POLITIQUE GÉNÉRALE
Débat et vote sur une déclaration du Gouvernement
M. le président.
L'ordre du jour appelle une déclaration de politique générale du Gouvernement,
suivie d'un débat et d'un vote sur cette déclaration, en application de
l'article 49, quatrième alinéa, de la Constitution.
La parole est à M. le Premier ministre.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les
sénateurs, compléter, renforcer, dynamiser notre politique pour l'emploi, telle
est la priorité de l'action que nous sommes décidés à conduire au cours des
prochains mois.
Pour atteindre cet objectif, nous nous sommes donnés trois armes.
La première, c'est le projet de loi de finances pour 1997, qui vous sera
soumis dans quelques semaines et qui repose sur des principes tout simples, à
savoir qu'on ne peut obtenir de créations d'emplois sans croissance et qu'il
n'y a pas de croissance sans un rétablissement des grands équilibres
budgétaires et financiers. C'est la raison pour laquelle, pour la première fois
depuis bien des années, nous sommes parvenus à stabiliser les dépenses de
l'Etat, qui ne seront pas plus élevées en 1997 qu'elles ne l'ont été en 1996.
Nous avons également réduit le déficit public et nous engageons une réforme de
l'impôt sur le revenu, qui sera sensiblement abaissé.
Cette réforme est une réforme juste. Vous savez à quelle idée générale elle
répond : tout au long des années qui viennent de s'écouler, on a
systématiquement, du point de vue fiscal, privilégié les revenus de ce qu'un
Président de la République appelait « l'argent qui dort », au détriment des
revenus du travail. C'est cette injustice-là que nous souhaitons corriger et
c'est toute la philosophie de la réforme qui vous est proposée.
Cette réforme est simple : elle consiste à abaisser tous les taux de toutes
les branches du barème. Elle est ambitieuse, puisque l'on n'a jamais proposé au
Parlement une réduction du quart du montant de l'impôt sur le revenu comme nous
le faisons cette année. Elle est durable, puisque nous vous demanderons de
voter le barème de l'impôt sur le revenu des cinq prochaines années, ce qui
donnera la lisibilité nécessaire à tous les acteurs économiques. Il s'agit donc
d'un projet de loi de finances qui innove.
Ensuite - c'est notre deuxième arme dans cette lutte pour l'emploi - nous vous
proposerons un projet de loi de financement de la sécurité sociale qui, par
définition, innove, puisqu'il est le premier que la représentation nationale
aura l'occasion de discuter.
Je le rappelle, ce dispositif était au coeur de la réforme de la sécurité
sociale que je vous ai proposée l'an dernier. Depuis bien des années, le
Parlement souhaitait être saisi périodiquement d'un débat sur les grands
équilibres de notre protection sociale. Eh bien ! grâce à la réforme mise en
oeuvre, c'est désormais chose faite. Il ne s'agit pas, contrairement à ce que
j'ai lu ici ou là, d'un énième plan élaboré en catastrophe, mais bien du
rendez-vous annuel entre la représentation nationale et la sécurité sociale.
Ce débat sera, j'en suis sûr, l'occasion de faire avancer la réforme que nous
sommes en train de mettre en place et qui sera notamment marquée, dans le
courant du mois d'octobre, par la diffusion du carnet de santé, qui sera l'un
des instruments les plus efficaces de maîtrise de la dépense. Je recevais, ce
matin même, le président du conseil de l'Ordre des médecins, qui nous a
beaucoup aidés dans la définition de ce carnet de suivi médical et qui m'a
assuré du soutien de l'Ordre dans sa diffusion et sa mise en oeuvre.
Enfin, la troisième arme de cette politique pour l'emploi, c'est la stabilité
de la monnaie, qui nous assure la baisse des taux d'intérêt.
Je voudrais, sur ce point, souligner les résultats, inattendus par leur
ampleur, qui ont été obtenus depuis un an. Je me souviens qu'à l'été 1995, à
une époque où les taux d'intérêt à court terme étaient supérieurs à 6 %, l'on
rêvait d'une détente de ces taux qui nous ramènerait entre 4 % et 4,5 %. Vous
connaissez les derniers chiffres : nous sommes en dessous de 3,5 % et aux
alentours de 6 % pour les taux à long terme.
Cette évolution exceptionnellement favorable ne peut pas ne pas avoir d'effets
diffus dans l'ensemble de l'économie, au profit des collectivités
territoriales, au profit des entreprises qui investissent, au profit des
particuliers qui équipent leur ménage ou qui achètent leur logement.
Quant à notre monnaie, elle se tient aujourd'hui remarquablement, ce qui est
un facteur d'indépendance, de rayonnement et de prospérité pour la France.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Cette stabilité de la monnaie et cette détente jusque-là jamais
enregistrée des taux d'intérêt nous permettent d'avancer dans notre marche vers
la monnaie unique, qui a désormais conquis sa crédibilité et qui constitue le
coeur du projet politique susceptible de renforcer l'Union européenne dans un
monde qui s'organise.
Cette monnaie unique nous apportera beaucoup. A deux conditions, il est vrai,
que je voudrais rappeler devant la Haute Assemblée.
La première de ces deux conditions, c'est l'existence, entre les pays qui
seront entrés dans l'Euro et les pays dont la monnaie sera toujours candidate,
d'une règle du jeu claire qui nous mette à l'abri des dévaluations compétitives
que nous avons subies au cours des dernières années. La France est arrivée à
faire accepter cette idée par ses partenaires, ce qui n'était pas évident voilà
quelques mois seulement. A Dublin, récemment, les ministres de l'économie et
des finances ont ainsi fait des progrès tout à fait décisifs dans la mise en
place d'un système monétaire européen
bis
, qui garantira cette règle du
jeu entre les pays qui seront dans l'Euro et ceux qui n'y seront pas encore.
La seconde condition pour que la monnaie unique soit un atout dans la
compétition internationale, c'est que sa parité avec les grandes monnaies du
monde, tout particulièrement avec le dollar, soit gérée conformément aux
réalités économiques. De ce point de vue, nous ne nous lasserons pas de répéter
que se pose un problème de sous-évaluation chronique du dollar, auquel il
faudra porter remède lorsque nous en aurons les moyens grâce à la constitution
de la monnaie unique et de l'Euro.
(Très bien ! sur les travées du RPR.)
Les premiers signes encourageants de cette politique sont apparus.
(Protestations sur les travées socialistes.)
Eh oui ! hormis quelques
observateurs frappés de cécité, tout le monde le dit aujourd'hui !
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Je ne
connais pas un seul observateur économique, une seule organisation nationale ou
internationale qui ne prédise pas pour 1997 une croissance deux fois plus
rapide qu'en 1996,...
M. Pierre Mauroy.
Vous devriez vous méfier des observateurs !
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
... hormis le groupe socialiste du Sénat, qui manifeste
ainsi son originalité !
(Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées.)
Quelles que soient les difficultés du temps - et sachez bien que je ne
les sous-estime pas : je connais les difficultés, la souffrance des familles
dont les enfants sont frappés par le chômage - nous voyons apparaître
aujourd'hui des signes encourageants : une inflation maîtrisée, un commerce
extérieur très excédentaire, ce qui donne du travail à un Français sur
quatre,...
M. René-Pierre Signé.
C'est la méthode Coué !
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
... des taux d'intérêt historiquement bas, je l'ai
rappelé tout à l'heure, et les perspectives de croissance que je viens de
souligner.
De nombreux sénateurs socialistes.
Et les sondages ?
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
Je ne fais pas, moi, d'économie avec les sondages.
C'est une nouvelle différence avec le groupe socialiste du Sénat !
(Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées.)
C'est toute la
différence entre une politique à la petite semaine et une politique qui prend
en compte l'intérêt national.
(Vifs applaudissements sur les mêmes travées. - Protestations sur les travées
socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. Ivan Renar.
Et le chômage ?
Mme Hélène Luc.
Oui : le chômage, pas les sondages !
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
Je suis affligé, mesdames, messieurs les sénateurs, par
le niveau de l'argumentation qui me parvient aux oreilles en provenance de la
gauche.
(Vives protestations sur les travées socialistes ainsi que sur celles du
groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Attendez que nous nous exprimions !
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
Je ne suis pas le seul à voir apparaître ces signes
encourageants puisqu'un grand journal, qui n'est pas spécialisé dans la
propagande pro-gouvernementale, titrait ce matin : « L'immobilier repart enfin
». Il se passe donc bien quelque chose aujourd'hui dans le domaine de
l'économie !
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - Protestations
sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste
républicain et citoyen.)
M. Ivan Renar.
Oui : la spéculation est en hausse.
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
M. Périssol a rappelé récemment que la période au cours
de laquelle nous avons vécu le sinistre le plus important en matière
d'accession à la propriété et de mise en construction de logements a été celle
qui s'est étendue entre 1989 et 1993, au cours de laquelle vous avez fait vos
preuves en matière de logement, messieurs les socialistes !
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
La spéculation n'a jamais atteint le degré auquel elle est parvenue en
1989, en 1990 et en 1991. Et qui était alors au pouvoir ?
(Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées.)
M. Claude Estier.
Et la mairie de Paris ?
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
Est-ce à dire, mesdames, messieurs les sénateurs, qu'il
suffit de continuer et que l'amélioration qui se dessine est de nature à
répondre à toutes nos attentes ? Evidemment non : il faut aller plus loin afin
que cette croissance retrouvée soit aussi plus riche en emplois.
A cet égard, il faut accroître l'aide aux petites et moyennes entreprises, qui
ont été si surtaxées et pressurées pendant la précédente période.
(Vifs
applaudissements sur les mêmes travées.)
M. René-Pierre Signé.
C'est une caricature !
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
Nous venons, de ce point de vue, de franchir une étape
décisive avec la jonction de ce qui j'appellerai la ristourne Balladur et la
ristourne Juppé au 1er octobre 1996, qui assure désormais une baisse de 13 %
des charges sociales sur les entreprises qui emploient de la main-d'oeuvre peu
qualifiée.
Nous irons plus loin pour aider les entreprises à se créer, à exporter, en
réformant le code des marchés publics.
De façon plus générale, conformément aux excellentes propositions qui figurent
dans le rapport de l'un d'entre vous, le sénateur Philippe Marini
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants
et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE),
nous
réformerons le droit des sociétés de façon à leur donner un cadre juridique
clair et précis.
(Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées.)
Il nous faut ensuite, mesdames, messieurs les sénateurs, aller plus loin dans
le développement des emplois de proximité, parce qu'il est vrai que c'est une
bonne manière de conforter la croissance et l'emploi. Nous l'avons fait avec
les emplois de ville, nous l'avons fait avec le contrat initiative-emploi pour
les jeunes sans qualification.
(Protestations sur les travées
socialistes.)
Eh oui ! le chômage des jeunes s'est stabilisé depuis un an
(Nouvelles
protestations sur les mêmes travées),
ce qui n'avait pas été le cas entre
1990 et 1993. Nouvelle vérité difficile à entendre !
(Brouhaha sur les
travées socialistes.)
Nous le ferons à nouveau au 1er janvier 1997, grâce au Sénat en grande partie,
qui nous a permis de trouver la bonne solution pour mettre en oeuvre la
prestation autonomie au début de l'année prochaine.
(Applaudissements sur
les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste,
ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Ce texte vous sera prochainement
soumis, conformément aux orientations que vous avez proposées.
Il faut aller plus loin dans l'encouragement au temps choisi parce que nous
savons bien qu'un partage du temps de travail, dans le monde où nous vivons,
est l'une des façons de répondre au problème du chômage.
M. Alain Richard.
Vous n'avez pas toujours dit cela !
M. Philippe Labeyrie.
Vous étiez contre !
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
La majorité a adopté récemment un texte important
relatif à l'aménagement et à la réduction du temps de travail. Il est désormais
opérationnel puisque les textes d'application sont parus au
Journal
officiel.
Il commence à être utilisé par de nombreuses entreprises.
Il faut, enfin, aller plus loin dans l'alternance et dans l'insertion
professionnelle des jeunes. Après la réforme réussie de l'apprentissage, menée
à bien par M. Jacques Barrot au début de cette année, il nous faut mettre en
oeuvre la réforme de l'éducation nationale, dont l'une des grandes ambitions,
vous le savez, est le développement de toutes les formations en alternance, que
ce soit à l'intérieur des établissements scolaires ou directement dans le monde
de l'entreprise.
M. Jean-Louis Carrère.
En réduisant les crédits budgétaires !
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
Voilà quelques-unes des directions dans lesquelles je
vous propose d'aller plus loin pour mobiliser l'ensemble des énergies
nationales contre ce fléau que constitue le chômage, et tout particulièrement
le chômage des jeunes.
Le Gouvernement est ouvert, dans ce domaine, à toute proposition nouvelle. Je
suis particulièrement attentif à celles que formule M. le président du Sénat
sur la base de l'expérience qu'il a sur le terrain.
Je crois, en effet, que la mobilisation de tous les acteurs de l'économie, des
collectivités décentralisées et des entreprises dans ce que j'ai appelé un
véritable devoir national d'insertion est aujourd'hui nécessaire si nous
voulons faire entrer 300 000 à 400 000 jeunes dans le circuit des
entreprises.
Je souhaite donc élaborer avec les élus et avec les entrepreneurs qui
l'accepteront de véritables plans d'action décentralisés pour l'insertion
professionnelle des jeunes ; nous allons commencer à le faire, sur la
proposition de M. Barrot et de Mme Couderc, dans un certain nombre de
départements témoins.
Voilà un rappel, sans doute rapide mais nécessaire, de cette première grande
orientation de la politique du Gouvernement :...
M. François Autain.
Et les sondages ?
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
... la mobilisation de toutes et tous contre le chômage
et pour l'emploi.
Je souhaitais également dessiner une seconde orientation pour les mois qui
viennent. Cette orientation, je l'ai organisée autour de l'idée d'une nouvelle
démocratie pour le citoyen de l'an 2000.
A chaque période de son histoire, lorsqu'elle a vécu des mutations profondes,
comme c'est le cas aujourd'hui, la France a su renouveler le pacte social qui
unit ses citoyens.
M. René-Pierre Signé.
Ne parlez pas de social !
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
Aujourd'hui, la montée des difficultés nous amène à
faire preuve à nouveau d'imagination et à mieux entendre les aspirations de nos
concitoyens.
La première aspiration, c'est l'aspiration à un nouveau mode de relation avec
l'Etat, une relation qui soit plus simple, plus directe et plus proche, ce qui
pose à la fois le problème de l'achèvement de la décentralisation et de progrès
véritablement décisifs en matière de déconcentration.
A ce sujet, je voudrais d'abord rappeler que, s'il s'agit de rendre l'Etat
plus simple, plus transparent et plus proche, il nous faut aussi - c'est loin
d'être contradictoire, je dirai même que c'est complémentaire - nous assurer
qu'il assume bien ses missions régaliennes, à commencer par le respect de la
loi et de l'autorité de la République sur l'ensemble du territoire national.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Je voudrais, sur ce point, vous redire la détermination du Gouvernement
en ce qui concerne le problème dans lequel vit la Corse.
Plusieurs sénateurs du RPR.
Très bien !
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
Lorsque je suis allé en Corse, les 17 et 18 juillet
dernier, j'ai tendu la main à tous ceux qui siègent à l'assemblée territoriale
de Corse, car ils ont tous reçu la légitimité du suffrage.
La réponse, vous la connaissez, de la part de certaines organisations ; c'est
la fuite en avant dans la violence et le terrorisme. L'Etat républicain ne
faiblira pas et se donnera tous les moyens de faire respecter la loi en Corse
comme sur le continent.
(Applaudissements prolongés sur les mêmes travées.)
M. François Giacobbi.
Très bien !
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
A cet effet, nous avons renforcé les moyens de la
police, de la gendarmerie et de la police judiciaire. Les autorités judiciaires
se sont mobilisées. On a enfin, ce qu'on n'avait pas fait depuis longtemps,
engagé de véritables enquêtes...
(Protestations sur les travées socialistes...),
qui permettent de réunir
les charges nécessaires.
M. François Giacobbi.
C'est vrai !
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
Certains d'entre vous le disent et le pensent,
messieurs les socialistes, lorsqu'ils ont un peu de bonne foi et de cohérence.
Demandez à vos députés corses ! Demandez à vos sénateurs corses !
M. Pierre Mauroy.
Demandez aux vôtres !
M. Alain Richard.
Ne soyez pas trop dur avec M. Balladur !
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
Ces enquêtes, lorsqu'elles ont été diligentées, nous
ont d'ores et déjà permis d'arrêter et de traduire devant les tribunaux plus
d'une vingtaine de délinquants et de criminels. Nous continuerons sur cette
voie, qui est celle de la légalité et de l'autorité de l'Etat.
Dans le même temps - c'est le deuxième pilier de ce que j'avais proposé en
Corse - nous ferons preuve de solidarité pour aider au développement
économique, social et culturel de la Corse.
J'ai annoncé, au mois de juillet, un plan d'ensemble qu'on a trop souvent
réduit à la zone franche, qui n'en est qu'un des aspects. Il comporte bien
d'autre volets concernant l'agriculture, le désendettement, mais aussi les
aspects culturels et linguistiques. C'est avec détermination et continuité que
nous le mettrons en oeuvre.
Cet Etat qui, je le disais, assume ses fonctions régaliennes, doit être aussi
plus transparent et plus proche. C'est la philosophie qui anime le projet de
loi sur les relations entre les administrations et les citoyens, qui vous sera
soumis d'ici à quelques semaines.
C'est également la philosophie qui animera les mesures de déconcentration
nouvelles que le Gouvernement est en train de préparer.
La nouvelle citoyenneté, c'est aussi un mode de relations nouveau entre le
citoyen et la justice.
Les Français aspirent à une justice sereine, rapide, égale.
(Exclamations et rires sur les travées socialistes.)
C'est ce qui
inspire le projet de loi sur la détention provisoire, que vous avez d'ores et
déjà examiné.
M. Gérard Delfau.
Ah oui !
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
C'est ce qui inspirera également le projet de loi
modifiant la procédure de jugement en matière criminelle, qui, après une large
concertation menée en 1995,...
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Demain, on rasera gratis !
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
... a fait l'objet d'un consensus et marquera une très
grande étape dans la rénovation de notre système judiciaire.
Nous sommes prêts à aller plus loin. J'ai évoqué la possibilité, sur la base
des propositions qui sont faites ici ou là, d'organiser une grande réflexion
sur la responsabilité du juge dans la société française et sur le point
d'équilibre à trouver entre la nécessaire protection des libertés individuelles
et l'autorité de l'Etat, garant de la cohésion nationale. Je vous invite à ce
débat dans le courant de l'année 1997.
