N°
358
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1999-2000
Annexe au procès verbal de la séance du 25 mai 2000
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur l' avenir du groupe aéronaval ,
Par M.
André BOYER,
Sénateur.
(1)
Cette commission est composée de :
MM. Xavier de Villepin,
président
; Serge Vinçon, Guy Penne, André Dulait,
Charles-Henri de Cossé-Brissac, André Boyer, Mme Danielle
Bidard-Reydet,
vice-présidents
; MM. Michel Caldaguès,
Daniel Goulet, Bertrand Delanoë, Pierre Biarnès,
secrétaires
; Bertrand Auban, Jean-Michel Baylet, Jean-Luc
Bécart, Jean Bernard, Daniel Bernardet, Didier Borotra, Jean-Guy
Branger, Mme Paulette Brisepierre, M. Robert Calmejane, Mme Monique
Cerisier-ben Guiga, MM. Marcel Debarge, Robert Del Picchia, Xavier
Dugoin, Hubert Durand-Chastel, Mme Josette Durrieu, MM. Claude Estier, Hubert
Falco, Jean Faure, Jean-Claude Gaudin, Philippe de Gaulle, Emmanuel Hamel,
Christian de La Malène, Louis Le Pensec, Simon Loueckhote,
Philippe Madrelle, René Marquès, Paul Masson, Serge Mathieu,
Pierre Mauroy, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. René Monory, Aymeri de
Montesquiou, Paul d'Ornano, Michel Pelchat, Xavier Pintat, Bernard Plasait,
Jean-Marie Poirier, Jean Puech, Yves Rispat, Gérard Roujas, André
Rouvière.
Défense.
INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
Durant 35 ans, la France a disposé, avec le
Clemenceau
et le
Foch
, de deux porte-avions assurant une permanence à la mer d'un
groupe aérien embarqué complet. Cette configuration de notre
marine correspondait à un niveau de menace élevé,
cohérent avec la guerre froide.
Depuis 1997, la France ne dispose plus que d'un seul porte-avions, le
Foch
jusqu'à la fin de l'année 2000, puis, au-delà, le
porte-avions nucléaire
Charles de Gaulle
. Cette situation devrait
durer 15 ans au minimum, un second porte-avions ne pouvant être
livré qu'en 2012 à condition que sa construction soit
lancée au cours de la prochaine loi de programmation militaire
2003-2008. Or, un seul porte-avions ne permet de disposer d'un groupe
aérien embarqué opérationnel à la mer qu'au maximum
deux tiers du temps. Son utilisation devient donc partielle et intermittente.
La question de la permanence et de la cohérence du groupe
aéronaval, et au-delà, des priorités d'équipement
de la Marine dans un contexte budgétaire contraint, se trouve donc
aujourd'hui posée, alors que se prépare, au sein du
ministère de la défense, l'élaboration de cette loi. Ne
pas mettre en chantier un second porte-avions durant la prochaine loi de
programmation, ou ne pas renouveler suffisamment notre flotte de combat,
conduirait à remettre en cause la cohérence même du
modèle de Marine durant plusieurs décennies, comme le soulignait
le président Xavier de Villepin, dans son rapport sur les premiers
enseignements de l'opération " Force alliée ".
La question de la construction du second porte-avions et de la modernisation du
groupe aéronaval intervient dans un contexte profondément
renouvelé. Les besoins opérationnels ont notablement
évolué ; il ne s'agit plus d'affronter la marine
soviétique dans une bataille navale massive en haute mer, mais de mener
des opérations interarmées et interalliées,
éloignées de la métropole, à proximité des
côtes. La menace ayant diminué, la France a également revu
à la baisse son effort de défense. Enfin, quelle pourrait
être la contribution de la France à la défense
européenne qui se met en place ?
Ces trois éléments conditionnant les choix futurs en
matière d'armement naval, votre rapporteur a cherché à
répondre successivement à trois questions : le porte-avions
est-il un outil pertinent, répondant aux besoins de la France dans le
nouveau contexte géostratégique ? Les moyens dont notre pays
dispose aujourd'hui, avec le porte-avions
Charles de Gaulle
, sont-ils
cohérents ? Dans quelles conditions et à quel coût
pourrait-on construire un second porte-avions ?
