DROIT DE VOTE DES CITOYENS
DE L'UNION EUROPÉENNE
AUX ÉLECTIONS MUNICIPALES
Discussion d'un projet de loi organique
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi organique (n° 381,
1996-1997) relatif à l'exercice par les citoyens de l'Union européenne résidant
en France, autres que les ressortissants français, du droit de vote et
d'éligibilité aux élections municipales et portant transposition de la
directive 94/80/CE du 19 décembre 1994. [Rapport n° 415 (1996-1997).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les
sénateurs, en application du traité sur l'Union européenne, et en particulier
de son article 8 B, le Conseil européen du 19 décembre 1994 a adopté une
directive relative aux élections municipales. C'est sa transposition dans notre
droit interne qui vous est aujourd'hui proposée.
Il s'agit d'organiser pour tout citoyen de l'Union européenne résidant dans un
Etat membre dont il n'est pas le ressortissant le droit de vote et
d'éligibilité aux élections municipales dans l'Etat membre où il se réside.
Avant d'entrer dans le vif du sujet, on me permettra de faire un bref rappel
historique.
La directive du Conseil du 19 décembre 1994, relative aux élections
municipales, prévoit dans son dernier article que « les Etats membres mettent
en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives
nécessaires » pour se conformer à ladite directive « avant le 1er janvier 1996
».
C'est en application de cette disposition que le précédent Gouvernement a
procédé à l'élaboration d'un projet de loi organique, déposé sur le bureau de
l'Assemblée nationale le 2 août 1995.
Toutefois, pour des raisons qui lui sont propres, le Gouvernement de M. Alain
Juppé n'a pas fait inscrire le texte à l'ordre du jour de l'Assemblée
nationale. Il en est résulté que la France a pris un important retard dans la
mise en oeuvre de ses engagements internationaux en cette matière.
Par ailleurs, la dissolution de l'Assemblée nationale survenue le 21 avril
1997 a rendu ce texte caduc, si bien que le nouveau gouvernement a dû reprendre
la procédure
ab initio
. Soucieux de ne pas différer davantage
l'application du traité, le Gouvernement a déposé un nouveau projet de loi
organique sur le bureau du Sénat le 2 juillet dernier, et c'est le premier
texte qui vient à l'ordre du jour à l'ouverture de la présente session
extraordinaire.
J'en viens maintenant à l'analyse du dispositif que vous propose le
Gouvernement.
Afin de sérier les problèmes, je regrouperai les dispositions du texte en deux
grandes catégories.
Il s'agit, d'une part, des mesures homologues, pour les élections municipales,
de celles qui sont déjà contenues dans la loi du 5 février 1994 pour les
élections européennes. Elles sont déjà connues de vous et le rapporteur de la
commission des lois, M. Fauchon, avait également rapporté ce texte de loi en
1994. L'adaptation aux élections municipales ne devrait donc pas,
a
priori
, soulever de difficulté.
Il s'agit, d'autre part, des mesures qui s'écartent des dispositions
correspondantes de la loi sur les élections européennes et celles qui n'y ont
pas d'équivalent, qui devraient naturellement retenir davantage votre
attention.
J'aborderai en premier lieu les mesures homologues de celles de la loi du 5
février 1994.
La directive du 19 décembre 1994 pas plus que celle du 6 décembre 1993
relative à l'élection européenne ne touchent au système électoral de chaque
Etat membre. La Commission européenne et le Conseil se sont attachés à limiter
son contenu à ce qui est strictement nécessaire pour atteindre l'objectif du
traité. Le texte laisse donc en l'état les systèmes électoraux pour les
électeurs nationaux. Il vise essentiellement à supprimer la condition de
nationalité, actuellement requise par la plupart des Etats membres pour exercer
le droit de vote et se porter candidat aux élections municipales, permettant
ainsi à la loi électorale nationale de s'appliquer aux résidents communautaires
de la même façon qu'elle s'applique aux ressortissants nationaux.
L'affirmation du principe d'égalité et de non-discrimination pour les
résidents communautaires conduit à leur appliquer les mêmes conditions qu'aux
nationaux pour l'exercice du droit de vote et d'éligibilité. Ces conditions
portent sur l'âge, la capacité, le cumul des mandats, l'inscription sur la
liste électorale et la notion de résidence. La directive n'interfère pas dans
ces domaines qui doivent, à l'évidence, rester du ressort national.
La deuxième similitude a trait aux populations concernées. Il s'agit des
citoyens de l'Union non français mais résidant en France, condition nécessaire
pour participer au scrutin.
On retrouve donc là une question déjà rencontrée lors de la discussion de la
loi sur le vote des communautaires aux élections européennes : un étranger
communautaire peut-il voter dans la commune où il dispose d'une résidence
secondaire ? La réponse est « non » car, en droit français, la notion de
résidence, en matière électorale, s'entend de celle qui revêt à la fois un
caractère réel et continu, conformément à la jurisprudence de la Cour de
cassation, excluant par principe les séjours dans une résidence secondaire. Le
citoyen communautaire non français qui ne disposerait en France que d'une
résidence secondaire ne saurait donc exciper du fait qu'il paye des impôts
locaux depuis plus de cinq ans dans la commune où elle est située pour être
autorisé à y participer aux élections municipales.
En revanche, la réponse serait « oui » si l'intéressé est inscrit dans une
commune depuis cinq ans au moins sans interruption au rôle d'une des
contributions directes communales, mais à la condition expresse qu'il réside de
manière permanente en France, dans une autre commune. Ces conditions sont
posées, pour les Français, par l'article L. 11 du code électoral et, pour les
étrangers communautaires, par la directive elle-même.
Troisième point de similitude : pour exercer leur droit de vote en France lors
des élections municipales, les étrangers communautaires devront être inscrits
au préalable sur une « liste électorale complémentaire » valable pour les
seules élections municipales.
Deux précisions doivent être apportées à cet égard. D'une part, et alors que
l'inscription des citoyens français sur les listes électorales est obligatoire
aux termes de l'article L. 9 du code électoral, le système offert aux
ressortissants communautaires est facultatif, puisque le traité et la directive
laissent aux citoyens de l'Union le libre choix de participer ou non au scrutin
dans leur Etat de résidence. D'autre part, le droit de voter des intéressés est
subordonné à la double condition qu'ils ne soient privés de ce droit, par
l'effet d'une décision civile ou pénale, ni en France ni dans l'Etat dont ils
ont la nationalité.
Pour le reste, et afin d'assurer, conformément au traité, une exacte égalité
des droits entre les Français et les autres électeurs de l'Union, l'inscription
de ces derniers sur une liste électorale complémentaire est soumise aux mêmes
règles que celles qui sont édictées pour l'inscription des Français sur les
listes électorales.
L'établissement et la révision des listes électorales complémentaires sont
donc confiés aux mêmes autorités que celles qui sont compétentes pour
l'établissement et la révision des listes électorales, les citoyens «
communautaires » doivent remplir les mêmes conditions que celles qui sont
imposées aux Français et les règles relatives au contentieux des listes
électorales sont étendues au contentieux des listes électorales
complémentaires.
Quant au droit d'éligibilité, il est reconnu aux ressortissants des autres
Etats de l'Union résidant en France dans les mêmes conditions et sous les mêmes
réserves qu'il est reconnu aux électeurs français conformément au chapitre II
du projet de loi organique.
J'en viens maintenant aux mesures spécifiques au projet de loi présenté,
mesures qui, je le pense, retiendront davantage votre attention.
La spécificité du texte qui vous est soumis aujourd'hui, par rapport à celui
qui a transposé les dispositions de la directive relative à l'élection des
membres du Parlement européen, apparaît tout d'abord dans sa forme, puisqu'il
s'agit d'un projet de loi organique.
En effet, la transposition dans notre droit national des mesures contenues
dans la directive du Conseil du 19 décembre 1994 doit s'inscrire dans le cadre
de l'article 88-3 de la Constitution, lequel est ainsi rédigé : « Sous réserve
de réciprocité et selon les modalités prévues par le traité sur l'Union
européenne signé le 7 février 1992, le droit de vote et d'éligibilité aux
élections municipales peut être accordé aux seuls citoyens de l'Union résidant
en France. [...] Une loi organique votée dans les mêmes termes par les deux
assemblées détermine les conditions d'application du présent article. »
Ces modalités particulières de transposition s'expliquent évidemment par les
répercussions que pourrait avoir la participation d'électeurs communautaires à
la désignation des sénateurs, laquelle doit être réservée aux Français pour que
soit garanti le respect de l'article de la Constitution qui réserve au peuple
français l'exercice de la souveraineté nationale à laquelle participe sans
discussion possible le Sénat.
Sur le fond, le texte du projet de loi diverge encore de la loi du 5 février
1994 à propos du contrôle des doubles inscriptions.
La loi de 1994, dans le droit-fil de la directive du 6 décembre 1993, prévoit
divers contrôles et échanges d'informations entre les Etats membres de l'Union,
de telle sorte qu'un même électeur ne puisse simultanément être inscrit dans
son Etat d'origine et dans son Etat de résidence, pour interdire en pratique
toute possibilité de vote multiple à l'élection du Parlement européen,
conformément à l'article 8 de l'article 8 de l'Acte du 20 septembre 1976.
En revanche, s'agissant des élections municipales, nos partenaires, pour des
raisons qui leur appartiennent, n'ont pas exclu formellement les inscriptions
multiples.
Dans ces conditions, il n'était plus possible, même si on peut le déplorer,
d'organiser d'un commun accord des échanges d'informations de nature à prévenir
d'éventuelles inscriptions multiples.
Le Conseil d'Etat a néanmoins souligné, en se fondant sur la décision du
Conseil constitutionnel n° 92-308 DC du 9 avril 1992, qu'il importait d'éviter
qu'une même personne puisse exercer le droit de vote aux élections municipales
à la fois dans son Etat d'origine et dans l'Etat de l'Union où il réside. Aussi
lui est-il apparu nécessaire de transposer à sa situation un principe de base
de notre droit électroral : de la même façon qu'est prohibée l'inscription
simultanée d'un Français sur plusieurs listes électorales, il sera exigé que le
citoyen de l'Union qui demande son inscription sur une liste électorale
complémentaire s'engage à n'exercer son droit de vote aux élections municipales
qu'en France. Le fait pour lui de revenir sur cet engagement emporterait
corrélativement sa radiation d'office de la liste électorale complémentaire.
C'est l'objet des articles L.O. 227-4 et L.O. 227-6 dont l'insertion est
proposée dans le code électoral. Enfin, figurent dans le projet de loi
organique des règles qui n'ont pas de contrepartie dans la loi du 5 février
1994 sur la participation des étrangers communautaires à l'élection des
représentants de la France au Parlement européen.
D'une part, les articles 6 et 7 du projet de loi interdisent aux conseillers
municipaux n'ayant pas la nationalité française d'être membres du collège
électoral sénatorial ou de participer à la désignation de membres d'un tel
collège.
D'autre part, les mêmes élus municipaux ne peuvent être désignés en qualité de
maire ou d'adjoint ni même appelés à en exercer temporairement les
fonctions.
Ces dispositions se fondent sur les paragraphes 3 et 4 de l'article 5 de la
directive, qui autorisent les Etats membres à disposer que seuls leurs propres
ressortissants sont éligibles « aux fonctions de chef, d'adjoint ou de
suppléant ou de membre du collège directeur de l'exécutif d'une collectivité
locale de base » ou que les étrangers « ne peuvent participer à la désignation
des électeurs d'une assemblée parlementaire ni à l'élection des membres de
cette assemblée », sous réserve que les dispositions adoptées à cet effet
restent « appropriées, nécessaires et proportionnées aux objectifs visés ».
