COLLECTIVITÉS LOCALES
Débat sur une déclaration du Gouvernement
M. le président.
L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat,
sur les collectivités locales.
La parole est à M. le ministre.
M. Dominique Perben,
ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la
décentralisation.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les
sénateurs, je suis très heureux de l'opportunité qui m'est donnée de vous
présenter aujourd'hui l'état de la politique du Gouvernement en faveur des
collectivités locales et de débattre avec vous de ses enjeux.
Quinze ans après les lois de décentralisation, malgré les difficultés
inhérentes à toute entreprise de réorganisation de cette envergure, nos
concitoyens sont globalement satisfaits de leurs collectivités locales...
M. Henri de Raincourt.
Sauf M. Mazeaud !
M. Charles Revet.
Et du travail qu'elles accomplissent !
M. Dominique Perben,
ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la
décentralisation.
... qui facilitent l'accès aux services publics et
donnent à la démocratie un véritable enracinement.
La décentralisation et l'affirmation du rôle des collectivités locales sont
incontestablement un acquis pour la France.
Le développement de la décentralisation a, certes, été nettement accentué
depuis une quinzaine d'années, mais il traduit un mouvement de fond plus ancien
voulu par l'Etat, qui doit être poursuivi et accompagné.
Le bilan est positif, comme nous l'avions souligné lors du débat qui s'est
tenu le 13 mars dernier. Je crois utile d'insister à nouveau sur ce constat.
Le rôle accru des collectivités territoriales est un facteur de renforcement
de la démocratie. Il est aussi le vecteur d'une amélioration qualitative
considérable des services rendus au public. Il n'est que de constater les
changements opérés dans la physionomie de nos communes, en milieu urbain comme
en milieu rural, ou bien l'ampleur de la modernisation de nos établissements
scolaires, lycées ou collèges.
Nos élus locaux ont su se saisir de leurs nouvelles responsabilités, et leur
apport est devenu décisif dans l'équipement du pays ou la conduite de
politiques aussi essentielles que les transports, l'éducation ou l'action
sociale.
Tout ne doit pas se décider à l'échelon central : au contraire, il est
indispensable que, pour la plupart des services publics, les citoyens trouvent
une réponse complète au niveau des administrations locales.
Depuis une vingtaine d'années, les responsabilités liées à la gestion de
proximité ont été largement redistribuées de l'Etat vers les collectivités
territoriales. Un équilibre qui me paraît satisfaisant dans l'ensemble a pu
être trouvé, même s'il est évolutif et perfectible.
Au vu de ce bilan, on peut considérer que la décentralisation entre maintenant
dans une période de maturité, où chaque collectivité a, pour l'essentiel,
trouvé sa place.
Comme le suggérait, à juste titre, le rapporteur du groupe de travail de votre
commission des lois, M. Daniel Hoeffel, nous devons éviter les « faux débats »
opposant l'Etat et les collectivités locales, ou les collectivités locales
entre elles. Cette démarche, j'en suis convaincu, serait totalement stérile.
Elle oublierait que, pour le citoyen, l'Etat et les collectivités territoriales
sont les facettes d'une même entité à son service, la puissance publique.
Cessons d'appeler à des relances ou à des redéfinitions générales de la
décentralisation, méconnaissant la réalité et non étayées, en fait, par des
propositions concrètes. Le Gouvernement préfère une approche positive et
constructive.
Prenons l'exemple des débats sur la coexistence de plusieurs niveaux de
collectivités territoriales ou sur la clarification des compétences.
Il faut être clair sur ce sujet. Chacun souhaite la clarification mais
rechigne à céder sa part de prérogative. Dans la pratique, les partenariats
sont souvent peu contournables, sur le plan financier comme sur le plan
politique. En outre, il est plus facile de refaire des partages lorsque les
moyens sont confortables que lorsqu'ils sont plus tendus.
C'est ce qui explique aussi pourquoi l'éventualité de nouveaux transferts de
compétences, pour être tout à fait souhaitable, ne peut faire abstraction des
marges de manoeuvre existantes. Or, toute la fiscalité à assiette localisée a
déjà été transférée. Il n'est donc plus possible de confier à la décision des
collectivités locales de nouveaux impôts, garantissant leur capacité à faire
face à de nouvelles responsabilités.
Aussi le Gouvernement a-t-il souhaité entreprendre, avec les représentants des
élus locaux, un travail réaliste et pragmatique, pour identifier les points sur
lesquels une amélioration peut être apportée dans un strict cadre de neutralité
financière.
C'est ainsi que nous pouvons conclure à la fois à la nécessité et à la
faisabilité d'une meilleure distinction des interventions de l'Etat et des
collectivités en matière sanitaire et sociale.
Le texte récent sur la prestation spécifique dépendance, issu de l'initiative
de votre assemblée comme le projet de loi en cours de discussion sur la
cohésion sociale fournissent la possibilité d'une première série de
clarifications en la matière.
Les discussions liées à la préparation du projet de loi sur l'assurance
maladie universelle permettront, j'en suis convaincu, d'aller plus loin.
Il n'y aura donc, en tout état de cause, pas de « grand soir » institutionnel
ni de bouleversement redécoupant les structures territoriales : ce n'est ni
l'attente de nos concitoyens, j'en suis persuadé, ni la réponse adaptée aux
besoins réels et immédiats des collectivités territoriales.
En revanche, il faut continuer d'assurer aux collectivités locales les moyens
de leur action et de leur développement.
C'est l'orientation qui a guidé et qui doit continuer de guider l'ensemble des
actions en faveur de la décentralisation. Dans un contexte de participation à
l'effort national de maîtrise de la dépense et des charges publiques, nous y
parviendrons en cherchant à atteindre simultanément deux grands objectifs. Il
s'agit, d'une part, de permettre aux collectivités locales de disposer de plus
de souplesse et de capacités d'initiative. Il s'agit, d'autre part, de leur
garantir, en même temps, une meilleure sécurité et une plus grande lisibilité
de leur cadre d'intervention, aussi bien sur le plan administratif que sur le
plan financier.
Ce sont les fils conducteurs de l'action du Gouvernement pour les
collectivités locales, à travers les politiques lancées en 1993 et en 1995, et
qui seront poursuivies.
Découlent de ces objectifs l'amélioration des mécanismes de
l'intercommunalité, la politique financière et fiscale, l'amélioration de la
sécurité budgétaire et des instruments d'intervention économique, ainsi que
l'accompagnement de la décentralisation par son « deuxième pilier » : la
déconcentration.
Je dirai quelques mots sur l'intercommunalité. J'ai pu m'exprimer devant vous
sur ce sujet le 13 mars dernier. Je vous avais alors présenté les grandes
lignes du projet de loi sur l'intercommunalité que j'entendais proposer à M. le
Premier ministre.
Leur validation par le dernier Comité interministériel d'aménagement et de
développement du territoire, le CIADT, me permet aujourd'hui de vous confirmer
pleinement les orientations de ce texte, que j'aurai l'honneur de vous
soumettre dans quelques semaines.
Je m'en tiendrai donc à un rappel très rapide de l'objet et des principales
innovations de ce projet de loi.
Il s'agit de favoriser les initiatives communales, de renforcer l'efficacité
de leur coopération, dans un cadre à la fois plus simple et plus souple. Ce
texte offrira de plus larges possibilités de choix et d'évolution en fonction
des besoins et des projets locaux.
C'est la réponse prioritaire que le Gouvernement a choisi de retenir pour
tenir compte de l'identité territoriale de notre pays : identité forte, assise
sur une carte communale dense, à laquelle nos concitoyens sont attachés, et sur
des échelons territoriaux de solidarité et d'animation.
Je vous l'ai dit, notre préoccupation n'est pas d'imaginer un bouleversement
institutionnel, qui pourrait casser la dynamique de l'engagement des élus
locaux.
Il faut plutôt se préoccuper d'apporter aux collectivités locales des
instruments de coopération et de complémentarité plus simples et plus adaptés.
C'est le constat qui vient à l'esprit à l'observation du développement très
rapide de l'intercommunalité.
La coopération intercommunale occupe une place importante - je le constate à
chacun de mes déplacements - dans les préoccupations des élus locaux en termes
d'organisation de l'exercice des compétences, de répartition des charges, mais
aussi d'allocation des ressources, qu'il s'agisse de ressources fiscales ou de
la dotation globale de fonctionnement, la DGF.
C'est la raison pour laquelle le premier objectif du projet de loi consistera
à unifier en une seule catégorie les districts, communautés de communes et
communautés de villes.
Le deuxième objectif sera d'encourager, je l'ai déjà dit, le développement de
la taxe professionnelle d'agglomération, en levant les obstacles à son
adoption.
Enfin, le projet de loi aura également pour objet de favoriser une meilleure
allocation des ressources. Il s'agira notamment de mieux répartir la DGF au
service de l'intercommunalité de projets, en tenant mieux compte de l'activité
des groupements.
L'unification des groupements en une seule catégorie juridique aura également
pour effet de permettre aux districts de bénéficier du FCTVA, le Fonds de
compensation pour la TVA, l'année même de la réalisation de la dépense.
C'est ce même souci d'une règle du jeu plus adaptée qui détermine, plus
généralement, l'évolution des relations financières entre l'Etat et les
collectivités territoriales.
J'évoquerai en quelques mots la politique financière et fiscale en faveur des
collectivités territoriales.
Aujourd'hui, l'Etat comme les collectivités locales, nous le savons bien,
agissent dans un environnement financier contraint. Il importe de faire mieux
avec des moyens en progression plus faible qu'au cours des années passées, car
nos concitoyens sont légitimement attentifs à l'évolution de la fiscalité.
Cette situation exige, j'en suis convaincu, que les collectivités locales
aient la pleine maîtrise de leur budget et qu'elles puissent conduire une
réflexion sélective sur les politiques menées.
M. Paul Girod.
Très bien !
M. Dominique Perben,
ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la
décentralisation.