I. L'INTÉRÊT OPÉRATIONNEL DU PORTE-AVIONS EST CONFIRMÉ PAR LE NOUVEAU CONTEXTE GÉOSTRATÉGIQUE
Le porte-avions reste encore aujourd'hui un outil particulièrement adapté pour répondre aux besoins opérationnels du contexte géopolitique de l'après-guerre-froide. Son utilisation au Kosovo par la France a d'ailleurs pleinement illustré l'intérêt de disposer d'un groupe aéronaval permanent et cohérent. Cet intérêt est confirmé au niveau international, un grand nombre de pays souhaitant développer ou se doter de capacités aéronavales.
A. UN OUTIL ADAPTÉ AU NOUVEAU CONTEXTE GÉOPOLITIQUE
Alors que la réduction du budget d'investissement du ministère de la défense a déjà fortement contribué à ralentir la réalisation du programme Charles de Gaulle , certains pourraient se demander si un seul porte-avions, disposant de capacités opérationnelles accrues, ne serait pas suffisant dans le nouveau contexte géostratégique, au moment où il paraît de plus en plus opportun d'adapter notre " posture " à nos besoins et où progresse la construction d'une défense européenne qui conduira à partager ou à mettre en commun un certain nombre de capacités. Votre rapporteur considère, pour sa part, qu'une capacité de permanence en mer, fondée sur deux porte-avions, répond pleinement aux nouveaux besoins opérationnels de nos armées. Loin d'être d'ailleurs remise en cause par la construction de l'Europe de la défense, elle permettrait de disposer, au sein des marines européennes, de capacités permettant de conduire des activités de prévention des conflits et des missions de gestion de crises.
1. L'intérêt opérationnel d'un porte-avions
Le porte-avions est un instrument souple et polyvalent. Il est à même d'accomplir les nouvelles missions de projection et de gestion de crise, tout en assurant les missions traditionnelles qui lui étaient attribuées jusqu'à ces dernières années. Aucune des solutions alternatives imaginées jusqu'ici ne paraît en mesure de satisfaire mieux que lui les besoins opérationnels auxquels il répond.
a) Le porte-avions apporte une réponse adaptée à des besoins opérationnels nouveaux
Le
nouveau contexte géostratégique qui s'impose à notre pays
depuis la chute du mur de Berlin l'a conduit à réformer
profondément l'organisation de nos forces, notamment en les
professionnalisant. Cette réorganisation découle directement du
constat de l'insuffisante disponibilité et de l'inadaptation de
certaines capacités effectué lors de la guerre du Golfe en 1991.
Trois enseignements majeurs peuvent être tirés concernant le
rôle d'un porte-avions et d'un groupe aéronaval : un besoin
accru de projection, une indispensable capacité de gestion de crise et
une participation plus efficace dans des coalitions.
.
Un besoin accru de projection
Le porte-avions et son groupe aéronaval répondent parfaitement au
besoin accru de projection qui ressort des différentes crises de
l'après-guerre froide. La menace ne se situe plus en Centre Europe mais
dans des zones plus ou moins éloignées, où nos
intérêts majeurs ou des principes fondamentaux du droit
international sont en jeu. Plus que dans des engagements en haute mer,
les
marines sont désormais impliquées dans des opérations
côtières à partir de la mer
, en vue de soutenir des
opérations au sol. La perspective de telles opérations n'est pas
marginale dans un monde où 80 % de la population mondiale vit à
moins de 400 km des côtes.
Le porte-avions et son groupe aéronaval sont des outils à la fois
de projection de puissance et de projection de force. Le porte-avions,
grâce à son aviation embarquée capable de frapper dans la
profondeur des terres avec une très grande précision, est cet
outil de projection de puissance
. C'est un instrument d'autant plus
souple qu'opérant à partir de la haute mer, il peut s'affranchir
de certaines contraintes diplomatiques. Ainsi, lors de l'opération
" Desert Strike II " en septembre 1996, la Turquie et l'Arabie
Saoudite refusant l'usage de leurs bases à l'aviation
américano-britannique pour mener des frappes contre l'Irak, les
Etats-Unis n'ont eu d'autres recours que d'utiliser les avions embarqués
sur leurs porte-avions
Enterprise
et
Carl Vinson
. De même,
au début de l'opération Deny Flight sur la Bosnie, l'US Navy a
assuré 80 % des missions de nuit en raison des restrictions de
décollage en vigueur sur les terrains italiens.
