AFFAIRES ÉTRANGÈRES
Débat sur une déclaration du Gouvernement
M. le président.
L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat,
sur les affaires étrangères.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre des affaires
étrangères.
M. Hervé de Charette,
ministre des affaires étrangères.
Monsieur le président, mesdames,
messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d'abord de saluer l'initiative que
vous avez prise de procéder, dans le cadre de l'examen du projet de loi de
finances, à un débat sur la politique étrangère de la France. Je suis
particulièrement heureux de constater que vous êtes nombreux pour ce débat, ce
qui marque l'intérêt du Sénat pour la politique étrangère de notre pays.
Nous sommes à la veille d'échéances décisives pour l'Europe : 1997 sera une
année charnière de l'histoire de notre continent. Aussi notre priorité absolue
est-elle d'édifier une Europe rénovée, sans cesser de participer à la mise en
place d'un monde plus démocratique, plus juste, plus sûr et qui ne perde rien
de sa diversité.
Au moment où tant de voix s'élèvent pour mettre en doute le bien-fondé de
notre choix européen, je voudrais vous redire, inlassablement, ma conviction :
nous avons besoin de construire notre avenir avec les autres peuples
d'Europe.
M. Jacques Genton.
Très bien !
M. Hervé de Charette,
ministre des affaires étrangères.
Ne croyez pas que je ne comprenne pas
le découragement qui saisit certains de nos concitoyens lorsqu'on leur demande,
au nom de l'Europe, de faire plus d'efforts, toujours plus d'efforts.
Pour des hommes et des femmes confrontés à des difficultés essentielles qui
touchent à leur vie quotidienne, pour tous ceux qui sont privés d'emploi ou qui
s'inquiètent pour leur logement ou l'avenir de leurs enfants, les problèmes
d'institutions européennes ou d'architecture européenne de sécurité paraissent
sans doute bien loin.
Les citoyens français, mais aussi les ressortissants des Etats partenaires,
attendent des gouvernants des résultats concrets. Leur impatience est légitime
: depuis trop longtemps, les barrières idéologiques qui bornaient l'horizon
européen ont été abattues, sans que l'Europe accède à son nouvel équilibre
économique, politique et social.
Cette impatience est donc la mienne et je suis sûr qu'elle est aussi la
vôtre.
Pour autant, l'Europe est un gigantesque chantier de rénovation et de
construction.
L'année 1997 sera sans doute une année clé pour quatre étapes essentielles de
ce chantier.
Le premier de ces chantiers est incontestablement l'approfondissement de
l'Union européenne. Deux échéances nous attendent en ce domaine : l'achèvement
de la Conférence intergouvernementale et la préparation de la troisième phase
de l'Union économique et monétaire. L'une et l'autre reposent sur la
coopération franco-allemande, mais elles exigent aussi un dialogue attentif de
notre part avec tous nos partenaires, je pense, en particulier, à l'Espagne, à
l'Italie, et à beaucoup d'autres.
La Conférence intergouvernementale doit permettre de faire en sorte que les
institutions européennees soient en mesure d'affronter l'élargissement qui se
prépare. Elle devrait aboutir au milieu de l'année prochaine, sur la base des
orientations qui ont été données par le Conseil européen de Dublin en octobre
dernier, et qui seront, je l'espère, prolongées, précisées et développées à
l'occasion du Conseil européen de Dublin en décembre.
Nous sommes engagés dans une oeuvre extrêmement importante de rapprochement
des grands Etats souverains et démocratiques. Il est donc normal que les
discussions soient âpres, que les idées circulent, que le temps de la réflexion
soit pris. Mais l'heure où la négociation doit se nouer a désormais sonné. A
l'issue de cet exercice, nous devons parvenir à une Europe à la fois plus
démocratique et plus efficace, plus respectueuse de la diversité de ses
membres, plus apte à agir sur la scène internationale et mieux armée, je
l'espère, pour lutter contre les nouveaux fléaux qui menacent nos sociétés.
Pour qu'elle soit plus efficace, il faudra que nous ayons réglé la question de
la pondération des voix au Conseil, de façon à mieux tenir compte du poids
propre de chaque Etat dans l'Europe élargie.
Il faudra aussi que la commission, retournant vers ses origines, soit réduite
en nombre et plus efficace.
(M. Genton fait un signe d'approbation.)
La possibilité devra être donnée à un certain nombre d'Etats voulant aller
plus vite et plus loin de s'organiser dans le cadre de l'Union, sans entraîner
de force ceux qui ne seraient pas prêts, mais aussi sans être freinés par ceux
dont le pas est plus lent.
Pour mieux tenir compte de la diversité, il faudra donner un rôle nouveau aux
parlements nationaux et résoudre, enfin, l'interminable question de la
subsidiarité, toujours évoquée, jamais résolue.
Pour être plus présente sur la scène internationale, l'Union devra avoir donné
corps à cet outil de la politique étrangère et de sécurité commune que nous
appelons de nos voeux.
Il faudra aussi que, dans ses dispositions, le traité sur l'Union fasse
référence à la solidarité politique de ses Etats membres et à ses relations
avec l'Union de l'Europe occidentale.
Enfin, pour être mieux armée contre les fléaux nouveaux que j'évoquais tout à
l'heure, il conviendra que l'Union ait pris des décisions de forte importance
concernant la lutte contre le terrorisme, la drogue et le trafic de
main-d'oeuvre.
L'année 1997 sera, dans le même temps - tout le monde le sait - un moment
décisif vers la création de la monnaie européenne. Il faut donc, au cours de
cette année 1997, conforter le sentiment que le passage à la monnaie unique est
définitif, et achever les travaux de préparation, notamment sur l'organisation
des relations entre les pays de la phase III et ceux qui ne les rejoindront que
plus tard. Une dynamique se met en place ; il convient qu'elle aille à son
terme.
Enfin, l'importance de ces échéances monétaires ne nous empêche pas d'être
conscients de la nécessité de préserver le modèle social : le nôtre, mais
aussi, je crois pouvoir le dire, le modèle social européen qui est, dans ce
monde nouveau, l'un des traits distinctifs de la société européenne, et que
nous n'avons pas de raison de brader à l'encan.
Ainsi l'Union sera-t-elle en mesure, mesdames messieurs les sénateurs,
d'accueillir de nouveaux membres. L'élargissement sera donc notre deuxième
rendez-vous capital pour la fin de l'année 1997 ou le début de l'année 1998.
La France a pris position clairement pour l'accueil, au sein de l'Union, de
ces peuples qui font naturellement partie de notre communauté culturelle et
historique. Le processus d'élargissement sera mené de façon à intégrer aussi
vite que possible ceux qui ont déjà parcouru une grande partie du chemin. Mais
il ne faudra exclure personne de ce projet, de cette perspective, de cet
objectif. C'est pourquoi la France propose l'organisation d'une conférence
européenne permanente réunissant l'Union et l'ensemble des pays candidats, afin
de développer entre nous, dès maintenant, une coopération politique
renforcée.
Aucun Etat d'Europe, fût-il aux marches de notre continent, avec ou sans
vocation à entrer dans l'Union, ne doit se sentir menacé par ces évolutions.
Nous aurons donc - ce sera le troisième chantier - à jeter les bases d'une
nouvelle architecture de sécurité européenne en 1997.
Cela nous conduit à faire trois paris.
Le plus fondamental consiste à transformer une Alliance atlantique, hier
dirigée contre un ennemi identifié, en une alliance qui, à des degrés divers,
accueillera les nouvelles démocraties européennes et coopérera avec tous :
l'élargissement de l'OTAN franchira en 1997 une étape décisive.
En même temps seront définis, avec la Russie, mais aussi avec tous les pays
qui le souhaiteraient - je pense, notamment, aux pays Baltes - des liens de
coopération particuliers et adaptés aux besoins de sécurité de chacun.
L'élargissement de l'OTAN ne doit pas renforcer la sécurité de quelques-uns
aux dépens des autres. Il faut qu'il n'y ait, dans cette affaire, ni vainqueur
ni vaincu, et que la sécurité de tous, y compris de la Russie, s'en trouve
renforcée.
Dans le même temps, nous voulons arriver à donner naissance, au sein de
l'OTAN, à une véritable identité européenne de défense. Après le conseil
ministériel de Berlin, qui s'est tenu le mois dernier, de nouvelles étapes
importantes seront franchies, je l'espère, en 1997, avec pour horizon une
alliance nouvelle, dans laquelle l'Europe pourra agir et se faire entendre.
Si une telle alliance voit le jour en 1997, la France est prête à y prendre
toute sa place. Toutefois, si les choses ne devaient pas évoluer ainsi, bien
entendu, nous en resterions là.
Enfin, nous sommes convaincus que, pour réussir, cette révolution tranquille
doit s'accompagner de l'approfondissement d'un solide partenariat qui, à
travers l'océan Atlantique, nous attache aux Etats-Unis.
Certains prennent grand plaisir à monter en exergue tous les dossiers sur
lesquels les intérêts de la France paraissent entrer en conflit avec ceux des
Etats-Unis. Je voudrais les détromper et, si c'était nécessaire, mesdames,
messieurs les sénateurs, vous rassurer. Les relations franco-américaines sont
profondes et confiantes. Le nombre de sujets de désaccord est limité au regard
de la densité des relations. Le caractère en apparence contentieux de certains
d'entre eux traduit la réalité de notre relation : celle de deux partenaires
prêts à dialoguer sur tout, qui ont des liens d'amitié extrêmement forts et qui
sont, naturellement, déterminés à surmonter leurs divergences.
Le sommet de l'Alliance qui se tiendra l'an prochain permettra, je l'espère,
d'atteindre ces trois objectifs, avec un principe de base : que nul Etat en
Europe ne se sente diminué dans sa sécurité, et que, au contraire, celle-ci ait
progressé de façon décisive.
Cette exigence d'égalité entre Etats, cette conviction que la sécurité en
Europe doit être égale pour tous, nulle institution ne les incarne mieux que
l'OSCE. C'est pourquoi nous proposerons à l'occasion du sommet de Lisbonne, en
décembre prochain, de raffermir l'OSCE et de prendre des mesures concrètes qui
manifesteront qu'aucun Etat européen n'est, selon nous, « secondaire » ou «
moins important » en matière de coopération et de sécurité.
Au terme de cette énumération, je me sens à la fois conforté dans mes
convictions européennes et forcé de mesurer l'ampleur de la tâche. En effet,
qui aurait pu, il y a quelques années, imaginer qu'avant la fin du siècle notre
génération aurait à ouvrir à la fois les chantiers de l'Europe politique, de
son élargissement à l'Europe entière, de l'accession de l'Union européenne à la
souveraineté monétaire, ainsi que de l'établissement de l'alliance effective
des peuples établis de l'Atlantique à l'Oural ?
La France ne peut laisser sa chance d'imprimer à cette oeuvre, par la force de
sa persuasion, sa marque singulière. Ne laissons pas passer notre chance, ne
laissons pas « l'éternelle alliance de la démagogie et de la routine », que
dénonçait le général de Gaulle en 1964, nous priver des réformes
indispensables.
Dans cette phase de transition, la volonté - qui est de notre part profonde et
sincère - d'aboutir à ce que l'Europe adopte des positions communes ne privera
pas la France de sa voix. Le succès de la politique étrangère et de sécurité
commune se mesure non pas à l'effacement des politiques nationales, mais à son
aptitude à les rapprocher et à en amplifier l'impact à l'extérieur.
Je pense en particulier, évidemment, au Moyen-Orient et à la Méditerranée.
Au Proche-Orient, selon la ligne qui vient d'être tracée par M. le Président
de la République lors de son récent voyage dans la région, nous continuerons à
soutenir tous les efforts visant à relancer le processus de paix. Nous sommes
convaincus que l'Europe, qui est l'un des principaux contributeurs, a son mot à
dire dans cette affaire, d'autant qu'il s'agit, pour elle, d'intérêts
essentiels, d'intérêts vitaux, qui lui donnent non seulement le droit mais le
devoir de s'en mêler.
Nos efforts visent à faciliter la reprise des négociations sur la base des
accords déjà conclus et à tracer une perspective dans laquelle l'Europe
trouvera naturellement sa place dans le cours des négociations.
Nous nous réjouissons, et nous considérons qu'il s'agit d'un succès pour nous
aussi, que l'Union européenne, lundi dernier, ait nommé un émissaire spécial
pour le Proche-Orient et comptons bien contribuer activement à la définition du
mandat politique qui lui sera confié.
Sur le plan économique, nous sommes prêts à aider toutes les parties dans le
cadre plus large du partenariat euro-méditerranéen. Celui-ci prévoit, vous le
savez, avec le programme MEDA une aide de 5 milliards d'écus sur cinq ans et
autant sous forme de prêts. Mais il vise aussi un véritable dialogue politique
et culturel, en offrant une enceinte qui rassemble tous les Etats riverains. En
1997, la France propose qu'une conférence interministérielle, voire, si les
conditions sont réunies, un sommet des chefs d'Etat des vingt-sept pays réunis
voilà un an à Barcelone, adopte un pacte euro-méditerranéen, qui donne à cette
relation nouvelle sa pleine dimension politique.
Au-delà de l'Europe, avec nos partenaires de l'Union européenne, notre
ambition est de contribuer à l'instauration d'un monde plus démocratique, plus
juste, plus sûr et qui ne perde rien de sa diversité.
La principale enceinte de dialogue et de promotion de la stabilité à l'échelle
mondiale doit demeurer l'Organisation des Nations unies.
Les valeurs que nous défendons - Etat de droit, égalité souveraine des Etats,
respect des droits et libertés - constituent son fondement.
C'est pourquoi en 1997, nous continuerons d'être actifs dans la rénovation des
Nations unies. Nous soutenons le secrétaire général M. Boutros Boutros-Ghali
dans l'oeuvre remarquable de réforme qu'il a entreprise, en dépit des bâtons
dans les roues qu'il a pu rencontrer.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR,
des Républicains et Indépendants et du RDSE, ainsi que sur plusieurs travées
socialistes.)
Face à la crise financière que connaissent les Nations unies, nous
adoptons une attitude constructive : avec nos partenaires européens, nous avons
fait des propositions concrètes destinées à assainir une situation obérée par
d'énormes arriérés ; nous appelons nos amis américains à tenir leurs
engagements pour contribuer à cet assainissement.
Nous sommes ouverts aux évolutions, y compris en ce qui concerne le Conseil de
sécurité. La France soutient la candidature de son principal partenaire,
l'Allemagne, ainsi que du Japon, au statut de membre permanent du Conseil de
sécurité. De grands Etats « du Sud » appelés à jouer un rôle majeur à l'avenir
devront également y trouver toute leur place.
Nous exerçons nos responsabilités, en dehors du Conseil de sécurité, dans
toutes les enceintes de l'Organisation : nous encourageons tout
particulièrement le patient travail accompli par la Commission des droits de
l'homme qui, non sans mal, poursuit son effort quotidien contre les abus et
fraye peu à peu la voie du droit.
A titre national, comme à travers l'Union européenne, nous continuerons à
contribuer de façon significative à l'aide au développement. Nous avons été, en
1995, le deuxième contributeur mondial en valeur absolue - je dis bien « en
valeur absolue » - immédiatement après le Japon et devant les Etats-Unis, avec
une aide totale de 8,4 milliards de dollars, c'est-à-dire plus de 40 milliards
de francs. A l'avenir, nous nous efforcerons de maintenir ces ordres de
grandeur, mais nous aimerions bien nous sentir un peu moins seuls.
A cet égard, l'Afrique constitue toujours pour nous un objectif prioritaire.
Pour la première fois, l'Afrique a connu, ces deux dernières années, une
croissance de l'ordre de 5 % supérieure à la croissance démographique. Nous y
voyons un encouragement à renforcer encore nos efforts. Si l'on additionne
l'ensemble des aides bilatérales et multilatérales - notamment européennes -
accordées par la France au développement, 60 % vont à l'Afrique, dont 47 % à
l'Afrique subsaharienne, où les pays les moins avancés sont, hélas ! les plus
nombreux.
Lors du G7 de Lyon, en juin dernier, nous avons insisté auprès de nos
partenaires pour que, malgré les restrictions budgétaires pratiquées par tous
les pays occidentaux, les plus pauvres ne soient pas, comme toujours, les plus
oubliés. Tel n'est pas, hélas ! pas le cas et la France a réaffirmé la
nécessité d'accorder à ces Etats un traitement plus généreux en ce qui concerne
le remboursement de leur dette. Nous nous félicitons que nos partenaires aient
confirmé leur participation à l'Agence internationale pour le développement,
qui dépend de la Banque mondiale, et à la Banque africaine de développement.
Nous avons également plaidé pour que de nouveaux pays émergents adoptent la
même politique de solidarité envers les moins avancés, comme le M. Président de
la République l'a fait à Singapour, au printemps dernier.
Bien évidemment, dans notre esprit, le développement ne se réduit pas à un
soutien financier, si important soit-il. Notre travail en faveur de la
démocratie et du maintien de la paix demeure essentiel. Dans le cadre de «
l'agenda pour la paix » du secrétaire général de l'ONU, les pays africains
doivent être plus impliqués dans la prévention des crises qui secouent leur
continent, ils doivent mieux protéger la stabilité politique sans laquelle il
n'est pas de développement durable.
Nous voudrions aussi créer un monde plus prévisible.
La mondialisation ne doit pas servir d'exutoire à nos propres difficultés, à
nos opinions désorientées. Elle nous impose d'être plus présents dans le
nouveau paysage international et doit être vue comme une chance pour nos
produits - puisque nous représentons le quatrième exportateur mondial - mais
aussi pour nos idées et notre culture.
La mondialisation ne sera un facteur de stabilité pour notre société que si,
au lieu de la subir, nous savons la maîtriser et faire en sorte que les
rapports de forces soient encadrés par des règles du jeu claires et acceptées
par tous. Promouvoir ces règles, notamment les règles sociales, et les faire
respecter est l'un des enjeux essentiels de la mondialisation. Celle-ci n'est
pas nécessairement un bien ; elle sera un bien à condition qu'elle suive des
règles précises, coordonnées entre tous.
