si j'ai tenu à intervenir aujourd'hui à cette tribune, c'est pour lancer un
appel à M. le Premier ministre et à vous-même, monsieur le ministre de
l'agriculture. Nous sommes nombreux ici à exprimer aujourd'hui notre grande
inquiétude pour l'agriculture en général et plus spécialement, en ce qui me
concerne, pour l'agriculture auvergnate. Nous nous inquiétons en effet des
conséquences néfastes des propositions de réforme de la PAC qui ont été
présentées par la Commission européenne, le 16 juillet dernier, et qui sont
connues sous la dénomination « paquet Santer ».
En fait, ce que Bruxelles nous propose, ce sont de nouvelles baisses des prix,
compensées très partiellement par les aides directes liées à l'animal, et non
pas aux hommes et au territoire. Ces baisses de prix ne nous satisfont pas du
tout, car elles conduisent à refuser toute reconnaissance de la dignité du
travail des paysans et font absolument fi de sa rémunération. Elles vont à coup
sûr à l'encontre des intérêts de l'agriculture, que nous défendons.
De plus, les aides directes liées aux animaux conduiront inéluctablement à une
remise en cause, voire à la mort du bassin allaitant, donc de l'élevage à base
d'herbe, face à une concurrence déloyale au regard des engagements que nous
avons pris favorisant toute forme d'élevage bovin intensive. A un moment où
l'aménagement du territoire doit être au coeur des préoccupations françaises et
européennes, l'Agenda 2000 propose exactement le contraire de ce que nous
visons. C'est pour ces raisons que nous souhaitons, monsieur le ministre, que
vous rejetiez vigoureusement cette réforme, et que vous proposiez une
alternative conforme à nos attentes.
La baisse des prix de 30 %, partiellement atténuée par une augmentation des
primes compensatrices, n'est, à mon sens, pas très bonne ; je dirai même
qu'elle est mauvaise. En effet, l'augmentation de ces primes tend à niveler les
agriculteurs par le bas sans que l'on se soucie de la compétence et des
investissements de chaque exploitation.
Mon département, l'Allier, a pour particularité d'être à 85 % herbager et nous
estimons que son avenir est en danger.
Engagées par la politique agricole commune, les exploitations sont maintenant
les otages de sa réforme. Pour atténuer les effets néfastes du projet de
nouvelle PAC, d'autres moyens pourraient être avancés pour la défense des
élevages, notamment ceux du département de l'Allier et des autres départements
français qui ont une vocation en la matière.
La première proposition consiste en une revalorisation de l'aide à
l'extensification lorsque le chargement PAC est inférieur à 1,4 unité de gros
bétail par surface fourragère principale. La deuxième passe par un réajustement
des quotas primes à la vache allaitante, référence 1992, sur le nombre de
vaches effectivement présentes sur les exploitations. En effet, près de 20 000
vaches ne sont pas primées dans l'Allier, et c'est tout à fait regrettable.
Chaque exploitation a pourtant dû assumer des investissements certains. Le
réajustement de ces quotas les prendrait ainsi en compte, tout en sachant qu'un
plafond deviendrait inévitable.
La troisième mesure consiste plutôt en un réaménagement des primes aux bovins
mâles, qui aurait pour conséquence d'étaler la production et d'encourager la
finition des animaux, dont on peut regretter qu'elle se pratique de moins en
moins, moyennant une première prime pour les mâles âgés de six à vingt mois et
une seconde pour les mâles de plus de vingt mois.
La quatrième proposition est liée à l'élevage des génisses de plus de
vingt-six mois, mais destinées à l'abattage. Elle conduirait à limiter le
nombre de vaches allaitantes non primées et étalerait également la
production.
Enfin, la cinquième proposition irait dans le sens du maintien des surfaces
fourragères, donc de la sauvegarde des paysages. Tous les hectares d'herbe
pourraient ainsi être comptabilisés et compensés intégralement.
Compte tenu de l'importance de la prime à l'herbe, qui représente un
encouragement aux systèmes d'élevages extensifs et contribue à une utilisation
bien mieux équilibrée de l'espace agricole, il faut nécessairement améliorer ce
contrat, puisqu'il arrive aujourd'hui à son terme, et élargir son champ
d'application à l'ensemble des zones à vocation herbagère, pour en faire un
véritable outil d'aménagement du territoire. Par ailleurs, le montant de cette
prime devrait être nettement revalorisé, afin de rendre la mesure plus
incitative pour le maintien et l'entretien de toutes les surfaces en herbe.
Monsieur le ministre, il nous paraîtrait souhaitable que toutes ces
propositions pour la défense des élevages soient prises en compte, car si les
propositions émises par la Commission européenne le 16 juillet dernier venaient
à être retenues, elles provoqueraient une baisse de recettes si importante pour
la seule production de viande bovine que j'ose à peine en imaginer les
conséquences.
Les producteurs de viande bovine auraient beaucoup à perdre avec les
propositions de la Commission. Le système « naisseur-engraisseur »,
majoritaire, serait, cela va sans dire, menacé dans son fonctionnement
actuel.
Si enfin les propositions de la Commission devaient aboutir, l'essentiel de
notre politique, défini dans le projet agricole départemental, deviendrait
caduc. En effet, comment maintenir des emplois agricoles ou para-agricoles en
milieu rural, pourquoi engager des efforts financiers considérables dans le
développement local ou la création de filières de qualité, quand, dans le même
temps, les orientations proposées pour la PAC condamnent les agriculteurs à la
démesure ou à l'échec ?
Les simulations et les données chiffrées qui ont été présentées sont
suffisamment significatives pour motiver notre réaction, un peu vive, j'en
conviens, et notre refus quasi catégorique face à ces propositions dangereuses
pour l'emploi et pour la vitalité du milieu rural.
C'est pourquoi, monsieur le ministre, je vous lance un appel solennel afin que
vous preniez en considération l'inquiétude de tous ces éleveurs, dont je me
fais l'écho ici, en particulier des éleveurs du troupeau allaitant, non
seulement par rapport à leur revenu, mais aussi pour l'avenir même de leur
métier.
Je voudrais maintenant vous entretenir des problèmes de la sécheresse,
c'est-à-dire du déficit des précipitations constaté dans mon département,
l'Allier, depuis le début de l'année, notamment durant les mois d'avril et de
mai, auquel se sont ajoutés des températures nocturnes très basses et un vent
asséchant qui ont eu des conséquences très graves sur certaines productions
végétales et sur la pousse de l'herbe.
Actuellement, le bilan pour l'ensemble de la pousse de printemps établi par la
commission départementale d'expertise fait ressortir une perte de 20 % à 50 %
pour les prairies naturelles et une perte de 10 % à 30 % pour les prairies
temporaires.
Pour éviter d'utiliser prématurément leur réserve fourragère destinée à la
consommation hivernale, les éleveurs ont donc dû compléter leur stock en
s'approvisionnant à l'extérieur en paille et en luzerne déshydratée.
Le comité SOS-sécheresse, qui n'intervient qu'en cas de difficulté climatique
exceptionnelle, a lancé une opération collective d'achat d'environ 11 500
tonnes de paille. A titre de comparaison, les opérations précédentes portaient
sur 5 000 tonnes en 1989 et en 1992, et sur 7 000 tonnes en 1991. On peut
mesurer ainsi l'ampleur des besoins des éleveurs et donc la sévérité de la
perte fourragère en général !
Le 3 octobre dernier, à l'occasion du sommet de l'élevage, qui s'est tenu à
Clermont-Ferrand, vous avez annoncé, monsieur le ministre, l'octroi d'une aide
exceptionnelle de 10 millions de francs en faveur des éleveurs du Massif
central touchés par la sécheresse. Cette aide est destinée à contribuer à faire
face aux charges de transport des fourrages destinés au bétail et viendra
compléter une aide d'un même montant mise à destination par Unigrains.
Il ne faut pas limiter l'emploi de ce crédit de 10 millions de francs à la
seule prise en charge du transport du fourrage. L'important est que le fourrage
arrive à un prix raisonnable chez l'éleveur.
Je me permets de vous demander que le département de l'Allier bénéficie
rapidement de cette aide à l'affouragement et qu'il soit reconnu sinistré pour
l'ensemble des prairies afin de percevoir l'indemnisation du Fonds des
calamités agricoles. Il paraîtrait normal, en outre, que les cantons du sud Val
d'Allier - Gannat, Escurolles, Chantelle, Ebreuil - soient également reconnus
sinistrés en culture d'hiver.
Considérant le bilan effectif des pertes constatées, et après avoir pris
connaissance des travaux de la commission départementale d'expertise des 19
septembre et 21 octobre derniers, le conseil général de l'Allier complètera les
sommes que vous apportez d'une aide de 500 000 francs pour l'achat de luzerne
déshydratée, à laquelle s'ajoutera une aide identique de 500 000 francs du
conseil régional d'Auvergne.
Je vous remercie d'avance, monsieur le ministre, des réponses que vous
m'apporterez sur tous ces sujets auxquels j'attache une grande importance.
S'agissant maintenant du rôle du FIA, le Fonds d'installation en agriculture,
qui remplace le FIDIL, le Fonds d'installation et de développement des
initiatives locales, vous avez répondu, monsieur le ministre, à l'Assemblée
nationale, lors de l'examen du projet de budget de l'agriculture, que ce fonds
financerait des primes à la transmission d'un montant un peu supérieur à 50 000
francs, versés en une seule fois à un exploitant qui, en cédant son
exploitation, permettra une installation. Selon vous, le FIA permettra de
distribuer trois mille primes par an, ce qui signifierait, toujours selon vous,
trois mille installations supplémentaires. Certes, cette aide est fort
intéressante pour l'installation de ceux qui ne sont pas issus du monde
agricole, nous le constatons bien volontiers, mais je me permets d'exprimer
quelques réserves quant aux chiffres que vous avez indiqués, car je crains
qu'elle n'ait qu'une faible incidence sur le nombre d'installations
supplémentaires.
En revanche, pour ce qui concerne le FIDIL, les résultats obtenus n'ont pas
été si mauvais, puisqu'ils ont été en constante augmentation, les installations
étant passées de huit mille en 1995 à neuf mille trente en 1996.
J'en viens à la SOPEXA.
La France est le premier exportateur mondial de produits agricoles
alimentaires, avec un chiffre d'affaires de 213 milliards de francs, et la
SOPEXA joue un rôle de promotion essentiel, notamment en faveur des PME du
secteur. Or, monsieur le ministre, vous avez décidé d'amputer de 40 millions de
francs la dotation de la SOPEXA, soit pratiquement le quart de ce qui figurait
dans le projet de loi de finances initial pour 1997.
Vous n'avez pas souhaité revenir sur votre décision, préférant attendre les
conclusions de la mission d'analyse de cette société, menée depuis plusieurs
jours par l'Inspection générale des finances et par l'Inspection générale de
l'agriculture, qui doivent être rendues d'ici à la fin de l'année.
Il nous faut pourtant, dans le contexte mondial actuel, intensifier nos
efforts dans cette direction. Nous n'avons guère le choix.
C'est la raison pour laquelle je me permets de vous demander de nous préciser
les orientations que vous envisagez pour la SOPEXA. Il importe en effet de
réfléchir à l'efficacité de nos moyens de promotion à l'étranger, car, si la
France enregistre un excédent de 58 milliards de francs, il faut continuer à
défendre pied à pied ses positions pour conquérir de nouveaux marchés.