A moyen terme, les autres bâtiments du groupe aéronaval,
sous-marins nucléaires d'attaque du type "
Barracuda
"
et frégates multimissions optimisées pour l'action vers la terre,
seront dotés de missiles de croisière qui leur donneront une
capacité complémentaire de projection de puissance permettant
à la France de participer à toutes les phases de frappe, quel que
soit le degré d'intensité de la crise.
Le groupe aéronaval contribue également au soutien des
opérations
de projection de force
. L'aviation embarquée
du porte-avions fournit la supériorité aérienne
nécessaire à la réussite d'une opération amphibie,
puis le soutien et la protection aérienne des forces
déployées. Les transports de chalands de débarquement
(TCD) sont à même de transporter en grande quantité du
matériel lourd et des hommes en vue d'une action au sol jusqu'à
un port ou, grâce à leur batellerie enradiée et à
leurs hélicoptères de transport et de combat, jusqu'à une
plage adverse.
De ce fait, le porte-avions et son groupe aéronaval sont des outils
interarmées essentiels agissant, en complémentarité avec
l'armée de l'air, en soutien de l'armée de terre au sol dans des
missions d'appui aérien, de protection, de débarquement ou de
transport. Outils principaux du système de forces visant à
maîtriser le milieu aéromaritime, ils opèrent
également à la charnière des milieux maritimes et
terrestres.
. Une indispensable capacité de gestion de crise
Peu de conflits de l'après-guerre froide, dans lesquels la France a
été amenée à intervenir, ont été des
guerres au sens classique du terme. En effet, ces conflits se
caractérisent par un engagement de moindre intensité et surtout
par une très grande implication du pouvoir politique dans la phase
militaire. Les pays occidentaux se donnent pour objectif de limiter au maximum
les pertes humaines, non seulement dans leur camp, mais aussi autant que faire
se peut dans le camp adverse, notamment parmi la population civile. Ce sont
aussi des conflits où, plus que par le passé, l'action militaire
est " la continuation de la politique par d'autres moyens ",
c'est-à-dire où les frappes aériennes et l'action au sol
ne sont qu'une phase d'un processus diplomatique qui encadre le conflit,
après l'échec de négociations ou la non application de
résolutions des Nations unies. Durant la phase militaire, le pouvoir
politique contrôle strictement les moyens employés, décide
de l'intensification des frappes et même, comme au Kosovo, selon les
phases de l'intervention, le type de cibles qui peuvent être
frappées.
Dans ce contexte, le porte-avions apparaît comme un
outil
adapté à la gestion de crise
. Il peut être
déployé de manière préventive
ou comme
moyen de pression
démontrant la détermination du pays qui
l'envoie, que ce soit au cours des négociations, comme le
Foch
lors des discussions de Rambouillet en février 1999 dans le cadre de la
précrise du Kosovo, ou durant une opération au sol. En 1984, lors
de l'opération " Epervier " au Tchad, la présence d'un
porte-avions au large de la Libye, menaçant la capitale Tripoli et les
villes du littoral, a conduit à plusieurs reprises le gouvernement
libyen à relâcher sa pression sur le nord du Tchad. Le
porte-avions correspond à un premier échelon des moyens
militaires et son action dissuasive puis offensive peut parfois suffire,
évitant le déploiement de forces plus importantes.
Déployé très tôt et indépendamment de toute
contrainte, le porte-avions évite le prépositionnement, pour une
longue durée, de moyens militaires. Il est ainsi une alternative
à une politique de points d'appui. Il permet également d'engager
éventuellement les frappes sans attendre la mise à disposition de
bases au sol et leur montée en puissance. Dans certains cas, en raison
de l'éloignement ou du manque de terrains d'aviation, il peut être
le seul à pouvoir agir. Il apporte par ailleurs une capacité
complémentaire et autonome non négligeable (1/3 des missions
d'assaut de la France au Kosovo), tout en ne nécessitant pas la mise en
oeuvre des moyens lourds comme les bombardiers ou les ravitailleurs de l'air.
Il offre aussi l'avantage d'une grande réactivité,
s'affranchissant d'une partie des contraintes météorologiques,
grâce à une capacité de déplacement de 1000 km par
jour, et se plaçant au plus près des côtes à une
faible distance des cibles.