Le produit fiscal doit demeurer essentiel dans les
ressources des collectivités locales, afin que les élus conservent la
responsabilité des politiques conduites. C'est la raison pour laquelle je ne
suis pas favorable aux propositions récentes du Conseil des impôts, visant à
transformer la taxe professionnelle en dotation.
Mais l'Etat doit également leur assurer une plus grande prévisibilité
budgétaire et veiller à compenser par des dispositifs de solidarité les
inégalités de ressources et de charges constatées.
C'est tout le sens des réformes récemment voulues par le Gouvernement et le
Parlement, et de celles que nous poursuivons.
J'évoquerai tout d'abord la stabilité des budgets locaux.
La mise en place du pacte financier triennal assure depuis 1996 une indexation
des principales dotations de l'Etat au rythme de l'inflation. Elle préserve
ainsi la stabilité des budgets locaux.
En 1997, sa mise en oeuvre a ainsi autorisé une progression de l'ensemble des
concours aux collectivités locales supérieure à l'inflation, alors que le
budget de l'Etat était tout juste maintenu en francs courants. C'est donc un
bon dispositif.
Mais assurer l'évolution des recettes des collectivités locales ne suffit pas
et le Gouvernement est pleinement conscient des préoccupations des élus en
matière de charges.
Pour donner toute sa portée à l'effort de stabilisation des charges, nous
avons pris plusieurs initiatives d'évaluation de ces charges.
Cela s'est traduit notamment par la réactivation et l'extension de la
compétence de la commission consultative d'évaluation des charges, la CCEC.
Celle-ci s'est réunie six fois depuis que M. Hoeffel, alors ministre, l'a
réactivée en 1994. Elle a établi à l'intention du Parlement le bilan entre 1984
et 1993 de l'évolution des charges liées aux transferts de compétences
effectués au bénéfice des collectivités locales.
Je rappellerai aussi la création de l'observatoire des finances locales,
présidé par M. Fourcade. Il s'est réuni à deux reprises en 1996. M. le sénateur
Bourdin a présenté un rapport sur la situation financière des collectivités
locales, qui fera l'objet d'une actualisation annuelle, et je sais qu'il
travaille déjà au prochain rapport.
Enfin, M. Girod a soumis à l'observatoire des finances locales un rapport sur
la compensation financière des transferts de compétences pour les départements
et pour les régions. Il souligne notamment que la couverture des dépenses liées
aux transferts de compétences a été correctement assurée, même s'il a regretté
que la couverture par les recettes transférées se soit dégradée, tout en
restant supérieure au droit à compensation.
Par ailleurs, le Gouvernement veille à éviter de nouveaux transferts de
charges.
(« Ah ! » sur plusieurs travées du RPR.)
Plusieurs mesures de première
importance en témoignent, comme le principe posé d'une étude d'impact préalable
à tout projet de loi ou de décret.
A cet égard, il nous appartient à tous de veiller à ne pas multiplier
l'édiction de normes...
M. René Régnault.
Très bien !
M. Dominique Perben,
ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la
décentralisation.
... dans des proportions et selon un calendrier
incompatible avec les capacités budgétaires locales.
(Applaudissements sur plusieurs travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. René Régnault.
Ne vous réjouissez pas trop vite !
M. Dominique Perben,
ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la
décentralisation.
L'Etat a apporté, enfin, une aide spécifique quand des
charges nouvelles sont apparues qui relevaient d'enjeux nationaux
exceptionnels.
Les efforts engagés pour prévenir un relèvement des taux de cotisations
employeurs à la CNRACL, la Caisse nationale de retraite des agents des
collectivités locales, participent du même souci de ne pas déstabiliser les
budgets locaux. L'engagement pris a été tenu : il n'y a pas eu de charges
nouvelles en 1996 et en 1997. Je puis vous indiquer, à cet égard, que, selon
les chiffres les plus récents, l'abondement opéré sur les réserves du fonds ATI
en 1997 permettra à la caisse d'atteindre la fin de l'exercice 1997 avec des
réserves positives et d'aborder 1998 sous de meilleurs auspices.
J'évoquerai maintenant la péréquation.
L'Etat s'est également efforcé de renforcer les dispositifs de péréquation au
cours des dernières années : les réformes de la dotation globale de
fonctionnement, du FNPTP, le Fonds national de péréquation de la taxe
professionnelle, ont ainsi permis de réduire les écarts dans la répartition des
dotations de l'Etat par habitant et par commune, qui se situaient de 1 à 2,2 en
1986 et sont passées de 1 à 1,81 en 1996. Le processus retenu est progressif
mais il est continu, afin de ne pas bouleverser les budgets locaux.
Ainsi, le FNPTP a été, dans les dernières années, recentré vers la
péréquation. Les corrections des insuffisances de potentiel fiscal de taxe
professionnelle mises en place depuis 1995 en constituent une bonne
illustration.
La réforme de la dotation globale de fonctionnement présentée par M. Hoeffel,
en 1993, a permis de dégager des marges de péréquation et des moyens propres à
financer l'intercommunalité.
La réforme de la dotation de solidarité urbaine effectuée en mars 1996 va
également dans le sens du renforcement de la péréquation.
Le Gouvernement déposera avant l'été prochain le rapport prescrit par la loi
d'orientation de février 1995 sur l'ensemble du dispositif organisant la
péréquation financière. D'ores et déjà, les résultats disponibles font
apparaître des écarts de ressources limités entre les espaces régionaux ;
toutefois, l'hétérogénéité des budgets locaux laisse à penser qu'il sera
difficile d'établir un instrument de mesure unique des écarts de ressources.
Etant donné la faiblesse des marges de croissance, il serait pour autant peu
réaliste de proposer une modification substantielle des mécanismes de
solidarité ou de péréquation mis en oeuvre actuellement, sauf à risquer de
déstabiliser les budgets locaux.
Mais cette démarche en profondeur pour une plus grande sécurité des budgets
locaux doit être complétée en accentuant la transparence des choix locaux et en
renforçant les moyens d'intervention des collectivités.
Je voudrais maintenant aborder cette question de l'amélioration de la sécurité
budgétaire et des instruments d'intervention économique.
J'envisage en effet d'engager avec vous une concertation, afin d'aboutir
prochainement au dépôt d'un projet de loi ayant un triple objet.
Il s'agit, d'abord, d'améliorer le dispositif de suivi budgétaire des
collectivités locales. En nous appuyant sur la mise en oeuvre de la
comptabilité M 14 au 1er janvier 1997, il nous faut assurer une meilleure prise
en compte des risques et une meilleure lisibilité des comptes des
collectivités.
Il s'agit, ensuite, de clarifier les relations financières et contractuelles
entre les sociétés d'économie mixte et les collectivités locales.
Il s'agit, enfin, d'élargir les conditions de participation des collectivités
locales aux sociétés de capital-risque et aux sociétés de garantie.
En matière de sécurité budgétaire, plusieurs dispositions pourraient être
envisagées pour prévenir le plus en amont possible d'éventuelles difficultés
financières des collectivités locales et pour définir une procédure de
redressement durable. Elles auraient notamment pour objet de repréciser les
notions d'équilibre budgétaire ainsi que les modalités tant de la reprise du
résultat du compte administratif que de l'organisation d'une procédure de
redressement pluriannuel.
Ce projet de loi pourrait redéfinir également les relations financières et
contractuelles qui prévalent entre les sociétés d'économie mixte et les
collectivités locales, au terme d'une concertation qui associe déjà la
fédération nationale des sociétés d'économie mixte et qui doit être prolongée
avec les associations représentatives des collectivités locales
actionnaires.
Sous réserve du respect des principes du régime des interventions économiques
et du code des marchés publics, pourraient ainsi être autorisées des avances en
compte courant d'associés, dans le cadre de conventions précises.
Il conviendrait aussi de repréciser les conditions d'intervention des
collectivités locales dans les situations suivantes : opérations de
construction réalisées sous mandat, concessions d'aménagement, sociétés
d'économie mixte en charge de la réalisation de logements sociaux.
Enfin - je sais que c'est un enjeu qui tient à coeur au président de la Haute
Assemblée, M. Monory - nous n'échapperons pas, à terme, à une réforme
d'ensemble du régime des interventions économiques. Il s'agira de substituer à
l'actuel dispositif, qui distingue aides directes encadrées et aides
indirectes, un dispositif plus adapté aux besoins des entreprises, en
conservant deux préoccupations : autoriser les interventions jusqu'au niveau
permis par la réglementation européenne et confiner le risque pris par les
collectivités locales.
Mais sans attendre cette réforme qui nécessite encore une mise au point
technique et une concertation, il me semble d'ores et déjà possible
d'encourager le développement des interventions des collectivités locales par
le biais de structures intermédiaires associant des professionnels de la banque
et des entreprises.
Ainsi, nous pourrions envisager d'élargir les conditions de participation des
collectivités locales aux sociétés de garantie et aux sociétés de
capital-risque. Leur développement permettrait de mieux répondre aux besoins en
fonds propres des entreprises, tout en limitant le risque encouru par les
collectivités locales.
Nous débattrons prochainement de toutes ces orientations sur lesquelles
j'entends mener une large concertation avec les élus et leurs associations
représentatives.
Enfin, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais souligner le fait que la
décentralisation ne progressera pas sans la réforme de l'Etat, notamment sans
la déconcentration.
Je n'hésiterai pas à dire que la déconcentration constitue sans doute le
deuxième pilier de la décentralisation.
M. Charles Revet.
Très bien !
M. Dominique Perben,
ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la
décentralisation.
L'un des enjeux majeurs de la décentralisation réside
désormais dans le nouveau contrat de confiance entre l'Etat et les
collectivités locales résultant de la clarification de leurs relations et d'une
meilleure coordination de leurs actions.
L'Etat n'a probablement pas tiré toutes les conséquences de la
décentralisation quant à son mode d'organisation et de fonctionnement.
