L'application du principe de subsidiarité
Christian de la Malène
Délégation du Sénat pour l'Union européenne - Rapport 46 - 1996 / 1997
Table des matières
-
INTRODUCTION
- I. LE PRINCIPE DE SUBSIDIARITÉ DANS LE TRAITÉ SUR L'UNION EUROPÉENNE
- II. L'APPLICATION DU PRINCIPE DE SUBSIDIARITÉ : LA MONTAGNE ACCOUCHE D'UNE SOURIS
- III. UN PRINCIPE NECESSAIRE PRIVE DE GARANTIE
- IV. LES CONDITIONS D'UNE MEILLEURE APPLICATION
- EXAMEN DU RAPPORT
- CONCLUSIONS ADOPTEES LE 23 OCTOBRE 1996
- ANNEXES
INTRODUCTION
Bien que les porte-paroles des instances communautaires
aient,
par la suite, souvent expliqué que la Communauté avait toujours
appliqué le principe de subsidiarité sans le dire, c'est avec une
certaine solennité que ce principe a été inscrit dans le
Traité sur l'Union européenne.
Le préambule du Traité indique ainsi que dans "
l'union
sans cesse plus étroite entre les peuples de l'Europe
", les
décisions sont prises "
le plus près possible des
citoyens, conformément au principe de subsidiarité
".
Ces termes sont repris pratiquement à l'identique dans l'article A
qui, sans mentionner le principe de subsidiarité, réaffirme
l'exigence d'une prise des décisions "
le plus près
possible des citoyens
", puis dans l'article B qui précise
que "
les objectifs de l'Union sont atteints (...) dans le respect
du
principe de subsidiarité tel qu'il est défini à l'article
3 B du Traité instituant la Communauté
européenne
".
Dans le cas de la Communauté européenne, non seulement l'article
3B du Traité applique de manière générale le
principe de subsidiarité aux interventions de la Communauté, sous
réserve des compétences exclusives de celle-ci, mais les articles
précisant les compétences de la Communauté sont
rédigés, pour de nombreux domaines, dans l'esprit du principe de
subsidiarité : il en est ainsi des articles portant sur
l'éducation, la culture, la formation professionnelle, l'environnement,
la santé ; il en est de même du protocole sur la politique
sociale annexé au Traité.
Dans le cas de l'Union également, outre la mention de portée
générale figurant à l'article B, l'article K3
définit les conditions des actions communes dans les matières
relevant du " troisième pilier " en reprenant les principaux
aspects du principe de subsidiarité.
Les auteurs du Traité ont ainsi voulu affirmer la subsidiarité
comme une orientation fondamentale de la construction européenne.
Il est clair, malgré les dénégations, qu'il s'agissait par
là, à certains égards, de répondre aux
inquiétudes des opinions publiques, qui s'alarmaient de voir la
Communauté intervenir dans des domaines de plus en plus variés
sans qu'un réel contrôle politique paraisse s'exercer sur
l'extension de ce champ d'action. Comme le Traité de Maastricht
élargissait le champ des compétences reconnues à la
Communauté, il est apparu souhaitable de contrebalancer cette extension
en soulignant que le rôle de l'Union devait, en règle
générale, rester subsidiaire.
L'inscription dans le Traité du principe de subsidiarité avait
par ailleurs le mérite de donner satisfaction à la foi aux
défenseurs du fédéralisme
(1(
*
))
et aux
partisans d'une limitation de la portée
des politiques communautaires, les uns et les autres étant
opposés, pour des raisons différentes, à une
Communauté centralisée.
Mais on ne saurait réduire l'introduction du principe de
subsidiarité au souci de rendre la construction européenne plus
compréhensible et mieux acceptable par des opinions publiques parfois
déroutées.
Plusieurs Etats membres, au premier rang desquels l'Allemagne, principal
contributeur net au budget communautaire, entendaient que la Communauté
adopte une conception moins extensive de ses compétences et une approche
moins tatillonne de l'harmonisation des législations.
Le principe de subsidiarité devait permettre, dans cette optique, de
modérer l'évolution des dépenses communautaires et de
préserver les identités nationales.
La délégation du Sénat pour l'Union européenne a
examiné, dès novembre 1992, sur le rapport de M. Michel
Poniatowski (rapport n° 45, 1992-1993), la portée de
l'introduction du principe de subsidiarité dans le Traité, dans
la perspective du Conseil européen d'Edimbourg qui devait en
préciser les conditions de mise en oeuvre.
Le rapport Poniatowski sur la subsidiarité
Le rapport adopté par la délégation se
félicitait de l'inscription dans le traité du principe de
subsidiarité, en estimant qu'elle valait reconnaissance que ce principe
n'avait pas été auparavant suffisamment respecté et que ce
non-respect avait nui à la construction européenne ;
cependant, il relevait les ambiguïtés de la formulation retenue et
soulignait que le Traité ne définissait pas de procédure
d'application. Il en déduisait qu'en l'absence de garanties, il
était peu probable que l'affirmation du principe de subsidiarité
freine effectivement les tendances centralisatrices de la Communauté. Il
concluait en plaidant pour une évolution institutionnelle, voyant
là une condition nécessaire à une mise en oeuvre effective
de l'exigence de subsidiarité. Il proposait, à cet effet, que le
Traité délimite avec plus de précision les
compétences communautaires et surtout qu'une instance émanant des
Parlements nationaux soit chargée de veiller au respect du principe de
subsidiarité.
Alors que le Traité sur l'Union européenne est entré en
vigueur depuis trois ans, le moment est venu de confronter les analyses et
propositions qui étaient celles de la délégation du
Sénat avec l'évolution de la construction européenne
depuis lors.
Selon votre rapporteur, il apparaît tout d'abord que les
préoccupations de la délégation n'étaient pas sans
fondement. Le principe de subsidiarité, depuis 1992, est certes devenu
une référence plus ou moins obligée dans les débats
communautaires, mais on ne doit pas exagérer la portée du
" coup de chapeau " (souvent quelque peu machinal) que l'on
se sent
désormais obligé de donner à ce principe dans la
présentation des textes. En réalité, les tendances
profondes du fonctionnement de la Communauté n'ont pas été
sensiblement modifiées et, comme le pronostiquait le rapport de
M. Michel Poniatowski, aucune instance de l'Union européenne n'a
joué le rôle de gardien de la subsidiarité.
Les propositions retenues à cet égard en 1992 par la
délégation n'ont, pour l'essentiel, pas perdu leur
actualité.
Une définition plus précise des compétences
communautaires par le Traité paraît toujours souhaitable,
même si l'espoir que la Conférence intergouvernementale s'engage
dans cette voie est très mince, dans la mesure où une telle
clarification n'est en réalité le voeu ni des instances
communautaires, jalouses de leurs prérogatives, ni de nombreux Etats
membres qui craindraient de perdre, dans un tel exercice, la possibilité
d'obtenir certaines interventions.
L'idée de confier à une instance émanant des Parlements
nationaux le soin de veiller à un meilleur respect du principe de
subsidiarité appartient aujourd'hui pleinement au débat sur la
réforme des institutions, puisqu'elle est soutenue par le Gouvernement
français dans le cadre de la Conférence intergouvernementale.
Depuis 1992, les réflexions menées sur ce thème au sein
des deux Assemblées, ainsi que les tendances qui se sont
dégagées lors des rencontres interparlementaires
européennes, ont permis de mieux cerner comment une telle instance
pourrait s'intégrer au fonctionnement des institutions : en particulier,
le souci de ne pas créer de nouvel organe a conduit à envisager
qu'elle prenne appui sur la Conférence des organes
spécialisés dans les affaires communautaires (COSAC), ce qui
supposerait que le rôle de celle-ci soit reconnu et que son mode de
fonctionnement soit revu.
On peut se féliciter qu'aujourd'hui le Gouvernement et les deux
Assemblées partagent le souhait de voir confier un rôle collectif
aux Parlements nationaux dans la mise en oeuvre de l'exigence de
subsidiarité. Les travaux du " groupe parlementaire de
réflexion " constitué à l'issue de la COSAC de Paris
ont montré que les préoccupations des Assemblées
françaises convergeaient avec celles s'exprimant au sein de certaines
autres Assemblées
(2(
*
)).
Néanmoins, cette orientation, combattue par le Parlement européen
et la Commission européenne, rencontre la réticence de plusieurs
Etats membres.
Dans ce contexte, votre rapporteur voudrait souligner que vouloir
réellement mettre en oeuvre le principe de subsidiarité n'est pas
s'en prendre à la construction européenne, mais au contraire
travailler dans l'intérêt de celle-ci, qui loin de se renforcer
s'affaiblit par un interventionnisme excessif. Or, compter uniquement sur
l'autodiscipline des institutions communautaires pour obtenir cette mise en
oeuvre ne peut apparaître comme une solution réaliste. Vouloir une
implication des Parlements nationaux dans le contrôle de la
subsidiarité n'est donc pas chercher à
" renationaliser " les compétences communautaires, mais au
contraire s'efforcer qu'une exigence unanimement reconnue par les Etats membres
comme indispensable au bon fonctionnement de l'Union soit effectivement prise
en compte.
Votre rapporteur exprime donc l'espoir que les réserves que suscite
encore cette proposition s'atténueront au fil des travaux de la
Conférence intergouvernementale.
I. LE PRINCIPE DE SUBSIDIARITÉ DANS LE TRAITÉ SUR L'UNION EUROPÉENNE
Le débat sur le principe de subsidiarité peut se
trouver obscurci si l'on ne fait pas la distinction entre :
- le principe de subsidiarité comme principe général, qui
entre dans le champ de la philosophie politique,
- le principe de subsidiarité comme élément du droit
communautaire, qui est défini à l'article 3 B du Traité.
Comme principe général
, le principe de
subsidiarité ne s'applique pas seulement aux rapports entre les
collectivités publiques plus larges et les collectivités
publiques plus restreintes, mais aussi aux rapports entre les autorités
publiques, quelles qu'elles soient, et la société civile. Il
demande que l'autorité publique n'intervienne dans le domaine
économique et social que s'il est nécessaire de compléter
les initiatives provenant de la société civile pour obtenir le
Bien commun ; il demande également, de manière
générale, que les collectivités publiques dont le ressort
est plus large n'interviennent que pour compléter, si nécessaire,
l'action des collectivités publiques dont le ressort est plus
étroit.
On peut constater que, comme principe général, le principe de
subsidiarité suppose l'existence d'un Bien commun : si le rôle de
l'instance " supérieure " est de compléter, de
prolonger ce que fait l'instance " inférieure ", c'est que
toutes deux doivent aller dans la même direction.
En ce sens, on peut s'interroger sur la compatibilité de ce principe
avec la notion moderne de la démocratie, fondée sur l'idée
que plusieurs conceptions légitimes du Bien commun peuvent coexister. De
même, l'étendue des devoirs de l'instance
" supérieure " peut faire problème : s'il est clair
que, négativement, elle doit respecter l'autonomie de l'instance
" inférieure ", a-t-elle également des devoirs
positifs, c'est-à-dire l'obligation d'intervenir si l'instance
" inférieure " ne remplit pas suffisamment sa
tâche ?
Certains l'affirment et estiment que le principe de subsidiarité a deux
versants : si, d'un côté, il doit entraîner une
limitation des interventions de l'instance " supérieure ",
de
l'autre côté, il doit conduire à développer les
compétences de celle-ci dès lors que l'instance
" inférieure " ne parvient pas à réaliser
convenablement un objectif commun.
Ainsi, comme principe de philosophie politique, le principe de
subsidiarité peut donner lieu à plusieurs interprétations
et s'intégrer dans plusieurs conceptions politiques.
Comme élément du droit communautaire
, le principe de
subsidiarité apparaît plus restreint et plus précis ;
même s'il comporte une marge d'appréciation importante, en tout
état de cause il ne soulève pas les mêmes
difficultés.
En effet, le principe de subsidiarité fait l'objet d'une
définition à l'article 3 B du Traité. Il en ressort que,
comme élément du droit communautaire,
le principe de
subsidiarité s'applique uniquement aux relations entre la
Communauté et les Etats membres, et ne s'applique donc ni aux relations
entre les collectivités infra-étatiques et les Etats membres ou
la Communauté, ni aux rapports entre les collectivités publiques
et la société civile.
Par ailleurs, comme les finalités poursuivies par la Communauté
et les Etats membres sont définies par le Traité, il n'est pas
nécessaire de supposer un Bien commun pour que le principe de
subsidiarité prenne son sens.
Enfin, l'article B du traité n'indique pas que les objectifs de
l'Union sont atteints dans le respect du principe de subsidiarité en
tant que principe général, mais "
dans le respect du
principe de subsidiarité tel qu'il est défini à l'article
3
B ".
L'article 3 B définissant le principe de
subsidiarité de manière négative, on ne peut en tirer
aucune obligation d'intervention pour la Communauté : de telles
obligations ne peuvent résulter que de dispositions expresses figurant
dans d'autres articles du Traité
. Cette dernière
précision est utile dans la msure où il n'est pas rare d'entendre
dans les débats communautaires que, " selon le principe de
subsidiarité ", certaines compétences de l'Union devraient
être renforcées. Tel qu'il figure à l'article 3 B du
traité, le principe de subsidiarité ne peut être
interprété en ce sens, puisque sa formulation est
négative. Son objet est de soumettre l'exercice et l'accroissement des
compétences communautaires à certaines conditions :
naturellement, il n'exclut pas le développement de ces
compétences, mais en aucun cas il ne le prescrit. En d'autres termes,
un développement des compétences communautaires n'est pas
nécessairement contraire au principe de subsidiarité, mais on ne
peut s'appuyer sur ce principe
tel qu'il est défini à
l'article 3 B
pour préconiser ce développement
.
Le présent rapport aborde uniquement l'application du principe de
subsidiarité tel qu'il figure dans le Traité, c'est-à-dire
comme un principe de limitation des compétences communautaires
concernant les rapports entre la Communauté et les Etats membres. Or la
rédaction de l'article 3 B est telle que, tout en affirmant un
principe strict de limitation des compétences communautaires, elle
laisse une marge d'appréciation considérable pour
l'appréciation de ces compétences.
A. UN PRINCIPE DE LIMITATION DES COMPÉTENCES COMMUNAUTAIRES
L'article 3 B du Traité instituant la Communauté
européenne
(3(
*
))
pose trois principes :
- le principe de l'interprétation stricte des compétences
communautaires (premier alinéa),
- le principe de subsidiarité proprement dit (deuxième
alinéa),
- le principe de proportionnalité (interdiction de l'excès).
1. L'interprétation stricte des compétences
Article 3B, 1 er alinéa
" La Communauté agit dans les limites des
compétences qui lui sont conférées et des objectifs qui
lui sont assignés par le présent traité ".
Cet alinéa réaffirme que les compétences de la
Communauté sont des compétences d'attribution, qui doivent
être explicitement dévolues par le Traité ; la
Communauté n'a pas " la compétence de la
compétence ". Le lien qu'il établit entre
" compétences " et " objectifs "
confirme cette
exigence d'interprétation stricte :
- non seulement la Communauté ne dispose que des compétences
conférées par le Traité, mais elle ne doit utiliser ces
compétences que pour les objectifs explicitement définis par ce
dernier ;
- réciproquement, les objectifs assignés à la
Communauté ne doivent être poursuivis qu'au moyen des
compétences qui lui sont expressément attribuées.
2. Le rôle subsidiaire de la Communauté
Article 3B, 2 e alinéa
" Dans les domaines qui ne relèvent pas de sa
compétence exclusive, la Communauté n'intervient,
conformément au principe de subsidiarité, que si et dans la
mesure où les objectifs de l'action envisagée ne peuvent pas
être réalisés de manière suffisante par les Etats
membres et peuvent donc, en raison des dimensions ou des effets de l'action
envisagée, être mieux réalisés au niveau
communautaire ".
Il ressort tout d'abord de cet alinéa que le principe de
subsidiarité proprement dit s'applique seulement dans les domaines qui
ne sont pas de la
" compétence exclusive "
de la
Communauté. Cette précision peut sembler superflue : puisque le
principe de subsidiarité gouverne le partage des rôles entre la
Communauté et les Etats membres, il ne peut par définition
concerner que les domaines où ceux-ci et celle-là interviennent
concurremment. On dira peut-être qu'il s'agit de protéger, en
éliminant toute ambiguïté, les " blocs de
compétences " communautaires résultant du Traité.
Mais, outre le fait que de tels " blocs " sont très peu
nombreux, on conçoit mal que le Traité ait pu accorder
compétence à la Communauté dans des domaines où
celle-ci ne serait pas mieux, ou serait moins bien placée que les Etats
membres pour mettre en oeuvre tel ou tel objectif : si tel était le cas,
il conviendrait de réviser le Traité, non de protéger le
" bloc de compétences " ainsi attribué à la
Communauté.
Au demeurant, le notion de " compétence exclusive " est
entourée de tant d'incertitudes (sur lesquelles on reviendra plus loin)
que sa présence peut difficilement contribuer à clarifier la
signification du principe de subsidiarité.
Toutefois la référence à cette notion ne paraît pas
dépourvue de tout intérêt dans la mesure où sa
place, au deuxième alinéa de l'article 3 B, confirme
a
contrario
que les premier et troisième alinéas s'appliquent,
quant à eux, à l'ensemble des actions de la Communauté :
que l'on soit ou non dans le cas d'une
" compétence
exclusive ",
les compétences de la Communauté doivent
être interprétées strictement et être mises en oeuvre
par les moyens les plus légers et les moins contraignants possibles
parmi ceux qui doivent permettre d'atteindre le but poursuivi.
" ... la Communauté n'intervient, conformément au
principe de subsidiarité, que si et dans la mesure
où... ".
Ce membre de phrase, en définissant les compétences de la
Communauté de manière négative et conditionnelle, confirme
que
la compétence de droit commun est celle des Etats membres : il
convient toujours de présumer que ceux-ci sont compétents et que
la Communauté ne l'est pas ; celle-ci doit donc toujours prouver qu'il
est indispensable qu'elle intervienne.
Par ailleurs, l'action de la Communauté doit seulement compléter
l'action des Etats membres : elle n'est justifiée que
" dans la
mesure où "
un objectif n'a pas été suffisamment
atteint, c'est-à-dire en quelque sorte pour faire le reste du chemin ;
que les Etats membres n'aient pu atteindre complètement tel ou tel
objectif n'autorise donc pas la Communauté à se substituer
à eux, à prendre la relève, mais seulement à faire
en sorte d'obtenir les aspects de l'objectif qui n'ont pas encore
été atteints (" subsidium " désigne à
l'origine la troupe de réserve, la force d'appoint).
Enfin, le deuxième alinéa de l'article 3 B fixe deux conditions
aux interventions de la Communauté :
- d'une part,
" les objectifs de l'action envisagée ne peuvent
pas être réalisés de façon suffisante par les Etats
membres ".
En d'autres termes, étant donné un objectif
découlant du Traité, l'intervention de la Communauté n'est
légitime que si cet objectif ne peut être atteint par les Etats
membres agissant séparément, ni par une libre coopération
entre eux ;
- d'autre part, l'objectif doit pouvoir être
" mieux
réalisé au niveau communautaire "
: en effet, une
réalisation insuffisante par les Etats membres n'implique pas
nécessairement que l'intervention de la Communauté serait, par
elle-même, une garantie de succès.
Au total, aux termes du deuxième alinéa de l'article B, une
intervention de la Communauté n'est légitime, étant
donné un objectif fixé par le Traité, que pour
compléter l'action des Etats membres, celle-ci s'étant
montrée insuffisamment efficace et l'intervention de la
Communauté paraissant de nature à combler ce déficit
d'efficacité.
3. Le principe de proportionnalité
Article 3B, 3 e alinéa
" L'action de la Communauté n'excède pas
ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs du présent
traité ".
L'interdiction de l'excès ainsi posée s'applique à
l'ensemble des actions de la Communauté. Elle signifie que les moyens
employés pour ces actions doivent être strictement
proportionnés aux objectifs poursuivis. En particulier, le degré
de contrainte uniforme d'une mesure communautaire doit être le plus
limité compatible avec son efficacité, et la Communauté
doit toujours privilégier les solutions les moins lourdes et les plus
respectueuses de l'identité nationale des Etats membres
(conformément à l'article F, alinéa 1
er
,
du Traité).
4. L'arrêt de la Cour constitutionnelle fédérale d'Allemagne
Il est intéressant de confronter cette analyse,
approuvée par la délégation en novembre 1992, aux attendus
de l'arrêt prononcé en octobre 1993 par la Cour constitutionnelle
allemande au sujet de la conformité du traité de Maastricht
à la Loi fondamentale de la RFA.
La Cour de Karlsruhe est en effet la seule juridiction constitutionnelle
à avoir rendu à propos de ce Traité un arrêt
comportant une analyse du principe de subsidiarité tel qu'il y figure.
L'analyse de la Cour de Karlsruhe (4( * ))
La Haute juridiction relève dans cet arrêt que le
Traité ne confère à l'Union et aux Communautés
européennes que certaines compétences, qu'il les confère
selon le principe de l'attribution limitative de compétences et qu'il
élève le principe de subsidiarité au rang de principe de
droit contraignant.
Critiquant implicitement l'interprétation " dynamique " des
traités qui a prévalu jusqu'à présent, elle
précise que si l'interprétation des règles attributives de
compétences conduisait à élargir
de facto
les
compétences attribuées par le Traité à la
Communauté et à l'Union, cet élargissement n'engendrerait
pour l'Allemagne aucun effet contraignant.
La Cour suprême allemande souligne que le principe de
subsidiarité, tel qu'il figure dans le Traité, est seulement un
principe de limitation des compétences de la Communauté et de
l'Union, et qu'il soumet l'action de la Communauté à des
conditions déterminées :
- une compétence doit avoir été reconnue à la
Communauté par le Traité,
- l'objectif poursuivi ne doit pas pouvoir être réalisé de
manière suffisante par les Etats membres,
- cet objectif doit pouvoir être mieux réalisé au niveau
communautaire.
Elle considère que le respect du principe de subsidiarité
dépend essentiellement du Conseil, principal organe législatif de
la Communauté, et qu'il appartient donc au Gouvernement et aux deux
Chambres du Parlement d'exercer leur influence pour obtenir que ce principe
soit effectivement observé.
Enfin, la Cour de Karlsruhe souligne que le principe de proportionnalité
énoncé au 3ème alinéa de l'article 3 B, en
proscrivant toute mesure excessive, va dans le sens d'une limitation de
l'intensité normative des mesures communautaires.
On peut constater que l'interprétation retenue par la Haute juridiction
converge avec celle qu'avait adoptée la délégation du
Sénat pour considérer que le principe de subsidiarité, tel
qu'il figure dans le Traité sur l'Union européenne, est un
principe de limitation des compétences communautaires, dont la raison
d'être est de protéger les compétences des Etats membres
et, par là, les identités nationales ; en dernière
analyse, comme le souligne la Cour de Karlsruhe, il doit ainsi permettre aux
Etats membres de conserver une démocratie vivante, où le droit de
vote à l'échelon national n'est pas vidé de sa substance.