Le porte-avions permet enfin, grâce à son aviation
embarquée et à ses capacités de commandement, de
renseignement, de connaissance du théâtre et de communication, de
garder la maîtrise d'une situation au profit du pouvoir politique.
.
Une participation plus efficace à des coalitions
Un grand nombre de crises dans lesquelles la France est intervenue
militairement ont été gérées par des coalitions
ad hoc
, dans le cadre de l'OTAN ou sous mandat des Nations unies. Dans
ce type de conflits, la détention d'un porte-avions est pour notre pays
un atout majeur qui peut lui conférer un rôle essentiel dans le
dispositif, même si, dans une coalition, l'influence ne se mesure pas
seulement à l'importance des forces détenues par un pays ou des
missions qu'elles accomplissent. L'expérience tend à montrer que
la capacité à détenir de l'information, à
l'exploiter et à exercer un commandement dans un dispositif
international sont trois éléments essentiels qui peuvent
permettre de peser sur les décisions au-delà du rapport
mathématique des moyens mis en oeuvre. C'est d'ailleurs pourquoi la
Marine française développe un MCC (Maritime Component Commander
ou Commandement de composante maritime), c'est à dire la capacité
de prendre la responsabilité d'un PC marine dans une opération
entre alliés.
Enfin, parce que c'est un moyen indépendant et autonome, le porte-avions
permet au pouvoir politique de garder une capacité propre de
décision et d'action pour accomplir des missions nationales.
b) Le porte-avions continue d'assurer ses missions traditionnelles
Le
porte-avions
Charles de Gaulle
assumera toujours un certain nombre de
missions essentielles pour notre pays, qui étaient déjà
dévolues aux porte-avions
Clemenceau
et
Foch.
Il est tout d'abord incontestablement un instrument de souveraineté
de premier ordre
, servant les ambitions affichées de notre politique
étrangère et les responsabilités liées à
notre statut de membre permanent du Conseil de sécurité des
Nations unies. La possession d'un porte-avions, son déploiement dans les
mers du globe, comme celui du
Foch
lors de la mission Myrrhe durant le
premier semestre 2000, a une signification très forte. Seule la France,
en dehors des Etats-Unis, dispose d'un véritable porte-avions capable de
projeter des capacités en profondeur.
Le porte-avions est aussi un élément important de la
protection des intérêts nationaux à travers le monde
.
Notre pays a tout intérêt à disposer des moyens
nécessaires à leur préservation, en tout temps et en tout
lieu, si les circonstances l'exigent. Se priver de cette capacité
équivaudrait à s'en remettre à d'autres pour cette mission
essentielle, ou à renoncer à l'assurer faute de capacités
adaptées. Même si ces éventualités paraissent
actuellement peu probables, on ne peut consentir à l'idée de ne
pouvoir y faire face. Les intérêts que notre pays doit
défendre à l'extérieur sont nombreux, qu'il s'agisse de
nos territoires d'outre-mer, de notre approvisionnement en énergie, de
la protection de nos bases comme Djibouti et des accords de défense que
la France a conclus avec de nombreux pays d'Afrique. Mais la protection dans ce
domaine ne s'improvise pas et la construction d'un porte-avions demande
plusieurs années ; une fois construit il est opérationnel 30
à 40 ans. C'est un instrument de long terme, souple, qui permettra de
répondre à des menaces qui ne sont pas nées au moment de
sa construction et parfois difficilement imaginables à ce
moment-là.
Enfin,
le porte-avions
participe à la dissuasion
nucléaire
dans sa composante aéroportée. Les
Super-Etendard
embarqués sur le
Foch
et bientôt sur
le
Charles de Gaulle
sont à même de délivrer le
missile ASMP (air sol moyenne portée) doté d'une tête
nucléaire, le
Rafale
devant, dans les prochaines années,
être doté de l'ASMP-A, version améliorée du missile
précédent.
Le tableau ci-après récapitule les missions effectuées
depuis 1966 par le groupe aéronaval.