Je regrette également que la mission d'analyse de la SOPEXA ne rende ses
conclusions sur l'adéquation entre les moyens et les objectifs de cette société
qu'à la fin de l'année. Il eût été tellement préférable que ces conclusions
fussent connues avant l'examen du budget !
A petite question, petite réponse, monsieur le ministre
(Sourires)
: quelle est votre position concernant l'installation
hors-sol des porcs et des volailles ?
J'évoquerai maintenant le dossier des retraites agricoles.
La principale innovation de votre projet de loi de finances pour 1998 est
l'adoption par l'Assemblée nationale, sur votre proposition d'ailleurs, d'un
crédit de 700 millions de francs destiné à relever le niveau de certaines
petites retraites agricoles. Les retraités concernés verront donc leurs
pensions relevées, dans les cas les plus favorables, de 5 100 francs par an.
Les 700 millions de francs - dont 500 millions de francs de crédits nouveaux
et 200 millions de francs provenant d'un redéploiement budgétaire - sont
destinés à relever le niveau des petites retraites et des pensions des
conjoints, des aides familiaux et des chefs d'exploitation qui ont eu une
carrière mixte ; 275 000 personnes sont concernées.
A cela s'ajoutent les remises en oeuvre des décisions de la conférence
annuelle de février 1996, dites « mesures Vasseur », dont il était prévu
qu'elles devraient s'étaler sur trois ans, de 1997 à 1999.
Je crois pouvoir dire que nous sommes nombreux à avoir reconnu le sort
relativement injuste réservé jusque-là à tous ceux qui se sont faits les
artisans de la modernisation de l'agriculture et du pays. Certes, des
améliorations ont été apportées, mais, dans les arbitrages budgétaires rendus,
même si les décisions de la conférence annuelle de février 1996 leur ont
ottroyé les deux tiers de l'enveloppe financière consacrée à l'agriculture, les
anciens exploitants ont, eux, le sentiment d'avoir été quelque peu oubliés.
Un peu plus de justice et d'équité, voilà ce que nous demandons tous ! Notre
objectif à tous est que les pensions de retraite atteignent un niveau égal à 75
% du SMIC pour des chefs d'exploitation qui ont non seulement engagé, durant
toute une carrière, leur force de travail, mais risqué leur capital au service
de la société et de leur pays.
Les membres de la famille, les conjoints d'exploitant agricole - des
agricultrices, le plus souvent - souffrent aujourd'hui d'un statut de
travailleurs familiaux en décalage avec les aspirations et les besoins des
acteurs d'une agriculture moderne dans une société développée. Des pensions de
retraite convenables pour celles et ceux qui ont travaillé toute une vie à la
terre, qui ont contribué à développer l'agriculture et à enrichir leur pays,
c'est une question de justice pour les anciens exploitants et de dignité
collective pour notre société.
M. René-Pierre Signé.
Pourquoi ne l'avez-vous pas fait plus tôt ?
M. Bernard Barraux.
C'est la raison pour laquelle c'est avec une certaine satisfaction, mesurée
toutefois - vous le comprendrez - que nous enregistrons l'effort que le
Gouvernement vient de consentir pour les retraites les plus faibles. Il faut
continuer dans cette voie, car il reste, hélas ! encore beaucoup à faire dans
ce domaine.
Enfin, dans l'attente de la loi d'orientation, qui devra fixer les conditions
dans lesquelles le dispositif de préretraite continuera à s'appliquer pour
jouer pleinement son rôle incitatif en matière de politique d'installation en
agriculture, il s'avère aujourd'hui indispensable de proroger d'au moins six
mois le dispositif actuel, jusqu'à l'entrée en vigueur des nouvelles
dispositions.
Pour conclure, je dirai simplement que, si l'agriculture et l'élevage ne sont
plus - nous le savons tous - les moteurs économiques exclusifs du milieu rural,
nous sommes tous convaincus que rien ne se fera dans le milieu rural sans
eux.
Notre devoir, notre rôle et même notre intérêt le plus évident sont donc de
protéger l'agriculture et l'élevage contre toutes les attaques, si perfides
soient-elles, de certains grands pays pour mieux les aider à résister et à se
développer.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Mathieu.
M. Serge Mathieu.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en ma
qualité de président du groupe d'études de la viticulture de qualité du Sénat,
je concentrerai mon propos sur la situation de la filière vitivinicole.
Il convient tout d'abord d'observer que la récolte 1997 se caractérise par une
baisse de l'ordre de 5 % à 6 %, pour atteindre 56,4 millions d'hectolitres.
Cette baisse est imputable aux calamités agricoles qui ont frappé plusieurs
régions de production, notamment dans le Midi de la France. A cet égard, il y a
lieu de souligner que la viticulture méridionale est gravement menacée par la
dégradation des sols.
Concernant notre commerce extérieur des vins, l'année 1996 a constitué un
millésime record. Nous avons en effet exporté l'année dernière 13,6 millions
d'hectolitres, d'une valeur de 24,8 milliards de francs, les exportations
françaises de vin dépassant ainsi le précédent record, établi en 1987, avec 13
millions d'hectolitres en volume. La baisse des importations de 4 % par rapport
à 1995 succède à la baisse déjà enregistrée, en 1994, de 8 %. Le montant des
importations se limite à 2,6 milliards de francs.
Au total, le bilan établi par l'Office national interprofessionnel des vins,
l'ONIVINS, dégage donc un solde excédentaire de 22,2 milliards de francs. Il
n'en demeure pas moins qu'il est essentiel de poursuivre l'action de promotion
des vins français à l'étranger, en particulier sur certains marchés émergents
tels que les pays asiatiques.
A cet égard, on ne peut que déplorer la diminution de la dotation allouée à la
SOPEXA dans le projet de loi de finances initiale pour 1998.
Concernant les plantations, en particulier celles de vins à appelation
d'origine contrôlée, il importe de tout mettre en oeuvre pour éviter la
disparition des droits de plantation, puisqu'une demande existe en ce domaine.
Ce sont les services des douanes qui vont alerter les détenteurs de ces droits,
afin que ceux-ci ne disparaissent pas.
On doit déplorer que les professionnels ne soient pas parvenus à établir un
accord sur les modalités de ce dispositif destiné à éviter la disparition des
droits de plantation, tout en soulignant qu'un débat s'est instauré sur le
transfert de ces droits d'une région à l'autre.
S'agissant des charges sociales et de la fiscalité qui s'appliquent à la
viticulture, l'augmentation desdites charges est particulièrement préoccupante.
Certes, la réforme de l'assiette des cotisations sociales élaborée en 1993 a
amené d'importantes améliorations ; cependant, l'assiette de ces cotisations
sociales reste trop large puisqu'elle englobe tous les bénéfices des
exploitations sans distinguer ceux qui sont réinvestis dans l'entreprise de
ceux qui rémunèrent le travail des exploitants.
Or, l'activité des exploitants viticoles varie en fonction des aléas
climatiques et de l'évolution du marché, qui influent sur les volumes de
production et sur les stocks constitués. Les revenus des exploitants viticoles
sont donc soumis à d'importantes fluctuations.
Cette situation est particulièrement problématique dès lors que les
exploitations viticoles sont assujetties au régime fiscal des bénéfices réels,
régime fiscal qui convient mieux à une activité plus régulière. On doit se
féliciter que le régime fiscal des stocks à rotation lente permette d'atténuer
l'impact du délai entre la production et la commercialisation des produits
viticoles.
Toutefois, ce régime ne permet pas de le résorber de façon satisfaisante ; il
y a lieu de préciser que l'article 72 D du code général des impôts ouvre la
possibilité d'une déduction fiscale pour investissements. Toutefois, ces
dispositions fiscales sont exclusives l'une de l'autre, et les entreprises
viticoles connaissent d'importants problèmes de trésorerie pour la gestion de
leurs stocks.
J'aborderai à présent un thème auquel mes collègues du groupe d'études de la
viticulture de qualité sont particulièrement sensibles ; je veux parler du
débat sur le vin et la santé.
Des études approfondies conduites tant aux Etats-Unis qu'en Europe par
d'éminents chercheurs ont permis de démontrer qu'une consommation régulière et
modérée de vin présente des effets bénéfiques pour la santé, en particulier
pour le système cardiovasculaire.
(Marques d'approbation sur les travées
socialistes.)
M. Bernard Piras.
C'est exact !
M. Serge Mathieu.
C'est pourquoi, monsieur le ministre, il me semble qu'il faut cesser de
considérer la loi Evin comme un monument historique intangible, dès lors que
son caractère prohibitionniste empêche toute action de promotion et
d'information sur les vins, l'essentiel de la publicité étant réalisé par les
grands groupes alcooliers.
Je me félicite, monsieur le ministre, que vous ayez décidé, dès le mois d'août
dernier, la mise en oeuvre de la distillation préventive à hauteur de 1,5
million d'hectolitres. Je rends également hommage à l'action que vous avez
menée pour reconduire une mesure d'encouragement aux viticulteurs à ne pas
vinifier une partie de leur production au moyen de l'approvisionnement vers des
débouchés « non-vins ».
Cette action, sollicitée par la profession, permet aux viticulteurs dont le
rendement économique est supérieur à 90 hectolitres à l'hectare de livrer,
au-delà de ce rendement, dans la limite de 18 hectolitres à l'hectare, des
volumes de moût pour ces débouchés.
Je note également qu'au cours de la réunion que vous avez tenue avec les
représentants de la profession, le 18 août dernier, vous avez décidé de
poursuivre l'action en faveur de l'allègement des charges supportées par les
viticulteurs engagés dans une politique d'amélioration qualitative et
d'adaptation de leurs vignobles par l'institution d'une aide à l'hectare.
Je me réjouis aussi de la poursuite de l'effort des pouvoirs publics en faveur
de la restructuration du vignoble. Ainsi, pour les plantations réalisées en
1996-1997, le montant des aides à l'hectare a été porté à 24 000 francs, 22 000
francs et 10 000 francs, selon l'organisation de chaque exploitation.
J'évoquerai rapidement les difficultés de mise aux normes au titre des
installations classées qu'éprouvent les petites caves coopératives ou les caves
particulières, qui doivent consacrer à ce projet d'importants investissements
par définition peu rentables.
Enfin, monsieur le ministre, dans la perspective de la préparation de la loi
d'orientation agricole, qui nous sera soumise l'année prochaine, je voudrais
attirer votre attention sur la nécessité de réviser le statut des syndicats
d'appellation, afin de conforter leur mission d'intérêt général, comme l'a
sollicité la confédération des producteurs de vin et eaux-de-vie de vin à
appellation d'origine contrôlée.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous
remercie de votre attention.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. Raoult.
M. Paul Raoult.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, qu'il me
soit permis de dire, en premier lieu, aux orateurs des groupes de droite qui
m'ont précédé à cette tribune que, lorsque je les entends critiquer le budget
de l'actuel ministre, j'ai le sentiment qu'ils critiquent celui de son
prédécesseur. En effet, à mon sens, il n'y a pas encore assez de différence
entre les deux, si ce n'est que ce budget de 1998 est en augmentation par
rapport à celui de 1997.
En second lieu, chacun sait qu'aujourd'hui l'agriculture de la France dépend
essentiellement de ses exportations, en particulier vers l'Europe. Dès lors,
tout discours nationaliste, aurais-je presque envie de dire, de retour vers une
agriculture recroquevillée sur son territoire, conduirait l'agriculture
française à sa perte.
On sait bien que les mesures politiques prises en matière d'agriculture
résultent toujours d'un compromis entre les quinze partenaires et que le
problème est d'avoir la majorité au sein de l'Union européenne. Par conséquent,
il est des effets de manche qui sont un peu faciles !