B. UNE MARGE D'APPRECIATION CONSIDERABLE POUR L'APPRECIATION DE CES COMPETENCES
Si le principe de subsidiarité, tel qu'il figure dans le Traité, définit une orientation claire quant à la manière dont les compétences communautaires doivent être conçues et exercées, il n'en laisse pas moins subsister une importante marge d'appréciation tenant au fait qu'il repose sur l'appréciation d'éléments qualitatifs et qu'il fait intervenir le notion controversée de " compétence exclusive ".
1. Des éléments qualitatifs
Qu'est-ce que la
" réalisation
suffisante "
d'un objectif ? Qu'est-ce qu'une
" meilleure
réalisation "
? Où situer la limite entre
" ce
qui est nécessaire "
pour atteindre un objectif et ce qui
constitue une contrainte superflue ? Il est clair que, dans beaucoup de
domaines d'intervention de la Communauté, bien des réponses sont
possibles à de telles questions, et que les instances communautaires
disposent de ce fait d'une marge d'appréciation considérable.
La difficulté est d'autant plus sérieuse que les objectifs de la
Communauté et de l'Union sont parfois définis par le
Traité en termes ambitieux et vagues. Dans des domaines tels que
l'environnement, la politique sociale, la culture, l'éducation, la
protection des consommateurs, la santé publique, quand pourra-t-on dire
que les objectifs fixés par le Traité sont
" suffisamment
atteints "
?
Il suffit de citer quelques-uns de ces objectifs pour mesurer la
difficulté :
-
" la préservation, la protection et l'amélioration de
la qualité de l'environnement "
(article 130 K),
-
" l'utilisation prudente et rationnelle des ressources
naturelles "
(ibid),
-
" l'amélioration des conditions de vie et de travail de la
main d'oeuvre permettant leur égalisation dans le
progrès "
(article 117),
-
" l'épanouissement des cultures des Etats membres "
(article 128),
-
" le développement d'une éducation de
qualité "
(article 126),
-
" protéger la santé, la sécurité et les
intérêts économiques des consommateurs, et leur assurer une
information adéquate "
(article 129 A),
-
" assurer un niveau élevé de protection de la
santé humaine "
(article 129).
On voit mal sur quels critères objectifs s'appuyer pour
déterminer où se situe la
" réalisation
suffisante "
de tels objectifs, et qui, de la Communauté ou des
Etats membres, est le mieux à même d'agir avec le plus
d'efficacité dans de tels domaines.
Une telle situation est susceptible de limiter considérablement la
portée de l'article 3B.
Un des aspects de celui-ci, comme on vient de le voir, est que la
Communauté ne dispose que de compétences d'attribution, qu'elle
n'a pas " la compétence de la compétence ". Mais,
dès lors que les compétences communautaires sont définies
en termes aussi vagues, il est clair que, si les instances communautaires sont
seules compétentes pour interpréter ces compétences et
pour déterminer si une intervention communautaire est ou non conforme au
principe de subsidiarité, alors la Communauté n'est pas loin de
disposer, en fait sinon en droit, de " la compétence de la
compétence ". En réalité, ce sont les dispositions du
Traité accordant ou non un pouvoir d'action à la
Communauté et précisant les modalités de son exercice qui
apparaissent, sous cet angle, comme le principal instrument de protection de la
compétence des Etats, bien plus que le principe de subsidiarité.
Les autres aspects du principe de subsidiarité sont, pour les
mêmes raisons, remis en question par la définition très
large des objectifs de la Communauté :
- une action de la Communauté peut toujours paraître
justifiée si l'objectif à atteindre est défini par le
traité de manière si vague qu'il ne pourra jamais paraître
" suffisamment réalisé ",
et qu'il ne sera
jamais possible, dans un sens ou dans l'autre, de se prononcer sur les chances
d'une
" meilleure réalisation "
grâce à
une intervention de la Communauté ;
- la restriction aux interventions communautaires entraînée par la
règle selon laquelle ces interventions doivent
" compléter "
l'action des Etats membres est
singulièrement affaiblie si l'ampleur du chemin à parcourir pour
obtenir une
" meilleure réalisation "
de l'objectif
poursuivi est indéterminée ;
- face à un objectif imprécis, il est toujours difficile
d'affirmer qu'une action est exagérément contraignante, qu'elle
emploie des moyens disproportionnés.
Ainsi,
la formulation du principe de subsidiarité qu'a retenue le
Traité reste suffisamment ambiguë pour que le caractère
protecteur ou non de ce principe dépende en réalité de
l'interprétation qui en est donnée dans chaque cas.
2. La notion controversée de " compétence exclusive "
Selon le deuxième alinéa de l'article 3 B, le principe de subsidiarité proprement dit ne s'applique pas aux " compétences exclusives " de la Communauté. Or, cette notion donne lieu à des controverses qui font planer un doute sur la portée du principe de subsidiarité.
L'analyse de la Commission européenne
Dans sa communication du 27 octobre 1992 pour la
préparation du Conseil européen d'Edimbourg, la Commission
européenne estime que la notion de compétence exclusive se
caractérise par deux éléments cumulatifs :
- un élément fonctionnel : l'obligation d'agir pour la
Communauté qui est considérée comme seule responsable de
l'accomplissement de certaines missions ;
- un élément matériel : les Etats membres sont dessaisis
du droit d'intervenir unilatéralement.
Le " bloc " des compétences exclusives comprendrait ainsi :
- la suppression des obstacles à la libre circulation des marchandises,
des personnes, des services et des capitaux ;
-la politique commerciale commune ;
- les règles générales de la concurrence ;
- l'organisation commune des marchés agricoles ;
- la conservation des ressources de pêche ;
- les éléments essentiels de la politique des transports.
Mais cette analyse peut paraître contestable
(5(
*
))
.
Tout d'abord, l'obligation d'agir découlant du Traité peut
être plus ou moins impérative : ainsi, dans son arrêt du 22
mai 1985 concernant la politique des transports, la Cour de justice des
Communautés a introduit une distinction entre les obligations d'agir qui
sont sanctionnables par un recours en carence, et celles dont la nature n'est
pas suffisamment définie pour fonder un tel recours.
Surtout, il n'y a pas de lien nécessaire entre l'existence d'une
obligation d'agir pour la Communauté et le dessaisissement des Etats
membres. C'est seulement dans les cas, à vrai dire relativement peu
nombreux, où la Communauté doit agir et ne peut agir qu'en
dessaisissant complètement les Etats membres que l'on est
indiscutablement en présence d'une compétence exclusive de la
Communauté : c'est par exemple le cas lorsque la Communauté fixe
les captures autorisées pour la pêche et les répartit par
pays ; dans les autres cas, le principe de subsidiarité reste
applicable, sinon quant au principe même d'une action communautaire, du
moins quant à l'ampleur de celle-ci.
Dans cette optique, le principe de subsidiarité apparaît au moins
partiellement applicable à la plupart des matières
présentées comme des compétences exclusives de la
Communauté par la Commission européenne dans la communication
citée plus haut.
Ainsi, pour la réalisation du marché intérieur, il est
possible de privilégier l'harmonisation des normes à
l'échelon communautaire ou au contraire de limiter cette harmonisation
au strict nécessaire, laissant subsister une compétence normative
des Etats membres dans le respect du principe de libre circulation
(jurisprudence " Cassis de Dijon ").
De même, la politique de la concurrence ou la politique agricole commune
peuvent être conçues de manière à laisser subsister
des compétences plus ou moins importantes aux Etats membres, et donc ne
peuvent être
a priori
exclues du champ d'application du principe
de subsidiarité.
Un exemple : la proposition d'acte communautaire E 627
Pour constater à quel point l'approche
développée par la Commission européenne ne parvient pas
à clarifier de manière satisfaisante la notion de
compétence communautaire exclusive, il suffit au demeurant de se
référer à l'exemple de la proposition d'acte communautaire
Com (95) 591 final, qui a été soumise en mai dernier à
l'Assemblée nationale et au Sénat sous le n° E 627
dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution. Ce texte concerne
l'application des dispositions de la Convention des Nations Unies sur le droit
de la mer relatives
" à la conservation et à la gestion
des stocks de poissons chevauchants et des stocks de poissons grands
migrateurs ".
La Commission européenne, présentant cette
proposition, a estimé que ce texte relevait de la compétence
exclusive de la Communauté au titre de la politique commune de la
pêche. Or, cette analyse a été contestée par
plusieurs Etats membres, et, finalement, le Conseil a entrepris de
préciser, dans une déclaration, la répartition des
compétences entre la Communauté et les Etats membres pour
l'application de ce texte, après que la Commission a reconnu que, dans
le cas d'espèce, la compétence de la Communauté
n'était pas exclusive.
Il apparaît donc que, même dans le
cas de la politique commune de la pêche, qui, dans l'approche retenue par
la Commission européenne, paraît pouvoir illustrer par excellence
la notion de compétence exclusive, cette notion prête en
réalité à controverse.
Finalement, il semble que, dans l'optique de l'application du principe de
subsidiarité, la notion de compétence exclusive ne puisse
être clarifiée de manière indiscutable qu'autour de la
notion de compétence exclusive " par nature " (voir
l'article
cité plus haut de K. Lenaerts et P. van Ypersele, p. 28), qui concerne
uniquement les cas où une disposition du Traité lui-même
dessaisit directement les Etats membres. Dans tous les autres cas, non
seulement la notion de compétence exclusive, comme on l'a vu, peut
donner lieu à plusieurs interprétations, mais encore, s'agissant
de compétences découlant du droit dérivé, il est
toujours envisageable de restituer les compétences en cause aux Etats
membres s'il s'avère que la compétence communautaire ne permet
pas de mieux réaliser les objectifs du Traité, et le principe de
subsidiarité peut donc trouver à s'appliquer.
Dès lors, deux attitudes sont possibles :
- ou bien admettre que les " compétences exclusives "
visées au deuxième alinéa de l'article 3 B sont bien
seulement les compétences exclusives " par nature " : on
dispose alors d'une solution claire et cohérente, mais alors il faut
conclure que cet aspect de l'article 3 B ne fait que consacrer une
évidence ;
- ou bien étendre davantage le domaine de ces compétences
exclusives, mais alors tout critère sûr de délimitation de
celles-ci disparaît et la portée de l'inscription du principe de
subsidiarité dans le traité se trouve sérieusement
affectée.
* *
*
Selon la manière dont sont appréciés les éléments qualitatifs du principe de subsidiarité, selon l'attitude adoptée vis-à-vis de la notion de compétence exclusive, le principe de subsidiarité peut conduire à un recentrage de la Communauté vers les missions qu'elle seule peut valablement assurer, ou au contraire permettre les interventions communautaires les plus variées et les plus larges. Ce principe plus politique que juridique est tout entier dans son application. Il convient donc d'examiner comment les instances communautaires l'ont mis en oeuvre.
II. L'APPLICATION DU PRINCIPE DE SUBSIDIARITÉ : LA MONTAGNE ACCOUCHE D'UNE SOURIS
Tout au long de l'année 1992, le principe de
subsidiarité a tenu une grande place dans les débats
communautaires. La ratification du Traité sur l'Union européenne
s'avérant plus difficile que prévu, nombre d'Etats membres
souhaitaient montrer que les inquiétudes qui s'exprimaient allaient
être entendues, en mettant l'accent sur le principe de
subsidiarité. Mais cette orientation était mal acceptée
par le Parlement européen et la Commission européenne, ainsi que
par certains Etats membres qui craignaient une remise en cause des
interventions communautaires dont ils bénéficiaient.
Finalement, la controverse a abouti - avec la déclaration
adoptée par le Conseil européen d'Edimbourg, en décembre
1992, puis avec l'" accord interinstitutionnel " entre le
Conseil, la
Commission et le Parlement européen, en octobre 1993 - à un
accord pour neutraliser en grande partie le principe de subsidiarité,
dont l'effet sur les pratiques institutionnelles de la Communauté est
dès lors resté modeste.
A. VERS LA NEUTRALISATION DU PRINCIPE DE SUBSIDIARITÉ
1. Le débat au sein des instances communautaires en 1992
a) De Lisbonne à Edimbourg
· Le Conseil européen de Lisbonne, en juin 1992, qui intervenait après le résultat négatif du premier référendum de ratification au Danemark, a souligné l'importance que devait prendre l'application du principe de subsidiarité. Il a adopté à cet égard la déclaration suivante :
Conseil européen de Lisbonne (Juin 1992)
" L'approche du Traité de Maastricht, qui vise
à rendre le processus de l'unité européenne plus proche du
citoyen et réaffirme l'importance des identités des nations qui
font partie de l'Union, doit se traduire avec force dans les actions et
positions de la Communauté. Le Conseil européen souhaite voir
renforcer le dialogue entre les Parlements nationaux et le Parlement
européen, y compris dans le cadre de la conférence des Parlements.
" Le Conseil européen rappelle le rôle important que le
principe de subsidiarité a joué dans l'élaboration du
Traité sur l'Union : non seulement ce principe a été
intégré dans le Traité en tant que nouvelle règle
de base juridiquement contraignante (article 3 B) mais aussi, pour la
première fois, on a défini de manière précise le
type d'action communautaire qui peut être menée dans les nouveaux
domaines de compétence que le Traité confère à
l'Union.
" Le Conseil européen est convaincu qu'un développement
harmonieux de l'Union au cours des prochaines années passe, dans une
très large mesure, par une application stricte à la
législation existante et future du principe de subsidiarité par
toutes les institutions. Elle est essentielle si l'on veut que la construction
européenne se fasse dans une perspective conforme aux aspirations
communes des Etats membres et de leurs citoyens.
" Après avoir entendu un premier rapport du Président de la
Commission à ce sujet, le Conseil européen a invité la
Commission et le Conseil à engager d'urgence des travaux sur les mesures
à prendre sur le plan de la procédure et sur le plan pratique
pour mettre en oeuvre le principe en question et à faire rapport au
Conseil européen à Edimbourg.
" La Commission, pour sa part, s'est engagée à justifier,
dans les considérants des propositions futures, l'opportunité de
son initiative eu égard au principe de subsidiarité. Le Conseil
devra en faire autant s'il décide de modifier la proposition initiale de
la Commission.
" De même, certaines règles communautaires seront
réexaminées en vue d'être adaptées au principe de
subsidiarité. Un rapport sera établi à l'intention du
Conseil européen de décembre 1993 sur les résultats de ce
réexamen. "
Le Parlement européen s'est inquiété de cette
déclaration. La résolution qu'il a adoptée en
réplique, en juillet 1992, précise qu'il
" n'accepte pas
qu'une interprétation restrictive du principe de subsidiarité ait
pour effet d'entraver les compétences attribuées aux institutions
européennes par les traités et la mise en oeuvre des politiques
communes notamment en matière sociale et d'environnement "
et
qu'il
" considère comme acquis que le Parlement européen,
en tant que colégislateur, sera pleinement associé aux travaux
(que le Conseil européen a invité la Commission et le Conseil
à engager) sur les mesures à prendre sur le plan de la
procédure et de la pratique pour mettre en oeuvre le principe de
subsidiarité et pour en contrôler l'application par toutes les
institutions concernées. "
·
A l'automne 1992, la relative difficulté de la
ratification du Traité de Maastricht se confirmait : après le
résultat négatif du premier référendum danois, la
faible majorité enregistrée lors du référendum
français et le trouble de l'opinion en Grande-Bretagne rendaient
nécessaire, aux yeux de certains, de mettre plus clairement en avant le
principe de subsidiarité. Mais ce souhait aggravait les
inquiétudes de la Commission, du Parlement européen et de
nombreux Etats membres, qui craignaient de voir triompher une conception
" minimaliste " de la construction européenne.
Le Conseil européen d'Edimbourg, tourné vers la perspective d'un
second référendum au Danemark, a dans ce contexte adopté
non seulement une " décision " apportant certaines garanties
à ce pays, mais également une " déclaration "
concernant le principe de subsidiarité.
Les travaux du Conseil européen d'Edimbourg (11 et 12 décembre)
au sujet de la subsidiarité s'appuyaient sur une communication de la
Commission européenne (27 octobre 1992), une résolution du
Parlement européen (18 novembre 1992) et sur les travaux du COREPER et
du Conseil " Affaires générales ".
b) Les travaux de la Commission européenne
· Dans sa communication du 27 octobre 1992, la
Commission européenne estime avoir
" un rôle
particulièrement important à jouer ",
en raison de son
pouvoir d'initiative, dans l'application du principe de subsidiarité, et
précise la manière dont elle entend jouer ce rôle :
- une action étant envisagée, la Commission procédera
à un
" test d'efficacité comparative "
entre
l'action communautaire et celle des Etats membres ;
- si une intervention communautaire paraît requise, la Commission
examinera
" l'étendue du besoin d'uniformité au regard de
l'objectif à atteindre ",
et, chaque fois que possible,
choisira le plus bas degré de contrainte compatible avec l'objectif
poursuivi. Elle privilégiera dans cet esprit :
" les programmes
de soutien ou de coordination des actions nationales "
;
le
recours, au moins dans un premier temps, à des recommandations ;
l'adhésion, le cas échéant, à des conventions
internationales (car pourquoi légiférer
" lorsque
l'action est déjà menée au niveau international avec un
degré d'efficacité comparable à l'action
communautaire "
?) ;
- s'il apparaît nécessaire de légiférer,
" la Commission privilégiera, dans la mesure du possible, les
actes-cadres, les normes minimales et la reconnaissance mutuelle et, d'une
manière générale, elle évitera les prescriptions
législatives trop détaillées " ;
dès lors,
" le recours au règlement devrait rester l'exception ",
tandis que s'effectuerait un
" retour systématique à
la conception originelle de la directive, c'est-à-dire un cadre de
règles générales, voire de simples objectifs "
que les Etats membres seraient responsables d'atteindre. Sur ce point, la
Commission n'hésite pas à reconnaître que la
" conception originelle "
de la directive n'est plus
qu'un
lointain souvenir :
" On sait que, dans la pratique, la distinction
entre directive et règlement s'est estompée, parfois pour de
bonnes raisons (nécessité de règles uniformes), parfois
pour de mauvaises (éviter le détour d'une procédure
parlementaire nationale). Quoi qu'il en soit, la directive n'est plus un
instrument privilégié par rapport au règlement et,
lorsqu'il y est fait recours, elle est le plus souvent aussi
détaillée qu'un règlement et ne laisse guère de
marge de manoeuvre pour sa transposition. "
Par ses critiques et ses propositions, la Commission européenne
esquisse ainsi une démarche pleinement conforme au principe de
subsidiarité :
- en premier lieu, vérifier qu'une intervention communautaire est
indispensable ;
- si tel est le cas, procéder, dans la mesure où la nature de
l'objectif le permet, par recommandation ou incitation, au moins dans un
premier temps ;
- si un acte législatif s'avère nécessaire, choisir autant
que possible celui qui laisse la plus grande liberté aux Etats membres
dans le choix des moyens.
·
Cette orientation est cependant remise en cause par certains autres
aspects de la même communication.
Tout d'abord, la Commission n'aborde pas, ou pas directement, le
problème du contrôle du respect du principe de subsidiarité
: elle s'en remet implicitement à la bonne volonté des
institutions de la Communauté européenne. Mais si ce
remède est suffisant, on peut se demander pourquoi ce principe de bon
sens qu'est le principe de subsidiarité n'a pas été
auparavant davantage appliqué. La réponse de la Commission
à cet égard peut paraître quelque peu embarrassée :
- d'une part, elle assure que le principe de subsidiarité a toujours
été appliqué :
" Pas plus que la
proportionnalité, qui va de pair avec elle, la subsidiarité n'a
été inventée à Maastricht. Ces deux principes
existent dans les pratiques législatives et autres de la
Communauté. " " L'application du principe de
subsidiarité depuis plus de quarante ans a correspondu à une
double exigence : celle de la nécessité de l'action
communautaire, celle de la proportionnalité des moyens d'action aux
objectifs. " ;
- d'autre part, elle précise qu'elle n'est pas responsable du
non-respect du principe de subsidiarité :
" Peu importe que la
demande d'une proposition émane très souvent du Conseil des
Ministres ou du Parlement européen, peu importe que de larges
consultations soient organisées avec les milieux
intéressés (Livre vert, réunions d'experts, etc.), peu
importe également que les propositions initiales soient
surchargées ou dénaturées lors du processus d'adoption par
le Conseil ou par le Parlement, c'est la Commission qui, aujourd'hui, porte
principalement devant l'opinion publique, la responsabilité de
réglementations qui seraient contraires au principe de
subsidiarité. Il est d'autant plus injuste que la Commission soit au
centre de ces critiques qu'elle se limite à exercer les deux missions
fondamentales assignées par le Traité : celle du monopole de
l'initiative, celle de gardienne du droit communautaire. ".
Ce type de dénégation est généralement bien connu
dans toute famille :
" Je n'ai pas touché aux chocolats,
d'ailleurs c'est mon frère qui m'a obligé à prendre la
boîte, et il en a mangé plus que moi. "
Il est alors
fréquent de considérer que, les mêmes causes ayant les
mêmes effets, mieux vaut placer les friandises dans un endroit plus
sûr.
On veut bien croire que la Commission est injustement critiquée et que,
de toute manière,
" elle ne recommencera plus ".
Mais
on voit mal pourquoi les facteurs qu'elle avance pour expliquer le non-respect
de la subsidiarité (les interventions des Etats membres et du Parlement
européen) cesseraient soudain de jouer. Dès lors, en s'abstenant
d'envisager un mécanisme de contrôle, la Commission
européenne limite singulièrement la portée qu'elle entend
accorder au principe de subsidiarité.
· Mais cette limitation n'est pas la seule. Dans sa communication, la
Commission européenne, comme votre rapporteur l'a déjà
souligné (voir ci-dessus, p. 15 à 17), retient une
définition extensive de la notion de
" compétence
exclusive ",
définissant ainsi un large domaine où le
principe de subsidiarité ne s'applique pas.
De même, dans les domaines qu'elle reconnaît comme entrant dans
les
" compétences partagées"
entre la
Communauté et les Etats membres, la Commission admet comme
critère de justification des interventions communautaires l'existence
d'une
" volonté politique forte "
que manifesterait
le
Traité dans certains domaines. Or, même en laissant de
côté le caractère quelque peu discutable de ce type
d'interprétation du Traité, il reste que la
" volonté politique "
porte sur des objectifs, non
sur
des moyens, et qu'elle ne peut donc autoriser à mettre de
côté le principe de subsidiarité, qui demande d'examiner si
ces mêmes objectifs ne pourraient pas être tout aussi bien atteints
par l'action individuelle ou concertée des Etats membres.