Le Gouvernement comme le Conseil d'Etat ont veillé à ce que les règles
dérogatoires élaborées dans le cadre de cette autorisation soient effectivement
rigoureusement proportionnées. C'est ainsi qu'a été écartée toute solution qui
aurait impliqué un « contingentement » des élus étrangers au sein des conseils
municipaux.
Enfin, je dirai un mot des mesures transitoires incluses dans l'article 13 du
projet de loi organique.
Pour respecter exactement les prescriptions de la directive, il convient que
les ressortissants de l'Union autres que les Français soient en mesure de
participer aux élections municipales partielles éventuellement organisées avant
le prochain renouvellement général des conseils municipaux de 2001, faute de
quoi ils feraient l'objet d'une mesure discriminatoire contraire au traité.
Or la date probable de publication de la loi organique sera trop tardive pour
que les citoyens de l'Union résidant en France disposent du même délai que les
Français pour demander leur inscription sur les listes électorales. La révision
annuelle des listes est en effet ouverte depuis le 1er septembre dernier, et
les demandes d'inscription ne sont recevables que jusqu'au 31 décembre
prochain, pour prendre effet à compter du 1er mars 1998.
C'est la raison pour laquelle l'article 13 du projet de loi permet aux
intéressés, à titre transitoire et jusqu'à la clôture de la révision 1998-1999,
de demander leur inscription dans les conditions prévues aux articles L. 31 à
L. 35 du code électoral. A l'approche d'une élection municipale partielle, il
leur sera donc loisible de déposer une demande d'inscription en mairie, même en
dehors des périodes normales d'inscription ; cette demande, recevable jusqu'au
dixième jour précédant le scrutin, sera transmise au juge du tribunal
d'instance et instruite par lui ; elle pourra donner lieu à l'inscription du
requérant avec effet immédiat.
Telles sont brièvement résumées, mesdames, messieurs les sénateurs, les
dispositions essentielles du projet du Gouvernement. Je vous invite maintenant
à en délibérer, de telle sorte que la France puisse se mettre en règle avec les
engagements qu'elle a précédemment souscrits à l'égard de nos partenaires de
l'Union européenne.
Dans mon esprit, cette possibilité offerte aux citoyens de l'Union d'être
associés étroitement à la gestion des affaires locales doit devenir un facteur
puissant incitant les étrangers communautaires installés dans notre pays à une
plus grande intégration. L'objectif que nous devons chercher à atteindre est
non pas de dissoudre le principe de citoyenneté, mais de le raffermir. Les
hôtes de la France, si du moins ils le désirent, doivent devenir demain les
nouveaux citoyens de la République. Ce projet de loi organique ouvre ainsi,
pour les ressortissants communautaires, une étape accueillante sur le chemin
qui les conduira à la pleine égalité en droit que la République confère à tous
ses citoyens, d'où qu'ils viennent.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'ai donc l'honneur de
rapporter devant vous ce projet de loi organique qui présente deux
caractéristiques, peut-être d'ailleurs un peu contradictoires.
En premier lieu, il vise à introduire dans notre vie publique une innovation
plus importante par sa signification que par ses effets pratiques, qui
resteront probablement tout à fait limités.
En second lieu, ce projet de loi témoigne d'une double continuité, je dirai
presque d'un double consensus.
Il existe tout d'abord une continuité du processus européen : nous avons ainsi
examiné le traité sur l'Union européenne, qui modifiait le traité de Rome en y
introduisant le dispositif qu'il s'agit maintenant de rendre applicable.
Ensuite, avant la ratification, nous avons dû adapter la Constitution aux
dispositions du traité sur l'Union. Un certain nombre d'entre vous se
souviennent sans doute d'ailleurs que cela avait donné lieu à un débat
important, particulièrement dans cette assemblée. Il en a résulté la révision
constitutionnelle créant l'article 88-3 nouveau de la Constitution, lequel
précise les conditions dans lesquelles il peut être procédé à cette innovation.
Je rappellerai d'ailleurs tout à l'heure que ces précisions constituent l'un
des cadres impérieux dont nous devons tenir compte.
Puis la ratification est intervenue le 20 septembre 1992, suivie des
délibérations sur la directive, des votes de résolution dans nos deux
assemblées et de l'adoption, le 19 décembre 1994, de cette directive à
l'unanimité - c'était prévu - MM. Balladur et Pasqua étant alors respectivement
Premier ministre et ministre de l'intérieur.
Mais, en plus de la continuité du processus européen, il existe une sorte de
continuité gouvernementale : en effet, le texte qui nous est aujourd'hui soumis
reprend purement et simplement le projet de loi organique préparé et présenté
par le gouvernement de M. Juppé, projet de loi qui, comme M. le ministre de
l'intérieur l'a rappelé tout à l'heure, n'avait pas été inscrit à l'ordre du
jour. Il y a donc, une fois n'est pas coutume, à moins qu'elle ne le devienne -
je ne peux pas préjuger !
(Sourires) -,
un consensus qu'il convient de saluer pour placer nos
délibérations sous le signe d'une certaine détente.
Il s'agit donc pour nous de transposer la directive. Monsieur le ministre,
vous venez de donner un exemple tout à fait remarquable du caractère
extrêmement scrupuleux de votre démarche par rapport aux dispositions du traité
sur l'Union puisque vous vous y êtes constamment référé. Voilà qui montre la
voie que nous devons suivre dans une démarche qui, dans mon esprit, est
essentiellement technique puisque le débat de fond est derrière nous depuis
plusieurs années.
Disons immédiatement, pour situer notre réflexion, que la transposition
signifie ici l'introduction dans les systèmes législatifs nationaux
naturellement différents les uns des autres, non pas d'un bloc législatif
autonome prévoyant dans les moindres détails la participation aux élections
municipales des ressortissants de l'un des Etats membres de l'Union européenne
autre que la France - je dirai désormais, pour simplifier, « les Européens » -
mais d'un principe, en tenant compte éventuellement des différences entre les
systèmes nationaux, après avoir défini un critère d'introduction commun imposé
par le traité : celui de la résidence.
Cette porte d'entrée étant franchie ou supposée telle, les législations
particulières s'appliqueront, et le texte ne permet pas de prévoir, à
l'intérieur de chaque système, des dérogations imposant pour les seuls «
Européens » des conditions particulières : c'est la règle de la
non-discrimination.
Il s'agit donc, je le répète, d'un texte technique, mais qui soulève un
certain nombre de difficultés sur lesquelles je m'expliquerai dans un
instant.
Notre démarche est assez étroitement inscrite dans un cadre qui comporte trois
côtés, et même un quatrième un peu virtuel, à savoir la résolution que nous
avons adoptée en 1994 et qui a constitué le fil conducteur de nos
réflexions.
L'un des éléments de ce cadre, c'est évidemment le traité sur l'Union. Un
autre est constitué par l'article 88-3 de la Constitution, qui précise la
manière dont nous devons procéder : nous aurons l'occasion de le rappeler tout
à l'heure, seuls les citoyens européens pourront, sous condition de résidence,
bénéficier de cet avantage, mais avec impossibilité pour eux d'exercer les
fonction de maire ou d'adjoint et de participer - retenons cette formule - aux
élections sénatoriales.
J'en viens à l'élément « virtuel », c'est-à-dire la résolution que nous avons
adoptée en 1994 pour éclairer la démarche du gouvernement français dans la
négociation sur la directive.
Cette résolution n'a pas, semble-t-il, été suivie, mais il convenait de la
rappeler parce que, encore une fois, elle a guidé nos interrogations, sinon
toujours nos décisions. Nous souhaitions, ainsi, que les listes, en cas de
scrutin de liste, et surtout les conseils municipaux élus ne comportent qu'une
proportion limitée d'étrangers, et en tout cas qu'il n'y ait pas de majorité
d'étrangers dans les conseils municipaux ; nous souhaitions également qu'une
condition de durée minimale de résidence en France puisse être imposée ; nous
souhaitions, en troisième lieu, que la date d'application du dispositif soit
reportée à 2001 - mais les retards auxquels vous avez fait allusion, monsieur
le ministre, sont tels que, mises à part les élections partielles qui auront
lieu d'ici à cette date, cela ne posera pas de problème - et nous souhaitions,
enfin, que les territoires associés ne soient pas inclus dans l'application du
nouveau texte. Certes, s'agissant d'une résolution, je reconnais que nous ne
sommes pas là dans le droit positif, lequel se limite aux éléments que j'ai
énumérés précédemment, mais il me semblait utile de rappeler sommairement le
contenu de ladite résolution.
Le projet de loi qui nous est soumis a été fort bien exposé par M. le
ministre, je ne vais pas y revenir. Je voudrais simplement, dans une démarche
encore une fois essentiellement technique, attirer votre attention sur les cinq
ou six points qui ont retenu, assez longuement quelquefois, l'attention de la
commission des lois et qui, je n'en doute pas, retiendront la vôtre, mes chers
collègues.
S'agissant, tout d'abord, de la notion de résidence en France, nous avions
estimé préférable, au moment de l'examen d'un précédent texte dont j'avais déjà
l'honneur d'être le rapporteur et qui permettait aux Européens de voter aux
élections européennes, d'apporter le maximum de précisions en la matière. Il
est en effet important, pour les élus locaux et les maires, de ne pas susciter
des contentieux ou des difficultés d'interprétation, même si la solution est
connue d'avance. Nous avions ainsi adopté une rédaction selon laquelle un
résident en France est quelqu'un qui y a son domicile réel ou dont la résidence
y a un caractère continu. Nous vous proposerons tout à l'heure un amendement
identique pour compléter le texte sur ce point.
Il est une deuxième difficulté, peut-être plus curieuse, sur laquelle M. le
ministre a exprimé un avis personnel qui m'a intéressé. Je veux parler du
double électorat : un Européen remplissant les conditions pour être électeur en
France lors d'une élection municipale, mais qui les remplit aussi pour être
électeur dans telle ou telle commune ou dans tel équivalent de commune de son
pays d'origine, doit-il, comme nous le propose le Gouvernement, « brûler ses
vaisseaux » s'il veut voter chez nous et couper le cordon ombilical avec sa
commune d'origine ? Cette proposition ne nous semble pas fondée : en effet,
actuellement, la directive est transposée dans presque tous les Etats membres
de l'Union, à l'exception de la Belgique, de la Grèce et de la France. Or les
autres Etats membres ne sont pas allés au-delà de la directive sur ce point et
ils n'ont pas interdit cette possibilité de double appartenance à un collège
électoral. Cela signifie qu'un Français résidant, par exemple, en Belgique ou
en Allemagne mais qui est imposable dans telle ou telle de nos communes où il a
sa famille, où il connaît tout le monde, pourra continuer à participer aux
élections municipales chez nous, même si, pour des raisons tenant à l'évolution
de sa vie, il a acquis une sorte de dimension nouvelle et différente, ce que
nous appellerons une dimension « européenne ». Ce citoyen pourra donc ainsi
accéder au droit de vote - je parle ici uniquement du droit de vote et non pas
de l'éligibilité, question bien distincte sur laquelle notre position est
différente - mais il pourra aussi s'inscrire à l'étranger.
Le citoyen français le peut donc, et nous avons pensé qu'
a priori
il
n'était ni souhaitable - ni même aimable - d'imposer des servitudes aux autres
alors qu'on ne nous les impose pas. Plus profondément - et ici, monsieur le
ministre, nos esprits pourront peut-être se rencontrer - nous avons considéré
que l'on peut devenir « citoyen européen » - je mets ces termes entre
guillemets, mais c'est bien à une amorce de citoyenneté européenne que nous
travaillons aujourd'hui - sans cesser d'être un citoyen national. Mais ne nous
demandez-vous pas, si j'ai bien compris vos propos tout à l'heure, monsieur le
ministre, de voter ce texte sous le signe d'une intégration à la République du
citoyen européen ?