Troisième aspiration qui constitue cette nouvelle citoyenneté, cette nouvelle
démocratie dont je parlais il y a quelques instants : une plus grande
participation à la prise de décision au niveau tant national que local.
Il y a parmi vous nombre d'élus locaux. Tous savent que nos concitoyens
souhaitent être impliqués dans les décisions, ne veulent plus les voix
descendre d'en haut, que ce soit de Paris, d'ailleurs, ou d'échelons de
décision décentralisés.
Il faut donc que nous réfléchissions à ce qu'on a appelé - la formule n'est
pas de moi - « la modernisation de la vie politique ». C'est dans cet esprit
que j'ai écrit, hier, à toutes les formation politiques représentées à
l'Assemblée nationale ou au Sénat pour les interroger sans
a priori
sur
un certain nombre de problèmes qui, me semble-t-il, se posent aujourd'hui dans
notre société : la place des jeunes et des femmes dans la vie politique, le
cumul des fonctions ou des mandats, le statut de l'élu, le rôle des fondations
politiques, les modes de scrutin, le cas échéant, qu'il s'agisse du scrutin
législatif ou du scrutin régional.
J'ai souhaité que les formations politiques me fassent connaître leur avis
d'ici à la fin du mois de novembre. Sur cette base, j'essaierai de dégager des
points d'accord que je vous soumettrai. Nous verrons alors s'il est possible
d'introduire dans notre législation telle ou telle modification. Nous le
ferons, je le répète, en tenant très largement compte des avis que vous aurez
exprimés.
Une autre aspiration qui se manifeste est l'aspiration à la cohésion sociale
dans notre pays.
De ce point de vue, il m'apparaît que le texte que nous venons de transmettre
au Conseil économique et social, et qui s'intitule « loi d'orientation pour le
renforcement de la cohésion sociale », fera date.
J'ai eu l'occasion de rencontrer récemment, à Matignon, la Fédération
nationale de l'action pour la réinsertion sociale, qui regroupe un grand nombre
d'associations. Tout en soulignant, bien évidemment, qu'il aurait mieux valu
que les moyens fussent plus abondants, elle m'a fait part d'un accord de fond
sur les grandes orientations de ce texte, sur les droits nouveaux qu'il
institue et sur la philosophie générale qui l'inspire.
C'est un texte qui fera date, je le répète, parce qu'il réaffirme l'accès de
tous aux droits de tous : accès aux soins par la mise en oeuvre de l'assurance
maladie universelle, par une action nouvelle face à certains fléaux sanitaires,
comme la tuberculose, qui avait été perdue de vue ; accès au logement,
également, par la réforme des procédures d'attribution du logement social et le
rôle accru donné à l'Etat dans ce domaine ;...
M. René-Pierre Signé.
Le logement HLM !
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
... accès, enfin, à la citoyenneté et au droit de
vote.
Ce texte marque aussi un progrès décisif au regard de l'une des grandes idées
que le Président de la République avait lancées pendant sa campagne, à savoir
la réactivation des dépenses passives en matière sociale. Vous connaissez
l'idée : avec l'argent public, il vaut mieux aider quelqu'un à s'insérer dans
la vie de travail plutôt que de l'indemniser à ne rien faire.
(Exclamations sur les travées socialistes.)
D'où l'idée des 300 000
contrats d'initiative locale, qui se substitueront peu à peu - en cinq ans - à
certains RMI, aides sociales spéciales ou allocations de parent isolé. Ainsi,
c'est une grande orientation du Président de la République contre la fracture
sociale qui sera concrétisée par ce texte.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Autre volet de ce texte, parmi bien d'autres : un programme ambitieux de
lutte contre l'illettrisme. Vous êtes tous bien conscients que l'illettrisme,
aujourd'hui, frappe 10 % de la population française, d'après les enquêtes qui
ont été faites. Il nous faut réagir, devant cette situation, dès l'école, et
l'éducation nationale se mobilisera, mais aussi grâce à la mise en place, qui
vous sera bientôt proposée, du rendez-vous citoyen. Ce sera un moment de
détection des situations d'illettrisme et d'orientation de nos jeunes vers des
formules qui leur permettront de sortir de cette situation qui les empêche de
s'intégrer dans le circuit du travail et de la citoyenneté.
Aspiration, donc, à la cohésion sociale. Elle sera, je l'espère, mieux
satisfaite grâce à ce texte.
Aspiration aussi à la cohésion nationale. Etre citoyen au XXIe siècle, ce sera
vivre de nouveaux droits et de nouveaux devoirs. Ce sera également concilier la
modernité, l'ouverture, la mondialisation avec le besoin de ressourcement et
d'attachement aux racines, qui est dans nos coeurs aux uns et aux autres.
On nous parle souvent du droit à la différence, et je le respecte. Mais ne
faut-il pas aussi respecter le droit à l'identité ?
(« Bien sûr ! » sur les travées du RPR.)
Cela me conduit à dire un mot d'un sujet difficile, mais que je ne veux
pas éluder : la politique de l'immigration. En la matière, la politique que je
vous propose repose sur trois piliers.
Premier pilier : la fidélité de la France à sa tradition d'accueil et d'asile
et à une politique généreuse d'intégration de ceux qui acceptent les règles du
jeu de la communauté internationale. C'est notre honneur, et nous le
conserverons !
(« Très bien ! » et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains
et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
Deuxième pilier : l'engagement pour le développement et la coopération.
Là encore, il m'apparaît qu'on ne dit pas assez aux jeunes Françaises et aux
jeunes Français qu'ils vivent dans un pays qui, par rapport à sa population,
est le plus généreux, le plus ambitieux et le plus en pointe sur la scène
mondiale pour aider les peuples qui souffrent et qui sont dans la misère.
M. René-Georges Laurin.
Très bien !
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
Vous l'avez vu à Lyon, lors du G 7 : alors que tous nos
grands partenaires étaient en retrait sur l'aide au développement, les
positions du Président de la République ont prévalu, et elles viennent de se
concrétiser lors de la session de la Banque mondiale et du Fonds monétaire
international. Oui, je le dis ici avec fierté : la France est exemplaire dans
l'aide au développement !
(« Très bien ! » et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains
et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
Enfin, troisième pilier de cette politique de l'immigration,
indissociable des deux autres : le refus déterminé de l'immigration
illégale.
De ce point de vue, notre législation comporte des lacunes et des
incohérences.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Encore ?
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
Le Gouvernement proposera deux projets de loi : l'un
pour mieux lutter contre le travail clandestin, qui sera présenté par le
ministre du travail et des affaires sociales ; l'autre qui tendra à modifier
l'ordonnance du 22 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour
des étrangers en France,...
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Une fois de plus !
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
... et qui sera présenté par le ministre de
l'intérieur.
Voilà, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, les quelques
indications que je voulais vous donner sur les orientations de la politique que
nous allons mener ensemble pendant cette session qui s'ouvre et qui nous
conduira à l'été 1997.
Pour cela, il nous faut évidemment faire preuve de cohésion et de solidarité
(Exclamations et rires sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du
groupe communiste républicain et citoyen.)
Je sais que la majorité en fait preuve.
(Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)
Je lui dis toute ma
gratitude pour le soutien sans faille qu'elle m'a toujours apporté depuis un an
et demi dans les conditions et dans les circonstances les plus difficiles.
(Vifs applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
Cela contrarie certains, et pourtant c'est vrai ! C'est d'ailleurs
pour cela que je le disais.
(Exclamations sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
Vous voyez !
Il nous faut aussi entraîner nos concitoyens. De ce point de vue, j'en ai
conscience, beaucoup reste à faire,...
M. René-Pierre Signé
On se demande s'il croit à ce qu'il dit !
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
... car je perçois bien le climat de scepticisme et de
morosité qui se perpétue dans notre pays - peut-être un peu moins qu'on ne le
dit dans le microcosme ! - tant il est vrai que les difficultés existent.
Pour cela, il nous faut donner confiance, montrer la direction, insuffler cet
esprit d'entreprise et cet esprit de conquête que le Président de la République
a évoqués si souvent.
Les bons résultats qui sont en train de s'esquisser nous permettront de le
faire encore mieux demain qu'aujourd'hui.
Il nous faut aussi ramener souvent le débat sur le terrain des valeurs. C'est
notre responsabilité d'élu parce que nous vivons dans un monde où la morale
républicaine qui soude le pacte républicain est parfois contestée, écornée,
déstabilisée.
Il y va de la liberté, que menacent à la fois la complexité d'un monde de plus
en plus bureaucratique et technicien, et le sectarisme de certains extrêmes.
Il y va de l'égalité, qui doit non pas brider l'esprit d'entreprise et
l'esprit de conquête, mais leurs permettre de s'épanouir en chacun et chacune
d'entre nous, avec des chances égales pour tous.
Il y va de la fraternité, qui est non pas l'assistance démotivante, mais la
solidarité entre personnes responsables, la tolérance, la générosité,
l'harmonie de la vie familiale, l'affirmation du sentiment national dans le
respect de toute personne humaine.
De ce point de vue, je veux vous dire ma détermination, quelles que soient les
difficultés juridiques que cela soulève, à faire en sorte qu'un certain nombre
de provocations au racisme, à l'antisémitisme et à la xénophobie ne restent pas
impunies dans notre pays, et je vous ferai des propositions en ce sens.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Voilà pourquoi mesdames, messieurs les sénateurs, je vous invite
aujourd'hui, à l'occasion de ce débat, à exprimer cette confiance que, je le
sais, vous avez dans la politique que nous menons, de façon que cette confiance
puisse se diffuser autour de nous et chez les Français.
(Murmures sur les travées socialistes.)
C'est pour que s'exprime clairement le soutien que vous nous apportez que
j'ai l'honneur de solliciter de votre Haute Assemblée, au titre de l'article
49-4 de la Constitution, votre approbation sur la déclaration de politique
générale que je viens de prononcer.
(Mmes et MM. les sénateurs du RPR, des Républicains et Indépendants, de
l'Union centriste, ainsi que certains sénateurs du RDSE se lèvent et
applaudissent.)
M. le président.
Nous allons procéder maintenant au débat sur la déclaration de politique
générale du Gouvernement faite devant le Sénat.
Je rappelle que la conférence des présidents a décidé l'organisation de ce
débat.
Elle a accordé un temps de parole de quinze minutes à l'orateur de chaque
groupe et de cinq minutes pour l'orateur de la réunion administrative des
sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe.
La parole est à M. de Rohan.
(Applaudissements sur les travées du RPR, ainsi que sur plusieurs travées des
Républicains et Indépendants et de l'Union Centriste.)
M. Josselin de Rohan
Monsieur le Premier ministre, permettez-moi, au début de mon propos, de vous
exprimer l'indignation que nous éprouvons devant l'odieux attentat dont a été
victime la mairie de Bordeaux.
Nous formons le voeu que les coupables soient prochainement appréhendés, jugés
et châtiés comme ils le méritent.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de
l'Union centriste et du RDSE, ainsi que sur les travées socialistes.)
En sollicitant notre confiance, le Gouvernement suscite un débat qui doit
nous permettre d'aller au fond des choses.
Quel est le sens de la politique sur laquelle nous sommes appelés à nous
prononcer ? Quelles sont ses implications et ses chances de succès ?
Existe-t-il une alternative crédible à cette politique ? Telles sont les
questions que nous nous posons en ce début de session.
Si l'on en croit les chroniqueurs, les observateurs, les sondeurs, les
politologues et les sociologues, les éditorialistes et les analystes, la France
se partage en deux camps : celui des agitateurs prêts à toutes les révolutions
à l'occasion de conflits sociaux dont on nous prédit le déchaînement proche et
celui des amorphes, en proie au découragement et au scepticisme, qui
engloberait une majorité de nos compatriotes.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Des noms !
M. René-Pierre Signé.
Il y a beaucoup de Français !
M. Josselin de Rohan.
Que l'opinion se montre inquiète ou désabusée devant la persistance et la
recrudescence d'un chômage qui frappe indistinctement toutes les régions,
toutes les catégories sociales et toutes les professions, il n'y a rien là qui
puisse nous surprendre.
Que l'insupportable écart entre la France vulnérable et exposée et la France
protégée, que l'on nomme « fracture sociale », soit loin d'être réduit, est,
hélas ! une évidence.
Cette situation, comme cet état d'esprit, montrent combien il est important
que le Gouvernement et sa majorité expliquent clairement au pays les réalités
auxquelles il est confronté, l'effort auquel il est convié et les perspectives
qui se présentent à lui.
Il faut donner un cap et tracer une voie sur laquelle on se tiendra avec
résolution, mais il faut aussi, vous l'avez dit, monsieur le Premier ministre,
convaincre et obtenir l'adhésion des esprits et des coeurs.
(Rires sur les travées socialistes.)
Que nous le voulions ou non, nous sommes confrontés, du fait de la
mondialisation de l'économie, des formidables changements techniques ou
technologiques qui affectent notre planète et de l'émergence de nouvelles
puissances économiques, à la nécessité impérieuse de modifier nos comportements
et nos habitudes, de lutter contre nos déficiences ou nos carences.
Nous sommes en quelque sorte contraints à l'excellence si nous voulons
conduire notre destin et non le subir.
(« Très bien ! » sur les travées du RPR.)
Les défis sont rudes mais nous pouvons les relever. Nous en avons connus
jadis de plus redoutables encore, que nous avons relevés avec succès. Je songe
à cette France de 1945, totalement détruite, qui s'est rétablie grâce au
courage de ses habitants : leurs fils ne seront pas indignes de leurs aînés.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants,
ainsi que sur plusieurs travées de l'Union centriste.)
Pour l'heure, nous devons chercher à atteindre trois objectifs : tout
d'abord, l'apurement du passé grâce à l'assainissement de nos dépenses
publiques et au redressement de nos comptes sociaux ensuite, la réforme de
l'Etat et des entreprises publiques, et, enfin, la construction européenne.
L'action que nous mènerons dans ces trois domaines conditionne la reprise de
l'emploi et doit la faciliter.
Sans diminution sensible du chômage, nous savons qu'il est vain d'escompter de
la part des Français une grande foi en l'avenir.
Apurer le passé nous oblige à diminuer le poids considérable de nos dépenses
publiques et de nos comptes sociaux, qui situent nos prélèvements obligatoires
au niveau le plus élevé d'Europe et constituent désormais le mal français, ou
l'exception française.
Quelle est, pour un particulier, l'incitation à investir, si la moitié de ses
gains lui est confisquée par les cotisations sociales ou l'impôt ?
Comment une entreprise peut-elle emprunter sur le marché si la quasi-totalité
des emprunts du marché obligataire est ponctionnée par l'Etat ?
Parce que nous n'aurions pas le courage de réaliser ce que tous nos
partenaires européens ont entrepris, depuis la Suède sociale-démocrate jusqu'à
l'Italie ou l'Espagne, en passant par l'Allemagne - certains depuis longtemps,
d'autres dans un passé récent - à savoir la réduction des dépenses budgétaires
ou la maîtrise des dépenses sociales, devons-nous continuer à rejeter sur les
générations futures les charges financières ?
(M. Jean-Luc Mélenchon s'exclame.)
Croyons-nous sincèrement qu'il soit possible d'attirer des investisseurs
internationaux et même de trouver des prêteurs si nous ne remettons pas de
l'ordre dans nos affaires ?
Comment peut-on parler d'indépendance nationale si nous devons dépendre, pour
nos fins de mois, du bon vouloir des créanciers étrangers ?
Monsieur le Premier ministre, vous avez engagé un effort remarquable et
méritoire de compression des dépenses publiques. Le budget pour 1997 en est
l'illustration, puisque, en francs constants, ces dépenses diminueront de 2 %,
ce qui est sans précédent dans notre pays depuis 1958.
Pour la sécurité sociale, des réformes de structure ont été adoptées et des
orientations ont été prises, qui doivent permettre de mettre un terme aux
expédients et aux replâtrages auxquels on a eu trop longtemps recours pour
remédier aux déficits. (
« C'est Balladur ! » scandent plusieurs sénateurs
socialistes.)
S'il est trop tôt pour recueillir les fruits de cette politique, au moins
pouvez-vous vous prévaloir d'un résultat indiscutable : la baisse des taux
d'intérêt à court et à long terme. Ce résultat témoigne de la confiance des
marchés en la crédibilité de votre action. Il permet aux chefs d'entreprise
d'investir à des coûts raisonnables et à l'Etat de réduire très sensiblement le
poids de son endettement.
(Murmures sur les travées socialistes.)
Quant à ceux qui, dans l'opposition, vous critiquent - et avec quelle
âpreté - nous les invitons à plus d'humilité et à moins d'amnésie ! Pendant les
dix années de leur gestion, les dépenses publiques n'ont cessé de croître. Nous
avons hérité de plus de 3 000 milliards de francs d'endettement.
(Vives protestations sur les travées socialistes.)
Cet endettement
représente aujourd'hui 60 000 francs par Français et par an et 170 000 francs
par actif !
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants,
et de l'Union centriste !)
M. Jean-Louis Carrère.
C'est Balladur !
M. Josselin de Rohan.
Et, puisque la réforme fiscale ne trouve pas grâce à leurs yeux, peut-on leur
rappeler que, sous les gouvernements socialistes, les placements financiers
étaient mieux traités que les revenus du travail ?
(Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées. - Vives protestations sur
les travées socialistes.)
La réforme de l'Etat et des entreprises publiques ne saurait être
ralentie.
Comme vous, nous souhaitons que l'Etat soit plus fort dans les domaines qui
relèvent de ses attributions régaliennes, qu'il soit plus proche des citoyens
et qu'il relâche son emprise dans la vie quotidienne sur le secteur
marchand.
La mise en oeuvre d'une déconcentration poussée est indispensable. Elle rendra
possible les expérimentations sur le terrain et, comme on l'a déjà dit,
permettra de libérer les collectivités locales qui veulent se livrer à un
certain nombre d'expériences. En outre, elle donnera des interlocuteurs à tous
ceux qui ont des projets qui dorment aujourd'hui à cause des tracasseries
administratives ou parce qu'il faut faire remonter des projets aux
administrations centrales et obtenir au moins une vingtaine d'accords !
La poursuite des privatisations est également indispensable.
Les tristes exemples du Crédit lyonnais, du Crédit foncier
(Protestations sur les travées socialistes)
et du Comptoir des
entrepreneurs démontrent l'impérieuse nécessité d'une modification du contrôle
et de la gestion de certains établissements publics, ainsi d'ailleurs que de
l'obligation morale de demander des comptes aux responsables de ces dérives.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de
l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE - Vives
protestations sur les travées socialistes.)
Vous avez mené avec succès la réforme du statut de France Télécom.
M. René-Pierre Signé.
Les dés sont pipés !