· Surtout, la Commission insiste particulièrement sur le fait que
" lors de l'examen de ses propositions, il ne saurait être
question de dissocier la subsidiarité du fond de la matière
traitée ",
estimant qu'une telle dissociation aurait pour effet
de
" bloquer progressivement le processus de
décision ".
Cette affirmation figure à plusieurs reprises dans la communication de
la Commission, sans que l'argumentation se fasse plus précise :
-
" Pour des raisons propres à la subsidiarité, l'examen
de ce principe ne peut pas être dissocié du contenu d'une
proposition ou d'une action " ;
- " La subsidiarité est un élément de la
décision et non un préalable. Il doit être examiné
avec l'ensemble des autres éléments (base juridique, dispositif)
aux conditions de vote de la proposition. C'est seulement à la fin du
processus d'examen d'une proposition, si le Parlement ou le Conseil Affaires
générales estiment que la subsidiarité n'est pas
respectée, que la Commission pourrait revoir, à leur demande
expresse, sa proposition sous cet angle. ".
- " Le contrôle du principe de subsidiarité fait partie
intégrante de l'examen de la proposition de la Commission et ne peut
être dissocié de celui-ci. "
On ne peut qu'être frappé par la répétition de ce
thème, surtout dans la mesure où la Commission procède
à chaque fois par affirmation, s'abstenant d'évoquer plus
clairement les motifs de son inquiétude. Cette insistance est d'autant
plus étonnante qu'elle concerne la procédure d'examen des
propositions d'actes communautaires par le Conseil ou le Parlement,
c'est-à-dire la vie interne de ces institutions, domaine dans lequel la
Commission n'a pas à intervenir.
La crainte d'un
" blocage du processus de décision ",
seul argument avancé par la Commission européenne, ne
paraît guère fondée et la Commission ne cherche d'ailleurs
pas à en donner une justification détaillée. Il n'existe
pas de règles de majorité particulières pour l'examen des
questions de subsidiarité ; juridiquement, le risque de blocage
n'est donc pas plus grand sur ces questions que sur d'autres. Faire passer
à une proposition un
" test de subsidiarité "
avant de l'examiner plus au fond allongerait certes quelque peu le temps
d'examen global de cette proposition, à supposer qu'elle
réussisse ce test : mais, à supposer que le test s'avère
négatif dans un certain nombre de cas, la durée totale des
travaux du Conseil ne serait guère affectée, puisqu'il ferait
ainsi l'économie de l'examen au fond de certains textes. En tout
état de cause, le risque serait de retarder quelque peu le processus de
décision, non de le bloquer. S'agissant par définition de textes
dont la conformité au principe de subsidiarité serait douteuse,
le risque encouru serait-il si grave ?
La solution que la Commission européenne tient tant à
écarter est d'ailleurs considérée d'ordinaire comme
étant de bonne méthode : ainsi, dans les débats du
Parlement français (comme de la plupart, sinon la totalité des
Parlements étrangers) on examine les motions dites
"
de
procédure
"
(question préalable,
irrecevabilité constitutionnelle, renvoi en commission) avant le
débat sur les articles et non, comme le réclame
étrangement la Commission européenne, à l'issue de
celui-ci. A quoi bon, en effet, discuter d'un texte que l'on jugerait
irrecevable ?
A vrai dire, la formule suggérée par la Commission
européenne -attendre
" la fin du processus d'examen d'une
proposition "
pour un éventuel réexamen de la
proposition sous l'angle de la subsidiarité, et cela
" à
la demande expresse "
du Conseil Affaires générales ou
du Parlement européen- paraît si peu réaliste qu'on est
tenté d'y voir une erreur de plume. Imagine-t-on sérieusement que
le Conseil ou le Parlement européen, après avoir discuté
du détail d'un texte pendant des mois, vienne signaler à la
Commission
" à la fin du processus d'examen "
(et
donc,
on l'imagine, lorsqu'un accord est intervenu sur le fond) qu'il a des doutes
quant au respect du principe de subsidiarité et qu'il se demande si le
processus d'examen ne devrait pas être repris
ab initio
?
Le raisonnement de la Commission est d'autant plus difficile à
appréhender qu'après avoir présenté (non sans
raison) le Conseil comme un des responsables du non-respect du principe de
subsidiarité, elle paraît craindre ensuite de le voir devenir, au
nom de ce principe, un censeur si impitoyable que le fonctionnement des
institutions s'en trouverait bloqué ; de même, après
avoir clairement indiqué qu'elle se livrerait, quant à elle, pour
toute action envisagée, à un examen préalable de la
conformité au principe de subsidiarité, la Commission estime
qu'un tel examen par le Conseil aurait des conséquences si graves
qu'
" il ne peut être question
" qu'il ait lieu.
En réalité, l'attitude de la Commission ne peut s'expliquer
que par la volonté d'avoir un monopole sur l'appréciation des
conséquences à tirer du principe de subsidiarité.
En
effet, refuser que l'examen de la subsidiarité soit dissocié du
détail de la proposition, c'est refuser que cet examen ait lieu :
encore une fois, l'exigence de subsidiarité ne porte pas sur les
objectifs, les intentions, les orientations, mais concerne uniquement
l'échelon de décision. Une mesure peut être parfaitement
acceptable quant au fond, et néanmoins contraire au principe de
subsidiarité. Supposons par exemple que la Commission lance un vaste
programme de soutien à l'art lyrique, dans le cadre de l'article 128 du
traité : nul ne contestera qu'un tel objectif soit louable, et les
modalités prévues pourraient être tout aussi pertinentes
que celles pouvant être retenues à l'échelon national.
Néanmoins, un tel programme serait contraire au principe de
subsidiarité, puisqu'il n'y a pas de carence manifeste des Etats membres
dans ce domaine et que la Communauté n'est pas mieux placée que
ceux-ci pour entreprendre ce type d'action.
On voit bien que la subsidiarité porte d'abord sur le principe
même d'une action communautaire, avant de concerner son contenu
précis : son examen est préalable ou il n'est pas. Dès
lors, dénier au Conseil le droit de procéder à un tel
examen préalable, c'est pour la Commission refuser que sa propre
appréciation de la subsidiarité soit débattue et
contrôlée par le Conseil, c'est-à-dire par les Etats
membres.
Que telle est bien la préoccupation de la Commission se manifeste dans
un passage de sa communication, où elle précise que
" la
mise en oeuvre de ce principe ne peut être ramenée à un
exercice de tutelle sur la Commission par la remise en cause de son droit
d'initiative ",
ce qui reviendrait, selon elle, à une
" modification des équilibres qu'organisent les
Traités ".
Etrange conception du pouvoir de proposition de la
Commission et de l'équilibre institutionnel de la Communauté, que
celle qui voit une
" mise en tutelle "
dans la
possibilité de se prononcer spécifiquement sur le
bien-fondé d'une proposition au regard du principe de
subsidiarité ! Que l'on sache, le droit d'initiative n'enveloppe pas
celui d'imposer ses vues, et le pouvoir du Conseil de refuser une proposition,
loin de mettre en cause l'équilibre institutionnel, est au contraire une
condition de celui-ci.
Toujours est-il que la Commission juge le danger assez grave pour sous-entendre
qu'elle s'appuiera le cas échéant sur le Parlement
européen pour parvenir à ses vues :
" Le principe de
subsidiarité a une dimension interinstitutionnelle et, en particulier,
il est intimement lié à la question du déficit
démocratique ".
Ainsi, la communication de la Commission européenne tend-elle
finalement à réduire singulièrement la portée
pratique du principe de subsidiarité : définissant largement
le champ d'action communautaire soustrait à ce principe, excluant tout
mécanisme de contrôle, y compris la simple possibilité pour
le Conseil des ministres de faire passer un " test de
subsidiarité " à ses propositions, elle exprime sa
volonté de subsidiarité, mais entend être seule juge de sa
réalisation et refuse que des garanties soient mises en place à
cet égard.
On serait tenté de conclure que le despotisme
éclairé n'appartient pas tout à fait au passé.
c) Les travaux du Parlement européen
Le 18 novembre 1992, le Parlement européen a adopté une résolution " sur la mise en oeuvre du principe de subsidiarité " , se situant dans la perspective d'un " accord interinstitutionnel " (entre le Conseil, la Commission et le Parlement européen) définissant les conditions de cette mise en oeuvre.
La mise en oeuvre de la subsidiarité selon le Parlement européen
Dans ce texte, le Parlement européen définit
comme suit les principes qu'il souhaite voir figurer dans le futur accord
interinstitutionnel :
- " le contrôle du respect du principe de subsidiarité
s'effectue à l'occasion du processus de décision communautaire,
conformément aux règles de vote prévues par le
Traité, et ne saurait se traduire ni par une remise en cause du droit
d'initiative tel qu'il est prévu par le Traité sur l'Union
européenne, ni par la mise en place d'une procédure de
consultation du Conseil préalable ou parallèle au
déroulement du processus décisionnel prévu par les
Traités et par les accords interinstitutionnels qui en découlent,
- " les trois institutions, dans le cadre de leur procédure interne
et à l'occasion de l'examen de la base juridique, vérifient
systématiquement la conformité de l'action envisagée aux
dispositions de l'article 3B du Traité sur l'Union européenne
tant en ce qui concerne le choix des instruments juridiques que le contenu
(coordination ou rapprochement ou harmonisation des législations) : la
vérification ne peut donc être disjointe de l'examen au fond,
- " toute proposition de la Commission comporte un exposé des
motifs contenant une justification par rapport au principe de
subsidiarité tel qu'il est défini par l'article 3B du
Traité,
- " tout amendement au texte initial proposé par le Parlement
européen et par le Conseil doit, dès lors qu'il entraîne
une nouvelle extension du champ d'intervention communautaire, être
assorti d'une justification au regard des principes fixés par l'article
3B,
- " la Commission établit un rapport annuel à l'intention du
Parlement européen et du Conseil sur le respect du principe de
subsidiarité ; le Parlement européen organise un
débat public sur ce rapport avec la participation de la Commission et du
Conseil ".
L'essentiel est dit dans les deux premiers paragraphes, où le Parlement
européen reprend à son compte la principale revendication de la
Commission, sous une forme à peine différente
(" La
vérification ne peut être disjointe de l'examen au
fond ")
:
le Conseil ne doit pas se prononcer de manière
spécifique, ni avant la présentation officielle d'une
proposition, ni lors de l'examen de celle-ci, sur le respect du principe de
subsidiarité ;
dans le cas contraire, on risquerait d'assister
à une
" remise en cause du droit d'initiative "
de la
Commission européenne. L'argument avancé paraît d'ailleurs
toujours aussi peu convaincant : en quoi la possibilité, pour le
Conseil, de refuser une proposition de la Commission au nom de l'exigence de
subsidiarité remettrait-elle en cause le pouvoir d'initiative de la
Commission ? Ou alors faut-il admettre que le droit d'initiative de la
Commission inclut le droit pour celle-ci de voir ses propositions
adoptées à tout coup ?
Les autres paragraphes de la résolution apportent peu
d'éléments supplémentaires.
Le Parlement européen souhaite que la Commission justifie
désormais ses propositions au regard du principe de subsidiarité
: cette règle était déjà acquise lors du Conseil
européen de Lisbonne, quelques mois avant l'adoption de la
résolution.
L'Assemblée de Strasbourg demande également que tout amendement
aux propositions de la Commission qui tendrait à entraîner
" une nouvelle extension du champ d'intervention
communautaire "
soit assorti d'une
" justification "
au regard de l'article 3B. Même si les conditions d'application d'une
telle demande sont laissées dans le vague, il s'agit là d'un
louable souci, mais la garantie proposée peut paraître bien mince,
à moins de supposer que le Conseil ou le Parlement aient eu coutume
auparavant d'étendre à la légère le
" champ
d'intervention communautaire "
par leurs amendements.
Enfin, le Parlement européen suggère que la Commission
présente un rapport annuel sur le respect du principe de
subsidiarité, donnant lieu à un débat devant lui ; cette
suggestion est certes intéressante, mais faire du Parlement
européen et de la Commission les deux acteurs essentiels du débat
sur la subsidiarité, est-ce le meilleur moyen de protéger les
compétences des Etats membres ?
Au total, la résolution du Parlement européen et la
communication de la Commission convergent pour estimer que les conditions
d'application du principe de subsidiarité doivent être
fixées par un " accord institutionnel ", c'est-à-dire
une formule qui leur laisse à tous deux un droit de veto, et que cet
accord doit exclure tout contrôle spécifique du Conseil sur le
respect de ce principe, ce respect devant essentiellement reposer sur
l'autodiscipline de la Commission européenne.
d) Les travaux du Conseil des ministres
Les travaux du Conseil des ministres se sont effectués sur la base des conclusions du Conseil européen extraordinaire de Birmingham (18 octobre 1992).
Conseil européen de Birmingham (Octobre 1992)
" Nous réaffirmons que les décisions
doivent être prises aussi près que possible du citoyen. Une plus
grande unité est possible sans centralisation excessive. Il appartient
à chaque Etat membre de décider comment ses pouvoirs doivent
être exercés chez lui. La Communauté ne peut agir que
lorsque les Etats membres lui en ont donné le pouvoir dans les
traités. Des actions au niveau communautaire ne devraient être
prises que lorsque c'est approprié et indispensable : le traité
de Maastricht fournit le cadre et les objectifs appropriés à cet
effet. Donner corps à ce principe - " subsidiarité " ou
" proximité " - est essentiel si l'on veut que la
Communauté se développe avec l'appui de ses citoyens. Nous
attendons les décisions qui seront prises à Edimbourg sur la base
de rapports sur :
- " l'adaptation des procédures et des pratiques du Conseil, comme
la Commission l'a déjà fait de son côté, de
manière que ce principe devienne partie intégrante du processus
décisionnel de la Communauté, comme l'exige le traité de
Maastricht ;
- " les lignes directrices pour appliquer ce principe dans la
pratique,
par exemple par le recours à la forme de législation la plus
légère possible, les Etats membres disposant d'un maximum de
liberté quant aux meilleurs moyens d'atteindre l'objectif en question.
La législation communautaire doit être mise en oeuvre et son
application contrôlée effectivement et sans intervenir inutilement
dans la vie quotidienne de nos citoyens (...).
" Assurer la concrétisation de ce principe devrait être une
priorité pour toutes les institutions de la Communauté, sans que
l'équilibre qui existe entre elles en soit affecté. Nous
chercherons un accord à ce sujet avec le Parlement européen (...).
" Le Conseil européen, conformément aux
responsabilités qui lui sont attribuées en vertu du
traité, veillera au respect intégral des principes fondamentaux
de l'Union européenne ".
Soulignant la nécessité d'un respect effectif du principe de
subsidiarité pour renforcer l'adhésion des citoyens à la
construction européenne, la déclaration de Birmingham demande
donc au Conseil d'adapter ses procédures et pratiques pour que
" ce principe devienne partie intégrante du processus
décisionnel "
, mais ne donne aucune indication sur la
manière dont cet objectif pourrait se réaliser.
Le Conseil précise que l'équilibre des institutions ne s'en
trouvera pas affecté et accepte la perspective d'un accord
interinstitutionnel ; il se réserve le droit, en toute hypothèse,
de veiller au
" respect intégral "
des principes
régissant l'Union.
Le Conseil européen de Birmingham n'ayant pas dégagé
d'orientation très claire, les travaux du Conseil des ministres pour la
préparation du Conseil européen d'Edimbourg ont été
au départ relativement difficiles. Certains " petits " Etats
se faisaient l'écho des inquiétudes de la Commission sur le
risque de paralysie du processus décisionnel, d'autres Etats craignaient
une remise en cause des engagements pris au titre de l'effort de
cohésion économique et sociale, tandis que les Etats où la
ratification du Traité n'était pas acquise militaient pour donner
toute sa portée au principe de subsidiarité. Ces derniers
étant très minoritaires, le Conseil est parvenu à un
accord sur un texte entérinant pour l'essentiel les
préoccupations de la Commission européenne ; ce texte a
été adopté par le Conseil européen d'Edimbourg.
2. La déclaration d'Edimbourg
La déclaration d'Edimbourg reprend, pour l'essentiel,
les thèses de la Commission européenne, allant même parfois
plus loin dans le même sens. Ce texte reste à ce jour,
complété par l'" accord interinstitutionnel " de 1993,
le seul document communautaire précisant officiellement les conditions
d'application du principe de subsidiarité ; or il consacre,
à l'échelon de décision le plus élevé, la
neutralisation pratique de ce principe, en écartant toute forme de
contrôle spécifique.
Comme les principes inscrits dans le
préambule de la Constitution sous la IV
ème
République, le principe de subsidiarité fait l'objet d'une
affirmation solennelle, mais son application est, dans les faits,
laissée à la discrétion de ceux-là mêmes dont
il est censé encadrer les pouvoirs.
La déclaration d'Edimbourg souligne tout d'abord que le principe de
subsidiarité -sous une forme implicite ou partiellement explicite-
figurait parmi les principes de fonctionnement des Communautés depuis
leurs origines. Le Conseil européen en déduit que le
Traité de Maastricht a certes rendu cette orientation plus explicite,
lui a donné une portée plus générale, mais qu'il
n'a pas voulu donner une orientation nouvelle au fonctionnement des
Communautés.
Le Conseil précise ensuite que l'application du principe de
subsidiarité ne doit pas altérer l'"
équilibre
existant
" entre les institutions et donc être organisée
dans le cadre d'un accord "
dégagé à cet effet
entre le Parlement européen, le Conseil et la Commission
".
La déclaration se montre discrète sur la signification positive
du principe de subsidiarité. En revanche, elle se prononce fermement sur
la manière dont ce principe ne doit pas être
interprété, et va si loin dans ce sens qu'on peut à
certains égards se demander si ce qui en subsiste alors :
" Le principe de subsidiarité ne concerne pas, et ne saurait
remettre en question, les compétences conférées à
la Communauté européenne par le Traité, telles qu'elles
ont été interprétées par la Cour de Justice. Il
donne une orientation sur la manière dont ces compétences doivent
être exercées au niveau communautaire, y compris dans
l'application de l'article 235. L'application de ce principe doit respecter les
dispositions générales du Traité de Maastricht, notamment
lorsqu'il s'agit de " maintenir intégralement l'acquis
communautaire ", et ne pas affecter la primauté du droit
communautaire ni remettre en question le principe énoncé à
l'article F paragraphe 3 du Traité sur l'Union européenne,
selon lequel l'Union se dote des moyens nécessaires pour atteindre ses
objectifs et pour mener à bien ses politiques ".
M. Girolamo Strozzi, professeur à l'Université de Florence,
commente ainsi cet aspect de la déclaration (" Le principe de
subsidiarité : une énigme et beaucoup d'attentes ",
Revue trimestrielle de droit européen,
juillet-septembre 1994) :
" Le Conseil européen d'Edimbourg a confirmé l'importance
attribuée au principe de subsidiarité et la volonté de le
respecter, mais la tentative d'y apporter quelques restrictions apparaît
évidente. Par exemple, après avoir affirmé son
caractère de principe fondamental de l'Union, il souligne que celui-ci
ne peut toutefois remettre en question les compétences
conférées à la Communauté, l'acquis communautaire
ou influer sur la primauté du droit communautaire, ni remettre en
question le principe (art. F par. 3) selon lequel l'Union se dote des
moyens nécessaires pour atteindre ses objectifs : il semble que
ceux-ci doivent de toute façon prévaloir, que le principe de
subsidiarité soit respecté ou non. Cette affirmation est en nette
contradiction avec le dernier alinéa de l'article B, où il
est clairement proclamé que les objectifs de l'Union seront poursuivis
dans le respect du principe de subsidiarité (et non que ce dernier est
subordonné aux autres). Cette prise de position du Conseil reste obscure
et préoccupante et dénote une volonté de revendiquer pour
l'Union (et en définitive, le Conseil même) une pleine
liberté d'action et l'exercice de tout pouvoir approprié s'il
s'avère nécessaire à la réalisation de l'objectif
ou pour mener à bien ses politiques. De plus, on déduit que le
principe fournit seulement une " orientation " qui doit
guider
l'action de la Communauté et qui influence les modalités
d'exercice de ses compétences, plus qu'un critère
d'évaluation de la légitimité de l'intervention ".
S'agissant de la procédure de décision du Conseil, la
déclaration d'Edimbourg se fait particulièrement précise
pour éviter tout examen spécifique de la
subsidiarité :
" L'examen de la conformité d'une mesure avec les dispositions
de l'article 3 B doit être entrepris de manière
régulière ; il doit devenir partie intégrante de
l'examen global de toute proposition de la Commission et être basé
sur le fond de la proposition. Les règles pertinentes du Conseil, y
compris en matière de vote, s'appliquent à cet examen. Dans le
cadre de cet examen, le Conseil vérifie si la proposition de la
Commission est totalement ou partiellement conforme aux dispositions de
l'article 3 B (en prenant comme point de départ pour cet
examen le considérant et l'exposé des motifs de la Commission) et
si les modifications que le Conseil envisagerait d'apporter à la
proposition sont conformes auxdites dispositions. La décision du Conseil
sur les aspects touchant à la subsidiarité est prise en
même temps que la décision sur le fond et conformément aux
règles de vote prévues par le Traité. Il convient de
veiller à ne pas entraver la prise de décision au sein du Conseil
et d'éviter tout système de prise de décision
préliminaire ou parallèle. L'examen et le débat concernant
l'article 3 B auront lieu dans le cadre du Conseil compétent en la
matière. "
A la lecture de ce texte, on a peine à comprendre l'inquiétude si
nettement présente dans la communication de la Commission
analysée plus haut :
loin de vouloir "
mettre en
tutelle
" la Commission, le Conseil européen se montre encore
plus catégorique que la Commission elle-même dans son refus de
tout contrôle préalable de la subsidiarité.
La volonté du Conseil européen de limiter les contrôles
dans ce domaine s'étend jusqu'à la Cour de Justice des
Communautés, puisqu'il croit utile de préciser que
" le
principe de subsidiarité ne saurait être considéré
comme ayant un effet direct ".
Cette formule semble principalement
destinée à apaiser des inquiétudes au fondement assez peu
défini : en effet, comme le soulignent MM. K. Lenaerts et
P. van Ypersele (art. cit., p. 74),
" s'interroger
sur
l'effet direct d'une règle supérieure par rapport à
laquelle on contrôle la compatibilité d'une règle
inférieure n'a pas de sens. C'est ainsi que la Cour ne s'est jamais
demandé, dans le cadre de renvois préjudiciels, si une directive,
par rapport à laquelle on examinait la compatibilité d'une loi
nationale de mise en oeuvre, avait ou non un effet direct ou si une disposition
du traité, dont on conteste qu'elle puisse constituer la base juridique
d'une disposition de droit dérivé, avait un tel effet. Les normes
de référence du contrôle de la Cour n'ont pas besoin
d'avoir un effet direct pour pouvoir conduire à l'annulation ou à
la constatation de l'invalidité d'une norme inférieure. Dans un
système de normes hiérarchisées seul importe le
caractère obligatoire de la norme supérieure. Il s'ensuit qu'avec
ou sans effet direct le principe de subsidiarité pourra être
invoqué, comme toute disposition du traité, pour contester la
légalité d'un acte communautaire ".