Ma vision des choses est un peu différente. Il me semble, personnellement,
que, dans le processus de construction européenne où nous nous situons, on peut
être tout à la fois Européen et national de l'un des Etats membres. Il n'y a
pas de raison d'empêcher cette dualité, qui durera sinon des générations, en
tout cas un certain temps, sans même que l'on puisse imaginer sérieusement
l'époque où une sorte de supranationalité viendrait abolir les nationalités
originelles, car je n'imagine pas que ce soit ainsi que nous souhaitions, ni
les uns ni les autres, construire l'Europe.
M. Emmanuel Hamel.
Certainement pas !
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Merci, monsieur Hamel !
Enfin, il nous a semblé qu'il n'y avait pas d'inconvénient à cette double
qualité d'électeur, d'autant que les élections ne se déroulent généralement ni
aux mêmes dates, ni dans le même contexte.
Dans ces conditions, nous proposerons, dans un amendement dont nous
reparlerons tout à l'heure, de supprimer ce dispositif et les contrôles qu'il
génère, d'autant que ces derniers ne seraient guère aisés à exercer.
En revanche, ainsi que je l'ai annoncé tout à l'heure, lorsqu'il s'agit de
l'éligibilité à un conseil municipal, c'est-à-dire lorsqu'il s'agit d'assumer
une fonction qui demande une présence, une attention, une connaissance des
problèmes, il ne nous semble pas raisonnable de permettre un tel cumul. Je ne
sais si cette proposition relève de la réflexion générale sur les cumuls qui se
prépare actuellement, mais il nous est en tout cas apparu déraisonnable
d'autoriser quelqu'un à être conseiller municipal en Grèce ou en Ecosse, par
exemple, en même temps que conseiller municipal en France. Nous vous
proposerons donc un amendement - car ce point n'est pas prévu dans le texte du
Gouvernement - qui exclut la possibilité d'un tel cumul, avec comme sanction la
démission d'office, même si nous savons bien - mais ce n'est pas une raison
pour ne pas examiner un texte - qu'il sera difficile de vérifier dans les faits
de telles situations.
Une quatrième difficulté, plus formelle sans doute, tient à la clause de
réciprocité qui est expressément visée dans les textes auxquels j'ai fait
référence tout à l'heure. En effet, qu'entend-on par « réciprocité » ? Cette
question soulève un débat de juristes que je me contenterai d'évoquer ici pour
ne le développer, si nécessaire, que lors de la discussion des articles.
Pour les uns, dès lors que le traité dont est issue la directive d'application
est ratifié par tous les Etats, la condition de réciprocité est acquise, même
si la directive qui rend le traité applicable n'est pas, en réalité, transposée
dans tel ou tel Etat.
Il nous semble que cette vision tout à fait abstraite ne répond pas à notre
système constitutionnel - le président Larché l'a rappelé lors de la révision
constitutionnelle de manière excellente - car il n'est que deux fois question
de réciprocité dans notre Constitution : en premier lieu dans le préambule de
1946, en second lieu à l'article 55.
Une démarche plus concrète et de bon sens consisterait à dire : « Nous voulons
bien transposer, nous voulons bien que les Européens votent chez nous, à
condition qu'un Français puisse voter dans chacun des pays concernés. » Mais il
y a des pays qui n'ont pas transposé la directive, même s'ils ont ratifié le
traité : c'est le cas actuellement pour la Belgique et pour la Grèce. Nous vous
proposerons donc, par voie d'amendement, de décider que, tant que les Belges et
les Grecs n'auront pas transposé la directive, leurs ressortissants ne
bénéficieront pas de cette possibilité.
La cinquième de mes réflexions porte sur les élections sénatoriales. Il s'agit
là, évidemment, d'un sujet auquel nous sommes particulièrement sensibles ! Il a
en tout cas donné un peu de fil à retordre à la commission.
Il est facile de poser le principe selon lequel les Européens inscrits sur les
listes électorales municipales ne pourront pas voter aux élections sénatoriales
: ils ne pourront pas élire les délégués dans les petites communes et, dans les
communes de plus de 9 000 habitants, où tous les conseillers municipaux sont
automatiquement grands électeurs, ils ne pourront pas l'être ni participer -
c'est pourquoi je soulignais tout à l'heure l'importance du terme - à la
désignation des suppléants et des délégués supplémentaires. Ils ont donc, en
quelque sorte, comme on dit dans le domaine hippique, un handicap.
Il nous est apparu, à la réflexion - mais nous avons été beaucoup aidés en
cela à la lecture des amendements de certains de nos collègues, et je pense en
particulier à ceux de M. Allouche - qu'il allait tout de même en résulter des
inconvénients assez sérieux. Ainsi, là où tous les conseillers municipaux
peuvent voter, le conseil municipal se trouvera affaibli dans la mesure où
certains ne voteront pas. Une anomalie serait donc introduite dans le système
des élections sénatoriales, qui risquerait d'être d'autant plus fâcheuse que,
ainsi que cela s'est produit encore tout récemment, une élection peut se gagner
à une voix près.
Nous devions donc essayer de trouver une solution, et nous en avons imaginé
trois, monsieur le ministre.
S'agissant de la première, nous avons suivi une démarche quelque peu sommaire.
Ainsi, lorsqu'un député, un conseiller général ou un conseiller régional siège
au conseil municipal, il ne peut être délégué de la commune car il est déjà
membre de droit du collège électoral des sénateurs. Il demande donc au maire de
lui désigner un remplaçant. Mais l'élu européen ne peut pas faire cette
proposition, car il participerait ainsi - c'est toujours la même formule - à
l'élection sénatoriale. Cette solution n'est pas possible.
La deuxième solution, proposée par certains de nos collègues - en particulier
par M. Allouche - consistait à prévoir que le conseil municipal élirait les
personnes qui remplaceront celles qui ne peuvent pas voter. Mais, lors de cette
élection, la majorité qui s'exprimera sera peut-être toute différente de celle
à laquelle appartient celui qu'il s'agit de remplacer ! Certes, c'est une
élection à la proportionnelle, mais, même si seules une ou deux personnes
doivent être remplacées, si elles se trouvent dans l'opposition - surtout
compte tenu de notre système électoral qui fait que, avec 30 % ou 40 % des
voix, on peut se retrouver avec 60 % des conseillers - le risque serait grand
de voir la tendance représentée par l'électeur européen privée de la voix de ce
dernier, alors que serait valorisée la voix d'une autre tendance. Le remède
serait donc sans doute pire que le mal.
Nous en sommes finalement arrivés ce matin à une troisième proposition, que M.
Allouche a bien voulu adopter et faire sienne, de sorte que cela m'a dispensé
de déposer l'amendement que j'avais prévu dans ce sens. Puisque nous sommes
dans une hypotèse de scrutin de liste, il suffit de faire comme lorsque
quelqu'un décède : on prend le suivant sur la liste. C'est une idée simple,
même si la rédaction de cette disposition est un peu compliquée. De la sorte,
si tel Européen ne peut pas voter ou participer au vote, il sera remplacé dans
cet exercice par le suivant sur la liste, s'il est Français naturellement.
M. Allouche nous présentera donc un tel amendement tout à l'heure, et je lui
fais part d'avance de l'accord unanime de la commission.
Nous avons rencontré une difficulté du même type avec le conseil de Paris.
Comme vous le savez - mais nous l'oublions souvent parce que nous ne sommes pas
tous Parisiens - la capitale est aussi un département pourvu d'un conseil
général. Les conseillers municipaux de Paris peuvent-ils, dès lors, voter au
conseil général alors qu'ils seraient Européens, c'est-à-dire tout de même
étrangers ?
Une remarquable discussion de juristes s'est engagée sur le point de savoir si
- c'est pire que le sexe des anges ! - le conseiller municipal est aussi
conseiller général ou si, par une transmutation véritablement mystique, il
devient conseiller général tout soudain. S'il touche, c'est vrai, deux
indemnités - je m'en réjouis pour lui ! - il semble tout de même que sa nature
soit unique.
Là aussi, pour prévenir une éventuelle difficulté constitutionnelle - je vous
rappelle, mes chers collègues, qu'il s'agit d'une loi organique, qui doit donc
être votée dans les mêmes termes par les deux assemblées et qui sera de toute
façon examinée par le Conseil constitutionnel - il nous a paru préférable de
prévoir le même système que précédemment : les conseillers de Paris, qu'il
s'agisse de siéger comme conseiller général ou de procéder à l'élection des
sénateurs, seront remplacés par leur suivant français sur la liste sur laquelle
ils ont été candidats. Voilà la proposition qui fera l'objet de quelques
amendements tout à l'heure.
Enfin - j'arrive au terme de mon propos - se posait la question des
territoires d'outre-mer. Le Sénat, dans sa résolution, je l'ai dit tout à
l'heure, avait demandé que ce texte ne soit pas applicable aux territoires
d'outre-mer.
Je rappelle que les territoires d'outre-mer ne sont visés à la quatrième
partie du traité de Rome que pour une liste limitative d'hypothèses, qui
n'englobe pas celle dont nous parlons aujourd'hui. Le traité sur l'Union
européenne n'a pas modifié cette liste, non plus que le traité d'Amsterdam, qui
n'a fait allusion à ce problème que pour le reporter à une date incertaine,
comme pour beaucoup d'autres, d'ailleurs, puisque le traité d'Amsterdam a
surtout servi à reporter les problèmes !
Dans ces conditions, les ressortissants des territoires d'outre-mer sont
fondés à nous dire que, le traité de Rome ne leur étant applicable que de
manière limitée et puisque, en l'espèce, nous sommes en dehors de ces limites,
le texte ne peut leur être appliqué. Or, tel est pourtant bien le cas pour les
territoires d'outre-mer et Mayotte.
L'assemblée territoriale de Polynésie n'avait pas été consultée. Elle a été
saisie par notre excellent collègue M. Millaud, absent aujourd'hui pour des
raisons de santé, et qui m'a demandé de vous prier de l'excuser. Ayant
délibéré, pour les raisons que j'ai indiquées tout à l'heure mais également
pour d'autres sur lesquelles je ne m'attarderai pas, tant ce point est quelque
peu particulier, elle a jugé que le nouveau texte ne pouvait pas être
applicable au territoire.
La commission des lois a considéré que cette position, qui ne faisait
d'ailleurs que reprendre celle de la résolution, était fondée. Par voie
d'amendement, elle propose donc d'écarter de l'application de ce texte les
territoires d'outre-mer.
La question des délais d'application n'a maintenant plus d'importance puisque
les prochaines élections municipales générales auront lieu en 2001. Par
conséquent, de ce point de vue, nous aurons obtenu satisfaction, sous réserve
de quelques élections partielles qui ne justifient cependant pas que l'on
complique le texte.
Telles sont les principales questions dont nous aurons à débattre.
C'est au bénéfice de ces réflexions que la commission des lois propose au
Sénat d'adopter le texte amendé, sur les différents points que je viens
d'évoquer.
(Applaudissements.)
(M. Jacques Valade remplace M. René Monory au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. JACQUES VALADE
vice-président
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République : 30 minutes ;
Groupe socialiste : 25 minutes ;
Groupe de l'Union centriste : 21 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants : 17 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen : 11 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen : 9 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe :
7 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Durand-Chastel.
M. Hubert Durand-Chastel.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues,
l'instauration du droit de vote et d'éligibilité pour les citoyens de l'Union
résidant dans un Etat membre dont ils n'ont pas la nationalité a constitué un
progrès majeur dans la construction de l'Europe à un double titre.
D'abord, pour la première fois depuis la signature du traité de Rome, on
plaçait au centre du processus l'homme et non les marchés commerciaux ou
financiers.
M. Jacques Genton.
Très bien !
M. Hubert Durand-Chastel.
Ensuite, cette avancée prenait ses sources dans la tradition française des
Droits de l'homme et du citoyen, dont le message universel façonne le monde
depuis deux siècles et qui, demain, devrait permettre à l'Europe de trouver sa
véritable dimension humaine et politique.