La France et l'Union européenne s'efforcent de renforcer les procédures de
régulation que lui offrent les structures multilatérales mises en place au
cours des dernières années, notamment l'Organisation mondiale du commerce. Sans
loyauté, il n'y a pas d'échanges équilibrés. L'adoption par certains de mesures
unilatérales et extraterritoriales nous a conduits à déclencher des procédures,
et à nous doter d'instruments symétriques. C'est ce que nous avons fait lundi
dernier à Bruxelles, pour répliquer à la loi Helms-Burton. Nous ferons le plein
usage des voies de règlement des différends qui nous sont ouvertes, mais nous
n'hésiterons pas, si nous y sommes contraints, à veiller par tous les moyens
nécessaires au respect des règles du jeu.
En outre, la France utilisera toutes les enceintes multilatérales existantes,
l'Organisation pour l'alimentation et l'agriculture - FAO - en vue du prochain
sommet mondial sur l'alimentation et l'Organisation internationale du travail -
OIT - où la France saura faire entendre son souci de cohésion et de justice
sociale.
Dans le prolongement de cette action, notre diplomatie est également mobilisée
pour soutenir concrètement nos entreprises à l'exportation, les grandes comme
les moins grandes, lesquelles ne savent pas toujours suffisamment que nos
ambassades peuvent les aider dans leur développement international.
C'est ainsi que, comme vous le savez, nous avons décidé de donner un nouvel
élan à notre diplomatie économique, en faisant se rencontrer dans les régions
françaises nos ambassadeurs et des chefs d'entreprise, notamment des PME et des
PMI. Je lancerai bientôt cette opération à Nantes. Bien entendu, elle se
poursuivra dans l'ensemble des régions de France.
Enfin, nous nous efforcerons de poursuivre la lutte contre les fléaux
transnationaux qui posent un défi nouveau à la sécurité internationale et
appellent des formes radicalement nouvelles de coopération internationale.
Le sommet du G7 a engagé une coopération en matière de lutte contre le
terrorisme : vingt-cinq recommandations pratiques et concrètes ont été adoptées
le 30 juillet à Paris, auxquelles nous entendons, bien sûr, donner suite.
La drogue est un autre sujet de préoccupation majeure : les Etats où se
trouvent les consommateurs potentiels et ceux où s'effectue la production ont
désormais conscience de l'imbrication des enjeux. L'union européenne a choisi
de coordonner son action avec celle d'institutions multilatérales, comme le
programme spécialisé des Nations unies. Ainsi, 1997 sera pour nous une année de
préparation de la session extraordinaire de l'assemblée générale des Nations
unies qui, l'année suivante, sera consacrée à la drogue.
En matière de désarmement, des voies nouvelles sont ouvertes. J'ai signé au
nom de la France à New York, en septembre dernier, le traité d'interdiction
complète des essais nucléaires. Après des décennies, nous voyons enfin la
menace d'une guerre atomique s'estomper. Cette convention apporte une
contribution importante à la non-prolifération. Nous devons la compléter par
une négociation sur l'interdiction de la production de matières fissiles à des
fins d'armement. Nous oeuvrerons également à la conclusion d'un accord
d'interdiction générale des mines anti-personnel qui doivent être
impérativement éradiquées.
Enfin, il est vital à nos yeux que le monde en train de se construire ne
renonce pas à sa diversité.
La promotion de la francophonie n'est pas le combat égoïste d'une France
attachée à la perpétuation de son prestige ou de sa culture, encore que ce
serait un objectif en lui-même suffisant. Notre engagement est celui de tous
ceux et celles qui refusent l'uniformité et l'existence d'une seule langue dans
le monde,...
M. Jacques Legendre.
Très bien !
M. Hervé de Charette,
ministre des affaires étrangères.
... qui croient aux échanges entre
cultures différentes et sont persuadés que le progrès s'appuie sur de telles
constatations.
La diversité des Etats francophones en est le meilleur exemple : le prochain
sommet francophone aura lieu en Asie, à Hanoi, en novembre 1997 ; il fera suite
à celui de Cotonou, de décembre 1995, où deux priorités ont été définies :
l'éducation de base et la place du français dans les réseaux modernes de
communication.
Nous poursuivrons aussi notre politique d'extension des zones desservies par
nos opérateurs de radio et de télévision, ainsi que notre réflexion sur
l'adaptation de notre offre en la matière.
Le souci de la diversité nous anime aussi lorsque nous nous efforçons de
renforcer nos liens avec des zones émergentes qui doivent être aujourd'hui les
priorités de notre diplomatie : l'Asie et l'Amérique latine.
L'Asie doit être - je l'ai dit et je le répète - la « nouvelle frontière » de
notre diplomatie. Lors de la visite du Président de la République à Singapour,
au printemps dernier, la France a donné la mesure de cette ambition. Nos
relations avec ce continent si dynamique, si riche aussi de ses traditions, de
ses cultures et de ses savoirs, doivent être portées à un degré de qualité
nouveau dans les domaines culturel, politique et naturellement économique.
Lors du sommet de Bangkok en mars dernier, qui a réuni les quinze Etats de
l'Union européenne et dix pays d'Asie, le projet franco-singapourien de
création d'une fondation euro-asiatique a été entériné. La mise en place de la
fondation dans les prochains mois nous permettra d'encourager le rapprochement
des chercheurs et des étudiants.
La priorité que nous attachons à l'Asie sera marquée par des visites
importantes du Président de la République au Japon, en novembre prochain, et en
Chine, en 1997.
Tout comme nos relations avec l'Asie, nos rapports avec l'Amérique latine
doivent être renforcés. L'Union européenne est le premier partenaire commercial
du marché commun d'Amérique du Sud, le MERCOSUR, qui rassemble l'Argentine, le
Brésil, le Paraguay et l'Uruguay, et nous y enregistrons des excédents
importants.
D'une manière générale, nous jouissons dans cette région du monde, avec nos
partenaires européens, d'un capital de sympathie important, fait d'affinités
latines et de liens humains et accru par la qualité exceptionnelle de la
coopération à quinze.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, en un an, le
Président de la République a marqué notre action extérieure d'un style nouveau,
plus direct, plus simple, plus actif aussi, où les apparences protocolaires
comptent peut-être moins qu'avant, mais la chaleur et la sincérité sans doute
davantage.
M. Michel Caldaguès.
Très bien !
M. Hervé de Charette,
ministre des affaires étrangères.
Ce style nouveau nous a permis de
confirmer notre engagement européen, d'explorer les nouveaux champs de notre
diplomatie et de créer une relation d'une qualité nouvelle avec de nombreux
partenaires.
Ce style nouveau est celui d'une France fiable, consciente de ses
responsabilités internationales, dénuée d'arrogance, ouverte au dialogue,
capable de faire face aux nouveaux chantiers de la vie internationale
d'aujourd'hui et - soyez-en sûrs - absolument déterminée à faire valoir ses
intérêts, à faire rayonner son prestige et sa culture, à porter l'étendard de
l'Europe sur tous les continents de notre planète : la planète des hommes de
demain, où l'Europe peut prétendre occuper la première place, où la France peut
encore vouloir jouer les premiers rôles, la France, la France d'hier et
d'aujourd'hui, la France de toujours !
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE).
M. le président.
La parole est à M. le ministre délégué à la coopération.
M. Jacques Godfrain,
ministre délégué à la coopération.
Monsieur le président, monsieur le
ministre, mesdames, messieurs les sénateurs, la volonté du Gouvernement de
maintenir et de renforcer son engagement en faveur de la coopération et de
l'aide au développement s'inscrit dans le souci de solidarité exprimé de
manière permanente par le Président de la République. Que ce soit à Cannes, au
huitième sommet européen consacré en partie au Fonds européen de développement,
à Halifax ou, plus récemment, à Lyon lors de la réunion du G7, ou encore lors
de ses voyages en Afrique, il a fait en sorte que la France soit le défenseur
de l'aide au développement et qu'au « mondialisme économique réponde
aujourd'hui le mondialisme du développement ».
Certains, en effet, s'interrogent sur le bien-fondé d'une telle politique,
notamment en faveur du continent africain.
D'une manière générale, il faut tout d'abord constater que, sous couvert d'un
afro-pessimisme plus ou moins désabusé, se masque le plus souvent une volonté
de désengagement de certains grands pays industrialisés.
La France renoncerait cependant à être elle-même si elle cédait à cette
tentation de repli. Cette dernière doit être d'autant plus combattue que
l'observation des faits nous confirme dans la conviction que les progrès
importants constatés doivent être confortés : progrès économiques, fruits des
efforts d'ajustement engagés depuis dix ans et permettant d'espérer une
croissance annuelle supérieure à 5 % en 1996 ; progrès politiques en termes de
liberté d'expression, d'amélioration de l'Etat de droit et, bien sûr, de
démocratisation.
Des raisons économiques existent également : l'Afrique est et sera un marché
porteur pour nos entreprises.
Il y a enfin les liens tissés par la culture et par l'histoire.
Par ailleurs, sans développement des pays africains, comment espérer réduire
la pression migratoire dont les conséquences pèsent sur notre pays ?
Une politique de coopération forte et généreuse est donc bien une nécessité
pour notre pays.
De plus, il s'agit véritablement d'un enjeu pour la construction européenne et
pour l'avenir de l'Europe, car l'Europe ne peut se construire véritablement
qu'autour d'une conception commune de l'homme qui doit se traduire dans les
rapports Nord-Sud.
Dans ce contexte, quels sont les principaux objectifs et priorités autour
desquels s'organise mon action ?
Tout d'abord, notre politique de coopération est guidée par la recherche d'un
véritable partenariat ; nous avons à coeur de définir conjointement les
priorités d'intervention, nous facilitons à nos partenaires l'appropriation des
projets et nous établissons avec eux un véritable échange, en considérant que
les relations ne doivent pas être à sens unique. Ce partenariat ne se limite
d'ailleurs pas à l'aide au développement : il doit en effet inclure les
relations culturelles et commerciales.
La finalité profonde de la coopération est l'amélioration de la vie
quotidienne des personnes. Il faut donc que les populations, où qu'elles se
trouvent, voient leur vie améliorée du fait de notre action de coopération.
Aujourd'hui, dans un contexte budgétaire rigoureux, pour les pays bailleurs
comme pour les pays bénéficiaires, il est indispensable de définir de nouvelles
formes de coopération aptes à compléter de manière efficace les politiques plus
traditionnelles d'aide.
Il faut, bien sûr, poursuivre la politique d'assainissement et de rigueur
entamée notamment avec la dévaluation du franc CFA, en confortant les progrès
constatés et en renforçant au maximum notre coordination avec les autres
bailleurs de fonds.
Dès que cela se révèle possible, cela se traduit par une priorité à
l'aide-projet, c'est-à-dire par un effort accru en faveur des projets de
développement remplaçant progressivement l'appui aux balances des paiements et
les annulations de dettes.
Plus concrètement, cela se traduit par le renforcement à plusieurs niveaux du
tissu et de la trame de ce continent.
Il convient tout d'abord de privilégier le développement de proximité, celui
qui incite les populations à demeurer sur place et qui lutte autant contre
l'exode rural que contre l'émigration excessive. Plus généralement, il faut
encourager une politique de développement durable, soucieuse de préserver dès
le départ l'aménagement du territoire et accordant la priorité au développement
humain, richesse première de toute nation.
Ensuite, il s'agit de favoriser les mesures d'intégration régionale, tant par
l'élaboration de projets de développement communs à plusieurs Etats que par le
renforcement d'organisations d'intérêt régional.
Il faut, par ailleurs, renforcer l'appui à l'Etat de droit, dans toutes ses
dimensions : droit public mais aussi droit privé, droit de la justice mais
aussi droit des affaires, droit de l'Etat mais aussi droit du citoyen. En
effet, seul le renforcement de l'Etat de droit permettra d'enraciner
durablement le développement économique, lui-même indispensable à la stabilité
des démocraties. C'est pourquoi, dans ce domaine, nous nous félicitons de la
décision du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale de faire de
la lutte contre la corruption un élément central de leur politique d'aide,
ainsi que nous le demandions dès le mois de juin 1995, considérant que la
coopération devait viser également la lutte contre les grands trafics.
Enfin, il est nécessaire - cela peut se faire grâce aux progrès de l'Etat de
droit - d'encourager l'investissement privé et l'émergence d'un secteur privé
dans les pays en voie de développement, et ce pour deux raisons principales :
d'une part, si l'aide publique au développement est loin d'être suffisante,
elle peut et doit cependant être le moteur qui entraîne derrière lui
l'investissement privé ; d'autre part, la situation économique en Afrique offre
des perspectives prometteuses en termes de croissance et d'opportunités
d'investissements.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, comme vous le voyez,
la France ne participe pas au scepticisme ambiant à l'égard de l'utilité de
l'aide, et, pour ma part, avec beaucoup d'autres, je suis résolument optimiste.
Je ne méconnais pas les difficultés, les crises - nous en vivons - voire les
échecs ; mais il y a aussi les enjeux, les avancées, les progrès. Il faut, bien
sûr, que nos actions et notre aide soient appréciées en fonction d'exigences
d'efficacité et de transparence, mais il faut aussi qu'elles expriment, d'une
manière certes modeste, une certaine vision française de l'avenir du monde.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants,
de l'Union centriste et du RDSE, ainsi que sur certaines travées
socialistes.)
M. Philippe de Bourgoing.
Bravo !
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Xavier de Villepin,
président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers
collègues, en dépit de moyens budgétaires fortement contraints, dont nous
débattrons ici même dans quelques semaines en examinant les crédits du
ministère des affaires étrangères pour 1997, la France tient son rang, affirme
sa place et défend ses intérêts sur la scène internationale. C'est avant tout
affaire de volonté politique, dès lors que notre diplomatie est capable d'un
effort permanent d'adaptation et fait preuve de la mobilité intellectuelle et
stratégique nécessaire.
Cette démarche volontaire de la France n'est pas contradictoire, bien au
contraire, avec l'affirmation et l'approfondissement de solidarités, avant tout
européennes, dont dépend en réalité la capacité d'influence et de rayonnement
extérieur de notre pays. C'est pourquoi je me félicite du fait que le Président
de la République et le Gouvernement aient clairement réaffirmé et renouvelé,
depuis dix-huit mois, l'orientation politique majeure de notre pays en
direction de l'Europe et de l'Alliance atlantique.
En effet, le choix européen n'est plus, loin s'en faut, de nature rhétorique.
Il est aujourd'hui décisif, au moment où s'annonce une série impressionnante
d'échéances capitales pour l'avenir de la construction européenne : conférence
intergouvernementale, union monétaire, élargissement et - ne l'oublions pas -
révision du financement communautaire.
Je me réjouis que la France maintienne un haut niveau d'ambition aux
négociations de la CIG pour conjurer le risque de voir les institutions
européennes paralysées par un élargissement à dix ou douze nouveaux Etats
membres. Mais peut-on être réellement optimiste alors que l'unanimité des
Quinze est requise et que l'accord, pour être positif, doit être nécessairement
global ? Je ne vous cacherai pas mon inquiétude, monsieur le ministre : le
processus actuel de négociation pourra-t-il aboutir sans crise ? Le résultat de
la CIG, si l'échec est évité, sera-t-il à la hauteur de nos espérances ? Et, si
tel n'était pas le cas, l'Union pourra-t-elle pour autant éviter d'entamer les
négociations d'élargissement ?
Les choses paraissent aujourd'hui se présenter sous de meilleurs auspices pour
la mise en place de l'union économique et monétaire. Les grandes puissances
financières mondiales, longtemps incrédules, en paraissent aujourd'hui
convaincues. L'euro est désormais sur la bonne voie. Sa mise en place, qui
constitue naturellement un défi pour nos sociétés, qui vivent un douloureux
processus d'adaptation, constituera un événement d'une portée considérable.
D'abord, parce que l'euro doit permettre enfin à l'Europe de disposer d'une
monnaie mondiale capable de faire contrepoids au dollar et au yen. Ensuite,
parce que la monnaie unique, qui est le grand projet fédérateur européen de
cette fin de siècle, créera une solidarité nouvelle essentielle entre les pays
concernés ; c'est un projet politique majeur, qui favorisera lui-même de
nouveaux progrès dans la construction européenne.
L'Union doit, en particulier, donner corps - enfin - à l'identité européenne
de sécurité et de défense. Mais peut-on encore y croire, après des décennies de
discours aussi sincères que vains ? Ma conviction est que oui, à la condition
de ne pas laisser passer l'occasion historique qui s'offre aujourd'hui à nous,
en particulier pour la rénovation de l'Alliance atlantique qui s'impose depuis
la chute du mur de Berlin.
La France l'a bien compris en donnant, en décembre dernier, un signal
politique très fort - même si sa portée pratique demeure modeste - qui lui
permet de jouer désormais un rôle moteur pour favoriser le processus
d'adaptation indispensable pour préserver et rendre plus efficace le lien
transatlantique. Parlons clair : il est désormais vain de vouloir opposer «
l'Europe européenne » à « l'Europe atlantique ». La seule chance que se
développe concrètement une politique étrangère et de sécurité européenne,
inscrite de manière abstraite dans le traité de Maastricht, réside dans la
vitalité et le caractère harmonieux mais équilibré des relations
transatlantiques.
Des principes importants ont été retenus, en juin dernier, à Berlin. Ils
constituent un succès majeur, qui n'a pas été assez souligné, pour notre
diplomatie. Mais il faut aujourd'hui les traduire au plus vite dans les faits
pour introduire dans le fonctionnement militaire de l'Alliance la flexibilité
nécessaire. Pouvez-vous, monsieur le ministre, préciser devant le Sénat l'état
actuel et les perspectives des discussions engagées avec nos partenaires ? Car
l'affaire est capitale. Il y va de notre ambition en matière de sécurité
européenne. Il y va aussi, à certains égards, de la cohérence et de
l'efficacité de la profonde réforme que nous avons entreprise de notre défense
et que notre commission des affaires étrangères, dans sa majorité, approuve
complètement.
Le drame qu'a connu l'ex-Yougoslavie au cours des dernières années illustre,
si besoin en était, les ravages partiellement imputables à l'impuissance
européenne en matière de sécurité et la nécessité de faire aboutir la démarche
entreprise. Mais il faut dès aujourd'hui consolider sur le terrain une paix
encore bien précaire, fragile et menacée.