C'est seulement sur certains aspects de la mise en oeuvre du principe de
subsidiarité que se manifeste une spécificité de l'analyse
du Conseil européen.
Tout d'abord, celui-ci établit un lien entre l'exigence de
subsidiarité et la modération des charges pesant sur les Etats
membres :
" Toute charge, qu'elle soit financière ou
administrative, incombant à la Communauté, aux gouvernements
nationaux, aux autorités locales, aux opérateurs
économiques et aux citoyens, doit être réduite au minimum
et proportionnelle à l'objectif réalisé ".
Surtout, le Conseil européen adopte une interprétation plus
" forte " du principe de proportionnalité
(troisième alinéa de l'article 3 B) en mettant l'accent sur
la nécessité de prendre en compte la possibilité de
s'appuyer sur la coopération entre les Etats membres, et en soulignant
la nécessité d'éviter de régler un problème
localisé par une mesure contraignante de portée
générale :
- " Lorsque le traité le permet, et à condition que cela
soit satisfaisant pour réaliser ses objectifs, il convient de choisir de
préférence un type d'action communautaire consistant à
encourager la coopération entre Etats membres, à coordonner les
actions nationales ou à leur apporter un complément, un
supplément ou un appui ".
- " Lorsque les difficultés sont localisées et n'affectent
que certains Etats membres, l'action éventuellement requise au niveau de
la Communauté ne doit pas être étendue aux autres Etats
membres, à moins que cela ne soit nécessaire pour réaliser
un objectif du traité. ".
En définitive, mis à part quelques nuances dans
l'interprétation, les positions exprimées dans les documents du
Conseil européen, de la Commission et du Parlement s'accordent sur
l'essentiel: l'inscription du principe de subsidiarité dans le
Traité ne doit pas entraîner de modification substantielle des
pratiques communautaires ;
le respect de ce principe ne doit pas
faire l'objet d'un contrôle particulier ; il appartient à la
Commission européenne de faire preuve de vigilance dans
l'élaboration de ses propositions.
Celle-ci, dans une annexe
à la déclaration d'Edimbourg, annonce d'ailleurs qu'elle se
montrera
" plus sévère "
et précise qu'
" elle a ainsi renoncé à proposer l'harmonisation des
plaques d'immatriculation des automobiles et la réglementation des jeux
de hasard ".
Elle déclare également estimer
" qu'il n'est pas nécessaire de poursuivre la préparation
de certains projets d'harmonisation de règles techniques (par exemple
aliments diététiques, machines de seconde main, structures
démontables et matériel pour foires et parcs d'attraction,
composants mécaniques de fixation en particulier les boulons). "
3. La déclaration interinstitutionnelle d'octobre 1993
L'accord interinstitutionnel " sur les procédures pour la mise en oeuvre du principe de subsidiarité ", conclu en octobre 1993 entre le Conseil, la Commission et le Parlement européen, est très voisin de la résolution du Parlement européen de novembre 1992, dont il reprend les termes mêmes sur de nombreux points :
Accord interinstitutionnel (Octobre 1993)
I. DISPOSITIONS GÉNÉRALES
1. " Les procédures pour la mise en oeuvre du principe de
subsidiarité visent à régir les modalités
d'exercice des compétences reconnues aux institutions communautaires par
les traités, afin de leur permettre d'atteindre les objectifs
prévus par ceux-ci.
2. " Ces procédures ne remettent en cause ni l'acquis
communautaire, ni les dispositions des traités relatives aux
attributions des institutions, ni l'équilibre institutionnel.
II. PROCÉDURES
1. " La Commission, dans l'exercice de son droit d'initiative, tient
compte du principe de subsidiarité et justifie son respect. Le Parlement
européen et le Conseil en font de même, dans l'exercice des
attributions que leur confèrent respectivement les articles 138 B et 152
du traité instituant la Communauté européenne (5(
*
)).
2. " L'exposé des motifs de toute proposition de la Commission
comporte une justification de la proposition au regard du principe de
subsidiarité.
3. "Tout éventuel amendement au texte de la Commission, qu'il
émane du Parlement européen ou du Conseil, doit, dès lors
qu'il entraîne une modification du champ d'intervention communautaire,
être assorti d'une justification au regard du principe de
subsidiarité et de l'article 3 B.
4. " Les trois institutions, dans le cadre de leurs procédures
internes, vérifient de façon régulière la
conformité de l'action envisagée aux dispositions relatives
à la subsidiarité, tant en ce qui concerne le choix des
instruments juridiques que le contenu de la proposition. Cette
vérification ne peut être disjointe de l'examen quant au fond.
III. CONTROLE DU RESPECT DU PRINCIPE DE SUBSIDIARITÉ
1. " Le contrôle du respect du principe de subsidiarité
s'effectue dans le cadre du processus communautaire normal, conformément
aux règles prévues par les traités.
2. " La Commission établit un rapport annuel à l'intention
du Parlement européen et du Conseil sur le respect du principe de
subsidiarité. Le Parlement européen organise un débat
public sur ce rapport, avec la participation du Conseil et de la Commission.
IV. DISPOSITIONS FINALES
1. " En cas de difficultés de caractère
général relatives à l'application du présent
Accord, le Président du Parlement européen, le Président
du Conseil ou le Président de la Commission peuvent demander la
convocation d'une conférence interinstitutionnelle en vue de surmonter
ces difficultés ou de compléter ou modifier le présent
Accord ".
*
* *
Paraphé quelques jours avant l'entrée en vigueur du Traité sur l'Union européenne, ce texte officialisait la volonté commune aux trois institutions de ne pas garantir le respect du principe de subsidiarité ; on ne s'étonnera pas que les conséquences de ce principe sur le fonctionnement de l'Union aient été effectivement fort modestes.
B. DES CONSEQUENCES LIMITEES SUR LE FONCTIONNEMENT DE LA COMMUNAUTÉ
1. Une place réduite dans la vie des institutions
a) De la subsidiarité à la simplification législative
Certains Etats membres se sont préoccupés, au
cours de l'année 1993, de concrétiser le principe de
subsidiarité en élaborant des listes de textes -non encore
adoptés ou déjà en vigueur- jugés contraires au
principe de subsidiarité, et devant donc être retirés ou
(partiellement ou totalement) abrogés. Cette démarche reprenait,
pour l'amplifier, celle qu'avait adoptée la Commission européenne
au sommet d'Edimbourg, en annonçant le retrait de certains projets et le
réexamen de la législation existante.
Dès la fin de 1992, la Grande-Bretagne a élaboré une liste
d'une trentaine de textes à retirer, à abroger ou à
simplifier ; au début 1993, des Länder allemands ont
préparé à leur tour une liste, plus étoffée
que la liste anglaise qu'elle recoupait au demeurant en partie ;
après le changement de majorité de mars 1993, la France s'est
associée à ce mouvement dans le cadre d'une liste commune
franco-anglaise, présentée en juillet 1993 ; enfin, en
novembre 1993, l'Allemagne a présenté une liste d'une soixantaine
de textes à retirer ou à revoir.
Ces listes n'avaient d'autre valeur que celle d'une contribution au
débat : la Commission ayant le monopole de l'initiative des textes,
elle seule peut décider le retrait d'un de ses projets ou proposer
d'abroger ou de modifier des textes communautaires en vigueur.
On peut d'ailleurs se demander si ce type de démarche a beaucoup
contribué au progrès de la réflexion communautaire sur le
principe de subsidiarité. En mettant l'accent sur le caractère
inutilement détaillé de la réglementation sur certains
points, la présentation de ces listes a déplacé le
débat vers le principe de proportionnalité
(3
ème
alinéa de l'article 3B), tandis que le
débat sur le principe même des interventions communautaires dans
certains domaines sous forme de programmes se trouvait occulté. Que la
réglementation communautaire soit parfois tatillonne (suivant en cela,
dans bien des cas, l'exemple des réglementations nationales) n'est pas
le manquement le plus préoccupant au principe de
subsidiarité : ce sont le plus souvent des actions de la
Communauté, menées sous forme de programmes spécifiques,
ou de programmes mis en oeuvre par le biais des fonds structurels, qui peuvent
paraître d'une efficacité incertaine et d'un coût
comparativement élevé, et donc s'avérer
particulièrement critiquables au regard du principe de
subsidiarité.
Toujours est-il que la Commission s'est appuyée sur la
présentation de ces listes de textes par les Etats membres pour ramener
plus encore le débat sur la subsidiarité à un exercice de
simplification de la législation communautaire
. Tout en refusant la
plupart des retraits ou abrogations qui lui étaient demandées,
sauf lorsqu'ils concernaient des textes dont elle avait déjà
elle-même annoncé l'abandon ou la révision, la Commission a
indiqué qu'elle prendrait en compte certains aspects des demandes des
Etats dans le cadre d'un travail d'ensemble de refonte de la législation
communautaire, qui a depuis lors en grande partie tenu lieu de mise en oeuvre
du principe de subsidiarité.
On peut noter par ailleurs que ces différentes listes ont donné
une illustration aussi involontaire que saisissante des dysfonctionnements du
Conseil. L'absence de régulation véritable entre les
différentes formations du Conseil, non seulement à
l'échelon de l'Union, mais aussi à l'intérieur même
des Gouvernements des Etats membres, s'est manifestée dans le fait que
l'Allemagne, la Grande-Bretagne ou la France approuvaient certains projets dans
des Conseils spécialisés au moment même où ils en
demandaient le retrait par la bouche d'autres ministres. Dans le cas de la
France, la Commission a pu faire savoir que la plupart des textes
déjà adoptés dont la liste franco-britannique demandait
l'abrogation avaient été élaborés à partir
de demandes françaises. De fait, la mode des listes de textes a disparu
avec l'année 1993.
b) L'attitude du Conseil européen
Après le Conseil européen d'Edimbourg, le
principe de subsidiarité a été à chaque fois
mentionné dans les conclusions du Conseil européen, mais ces
mentions, brèves et quelque peu rituelles, n'ont guère
apporté d'éléments nouveaux :
- dans les conclusions adoptées à Copenhague (juin 1993), le
Conseil européen "
constate avec satisfaction que la Commission
ne présente maintenant des propositions que lorsqu'elle considère
qu'elles satisfont au critère de subsidiarité
" ; il
"
se félicite
" des efforts de la Commission et du
Conseil des ministres pour mettre en oeuvre les orientations retenues à
Edimbourg et "
espère que le Parlement européen sera
bientôt en mesure de se joindre à cet effort
".
- à Bruxelles (décembre 1993), le Conseil européen se
borne, pour l'essentiel, à se réjouir des travaux entrepris par
la Commission européenne pour alléger et simplifier la
législation existante,
- les conclusions du Conseil européen de Corfou (juin 1994) comprennent
quelques lignes consacrées à la subsidiarité, identiques
en substance au texte adopté à Bruxelles six mois plus tôt,
- à Essen (décembre 1994), le Conseil réaffirme tout
l'intérêt qu'il apporte à l'exercice de simplification de
la législation communautaire mené par la Commission, et lance par
ailleurs un appel pour une "
application
rigoureuse
"
du principe de subsidiarité : "
Le Conseil européen
réaffirme la grande importance du principe de subsidiarité en
tant que principe directeur de l'Union, comme cela est indiqué dans les
conclusions du Conseil européen d'Edimbourg. Il invite toutes les
institutions de la Communauté à appliquer rigoureusement le
principe de subsidiarité dans la ligne de ces conclusions. A cet
égard, le Conseil européen souligne que la mise en oeuvre au
niveau administratif du droit communautaire doit en principe continuer de
relever des Etats membres, sans préjudice des compétences de
surveillance et de contrôle de la Commission.
"
- à Cannes (juin 1995), le principe de subsidiarité se confond
plus que jamais avec la simplification législative : le Conseil
européen "
rappelle son attachement à une application
rigoureuse du principe de subsidiarité
", et demande
"
dans ce contexte
" à la Commission de mener à
bien "
dans les meilleurs délais
" ses travaux de
révision de la législation existante,
- à Madrid (décembre 1995), le Conseil européen
"
confirme
" les "
principes
directeurs
"
adoptés à Edimbourg, "
qui doivent guider l'action de
l'Union
", et se félicite de l'avancement des travaux de
simplification législative menés par la Commission,
- à Turin (mars 1996), le texte adopté par le Conseil
européen extraordinaire, chargé de préciser le mandat de
la conférence intergouvernementale, précise que "
la
C.I.G. doit s'employer à améliorer l'application et la mise en
oeuvre du principe de subsidiarité. "
- à Florence (juin 1996), après s'être
félicité "
des progrès importants
réalisés dans un certain nombre de domaines, tels que la culture
et l'audiovisuel, l'éducation et la formation, la santé, la
politique sociale et l'environnement
", le Conseil européen
"
prend note avec satisfaction
" du
"
rapport
d'étape
" de la Commission européenne sur la
simplification législative. Puis il invite les institutions
communautaires et les Etats membres à "
renforcer leur
action
" dans la "
direction
" des
principes de
subsidiarité et de proportionnalité, en précisant qu'il
"
attend avec intérêt
" le "
rapport
complet
" de la Commission.
Il apparaît ainsi que, depuis 1992, l'exigence de subsidiarité n'a
tenu qu'une place très limitée dans les préoccupations du
Conseil européen et que celui-ci, chargé par le Traité de
Maastricht de donner à l'Union des impulsions politiques, n'en a pas
donné dans ce domaine.
c) Les rapports de la Commission européenne
· Conformément aux engagements pris, la
Commission européenne a présenté, chaque année,
à partir de 1993, un rapport sur la mise en oeuvre du principe de
subsidiarité :
- le rapport présenté en novembre 1993 rappelle l'analyse du
principe de subsidiarité présentée par la Commission en
octobre 1992, réaffirme l'engagement de celle-ci de motiver ses
propositions législatives au regard de ce principe et de retirer ou
réviser certains textes, et met principalement l'accent sur la refonte
et la simplification de la législation en vigueur, non sans indiquer au
passage qu'un accroissement de ses propres compétences
d'exécution participerait de la simplification recherchée,
- le rapport présenté en novembre 1994 indique que la Commission
se montre plus "
sélective
" dans ses propositions et
recherche, chaque fois que possible, "
des solutions alternatives
à la législation, voire à l'action
communautaire
". La Commission précise également qu'elle
"
fait un plus ample recours à la consultation en amont de
l'évaluation de ses propositions
". L'essentiel du rapport
porte, à nouveau, sur l'adaptation de la législation existante,
devenue le principal aspect de la mise en oeuvre du principe de
subsidiarité,
- le rapport présenté en novembre 1995 manifeste une certaine
difficulté de renouvellement : on y retrouve les mêmes indications
que l'année précédente, et il devient d'ores et
déjà manifeste que le rapport annuel de la Commission
européenne manquera de ces rebondissements qui tiennent le lecteur en
haleine. La Commission met donc l'accent sur la sélectivité de
ses initiatives, sur les consultations préalables, et sur la
rationalisation de la législation en vigueur,
- enfin, le
" rapport d'étape "
préparé
en vue du Conseil européen de Florence, reprend à nouveau le
triptyque " sélectivité, consultation, adaptation de la
législation existante " sans apporter d'éléments
nouveaux.
· Il est difficile de considérer que, au fil de ces rapports, se
dessine une évolution vers une Communauté faisant de la
subsidiarité un " principe directeur " de son action ;
à vrai dire, l'exercice poursuivi au nom de ce principe relève en
réalité plutôt de la notion " d'amélioration de
la législation " telle qu'elle a été retenue par le
Parlement français lors de la création récente d'un
" office parlementaire " chargé de cette tâche.
Votre rapporteur se félicite au demeurant de l'effort entrepris dans ce
sens par la Commission européenne : clarifier et simplifier la
législation applicable répond assurément au voeu des
citoyens de pouvoir se repérer plus facilement dans la masse des
obligations qu'ils sont censés respecter. Mais cet effort ne saurait
tenir lieu de mise en oeuvre du principe de subsidiarité.
Examinant le rapport de la Commission pour 1995 dans un " document de
travail " de la commission juridique du Parlement européen, Mme Ana
Palacio Vallelersundi écrit à cet égard :
"
Après avoir lu avec attention et à plusieurs reprises
le rapport " Mieux légiférer ", votre rapporteur est
incapable d'en tirer une conclusion sur " l'application du principe de
subsidiarité " qui, il faut le rappeler même si la Commission
ne le mentionne pas, constitue le mandat confié en l'occurrence, au
moins formellement, à la Commission.
" (Doc. PE 214.182 du 6
février 1996).
Il est vrai que la Commission se montre avare de précisions sur ce qui
fait en principe l'objet de son rapport. Ainsi, le rapport pour 1995
résume comme suit son propos :
" Ce dont l'Union a besoin, c'est
d'une législation décidée au niveau adéquat,
accessible, résistante à la fraude et qui fournit les solutions
les moins coûteuses pour le citoyen, les entreprises et les
administrations, tout en assurant des niveaux de protection
élevée pour la santé et la sécurité, les
consommateurs et l'environnement. "
Qui ne souscrirait à de
tels objectifs ? L'intérêt du rapport annuel de la Commission
devrait plutôt être de préciser comment ces objectifs
doivent se traduire dans les activités de la Communauté
(5(
*
))
.
De même, votre rapporteur considère avec un certain scepticisme
les affirmations de la Commission concernant la sélectivité de
ses propositions. Cette dernière fait état d'une importante et
régulière diminution du nombre de textes nouveaux :
Nombre de propositions de législation nouvelle
adoptées par la Commission
au titre de ses programmes de travail annuels depuis 1990
* situation au 10.11.95
** prévision (COM(95)512)
Source rapport CSE(95)80, p.4
On observera tout d'abord qu'une telle approche quantitative
n'assure que de manière très approximative le respect du principe
de subsidiarité. A supposer que la Commission propose, à
l'année n, quatre-vingt textes tous conformes à ce principe, et
à l'année n + 1, vingt textes qui lui seraient tous contraires, y
aurait-il progrès dans la mise en oeuvre de la subsidiarité,
malgré la diminution du nombre de textes ?
Par ailleurs, il est difficile d'attribuer la diminution du nombre des
initiatives législatives à la seule prise en compte du principe
de subsidiarité : l'achèvement du vaste programme
législatif jugé nécessaire à la réalisation
du marché unique est un autre facteur explicatif non dénué
d'importance.
Enfin, la
" décrue législative "
mise en avant
par la Commission semble concerner seulement les propositions
entièrement nouvelles : les nombreux textes pouvant être
reliés à des initiatives antérieures en paraissent exclus.
Ceci explique sans doute que, du point de vue du Parlement français,
destinataire, en application de l'article 88-4 de la Constitution, des
propositions de la Commission européenne ayant un caractère
législatif selon les catégories du droit français, la
" décrue "
revendiquée soit difficile à
percevoir : d'août 1992 (entrée en vigueur de l'article 88-4
de la Constitution) à août 1996, ce sont 683 propositions d'actes
communautaires qui ont été à ce jour soumises aux
Assemblées, sans qu'une baisse sensible s'observe au fil du temps : leur
nombre a été de quarante en 1992 (5 mois), 143 en 1993, 171 en
1994, 207 en 1995, 122 en 1996 (8 mois).
d) L'attitude du Parlement européen
L'approbation par le Conseil européen d'Edimbourg des
principales thèses de la Commission européenne n'a pas suffi
à apaiser les inquiétudes du Parlement européen, qui s'est
élevé contre l'engagement de la Commission européenne de
retirer certains projets de réglementation. La Commission de
l'environnement du Parlement européen a ainsi protesté contre le
retrait de textes concernant des domaines tels que "
la
réduction de la pollution de l'eau
provoquée par les
moulins
", "
l'harmonisation des lois sur les
émissions
sonores des véhicules sur rails
",
"
un programme illustrant comment l'action en matière
d'environnement peut contribuer à créer des emplois
"
(6(
*
)).
En séance plénière, le
Parlement européen s'est prononcé contre le retrait ou la
révision des projets concernant "
l'étiquetage des
chaussures
", un "
socle de règles minimales sur la
publicité comparative
", "
le relèvement des
franchises sur le carburant dans les réservoirs des
camions...
"
(6(
*
))
.
La position du Parlement européen paraît avant tout
commandée par la crainte que la mise en oeuvre du principe de
subsidiarité ne conduise à une limitation des compétences
communautaires ou du moins ne soit un frein à leur extension.
On peut constater par ailleurs que le Parlement européen n'a pas tenu,
jusqu'à présent, les débats annuels sur la
subsidiarité à partir des rapports de la Commission
européenne, qu'il avait pourtant tenu à faire figurer dans l'
" accord interinstitutionnel " de 1993. Il ne semble pas que
l'obligation de motiver les amendements au regard du principe de
subsidiarité ait été davantage suivie d'effet.
*
* *
Il apparaît ainsi, au total, que l'application du principe de subsidiarité n'a tenu, après le Conseil européen d'Edimbourg, qu'une place réduite dans les débats communautaires et que, en pratique, elle s'est transformée en un exercice d'amélioration de la législation communautaire, sans doute fort utile en lui-même, mais n'ayant pour l'essentiel qu'un rapport assez lointain avec l'exigence de subsidiarité ; encore cet exercice a-t-il suffi pour faire encourir à la Commission les critiques du Parlement européen, défenseur traditionnel d'une " interprétation dynamique " des compétences communautaires.
2. La persistance des tendances antérieures
a) La Commission
La portée de la
" décrue
réglementaire "
évoquée par la Commission ne doit
pas être surestimée : non seulement, comme on l'a vu, son
importance exacte peut prêter à discussion, mais encore quelques
exemples, empruntés à divers secteurs, suffisent à montrer
que le principe de subsidiarité semble demeurer une
référence abstraite plus qu'une véritable règle
pour l'action : en réalité, la Commission continue à
proposer des interventions communautaires poursuivant des buts que la
Communauté n'est pas mieux placée que les Etats membres pour
atteindre.
La culture
Peut-on considérer que des objectifs tels que la protection du
patrimoine culturel, l'encouragement à la lecture, le
" perfectionnement des artistes "
et le soutien à la
" création artistique de dimension européenne "
peuvent être
" mieux réalisés au niveau
communautaire "
? Telle est cependant la raison d'être de divers
programmes communautaires qui, certes, procèdent d'intentions que nul ne
contestera, mais reviennent à permettre des interventions de la
Communauté, financées par prélèvement sur les
budgets des Etats membres, dans des domaines où ces derniers (ou leurs
collectivités territoriales) peuvent tout aussi bien que la
Communauté réaliser les objectifs poursuivis (dans la mesure,
d'ailleurs, où ces derniers relèvent de l'action publique).