Ses procédures sont devenues de plus en plus complexes. Les élus ont trop
d'interlocuteurs et ne savent plus bien à qui s'adresser ou à qui adresser
leurs concitoyens,...
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes
économiques de la nation.
Ça c'est vrai !
M. Dominique Perben,
ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la
décentralisation.
... d'où la nécessité de réaliser une véritable
déconcentration. Elle entraînera un changement profond de la relation du
service public avec le citoyen.
Le décret du 15 janvier dernier a fait du préfet l'autorité de droit commun
pour les décisions individuelles et décidé de l'expérimentation du regroupement
de services déconcentrés. Le préfet sera désormais l'interlocuteur unique voulu
par les élus locaux.
La réorganisation des services déconcentrés a pour objet de simplifier, de
responsabiliser, d'unifier, d'adapter les services aux caractéristiques
locales. Elle participe ainsi du même esprit que la décentralisation :
rapprocher le service public du citoyen.
La déconcentration doit également être financière : les préfets disposent déjà
d'une enveloppe fongible de crédits pour l'emploi ; en 1998, pour les trois
politiques publiques que sont l'emploi, la lutte contre l'exclusion et la
ville, les crédits seront largement regroupés pour que la décision préfectorale
soit mieux adaptée.
Les crédits déconcentrés seront identifiables sur des chapitres spécifiques
dès la loi de finances de 1998. Les contrats de service seront développés.
Un effort considérable de simplification du droit et de transparence est
parallèlement en cours. La partie législative du code général des collectivités
territoriales est ainsi le premier texte que j'ai eu l'honneur de défendre au
Parlement.
Mesdames, messieurs les sénateurs, comme vous le voyez, l'Etat maintient
résolument son choix pour la décentralisation, qui permet de mobiliser les
énergies, de libérer les initiatives en faveur de l'emploi et d'être à l'écoute
directe de nos concitoyens.
Non seulement le Gouvernement entend conforter la décentralisation dans ses
fondements mais, en plus, il met en oeuvre une dynamique profonde pour
l'améliorer tant sur le plan institutionnel que sur le plan économique et
financier.
Je suis convaincu que le présent débat permettra de mieux fixer encore les
priorités que je viens d'évoquer et de les enrichir de vos idées et de vos
expériences.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes
économiques de la nation.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes
chers collègues, d'emblée, je voudrais remercier le Gouvernement d'avoir
accepté la tenue de ce débat, qui s'inscrit parfaitement dans la vocation
constitutionnelle de la Haute Assemblée, dont l'une des missions est d'assurer
la représentation des collectivités territoriales de la République.
Force est de reconnaître que la date retenue pour l'organisation de ce débat
présente, tout au moins à nos yeux, l'avantage de conférer à ce dernier toute
l'importance d'un débat d'orientation budgétaire.
Ce débat ne doit à mon avis pas être détourné en servant de prétexte à
l'établissement d'un énième cahier de doléances.
Il s'agit, bien au contraire, d'adopter une démarche constructive et de mettre
à profit cet espace d'expression pour faire le point sur la situation des
collectivités locales, pour tirer ensemble, sereinement, les leçons du passé et
pour éclairer l'avenir, qui doit être placé sous le signe d'une coexistence
pacifique et d'une coopération confiante entre l'Etat et les collectivités
territoriales.
Monsieur le ministre, trop de faux et de mauvais procès sont encore instruits,
dans certaines sphères de l'Etat, à l'encontre des collectivités locales,...
M. René Régnault.
Ah oui !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
... qui sont accusées, à tort,
d'être des îlots de prospérité et de laxisme dans un océan de pénurie et de
rigueur.
(Très bien ! sur les travées des Républicains et
Indépendants.)
M. Charles Revet.
Mais qui a créé la pénurie ?
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Monsieur le ministre, il faut
tordre le cou à ces légendes...
M. Henri de Raincourt.
Sale oiseau !
(Sourires)
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
... dont la seule fonction était
de tenter de justifier les ponctions opérées sur les ressources des
collectivités locales, transformées en la circonstance en variables
d'ajustement du budget de l'Etat.
M. René Régnault.
Sortez Bercy !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Monsieur le ministre, il faut
sortir de cette ère du soupçon et recréer un climat de confiance entre l'Etat
et les collectivités locales.
Cette oeuvre de pacification se révèle indispensable, car l'Etat a besoin des
collectivités locales qui sont devenues « incontournables », selon une
expression à la mode, et ce pour trois raisons.
Tout d'abord, il convient de ne pas oublier que les collectivités locales sont
des acteurs économiques majeurs dont la masse financière représente près de 10
% du produit intérieur brut.
En outre, les collectivités locales préparent l'avenir en assumant plus de 70
% de l'investissement public : elles sont donneurs d'ordre pour plus de 170
milliards de francs de travaux, ce que l'on oublie trop souvent !
M. René Régnault.
Eh oui !
M. Michel Sergent.
Très juste !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Autrement dit, la croissance
molle que nous connaissons depuis le début des années quatre-vingt-dix aurait
été encore plus faible, plus anémique sans l'intervention des collectivités
locales.
M. Charles Revet.
Exactement !
M. Michel Sergent.
Très vrai !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Leur mission ne se cantonne pas
à ce rôle de bâtisseurs : elles remplissent également une fonction sociale
irremplaçable en ces temps de mutation et de transition économiques propices
aux phénomènes d'exclusion.
Véritables espaces de solidarité, les communes et surtout les départements,
qui consacrent désormais 60 % de leur budget de fonctionnement aux dépenses
d'aide sociale, ont pris la relève de l'Etat-providence pour tenter de réduire
la fracture sociale.
La deuxième raison qui milite en faveur d'un partenariat entre l'Etat et les
collectivités locales réside dans les bienfaits de ce que l'on appelle
maintenant la gestion de proximité.
La décentralisation, qui constitue, à l'évidence, une réforme bénéfique, a
permis de libérer les initiatives et les capacités locales.
M. René Régnault.
Tiens donc !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Cela ne saurait vous surprendre
puisque je l'avais déclaré à l'époque de la réforme !
L'action des départements et des régions en faveur des collèges et des lycées
constitue sans doute l'illustration la plus marquante du caractère positif de
la décentralisation.
Enfin, la troisième et dernière raison qui rend indispensable, dans l'intérêt
même de l'Etat, l'édiction d'un code de bonne conduite réside dans l'inévitable
réforme de l'Etat engagée par le Gouvernement. Vous y avez déjà fait allusion,
monsieur le ministre, et peut-être pourrez-vous nous donner plus de précisions
sur ce sujet.
En effet, la discussion du projet de loi de finances pour 1997 a montré que
l'effort d'économies sans précédent réalisé par le Gouvernement rencontrerait
bien vite ses limites s'il n'était relayé par la recherche d'économies
structurelles.
Au-delà de la nécessaire amélioration des relations entre les citoyens et leur
administration, la réforme de l'Etat doit se traduire par une nouvelle
délimitation de son périmètre d'intervention et par une nouvelle définition de
ses modalités d'action.
Il s'agit de recentrer l'Etat sur ses missions régaliennes, ses fonctions de
prescripteur et son rôle de garant de l'unité, de la cohésion et de la
solidarité nationales.
M. Charles Revet.
Très bien !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Pour aboutir à ce résultat, il
pourrait être envisagé de relancer la décentralisation, qui est aujourd'hui au
milieu du gué, en ouvrant aux collectivités locales de nouveaux territoires
d'intervention. On peut penser à l'emploi des jeunes, domaine dans lequel les
collectivités territoriales, même si la loi ne leur reconnaît pas
officiellement ce rôle, pourraient jouer utilement un rôle d'interface ou de
passerelle entre le système éducatif et l'entreprise, comme en témoignent déjà
certaines expériences locales particulièrement intéressantes.
M. Robert Pagès.
Et même de boucs émissaires !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
On pourrait également songer à
un transfert aux régions de la responsabilité de la maintenance et de la
construction des locaux universitaires comme prélude à une véritable
décentralisation de l'enseignement supérieur, assortie bien évidemment d'une
péréquation entre les régions en fonction de leurs capacités contributives et
d'un renforcement de l'autonomie des universités.
M. René-Pierre Signé.
On attend la péréquation !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Toutes ces avancées ne pourront
toutefois se réaliser que si l'Etat s'engage à respecter le principe de la
compensation concomitante et intégrale des charges transférées et conclut avec
les collectivités locales un véritable pacte de confiance.
(Murmures sur les
travées socialistes, ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain
et citoyen.)
Pardonnez-moi, monsieur le ministre, d'insister sur cette condition préalable
et indispensable qu'est le pacte de confiance entre l'Etat et les collectivités
locales ; mais les collectivités locales, échaudées par le passé - comprenez-le
- craignent l'avenir.
Le passé a en effet porté la marque d'une suite ininterrompue de ruptures de
contrat, d'entorses aux principes et de remises en cause des règles du jeu dont
ont été victimes les collectivités locales, quels que soient les gouvernements
au pouvoir.
M. René Régnault.
Oui, surtout récemment !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Elles ont ainsi connu des
transferts de compétences fortement évolutives, mais partiellement compensées,
des dévolutions de compétences légalement non compensées et des transferts
insidieux de charges.
En définitive, les collectivités locales sont confrontées, depuis le début des
années quatre-vingt-dix, à un effet de ciseau caractérisé par une vive
progression de leurs dépenses, notamment de leurs dépenses locales, et à une
réduction non négligeable de leurs ressources en raison des ponctions opérées
sur certaines dotations.
Dans ces conditions, on peut même s'étonner que le recours à la pression
fiscale n'ait pas été plus fort, ce qui constitue une preuve supplémentaire de
la bonne gestion des collectivités locales.
Ces mésaventures, ces péripéties et ces tribulations n'incitent pas les
collectivités locales à envisager l'avenir avec confiance.