Je n'oublie pas, monsieur le ministre, l'ampleur du chemin parcouru : les
armes se sont tues, l'IFOR a rempli sa mission. Les premières élections
générales de l'après-guerre ont eu lieu le 14 septembre dernier et, quelles
qu'en aient été les imperfections, elles marquent une étape importante dans la
mise en oeuvre des accords signés en 1995.
Les craintes que j'exprimais déjà il y a un an, à cette tribune, sont
cependant loin d'être dissipées. Beaucoup reste à faire pour consolider la
paix, aider à la reconstruction des territoires dévastés, encourager le retour
des réfugiés, reconstituer la société civile. Les forces qui succéderont à
l'IFOR devront y contribuer, car chacun sait que les difficultés politiques et
institutionnelles demeurent immenses pour éviter de sceller la division
ethnique du pays. Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous livrer votre analyse
des perspectives qui s'offrent aujourd'hui pour préserver la Bosnie des germes
d'éclatement qui la menacent et écarter définitivement le risque majeur de
nouveaux affrontements ?
Le processus de paix au Proche-Orient se trouve, lui aussi, à un moment sans
doute décisif de son évolution. J'exprimerai, ici encore, mon inquiétude. Car
le processus de paix au Moyen-Orient est en danger. Les perspectives ouvertes
par les accords de Madrid, d'Oslo et de Taba sont compromises. De nouveaux
drames se sont déjà produits. Or, chacun le sait, il n'y a pas d'autre
alternative à ces tensions que la reprise du processus de paix pour dégager des
solutions à long terme. Ces solutions ne peuvent, en particulier, éluder les
questions de Jérusalem, des réfugiés et des colonies de peuplement dans les
territoires palestiniens. Tel doit être, à mes yeux, l'objectif commun des
pressions que doit exercer la communauté internationale sur les parties, et
d'abord sur les nouveaux dirigeants israéliens.
Mme Danielle Bidard-Reydet.
Très bien !
M. Xavier de Villepin,
président de la commission.
La France et l'Europe n'ont choisi qu'un
camp, monsieur le ministre, et vous l'avez dit clairement : celui de la paix.
Elles doivent être présentes et disponibles pour jouer un rôle utile dans cette
région comme force de proposition, dans l'amitié avec les différentes parties.
Il va de soi que cette contribution ne saurait se limiter à des communiqués
diplomatiques sans lendemain et à une participation majeure et coûteuse à la
reconstruction et au développement de la région, car l'Europe est directement
concernée par la paix ou la guerre au Proche-Orient.
La France a manifesté dans ce sens beaucoup de détermination, de constance et
de persévérance au cours des derniers mois. Je rappelle et salue à cet égard,
monsieur le ministre, votre remarquable engagement personnel à l'occasion de
l'intervention israélienne du mois d'avril au Sud-Liban. Le Président de la
République a, une nouvelle fois, défendu cette orientation positive avec force,
clarté et courage au cours de son tout récent déplacement dans la région. Bien
au-delà de l'incident, désormais clos, de Jérusalem-Est, l'aspect très positif
de cette action est que la France a repris place au Moyen-Orient. Elle a aussi
réveillé l'Europe dans la région. Je me réjouis, à cet égard, de la désignation
d'un homme de qualité comme émissaire de l'Union européenne au Proche-Orient,
mais pouvez-vous nous préciser, monsieur le ministre, le contenu exact de sa
mission ? Pouvez-vous aussi nous dire si la France envisage de prendre
prochainement de nouvelles initiatives pour favoriser la sécurité et le
développement de cette région ?
Les grands dossiers internationaux que je viens d'évoquer rappellent, si
besoin était, l'importance de nos relations avec nos partenaires et alliés
américains. Les Etats-Unis sont désormais la seule super-puissance mondiale ;
elle est pleinement consciente de ses atouts, du rapport de forces réel, et
déterminée à les exploiter pleinement.
Nous ne devons pourtant pas trouver là la limite, et encore moins une
quelconque contradiction avec l'impératif, pour la France, de tenir pleinement
son rang, dès lors qu'elle en a la volonté politique, sur la scène
internationale.
J'en citerai brièvement, pour conclure, quelques exemples.
Il va de soi, d'abord, que la France doit continuer à défendre l'aide au
développement et à l'orienter en priorité vers le continent africain. Il ne
s'agit évidemment pas d'exclure quiconque de cet effort, bien au contraire : il
s'agit de combattre inlassablement l'afro-pessimisme, qui dissimule le plus
souvent, de la part des grandes puissances, une volonté de désengagement au
moment même où l'Afrique progresse à sa manière sur la voie de la démocratie et
s'est engagée, souvent avec courage, sur le chemin de l'ajustement et du
redressement économiques.
Mais les difficultés demeurent immenses, les crises persistent, et la
communauté internationale ne peut y demeurer indifférente. Je souhaiterais, à
cet égard, recueillir l'analyse du Gouvernement sur la situation qui prévaut
aujourd'hui au Zaïre. Elle peut faire craindre en effet un embrasement de cette
région des Grands Lacs, transformée en poudrière par plus de trente ans
d'affrontements et qui compte aujourd'hui plus de deux millions de réfugiés.
L'ensemble francophone a aussi une vocation particulière à marquer notre
solidarité vis-à-vis de l'Afrique. Rassemblant désormais une cinquantaine de
pays, l'espace francophone progresse et s'organise. Il doit, à mes yeux, être
rapidement renforcé pour jouer un rôle politique capable de prendre des
initiatives, de mener des actions de diplomatie préventive et d'agir en faveur
de la diversité culturelle.
Enfin, je ne saurais mieux faire, monsieur le ministre, que de reprendre vos
propres termes pour souligner que l'Asie doit être, aujourd'hui, « la nouvelle
frontière de la diplomatie française ». La France, après y avoir tourné sa page
coloniale, a trop longtemps oublié un continent qui constitue aujourd'hui la
première zone d'expansion économique dans le monde. Il faut aujourd'hui y
reprendre notre place dans tous les domaines. Nous ne manquons pas d'atouts
pour y parvenir. Encore faut-il avoir la volonté de les exploiter pleinement,
avec une stratégie cohérente et une véritable constance.
Je conclurai d'un mot. Partout où l'Europe saura s'exprimer d'une seule voix,
la France sera plus forte et mieux entendue. C'est pourquoi nous devons peser
de tout notre poids pour progresser sur la voie d'actions communes fortes en
matière de politique étrangère. Notre liberté d'action n'en sera pas amoindrie
: chacun le sait, une politique étrangère unique n'est pas pour demain. Mais ce
sont nos intérêts que nous compromettrions en nous obstinant à agir seuls ou en
ordre dispersé. Il y va du rôle et de l'influence de la France sur la scène
internationale.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
(M. Jean Delaneau remplace M. René Monory au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. JEAN DELANEAU
vice-président
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 44 minutes ;
Groupe socialiste, 37 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 31 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 26 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 18 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 15 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe,
9 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Durand-Chastel.
M. Hubert Durand-Chastel.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, parmi les
changements politiques annoncés par le candidat Jacques Chirac lors de sa
campagne présidentielle, ceux qui sont intervenus dans la politique étrangère
répondent bien aux attentes profondes de notre pays.
L'universalité de la pensée française, toujours très présente dans notre
imaginaire collectif et dans notre culture, correspond d'ailleurs parfaitement
à la mondialisation actuelle des échanges économiques, encouragés par les
accords du GATT et par la création de l'Organisation mondiale du commerce, je
dirai même au mondialisme qu'ils inspirent.
En effet, la France se doit de maintenir sa vocation d'universalité, qui a
fait la grandeur de son histoire, et de tracer l'avenir en se référant à cette
tradition toujours ancrée dans le peuple français.
C'est dans cet esprit que notre politique de coopération avec les pays du
champ - essentiellement l'Afrique, avec laquelle nous avons des attaches
profondes - constitue une priorité que la France se doit toujours d'assumer,
quelles que soient les circonstances. Nous saluons, à ce propos, le
volontarisme dont fait preuve M. le ministre chargé de la coopération dans la
conduite de son action.
En ce qui concerne la politique étrangère dans son ensemble, la nouvelle
orientation donnée à notre diplomatie est excellente, et nous soutenons votre
action, monsieur le ministre.
Je voudrais insister sur deux zones en développement rapide : l'Asie et
l'Amérique latine.
Au début de cette année, à la veille du sommet Europe-Asie de Bangkok, dans
son discours de Singapour, le Président de la République a défini les bases
d'un nouveau partenariat de la France et de l'Union européenne avec
l'Extrême-Orient et l'Asie, la « nouvelle frontière », selon votre propre
expression, monsieur le ministre. Le retentissement de ce discours en Asie, où
est située la moitié de la population de la planète, a été considérable.
C'est en Asie que se trouvent, précisément, quatre des huit pays émergents
retenus comme cibles pour le commerce extérieur : la Chine, la Corée, l'Inde et
l'Indonésie. C'est aussi en Extrême-Orient que les taux de croissance
économique progressent à un rythme moyen encore jamais égalé, plus de 8 % par
an.
Si la France avait jadis, avec l'Indochine, une forte position en Asie, elle
n'est plus représentée aujourd'hui sur ce continent que par des communautés
numériquement très insuffisantes. Comme il existe une corrélation étroite entre
les flux du commerce extérieur et le nombre de ressortissants dans une même
zone, il conviendrait de faire un effort important pour combler notre grave
déficit humain si nous voulons atteindre l'objectif fixé, à savoir tripler nos
parts de marché dans cette région dans les dix prochaines années. Des mesures
spécifiques peuvent-elles être envisagées, monsieur le ministre ?
La situation est très différente en Amérique latine, où la France jouit depuis
longtemps d'un immense prestige que le voyage historique du général de Gaulle,
en 1964, a bien illustré.
Après la décennie perdue des années quatre-vingt, d'immenses transformations y
ont eu lieu : une démographie galopante, associée à une immigration massive, a
fait passer le nombre d'habitants de 50 millions, en 1900, à 500 millions
aujourd'hui, soit un décuplement en un siècle ; des regroupements régionaux
importants se sont constitués, avec le MERCOSUR, qui concerne 200 millions
d'habitants, le groupe andin, le Centre Amérique ; enfin, il y a eu le retour à
la démocratie.
En même temps, l'économie s'est sensiblement améliorée, et on a pu noter des
taux de croissance moyenne de 4 %, soit le double des taux de croissance
européens.
Malgré cette conjoncture favorable, le développement des échanges avec les
pays d'Europe est médiocre. La part de marché de la France avec l'Amérique
latine ne dépasse pas 2 %, soit le tiers seulement de notre part de marché dans
le monde, voisine de 6 %. En revanche, les Etats-Unis d'Amérique, qui ont
conclu, en 1994, l'Accord de libre-échange nord-américain, l'ALENA, avec le
Canada et le Mexique, prologue à l'union de l'Alaska à la Terre de Feu, ont
obtenu une augmentation de leurs parts de marché avec le Mexique de 65 %, en
1993, à 80 % en 1995.
Une attention particulière est à donner, à la frontière du monde anglo-saxon,
au Mexique, qui constitue un rempart pour la culture latine.
Des pourparlers pour un accord commercial entre le Mexique et l'Union
européenne ont commencé le 14 octobre dernier ; leur aboutissement revêt une
grande importance pour éviter une intégration totale dans les Etats-Unis,
d'abord du Mexique, qui ne le souhaite pas, puis de tous les autres pays
latino-américains.
La visite du Président de la République dans les grands pays
latino-américains, prévue en mars 1997, peut, à cet égard, marquer le début
d'un renouveau d'intérêt français dans cette région, si proche de notre pays
par sa langue latine et sa religion catholique. N'y a-t-il pas là une
opportunité à saisir, monsieur le ministre ?
J'en viens à quelques réflexions plus générales concernant l'action française
à l'étranger.
L'image de la France à l'étranger reste trop traditionnelle, basée sur la
culture, les droits de l'homme et le bien-vivre. Notre pays peut s'enorgueillir
aussi d'une place de premier plan dans les domaines scientifique, technique et
industriel. C'est là une réalité encore trop souvent méconnue à l'étranger,
malgré nos brillantes réalisations dans l'aéronautique, les transports
ferroviaires à grande vitesse, l'armement, les télécommunications, etc.
Nos agences de presse et nos médias ne devraient-ils pas s'efforcer de relayer
davantage les performances techniques françaises, en référence aux nombreux
salons où notre pays expose et aux réussites de nos entreprises tant en France
qu'à l'étranger ?
Ne conviendrait-il pas également de renforcer, dans nos ambassades et nos
postes d'expansion économique, le personnel possédant une formation technique
et d'ingénieur, et même de priviliégier les nominations de diplomates
présentant ces caractéristiques ? C'est en effet grâce à ses innovations
technologiques que notre pays sera amené à gagner les parts de marché demandées
l'été dernier à nos ambassadeurs.
Il est important de rechercher aussi de nouvelles formules pour remplacer les
coopérants du service national à l'étranger, dans la perspective de
l'après-conscription ; ces jeunes constituent un excellent vivier pour
l'expatriation. Le Gouvernement a-t-il déjà défini des orientations à ce sujet,
monsieur le ministre ?
Il nous faut absolument pallier le grand handicap que représente
l'insuffisance de nos communautés françaises à l'étranger. Si, autrefois, les
candidats au départ étaient peu nombreux, aujourd'hui, le phénomène s'est
inversé : ce sont les offres d'emploi à l'étranger qui manquent.
A ce sujet, j'ai accueilli avec satisfaction la réponse que m'a faite Mme le
ministre délégué pour l'emploi, il y a deux jours, au Sénat, annonçant la
création d'un groupement d'intérêt public qui associera l'Office des migrations
internationales, l'ANPE International et la Maison des Français de l'étranger
pour une meilleure efficacité du soutien à l'emploi à l'étranger.
Il conviendra, monsieur le ministre, de bien coordonner les actions de ce
groupement avec les comités consulaires pour l'emploi et la formation, les
conseillers du commerce extérieur, les chambres de commerce et d'industrie
française, les postes d'expansion économique, car c'est à l'étranger
qu'existent les offres d'emploi.
S'agissant de l'enseignement français à l'étranger, trois orientations me
paraissent souhaitables pour préparer l'avenir : d'abord, le redéploiement de
nos implantations scolaires pour tenir compte des nouvelles zones économiques
prioritaires ; ensuite, un réajustement des droits d'écolage des élèves non
français pour les rapprocher des coûts réels de l'enseignement que nous
dispensons dans les différents pays d'accueil, en même temps qu'un
accroissement des bourses aux élèves français ; ainsi, le recrutement étranger
de nos établissements se concentrerait mieux sur les véritables élites sociales
des pays d'accueil, conscientes de la haute qualité de nos établissements ;
enfin, l'intégration de la dimension européenne dans les pays où les
communautés des Etats membres de l'Union européenne sont peu nombreuses.
Ces mesures, déjà préconisées dans l'excellent rapport présenté au Premier
ministre par notre collègue député Pierre Lequiller, ont-elles votre
approbation, monsieur le ministre, et seront-elles mises en application ?
Pour conclure, reprenant un voeu du Conseil supérieur des Français de
l'étranger, la création d'une grande chaîne française de télévision, d'audience
internationale, avec un journal sous-titré et des programmes français, ne
correspond-elle pas à la première priorité pour le rayonnement de la France à
l'étranger ?
L'ensemble de nos compatriotes de l'étranger appellent de leurs voeux une
telle vitrine médiatique et, avec eux, toutes les populations francophones,
francophiles et amoureuses de notre pays et de la culture française dans le
monde.
Monsieur le ministre, j'écouterai avec attention les réponses que vous ferez à
ces quelques questions. Je vous en remercie d'avance.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Clouet.
M. Jean Clouet.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues,
appartenir à une majorité parlementaire requiert une certaine capacité de
renoncement.
(Sourires.)
On la qualifie le plus souvent de témoignage de solidarité.
Chacun de nous ici présent l'a éprouvé à un moment ou à un autre.
Si l'on perçoit aisément que cette capacité de renoncement n'anime pas
actuellement au même degré tous les membres de la majorité, c'est dans le
domaine de la politique intérieure que ce constat peut être dressé.
L'expérience le démontre quotidiennement. Mais il s'agit là d'une affaire de
famille et, fort heureusement, elle ne se prolonge pas dans le domaine de la
politique extérieure,...
M. Hervé de Charette,
ministre des affaires étrangères.
Ouf !
(Sourires.)
M. Jean Clouet...
où, à l'exception de quelques divergences techniques mineures, parfois
gonflées par un effet d'optique, un quasi-consensus règne sur les grands axes
d'action de notre diplomatie : comme il convient, nos dissensions s'arrêtent
aux frontières.
A cet égard, monsieur le ministre, vous ne vous heurterez de la part du groupe
des Républicains et Indépendants, au nom duquel je m'exprime, à aucune
divergence notable.
Comment, d'ailleurs, pourrait-il en être autrement, dans la mesure où notre
politique extérieure procède de quelques données simples, mais fortes, issues
de notre long passé et qui se trouvent actuellement confrontées au nouvel état
du monde ?
Ces données simples, mais fortes, chacun les connaît ; elles ont fait de la
France, depuis des siècles et sans interruption, une puissance mondiale sur le
plan de l'histoire comme sur le plan de la géographie. Il convient qu'elle le
demeure, sans cocoricos déplacés, mais avec une totale détermination.
Pour ce faire, elle peut s'appuyer sur la persistance de son rayonnement
intellectuel et sur la capacité de survie de sa langue, qui est aussi celle de
millions d'hommes et de femmes, et je pense, en cette circonstance, à Léopold
Sédar Senghor dont nous venons de célébrer le quatre-vingt-dixième
anniversaire.
Le français est à la fois une langue véhiculaire et une langue de culture. De
telles langues ne sont pas si nombreuses au monde que l'on puisse se
désintéresser de l'avenir de l'une d'elles.
Elle peut s'appuyer, enfin, sur la légitimité de son combat, séculairement
affirmé, en faveur du respect et de la défense des droits de l'homme, qui
peuvent prendre des formes institutionnelles parfois différentes, mais que nous
devons obstinément aider à survivre dans un monde qui en fait souvent peu de
cas.
Toutes ces données essentielles qui ont constitué, avec des fortunes parfois
diverses, au long des ans, la légitimité de notre action, se sont bruquement
trouvées inscrites dans un contexte totalement nouveau avec l'implosion de
l'URSS et la chute du mur de Berlin ; je me souviens que nous y avons assité
côte à côte, monsieur le ministre.
