AGRICULTURE
Débat sur une déclaration du Gouvernement
M. le président.
L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat,
sur l'agriculture.
La parole est à M. le ministre.
M. Philippe Vasseur,
ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation.
Monsieur le
président, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d'abord de
saluer l'initiative prise par le Sénat de ce débat sur la politique agricole de
la France.
Je suis donc amené à parler devant vous d'orientation, et ce dans une double
perspective. D'abord, je traiterai des difficultés qui sont inhérentes au
secteur agricole dans le court terme. Ensuite, parce que je pense que c'est
nécessaire, je vous parlerai du long terme. Il me semble que toute décision que
nous prenons ou toute action que nous conduisons aujourd'hui doit s'inscrire
dans une perspective de plus long terme, en considération des mutations du
secteur agricole.
Bien sûr, la conjoncture étant le plus souvent spectaculaire, il est vrai
qu'elle nous mobilise beaucoup.
Il nous faut réagir vite dans des conditions toujours difficiles, en nous
efforçant non seulement de traiter les effets mais également de nous attaquer
aux causes qui ont provoqué les crises.
Sur ces problèmes conjoncturels, j'évoquerai plus particulièrement deux
secteurs : les fruits et légumes, d'une part, la viande bovine, d'autre
part.
S'agissant des fruits et légumes, notamment des fruits d'été, nous avons
rencontré cette année des difficultés importantes. A l'échelon national, nous
nous sommes efforcés de mettre en oeuvre des dispositions pour amoindrir les
effets de cette crise. Le bilan général que je m'étais engagé à faire sera très
prochainement achevé, de sorte que des mesures pourront être prises et
annoncées dans les tout prochains jours.
En de telles circonstances, je pense ici à la crise que nous avons vécue cet
été, nous avons vu que certaines dispositions législatives étaient
insuffisantes, notamment les dispositions par lesquelles nous avons réformé la
loi sur la concurrence ainsi que l'ordonnance de 1986. Incontestablement, nous
avons pu tirer, à l'occasion de cette crise de l'été, le bilan de cette réforme
dont nous avons pu voir qu'elle comportait encore quelques failles.
Le ministère de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation a d'ailleurs
pris l'initiative de réunir l'ensemble des partenaires de la filière, en
particulier les représentants de la grande distribution, afin d'attirer leur
attention sur les dysfonctionnements constatés et de les mettre à contribution.
Je dois à la vérité de dire qu'ils nous ont aidés à passer un cap difficile
!
Au-delà de ces tensions, au-delà de cette crise de l'été, nous devrons engager
des réformes de fond. C'est pourquoi, à l'échelon communautaire, j'ai fait en
sorte que soit accélérée la renégociation de la réforme de l'organisation
commune du marché, dont les deux axes principaux sont une meilleure adaptation
de l'offre au marché, et un rééquilibrage de la place de la production au sein
de la filière, en particulier par une réforme et un renforcement de
l'organisation économique.
J'ai aussi exigé, et obtenu, à cette occasion, un strict respect des accords
de Marrakech. Nous avons, à cet effet, mis en oeuvre des certificats
d'importation pour les produits sensibles, ce qui constitue le préalable à la
clause de sauvegarde spéciale, qui, en cela, est nécessaire.
J'évoquerai maintenant la deuxième crise, le deuxième point « ultrasensible »,
je veux parler de la filière bovine.
La crise est grave, mais reconnaissez qu'elle aurait pu l'être encore
davantage si la France n'avait pas réagi comme elle l'a fait. En effet, dès le
début de cette crise d'une ampleur sans précédent, nous nous sommes employés à
anticiper ; nous avons multiplié les mesures, d'abord en matière de protection
sanitaire, notre premier souci étant de préserver la santé publique.
Je rappelle que la France a été le premier pays - à l'époque, on le lui avait
même reproché - à décréter l'embargo sur les produits bovins en provenance de
Grande-Bretagne. De surcroît - j'y insiste - nous avons, dès les premiers jours
de cette crise, agi en retenant l'hypothèse que la maladie pouvait être
transmissible à l'homme. Je le dis parce que, de temps à autre, paraît dans la
presse spécialisée un article indiquant que l'on a trouvé une preuve
supplémentaire de la possibilité de la transmission de la maladie à l'homme.
Encore une fois, depuis le début, nous avons agi en retenant cette hypothèse
afin de donner aux consommateurs français les garanties les plus totales.
D'ailleurs, récemment, dans un établissement parisien dont le nom ne rappelle
pas nos provinces françaises - il a plutôt une consonance anglo-saxonne - les
services vétérinaires du ministère de l'agriculture ont décelé la
commercialisation de viande provenant du pays sous embargo.
Qu'est-ce que cela signifie, sinon que les contrôles sont bien menés et que
l'on fait vraiment la chasse aux fraudeurs ? Il faut, à cette occasion,
féliciter l'ensemble des services de l'Etat, les services vétérinaires, les
services de la répression des fraudes et les services des douanes. Je tiens à
vous dire que la sanction doit être suffisamment lourde pour décourager tous
les contrevenants - encore que, dans mon esprit, le mot soit faible, car
j'estime que ce sont des pratiques proprement délictueuses - de poursuivre dans
cette voie parce que le bénéfice escompté, c'est-à-dire l'achat de viande à bas
prix, ne vaut pas le risque encouru.
M. Philippe François.
Le restaurant sera fermé pendant quinze jours !
M. Philippe Vasseur,
ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation.
C'est, en
effet, ce que j'allais confirmer devant le Sénat. La première sanction est de
nature administrative ; il s'agit d'une fermeture de quinze jours, mais cela
n'exclut pas que soient engagées des poursuites pénales.
M. Gérard César.
Très bien !
M. Philippe Vasseur,
ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation.
Il faut
qu'il soit clair pour tout le monde que les fraudeurs en puissance seront
sévèrement sanctionnés s'ils passent aux actes.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et
Indépendants, de l'Union centriste et du RPR, ainsi que sur certaines travées
du RDSE.)
Les contrôles existent, ils seront renforcés et des sanctions
seront prises, le cas échéant.
Nous avons adopté des mesures en matière de préservation de la santé publique
qui sont d'une extrême rigueur, et nous sommes donc fondés à demander à
l'ensemble de nos partenaires de faire preuve de la même discipline.