M. Josselin de Rohan.
De la même façon, il faut réussir la réforme de cette grande entreprise qu'est
la SNCF en conciliant ses obligations de service public avec les impératifs de
modernisation de ses structures et de modification de ses pratiques
commerciales.
Le débat intervenu au printemps dernier devant la Haute Assemblée montre que
les orientations dégagées par le Gouvernement recueillent notre appui.
Vous avez également initié une réforme capitale de notre système de défense et
de nos industries de l'armement.
Le Sénat a beaucoup réfléchi sur les aléas et les conséquences de ces
réformes. Son apport dans la discussion législative a été très remarquable.
Nous jugeons les réformes inéluctables et conformes aux changements intervenus
dans notre environnement international, conformes aux impératifs de
modernisation de nos forces armées. Mais nous ne nous dissimulons pas que les
incidences sur l'emploi ou sur le tissu industriel de certaines
restructurations doivent entraîner, de la part de l'Etat, un important effort
d'accompagnement.
La réforme fiscale que vous avez amorcée ne pouvait être éludée, tant ceux qui
produisent ou ceux qui travaillent sont pénalisés par une imposition complexe,
souvent confiscatoire et parfois antiéconomique. Vous avez choisi de procéder
par étapes mais, enfin, vous avez enclenché un processus. Non seulement nous
vous en donnons acte, mais encore nous appuyons votre démarche.
En dépit de tous les conservatismes et de tous les corporatismes, l'adaptation
de notre système d'enseignement aux changements de la société ne peut être
différée. Le souci d'agir avec prudence en raison de la sensibilité propre au
milieu ne peut nous dispenser d'une remise en cause profonde de certaines
structures. Qu'il s'agisse de notre enseignement professionnel, des modalités
d'accès à l'enseignement supérieur, du mode de fonctionnement de nos
établissements,...
M. Jean-Louis Carrère.
Et la recherche !
M. Josselin de Rohan.
... beaucoup reste à faire pour éviter que notre système éducatif ne produise
un nombre croissant d'exclus ou de frustrés.
(Exclamations sur les travées socialistes.)
On nous dira que, en ces temps difficiles, il n'est guère sage de
troubler encore les esprits avec des réformes qui dérangent. A-t-on songé que
les pesanteurs, les rigidités, les frilosités de notre société ont bien
davantage comme conséquence de retarder l'adaptation de notre économie aux
grandes mutations de cette fin de siècle et, corrélativement, le retour à la
croissance et à l'emploi ?
La France ne peut être perpétuellement condamnée au choix entre l'immobilisme
qui pétrifie et la révolution qui emporte tout. La voie du progrès demeure dans
la seule réforme : seule l'audace est espérance.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants
ainsi que sur quelques travées de l'Union centriste. - Exclamations sur les
travées socialistes.)
Il nous revient aussi d'oeuvrer pour renforcer la construction
européenne.
Nous partageons avec vous cette ambition, sachant que vous avez comme nous le
souci de maintenir l'identité de notre pays et sa vocation à faire entendre sa
voix et reconnaître son indépendance dans le nouvel ensemble qui s'édifie.
La Conférence intergouvernementale, qui procède à l'étude des futures
institutions européennes, n'entraînera pas l'adhésion des peuples de l'Europe
si ceux-ci ressentent peu ou prou que leur destin est décidé par des organismes
ou des instances sur lesquels ils n'ont pas de prise et qu'ils ne peuvent
contrôler.
La nécessaire coordination des politiques étrangères ou des politiques de
dépense doit tenir compte d'une réalité difficilement contournable : nombre de
nos partenaires, et non des moindres, considèrent que l'impulsion ne peut venir
dans ces domaines que d'outre-Atlantique, et ne sont guère favorables à une
totale liberté d'action européenne. Dans ces conditions, il importe que la
France puisse continuer à faire valoir ses idées, car son audience dans le
monde est encore grande et ses prises de position attendues.
Vous le savez, dans le domaine monétaire, nous ne souhaitons pas l'avènement
d'une Europe des gouverneurs qui imposerait aux gouvernements et aux Etats des
contraintes économiques et sociales trop rigoureuses qui les empêcheraient
d'exercer leurs activités. Je sais que vous ne partagez pas cette façon de voir
et que vous ferez en sorte de maintenir l'équilibre. Mais je devais vous faire
part de cette crainte.
MM. François Gerbaud et Adrien Gouteyron.
Très bien !
M. Josselin de Rohan.
Enfin, autant nous sommes convaincus des bienfaits de la libre circulation des
hommes et des capitaux au sein de l'Union européenne, autant nous croyons à la
nécessaire limitation des entraves au commerce internationale, autant nous
sommes opposés à des concessions par l'Union européenne, sans contreparties, à
des pays qui multiplient les obstacles tarifaires ou paratarifaires et
utilisent leur monnaie comme un instrument de combat.
L'élargissement de l'Union européenne ou son approfondissement ne peut pas non
plus donner prétexte aux adversaires de toute politique commune ou à ceux qui
refusent la spécificité de nos services publics pour démanteler des systèmes
qui ont contribué à notre cohésion sociale ou au développement et à la
modernisation de notre économie.
Vous avez fait preuve d'une assez grande détermination sur ce point pour qu'il
ne soit point besoin d'insister. Sachez cependant que vous pouvez compter dans
votre tâche sur notre soutien constant.
Nous sommes appelés aujourd'hui à nous prononcer sur une politique qui a sa
consistance, sa cohérence et sa logique, et dont les objectifs ont été définis
à plusieurs reprises tant par le chef de l'Etat que par vous-même. Cette
politique a demandé des choix courageux, imposé des sacrifices, dérangé bien
des habitudes, suscité bien des oppositions. Elle ne peut pas donner de
résultats spectaculaires tant que la croissance de l'économie européenne
n'atteindra pas un taux suffisant pour assurer de nouveaux emplois.
Nous le savons, à cause des trop nombreux handicaps qui frappent encore notre
économie, même si la croissance repart, nous attendrons encore un certain temps
avant d'en tirer les avantages que nous pourrions en escompter.
M. René-Pierre Signé.
Vous ne serez plus au pouvoir !
M. Josselin de Rohan.
Mais une chose est certaine : seule une politique de réduction des dépenses
publiques menée avec persévérance peut faciliter le retour à la croissance et
la diminution des charges qui pèsent sur les particuliers et les
entreprises.
Il existe une autre politique,...
M. René Régnault.
Laquelle ?
M. Josselin de Rohan.
... celle qui a été menée par vos précédesseurs socialistes
(Exclamations sur les travées socialistes.)
et qui a conduit à la dérive
budgétaire et monétaire,...
M. Alain Richard.
Balladur !
M. Raymond Courrière.
Balladur et Pasqua !
M. Josselin de Rohan.
... à l'augmentation considérable de l'endettement, à la multiplication par
trois du nombre des chômeurs depuis 1981 et aux trois dévaluations.
(Protestations sur les travées socialistes.)
Ça, c'est la signature de M.
Mauroy !
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de
l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Pierre Mauroy.
N'importe quoi ! C'est nul !
M. le président.
Monsieur de Rohan, vous avez épuisé votre temps de parole.
M. Josselin de Rohan.
En vain, les hiérarques socialistes essaient-ils de donner le change. Ils ont
dépeint comme des innovations quelques vieilles lunes, telles l'autorisation
administrative de licenciement...
M. Alain Richard.
Créée par qui ?
M. Josselin de Rohan.
... ou la réduction obligatoire et uniforme de la durée du travail...
M. René Régnault.
Mais votre solution ?
M. Josselin de Rohan.
... et, par renfort de potage, ils dénoncent une pression fiscale qui est,
hélas ! la triste contrepartie de leur gestion !
(Protestations sur les
travées socialistes. - Bravo ! et applaudissements sur les travées du RPR, des
Républicains et Indépendants, de l'Union centriste ainsi que sur certaines
travées du RDSE.)
Mais les Français ont déjà donné, et trop donné ! pour se
laisser prendre au piège.
M. Jean-Luc Mélenchon.
C'est ce qu'on va voir !
M. Josselin de Rohan.
Monsieur le Premier ministre, aucune critique ne vous a été épargnée et vous
êtes trop souvent la cible de toutes les impatiences et de toutes les
contestations.
J'emprunte à un texte vieux de deux cent vingt-deux ans...
M. le président.
Vous avez épuisé votre temps de parole, monsieur de Rohan.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Respectez le règlement !
M. Josselin de Rohan.
Si vous me le permettez, monsieur Dreyfus-Schmidt, je vais conclure.
(Exclamations sur les travées socialistes.)
Monsieur le Premier ministre, vous n'êtes pas seul. Nous sommes avec vous dans
votre combat pour le redressement de notre économie et nous vous soutiendrons
de toutes nos forces parce que vous êtes un homme de talent, de fidélité et de
courage, parce que nous adhérons aux principes que vous défendez et aux
objectifs que vous poursuivez.
Nous ne nous reconnaissons pas dans le spectacle qu'on veut donner d'une
France découragée et démoralisée. Le combat que vous avez engagé, la France le
gagnera grâce à ses ressources, à ses capacités,...
M. René Régnault.
On n'y croit plus !
M. Josselin de Rohan.
... à la volonté de ses habitants qui, quoi qu'on dise ou qu'on écrive, ont
conservé intactes leur ardeur au travail et leur foi en l'avenir.
(« Bravo !
» et vifs applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants, de l'Union centriste ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Estier.
(Applaudissements sur les travées
socialistes.)
M. Claude Estier.
Monsieur le Premier ministre, avant toute chose, je voudrais, moi aussi, vous
exprimer notre indignation et notre solidarité après l'attentat commis dans la
nuit de samedi à dimanche dernier à l'hôtel de ville de Bordeaux.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du RDSE,
de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Au-delà
de tout ce qui peut nous séparer, notre réprobation contre de tels actes est
totale. Face au terrorisme, d'où qu'il vienne, il est indispensable que nous
parlions tous d'une même voix avec la plus grande fermeté.
M. René Régnault.
Très bien !
M. Claude Estier.
Compte tenu des circonstances, je ne polémiquerai pas avec vous sur la
politique menée en Corse. Nous aurons certainement l'occasion d'en reparler,
monsieur le Premier ministre.
Une semaine après avoir sollicité et obtenu de votre majorité à l'Assemblée
nationale un vote de confiance, dont certains disent et écrivent qu'il vous a
été accordé du bout des doigts, vous accomplissez aujourd'hui la même démarche
au Sénat. Nul doute que vous y obtiendrez le même résultat. Mais en quoi ce
vote aura-t-il changé la situation dans laquelle vous vous trouvez et qui
semble, permettez-moi de vous le dire, vous rendre par moments bien agressif ?
(Murmures sur les travées du RPR.)
M. René Régnault.
Très bien !
M. Claude Estier.
Sans doute pourrez-vous faire valoir, et c'est bien le but de l'opération, que
même ceux qui vous critiquent au sein de cette majorité vous auront apporté
leur adhésion. Mais même si vous en tirez publiquement argument, vous n'êtes
pas assez naïf pour croire que cette adhésion signifie approbation et fin des
critiques du dimanche contre l'action de votre Gouvernement.
(Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur certaines travées
du groupe communiste républicain et citoyen.)
Dans votre déclaration de mercredi dernier, et tout à l'heure encore,
vous avez voulu définir un projet politique dont l'objectif serait de « bâtir
une nouvelle démocratie pour le citoyen de l'an 2000 ». Noble ambition et
belles paroles que vous avez prononcées, comme si vous veniez d'accéder aux
fonctions de chef de gouvernement.
Mais ces fonctions, vous les occupez déjà depuis plus de seize mois, et l'on
peut vous juger aujourd'hui non seulement sur un projet, mais bien aussi sur un
bilan et sur des faits qui sont, malheureusement, en contradiction avec vos
paroles.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Dominique Braye.
Parlons-en du bilan !
M. Claude Estier.
Vous affirmez que l'action que vous menez, et qui selon vous commencerait à
produire des effets, a pour première priorité de redonner à l'économie
française la capacité de créer des emplois. Mais, dans le même temps, vous
devez bien admettre - vous n'en avez pas parlé aujourd'hui d'ailleurs - que les
derniers chiffres du chômage sont mauvais et même, dites-vous,
inacceptables.
M. Philippe Marini.
On dirait que vous vous en réjouissez !
M. Claude Estier.
Non, nous ne nous en réjouissons absolument pas ! Nous le constatons
simplement !
Ces chiffres montrent en effet que le chômage en France a augmenté de 5 % pour
les seuls douze derniers mois, alors même que dans la plupart des pays voisins
la courbe s'est inversée. C'est bien là votre bilan, à vous, monsieur le
Premier ministre,...
M. Dominique Braye.
Le vôtre, c'est deux millions de chômeurs de plus !
M. Claude Estier.
... et non pas l'héritage des quinze dernières années derrière lequel vous
avez un peu trop facilement tendance à vous abriter, dans ce domaine comme dans
beaucoup d'autres. Et ce d'autant plus facilement que vous semblez oublier que,
sur ces quinze dernières années, vos amis et vous-même avez été au Gouvernement
de 1986 à 1988, et sans interruption depuis 1993 !
(Applaudissements sur les travées socialistes. - Vives protestations sur les
travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Calmez-vous, mes chers collègues, calmez-vous !
Vous affirmez dans votre déclaration que la maîtrise des dépenses, c'est
d'abord « la réforme de la sécurité sociale qui a d'ores et déjà brisé la
tendance à l'accroissement indéfini des dépenses ».
Mais, là encore, je vous rappelle que vous ne vous présentez pas devant nous
pour la première fois. Ici même, il y a exactement un an, exposant le fameux
plan qui porte votre nom, vous nous expliquiez qu'il réduirait le déficit de la
sécurité sociale à 17 milliards en 1996, et qu'il aboutirait à un excédent en
1997.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Eh oui !
M. Philippe Marini.
Si on ne l'avait pas fait, on en serait où aujourd'hui ?
M. Claude Estier.
Or le déficit pour cette année est actuellement évalué à 52 milliards de
francs, soit trois fois plus que votre prévision. En fait d'excédent, les
prévisions pour 1997 laissent penser que le déficit sera encore de 40 milliards
de francs l'an prochain, soit près de 100 milliards de francs en deux ans, qui
s'ajoutent au chiffre du même ordre enregistré sous le gouvernement Balladur,
dont vous aviez un jour, monsieur le Premier ministre, qualifié la gestion de
calamiteuse. Mais peut-être vos paroles avaient-elles ce jour-là dépassé votre
pensée ?
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
C'est une déformation de mes propos !
M. Claude Estier.
Là encore, c'est votre bilan et celui de vos amis, sans que vous puissiez
invoquer l'héritage des socialistes.
Un sénateur socialiste.
Edouard, le calamiteux !
M. Claude Estier.
Que vous le vouliez ou non - et c'est bien là la raison de la grogne et de
l'inquiétude de vos amis politiques - la réalité est très loin de ce que vous
annonciez voilà un an, encore plus loin des promesses faites et des engagements
pris par le candidat Jacques Chirac pendant la campagne présidentielle du
printemps 1995. En fait, ces engagements ont constitué une véritable tromperie
dont les Français vous font aujourd'hui grief et dont vous payez les
conséquences.
Plusieurs sénateurs socialistes.
Eh oui !
M. Robert Calmejane.
Mitterrand nous a trompés pendant quinze ans !
M. Claude Estier.
On peut donc comprendre que votre cote de confiance soit aujourd'hui si faible
dans l'opinion. Certes, vous pouvez obtenir au Parlement une confiance que mes
amis ont justement qualifiée de « disciplinaire », mais les dernières enquêtes
n'en ont pas moins montré que, s'ils étaient députés, près des deux tiers des
Français vous refuseraient cette confiance.
M. René-Pierre Signé.
Oh oui, alors !
M. Claude Estier.
Sans doute ne gouverne-t-on pas seulement en fonction des sondages, et vous
avez raison de le dire. Mais quand ils vont tous dans le même sens, ils
traduisent un état de l'opinion dont vous devriez mieux analyser les causes.
M. René Régnault.
Eh oui !
M. Claude Estier.
Or, loin de tenir compte du fait que la politique que vous avez définie se
traduit par une série d'échecs, vous appelez à la persévérance, sans
considération pour l'adage latin qui la jugerait diabolique. Vous nous affirmez
que cela ira mieux l'année prochaine, mais vous nous aviez déjà dit la même
chose l'année dernière. Si vous persévérez dans la même direction, pourquoi les
résultats seraient-ils meilleurs demain ?
Un sénateur socialiste.
Très bien ! Très bon discours !
M. Claude Estier.
Vous prédisez, avec une série d'experts, que la croissance en 1997 sera double
de celle de cette année, c'est-à-dire de l'ordre de 2 % ou un peu plus.
Mes chers collègues, espérons que, pour une fois, les experts ne se trompent
pas ! Mais même si ce chiffre se vérifie et permet de créer environ 100 000
emplois, vous savez bien que cela ne sera pas suffisant pour inverser la courbe
du chômage !
Il ne suffit pas non plus d'annoncer des réformes pour que la vie des Français
en soit changée. J'en donnerai quelques exemples.
Le Sénat va examiner, à partir de la semaine prochaine, une proposition de loi
créant une prestation pour les personnes âgées dépendantes. Excellente
intention que nous soutiendrions volontiers,...
M. Philippe Marini.
Ce seront des emplois !
M. Claude Estier.
... sauf que le texte que l'on nous propose a un caractère restrictif et
transitoire,...
M. Lucien Neuwirth.
Il a le mérite d'exister !
M. Claude Estier.
... en attendant une réelle prestation d'autonomie dans le financement de
laquelle l'Etat prendrait sa part,...
(Protestations sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. Charles Descours.
Et alors ? Il ne fallait rien faire ?
M. Claude Estier.
... alors que, pour l'instant, et vous le savez bien, mes chers collègues,
l'Etat continue de se décharger sur les collectivités locales, qui sont de plus
en plus accablées financièrement.
(« Eh oui ! » et applaudissements sur les travées socialistes.)
Ne peut-on dire la même chose du projet de loi contre l'exclusion, qui
représente, lui aussi, une grande idée, mais dont on ne voit pas bien avec
quels moyens il pourrait être mis en oeuvre efficacement ?
Le troisième exemple, tout aussi grave, concerne le logement. Vous parlez
aujourd'hui d'accession à la propriété. Mais vous avez affirmé à plusieurs
reprises votre volonté d'accorder une priorité au logement social. Fort bien,
mais que constate-t-on ? Les crédits de réhabilitation - PALULOS - qui
concernaient 200 000 logements en 1992, sont désormais réduits à 70 000. L'aide
personnalisée au logement, pour la troisième année consécutive, n'est pas
revalorisée. Le Crédit foncier est menacé. Les PLA sont gravement rognés.