J'en viens à mon propos proprement dit.
L'agriculture occupe une place prépondérante dans l'espace rural français et
dans l'aménagement du territoire. Avec la forêt, elle en constitue la base
économique. Elle valorise directement près de 80 % à 85 % de la surface du
territoire.
Le poids économique très lourd des diverses filières agricoles d'amont et
d'aval, en termes de richesses produites, fait de la France le partenaire le
plus important de tous les pays membres de l'Union européenne et place
également notre pays parmi les grandes puissances agricoles mondiales.
Ce secteur stratégique de notre économie nationale est un des rares qui laisse
entrevoir un développement de parts de marchés, alors même que le contexte
international est particulièrement concurrentiel et tendu dans ce domaine.
Ce développement de l'économie agricole reste soumis d'abord aux conditions du
marché, mais aussi et surtout aux règles communautaires issues de la PAC -
l'actuelle et la future, qui sortira du « paquet Santer » - et aux accords de
commerce internationaux, GATT et OMC, que les Etats-Unis cherchent encore
aujourd'hui à remettre en cause.
En outre, en réponse aux attentes de la société, les activités agricoles
assurent également l'occupation de l'espace et contribuent de manière
déterminante à l'entretien des espaces naturels et des paysages ruraux.
Or, les activités agricoles sont souvent perçues par l'opinion publique comme
responsables, et parfois injustement, de la détérioration de notre
environnement.
L'agriculture, après avoir produit toujours plus, parfois au détriment de la
qualité, s'oriente désormais, et nécessairement, vers le « produire mieux »,
c'est-à-dire en respectant l'environnement et en élaborant des produits de
qualité irréprochable. L'agriculture répond ainsi aux attentes et aux critiques
de l'opinion publique.
Il est donc aujourd'hui impératif de tenir compte, dans notre projet agricole,
de tous les atouts et de toutes les fonctions de l'agriculture dans sa
globalité, tant sur le plan économique, social et humain que sur celui de
l'emploi, de la qualité des produits, de l'aménagement du territoire, de
l'environnement et du maintien des ressources naturelles.
L'agriculture, l'ensemble de ses activités et le devenir des espaces ruraux se
trouvent ainsi placés aujourd'hui au centre d'un vaste débat de société :
l'examen de la prochaine loi d'orientation agricole, la discussion du projet de
budget pour 1998 et l'étude des propositions contenues dans la nouvelle PAC
offrent l'occasion d'engager ce débat de fond et permettront de réaffirmer une
grande ambition pour notre agriculture.
Dans cette optique, on constate aisément que, à peine en trois décennies, les
relations entre la société et l'agriculture ont profondément changé. Le temps
de l'ordre immuable et éternel des campagnes est aujourd'hui révolu. Il existe
désormais des espaces ruraux diversifiés, les uns dynamiques, les autres en
difficulté, mais toujours en permanente évolution : paysages et niveaux de
population et d'activités sont profondément transformés et continuent à se
modifier.
La mutation en cours des campagnes et des sociétés traduit un véritable
changement de civilisation. C'est une certaine identité française qui est en
crise, et cette crise explique les désarrois de nombreux exploitants,
confrontés au libéralisme économique, aux nouveaux modes de production et aux
rapports sociaux modernes, qui engendrent des risques de fracture au sein de la
société.
Le monde rural évolue et se recompose aujourd'hui dans la difficulté et
l'incertitude. Un changement de fond, une autre approche s'imposent aujourd'hui
de la part tant des professionnels que de l'opinion publique.
J'évoquerai trois aspects : l'installation, maillon essentiel pour pérenniser
l'activité ; l'enseignement agricole ; la prise en compte de l'environnement et
des fonctions nouvelles demandées à l'agriculture.
La politique d'installation demeure le souci constant des responsables
professionnels. C'est la priorité majeure que traduit le projet de budget de
l'agriculture. Il faut faciliter l'installation, dont le coût reste important ;
il faut permettre aux jeunes formés et aux compétences reconnues de maintenir
et de développer des exploitations qui feront la force de notre économie
agricole et assureront l'occupation harmonieuse du territoire.
Or, on constate aujourd'hui que les terres libérées participent
essentiellement, pour plus de 60 %, à l'extension des exploitations existantes.
En tant qu'élus, nous sommes régulièrement interpellés pour que l'on veille à
une meilleure maîtrise de l'attribution des surfaces libérées, des droits à
produire et des primes.
Les pratiques actuelles favorisent les plus riches au détriment des plus
jeunes. Il faut mettre fin à ces dérives et se donner les moyens financiers et
juridiques d'une véritable politique d'installation.
A ce sujet, monsieur le ministre, permettez-moi de signaler les problèmes
auxquels sont confrontés, dans le département du Nord, nos agriculteurs qui
doivent faire face à des reprises excessives de terres par des exploitants
belges. Ces derniers bouleversent totalement le marché foncier par une
augmentation des prix et par une délocalisation des sièges d'exploitation ; en
outre, ils ne respectent pas toujours les prescriptions sanitaires en procédant
à des transferts d'animaux de part et d'autre de la frontière.
Il me semble donc que le montant des reprises doit être mieux encadré, afin
d'atteindre l'objectif affiché de 10 000 installations par an.
Je raccrocherai à cette observation précédente la mesure que vous entendez
prendre pour revaloriser les retraites agricoles. J'espère que la possibilité
offerte à des exploitants agricoles de partir dans de meilleures conditions
jouera au profit des jeunes qui souhaitent s'installer.
J'ajouterai un commentaire. Nous souhaitons tous l'augmentation des retraites
agricoles. Nous l'avons tous promise, mes chers collègues, à gauche comme à
droite, en 1981 et lors de toutes les campagnes présidentielles. Or, j'observe
que pratiquement personne ne l'a fait. Aujourd'hui, le Gouvernement que nous
soutenons propose des mesures qui vont plus loin que celles de M. Vasseur. Cet
effort est significatif, mais il reste, nous l'avons tous dit, globalement
insuffisant.
Il est vrai que, pour concrétiser les promesses électorales, ce sont plus de
40 milliards de francs qui seraient nécessaires. Il convient donc de réfléchir
par quelles mesures financières, dans les années qui viennent, pourrait être
dégagée cette somme pour assurer une retraite égale au trois quarts du SMIC à
l'ensemble des agriculteurs.
On ne peut échapper à cette réalité financière. D'ailleurs, si les
gouvernements précédents de M. Balladur ou de M. Juppé, de même que les
gouvernements de gauche, n'ont pas tenu leurs promesses, c'est bien parce
qu'ils se heurtaient à un obstacle financier majeur.
Je souhaite donc que, tous ensemble, nous oeuvrions pour que, dans les mois et
les années qui viennent, dans un effort de solidarité soit enfin satisfaite
cette revendication légitime.
J'en viens à l'enseignement agricole. D'ailleurs, l'installation et la
formation sont indissociables.
L'enseignement, la formation professionnelle agricole, l'enseignement
supérieur agronomique et vétérinaire font partie de nos priorités. Monsieur le
ministre, je ne peux que m'en réjouir. Ce n'était pas le cas l'an passé avec
votre prédécesseur. Lors de la discussion du projet de budget pour 1997, mon
collègue M. Fernand Tardy s'était fait l'écho des inquiétudes du monde agricole
et des personnels de l'enseignement agricole sur les crédits budgétaires,
notoirement en baisse dans l'enseignement agricole. Nous pouvons être rassurés
aujourd'hui sur vos choix, qui sont différents et qui permettront de soutenir
un enseignement agricole diversifié. Ces choix traduisent la reconnaissance de
cet enseignement agricole qui constitue une originalité remarquable au sein du
monde rural.
Vous avez su répondre aux attentes des familles et des élèves, toujours plus
nombreux, qui apprécient la qualité et le contenu de cet enseignement agricole.
Celui-ci apporte effectivement des compétences et des talents dont l'économie
agricole et alimentaire a besoin dans un monde en pleine mutation.
Les augmentations significatives des crédits dans l'enseignement supérieur,
pour l'enseignement et la formation professionnelle, traduisent bien, monsieur
le ministre, votre souci d'inverser les tendances passées et de redonner toute
sa priorité à l'éducation.
Ces crédits seront examinés dans le détail lors de la discussion du projet de
budget pour 1998. Je ne m'attarderai donc pas davantage.
Je terminerai sur ce point en évoquant la création du fonds social lycéen, qui
permettra à la communauté éducative des lycées de retrouver un équilibre
menacé, quand on sait que 20 % des familles insolvables ne pouvaient plus payer
la demi-pension de leurs enfants.
Notre agriculture est en pleine mutation. Elle doit donc, en amont, proposer
un enseignement agricole qui tienne compte de plus en plus de la
multifonctionnalité qui la caractérise.
Mon souhait est, par conséquent, que l'enseignement agricole devienne plus
largement encore l'enseignement qui prépare au développement des activités
rurales - par exemple, le tourisme - et à la préservation des milieux de vie
dans le monde rural - je pense, notamment, aux métiers liés à l'eau.
Sur le plan de l'environnement, j'évoquerai plusieurs points dont, en premier
lieu, celui qui est relatif à la mise aux normes des bâtiments d'élevage, qui
intéresse les éleveurs, jeunes ou moins jeunes, et à la nécessaire reconquête
de la qualité de l'eau.
La lutte contre la pollution, notamment par les nitrates, doit demeurer une
priorité clairement affichée. Il faut assurer une cohérence avec la loi sur
l'eau, répondre aux exigences du public et respecter la protection de
l'environnement.
Les besoins dans ce domaine sont importants, puisqu'ils sont estimés à plus de
16 milliards de francs par l'INRA. Un effort considérable et soutenu doit donc
être entrepris.
Il faut également veiller à la bonne utilisation des engrais et autres
intrants agricoles en formant mieux et en informant plus. A ce titre, des
actions salutaires de récupération des produits phytosanitaires inutilisés ont
été lancées à l'initiative de la profession dans plusieurs départements. Il
convient d'intensifier et d'étendre cet effort à tout le territoire
national.
La loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire a
permis la mise en oeuvre du fonds de gestion de l'espace rural, qui reconnaît
enfin à l'agriculteur son rôle d'entretien. Ces crédits ont permis d'encourager
des actions pertinentes au bénéfice des agriculteurs et de notre environnement.
Cette orientation est bonne ; il nous faut l'amplifier.
De même, les mesures agri-environnementales sont à développer. Une politique
innovante engagée pour un aménagement rural respectueux de l'environnement
offre une opportunité de développement durable, grâce à des méthodes de
production nouvelle qui seront adaptées aux territoires de grand intérêt
naturel.
Il faut aujourd'hui encourager l'extensification là où c'est possible et
souhaitable. La prime à l'herbe reste un bon instrument mais son caractère
incitatif est insuffisant, notamment par rapport à la prime au maïs qui
entraîne la disparition des pâturages par des labours intempestifs.
La prime à l'herbe doit jouer un rôle essentiel dans les bassins d'élevage
bovin et laitier. Il convient de préserver la diversité des modes de production
et de mieux reconnaître la valeur de l'herbe.
Par ailleurs, il faut répondre aux attentes d'une opinion de plus en plus
sensible aux charges et aux appels antiproductivistes. L'opinion publique
réclame une meilleure information sur la qualité et sur l'origine des produits
depuis l'affaire de « la vache folle ». Il faut retrouver la confiance des
consommateurs par la labellisation des produits.