Au-delà des mesures sanitaires, nous avons aussi multiplié les mesures de
soutien au marché, les mesures d'accompagnement financier ou social au bénéfice
des producteurs, les mesures de versement d'aides compensatoires - nous l'avons
fait en temps et en heure - et les mesures d'aides sectorielles en faveur de
l'aval de la production.
Malheureusement, la crise n'est pas terminée, et il reste encore, j'en ai
conscience, de nombreuses difficultés à surmonter. La France a obtenu, la
semaine dernière, à Luxembourg, vous le savez, la mise en oeuvre d'un second
train de mesures d'aides directes aux éleveurs. Puisque vous me faites
l'honneur de m'en offrir l'occasion, je vais vous donner la primeur du
dispositif que la France met en place, dispositif que je viens, ce matin même,
de présenter en conseil des ministres.
Tout d'abord, je le rappelle, nous abordions cette négociation de Luxembourg
dans des conditions très difficiles. En effet, la France demandait de nouvelles
compensations pour pallier les pertes de revenus subies par les éleveurs,
notamment pour tenir compte de la situation des éleveurs de broutards. Nous
avions, en face de nous, l'opposition résolue de certains Etats membres.
Le premier compromis de la présidence qui nous était présenté ne faisait que
très vaguement allusion à la demande française et n'était pas assorti des
décisions nécessaires. La Commission contestait fermement la nécessité de
décider de nouvelles aides aux revenus, partant du principe que, compte tenu
des cours et des aides déjà apportées, la compensation était suffisante, voire,
selon certains, largement suffisante.
Effectivement, nous avions déjà obtenu, pour la France, au mois de juin
dernier, un complément de prime sur fonds communautaires portant, au total, sur
1 440 millions de francs. En outre, nous avions ajouté, cette fois, sur fonds
nationaux, c'est-à-dire au titre du budget et de la solidarité
interprofessionnelle, 600 millions de francs d'aides directes supplémentaires
sous forme d'enveloppes départementalisées.
A cela s'ajoutent des allégements importants de charges : report de l'annuité
d'emprunt avec prise à notre charge et à la charge des établissements
bancaires, notamment du principal financeur de l'agriculture, des intérêts de
l'année 1996, report des cotisations sociales et des charges fiscales.
Par ailleurs, pour soutenir les cours, nous avons obtenu de l'Europe une
intervention importante en matière d'achats publics en augmentant les plafonds
d'intervention en volume, en assouplissant les critères de cette intervention,
et, surtout - ce qui est une première - en ouvrant la possibilité de
l'intervention pour les broutards.
Au total, nous avons donc soutenu les cours, et la chute de ceux-ci a été
moins brutale que nous ne l'avions redouté ; elle n'a pas atteint les abîmes
que nous craignions. En outre, nous avons également obtenu une première
compensation partielle des pertes de revenus.
Toutefois, nous avons estimé, et nous estimons toujours, qu'il restait de
graves problèmes, notamment, je le répète, pour les éleveurs de broutards.
C'était l'enjeu du Conseil européen de la semaine dernière. A cette occasion,
nous avons obtenu, vous le savez, une nouvelle enveloppe d'aides
exceptionnelles portant sur 500 millions d'écus pour l'ensemble de l'Europe,
avec une part de 23,8 % pour la France, soit 770 millions de francs.
Je vous annonce, par ailleurs, que, dans le respect du plafond et de la
réglementation communautaire, cette somme sera portée à 1 milliard de
francs.
C'est donc 1 milliard de francs supplémentaire qui sera consacré à des aides
directes pour compenser les pertes de revenus, 1 milliard de francs qui
s'ajoute aux aides déjà existantes.
M. Christian Poncelet.
Ce n'est pas si mal !
M. Philippe Vasseur,
ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation.
J'ai tenu
sur ce point à consulter les professionnels, car je crois que c'est ainsi qu'on
doit travailler, dans la concertation. Je les ai consultés hier soir et, après
avoir parlé avec eux, j'ai pris la responsabilité de décider la mise en place
des modalités suivantes.
Tout d'abord, l'attribution des aides sera gérée au niveau des départements.
C'est en effet sur le terrain que les choses peuvent être appréciées au mieux.
C'est au sein des commissions départementales, qui ont déjà apporté la preuve
de leur efficacité, que l'on peut apprécier au mieux s'il faut donner à telle
catégorie plus qu'à telle autre, bref, que l'on peut se mettre d'accord sur la
répartition.
Chaque département se verra donc attribuer une enveloppe qui sera définie par
la combinaison de trois critères.
Le premier critère, le plus important, sera le nombre de vaches allaitantes
primées dans le département.
Le deuxième critère sera le nombre des broutards dans le département.
Le troisième critère sera le cheptel bovin total dans le département.
En effet, je ne voudrais pas, à une telle occasion, que certains producteurs
se sentent laissés pour compte par rapport à d'autres et qu'à l'occasion de
l'octroi d'une aide importante il risque d'y avoir des tensions, notamment
entre les producteurs spécialisés de viande bovine et les producteurs laitiers,
qui subissent eux aussi préjudice.
Il faut, bien entendu, procéder à une pondération, mais, avec la clé de
répartition entre les départements que je viens de présenter et en laissant le
soin à chaque commission départementale de juger ce qu'elle doit faire, nous
apporterons certainement une réponse globale.
Le montant des enveloppes départementales sera notifié aux préfets dès la
semaine prochaine.
Nous avons opéré avec la rapidité qui convenait pour faire face à une telle
situation.
Par ailleurs, nous avons pris à Luxembourg deux autres décisions qui entreront
en vigueur en 1997 et qui apporteront des compléments d'aides aux éleveurs.
La première concerne la PSBM, la prime spéciale aux bovins mâles, qui, vous le
savez, était payée en deux fois : l'une à dix mois et l'autre à vingt et un
mois. Il était nécessaire de supprimer le paiement à vingt et un mois, qui
constituait un encouragement à l'alourdissement des animaux et, par conséquent,
à une croissance des volumes de viande, alors que nous devons au contraire
maîtriser ces volumes. Il ne subsistera donc plus qu'une prime, qui sera versée
à dix mois.
Je relève au passage que cette modification ne se fera pas au désavantage des
producteurs puisque la prime sera majorée de 24 % pour l'année 1997.