M. René-Pierre Signé.
C'est certain !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Qui plus est, cet avenir leur
paraît lourd de menaces compte tenu des incertitudes qui pèsent sur l'équilibre
de la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales, de la
prolifération des normes de sécurité, de la multiplication des contraintes
liées à la protection de l'environnement, qu'il s'agisse de l'eau, de l'air ou
des déchets, et de l'implication financière des politiques conduites par l'Etat
dans des domaines aussi divers que la lutte contre l'exclusion ou la
généralisation des nouveaux rythmes scolaires.
M. Emmanuel Hamel.
Les résultats des élections le montreront dans un an !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Comme vous pouvez le constater,
monsieur le ministre, un long chemin reste à parcourir pour restaurer un climat
de confiance, même si des progrès réels sur la voie d'une pacification des
relations entre l'Etat et les collectivités locales ont été récemment
accomplis, il convient de le souligner et de le reconnaître.
M. René-Pierre Signé.
Minces progrès !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
J'en veux pour preuve
l'avènement du pacte de stabilité
(Exclamations sur les travées
socialistes),
lequel répond en grande partie au souhait exprimé par le
Sénat, qui l'avait sollicité depuis de longues années.
M. René Régnault.
Quel cadeau !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Certes, ce pacte n'est pas un
pactole,...
M. Guy Fischer.
Loin de là !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
... mais il représente, pour les
collectivités locales, un filet de sécurité et un instrument de prévisibilité
de leurs ressources.
J'en veux également pour preuve l'absence, dans la dernière loi de finances,
de turpitudes pour les ressources des collectivités locales, ainsi que cela a
été souligné sur toutes les travées de la Haute Assemblée !
(« Très bien ! »
sur les travées des Républicains et Indépendants.)
Ces progrès sont indéniables, mais l'Etat doit effectuer de nouveaux gestes
significatifs pour retrouver toute sa crédibilité aux yeux des élus locaux.
M. René Régnault.
Nous nous en expliquerons tout à l'heure !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Parmi ces gestes, il me semble
indispensable de donner une valeur législative, monsieur le ministre, à
l'obligation posée par la circulaire du 21 novembre 1995 d'effectuer une étude
d'impact sur les finances locales préalablement au vote ou à l'adoption de
toute disposition législative ou réglementaire.
M. René Régnault.
Cela, c'est bien !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Merci, mon cher collègue !
Il s'agirait également d'étaler dans le temps les incidences financières des
véritables bombes à retardement que constituent les législations sur l'eau ou
les déchets, sans cesse remises en cause tant au niveau national qu'au niveau
européen.
M. René-Pierre Signé.
Ah oui !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Il conviendrait aussi de mieux
associer les collectivités locales à l'élaboration des mesures relatives à la
fonction publique territoriale, qui ne peuvent manquer d'avoir des incidences
sur leurs budgets. Les collectivités locales doivent devenir un partenaire à
part entière du dialogue conduit par le Gouvernement en ce domaine.
Il est, en outre, nécessaire, pour faciliter le dialogue entre l'Etat et les
collectivités locales, que le Gouvernement rende effective la déconcentration,
qui constitue le corollaire naturel et indispensable de la décentralisation.
M. René-Pierre Signé.
Eh oui !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Comme vous l'avez indiqué il y a
un instant, monsieur le ministre, il s'agit de promouvoir un interlocuteur
unique, le préfet, capable d'engager l'Etat, et tout l'Etat, et disposant de
crédits déconcentrés. Une opération a déjà été engagée en ce qui concerne
l'action en faveur de l'emploi à l'échelon départemental.
De plus, il me semble nécessaire de donner un second souffle à la coopération
intercommunale.
Votre avant-projet de loi comporte, à cet égard, monsieur le ministre, des
éléments de réponse qui me paraissent respectueux de l'autonomie locale.
Enfin, la pacification des relations entre l'Etat et les collectivités locales
passe, me semble-t-il, par une modernisation de la fiscalité directe locale. A
cet égard, force est de constater que la taxe professionnelle occupe une place
particulière dans notre imaginaire fiscal.
Dans la mesure où le Gouvernement vient de me faire l'honneur de me confier la
présidence d'un groupe de travail sur la taxe professionnelle, qui tiendra sa
première réunion la semaine prochaine, il m'est difficile de m'exprimer plus
longuement sur cet impôt triangulaire, perçu par les collectivités locales,
acquitté par les entreprises et compensé par l'Etat.
Qu'il me soit simplement permis de dire que la résolution des problèmes posés
par cet impôt triangulaire relève en quelque sorte de la quadrature du cercle
puisqu'il s'agit tout à la fois, nous dit-on, d'alléger son poids pour les
entreprises et de réduire la facture de l'Etat, tout en maintenant le produit
perçu par les collectivités locales.
M. Robert Pagès.
Il y aura un perdant : les ménages !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Qu'il me soit également permis
de dire toute mon opposition à l'idée d'une nationalisation du taux de la taxe
professionnelle, qui irait à l'encontre de la décentralisation, qui romprait,
ce qui est beaucoup plus grave, tout lien entre les collectivités locales et
les entreprises et, enfin, qui démotiverait les élus locaux.
M. René Régnault.
Nous sommes d'accord !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Enfin, il me semble que l'idée
consistant à substituer la valeur ajoutée par l'entreprise à l'assiette
actuelle de la taxe professionnelle a fait long feu, et à juste titre :
l'expérience a déjà été tentée par l'Assemblée nationale, et nous en
connaissons le résultat.
Telles sont, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues,
les quelques réflexions - non exhaustives, bien évidemment - que je tenais à
exprimer à l'orée de ce débat.
En définitive, monsieur le ministre, gardons-nous de revenir à de stériles
querelles et méfions-nous des exégèses médiatiques qui viennent parfois
déformer le contenu de nos déclarations à la presse.
S'agit-il, pour les élus locaux, de se remettre en cause, ou ne s'agit-il pas,
plus simplement, de clarifier les règles d'un jeu devenu, pour les uns et pour
les autres, par trop complexe ?
J'ai la conviction que nous saurons bâtir, avec vous, monsieur le ministre, un
partenariat responsable et adulte, et ce pour le bien de tous nos concitoyens.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants
et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
- Groupe du Rassemblement pour la République, 57 minutes ;
- Groupe socialiste, 49 minutes ;
- Groupe de l'Union centriste, 42 minutes ;
- Groupe des Républicains et Indépendants, 35 minutes ;
- Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 25 minutes ;
- Groupe communiste républicain et citoyen, 22 minutes.
La parole est à M. Paul Girod.
M. Paul Girod.
Monsieur le ministre, mes premières paroles seront pour vous remercier,
d'abord, de la clarté de votre exposé et pour m'associer, ensuite, aux propos
de M. Poncelet s'agissant des thèses qu'il défend depuis longtemps en ce qui
concerne l'indépendance des collectivités territoriales et leur nécessaire
maturité, que nous recherchons en permanence, ainsi que les relations de
celles-ci avec l'Etat, particulièrement en matière financière.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Merci, mon cher collègue !
M. Paul Girod.
Certains de vos propos, mon cher collègue, ont provoqué ici ou là quelques
remous. S'agissant de l'adhésion du Sénat à l'idée de décentralisation, je
voudrais tout de même rappeler que, si décentralisation il y a eu en 1981,
c'est en partie en raison de l'adoption par le Sénat, les années précédentes,
de textes instituant l'autonomie des collectivités locales en matière fiscale
et mettant en place une dotation globale de fonctionnement qui, à l'époque,
transférait aux collectivités locales une part d'un grand impôt évolutif de
l'Etat, la TVA - revendication permanente des représentants des collectivités
locales depuis plus de trente ans - et instituant la globalisation des
emprunts, mesures sans lesquelles rien n'aurait pu être fait passé un certain
mois de mai ou de juin 1981.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Le ministre de l'intérieur de
l'époque était M. Christian Bonnet !
M. Paul Girod.
Je voudrais aussi rappeler que, si la première lecture de la loi de 1982 a été
difficile au Sénat, la seconde lecture, en revanche, y a été beaucoup plus
consensuelle, la Haute Assemblée ne s'opposant à ce texte que sur deux points
seulement : l'intervention des communes dans les entreprises et l'érection des
régions en collectivités territoriales de plein exercice, problème auquel nous
sommes confrontés en ce moment, avec l'enchevêtrement des compétences entre
collectivités locales de plein exercice. Peut-être le Sénat avait-il été plus
lucide que beaucoup d'autres sur ce point, il convenait de le rappeler au début
de cette discussion.
M. Adrien Gouteyron.
Très bien !
M. Paul Girod.
Cela dit, monsieur le ministre, permettez-moi d'exprimer le sentiment de mon
groupe - et le mien - sur certains des aspects que vous avez évoqués, et
d'abord sur les problèmes structurels et juridiques.
Vous nous avez dit que le débat sur la clarification des compétences n'était
pas, pour l'instant, très facile à ouvrir à cause des habitudes et du manque
relatif de moyens, et vous visiez, si j'ai bien compris, la clarification des
compétences entre collectivités territoriales.
Permettez-moi d'ouvrir un autre débat, celui de la clarification des
compétences entre l'Etat et les collectivités territoriales. Je ne suis pas sûr
que nous soyons, en cette matière, devant une situation tout à fait
satisfaisante. Ce n'est pas le gouvernement actuel, ce ne sont pas les deux
gouvernements qui l'ont précédé, mais ce sont, me semble-t-il, des
gouvernements un peu antérieurs à 1993 qui ont commencé à obscurcir
sérieusement la clarté des relations entre l'Etat et les collectivités
territoriales. L'exemple le plus caricatural a été la fameuse affaire du plan
Université 2000,...
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Eh oui !
M. Paul Girod.
... une compétence d'Etat ayant été ouvertement assumée, au moins au niveau
des deux tiers de son montant, par les collectivités territoriales, avec -
reconnaissons-le - des imputations budgétaires que les travaux de la commission
Delafosse ont qualifiées d'obscures pour le moins, pour ne pas dire
caricaturales.