Il convient encore de favoriser le dialogue ville-campagne afin d'éviter toute
fracture sociale et territoriale. Plusieurs initiatives ont déjà été prises en
ce sens par les professionnels de l'agriculture : fermes ouvertes, accueil à la
ferme, restauration, hébergement, fêtes, et animations thématiques. Ces
initiatives doivent être largement encouragées.
Les opérations d'aménagement foncier doivent être de véritables outils
d'aménagement du territoire. Elles sont l'occasion de coordonner des actions
dans un périmètre rural donné. Elles doivent prendre en compte l'ensemble des
activités qui s'y exercent ainsi que les besoins exprimés dans le domaine de la
gestion de l'espace et des paysages.
Dans cet esprit, la politique et les actions mises en oeuvre dans les parcs
naturels régionaux me semblent tout à fait exemplaires ; elles permettent une
étroite collaboration.
En conclusion, monsieur le ministre, il nous faut réaffirmer une grande
ambition pour notre agriculture. Aujourd'hui, l'agriculture française
représente un million de personnes, 730 000 exploitations dont 300 000 ont un
chef d'exploitation âgé de plus de cinquante-cinq ans ; à terme, 500 000
exploitations environ assumeront l'ensemble de l'activité agricole sur notre
territoire.
Or, un emploi en agriculture permet d'en maintenir quatre en milieu rural.
L'agriculture a donc toute sa place dans le débat actuel autour de l'emploi.
Aussi, il nous faut aujourd'hui créer un modèle d'agriculture spécifiquement
européen qui favorise l'initiative individuelle et la solidarité sur tout le
territoire.
L'ensemble de la profession est inquiète face à l'attitude des Etats-Unis, qui
semblent vouloir remettre en cause les accords signés et prônent une
agriculture de marché peu soucieuse des hommes, du territoire et des
produits.
Il faut, à l'échelon international, rester ferme dans l'attente de l'ouverture
des négociations prévues pour 1999 ; il faut empêcher absolument un
démantèlement de nos politiques agricoles et rejeter l'ultralibéralisme
souhaité par les Etats-Unis, dont la logique est inadaptée à notre
agriculture.
Notre agriculture, dans ses structures d'exploitation, doit être fondée sur le
territoire, tenir compte de la diversité des modes de production, privilégier
le développement durable et la qualité des produits.
Nous devons, après ces années de turbulence - crise bovine, crise des fruits
et légumes - retrouver une vision prospective de l'agriculture et ne pas nous
contenter uniquement de décisions d'ordre technique et conjoncturel.
Le projet agricole doit donc être vaste et ambitieux. Il vise à bâtir un
modèle agricole européen qui valorise les atouts de l'agriculture et appréhende
toutes les fonctions dans leur globalité.
Il nous faut une agriculture performante, bien répartie sur tout le
territoire, qui réponde aux aspirations nouvelles de la société en matière de
capacités économiques, de produits, d'environnement, d'emploi, une agriculture
qui soit aussi au service d'une industrie agro-alimentaire sûre, aux
productions de qualité, et qui participe à l'expansion des marchés mondiaux.
Il nous faut une agriculture diversifiée, qui valorise au mieux ses
potentialités, et des hommes bien formés qui participent activement au
développement rural.
Ce projet réaliste doit être porteur d'avenir pour les agriculteurs et pour
notre pays. C'est en oeuvrant pour sa mise en place que le Gouvernement et
votre ministère joueront pleinement leur rôle afin que nous puissions parvenir
à un meilleur équilibre entre les hommes, les produits et les terroirs.
A cette fin, il faut engager durablement notre agriculture vers un modèle
européen propre qui soit le compromis entre une agriculture à la fois
dynamique, active, présente sur les marchés mondiaux, une agriculture au
service d'un territoire et des hommes qui y vivent.
(Applaudissements sur
les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain
et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. de Menou.
M. Jacques de Menou.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à l'heure où
la réforme de la politique agricole commune envisagée par le « paquet Santer »
est en marche, nous sommes tous conscients des enjeux qui attendent
l'agriculture française : il s'agit de la concurrence internationale renforcée,
de l'alignement de nos prix sur ceux du marché mondial et de l'élargissement
des marchés agricoles aux pays de l'Est et aux Etats-Unis.
Nous comptons sur une ferme vigilance du Gouvernement français pour
sauvegarder nos intérêts dans ces négociations à haut risque. J'ai noté avec
intérêt que vous refusiez ce projet, monsieur le ministre, et je m'en
réjouis.
Comment, en effet, ne pas s'inquiéter de l'homogénéité des produits proposés,
quand on sait que les ratios ne tiennent pas compte de la qualité, notamment de
la présence d'hormones dans les viandes ?
Les règlements techniques américains, par exemple, qui sont très différents
des nôtres, autorisent couramment les produits hormonés. Dans ces conditions,
nos produits, qui sont meilleurs et plus sains, souffriront d'un écart des
coûts de production allant de 20 % à 30 % par rapport aux prix de revient
américain et se trouveront ainsi injustement pénalisés !
Comment ne pas s'inquiéter de l'attitude de l'Allemagne, qui révise sa
participation au budget agricole, alourdissant par là même les contraintes
imposées aux Etats membres ?
On le voit, notre agriculture ne manquera pas de souffrir de cette
confrontation permanente à une concurrence mondiale sauvage.
Monsieur le ministre, l'attente du monde agricole est forte, face à cette
échéance capitale pour le devenir de sa compétitivité et le maintien de son
revenu. Il est essentiel de l'écouter et de le rassurer. Mon ami Philippe
François en a déjà longuement parlé ainsi que les autres intervenants. Je
n'insisterai pas sur ce sujet.
Je souhaite maintenant attirer votre attention sur l'avenir de l'élevage hors
sol en Bretagne. Vous connaissez l'importance de cette filière, qui joue un
rôle majeur dans le maintien du tissu rural et qui sous-tend de nombreux
emplois tant en amont qu'en aval ; en particulier dans le Finistère, 40 % de
l'emploi industriel en dépendent.
Cette filière est aujourd'hui à une croisée de chemins, elle est confrontée à
un choix sur des problèmes d'environnement et sa survie en dépend.
En effet, soit l'on décide de réduire la production, avec le cortège de
chômage et de départs qui ne manquerait pas d'en découler, soit l'on s'oriente
vers le traitement des effluents qui permettra de réconcilier une fois pour
toute économie et écologie.
Ce traitement des effluents, qui est vital pour la compétitivité de nos
ateliers face à un marché mondial de plus en plus âpre, doit concerner les
éleveurs les plus importants. Il permettra de libérer des terres pour installer
des jeunes, y compris dans les zones d'excédents structurels, les ZES.
Il faut admettre que les élevages industriels soient traités comme des
industries de pointe. Ainsi, par le passé, nombre d'industries résolument
engagées dans l'adaptation aux contraintes de l'environnement ont été
considérées comme des industries de pointe.
Je souhaite qu'on entre enfin dans un débat industriel, même si cela choque,
et qu'on cesse de montrer du doigt les éleveurs courageux qui se battent pour
répondre à la fois aux exigences de la concurrence et à celles de
l'environnement. Force est en effet de reconnaître que, depuis déjà plusieurs
années, les éleveurs se sont fermement engagés dans l'application des règles
environnementales, témoignant ainsi d'un esprit responsable et solidaire.
Cette volonté de mise en oeuvre du programme de résorption doit être
encouragée. Ne pénalisons pas les efforts des éleveurs en matière écologique
par des sanctions économiques portant atteinte à la bonne marche, voire,
parfois, à la survie des exploitations.
Dans le Finistère, le programme de résorption des déjections animales piétine.
On regrette que l'administration manque de moyens pour instruire les dossiers
déposés, ce qui créée des files d'attente ! Or, la production n'attend pas
!...
Ce dysfonctionnement retarde l'application du programme pour les éleveurs
concernés. En effet, ils ne peuvent pas commencer les travaux avant d'avoir
obtenu l'arrêté de subvention. De plus, les éleveurs qui ont déposé un dossier
ne sont informés que plusieurs mois après des éventuelles modifications à
apporter.
Il faut aussi adopter une relative souplesse dans la régularisation des
élevages en ZES. Le seul constat des effectifs en 1994 n'est, à mes yeux, pas
suffisant.
Depuis cette date, ces producteurs, dont les pratiques sont en perpétuelle
évolution du fait de l'incessant progrès technique, ont nécessairement modifié
la composition de leurs élevages et ce, sans construire un mètre carré de
plus.
Les nouvelles méthodes d'alimentation ont permis de diminuer considérablement
les rejets azotés ; la baisse est de l'ordre de 30 %. C'est un fait dont il
faut tenir compte, d'autant plus que c'est la règle dans tous les
établissements classés.
Il serait donc logique, aujourd'hui, de juger les exploitants sur la réalité
du rejet de leur élevage, qui ne doit pas être supérieur à celui qui était
admis en 1994, au vu des normes appliquées à cette époque. Il faut abandonner
ce comptage dénué de sens, contraire au progrès, et accorder aux éleveurs des
délais compatibles avec la performance de leurs exploitations.
Les éleveurs ne ménagent pas leur peine pour s'adapter. Ainsi, en Bretagne,
les exploitants n'ont pas attendu pour innover et profiter des évolutions
technologiques qui permettent de réduire les pollutions liées aux ateliers
d'élevage intensif. En effet, dans une zone à forte densité d'élevage, la mise
aux normes ne suffit pas si elle n'est pas accompagnée par une généralisation
des traitements.
Je pense à cet égard au procédé sirven d'évaporation du lisier. Les éleveurs
hors sol se sont beaucoup intéressé à ce procédé pour lequel des
investissements de grande ampleur ont été réalisés. Le coût de la recherche de
ce nouveau procédé, qui a déjà la faveur de l'administration, monsieur le
ministre - nous le savons tous - a atteint 65 millions de francs, dont 35
millions de francs ont été payés par les producteurs, je tiens à le
souligner.
Les premiers outils industriels sont en cours de montage. Je suis ainsi en
mesure de vous annoncer qu'en 1998 cinq tours seront installées, et j'espère
que trente le seront en 1999, ce qui permettra de dégager 7 000 hectares de
terres d'épandage. Cette décision, par son coût élevé, de l'ordre de 40
centimes par kilogramme pour les producteurs, ne favorisera certainement pas un
large développement des ateliers.
J'ai moi-même pris l'initiative d'un grand projet d'usine d'incinération de
fientes de volailles destiné à produire de l'électricité. J'ai eu l'occasion de
vous exposer tout l'intérêt qu'il présenterait pour trois départements bretons.
Cette installation permettrait de traiter environ 300 000 tonnes de fiente par
an, ce qui allégerait beaucoup la pression qui pèse sur nos régions.
On le voit, les modes de traitement sont en cours de banalisation, mais le
concours financier des pouvoirs publics nous est indispensable. L'Etat doit
soutenir nos efforts et nos initiatives pour respecter l'environnement, sans
compromettre la compétitivité économique d'un secteur hors sol qui est si
important pour l'emploi.
Dans un autre registre, je souhaite évoquer aussi la dégradation du secteur
des fruits et légumes. Les producteurs, dont les coûts de production sont
structurellement plus élevés que ceux de leurs concurrents du sud de l'Europe,
souffrent encore des dévaluations compétitives pratiquées par l'Espagne et
l'Italie. Ces distorsions de concurrence découragent les exportateurs français
de la filière.