La seconde décision consiste à encourager l'élevage extensif. J'insiste sur ce
point parce qu'au départ il était question de diminuer les primes actuelles,
accordées pour les compléments d'extensification, afin de concentrer la
totalité des efforts sur les élevages les plus extensifs.
Nous avons maintenu à son niveau la prime de complément pour extensivité à 1,4
UGB, unité de gros bétail, à l'hectare, mais nous apportons plus à ceux qui
pratiquent une plus forte extensivité. Vous voyez de quelles régions je parle !
C'est ainsi que, pour les producteurs qui produisent une UGB à l'hectare, le
complément d'extensification sera revalorisé de 44 %.
Je ne vais pas détailler les autres mesures. Je voulais simplement replacer
celles que je viens de décrire dans leur contexte et vous indiquer comment nous
allions désormais procéder pour répartir les aides directes au revenu.
Pour l'avenir, il faut que nous prenions le plus rapidement possible des
dispositions - et la Commission nous a fait une proposition - permettant
d'aboutir à l'identification des bovins et à l'étiquetage des viandes et que
nous parvenions à la réforme de l'organisation commune de marché de la viande
bovine. Nous nous sommes fixé une date butoir, qui est le 31 décembre 1997 ;
c'est fondamental.
Je me suis permis de procéder à ce rappel et à ces annonces, mesdames,
messieurs les sénateurs, afin de vous montrer que nous apportions des réponses
aux problèmes conjoncturels et que, surtout, nous avions la volonté de donner
des perspectives à l'ensemble de la filière.
M. Christian Bonnet.
Très bien !
M. Philippe Vasseur,
ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation.
Je voudrais
maintenant aborder devant vous un certain nombre de thèmes qui font
intégralement partie d'une politique à moyen et long terme de la filière
agricole et agroalimentaire.
J'évoquerai, tout d'abord, la loi relative à l'équarrissage. Comme vous le
savez, l'Etat prend en charge la moitié du coût de la collecte et de
l'élimination des cadavres jusqu'au 31 décembre 1996.
Certains ont soutenu qu'il aurait dû tout assumer. Je ne vais pas engager le
débat dans cette enceinte.
Compte tenu des problèmes budgétaires que nous connaissons...
M. Henri de Raincourt.
Nous aussi !
M. Philippe Vasseur,
ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation.
Je n'en
disconviens pas !
Compte tenu des problèmes que nous connaissons, disais-je, nous avons dû agir
le plus rapidement possible en nous efforçant de trouver des appuis auprès des
collectivités territoriales et de la filière.
De toute façon, il s'agit là d'une mesure d'urgence purement transitoire et
chaque département est un cas d'espèce.
Avec le ministre de l'intérieur, j'ai donné des instructions très précises aux
préfets pour gérer au mieux cette situation, qui s'achèvera le 31 décembre
1996. Un projet de loi sur l'équarrissage doit en effet être présenté très
prochainement en conseil des ministres il sera déposé sur le bureau des
assemblées avant la fin de cette année et pourra ainsi entrer en application
dès le 1er janvier 1997.
Ce projet de loi vise à régler le problème de l'élimination des cadavres
d'animaux en faisant de cette élimination une mission de service public
relevant de la compétence de l'Etat.
(M. Signé s'exclame.)
C'est une responsabilité. J'ai cru comprendre que les collectivités
territoriales voulaient que ce service relève de la compétence de l'Etat ; ce
sera donc une compétence de l'Etat faisant l'objet d'une large déconcentration.
Je pense être fidèle au principe que j'ai posé tout à l'heure.
Dans sa rédaction actuelle, ce projet de loi prévoit que le service de
l'équarrissage sera financé par une taxe additionnelle.
A ce stade de nos réflexions, cette taxe additionnelle pourrait être perçue au
niveau de l'abattoir. En seraient redevables ceux qui acquittent la redevance
sanitaire d'abattage. Ce prélèvement aurait vocation à se répercuter sur la
filière en aval et non pas en amont.
Cela dit, sur le mode de financement, je suis ouvert à la réflexion.
En tout état de cause, les propositions relatives au financement ont été
disjointes du projet de loi sur l'équarrissage. Elles devront être examinées à
l'occasion de la discussion du projet de loi de finances rectificative de
1996.
J'évoquerai maintenant le projet de loi sur la qualité sanitaire des
aliments.
Je le répète, un objectif essentiel de ma politique est la sécurité du
consommateur. C'est même le premier objectif, la priorité absolue de mon
ministère.
Les 4 000 agents des services vétérinaires du ministère de l'agriculture
agissent quotidiennement pour la sécurité du consommateur, mais il était devenu
indispensable de leur donner tous les moyens d'agir et de prendre immédiatement
les mesures nécessaires au cas où des produits présenteraient des risques au
plan sanitaire.
C'est l'objet du projet de loi sur la qualité sanitaire des aliments que je
présenterai en conseil des ministres le 27 novembre prochain afin qu'il puisse
être examiné par le Parlement au début de l'année 1997.
Ce projet de loi permettra d'améliorer le dispositif existant sur trois
points.
Tout d'abord, il permettra d'étendre l'intervention des services de contrôle
d'hygiène sur l'ensemble de la chaîne alimentaire, depuis les exploitations
agricoles et les élevages jusqu'à la distribution.
Ensuite, il accordera à mes services des moyens supplémentaires pour prendre
les mesures d'urgence qui s'imposent : saisie, conciliation, voire destruction
des produits suspects, aussi bien pour les produits élaborés sur notre
territoire que pour les produits importés.
Enfin, ce projet de loi donnera la même base juridique à la réglementation sur
l'hygiène de tous les produits alimentaires, quelle que soit leur origine,
végétale ou animale. Notre réglementation sera ainsi plus cohérente et plus
claire.
J'attends beaucoup de ce texte très important, qui contribuera certainement à
restaurer la confiance du consommateur.
Je précise, mesdames, messieurs les sénateurs, que ce projet de loi sur la
qualité sanitaire des aliments ne préjuge en aucun cas l'organisation
administrative des contrôles. C'est un autre exercice, qui relève de la réforme
de l'Etat.
Le troisième volet a trait aux mesures structurelles résultant de la
conférence annuelle agricole, qui s'est tenue le 8 février dernier. Il porte
notamment sur l'évolution de la fiscalité agricole et de la revalorisation des
retraites.