L'application des surloyers entraîne des conséquences lourdes pour de
nombreuses familles. Les crédits de réhabilitation du privé baissent de 10 %.
Les PLA très sociaux risquent de n'être financés, là encore, que par appel aux
collectivités locales.
M. René Régnault.
C'est la vérité !
M. Claude Estier.
En outre, l'équilibre du budget du logement n'est assuré pour l'an prochain
que grâce à un prélèvement de 14 milliards de francs sur les crédits du 1 % du
logement, ...
M. René-Pierre Signé.
Eh oui !
M. Claude Estier.
... c'est-à-dire grâce à l'utilisation par anticipation des ressources des
deux ans à venir.
En fait de priorité, l'Etat est en train de se désengager dans ce domaine
essentiel pour notre économie, pour l'emploi et pour la cohésion sociale. Le
mouvement HLM se réunit d'ailleurs cette semaine pour exprimer sa protestation
contre ce désengagement.
Vous dites que vous n'entendez personne proposer une autre politique.
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
Je n'en entends pas en ce moment, en tout cas !
M. Claude Estier.
Vous écoutez mal, monsieur le Premier ministre !
M. René Régnault.
Il est sourd !
M. Claude Estier.
Une autre politique, en tout cas une autre logique...
(Exclamations sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains
et Indépendants.)
On prétend que nous ne proposons jamais d'autre politique, alors
laissez-moi m'exprimer !
M. Dominique Braye.
Une autre politique crédible !
M. Claude Estier.
Une autre politique, en tout cas une autre logique consisterait non pas à
aggraver les prélèvements obligatoires comme vous l'avez fait depuis un an,
après ceux qui furent effectués par le gouvernement Balladur auquel vous
apparteniez, non pas à accorder des exonérations de charges aux entreprises
sans contrepartie d'embauche, mais à redonner à celles-ci des perspectives
d'avenir grâce à une vraie relance de la consommation rendue elle-même possible
par une amélioration du pouvoir d'achat des catégories les plus modestes.
M. Dominique Braye.
Cela a déjà été fait !
M. Jean Chérioux.
On a vu le résultat en 1981 !
M. Claude Estier.
J'entendais ce matin, sur une radio, M. Raffarin affirmer que 55 % des
entreprises françaises - je n'ai pas vérifié - se portent bien. Si cela est
vrai, ne peut-on les inciter à faire un effort sur les salaires ?
Un grand quotidien parisien - celui-là même que vous brandissiez tout à
l'heure, monsieur le Premier ministre - a commencé hier la publication d'une
enquête édifiante sur les difficultés dans lesquelles se débattent les deux
millions et demi de Français qui ne gagnent plus que les 5 000 francs mensuels
du SMIC, sans parler évidemment de toutes celles et de tous ceux qui ne
disposent même pas de cette somme. Ces millions de Français, y compris ceux qui
ont la chance d'avoir encore un emploi, sont obligés de se priver de presque
tout. Une fois payés leur loyer, les charges et le minimum de nourriture, il ne
leur reste pratiquement rien pour d'autres achats. Toute augmentation de leur
revenu aurait des effets immédiats sur la consommation. Au lieu de rester
médiocre comme c'est le cas actuellement, celle-ci repartirait à la hausse. Les
entreprises y trouveraient rapidement leur compte et l'investissement,
présentement au point mort, serait également relancé. Une nouvelle dynamique
serait ainsi créée qui aurait forcément et sans doute rapidement des effets
bénéfiques pour l'emploi. Car, vous le savez bien, monsieur le Premier
ministre, les entreprises n'embaucheront pas parce que le Président de la
République ou vous-même leur demandez d'embaucher. Elles embaucheront quand
leurs carnets de commandes se rempliront et qu'elles auront alors besoin de
personnel.
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
On n'entend vraiment que des vérités premières !
M. Claude Estier.
Faute de vous engager dans cette voie, vos appels seront d'autant moins
entendus que, dans le même temps, vous pratiquez des licenciements dans le
secteur public, ce que savent bien, par exemple, les milliers de maîtres
auxiliaires qui viennent d'être au chômage au moment même où vous vous flattez
de réussir une nouvelle réforme de l'éducation nationale, ce que savent aussi
les ouvriers de GIAT-Industrie ou ceux des arsenaux de Brest ou de Cherbourg,
qui sont bien décidés à se battre contre le plan Millon. Vous dressez peu à peu
contre vous l'ensemble de la fonction publique, qui le manifestera le 17
octobre.
Cela m'amène à souligner un autre aspect de votre politique qui, en plus
d'être injuste et inefficace, est également incohérente.
Pour illustrer mon propos, je prendrai deux exemples récents.
Le premier concerne une mesure annoncée avec une minutieuse préparation et
dont vous attendiez une relance de la dynamique gouvernementale : je veux
parler de la fameuse baisse de 25 milliards de francs de l'impôt sur le revenu.
Comme on dirait à La Poste : « Pour une bonne nouvelle, c'était une bonne
nouvelle ! »
Mais, outre que la réalité de cette baisse de 25 milliards de francs a été
immédiatement contestée au sein même de votre Gouvernement, vous avez brouillé
votre propre message en évoquant soudain une réforme du mode de scrutin
législatif, qui a provoqué aussitôt une remarquable cacophonie dans votre
majorité.
Et comme si cela ne suffisait pas, deux jours après a été annoncée une hausse
sensible des impôts locaux, en même temps d'ailleurs qu'une nouvelle
augmentation des taxes sur les carburants, le tabac et l'alcool.
(Protestations sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de
l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Marcel Debarge.
Transferts de charge !
M. Claude Estier.
N'est-ce pas vrai ? N'y-a-t-il pas une hausse des impôts locaux ? Demandez à
ceux qui reçoivent leur avis de recouvrement de la taxe d'habitation ou de la
taxe foncière s'il n'y a pas de hausse des impôts locaux !
(Nouvelles protestations sur les mêmes travées. - Applaudissements sur les
travées socialistes.)
Cela a donné aux Français le sentiment, d'ailleurs parfaitement justifié,
qu'on leur reprenait d'une main, et tout de suite, ce qu'on leur aurait donné
d'une autre un peu plus tard. Du coup, l'annonce dont vous attendiez tant a
abouti à un « flop » retentissant qu'ont traduit tous les sondages dans les
jours suivants. Et encore n'aviez-vous pas parlé à ce moment de l'allégement de
l'impôt sur les grandes fortunes,...
M. Dominique Braye.
Voilà le mythe qui reparaît ! Voilà le catéchisme qui revient !
M. Claude Estier.
Vous avez déjà supprimé une fois l'impôt sur les grandes fortunes, et cela ne
vous a pas réussi ! Alors, faites attention ! En tout cas, monsieur le Premier
ministre, je vous ai trouvé, à ce propos, un peu plus circonspect que M. le
Président de la République.
Deuxième exemple d'une politique incohérente : l'affaire des « sans-papiers »
dits de Saint-Bernard.
(Exclamations sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de
l'Union centriste.)
Vous l'avez laissée se développer pendant près de six mois et devenir le
feuilleton médiatique du mois d'août pour en arriver finalement à cette image,
répercutée par les télévisions du monde entier, d'une porte d'église enfoncée à
coups de hache, et ce pour aboutir à quoi ?
(Applaudissements sur les travées socialistes. - Vives exclamations sur les
travées du RPR, des Républicains et Indépendants, ainsi que sur celles de
l'Union centriste.)
M. Josselin de Rohan.
Mgr Estier !
M. Claude Estier.
Sur les quelque 300 personnes qui, participaient à ce mouvement, quelques
dizaines ont vu leur situation régularisée, ce qui aurait pu être fait beaucoup
plus tôt. Un petit nombre a été renvoyé par charters et la grande majorité a
été relâchée dans la nature, renvoyée au su et au vu du ministre de l'intérieur
à cette clandestinité dont elles voulaient précisément sortir.
Le bilan est peu glorieux sinon qu'il a démontré que les lois dites « Pasqua
», que nous avions dénoncées en leur temps, sont inapplicables.
« (Oh ! » sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de
l'Union centriste.)
M. Dominique Braye.
Elles sont insuffisantes ! A cause de vous, nous ne sommes pas allés assez
loin !
M. Claude Estier.
Vous en venez d'ailleurs vous-mêmes, comme vous l'avez répété tout à l'heure,
à parler de « lacunes » et d'« incohérences »...
M. Claude Braye.
A cause de vous !
M. Claude Estier. ...
et vous nous annoncez un nouveau dispositif législatif, dont un journal du
soir publiait, aujourd'hui, un avant-projet. Nous aurons donc un débat à ce
sujet et nous aurons, nous aussi, des propositions concrètes à présenter pour
répondre à ce problème lancinant de l'immigration clandestine, qui doit être
traité sérieusement, car le problème est grave, mais dans un souci de justice
et de respect de la dignité des personnes humaines.
(Murmures sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de
l'Union centriste.)
M. Philippe Marini.
On a vu ce que vous-mêmes avez réalisé dans ce domaine !
M. le président.
Mes chers collègues, veuillez ne pas interrompre trop fréquemment l'orateur,
dont le temps de parole est limité.
Veuillez poursuivre, monsieur Estier.
M. Claude Estier.
Aujourd'hui même, vous nous annoncez, d'autre part, une consultation de tous
les groupes politiques sur les questions touchant à la modernisation de la vie
politique. Nous viendrons volontiers à cette consultation en vous soumettant
les propositions que le parti socialiste, après des débats approfondis, a mis
au point dans ce domaine important.
Mais, s'agissant du mode de scrutin pour les prochaines législatives, vous
nous trouverez fermement opposés - je crois que nous ne serons pas les seuls -
à tout ce qui pourrait ressembler à une manipulation destinée à vous tirer de
la situation difficile dans laquelle vous risquez de vous trouver en 1998.
(Applaudissements sur les travées socialistes. - Protestations sur les travées
du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Dominique Braye.
Ne vendez pas la peau de l'ours avant de l'avoir tué !
M. Charles Descours
Et vous, qu'avez-vous fait en 1986 ?
M. Claude Estier.
Vous êtes toujours tournés vers le passé, jamais vers l'avenir.
J'ai bien dit en 1998 puisque vous nous assurez catégoriquement qu'en dépit
des rumeurs qui ont pris corps au sein même de votre majorité il n'y aura pas
de dissolution ni d'élections anticipées, ni même de remaniement du
Gouvernement dans la mesure où - vous l'avez dit dimanche à
7 sur 7
- vous jugez celui-ci « excellent », ce qui montre qu'en matière
d'autosatisfaction vous n'êtes jamais en retrait.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
En tout cas, je ne suis pas le seul.
M. Claude Estier.
Je ne peux pas, dans le temps qui m'est imparti, traiter de tous les sujets
que j'aurais souhaité évoquer.
J'aurais voulu, par exemple, vous interroger sur le sort que vous entendez
réserver au rapport dont il a été beaucoup question ces jours derniers qui,
sous prétexte de protéger le secret de l'instruction, nous paraît être une
machine à faciliter l'étouffement de certaines affaires en même temps qu'une
menace sur la liberté de l'information.
(Applaudissements sur les travées socialistes. - Protestations sur les travées
du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste, ainsi que sur
certaines travées du RDSE.)
M. Charles Descours.
Et les écoutes téléphoniques de l'Elysée ?
M. le président.
Veuillez conclure, monsieur Estier.
M. Claude Estier.
Sur un tout autre plan, je voudrais en quelques mots exprimer l'inquiétude des
Européens que nous sommes devant le manque de fermeté de votre Gouvernement
face notamment aux problèmes qui se posent en matière d'approfondissement de
l'Union européenne, ce qui nous amène soit à l'immobilisme, comme le montre le
piétinement actuel de la Conférence intergouvernementale, soit à nous placer à
la remorque de l'Allemagne, ce qui semble être le cas dans le domaine monétaire
; nous aurons, je crois, l'occasion d'y revenir dans un prochain débat.
Vous ne serez évidemment pas surpris que, au terme de ces observations, je
vous confirme que le groupe socialiste vous refusera sa confiance.
(Rires et exclamations sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. -
Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
Quelle surprise !
M. Claude Estier.
Je terminerai par deux remarques.
J'ai évoqué au début de mon propos l'héritage que vous continuez à invoquer
pour rejeter sur les socialistes la responsabilité de vos échecs
d'aujourd'hui.
Un sénateur sur les travées du RPR.
C'est la vérité !
M. Claude Estier.
Je constate là encore une contradiction. En effet, vous vantez désormais les
mérites de la décentralisation, que vous aviez dénoncée, et de quelle manière !
à l'époque où Gaston Defferre la mettait en oeuvre et vous utilisez abondamment
la CSG, que vous aviez âprement combattue lorsqu'elle fut proposée par le
gouvernement de Michel Rocard.
(Protestations sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de
l'Union centriste.)
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
Ce n'est pas vrai !
M. le président.
Veuillez conclure, je vous prie, monsieur Estier.
M. Claude Estier.
Permettez-moi une note un peu plus humoristique pour finir.
Mercredi dernier, en lisant ici le texte du discours que vous prononciez à
l'Assemblée nationale, M. le garde des sceaux a commis un lapsus en affirmant
que 1987 - au lieu de 1997 - serait une année d'amélioration. Voulant se
rattraper, il a vanté l'action du gouvernement de Jacques Chirac en 1987, en
oubliant toutefois que, quelques mois plus tard, en mai 1988, François
Mitterrand avait été largement réélu contre lui.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
Veuillez conclure, s'il vous plaît !
M. Claude Estier.
Vous vantez, aujourd'hui, vos propres mérites. Il se pourrait bien que
pareille mésaventure vous guette pour 1998 !
(Vifs applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à Mme Luc.
Mme Hélène Luc.
Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame, messieurs les
ministres, mes chers collègues, jamais, depuis longtemps, le fossé entre les
citoyens et la politique mise en oeuvre par un gouvernement de la France n'aura
été aussi profond qu'aujourd'hui. D'un côté, 80 % de parlementaires formant les
majorités de droite de l'Assemblée nationale et du Sénat approuvent le Premier
ministre et ses choix, de l'autre, l'opinion rejette, dans les mêmes
proportions, les mêmes choix du même Premier ministre ! Quel divorce !
Le discrédit de votre politique, monsieur le Premier ministre, est massif,
c'est incontestable. Comme moi, mes collègues du groupe communiste républicain
et citoyen n'ont jamais rencontré autant de malaise, d'inquiétude et d'angoisse
chez nos concitoyens.
Monsieur le Premier ministre, la France d'aujourd'hui est une nation qui
souffre, qui subit un véritable cataclysme social et humain. La France voit sa
jeunesse brisée dans ses espérances parce qu'elle se voit aujourd'hui soumise
au carcan de Maastricht, à la marche forcée vers la monnaie unique, support de
cette logique ultralibérale impitoyable que vous voulez pousser toujours plus
loin, toujours plus durement.
Cet avenir délibérément sacrifié est d'autant plus insupportable que la France
est une grande nation, riche de multiples potentiels, de multiples réalisations
de femmes et d'hommes qui lui donnent une identité forte.
Hier encore, au sein de la délégation des parlementaires bretons reçus par le
Président Chirac, notre collègue M. Félix Leyzour a fait part de notre opinion
sur les problèmes qui secouent aujourd'hui la Bretagne. Nous revenons pour
témoigner de ces villes, de ces villages, de ces quartiers sinistrés par le
massacre de l'emploi au rythme effrayant de 35 000 licenciements par mois. La
France est sinistrée des saignées d'entreprises qui alignent plans sociaux sur
plans sociaux, sinistrée de cette fracture sociale toujours plus béante.
Comble du comble, dans un pays de millions d'exclus et de victimes de la
crise, alors que quatre-vingt-onze familles disposent à elles seules du quart
du budget de la nation, c'est vers celles-ci que se tournent les préoccupations
du Président de la République quand il évoque l'allégement possible de l'impôt
sur la fortune, quand il faudrait, au contraire, comme nous le proposons, le
quadrupler pour financer un plan d'urgence contre la pauvreté.
Il y a cette France insoutenable de tous les « sans » : sans emploi, sans
revenu, sans domicile, sans affectation, sans sécurité, sans droit, sans
papiers, donc sans perspective !
Mais cette France que nous connaissons est en même temps ce pays de femmes,
d'hommes et de jeunes avec qui nous vivons, nous résistons et nous construisons
: salariés de la SFP, de Bally-Myrys, du secteur bancaire, enseignants,
fonctionnaires, médecins, salariés des arsenaux, éleveurs qui refusent de faire
les frais de la crise de la vache folle, enfant naturel du marché unique,
cheminots, qui continuent, comme en décembre 1995, par leur magnifique
engagement, à repousser toute tentative de démantèlement de la SNCF. Tous et
bien d'autres refusent, comme nous, que les valeurs boursières passent avant
les valeurs humaines.
Monsieur le Premier ministre, il y a toute une France qui se bat, qui se rend
compte que votre politique mène le pays dans une impasse totale. Elle est
responsable, lucide et bâtisseuse d'avenir, cette France qui, à l'image de sa
jeunesse, vous oppose de véritables et belles ambitions, celles du droit à un
vrai métier, à une vraie formation, à une vraie vie.
Les jeunes n'acceptent pas d'être la génération sacrifiée, et il leur faut de
la détermination et du courage - beaucoup en ont - à l'instar de ces centaines
de lycéens et d'étudiants sans place à la rentrée, aux côtés desquels nous nous
sommes battus, souvent avec succès, en créant avec eux SOS-rentrée.
Le discrédit et l'impopularité de votre politique, monsieur le Premier
ministre, ne sauraient surprendre après tant de reniements, tant d'engagements
non tenus et tant de fausses promesses, alors même que vous n'exercez le
pouvoir que depuis dix-huit mois. Vous persistez en répétant que vous ne
varierez en rien. Vous voulez avoir raison seul contre tous, mais les faits
vous donnent tort.
Ainsi en est-il de la sécurité sociale, dont la réforme devait porter ses
fruits dès 1996 et dont le déficit allait être définitivement enrayé en 1997.
On connaît le résultat !
Après un plan de démantèlement obtenu à marche forcée par ordonnances, en
passant au-dessus du Parlement, le déficit sera de 60 milliards de francs, non
de 17 milliards de francs comme prévu, et ce en dépit des lourdes ponctions
supplémentaires infligées aux salariés.
La sécurité sociale est avant tout malade du manque de ressources provoqué par
le chômage, l'explosion de la précarité et des CES au détriment de vrais
emplois stables, comme vient de le confirmer la Cour des comptes. Elle est
malade des exonérations de cotisations en tout genre pour le grand patronat.