La fin d'un demi-siècle de guerre, dite froide, mais dont l'intensité
hypocritement meurtrière démentait l'épithète, a créé, c'est un euphémisme, une
situation nouvelle sur le théâtre des nations. Depuis 1991, un acteur majeur a
disparu. Il n'en reste désormais plus qu'un seul.
On ne peut, fût-il animé de ces bonnes intentions dont on dit que l'enfer est
pavé, le laisser pratiquer sans réagir ce que le traité de Rome qualifie d'abus
de position dominante.
En effet, et même si la nature a horreur du vide, il ne convient pas que ce
vide ne soit comblé que par une seule puissance. Toutes doivent y trouver leur
rôle, et singulièrement la France au sein de l'Europe. Une Europe dont le bon
sens, bien au-delà d'une quelconque
realpolitik
, exige qu'elle comporte
un noyau dur et moteur, sauf à ne devenir qu'une marmelade géographique, de
l'Irlande aux pays Baltes et de la Finlande au Portugal ou à la Grèce.
Sans squelette et sans muscles, cette Europe ne serait qu'une attristante
gélatine. Je mesure bien que la construction de ce pilier, indispensable à un
véritable équilibre mondial, s'apparente à la tapisserie de Pénélope mais,
après tout, Ithaque est en Europe et Ulysse a bien fini par rentrer au foyer !
(Applaudissements.)
M. Jacques Genton.
Excellent !
M. Jean Clouet.
L'édification de cet indispensable contre-pouvoir, non hostile, mais
amicalement positif, et qui devra aider les Etats-Unis à ne pas céder à la
tentation d'un impérialisme dominateur et sûr de lui, montre bien que c'est le
monde entier, monsieur le ministre, qui s'offre à l'action du Président de la
République et du Gouvernement, depuis le Proche-Orient jusqu'aux atolls du
Pacifique, depuis le coeur meurtri de l'Afrique jusqu'à cette Algérie qui nous
demeure si chère et, plus largement, partout où les hommes souffrent et où les
frontières éclatent dans les excès d'un sanglant renouveau du chauvinisme.
M. Guy Penne.
Très bien !
M. Jean Clouet.
C'est alors qu'apparaît inévitablement la grande question qui domine nos
débats : avons-nous les moyens de notre politique ?
Pour que la réponse à cette question puisse être positive, plusieurs
conditions doivent être réunies : un solide réseau d'alliances soigneusement
entretenues ; une structure diplomatique et culturelle solidement ancrée en des
lieux judicieusement choisis et animée par des hommes et des femmes de qualité
; une capacité d'intervention efficace et toujours disponible ; une situation
économique et financière solide et assurée.
Vaste programme, aurait dit celui qui a replacé la France à son rang dans le
monde, vaste programme mais, sur plusieurs points déjà, bien amorcé.
Au surplus, ce n'est pas seulement quantitativement que l'on peut être
puissant. L'histoire abonde en exemples qui montrent qu'on peut l'être aussi
qualitativement. Nul n'a oublié la fameuse question de Staline : « Le pape,
combien de divisions ? »...
M. Guy Penne.
Plus que le dalaï-lama !
M. Jean Clouet.
Rechercher le meilleur rapport efficacité-coût, c'est l'objectif, et non le
moindre, de toutes les politiques.
Enfin, et en raison de son essence même et de la diversité de ses
caractéristiques, la France semble, mieux que d'autres, à même de jouer, au
sein des problèmes de notre époque, un véritable rôle de catalyseur.
Rappellerai-je qu'un catalyseur, s'il transforme les choses, reste finalement
lui-même ? Ce qui veut dire que la France peut demeurer elle-même - elle le
doit au monde - sans renier ni ses alliances ni ses amitiés, et sans perdre son
âme.
M. Philippe François.
Très bien !
M. Jean Clouet.
Cette tâche est lourde, monsieur le ministre, et l'on peut certaines fois être
tenté par le renoncement. C'est alors qu'il faut se souvenir de mère Teresa : «
Je ne suis, a-t-elle dit, qu'une petite goutte d'eau dans l'océan mais, sans
cette petite goutte, l'océan ne serait pas ce qu'il est. »
La France, elle, n'est démographiquement qu'une petite goutte d'eau dans
l'océan du monde mais, sans elle, il ne serait pas ce qu'il est ni ce que nous
devons l'aider à devenir.
Bon courage, monsieur le ministre, et bonne chance !
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Dulait.
M. André Dulait.
Messieurs les ministres, participant, comme M. Clouet, du consensus qu'il a
évoqué, je souhaiterais, dans le cadre de ce débat, insister sur l'action
originale, courageuse et novatrice que le Gouvernement et vous-même menez en
matière de politique extérieure.
Malgré d'importantes contraintes financières, en quelques mois, vous avez su
renouveler la politique extérieure de la France. A titre d'exemple, je
m'attarderai sur trois régions du monde où votre action est particulièrement
remarquable.
La première région du monde où un nouvel élan a été insufflé me paraît être
l'Amérique latine. Vous avez récemment réuni, lors d'un voyage que vous avez
effectué dans cette région, tous les ambassadeurs de la zone. Dans votre
volonté de revivifier les liens économiques, culturels et politiques avec les «
différentes Amériques latines », nous avons apprécié combien votre méthode
était innovante.
Il ne s'agissait pas simplement de renouveler les liens plus ou moins
distendus. Je crois que votre ambition, monsieur le ministre, a été que la
France se tourne vers la nouvelle Amérique latine, celle qui émerge après des
années de dictature et d'affrentements entre les nations, celle des
regroupements régionaux, du MERCOSUR, de l'Union andine, du groupe de Rio, ou
encore celle du Caricom.
Cette nouvelle Amérique latine, en gestation depuis une dizaine d'années,
tente, un peu comme nous en Europe il y a quarante ans, la grande aventure des
regroupements régionaux pour ainsi dépasser les protectionnismes économiques et
les heurts nationalistes.
La France mène, avec cette Amérique, un triple niveau de relations. Outre des
relations bilatérales, bien sûr, de pays à pays et des relations avec les
organisations de regroupements régionaux en tant que tels, il existe aussi un
troisième aspect original qui conduit la France à se trouver au coeur des
relations multilatérales que l'Amérique du Sud entretient avec l'Europe prise,
elle aussi, de façon globale.
Les accords de Madrid, signés au mois de décembre dernier, sont une innovation
dans le domaine des relations internationales. Pour la première fois dans
l'histoire, deux ensembles régionaux, l'Union économique et le MERCOSUR, qui
regroupent quatre pays plus deux à titre d'observateurs, ont décidé d'établir
des relations que l'on pourrait qualifier de « bloc à bloc », si, à ces termes,
n'était attachée une connotation péjorative et qu'il est donc préférable de
qualifier « d'ensemble à ensemble ». Et, dans ce dialogue entre ensembles
régionaux, la France a aussi un rôle de médiateur à jouer.
Une nouvelle politique française pour une nouvelle Amérique latine, une
nouvelle politique française à trois étages, en quelque sorte. Monsieur le
ministre, vous en avez été l'un des principaux auteurs, et je tenais ici à vous
en rendre hommage.
L'autre continent vers lequel je souhaite me tourner est celui auquel tant de
liens nous unissent, je veux parler de l'Afrique. Combien est mal comprise la
politique de la France en Afrique !
Cette politique, nous le savons bien, n'est ni un legs, ni une résurgence du
colonialisme. La décolonisation a été entamée voilà bientôt plus de quarante
ans, avec la loi-cadre Defferre, puis poursuivie sous la Ve République.
Dès cette époque, la France a souhaité accompagner cette décolonisation, ainsi
d'ailleurs que celle de pays qui n'étaient pas dans son orbite politique, comme
le Zaïre, le Rwanda ou le Burundi, puis, par la suite, des pays de l'Afrique
francophone ou lusophone, voire hispanophone.
Je souhaiterais dire ici un mot sur le tragique retour à la une de l'actualité
du conflit Hutus-Tutsis ; avec ses cohortes de réfugiés jetés sur les routes et
ses horribles bains de sang, qui ne doit pas nous faire oublier l'essentiel :
pourquoi cette nouvelle crise autour des grands lacs ?
Au-delà des rivalités ethniques exacerbées par une volonté identitaire dont la
spontanéité n'est pas avérée, la déstabilisation de l'ensemble de cette zone
serait dramatique pour l'Afrique.
Le passé nous enseigne que des intérêts financiers et stratégiques étrangers à
ceux de la France peuvent conduire à des situations catastrophiques.
La France, par votre intermédiaire, monsieur le ministre, fidèle à sa vocation
africaine et à son idéal humanitaire, j'en suis convaincu, se doit d'agir au
service de la paix dans cette région du monde. Vous ne manquerez pas de nous
indiquer quels voies et moyens vous comptez utiliser pour que nous soyons
présents dans cette région.
La politique de la France en Afrique, que vous défendez courageusement avec M.
le ministre délégué à la coopération, est une grande politique, bien au-delà
d'une simple politique exclusivement au service de nos intérêts économiques.
Elle a pour ambition de permettre aux sociétés africaines d'entrer de
plain-pied, politiquement, économiquement et socialement, dans le XXIe siècle.
Et, comme en Amérique du Sud, le rôle de la France en Afrique est également
d'être le médiateur, pour ne pas dire l'intercesseur, de l'Afrique vis-à-vis de
l'Union européenne.
L'actualité ne peut que renforcer cette attitude de la France au service de la
paix.
Là aussi, votre action s'est caractérisée par des relations bilatérales et
multilatérales de l'Europe avec le monde africain. J'en veux pour preuve
certaines rationalisations administratives ou ministérielles, comme la
redéfinition des pays du champ, qui regroupent désormais les pays ACP. Je vois,
pour ma part, dans cette modification technique l'expression d'une prise de
conscience de plus en plus européenne des relations franco-africaines.
L'Afrique n'est pas la chasse gardée de la France. Elle ne l'a jamais été,
même à l'époque de l'Union française, voire à l'époque antérieure de l'empire
colonial. Cette expression polémique dénature les quarante années de
coopération et d'efforts menés par notre pays pour stabiliser politiquement
l'Afrique, la développer économiquement et lui permettre de conserver ses
racines tout en pesant davantage, tout en jouant de plus en plus un rôle
international important.
La France s'intéresse et se passionne pour l'Afrique, non parce que l'Afrique
serait à elle, mais parce que l'Afrique, à un moment de sa longue histoire, a
rencontré le monde européen et, au sein de ce monde européen, la réalité
française.
Indépendamment des motifs de cette rencontre, les résultats sont là, et je
fais partie de ceux qui savent que les liens entre l'Afrique et la France ne
sont pas purement conjoncturels. Une véritable osmose, faite d'influence
réciproque, s'est forgée en un siècle. Ainsi, l'Afrique francophone, inspirée
dans son organisation administrative et juridique par le droit français, s'est
nourrie, depuis son indépendance, de cette amitié. Il y aura toujours chez des
parlementaires, chez des universitaires et des scientifiques, des hommes et des
femmes qui se prendront de grandes passions pour l'immense et diverse
Afrique.
Le troisième thème que je souhaiterais évoquer à cette tribune, messieurs les
ministres, concerne le monde arabe, ou plutôt les mondes arabes. Le monde arabe
est l'un des horizons géopolitiques, historiques de la France depuis très
longtemps, bien avant l'époque de l'expansion coloniale. Ce monde arabe, évoqué
à l'instant, est divers, marqué par des régionalismes qui s'articulent en
quatre ensembles : le Maghreb, la zone nilotique, la péninsule Arabique et le
Croissant fertile.
Divers, le monde arabe l'est aussi dans ses définitions religieuses : il
pratique plusieurs formes d'Islam dont le sunnisme et le chiisme. Sont présents
aussi plusieurs milliers de chrétiens. Ces faits me conduisent à penser que
nous ferons un grand pas le jour où nous cesserons de parler du « monde arabe
», qui n'est unifié finalement que par sa langue, pour plutôt employer des
termes plus appropriés aux diversités nationales arabes.
Ce sens de la réalité plurielle du monde arabe, la diplomatie, au
gouvernement, a su en tenir compte. Aujourd'hui, la France peut s'enorgueillir
d'avoir de bonnes relations avec chacun des pays arabes, de l'Atlantique au
Golfe et de la Méditerranée à l'océan Indien. Nons entretenons des relations
diplomatiques, économiques et culturelles avec tous ces pays, quelle que soit
leur orientation politique.
Là aussi, la vocation de la France n'est pas simplement de réussir des
relations bilatérales. Elles est aussi, comme nombre de nos amis arabes
l'attendent, d'être l'élément avancé du dialogue euro-arabe. Cette rencontre de
l'Europe et des pays arabes n'est pas simplement une réalité méditerranéenne.
Le monde arabe ne se résume pas aux pays bordant cette mer. Aujourd'hui, émerge
dans l'économie mondiale un pôle d'une fabuleuse concentration de richesses :
le Golfe. Ce Golfe, riverain de l'océan Indien, vous avez su fort bien,
messieurs les ministres, en prendre la mesure politique et y redynamiser une
présence française à tous points de vue : militaire, économique et aussi
culturel.
Je crois que, là aussi, messieurs les ministres, la politique de la France
n'est pas une politique pour ou contre un camp. Les garanties ininterrompues
données à l'Etat d'Israël quant à son droit à l'existence, son droit à la
protection, attestent que la politique française n'est pas une politique
pro-arabe et anti-israélienne.
Fidèle à sa grande tradition, la diplomatie française aspire à rétablir
partout les équilibres, afin que les hommes puissent connaître la paix. Cela
est particulièrement exemplaire dans le cas du monde arabe.
Le refus de certains de nos partenaires occidentaux de voir l'Europe prendre
part à la négociation proche-orientale, est, comme l'a dit un de vos grands
prédécesseurs, M. de Talleyrand : pire qu'une erreur, c'est une faute.
Ce n'est pas seulement la France qui est en cause, c'est l'ensemble des pays
européens qui, eux aussi, ont des intérêts majeurs dans le monde arabe. Qu'il
s'agisse de l'Italie, de l'Allemagne, de la Grande-Bretagne ou de l'Espagne,
l'intérêt même des protagonistes serait que les pays de la vieille Europe, qui
connaissent et comprennent le monde proche-oriental et moyen-oriental, puissent
participer à la négociation, car eux seuls, finalement, sont à même d'engager
un processsus de détente et de coexistence, afin de rapprocher les points de
vue.
Dans les situations aussi tendues que celle de la crise israélo-palestinienne,
l'humanisme européen ne sera pas de trop pour éviter les face-à-face
identitaires et meurtriers.
De même, il est temps que les exclusions porteuses de nouvelles guerres
cessent. Comme l'a dit le Président de la République, l'Irak doit un jour
rejoindre la communauté internationale, sinon il n'y aura aucune stabilité
politique dans cette région.
La France a choisi la paix et la coopération avec les pays arabes, que ceux-ci
soient pauvres ou riches, progressistes ou conservateurs, sans jamais faillir à
son idéal de démocratie.
Voilà, monsieur le ministre, ce que je souhaitais vous dire comme sénateur,
et, au nom de mes collègues du groupe de l'Union centriste, je vous informe que
nous approuvons fermement et publiquement les orientations de votre politique
extérieure, qui nous rendent encore plus fiers d'être Français.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Guéna.
M. Yves Guéna.
Au nom du groupe du RPR, je voudrais d'abord exprimer les satisfactions que
nous éprouvons, s'agissant de la politique étrangère de notre pays, devant la
détermination du Président de la République et le savoir-faire, je dirai le
talent, de son ministre. Mais, comme je sais mal farder la vérité, monsieur le
ministre, je me devrai aussi de vous livrer nos interrogations sur quelques
points.
Il est vrai - et je me plais à le souligner - qu'après le flou crépusculaire
d'où nous sortions, la diplomatie française a su s'affirmer dans des domaines
essentiels. Vous avez évoqué le « style nouveau », c'est vrai !
Nul ne conteste aujourd'hui le bien-fondé de notre politique nucléaire. Les
derniers essais, irremplaçables soit pour tester des armes, soit pour préparer
les simulations futures, n'ont porté nul préjudice d'aucune sorte, ni moral ni
économique, à notre pays. Et le traité d'interdiction a été adopté dans une
version que, de ce fait, nous avons pu rendre plus exigeante.
En Bosnie, où certes tout n'est pas parfait, les armes se sont tues et des
élections se sont tenues. C'est sur une initiative du Président de la
République, avec la constitution de la Force de réaction rapide en lieu et
place de l'impuissante mission de l'ONU, qu'a été étouffé ce foyer de guerre,
avec son cortège de massacres et de déportations, tandis que les armes de la
République étaient désormais respectées.
Au Liban, la France a été présente, et avec quel bonheur - nous vous y
associons, monsieur le ministre - dans l'apaisement du heurt entre l'armée
israélienne et le hezbollah. Je soulignerai au passage la prescience du
Président de la République qui, faisant fi des critiques, s'était rendu à
Beyrouth quelques semaines plus tôt, affirmant ainsi par avance la permanence
de notre attention pour le Liban.
Puis, il y a quelques jours, dans les terres palestiniennes et en Israël, le
Président a su s'adapter aux circonstances, ce que l'on ne peut faire que si
l'on s'appuie sur des idées claires, en l'espèce la dignité de la France et sa
place particulière sur la scène internationale comme membre permanent du
Conseil de sécurité.
Puisque l'une des parties récusait son arbitrage, il était normal pour le
Président, parlant au nom de la France, non seulement de marquer la nécessité
de renouer le processus de paix, mais aussi de rappeler les droits des
Palestiniens. « Il a pris parti » lui reprocherait-on... J'espère bien ! En
diplomatie, demi-teinte et timidité n'ont jamais payé.
M. Michel Caldaguès.
Bravo !
Mme Paulette Brisepierre.
Très bien !
M. Yves Guéna.
On a pu juger du bien-fondé de son attitude à l'accueil qui fut réservé à
Jacques Chirac, non seulement dans les territoires palestiniens, mais dans les
capitales arabes : Beyrouth, Amman, Le Caire, et, quelques jours plus tôt,
Damas.