S'agissant de l'évolution de la fiscalité agricole, nous avons pris un
engagement, que nous commençons à appliquer et qui est un élément majeur pour
une réforme fondamentale de la fiscalité agricole. Il s'agit d'alléger les
charges des exploitations, d'inciter au réinvestissement dans l'entreprise et
de protéger le revenu agricole. Pour atteindre ces trois objectifs, nous aurons
la déduction pour investissement, la DPI nouvelle manière, la DPI revue et
corrigée. Comme vous le savez, cette déduction augmentera de plus de 60 % au
cours des trois prochaines années par un relèvement des taux et des
plafonds.
Mais, au-delà de ces relèvements, j'insiste sur la prise en compte - c'est une
innovation importante - des risques climatiques, épizootiques et économiques
dans le nouveau dispositif prévu dans le projet de loi de finances pour
1997.
De cette façon, à la demande de l'agriculteur et lorsque le résultat de
l'exploitation sera inférieur de 20 % à la moyenne des résultats des trois
exercices antérieurs, la DPI pourra être rapportée au résultat.
Cette mesure correspond à une « provision de propre assureur ». Elle est
formulée de façon très souple et elle est bien adaptée, je le crois, à la
réalité de l'activité agricole.
L'étude conduite par les centres de gestion sur les effets de cette DPI montre
que cette réforme devrait bénéficier à 40 % des agriculteurs assujettis au
réel.
Ces derniers devraient en retirer chaque année un avantage fiscal moyen de 4
000 francs et une réduction moyenne des cotisations sociales du même ordre. En
cas d'accident climatique, épizootique ou économique, ces chiffres pourraient
doubler, voire tripler.
Ces avantages s'ajouteront aux mesures générales de baisse des impôts,
applicables aussi aux agriculteurs et engagées dès 1997.
La réforme de la DPI constitue pour l'agriculture un pas important vers la
réforme de fond de la fiscalité agricole.
S'agissant du statut des personnes et de la revalorisation des retraites, je
vous ai présenté au printemps dernier les principes que je souhaite concrétiser
dans la future loi d'orientation.
Il s'agit de leur proposer un véritable statut qui corresponde à de véritables
droits, notamment en matière économique et en matière sociale. Ainsi, nous
pourrons apporter une réponse satisfaisante aux conjoints futurs retraités.
Toutefois, il subsiste la question des retraités actuels. En 1997, nous ferons
un pas important pour la revalorisation des plus petites retraites. J'aurai
l'occasion, en vous présentant le budget et les chiffres qui s'y rapportent, de
vous montrer que cet effort, parce que nous avons voulu qu'il soit réalisé sans
augmentation des cotisations sociales des actifs, se traduit par une
contribution budgétaire importante, de sorte que d'autres crédits hors BAPSA
subissent eux, au contraire, une érosion. Mais il fallait faire cet effort de
solidarité nationale qui s'ajoute aux mesures adoptées en 1994 et en 1995 en
faveur des anciens aides familiaux des veuves et des veufs. Nous aurons
l'occasion d'en reparler au cours de la discussion sur le budget proprement
dit.
Le quatrième volet a trait à l'enseignement agricole, qui est un grand succès.
J'ai presque tendance à dire quelquefois que c'est un trop grand succès !
Cet enseignement attire beaucoup de jeunes. Il assure à ces élèves un taux
important, et je crois même un taux record, de placement dans la vie active à
la sortie de l'école. Je souligne que tous les métiers de la chaîne
agroalimentaire et les métiers du monde rural sont aujourd'hui enseignés dans
nos établissements.
L'enseignement agricole doit faire l'objet d'un contrat fort entre l'Etat et
le milieu professionnel. Ce contrat doit être fondé sur un objectif commun :
fournir aux jeunes une formation qui leur permette d'avoir un métier
correspondant aux emplois de la filière agroalimentaire ou dans les espaces de
productions agricoles et forestières, c'est-à-dire dans l'ensemble du monde
rural.
Il ne faut pas compromettre nos efforts en banalisant cet enseignement. Je
suis convaincu qu'une croissance excessive des effectifs remettrait en cause la
bonne intégration professionnelle des élèves. Pour 1996, l'objectif de
croissance que j'avais fixé à 2 % n'a pas été respecté. Les dépassements sont
importants, notamment dans le secteur privé, ce qui me pose de graves
problèmes.
Je voudrais, avec beaucoup de solennité et de gravité, attirer votre attention
sur un point. Si, comme je l'entends dire parfois, il nous faut accueillir dans
l'enseignement technique agricole tous les élèves qui se présentent à nos
portes, nous sortons de notre vocation.
D'abord budgétairement, je ne pourrai pas y faire face dans l'enveloppe
réservée au budget de l'agriculture. De plus, si notre vocation devient non
plus de former des élèves dans le cadre d'une filière, mais d'accueillir tous
les élèves qui se présentent, y compris ceux qui viennent quelquefois pour
corriger certaines failles existant dans d'autres systèmes, très rapidement, on
sera amené à se dire que la vocation de l'enseignement agricole n'est plus de
dépendre du ministère de l'agriculture, mais que cet enseignement doit être
inclus dans un cadre général qui est celui de l'éducation nationale.
Je vous le dis tout de suite, si c'est à cela que l'on veut arriver, il faut
continuer comme cette année, c'est-à-dire jouer la politique de l'autruche et
accueillir le maximum d'élèves en se disant que l'on verra plus tard. Très
vite, on ira dans le mur et l'enseignement agricole échappera au ministère de
l'agriculture.
Je ne suis pas certain que tout le monde ait mesuré la gravité des
conséquences d'une telle politique. Pour ma part, je dis que ce serait
infiniment regrettable.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Henri de Raincourt.
Vous avez raison !
M. Philippe Vasseur,
ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation.
Des mesures
devront donc être prises en concertation avec l'ensemble des familles de
l'enseignement agricole pour veiller à ce que les objectifs de croissance
deviennent, enfin, plus réalistes.
Le cinquième volet a trait à la politique d'installation des jeunes en
agriculture.
C'est une des grandes priorités de la politique agricole du Gouvernement.