M. René-Pierre Signé.
Cela s'est amplifié par la suite !
M. Paul Girod.
Par ailleurs, monsieur le ministre, vous avez fort opportunément rappelé que,
normalement, une étude d'impact devrait intervenir avant tout texte législatif
ou réglementaire ayant une incidence sur les finances des collectivités
territoriales.
Le principe est bon. La réalité y répond-elle ? J'en suis un peu moins sûr. Et
je ne parle même pas des grandes lois sur l'eau, les déchets et l'air qu'a
évoquées M. Poncelet, mais de la vie de tous les jours. Pour vous donner un
exemple, la modification imposée des poteaux de basket dans les cours d'école
va aboutir à Dieu sait quelles dépenses supplémentaires et totalement
inattendues. Il en est de même du sens de l'ouverture d'une porte, de la
hauteur d'un seuil, de la distance entre un robinet et un interrupteur, tous
éléments susceptibles d'être modifiés tous les jours et qui aboutissent à des
travaux nouveaux qui, s'ils alimentent certes l'artisanat, ne constituent pas
nécessairement les soucis premiers des collectivités territoriales. En outre,
que je sache, les auteurs de normes ne nous ont pas vraiment soumis, en tout
cas à l'échelon parlementaire, une étude d'impact satisfaisante.
Mais permettez-moi de prendre un exemple plus précis : les archéologues,
monsieur le ministre, ont un statut tout à fait étonnant. Ils autorisent le
démarrage des travaux d'un lotissement, qu'il s'agisse de bâtiments
d'habitation ou de bâtiments industriels ; ils sont seuls juges de
l'opportunité de procéder à une fouille exploratoire ; ils sont seuls juges de
l'importance de leurs éventuelles découvertes ; ils sont seuls juges de la
nécessité de demander une fouille complémentaire, voire de décider un blocage
total des opérations ; ils sont seuls juges du choix des entreprises auxquelles
ils s'adressent, sans être soumis au code des marchés publics. Il en résulte,
dans certains cas, des coûts d'investissement industriels prohibitifs et
impossibles à supporter. La lutte contre le chômage s'en trouve alors fortement
perturbée, ce qui pose certains problèmes aux responsables des collectivités
locales.
Permettez-moi de vous dire, monsieur le ministre, que, sur le plan de la
clarification des compétences entre l'Etat et nous, il y a encore pas mal de
choses à faire...
Par ailleurs, certaines obscurités subsistent.
Je prendrai deux ou trois exemples qui montrent que les collectivités locales
se trouvent parfois financièrement embarquées au-delà de ce qu'elles
voudraient.
La loi sur la prestation spécifique de dépendance a supprimé la
toute-puissance des COTOREP en matière d'allocations compensatrices, au moins
pour les personnes âgées. Ce sera, je l'espère, un progrès, et le Sénat peut
s'honorer - M. Fourcade le sait bien - d'avoir été l'initiateur de cette
modification.
En matière de protection juridique de la jeunesse, en revanche, nous ne
prenons pas les décisions mais nous devons payer. Et, pour ce qui concerne les
établissements qui reçoivent des handicapés ou des personnes âgées, qui nomme
le directeur ? Pas nous ! Or quels sont les pouvoirs du directeur face au
conseil d'administration ? Ils sont considérables ! Mais qui paie la note ? Les
collectivités locales.
Dès lors, un certain nombre de points, qui rejoignent d'ailleurs les
considérations sur le personnel qu'a évoquées M. Poncelet à l'instant, doivent
être examinés de plus près.
On a toujours affirmé qu'il fallait des passerelles entre la fonction publique
d'Etat et la fonction publique territoriale. Or il se trouve que les règles
régissant certains corps s'opposent à ce que nous puissions solliciter la
collaboration de telle personnalité ou de tel agent de l'Etat, compétent et
connaissant la situation locale, parce que, comme par hasard, ce n'est pas
possible, et l'on nous en propose d'autres qui ne sont pas ceux que nous
voudrions. Ainsi, pour l'instant, le blocage est complet.
Monsieur le ministre, je voudrais terminer sur ce sujet en vous disant que, si
je sais votre souci de faire avancer les choses, je demeure perplexe,
anticipant un peu sur la partie financière de mon intervention, à propos de ce
que vous avez dit sur la CNRACL.
Vous avez dit que 1997 se passerait bien, que 1998 se présentait sous de
meilleurs auspices.
M. Guy Fischer.
Je ne le crois pas !
M. Michel Sergent.
Au premier trimestre !
M. Paul Girod.
C'est sympathique, c'est un peu antique dans la formulation, et nous aimerions
avoir quelques précisions sur ce point.
Vous avez parlé de l'intercommunalité, monsieur le ministre. Il s'agit d'une
oeuvre très importante, mal engagée en 1992. Peut-être n'avons-nous pas vu, y
compris moi-même qui étais rapporteur de la loi à l'époque, que le ver était
dans le fruit dès le départ.
M. François Gerbaud.
Vous avez raison !
M. Paul Girod.
En effet, afin de favoriser l'intercommunalité, pour des raisons que je n'ai
pas à éclaircir aujourd'hui, vous avez mis en place ce que l'on appelle une
incitation financière. Or celle-ci consistait en un prélèvement sur une
dotation globale de fonctionnement qui n'était pas faite pour cela,...
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Elle était déjà insuffisante
!
M. Paul Girod.
... et un certain nombre d'effets d'aubaine ont été engendrés par la loi
elle-même : tout syndicat de communes qui avait le même contour que la
communauté de communes était instantanément transféré à la communauté, ce qui
aboutissait à créer de la fiscalité communautaire et à opérer, sans qu'une
oeuvre supplémentaire ne soit engagée, un prélèvement de dotation globale de
fonctionnement au profit du groupement, au seul motif qu'il s'agissait d'un
groupement.
Vous avez ainsi mis en place, mes chers collègues, une bombe qui est en train
de nous éclater au nez, et nous ne savons plus où nous allons en ce qui
concerne la place de la dotation globale de fonctionnement des groupements par
rapport à la dotation globale de fonctionnement en général.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Très juste !
M. Paul Girod.
Ou alors, il faut dire que vous aviez voulu, à cette époque, tuer à terme la
dotation globale de fonctionnement des communes pour satisfaire une volonté de
coopération intercommunale, ce qui aurait été justifiable, explicable,
discutable, mais qui n'a jamais été dit.
M. René Régnault.
La coopération est une nécessité !
M. Paul Girod.
Le résultat de tout cela, monsieur le ministre, c'est qu'il existe un certain
nombre d'effets d'aubaine.
Vous avez annoncé que vous nous proposerez un texte qui ira un peu au rebours
de cette tendance générale. Nous attendons d'en connaître le dispositif, mais
je crois que nous pouvons vous dire à l'avance que tous ceux qui étudient ce
problème essaieront de trouver avec vous une solution qui soit constructive.
Mais d'autres problèmes se posent à nous, qui sont liés non pas à
l'intercommunalité, mais à l'exercice technique et financier de nos
compétences.
Nous assistons, monsieur le ministre, et cela m'inquiète un peu, au
télescopage de trois textes : celui sur les sociétés d'économie mixte, celui
sur la réforme du code des marchés publics et une proposition de loi, à
laquelle j'ai cru comprendre que le Gouvernement était attaché, relative à la
mise en place d'établissements publics locaux.
Nous allons donc légiférer, sans probablement en être bien conscients, sur des
sujets qui se « tangentent » en permanence. Ainsi, entre les SEM et les
établissements publics locaux, de nombreuses interconnexions existent. De même,
entre les établissements publics locaux, les SEM et la réforme du code des
marchés publics, d'autres connexions se « tangentent » en permancence. Je
crains donc que nous n'ayons besoin, avant d'aborder au fond la discussion de
ces trois textes, d'une clarification sur l'ensemble des influences de ces
textes les uns sur les autres. A défaut, nous allons, une fois de plus,
élaborer un dispositif qui sera d'application très difficile.
Le temps m'étant compté, monsieur le ministre, et pour ne pas lasser
l'attention du Sénat, je ne reviendrai qu'un instant sur les problèmes
financiers et, au-delà, sur les problèmes de l'économie.
Les relations avec l'Etat, que d'aucuns critiquent encore, trouvent une
certaine stabilité, ce qui est, je crois, à porter à votre crédit, monsieur le
ministre. Le véritable problème financier auquel nous sommes confrontés est
celui de la part municipale de la taxe professionnelle, de son imputation
exagérément localisée.
Le seul mérite de la loi de 1992 avait été d'amorcer une certaine
mutualisation intercommunale de cette taxe. Est-ce au niveau de
l'intercommunalité - je ne parle pas des grandes agglomérations - que la
solidarité en matière de taxe professionnelle doit s'exercer ? Je n'en suis pas
certain. C'est à un échelon plus large, du type du département ou de la petite
région - les grandes régions me semblent trop grandes pour cela - qu'il
faudrait probablement réfléchir sur les solutions à trouver.
J'ai noté au passage que, en ce qui concerne les comparaisons de recettes
fiscales, les comparaisons de ressources et les notions de péréquation telles
qu'elles figurent dans la loi de 1995, vous aviez quelques doutes quant à
l'émergence de disparités monumentales. Pour ma part, j'en suis persuadé, parce
que la véritable anomalie se trouve à l'intérieur des régions bien plus encore
qu'entre les régions, et spécialement entre les communes sur ce point
particulier de la taxe professionnelle.
En conclusion, je souhaite aborder un sujet qui nous touche tous parce qu'il
constitue l'essentiel de la vie publique et de nos préoccupations actuelles.
Monsieur le ministre, vous avez parlé de l'économie. Derrière l'économie, il y
a nécessairement l'emploi ! Vous avez dit que vous souhaitiez clarifier les
modalités d'intervention des collectivités territoriales. Beaucoup d'événements
qui ont émaillé les relations entre les chambres régionales des comptes et les
collectivités territoriales montrent, me semble-t-il, l'urgence de procéder à
cette clarification, et je vous sais gré de nous l'annoncer.