Il faut voir là le signe d'une « victoire » française : l'homme européen,
citoyen de l'Union, devient enfin un individu responsable, doté de droits et de
devoirs civiques.
La règle du traitement national, ou l'interdiction des discriminations,
constitue ainsi l'une des dispositions juridiques fondamentales de la
Communauté.
Le droit de vote et d'éligibilité des citoyens européens a été mis en oeuvre
lors des élections au Parlement européen, le 12 juin 1994 ; l'objet du projet
de loi organique que nous examinons aujourd'hui est de permettre l'application
de ce droit pour les élections municipales.
L'économie générale du texte ne pose pas de problèmes cruciaux, comme l'a
souligné notre excellent rapporteur, puisqu'il respecte les dispositions et
l'esprit de l'article 88-3 de notre Constitution révisée, et puisque la France,
comme tous ses autres partenaires, avait adopté la directive européenne du 19
décembre 1994, elle-même prise en application du volet sur la citoyenneté
européenne du traité de Maastricht, ratifié par référendum le 20 septembre
1992.
Le gouvernement d'Alain Juppé avait, en son temps, déposé à l'Assemblée
nationale un texte similaire ; on peut regretter qu'il n'ait été alors inscrit
à l'ordre du jour, la France étant aujourd'hui, avec la Grèce et la Belgique,
le seul pays de l'Union à ne pas avoir encore transposé la directive de la
Communauté européenne dans son droit interne.
Certains éclaircissements proposés par la commission des lois conviennent
parfaitement au représentant des Français de l'étranger que je suis. Rappelons,
en effet, que le nombre de nos ressortissants établis dans un autre pays membre
de l'Union européenne est évalué à 700 000, soit près de la moitié de la
totalité des Français résidant hors de France ; ceux-ci sont très directement
concernés, certains d'entre eux pouvant déjà exercer leur droit de vote et
d'éligibilité aux élections municipales dans leur pays de résidence, d'autres
ne le pouvant pas, comme en Grèce et en Belgique.
Nous apprécions le souci de la commission de subordonner ainsi clairement
l'application du droit de vote et d'éligibilité à la réciprocité des autres
Etats membres. C'est un principe auquel nos compatriotes de l'étranger tiennent
énormément, car ils souffrent trop souvent, hors de l'Union européenne surtout,
d'une inégalité de traitement, dans leur pays de résidence, par rapport aux
nationaux de ces pays en France.
Cette juste mise en exergue de la réciprocité, la plupart de nos partenaires
ayant déjà transposé la directive européenne dans leur droit national, nous
commande
ipso facto
de conformer notre droit interne aux législations
déjà en oeuvre chez nos partenaires.
Ainsi, il paraît difficile d'interdire le double vote aux ressortissants
communautaires alors que celui-ci est octroyé aux Français résidant à
l'étranger ; en revanche, il est tout à fait judicieux de proscrire la double
éligibilité, qui serait incompatible avec le bon exercice d'un mandat municipal
tel que nous le concevons en France.
S'agissant de la notion de résidence en France ouvrant droit à l'inscription
sur les listes complémentaires de vote, la commission a adopté, là encore, une
position raisonnable ; il faut en effet savoir que certains de nos partenaires
- c'est le cas de la Grande-bretagne, notamment - adressent automatiquement une
carte d'électeur valable pour les scrutins municipaux à tout jeune Européen
majeur qui s'inscrit dans une université nationale. Les dispositions de
l'article L. 11 de notre code électoral, qui définit expressément la résidence
en France, devraient du reste suffire à nous prémunir contre les abus et les
tentatives de fraude à ce sujet.
Sur ce point précis, certains de mes collègues du groupe des non-inscrits qui
représentent les communes ont exprimé un avis différent ; ils souhaitent que
soit exigé des citoyens européens un temps de résidence significatif en France
avant qu'ils puissent voter aux élections municipales.
Pour ma part, avec mes deux autres collègues représentant les Français établis
hors de France, j'ai déposé un amendement tendant à coordonner la notion de
déchéance du droit de vote et à prendre en compte la situation de certains
Européens, comme les Allemands, les Britanniques ou les Néerlandais, qui
perdent le droit de vote aux élections municipales de leur pays d'origine
lorsqu'ils résident dans un autre pays ; cette situation n'étant pas
assimilable à une déchéance des droits civiques, il convient de clarifier la
rédaction de l'article L.O. 227-4 du projet de loi organique.
Monsieur le ministre, vous l'avez compris, nous voterons le texte tel que
modifié par la commission des lois, car il va dans le sens d'une meilleure et
d'une plus grande participation de chacun d'entre nous à la construction
européenne et, à terme, d'une amélioration de son efficacité sans pour autant
dissoudre les identités nationales.
Paul Valéry, qui a si bien pressenti les lignes de force de l'Europe et du
monde, a écrit en 1930, dans ses
Cahiers
: « Le système des rapports
humains change d'échelle... nous débattons beaucoup de l'identité et de la
souveraineté de la nation française... mais les nations périssent pour n'avoir
su changer leurs habitudes et réformer leurs moeurs ». Sachons nous référer à
nos grands penseurs pour renforcer notre détermination à poursuivre ce grand
dessein européen, avec et pour tous les citoyens de l'Union !
(Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et
des Républicains et Indépendants.)
M. Jacques Habert.
Très bien !
M. le président.
La parole est à M. About.
M. Nicolas About.
Permettez-moi d'abord, monsieur le ministre, de vous féliciter de votre hâte
et de votre ardeur à rattraper un retard dans la mise en oeuvre du traité de
Maastricht. Je sais l'intérêt que vous portez à ce traité !
Le projet de loi organique qui nous est soumis est un texte essentiel pour
l'édification d'une Europe des citoyens, après la construction de l'Europe des
marchands. Notre pays semble d'ailleurs avoir pris du retard dans ce domaine
puisque ce droit de vote et d'éligibilité pour les ressortissants européens
vivant en France est inscrit dans le traité de l'Union, adopté en 1992.
Cette lacune comblée, il s'agit pour moi de souligner l'aspect symbolique de
ce texte, qui, en réalité, modifiera peu l'électorat municipal.
Dans l'esprit des pères fondateurs, la Communauté européenne avait pour
objectif final l'unification de peuples si différents sur les plans culturel et
linguistique et qui se sont entretués pendant plusieurs siècles. La dimension
politique de la Communauté était donc présente dès sa naissance ; elle en
constituait l'essence même. L'Union économique qu'elle propose au début n'en
sera que le moteur. Cette Europe politique tarde toujours à se formaliser sur
le plan institutionnel ; le dernier sommet d'Amsterdam a d'ailleurs prouvé
combien les résistances nationales sont nombreuses.
M. Paul Loridant.
Heureusement !
M. Nicolas About.
Les années quatre-vingt-dix marquent pourtant un tournant crucial pour
l'Europe des citoyens, avec les accords de Schengen et la libre circulation des
individus, qui subit malheureusement les aléas de l'actualité : trafics de
drogue et terrorisme, notamment.
Les accords de Schengen, dont nous reparlerons d'ici à quelques jours à propos
de la Grèce et de l'Autriche, n'en constituent pas moins une réelle avancée
dans l'édification d'un espace communautaire où la liberté et la sécurité des
individus seraient garanties.
A cela, il faut évidemment ajouter le bon fonctionnement de l'Europe des
jeunes, qu'ils soient étudiants ou apprentis ; ils sont déjà plusieurs
centaines de milliers à faire une partie de leurs études dans un pays de
l'Union grâce aux nombreux programmes communautaires. La prise de conscience
par les jeunes d'appartenir à une communauté unie par le destin est
fondamentale pour l'avenir de l'Union. Elle est la mieux à même de nous
préserver de drames tels que ceux qu'a connus l'ex-Yougoslavie.
D'autres décisions, plus symboliques certes, participent également à cette
Europe des citoyens, telles la mise en place d'un passeport commun, les zones
réservées aux ressortissants de l'Union dans les aéroports ou encore la
possibilité pour tout Européen de se rendre, à l'étranger, dans une des
ambassades des Quinze, en cas de nécessité.
Enfin, je me dois d'évoquer en quelques mots le projet de la monnaie unique,
attendue pour le 1er janvier 2002, dont les aspects culturels et politiques
sont souvent négligés par les médias et les gouvernements européens. Plus qu'un
simple instrument d'échanges économiques, l'euro donnera également aux citoyens
européens un objet dans la vie quotidienne qui leur permettra de s'identifier
progressivement à cette communauté à laquelle ils appartiennent. L'identité
européenne ne sera alors plus un vain mot. Loin de nier notre identité
nationale, l'euro renforcera les liens qui se tissent chaque année entre
Européens. L'identité nationale ne se résume pas à la monnaie ; l'euro ne
remplacera pas notre langue, notre histoire, notre culture, nos vins, notre
cinéma, notre patrimoine... L'exemple récent de l'Ecosse montre bien que
l'affirmation d'une identité n'est pas affaire de monnaie !
Le droit de vote des ressortissants européens vivant en France aux élections
municipales et leur éligibilité au mandat municipal vont donc dans ce sens et
constituent une pierre supplémentaire à l'édifice européen. Le projet de loi
est assez clair sur les limites de l'expression de ces droits, notamment en ce
qui concerne la fonction de maire et d'adjoint et les élections sénatoriales.
En revanche, je suis favorable à l'amendement de mes collègues de la commission
des lois relatif à l'interdiction de ces droits à tout Européen qui n'aurait
qu'une résidence secondaire en France.
Certains protesteront contre ce texte en évoquant le risque d'extension de ce
droit de vote aux autres ressortissants étrangers présents en France. Une telle
extension est exclue puisqu'elle implique une révision de la Constitution et
qu'elle n'aurait aucun lien avec le projet européen.
Cette critique évacuée, il m'apparaît évident qu'un tel sujet recueillera le
consensus politique qu'il implique ; il y va de l'avenir de l'Europe et de
l'image de la France qui se doit de respecter ses engagements européens.
Monsieur le ministre, le groupe des Républicains et Indépendants votera dans
sa majorité le projet de loi organique que vous nous soumettez.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Badré.
M. Denis Badré.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le traité de
Maastricht a explicitement reconnu aux citoyens des Etats de l'Union un rôle
d'acteur direct de la construction européenne.
En évoquant les droits des citoyens de l'Union - dont le droit de vote et
d'éligibilité aux élections locales - le traité affiche désormais une
conception politique de la citoyenneté européenne. Il s'agit d'une innovation
sans précédent historique : jusqu'à présent, en effet, les droits de vote et
d'éligibilité étaient inconcevables hors du cadre des Etats ; les citoyens
étaient exclusivement citoyens de ces Etats et l'Union s'adressait à eux à
travers les Etats.
Le projet de loi organique qui nous est présenté, vous le rappeliez, monsieur
le ministre, nous met en règle avec nos obligations, puisqu'il nous fait
transposer en droit national une directive européenne. Cette transposition
s'inscrit dans le cadre de l'article 88-3 de notre Constitution, lequel fixe
l'objet même de la révision provoquée par l'application du traité de
Maastricht. Maastricht, ce n'était vraiment pas uniquement des critères !
Au-delà de cette mise en conformité de notre droit, ce projet de loi organique
a donc bien une signification très forte. Presque vingt ans après la première
élection au suffrage universel direct des parlementaires européens, ce texte
consacre une nouvelle et nette avancée vers l'Europe politique.