Les principales missions effectuées par les porte-avions Clemenceau et Foch
Mission |
Dates et durée |
Contenu de la mission |
ALFA |
1966-1968
|
Assurer la sécurité et le déroulement des expérimentations nucléaires dans le Pacifique |
SAPHIR I
|
Octobre
1974 - Mars 1975
|
Engagement et protection de l'accession à l'indépendance de Djibouti |
OLIFANT |
1982-1984
|
Soutien des contingents français déployés au Liban |
MIRMILLON |
Septembre
à novembre 1984
|
Dissuader la Libye d'attaquer pendant le démontage de l'opération aéroterrestre MANTA |
PROMETHEE |
Juillet
1987 - septembre 1988
|
Protéger le trafic maritime marchand dans l'Océan Indien et le détroit d'Ormuz lors du conflit Iran-Irak |
CAPSELLE |
Août-septembre 1989 |
Protéger une éventuelle évacuation des ressortissants au large du Liban |
SALAMANDRE |
Août à octobre 1990
|
Protection des pays du Golfe après l'invasion du Koweit et participation à la libération du pays |
BALBUZARD |
Depuis
février 1993
|
Assurer
la sécurité des éléments français de la
FORPRONU et faciliter l'éventuel désengagement des forces
à terre
|
SALAMANDRE |
Clemenceau et Foch en 1996
|
A pris le relais de Balbuzard à la création de la SFOR (accords de Dayton) |
TRIDENT |
Foch en
octobre et novembre 1998 puis de janvier à mai 1999
|
Assurer
la sécurité des éléments français de la
KFOR.
|
MYRRHE |
Déploiement en Méditerranée, Océan
indien, Océan atlantique
|
Présence, coopération, soutien de l'action commerciale |
c) Des solutions alternatives mal adaptées
Trois solutions alternatives au porte-avions et susceptibles d'assurer certaines missions de projection de puissance ont été principalement étudiées : les porte-hélicoptères d'assaut sur le modèle du " Tarawa " américain, " l' arsenal ship " et les îles artificielles.
(1) Le porte-hélicoptère d'assaut
Une
première alternative à la construction d'un second porte-avions
du type du
Charles de Gaulle
pouvait être le
porte-hélicoptères d'assaut,
proche des
LPH Tarawa
ou
Wasp
américains, pour un coût très
inférieur.
Ce projet, étudié par DCN, avait pris le nom de
Multipurpose
Amphibious Assault Ship
(MAAS) ou navire d'assaut amphibie multifonctions.
Il s'agissait de donner à ce porte-aéronefs des capacités
amphibies et de faciliter les flux de matériel et de personnel.
L'intérêt de ce type de bâtiments a été
démontré à plusieurs reprises dans des opérations
amphibies menées par les Britanniques (à Suez en 1956, aux
Malouines en 1982) ou dans le Golfe, en 1991, lors de l'opération
Salamandre au cours de laquelle le porte-avions
Clemenceau
fit office de
porte-hélicoptères et de transports de troupes. Dans cette
hypothèse, le navire aurait pu être doté de
capacités proches des navires Ro-Ro (Roll on - Roll off) auquel aurait
été adjoint un radier permettant à des chalands
d'opérer à partir du bord.
Le Marine Corps américain dispose d'une douzaine de ces bâtiments
d'un tonnage proche de celui du
Charles de Gaulle
. Toutefois
ces
navires ne sont pas des porte-avions mais des porte-aéronefs
. Leur
groupe aérien est composé de
Harrier
et non d'avions
capables d'agir dans la profondeur comme à partir d'un véritable
porte-avions. Dans le cadre d'opérations amphibies et
d'opérations importantes de la mer vers la terre, la
supériorité aérienne nécessaire à la
réussite de l'opération serait d'ailleurs assurée par les
avions embarqués à bord des porte-avions de l'US Navy. Au
demeurant, un tel bâtiment ne trouverait guère sa place au sein de
la marine française, certaines des missions dévolues aux LPH
américains étant assumées par ses TCD
Sirocco
et
Foudre
et par la nouvelle génération de TCD dont le
tonnage sera d'environ 20 000 tonnes, soit la moitié de celui du
Charles de Gaulle
(40 600 t).
(2) L' " arsenal ship "
Pour
assurer la mission de projection de puissance ou de frappe dans la profondeur
des mers à partir de la terre, a été évoquée
la construction d'un navire spécialisé dénommé
"
arsenal ship
", selon les principes développés
par l'ingénieur français René Loire. Il s'agirait d'un
bâtiment semi-submersible
, très fortement
automatisé, avec un équipage peu nombreux, de l'ordre de 50
hommes, et
armé d'un grand nombre
-éventuellement
plusieurs centaines-
de missiles de croisière.