Cependant, un point m'inquiète, et on retrouve là le problème de la
clarification des compétences. On observe que, en réalité, tout le monde est
sur le pont dans cette affaire, aussi bien les régions que les départements ou
les communes. Il ne faudrait pas que, sous couvert de clarification, on remette
en place un système de tutelle, avoué ou inavoué, de certains sur d'autres. Il
faut faire très attention à la rédaction des textes.
Mais il est un point, monsieur le ministre, sur lequel nous pourrions
intervenir mieux que nous ne le faisons, sans dépenses et sans risques
excessifs. Des tours de France et des consultations que j'ai pu faire, il
semble ressortir que, partout, la création de nouvelles entreprises se déroule
sans difficulté majeure. Partout, l'appui en capital, surtout aux sociétés
importantes, est accordé relativement facilement.
Ce qui se passe très mal et, partout, c'est le développement de l'entreprise
qui a été créée deux, trois ou quatre ans plus tôt, et qui réussit sur son
créneau : le Bill Gates, le Louis Renault au fond de son petit garage qui a
besoin d'un apport en fonds propres limité en montant, mais indispensable pour
pouvoir franchir la première marche de son développement. A ce besoin, aucune
banque ne répond autrement que par des prêts ; aucune société de capital-risque
n'y répond, parce qu'il s'agit d'une structure trop petite. Nous sommes
désarmés devant ce phénomène ! Par conséquent, nos entrepreneurs, même s'ils
sont de qualité - Dieu sait qu'ils le sont dans beaucoup de cas ! - se voient
ou spoliés ou acculés à l'abandon au moment où, justement, ils sont en train de
réussir.
Sur ce point, une réflexion doit être menée. Je souhaiterais que, dans vos
préoccupations sur l'intervention économique des collectivités territoriales,
monsieur le ministre, cet aspect soit abordé.
A un moment où l'on parle des collectivités locales, nous ne redirons jamais
assez le rôle éminent que celles-ci jouent dans la réalité de notre démocratie
et de notre République. Il est souhaitable que l'on aborde sans complexe
l'ensemble des problèmes auxquels elles sont confrontées, problèmes dont, dans
beaucoup de cas, elles pourraient être des gestionnaires plus efficaces
qu'elles ne le sont, quel que soit le dévouement de leurs élus.
(Applaudissements sur les travées du RDSE, du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Puech.
M. Jean Puech.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à mon tour,
je tiens à remercier le Gouvernement d'avoir proposé au Sénat d'organiser, à
huit jours de distance, deux débats importants : le premier, aujourd'hui, pour
traiter des collectivités locales et le second, la semaine prochaine, devant
porter sur la politique d'aménagement du territoire.
Dans la période actuelle, où la gestion du quotidien, de l'immédiat le dispute
sans cesse à la prospective et à la réflexion sur l'avenir, ces deux débats
doivent à la fois éclairer notre conduite des affaires au quotidien et donner
un nouvel élan à la politique de notre pays.
Collectivités locales, puis aménagement du territoire : il aurait peut-être
fallu inverser l'ordre des débats, car de la vision que nous pouvons avoir de
la politique d'aménagement du territoire dans les vingt ans à venir dépendent
sans doute le rôle et la place que nous voulons faire jouer à nos
collectivités. Mais qu'importe !
Nous avons aussi, à l'inverse, à jeter les fondements d'une nouvelle avancée
de la décentralisation pour mieux répondre, en termes de proximité et
d'efficacité, aux défis majeurs de l'Europe, de la mondialisation et de
l'équilibre du territoire.
A ce sujet, le rapport de la mission d'information de la commission des lois,
conduite par nos collègues MM. Delevoye et Hoeffel, constitue un apport dont
nous ne réfutons aucun des éléments essentiels, bien au contraire ! Il faut
rapidement avancer selon les orientations qu'il contient.
L'expérience de quinze ans de décentralisation, vécue sur le terrain, doit
nous rendre à la fois réalistes et ambitieux.
D'ailleurs, les élus, à tous les niveaux, ont d'ores et déjà pris leurs
responsabilités et il nous appartient de mettre tout en oeuvre pour leur
faciliter la tâche.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais commencer mon
intervention par ce qui est une évidence dans cette assemblée, mais qu'il
m'appartient, me semble-t-il, de rappeler : un mandat territorial est un mandat
politique à part entière. Il nous a été confié par le suffrage universel et nos
concitoyens ont, à juste raison, le droit et le devoir de nous en demander
compte. Aussi n'avons-nous, ni à le laisser s'obscurcir ni à le déléguer sans
discernement.
Si j'aborde aussi directement ce sujet, c'est bien parce qu'il se trouve au
coeur du débat sur l'intercommunalité.
Je me félicite de voir très prochainement venir en discussion devant notre
assemblée le projet de loi que vous avez préparé, monsieur le ministre, en
étroite liaison, je le sais, avec les élus. Mais nous ne pouvons pas éluder, à
ce propos, le débat démocratique et institutionnel qu'il sous-tend. En effet,
ce texte, comme le rapport de la mission d'information du Sénat, maintient le
mode de désignation actuelle, au second degré, des institutions
intercommunales. Cela mérite que l'on s'y attarde.
Dans ce débat, tout le monde sait que deux conceptions de l'évolution
institutionnelle se sont fait jour lors de l'élaboration de l'avant-projet du
schéma national d'aménagement du territoire : soit la modification progressive
de la carte territoriale de la France autour des pays et des agglomérations ;
soit l'incitation volontariste à l'extension de l'intercommunalité sans
bouleversement apparent immédiat.
C'est cette seconde option qui a été retenue par le Gouvernement et que nos
collègues de la mission d'information ont également retenue explicitement dans
leur rapport.
Mais le problème est bien de savoir jusqu'à quel stade de développement de
l'intercommunalité on pourra laisser subsister une gestion par des élus au
second degré et des appareils administratifs hypertrophiés, soit
incontrôlables, soit ingérables.
Conseillers municipaux et conseillers généraux doivent donc réfléchir ensemble
à la meilleure façon de recréer les liens de proximité, qui constituent le
fondement de leur mandat politique commun attaché à une population et à un
territoire. Les représentants au second degré, dans le cadre de
l'intercommunalité, répondent de moins en moins à ces critères.
Je propose que nous approfondissions notre réflexion sur ce thème précis. Dans
le cas contraire, le débat sur l'intercommunalité risque de se réduire à un
débat technique, même au sens noble du terme. N'oublions pas, en effet, que les
élus territoriaux sont également des élus politiques.
A ce sujet aussi, mon opinion personnelle est que, si nous voulons de la
décentralisation et encore plus de décentralisation nous ne pouvons nous
dispenser de prendre une position claire sur le cumul des mandats, peut-être en
le limitant - et je répète bien que c'est mon opinion personnelle - à un mandat
délibératif ou législatif, associé au maximum à une fonction exécutive, y
compris, bien évidemment, celle de ministre.
J'aborderai à présent une question qui me paraît également de toute première
importance : l'exigence de transparence de la gestion publique.
Je comprends les raisons qui ont incité certains de nos collègues à déposer
une proposition de loi visant à mieux définir le rôle et les pouvoirs des
chambres régionales des comptes. Je souhaite, pour ma part, mes chers
collègues, que notre assemblée élargisse le débat ainsi lancé pour poser le
problème dans ses différentes dimensions : celle de l'exercice du contrôle de
légalité par le représentant de l'Etat ; celle du contrôle financier et
budgétaire par les chambres régionales des comptes et, éventuellement, celle
des sanctions qui y sont attachées et de leurs modalités d'application par les
instances juridictionnelles ou pénales.
Personne, en effet, ne peut se satisfaire de la situation actuelle, ni le
citoyen, ni l'élu, ni les représentants de l'Etat.
Lorsqu'on en vient même pour certains à dire et à écrire que décentralisation
est synonyme de corruption, cela signifie d'abord un refus total de la
décentralisation. Mais, surtout, plus grave, on pousse un très grand nombre
d'élus à douter d'eux-mêmes et les citoyens à refuser le débat démocratique
local. Avons-nous pourtant la mémoire si courte pour ne pas nous rappeler la
gestion publique des années 1982 alors même que les finances de l'Etat étaient
prospères ? Alors, le retour à l'Etat providence est-il une solution ?
Non, la solution n'est pas là ! Si la transparence et la rigueur de la gestion
sont des exigences absolues, si nous voulons rendre vraiment service à nos
concitoyens, la solution ou les solutions passent par une redéfinition de nos
propres responsabilités et des pouvoirs qui nous contrôlent.
Je me permets de livrer à votre réflexion trois suggestions ou
propositions.
En premier lieu, afin de permettre à nos collectivités de bénéficier d'une
assistance et d'un conseil efficaces et permanents, ne serait-il pas possible
d'envisager la création d'un corps d'inspection générale des collectivités
territoriales issu de nos propres fonctionnaires territoriaux...
M. René Régnault.
Eh oui !
M. Jean Puech.
... ou des élus ayant abandonné toute responsabilité élective ? Il pourrait y
en avoir, par exemple, un par département autour duquel pourraient se
coordonner et surtout s'étoffer des services juridiques. Nos collectivités
restent, en effet, particulièrement démunies sur ce plan.
(M. le président de la commission des finances et M. Hubert Haenel font un
signe d'approbation.)
En deuxième lieu, la suggestion que fait aujourd'hui le corps préfectoral
de constituer autour des préfets une véritable « mission interministérielle »
permettant l'exercice objectif et équilibré du contrôle de légalité me paraît
devoir être examinée. Elle n'est pas en contradiction avec ma première
suggestion. Au contraire, elle la complète.
Mais, surtout et en troisième lieu, il faut assurer la cohérence du contrôle
de légalité et du contrôle financier qui s'exerce parfois à plusieurs années de
distance.