On fera certes valoir que, dans ces programmes, la Communauté ne cherche
pas à se substituer aux Etats membres, que leurs dotations sont
relativement modestes, et que de telles actions contribuent à
" rapprocher l'Europe des citoyens ".
En
réalité, en prenant l'initiative de telles actions, la Commission
n'entend-elle pas avant tout améliorer l'image de la construction
européenne, en montrant la Communauté sous un autre angle que l'
" Europe des marchands "
si souvent critiquée ?
Mais, outre qu'il est permis de douter que de telles dépenses
d' " affichage " entrent bien dans la vocation du
budget
européen, on peut se demander si leur principal effet n'est pas, en
suscitant la création de structures de décision et de gestion
à l'échelon communautaire, de brouiller un peu plus la perception
de la répartition des responsabilités, alors que la clarté
de cette perception est un élément de vitalité
démocratique. Tocqueville admirait la facilité des
Américains de son temps à identifier l'échelon de
décision responsable ; pourrait-on en dire autant des citoyens de
l'Union européenne d'aujourd'hui ?
Votre rapporteur ne cherchera pas à donner ici un aperçu,
même sommaire, de l'action culturelle de la Communauté, dont il a
découvert non sans étonnement la variété et
l'ampleur.
· Le
" vademecum des aides culturelles en Europe "
édité par l'Arts Council of Great Britain consacre 323 pages
à énumérer les programmes communautaires susceptibles de
donner lieu à des subventions aux activités culturelles. Le
Conseil de l'Europe, institution plus ancienne et à la vocation
culturelle en principe plus affirmée, voit ses activités
recensées en 31 pages ; pour celles de l'UNESCO, 16 pages suffisent. Il
s'agit là d'un indicateur certes très imparfait, mais qui montre
l'étendue de la capacité d'intervention de l'Union dans le
domaine culturel, en s'appuyant soit sur l'article 128 du Traité, soit
sur les fonds structurels communautaires.
Un récent document de travail de la Commission européenne donne
des exemples d'aides communautaires à la culture destinées
à contribuer au développement régional :
Exemples d'aides régionales
-
" En vertu du " Document unique de
programmation " destiné au nord-ouest de l'Angleterre, quelque 700
entreprises bénéficieront d'une aide dans le contexte d'un
programme orienté sur les industries des media et de la culture.
- " Entre 1986 et 1992, le " Programme intégré
méditerranéen ", destiné à la Crète, a
permis de rénover les centres historiques de Chania et Rethimnon, tandis
qu'un programme séparé financé par l'UE a permis de
restaurer le château italien de Lagopesole.
- " En vertu de l'initiative communautaire RECHAR II, visant la
reconversion des régions houillères allemandes, le
" Zechenbahn Ruhrgebiet " a permis de préserver d'une part
le
patrimoine industriel de la région et de rénover d'autre part les
anciennes stations de chemins de fer.
- " Le projet " Cité de la Musique " de Marseille
a
reçu des fonds de l'UE en guise de projet pilote.
- " Plus de 120 millions d'écus financés par des aides
publiques et des fonds européens ont contribué au projet
" Temple Bar " à Dublin, pour la création de foyers
culturels, tels que l' " Irish Film Centre ", les studios
d'artistes,
les musées (notamment le musée des Vikings) et galeries d'art, et
les centres de joaillerie. "
Dans le cadre des aides régionales,
" plus de 400 millions
d'écus auraient été affectés, entre 1989 et 1993,
au secteur culturel. "
(
Europolitique
, 1
er
mai
1996).
Les actions ainsi présentées ont sans doute un grand
intérêt, mais peut-on considérer qu'il s'agit là
d'actions dont les objectifs "
ne peuvent être
réalisés de manière suffisante par les Etats membres et
peuvent donc, en raison des dimensions ou des effets de l'action
envisagée, être mieux réalisés au niveau
communautaire ",
pour reprendre les termes de l'article
3 B ?
La même question pourrait être posée à propos du
programme KALÉIDOSCOPE, adopté par le Conseil en mars dernier,
pour une période de cinq ans à partir de 1996.
Les objectifs du programme KALÉIDOSCOPE :
-
" encourager la création artistique et
culturelle en Europe dans les domaines des arts du spectacle, arts plastiques
ou arts de l'espace, arts multimédias et arts appliqués en
permettant à cette création de se rapprocher des
différents publics en Europe ;
- " soutenir les projets culturels, de nature novatrice, de qualité
professionnelle et d'intérêt européen qui impliquent une
réelle coopération européenne ;
- " promouvoir les échanges culturels, afin de contribuer à
une meilleure connaissance mutuelle et favoriser ainsi l'accès à
la culture des catégories défavorisées ;
- " favoriser la valorisation et le rayonnement de la culture en
Europe ;
- " valoriser le domaine des arts et de la culture afin de contribuer
à maximiser le potentiel de création d'emplois de ce type
d'activités, notamment en faveur des jeunes. "
On peut également s'interroger, dans le même sens, sur le
programme ARIANE, dont l'examen n'est pas terminé, mais qui a fait
l'objet d'un accord de principe unanime au sein du Conseil.
Les objectifs du programme ARIANE (1996-2000) :
-
" encourager une plus large diffusion
d'oeuvres de
littérature contemporaine représentatives de la culture des Etats
membres, en accordant la priorité aux traductions des oeuvres
écrites dans les langues moins répandues de la Communauté,
et en assurant leur mise en valeur notamment par le biais d'actions
emblématiques ;
- " contribuer, par le biais de la traduction, à la diffusion
d'oeuvres dramatiques contemporaines afin de présenter au public
européen un répertoire diversifié et représentatif
des cultures des Etats membres ;
- " favoriser la diffusion d'ouvrages de référence afin de
permettre une meilleure connaissance de la culture et de l'histoire des peuples
européens, notamment dans les domaines indiqués aux paragraphes 2
et 4 de l'article 128 du Traité ;
- " accompagner et compléter les efforts entrepris aux niveaux
national et régional par une série d'actions au plan
communautaire portant notamment sur la coopération sous forme de
réseaux et le partenariat, la formation et le perfectionnement, et la
recherche et les études. "
Le programme RAPHAËL, dont l'état d'examen est identique à
celui du programme ARIANE, et qui porte sur la même période,
pourrait appeler les mêmes interrogations.
Les objectifs du programme RAPHAËL :
-
" contribuer à la valorisation et au
rayonnement du patrimoine culturel ;
- " encourager la coopération et la mise en commun, au niveau
européen, des connaissances, savoir-faire et pratiques en matière
de préservation du patrimoine ;
- " améliorer l'accès au patrimoine, et améliorer la
provision de l'information y afférent, pour tous les citoyens et
contribuer ainsi à l'affirmation d'une citoyenneté
européenne en s'appuyant sur une meilleure connaissance du patrimoine ;
- " soutenir l'enrichissement des connaissances et pratiques
mutuelles et
valoriser le potentiel européen ;
- " favoriser la coopération avec les pays tiers et les
organisations internationales compétentes, et en particulier avec le
Conseil de l'Europe. "
Il est bien difficile, malgré le large usage du mot
" européen "
dans la définition des objectifs de
ces différents programmes, de voir là des domaines où
l'intervention de la Communauté se justifie au regard de l'article 3 B
du traité. Au demeurant, malgré l'engagement de la Commission
européenne de motiver ses propositions au regard du principe de
subsidiarité, on cherche en vain les considérants requis dans
l'exposé des motifs de ces actes.
En réalité, non seulement les Etats membres,
séparément ou en coopération, ne paraissent pas moins bien
placés que la Communauté pour poursuivre les objectifs en cause,
mais, dans certains cas, d'autres niveaux d'organisation internationale que
l'Union, en particulier le Conseil de l'Europe, paraissent pouvoir intervenir
de manière au moins aussi pertinente que celle-ci, pour autant qu'une
intervention européenne soit nécessaire.
Par ailleurs, il est permis de douter que les instances communautaires
constituent un échelon de gestion optimal pour conduire de telles
actions, compte tenu des risques de " saupoudrage "
inhérents à la nécessité de s'assurer l'appui
de quinze Etats membres.
On peut également se demander si la volonté de promouvoir la
" dimension européenne "
de la culture ne correspond
pas à une vision quelque peu " technocratique "
de
celle-ci. Faut-il souligner que les oeuvres d'art ne sont pas
nécessairement fonction des subdivisions territoriales ? Que la
" dimension européenne "
d'une oeuvre, pour autant
que
cette formule ait un sens, ne tient pas à la riche variété
de ses modes de financement ? Que, d'ailleurs, on ne saurait
caractériser le meilleur de la " culture
européenne "
par la recherche de cette prétendue
" dimension européenne " ?
La santé
Les interventions de la Communauté sous forme de programmes d'action
dans le domaine de la santé publique peuvent parfois paraître
d'une compatibilité tout aussi incertaine avec le principe de
subsidiarité. On dira à fort juste titre que, dans un tel
domaine, seule compte l'efficacité ; mais le principe de
subsidiarité est précisément un principe
d'efficacité : c'est notamment au nom de celle-ci qu'il donne
priorité à l'échelon communautaire lorsque celui-ci
paraît en mesure de " mieux réaliser " un objectif, et
lui refuse cette même priorité dans les autres cas. Or, il peut
être contraire à l'efficacité de définir et de
gérer à l'échelon le plus éloigné du
" terrain " des programmes d'action dans ce domaine.
Votre rapporteur prendra à cet égard les exemples des programmes
de prévention lancés au sujet respectivement du SIDA et de la
toxicomanie.
Le programme de prévention du SIDA
Dans le rapport d'information qu'il avait
présenté à la délégation en avril 1995 sur
" le programme d'action communautaire concernant la prévention
du SIDA et de certaines autres maladies transmissibles dans le cadre de
l'action dans le domaine de la santé publique ",
(rapport
n° 246, 1994-1995), votre rapporteur avait ainsi fait état de
sa perplexité de voir la Communauté s'engager dans un programme
d'éducation et de sensibilisation destiné à la
prévention du SIDA. En quoi était-elle mieux placée que
les Etats membres pour conduire de telles actions ? Le doute se
renforçait devant la nature parfois déroutante des actions mises
en oeuvre, telles que la mise en place de
" programmes
d'éducation sanitaire et sexuelle impliquant des jeunes issus de
différents Etats membres (...) ainsi que des jeunes infectés par
le VIH ou malades du SIDA ",
ou encore le lancement de
l'opération
" flying condom "
consistant à faire
voler un préservatif géant le long des plages belges.
Votre rapporteur s'était également étonné que la
Commission européenne ait prévu d'attribuer à de telles
actions de sensibilisation, domaine dans lequel on pouvait douter qu'un
surcroît d'efficacité résultât d'un transfert de
compétence vers l'échelon communautaire, des moyens financiers
près de deux fois plus importants que ceux attribués par la
Communauté, dans le programme BIOMED, au soutien à la recherche
médicale sur les maladies en cause.
S'agissant de la gestion du programme, votre rapporteur observait que la
création d'une "
cellule spécialisée
"au
sein de la Commission était prévue, tandis que les actions
proprement dites devaient être mises en oeuvre par des organismes que la
Commission choisirait sur appel d'offres. Ce type de gestion pouvait-il
être un gage d'efficacité et de bon emploi des fonds publics ?
Finalement, on peut se demander si, en lançant un projet de ce type, la
Communauté n'a pas eu, plutôt qu'un souci d'efficacité, un
souci d'image -ne pas être absente de la lutte contre le SIDA- quitte
à se lancer dans des dépenses d'une utilité
aléatoire qui sont autant de perdu pour des actions plus
appropriées, notamment le développement de la recherche.
On peut avoir les mêmes interrogations au sujet du
" programme
d'action communautaire concernant la prévention de la
toxicomanie ",
présenté en 1995 par la Commission.
Le programme de prévention de la toxicomanie
Ce programme a pour objectifs :
- d'une part, " d'
améliorer les connaissances sur le
phénomène des drogues et des toxicomanies et sur les moyens et
méthodes de prévention de la toxicomanie et des risques
liés à celle-ci, notamment en utilisant les informations fournies
par l'Observatoire européen des drogues et des toxicomanies et les
possibilités offertes par les programmes et instruments communautaires
existants ; "
- d'autre part, de "
contribuer à l'amélioration de
l'information, de l'éducation et de la formation en vue de la
prévention de la toxicomanie et des risques associés, en
particulier en direction des jeunes et des groupes particulièrement
vulnérables. "
Votre rapporteur approuve naturellement la volonté de prévenir la
toxicomanie, mais craint que, loin d'apporter un surcroît
d'efficacité, l'intervention de la Communauté dans ce domaine
n'ait plutôt pour effet d'éloigner les décisions du
" terrain " et d'employer une partie des moyens disponibles
à
des dépenses d'une faible utilité pour les progrès de la
prévention.
Que l'Union européenne soit un échelon approprié pour la
lutte contre le trafic de drogue, phénomène typiquement
transfrontalier, est une évidence, et l'on pourrait d'ailleurs souhaiter
qu'elle se montre plus efficace dans ce domaine. Que, loin de se concentrer sur
cette mission qu'elle n'accomplit pas aujourd'hui de manière
satisfaisante, elle se préoccupe au contraire d'actions de
prévention qu'elle n'est manifestement pas mieux placée que les
Etats membres pour mettre en oeuvre, va à l'encontre des objectifs
d'efficacité et de proximité qui sont au coeur de l'exigence de
subsidiarité.
Il est à noter qu'en guise de justification de cette dernière
action au regard du principe de subsidiarité, la Commission se borne
à une pure pétition de principe :
" Considérant qu'une action communautaire d'encouragement
destinée à soutenir la prévention de la toxicomanie
permet, en raison des dimensions et des effets de cette action, de mieux
contribuer à la réalisation des objectifs envisagés, qui
se situent dans le cadre de l'article 129 du Traité... "
Bref, en guise de " justification ", la Commission se borne
à
recopier l'énoncé du principe de subsidiarité, ce qui
paraît tout de même une interprétation quelque peu
minimaliste de l'engagement de motivation des propositions pris lors des
Conseils européens de Lisbonne et d'Edimbourg.
L'environnement
· Etait-il nécessaire de fixer à l'échelon
communautaire les règles concernant la conservation des oiseaux
sauvages, en particulier celles concernant les espèces susceptibles
d'être chassées dans certaines régions et les dates
d'ouverture et de fermeture de la chasse ?
Le transfert de la décision à l'échelon communautaire a
donné lieu à un contentieux abondant : la Cour de justice des
Communautés a statué à deux reprises au sujet de
l'application par la France de la réglementation communautaire, et une
nouvelle procédure est actuellement en cours à l'initiative de la
Commission européenne. Notre pays n'est d'ailleurs pas
isolé : en juin dernier, la Commission européenne a
présenté une communication sur la non-application de la
législation environnementale européenne par les Etats membres,
qui permet de constater que, quinze ans après l'entrée en vigueur
de la directive " conservation des oiseaux sauvages ", des
procédures sont également en cours concernant l'Allemagne, la
Belgique, l'Espagne et l'Italie. Si l'on tient compte du fait que le
contentieux à l'échelon communautaire s'est accompagné
d'un contentieux persistant à l'échelon national (voir le rapport
de la délégation n° 402 du 6 mai 1994, dû à
notre collègue Philippe François), il ne semble pas que la mise
en place d'une législation communautaire, dans ce cas, ait
été un facteur de simplification.
Par ailleurs, la lourdeur des procédures communautaires s'est
révélée un obstacle à l'adaptation des
réglementations. Comme il s'avérait que les mesures de protection
avaient favorisé, dans certaines zones, la multiplication de certaines
espèces menaçant les récoltes, la Commission
européenne, répondant à la demande de plusieurs Etats
membres, a proposé en mars 1991 un assouplissement de la directive, de
manière à permettre de chasser les corbeaux ou les corneilles
dans certaines zones. Il a cependant fallu trois ans et trois mois pour que
cette modification soit adoptée, les travaux du Conseil ayant, il est
vrai, permis d'élargir la réforme à l'étourneau
sansonnet
(sturnus vulgaris).
Permanence des controverses juridiques, insuffisante capacité
d'adaptation de la gestion communautaire : la Commission européenne
aurait pu en conclure que la Communauté n'était pas un meilleur
échelon que les Etats membres pour réglementer la chasse.
Difficile d'admettre, cependant, la possibilité d'un retour aux temps
obscurs où un arrêté préfectoral réglait ce
qui mobilise aujourd'hui quinze ministres. La Commission européenne a
donc préféré présenter, le 1
er
mars
1994, une proposition de directive destinée à mettre fin aux
contentieux en clarifiant la législation communautaire ; cette nouvelle
proposition mentionne, il est vrai, la nécessité de prendre en
compte le principe de subsidiarité et prévoit en ce sens
d'accorder aux Etats membres une marge d'appréciation, en fonction de
critères préétablis, quant à la durée de la
période de chasse et quant au degré de protection à
appliquer aux espèces migratoires pendant le trajet de retour vers leur
lieu de nidification.
Cependant, bien que le Conseil des ministres ait invité le 24 mars
1994 le Parlement européen à se prononcer en urgence sur la
nouvelle proposition de directive, l'Assemblée de Strasbourg a
refusé cette demande et ne s'est prononcée que près de
deux ans plus tard, le 15 février 1996, d'ailleurs pour s'opposer
aux assouplissements proposés par la Commission européenne et
pour souligner au contraire la nécessité d'une date de
clôture unique de la chasse dans la Communauté. Les travaux du
Conseil n'ont au demeurant pas permis, depuis lors, de progresser vers
l'adoption de la nouvelle directive : les Etats membres restent très
divisés sur la question, nombre d'entre eux approuvant l'optique
adoptée par le Parlement européen.
Cette situation montre la difficulté de faire prendre en compte le
principe de subsidiarité dès lors que la Communauté est
déjà intervenue dans un domaine sans tenir compte, au
départ, de ce principe
. L'exemple de la directive " oiseaux
sauvages " est d'autant plus probant que la rigidité de la
législation européenne et la faible capacité de
réaction des institutions communautaires sont en train d'aboutir,
à nouveau, à une multiplication excessive de certaines
espèces protégées, notamment le cormoran, avec des
conséquences dommageables pour la pêche et la pisciculture.
Votre rapporteur aurait également pu citer, dans le même sens, le
cas de la directive "
habitats naturels
", destinée
à créer le "
réseau écologique
européen Natura 2000
", et dont on peut penser qu'un
réexamen à la lumière du principe de subsidiarité
permettrait au minimum de déboucher sur un dispositif communautaire plus
léger. Preuve des inconvénients du non-respect de l'exigence de
subsidiarité, le plan "
Natura 2000
" s'est
révélé si mal adapté aux contraintes du
" terrain " que le Gouvernement a dû, au mois de juillet
dernier, en suspendre l'application.
· Non seulement il paraît extrêmement difficile, en
matière d'environnement, de faire jouer le principe de
subsidiarité vis-à-vis d'une réglementation existante qui
l'a manifestement ignoré, mais encore la Commission européenne
continue à prendre dans ce domaine des initiatives dont on
perçoit mal la justification au regard de l'article 3 B du
Traité.
Ainsi, le Sénat a-t-il été récemment amené
à demander au Gouvernement de s'opposer à un programme d'action
communautaire
" pour la promotion des organisations non
gouvernementales ayant pour but principal la défense de
l'environnement ".
La résolution adoptée par le
Sénat (n° 469, 26 juin 1996) souligne à cet égard que
" l'octroi de subventions de fonctionnement aux associations ayant
pour
but la défense de l'environnement n'entre pas dans les
compétences de la Communauté européenne telles qu'elles
sont définies par le Traité instituant celle-ci et n'est pas
conforme à l'application du principe de subsidiarité ".
Sans évoquer explicitement le principe de subsidiarité, le
Sénat a été également conduit à s'interroger
sur la pertinence du "
programme pluriannuel en vue de la
promotion de
l'efficacité énergétique dans l'Union européenne
SAVE II
". Par celui-ci, la Communauté doit apporter son
" soutien "
à
" une série de mesures et
d'actions couvrant une période de cinq ans, en vue d'améliorer
l'efficacité énergétique dans l'Union ".
LE PROGRAMME SAVE II
Il est prévu, à l'article 3 de ce texte, de
financer neuf catégories de mesures et d'actions :
a)
" des études et d'autres actions destinées à
mettre en oeuvre et à compléter la législation et les
normes de performance communautaires relatives à l'efficacité
énergétique ;
b) " des actions pilotes sectorielles visant à
accélérer les investissements dans le domaine de
l'efficacité énergétique et/ou à améliorer
les habitudes de consommation d'énergie, dont la mise en oeuvre incombe
principalement aux réseaux couvrant l'ensemble de la Communauté ;
c) " des actions pilotes sectorielles ciblées visant à
accélérer les investissements dans le domaine de
l'efficacité énergétique et/ou à améliorer
les habitudes de consommation d'énergie, dont la réalisation
incombe essentiellement aux entreprises publiques et privées ;
d1)
" des mesures proposées par la Commission pour
encourager les échanges d'expérience, principalement par le biais
de réseaux d'information visant à améliorer la
coordination entre les activités communautaires, internationales,
régionales et locales grâce à la mise en place de moyens
appropriés d'échange des informations ;
d2)
" des mesures proposées par des tiers pour encourager
les échanges d'expérience, principalement par le biais de
réseaux d'information visant à améliorer la coordination
entre les activités communautaires, internationales, nationales,
régionales et locales grâce à la mise en place de moyens
appropriés d'échange des informations ;
a)
" une action de surveillance des progrès de
l'efficacité énergétique dans la Communauté
européenne, dans chacun des Etats membres et dans le cadre du programme
SAVE lui-même ;
b) " des actions spécifiques visant à une plus grande
cohésion dans le domaine de l'efficacité
énergétique entre les Etats membres et entre les régions
en soutenant la création d'infrastructures en matière
d'efficacité énergétique dans les Etats membres et dans
les régions dont les politiques dans ce secteur ne sont pas encore
suffisamment développées ;
c) " des actions spécifiques favorisant la gestion
énergétique au niveau régional et urbain ;
d) " des études et autres actions visant à ériger
l'efficacité énergétique en critère dans les
programmes stratégiques de l'Union ;
e) " l'évaluation et la surveillance des actions entreprises au
titre de l'article 3 points (a), (b), (c), (d), (e), (f), (g) et
(h). "
En guise de justification de ce programme au regard du principe de
subsidiarité, la Commission européenne indique que
l'
" action proposée complète les actions entreprises par
les Etats membres et par la Communauté ",
et précise que
" lors de sa session des 15 et 16 décembre 1994, le Conseil
des ministres de l'environnement a souligné la nécessité
d'efforts tant au niveau de la Communauté qu'à celui des Etats
membres en vue de la réduction des émissions de
CO
2
"
; enfin, elle souligne que
" les
actions
proposées dans le programme constitueraient une véritable valeur
ajoutée, dans la mesure où elles contribueraient à
l'élaboration de solutions transnationales aux impasses en
matière d'efficacité énergétique,
développeraient, autant que possible, l'expérience acquise par
certains Etats membres pour mettre en place des solutions de gestion
énergétique, en transposant cette expérience dans d'autres
régions et en aidant les réseaux existants à créer
un environnement favorable à la gestion énergétique dans
l'Union européenne. "
Comme c'est souvent le cas lorsque la Commission européenne
présente une justification au regard de l'article 3 B du
Traité, la mention d'une possible
" valeur ajoutée "
communautaire semble considérée comme suffisante, alors qu'un
tel argument ne répond pas aux exigences posées par cet article.