La nouvelle organisation commune des marchés, l'OCM, ne règle pas ce problème,
et elle fait peser sur les organisations de producteurs, les OP, la menace d'un
désengagement de l'Etat. En effet, l'OCM sera financée pour moitié par les
producteurs et pour moitié par l'Europe.
La France a fait siennes les règles minimum de reconnaissance prévues dans le
règlement communautaire. En conséquence, certaines organisations de producteurs
risquent de devenir des groupements fantoches attirés par les programmes
opérationnels et sans règles de conduite.
Cinq sociétaires sont désormais suffisants pour constituer une OP. Auparavant,
l'un des effets de l'OCM était de concentrer l'offre pour répondre à la
concentration de la distribution. Désormais, la reconnaissance d'une OP de cinq
membres ira dans le sens d'une atomisation du marché.
Ce nouveau système, qui fait échouer une concentration si nécessaire, risque
de créer de graves distorsions de concurrence, sans compter que le
développement anarchique des OP va disperser les fonds européens. Avec des
aides européennes plafonnées à 4 % du chiffre d'affaires, il est à craindre que
l'atomisation du marché et les pratiques de concurrence déloyale - vente à prix
sacrifiés et sans factures - ne disparaissent pas.
Eloignés des centres de consommation, les producteurs de légumes bretons ont
très tôt compris la nécessité de s'organiser. Ils se sont dès lors fixé des
règles strictes, ce qui n'est pas le cas de l'ensemble de la production
légumière française ou européenne, qui se caractérise surtout par un manque
d'organisation.
La nouvelle OCM ne sera donc opérationnelle qu'à la condition d'obliger chaque
région de France à s'organiser et à travailler dans la concertation et la
transparence. Pour cela, il faudra être parfaitement rigoureux en matière de
reconnaissance des OP.
Par ailleurs, entre la baisse des retraits et la volonté de réduire le
potentiel de production, on se demande comment il sera possible de préserver
une dynamique économique régionale, à moins de fixer des prix de retrait, étant
donné les distorsions de concurrence dans cette filière.
Monsieur le ministre, j'aimerais que vous puissiez nous apporter quelques
assurances sur l'efficacité de cette nouvelle OCM, qui semble être une mauvaise
nouvelle pour les producteurs européens de fruits et de légumes.
Je précise bien : « européens », car je lisais récemment, dans une revue
allemande, exactement le même constat et la même inquiétude.
On le voit, l'agriculture française, pour s'adapter, doit s'ouvrir de plus en
plus, et donc répondre à sa vocation exportatrice.
Dans ces conditions, monsieur le ministre, pourquoi amputer de 20 %, soit de
40 millions de francs, la dotation de la SOPEXA, qui est un instrument de
promotion et de valoristion des produits, de soutien à l'exportation, un
instrument indispensable aux PME et aux PMI du secteur agricole ?
Votre choix constitue une erreur stratégique au moment où la concurrence
internationale se fait de plus en plus vive et où la France doit asseoir sa
position de premier exportateur mondial de produits agroalimentaires. Le quart
du chiffre d'affaires global à l'exportation est en effet réalisé par ce
secteur.
Ce choix paradoxal fragilise donc considérablement nos 16 760 entreprises
exportatrices, qui ne peuvent assurer elles-mêmes la charge de leur promotion
sur les marchés externes. Or, à l'heure actuelle, nos cibles sont des pays de
plus en plus lointains.
C'est la présence de ces exploitants sur le marché que vous mettez en jeu.
C'est d'autant plus paradoxal, monsieur le ministre, que les autres pays,
particulièrement les Etats-Unis, se dotent d'outils performants pour conquérir
de nouveaux marchés, comme les y autorisent - si j'ai bien compris - les
accords de Marrakech qui déclarent les aides à la promotion conformes aux
règles du commerce mondial. Voilà un moyen dont nous aurions bien tort de nous
priver !
Avec cette mesure préjudiciable, vous réduisez l'effet de levier de la SOPEXA
et vous portez atteinte à la santé de nos entreprises agricoles.
Certes, vous avez assuré nos collègues de l'Assemblée nationale que des
contrats d'objectifs faisaient l'objet de négociations entre la SOPEXA et votre
ministère. Mais laissez-moi douter, monsieur le ministre, de la réelle liberté
de manoeuvre de la SOPEXA dès lors que ses crédits de fonctionnement ont été
amputés.
L'agriculture française, c'est aussi et surtout des hommes et des femmes
courageux, des acteurs économiques à part entière, dont nous devons respecter
les droits et assurer la protection sociale.
Dans ce domaine, monsieur le ministre, laissez-moi vous faire part de mes
déceptions et de mes inquiétudes, qui reflètent celles de bien des agriculteurs
de mon département.
Tout d'abord, vous avez créé le Fonds d'intervention agricole, le FIA, qui se
substitue au Fonds d'intervention pour le développement industriel local, le
FIDIL, mettant ainsi un terme aux actions en cours ! L'arrêt de la préretraite
représente une réduction de 300 millions de francs par an pendant quatre ans
des crédits d'appui à la politique d'installation.
On se dirige donc vers une préretraite sélective, réservée, si j'ai bien
compris, à quelques cas extrêmes retenus sur des critères économiques
seulement. Mais vous laissez pour compte de nombreux agriculteurs qui, pour des
raisons médicales graves, souhaitent et doivent cesser leur activité. C'est à
la lumière des expériences qui m'entourent, spécialement dans le secteur
légumier, que je vous parle.
Il est essentiel que ces pesonnes puissent, sur des critères de santé,
bénéficier de la préretraite, donc du FIA. On le voit bien, monsieur le
ministre, le revenu de substitution que vous prévoyez d'accorder aux
agriculteurs en difficulté financière ne saurait donc suffire à répondre aux
besoins, parfois aux détresses de nombreuses personnes, qui sont contraintes de
quitter leur activité !
Par ailleurs, le projet de loi d'orientation pour l'agriculture préparé par
votre prédécesseur, M. Philippe Vasseur, prévoyait déjà un dispositif de
revalorisation des plus faibles retraites agricoles dans un souci de justice
sociale.
L'objectif était de relever ces retraites à un niveau comparable aux autres
secteurs économiques pour les chefs d'exploitation, les conjoints et les aides
familiaux. D'autres avant moi y ont fait allusion.
La proposition de loi que le groupe du RPR du Sénat vient de déposer reprend
et développe l'essentiel de ces mesures.
On le voit, monsieur le ministre, la rallonge que vous avez consentie
in
extremis
à l'Assemblée nationale ne suffit pas, qu'on le veuille ou non, à
masquer le recul de votre Gouvernement en matière de retraites agricoles : 680
millions de francs seulement, alors que, depuis 1995, plus de 1 milliard de
francs étaient consacrés chaque année à ces retraites !
Cette année, l'effort supplémentaire n'est que de 680 millions de francs.
Telle est la réalité des chiffres !
(Murmures sur les travées
socialistes.)
Cette « revalorisation » n'est donc que le pâle reflet des mesures courageuses
et ambitieuses engagées par votre prédécesseur. Or, monsieur le ministre, vous
les aviez critiquées à l'époque, les jugeant insuffisantes. Par ailleurs, cette
revalorisation ne permettra pas de régler de manière décente le problème des
retraites des veuves d'agriculteur.
Dans le passé, j'ai eu l'occasion, à de nombreuses reprises, de souligner leur
détresse.
Depuis la loi de modernisation de l'agriculture adoptée en 1995, une levée
progressive de l'interdiction du cumul de leur retraite et de la pension de
réversion de leur époux décédé, a pu être obtenue. Elle ne concerne
malheureusement que les personnes devenues veuves depuis le 1er janvier 1995.
Il nous paraît indispensable d'étendre cette mesure à toutes les veuves,
auxquelles nous devons, avec le monde agricole, beaucoup de reconnaissance.
Enfin, je voudrais évoquer le problème des conjoints d'exploitants, qui
souhaitent être reconnus comme co-exploitants à part entière et bénéficier d'un
partage des droits à la retraite.
Le conjoint devenu coexploitant est contraint de cumuler sa cotisation
forfaitaire avec la cotisation du chef d'exploitation. Il paraît incohérent
d'imposer à deux reprises les conjoints sur un même revenu. Un partage du
revenu global devrait justifier les cotisations de retraite de l'un et de
l'autre.
Des jugements contradictoires des cours d'appel d'Angers et de Paris ne
permettent pas de dégager une jurisprudence claire sur ce point. Or il faut
trancher, car le système imposé par la Mutualité sociale agricole pénalise des
conjoints et aboutit à une double taxation de la MSA sur le même revenu.
Le groupe du RPR du Sénat a déposé une proposition de loi dont un chapitre est
consacré à la modernisation du statut du conjoint d'exploitant agricole.
L'objectif est d'améliorer et de clarifier les droits des conjoints en matière
d'assurance vieillesse.
J'aimerais, monsieur le ministre, que vous preniez acte de nos
propositions.
En conclusion, force est de constater le décalage qui existe entre les effets
d'annonce et les réalités comptables des décisions de votre ministère.
Pourtant, l'agriculture française, si performante par son économie et ses
hommes, mérite une réelle ambition, rendue nécessaire à l'horizon des échéances
qui internationalisent les marchés agricoles. Je suis persuadé, monsieur le
ministre, que vous y serez attentif.
Nous espérons que vous avez entendu notre message, qui est celui de l'ensemble
d'un monde agricole inquiet.
M. Bourges, président du conseil régional de Bretagne, qui ne peut être
présent aujourd'hui, m'a chargé de vous dire qu'il s'associait à ma démarche et
à mes propos. Comme moi, il attend avec beaucoup d'intérêt vos réponses.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Huchon.
M. Jean Huchon.
Monsieur le ministre, un débat agricole au moment où vous allez sous peu nous
présenter votre projet de budget ne peut que nous satisfaire. L'agriculture
tangue au milieu de la tempête économique, et c'est notre devoir de nous
préoccuper de son sort.
Bien sûr, les situations sont diverses, et il vaut mieux parler des
agricultures que de l'agriculture, tant les différences sont grandes entre les
éleveurs, les céréaliers, les maraîchers, les arboriculteurs, les viticulteurs,
et j'en oublie sûrement.
D'une façon générale, les prix sont de plus en plus discutés, voire compressés
par un système de distribution que l'on dit le plus moderne du monde, mais
aussi le plus concentré, le plus exigeant et le plus draconien, système qui
impose aux producteurs toujours plus de sacrifices.
L'économie de marché, qui est maintenant la règle, mérite que l'on nuance le
jugement laudatif que certains portent sur elle. C'est toujours l'acte de
production qui est sacrifié. La mondialisation, c'est-à-dire la perméabilité
des frontières, et la facilité de franchir les distances font que nos
producteurs agricoles, ou industriels d'ailleurs, français ou européens,
enfermés dans un corset de réglementations, d'exigences et de prélèvements,
sont ligotés face à des concurrents lointains qui donnent des rémunérations
insignifiantes et qui n'ont aucune contrainte sociale, salariale ou fiscale
!
Nous participons tous, ou presque, à des missions parlementaires dans des pays
lointains, où nous constatons que l'esclavage, le travail des enfants et bien
d'autres horreurs n'appartiennent pas au passé.
Monsieur le ministre, vous me répondrez que ce n'est pas le sujet
d'aujourd'hui. Hélas ! si. Et nous sommes quelques-uns à penser que notre
économie souffre beaucoup de cette situation. Bien sûr, je ne vous demande pas
de rétablir le protectionnisme, mais il est quand même des mesures à prendre,
comme les Japonais et les Américains savent bien le faire, pour corriger un
état de fait qui nous mène tout droit à la catastrophe.