Pour que celle-ci soit comprise et solide, il faut, cependant, éviter de faire
deux pas en arrière lorsque nous choisissons d'en faire un en avant. Toute
avancée comporte des risques. A nous de les identifier pour les éviter. Cette
nouvelle citoyenneté européenne, que vous évoquiez à l'instant, monsieur le
rapporteur, doit être comprise comme créant un lien politique de nature tout à
fait nouvelle. Elle n'est pas le simple décalque, à l'échelle européenne, de
nos modèles nationaux. Elle ne doit pas non plus être présentée comme
concurrente des citoyennetés nationales qu'elle viendrait affaiblir. Elle ne
les supprime pas, au contraire, elle les enrichit. Bien plus, comme attribut
essentiel de la citoyenneté, le droit de vote permet à chacun de s'approprier
le dessein de tous, en y participant. Il fait émerger une culture politique
commune, spécifiquement européenne, qui transcende les origines régionales ou
nationales, historiques, linguistiques ou ethniques.
Pour ne pas être dévoyée, cette nouvelle citoyenneté doit donc se fonder sur
une distinction claire entre l'affirmation des identités nationales et
l'émergence - complémentaire - d'une véritable conscience européenne.
Quelques exemples simples démontrent - je suppose qu'il n'est pas nécessaire
d'insister sur ce point - qu'il n'existe pas de contradiction entre le maintien
de citoyennetés nationales construites au cours des siècles et l'avènement
d'une nouvelle citoyenneté européenne, aujourd'hui entre nos mains : l'Irlande,
le Danemark et les Pays-Bas ont ainsi accordé depuis longtemps le droit de vote
aux élections locales à tous les ressortissants de l'Union, et le Royaume-Uni
reconnaît depuis 1949 le droit de vote et d'éligibilité aux nationaux de la
République d'Irlande. Bien plus, la Grande-Bretagne avait donné ce droit aux
ressortissants des pays membres du Commonwealth, sans craindre de voir entamer
sa souveraineté. Aujourd'hui, encore, un parlement aux pouvoirs propres
importants est institué en Ecosse, sans que l'engagement européen de Londres
soit affaibli. Il en faudrait plus ! Voilà au moins une question européenne sur
laquelle nos amis britanniques sont en avance et ont peut-être des leçons à
nous donner !
Bien sûr, nos traditions centralisatrices peuvent être un peu bousculées par
une telle approche, et nos partenaires, citoyens d'Etats fédéraux, abordent
plus spontanément que nous un tel débat. Mais si notre lecture habituelle de
Descartes semble nous vouer au jacobinisme, une analyse plus attentive de son
oeuvre devrait aussi nous inciter à progresser, enfin, vers la subsidiarité.
C'est bien aussi, en rappelant la subsidiarité, comme c'est le cas pour nombre
de questions européennes, que nous trouverons une clé pour ouvrir des voies
nouvelles et réduire nos blocages. Pour bien employer cette clé, une grande
clairvoyance et une réelle volonté politique seront nécessaires. Il faudra sans
doute aussi trouver un mot différent pour désigner ce que nous appelons «
subsidiarité ». Pour le moment, en effet, ce vocable fait tellement peur qu'il
est utilisé comme repoussoir, voire comme prétexte pour ne rien faire.
Mais revenons au terrain, ce terrain que tous les citoyens des Etats de
l'Union font vivre et que les sénateurs connaissent particulièrement bien : que
peut-on craindre de l'arrivée d'Européens non nationaux dans nos conseils
municipaux ? Nous savons que ceux-ci représentent au contraire le plus souvent
une vraie richesse par le regard neuf, le recul et l'ouverture qu'ils
apportent. Aujourd'hui, dans nos villes, pouvons-nous encore, sans la moindre
gêne, « consommer » les idées et le travail de nos concitoyens européens et,
dans le même temps, leur fermer la porte de nos conseils ?
Je me souviens de la perplexité des membres d'une association de parents
d'élèves à laquelle j'appartenais découvrant avec stupeur que celle qui était
disposée à assumer leur présidence, et qui avait toutes les capacités pour le
faire, ne pouvait exercer cette responsabilité, car elle était belge. Ils ne
savaient même pas qu'elle était belge car elle parlait le même français que
nous, et il leur semblait inconcevable que ce motif lui interdise de jouer un
rôle auquel tout la préparait : ses enfants vivaient bien avec les nôtres, dans
la même école et avec les mêmes enseignants, rencontraient les mêmes
difficultés et partageaient les mêmes aspirations !
Mes chers collègues, nous ne pouvons vouloir faire l'Europe dans nos villes et
dans nos villages sans les Européens. Une Europe réservée à l'usage exclusif
des Français n'irait pas loin et sa construction serait totalement vaine.
Pour reprendre une formule classique, nous voulons une France forte dans une
Europe forte. Et la France sera forte si les Français acceptent de travailler,
dans la vie quotidienne aussi, avec les autres Européens.
L'Europe se construit évidemment à Bruxelles, à Strasbourg, à Luxembourg, dans
nos quinze capitales, et maintenant dans les capitales des pays candidats à
l'adhésion. Désormais, l'Europe politique doit se bâtir avant tout sur le
terrain... avec les Européens.
Nous allons réussir l'Europe de l'euro. Et nous refuserions l'Europe des
Européens !
Un « citoyen européen » ne cesse d'être citoyen ni d'être européen lorsqu'il
pratique la « libre circulation », principe de base de l'Union. La cohérence
d'une construction politique de l'Europe doit être sans faille.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, c'est pour toutes ces raisons et en
suivant les sages recommandations de notre excellent rapporteur que le groupe
de l'Union centriste votera ce projet de loi.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des
Républicains et Indépendants, du RPR, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Courtois.
M. Jean-Patrick Courtois.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous
abordons cet après-midi la dernière phase d'un long processus législatif visant
à permettre aux étrangers communautaires, dès lors qu'ils résident en France, à
voter et à être éligibles aux élections municipales.
Je ne reviendrai pas sur le débat très riche qui a entouré ce droit de vote et
d'éligibilité et qui a abouti à la révision constitutionnelle de 1992.
Le débat d'aujourd'hui consiste seulement à examiner les dispositions
législatives contenues dans la directive du 19 décembre 1994, compte tenu de
l'article 88-3 de la Constitution.
Vous me permettrez cependant de formuler un certain nombre de remarques.
Ma première remarque concerne tout d'abord la question de la réciprocité. Nous
devons, en effet, garder présent à l'esprit que le droit de vote et
d'éligibilité ne saurait être accordé aux ressortissants des pays qui
n'accordent pas aux Français des droits équivalents. Je sais que cela ne
concerne que la Belgique et la Grèce et que cette condition figure dans la
Constitution. Mais il me semble important de le rappeler dans la loi organique
pour assurer le respect de cette clause et faciliter l'application du présent
texte. Je me réjouis donc, monsieur le rapporteur, que la commission des lois
ait déposé un amendement dans ce sens.
Par ailleurs, et ce sera l'objet de ma deuxième remarque, dans son excellent
rapport sur la proposition de résolution présenté par M. Larché en 1994, notre
collègue M. Masson a mis en évidence la nécessité d'une durée de résidence en
France pour que les ressortissants communautaires puissent voter et se
présenter aux élections municipales.
M. Masson précisait d'ailleurs, dans le rapport précité, que, sur le plan des
principes, une condition de résidence était tout à fait justifiée. En effet,
l'élection municipale est non seulement l'acte de désignation d'administrateurs
locaux, mais également un acte de participation à la vie civique au sein de la
collectivité nationale.
La législation française n'impose, certes, aucune condition de résidence aux
citoyens français pour participer aux élections municipales. Mais ce régime est
fondé sur l'idée que la nationalité française est, à elle seule, le signe
incontestable de l'intégration dans la nation.
Tel n'est pas le cas des étrangers communautaires qui, dépourvus de cette
nationalité française, doivent donc justifier d'une intégration suffisante pour
pouvoir voter en France, cette intégration suffisante ne pouvant,
naturellement, s'opérer que dans la durée.
Cette analyse est tout à fait conforme aux indications réitérées du
gouvernement de l'époque, lors du débat sur la révision constitutionnelle
préalable à la ratification du traité de Maastricht.
C'est ainsi qu'à propos du droit de vote des ressortissants communautaires, le
Premier ministre de l'époque déclarait devant le Sénat, le 2 juin 1992 : « Je
rappelle également que ce droit est explicitement réservé aux citoyens
communautaires, résidents principaux sur notre sol depuis une durée
appréciable. »
De la même façon, M. Michel Vauzelle, alors garde des sceaux, faisait observer
que le traité de Maastricht « tend seulement à ce que les ressortissants d'un
Etat, qui vivent de façon stable dans un autre Etat membre, qui y ont des
intérêts professionnels et des attaches familiales, qui y sont intégrés,
puissent manifester leur intérêt pour la vie locale de leur commune de
résidence ».
Je regrette donc que le texte qui nous est soumis ne contienne pas cette
restriction. C'est la raison pour laquelle je voterai l'amendement de la
commission des lois qui précise que le ressortissant communautaire ne sera
considéré comme résidant en France que s'il y a son domicile réel ou si sa
résidence y présente un caractère continu.
Ce texte, même s'il ne va pas aussi loin que nous l'aurions souhaité,
interdira le vote des ressortissants qui n'auraient en France qu'une simple
résidence secondaire.
Par ailleurs, le texte qui nous est soumis n'empêche pas l'élection d'une
majorité d'étrangers communautaires au sein des conseils municipaux. Il prévoit
simplement que, si, au sein d'un conseil municipal, le nombre de conseillers
municipaux est insuffisant pour permettre l'élection du maire et d'un adjoint,
le conseil est dissous de plein droit.
Il eût été préférable que des dispositions plus précises figurent dans la loi
afin de garantir à toutes les communes de France le nombre de conseillers
municipaux français nécessaire pour pourvoir les postes qui leur sont réservés
par la Constitution.
En l'état actuel, l'article L. 122-2 du code des communes dispose que ces
postes, dont le nombre est déterminé librement par le conseil municipal,
représentent au maximum 30 % de son effectif légal. En pratique, la solution
aurait pu être celle que préconisait en son temps M. Masson. Elle aurait pour
effet d'interdire que le nombre des Français siégeant au conseil municipal soit
inférieur à 30 %.
Par ailleurs, en ce qui concerne l'application des dispositions de ce projet
de loi organique dans les territoires d'outre-mer, il me semble nécessaire de
rappeler que ces territoires ont une organisation particulière qui tient compte
de leurs intérêts propres dans l'ensemble des intérêts de la République, et,
comme le traité de Rome le stipule clairement, qu'ils ont un statut tout à fait
spécifique dans l'espace communautaire : ils sont simplement « territoires
associés ».
En conséquence, une formule laissant à ces territoires la possibilité
d'appliquer ou non le dispositif contenu dans ce texte aurait été
préférable.
Autre sujet de préoccupation : celui de la possibilité du double vote. En
effet, le texte, tel qu'il nous est présenté, permet, selon le moment ou
l'opportunité, à un citoyen communautaire de voter aux élections municipales à
son gré dans son pays d'origine ou en France, ce qui est choquant. Je regrette
que nous n'ayons pas trouvé de solution.
Enfin, je terminerai mon propos en évoquant le problème du Conseil de Paris.
Ce dernier est, depuis la Constituante de 1790, à la fois un conseil municipal
et un conseil général. En outre, depuis la réforme de 1982, les conseillers
d'arrondissement sont élus en même temps que les membres du Conseil de
Paris.
Les Parisiens élisent donc, en une seule fois, lors des élections municipales,
leurs édiles, qui cumulent la fonction de conseillers municipaux et celle de
conseillers généraux.
Loin de nous l'idée de soumettre la première ville de France, où résident de
nombreux étrangers communautaires, à un régime dérogatoire à la règle commune
de l'article 8 B, paragraphe 1, du traité de Maastricht, mais il nous semble
indispensable de veiller à la séparation nette des deux fonctions de conseiller
municipal et de conseiller général.
Je ne peux donc qu'approuver l'amendement présenté par notre commission des
lois à la suite des observations de nos collègues Maurice Ulrich et Lucien
Lanier, et visant à exclure les ressortissants communautaires élus membres du
Conseil de Paris lorsque celui-ci se réunit en conseil général.