On se doute bien en effet que, si la Commission présente un programme,
c'est qu'elle suppose qu'il apportera une
" valeur
ajoutée "
: dans le cas contraire, on voit mal au nom de quoi
elle demanderait aux Etats membres de lui affecter quelque 150 millions d'Ecus.
Le problème est ailleurs : il est de savoir si, en l'occurrence, la
promotion de l'efficacité énergétique, telle qu'elle est
envisagée par le programme, fait partie des objectifs qui
" ne
peuvent pas être réalisés de manière suffisante par
les Etats membres et peuvent donc, en raison des dimensions ou des effets de
l'action envisagée, être mieux réalisés au niveau
communautaire ".
En d'autres termes, il ne suffit pas d'assurer
que
les 150 millions d'Ecus demandés ne seront pas
dépensés en pure perte pour que le programme proposé soit
conforme au principe de subsidiarité
: il faut que ce programme,
par sa nature, réalise un objectif hors de portée des Etats
membres, agissant séparément ou coopérant de
manière flexible.
Or, si l'on considère la nature des
" actions "
proposées : études, colloques,
subventions ponctuelles, échanges d'information, on ne voit rien
là qui soit au-delà des possibilités des Etats membres,
lesquels ne sont pas
" sans portes ni fenêtres ".
Le tourisme
Les initiatives de la Commission européenne dans le domaine du tourisme
peuvent paraître doublement critiquables au regard du principe de
subsidiarité : d'une part, on peut douter que le
développement du tourisme fasse partie des objectifs qui peuvent
être "
mieux réalisés au niveau
communautaire
", et d'autre part, le traité ne reconnaît
pas à la Communauté de pouvoir d'action dans ce domaine.
L'absence de compétence communautaire n'a pas empêché le
lancement de certaines initiatives et la création d'une unité
" tourisme " au sein de la Commission. Les résultats obtenus
ne semblent pas, cependant, avoir établi qu'une intervention
communautaire était un gage de " meilleure
réalisation ".
Ainsi, l'" année européenne du tourisme ", en 1990,
a-t-elle donné lieu à des dépenses dépassant de
54 % le budget alloué par le Conseil, sans pour autant aboutir
à un résultat tangible. Dans un rapport publié en novembre
1992, la Cour des Comptes des Communautés a fait à cet
égard les observations suivantes :
-
" la Commission s'est limitée à participer à
des manifestations organisées par des tiers. Aucun
événement significatif n'a été organisé
à sa propre initiative ;
- " aucune enquête objective n'a été organisée
pour vérifier l'impact de l'" année européenne du
tourisme " tant sur l'opinion publique que sur les professionnels du
secteur du tourisme ;
- " la décision de confier la gestion du programme
" année européenne du tourisme " à une firme
externe ne s'est pas révélée appropriée. Cette
firme a dû résilier son contrat pendant le déroulement de
l'" année européenne du tourisme " ;
- les moyens consentis ont été majorés par rapport au
montant estimé nécessaire par le Conseil. Des questions se posent
sur de nombreuses faiblesses afférentes à la
légalité, la régularité et la bonne gestion des
dépenses ("
Europe
",
n 5866) ".
Si ce bilan mitigé semble avoir freiné le développement
des initiatives communautaires pendant quelques années, l'unité
" tourisme " de la Commission européenne a maintenu ses
activités durant cette période, sans que des progrès
très nets dans sa gestion aient d'ailleurs été
observés, puisque ses responsables ont été
incarcérés en janvier 1996 après avoir été
licenciés quelques mois plus tôt.
Cet épisode n'a cependant pas altéré le dynamisme de la
Commission, qui a présenté en avril 1996 le programme
" PHILOXENIA ", pour lequel 25 millions d'écus sont
demandés, et dont les objectifs sont les suivants :
-
" améliorer la connaissance dans le domaine du tourisme ,
- " améliorer l'environnement législatif et financier du
tourisme ;
- " améliorer la qualité du tourisme européen ;
- " accroître le nombre de touristes par pays tiers ".
Il est à noter que, parmi les nombreux considérants de la
proposition, auxquels Joseph Prud'homme semble avoir prêté la main
("
Considérant que la promotion de l'Europe comme destination
touristique devrait contribuer à accroître le nombre de visiteurs
de pays tiers ")
, le considérant sur la subsidiarité
fait défaut, malgré les engagements pris lors des Conseils
européens de Lisbonne et d'Edimbourg et confirmés par
l'" accord interinstitutionnel " de novembre 1993.
Le sport
Malgré, là également, l'absence de compétence
communautaire, et bien que le sport ne semble pas constituer le parent pauvre
de l'action publique locale et nationale, la Commission européenne
accordera cette année des subventions à quelque 175 projets
sportifs dans le cadre du programme " EURATHLON ", destiné
à "
encourager et soutenir "
des
" projets
sportifs de dimension européenne "
, des
"
événements sportifs "
, ou des
"
initiatives de formation et d'information "
. Selon
Europolitique
(22 mai 1996), "
les projets
présentés pour 1996 concernent 50 sports différents,
qui vont de l'athlétisme au parachutisme en passant par le patinage
à roulettes, l'escrime, le volley-ball et l'aviron. Le sport le plus
représenté est le football ".
La procédure d'attribution de ces subventions mérite d'être
indiquée :
"
Dans chaque Etat membre, un comité indépendant
(comité national) composé de représentants gouvernementaux
et du secteur sportif a procédé à une première
évaluation des projets. Ensuite, un jury européen -composé
de deux représentants de la Commission européenne et de trois
représentants des Etats membres ainsi que de représentants du COE
(Comité olympique européen), de l'ENGSO (European Non-Govemmental
Sports Organisations) et du mouvement " sport pour tous "- a
proposé un certain nombre de projets à la Commission, en tenant
compte des recommandations des comités nationaux. ".
" La Commission avait reçu au titre de ce programme pilote
742 demandes d'aide financière, dont 46 % concernaient des
projets purement sportifs, 19 % des projets de formation et 35 % des
projets mixtes d'activités sportives et des activités de
formation. Pour le financement des projets, la commission s'efforce de
maintenir un équilibre entre les événements sportifs et
les actions de formation et d'information. La contribution de la Commission aux
projets sélectionnés ne peut excéder 50 % du budget
présenté et doit être comprise entre un minimum de
5.000 écus et un maximum de 50.000 écus par
projet ".
On pourrait croire qu'un mécanisme aussi complexe est destiné
à gérer un budget de grande ampleur. Il n'en est rien : le
total des subventions allouées, tous sports confondus, pour l'ensemble
des Etats membres, s'élève à 2 millions d'écus
(12,8 millions de francs), soigneusement répartis entre les pays de
manière suivante :
Nombre et pourcentage des projets et financements par pays |
|||
Pays |
Nombre de projets arrivés |
Nombre de projets sélectionnés |
Financement max. (ECU) |
Autriche |
40 5,39 % |
11 6,29 % |
98.000 4,90 % |
Belgique |
66 8, 89 % |
16 9,14 % |
175.500 8,78 % |
Danemark |
16 2,16 % |
6 3,43 % |
111.300 5,57 % |
Finlande |
33 4,45 % |
10 5,71 % |
113.500 5,68 % |
France |
131 17,65 % |
34 19,43 % |
353.100 17,66 % |
Allemagne |
94 12,67 % |
25 14,29 % |
259.600 12,98 % |
Grèce |
43 5,80 % |
10 5,71 % |
160.400 8,02 % |
Irlande |
23 3,10 % |
8 4,57 % |
94.100 4,71 % |
Italie |
101 13,61 % |
15 8,57 % |
199.500 9,99 % |
Luxembourg |
13 1,75 % |
3 1,71 % |
17.000 0,85 % |
Pays-Bas |
29 3,91 % |
8 4,57 % |
89.100 4,46 % |
Portugal |
13 1,75 % |
5 2,86 % |
54.200 2,71 % |
Espagne |
57 7,68 % |
10 5,71 % |
139.900 7,00 % |
Suède |
11 1,48 % |
5 2,86 % |
48.900 2,45 % |
Angleterre |
56 7,55 % |
9 5,14 % |
85.700 4,29 % |
Autres |
16 2,16 % |
|
|
|
742 100,00 % |
175 1 00,00 % |
2.000.000 100,00 % |
On peut légitimement s'interroger sur le coût de
fonctionnement d'un tel système de soutien public au regard des montants
distribués, inférieurs pour l'ensemble de la Communauté au
budget sportif d'une ville moyenne.
En réalité, ou bien la Communauté est un échelon
pertinent pour le soutien aux activités sportives, et elle devrait alors
être dotée d'un budget correspondant à sa vocation, ce qui
supposerait que celle-ci soit reconnue par le Traité ; ou bien tel
n'est pas le cas, et elle ne doit pas intervenir dans ce domaine.
Mais le
" saupoudrage " de 2 millions d'Ecus -soit le budget
de certains
clubs de football de Nationale 2 (ex. 3
ème
division)- sur quinze Etats rassemblant 370 millions d'habitants n'est pas
justifiable au regard du principe de subsidiarité.
Il n'entre pas dans le propos de votre rapporteur de dresser on ne sait quel
catalogue des manquements au principe de subsidiarité, dont
l'intérêt serait d'ailleurs limité. Les quelques exemples
qui viennent d'être mentionnés suffisent à montrer que
l'inscription de ce principe dans le traité sur l'Union
européenne n'a pas conduit la Commission européenne à
modifier substantiellement ses pratiques.
D'autres interventions communautaires auraient pu être examinées
sous l'angle du principe de subsidiarité. Ainsi, bien que la
Communauté n'ait pas de compétence dans le domaine de la
protection civile -ce point figure d'ailleurs à l'ordre du jour de la
Conférence intergouvernementale- la Commission s'est dotée depuis
plusieurs années d'une unité " protection civile " et a
soumis au Conseil, au début de l'année, un "
programme
d'action en faveur de la protection civile "
. La justification au
regard du principe de subsidiarité des initiatives de la Commission
européenne concernant la jeunesse, voire l'éducation peut
également paraître sujette à caution : la
coopération entre Etats, par sa souplesse, n'est-elle pas une formule
mieux adaptée à de tels domaines ?
Le problème de l'intervention communautaire dans le domaine des services
publics, qui ne peut être abordé ici compte tenu de ses
dimensions, pourrait également être évoqué :
est-il conforme au principe de subsidiarité que la définition des
missions de service public soit peu à peu transférée, au
fil des différentes directives, à l'échelon
européen, alors que la nature de ces missions est parfois fortement
liée à des spécificités nationales ?
De même, la question des fonds structurels, compte tenu de son importance
propre, ne peut être examinée dans le présent rapport. Mais
il est clair que, par le biais des actions structurelles, la Commission est en
mesure d'étendre les interventions communautaires à un grand
nombre de domaines où la Communauté n'est normalement pas
compétente, sans qu'il soit certain qu'il en résulte un gain
d'efficacité dans la politique d'aménagement du territoire. Au
demeurant,
on peut se demander si, dans le cas des pays contributeurs nets
au budget communautaire, dont la France, l'intervention même de la
Communauté dans la politique d'aménagement du territoire est
conforme au principe de subsidiarité
. Dans l'esprit de celui-ci,
l'action de la Communauté ne devrait-elle pas se limiter à
l'effort de cohésion au bénéfice des pays membres les
moins prospères, et au soutien à de grands projets structurants,
d'intérêt européen ?
Les exemples cités plus haut ne sont donc pas des cas isolés,
exceptionnels et permettent d'avancer que
la consécration juridique
du principe de subsidiarité par le traité sur l'Union
européenne, dès lors que les conséquences à en
tirer étaient laissées à l'appréciation de la
Commission européenne, n'a nullement empêché celle-ci de
prendre des initiatives contraires à ce principe.
b) Le Parlement européen
Si l'inscription du principe de subsidiarité dans le
Traité ne paraît pas avoir transformé le comportement de la
Commission, le changement paraît encore moins perceptible dans le cas du
Parlement européen. Non seulement celui-ci n'a pas jusqu'à
présent donné suite aux règles (pourtant introduites
à son initiative) le concernant dans l' " accord
interinstitutionnel " de 1993 sur la subsidiarité -organisation
d'un débat annuel, motivation des amendements au regard de
l'article 3 B- mais surtout l'Assemblée de Strasbourg continue
à s'abstenir, en pratique, de prendre en compte le principe de
subsidiarité.
Ainsi, alors que le premier alinéa de l'article 3 B dispose
que
" la Communauté agit dans les limites des compétences
qui lui sont conférées et des objectifs qui lui sont
assignés "
par les Traités, le Parlement européen
se prononce périodiquement sur des sujets pour lesquels la
compétence de la Communauté paraît des plus
incertaines :
" la pornographie ",
" l'égalité des droits des homosexuels et des
lesbiennes ", " la petite délinquance dans les
agglomérations urbaines ", " la protection des droits des
journalistes dans le cadre de missions dangereuses ", " le
secret des
sources d'information des journalistes ", " le
rétablissement
de la peine de mort dans l'Etat de New-York ",
" l'enlèvement
d'enfants "...
Les prises de position du Parlement européen ne semblent pas davantage
attentives au deuxième alinéa de l'article 3 B ;
même si elles font parfois formellement référence au
principe de subsidiarité, elles ne respectent pas la règle selon
laquelle avant de préconiser une intervention communautaire, il convient
d'établir qu'il n'est pas possible aux Etats membres d'atteindre le but
recherché et que la Communauté est mieux placée pour le
faire. Le principe de subsidiarité ne signifie pas simplement, comme
paraît le supposer le Parlement européen, que la Communauté
doit veiller, dans ses interventions, à laisser un rôle aux Etats
membres : il signifie au contraire que, sauf si l'on est en
présence d'une compétence exclusive de la Communauté,
celle-ci doit considérer jusqu'à preuve du contraire qu'elle n'a
pas à intervenir.
Un rapport de la commission des transports et du tourisme du Parlement
européen présenté au début de l'année
(n° PE 215.091 déf) :
- " déplore qu'en dépit des exhortations du Parlement
européen les Etats membres européens n'aient pas inclus de
dispositions relatives à une politique communautaire du tourisme dans le
traité sur l'Union européenne signé à Maastricht le
7 février 1992 ;
- " invite la Commission à se prononcer, dans le rapport qu'elle
soumettra au Conseil conformément à la déclaration
n° 1 annexée au traité sur l'Union européenne,
en faveur de l'adjonction d'un titre instaurant une politique communautaire du
tourisme, dotée d'une base juridique distincte, dans le traité
instituant l'Union européenne, lors de sa révision dans le cadre
de la Conférence intergouvernementale de 1996, et demande que, dans le
respect du principe de subsidiarité, cette base juridique couvre
certains domaines d'action limités mais importants ;
- " affirme que l'on ne saurait concevoir de politique communautaire
du
tourisme sans ajouter au traité, en ce qui concerne le secteur de
l'industrie touristique, secteur important et autonome et l'une des industries
européennes les plus importantes, des dispositions analogues à
celles qui ont déjà été instaurées au niveau
communautaire pour d'autres secteurs de l'économie, souvent moins
considérables ".
La démarche qui sous-tend une telle prise de position est assez
claire : le tourisme est une activité importante, donc elle doit
être, au moins en partie, traitée au niveau communautaire ;
toutefois, conformément au principe de subsidiarité, certaines
compétences doivent être laissées aux Etats membres. Or,
une telle démarche n'est pas conforme à l'article 3 B
du traité, qui demande (quelle que soit l'importance économique
du domaine concerné) que l'on fasse la preuve qu'il existe une carence
des Etats membres, et que cette carence pourra être palliée par la
mise en place d'une politique commune. En l'occurrence, comme on l'a
souligné plus haut, il paraît difficile de conclure à une
défaillance des Etats membres et à l'assurance d'une meilleure
efficacité par un transfert de compétences à
l'échelon communautaire.
En mai dernier, le Parlement européen a adopté une
résolution qui :
- invite la Commission européenne à élaborer des
conditions équitables d'accès à un logement décent
pour tous dans le cadre du principe de subsidiarité, de façon
à déterminer les objectifs à atteindre dans les Etats
membres, tout en tenant compte des réalités locales ;
- invite l'Union à incorporer le droit au logement dans tous les
Traités et demande au Conseil et à la Commission d'engager un
programme visant à renforcer la coopération entre les acteurs
locaux concernés par l'établissement de projets-pilotes
(comprenant le logement, l'emploi, la formation et les services) pour
l'intégration globale de groupes marginalisés, en y associant
pleinement les femmes qui sont un puissant facteur de lutte contre l'exclusion
et jouent un rôle déterminant dans le maintien et la restauration
du lien social et des solidarités " (voir
Europe
,
1
er
juin 1996).
Dans une autre résolution adoptée la même semaine, le
Parlement européen :
- " invite la Commission à créer en son sein une
unité opérationnelle de lutte contre la pauvreté, à
rétablir l'Observatoire européen des politiques nationales contre
l'exclusion, à publier un indice de pauvreté au sein de l'Union,
à poursuivre le financement du réseau européen contre la
pauvreté, et à présenter un rapport sur les coûts
économiques de la pauvreté et de l'exclusion sociale " ;
- " demande au Conseil d'adopter au plus tôt le programme de lutte
contre l'exclusion et le programme d'aides à l'intégration des
personnes âgées, et réclame l'intégration de
l'objectif de prévention de l'exclusion dans l'ensemble des politiques
communautaires " (ibid)
.
L'élu de Paris qu'est votre rapporteur n'est pas porté à
sous-estimer l'importance du problème du logement des personnes
défavorisées, et la nécessité de lutter contre
l'exclusion. Mais avant de préconiser le développement des
interventions de la Communauté dans de tels domaines, ne serait-il pas
nécessaire de s'assurer préalablement qu'il en résultera
un surcroît d'efficacité dans l'utilisation des fonds publics,
dans la mesure où l'augmentation des dépenses à
l'échelon communautaire signifie à due concurrence une
réduction des crédits disponibles aux autres
échelons ?
La résolution adoptée en mars dernier par le Parlement
européen "
relative à la proposition de la Commission
concernant une directive du Conseil relative à l'accord-cadre (...) sur
le congé parental "
illustre assez bien la présomption
de carence des Etats membres qui paraît sous-tendre ses démarches,
lui faisant considérer tout développement des interventions
communautaires
a priori
comme un progrès.
Dans sa résolution relative à la première
convention-cadre conclue entre partenaires sociaux à l'échelon
européen, le Parlement européen :
- " note que cet accord fixe des exigences et contient des
dispositions minimales pour le congé parental et doit de ce fait
être considéré comme un premier pas vers l'introduction de
nouvelles modalités souples d'organisation du travail, répondant
aux besoins des travailleurs et tenant compte des exigences des
entreprises :
- " note cependant que les questions suivantes ne sont pas, ou ne
sont
qu'insuffisamment traitées dans le texte actuel de l'accord-cadre :
*
octroi d'une aide financière suffisante, pendant la durée
du congé parental,
* extension des droit en entreprise à la durée de jouissance du
congé parental,
* développement de programmes encourageant la suppléance des
travailleurs en congé, créant ainsi de nouvelles
opportunités d'emplois, même temporaires,
* droit aux prestations de la sécurité sociale pendant la
durée du congé parental ;
- " estime que ces questions appellent une réglementation au
moyen d'actes juridiques complémentaires de l'Union ;
- " estime urgent, pour garantir l'égalité des chances et
permettre de mieux concilier vie professionnelle et vie familiale, d'adopter
une directive relative aux institutions de garde des enfants
(...) ".
On peut constater que, à partir d'un texte de portée
relativement limitée, le Parlement européen propose une extension
des compétences communautaires à l'ensemble du domaine
concerné, sans apporter la moindre justification en termes de
subsidiarité.
L'exigence de subsidiarité paraît si peu prioritaire pour le
Parlement européen que celui-ci intervient parfois pour dénoncer
l'importance excessive que lui accorderait la Commission européenne.
Ainsi, dans un rapport approuvé en mars 1994, l'Assemblée de
Strasbourg a-t-elle dénoncé la "
rage de la
subsidiarité
" paralysant les initiatives de la Commission en
matière de sécurité routière, et demandé une
harmonisation concernant la formation des conducteurs, la limitation de
vitesse, le taux maximal d'alcoolémie, le système du permis
à points et la réglementation de la publicité. Cependant,
pour autant qu'une harmonisation soit nécessaire dans de telles
matières, n'est-il pas préférable qu'elle se produise
spontanément, à partir du constat de l'efficacité des
solutions adaptées par tel ou tel Etat membre ?
De même, le Parlement européen est intervenu en mars 1995 pour
demander le maintien de la proposition de directive sur les conditions de
détention des animaux dans les zoos. Cette proposition avait
été présentée par la Commission en août
1991 ; dans le contexte du sommet d'Edimbourg, la Commission a cité
ce texte comme un de ceux devant être retirés en fonction du
principe de subsidiarité : en juin 1994, elle a
décidé de le remplacer par une proposition de recommandation. Le
Parlement européen s'est alors opposé à cette
transformation, son rapporteur, M. Kenneth Collins, exprimant sans ambages
son point de vue sur la subsidiarité :
" La Commission a subi des pressions de la part de certains Etats
membres, qui voudraient ramener cette directive à une simple
recommandation. Elle s'y est prêtée parce que certains Etats
membres ont invoqué la subsidiarité. Or, la subsidiarité
n'a rien à voir en la matière et ne saurait être
invoquée. Cette manoeuvre minable visait à créer le
trouble dans les esprits ; elle venait de politiciens de l'âge de
néerdenthal qui voulaient tout simplement sacrifier au nationalisme...
Ils voulaient seulement faire plaisir à certains de leurs supporters et,
comme dans toutes les sociétés primitives, ils ont donc
décidé de faire des sacrifices d'animaux " (débats du
PE, 17 mars 1995).
c) Le Conseil
La décision d'Edimbourg ayant exclu tout examen
préalable par le Conseil de la conformité d'une proposition au
principe de subsidiarité, tout vote distinct sur ce sujet, et ayant
prescrit que les débats éventuels devaient être
menés uniquement au sein du Conseil spécialisé
compétent, il n'est pas étonnant que ce principe n'ait
joué qu'un rôle des plus réduits dans les travaux du
Conseil.