C'est un choix de société pour la France et pour notre agriculture, puisque
nous voulons une agriculture reposant sur des exploitations à taille humaine, à
responsabilité personnelle et soutenue par une dynamique de l'installation des
jeunes.
Il y a un an jour pour jour - les hasards du calendrier font que nous
célébrons aujourd'hui son premier anniversaire - était signée la charte
nationale pour l'installation des jeunes en agriculture. J'ai eu l'occasion, au
printemps dernier, de vous présenter l'état d'avancement des nombreuses mesures
qui sont prévues dans cette charte et qui doivent nous permettre, rapidement,
d'augmenter de 50 % le nombre des installations de jeunes.
Aujourd'hui, toutes les mesures annoncées ont été prises et toutes les mesures
prises sont opérationnelles. Tous les décrets et arrêtés nécessaires ont été
publiés et les programmes pour l'installation des jeunes en agriculture et le
développement des initiatives locales, les PIDIL, ont été approuvés. Les
crédits correspondants sont maintenant engagés.
Les résultats observés sur les premiers mois de 1996 sont encourageants.
L'augmentation du nombre des installations en 1996 sera comprise entre 5 % et
10 %, ce qui n'est pas mal, et la progression du nombre de jeunes réalisant
cette année leur stage « six mois » de préparation à l'installation sera de
plus de 30 %. Nous avons obtenu sur ce point un succès.
Il nous reste à sensibiliser davantage les candidats potentiels à
l'installation. En effet, il ne suffit pas de mettre en oeuvre des mesures,
encore faut-il trouver des porteurs de projets. J'ai lancé à cet égard une «
journée de l'installation » dans tous les établissements d'enseignement
agricole afin de sensibiliser les jeunes aux chances que représente
l'installation et je participerai moi-même demain, sur le terrain, dans trois
établissements différents, à des rencontres avec les élèves pour leur montrer
que les chances aujourd'hui de s'installer en agriculture sont grandes.
Le sixième volet - qui, je le sais, tient particulièrement à coeur à cette
assemblée - concerne la forêt et la filière bois.
La forêt est l'un des grands domaines d'action du ministère de l'agriculture.
La France est un grand pays forestier. Avec plus du quart de notre territoire
et plus de cent espèces d'arbres différentes, la forêt française est
aujourd'hui l'une des plus belles d'Europe, mais surtout, et c'est important,
elle est le point de départ d'une filière économique qui assure plus de 550 000
emplois, depuis la sylviculture jusqu'à la fabrication et à la distribution des
produits en bois, en passant par l'exploitation de la forêt et la première
transformation du bois.
Pour l'avenir, nous devons avoir deux grandes priorités pour notre politique
forestière : d'abord la compétitivité de la filière - nous devons tout faire
pour que nos industries bénéficient d'une ressource en bois disponible et au
meilleur prix - et, ensuite, la prise en compte de l'environnement et de ses
contraintes. On parle de plus en plus de gestion durable,
d'écocertification.
Mais, là encore, il faut remettre les pendules à l'heure : la France gère sa
forêt durablement depuis de très nombreuses années. Grâce au code forestier, à
la politique de sagesse des propriétaires, nous avons pu augmenter la
superficie de notre forêt de plus de deux millions d'hectares en un
demi-siècle, tout en conservant, je l'ai rappelé tout à l'heure, la diversité
des espèces.
Aussi en ai-je quelquefois un peu assez d'entendre dire tout et n'importe
quoi. Nous, gestionnaires de la forêt - je rends ici hommage en particulier aux
propriétaires forestiers - nous savons depuis longtemps être les meilleurs
défenseurs de l'environnement forestier.
M. Philippe François.
Parfaitement !
M. Philippe Vasseur,
ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation.
Cela doit
être dit et répété : la France est un modèle en matière de gestion durable, et
il nous faut le faire savoir.
M. Philippe François.
Exactement !
M. Philippe Vasseur,
ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation.
Nous en
aurons l'occasion lors de la discussion de la future loi d'orientation, qui
comportera, je vous l'annonce dès maintenant, un important volet forestier.
J'en viens maintenant au septième volet.
Vous allez sans doute vous demander ce que ce volet vient faire dans la
politique agricole. Mais le ministère de l'agriculture doit être considéré, à
mon sens, dans toute sa diversité. Il est le ministère du vivant qui
s'intéresse à l'ensemble du territoire. A travers la chaîne alimentaire, n'est
pas concernée simplement la grande zone rurale de notre pays. Tout le monde
l'est, que l'on vive en ville ou à la campagne.
Représentant donc ce ministère du vivant pour l'ensemble des Français, j'ai
été conduit à m'intéresser, et sérieusement, aux problèmes posés par les
animaux de compagnie. Notre devoir est d'être attentifs à l'amélioration de la
qualité de vie de nos concitoyens. Or, vous le savez comme moi, l'animal de
compagnie est devenu, pour un grand nombre de Français, un élément
incontournable de leur vie quotidienne.
A l'heure actuelle, la loi du 10 juillet 1976 constitue le fondement
législatif de l'essentiel des textes qui réglementent la protection animale.
Mais il suffit de lire les journaux ou de regarder un peu autour de soi -
beaucoup d'entre vous sont, comme moi, des maires - pour constater que des
améliorations importantes sont indispensables afin de lutter contre certaines
dérives inacceptables, de favoriser une meilleure intégration des animaux en
milieu urbain, d'assurer une meilleure protection contre les mauvais
traitements, mais aussi de moraliser des activités commerciales.
Les grandes lignes du projet de loi qui devrait être présenté au Parlement au
début de l'année 1997 - vous voyez que l'on aura l'occasion de se revoir -
s'articulent autour de deux grands axes.
L'un sera consacré aux animaux agressifs et aux animaux errants, l'autre aux
dispositions visant à la vente et à la détention des animaux de compagnie. Ne
croyez pas qu'il s'agisse là d'un texte mineur. Au vu des réactions qu'il
suscite, je peux vous dire qu'il est attendu par des millions, je dirais même
des dizaines de millions de Français.
Huitième volet : la réforme de l'Etat.
Je m'apprête, dans les jours qui viennent, à faire des propositions de
réorganisation de mon administration centrale, réorganisation qui aboutira à un
resserrement des moyens pour des missions qui seront mieux précisées, notamment
en matière de politique de l'alimentation et de soutien des filières.