Dans l'opinion, grandit l'écho de notre proposition tendant à prélever le même
taux de cotisation sur les revenus financiers - qui représentent la somme
colossale de 1 145 milliards de francs - que sur les salaires, ce qui
rapporterait 167 milliards de francs à la sécurité sociale.
Alors, monsieur le Premier ministre, qu'allez-vous faire ?
Il en est de même pour cette réforme truquée des impôts. Tout le monde a
compris que vous augmentiez les impôts indirects et les impôts locaux, qui sont
les plus injustes, pour permettre l'allégement des impôts sur les gros revenus.
Voilà la véritable politique de classe que vous menez !
La réduction des dépenses publiques relève de la même mystification. Ce sont
tous les budgets touchant la vie quotidienne des Français qui seront
amputés.
Ainsi, les 13 milliards de francs retirés au logement social : c'est un
véritable séisme ! Les responsables des organismes d'HLM sont révoltés et ils
convoquent jeudi une convention spéciale pour dénoncer ce désengagement de
l'Etat qui déstructure tout le logement social. Il faut rétablir ces crédits,
monsieur le Premier ministre !
Et les baisses touchent bien d'autres secteurs : 15 % pour l'aménagement du
territoire, 5 % pour la ville, 29 % pour l'industrie.
De même, les 5 000 suppressions de postes dans l'éducation nationale sont
inacceptables quand des milliers de maîtres auxiliaires ne sont pas réemployés
et que 800 000 heures supplémentaires imposées aux enseignants peuvent être
immédiatement transformées en milliers de nouveaux emplois. C'est la qualité de
la formation qui est en jeu, monsieur le Premier ministre ! Qu'attendez-vous
?
Si votre politique est un échec pour notre pays, pour notre peuple, ce n'est
pas par imprévoyance ou par incohérence, car elle n'est pas un échec pour tout
le monde. Elle répond parfaitement et totalement aux exigences des puissances
dominatrices que M. Chirac, alors en campagne électorale, stigmatisait ainsi :
« Ces détenteurs de gros capitaux qui s'enrichissent sans effort, par de
simples jeux d'écritures, tant il est vrai que l'argent appelle l'argent ».
En Europe et en France, la clé de voûte de cette logique ultracapitaliste est
le traité de Maastricht, avec ses critères, sa monnaie unique, entièrement
conçus pour libérer totalement la circulation des capitaux, ce qui, comme
l'affirme le commissaire européen de Silguy, « fait des marchés financiers les
gendarmes de la politique économique que mènent les gouvernements ».
Eh bien, ces gendarmes, ils sont exigeants : il leur faut moins de dépenses
publiques utiles, car c'est de l'argent stérile pour la spéculation, moins de
protection sociale, moins de charges salariales, moins d'emplois, moins
d'entraves à la recherche effrénée de la rentabilité financière. Et cela permet
à cent vingt entreprises françaises de réaliser, au cours du seul premier
semestre de cette année, 51 milliards de francs de profits : un record !
Le summum est atteint quand un cours boursier flambe à la simple annonce d'un
plan de licenciements, comme chez Moulinex ou Rhône-Poulenc. Quel cynisme,
quelle inhumanité dans ce système qui fait gagner de l'argent en brisant les
êtres humains !
Il vous faut déréglementer, démanteler les services publics, même si l'on
aboutit à des absurdités, à des gâchis financiers et humains incroyables, en
même temps qu'à une régression du service offert à l'usager : le transport
aérien en fournit une illustration. Et vous voulez faire de même pour la SNCF
ou EDF !
L'ouverture à la concurrence sauvage des liaisons que Air Inter assurait en
équilibrant rigoureusement ses comptes déstabilise non seulement la compagnie
française mais également tous ses nouveaux concurrents privés, qui sont dans le
rouge, alignant des milliards de francs de déficit. Cette expérience en
grandeur réelle montre bien que l'Europe ultralibérale ne peut être synonyme
d'efficacité économique et humaine. Et je ne ferai qu'évoquer ici l'insécurité
et les nuisances pour les riverains des aéroports.
Il faut renoncer à l'ouverture totale du ciel européen prévue pour le 1er
avril prochain.
Les Echos
titrent : « Un budget 1997 sur mesure pour la monnaie unique
».
Mais, monsieur le Premier ministre, mesurez à quel point cette Europe-là
s'éloigne inexorablement de l'Europe des peuples, des coopérations mutuellement
fructueuses entre les pays, de la croissance, de l'emploi et de la démocratie.
Elle se fait contre les intérêts des 300 millions d'Européens.
A cet égard, le Président de la République serait bien inspiré de respecter
son engagement de consulter les Français par référendum sur l'entrée de la
France dans le système de la monnaie unique. Au nom des sénateurs du groupe
communiste républicain et citoyen, j'appelle solennellement le Président de la
République à le faire.
Comment ne pas s'inquiéter de l'instauration d'un véritable système monétaire
européen
bis
au récent sommet de Dublin, sans aucun contrôle
démocratique ?
Mme Danielle Bidard-Reydet.
Très bien !
Mme Hélène Luc.
Face à la brutalité et à la violence de votre politique, le pays a besoin
d'une politique radicalement différente, inversant les choix actuels et
replaçant l'être humain au coeur des décisions, en lieu et place de la finance
et de l'argent dominateurs.
Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen y oeuvrent en
avançant des propositions réalistes, novatrices, à l'écoute du mouvement
social, à l'unisson de ses attentes de changement.
Lors de la présentation de votre plan de casse de la sécurité sociale, vous
aviez relevé qu'il y avait deux logiques opposées en présence, la vôtre et la
nôtre. C'est bien exact.
Cette nouvelle politique que nous voulons doit faire de la démocratie le fil
rouge de la construction et de la gestion d'une société moderne. Cela passe,
selon nous, par des institutions démocratiques rénovées, un Parlement doté de
pouvoirs réels assurant, par le scrutin proportionnel intégral - et, à cet
égard, il ne faudra pas oublier les élections sénatoriales -, la représentation
de toutes les composantes de la société ; je pense particulièrement à la
représentation des salariés, des jeunes, des femmes.
Le groupe communiste républicain et citoyen a, sur ce sujet, des propositions
fortes à formuler. Il le fera notamment dans le cadre de la mission sénatoriale
d'information sur la place des femmes dans la vie publique, dont je salue
d'autant plus volontiers la naissance que nous en avons pris l'initiative après
le retour de la conférence de Pékin de mon amie Michelle Demessine, recueillant
l'accord unanime des sénatrices, du président du Sénat et des présidents de
tous les groupes. Nous allons nous mettre au travail.
S'agissant de l'attentat de Bordeaux, nous le condamnons avec toute la force
et la vigueur nécessaires. Je le redis : le terrorisme fait mal à la Corse, mal
à la France et mal à la démocratie.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen
et sur les travées socialistes, ainsi que sur de nombreuses travées du RDSE, de
l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
La population corse n'a rien à voir avec ceux qui se réclament
abusivement d'elle. Vous devez, monsieur le Premier ministre, faire appliquer
la loi dans toute sa rigueur. Il faut exclure toute complaisance à l'égard des
terroristes. Pour notre part, nous n'avons jamais cessé de le faire.
Dans le même temps, comme je l'ai demandé lors du débat du 6 juin sur la Corse
et comme je l'ai répété à l'occasion du déplacement d'une délégation en Corse
une semaine plus tard, il faut une politique de réel développement économique,
qui s'attaque au cancer du chômage et au désespoir de la jeunesse corse.
Je vous demande aujourd'hui, monsieur le Premier ministre, du haut de cette
tribune, ce que je vous ai déjà demandé par écrit : répondez à la proposition
de M. Charpak et du comité scientifique tendant à installer le synchrotron à
Bastia, comme le souhaite le maire de cette ville.
M. le président.
Madame Luc, je vous prie de conclure.
Mme Hélène Luc.
Les orateurs précédents ont dépassé leur temps de parole, monsieur le
président !
M. le président.
D'une ou deux minutes seulement !
Mme Hélène Luc.
Malheureusement, monsieur le Premier ministre, vous n'avez rien engagé de
significatif dans ce sens depuis le voyage que vous avez effectué en
juillet.
Nous serons des acteurs déterminés pour nous opposer à vos mauvais coups, pour
appeler à recréer les conditions de la croissance, donc de la création
d'emplois par la relance de la consommation, qui passe par celle du pouvoir
d'achat.
Le SMIC à 7 500 francs, 1 000 francs de plus pour tous les salaires inférieurs
à 15 000 francs et 600 francs pour les retraites : c'est indispensable pour que
chacun vive correctement aujourd'hui, et ce serait efficace immédiatement,
comme le serait le passage sans attendre aux trente-cinq heures, qui
permettrait de créer 500 000 emplois en deux ans.
Robert Hue a avancé une grande proposition progressiste...
M. le président.
Pardonnez-moi, madame Luc, mais je vous enjoins de conclure maintenant !
Mme Hélène Luc.
Je termine, monsieur le président. Mais je m'aperçois que vous n'avez pas la
même attitude avec tous les orateurs !
(Protestations sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
J'ai agi de même avec ceux qui vous ont précédé !
Mme Hélène Luc.
Robert Hue, disais-je, a avancé une grande proposition progressiste, aussi
innovante que le fut la sécurité sociale à la Libération et à laquelle nous
travaillons : il s'agit de la création d'une sécurité d'emploi et de formation
pour chacun, de la sortie de l'école jusqu'à la retraite.
Elle permettrait à chaque citoyen d'avoir une vie active rémunérée alternant
formation, recherche, expériences professionnelles renouvelées, à l'opposé
d'une mobilité qui précarise.
Il faut stopper les 200 000 nouvelles suppressions d'emplois programmées dans
les entreprises, comme l'a proposé mon ami Alain Bocquet.
Il faut stopper immédiatement le processus dévastateur qui est engagé et
changer complètement de cap. Avec notre peuple, qui ne se résigne pas, avec la
jeunesse, avec toutes celles et tous ceux qui n'ont pas renoncé à avoir une
haute idée de la France, avec toutes celles et tous ceux qui déploieront leur
énergie dans des mouvements porteurs d'avenir, les sénateurs du groupe
communiste républicain et citoyen seront de ce combat, qui passe aujourd'hui
par le rejet de la confiance à votre Gouvernement.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen,
ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Joly.
M. Bernard Joly.
En choisissant de soumettre les orientations politiques du Gouvernement à
l'appréciation des parlementaires, vous avez eu, monsieur le Premier ministre,
une lecture éclairée de notre Constitution ; je m'en réjouis comme l'ensemble
de mes collègues, car le fonctionnement de notre démocratie n'oblige nullement
le Gouvernement à présenter sa déclaration de politique générale devant la
Haute assemblée, et encore moins à la faire approuver par un scrutin public.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Il ne risque rien !
M. Bernard Joly.
Les sénateurs du groupe du Rassemblement démocratique et social européen vous
sont reconnaissants de la confiance que vous leur témoignez ainsi. Ils sauront
s'en montrer dignes et participeront activement aux travaux de la session.
La démarche retenue revêt un aspect solennel. Un peu plus d'un an après votre
déclaration d'investiture, dans laquelle vous définissiez les orientations de
la politique à mener, voici une nouvelle étape, tout à la fois bilan et
prospective. Il faut simultanément expliquer pourquoi les résultats escomptés
ne sont pas au rendez-vous et comment les nouveaux objectifs pourront être
atteints. De nombreux Français, en proie aux difficultés engendrées par une
conjoncture économique et sociale défavorable, s'interrogent sur leur capacité
à rebondir. Lors d'une épreuve, les dernières forces sont rassemblées et jetées
pour franchir la ligne d'arrivée. Pour beaucoup, elle apparaît, aujourd'hui,
comme un mirage.
Pour remobiliser, pour redonner foi dans un avenir où chacun aura sa place, le
moyen à notre disposition, nous qui sommes ici réunis, est la concertation
entre élus et gouvernants témoignant de leur volonté d'avancer ensemble pour,
comme vous le disiez, « insuffler à nos concitoyens l'esprit de réforme,
l'esprit de conquête » et, j'ajouterai, la volonté indispensable du
redressement. Seule une cohésion affichée entre les différents acteurs de la
vie politique et l'empreinte d'un pouvoir fort permettront d'apaiser les
clivages et d'effacer les tensions qui contribuent à différer la relance.
Notre conviction doit être assez forte pour porter la flamme du relais qui
permettra de réveiller le pays. Churchill avait promis du sang et des larmes,
de Gaulle exhortait à reprendre le combat. La rage de vaincre est venue de la
dimension de l'enjeu. Les termes ont changé mais le levier du dépassement reste
le même. Un idéal n'est pas un rêve.
M. Philippe Labeyrie
N'importe quoi !
M. Bernard Joly.
Monsieur le Premier ministre, nul ne met en cause la qualité des efforts
déployés par votre gouvernement pour parvenir à assainir les finances
publiques, redresser les comptes de la sécurité sociale et lutter contre le
chômage.
Toutefois, les Français sont impatients, et parfois en colère. Il gronde à
nouveau des menaces de manifestations dont la lecture doit être faite avec les
précautions d'usage, mais qui n'en mobilisent pas moins au-delà des
professionnels du genre. Pour atteindre les objectifs que vous avez fixés afin
de redresser la France, nos concitoyens ont dû et doivent encore consentir de
nombreux sacrifices qui, en l'absence de résultats immédiatement tangibles, se
révèlent souvent douloureux.
Aussi était-il nécessaire de réaffirmer solennellement que les efforts
consentis ne seraient pas vains. Néanmoins, il faut regarder la vérité en face.
Vous avez, monsieur le Premier ministre, nous avons, mes chers collègues,
annoncé des résultats. Si nos compatriotes savent fort bien que le redressement
de la nation n'interviendra qu'après plusieurs années, ils n'oublient pas pour
autant nos promesses : 1997 a été présentée comme l'année décisive de la
réforme ; 1998 sera l'année du renouvellement. L'échéance est donc brève ! A
nous de nous y tenir.
Pour ce faire, la majorité des membres du groupe du Rassemblement démocratique
et social européen, au nom duquel je m'exprime à cette tribune, a choisi
d'adhérer à l'unique politique budgétaire envisageable, qui, ainsi que vous
l'avez démontré, s'avère nécessairement être une politique volontariste.
Elle a également choisi de participer au redressement de notre système de
protection sociale, en adoptant, en février dernier, le texte relatif aux lois
de financement de la sécurité sociale. Elle vous a enfin soutenu sur les
différents textes qui visaient à faire reculer le chômage.
Ce soutien vous est maintenu pour les échéances à venir, même si certains
d'entre nous, tout en renouvelant la confiance qu'ils vous avaient déjà
accordée, regrettent le parallélisme trop rigoureux entre votre déclaration de
mercredi dernier et vos propos plus anciens.
Monsieur le Premier ministre, les préoccupations essentielles des Français
concernent l'éducation et l'emploi, la protection sociale, l'impôt et la
justice.
En matière de lutte contre le chômage, nous ne pouvons que nous réjouir des
avancées accomplies, même si la route est encore longue. Les membres du groupe
que je représente dans ce débat ont pu constater avec satisfaction la mise en
place de mesures visant à aménager le temps de travail. Nous accueillerons
également avec bienveillance le projet de loi relatif au pacte de relance pour
la ville, dans la mesure où l'emploi se révèle être le moteur des dispositions
envisagées.
Cependant, ces avancées ne constituent qu'un premier pas, et la lutte contre
l'exclusion sociale doit rester la première priorité du Gouvernement. A ce
sujet, certains d'entre nous, moi le premier, regrettent la disparition de
l'aide aux chômeurs créateurs ou repreneurs d'entreprise. Pour malaisée que
soit apparue leur application, il n'en demeure pas moins que ces dispositions
devront être réétudiées, afin d'être présentées sous une autre forme ; le futur
chef d'entreprise, encouragé par une telle mesure à quitter les sentiers de
l'exclusion, pourra en effet, dans sa fuite salutaire, entraîner d'autres
demandeurs d'emploi, contribuant ainsi à l'abaissement du taux de chômage. Il
convient, également, d'encourager les représentants des services déconcentrés
de l'Etat à une lecture des textes prenant en compte une réalité appelant une
appréciation adaptée quant à l'attribution de l'aide.
Par ailleurs, et notre collègue Fernand Demilly avait déjà attiré l'attention
du garde des sceaux lors du débat sur le projet de loi relatif à l'enfance
délinquante, aucune avancée significative en matière d'emploi ne pourra être
accomplie si, parallèlement, des efforts ne sont pas consentis dans le domaine
de l'éducation.
Enfin, la lutte contre le chômage n'aboutira jamais tant que nous ne nous
déciderons pas à encourager une politique nataliste, laquelle aurait des effets
salutaires au regard tant de l'emploi que celui de la protection sociale.
La protection sociale est directement liée à l'emploi. Sans le second, il est
quasi impossible de bénéficier de la première. Une lourde tâche nous attend,
car c'est nous, parlementaires, qui, ayant accepté d'intervenir dans les
comptes de la sécurité sociale, devron procéder à son redressement, et ce sous
notre entière responsabilité.
Monsieur le Premier ministre, cette entreprise sera d'autant plus difficile
que les Français, reconnaissons-le, peuvent, à juste titre, être déçus par les
chiffres récemment communiqués.
M. Claude Estier.
Ah oui !
M. Bernard Joly.
Alors que nous leur avions annoncé une amélioration rapide de la situation en
ce domaine, force est de constater que les résultats n'ont pas été à la hauteur
de nos espérances.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Voilà la franchise !
M. Bernard Joly.
Il nous faut donc persévérer afin de tenir nos promesses, même si l'on sait
désormais que ce sera avec retard.
Quoi qu'il en soit, le groupe du Rassemblement démocratique et social européen
entend contribuer à l'amélioration des conditions de vie de ses concitoyens.
C'est dans cet esprit que M. Guy Cabanel, président de notre formation, a
cosigné la proposition de loi relative à la prestation autonomie à laquelle je
suis, également, particulièrement attaché, mais j'aurai l'occasion de
m'exprimer sur ce sujet lors d'une prochaine séance. Cette mesure, si elle
était adoptée, contribuerait à plus de justice sociale, ainsi que le prônait M.
le Président de la République lors de son investiture.
Le volet essentiel de la récente déclaration du Gouvernement concerne l'impôt.
Dans ce domaine, il nous faut reconnaître que des progrès ont déjà été
accomplis.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Et la TVA ?
M. Bernard Joly.
Si le Gouvernement cherche à s'attirer la confiance des Français, notamment
pour pouvoir mener à bien sa politique de réduction des déficits budgétaires,
c'est parce qu'il a lui-même confiance dans la capacité qu'ont nos concitoyens
à contribuer au redressement du pays.