C'est un appel que nous lançons, depuis des années, aux majorités et aux
pouvoirs successifs qui sont aux commandes de notre pays, toujours avec le même
insuccès.
Parlons maintenant agriculture.
Nous examinerons dans quelques jours votre projet de budget, monsieur le
ministre. Je me contenterai donc d'évoquer aujourd'hui deux importants dossiers
relevant de votre compétence : la future loi d'orientation et la réforme de la
PAC. Vous en aurez beaucoup entendu parler aujourd'hui !
La loi d'orientation des années soixante a accompagné une période de
modernisation et d'augmentation de la production, dont les acteurs peuvent, je
crois, être fiers ! Bien nourrir les Français, et pour un coût intéressant,
exporter des produits, participer régulièrement à la bonne santé de la balance
commerciale : voilà le résultat des Trente Glorieuses.
Certains prétendent avec emphase qu'en quarante ou cinquante ans l'agriculture
est passée du xviiie au xxie siècle. Je n'aurai pas cette prétention !
Il en est résulté une transformation profonde des modes de vie, avec
l'apparition de difficultés nouvelles que nous avons déjà évoquées en parlant
de la mondialisation.
Les futures lois devront tenir compte de données nouvelles, notamment de
l'intégration de la vie de la profession au milieu d'un territoire dont elle
est l'élément fondamental. Elles devront également permettre un développement
durable - l'expression est très utilisée, mais je ne sais pas exactement ce
qu'elle recouvre - de l'agriculture, qui devra vivre de sa production,
c'est-à-dire de la vente de ses produits, sans l'assistance, si possible, que
nous connaissons.
Les points importants de cette loi devront porter sur la formation,
l'installation, le financement, les retraites, la solidité et la sécurité des
marchés, à l'intérieur comme à l'extérieur. C'est un vaste programme qui, je
crois, nous occupera beaucoup au cours des mois à venir. Il est nécessaire,
pour prévoir l'avenir d'une profession à caractère économique, de mettre fin à
cette perpétuelle assistance. Nous constatons que le prix d'origine du produit
est ridicule par rapport au prix final dans le secteur de l'alimentation.
On parle beaucoup d'aménagement du territoire. C'est un sujet qui a été
longuement débattu dans cette maison. Si l'agriculture ne peut, à elle seule,
aménager ou occuper un territoire, un territoire ne peut être aménagé sans une
agriculture prospère et dynamique.
(M. Machet applaudit.)
Il suffit de
traverser la France pour constater combien la désertification, qui, hélas ! est
bien réelle pour un tiers du pays, s'accompagne de terres en friches.
M. Aubert Garcia.
Eh oui !
M. Jean Huchon.
Je souhaite que la future loi, fruit d'une longue étude de vos services et de
ceux qui vous ont précédé, et d'une large concertation avec la profession,
prenne en compte tous les paramètres qui constituent le développement rural.
Je ne peux que reprendre une phrase de vos propos qui résume parfaitement ce
qui doit être une bonne politique : « Notre politique agricole doit permettre
aux agriculteurs de répondre aux demandes multiples dont ils sont l'objet, en
étant rétribués pour les réponses qu'ils apportent à ces multiples attentes.
»
M. Jacques Machet.
Très bien !
M. Roland du Luart.
Nous l'espérons !
M. Jean Huchon.
Au cours des prochains mois, nous aurons, je l'espère, à travailler avec vous
sur ce texte attendu. Je suis sûr que le Sénat ne manquera pas de participer à
son enrichissement.
La future loi d'orientation agricole devra s'accorder avec ce qu'il est
convenu d'appeler le « paquet Santer » - quel triste terme ! - c'est-à-dire la
réforme de la politique agricole commune, réforme qui paraît nécessaire car,
dit-on, celle de 1992 n'a pas atteint ses objectifs.
Je dois vous avouer, monsieur le ministre, que la lecture des premiers textes
en provenance de Bruxelles a été, pour nous, une gifle brûlante. Vous avez
reconnu vous-même que cette réforme était inacceptable. C'est le moins que l'on
puisse dire ! J'imagine le cynisme de ceux qui ont rédigé le texte : aucun
objectif, aucun idéal, mais tout simplement un lent processus de
destruction.
Où est l'esprit du traité de Rome ?
Où est la préférence communautaire ?
Où est le souci de l'agriculture dans l'environnement ?
Où est la défense de l'emploi ?
M. Jacques Machet.
Très loin !
M. Jean Huchon.
On ne veut plus défendre les prix et on laisse le marché s'approcher
inéluctablement des prix mondiaux qui, comme chacun le sait, ne reposent sur
aucune réalité économique et ne sont que le constat d'un
dumping
permanent !
Monsieur le ministre, nous soutenons votre refus du « paquet Santer », et nous
sommes nombreux à penser que la mise en application de ce « paquet Santer »
serait, à très court terme, à l'origine de la faillite des trois quarts de nos
exploitations ! Certains technocrates, dits sérieux, même s'ils sont parisiens,
n'hésitent pas à trouver normal que l'effectif de nos 700 000 à 750 000
exploitations passe rapidement à moins de 200 000 ! Nous ne voulons pas cela
!
Nous ne pouvons souscrire à un tel massacre ! Nous comptons sur votre
détermination, au cours des négociations qui vont se dérouler ces prochaines
semaines et ces prochains mois, pour garder une agriculture humaine, occupant
un territoire propre et vivant.
Par ailleurs, l'expérience qui est la nôtre nous incite à craindre que cette
baisse généralisée des prix à la production ne soit pas répercutée vers les
consommateurs ! En témoigne l'expérience brûlante de « la vache folle », en
1996 : la chute des prix à la production, qui a été énorme, ne s'est jamais
répercutée à l'étal de la boucherie ! Cela explique que les grands organismes
traiteurs de viande ont tous présenté des bilans très positifs à la fin de
1996. On comprend maintenant pourquoi !
Baisse des prix, compensations promises, mais sans certitude précise, l'esprit
général de cette réforme est à revoir en totalité, d'autant plus que l'examen
des textes laisse apparaître des failles et des incohérences que les quelques
minutes qui me sont imparties ne me permettent pas de traiter.
J'évoquerai néanmoins le secteur des oléagineux, où les incohérences sont
aussi très nombreuses : prix en baisse, soutien conditionnel et très différent
de ce qui s'est passé de 1991 à 1992 en raison de l'opération de découplage de
la production et de la surface, modulation des aides par application du
principe de subsidiarité, c'est-à-dire qu'on laisse aux Etats la maîtrise du
soutien... Tout cela est très loin d'une vraie politique européenne !
L'opinion générale est d'ailleurs que le « paquet Santer », tel qu'il est
présenté, est satisfaisant pour l'économie mondiale, spécialement pour les
Etats-Unis, mais, bien sûr, inacceptable pour la plus grande partie des
Européens.
Monsieur le ministre, nous comptons sur votre pugnacité pour rendre,
in
fine
, ce dossier, infâme pour l'instant, conforme aux intérêts de la
France.
Mes propos concernent les grandes productions : céréales, viandes, lait. Mais
l'agriculture française est très polyvalente. Ma responsabilité de président du
groupe Fruits et légumes au Sénat m'incite à ne pas laisser l'exclusivité de ce
sujet à M. le président François-Poncet, à mon collègue M. Minetti et à mon ami
M. de Menou.
Il s'agit d'une spécificité très importante de notre agriculture. Le Sénat, au
cours des dernières années, a publié plusieurs rapports sur cette question.
L'Europe a mis en place une nouvelle OMC qui fonctionne théoriquement depuis
cette année. Qu'en est-il des programmes opérationnels ?
Le secteur fruits et légumes, peu consommateur de crédits publics, est
important. Il est un facteur d'aménagement du territoire et d'emploi. Il
demande bien sûr un peu de discipline à ses producteurs, qui quelquefois en
manquent, mais l'Etat doit être un élément incitateur et régulateur. Nous ne
pouvons nous permettre d'importer des produits dont nous n'avons pas besoin.
La commission des affaires économiques du Sénat va, au cours des prochaines
semaines, mener une action auprès de nos amis espagnols pour que les relations
commerciales entre nos deux pays s'améliorent. Chaque année, les incidents
regrettables qui se produisent ternissent le climat de confiance. Il faut donc
que cessent ces incidents routiers provoqués par l'arrivée d'importations qui
surchargent le marché et font s'écrouler les cours. Nous espérons assumer notre
part dans la solution de ces difficultés, et nous comptons sur vous, monsieur
le ministre, pour que la réforme de la PAC ne soit pas le tombeau de
l'agriculture française !
(Applaudissements.)
M. Roland du Luart.
Discours très consensuel !
M. le président.
La parole est à M. du Luart.
M. Roland du Luart.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c'est au nom
d'une centaine de mes collègues, membres du groupe sénatorial de l'élevage, que
je m'exprimerai à cette tribune, dans ce débat d'orientation de politique
agricole.
En premier lieu, je ne peux manquer d'évoquer le rebondissement de la crise de
l'épizootie d'encéphalopathie spongiforme bovine. Notre groupe d'études avait
consacré au printemps dernier un dîner-débat qui permettait d'espérer un
certain apaisement de cette crise. Hélas ! depuis lors, plusieurs événements
sont venus confirmer que nous ne sommes pas sortis de cette grave situation.
Tout d'abord, les trafics illicites de viandes et d'animaux britanniques qui
ont été décelés ces dernières semaines relancent la suspicion des consommateurs
sur la viande bovine.
Par ailleurs, la transmission de l'ESB à l'homme, sous la forme de la maladie
de Creutzfeld-Jakob, ne manque pas d'inquiéter, surtout si l'on se réfère aux
prévisions, atterrantes par leur imprécision, sur le développement de la
maladie, prévisions qui varient de quelques dizaines de cas à plusieurs
milliers au cours des dix prochaines années.
Enfin, un troisième cas d'ESB a été récemment détecté dans le Calvados, ce qui
montre que l'épizootie n'est pas pleinement éradiquée.
Certes, on a pu constater une reprise de la consommation, mais elle est tout
de même inférieure de 10 % par rapport au niveau qui précédait la crise.
Toutefois, les cours des bovins sont relativement bas, en particulier pour les
vaches de réforme et les jeunes bovins. Or, dans le même temps, les autorités
communautaires ont diminué le recours à l'intervention. La Commission
européenne a décidé l'exclusion des abats à risque à compter du 1er janvier
1998 ; il s'agit, bien sûr, d'une mesure de précaution, mais elle compromet
gravement la valorisation du cinquième quartier.
On ne saurait manquer d'évoquer les problèmes du financement de l'équarrissage
et de l'incinération des déchets animaux.
La crise aura eu au moins une conséquence heureuse, celle de favoriser la
traçabilité de la viande avec la mise en place d'un étiquetage informatif
détaillé.
Enfin, je n'aurai garde de passer sous silence l'importante contribution de
nos collègues, en particulier celle de M. Charles Descours, qui a déposé une
proposition de loi, adoptée par le Sénat, tendant à renforcer la sécurité
sanitaire.
J'en viens, monsieur le ministre, au projet de réforme de la politique
agricole commune présentée par la Commission de l'Union européenne sous le
vocable « Agenda 2000 ». Les discussions du Comité spécial agricole sur le
projet de la commission pour la viande bovine ont fait ressortir les profondes
divergences entre les tenants de l'extensification de la production et les
Etats qui mettent en cause le caractère partiel envisagé, la baisse du prix de
soutien, qui serait à terme de l'ordre de 30 %. Le débat porte également sur
les critères de densité, qui sont actuellement, pour la prime aux bovins mâles,
de quatre-vingt-dix animaux par exploitation et de deux UGB - deux unités de
gros bétail - par hectare.