L'exigence de subsidiarité a été évoquée par
quelques Etats membres au sujet de propositions concernant le marché
intérieur : étiquetage des articles chaussants,
propriété d'immeubles de vacances en temps partagé,
installation des ascenseurs, mais ces réserves n'ont pas
empêché l'adoption de ces textes.
Pour certains programmes d'action, sans mettre explicitement en avant le
principe de subsidiarité, le Conseil a réduit les dotations
prévues (des deux tiers dans le cadre du programme SAVE) et a
cherché à encadrer les compétences d'exécution de
la Commission par une " comitologie " contraignante (ce qui
a
donné lieu à un conflit permanent avec le Parlement
européen).
Le refus par le Conseil d'une proposition de la Commission en se fondant sur
l'article 3 B du traité paraît très rare :
on peut citer le programme " Pauvreté IV " qui
réclamait l'unanimité et a suscité une opposition de
l'Allemagne (rejointe plus tard par la Grande-Bretagne) fondée sur le
principe de subsidiarité, ainsi que le programme d'action en faveur de
la protection civile, qui a rencontré l'opposition de l'Allemagne, de la
Grande-Bretagne et des Pays-Bas. Certains textes fondés sur
l'article 235 du traité ont suscité une opposition de
l'Allemagne, dénonçant l'utilisation abusive de cet article (qui,
destiné à l'origine à permettre à la
Communauté de prendre des mesures non prévues par le
traité mais qui apparaîtraient nécessaires au
"
fonctionnement du marché commun
", a servi de base
juridique aux interventions les plus variées) : l'Allemagne s'est
ainsi opposée au quatrième programme sur l'égalité
des chances entre hommes et femmes, de même qu'au quatrième
programme en matière d'hygiène et de sécurité sur
le lieu de travail.
Au total, malgré la discrétion qui entoure les travaux du
Conseil, il semble qu'un seul Etat membre, l'Allemagne, introduise
périodiquement l'exigence de subsidiarité dans les débats
qui traversent cette institution
(on est amené à constater,
à l'inverse, que cette exigence ne figure pas parmi les
préoccupations françaises ...) ; et l'on peut observer que
presque toutes les initiatives de la Commission mentionnées plus haut
pour leur compatibilité douteuse avec le principe de subsidiarité
ont été adoptées par le Conseil sans que ce
problème ait été clairement soulevé. Il n'est donc
pas déplacé de conclure que, malgré des controverses
ponctuelles, l'introduction du principe de subsidiarité dans le droit
communautaire n'a guère affecté les travaux du Conseil.
III. UN PRINCIPE NECESSAIRE PRIVE DE GARANTIE
A. POURQUOI LE PRINCIPE DE SUBSIDIARITÉ ?
Si le principe de subsidiarité a été
inscrit dans le traité sur l'Union européenne, c'est,
semble-t-il, d'abord pour répondre aux inquiétudes des opinions
dans certains Etats membres, où se répandait le sentiment d'un
interventionnisme excessif de la Communauté.
Mais le principe de subsidiarité correspond, pour la construction
européenne, à une nécessité plus profonde.
1. L'intensité de la réglementation : un problème plus apparent que réel ?
Il est fait souvent grief à la Communauté d'une
tendance à des réglementations exagérément
tatillonnes, et, à la lecture de certains textes, on peut effectivement
se demander s'il était nécessaire de descendre aussi loin dans le
détail.
Par exemple, la directive
" concernant le rapprochement des
législations des Etats membres relatives aux rétroviseurs des
tracteurs agricoles ou forestiers à roues
", dispose, à
son chapitre "
emplacement
" que "
le
rétroviseur extérieur doit être placé de
manière à permettre au conducteur, assis sur son siège
dans la position normale de conduite, de surveiller la portion de route
définie au point 2.5
", lequel point 2.5 dispose que
"
le champ de vision du rétroviseur extérieur gauche doit
être tel que le conducteur puisse voir vers l'arrière au moins une
portion de route plane jusqu'à l'horizon, située à gauche
du plan parallèle au plan vertical longitudinal médian tangent
à l'extrémité gauche de la largeur hors tout du tracteur
isolé ou de l'ensemble tracteur remorque
".
On est tout de même ici assez loin de la notion de directive, que
l'article 189 du traité définit comme un texte qui lie l'Etat
membre destinataire quant au résultat à atteindre, "
tout
en laissant aux instances nationales la compétence quant à la
forme et aux moyens
".
La directive relative aux essuie-glaces des mêmes engins précise,
quant à elle, que, "
si le tracteur est muni d'un pare-brise, il
doit également être équipé d'un ou plusieurs
essuie-glaces actionnés par un moteur. Leur champ d'action doit assurer
une vision nette vers l'avant correspondant à une corde de
l'hémicycle d'au moins 8 m à l'intérieur du secteur
de vision
". Elle ajoute que "
la vitesse de
fonctionnement
des essuie-glaces doit être d'au moins 20 cycles par
minute
".
On épargnera au lecteur les dispositions des directives concernant la
"
prise de courant
", ou le "
siège du
convoyeur
" des mêmes tracteurs.
Il est effectivement difficile de croire que pareille minutie était
indispensable au fonctionnement du marché intérieur, mais, pour
votre rapporteur, là n'est pas la véritable justification du
principe de subsidiarité. La "
furie
réglementaire
" de la Commission, pour reprendre l'expression
du Chancelier KOHL, n'est pas le phénomène le plus
préoccupant au regard de ce principe :
en réalité,
les travers de la réglementation communautaire sont ceux de bien des
réglementations nationales, et, dans de nombreux cas, celle-là
est en réalité une synthèse de celles-ci. Or, à
tout prendre, s'il doit exister une réglementation technique minutieuse,
ne vaut-il pas mieux que ce soit une réglementation communautaire
plutôt que quinze réglementations nationales ?
En d'autres termes, c'est souvent parce que les réglementations
nationales sont déjà pointilleuses que la réglementation
communautaire l'est aussi ; et, dès lors, une réglementation
communautaire même trop détaillée peut constituer par
elle-même une simplification.
Il est vrai que, dans certains cas, la volonté de la Commission
européenne d'introduire une réglementation communautaire à
la place des réglementations nationales découle d'une
priorité accordée à l'objectif de libre circulation au
détriment d'autres considérations, ou procède d'une
volonté d'étendre le champ d'intervention de la
Communauté. Mais, dans bon nombre de cas, c'est à la demande d'un
ou plusieurs Etats membres que la Commission présente un projet, les
Etats demandeurs cherchant soit à obtenir une égalisation des
conditions de concurrence, soit à supprimer la gêne que
constituent pour leurs exportations certaines réglementations d'autres
Etats membres.
Par ailleurs, les enjeux de la normalisation en termes de
commerce international ne doivent pas être sous-estimés.
Il convient d'ajouter que les excès réglementaires de la
Commission portent le plus souvent sur des domaines où les
" identités nationales " que le principe de
subsidiarité est destiné à préserver ne sont pas en
jeu.
La raison d'être principale du principe de subsidiarité est
donc ailleurs ; plus que les excès réglementaires, ce sont
les débordements de compétence et surtout la multiplication des
programmes d'actions communautaires qu'il doit conduire à critiquer. En
d'autres termes, le reproche que l'on peut faire à la Communauté
sous cet angle, c'est moins d'intervenir trop lorsqu'elle doit intervenir
(même si le problème existe) que d'intervenir dans presque tous
les domaines, y compris ceux dans lesquels elle ne devrait pas intervenir.
2. La proximité, source d'efficacité et de démocratie
Le principe de subsidiarité va donc plus loin qu'une simple réaction contre un excès de réglementation : sinon, il se confondrait d'ailleurs avec le principe de proportionnalité. Son véritable intérêt est d'introduire un double souci d'efficacité et de démocratie, en réponse au double déficit que la construction européenne est susceptible de receler dans ces domaines.
a) Le souci d'efficacité
Dès lors qu'une " taille critique " est
atteinte, on peut estimer que, d'une manière générale,
plus l'échelon de décision et de gestion est
éloigné du " terrain ", et plus l'action a de chances
d'être inadaptée, mal appliquée et de donner lieu à
des fraudes. L'échelon communautaire doit donc être
réputé
a priori
moins efficace que l'échelon
national, et c'est seulement lorsque l'échelon communautaire est seul
à même de réaliser un objectif qu'il doit en recevoir la
pleine responsabilité.
Ainsi, bien que le transfert de compétences vers la Communauté
dans un grand nombre de domaines soit souvent paré des couleurs de
l'efficience et de la modernité, et que s'y opposer passe
fréquemment pour témoigner d'un esprit frileux, voire
rétrograde, il n'est en réalité nullement rationnel de
multiplier les compétences de la Communauté. Celle-ci est
principalement organisée pour prendre des décisions
contraignantes s'appliquant uniformément à tous ses Etats
membres. Il est rationnel qu'elle intervienne lorsque ce type de mesure est
indispensable : mais si tel n'est pas le cas, son intervention a toutes
les chances d'être moins efficace que l'action des Etats membres,
s'exerçant soit individuellement, soit par coopération entre les
Etats intéressés.
Une mesure communautaire uniforme passe presque toujours par la recherche d'un
compromis où certains Etats membres tentent d'obtenir des avantages
particuliers auxquels ils ne pourraient prétendre en l'absence de mesure
communautaire (de telle sorte que, pour chaque projet, il existe toujours des
Etats membres ayant intérêt à préconiser le passage
par l'échelon communautaire). Il en résulte des procédures
souvent lourdes, parfois coûteuses, avec le risque d'une
efficacité moindre par rapport à la coopération entre
Etats.
Ainsi, la mise en oeuvre des nombreux programmes communautaires de
recherche est-elle en partie gouvernée par la recherche d'une
répartition équilibrée des subventions entre les Etats
membres : il est donc de l'intérêt des Etats
bénéficiaires nets des transferts ou dont les institutions de
recherche sont comparativement les moins performantes de passer par une
procédure communautaire plutôt que par une formule souple de
coopération, mais le résultat du détour par la
Communauté a toutes les chances d'entraîner une perte
d'efficacité au regard de l'objectif poursuivi.
En outre, la diversité des situations et des traditions nationales au
sein de l'Union européenne fait qu'une formule bien adaptée aux
réalités de certains pays membres peut l'être beaucoup
moins dans le cas de certains autres. Une solution uniforme risque d'être
une solution moyenne qui ne convient réellement à aucun pays. Ce
risque devient plus grand à chaque élargissement et la perpective
de l'adhésion de dix Etats d'Europe centrale et orientale ne pourra que
l'accroître encore. Plus l'Union comptera d'Etats membres, et plus la
législation communautaire, dans les domaines autres que les
prescriptions destinées au bon fonctionnement du marché unique,
devra se limiter au strict nécessaire.
Enfin, une gestion de programmes d'action éloignée du
" terrain " présente des risques non négligeables
d'emploi sous-optimal des fonds publics.
De nombreux programmes communautaires font la part belle à des
dépenses d'études et des colloques dont l'utilité ne
semble pas proportionnelle au coût, et au financement de " projets
pilotes " dont les critères de choix paraissent obscurs.
L'évaluation des résultats, lorsqu'elle existe, est souvent
confiée à des cabinets spécialisés, certes
juridiquement indépendants, mais dont les commandes de la Commission
européenne peuvent représenter une part significative des
activités, ce qui ne les pousse pas à faire preuve
d'intransigeance dans la critique.
Certains programmes dotés de moyens importants, notamment ceux mis en
oeuvre dans le cadre des fonds structurels donnent lieu, quant à eux,
à des phénomènes de " course aux subventions "
où l'objectif, pour les bénéficiaires, d'obtenir une
partie des crédits, et pour la Commission, de parvenir à
dépenser ceux-ci, semble parfois l'emporter sur l'impératif
d'employer les fonds publics dans un but d'utilité
générale et en fonction de besoins réels. Au demeurant, on
peut se demander si la quête permanente de subventions qui a tendance
à caractériser de ce fait l'action locale est un facteur de
qualité de la vie civique.
A l'inverse,
un échelon de gestion plus proche du
" terrain " est mieux à même de s'assurer de la
pertinence d'une action, tout en étant plus aisément identifiable
comme responsable de son succès ou de son échec, ce qui l'incite
à se montrer plus soucieux de la valeur des résultats.
En
prescrivant de ne pas gérer à l'échelon communautaire ce
qui peut l'être par les Etats membres ou par la coopération entre
ceux-ci, l'idée de subsidiarité rejoint ainsi l'impératif
d'efficacité.
En même temps,
cette idée n'exclut nullement un renforcement du
rôle et des moyens d'action de l'Union dans les domaines où les
Etats membres ont particulièrement intérêt à exercer
en commun leurs compétences ; on peut même penser qu'elle
peut indirectement favoriser une telle évolution : renonçant
à se mêler de tout, l'Union ne s'acquitterait - elle pas d'autant
mieux des missions qu'elle seule peut valablement remplir ?
Ne
gagnerait-elle pas, à tous égards, en
crédibilité ? Tocqueville relevait que les actes
fédéraux, dans les Etats-Unis tels qu'il les observait,
étaient
" rares, mais importants ".
Tout en faisant
la
part de l'évolution des sociétés depuis un siècle
et demi, n'y aurait-il pas là une orientation à retenir ?
b) Le souci de démocratie
La mise en avant du principe de subsidiarité
répond également à un
souci de démocratie.
On doit à cet égard dissiper une équivoque. Les plaidoyers
pour la multiplication des programmes d'action communautaires s'appuient
parfois sur l'idéal d'une Union " plus proche des
citoyens ",
on entend par là plus proche des préoccupations de ceux-ci. Il y
a là une grave ambiguïté. Que les politiques publiques
doivent être proches des préoccupations des citoyens ne signifie
pas que tous les échelons de décision doivent être
chargés de répondre aux mêmes préoccupations. Le
lancement d'un programme d'action communautaire dans un domaine
préoccupant particulièrement les opinions revient à un
transfert de compétences et de moyens éloignant le centre de
décision des citoyens ; un tel transfert peut être justifié
par la nature même de la préoccupation en cause - par exemple la
sécurité extérieure de l'Union - mais si tel n'est pas le
cas, son résultat n'est pas un rapprochement, mais un éloignement
accru vis-à-vis des citoyens.
En conséquence, comme l'affirme tant le préambule que
l'article A du traité de Maastricht, une Union " proche des
citoyens " est en réalité une Union
" dans laquelle
les décisions sont prises le plus près possible des
citoyens "
, ce qui signifie que, plutôt que de chercher à
intervenir dans tout domaine où existe une attente importante de
l'opinion, la Communauté doit
préalablement
se demander si
elle est mieux placée pour agir qu'un échelon de décision
plus proche des citoyens.
La proximité des décisions est en effet un élément
de vitalité démocratique. Plus l'échelon de
décision est proche des citoyens, et plus sa responsabilité
devant ceux-ci peut facilement jouer.
Mais l'importance de la proximité des décisions en termes de
démocratie est particulièrement forte dans le cas de l'Union
européenne.
Non seulement celle-ci est par nature plus
éloignée des citoyens que les Etats membres, mais encore elle ne
peut avoir le même fonctionnement démocratique que ceux-ci
:
comme il n'existe pas de " peuple européen ",
" d'opinion
publique européenne ", il ne peut exister entre l'Union et ses
citoyens le type de rapport politique qui existe au sein des Etats membres
entre les pouvoirs publics et les électeurs ; de ce fait, tout transfert
de compétence vers la Communauté est doublement source de
" déficit démocratique ".
Il convient à cet égard de rappeler que le système
institutionnel de l'Union s'écarte, de manière importante, des
caractéristiques démocratiques des Etats membres impliquant la
responsabilité des détenteurs du pouvoir devant les citoyens :
- la Commission (dont les membres ont, aux termes du Traité, un statut
d'" indépendance ") n'est responsable que devant le
Parlement
européen statuant à la majorité des deux tiers ; en
pratique, non seulement l'obtention d'une telle majorité pour censurer
la Commission paraît plutôt une hypothèse d'école,
mais encore le Parlement européen -dans le but de favoriser une
évolution fédéraliste des institutions- a conçu
jusqu'à présent son rôle comme un soutien à la
Commission, et non comme un contre-pouvoir.
- le Conseil est soumis au contrôle des Parlements nationaux dans la
mesure où ceux-ci contrôlent l'action européenne des
Gouvernements qui le composent : en pratique, un tel contrôle semble
effectivement pratiqué de manière relativement
détaillée et continue dans certains Etats membres seulement
(Allemagne, Danemark, Finlande, France, Grande-Bretagne, Suède), alors
que dans les autres Etats membres il a généralement tendance
à se limiter aux orientations générales et à
certaines questions déterminées. En outre, la portée de ce
contrôle est limitée par le fait que les votes au sein du Conseil
ne sont pas systématiquement rendus publics.
- le Parlement européen entretient avec les électeurs des
rapports très différents de ceux des Parlements nationaux.
L'élection des parlementaires européens ne donne pas lieu
à un débat à l'échelon européen, mais
à autant de débats que d'Etats membres ; le Parlement
européen n'est pas amené à se situer par rapport aux
tendances d'une " opinion publique européenne " qui
n'apparaît pas. Le mode d'élection de la plupart des
parlementaires européens -scrutin proportionnel dans de très
vastes circonscriptions- fait que les députés européens
sont pour la plupart d'entre eux peu sensibles à la possibilité
d'une sanction électorale : c'est le rang auquel ils sont
placés sur une liste par leur parti qui détermine principalement
leurs chances d'être élu. Au demeurant, il est difficile de
décrire la fonction des élections européennes en termes
d'enjeux politique européens: ces élections n'offrent pas aux
électeurs le choix entre deux politiques, et la notion d'arbitrage
populaire en est absente, puisque le Parlement européen ne peut
être dissous. Conséquence peut-être de la difficulté
d'en percevoir les enjeux, les élections européennes se
caractérisent dans de nombreux Etats membres par un abstentionnisme
important.
- il convient d'ajouter que la représentation des populations des Etats
membres, tant au sein du Conseil qu'au sein du Parlement européen, est
le fruit de compromis entre les Etats membres qui aboutissent à
d'importantes inégalités affaiblissant à certains
égard la légitimité de ces institutions.
De l'ensemble de ces facteurs résulte une situation telle que
-indépendamment même des améliorations ponctuelles qui
pourraient être apportées sur tel ou tel aspect- les institutions
communautaires ne peuvent connaître une vie démocratique analogue
à celle qui peut exister au sein des Etats membres.
Le principe de subsidiarité, en prescrivant de réduire au strict
nécessaire les transferts de compétence vers l'Union, tend donc
par là même à limiter le déficit démocratique
qui résulte inéluctablement de tels transferts. En même
temps, il vise à rendre possible le maintien d'une vie
démocratique à l'échelon national, ce qui suppose, comme
l'a souligné la Cour constitutionnelle allemande dans l'arrêt
cité plus haut (voir annexe n° 2), que le droit de vote
à l'échelon national conserve une " substance " :
car à quoi bon voter encore à l'échelon national s'il
existe une politique commune dans tous les domaines, c'est-à-dire s'il
n'existe plus à l'échelon national la possibilité d'un
choix politique ?
Mais, dès lors que le principe de subsidiarité paraît une
orientation nécessaire tant du point de vue de l'efficacité que
de la démocratie, on peut se demander pourquoi son application par les
institutions communautaires continue à soulever d'importantes
difficultés, et n'est pas davantage présente parmi les
préoccupations des Etats membres : n'est-elle pas, pourtant, dans
l'intérêt bien compris de la Communauté ?
En réalité, comme l'a souligné le rapport adopté en
1992 par la délégation du Sénat, l'insuffisante
application du principe de subsidiarité résulte en grande partie
de la dynamique des institutions communautaires qui, en l'absence de tout
contrepoids, tendent inéluctablement à élargir constamment
leur champ d'action, ce qui explique que les appels périodiques à
mieux respecter l'exigence de subsidiarité n'aient d'effet que passager.
B. DES INSTITUTIONS SANS CONTREPOIDS
Ainsi que le relevait ce rapport, les institutions européennes " exercent toutes, même si c'est à des degrés divers, une poussée de même sens vers un développement des interventions communautaires ".
1. La Commission
Les services de la Commission européenne
obéissent aux tendances à l'expansion qui sont celles de toute
administration, mais ces tendances sont d'autant plus fortes, dans le cas de
l'administration communautaire, que celle-ci peut jouer sur le
" dernier
mot " du Parlement européen pour développer les
dépenses non obligatoires (celles pour lesquelles se pose tout
particulièrement le problème de la subsidiarité), et que
sa gestion n'est soumise, malgré certains progrès, qu'à
une surveillance réduite. La moindre efficacité du frein
financier, dans le cas de l'administration communautaire, découle
également des particularités de la procédure
budgétaire de l'Union, qui revient à aligner les recettes sur les
dépenses, et à les imputer sur les budgets nationaux, diluant
ainsi la responsabilité financière.
La composition très particulière de l'administration
communautaire va dans le même sens. On souligne parfois, pour
dénoncer le mythe d'une bureaucratie bruxelloise tentaculaire, que les
services de la Commission n'ont guère plus de fonctionnaires que la
Ville de Paris. Comparaison étrange, dans la mesure où les
employés municipaux sont pour la plupart chargés d'assurer des
missions qui n'ont naturellement rien à voir avec celles des
fonctionnaires européens. C'est à l'évidence moins le
nombre des fonctionnaires de la Commission qui importe que la nature de leur
rôle : 4.000 d'entre eux sont des fonctionnaires de conception,
chargés de problèmes de législation ou de programmation.
On voit mal comment des services de conception d'une telle ampleur - qui n'ont
d'équivalent dans aucun Etat membre- pourraient ne pas multiplier les
initiatives.
Par ailleurs, l'augmentation du nombre de commissaires européens qui a
résulté de l'élargissement de l'Union a conduit à
attribuer à des commissaires européens des secteurs où la
Communauté n'a que des compétences très réduites.
Il est naturellement tentant pour ces commissaires de chercher à donner
plus de consistance au " portefeuille " qui leur est confié,
et donc de s'efforcer de développer les interventions communautaires
précisément là où les compétences de la
Communauté sont en principe résiduelles.
D'une manière générale, comme la Commission
européenne n'a de légitimité et de moyens d'action
qu'à l'échelon communautaire, elle est incitée par la
force des choses à rechercher le transfert des décisions à
l'échelon de l'Union et à militer pour l'utilisation de la
procédure communautaire qui lui donne, en raison de son monopole sur
l'initiative des textes, de très larges pouvoirs (rappelons que les
Etats membres doivent être unanimes pour amender une proposition de la
Commission et que celle-ci peut retirer à tout moment un projet).