Naturellement, ce voyage, par son éclat même, conduit à poser la question, et
le Président l'a évoquée : action de la France ou action de l'Europe ?
Difficile débat ! Seul, on a plus de résolution, mais moins de poids. A quinze,
on pèse plus lourd, mais l'on est moins déterminé. Quadrature du cercle !
Et cette question me conduit à rappeler, pour m'en féliciter, les propositions
françaises lors de la Conférence intergouvernementale sur la révision de
Maastricht. L'on comprendra que je me réfère à vos déclarations de Strasbourg
du 20 septembre dernier.
D'abord, puisque nous y sommes, sur la politique étrangère et de sécurité
commune, la PESC, puisqu'il faut l'appeler par son nom. Comment donc résoudre
cette quadrature du cercle, comment atténuer d'abord la cacophonie, la
confusion au moins verbale entre les Quinze, entre ceux qui veulent aller dans
un sens, ceux qui souhaitent agir à rebours, ceux qui ne veulent rien faire du
tout et ceux qui veulent empêcher qu'on fasse ? Comment museler les
déclarations intempestives et inconvenantes de la Commission, laquelle n'est
pas compétente, ou d'un sir Leon Brittan qui, piteux négociateur de Blair
House, n'a vraiment plus de leçon à donner à quiconque ?
La création d'un poste de haut représentant, suggérée par la France, ne
réglera sans doute pas le problème, mais elle peut y contribuer. Nous en sommes
d'accord. Ce n'est qu'un pas au milieu de fourrés épais, mais c'est un pas, et
dans la bonne direction. Il en va de même du choix de l'ambassadeur d'Espagne
en Israël pour traduire la volonté de l'Union européenne d'être présente dans
la négociation.
Toujours à propos de la Conférence intergouvernementale, vous n'avez pas perdu
de vue, au contraire de bien d'autres délégations, que l'Union européenne devra
accueillir de nouveaux membres - vous l'avez rappelé dans votre propos,
monsieur le ministre - ces pays naguère dépendants, redevenus souverains et
démocratiques, et qui frappent à notre porte. Il est temps, il n'est que temps
de corriger ce pied de nez à l'histoire que fut à cet égard Maastricht,
renforçant la petite Europe mercantile et atlantiste, alors que tout était
remis en cause sur notre continent avec l'effondrement de l'Union
soviétique.
Vous avez parfaitement souligné - et il eût été préférable de l'entreprendre,
mais ce n'est pas une critique qui s'adresse à vous ni à la France, avant
d'accueillir les trois derniers membres - que les institutions européennes
doivent être réformées : Commission plus restreinte, extension du vote
majoritaire, à une condition avez-vous dit : la pondération des voix au sein du
Conseil. La seconde condition va sans dire, mais, le moment venu, vous la
rappellerez, j'en suis sûr, c'est le maintien du compromis de Luxembourg.
Enfin, pour m'en tenir à l'essentiel sur la Conférence intergouvernementale,
vous avez affirmé que l'Europe doit devenir plus démocratique, et vous avez
souligné à cet égard le rôle irremplaçable des parlements nationaux. Nous en
sommes d'accord, ô combien ! d'autant que le Sénat n'a cessé de se battre sur
ce terrain. Or, la persévérance paie. La réunion de la conférence des organes
spécialisés des assemblées de la communauté, la COSAC, se tenait à Dublin voilà
quinze jours.
M. Xavier de Villepin,
président de la commission.
Vive la COSAC !
(Sourires.)
M. Yves Guéna.
Nous avions par avance formulé nos propositions à la présidence irlandaise.
Les délégués de l'Assemblée nationale et ceux du Sénat, M. Genton et moi-même,
les ont défendues toute la journée...
M. Jacques Genton.
C'est vrai !
M. Yves Guéna.
... et, au soir, nous n'avons pas été dévorés comme la chèvre de M. Seguin !
Nous avons obtenu des résultats, qui sont là.
Tous les délégués, et c'est la première fois, ont reconnu que la référence aux
parlements nationaux devrait s'inscrire dans le texte même du traité - et non
en annexe, à la suite d'une recommandation « contre les mauvais traitements aux
animaux »
(Sourires.)
- que l'existence de la COSAC devrait être
reconnue ; qu'elle pourrait jouer un rôle dans la définition de la
subsidiarité, ce qui est normal puisque la subsidiarité s'analyse d'abord comme
un dessaisissement des parlements nationaux ; qu'elle serait informée et
consultée sur les actions relevant du second et du troisième pilier.
Nous sommes bien conscients que ce consensus n'aurait pu se dégager si nos
collègues des autres parlements n'avaient su les intentions du Gouvernement
français, qui ont pesé pour beaucoup, j'en suis sûr, dans cette évolution.
Maintenant, pour user d'une image familière aux gens du Sud-Ouest, monsieur le
ministre, vos avants ont sorti le ballon de la mêlée, à vous d'aller le plaquer
derrière la ligne d'en-but.
(Sourires.)
Mais je vous ai dit en commençant que nous avons aussi des interrogations,
voire des inquiétudes, que je ne puis passer sous silence.
Naturellement, je n'irai pas jusqu'à dire, comme Paul Valéry, que la part
brillante de notre politique étrangère « suppose d'ombre une morne moitié ». Ce
serait exagéré, ce n'est pas moitié-moitié.
Mais comment se satisfaire de ce que l'on sait de notre attitude vis-à-vis de
l'OTAN ? J'avais posé le 1er février dernier une question d'actualité sur ce
sujet ; M. Barnier me répondit ainsi : « Je serais tenté de vous dire : faites
confiance au Président de la République et au Gouvernement. » C'est ce que nous
souhaitons faire naturellement.
Il poursuivait : « Nous ne sommes prêts à aller de l'avant dans notre
engagement qu'à la seule condition que notre engagement soit proportionnel à la
disponibilité de nos partenaires à réformer en profondeur l'Alliance atlantique
et à bâtir en son sein un "pilier européen" de défense, en accord
naturellement avec les Américains...
« Nous devons également, me semble-t-il, faire plus confiance que par le passé
à nos partenaires. Nous ne bâtirons pas seuls le "pilier européen de
défense" ; nous avons besoin d'eux autant qu'ils ont besoin de nous. »
A travers la prudence du propos, je crois discerner la démarche. La France
souhaite aller vers une identité européenne de défense ; et, pour vaincre les
résistances ou les timidités de nos partenaires, elle essaie de les y entraîner
par le détour de l'OTAN. Mais, de ce fait, nous y entrons.
Est-ce la bonne méthode ? Dans votre propos, vous avez employé le mot « pari
». Je me rappelle ce que nous avons demandé à Berlin en juin, et je crois bien
que nous ne l'avons pas obtenu à Bergen en septembre, je veux dire
essentiellement, et sans m'étendre sur l'hypothétique répartition des
commandements, « la reconnaissance des forces interarmées multinationales -
GFIM - avec une chaîne de commandement européenne autorisant les responsables
politiques européens à disposer, lorsqu'ils le désirent, des instruments
indispensables à la conduite de leur politique ». Je viens de citer les propos
de M. Millon à cette tribune.
Je ne sache pas qu'on ait beaucoup avancé dans ce sens.
D'après ce que je sais, et qui est public, il a été convenu que cela ne serait
possible qu'après une décision du Conseil atlantique, c'est-à-dire à la
condition que les Etats-Unis en soient d'accord. Une discussion a eu lieu sur
la formulation de cette condition. Il a été convenu que le verbe employé dans
le texte anglais de l'accord serait
to monitor
.
Cela veut dire que les Etats européens ne pourraient employer leurs forces
intégrées dans l'OTAN que si les Etats-Unis en sont d'accord, quand ils le
seront et à leurs conditions.
Alors, allons-nous faire un pas de plus dans le système atlantique intégré ou
allons-nous nous en tenir à ce que nous présentons comme un petit pas, mais les
Américains, Britanniques et autres estiment que nous y sommes entrés
complètement ? Ou bien allons-nous faire marche arrière, ce qui serait la
conclusion logique des propos de M. Barnier ? Tout à l'heure, votre propos a
été à cet égard plutôt elliptique, monsieur le ministre.
De toute façon, il est illusoire de penser que les Américains céderont sur
quoi que ce soit. Leur hégémonie, la logique de leur puissance leur commandent,
et ils l'ont affirmé sans vergogne, de tenir toutes les parties du monde sans
que s'implante nulle part aucun pouvoir régional en dehors du leur. C'est vrai
en Europe, avec leur volonté d'installer une nouvelle frontière militaire aux
limites de la Russie. C'est vrai au Moyen-Orient, où ils ont diabolisé Saddam
Hussein - je reconnais qu'il n'est pas un ange - pour garder sous leur aile
protectrice les pays voisins prétendument menacés. Et on les voit braquer
maintenant le projecteur sur l'Afrique comme si nos liens spéciaux avec tant
d'Etats de ce continent les indisposaient ; je n'invente rien, ils l'ont dit,
et le ministre délégué à la coopération a eu raison, de mon point de vue, de
répliquer.
Je sais bien qu'on n'a pas bonne conscience à s'opposer à ce grand allié
auquel on doit tant, mais rappelons-nous Fichte au pire moment de l'histoire de
la Prusse, après Iéna : « On se pose en s'opposant ».
Reste un dernier dossier, plus préoccupant encore. Je ne parle pas de la
monnaie unique, dont on peut considérer qu'elle n'est pas, d'abord, une affaire
de politique étrangère. Mais je veux évoquer ses suites que nous venons de
découvrir : le pacte de stabilité, qui est, comme je vais le démontrer je
l'espère, indirectement mais gravement un problème de politique étrangère.
Comment ? Nous irions nous mettre sous la tutelle de la Banque centrale
européenne, par avance et de notre plein gré ? Nous acceptons, si nous ne
sommes pas de bons élèves, si nous ne sommes pas des comptables tatillons, de
nous faire rappeler à l'ordre, tancer, morigéner, mettre à l'amende ! Cela veut
dire, mes chers collègues, que nous renonçons à être maîtres de notre
budget.
M. Michel Caldaguès.
Très juste !
M. Yves Guéna.
Je parie d'avance : quel est le fascicule budgétaire qu'on nous forcera à
réduire en premier lieu ? Celui de la défense, bien entendu, atteinte indirecte
à notre politique étrangère car, vous le savez mieux que personne, il n'est
point de diplomatie sans canons :
Ultima ratio regum.
Mme Paulette Brisepierre.
Bravo !
M. Yves Guéna.
Est-ce acceptable ?
Monsieur le ministre, la France a mille ans, peut-être plus.
(M. le ministre sourit.)
Je vois que vous souriez et que le qualificatif
que je vais m'attribuer tout à l'heure, vous l'utilisez déjà. Peu importe !
En tout cas, depuis les premiers Capétiens, la France est identifiée : c'est
une personne, « la madone aux fresques des murs ». Elle a connu des périodes
superbes et d'autres tragiques, mais elle a toujours existé dans sa
souveraineté et son indépendance. Elle n'a jamais accepté de fléchir le genou
devant une puissance extérieure, ni le pape, ni l'empereur. Durant un quart de
siècle, nous sommes passés comme un ouragan sur l'Europe, y laissant notre
empreinte et nos lois. Et c'en serait fini ? On nous mettrait au piquet avec le
bonnet d'âne ? Et qui donc le ferait ? Les gnomes de Düsseldorf ou de
Francfort, je ne sais plus, peu importe, comme si la vie d'une nation et d'un
peuple était faite de pourcentages et de courbes, et non d'orgueil, d'ambitions
et de passions ?
Je ne pense pas que tenir ce langage ce serait, ainsi que le soutient un
commissaire européen, se conduire comme un dinosaure.
Mais sur l'essentiel, nous sommes d'accord avec le Président de la République.
La France ne saurait se dissoudre, s'abîmer dans une Europe sans visage et sans
âme. Elle doit avoir pour ambition d'être le levain dans la pâte. Déjà des
points ont été marqués ; il faut poursuivre.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Penne.
M. Guy Penne.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, quelles
sont les grandes orientations de la politique extérieure de la France ? Nous
avons du mal à en discerner les lignes directrices. On y voit beaucoup
d'agitation avec peu de résultats.
Il existe une certaine confusion, au plus haut niveau de l'Etat, entre
diplomatie et affaires de commerce extérieur. Il semble que le dogme du
Gouvernement est que le rayonnement d'une nation se mesure, parfois
exclusivement, à la présence économique. C'est une fausse bonne idée qui ne
rend pas compte de la place et des ambitions de la nation française dans le
monde. La baisse des crédits affectés au ministère de la coopération en est un
témoignage supplémentaire.
La politique extérieure de la France se caractérise donc en ce moment par la
confusion, l'ambiguïté, l'improvisation.
Confusion : la politique européenne et l'élargissement de l'Union.
Ambiguïté : l'attitude face à l'OTAN et à la question de l'identité européenne
de défense.
Improvisation : la politique à l'égard de l'Algérie et de la rive sud de la
Méditerranée ; la reprise des essais nucléaires - il a fallu attendre une année
pour que les Français expatriés, particulièrement en Australie et en
Nouvelle-Zélande, n'aient plus à en subir les conséquences redoutables ; enfin,
l'accrochage récent avec nos amis italiens.
S'ajoute à tout cela la diminution constante des moyens budgétaires.
Mon intervention portera sur trois points : l'Europe, le Proche-Orient, le
budget.
Les conditions dans lesquelles se préparent les prochains rendez-vous
européens et celui de la monnaie unique me paraissent fort préoccupantes, pour
les intérêts de la France, comme pour une certaine conception de l'Europe.
Je fais les constats qui s'imposent.
Premièrement, le projet d'union monétaire, une monnaie européenne incomplète,
qui semble exclure l'Italie et l'Espagne, géographiquement et culturellement,
n'exprime donc pas vraiment la vision française d'un certain équilibre de
l'Europe.
Deuxièmement, le pacte de stabilité, dont le contenu n'est pas en tous points
scandaleux et sur le caractère contraignant duquel on discute, porte une
empreinte qui n'est pas la nôtre.
On ne comprend d'ailleurs pas comment des ministres des finances ont pu
renégocié un traité ; il s'agit là d'une décision essentielle qui a largement
dépassé le mandat du traité sur l'Union européenne.
En effet, le conseil Ecofin du 21 septembre dernier, de façon non
démocratique, à fixé des critères nouveaux de passage à la monnaie unique ; on
a ainsi subrepticement glissé vers les sanctions que souhaitaient les Allemands
sans obtenir, me semble-t-il, aucune contrepartie politique.
Il s'agit bien de la stabilité budgétaire, mais celle-ci devra s'accompagner
du développement de la croissance, sinon il n'y aura pas de stabilité
budgétaire sans récession. Ce pacte de stabilité devrait utilement faire place
à un pacte de solidarité et de croissance.
Troisièmement, l'euro sera un élément positif pour la France, d'une part en
nous rendant moins dépendants du mark, pour l'Europe, d'autre part en nous
affirmant face au dollar, mais à la condition, bien sûr, qu'on ne surévalue pas
l'euro par rapport au dollar. La formule « un euro pour un dollar » lancée par
Laurent Fabius me paraît être une bonne approche.
Quatrièmement, fait défaut un gouvernement économique, qui pourrait constituer
le contrepoids nécessaire à la création d'une banque européenne. On a parlé
d'un futur « comité informel de stabilité ». Finalement, il n'a pas été retenu.
De toute façon, croit-on vraiment qu'un comité informel de stabilité pourrait
faire le poids face à un gouverneur de Banque centrale européenne, qui ne sera
pas du tout informel, lui ?
Cinquièmement, aucune réforme en profondeur des institutions ne figure dans
les projets de la CIG. Quelle proposition française y a-t-il sur la table de la
CIG ? Rien, si ce n'est cette histoire de troisième chambre pour contrer le
Parlement européen.
Vous avez déclaré, monsieur le ministre, que vous vouliez militer en faveur de
la désignation éventuelle d'un envoyé spécial de l'Union européenne au
Proche-Orient, en soulignant que la France n'était pas minoritaire en
Europe.
Il semble que seules l'Italie et la France étaient d'accord au départ pour
désigner un tel envoyé spécial et vous n'avez pas réussi à obtenir l'accord de
la Grande-Bretagne et de l'Allemagne. Le vice-président de la Commission
européenne M. Leon Brittan a, dès la semaine dernière, rejeté toute idée de
participation de l'Union européenne au processus de paix au Proche-Orient dans
l'immédiat.
Pourriez-vous, monsieur le ministre, nous éclairer sur le mandat de
l'ambassadeur d'Espagne en Israël, qui, finalement, est investi du rôle de
coordinateur des Etats membres de l'Union européenne dans la région.
Le Gouvernement se doit de faire très vite des propositions sur l'intégration
politique nécessaire, sur l'extension du vote à la majorité, sur
l'approfondissement du contrôle démocratique par le Parlement européen sur les
institutions européennes et par les parlements nationaux sur les gouvernements
nationaux.
Sixièmement, l'accélération improvisée et aventureuse d'un élargissement bâclé
- je pense en particulier au discours du Président de la République sur
l'entrée de la Pologne avant l'an 2000 - après une CIG insuffisante sonnerait
le glas d'une Europe puissante et généreuse telle que nous la voulons. M.
Barnier lui-même le reconnaissait en disant qu'« un élargissement s'effectuant
dans le cadre des institutions actuelles serait un marché de dupes ! »
En effet, l'élargissement futur de l'Union doit être un enrichissement et non
un affaiblissement. La décision politique d'ouvrir l'Union aux six pays
d'Europe centrale et orientale et aux trois Etats baltes est prise. Les
socialistes ne peuvent que s'en réjouir. Mais ils veulent que cet élargissement
soit une réussite et un enrichissement mutuel. Il n'est donc pas question
d'affaiblir à cette occasion la construction européenne ou de la faire
régresser à une simple zone de libre-échange en liquidant au passage les
politiques communautaires comme la PAC ou les fonds structurels. Pour cela, il
faut une CIG solide et positive, et nous craignons qu'elle ne le soit pas.
Septièmement, il faut noter la réduction des ressources du budget
communautaire ; je pense à l'agriculture, aux fonds structurels.