Je souhaite, grâce à cette réforme, que tout ce qui concerne la réglementation
de l'alimentation, la normalisation des produits, les règles de qualité et
l'ensemble du suivi des contrôles soit bien individualisé au sein de mon
ministère.
Parallèlement, une grande direction du suivi des filières offrira les moyens
d'une approche plus cohérente entre la production et la transformation.
La réforme de l'Etat s'appliquera également aux services extérieurs du
ministère de l'agriculture.
L'ensemble des métiers exercés aujourd'hui par les fonctionnaires du ministère
montrent une grande cohérence, que nous devons conserver.
C'est pourquoi M. le Premier ministre a tenu à maintenir les directions
départementales et les directions régionales de mes services dans l'ensemble de
leurs attributions, sous réserve d'une réflexion sur les synergies à mettre en
place en ce qui concerne le contrôle de la qualité alimentaire.
Cela signifie, bien sûr, qu'il faudra rechercher également les moyens pour que
l'Etat apporte une réponse cohérente aux collectivités locales en matière
d'ingénierie publique. Cela doit se faire dans le respect des identités des
directions départementales de l'équipement et des directions départementales de
l'agriculture et de la forêt.
Dans les périodes difficiles que nous avons connues au cours de l'été, j'ai
été amené à mobiliser l'ensemble des services pour aider les exploitants et les
entreprises en difficulté, ainsi que pour verser, conformément à la demande de
M. le Président de la République, les aides et les compléments d'aides le plus
rapidement possible.
Si nous avons pu le faire, si nous avons pu, notamment, effectuer les
paiements dans les délais les plus brefs, c'est grâce à une mobilisation
remarquable des agents du ministère de l'agriculture, au dévouement desquels je
tiens à rendre hommage.
(Applaudissements sur les travées des Républicains
et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
Il est de l'intérêt général que soit préservée cette capacité de réaction et
de mobilisation au profit de l'ensemble de la filière agroalimentaire.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai tenu à évoquer devant vous, au travers
de ces différents volets, certains des fondements de la politique que je
conduis et dont vous verrez, lors de l'examen du budget, la traduction en
termes de priorités.
Puisque nous sommes dans le cadre d'un débat d'orientation, pour conclure, je
voudrais aborder un sujet essentiel pour l'avenir de l'ensemble de notre
filière agricole et agroalimentaire : il s'agit, bien entendu, de la future loi
d'orientation pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt.
Ce texte majeur constituera le cadre nécessaire à l'expansion de nos filières,
de nos entreprises et de nos exploitations pour les quinze à vingt années à
venir. Nous avons la responsabilité de prendre, ensemble, le recul nécessaire
pour opérer les choix qui s'imposent en faisant preuve de l'imagination
indispensable à l'ampleur des défis à relever.
La force des lois d'orientation de 1960 et de 1962 est d'avoir su justement
ouvrir des perspectives, d'avoir tracé les lignes directrices qui ont permis
une formidable modernisation de l'agriculture et un grand développement,
notamment à l'exportation, de tout notre secteur agricole et alimentaire.
Mais, en un peu plus de trente ans, le monde a changé de façon fondamentale et
nous avons connu de formidables mutations, dont nous devons aujourd'hui tenir
compte : l'internationalisation des échanges et des marchés, la modification
des comportements des consommateurs, les fantastiques innovations
technologiques dans tous les domaines, y compris dans les systèmes de
production, l'émergence d'un espace européen, une sensibilisation accrue aux
aspects environnementaux et à la limitation des ressources naturelles, la
problématique de l'emploi et le rôle fondamental de l'agriculture en matière de
valorisation de l'espace rural et de maintien d'un tissu rural vivant, enfin,
la complexité accrue de la chaîne agricole et alimentaire, ainsi que
l'accroissement du poids des produits transformés.
Vous le voyez, les enjeux sont fondamentaux, multiples, mais nous saurons
relever avec succès ces défis si nous savons anticiper. C'est l'objet de la loi
d'orientation.
Mais cette loi doit également rendre lisible et accessible à tous la
contribution globale et essentielle de l'agriculture pour mieux faire partager
notre volonté d'ouverture sur le monde.
Cinq principes fondamentaux doivent traduire cette volonté d'ouverture
positive sur le futur.
Premièrement, il nous faut absolument promouvoir, de quelque façon que ce
soit, la place de l'agriculture au sein de la société.
Deuxièmement, nous devons réconcilier les différentes logiques - performances
économiques, qualité de l'environnement, valorisation de l'espace, qualité et
sécurité alimentaires - qui ont de plus en plus tendance à être présentées en
termes d'antagonisme.
Nous devons admettre que l'agriculture est diverse. Il convient de le
reconnaître et d'agir en conséquence, car l'agriculture appelle des solutions
diverses.
Troisièmement, nous devons reconnaître la primauté des personnes.
Quatrièmement, il nous faudra inscrire la notion de durée au centre de cet
engagement et de cette responsabilité partagée entre l'Etat et l'initiative
privée.
Enfin, cinquièmement, nous devrons affirmer et démontrer la modernité du
secteur agricole et agroalimentaire.
Véritable contrat entre l'agriculture et la nation, cette loi d'orientation
comportera différents volets, parmi lesquels je citerai la performance des
filières et l'organisation économique, la qualité et la valorisation des
productions, les entreprises et le statut des personnes, la forêt et la filière
bois, la valorisation des espaces ruraux, des paysages et de l'environnement,
la recherche, l'enseignement et la formation, bref, tout ce qui, aujourd'hui, a
trait à l'agriculture et à l'alimentation.
Notre ambition est grande ; il s'agira donc d'un texte véritablement
fondamental.
J'entends dire ici et là, je ne sais pas pourquoi, que, finalement, le
Gouvernement ne serait plus trop pressé de soumettre ce projet de loi au
Parlement. Foutaise ! J'invite ceux qui se livrent à de telles extrapolations à
venir voir ce que nous faisons journellement au ministère : nous travaillons
assidûment sur ce projet de loi. Ce matin encore, à l'aube, plusieurs groupes
de travail étaient réunis afin de le mettre en forme.