Neuf de nos partenaires sont favorables à la réforme, le Royaume-Uni proposant
une diminution de 35 % des prix garantis à l'échéance 2000 ou 2002.
La France, pour sa part, demande une étude d'impact des propositions de la
Commission, et je vous rejoins, monsieur le ministre, lorsque vous estimez que
les prévisions d'exportations présentées par les autorités européennes sont
trop optimistes. Peut-on réellement compter sur une compensation à 80 % par une
augmentation graduelle des primes à la vache allaitante et aux bovins mâles,
complétée par une prime à la vache laitière ? Ces mesures permettront-elles de
développer l'extensification de la production et la suppression de l'aide au
maïs ensilage ? Je ne le crois pas. Il y a une vraie interrogation sur l'avenir
du cheptel allaitant. Nous savons que les propositions de l'Agenda 2000
conduiraient à une nouvelle répartition du soutien direct. Celle-ci, en l'état
des propositions, serait défavorable au cheptel allaitant français et nous
pénaliserait donc au premier chef, alors que nous avons le premier troupeau
allaitant d'Europe.
Cela aboutit à réduire la part du budget destinée aux primes à la vache
allaitante et aux compléments extensifs. Cela a également pour répercussion une
réduction relative de la place de la France dans le budget de l'organisation
commune du marché de la viande bovine, et ce au profit de l'Allemagne.
Le soutien direct par les aides de l'OCM viande bovine est réorienté vers
l'engraissement des mâles, qu'ils soient laitiers ou allaitants.
L'engraissement des femelles ainsi que l'activité de naissage sont donc
pénalisés et le complément extensif marginalisé. Voilà qui me paraît très
grave, monsieur le ministre.
Tout d'abord, cela démontre une méconnaissance technocratique, car si l'on
pénalise les naisseurs, on fragilise bien évidemment les engraisseurs, à moins
d'importer. Or c'est notre élevage qui doit subsister. Je considère que
l'élevage extensif a sa raison d'être dans le domaine environnemental et même
dans le domaine écologique. J'ose espérer qu'au sein du Gouvernement vous
recevrez le soutien de Mme Voynet, car si nous voulons éviter une pollution par
les nitrates, soutenons la prime à l'herbe et l'élevage extensif !
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, ainsi que
sur les travées socialistes.)
Je partage également votre point de vue, monsieur le ministre, lorsque
vous estimez que le stockage privé n'est pas adapté au secteur bovin. Il me
semble que le projet, présenté par M. Jacques Santer, de développer les
exportations en abaissant les prix risque de sacrifier des pans entiers de la
filière bovine. Vous ne pouvez pas, nous ne devons pas laisser faire, et le
Sénat comme l'Assemblée nationale doivent être solidaires du Gouvernement pour
protester avant qu'il ne soit trop tard contre la procédure dans laquelle on
veut nous engager.
Je reprends totalement à mon compte les propos de M. Pierre Chevalier,
président du conseil de direction d'OFIVAL, lorsqu'il s'interroge sur les
assurances de stabilité du marché en l'absence de mesures de maîtrise et sans
l'intervention publique. Quel effet sur le revenu et le nombre des
exploitations auront les propositions de compensations à caractère partiel,
particulièrement pénalisantes pour l'activité de naissage et d'engraissement de
ces vaches allaitantes ?
En ce qui concerne l'Agenda 2000, j'ai pris connaissance avec intérêt des
déclarations du directeur général de l'agriculture de la Commission de
Bruxelles, qui a expliqué que le calcul des droits pour la prime à la vache
laitière de 145 écus par tête serait ajusté selon le rendement laitier de
chaque Etat membre en divisant le quota national par le rendement moyen
communautaire.
Je souscris pleinement, monsieur le ministre, aux propositions de la
profession laitière tendant à instituer un double prix du lait ; un prix
garanti et un prix déterminé par les cours mondiaux afin de conquérir de
nouveaux marchés, notamment dans les pays émergents d'Asie, mais à la condition
de redonner plus de souplesse à nos producteurs quant aux possibilités de
production.
Sur le problème de la production des veaux, la France est relativement isolée
parmi ses partenaires européens. Là encore, monsieur le ministre, je partage
votre point de vue concernant la nécessité de mettre un terme à la prime à la
mise précoce sur le marché selon le poids des carcasses et à la prime à
l'abattage des nouveaux-nés.
Comme vous l'avez parfaitement exprimé, lors du conseil agricole des 20 et 21
octobre, « nous sommes en train de ruiner l'équilibre du marché déjà fragile et
avec lui l'équilibre du marché de la viande bovine et du lait ». Quant à la
prime à la commercialisation précoce, elle est en effet inéquitable ; elle
n'entre pas dans la vocation d'une aide communautaire en vue de la
redistribution de la production entre les Etats membres.
Sans anticiper sur le débat que nous aurons dans quelques semaines sur le
projet de budget de votre ministère, je constate que celui-ci est en
quasi-stagnation, avec une augmentation limitée à 1,22 %. Je note toutefois
l'effort qui a été accompli en faveur de la revalorisation des retraites
agricoles, qui ont bénéficié d'une dotation de 500 millions de francs, abondée
par un prélèvement sur le BAPSA de 180 millions de francs.
Sans faire de polémique, je noterai que, dans les deux années précédentes, la
revalorisation avait été plus importante. Mais ce qui compte, c'est le cumul et
que l'on continue à avancer dans la bonne voie.
Il est clair que nombre de retraites agricoles, en particulier nombre de
pensions de réversion, se trouvent à un niveau indigne de notre société,
s'agissant d'anciens travailleurs qui ont commencé leur vie professionnelle dès
l'adolescence. Il faudrait en la matière se donner pour objectif de rapprocher
le montant des retraites agricoles de celui du SMIC.
Je sais - M. Paul Raoult l'a dit tout à l'heure - que cette dépense pèserait
très lourd sur le plan budgétaire. Mais les gouvernements successifs ont bien
trouvé de l'argent pour les fonctionnaires ! Ils ont beaucoup plus de mal à en
dégager pour la revalorisation des retraites agricoles.
(MM. Machet et
Huchon applaudissent.)
Alors, essayons de trouver les moyens de faire en sorte que cette page de
notre histoire, qui n'est pas glorieuse, soit tournée. Nous avons des
responsabilités collectives, mais nous nous devons de revaloriser nos retraites
et surtout les pensions de réversion.
Je salue, monsieur le ministre, la priorité que vous avez donnée à
l'installation des jeunes, dont la dotation budgétaire atteint 1 milliard de
francs. Je me réjouis également que le fonds de gestion pour l'espace, le FGER,
ait été doté de 140 millions de francs.
Enfin, je vous donne acte de l'effort consenti dans le domaine de
l'enseignement agricole, tant public que privé, où l'on constate quelques
créations d'emplois.
Dans quelques mois, monsieur le ministre, vous nous présenterez le projet de
loi d'orientation agricole ; permettez-moi tout de même de m'étonner que vous
n'ayez pas repris le texte préparé par votre prédécesseur, qui avait donné lieu
à une large concertation entre votre ministère et les organisations
professionnelles.
Il me semble qu'il y aura lieu dans ce texte de renforcer l'organisation
économique de l'agriculture sur la base des filières et d'intensifier l'effort
en faveur de la qualité des produits et de leurs propriétés sanitaires.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. Signé.
M. René-Pierre Signé.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais,
dans le cadre de cette intervention, évoquer les thèmes de la production, du
marché, des organisations communes des marchés, les OCM, de l'organisation à la
base des producteurs, de l'industrie agroalimentaire et de la valorisation de
la qualité des produits.
La production agricole est confrontée à une difficulté d'adaptation d'un
marché toujours plus segmenté. Il existe, notamment, une contradiction entre la
demande faite aux agriculteurs de fournir des produits alimentaires de plus en
plus standardisés et une nécessité parallèle d'individualiser les produits,
d'accentuer leur authenticité.
Que faut-il produire donc, et pour le vendre à qui ?
Au-delà de la réflexion stratégique et prospective qu'ils mènent, les
exploitants agricoles français doivent se révéler toujours plus tacticiens pour
trouver lors de chaque campagne le débouché le plus fructueux pour leur
production. Cette réalité remet en cause l'économie sociale qui régit depuis
cinquante ans l'organisation des producteurs.
On ne peut déplorer que chaque agriculteur de notre pays se soit mué en un
opérateur économique comme les autres, au même titre qu'un artisan ou un
commerçant par exemple. C'est l'une des conséquences d'une démarche collective
extrêmement positive, laquelle s'est exprimée aussi à travers l'essor et les
réussites de l'enseignement agricole - cela a été souligné. Il s'agit d'un
mouvement depuis longtemps irréversible, qui a largement profité au revenu de
la plupart des exploitants. La croissance formidable a suivi le développement
des marchés et leur concentration. En contrepartie, elle s'est bien souvent
accompagnée d'une perte de la maîtrise qu'avaient les agriculteurs de leurs
marchés.
Le défaut actuel de maîtrise des filières est l'une des causes de la plupart
des crises de surproduction ou, plus exactement, de l'inadéquation de l'offre à
la demande que l'on a pu observer ces dernières années, notamment dans les
secteurs des fruits et légumes ou de la viande bovine. Ce problème touche
autant les productions fortement contingentées que les productions librement
concurrentielles.
La qualité des produits que sanctionnent les signes de qualité - labels,
appellations d'origine... - peut être une réponse efficace à ce problème de
contrôle du produit fini. Encore faut-il qu'on associe les producteurs à la
définition de ces signes et que l'on prenne en compte leur effort primordial de
qualité. Encore faut-il leur accorder une part de la plus-value économique
correspondant à leur effort. La gestion rigoureuse des signes de qualité et
leur réappropriation par les agriculteurs, comme ils l'ont fait avec les AOC,
leur permettra, entre autres, de retrouver l'initiative perdue dans
l'élaboration et la mise en marché de leur production.
Mais cela ne sera pas suffisant. Il faudra aussi que l'Europe garantisse, à
travers la réforme des organisations communes de marché, la pérennité d'un
modèle agricole qui affirme les principes suivants.
Premièrement, l'ensemble des systèmes de production agricoles, intensifs ou
extensifs, doivent avoir leur place et doivent pouvoir s'épanouir sur la
totalité des territoires français et européen.
Deuxièmement, la présence de l'activité agricole doit être la clé de voûte du
maintien en vie de très larges pans de notre territoire, et cette activité
agricole ne doit pas avoir pour unique fonction de produire des biens
alimentaires.
Troisièmement, les agriculteurs présents dans les zones les plus fragiles
économiquement doivent être confortés dans leur rôle économique à travers la
fonction de production.
Enfin, quatrièmement, les produits agricoles et les aliments ne sont pas des
produits comme les autres. Ils sont dépositaires non seulement d'un patrimoine
irremplaçable, mais encore d'enjeux vitaux pour notre indépendance, notre
capacité à exporter vers les pays tiers et pour accompagner le développement
des pays du Sud.