Cette confiance, monsieur le Premier ministre, vous avez su en témoigner en
annonçant une baisse conséquente de l'impôt sur le revenu. Cette réduction
fiscale, qui devrait favoriser la relance, même modeste, de la consommation,
peut constituer le déclic tant attendu, qui permettrait d'encourager la
croissance indispensable à la relance de notre économie.
Cette mesure constitue donc une avancée importante qui devra être poursuivie
jusqu'à la refonte complète de notre système fiscal. Il faut, notamment,
rechercher un ajustement des prélèvements et des redistributions, c'est-à-dire
tenter de ne pas prélever ce qui va revenir sous forme d'allocation.
Européens convaincus, nous pensons qu'il y a lieu de continuer dans la voie de
la rigueur budgétaire, et ce non seulement afin de pouvoir accéder dans les
meilleures conditions au marché européen qui nous attend, mais surtout parce
qu'il est primordial d'assainir la situation financière de notre pays.
Ayant récemment pris connaissance des propos tenus par le Président de la
République en matière d'impôt sur la fortune, et sans être opposés à sa
reconsidération, nous tenons, toutefois, à mettre en garde le Gouvernement afin
qu'il ne retombe pas dans les erreurs du passé.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Ah ! Quand même !
M. Bernard Joly.
Si la fuite des capitaux et l'exil des foyers fiscaux à l'étranger est un
fléau qu'il faut éradiquer, il n'en demeure pas moins que la solidarité entre
les plus fortunés et ceux qui le sont moins reste un excellent facteur de
cohésion sociale.
En tout état de cause, il nous faut agir vite pour qu'à son tour la France
devienne « une niche » fiscale, mobilisatrice de compétences et de capitaux
extérieurs, afin de favoriser l'implantation de nouvelles entreprises qui
contribueront au développement et au maintien de l'emploi.
J'en viens à un autre volet de la politique gouvernementale : la justice et
l'immigration.
En ce qui concerne la première, en particulier dans son mode d'appréhension de
la vie carcérale, le groupe auquel j'appartiens entend participer activement à
la mise en place d'une législation novatrice. C'est la raison pour laquelle
j'invite mes collègues à soutenir la proposition de loi du président de notre
groupe, M. Guy Cabanel, relative au placement sous surveillance électronique,
qui viendra très prochainement en discussion dans cet hémicycle.
Ce texte, qui a reçu l'assentiment de tous les membres de la commission des
lois, est la preuve d'un réel progrès dans le domaine des libertés publiques,
dans la mesure où le « bracelet électronique » constitue une garantie
supplémentaire de lutte contre la détention excessive.
Par ailleurs, le groupe du Rassemblement démocratique et social européen, en
consacrant une journée de réflexion à la lutte contre le terrorisme, le 18
octobre prochain, souhaite contribuer à l'amélioration de la législation dans
ce domaine, afin que cette forme particulière de criminalité, nouvelle forme de
guerre, ne vienne pas troubler la paix mondiale que de nombreux pays se doivent
de léguer aux générations à venir. Je continue à penser, et ce malgré les
démonstrations de certains de mes éminents collègues, que l'imprescriptibilité
convient pour ce type d'actes.
Une cause, si juste soit-elle, ne justifie jamais le recours au terrorisme.
Nous sommes à vos côtés au lendemain de l'attentat de Bordeaux et nous nous
associons, monsieur le Premier ministre, à vos déclarations par lesquelles vous
condamnez un acte aveugle qui endommage le patrimoine national, donc la mémoire
collective, et met en péril la vie d'innocents.
A mi-chemin entre police et justice se trouve le délicat problème de
l'immigration.
Beaucoup d'entre nous sont convaincus qu'il s'agit là d'un domaine dans lequel
aucun laxisme n'est permis. Toutefois, nous sommes particulièrement attachés à
ce que le Gouvernement fasse d'abord connaître sa fermeté à l'encontre des
employeurs d'immigrés illégaux avant de procéder à l'expulsion des étrangers
indésirables qui, bien souvent, se révèlent plutôt victimes qu'acteurs.
Tel était, d'ailleurs, le sens de l'intervention de notre collègue Jacques
Bimbenet au cours d'une séance de questions orales. Nous constatons avec
satisfaction que sa démarche a été entendue et nous étudierons favorablement le
projet de loi que le Gouvernement déposera prochainement sur l'initiative de M.
Jacques Barrot.
Monsieur le Premier ministre, il convient, enfin, d'accorder une attention
particulière à la Corse. Notre éminent collègue François Giacobbi...
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Vous n'allez pas les citer tous !
M. Bernard Joly.
... estime, en effet, que votre politique concernant la Corse est à la fois
clairvoyante et courageuse. Vous êtes le seul qui, depuis presque vingt ans,
ait su appréhender avec rectitude la complexité d'une situation délicate. Nous
vous en félicitons.
Ainsi, confiant parce que convaincu que les orientations que vous avez
choisies dans le cadre du dossier corse sont les seules qui soient susceptibles
de fournir des résultats, François Giacobbi apportera son soutien à l'ensemble
de votre politique, suivi en cela par la grande majorité des membres du groupe
du Rassemblement démocratique et social européen, attitude qui reflète la
spécificité de notre formation.
(Applaudissements sur les travées du RDSE, des Républicains et Indépendants,
de l'Union centriste et du RPR.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Et Paul Girod, vous ne l'avez pas cité ?
M. le président.
La parole est à M. Habert, pour cinq minutes.
M. Jacques Habert.
« Nos compatriotes sont inquiets et désorientés... Ils nous disent aujourd'hui
leurs attentes, leurs impatiences, leurs déceptions, leurs mécontentements, et
nous le comprenons. » Telles sont, monsieur le Premier ministre, vos propres
paroles dans la déclaration de politique générale du Gouvernement. En ces
quelques mots lucides l'essentiel est exprimé. Il vous faut maintenant, bien
sûr, répondre à ces attentes, calmer ces impatientes, éradiquer ces
mécontentements.
Facile à dire, très difficile à faire ! Surtout quand on se trouve - c'est le
cas aujourd'hui - dans une période de mutation qui implique des changements
radicaux, des réformes profondes, nécessaires pour élever notre pays au niveau
du XXIe siècle, mais tout à fait déconcertantes, démoralisantes, parce qu'elles
heurtent nos habitudes, bouleversent nos certitudes et touchent à des droits
que l'on croyait acquis.
D'où cette conséquence que vous avez nommée : la « sinistrose », une morosité
qui d'ailleurs, comme vous l'avez remarqué, monsieur le Premier ministre,
frappe davantage le « microcosme » politique et médiatique que les Français
eux-mêmes.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Pas du tout !
M. Jacques Habert.
Mais cette maladie bien de chez nous n'est pas nouvelle. Permettez-moi à ce
sujet une rapide digression. A l'époque romantique, on l'appelait « le mal du
siècle ». Après les heures exaltantes de la Révolution et du Premier Empire,
ceux qui avaient conduit nos soldats jusqu'à Rome, Vienne, Berlin, Moscou, se
retrouvaient en demi-solde.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Ceux qui n'étaient pas morts !
M. Jacques Habert.
Les jeunes, eux aussi, cherchaient leur voie. Alfred de Musset avait donné à
cette mélancolie un nom poétique : la « désespérance ».
Eh bien ! nos compatriotes de ce temps-là avaient tort de se désespérer ! La
France a connu ensuite Victor Hugo et Louis Pasteur, l'unité italienne et une
épopée mondiale que l'on entend parfois dénigrer, mais qui nous a permis d'être
présents sur tous les continents ; ce grâce à quoi une trentaine de nations
parlent maintenant notre langue et se retrouvent solidaires d'un même idéal.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
A l'église Saint-Bernard, par exemple !
M. Jacques Habert.
Aujourd'hui comme autrefois, nous aurions tort de désespérer, même s'il existe
de réels motifs d'inquiétude. Nous aurions tort de voir tout en noir, même si
certains, dans des buts assez clairs, s'activent pour tout peindre d'une
couleur de deuil.
Il est indéniable que nous disposons d'atouts considérables - vous l'avez
rappelé, monsieur le Premier ministre, et tout le monde le reconnaît - à savoir
la qualité et la richesse de nos ressources humaines, les performances de nos
secteurs de pointe, le dynamisme de nos entreprises, surtout reconnu hors de
nos frontières, un commerce extérieur fortement excédentaire et des taux
d'intérêts au plus bas permettant les investissements. Tous ces indicateurs
sont très positifs.
Il faut se féliciter de l'attention spéciale que vous portez aux petites et
moyennes entreprises, principales sources d'emplois dans notre économie. Nous
devons les aider à étendre leurs activités sur les marchés internationaux où se
trouvent les principaux potentiels de croissance.
A cet égard, vous avez eu raison de souligner, monsieur le Premier ministre,
comme d'ailleurs le président du Sénat, M. René Monory, le fait souvent, la
nécessité d'encourager les jeunes Français à partir à l'étranger pour favoriser
nos exportations et participer au rayonnement de notre pays.
(« Très bien ! » et applaudissements sur les travées de l'Union centriste
ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
La France occupe une place centrale en Europe. Elle doit en poursuivre
l'édification. A l'heure où s'organisent de grands ensembles, l'ALENA, le
Mercosur ou l'ASEAN, il ne faut pas prendre le risque de laisser l'Union
européenne se distendre.
Méfions-nous cependant : l'euroscepticisme existe, et avec quelques raisons.
Comment être sûrs, par exemple, que la monnaie unique sera le remède miracle
que l'on annonce ? Faut-il vraiment en poursuivre la réalisation avec tant de
hâte ? Sommes-nous obligés de montrer tant de zèle dans l'application de
certaines directives venues de Bruxelles ? Nous aurions souhaité parfois une
défense plus ferme de nos spécificités.
Plus ferme aussi doit être la protection des frontières, non seulement celles
de l'Hexagone, mais aussi celles de l'ensemble de l'Europe.
La France, fidèle à sa tradition de terre d'asile, demeure certainement le
pays le plus accueillant du monde. Mais, dans la situation économique actuelle,
peut-on se permettre de pousser plus loin notre générosité ? Celle-ci ne doit
s'exercer que dans le respect des lois, et nos lois n'autorisent pas
l'immigration clandestine.
La France est aussi l'un des deux pays du monde qui dépensent le plus, tant en
hommes qu'en contributions financières, pour le progrès des nations en voie de
développement. Elle conduit avec celles-ci une politique de coopération qui, à
bien des égards, a été exemplaire. Cependant, le but de cette politique ne doit
pas être d'amener chez nous tous ceux qui cherchent - nous les comprenons - à
venir y résider et à bénéficier - ce qui est normal - de notre protection
sociale, qui reste la meilleure du monde. La finalité de notre coopération doit
être de permettre à nos amis et partenaires de se fixer dans leur propre pays,
qui profitera des compétences et des enseignements qu'éventuellement nous
aurons pu leur donner.
En conclusion, je citerai une phrase qui m'a frappé dans la déclaration du
Gouvernement : « Plus que jamais, nous avons besoin, dans un monde sans
frontières et apparemment sans règle du jeu, de retrouver les fondements de la
morale républicaine et le sens de quelques grands idéaux, simples mais que je
crois immortels : la liberté, l'égalité et la fraternité. On peut ajouter la
responsabilité, le goût du travail, le regard d'autrui, le sentiment familial,
l'amour de la paix et l'amour de la France. »
Telle est, fort bien exposée en quelques mots, la hauteur de vos vues et de
l'espérance qui sous-tend votre politique. Ces mots résument les raisons pour
lesquelles la majorité d'entre nous, monsieur le Premier ministre, vous
accordera sa confiance.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et
Indépendants et du RPR, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
Je vous remercie, monsieur Habert, d'avoir respecté votre temps de parole, qui
était fort court.
La parole est à M. de Raincourt.
M. Henri de Raincourt.
Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, il
est des moments où la répétition n'est pas lancinante. Je voudrais, comme
d'autres avant moi, m'adresser au maire de Bordeaux pour lui exprimer, au nom
de l'ensemble des membres du groupe des Républicains et Indépendants, toute
notre sympathie.
Un attentat est toujours odieux en soi mais lorsqu'il est perpétré dans une
mairie, c'est-à-dire dans la « maison commune » des habitants d'une ville,
c'est parfaitement inacceptable. En cet instant, ce sont tous les Bordelais qui
sont blessés ; nous leur témoignons notre solidarité.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, de l'Union
centriste, du RPR et du RDSE.)
Monsieur le Premier ministre, nous vous réaffirmons notre soutien, pour
les mesures que vous venez d'annoncer et pour votre détermination à combattre
les attentats, quels qu'en soient les auteurs. Nous sommes à vos côtés pour
vous soutenir dans l'action que vous menez, afin que sur l'ensemble du
territoire national soient respectées les lois de la République.
M. François Giacobbi.
Très bien !
M. Henri de Raincourt.
Monsieur le Premier ministre, vous demandez une nouvelle fois à notre Haute
Assemblée un vote d'approbation sur votre politique générale. Au nom des
sénateurs Républicains et Indépendants, je vous remercie.
Chargé d'assurer, depuis le 1er octobre dernier, la coordination de la
majorité sénatoriale, je pense pouvoir dire au nom de celle-ci que la Haute
Assemblée est sensible à cette marque de considération, que nous n'avons pas
connue sous tous les gouvernements.
(« Très bien ! » et applaudissements sur les travées des Républicains et
Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées
du RDSE.)
Vous avez choisi de conduire une politique de redressement national,
nécessaire pour que les engagements pris au plan européen puissent être
tenus.
La maîtrise des déficits, la limitation de la dépense publique, l'allégement
de la fiscalité prévu pour 1997 sont autant de conditions indispensables pour
redonner oxygène et élan à notre économie.
J'observe d'ailleurs, après d'autres, que les gouvernements occidentaux
agissent tous de la même manière quelle que soit la sensibilité politique de
leurs dirigeants. Les exemples récemment donnés par l'Italie et par l'Espagne
devraient d'ailleurs inciter ceux qui vous critiquent à une certaine
retenue.
Il convient également de rappeler que les ministres des finances des pays du G
7 ont constaté que, dans le monde, les perspectives de croissance sont
favorables pour les mois à venir et pour 1997. La France, engagée dans un
processus crédible, pourra bénéficier pleinement de ces perspectives
encourageantes.
Dans bien des domaines, des réformes courageuses - et périlleuses - ont été
entreprises. Je ne citerai comme exemples que la réforme de la SNCF, celle de
France Télécom ou encore celle de notre système de protection sociale dont il
convenait, tout simplement, d'assurer la pérennité, ce qui est énorme.
L'emploi, la consommation, la croissance et la confiance sont intimement mêlés
pour inverser des tendances accentuées par l'immobilisme et le
conservatisme.
L'esprit d'assistance s'est développé au détriment de l'esprit d'entreprise.
Nous savons bien que, dans ces conditions, la réforme est difficile. On peut
aisément comprendre les réticences de nos compatriotes alors que nombre d'entre
eux sont confrontés à des problèmes économiques et sociaux redoutables. Aucune
famille n'est aujourd'hui épargnée.
Nous savons aussi que nous traversons une époque de profonde mutation qui
impose l'imagination et l'audace pour ouvrir de nouveaux horizons.
Mais ce n'est pas la première fois que notre pays est confronté à une telle
situation. A chaque fois, il a su relever le défi. Sachons le relever à notre
tour afin de redonner confiance aux Français.
Pour cela, il nous semble qu'il faut répondre à deux de leurs préoccupations
majeures : le chômage et l'insécurité, sujets que vous avez d'ailleurs
largement développés dans votre intervention, monsieur le Premier ministre.
Pour l'emploi, nous constatons la limite des politiques mises en oeuvre ces
dernières années par des gouvernements différents. Les solutions
traditionnelles ne suffisent plus. Nos systèmes d'intervention, beaucoup trop
dirigistes, sont à bout de souffle et trop onéreux. Même si leur exemple n'est
pas intégralement transposable en France, reconnaissons que les Etats-Unis
obtiennent des résultats et que, là-bas, la pauvreté recule.
M. Philippe Labeyrie.
Ce n'est pas vrai !
M. Henri de Raincourt.
Il y a chez nous des blocages culturels et administratifs qui détruisent des
emplois. L'heure est plus que jamais à l'intelligence prospective afin de faire
émerger en nombre de nouveaux métiers.
Après l'ère agricole puis l'ère industrielle, voici venue celle de la haute
technologie et de la communication. Ce secteur, si nous le voulons, ouvre des
perspectives. Acceptons de changer d'état d'esprit si nous désirons monter dans
le train du futur.
Les collectivités territoriales représentent en termes d'investissement un
poids considérable. Si elles avaient un peu plus de libertés elles pourraient
faire preuve d'initiative tant en matière d'investissement qu'en matière de
création d'emplois. Des exemples existent ; il faut mieux les connaître et les
faire connaître.
Investir est pourtant devenu pour les collectivités territoriales un véritable
parcours du combattant comportant de nombreux risques.
Elles sont aujourd'hui quasi paralysées par la lourdeur du code des marchés
publics et le harcèlement des contrôleurs. Il faut être téméraire de nos jours
pour oser signer un marché public.
Plus d'emplois, c'est moins de délinquance, donc une tranquillité de vie
retrouvée dans certaines zones d'habitation. Pour combattre l'insécurité, nous
avons des moyens, et je souscris à ce que vous avez exprimé tout à l'heure à
propos de la Corse.
La sécurité englobe aussi la question de l'immigration, dangereuse à terme si
elle n'est pas traitée. Peut-on, en la matière, avoir enfin une réglementation
simple, claire et humaine ? Ne pas y consacrer nos efforts, c'est nourrir le
racisme et l'extrémisme. L'immigration illégale doit être combattue.
L'immigration régulière doit permettre une intégration réussie respectant la
dignité des personnes.
Il convient, monsieur le Premier ministre, de ne pas disperser nos efforts. Il
me semble que, sur ces deux sujets, nous pouvons mobiliser notre énergie et
concentrer l'action publique, afin de montrer à nos compatriotes que nous
agissons pour améliorer la situation du pays, mais aussi leur vie
quotidienne.
Nous sommes tous responsables devant eux. C'est pourquoi l'humilité et la
modestie s'imposent quant aux méthodes à appliquer. Qui peut ici affirmer qu'il
détient la solution la plus adaptée et la plus efficace pour créer des emplois
et pour combattre l'immigration illégale ?
M. Christian Poncelet.
Personne !
M. Henri de Raincourt.
Poser la question, c'est déjà y répondre !
Les membres du groupe des Républicains et Indépendants sont résolus à
participer à cette oeuvre de modernisation. Ils considèrent que le Parlement à
un rôle essentiel à jouer. Il doit être ou redevenir le centre du débat
républicain.