Bâtiment
mono-mission, sorte de cuirassé moderne uniquement voué à
la destruction d'objectifs terrestres, il serait doté d'une très
grande puissance de feu.
Etudié aux Etats-Unis au début des années 1990,
l'
Arsenal
ship
semble aujourd'hui abandonné au
bénéfice de moyens plus polyvalents, navires de surface ou
sous-marins. Les Américains n'avaient d'ailleurs jamais imaginé
qu'il puisse remplacer leurs porte-avions lourds et le concevaient davantage
comme un moyen prépositionné en haute mer, de première
frappe ou de rétorsion contre un " Etat voyou " (rogue state).
Ce bâtiment correspond en outre assez peu aux besoins de la marine
française. Disposant d'un nombre de bâtiments beaucoup plus
réduit que la marine américaine, elle a davantage
intérêt à se doter de navires polyvalents. L'
arsenal
ship
ne remplirait d'ailleurs qu'une des missions du porte-avions, la
frappe contre terre. Dans cette seule mission, il n'offrirait d'ailleurs pas la
même souplesse que l'aviation embarquée, ne permettant pas une
graduation des moyens de coercition dans une crise, dans la mesure où le
tir de missiles de croisière ne correspond, en général,
qu'à une phase du conflit : le dernier avertissement ou le
début des frappes aériennes. Pour ce type de missions et compte
tenu des capacités propres à nos forces, un nombre réduit
de missiles tirés à partir de sous-marins ou de frégates
s'avérerait suffisant.
(3) L'île artificielle mobile
Pour
remplir les missions dévolues habituellement au porte-avions, a
été aussi également mise en avant la construction
éventuelle "
d'îles artificielles mobiles
".
Ce concept n'est pas nouveau. Dès la fin de la seconde guerre mondiale,
les Américains avaient suggéré de construire un
porte-avions géant, les Britanniques proposant d'utiliser un immense
iceberg destiné à mettre rapidement un terme à la guerre
du Pacifique. De même, durant la guerre froide, la perspective de
construire un porte-avions géant (projet CVA-58 USS United States de
1949) ou une ceinture d'îles flottantes (1961) s'était fait jour
pour servir de base à d'éventuelles opérations dans
l'Atlantique Nord contre la marine soviétique.
Cette idée a été récemment réexaminée
pour exploiter tous les avantages d'un positionnement en haute mer permettant
d'agir contre la terre, mais avec des moyens beaucoup plus importants qu'un
porte-avions classique, et de s'affranchir d'une partie de ses contraintes. Il
s'agirait de plates-formes géantes (MOBS : Mobil Ocean System ou
TGPNM : très grande plate-forme navale mobile), longues de
1 000 à 1 500 mètres et larges de 300 à 400
mètres et se déplaçant à environ 6 noeuds. Elles
seraient à même de servir de point d'appui à l'armée
de terre ou à l'armée de l'air dans des opérations de
projection. Une telle solution paraît cependant très
irréaliste en raison des difficultés techniques, du coût
prévisible, des faiblesses militaires (lenteur,
vulnérabilité...) et d'un statut juridique mal défini.
Comment ces plates-formes pourraient-elles emprunter les détroits et les
canaux ? Bénéficieraient-elles toujours du principe de libre
circulation en mer ? Autant de questions non résolues aujourd'hui,
qui font de ces " îles flottantes " une solution pour un avenir
fort lointain.
Pour remplir les nouvelles missions dévolues aux forces armées
dans le contexte de l'après guerre froide,
le porte-avions semble
donc l'outil le mieux adapté, à défaut de solutions
alternatives crédibles pour des raisons tant opérationnelles que
financières.
2. L'intérêt, pour la France, d'un second porte-avions est renforcé dans le cadre d'une Europe de la défense
Depuis dix ans, l'Europe de la Défense a fait de très importants progrès. Concrétisée, au niveau maritime, par des initiatives concrètes comme Euromarfor ou la force navale franco-allemande, elle a accompli un saut qualitatif significatif depuis le sommet de Saint-Malo. Aujourd'hui, l'Europe est engagée dans un processus de définition de son effort de défense pour gérer de manière autonome des crises de moyenne ampleur. Cette évolution rapide du contexte européen conduit à s'interroger sur l'effort que doit accomplir la France : de quelles capacités doit-elle se doter et quelles capacités peuvent être mises en commun ?
a) Des forces navales européennes au sommet de Saint-Malo : les progrès de l'Europe de la Défense
La Force
navale franco-allemande (FNFA) et Euromarfor sont les premières
réalisations sur le terrain de l'Europe de la défense en
matière navale.