Sous réserve de l'adoption de ces amendements, le groupe du Rassemblement pour
la République votera ce projet de loi organique.
(Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche.
Il souhaitait que l'Europe unisse les hommes bien plus qu'elle ne coalise les
Etats ; ce que Jean Monnet voulait monsieur le président, monsieur le ministre,
mes chers collègues, le traité de Maastricht l'a fait.
En accordant le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales et
européennes à tous les citoyens de l'Union européenne dans le pays où ils
résident, ce traité historique a donné l'indispensable dimension politique et
humaine à cette union des Etats, développant ainsi le sentiment d'appartenance
et d'intégration à cette communauté de destin, et ce grâce à cette conception
élargie de la citoyenneté.
Pour nouvelle qu'elle soit, cette idée d'Europe des citoyens était en germe
depuis 1985 puisque le préambule de l'Acte unique mentionnait que les douze
pays étaient décidés à promouvoir la démocratie.
J'ai plaisir à rappeler ce que notre excellent collègue le président Jacques
Genton écrivait dans son rapport n° 125 de décembre 1988, au nom de la
délégation parlementaire pour les Communautés européennes : « Au-delà de
l'habillage juridique, le vrai motif d'une participation des ressortissants des
Etats membres aux élections municipales de l'Etat membre de leur résidence est
la promotion de l'idée d'Europe de citoyens. On peut penser que le
parachèvement de la construction européenne est suspendu à l'apparition d'un
sentiment authentique, qui fait encore défaut, d'appartenance à une communauté
humaine aux contours de l'Europe des douze, c'est-à-dire d'un sentiment de
communauté de destin dont surgirait un jour une nation européenne. Dans cette
optique, l'octroi du droit de vote aux résidents originaires des autres Etats
membres lors des élections municipales apparaît comme l'élément limité mais
utile d'une entreprise de grande envergure. De ce point de vue, le projet ne
peut qu'être approuvé, mais encore faut-il prendre en compte certaines données
internes qui vont conditionner son aboutissement. »
En transposant dans notre droit interne la directive européenne du 19 décembre
1994, nous confirmons le choix politique contenu dans le traité de Maastricht,
adopté et ratifié par référendum en 1992. Irréversible, ce traité engage la
France, il nous engage, même s'il a été adopté à une courte majorité.
Regrettons le retard pris par la France pour la transposition de la directive
européenne. L'argument selon lequel les prochaines élections municipales
n'auront lieu qu'en 2001 ne saurait suffire. Fallait-il être menacé d'un
recours en manquement pour vite inscrire ce projet de loi à l'ordre du jour ?
Ce reproche ne s'adresse pas au Gouvernement actuel. Que notre enthousiasme
européen soit à la hauteur de l'ambition qu'a la France d'être l'une des
locomotives de cette Union européenne !
Nous sommes nombreux, dans cette enceinte parlementaire, à nous souvenir des
débats de 1992. Certes, il était utile de rappeler notre histoire, notre
culture politique, nos particularismes, nos spécificités juridiques ; mais il
fut vain de surenchérir inutilement. Rien n'était insurmontable pour qui
voulait réellement être acteur de cette construction de l'Europe. Tel un cours
d'eau, le cours de l'histoire peut être maîtrisé, peut être canalisé ; en aucun
cas, il ne peut être arrêté. Si des blocages persistent, ils se briseront les
uns après les autres contre le mur de la réalité.
Constatons avec satisfaction que le temps a fait son oeuvre, et bien plus vite
qu'on aurait pu l'imaginer. J'avais été frappé, au cours de ces débats âpres et
difficiles de 1992 et 1994, que des collègues semblaient découvrir, pour la
première fois, cette notion de citoyenneté européenne, alors que le traité de
Rome, signé en 1956, prévoyait la libre circulation des personnes, une
meilleure intégration, qu'il n'était pas de meilleure intégration que la
participation à la désignation des organes municipaux. Pour que l'Europe
existe, il faut que les Européens se sentent partout chez eux.
Ce projet de loi organique concrétise le passage de la formulation d'un
concept à la mise en place d'une Europe des citoyens, véritable entité
politique et humaine. Pour ce faire, il fut nécessaire de modifier notre loi
fondamentale pour adapter le plein exercice de souveraineté à cette nouvelle
donne politique européenne. Un nouvel article 88-3 a été introduit pour
autoriser la ratification du traité.
La rédaction de cet article nouveau porte la marque - mais je pourrais dire
aussi la méfiance et les craintes - du Sénat. La formulation de ce nouvel
article est révélatrice, au point qu'une grande partie de la majorité
sénatoriale, pourtant acquise à l'idée européenne, subordonnait l'évolution
historique de l'Europe à l'acceptation par le Gouvernement de M. Pierre
Bérégovoy de quelques précisions.
Craignant une subreptice introduction du droit de vote à tous les étrangers
aux élections locales, le terme « seuls » fut l'objet « d'une guerre de
tranchées » et finit par être ajouté pour marquer, s'il en était encore besoin,
que bien des personnes vivant sur notre sol étaient doublement étrangères,
d'abord à la France, puis à l'Europe en construction. Sur ce point, ma
conviction n'a pas changé, mes chers collègues. Je sais que la maturation des
esprits est lente. Mais l'inconcevable d'aujourd'hui sera le projet de demain
et la réalité d'après-demain.
La mention : « Ces citoyens ne peuvent exercer les fonctions de maire, ou
d'adjoint, ni participer à la désignation des sénateurs et des délégués
sénatoriaux » ne semblait pas suffire. Le Sénat a tenu à préciser « qu'une loi
organique votée dans les mêmes termes par les deux assemblées détermine les
conditions d'application du présent article ». C'était là la crainte qu'une
majorité absolue de l'Assemblée nationale n'impose ses conditions à la Haute
Assemblée et, d'une manière non moins déguisée, que le Sénat ne profite du
traité de Maastricht pour rééquilibrer quelque peu à son profit les
institutions.
Et que de déclarations solennelles, péremptoires, sur l'exercice de la
souveraineté, mise à mal, paraît-il, par l'élection de quelques centaines de
conseillers municipaux européens, non français ! La relecture de ces
déclarations, et surtout l'attitude, le comportement politique, les actes de
leurs auteurs, ne donnent pas l'impression que cela s'est passé il y a à peine
cinq années. A les entendre, la France allait se défaire !
Nous sommes tous attachés au plein exercice de cette autorité suprême qu'est
la souveraineté. Mais rien ne serait plus faux que de ne pas prendre en compte
le concept évolutif de souveraineté car, dans ce domaine aussi, rien n'est figé
pour l'éternité. C'est la loi de la vie des peuples, des nations, c'est la
respiration de l'Etat qui est une réalité vivante, qui doit se transformer,
évoluer, s'adapter avec le nécessaire consentement du peuple souverain.
L'union de l'Europe exige des apports, mais aussi des dévolutions. La France
est toujours souveraine pour décider de ce qu'elle peut faire seule, tout comme
elle est souveraine pour décider qu'elle accepte de déléguer tout ou partie de
sa souveraineté. La souveraineté européenne ne résulte que de l'addition des
parcelles de souveraineté consenties par chacun des pays membres.
Le Premier ministre, Lionel Jospin, ne disait-il pas dans sa déclaration de
politique générale : « Pour moi, l'Europe doit être un espace supplémentaire de
démocratie, doit ouvrir des perspectives nouvelles de citoyenneté. Elle ne
saurait se substituer à la nation, mais la prolonger et l'amplifier. »
M. Emmanuel Hamel.
Alors, il faut se libérer de Maastricht !
M. Guy Allouche.
Monsieur Hamel, je crains que vous n'ayez pas raison et je crains que vous ne
soyez un jour...
M. le président.
Monsieur Allouche, ne vous laissez pas distraire par des interruptions, si
intéressantes soient-elles.
M. Guy Allouche.
Je réponds courtoisement à M. Hamel.
Cette citoyenneté européenne nouvelle, loin de nous affaiblir, va bien au
contraire nous renforcer. C'est si vrai que de nombreux pays d'Europe frappent
à la porte de l'Union européenne, certes pour leur futur développement
économique et social, mais surtout pour être définitivement arrimés à la
démocratie, comme nous l'avons voulu pour l'Espagne, le Portugal et la
Grèce.
Qui n'a pas encore compris qu'une grande partie des problèmes que connaissent
les pays trouvent leurs solutions sinon à l'échelle planétaire, à tout le moins
à l'échelle d'un continent comme l'Europe ? La paix, la sécurité, la recherche
en tous domaines, le développement économique, social, culturel, la
communication et les communications, l'environnement, l'emploi, la protection
sociale, la monnaie ne se traitent plus uniquement à l'échelle réduite d'un
pays. Nous avons tous observé que les remarques et réserves faites au sujet de
la souveraineté, qui serait menacée, n'ont pas résisté longtemps à l'usure du
temps et des faits.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, dans le cadre de cette discussion
générale, je n'ai pas voulu aborder le détail du dispositif de ce projet de loi
organique, qui est un texte de transposition d'une directive européenne et, à
ce titre, de nature essentiellement technique, dirais-je. Les réserves
soulevées par le Parlement avant son adoption définitive ont été partiellement
levées, soit que le Gouvernement n'ait pas réussi à subordonner l'accord de la
France au respect de celles-ci, soit qu'elles aient été prises en considération
dans la directive elle-même, soit, enfin, qu'elles figurent dans le projet de
loi organique qui s'est inspiré, à cet égard, de la loi de 1994 relative à la
participation des ressortissants européens aux élections européennes.
Néanmoins quelques interrogations demeurent. Ainsi, monsieur le ministre,
votre projet écarte explicitement la possibilité du double vote ; aurez-vous
les moyens d'en assurer la vérification ?
Bien que Paris soit l'une des « collectivités territoriales de base » visées à
l'article 2 de la directive, la situation de Paris mérite d'être précisée,
selon que le Conseil de Paris siège en formation de conseil municipal ou en
formation de conseil général.
J'aurai l'occasion tout à l'heure, lors de la discussion des articles, de
défendre un amendement portant sur ce point et j'espère que la Haute Assemblée
voudra bien accorder ses suffrages à cette modification qui tient compte de la
spécificité de Paris.
A ce stade de la discussion, je voudrais remercier notre éminent rapporteur,
qui a fait état de la fructueuse discussion que nous avons eue ce matin en
commission sur cette question et qui a pris en considération des amendemens que
le groupe socialiste a déposés sur ce sujet.
Je tiens à le féliciter de la qualité du rapport qu'il nous a présenté sur ce
projet de loi organique et je pense qu'il est superflu de dire combien notre
collègue M. Fauchon a foi en l'Europe tant cette foi est tangible tout au long
de ce rapport.
En ce qui concerne le collège électoral sénatorial, le projet de loi organique
fait silence sur le non-remplacement des conseillers municipaux européens non
français.
Cette question intéresse particulièrement les communes de plus de 9 000
habitants, qui, aux termes de l'article L. 285 du code électoral, voient tous
leurs conseillers municipaux délégués de droit. Il paraît nécessaire
d'organiser les modalités de leur remplacement pour que la représentation de
ces communes ne soit pas diminuée au sein du collège électoral sénatorial. Afin
de résoudre ce problème, le groupe socialiste proposera, par amendement, de
faire application des règles de droit interne régissant la désignation des
grands électeurs supplémentaires, qui ne concerne actuellement que les communes
de plus de 30 000 habitants.
Autre question : en cas d'élections municipales partielles d'ici à 2001, les
citoyens de l'Union européenne résidant en France et inscrits sur la liste
électorale complémentaire pourront-ils voter et se faire élire ou faudra-t-il
attendre le renouvellement général de 2001 ?