Dans la situation présente, nous avons, dans la majorité, un devoir d'union. A
cet égard, la distillation des petites phrases, singulièrement le dimanche, a
un effet ravageur.
(« Ah ! » sur les travées socialistes.)
M. Alain Gournac.
Absolument !
M. Henri de Raincourt.
L'échange démocratique vu à travers le prisme déformant des médias est par
trop réducteur, d'autant que certains acteurs n'exercent pas de responsabilités
électives : c'est donc un appauvrissement du débat qui concourt à éloigner les
élus des électeurs et à manipuler l'opinion. Pour nous, parlementaires, il est
toujours désagréable d'apprendre certaines décisions par la presse et après
elle.
On voudrait nous faire tomber dans un piège. Si, dans la majorité, nous ne
sommes pas d'accord sur tout, nous n'aurions, nous dit-on, d'autre choix que
l'« opposition intérieure » ou le mutisme. Pour notre part, nous pensons que
nous pouvons éviter ce piège par une confiance réciproque entre le Gouvernement
et sa majorité.
La démocratie, c'est le dialogue et le respect des opinions d'autrui. Cela
doit se vérifier au Parlement, et en premier lieu entre la majorité et le
Gouvernement.
Les ministres doivent être attentifs à ce que dit la majorité sénatoriale, en
respectant, bien entendu, les sensibilités respectives des groupes qui la
composent.
En contrepartie, nous ne devons pas venir compliquer la tâche, souvent si
difficile, du Gouvernement en le critiquant systématiquement, ce que nos
compatriotes, au fond, ne comprennent pas et ne nous pardonnent pas.
Notre groupe se trouve tout à fait dans cet état d'esprit. Oui, nous soutenons
la politique du Gouvernement. Nous souhaitons aussi être associés le plus en
amont possible à son élaboration et nous entendons continuer à nous exprimer
librement sur tel ou tel texte.
Le Gouvernement ne doit pas, bien au contraire, redouter ou regretter la
discussion avec ceux qui le soutiennent.
Monsieur le Premier ministre, en application de l'article 49-4 de la
Constitution, vous avez souhaité consulter le Sénat sur la politique générale
du Gouvernement.
Cette démarche est utile, car elle pemet de vérifier si les deux chambres du
Parlement soutiennent la politique que vous conduisez avec constance et
courage.
Le groupe des Républicains et Indépendants appartient à la majorité choisie
par les Français en 1993 et confirmée l'année dernière à l'occasion de
l'élection présidentielle.
Nous avons au moins trois raisons d'émettre un vote favorable à l'issue de ce
débat : vous donner acte, monsieur le Premier ministre, de l'action du
Gouvernement ; vous confirmer notre soutien ; vous manifester notre volonté
d'union.
Pour ce qui concerne notre comportement politique futur, nous resterons
attentifs aux projets gouvernementaux, nous resterons responsables dans nos
propositions de loi ou amendements, mais toujours solidaires sur l'esentiel.
Nous avons un devoir de soutien à l'égard du Gouvernement ; c'est un acte de
solidarité politique. Nous avons aussi un droit de proposition, et les deux
choses ne sont pas incompatibles. Que ce soit par notre vote ici ou par nos
déclarations à l'extérieur, nous continuerons à vous apporter notre soutien.
Cela n'exclut ni la discussion, ni la réflexion, ni même le droit à la
différence sur tel ou tel aspect d'un texte.
Dans cette période si compliquée, n'est-il pas bon, parfois, de rappeler des
évidences aussi simples ? Le Gouvernement a besoin de marcher en utilisant les
deux jambes qui composent sa majorité. Ceux qui envisageraient de construire
une majorité avec un parti fort et quelques auxiliaires nous conduiraient à
l'échec ; quant à ceux, appartenant à la majorité, qui rêveraient d'un échec du
Gouvernement pour connaître un succès personnel, ils rencontreraient bien des
désillusions.
M. Roland du Luart.
Bravo !
M. Henri de Raincourt.
L'union est un outil politique dans l'intérêt du pays.
Certes, la crise est complexe. Elle n'est pas seulement économique ; on ne la
réglera donc pas par une logique exclusivement comptable.
La crise est également morale. Nous avons perdu nos repères sans qu'il en
surgisse d'autres. C'est peut-être le signe de la permanence de certaines
valeurs.
Monsieur le Premier ministre, ou bien nous considérons que, désormais, notre
glorieux passé et l'héritage de notre longue histoire sont trop lourds à
porter, alors nous accepterions comme une fatalité de devenir un petit peuple
dans un petit pays, ou bien nous, parlementaires, quelles que soient les
travées sur lesquelles nous siégeons, nous considérons que nous avons une
mission, je dirai même une vocation : celle qui consiste à proposer à nos
compatriotes de continuer à travailler pour que notre pays reste fort, respecté
et influent en occupant toute sa place en Europe et dans le monde. Je suis
convaincu que cette France-là, c'est la vraie France, et c'est celle que nous
aimons.
(« Bravo ! » et applaudissements sur les travées des Républicains et
Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées
du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Blin.
M. Maurice Blin.
Monsieur le Premier ministre, je m'associe à mon tour, au nom du groupe de
l'Union centriste, au témoignage de solidarité qui a été formulé par l'ensemble
des orateurs qui m'ont précédé à cette tribune, à la suite de l'attentat
perpétré contre la mairie de Bordeaux. Il ne faut pas que le terrorisme, d'où
qu'il vienne, puisse prévaloir sur la République.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des
Républicains et Indépendants et du RPR, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
Vous avez voulu, monsieur le Premier ministre, solliciter l'avis de notre
Haute Assemblée sur une déclaration de politique générale du Gouvernement. Vous
n'y étiez pas obligé. Nous nous en félicitons doublement : d'abord parce que
votre choix témoigne de l'intérêt que vous portez aux travaux du Sénat et de
l'importance de son rôle dans nos institutions, ensuite parce que la politique
de réforme dans laquelle vous vous êtes engagé, qui est si contraire à la
tradition d'un pays qui lui a souvent préféré la révolution, même sans effets
ni lendemains, demande, pour aboutir, le soutien du Parlement.
La réponse de la France aux contraintes d'un monde nouveau, celui du XXIe
siècle, sa faculté d'adaptation à un contexte international en plein
bouleversement politique, économique et financier sont les clés de son
avenir.
Ses institutions politiques sont solides, mais, après cinquante ans d'usage,
d'autres, dans les domaines financier, économique, fiscal ou social, ont
vieilli. Avec elles, se sont créées des habitudes. Sur elles, se sont greffés
des intérêts, d'où les résistances que votre politique de réforme suscite chez
certains.
D'autres estiment que ses résultats sont trop lents à venir. Ils ne
comprennent pas que l'on n'efface pas en quelques mois les effets du laxisme
budgétaire
(M. Chérioux applaudit),
le déficit des entreprises publiques, le
gouffre financier que creusent, année après année, les comptes sociaux de la
nation. Il y faut de la persévérance et du temps. Reste que, çà et là, on sent
dans l'opinion comme une nostalgie des temps anciens, ceux qui étaient
caractérisés par une croissance facile et forte, par une monnaie sous-évaluée
et par une économie soutenue et encadrée par l'Etat. Or, mes chers collègues,
ce temps n'est plus et ne reviendra pas : un pays qui exporte plus de 20 % de
sa production, qui a une dette dont quelque 20 % sont détenus par des mains
étrangères, est condamné à vivre au rythme du monde et à pratiquer une gestion
qui inspire confiance.
Une dernière critique est opposée à ceux qui, comme vous, comme nous, monsieur
le Premier ministre, sont convaincus de la nécessité d'une remise en ordre de
la maison « France ». Elle séduit, car elle relève de la pratique immémoriale
du bouc émissaire : l'Europe, plus précisément la contrainte monétaire que nous
impose la création de sa monnaie de demain serait à l'origine de tous nos maux.
L'argument est cependant fallacieux à un double titre.
D'abord, la France aurait été de toutes les façons dans l'obligation de
rétablir l'équilibre de ses finances. Continuer à vivre d'emprunts, c'était
imposer à nos enfants les sacrifices que nous nous serions épargnés à
nous-mêmes. C'était rompre la solidarité des générations et mettre en péril la
continuité de la nation. Qui d'entre nous, mes chers collègues, quelle que soit
son appartenance politique, accepterait d'en prendre le risque ?
Et puis, et surtout, la monnaie européenne de demain est la condition
incontournable hors de laquelle l'Europe ne resterait qu'un marché convoité par
ses concurrents d'Amérique ou d'Asie. Elle ne résistera à leur emprise, en
particulier au dumping monétaire du plus puissant d'entre eux, elle ne
deviendra un partenaire économique respecté que si elle dispose d'une monnaie
propre. Parlons plus clair encore : sa dispersion entre seize pays aux monnaies
différentes dont les uns pourraient être tentés demain, comme ils le furent
hier, par les facilités d'une dévaluation aboutirait tôt ou tard, ainsi le veut
la loi du marché monétaire, à faire de l'une d'entre elles, là encore celle du
pays le plus puissant, le pôle auquel toutes les autres seraient obligées de se
rallier, c'est-à-dire en fait de se soumettre. La monnaie européenne de demain
sera le résultat d'une oeuvre commune ou ne sera pas.
A cette oeuvre, votre Gouvernement, monsieur le Premier ministre, prend
aujourd'hui toute sa part. Et c'est pourquoi mon groupe et moi-même vous
soutenons. Toute autre politique constituerait une régression et vouerait
l'Europe et notre pays au déclin.
M. Christian Poncelet.
Très bien !
M. Maurice Blin.
Telle est l'évidence. Telle est « l'ardente obligation » que nous fait
l'histoire. Pourquoi cependant, mes chers collègues, faut-il qu'elle continue
de se heurter au scepticisme des uns et de susciter l'inquiétude chez beaucoup
d'autres ?
C'est qu'elle bute sur un obstacle de taille : le drame de l'emploi. Aussi
longtemps que le chômage restera chez nous ce qu'il est, c'est-à-dire, hélas !
l'un des plus élevés des nations industrielles, tant que des milliers de jeunes
auront le sentiment d'être sans avenir...
Mme Hélène Luc.
Eh oui !
M. Maurice Blin.
... et que des centaines de milliers de sans-travail seront condamnés à
l'assistance, la politique que vous conduisez, monsieur le Premier ministre,
aussi nécessaire, aussi pertinente qu'elle soit, sera privée de l'adhésion
forte de l'opinion. Or celle-ci est la condition absolue de son succès.
Certes, le projet de budget pour 1997, que vous nous présenterez bientôt,
comporte pour la première fois une réduction de la dépense publique. Mais il ne
s'accompagne pas d'un allégement assez significatif, nous semble-t-il, des
formalités administratives qui entravent aujourd'hui la création d'emplois, en
particulier dans les petites et moyennes entreprises, qui, pourtant, sont
aujourd'hui les seules capables d'en générer.
Cet effort méritoire et sans précédent, avec pour conséquence la mise à la
disposition des entreprises de capitaux nouveaux, risque donc de ne pas avoir
l'effet d'entraînement que vous en attendez. Disons-le tout net : la lourdeur
de l'appareil de contrôle qui pèse aujourd'hui sur les entreprises est devenu
intolérable.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du RPR.)
C'est encore cette lourdeur qui explique les hésitations qui se
manifestent au sein d'un Etat terriblement centralisé à faire confiance aux
collectivités territoriales, régions, départements ou villes pour gérer au plus
près du terrain le problème du chômage. Elles seules peuvent lutter
efficacement, comme elles l'ont fait hier pour certaines dépenses sociales,
contre les excès manifestes dont souffre un système qui a vu l'assistance,
c'est-à-dire, en fait, la perpétuation du non-travail, se répandre aux dépens
du retour à l'emploi. Mais elles n'y parviendront que si latitude leur est
laissée d'user avec souplesse de l'arsenal devenu trop lourd, trop compliqué
des aides à l'insertion.
Faut-il par ailleurs rappeler que ces collectivités locales, dont il est
aujourd'hui de bon ton de critiquer le poids de l'impôt qu'elles lèvent,..
M. Christian Poncelet.
Eh oui !
M. Maurice Blin.
... ont assuré depuis des années, à elles seules, près des deux tiers de
l'investissement public ? Il est temps, monsieur le Premier ministre, de mettre
un terme à cette querelle d'un autre âge. Le soutien le plus sûr que l'Etat
puisse recevoir dans ces deux domaines clés et sensibles de l'emploi et de
l'investissement, ce sont les collectivités locales qui peuvent le lui
apporter. Elles aspirent à plus de responsabilités. Je vous en prie, ne les
découragez pas !
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR, ainsi que sur
certaines travées des Républicains et Indépendants.)
En effet, la méfiance dont elles font l'objet pèse sur la conjoncture.
J'en donnerai un exemple. La durée du contrat de plan va être prolongée d'un
an. Or, les collectivités locales, qui apportent une contribution décisive au
financement de maints équipements, ont souvent mis en réserve ou pourraient
encore leur consacrer demain des crédits importants. Pourquoi ne pas leur en
laisser la libre utilisation ? Pourquoi ne pas consentir, comme ce fut le cas
pour les régions avec les lycées, comme c'est souvent le cas aujourd'hui pour
les bâtiments universitaires, à ce qu'elles deviennent maîtres d'ouvrage,
quitte à ce que l'Etat, plus tard, quand il en aura retrouvé les moyens,
rattrape son retard ? Elles ont fait la preuve qu'elles pouvaient construire
mieux et plus vite que lui. Pourquoi, modestement, ne pas le reconnaître ?
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, ainsi que sur
certaines travées des Républicains et Indépendants.)
Une voie nouvelle pourrait s'offrir encore en matière d'emploi des
jeunes. La France ne retrouvera la croissance qu'à la condition de participer à
celle des pays d'Asie ou d'Amérique, qui est aujourd'hui deux, voire pour
certains, trois fois supérieure à la sienne. Pour cela, il lui faut renforcer
sa présence à l'étranger.
Or, la transformation attendue des conditions du service national libérera à
l'avenir, chaque année, des dizaines de milliers de jeunes diplômés. Ces
derniers ne pourraient-ils servir leur pays soit dans nos différents services
économiques à l'étranger, soit dans les entreprises, grandes ou moyennes,
aujourd'hui engagées dans le combat pour l'exportation ? Cette idée est chère -
nous le savons - au président de la Haute Assemblée. Elle mérite, nous
semble-t-il, d'être creusée.
M. Alain Gournac.
Tout à fait !
M. Maurice Blin.
Elle pourrait obtenir, j'en suis sûr, l'appui de certains départements et de
certaines régions. Elle répond aux besoins de nombreuses entreprises,
conscientes à la fois de leur responsabilité envers une société minée par le
chômage et de l'urgence où elles se trouvent de promouvoir la vente de nos
produits, la présence de nos techniques dans des pays où la consommation et
l'investissement explosent.
Répétons-le à l'intention de ceux qui ne voient en eux que des concurrents
destructeurs de nos emplois : la vraie menace est non pas dans leur dynamisme,
mais en nous-mêmes. Elle est dans le poids de charges sociales qui, en
aggravant son coût, détruit le travail non qualifié et pousse les entreprises à
se délocaliser. Elle tient aux charges fiscales qui pèsent aujourd'hui sur les
hauts salaires et conduisent soit les sociétés étrangères à se détourner de la
France, soit certains de nos cadres les plus compétents à s'expatrier. Mais de
cela, nous savons que vous avez conscience, monsieur le Premier ministre. Les
lignes de force du projet de budget pour 1997 en témoignent.
Permettez-moi de formuler une dernière suggestion : pourquoi ne pas réorienter
une partie des importants crédits consacrés à l'aide à l'emploi, soit plus de
140 milliards de francs chaque année, vers une baisse encore accrue des charges
sociales qui pèsent sur les postes les moins qualifiés ?
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Une franchise sur les charges patronales pour les emplois payés au SMIC
permettrait de réduire le coût du travail, de répondre aux coups de boutoir des
industries situées dans les pays à très bas salaires, de freiner les
délocalisations et de rendre toutes leurs chances à nos entreprises les plus
exposées.
Mais j'arrête là ces suggestions - j'en aurais bien d'autres - et j'en reviens
à l'essentiel.
Monsieur le Premier ministre, nous approuvons les différents projets de loi
que vous nous avez annoncés dans votre déclaration de politique générale
concernant le renforcement de la cohésion sociale, l'insertion des jeunes et
leur formation en entreprise, le traitement des problèmes de la ville,
l'incitation, fût-elle coûteuse, à la réduction du temps de travail et une
application plus stricte de la politique en matière d'immigration. Celle-ci -
j'insiste sur ce point - doit rester fondée sur le principe républicain de
l'intégration - je vous remercie d'ailleurs de l'avoir rappelé tout à l'heure -
et éviter par-dessus tout le piège mortel d'un développement séparé des
communautés que de bons mais faux esprits croient pouvoir défendre au nom d'un
« multiculturalisme mythique ».
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, ainsi que sur
certaines travées du RPR.)
En réalité, celui-ci signifierait bel et bien la fin de l'identité
nationale.
M. Henri de Raincourt.
Très bien !
M. René-Pierre Signé.
Oh !
M. Maurice Blin.
Mais ces mesures, si opportunes soient-elles, ne constituent qu'un pâle remède
au drame qui est à l'origine de tous nos maux, le chômage. Elles tentent d'en
tempérer les effets. Elles ne l'attaquent pas tout à fait à la racine. Or,
l'insécurité qui affecte le temps présent est fille de celle qui pèse sur ses
lendemains.
C'est cette dernière qu'il faut, en priorité, combattre. Nous savons, vous et
nous, monsieur le Premier ministre, que l'Etat ne peut pas tout. Mais il peut
peut-être faire confiance au Parlement ou, tout au moins, à la majorité
parlementaire qui vous soutient, aux jeunes qui, aujourd'hui autant qu'hier,
aspirent à servir leur pays et attendent simplement qu'on leur en donne
l'occasion, aux collectivités locales prêtes à le relayer, aux entreprises qui
s'appliquent à défendre leurs positions commerciales dans le monde.
Bref, la confiance que votre gouvernement mérite et doit obtenir de toutes
celles et de tous ceux qui souhaitent le soutenir et l'accompagner dans son
effort de rénovation du pays est très exactement à la mesure de celle qu'il
saura, le premier, leur accorder.
Qu'il vous faille, pour ce faire, vaincre les hésitations, les réserves, les
habitudes d'une administration qui a pu croire, pendant longtemps, qu'elle
avait pour principale mission de régenter le pays, que soient remis en cause
des structures, des statuts, des monopoles qui ont vieilli et qu'il faut
impérativement élaguer, assouplir, dépoussiérer, qu'importe, et même tant mieux
!