Créée en 1992, la
FNFA
a été
institutionnalisée par un protocole d'accord signé en avril 1996
et s'inscrit dans le cadre de l'étroite coopération
franco-allemande dans le domaine de la défense, symbolisée par la
création de la brigade franco-allemande en 1987, puis du corps
européen en 1991. Cette force peut être activée sur
décision des deux gouvernements, être mise à disposition de
l'OTAN ou assumer des mandats de l'ONU, intégrer une force
multinationale
ad hoc
ou, plus simplement, exercer des missions
bilatérales. Elle s'entraîne chaque année et est
commandée alternativement par la France et l'Allemagne. En 2000, la FNFA
a été activée du 25 avril au 19 juin dans le
cadre des exercices " Linked Seas 2000 " dans l'Atlantique puis
" Baltops " dans la Baltique. Elle était constituée de
cinq bâtiments principaux : les frégates allemandes
Schleswig-Holstein
et
Bremen
, le pétrolier ravitailleur
Spissert
et les frégates françaises
Primauguet
et
Latouche-Tréville
. La FNFA comptait 87 officiers et 607
officiers mariniers et membres d'équipage.
La force navale européenne, Euromarfor
, a été
créée en octobre 1995 à la suite des accords de Lisbonne.
Elle visait, à l'origine, à regrouper des bâtiments des
marines des pays riverains de la Méditerranée, ou du Sud de
l'Europe (Espagne, France et Italie, le Portugal l'ayant rejointe ensuite, la
Grèce devenant observateur).
Comme l'avait souligné votre commission des affaires
étrangères, de la défense et des forces armées dans
le rapport d'information qu'elle avait consacré aux Euroforces
1(
*
)
, il ne s'agit cependant pas d'une force
permanente mais d'une force préstructurée, activée chaque
année pendant plusieurs semaines pour des exercices auxquels les marines
grecques et turques sont régulièrement invitées. Elle a
vocation, au niveau européen, à remplir des missions
humanitaires, d'évacuation de ressortissants ou de maintien et de
restauration de la paix, telles que définies à Petersberg en
1992. Elle est alternativement commandée par un pays membre pour deux
ans, l'Espagne en assurant actuellement le commandement. La coopération
politico-militaire est, quant à elle, assurée par un
comité interministériel de haut niveau qui regroupe les chefs
d'états-majors des armées et les directeurs politiques des
ministères des affaires étrangères des pays
concernés.
Euromarfor pourrait devenir un cadre de la coopération des marines
européennes, au-delà de la Méditerranée, en
s'ouvrant à des pays du Nord de l'Europe, comme l'Allemagne ou le
Royaume-Uni, son champ d'action n'étant pas limité à
l'Atlantique.
Cette dynamique de la construction d'une véritable défense
européenne, relancée lors du sommet franco-britannique de
Saint-Malo, en décembre 1998, a débouché sur un consensus
lors des Conseils européens de Cologne (3 et 4 juin 1999) et
d'Helsinki (les 10 et 11 décembre 1999), à l'issue desquels,
les quinze pays membres de l'Union européenne se sont fixé comme
objectif d'être en mesure, d'ici 2003, de déployer dans un
délai de 60 jours et pour une durée d'un an, 50 à
60 000 hommes pour assurer les missions de gestion de crise. Cette force,
de l'importance d'un corps d'armée, ne serait pas permanente mais
mobilisable en tout ou partie selon les besoins. Son accompagnement
aérien devrait comprendre 300 à 500 aéronefs dont 150
à 300 avions de combat et son
accompagnement, à la fois
aéronaval et amphibie,
mobiliserait
une quinzaine de grands
bâtiments de combat
. Cette force devrait, en outre, disposer de
moyens de commandement, de renseignement et de logistique. 120 à
150 000 hommes constitueraient une réserve opérationnelle.
b) Quelles conséquences pour la France en matière d'armement naval ?
Au stade
actuel des réflexions en matière de défense
européenne, deux questions relatives aux capacités navales
apparaissent :
- l'analyse des capacités européennes fera-t-elle ressortir la
nécessité de posséder une capacité
aéronavale reposant sur des porte-avions ?