Tout d'abord, il faut bien préciser que si le contrôle de légalité par le
préfet peut être un feu rouge, il n'est en aucun cas un feu vert. Si un tel
état de choses est maintenu, il faut que les observations provisoires des
chambres régionales des comptes s'adressent autant aux préfets qu'aux élus et
soient perçues comme telles.
Il conviendrait aussi que s'ouvre une réflexion avec les chambres régionales
des comptes et le comité de liaison de la Cour des comptes sur le problème de
la diffusion dans la presse d'observations ou de lettres provisoires qui n'ont
pas donné lieu à débat contradictoire. Tout manquement devrait entraîner, me
semble-t-il, l'obligation pour les chambres régionales des comptes de faire
connaître alors un bilan global de l'examen de la gestion de la collectivité
comprenant également les aspects positifs relevés. Il y en a tout de même !
En tout état de cause, bien sûr, le législateur devrait s'efforcer de mieux
définir l'exacte portée du contrôle exercé. C'est ce qu'il sera amené à faire,
comme vous nous l'avez indiqué.
Enfin, je pense, ainsi que je l'ai indiqué à plusieurs reprises, qu'il
convient de procéder sans tarder à la réforme du code des marchés publics et à
la clarification impérative des règles d'intervention économique des
collectivités territoriales.
Je me félicite que le Gouvernement ait la volonté de mener à bien rapidement
ces deux chantiers qui sont, j'en suis convaincu, des préalables à toute
amélioration de la transparence dans la gestion publique.
Dans le dernier volet de mon intervention, j'aborderai le plein exercice des
compétences.
Le sujet est parfaitement connu et le rapport du groupe de travail sur la
décentralisation en décrit une fois de plus parfaitement les termes : il
concerne le chamgement perpétuel des règles du jeu financières entre l'Etat et
les collectivités. Il constate, ou il déplore, que le caractère spécifique de
plus en plus affirmé de la fonction publique territoriale permet difficilement
d'appliquer strictement le principe de parité avec l'Etat, que la clarification
des compétences se fait attendre, que l'irruption dans le paysage du droit
communautaire va enfin nous obliger à un exercice conjoint de mise en
conformité de nos propres règles de gestion et d'intervention dans de nombreux
domaines : celui des marchés, de l'environnement, de l'aménagement du
territoire, par exemple.
Concernant les règles du jeu financières, je pense d'abord que nous ne sommes
pas allés, monsieur le ministre, jusqu'au bout de l'exercice engagé dans le
cadre de l'élaboration du pacte de stabilité financière.
Les travaux de l'observatoire des finances locales et d'autres travaux
d'évaluation ou de prospective doivent nous permettre de poursuivre ce dialogue
constructif avec l'Etat.
Dans ces conditions, serait-il possible, monsieur le ministre, d'engager à
nouveau le débat préalablement à la prochaine discussion budgétaire ? En effet,
je pense que plusieurs raisons justifieraient une telle démarche positive.
Dans tous les ministères ou à peu près sont en cours d'élaboration ou sont
déjà en discussion avec le Parlement des textes dont les incidences sur les
finances locales seront multiples : de la cohésion sociale au projet de loi sur
les sports en passant par la sécurité sanitaire et la généralisation de
l'assurance maladie, par exemple. Les conséquences financières du projet de loi
sur l'intercommunalité sont et seront multiples. Ces incidences se prolongeront
surtout à court terme et à moyen terme sur l'évolution de la DGF et de la DGD.
Ainsi, je pense que la commission mixte collectivités
territoriales-Gouvernement mise en place voilà maintenant dix-huit mois devrait
pouvoir reprendre ses travaux.
S'agissant de la fonction publique territoriale, la prochaine discussion de la
proposition de loi relative aux régimes indemnitaires de nos collaborateurs,
dont l'initiative revient à notre collègue, M. Charles Pasqua, ne peut manquer
de relancer le débat de la spécificité de la fonction publique territoriale et
de la parité avec l'Etat.
J'en suis heureux, et je souhaite simplement qu'il puisse faire, par la même
occasion, la transparence sur les régimes spécifiques de toutes les catégories
de fonctionnaires d'Etat quel que soit leur corps d'origine.
Mais surtout, quand nous rendrons-nous à l'évidence ? La parité n'a jamais été
un facteur de mobilité. Ce mythe est une source sans fin de tracasseries et de
complexité pour les petites comme pour les grandes collectivités. Elle est un
facteur discriminatoire entre les différentes filières administratives,
techniques, sociales et ne tient pas compte de l'évolution des métiers. Je vous
donne un exemple concret : comment pourra-t-on promouvoir une amélioration de
la qualification des personnels sociaux sans en tirer les conséquences
statutaires et indemnitaires ? Enfin et surtout, sans une certaine maîtrise du
« management » de ces personnels, jamais nous n'aurons des élus responsables à
part entière.
Il ne s'agit pas, monsieur le ministre, de faire une révolution, il s'agit de
faire évoluer les systèmes pas à pas. Il ne s'agit pas d'abandonner le statut,
bien au contraire, ni d'augmenter les dépenses, car pour l'instant, vous le
savez bien, nous subissons les décisions de l'Etat, qui réagit lui-même aux
pressions syndicales avec des préoccupations totalement différentes des
nôtres.
C'est, en fait, un système inflationniste pour les collectivités, qui
pourraient, à masse constante, faire évoluer de façon plus juste et plus
efficace les grilles de salaires et les régimes indemnitaires sans reproduire à
l'identique le système figé et suranné des corps et des dizaines de cadres
d'emplois. Je suis certain que vous en êtes convaincu, monsieur le ministre,
mais je sais que ce domaine est sensible.
Mes chers collègues, il s'agit d'une volonté politique qu'il nous appartient
de mettre en oeuvre. Là encore, saurons-nous aller jusqu'au bout de la logique
de responsabilité qui est celle de la décentralisation ?
A quand un Conseil supérieur de la fonction publique territoriale indépendant
de la direction générale des collectivités locales doté d'un outil technique,
constitué en commun par les associations d'élus ? Ce serait la logique même de
la décentralisation.
M. Alain Vasselle.
C'est un rêve !
M. René Régnault..
La ruine de l'Etat unitaire français.
M. Jean Puech.
En ce qui concerne la clarification des compétences, je rappellerai simplement
et brièvement, car je ne veux pas m'étendre sur un dossier connu de tous, que
la clarification des compétences est une nécessité pour deux raisons : d'une
part, pour assainir le climat des relations des collectivités locales avec
l'Etat, ne serait-ce que sur le plan budgétaire et financier ; d'autre part,
pour gérer avec l'Etat trois missions de service public avec le maximum
d'efficacité, à savoir la lutte pour la cohésion sociale, le combat pour
l'emploi et l'aménagement du territoire. Elle doit, bien sûr, s'accompagner de
la nécessaire réforme de l'Etat, que vous avez engagée, ce dont je me réjouis,
avec une volonté de déconcentration de son action et de réorganisation des
services.
En conclusion, si je puis exprimer un regret, monsieur le ministre, c'est que
l'on ne saisisse pas l'occasion de ces multiples textes en préparation ou en
cours d'examen pour procéder tout simplement, en vraie grandeur, à un exercice
de clarification. Cela devrait être fait de façon systématique. Nous l'avions
demandé pour le texte relatif à la cohésion sociale. Nous le souhaitons
vivement pour tous les textes qui nous sont présentés.
N'est-ce pas en définitive la règle du jeu systématique que le Parlement et le
Gouvernement, d'un commun accord, devraient exiger de tout rédacteur d'un
projet législatif ou réglementaire ? Or on a bien souvent l'impression que l'on
s'efforce de faire compliqué quand il serait possible de faire simple.
Mes chers collègues, dès demain, en reprenant le cours habituel de nos débats,
les travaux pratiques nous attendent. Nous devrons nous efforcer de persévérer
dans ce sens avec, j'en suis persuadé, monsieur le ministre, votre soutien et
votre concours. Je vous en remercie.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Hoeffel.
M. Daniel Hoeffel.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne
reviendrai pas sur le débat relatif à la décentralisation qui a été organisé au
Sénat le 13 mars, ni sur les conclusions des travaux de la commission des lois
du Sénat. Ces travaux se sont conclus par un acte de foi en l'avenir de la
décentralisation, un acte de foi assorti de propositions de relance de la
décentralisation articulées autour de quatre thèmes : la clarification des
relations entre l'Etat et les collectivités locales, l'adaptation des moyens
financiers, la modification du statut de la fonction publique territoriale et,
enfin, la simplification des niveaux de collectivités territoriales en mettant
l'accent sur le problème urgent et impérieux de l'intercommunalité.
A propos de l'intercommunalité, je voudrais simplement rappeler que la
commission des lois a adopté des propositions très claires : réduction du
nombre des structures intercommunales, préservation du principe du volontariat,
maintien du mode de désignation actuel des délégués dans les structures
intercommunales, stimulation financière.
Pour revenir à ce qu'affirmait tout à l'heure notre collègue Jean Puech, je
rappelle que le jour où nous changerons le mode de désignation des délégués aux
structures intercommunales, ce jour-là le débat changera de nature. Le problème
devait être posé. Peut-être un jour sera-t-il inévitable ? Pour l'instant, la
commission des lois du Sénat s'en tient à la situation actuelle.
M. Christian Bonnet.
Très bien !
M. René Régnault.
Il faut la faire évoluer !
M. Daniel Hoeffel.
Je me bornerai dans mon propos à évoquer deux thèmes : le caractère
irréversible de la décentralisation et la lisibilité de celle-ci.
La décentralisation est irréversible. Il faut l'affirmer au moment où nous
célébrons le quinzième anniversaire de l'entrée en vigueur des lois de 1982, et
alors que les critiques fusent à l'encontre de la décentralisation.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Pas toujours fondées !