Le budget de l'Europe marque donc le pas. Les adversaires de l'Europe se
réjouissent d'une évolution qu'ils interprètent ainsi : moins d'argent pour
l'Europe, ce sera moins d'Europe ! Nous considérons, pour notre part, qu'un
budget mieux maîtrisé, un contrôle plus rigoureux des crédits rendent l'Europe
plus crédible ! Certes, au moment même où la plupart des Etats membres se sont
engagés dans la réduction de leurs dépenses publiques, un accroissement du
budget ne serait pas compris. Mais un consensus fort sur une initiative
européenne de croissance nous aurait permis d'aborder autrement la question.
Hélas ! la France et l'Allemagne ont refermé le programme de grands travaux
transeuropéens d'infrastructures qui figurait à la meilleure place dans le
livre blanc de la commission Delors parmi les moyens à mettre en oeuvre pour
renforcer la compétitivité des entreprises communautaires et pour favoriser
l'emploi.
Les quatorze grands travaux européens définis par les chefs d'Etat et de
Gouvernement lors du sommet d'Essen, qui auraient dû commencer avant la fin de
1996, ne sont plus une priorité pour notre gouvernement. L'augmentation de un
milliard d'écus des perspectives financières, indispensable au bouclage
financier de ces projets, a été refusée, enterrant pour longtemps, je crois,
ces grands travaux.
Le projet de TGV Est, par exemple, si nécessaire à l'amélioration de la
desserte de la capitale européenne de Strasbourg et au maintien dans cette
ville du siège du Parlement européen, auquel la France est à juste titre très
attachée, est reporté, à la suite d'une cacophonie gouvernementale, notamment à
propos de la conception technique, à une date ultérieure inconnue.
Si j'ajoute à cela la réintégration progressive de la France dans l'OTAN, au
mépris d'une approche européenne - et qui fait que nos partenaires de l'Union
européenne considèrent aujourd'hui que tout est réglé et que le débat sur la
PESC n'a plus de contenu - c'est bien une série d'évolutions très négatives
qu'il me faut enregistrer.
Ce ne sont pas nos conceptions qui s'imposent en Europe, c'est la vision des
autres qui s'impose à nous.
Je vois mal en quoi cette conception de l'Europe s'inspire de la vision
historique, non pas seulement des socialistes, mais de la France. Une Europe
élargie à vingt-cinq ou à trente, simple zone de libre-échange, réduite à la
seule protection américaine et à un mark européanisé, même Mme Thatcher
n'aurait pas osé en rêver !
Vous engagez le pays dans une direction qui, je le crois, n'est pas la bonne.
Et si une fausse réforme nous est proposée, il faudra, avoir le courage de
refuser le nouveau traité. Mieux vaudrait encore la crise plutôt que
l'enlisement pour toujours de la construction européenne !
Nous pourrions, me semble-t-il, trouver une majorité chez nos partenaires
européens pour approuver un corps de propositions en six points :
l'introduction d'un chapitre « emploi » dans le traité, articulé avec un
gouvernement économique ; l'élaboration d'une proposition sur les services
publics qui aille au-delà du simple ajout au traité de Maastricht suggéré par
la France ; l'abandon de l'
opting out
et la réintroduction du protocole
social dans le corps du traité ; l'extension du vote à la majorité ; le
renforcement des institutions communes en vue d'un meilleur contrôle
démocratique et d'une efficacité accrue ; la définitiion d'une vraie politique
étrangère et de sécurité commune.
Sur tous ces points je souhaiterais, messieurs les ministres, que vous nous
éclairiez.
En ce qui concerne le Proche-Orient, il est évident que le rôle politique des
Européens au sein du processus de paix enclenché à Oslo entre Israël et l'OLP
est loin d'être proportionnel à l'ampleur du soutien financier qu'ils accordent
à l'effort de stabilisation dans la région. L'Union européenne fournit en effet
les trois quarts de l'aide internationale aux Palestiniens.
Elle a signé, il y a un an, un accord d'association très ambitieux avec
Israël. Cet accord n'a pas encore été ratifié du côté européen. On ne peut pas
ignorer le rôle politique de l'Europe dans cette région. C'est justement
pourquoi il fallait oeuvrer de concert avec nos partenaires de l'Union, en
évitant de donner l'impression de faire cavalier seul.
Bien entendu, il faut compter avec la volonté excessive et déterminée des
Etats-Unis de régenter les affaires du monde à partir d'une impériale solitude.
La France doit-elle s'accommoder du rôle qu'on veut bien prêter à l'Europe,
celui d'assurer le service après vente ? Manifestement non !
Toutefois, tout le monde le savait, le gouvernement allemand, en particulier
M. Klaus Kinkel, ministre des affaires étrangères, était très réticent quant au
« coparrainage » du processus de paix au Proche-Orient. M. Kinkel expliquait au
début du mois d'octobre que, « politiquement, les Américains jouent le rôle
décisif dans le processus de paix ».
ll est de tradition que l'Allemagne s'interdise de prendre position chaque
fois qu'Israël se trouve concerné et, depuis de nombreuses années, la
Grande-Bretagne s'ingénie à ne jamais contrarier les Etats-Unis.
En France, le voyage du Président de la République, peut donner lieu à un
large accord sur les objectifs de fond : relancer le processus de paix, assurer
une place pour l'Union européenne, conforter la France dans le jeu
proche-oriental.
J'émettrai cependant des réserves. S'agissant de la préparation du voyage,
notamment, la chronolgie des étapes me semble discutable. On souhaite être
médiateur, mais on risque d'apparaître comme étant trop engagé d'un seul côté.
En outre, les désaccords européens ont été sous-estimés : le consensus, il
fallait le rechercher et l'obtenir avant le voyage.
Cette épopée diplomatique mérite néanmoins d'être saluée pour ce qu'elle est.
La France essaie de rester active dans cette partie du monde, que les
Etats-Unis ont tendance à considérer comme leur chasse gardée. La France
voudrait devenir l'interprète du monde arabe auprès de l'Union européenne. La
France souhaite que l'Europe ne soit pas qu'un tiroir-caisse.
Toutefois cette politique, telle qu'elle est menée, comporte aussi des
risques. La France pourrait être durablement récusée par Israël, donner le
sentiment d'être partiale, d'être l'avocate des seules puissances arabes.
Espérons simplement que, dans quelques mois, nous n'aurons pas à dire : «
Beaucoup de bruit pour rien ».
Je voudrais, à ce sujet, rappeler la position du président François Mitterrand
telle qu'il l'a exprimée devant la Knesset, en 1982 : « Le dialogue suppose que
chaque partie peut aller au bout de son droit, ce qui, pour les Palestiniens,
peut, le moment venu, signifier un Etat... »
La France a fait apparaître les divisions de l'Europe au grand jour. Ce voyage
a servi à démontrer qu'il n'y avait pas de politique européenne au
Proche-Orient ; était-ce bien nécessaire d'en faire la démonstration sur place
?
Concernant le budget, peut-on parler de réussite ? Certes non ! Je suis
convaincu que la France mérite mieux.
Les titres III - moyens des services - et V - investissements - sont en baisse
sensible. Les titres IV - interventions publiques - et VI - subventions
d'investissements - sont en chute libre.
Globalement, et compte tenu des missions imparties à votre département,
monsieur le ministre, vous venez de dépasser l'extrême limite des efforts de
rigueur. Le Quai d'Orsay ne peut fournir davantage d'efforts sans dommages
graves pour notre action politique extérieure.
Déjà l'année dernière, nous tirions le signal d'alarme. Des membres de votre
majorité partageaient alors nos inquiétudes. Et pourtant, la situation s'est
aggravée ! Le « tour de vis » sur le budget de 1997 met votre département dans
le rouge. Les syndicats de votre ministère ont donné l'alerte l'année dernière.
Ils risquent, cette année, de sonner le tocsin.
La portion congrue que représente votre budget vous impose de recruter de plus
en plus de personnels vacataires, auxquels vous n'offrez aucune formation,
aucune reconnaissance sociale, et qui désespèrent d'obtenir un statut qui
ferait cesser l'état de précarité dans lequel ils se trouvent.
Le Président de la République a exprimé devant la conférence des ambassadeurs
sa volonté de développer « une politique étrangère ambitieuse et cohérente ».
Force est de constater que le Gouvernement ne se donne pas les moyens
budgétaires de concrétiser cette volonté.
Il faut bien lire entre les lignes budgétaires : les crédits pour les
établissements culturels, alliances françaises et bureaux de coopération
linguistique et éducative augmentent de 39 millions de francs. Mais, dans la
même partie, les crédits destinés aux affaires francophones enregistrent une
baisse de 2,7 millions de francs, ceux de la coopération éducative et
linguistique une baisse de 56,8 millions de francs, ceux qui sont dévolus aux
établissements de recherche et aux échanges scientifiques et technologiques une
baisse de 9 millions de francs.
Triste image d'une France frileuse, qui se referme sur elle-même, qui n'a plus
la volonté d'attirer les élites des pays étrangers !
Dans le titre IV, la ligne budgétaire « diffusion et coopération scientifique
et technique » perd 131,9 millions de francs.
L'assistance aux Français à l'étranger est tout juste maintenue. Notons
toutefois une légère augmentation - de un million de francs - des crédits pour
l'emploi et la formation professionnelle des Français à l'étranger. Il reste
que, chaque année, les besoins sont en augmentation.
Le budget de M. Godfrain n'est pas bon non plus et oblige le ministre délégué
à supprimer de nombreux emplois de coopérant dans des postes qui étaient déjà
au niveau le plus bas. Or il me semble que l'envoi de coopérants de haut niveau
peut favoriser le développement de l'état de droit.
Un bon point peut être décerné en ce qui concerne les échanges et la
coopération dans le domaine audiovisuel, dont les crédits augmentent de 64
millions de francs. Toutefois, nous aimerions avoir des précisions sur
l'utilisation de ces crédits.
La France, en réduisant encore les sommes destinées à ses contributions
bénévoles et à son action internationale se met dans une situation peu
compatible avec son statut de membre permanent du Conseil de sécurité.
Je voudrais maintenant formuler quelques questions.
La tournée agressive de M. Warren Christopher en Afrique contre le
renouvellement du mandat du secrétaire général de l'ONU, M. Boutros
Boutros-Ghali, et ses déclarations sur la force interafricaine « à l'américaine
» contrarient les projets français énoncés lors de la conférence de
Biarritz.
Sur ces deux sujets, jusqu'où veut et peut aller le Gouvernement français ?
L'aide publique au développement chute encore. La fracture sociale entre le
Nord et le Sud continue pourtant de se creuser, et vous pourrez en percevoir
quelques échos, messieurs les ministres, lors de la prochaine conférence
franco-africaine.
Dans le domaine de la rationalisation des services extérieurs de l'Etat, vous
souhaitez le regroupement, en trois ans, des fonctions d'ambassadeur et de chef
de mission de coopération et d'action culturelle dans cinq postes. Nous savons
que les postes de Sainte-Lucie, du Cap-Vert et de la Guinée-Bissau sont
programmés. Quels autres postes seront concernés par le nouveau dispositif ?
Vous envisagez la fermeture de l'ambassade de Freetown. Quelles seront les
modalités d'attribution des responsabilités à Conakry - car je présume qu'il
s'agira de Conakry - et quels moyens seront transférés ? Par exemple, la Caisse
française de développement, qui intervient en Guinée, pourra-t-elle intervenir
en Sierra Leone ?
Les restrictions budgétaires sont-elles compatibles avec le maintien d'un
réseau diplomatique et consulaire qui est le plus important du monde ?
Qu'adviendra-t-il si ce réseau est insuffisamment doté en ressources humaines
?
Il me semble qu'il faut songer à préserver, pour la défense des Français
expatriés et pour le rayonnement de la France, nos consulats, nos postes
d'expansion économique et nos écoles.
Le ministère des affaires étrangères et le ministère de la coopération
devraient se tourner vers d'autres ministères plus riches, afin de pallier
leurs propres difficultés ; c'est une suggestion. En ce qui concerne l'Agence
pour l'enseignement français à l'étranger, par exemple, nous avons suggéré que
l'éducation nationale soit sollicitée non seulement pour les contrôles
pédagogiques mais aussi pour une contribution financière.
Afin de remédier aux difficultés que rencontrent dans leur fonctionnement les
consulats, peut-être conviendrait-il que des fonctionnaires du ministère de
l'intérieur ou du ministère de la justice fassent leur mobilité à l'étranger.
Les agents de la direction centrale du contrôle de l'immigration et de la lutte
contre l'emploi des clandestins, tout comme ceux qui sont chargés de
l'immigration dans les préfectures, comprendraient mieux les difficultés
rencontrées à l'étranger par les personnes qui sollicitent des visas, demandent
des documents d'état civil ou souhaitent obtenir un certificat de
nationalité.
Pour conclure, je poserai une question qui intéresse surtout les sénateurs
représentant les Français établis hors de France : quelles dispositions
comptez-vous prendre, monsieur le ministre, en ce qui concerne les prochaines
élections des délégués au Conseil supérieur des Français de l'étranger,
notamment en Algérie ? Pensez-vous proroger le mandat des actuels délégués, ou
comptez-vous proposer une autre solution, par exemple le vote par
correspondance ? En tout cas, une décision est nécessaire et, à mon sens, elle
devra faire l'objet d'une loi.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
(M. Yves Guéna remplace M. Jean Delaneau au fauteuil de la présidence.)
présidence de m. yves guéna
vice-président
M. le président.
La parole est à Mme Bidard-Reydet.
Mme Danielle Bidard-Reydet.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous
vivons depuis quelques années de gigantesques mutations. D'un monde bipolaire,
où deux grandes puissances, dans un équilibre fragile, cherchaient à se
neutraliser, nous sommes passés à un monde unipolaire, instable, où se
développe un système de guerre économique sans merci, où la principale
puissance capitaliste veut imposer son hégémonie en s'appuyant sur ses
transnationales économico-financières.
Ce qui s'installe, c'est un monde dur, fondé sur la course sans fin à le
rentabilité financière, sur la mise en concurrence des peuples entre eux, sur
les ajustements structurels imposés par le plus fort. Voilà le contenu de ce
que la pensée unique appelle « mondialisation ».
Ce monde est malade des injustices et des inégalités qu'il engendre.
Ce monde, nous voulons le changer.
En affirmant clairement que nous souhaitons défendre le respect de la
souveraineté des nations et de l'égalité entre elles, favoriser la réduction
des déséquilibres et des fractures économico-sociales par une véritable
politique de développement, promouvoir la multiplication des coopérations dans
la complémentarité et la solidarité, nous rejoignons les humanistes qui veulent
construire un monde plus juste et plus humain.
Nous retrouverons aussi tous ceux qui pensent que des négociations menées avec
des règles équitables et égales pour tous sont bien supérieures aux
affrontements armés lorsqu'il s'agit de garantir durablement des espaces de
sécurité et de paix.
C'est en fonction du respect de ces principes que nous apprécions et
apprécierons positivement ou négativement les actions menées par le
Gouvernement en matière de politique étrangère.
Pour illustrer mon propos, dans le temps qui m'est imparti, je me limiterai à
trois dossiers : le Proche-Orient et, plus particulièrement, le conflit
israélo-palestinien, les rapports Nord-Sud, envisagés à travers la situation de
l'Afrique et, enfin, la construction européenne telle qu'elle est menée
aujourd'hui.
Depuis l'élection de M. Netanyahou, la tension grandit de nouveau entre
Palestiniens et Israéliens.
Après l'assassinat d'Yitzhak Rabin, il avait déjà fallu toute l'intelligence
des hommes de paix israéliens et palestiniens pour dépasser ce drame et
maintenir le processus de paix.
Le nouveau Premier ministre israélien s'écarte de ce chemin. Il refuse
l'application des accords signés à Oslo, puis à Washington, favorise le
développement de nouvelles colonies, renforce le bouclage militaire des zones
palestiniennes et multiplie les provocations.
Afin de mieux apprécier la situation, les parlementaires communistes ont
envoyé dans la région, à la mi-octobre, une délégation dont je faisais partie,
avec mes amis Georges Hage, député, et Francis Wurtz, député européen.
A Jérusalem, à Ramallah, à Gaza, nous avons rencontré les représentants des
forces de gauche. Nous avons écouté les positions d'un député du Likoud. Nous
avons été reçus par M. Arafat.
Partout, nous avons ressenti la même angoisse, la même peur devant les risques
de confrontation militaire. Nous avons pu constater la même aspiration profonde
à vivre dans la sécurité chez les Israéliens et chez les Palestiniens. D'où
l'importance de l'objectif : deux peuples, deux Etats.
Pour faire contrepoids à l'attitude dangereuse de M. Netanyahou, soutenue par
les Etats-Unis, la plupart de nos interlocuteurs ont souhaité une pression
internationale de l'Europe et de la France, ainsi qu'une aide économique pour
les populations étranglées par le blocus.
Nous avons compris cet appel à l'aide.
Nous apprécions positivement le récent voyage du Président de la République et
les déclarations qu'il a faites à cette occasion, tout comme la mission d'un «
Monsieur Proche-Orient » européen qui consistera à établir et à maintenir les
contacts entre Palestiniens et Israéliens pour mettre en oeuvre les accords
déjà signés.
La France a donc réussi à convaincre ceux qui, en Europe, résistaient à cette
demande palestinienne, laissant ainsi le devenir de la paix au bon vouloir des
décisions du Président des Etats-Unis en pleine période électorale.
Ces faits illustrent bien le rôle et la place originale de la France quand
elle ne renonce pas à être elle-même et qu'elle pèse de tout son poids
historique, politique et économique pour un règlement juste et équilibré des
conflits.
Le second point que je souhaite aborder est celui des rapports Nord-Sud, et
plus particulièrement le cas africain. Les rapports Nord-Sud sont de plus en
plus dominés par la prégnance des marchés financiers.
Des institutions, comme la Banque mondiale ou le Fonds monétaire
international, sont des relais pour la mise en oeuvre de plans d'austérité qui
affaiblissent les pays du tiers-monde. Désormais - cela commence à être su - ce
sont les pays du Sud qui financent ceux du Nord.
Les transferts financiers se font du Sud vers le Nord pour un peu plus de 20
milliards de dollars par an depuis 1983, alors que c'était l'inverse dans la
décennie précédente. Dans le projet de loi de finances pour 1997, les comptes
spéciaux du Trésor font apparaître que notre pays devrait enregistrer 1,6
milliard de francs de recettes contre 1 milliard de francs de dépenses.