Enfin, dernière interrogation : d'ici au 1er mars 1999, par quels moyens les
citoyens européens non français résidant principalement en France seront-ils
informés de leur possibilité de s'inscrire sur la liste électorale
complémentaire qui sera ainsi ouverte.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, ma conclusion sera brève. Le groupe
socialiste est favorable à l'adoption de ce projet de loi organique tel qu'il a
été déposé, tout comme il a été favorable à la ratification du traité de
Maastricht duquel ce projet découle. Nous sommes sensibles au fait que le
premier texte inscrit à l'ordre du jour des travaux du Sénat pour cette session
extraordinaire constitue un plus pour la démocratie en Europe. Nos convictions
européennes sont connues et reconnues. Depuis longtemps, nous appelions de nos
voeux la mise en place de cette citoyenneté européenne, élément fondamental
d'intégration et d'appartenance à cette communauté de destin. Et comment ne pas
rappeler en cet instant ce que le Président François Mitterrand disait : « Si
la France est notre patrie, l'Europe est notre avenir. » ?
Alors oui, ayons foi en cet avenir !
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du RDSE et
de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Duffour.
M. Michel Duffour.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de
loi organique dont nous débattons aujourd'hui doit permettre à une partie des
étrangers, citoyens des différents pays membres de l'Union européenne, de
participer aux élections municipales.
Nous n'avons pas une vision étriquée de la nation.
Notre conception est généreuse et ouverte, imprégnée d'un esprit de
coopération et inséparable d'une attitude de solidarité internationale.
Comme nous ne voyons dans cette proposition, liée à des élections locales,
aucune atteinte à la souveraineté du pays, notre vote sera positif.
M. Jean-Jacques Hyest.
Ah !
M. Michel Duffour.
Ne vous méprenez pas, toutefois, sur son sens.
Une divergence profonde nous sépare des rédacteurs du traité de Maastricht.
Nous n'oublions pas les arguments de certains de ses laudateurs et leur
complaisance pour des abandons de souveraineté nationale.
Si ce point de vue habite toujours certains de nos collègues qui verraient
dans ce vote une étape vers plus de fédéralisme, je leur précise que nous
trouvons, aujourd'hui comme hier, cette orientation dangereuse pour la
démocratie et archaïque au regard des aspirations citoyennes.
M. Emmanuel Hamel.
Très bien !
M. Michel Duffour.
L'élargissement du vote aux élections locales est à nos yeux un rapprochement
des citoyens des centres de décisions.
Soyons clairs : nous ne dissocions pas la citoyenneté de la nationalité, mais
nous sommes bien décidés à travailler à l'émergence d'une citoyenneté
européenne complémentaire.
Certes, il faudra pour cela tout autre chose que les chemins jusqu'alors
empruntés.
Le texte en débat est d'ailleurs symptomatique de la minceur des ambitions
affichées.
Je ne vous fais pas grief, monsieur le ministre, de présenter un projet de loi
qui porte transposition de la directive communautaire du 29 décembre 1994. Je
constate seulement que nous examinons un texte qu'on ne saurait présenter comme
une très grande avancée de citoyenneté.
Des pans entiers et nouveaux sont à imaginer dans le respect de l'identité de
chaque nation. Toute la construction européenne imposée au cours de la dernière
décennie a fait fi des individus, de leurs besoins et de leurs aspirations. Ni
l'homme ni la démocratie ne sont au coeur de sa démarche. C'est l'organisation
du marché et lui seul qui constitue sa raison d'être.
Alors que les peuples d'Europe ont besoin de grandes complicités culturelles,
de complémentarités économiques dans la lutte contre le chômage, de réformes
sociales d'ampleur, de résistances à l'uniformisation et à la « marchandisation
» de la vie publique, de combats solidaires avec les peuples du Sud, nos
nations sont malades d'une conception restrictive de la citoyenneté.
Pourtant, que ce soit sur les lieux de travail, dans les quartiers, ou pour
des choix politiques plus fondamentaux, le développement de l'intervention
citoyenne et la participation de tous les acteurs devraient être largement
favorisés.
L'heure est à la promotion des valeurs auxquelles les démocrates de nos
nations tiennent, à la transparence dans les décisions, à l'élargissement des
pouvoirs et des possibilités pour les salariés d'intervenir dans la gestion et
les choix des grands groupes économiques. La fermeture de l'usine Renault à
Vilvorde a rappelé les immenses carences en ce domaine.
L'accès au vote aux élections locales n'est qu'un pas dans le grand chantier à
ouvrir. N'étant pas des partisans du tout ou rien, nous le voterons.
Mais ce pas en appelle d'autres. De plus grands brassages de citoyenneté, dans
le respect de chaque identité, s'imposent.
Comment justifier la discrimination de fait qui se fera entre étrangers
ressortissants de l'Union européenne et citoyens du reste du monde ?
Mme Hélène Luc.
Très bien !
M. Michel Duffour.
Comment encourager les citoyens portugais de nos cités à se prononcer sur la
gestion de leur commune alors qu'on s'entêterait à en refuser la possibilité à
leurs voisins tunisiens, algériens ou marocains ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Très bien !
M. Michel Duffour.
Le vote d'aujourd'hui est l'amorce d'un mouvement plus large.
Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen estiment que le
droit de vote aux élections municipales doit être accordé à l'ensemble des
étrangers ayant leur résidence en France.
Mme Hélène Luc.
Très bien !
M. Michel Duffour.
Chacun sait que nous sommes favorables à l'extension du droit de vote aux
élections municipales à tous les étrangers et nous interviendrons en ce sens,
comme nous l'avons fait par le passé, à l'occasion des futurs débats
parlementaires sur la politique d'immigration.
Votre choix, mes chers collègues, créera, probablement au corps défendant de
certains d'entre vous - j'ai bien entendu les propos de M. About et je ne m'en
étonne pas - un mouvement irréversible pour le vote de tous les citoyens
étrangers résidant en France à ce type d'élection.
Je pense que l'opinion publique française va mûrir très vite sur ce sujet et
nous nous en réjouissons.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.
- Mme Bergé-Lavigne applaudit également.)
M. le président.
La parole est à M. Cabanel.
M. Guy Cabanel.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si je devais
résumer en un mot mon intervention, je dirais : enfin ! Enfin, ce texte arrive
devant nous,...
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Heureusement qu'il y a eu la dissolution !
M. Guy Cabanel.
... ce texte qui va marquer une étape décisive dans l'ouverture de notre pays
à la citoyenneté européenne. Il s'agit en effet du droit de vote et
d'éligibilité des citoyens européens aux élections municipales, base de notre
démocratie locale.
On parle beaucoup de l'Europe des citoyens, mais, malheureusement, les
dispositions concrètes sont rares.
En effet, les dispositions communautaires qui président aux droits du citoyen
européen sont fort peu nombreuses. Un examen rapide du
Répertoire de la
législation européenne
suffit pour le démontrer : une seule page sur plus
d'un millier concerne ce sujet proprement dit. Le constat est frappant et
d'autant plus édifiant que plusieurs de ces textes n'ont pas encore été mis en
oeuvre.
Les principales dispositions relatives à la citoyenneté européenne ont été
précisées dans le traité de l'Union européenne en son article G. Elles
comportent principalement quatre volets : droit de circulation - élément déjà
fondamental du traité de Rome - droit de vote aux élections européennes - cela
est acquis - droit de vote aux élections municipales - cela sera acquis après
le vote du texte que nous discutons - droit de protection diplomatique
indifférenciée, et enfin - cela est un point plus formel - droit de pétition
devant le Parlement européen.
A la veille de la signature prochaine du traité d'Amsterdam, et compte tenu du
degré d'avancement des politique européennes ainsi que des engagements pris par
les chefs d'Etat et de gouvernement lors de la Conférence intergouvernementale,
il est maintenant indispensable que le Parlement français prenne les décisions
qui permettront aux citoyens européens de jouir, sur le sol français, des
droits démocratiques élémentaires.
Les termes de la directive européenne 94/80/CE du 19 décembre 1994 relative à
l'exercice du droit de vote et d'éligibilité des citoyens de l'Union dans un
Etat membre dont ils n'ont pas la nationalité ont recueilli l'accord unanime du
Conseil européen. Ce texte n'est par conséquent plus amendable.
Le Parlement français garde cependant un pouvoir d'interprétation, au moyen du
projet de loi organique de transposition de cette directive, afin de préserver
les principes fondamentaux et les pratiques culturelles de la démocratie en
France. Les rédacteurs des textes européens ont bien perçu la difficulté de
cette transposition et ont laissé aux Etats membres la latitude nécessaire pour
mettre en oeuvre le principe de cette directive dans le respect des traditions
juridiques nationales.
Le texte aujourd'hui en discussion aura une incidence toute particulière dans
les communes d'Ile-de-France, de Paris et des régions frontalières, qui
comptent entre 5 % et 10 % de ressortissants communautaires par rapport à un
total de 1,3 million de citoyens non français de l'Union européenne vivant sur
le territoire national.
Une disposition constitutionnelle est de nature à faciliter la transposition
de la directive européenne dans le droit français : en effet, sur avis du
Conseil constitutionnel, le Parlement français a, dès 1992, voté les articles
88-2 et spécialement 88-3 du titre XV de la Constitution. Ils guident le
législateur dans la discussion des termes de la loi organique prévue pour
l'application du traité de l'Union européenne.
La loi organique prévoit l'application d'une clause de réciprocité dont nous
verrons les incidences perverses qu'elle peut avoir du fait d'une ratification
tardive. Elle impose la résidence sur le sol français à l'électeur
communautaire. Elle lui interdit l'exercice de la fonction de maire ou
d'adjoint et elle l'écarte de la participation à la désignation des électeurs
sénatoriaux et, plus généralement, de tout le processus des élections
sénatoriales.
Quant à la clause de réciprocité prévue dans la loi organique, elle
conditionne la mise en oeuvre du droit de vote pour les citoyens communautaires
résidant en France à l'obtention de ce même droit pour les citoyens français
résidant dans un autre Etat de l'Union.
La Belgique et la Grèce sont en retard comme l'était jusqu'à présent la France
: elles n'ont pas transposé la directive et l'on peut se demander quelle serait
la situation si ces deux pays n'introduisaient pas dans leur droit national les
dispositions en cause d'ici aux élections municipales de 2001. J'espère que ce
cas ne se présentera pas.
La loi organique interdit le double vote des citoyens communautaires résidant
en France. La commission des lois a retenu un amendement de suppression de
cette disposition du texte initial. On peut le regretter. Cependant, le
caractère tardif de la loi organique française fait que le double vote a été
admis par les pays européens ayant transposé la directive dans leur droit
électoral national. Le principe de réciprocité conduit donc à reconnaître une
situation de fait qui avantage les autres Européens par rapport aux
Français.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Très juste !
M. Guy Cabanel.
Je crains que nous ne puissions rien contre de telles dispositions.
En vertu du même article 88-3 de notre Constitution, la commission des lois a
prévu de restreindre, pour les ressortissants communautaires, la notion de
résidence sur le sol national « au domicile réel ou au caractère continu de la
résidence ».
Cette précision me paraît sage. Elle devrait permettre de limiter, mais en
partie seulement, le nombre des « doubles votes ».
Au demeurant, l'amendement de la commission visant à établir l'incompatibilité
pour les ressortissants communautaires résidant en France d'exercer
simultanément deux mandats municipaux en France et dans leurs pays d'origine,
semble aller de soi.
Cette proposition, qui corrobore la notion de « résidence » appliquée aux
citoyens communautaires, aura pour effet de renforcer la crédibilité politique,
d'éviter l'absentéisme dans les réunions municipales et d'affirmer l'engagement
démocratique actif des conseillers municipaux communautaires.
Le présent texte aura-t-il une incidence sur le projet de loi relatif à «
l'inscription d'office des personnes âgées de dix-huit ans sur les listes
électorales », qui figure à notre ordre du jour de la semaine prochaine ?