- dans l'affirmative, ces moyens aéronavals pourraient-ils être
mutualisés ou partagés entre plusieurs pays
européens ?
Sur le premier point, et à la lumière des leçons
tirées du conflit du Kosovo, il n'est pas douteux que
le porte-avions
et son groupe aéronaval apparaîtront comme un outil indispensable
de gestion des crises.
L'hypothèse de la construction, dans les quinze ans à venir, de
trois porte-avions (deux britanniques et un français) en Europe
s'inscrirait pleinement dans cette perspective. En effet, avec quatre
porte-avions, l'Europe disposerait alors en permanence de deux porte-avions,
permettant de gérer une crise importante ou deux crises de moindre
ampleur. Cet objectif ne paraît d'ailleurs pas exagéré au
regard, d'une part, de la volonté de l'Europe d'intervenir dans son
environnement proche et, d'autre part, des capacités américaines
(12 porte-avions lourds), il est vrai dimensionnées pour assurer
une présence mondiale aux Etats-Unis.
Sur le second point, il convient d'envisager la construction de l'Europe de la
défense de manière pragmatique,
la mutualisation des
différentes capacités d'action ne pouvant se faire que
progressivement
. Il n'est d'ailleurs pas pour le moment question d'une
internationalisation de telles capacités, chaque pays mettant seulement
à la disposition de l'Europe de la défense certaines d'entre
elles et se réservant la possibilité et la responsabilité
d'éventuelles missions strictement nationales. Les avancées
actuelles incitent toutefois à penser qu'une mutualisation de certaines
" fonctions douces " concernant le transport, la logistique et le
soutien pourrait aboutir à moyen terme. Une sorte de " pool "
commun pourrait être ainsi constitué d'une flotte
européenne d'avions de transport ou de transports de chalands de
débarquement et mis à la disposition des différents Etats,
grâce à un mécanisme de " droits de tirage ".
Le partage des " fonctions dures " ou de combat semble, en
revanche, plus délicat
. Un consensus en la matière serait
beaucoup plus difficile à réaliser si l'on s'en tient aux
expériences les plus récentes.
Aussi serait-il difficile à un pays comme la France de s'en remettre
à une coopération européenne pour mettre en oeuvre un
bâtiment tel que le porte-avions, bâtiment participant à
l'exercice de sa souveraineté. Il est aujourd'hui difficilement
concevable que le déploiement de porte-avions dépende du bon
vouloir d'autres pays de fournir des bâtiments d'escorte, un sous-marin
ou tout ou partie du groupe aérien. Une telle hypothèse ne
pourrait véritablement s'envisager que dans le cadre d'une politique
européenne de sécurité et de défense au
degré d'intégration beaucoup plus élevé. A
l'inverse,
un porte-avions français disponible en permanence
apporterait une capacité majeure à l'Europe pour conduire des
opérations aéronavales.
C'est pourquoi, dans la perspective d'une
mise à disposition de
capacités françaises au profit d'une défense
européenne,
votre rapporteur estime opportun que la France dispose,
autour de deux porte-avions, d'un système cohérent de projection
de puissance à partir de la mer.
Pendant une période de 10 à 15 ans, la France ne disposera
cependant que d'un seul porte-avions. Cette période pourrait être
l'occasion
d'approfondir les coopérations opérationnelles
existantes
. Il serait donc souhaitable d'intensifier les échanges
avec la marine britannique ou avec d'autres marines. Ce type de
coopération se développant d'ailleurs progressivement dans les
faits, dans le cadre d'exercice ou de situation de crise. Des accords
ad
hoc
pourraient également voir le jour afin
d'organiser une
relève des moyens britanniques et français lors d'une crise.
Un tel niveau de complémentarité entre les deux marines
serait évidemment un signe fort de la volonté des deux pays
d'aller plus avant vers une politique de défense concertée.
Ainsi,
le problème posé durant les quinze ans à
venir
, par l'absence de permanence du groupe aéronaval
français à la mer pourrait, comme on peut le souhaiter, trouver
une
solution européenne
.
Cette période devrait être, en tout cas, l'occasion d'approfondir
la réflexion commune sur le besoin en porte-avions d'une défense
européenne et sur les missions qui leur seraient dévolues.