Enfin, comment ignorer les conséquences dramatiques de la dévaluation du franc
CFA pour les peuples africains ?
La misère avive les fractures et développe les nationalismes souvent
belliqueux et guerriers. Elle est un terreau de choix pour les intégrismes,
parfois soutenus pour servir les intérêts des grandes puissances économiques.
Je pense, bien sûr, en ce moment à la situation tragique des populations du
Zaïre et du Rwanda.
La France pourrait prendre des initiatives et montrer le chemin, notamment en
Afrique envers laquelle elle a une responsabilité particulière.
Tout d'abord, arrêtons le véritable pillage que constitue la dette. Les
créances détenues par la France s'élèvent à quelque 200 milliards de francs,
soit un budget militaire.
Cette question de la dette des pays du Sud est fondamentale, car c'est une
charge qui plombe toute initiative de développement et place ces pays en
situation de dominés. Un rapport de l'ONU notait d'ailleurs que « l'Afrique
dépense quatre fois plus pour le service de sa dette que pour ses services de
santé ». Voilà la réalité !
C'est pourquoi il est urgent que la France s'engage pour obtenir des pays
créanciers l'abrogation de tout ou partie de la dette. Elle pourrait également
annoncer qu'elle renonce à la sienne.
Il faut, ensuite, réparer les dégâts, c'est-à-dire participer au développement
et au financement des infrastructures nécessaires, notamment pour les travaux
d'irrigation. Ce sont des moyens de développement dont ont besoin tous les
peuples du Sud.
Cette question du développement est indissociable du problème de
l'immigration. L'immigration « zéro », il faut le dire, est un leurre dans la
situation déséquilibrée que l'on connaît.
Le célèbre économiste Malthus expliquait : « La force d'inertie qui enchaîne
l'homme et les liens d'affection qui l'attachent à son foyer sont si forts et
si puissants, qu'on peut être certain qu'il ne songera à migrer que s'il y est
contraint par des mécontentements politiques ou l'extrême pauvreté. »
Enfin, nous pourrions agir pour parvenir à de véritables coopérations
mutuellement avantageuses permettant aux Africains d'assurer, en utilisant
leurs matières premières, leur propre développement.
Ce développement renforcerait la sécurité du monde entier. Le codéveloppement
est, bien entendu, un partage des connaissances, du coût des recherches, et le
transfert de nouvelles technologies. Cela passe d'abord par des moyens
favorisant l'autosuffisance alimentaire.
L'ONU estime à 200 milliards de francs par an le montant des dépenses
nécessaires pour atteindre, d'ici à 2005, les objectifs essentiels du
développement humain.
La taxe sur les mouvements de capitaux proposée par le prix Nobel américain
d'économie, James Tobin, soit 0,5 %, rapporterait chaque année trente-sept fois
plus que les fonds requis par les Nations Unies en faveur du développement.
Enfin, le Gouvernement français vient de décider, en pleine crise d'austérité,
de mobiliser dans les années à venir, pour les seuls travaux de recherche sur
un nouveau missile nucléaire, le M51, 30 milliards de francs.
Le financement du développement ne représente certes pas un effort
négligeable, mais il est à coup sûr supportable, si la volonté politique existe
de prendre à bras-le-corps et à temps un problème aussi crucial à notre
époque.
Les organismes internationaux, tels que l'UNICEF, l'UNESCO et la CNUCED,
doivent également jouer un rôle accru, et nous déplorons que la France ait
décidé de réduire ses contributions volontaires. Celles-ci passent en effet de
405 millions de francs à 345 millions de francs, soit une diminution de 16 % en
francs constants. Nous souhaitons, par ailleurs, voir l'ONU jouer un rôle
accru, et ce en toute indépendance.
Quant à l'Europe, soyons clairs, si nous sommes favorables à une construction
européenne respectueuse des besoins des hommes, nous sommes, en revanche,
hostiles à celle qui se prépare, avec la monnaie unique et les discussions de
Dublin.
L'existence du pacte de stabilité renforce les critères de convergence, qui
deviennent encore plus contraignants puisque des principes de sanctions
financières sont évoqués pour les pays qui ne pourraient remplir les conditions
imposées.
La Banque centrale européenne a d'ailleurs été conçue indépendante afin
d'accroître sa puissance et de réduire la souveraineté nationale. Elle place
les parlements nationaux en position de subordination.
Quant à la monnaie unique, ne nous cachons pas la vérité ; elle risque d'être
alignée sur le mark allemand et favoriser économiquement notre voisin. La
présenter comme un contrepoids au dollar américain me paraît illusoire, car la
puissance de feu de celui-ci est gigantesque et l'agressivité des
multinationales américaines sans limite.
Nous voulons modifier la donne et permettre à l'Europe et aux nations qui la
composent de s'extraire de la guerre économique.
C'est pourquoi nous estimons que la monnaie unique n'est pas une bonne
réponse. M. Tietmeyer, président de la Bundesbank, l'explique franchement, à sa
façon : « Les faux arguments et les illusions ne servent pas l'Union monétaire
européenne... L'Union monétaire ne met pas un terme aux changements du cours
des monnaies en Europe et sûrement pas au plan international. Elle ne peut pas
être directement créatrice d'emplois puisqu'elle aiguise la concurrence entre
chefs d'entreprise et lieux de production européens ».
Oui, la construction européenne telle qu'elle est conçue est un élément actif
de la mondialisation financière, du cancer financier. Elle s'oppose à la
création d'emplois et de richesses ainsi qu'à des coopérations mutuellement
avantageuses tant à l'intérieur de ses frontières qu'en direction du Sud et de
l'Est.
C'est pourquoi, au nom des sénateurs du groupe communiste républicain et
citoyen, je réaffirme notre exigence de voir consulter notre pays sur cette
nouvelle échéance de la monnaie unique.
Quant à la position de La France sur son retour au sein de l'OTAN et à la
réforme de cet organisme pour se dégager des Etats-Unis, il s'agit là d'une
grande illusion. Washington n'acceptera pas de partager « sa chose » ni de
mettre sa logistique au service d'une Europe réellement autonome.
Chacun s'accorde à reconnaître l'importance des enjeux de civilisation dans ce
monde déstabilisé, porteur de contradictions pouvant déboucher sur des poussées
de nationalisme, d'intégrismes divers et de tragiques conflits armés.
Cette situation, quelles que soient nos différences politiques, n'est plus
vivable. Les communistes veulent travailler, avec d'autres, à l'instauration
d'un nouvel ordre international juste et démocratique. Mais ce véritable
nouveau monde reste à construire.
Il implique l'indépendance et la souveraineté des Etats caractérisées par la
non-ingérence dans leurs domaines économique, politique et social. Il implique
également le respect de la dignité des peuples dans leur difficile marche vers
une plus grande humanité. Il s'agit d'une autre conception de la mondialisation
et des rapports internationaux.
Tel est le sens de notre engagement. Mais nous sommes lucides. L'enjeu est
considérable. Nous mesurons la lourdeur de la tâche à accomplir. Plus nous
serons nombreux à emprunter ce chemin, ne fût-ce qu'un moment, plus vite nous
progresserons. Nous le ferons avec la volonté de soutenir toutes les actions
allant en ce sens mais nous combattrons tous les processus inverses.
Nous affirmons dans la clarté et l'honnêteté politique nos accords et nos
désaccords. C'est ce que, au nom de mon groupe, j'ai tenté de faire
aujourd'hui.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Vigouroux.
M. Robert-Paul Vigouroux.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, lors de
ce débat trois intervenants du groupe du RDSE s'exprimeront. Pour ma part,
j'aborderai la politique étrangère au Moyen-Orient et au Proche-Orient, qui
sont souvent confondus, mais que je continue à séparer, le second n'étant
qu'une partie du premier.
Le Moyen-Orient a des dimensions variables selon les spécialistes des
différents pays, ce qui tient sans doute aux éloignements relatifs et explique
des différences de jugements, d'objectifs et donc de politique.
Ainsi, de nombreux spécialistes des Etats-Unis englobent dans un
pseudo-continent de 538 millions d'habitants les pays du Maghreb. Pour
d'autres, l'Egypte, le Soudan, la Turquie et le Pakistan y figurent ou non, ce
qui, en ce dernier cas, réduit la population à 178 millions d'âmes.
De toute façon, le Moyen-Orient est une grande région du monde, des berges du
Nil à celles de l'Indus, où s'affronte souvent, depuis l'Antiquité et en dehors
des périodes de domination, une grande diversité de peuples avec une
répartition religieuse hétérogène qui joue un rôle important, sinon essentiel,
dans bien des pays et de véritables fossés entre les densités démographiques,
ainsi qu'entre les ressources économiques, qui tiennent, pour une part, aux
gisements pétroliers.
Le PNB par habitant varie, par exemple, de 23 350 dollars au Koweït à 520
dollars au Yémen, sans que les indicateurs de développement humain en suivent
les paramètres, Israël se plaçant au 21e rang mondial, le Koweït au 61e et le
Yémen au 137e.
Cela explique la diversité des approches en politique étrangère, d'autant que
bien des régimes locaux sont loin de partager notre vision de la démocratie et
que demeurent de nombreux conflits, patents ou larvés, entre les pays, ou à
l'intérieur de leurs frontières, comme actuellement en Afghanistan.
Dans sa complexité, le Moyen-Orient demeure un marché économique intéressant
pour la France, puisque 25,7 % de notre excédent commercial, qui s'élève à 52
milliards de francs, y est réalisé.
A la dénomination de Proche-Orient et à sa composition qui correspond au
croissant fertile, auquel s'ajoute cependant l'Irak, ne vaut-il pas mieux
substituer celle d' « Orient méditerranéen », en fonction de l'obligatoire
insertion de ces pays dans son bassin ?
N'est-ce pas celui que le Président de la République, M. Chirac, a défini dans
ses voeux devant le parlement jordanien le 24 octobre dernier, à savoir « un
Orient réconcilié » avec un « Etat palestinien riche et prospère, un Israël
accepté par tous et libéré du terrorisme, une Jordanie hachémite de démocratie
et de développement, une Syrie maîtresse de son territoire et en paix avec
l'ennemie d'hier, un Liban pleinement libre, souverain et dynamique, une Egypte
forte et sage, pionnière de la paix ».
Il est évident que le conflit israélo-arabe avec ses rebondissements, les
positionnements politiques des populations et leur intrication dans les
territoires, avec des espoirs devenus plus incertains de paix, obère le
développement de ces pays eux-mêmes et pose de difficiles problèmes
diplomatiques.
L'Europe, victime après la guerre mondiale de son ancien colonialisme, a dû
céder son influence après la nationalisation du canal de Suez en 1956 aux deux
grands blocs, les Etats-Unis et l'Union soviétique, qui s'affrontèrent là comme
ailleurs. Toutefois, l'Union européenne à Cannes et à Barcelone en 1995 a
révisé son approche du monde méditerranéen et, dans ce secteur oriental,
apporte son aide aux uns comme aux autres.
En effet, un accord d'association avec Israël signé par l'Union européenne en
juin 1995 devra être ratifié à l'échelon national pour prendre effet en janvier
prochain.
Israël bénéficiera d'un abaissement des droits de douane de l'Union européenne
sur un volume de 16 milliards de dollars d'échanges, de la possibilité de
participer à d'importants programmes de recherche et de développement et
surtout d'une entrée garantie dans la future zone de libre-échange
euro-méditerranéenne.
Par ailleurs, rappelons que l'Union européenne est le plus important bailleur
de fonds de l'autorité palestinienne. Avec ses 120 millions de dollars d'aide à
la Cisjordanie et à Gaza engagés en 1996, l'Europe joue un rôle que ne peut
négliger Israël en matière d'apaisement des problèmes sociaux et sécuritaires
dans les territoires.
Monsieur le ministre, j'en reviens au rôle que pourrait tenir l'Union
européenne dans le cadre d'une politique étrangère commune. Existante, elle
pourrait faciliter la recherche d'un processus de paix, non point en arbitre,
mais en conciliateur, en tenant compte des opinions et oppositions locales et
des si délicats problèmes humains et même religieux.
La très récente décision du 28 octobre par les quinze ministres des affaires
étrangères de l'Union européenne à Luxembourg de nommer un émissaire au
Proche-Orient avec mission de contribuer, autant que faire se peut, à la
relance du processus de paix, est un premier pas, en sachant qu'il n'y a de
bonne paix que celle qui dure.
Mais dans l'attente de cette politique européenne, la France doit poursuivre,
comme avant et maintenant, sa mission historique par sa diplomatie, sans
oublier sa défense de la francophonie, son maintien culturel et scientifique,
accompagnée du développement de son potentiel économique dans le Moyen-Orient,
dans le Proche-Orient et dans l'Orient méditerranéen.
M. le président.
La parole est à M. Peyrefitte.
M. Alain Peyrefitte.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la nation
française a-t-elle encore quelque chose à dire ? Ceux qui le pensent ne peuvent
que se féliciter, monsieur le ministre, de la politique étrangère que vous
conduisez, sous la haute autorité du Président de la République.
La preuve a été faite, depuis l'an dernier, en différents points névralgiques
de la planète où notre pays a pris une position énergique et claire, qu'il
pouvait substituer l'efficacité à l'impuissance et le dynamisme à l'inertie,
qu'il pouvait même refuser de s'en remettre purement et simplement à ce qu'on
pourrait appeler l'« hégémonie de velours » des Etats-Unis.
En donnant l'ordre à une unité française en Bosnie de reprendre le pont de
Verbania, le Président de la République a, en quelque sorte, rompu le maléfice
par lequel les forces de l'ONU s'étaient laissé anesthésier. Cette décision, et
elle seule, a changé l'âme des combats. Les Britanniques ont accepté, sous
cette impulsion, de constituer avec nous la Force de réaction rapide. La
situation s'est retournée aussitôt.
En proposant à nos partenaires européens de se retrouver à Bangkok pour offrir
un front uni face à l'Asie du Sud-Est, le Président de la République a montré à
ces nations émergentes que les Etats-Unis et le Japon ne disposaient pas dans
cette région d'un monopole.
En se rendant à deux reprises au Proche-Orient ; en affirmant le droit du
Liban à l'indépendance ; en disant aux Syriens qu'ils devraient évacuer le
Liban ; en disant aux Israéliens qu'ils devraient évacuer le plateau du Golan
et reconnaître les droits des Palestiniens ; en affirmant aux Palestiniens
qu'ils devraient respecter la sécurité d'Israël - le Président de la
République, auquel vous aviez fort utilement préparé les voies, a fait
progresser les idées-forces, à défaut desquelles il n'y aura pas de paix
durable au Proche-Orient. Ici, il y a un paradoxe que je voudrais essayer
d'éclairer.
Déjà, à la veille de la guerre du Golfe, le ministre des affaires étrangères
d'Irak se déclarait prêt à voir à tout instant votre prédécesseur, M. Roland
Dumas, mais il infligeait à la troïka hollando-italo-luxembourgeoise, qui
demandait à le rencontrer au nom de la Communauté européenne, le camouflet de
refuser de la recevoir.
Pourtant, votre prédécesseur ne représentait guère que cinquante millions de
Français, alors que la troïka représentent trois cents millions d'Européens.
Pourquoi ce paradoxe ?
Parce que la France, forte de nombreux siècles d'influence dans le monde,
compte plus, beaucoup plus, que si elle se confondait dans un magma, pour
n'être plus qu'une province parmi quinze, dans un super-Etat fédéral.
Ce que vous avez démontré avec éclat, c'est l'efficacité de l'indépendance,
dans la coopération avec nos partenaires européens, par opposition à l'Europe
des eurocrates, où la France cesserait d'exister en tant que telle et se
laisserait dissoudre dans la multilatéralité comme un morceau de sucre dans une
tasse de café.
Du reste, à quoi aurait servi d'accepter de dresser contre nous, pendant
quelques mois de l'an dernier, presque toute la communauté internationale, en
vue d'assurer la modernisation et la crédibilité de notre force de dissuasion
pour les trente ans à venir, si c'était ensuite pour renoncer à cette politique
d'indépendance ?
A quoi servirait de mener une politique de défense et une politique étrangère
indépendantes, si c'était pour perdre à tout jamais - j'y insiste -
l'indépendance de notre politique financière, budgétaire, fiscale, économique,
salariale, sans laquelle nous ne serions plus une nation indépendante, comme
vous l'avez démontré tout à l'heure, monsieur le président ?
Or autant nous nous réjouissons de constater la cohérence entre notre
politique étrangère et notre politique de défense, autant nous sommes fondés à
nous inquiéter d'une certaine incohérence entre, d'une part, ces deux
politiques et, d'autre part, les perspectives actuelles de l'application du
traité de Maastricht, à la veille de la création de la monnaie unique.
Que la question doive être posée, monsieur le ministre, je n'en veux pour
preuve que la prise de position pour le moins surprenante du président Giscard
d'Estaing, lui qui a été, avec le chancelier Helmut Schmidt, à l'origine du
projet d'Union monétaire, et qui a été le plus ardent défenseur en France de la
monnaie unique et du traité de Maastricht.
Voici ce qu'il écrivait il y a quinze jours : « Est-il bon pour la France
d'entrer dans un système monétaire durable, avec une économie languide, des
chefs d'entreprise démoralisés et démotivés par l'excès de charges, des risques
d'OPA internationales sur les fleurons de son industrie et un taux de chômage
tristement inamovible ? Cette entrée contribuera-t-elle à la guérir de ses
maux, ou à l'y enfoncer pour longtemps ? Cette question est centrale, vitale...
Je ne crois pas souhaitable pour notre pays d'entrer dans la grande aventure
monétaire européenne en état de faiblesse économique et sociale. »
Monsieur le ministre, vous n'êtes pas le ministre de l'économie et des
finances, vous êtes le chef de notre diplomatie. Bien que vous soyez lié par la
solidarité gouvernementale, je voudrais aborder devant vous l'aspect, non pas
économique et financier, mais international de ce dossier, en évitant de
répéter ce que vient de dire mon ami Yves Guéna.
M. Giscard d'Estaing pose une question à court terme, pour les dix-huit mois
qui viennent, puisque la décision définitive doit être prise au printemps 1998
: l'entrée dans l'Union monétaire.