N'en déplaise à certains esprits grincheux ou à ceux qui voudraient toujours
couper les cheveux en quatre et voir midi à quatorze heures : cette loi, j'en
fais ma priorité. Je veux pouvoir la soumettre au Parlement avant la fin du
premier semestre de 1997, vraisemblablement au milieu du premier semestre de
1997. Nous avons à nous atteler à ce travail.
Nous devons être capables d'ignorer les propos de salon tenus ici ou là - je
ne dis pas qu'ils viennent du milieu agricole ; je ne sais d'où ils viennent -
pour nous empêcher de prendre les orientations nécessaires.
Je le dis très clairement : il est de notre devoir, Gouvernement, Parlement,
professionnels, de tracer ensemble pour notre agriculture un cadre valable pour
les quinze ou vingt années à venir. C'est un devoir national.
Nous devons nous l'imposer également afin de donner, dès l'année 1997, des
signes clairs à nos voisins, au sein de l'Union européenne, bien entendu,
puisque, nous le savons, de nouvelles négociations nous attendent, mais
également au sein de la communauté internationale dans son ensemble, au moment
où l'on commence à parler de la conférence de Singapour. Nous serions coupables
si nous ne nous dotions pas de cet outil indispensable que doit constituer la
loi d'orientation.
C'est pourquoi, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureux que vous
m'ayez donné l'occasion, aujourd'hui, de procéder devant vous à cette
déclaration et à cette mise au point.
Vous avez voulu un débat d'orientation : je considère qu'il constitue la
première phase de discussion de la loi d'orientation.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 57 minutes ;
Groupe socialiste, 49 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 42 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 35 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 25 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 22 minutes.
La parole est à M. Barraux.
M. Bernard Barraux.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme vous
le savez, le département de l'Allier que nous représentons, M. Cluzel et moi,
est un département d'élevage de bovins allaitants de race charolaise. Il a subi
la crise de plein fouet.
Certes, depuis quelques années, nous savions que nous aurions un jour à gérer
le délicat problème de la baisse de la consommation, aggravée par une
augmentation chronique de la production.
Mais cette crise, que dis-je ! cette psychose collective qui s'est abattue sur
la viande bovine fut si brutale et d'une telle ampleur que les aides
européennes et nationales ne pourront pas compenser toutes les pertes.
Les marchés de l'exportation se sont fermés brusquement au démarrage de la
crise. Aujourd'hui, certes, les exportations ont repris, mais pas dans les
mêmes proportions et surtout pas au même tarif.
Nous savons, monsieur le ministre, que vous connaissez bien les problèmes que
rencontrent actuellement les exploitations d'élevage, mais je voudrais insister
sur certaines revendications les plus urgentes à prendre en compte pour assurer
la pérennité de ces exploitations.
Dès le début de cette crise, monsieur le ministre, vous avez pris des mesures,
et d'abord en matière de protection sanitaire, votre premier souci ayant été de
préserver la santé publique. Vous avez ensuite multiplié les mesures de soutien
au marché, d'accompagnement financier et social ; vous avez fait en sorte que
des aides complémentaires aux producteurs et des aides sectorielles en aval
soient versées avec une certaine diligence.
Vous ne pouvez, nous le savons bien, anticiper de tels événements dans le
cadre d'une programmation budgétaire. Dès lors, nous comprenons parfaitement
que vous ne soyez pas en mesure d'établir les crédits comme si la situation ne
devait pas s'arranger : d'où l'absence, dans le projet de budget de
l'agriculture pour 1997, de crédits spécifiques supplémentaires.
C'est la raison pour laquelle, monsieur le ministre, nous attendions beaucoup
de votre action au sein du Conseil européen des ministres de l'agriculture, et
cette action s'est soldée, le 30 octobre dernier, à Luxembourg, par une
réussite : l'Europe a accédé à la demande de la France.
Vous avez ainsi tenu vos engagements, et l'ensemble du monde agricole vous en
sait gré.
En effet, les ministres de l'agriculture des Quinze ont accepté le compromis -
considéré comme celui de la dernière chance dans la crise dite de la « vache
folle » - qui est conforme aux revendications de la France. Aux termes de cet
accord, la France doit recevoir de Bruxelles, 119 millions d'écus, soit 773
millions de francs, c'est-à-dire près du quart de la nouvelle aide
exceptionnelle accordée aux éleveurs européens de bovins frappés cruellement et
injustement par la baisse de la consommation de la viande de boeuf.
La France compte environ 3,6 millions de vaches allaitantes, dont la moitié
est élevée en troupeaux de broutards dans le Massif central : c'est la
principale activité de ma région.
Nos éleveurs recevront donc cette année, au total, 1 321 francs par vache
allaitante : 758 francs de prime de base, auxquels se sont ajoutés 350 francs
d'aide exceptionnelle de l'été.
Au-delà des mesures conjoncturelles, nous le savons, la question de l'avenir
de l'élevage bovin reste posée. Nous devons absolument retrouver la confiance
des consommateurs : il faut les convaincre de retourner chez leur boucher.
Mais, en tout état de cause, la filière n'évitera pas une réforme de fond.
Il est urgent de rééduquer et d'informer le consommateur, mais en étant bien
sûr que les viandes que l'on met sur le marché sont toutes irréprochables.
L'assemblée départementale de l'Allier, dont je suis le vice-président, est
bien consciente de la gravité de la situation dans laquelle se trouve
l'ensemble de la filière bovine allaitante. Elle constate que le seul véritable
moyen pour sortir de la crise est de donner une priorité absolue à l'élevage
traditionnel en bassin allaitant.
Le conseil général de l'Allier constate également l'écart important qui
subsiste entre l'évaluation des pertes et le montant total des aides annoncées
sous différentes formes. C'est la raison pour laquelle, il vous a demandé,
monsieur le ministre, de prendre, à l'échelon national, les mesures
indispensables qui relèvent du Gouvernement et d'obtenir, par une attitude
ferme auprès de nos partenaires et de la Commission, celles qui, non moins
indispensables, relèvent des instances européennes.
En matière d'identification et de traçabilité, trois mesures me semblent
particulièrement importantes : d'abord, un retour rapide à la pratique du
tatouage, seule méthode fiable d'identification ; ensuite, la mise en oeuvre
immédiate des dispositions permettant d'assurer la traçabilité du produit afin
de garantir son origine, ses conditions d'élevage et son suivi jusqu'au
consommateur ; enfin, un contrôle rigoureux de la circulation des animaux dans
la Communauté, de l'importation et de toutes les conditions d'élevage.