M. Daniel Hoeffel.
J'en ai relevé au moins quatre au cours des dernières semaines : l'Etat serait
laminé par le haut avec l'Europe et par le bas avec la décentralisation ; la
décentralisation porterait atteinte à l'unité de la République ; la
décentralisation, liée au cumul des mandats, ce serait la corruption ; enfin,
beaucoup ont tendance à imputer à la décentralisation et aux collectivités
locales la responsabilité d'une fiscalité jugée trop forte.
Face à ces critiques, infondées les unes et les autres, nous devons affirmer
très clairement, quoi qu'on dise et en dépit d'une situation économique,
financière et budgétaire difficile pour tout le monde, que le bilan de la
décentralisation est incontestablement positif. Tous les orateurs précédents
l'ont rappelé avec vigueur et avec raison.
Prenons l'exemple des lycées et des collèges : régions et départements ont
fait quantitativement et qualitativement mieux que l'Etat auparavant.
M. Alain Vasselle.
A quel prix !
M. Daniel Hoeffel.
Prenons l'effort d'investissement.
L'effort global réalisé par tous les niveaux de collectivités locales, qui
représente aujourd'hui les trois quarts de l'investissement public, a souvent
contribué, sur le plan de l'emploi, à préserver l'essentiel.
De surcroît, c'est grâce à la décentralisation que les collectivités locales
ont non seulement exercé dans de bonnes conditions leurs propres compétences,
mais encore aidé l'Etat à assumer des compétences qui restent formellement les
siennes. Prenons l'exemple de l'université et de la recherche : c'est
flagrant.
Enfin - cela aussi a été rappelé - la décentralisation c'est l'examen d'un
problème et la solution apportée à ce problème d'une manière proche du terrain,
et donc plus réaliste.
Evoquant son bilan positif, je me dois d'ajouter que la décentralisation ne va
absolument pas à l'encontre de l'intérêt bien compris de l'Etat, bien au
contraire !
L'Etat, nous le savons, assume une triple mission : il exerce des fonctions
régaliennes ; il est garant de la légalité ; il est aussi garant de la
solidarité nationale, un thème que souvent, tout au long du débat sur la loi
d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire, nous avons
été amené à rappeler.
Ainsi, décentralisation et autorité de l'Etat ne sont pas antinomiques ; elles
vont de pair. Elles sont mêmes indissociables. Encore faut-il que cela s'exerce
dans de bonnes conditions, ce qui suppose que l'Etat se concentre sur ses
vraies fonctions régaliennes...
M. Christian Bonnet.
Très bien !
M. Daniel Hoeffel.
... et ne se disperse pas entre une multitude de fonctions qui ne relèvent pas
de son niveau, mais qui relèvent des collectivités territoriales.
M. Christian Bonnet.
Exactement !
M. Daniel Hoeffel.
Il faut que joue le principe de subsidiarité. Mais il ne suffit pas que nous
l'évoquions au niveau de l'Europe : encore faut-il que nous l'évoquions aussi
au niveau de l'Etat !
Enfin, cela entraîne - et c'est lié - une accélération du mouvement de
déconcentration, étroitement lié au mouvement de décentralisation.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Evidemment !
M. René Régnault.
Très juste !
M. Daniel Hoeffel.
Voilà pour ma première observation : la décentralisation est et doit être un
phénomène irréversible, et elle le sera.
Ma seconde observation concerne la lisibilité de la décentralisation.
Clarification des compétences, clarification des structures, clarification des
finances en sont les trois aspects.
La clarification des compétences tout d'abord : pour l'opinion publique, pour
le contribuable de base, il y a trop d'enchevêtrements de compétences et de
financements croisés. Tout le monde est d'accord pour dire qu'il faut revenir à
une clarification et, si possible, aux blocs de compétences. Mais nous sommes
aussi, au Sénat et dans nos collectivités, suffisamment réalistes pour nous
rendre compte que ce n'est pas du jour au lendemain que nous pourrons revenir à
ces blocs de compétences.
Il existe des solutions transitoires. Elles ont été évoquées : trouver la
collectivité chef de file, appel de compétences, expérimentation,
contractualisation. A mon avis, c'est l'expérimentation qui pourrait souvent
nous éviter de faux pas, même si notre pays, par principe, est trop souvent
hostile à cette formule.
C'est ainsi, je crois, que nous pourrons cheminer, à travers ces formules
transitoires, vers davantage de clarification, en sachant que ce n'est pas dans
une période de contraintes budgétaires difficiles qu'on y arrivera.
L'amélioration de la situation globale peut y contribuer.
La clarification des structures ensuite : dans ce domaine, la confusion est
particulièrement forte dans l'esprit de nos compatriotes. Communes, structures
intercommunales, départements, régions, Etat, Europe ! Il arrive à ces six
niveaux d'intervenir conjointement dans un domaine, celui de la mise en oeuvre
des fonds structurels par exemple. Dès lors, il ne faut pas s'étonner qu'entre
l'attribution des fonds structurels à une région et la mise en oeuvre de ces
fonds sur le terrain il s'écoule souvent beaucoup de temps, trop de temps.
Une autre confusion se produit dans les agglomérations urbaines, où le citoyen
éprouve de plus en plus de difficulté à détecter quel est le rôle du conseil
général, bien que ce dernier intervienne largement, notamment sur le plan
social. C'est là un problème qui exigera d'être clarifié, un jour que j'espère
proche, si nous voulons que la lisibilité de l'intervention du conseil général
apparaisse clairement.
Je ne reviendrai pas sur l'intercommunalité ; tout a déjà été dit. Elle va
dans la bonne direction, elle doit être stimulée, elle doit être accélérée !
J'en arrive à la problématique région-département. En est-ce une ? Je me
tourne vers le président de l'Assemblée des présidents de conseils généraux.
Pour les uns, c'est un problème ; pour les autres, il n'y a pas trop
d'échelons. Pour les uns, il y a complémentarité ; pour les autres, il y a
concurrence. Je constate que l'opinion publique elle-même est perplexe. De
récents sondages font en effet apparaître que, pour la majorité de nos
compatriotes il y a trop d'échelons territoriaux. Mais lorsqu'on les questionne
pour savoir lequel de ces échelons, la région ou le département, est de trop,
ils les renvoient dos à dos. Cela montre combien nous éprouverions de
difficultés à trancher dans le vif si nous, élus locaux, nous attaquions à ces
problèmes.
Enfin, dernier problème relatif à la clarification des structures : la notion
de pays.
M. René Régnault.
Très bien !
M. Daniel Hoeffel.
Faut-il rappeler l'esprit de la loi d'orientation pour l'aménagement et le
développement du territoire sur le pays ?
M. René Régnault.
Oui, surtout sur leur avenir !
M. Daniel Hoeffel.
Nous étions unanimes, je pense, pour affirmer à l'époque que le pays ne devait
en aucun cas être un échelon territorial supplémentaire.
De grâce, nous en avons déjà trop ou tout au moins bien assez !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Trop !
M. Daniel Hoeffel.
Que le pays ne vienne donc pas compliquer cette structure. Qu'il reste - et, à
cet égard, il est utile - ce lieu d'initiatives, de coordination des
initiatives socio-économiques, et que l'on évite d'en faire un élément
institutionnel nouveau.
La clarification des finances enfin : sur ce point, je serai bref, car tout a
été dit, et plus compétent que moi s'exprimera tout à l'heure sur ce sujet.
Oui, les relations Etat-collectivités locales doivent être placées sous le
signe d'un pacte de stabilité des ressources comme des dépenses. Gardons-nous
d'opposer l'Etat vertueux aux collectivités locales dispendieuses.
Les collectivités locales dépensent sensiblement plus que les dotations qui
leur sont attribuées pour exercer leurs compétences. Les collectivités locales
dépensent beaucoup pour aider l'Etat à exercer certaines de ses compétences ;
nous en avons parlé tout à l'heure.
Quant à la réforme fiscale, gardons-nous, même s'ils sont peut-être séduisants
pour l'esprit, de quelques schémas simplistes comme ceux d'une taxe par niveau
de collectivité ou d'une taxe professionnelle nationale, qui serait l'exemple
même de la péréquation idéale. Les uns et les autres sont des idées fausse !
M. René Régnault.
Mais le problème est vrai !
M. Daniel Hoeffel.
Une bonne réforme fiscale, monsieur Poncelet, doit en faire abstraction.
En conclusion, je dirai ma foi totale en l'avenir de la décentralisation à
laquelle il faudra, et le plus tôt possible, donner un nouvel élan, parce
qu'elle est bonne, je le rappelle, non seulement pour les collectivités, mais
aussi pour l'Etat et le pays.
Cela suppose des adaptations des textes, lesquelles ne suffisent cependant pas
à la rendre plus efficace.
Cela dépend aussi des acteurs de la décentralisation. A cet égard, monsieur le
ministre, je voudrais, en passant, insister sur la très grande convergence qui
existe entre les propositions de notre groupe de travail de la commission des
lois et votre propre vision de la décentralisation.
Vous avez appelé les élus locaux à se remettre en cause. C'est une formule à
laquelle nous pouvons, me semble-t-il, adhérer. Nous avons probablement à agir
dans ce sens-là. Beaucoup dépendra aussi du courage que nous mettrons à aborder
un certain nombre de problèmes délicats comme celui - pourquoi ne pas le dire ?
- du cumul des mandats. Mais nous devons avant tout rendre hommage à l'action
désintéressée, honnête - oui, je dis bien honnête - menée avec un sens élevé de
l'intérêt général, de la très grande majorité des élus locaux de ce pays.
Je suis sûr que la transparence, l'honnêteté et le sens de l'intérêt général
resteront leur ligne de conduite dans la période à venir. C'est aussi de cela
que dépendra le succès et le développement de la décentralisation et son
acceptation par l'opinion publique française.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR, des
Républicains et Indépendants, du RDSE, ainsi que sur certaines travées
socialistes.)
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