Mais pour qui réfléchit à long terme - et la vie d'une nation, au milieu des
autres nations, appartient au long, au très long terme - la question qui doit
se poser est non pas seulement celle de l'entrée, mais également celle d'une
sortie éventuelle.
Un homme aussi expérimenté que M. Giscard d'Estaing, un an et demi avant la
date prévue pour la décision ultime - alors que tout indique que nous
satisferons bel et bien aux critères de Maastricht - s'aperçoit qu'il vaut
mieux reculer la date jusqu'à ce que nous ayons retrouvé la croissance et
enregistré une baisse significative du chômage.
A combien plus forte raison, à long terme ! Qui peut dire que nous ne nous
trouverons pas, dans cinq ans, ou dans dix ans, ou dans vingt ans, dans une
situation de crise plus grave encore que celle qui fait reculer aujourd'hui M.
Giscard d'Estaing, par exemple si nos entreprises se délocalisaient à qui mieux
mieux en Grande-Bretagne, comme certaines commencent déjà à le faire ?
N'éprouverions-nous pas alors le besoin urgent de nous débarrasser, fût-ce
provisoirement, de cette rigide camisole de force que serait la monnaie unique,
c'est-à-dire en fait une zone mark qui nous imposerait ses règles et où
Francfort déciderait à la place de Paris ?
N'est-il pas évident que nous devrions bénéficier d'une possibilité de sortir
du système si certaines de ses conséquences se révélaient à l'expérience
désastreuses ? N'est-il pas évident que nous devrions nous ménager une sorte
d'article 16, en cas de péril économique national ?
Nous ne pourrions plus mettre fin à une pareille hémorragie de nos forces
vives si nous avions préalablement détruit notre monnaie nationale à usage
interne, le franc, au profit de l'euro. Il faudrait plusieurs années, deux ou
trois ans au moins selon les experts, pour graver ou frapper à nouveau le
nombre de billets ou de pièces nécessaires au remplacement de l'euro, si l'euro
était la seule monnaie ayant cours chez nous.
Si l'euro se substitue aux monnaies nationales pour la circulation interne, le
piège se referme. Aucun pays ne peut plus se retirer du système, qui devient à
tout jamais irréversible. Si, au contraire, les monnaies nationales subsistent
pour la circulation interne, un droit de sécession reste ouvert ; la nation
consent non plus un abandon définitif de sa souveraineté, mais une délégation
révocable. Autrement dit, c'est le saut avec filet, au lieu du saut de la
mort.
Or le traité de Maastricht, en instituant une monnaie unique, n'avait
nullement disposé que celle-ci se substituerait aux monnaies nationales. Il
avait seulement disposé que ces monnaies nationales seraient liées entre elles
par un taux de change fixe, ce en quoi la monnaie unique diffère de la monnaie
commune. De même, le Luxembourg et la Belgique, l'Angleterre et l'Ecosse - mais
il y a beaucoup d'autres exemples - forment des unions monétaires, tout en
continuant chacun à battre monnaie, sous des espèces différentes.
C'est depuis la ratification de Maastricht que les experts - ou les gnomes de
Bruxelles, comme les a appelés M. Guéna - sont allés beaucoup plus loin que le
traité dans le sens de l'intégration supranationale : ils ont engagé un
processus de disparition pure et simple des monnaies nationales ; l'euro
prendrait définitivement leur place, non seulement dans les échanges
internationaux, ce qui était prévu, mais dans la vie quotidienne de chaque
pays, ce qui ne l'était pas.
Cette dérive « maximaliste », non contente de détruire les monnaies
nationales, est dangereuse pour la monnaie unique elle-même.
Et c'est ici que nous nous retrouvons, monsieur le ministre, au coeur de la
politique étrangère. Beaucoup considèrent comme acquis que les Anglais ne vont
pas manquer de se rallier à l'euro, dès que la décision sera prise. Eh bien !
monsieur le ministre, je suis prêt à prendre le pari !
Trois raisons, au moins, risquent d'empêcher Londres de rejoindre la monnaie
unique, telle que la technostructure de Bruxelles l'a aujourd'hui conçue.
Une raison sentimentale, d'abord : les Britanniques répugneront à voir
disparaître de leurs billets et pièces de monnaie les signes de leur identité
nationale et historique, notamment l'effigie de la couronne.
Une raison politique, ensuite : la conception « fédérale », qu'ils ont fait
rayer du traité de Maastricht en cours de négociation, est revenue en force, de
toute évidence, dans les modalités d'application, et a changé la nature de la
construction qui avait pourtant été ratifiée par tous les pays signataires.
Une raison pratique, enfin : une fois le sterling non seulement aboli comme
monnaie internationale, mais détruit comme monnaie à usage interne, ils savent
qu'ils ne pourraient plus sortir du système.
Aurait-on oublié, monsieur le ministre, que, en 1971, la motivation décisive
du président Pompidou pour faire entrer la Grande-Bretagne dans le Marché
commun était sa crainte, une fois le général de Gaulle disparu, de voir les
mécanismes de Bruxelles grignoter et effacer la nation française ? Tandis que
l'entrée de la Grande-Bretagne - seul État-nation millénaire et à
responsabilités mondiales, en Europe, avec la France - garantirait à notre pays
de n'être pas phagocyté par la « supranationalité technocratique » ?
Nous le savons bien, l'Angleterre est toujours écartelée entre son ralliement
à l'Europe et son allégeance aux Etats-Unis. Qu'elle reste à l'écart de la
monnaie unique, et rien ne l'empêchera de se lier au dollar. Cette nouvelle
zone dollar-sterling élargie pourrait mener la vie dure à l'euro.
En fait, un système contraignant à l'égard des pays exclus de l'euro ne
pourrait être mis en application par Francfort que si la Grande-Bretagne
rejoignait le noyau initial. Son rapprochement récent des critères de
convergence peut lui permettre de nous rejoindre, à condition que soit éliminé
l'insurmontable obstacle de la disparition - sans retour - de la livre.
Si la Grande-Bretagne ne se joignait pas à l'euro, cela signifierait en
pratique que la condition de réciprocité - c'est-à-dire l'adhésion de la
plupart des signataires du traité - ne serait pas respectée. Comment pourraient
coexister certains pays de la Communauté européenne qui appliqueraient les
dures exigences du traité de Maastricht et d'autres qui s'en dispenseraient ?
L'euro vers l'an 2000, cela signifierait alors que les dévaluations de certains
de nos partenaires et compétiteurs feront tomber des pans entiers de notre
industrie.
Il existe un moyen, dans le respect scrupuleux du texte de Maastricht, sans le
soumettre à une nouvelle ratification, ni même à une nouvelle négociation, un
moyen à l'origine duquel vous êtes, monsieur le ministre, un moyen de sauver
les monnaies nationales à usage interne, tout en adoptant une monnaie
internationale unique, dans les délais et selon les modalités prévus par le
traité.
Au Conseil européen de Madrid, en décembre dernier, où vous représentiez la
France, monsieur le ministre, les Quinze ont pris une décision fort importante,
qui montre qu'une solution toute simple est à portée de la main. Les experts
ont dû admettre qu'ils avaient commis une erreur technique ; ce n'est pas la
première fois que cela arrive. Entre le moment où la décision d'établir la
monnaie unique doit être définitivement arrêtée, au printemps 1998, et le
moment où nous pourrons la mettre dans nos porte-monnaie, il faudra beaucoup
plus de temps qu'ils n'avaient prévu. Trois années seront encore nécessaires
au-delà du 1er janvier 1999. Vous avez donc décidé fort sagement à Madrid que,
pendant ces trois années-là, les monnaies nationales continueraient d'avoir
cours. Et pourtant, ce sera déjà la monnaie unique. Unique par des taux de
change fixes, qui lieront les monnaies intégrées dans un rapport mathématique
aussi étroit entre le franc français et le mark, par exemple, qu'entre le franc
belge et le franc luxembourgeois ou qu'entre la livre anglaise et la livre
écossaise qui sont pourtant tout à fait différentes dans leur aspect. Pourquoi
ce qui durera trois ans ne pourrait-il durer dix ans, vingt ans ou trente ans ?
Pourquoi ne pas pérenniser ce provisoire ? Laissons le temps agir. Franchissons
les étapes sans les brûler.
Monsieur le ministre, derrière le chef de l'Etat qui nous parle à la
télévision, nous voyons désormais le drapeau bleu à étoiles d'or voisiner avec
le drapeau tricolore. Mais quel Français aimerait que nos trois couleurs
disparaissent, pour que seul subsiste le drapeau bleu ? Cette nouveauté majeure
que va constituer la monnaie unique peut exister en deux versions : entre
Français, pour acheter la baguette de pain ou le paquet de cigarettes, le franc
; entre Allemands, le mark ; entre Néerlandais, le florin ; entre Britanniques,
la livre ; entre Européens et entre citoyens du monde, l'euro.
Je le répète, il ne s'agit pas de revenir à l'idée de la « monnaie commune »,
simple monnaie de réserve s'ajoutant aux monnaies nationales - qui ne sont pas
liées entre elles par un taux de change fixe.
Cette monnaie nouvelle, dans ses deux déclinaisons, jusqu'à ce que le temps
ait permis de mettre à l'épreuve le système, nous permettrait de construite
l'Europe sans détruire la France.
La politique étrangère d'indépendance que vous conduisez brillamment serait
alors justifiée. Nous souhaitons qu'elle soit pleinement justifiée.
(Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Mauroy.
M. Pierre Mauroy.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, lorsque
je suis intervenu l'année dernière, au même moment et sur le même thème,
j'avais exprimé mon profond désaccord devant la reprise des essais nucléaires
qui a terni l'image de la France. J'avais cependant jugé de manière positive
certains aspects de la politique conduite alors par M. le Président de la
République, notamment en Méditerranée ou dans l'ex-Yougoslavie.
J'interviens aujourd'hui avec la même tonalité : oui à l'esprit critique, par
lequel l'opposition s'affirme ; non à la critique systématique dans laquelle
l'opposition se perdrait.
Ainsi, je veux répéter ici ce que jai déjà déclaré ailleurs à propos du voyage
de M. Jacques Chirac au Proche-Orient.
On peut, légitimement, regretter une offre de coparrainage européen sans
concertation préalable avec nos partenaires de l'Union européenne.
On peut, davantage encore, déplorer que ce voyage ait débuté à Damas et que le
Président de la République ait choisi ce pays pour être silencieux sur la
démocratie en Syrie et prolixe sur l'obligation faite à Israël d'évacuer le
Golan.
On peut, tout aussi légitimement, s'interroger sur la capacité future de la
France à jouer un rôle d'arbitre après des discours déséquilibrés ou, en tout
cas, considérés comme tels par l'un des protagonistes au Proche-Orient.
Parce que nous nous plaçons dans la continuité de la politique de François
Mitterrand, parce que nous voulons être en accord avec nos propres positions
passées et parce que nous savons les efforts accomplis depuis des années par
les partis membres de l'Internationale socialiste - qu'ils soient Israéliens,
Palestiniens ou Norvégiens - nous considérons que les perspectives dessinées
par le Président de la République sont justes.
En revanche, et ce sera le coeur de ma brève intervention, nous voulons
exprimer notre inquiétude sur la politique conduite en Afrique.
Les raisons de l'attention portée à l'Afrique vont au-delà de la compassion et
de la colère que provoque le drame vécu ces jours derniers au Zaïre, après le
génocide dont fut victime le Rwanda, voilà deux ans. Ces événements appellent
une initiative forte de la communauté internationale, comme l'a demandé le
Président de la République. Ils obligent, surtout, à réfléchir aux moyens de
prévenir des tragédies qui, une fois déclenchées, laissent politiques et
humanitaires désemparés.
Au-delà du Zaïre, nous avons le sentiment que l'Afrique se trouve aujourd'hui
placée à un moment charnière, où l'inquiétude se mêle à l'espérance, et où,
pour peu de temps encore, l'avenir reste ouvert alors que trois questions
décisives se posent à nous.
Après une décennie de potions ultralibérales administrées par le Fonds
monétaire international, la Banque mondiale elle-même vient de considérer la
décennie écoulée comme celle « de la régression sociale ». La part de l'Afrique
dans le commerce mondial - déjà si marginale - a encore baissé ; la production
et la consommation par habitant ont encore chuté ; les investissements se sont
encore raréfiés.
S'il faut écarter, comme le souhaitent les Africains eux-mêmes, cette espèce
de mode de l'afro-pessimisme qui est déjà le début du renoncement, il faut se
demander - c'est la première question - ce que compte faire la France pour
contribuer à sortir le continent africain du cycle infernal de la dette et du
sous-développement dans lequel les dictateurs des partis uniques l'ont enfermée
depuis trop longtemps.
Après la chute du mur de Berlin, la démocratie a progressé dans le monde
entier, et en Afrique, dans la foulée du discours de La Baule, comme jamais
auparavant.
Or, depuis quelques mois, le mouvement semble interrompu quand il n'est pas
purement et simplement inversé. D'où une deuxième question liée à la précédente
: que compte faire la France pour encourager la reprise de la marche vers la
démocratie ?
Chacun sent enfin que la moindre faiblesse de la présence de notre pays dans
cette région du monde serait perçue comme le signe annonciateur d'un repli
généralisé qui marquerait la fin de cette « exception française » qui fait
notre force en Afrique et que nous voulons tous, j'en suis sûr, préserver.
Au moment précis où émergent en Afrique d'autres forces, celle, bienvenue, de
la République Sud-africaine ou celle, plus récente, des Etats-Unis, se pose une
troisième question : que compte faire la France pour conserver la place
stratégique et morale qui est la sienne ?
Ces trois questions, qui sont autant de défis, appellent des objectifs clairs
et une volonté ferme. Or, les socialistes jugent très insuffisante la politique
du Gouvernement parce qu'elle n'apporte pas de réponses à la hauteur de ces
défis, en tout cas pas de réponses satisfaisantes.
Nous la critiquons d'abord parce qu'elle s'appuie sur des crédits
insuffisants.
Certes, la menace américaine est à nuancer quand on sait la faiblesse de son
aide publique et, davantage encore, la part de cette aide consacrée à
l'Afrique.
Il n'empêche ! Une nouvelle fois, vous annoncez que les crédits affectés à la
coopération vont baisser : une diminution de 7,8 % par rapport à la loi de
finances votée voilà un an, ce n'est pas rien !
Pis encore, ce sont sur les projets de développement, sur les crédits
d'ajustements structurels, sur notre présence humaine que les restrictions
vont, pour l'essentiel, peser.
Ajoutons, pour faire bonne mesure - c'est le cas de le dire ! - que la France
a réintroduit dans le calcul de l'aide publique au développement les
engagements financiers à destination des territoires d'outre-mer, ce qui est
statistiquement faux et, surtout, politiquement inacceptable.
Au moment où il faudrait à la fois accroître l'effort quantitatif vers
l'Afrique subsaharienne et réfléchir, sur le plan qualitatif, à de nouvelles
modalités de répartition de l'aide publique, vous vous engagez très précisément
dans la voie inverse !
Nous désapprouvons ces choix, et je suis persuadé que l'inquiétude que
j'exprime est ressentie bien au-delà des travées socialistes. Mais disons-le
clairement : notre inquiétude est plus vaste encore car elle touche le coeur
même d'une politique qui s'appuie, comme je vais le montrer, sur des principes
ambigus, des actes contestables et une stratégie incohérente.
L'ambiguïté des principes tient à la contradiction des discours.
D'un côté, on déclare fini le temps des coups de force ; d'un autre côté, on
repousse à cinquante ans l'horizon de la démocratie.
D'un côté, on proclame notre attachement à l'universalité des droits de
l'homme ; d'un autre côté, on évoque leur relativité.
D'un côté, on avance le concept d'une « bonne gouvernance » ; d'un autre côté,
on récuse l'idée de conditionnalité de l'aide économique.
Au point qu'il est bien difficile aujourd'hui de savoir quelle est la doctrine
de la France sur ces sujets majeurs : ou, plutôt, qu'il serait impossible de le
savoir si une série d'actes contestables ne venait, malheureusement, apporter
une réponse à cette interrogation. Car enfin !
Quand la France apporte sa caution au processus électoral au Tchad, pourtant
entâché de fraudes manifestes, quand la France marque de sa présence
l'investiture du président du Niger, après un coup d'Etat militaire, la
dissolution de la commission électorale nationale indépendante pendant les
opérations de vote et la mise en résidence surveillée des autres candidats -
tout de même ! -, quand la France renoue d'excellentes relations avec les
régimes les plus hostiles à l'ouverture démocratique comme le Togo, la Côte
d'Ivoire ou le Cameroun, quand, à l'inverse, la France tient à l'écart la
méritoire démocratie du Mali, ces choix et ces priorités-là ne sont pas les
nôtres !
En définitive, au-delà des désaccords que je viens d'évoquer, notre inquiétude
provient de la conviction que la France ne dispose pas d'une stratégie
cohérente.
On ne peut pas, en effet, contester la présence américaine sans, au choix,
assurer la présence française ou accepter une présence européenne.
On ne peut pas promouvoir l'image de la France comme patrie des droits de
l'homme et la brouiller par les méthodes qui ont conduit à l'expulsion des «
sans-papiers » de l'église Saint-Bernard.
On ne peut pas vouloir en même temps maîtriser les flux migratoires et réduire
le budget de la coopération.
Mes chers collègues, je voudrais, pour conclure, citer ce que François
Mitterrand disait dans le discours de La Baule, en 1990, tant ses propos sont
plus que jamais d'actualité : « Je ne crois pas à l'Afrique perdue ; si l'on
abandonne en chemin tel ou tel peuple, c'est une amputation pour le monde
entier. » Et il terminait par cette citation que je crois pouvoir reprendre,
s'agissant précisément de l'Afrique : « Souvenez-vous de ce titre de l'ouvrage
d'Hemingway
Pour qui sonne le glas.
On croit qu'il sonne pour l'autre,
il sonne toujours pour soi. »
Cet avertissement doit être entendu aujourd'hui encore par le Gouvernement
français. Il est aussi un message : un message d'espoir, de solidarité et de
démocratie. Les socialistes continueront de le porter.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées
du groupe communiste républicain et citoyen et du RDSE.)
M. le président.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux. Nous les
reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures trente, est reprise à quinze
heures.)