Monsieur le ministre, comment ce projet s'articulera-t-il avec la loi organique
? Par exemple, qu'en sera-t-il des ressortissants communautaires âgés de
dix-huit ans résidant en France ? Seront-ils inscrits d'office ou devront-ils
s'inscrire d'eux-mêmes sur des listes complémentaires ?
Cela a été rappelé tout à l'heure, la Grande-Bretagne, qui n'est pourtant pas
toujours un exemple de vertu européenne, procède en quelque sorte à une
attribution immédiate de carte électorale aux étudiants ressortissants des
Etats de l'Union européenne qui se trouvent sur son sol.
L'article 6 du projet de loi organique prévoit l'impossibilité pour les
membres du Conseil de Paris et les conseillers municipaux d'origine
communautaire de participer au processus électoral sénatorial. On a ainsi
pallié certaines difficultés.
Cependant, je remarque que cette indispensable mesure ne manquera pas de
modifier l'équilibre de la pratique actuelle des élections sénatoriales dans
les communes de neuf mille habitants et plus. Dans ces communes, en effet,
l'ensemble des conseillers municipaux sont membres de droit du collège
électoral des sénateurs.
Le retrait des conseillers municipaux communautaires non français minorera la
représentation de certaines communes où l'ensemble des membres du conseil
municipal figurent parmi les électeurs sénatoriaux.
Ce problème pourrait être résolu grâce à un ultime amendement de notre
commission des lois, dont je remercie l'excellent rapporteur. Je participerai à
la discussion de cet amendement avec d'autant plus d'intérêt que j'en avais,
hier, évoqué la possibilité avec M. Fauchon.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte de
transposition qui nous est enfin présenté engage le Parlement. Cette loi
organique va marquer un tournant dans l'histoire de notre code électoral. Elle
reconnaît aux citoyens de l'Union européenne l'égalité dans la participation à
la vie communale.
L'exercice du droit de vote et d'éligibilité accordé au citoyen est la
condition fondamentale de toute démocratie. Son élargissement communautaire,
pour la désignation des conseils municipaux, mérite notre accord et notre
vigilance.
L'exercice de ce droit découle d'une association librement consentie d'Etats
souverains, qui décident même des conditions d'application de la directive. Je
vois là la marque d'un esprit confédéral, dont je me réjouis s'agissant de
l'Union européenne.
C'est donc au regard du respect des traditions électorales spécifiques de la
France que, à l'unanimité ou à la quasi-unanimité de ses membres, le groupe du
RDSE votera le projet de loi organique. Pour les sénateurs du Rassemblement
démocratique et social européen, il n'est que temps d'appliquer les
dispositions qu'avait prévues le traité d'Union européenne.
(Applaudissements sur les travées du RDSE.)
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les
sénateurs, j'aurai peu de choses à ajouter à mon intervention initiale, qui, je
crois, répondait par avance à nombre des questions qui ont été soulevées.
La citoyenneté est, au fond, le vrai sujet de nos débats, même si nous
l'abordons par un biais relativement étroit : le droit de vote aux élections
municipales.
Je rappelle que la citoyenneté a été définie à la fin du xviiie siècle, avec
la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, comme étant l'avènement
d'un nouveau souverain : la citoyenneté, c'est la souveraineté en acte du
peuple succédant au droit divin des souverains de l'ancien régime.
Ce peuple souverain se doit d'être instruit pour pouvoir lui-même décider de
tout ce qui le regarde, car, comme l'a dit Jaurès, c'est un acte de confiance
extraordinaire en la capacité d'une vaste collectivité humaine - et la France
était, à l'époque, le pays le plus puissant et le plus peuplé d'Europe - de se
gouverner par lui-même.
Il me semble que cette conception de la souveraineté, qui était évidemment
présente dans vos interventions, mérite d'être rappelée. Le citoyen est
instruit et éclairé notamment par l'école ; c'est le sens des projets de
Condorcet, de Lakanal et des lois de Jules Ferry. Il y aurait peut-être lieu,
d'ailleurs, d'y revenir, parce que les fonctions que remplissait alors l'école
sont aujourd'hui aussi assumées, à bien des égards, par la télévision, dans la
mesure où celle-ci contribue à façonner la manière dont nos concitoyens se font
un jugement.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Très juste !
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
Le but de l'école est de former des citoyens
conscients, responsables, dotés d'esprit critique, car la République, c'est
aussi la laïcité, l'idée d'un espace commun soustrait à l'empire des dogmes, au
sein duquel nous pouvons débattre de l'intérêt commun, de la chose publique, de
la
res publica ;
que nous appartenions à telle ou telle confession ou à
telle ou telle école de pensée, il y a quand même cette idée d'un espace où
s'exerce la raison naturelle, indépendamment des révélations propres à chaque
religion, des présupposés ou des dogmes philosophiques.
La citoyenneté, c'est l'exercice de la souveraineté populaire, et la
République, c'est d'abord le suffrage universel, mais ce n'est pas que cela. La
citoyenneté, comme l'a rappelé le Premier ministre dans sa déclaration de
politique générale, c'est un ensemble indissociable de droits et de devoirs.
Le problème est de savoir jusqu'où l'on pourrait découper la souveraineté en
tranches ; voilà une vraie question. Comment articuler, d'une part, la
citoyenneté nationale, la souveraineté populaire en acte, et, d'autre part, la
citoyenneté européenne ? Nombre d'entre vous ont abordé cette question.
Le champ d'exercice de la citoyenneté est une vieille affaire. La Révolution
française avait admis comme citoyens Anacharsis Cloots, Thomas Paine et
quelques autres, mais ils n'étaient, si j'ose dire, que l'exception qui
confirme la règle.
D'ailleurs, quand la République a voulu s'étendre à la rive gauche du Rhin et
quelquefois plus loin encore, jusqu'aux bouches de l'Elbe ou du Tibre, sans
parler de l'expérience des républiques soeurs, tout cela nous est revenu à la
figure. On a fini par se rallier à l'idée selon laquelle les hommes se
reconnaissant politiquement dans une appartenance nationale, le champ
d'exercice naturel de la citoyenneté était la nation.
J'observerai que, au cours de notre histoire coloniale, nous avons fait de
semblables expériences, notamment en Algérie ; ai-je besoin d'y revenir ?
Sans exclure le moins du monde la perspective enthousiasmante d'une
citoyenneté qui dépasserait les frontières de notre nation, je tenais à
rappeler comment, jusqu'à présent, les choses se sont passées, afin d'éclairer
notre débat.
Comme le disait Jaurès, il faut aller à l'idéal...
M. Guy Allouche.
Et comprendre le réel !
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
Absolument ! C'est-à-dire garder les pieds sur
terre, pour parler familièrement.
Plusieurs orateurs se sont exprimés sur la question de la citoyenneté
européenne. M. Allouche, notamment, a dit qu'elle était surbordonnée à une
conscience commune, à un sentiment d'identité, à un sentiment de solidarité,
qui doit se marquer dans les décisions budgétaires, dans la politique de
défense, dans des choix de politique étrangère. Il est clair que nous avons
encore du chemin à parcourir sur cette voie et que, quant aux modalités de la
construction européenne, le débat est naturellement ouvert.
L'avancée que nous réalisons aujourd'hui est réelle, mais elle est modeste.
Elle peut s'interpréter comme une étape sur la voie d'une participation plus
étroite aux décisions locales et de l'intégration républicaine. C'est une
sensibilité que j'ai entendue s'exprimer, notamment par la voix de M.
Duffour.
D'autres peuvent envisager cette avancée dans une perspective plus lointaine,
qui est celle de la citoyenneté européenne, que je ne veux pas écarter dès
lors, bien entendu, que le sentiment d'identité aura progressé.
Ai-je besoin d'évoquer les discussions de marchands de tapis autour du budget
communautaire et de son financement ? Elles illustrent tout de même certaines
limites du sentiment de solidarité. Je pourrais aussi faire allusion à quelques
conflits qui montrent que les pays européens ne se trouvent pas toujours
spontanément sur la même longueur d'onde.
Monsieur Duffour, vous avez en particulier soulevé la question de la double
inscription.
Personnellement, je comprends mal comment le suffrage universel pourrait
tolérer la double inscription. En effet, permettre à un individu de voter deux,
voire trois fois, ce serait nécessairement, quelque part, fausser les
résultats.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Evidemment !
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
Nous sommes tout de même les gardiens de
quelques principes.
De toute façon, cela n'irait pas très loin : si, potentiellement, le nombre
d'étrangers communautaires pouvant voter en France est de 500 000, dans la
réalité, il est infiniment moindre. Vous savez que, pour les élections
européennes, le nombre d'étrangers inscrits a été relativement faible.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
45 000 !
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
Nous sommes donc encore loin du compte !
Mais il est évident que, surtout si l'on allait dans la logique dessinée par
M. Duffour, qui serait d'étendre le droit de vote aux étrangers non
communautaires, soit environ 60 % du total des étrangers en France, la
possibilité de modifier le résultat du vote serait considérable, notamment dans
certaines villes.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Elle serait énorme !
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
Il faut évidemment bien peser tout cela. Mais,
ayant exprimé mon sentiment personnel, je fais confiance à la sagesse de la
Haute Assemblée à cet égard.
Nous respectons les engagements internationaux de la France. Ce projet devait
être soumis à la représentation nationale. C'est chose faite.
Parmi les autres questions abordées, figure notamment celle de la réciprocité,
et je souhaite être tout à fait clair sur ce point.
Le rappel du principe de réciprocité ne soulève pas d'objection juridique. On
peut même dire qu'il est inutile dans la mesure où il ne fait que répéter ce
qui est déjà dit dans l'article 88-3 de la Constitution.
Mais il est sans effet pratique puisque la Cour européenne, saisie à plusieurs
reprises par la Commission, a sans ambiguïté et à plusieurs reprises affirmé
que ni la faute d'une institution communautaire ni le manquement d'un Etat
membre ne peuvent justifier la violation par un autre Etat membre de ses
obligations communautaires.
Le retard éventuel pris par d'autres Etats membres dans l'exécution des
obligations imposées par une règle communautaire ne saurait être invoqué par un
Etat membre pour justifier l'inexécution, même temporaire, des obligations qui
lui incombent. C'est l'objet des arrêtés de la Cour du 26 février 1976 -
Commission des Communautés européennes contre République italienne - et du 14
février 1984 - Commission des Communautés européennes contre République
fédérale d'Allemagne.
La France ne pourra donc exciper de la disposition introduite par le Sénat
pour refuser l'inscription sur une liste électorale complémentaire d'un citoyen
belge, par exemple, puisque M. Badré a cité le cas d'une citoyenne belge qui ne
comprenait pas pourquoi elle ne pouvait pas voter en France.
Je vous rappelle que l'Union européenne comprend aujourd'hui quinze Etats et
que plus elle s'élargit, plus, naturellement, la distance est grande. A
certains égards, nous nous sentons peut-être plus proches de l'Algérie, qui a
fait partie du même territoire national que nous, que de certains pays promis à
l'adhésion.
(Murmures sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
C'est une réalité ! Les pères de certains des ressortissants algériens présents
sur notre sol étaient des tirailleurs algériens. L'histoire est un processus
continu, nous ne devons jamais l'oublier !
Quoi qu'il en soit, loin de moi la volonté de vous entraîner sur des terrains
qui, au demeurant, seraient à explorer.
M. Cabanel a dit : « Enfin ! ». Et M. Dreyfus-Schmidt a même souligné : «
grâce à la dissolution ».
Je n'irai pas jusque-là. Ce projet de loi organique serait sans doute venu à
un moment ou à un autre en discussion devant le Parlement. Il vient maintenant
devant le Sénat et je pense que la discussion des articles confirmera le
souhait exprimé par tous les orateurs : celui de voir ce texte adopté sans
retard.
(Applaudisssements sur les travées socialistes.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
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