L'organisation économique des producteurs est l'un des éléments fondamentaux
du développement durable de l'agriculture française. Les coopératives et autres
groupements doivent-ils devenir de simples outils économiques de mise en marché
ou bien doivent-ils conserver leur caractère initial d'organisation des
agriculteurs d'un territoire donné ? On peut penser qua la nécessaire
restructuration qui s'opère n'est pas l'unique réponse possible au besoin de
dynamisation des coopératives. Rapprochons l'organisation économique des
territoires, mais aussi redonnons aux producteurs un rôle central dans le choix
des stratégies de leurs coopératives afin de redéfinir le rôle de ces
organisations envers l'aval des filières agroalimentaires.
Il conviendrait donc d'appuyer plus sélectivement les mouvements coopératifs
qui reverront dans ce sens leur système de fonctionnement, selon des modalités
souples. Une réforme de la prime d'orientation agricole pourrait prendre en
compte cette volonté politique. Je sais que le Gouvernement a décidé de
réserver la quasi-totalité des aides nationales aux dossiers pouvant bénécicier
de ces aides européennes, pour des raisons d'efficacité aisément
compréhensibles.
Il est essentiel que nous conservions l'initiative dans ce domaine vital pour
le dynamisme de nos entreprises agroalimentaires, singulièrement pour ce qui
concerne les coopératives en les accompagnant le plus possible dans leur
recherche d'accords avec l'aval, quand cette recherche émane de l'organisation
des producteurs elle-même, et non l'inverse.
Cela passera par un développement de la contractualisation entre l'amont et
l'aval, par un raccourcissement des schémas d'acheminement de la matière
première jusqu'au produit transformé et distribué.
Le danger provient du fait que cette démarche est actuellement contrôlée par
l'aval, en particulier par la grande distribution, tout simplement parce
qu'elle est plus concentrée que les organisations de producteurs. Sa capacité
d'initiative est donc plus forte.
La mise en marché de masse des produits ne profite ni à la qualité ni, en
termes de prix, au consommateur. La rémunération du producteur peut bien
descendre à des niveaux dangereusement faibles, la marge que s'octroie la
grande distribution peut bien être réduite drastiquement, le coût global de
l'alimentation dans le panier du consommateur ne baisse pas, bien au contraire.
Il y a manifestement quelque chose à revoir d'urgence du côté du parcours
intermédiaire des produits.
L'industrie agroalimentaire est la première industrie en France par son
chiffre d'affaires, qui atteint 735 milliards de francs, et sa présence à
l'exportation, qui en fait le premier facteur du solde excédentaire de notre
balance commerciale.
Par ailleurs, la part relative des produits transformés dans nos exportations
agroalimentaires augmente chaque année en valeur absolue comme en pourcentage.
Cela veut dire plus de valeur ajoutée et plus d'emplois.
L'exportation est donc une nécessité absolue pour notre agriculture. Elle
compense la faible progression de la consommation alimentaire dans un marché
intérieur arrivé à saturation. Or nous ne parviendrons à développer nos
exportations de produits agroalimentaires que par le biais des produits
transformés. Cela renforce l'impératif, pour les paysans français, de reprendre
le contrôle de leurs produits en aval.
Par ailleurs, nous savons que peu de choses peuvent être faites dans le cadre
de la réforme en cours des organisations communes de marché. L'objectif visé
par la Commission européenne est le même qu'en 1992 : d'une part, réduire les
dépenses consacrées au soutien de l'agriculture - surtout en prévision de
l'élargissement de l'Union - et, d'autre part, mettre en place les conditions
qui permettront de renégocier les accords commerciaux multilatéraux de
l'Organisation mondiale du commerce.
Quelles possibilités s'offrent pour agir en faveur de l'exportation de nos
produits agroalimentaires ?
Il s'agit, d'abord, du renforcement de la compétitivité de notre agriculture
par un soutien apporté à notre recherche et par la mise en cohérence des
dépenses publiques, qui sont aujourd'hui disséminées et exposées à des
réductions de crédit.
Ensuite, l'aide de l'Etat à l'exportation doit soutenir la promotion de nos
produits agroalimentaires sur les marchés étrangers.
Enfin et surtout, il faut encourager les signes de qualité. J'ai dit notre
satisfaction de voir cette préoccupation guider le travail préparatoire à
l'élaboration de la future loi d'orientation agricole.
Ces trois éléments, la recherche, la promotion, les signes de qualité, doivent
être au coeur du dispositif français d'amélioration de l'accès aux marchés
tiers.
Je constate avec plaisir que plus du quart des implantations se font en milieu
rural. Il y a là un mouvement spontané que nous devons encourager et renforcer,
là encore de manière sélective, pour fixer la valeur ajoutée dans les régions
de production. Les contrats de plan et la future PAC devront soutenir
l'investissement des industries agroalimentaires dans les zones de production.
C'est fondamental, car le terrain nous enseigne combien il est mortifère pour
une activité agricole de perdre ses outils de transformation ; je le constate
régulièrement, dans mon département, avec la disparition des abattoirs.
L'argument tendant à affirmer la nécessité de cette folle concentration ne
résiste pas aux perspectives de réglementation européenne en matière de
bien-être animal. Des contraintes vont être introduites, qui rendront toujours
plus désavantageux, sur le plan économique, l'éloignement des abattoirs des
lieux de production, d'autant que la traçabilité des carcasses est bien plus
facile à vérifier que celle des animaux sur pied.
Il en est de l'industrie agroalimentaire comme de la coopération ou du soutien
public à l'exportation : aucun résultat satisfaisant ne saurait être obtenu
sans une réappropriation préalable par les producteurs de leurs outils de mise
en marché.
L'analyse de cette situation est d'ailleurs très éclairante à l'égard de notre
débat d'aujourd'hui. A l'une des extrémités de la filière se trouvent les
producteurs et leurs représentants au sein des chambres d'agriculture ; à
l'autre extrémité, les distributeurs : bouchers traditionnels ou grande
distribution. Ce sont ces deux extrémités de la filière qui ont joué le rôle
moteur dans l'établissement de la traçabilité, et les échelons intermédiaires
ont suivi.
Que se passe-t-il maintenant, un an et demi après le début de la crise de
l'encéphalopathie spongiforme bovine ? Les distributeurs ont pris le pli d'une
information plus complète auprès des consommateurs, et la mise en place de la
réglementation sur l'étiquetage a conforté leur démarche plus qu'elle ne l'a
contrainte.
Ces mêmes distributeurs ont, à vrai dire, accru leur emprise sur la filière.
Les éleveurs, pour leur part, ont engagé un important effort, dont on leur
explique en général qu'ils ne doivent pas attendre de retombées économiques
autres que la possibilité de continuer à écouler leur production. Les acheteurs
ne peuvent leur garantir de prix, pas plus qu'ils ne peuvent assurer des
apports réguliers aux abattoirs. La restructuration de la filière viande n'a
pas profité aux éleveurs.
On m'objectera que le cas de la viande bovine, comme celui des fruits et
légumes, est extrême, de par la très forte dispersion de la filière. Mais la
filière porcine, la filière avicole, qui sont très intégrées, et, plus encore,
la filière des céréales souffrent d'un même dessaisissement des agriculteurs du
pouvoir décisionnel.
On en arrive au paradoxe qui voit des exploitants agricoles de mieux en mieux
formés et toujours plus aguerris à la gestion économique, commerciale et
financière de leur exploitation perdre parallèlement, et de plus en plus, la
maîtrise des choix de production conditionnant l'avenir de leur activité.
Le développement durable ne s'accommode pas de tactiques à court terme dictées
par l'opportunité, c'est-à-dire le souci de profiter d'une aide européenne, ou
par la crainte de ne pas atteindre la masse critique qu'imposerait le marché.
On veut aider les agriculteurs soucieux de se réapproprier la mise en marché de
leurs produits parce qu'on veut les aider à assumer à nouveau pleinement leur
responsabilité de chef d'entreprise.
Il ne s'agit pas d'opposer deux modèles d'agriculture, l'une productiviste et
l'autre chargée seulement d'occuper le territoire. Il est important de
percevoir la richesse et la chance qu'incarne la production agricole dans
toutes les régions de France et de reconnaître la multiplicité des modèles de
développement possibles.
Dans un environnement économique en évolution constante, avec des marchés
eux-mêmes évolutifs, les modèles types ont vécu. Chaque agriculteur français
doit être soutenu s'il souhaite élaborer une stratégie d'évolution et
d'adaptation en intégrant des éléments tels que la disponibilité en
main-d'oeuvre de l'exploitation, les éventuels marchés de proximité, la
situation du marché foncier ou bien encore la valorisation possible des
matières premières produites par l'exploitation. Cette démarche serait, en
elle-même, une recherche de qualité que nous pourrions encourager comme
telle.
Quant à la qualité des produits, on peut penser qu'elle passe d'abord par la
définition rigoureuse d'un produit clairement identifié à un territoire. Des
exemples nombreux témoignent qu'il suffit parfois de se pencher sur le passé et
les traditions alimentaires de sa région pour y puiser la bonne idée, le bon
produit.
Il revient cependant, au premier chef, à l'Etat d'attester la rigueur des
signes de qualité, suivant en cela une politique ancienne sur laquelle s'appuie
la crédibilité des normes françaises. Je sais que le ministère met ce
développement des garanties officielles au rang de ses actions principales au
titre IV de son projet de budget pour 1998 et que les actions en direction de
l'agriculture biologique seront renforcées. On ne peut que s'en réjouir.
J'ai essayé, monsieur le ministre, de souligner que la question économique du
devenir des exploitations agricoles françaises peut et doit être traitée non
seulement aux niveaux national et international, mais encore à l'échelle de
chaque exploitant agricole.
Se réapproprier la définition et la mise en marché de sa production ne
signifie pas, loin de là, retourner à l'individualisme d'avant-guerre. C'est,
tout au contraire, oeuvrer pour un développement en solidarité des
exploitations de sa région et de l'ensemble du territoire rural. C'est
également affronter avec ses propres armes le futur incertain des marchés
agroalimentaires, avec ses propres armes, c'est-à-dire avec les meilleures
armes et de toutes ses forces.
Il faut faire des choix, prendre acte du dynamisme incontestable de la filière
agroalimentaire et s'en féliciter.
Ce dynamisme ne saurait être entravé, et l'on voit bien que c'est plus en
faisant preuve d'imagination que d'esprit de contrainte que nous pourrons
infléchir, dans un sens plus favorable aux producteurs, l'évolution économique
de l'agriculture française.
Pour ma part, je retiendrai deux idées forces qui pourraient inspirer notre
réflexion commune.
Premièrement, en restituant aux agriculteurs le caractère original de leur
économie sociale, nous leur rendrons le pouvoir économique dans leurs
filières.
Deuxièmement, l'ensemble des agriculteurs doivent, partout et quel que soit
leur système d'exploitation, être considérés en priorité comme des
producteurs.
L'importance des crédits affectés par la nation et par l'Europe à
l'agriculture indique assez la nécessité de conserver la maîtrise politique de
notre devenir agricole et rural.
L'Union européenne est le terrain où doivent être assumées les options claires
qui engageront la vie de notre agriculture dans les prochaines décennies.
J'ajoute, pour conclure, monsieur le ministre, que l'exigence d'une raison
retrouvée sur les marchés agro-alimentaires est particulièrement pressante chez
les producteurs eux-mêmes. Ne les décevons pas.
(Applaudissements sur les
travées socialistes.)
M. William Chervy.
C'est vraiment un spécialiste qui a parlé !
M. le président.
Mes chers collègues, le Sénat va maintenant interrompre ses travaux ; il les
reprendra à vingt et une heure quarante-cinq.
La séance est suspendue.