Quant aux Français, monsieur le Premier ministre, j'ai l'intime conviction
qu'il faudrait peu de chose pour qu'ils cessent d'être les spectateurs passifs
de leur propre destin et qu'ils se remettent à croire : un peu plus d'audace
peut-être et les signes sensibles d'un renouveau qui tardent à venir mais que,
au fond d'eux-mêmes, ils espèrent. En effet, la raison, le bon sens leur disent
qu'il n'y a pas d'autre voie.
Ils verraient alors que la réforme est en marche et qu'elle peut réussir. Le
groupe de l'Union centriste le souhaite pour votre gouvernement et pour la
France, monsieur le Premier ministre. C'est pourquoi vous pouvez compter sur
son appui !
(« Bravo ! » et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR
et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le Premier ministre.
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les
sénateurs, je voudrais tout d'abord remercier tous les orateurs, sur quelque
travée qu'ils siègent dans cet hémicycle, pour les paroles de sympathie et de
solidarité qu'ils ont prononcées vis-à-vis des habitants de Bordeaux. J'associe
bien évidemment à ces derniers nos concitoyens d'Aix-en-Provence, également
touchés par un attentat, et d'abord et avant tout nos concitoyens de Corse, qui
vivent aujourd'hui une période difficile.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai été frappé par la qualité du soutien
qu'ont exprimé les porte-parole des groupes de la majorité sénatoriale.
L'adhésion qu'ils ont exprimée à la politique du Gouvernement sous ses
différents aspects, la chaleur que j'ai sentie dans leurs propos sont le
meilleur démenti à ce que j'entends ici ou là sur les réticences de la majorité
à l'égard du Gouvernement.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Ils ont
apporté ainsi la démonstration du contraire, ce dont je les remercie.
J'ai bien sûr écouté les orateurs de l'opposition, comme c'est aussi mon
devoir et comme cela pouvait être mon intérêt, pour essayer de glaner telle ou
telle proposition intéressantes.
(Sourires sur certaines travées du RPR.)
Mais je dois dire que j'ai été
un peu déçu !
M. René-Pierre Signé.
Nous aussi, nous avons été déçus !
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
M. Estier m'a conseillé de tenir plus compte des
sondages. C'est ce qu'ont fait un certain nombre de mes prédécesseurs
socialistes avec une conséquence que vous connaissez tous : les réformes
nécessaires ont été remises au lendemain,...
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste.)
M. René-Pierre Signé.
Ce n'est pas vrai !
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
... ce qui explique d'ailleurs la situation devant
laquelle nous nous sommes trouvés !
Monsieur Estier, je vous dis donc de tout coeur que je ne tiendrai pas compte
de ce conseil et que je ne gouvernerai pas en fonction des sondages ! Ce n'est
pas ma conception de l'Etat et du rôle du politique.
(« Très bien ! » et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains
et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. Jean-Louis Carrère.
Ce n'est pas sérieux !
M. Claude Estier.
On n'aurait jamais aboli la peine de mort si l'on avait tenu compte des
sondages !
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
M. Estier m'a demandé les suites que nous comptions
donner à tel ou tel rapport sur la réforme de la justice. J'ai indiqué très
clairement dans mon propos introductif, tout à l'heure, que, sur les bases de
ces rapports qui, pour l'instant, n'engagent que leurs auteurs, le Gouvernement
saisira le Parlement, et qu'il me paraissait opportun d'engager en 1997, sans
a priori
et sans préjugés, une réflexion de fond sur l'organisation de
notre système judiciaire et sur la responsabilité du juge dans la société
française.
Enfin, M. Estier, indiquant qu'il allait tracer les voies d'une nouvelle
politique, a préconisé de procéder à une relance de la consommation par une
hausse des salaires. C'est une recette qui a déjà servi !
Puis-je vous faire observer respectueusement, monsieur Estier, qu'en toute
hypothèse cela appartient aux partenaires sociaux ? Nous avons changé d'époque
! Ce n'est plus l'Etat qui fixe les salaires !
(« Très bien ! » et applaudissements sur les travées du RPR, ainsi que sur
certaines travées des Républicains et Indépendants.)
M. Guy Penne
Pas dans la fonction publique !
M. Claude Estier.
C'est un peu court !
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
Quant à Mme Luc, elle nous a tracé un tableau
apocalyptique de la France : cataclysme humain et jeunesse brisée !
(Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen.)
Je sais que certains jeunes souffrent et sont en difficulté.
J'ai moi aussi enfants et je m'inquiète comme les autres parents de leur
devenir et de leur capacité à trouver un emploi. Mais je connais aussi une
jeunesse - et pas forcément une jeunesse privilégiée ou avantagée ! - qui a
envie de créer, de travailler, qui croit en la France et que nous n'avons pas
le droit de désespérer !
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Là encore, j'ai essayé de trouver un conseil avisé dans le propos de Mme
Luc. Mais cette dernière n'a fait qu'une seule proposition concrète : la
semaine de travail de trente-cinq heures pour créer 500 000 emplois.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la mise en place de la semaine de travail
de trente-neuf heures s'est soldée par un million de chômeurs : De grâce, ne
recommençons pas ! C'est le voeu que je peux formuler du fond du coeur.
(Vifs applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE -
Protestations sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. Ivan Renar.
On y viendra quand même !
M. Claude Estier.
C'est une caricature !
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
Vous observerez d'ailleurs, mesdames, messieurs les
sénateurs, que, dès que l'on essaie de rétablir quelques vérités, un vent
d'intolérance souffle sur la gauche !
(Protestations sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
Un sénateur socialiste.
Il nie l'évidence !
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
Pour le nourrir un peu, je voudrais reprendre les
propos que tenait voilà moins de deux heures M. André Périssol, à l'Assemblée
nationale, en réponse à une question portant sur le logement, que M. Estier a
d'ailleurs évoqué. Voici ce qu'indiquait M. le ministre du logement : « Entre
1988 et 1992, le nombre des accédants à la propriété sociale a été divisé par
cinq. Depuis un an, il a été multiplié par quatre grâce au prêt à taux zéro.
»
M. Alain Gournac.
Eh oui !
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
Eh oui !
« En dix-huit mois, nous avons créé 20 000 logements d'insertion et logements
d'urgence pour les plus démunis, ce qui n'avait jamais été fait avant 1993 !
»
(« Eh oui ! » sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
« Depuis un an et demi, nous avons réquisitionné des logements vacants
pour nous occuper des plus démunis, ce qui n'avait jamais été fait avant 1993
!
(Applaudissements sur les travées du RPR, ainsi que sur certaines travées des
Républicains et Indépendants.)
« Enfin, grâce à la politique que nous avons menée, les taux d'intérêt
consentis aux organismes d'HLM ont baissé de 20 %, ce qui n'avait jamais été
fait avant 1993. »
(« Eh oui ! » sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
Et voici comment concluait M. Périssol : « A chacun sa spécialité : aux
uns, la casse du droit au logement, à nous la construction ! » Je trouve qu'il
a bien parlé !
(Vifs applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union
centriste. - Exclamations sur les travées socialistes.)
MM. Pierre Mauroy et Claude Estier.
Quelle mauvaise foi !
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
Evidemment, j'ai été également très attentif aux propos
tenus par les orateurs des groupes de la majorité. J'ai ressenti chez eux une
adhésion profonde au processus de réforme que nous avons engagé.
M. René-Pierre Signé.
Allez voir dans les mairies !
M. Alain Juppé.
Premier ministre.
Comme plusieurs d'entre vous l'ont dit - MM. de Rohan
et Joly, notamment - les réformes prennent du temps.
Nous avons engagé une réforme de la défense nationale de grande importance.
Nous avançons, et vous serez bientôt saisis du texte sur le rendez-vous citoyen
et le volontariat qui, dans un monde qui a profondément changé, remplaceront le
service national que nous connaissons.
Nous avons aussi engagé une réforme de la sécurité sociale sur laquelle on a
beaucoup parlé et écrit depuis quelque temps. Permettez-moi de vous rendre
attentifs au fait que, si cette réforme n'avait pas été engagée, c'est 90
milliards de francs de déficit que nous aurions en 1996, et non pas 50
milliards de francs comme les comptes de la sécurité sociale l'annoncent.
M. Charles Descours.
Très bien !
M. Pierre Biarnès.
Et non pas 17 milliards comme c'était prévu !
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
Il y a donc eu un effort de redressement tout à fait
spectaculaire qui n'avait jamais été engagé auparavant.
Il a fallu du temps pour faire voter cette réforme et pour élaborer les textes
qui l'ont organisée. Prenons un seul exemple : le carnet de suivi médical, qui
sera l'un des éléments essentiels de la maîtrise médicalisée, est disponible
depuis quelques jours seulement. Il sera diffusé dans les mois qui viennent et
je suis sûr que cette réforme produira peu à peu des effets. Au demeurant, très
curieusement, le porte-parole du groupe socialiste à l'Assemblée nationale, M.
Laurent Fabius, y donnait, voilà quelques jours, son adhésion s'agissant du
fond,...
M. Alain Gournac.
Eh oui !
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
... tant sont rares aujourd'hui les idées alternatives
quand il s'agit de réforme de la sécurité sociale.
La monnaie a aussi été un sujet qu'ont évoqué plusieurs d'entre vous.
M. de Rohan a dit que je ne partageais pas certaines des craintes qu'ont été
exprimées dans son groupe sur le risque de voir se constituer une sorte
d'Europe des gouverneurs. Mais je partage cette crainte, monsieur de Rohan !
(Exclamations sur les travées socialistes.)
C'est la raison pour
laquelle je suis très attentif à la manière dont la monnaie unique sera mise en
oeuvre.
J'ai évoqué tout à l'heure deux des conditions de sa réussite. La première,
c'est l'existence d'une discipline entre ceux qui seront dedans et ceux qui
seront dehors. Je n'y reviens pas. La seconde, c'est une gestion réaliste des
parités entre l'Euro et les autres grandes monnaies du monde. Je n'y reviens
pas non plus. Une troisième raison, que j'ajoute volontiers, c'est que cette
politique doit être conduite par les organes qui ont la responsabilité de la
conduire, chacun à sa place. Or, dans le traité sur l'Union européenne, ce
n'est pas à la Banque centrale qu'il revient de tracer les grandes orientations
de la politique économique, ni même de la politique des changes : c'est au
conseil des ministres et au pouvoir politique, qui devra assumer demain cette
responsabilité.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains
et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. Joly a approuvé la réforme de l'impôt sur le revenu que nous mettons en
oeuvre, et je l'en remercie. Il a évoqué les propos qui ont été tenus par M. le
Président de la République au sujet de l'impôt de solidarité sur la fortune.
J'ai bien lu ces propos. Il a dit : « L'impôt de solidarité sur la fortune est
un instrument de cohésion sociale, et il n'est pas question de le remettre en
cause. » Nous verrons donc, au cours d'un débat parlementaire, si, sur telle ou
telle modalité, il convient d'améliorer le dispositif.
MM. Habert et Blin ont mis l'accent - c'est un point sur lequel je les
rejoints tout à fait - sur la nécessité d'inciter nos jeunes à se consacrer
davantage à la présence de la France à l'étranger. Il y a là un grand enjeu, et
la réforme du service national ne doit pas aboutir à diminuer cette présence de
nos jeunes expatriés, parce que c'est une force pour l'avenir.
M. Pierre Biarnès.
Et la politique de la France vis-à-vis du Mali ?
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
Par conséquent, il faudra veiller à ce que, dans le
cadre du volontariat, les précautions soient prises pour que cette présence
puisse se développer.
M. Guy Cabanel.
Tout à fait !
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
M. de Raincourt a évoqué la lourdeur du code des
marchés publics. Il sait que nous sommes en train de préparer une réforme
ambitieuse, dont les travaux préparatoires arrivent pratiquement à leur terme.
Cette réforme vous sera soumise à la fin de cette année ou au début de l'année
prochaine.
J'ai noté, dans les propos de M. de Raincourt comme dans ceux de beaucoup
d'orateurs de la majorité, une très forte adhésion aux principes de la
politique de l'immigration que j'ai exposée tout à l'heure. Cela mérite, me
semble-t-il, d'être souligné. D'ailleurs, si la lucidité l'emportait sur la
mauvaise foi politicienne...
M. Claude Estier.
Où est la mauvaise foi ?
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
... peut-être ce consensus pourrait-il s'élargir
au-delà de la seule majorité.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jean-Louis Carrère.
Voilà une phrase qui vous aidera à remonter dans les sondages !
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
M. de Raincourt a également parlé « politique », si je
puis dire. J'ai beaucoup apprécié les propos qu'il a tenus sur la nécessité de
concilier le devoir de soutien et le droit de proposition. Je n'ai jamais rien
dit d'autre ! J'ai également apprécié l'équilibre qu'il a souhaité entre ces
deux aspects de la fonction d'un parlementaire de la majorité. J'avais moi-même
évoqué les « dérives dominicales » et je me réjouis de constater que, en tant
que président du groupe des Républicains et Indépendants, il partage mon souci
sur ce point. Je peux lui dire que nous serons très ouverts à toute proposition
parlementaire au cours du débat.
Enfin, M. Blin a évoqué plusieurs sujets, parlant notamment de l'opportunité
de poursuivre la baisse des charges sociales. Je suis en plein accord avec lui
sur ce point. Je rappellerai simplement que, l'année dernière, lorsque le
Gouvernement a développé sa politique, le consensus sur ce point était beaucoup
moins grand qu'il ne l'est aujourd'hui. A l'époque, on me l'avait beaucoup
reproché ! Le patronat lui-même avait déclaré qu'il n'en avait pas besoin, que
ce n'était pas utile. Aujourd'hui, on voit que le dispositif fonctionne et
qu'il est en train d'enrichir la croissance en emplois. Aujourd'hui, tout le
monde veut aller plus loin, et je m'en réjouis.
Puis-je insister sur le fait - qui n'est pas suffisamment connu - que, le 1er
octobre dernier, il y a quelques jours, les anciennes mesures d'allégement des
cotisations familiales décidées par mon prédécécesseur ainsi que la ristourne
dégressive que je vous avais moi-même soumise l'année dernière pour les
salaires compris entre 1 fois et 1,2 fois le SMIC ont été simplifiées et
fusionnées en une mesure unique, donc plus simple, s'appliquant à tous les
salaires compris entre 1 fois et 1,33 fois le SMIC, quelles que soient la durée
du travail et la date d'embauche ?
Cette mesure concerne 4,5 millions de salariés - ce qui est loin d'être
négligeable - dont les trois quarts travaillent dans des PME. Plus de 30 % des
salariés du secteur des travaux publics sont concernés. L'effet de cette
disposition sera donc très significatif. Je vous donnerai un seul exemple
chiffré : pour un salaire de 7 500 francs, la ristourne sera de 567 francs,
c'est-à-dire un peu plus de 5 % du coût du travail. Pour un salaire voisin du
SMIC, cette ristourne atteindra 13 % du coût du travail. Vous constaterez donc
l'effort que nous avons réalisé à cet égard ! Je n'ai d'ailleurs aucune
réticence, aucune objection à ce que, au fur et à mesure que notre situation
s'améliorera et que les finances publiques en retrouveront la capacité, nous
allions plus avant dans cette voie.
Comment ne pas souscrire également aux propos de M. Blin sur la nécessité de
simplifier les formalités administratives ? Nous avons franchi quelques étapes
dans ce domaine, et le ministre du commerce, de l'artisanat et des PME a été
particulièrement pugnace et imaginatif dans cette voie. Mais il est nécessaire
de progresser encore.
Anticipant sur le discours que je vais prononcer dans quelques instants devant
le congrès de la Fédération nationale des travaux publics, je veux répondre dès
à présent à M. Blin. Vous souhaitez, monsieur le sénateur, que l'Etat autorise
les collectivités territoriales - principalement les régions, mais d'autres
encore - à anticiper, au titre des contrats de plan Etat-région, sur l'Etat
lorsque celui-ci a quelques difficultés à suivre le rythme. Je suis d'accord
avec vous et j'ai demandé au ministère de l'économie et des finances d'étudier
rapidement comment cette anticipation pourrait être autorisée et
accompagnée.
Enfin, M. Blin a fort justement dit que l'un des meilleurs services que nous
pouvions rendre à nos enfants était de leur laisser un pays moins endetté.
C'est ce à quoi nous travaillons aujourd'hui !
Allant peut-être un peu plus loin, je vous dirai aussi que ce qui sous-tend la
politique que nous menons ensemble, vous et nous, vous la majorité et nous le
Gouvernement, c'est précisément la préoccupation de cette France que nous
allons laisser à nos enfants. Je voudrais qu'elle soit une France respectée,
indépendante et puissante, qui leur donne tant des raisons de fierté que les
moyens de la prospérité à laquelle ils aspirent.
Je voudrais aussi que, dans cette France-là, nos jeunes, garçons et filles,
puissent être des citoyens véritablement responsables, participant aux
décisions qui les concernent. J'ai souvent pris l'exemple de la violence à
l'école. Il faut, bien sûr, davantage de moyens pour assurer la sécurité à
l'école ; des personnels supplémentaires seraient bienvenus, et nous avons fait
récemment un effort en ce sens ; mais rien ne se fera si les Françaises et les
Français ne font pas acte de responsabilité, si la communauté scolaire, les
familles, les enseignants et les enfants ne prennent pas ces problèmes en
charge. La France de demain doit être d'abord et avant tout une France
responsable !
(Applaudissements prolongés sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
Le Sénat va procéder maintenant au vote sur la déclaration de politique
générale du Gouvernement.
En application de l'article 39, alinéa 2, du règlement, le scrutin public est
de droit.
Conformément à l'article 60
bis
du règlement, il va être procédé à un
scrutin public à la tribune, dans les conditions fixées par l'article 56
bis
du règlement.
Je vais tirer au sort la lettre par laquelle commencera l'appel nominal.
(Le sort désigne la lettre O.)
M. le président.
Le scrutin sera clos quelques instants après la fin de l'appel nominal.
Le scrutin est ouvert.
Huissiers, veuillez commencer l'appel nominal.
(L'appel nominal a lieu.)
M. le président.
Le premier appel nominal est terminé.
Il va être procédé à un nouvel appel nominal.
Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
Mme et MM. les secrétaires vont procéder au dépouillement.
Voici le résultat du scrutin n° 8 sur la demande d'approbation de la
déclaration de politique générale formulée par M. le Premier ministre :
:
Nombre de votants | 315 |
Nombre de suffrages exprimés | 313 |
Majorité absolue des suffrages | 157219 |
Contre | 94 |
Le Sénat a approuvé la déclaration de politique générale du Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jean-Pierre Fourcade. Très bien !
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