La démarche de traçabilité et de qualité doit impérativement se faire avec les
professionnels de la viande.
En matière d'équarrissage, l'assemblée départementale de l'Allier, prenant
acte de l'avis unanime des organisations professionnelles agricoles de ce
département, refuse toute participation financière qui viendrait aggraver la
charge déjà considérable pesant sur le budget des collectivités locales. Mais
vous nous avez, tout à l'heure, monsieur le ministre, donné quelques raisons
d'espérer à ce sujet.
La prise en charge des frais d'enlèvement des cadavres d'animaux n'est
toujours pas clarifiée. Il semble qu'elle le sera bientôt, et nous nous en
réjouissons. Les éleveurs et les communes ont reçu l'assurance qu'ils ne
seraient pas sollicités. Mais cet engagement reste verbal et n'a fait l'objet
d'aucune confirmation officielle écrite. Or les ordres de réquisition demeurent
d'actualité. Nous comptons sur vous pour normaliser cette situation.
Vous nous avez annoncé qu'un projet de loi sur l'équarrissage serait examiné à
la fin de cette année selon la procédure d'urgence, de manière qu'il soit
applicable dès le 1er janvier 1997. Ni les éleveurs, ni les communes ne doivent
faire les frais de cette mesure de salubrité publique. C'est la raison pour
laquelle nous attendons ce projet de loi avec beaucoup d'impatience.
Reste à savoir qui paiera la taxe sanitaire : le contribuable, le
consommateur, la grande distribution ? Vous avez indiqué quelques pistes, mais
pourra-t-on faire en sorte que cette taxe soit clairement identifiée et non pas
noyée dans le prix payé directement aux éleveurs ?
Permettez-moi, monsieur le ministre, d'attirer très respectueusement votre
attention sur un détail que la presse a toujours passé sous silence.
Les porcs et les volailles consomment de la farine de viande depuis près de
quatre-vingts ans. Avant la crise, la France consommait quelque 600 000 tonnes
de ce produit, composé à 80 % de protéines. La matière de substitution logique
et naturelle est et sera le soya, qui, lui, titre seulement 50 % de protéines.
Nous allons donc être conduits à en acheter à nos amis américains 4 millions de
tonnes, soit un million de tonnes de plus qu'avant la crise.
Ainsi, il faudra payer pour ramasser les animaux et les déchets destinés aux
équarrissages, il faudra payer pour les détruire et il faudra payer pour les
remplacer !
Enfin, en matière d'aide au revenu, l'assemblée départementale de l'Allier
souhaite un certain nombre de mesures, notamment : la revalorisation des primes
directes permettant de compenser intégralement les pertes de l'année 1996 ; la
suppression du seuil absolu de 50 % du chiffre d'affaires en viande bovine pour
indemniser les éleveurs, avec possibilité d'un examen au coup par coup des
dossiers ; la conversion du report des annuités d'emprunt et des cotisations
sociales, à hauteur de 30 %, en aides directes, car il est certain que les
éleveurs ne pourront pas faire face à l'échéance de 1999 ; enfin, une
redéfinition de la politique agricole commune revalorisant l'élevage
allaitant.
Lorsqu'on se pose la question de l'avenir de nombreuses exploitations, c'est,
tout autant que le problème du revenu, celui des pertes en capital qui doit
être envisagé puisque le troupeau constitue un élément très important du
patrimoine d'un éleveur. Il est bon de rappeler qu'en matière fiscale les
échéances ne sont pas supprimées, mais qu'elles sont seulement allégées et
reportées.
Nous connaissons votre détermination, monsieur le ministre, et nous
l'apprécions. Nous apprécions en particulier les efforts que vous avez déployés
la semaine dernière à Luxembourg.
Je terminerai cette intervention en criant mon indignation, qui est aussi
celle de tous les éleveurs du troupeau allaitant, victimes, depuis quelques
mois, d'un intolérable acharnement médiatique calomniateur.
Il est de bon ton, aujourd'hui, de jeter le discrédit sur les professions
d'agriculteur et d'éleveur. Ceux-ci sont accusés de tous les maux de la terre !
Ils utilisent des engrais pour leurs cultures : donc ils polluent ! Ils
utilisent des techniques modernes d'élevage : ils sont donc suspects de vouloir
empoisonner l'humanité !
Je sais bien que je prêche un convaincu, monsieur le ministre, mais je crois
utile de dire que jamais la protection sanitaire de tous les élevages n'a été
aussi bonne. Jamais l'humanité n'a été capable de nourrir autant de monde aussi
bien. Ce n'est tout de même pas un hasard si la durée moyenne de la vie est
passée de cinquante ans à quatre-vingts ans en trois quarts de siècle. Certes,
l'hygiène et la médecine y sont pour beaucoup, mais l'alimentation est la cause
essentielle ; c'est donc bien à l'agriculture qu'on doit cet allongement de la
vie.
Le terrorisme médiatique dont nos paysans font l'objet doit cesser. Rien ne
justifie la perte de confiance dont ils sont victimes. Leurs troupeaux sont
sains, encadrés par un corps de vétérinaires exceptionnellement compétents,
sous l'autorité de services vétérinaires si rigoureux que, souvent, nous les
trouvons un peu tatillons.
Ces « nostalgico-écolos » pour qui, hors de l'inspiration du temps passé, il
n'est point de salut, devraient se souvenir que, voilà soixante ans, un paysan
nourrissait deux à trois personnes, quand un paysan d'aujourd'hui en nourrit
soixante-dix à quatre-vingts. Si nos paysans devaient appliquer à nouveau les
méthodes de culture et d'élevage anciennes, nous crèverions tous de faim !
Nos éleveurs n'ont rien à se reprocher et ils doivent, au contraire, être
fiers de leur noble tâche.
M. Daniel Hoeffel.
Très bien !
M. Bernard Barraux.
Monsieur le ministre, vous pouvez compter sur l'ensemble du groupe de l'Union
centriste pour vous renouveler son total soutien.
(Applaudissements sur les
travées de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du
RPR.)
M. le président.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux. Nous les
reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures trente-cinq, est reprise à quinze heures,
sous la présidence de M. René Monory.)