2. Le Parlement européen
Le Parlement européen, également doté
d'une légitimité purement communautaire, milite avec constance
pour un développement des compétences de l'Union, levier pour une
augmentation de ses propres pouvoirs.
Outre ces plaidoyers pour l'extension des compétences communautaires,
l'attitude majoritaire du Parlement européen se caractérise
traditionnellement par une orientation en faveur d'un accroissement du budget
communautaire, et par une conception assez nettement
" centralisatrice " de l'exercice des compétences actuelles.
Ainsi, le Parlement européen se prononce-t-il au sujet de chaque texte
contre le contrôle qu'exercent les Etats membres, par le biais de
comités de gestion ou de réglementation, sur les
compétences exécutives de la Commission.
Les avis des commissions permanentes du Parlement européen en vue de la
conférence intergouvernementale (voir le rapport PE 212-450/déf./
du 4 mai 1995) montrent clairement le poids des tendances
" centralisatrices " au sein de cette Assemblée. On en
trouvera une présentation en annexe au présent rapport.
La lecture de ces textes, adoptés en vue de la CIG mais qui s'inscrivent
dans la continuité des positions adoptées par le Parlement
européen depuis de nombreuses années, permet de constater
l'orientation dominante de cette institution en faveur d'une compétence
pratiquement universelle de l'Union européenne, et de la
généralisation du mode de fonctionnement qui est celui du premier
pilier de l'Union (sous réserve, véritable leitmotiv des textes
adoptés par le Parlement européen, d'un nouveau renforcement de
ses propres pouvoirs).
Par cette remarque, votre rapporteur n'entend pas condamner en bloc les
propositions avancées par les commissions du Parlement européen :
même si les modalités proposées peuvent paraître
critiquables, l'objectif d'une meilleure efficacité dans les domaines
relevant des deuxième et troisième piliers de l'Union doit
notamment être approuvé. Mais on peut observer que ces positions
ont un aspect systématique, presque " idéologique ",
consistant à plaquer un schéma institutionnel sur le
fonctionnement de l'Union sans jamais, semble-t-il, se demander quels peuvent
être le meilleur échelon et la meilleure formule d'organisation
pour agir. On aboutit ainsi à une vision où les Etats membres
paraissent destinés à ne conserver que des compétences
résiduelles (encore le Parlement européen plaide-t-il
périodiquement pour que ces dernières soient attribuées de
préférence aux régions...). On voit mal comment le
principe de subsidiarité pourrait conserver une portée dans une
telle conception du fonctionnement de l'Union.
3. Le Conseil
Face aux tendances de la Commission et du Parlement
européen à favoriser l'extension du champ d'intervention de la
Communauté, le Conseil ne constitue pas un contrepoids efficace. Bien
que le problème de la subsidiarité soit quelquefois posé
en son sein, et bien qu'il ait assez souvent tendance à modérer
les demandes financières de la Commission et du Parlement
européen, le Conseil participe en règle générale au
mouvement d'expansion de la sphère communautaire.
Tout d'abord, un constat d'évidence : si la Communauté s'est
dotée -pour prendre l'exemple de l'environnement- de directives sur la
"
conservation des habitats naturels
", la
"
protection des poules pondeuses en batterie
", la
"
conservation des oiseaux sauvages
" ou la
"
protection des animaux utilisés à des fins
expérimentales ou à d'autres fins scientifiques
", c'est
parce que le Conseil a adopté ces textes. L'interventionnisme multiforme
de la Communauté n'a pu se développer sans l'approbation du
Conseil, et la Commission fait même valoir que c'est souvent à la
demande des Etats membres qu'elle est amenée à présenter
des propositions contestables au regard du principe de
subsidiarité : même si cette affirmation, de toute
manière invérifiable, semble faire bon marché de
l'"indépendance" que la même Commission revendique par ailleurs,
il est permis de penser qu'elle a été avancée à
partir d'exemples précis.
S'il en est ainsi, c'est que les Gouvernements peuvent dans certains cas tirer
un avantage certain à mettre en parenthèses le principe de
subsidiarité pour accepter, voire suggérer un passage par
l'échelon communautaire. Cette formule leur permet, tout d'abord, de se
passer de l'accord des Parlements nationaux ou même de contourner leur
opposition. Plus encore, la multiplicité des formations du Conseil -il
en existe une vingtaine- permet à des ministres
spécialisés de trouver un cadre où ils se trouvent
affranchis des contraintes des concertations interministérielles
nationales, dans lesquelles les ministères des finances jouent le
rôle dirigeant que l'on sait. Comme il n'existe aucune véritable
régulation des travaux du Conseil, la pente naturelle de ces ministres
(ou, du moins, de leurs administrations) est de chercher à obtenir par
un détour par l'échelon communautaire ce qui n'a pu l'être
à l'échelon national.
Ainsi que le notent les auteurs d'
Europe : l'impossible statu
quo
: "
assurément, il est utile que les titulaires
d'un même département puissent se rencontrer au niveau
européen pour y confronter leur expérience. Toutefois, on a vu
à plus d'une reprise que ce genre de réunion pouvait avoir des
effets pervers. Trouvant au sein du Conseil un accueil plus compréhensif
qu'au niveau national, où ses initiatives se heurtent souvent à
l'opposition de l'un ou l'autre de ses collègues, le titulaire d'un
département spécialisé peut être tenté de
profiter de cette communauté de vues pour faire passer à
Bruxelles des projets qui se sont enlisés à Londres, à
Paris ou à Copenhague
"
(7(
*
))
.
Il convient d'ajouter que le non-respect du principe de subsidiarité est
également favorisé par le fait même que le Conseil est un
lieu de négociations entre Etats : pour obtenir satisfaction sur un
point, il peut être nécessaire de soutenir une mesure nouvelle
proposée par une autre partie ; symétriquement, pour
justifier une concession de sa part, un ministre peut demander à ses
collègues d'adopter des dispositions supplémentaires qui lui
permettront de présenter un meilleur bilan. Ainsi, la dynamique
même des négociations au sein du Conseil favorise-t-elle un
certain interventionnisme.
Enfin, la capacité du Conseil à faire jouer le principe de
subsidiarité paraît de toute manière limitée.
Lorsque le Conseil est à même de remplir son rôle politique,
c'est-à-dire lorsque les ministres eux-mêmes sont saisis d'une
proposition, celle-ci a déjà donné lieu à des
travaux préparatoires parfois très longs, non seulement au sein
de la Commission, mais aussi au sein des groupes de travail du Conseil
où elle a été examinée à plusieurs reprises
par des experts venant des administrations nationales, puis par les
représentants permanents : lorsque le Conseil se réunit en
formation ministérielle, les jeux sont en grande partie
déjà faits, et les débats se concentrent sur les points
litigieux, non sur la conformité de chaque disposition au principe de
subsidiarité.
Dès lors que ce dernier ne donne pas lieu à un examen
préalable, on voit d'ailleurs mal comment il pourrait faire l'objet d'un
débat. Rien n'incite un ministre, bien au contraire, à s'opposer
à un projet de la Commission qui lui paraît acceptable sur le
fond, pour le seul motif que le principe de subsidiarité ne serait pas
respecté. Quel bénéfice en retirerait-il ? En
revanche, les inconvénients qu'aurait une telle attitude sont
évidents : remettre en cause un compromis souvent laborieusement
obtenu, s'aliéner les ministres des autres Etats membres (voire ses
propres services), et paraître s'opposer aux progrès de la
construction européenne. Qui voudrait endosser le rôle du
" mauvais joueur " ? Un bon ministre est celui qui
approuve un
accord, et, à l'issue de la réunion, explique à la presse
nationale que la décision communautaire est excellente pour la France,
qui est d'ailleurs à l'origine de tous ses aspects positifs et a obtenu
de haute lutte satisfaction pour toutes ses demandes importantes ; un bon
ministre n'est pas un juriste sourcilleux, isolé parmi ses pairs, qui
remettrait en question une harmonisation législative ou un programme -
dont l'utilité est pourtant tellement manifeste - au nom d'un principe
obscur et dont l'application n'apporte d'avantage tangible à personne.
Dans l'état actuel de son fonctionnement, le Conseil des ministres n'est
pas et ne peut être un gardien du principe de subsidiarité, et
concourt au contraire dans certains cas au non-respect de ce principe.
Ainsi, comme le soulignait le rapport précité de la
délégation, "
il apparaît, au total, que la logique
institutionnelle de la Communauté est telle que l'exigence de
subsidiarité risque fort de n'être que très partiellement
prise en compte. Chaque institution communautaire est incitée à
poursuivre l'accroissement de ses compétences et de ses pouvoirs, et ces
démarches, plutôt que de se contrecarrer, finissent souvent par
s'additionner dans un interventionnisme croissant ; or les dispositions
les plus expresses des traités ne peuvent être un barrage
pleinement efficace dans un système où le pouvoir conforte ainsi
le pouvoir
".
C. L'ABSENCE D'ENRACINEMENT DANS LES ETATS MEMBRES
La mise entre parenthèses du principe de
subsidiarité ne résulte pas seulement du jeu des institutions
communautaires ; elle tient également à l'absence d'une
" culture de la subsidiarité " dans la plupart des Etats
membres.
Il n'est pas étonnant que seule l'Allemagne introduise de temps à
autre la question de la subsidiarité dans les débats du Conseil.
Elle est en effet le seul Etat membre à avoir une tradition de
fédéralisme : la question de la répartition des
compétences entre les
Länder
et le
Bund
appartient
pleinement à sa culture politique. Ni le fédéralisme belge
(en raison de son caractère très récent), ni les
" autonomies " espagnoles (elles aussi récentes, et qui
s'analysent plus comme des concessions d'un pouvoir traditionnellement
centralisé aux revendications de certaines provinces que comme une
organisation fédérale d'un Etat) ne s'appuient sur une
" culture du fédéralisme " ; seule l'Autriche
paraît se rapprocher du " modèle " allemand, encore
qu'il ne semble pas que les Länder autrichiens soient des
réalités aussi vivantes que les Länder allemands. Mais la
plupart des pays membres sont tributaires, à des degrés divers,
du " modèle " de l'Etat centralisé, d'où la
problématique de la subsidiarité est absente. Or les
Gouvernements amènent à Bruxelles leurs traditions
administratives à la semelle de leurs souliers : chaque Etat a
tendance à projeter sur le système communautaire son propre
modèle d'organisation.
Dans les Etats centralisés, il n'est pas naturel de considérer
qu'une décision ne doit pas être prise à l'échelon
le plus élevé au seul motif qu'un autre échelon, plus
proche du citoyen, pourrait aussi bien le faire : au demeurant, la
capacité propre de décision et d'action de cet échelon
plus proche, lorsqu'il existe, est souvent trop réduite pour que le
problème puisse véritablement se poser.
En revanche, l'habitude des administrations centralisées de faire
" remonter " la décision vers le niveau le plus
élevé se prolonge sans difficulté vers l'échelon
communautaire, dans un mouvement qui apparaît comme la continuation par
d'autres moyens de l'effort séculaire de rationalisation et
d'unification mené par les Etats centralisés.
L'administration française, héritière d'un effort de
centralisation sans doute plus poussé que partout ailleurs, participe
tout particulièrement de cette tendance, et il est vraisemblable que
l'on trouverait sa marque dans nombre des textes communautaires les plus
discutables au regard du principe de subsidiarité.
La passion de l'uniformité de l'administration française et ses
traditions dirigistes dans un grand nombre de domaines tendent d'autant plus
à se reporter vers l'échelon communautaire que ce transfert
paraît pleinement répondre à l'intérêt
national : lorsque les producteurs français paraissent
handicapés par les lourdeurs ou le coût de certaines
réglementations nationales, il est tentant de chercher à
étendre celles-ci à l'ensemble des Etats membres, de
manière à supprimer " par le haut " le handicap qui en
résulte en termes de compétitivité. Il est clair que le
principe de subsidiarité est une préoccupation qui
s'intègre mal dans une telle démarche.
D'autres administrations nationales, pour des raisons différentes,
peuvent être également amenées à considérer
qu'une attention accrue à l'exigence de subsidiarité n'est pas
dans l'intérêt de leurs pays.
Certains Gouvernements dont les pays sont soumis à des forces
centrifuges peuvent ainsi considérer que le transfert des
décisions à l'échelon européen, où ils
négocient avec leurs homologues et représentent seuls l'Etat, les
aide à préserver voire à accroître leurs propres
pouvoirs face aux provinces. De même, les Etats bénéficiant
particulièrement de la politique de cohésion menée au
moyen des fonds structurels ont tendance à craindre qu'une meilleure
prise en compte du principe de subsidiarité ne compromette certains des
financements dont ils bénéficient.
Ces facteurs tenant aux traditions administratives des Etats membres et
à la manière dont ceux-ci poursuivent leurs intérêts
font que la notion de subsidiarité peut difficilement
pénétrer dans la culture politique de la plupart d'entre eux.
Un exemple: le programme " Pauvreté IV "
Une illustration assez frappante de cette difficulté,
dans le cas de la France, a été donnée par les
débats de l'Assemblée nationale, en janvier 1994, sur le
programme communautaire " Pauvreté IV " destiné
à la
" lutte contre l'exclusion "
et à la
" promotion de la solidarité ".
La délégation du Sénat pour l'Union européenne
n'est pas intervenue sur ce texte sur lequel aucun organe du Sénat n'a
pris position.
La délégation de l'Assemblée nationale, quant à
elle, a jugé ce texte contraire au principe de subsidiarité, en
faisant valoir que le niveau communautaire était moins bien
adapté que le niveau national et local pour conduire la lutte contre
l'exclusion. Elle a présenté une proposition de résolution
en ce sens. Celle-ci a été examinée par la commission des
Affaires sociales de l'Assemblée nationale, qui a adopté au
contraire un rapport préconisant l'adoption rapide du programme
" Pauvreté IV ". En séance, l'Assemblée
nationale a approuvé à une très large majorité le
point de vue de sa commission des Affaires sociales.
Au-delà de la question de savoir si telle ou telle position était
fondée, l'intérêt de cette controverse a été
de montrer l'extrême difficulté de tenir, à partir d'un cas
concret, un débat parlementaire sur le terrain de la
subsidiarité, tant cette notion est étrangère à la
culture politique française. En effet, au lieu de se demander si
l'échelon communautaire était mieux placé que les Etats
membres pour réaliser les objectifs de
" lutte contre
l'exclusion "
et de
" promotion de la
solidarité ",
la plupart des intervenants répondaient en
quelque sorte dans l'absolu à la question : " faut-il lutter
contre l'exclusion et promouvoir la solidarité ? ". Les
participants au débat qui critiquaient le programme
" Pauvreté IV " au nom du principe de subsidiarité
étaient compris comme s'opposant aux objectifs mêmes de ce
programme, et non comme recherchant une meilleure efficacité dans la
lutte contre l'exclusion en voulant confier la gestion des crédits (qui
ne sortent pas du néant, mais sont prélevés sur les
budgets des Etats membres) aux échelons les plus proches du
" terrain ".
Il est à noter qu'un débat a eu lieu sur le même programme
en Allemagne, notamment au sein du Bundesrat, et a abouti à la
conclusion opposée. Considérant que la lutte contre l'exclusion
ne devait pas être menée à l'échelon communautaire
(ni même, dans son cas, à l'échelon de l'Etat
fédéral, mais à celui des Länder), l'Allemagne s'est
opposée à ce programme au nom du principe de subsidiarité,
ce qui a entraîné, au moins provisoirement, un blocage de la
décision, l'unanimité étant requise
(8(
*
)).
D. L'ABSENCE DE VÉRITABLE GARANTIE JURIDICTIONNELLE
On a vu que le fonctionnement même des institutions
communautaires tendait à mettre entre parenthèses le principe de
subsidiarité, et que ce dernier restait un " corps
étranger " dans la culture politique de la plupart des Etats
membres.
Dans ces conditions, il semble que ce soit seulement de la Cour de justice des
Communautés que l'on puisse attendre une garantie du principe de
subsidiarité.
Or cette juridiction n'est pas, pour plusieurs raisons, en situation de jouer
véritablement le rôle de gardien de ce principe.
1. Les obstacles à la saisine
Le rapport adopté en 1992 par la
délégation prévoyait que les saisines de la Cour de
justice sur le terrain de la subsidiarité seraient vraisemblablement
très rares, tant les obstacles étaient nombreux. De fait, depuis
l'entrée en vigueur du traité de Maastricht
(1
er
novembre 1993), il semble qu'une seule décision ait
été prise par la Cour de justice (plus précisément
par le Tribunal de première instance) à la suite d'une
requête en annulation se fondant sur le principe de subsidiarité.
Le Tribunal de première instance a au demeurant rejeté cette
requête au motif que la décision attaquée était
antérieure à cette entrée en vigueur.
De fait, si, en théorie, la justiciabilité du principe de
subsidiarité ne relève pas d'un régime particulier, il en
va autrement en pratique.
Examinons en effet les différentes hypothèses de saisine de la
Cour de justice sur ce terrain.
Un recours en annulation d'un acte communautaire pour violation du principe de
subsidiarité est tout d'abord possible de la part d'un Etat membre, du
Conseil ou de la Commission.
On imagine mal la Commission saisir la Cour de justice pour défendre les
prérogatives des Etats membres.
Le Conseil, responsable de la très grande majorité des
décisions, pourrait difficilement demander l'annulation de celles-ci ;
ce n'est que dans les cas, peu nombreux, où la Commission prend seule
une décision susceptible de poser problème au regard du principe
de subsidiarité, qu'il pourrait former un recours : encore faudrait-il
qu'il existe pour cela un accord suffisamment large en son sein.
Le recours formé par un Etat membre paraît davantage concevable,
mais constitue en pratique une hypothèse peu réaliste : une
démarche consistant, pour un Etat membre mis en minorité,
à attaquer les autres Etats membres sur le terrain de la
subsidiarité en demandant à la Cour d'arbitrer, serait fort
pénalisante pour l'Etat requérant dans ses relations avec ses
partenaires ; il faudrait donc un intérêt
particulièrement important pour qu'un Etat membre entreprenne une telle
démarche. Mais, outre le fait que le Conseil s'efforce
généralement d'éviter de mettre en minorité des
Etats membres lorsque de tels intérêts sont en jeu, on peut douter
qu'il soit fréquent que des Etats membres attachent un
intérêt très important au seul respect du principe de
subsidiarité : en réalité, cette dernière
considération ne pourrait entrer en jeu que si d'autres
préoccupations, plus pressantes, l'accompagnaient.
De fait, on peut observer que, depuis le 1
er
novembre 1993, la
Cour de justice n'a jamais eu à se prononcer sur un recours en
annulation introduit par un Etat membre sur le fondement du principe de
subsidiarité.
Un recours en annulation est également possible de la part d'une
personne physique ou morale ; encore faut-il qu'elle soit
"
destinataire
" de l'acte, ou du moins
"
directement
et individuellement
" concernée par celui-ci. En pratique,
à de très rares exceptions près, c'est seulement dans le
domaine de la concurrence que peuvent apparaître des situations où
une personne se trouve en situation de former un recours en annulation
fondé sur le principe de subsidiarité.
Enfin, la Cour de justice pourrait être amenée à la suite
d'un renvoi préjudiciel à se prononcer sur le respect du principe
de subsidiarité par un acte de droit dérivé. Là
également, il paraît en pratique très difficile que la Cour
soit saisie par cette voie d'une question relative à la
subsidiarité. Dans ce cas, en effet, la Cour est saisie par une
juridiction nationale qui elle-même doit avoir reconnu un
intérêt pour agir à une personne physique ou morale. La
définition de l'intérêt à agir n'est pas
parfaitement identique dans tous les Etats membres, mais elle inclut
nécessairement, d'une manière ou d'une autre, la condition que la
personne soit lésée de manière spécifique par
l'acte qu'elle conteste. Ainsi, les actes communautaires
généralement les plus critiquables au regard du principe de
subsidiarité, c'est-à-dire les programmes communautaires (dont on
voit mal comment, en eux-mêmes, ils pourraient léser
spécifiquement une personne), se trouvent à l'abri d'un recours.
En pratique, par cette voie, la Cour semble pouvoir être saisie
principalement sur le terrain de l'intensité excessive d'une
réglementation : mais il s'agit là plutôt d'un
contrôle du respect du principe de proportionnalité
(3
ème
alinéa de l'article 3 B), contrôle que la
Cour exerçait déjà avant le traité de Maastricht.
Sur le terrain de la subsidiarité proprement dite, les
possibilités de recours paraissent non pas certes inexistantes, mais
fort limitées, d'autant que l'acte doit être postérieur au
1
er
novembre 1993, date d'entrée en vigueur du Traité
de Maastricht.
Il convient d'ajouter que la Cour de justice n'est pas habilitée
à se prononcer sur la conformité au principe de
subsidiarité des actes entrant dans le cadre des deuxième et
troisième piliers de l'Union, bien que l'ensemble de l'action de
celle-ci soit soumise au principe de subsidiarité par l'article B du
Traité de Maastricht.
Au total, le principe de subsidiarité peut difficilement fonder un
recours de la part d'une personne, en raison de son contenu
général et abstrait, comme de la part d'un Etat membre, pour des
raisons tenant au fonctionnement des institutions ; si bien que le
contrôle de la Cour de justice a une portée pratique
limitée dans ce domaine.
2. Les limites du contrôle tenant à la nature du principe
A cette limite de fait s'ajoute celle de tout contrôle
juridictionnel dans une telle matière. Le principe de
subsidiarité, comme on l'a vu, comporte une marge d'appréciation
importante tenant notamment aux éléments qualitatifs de sa
définition, et apparaît de ce fait comme un principe plus
politique que juridique. Il en résulte que le contrôle
juridictionnel sur le respect d'un tel principe ne peut être en tout
état de cause qu'un contrôle minimum. Ce point était
déjà souligné dans la communication de la Cour de justice
à la Conférence intergouvernementale chargée
d'élaborer le traité de Maastricht.
" Nonobstant la connotation largement politique de ce principe,
l'examen, par la Cour, d'un tel moyen ne poserait pas à celle-ci des
problèmes de caractère nouveau. A cet égard, il suffit de
renvoyer à un autre principe, peut-être de caractère plus
modeste, qui, depuis longtemps, est pris en compte comme élément
d'interprétation pour la délimitation des compétences
permettant aux institutions d'imposer des obligations aux citoyens
communautaires, et notamment aux opérateurs économiques, et dont
la violation constitue également un moyen d'annulation et d'exception,
à savoir le principe de proportionnalité. Selon ce principe, les
mesures adoptées doivent être aptes et nécessaires pour
atteindre les objectifs visés par la compétence accordée
à l'institution.
Si, en appliquant ce principe, également de
connotation politique, la Cour a toujours reconnu une large marge
d'appréciation à l'institution en cause, elle a néanmoins
contrôlé le respect par celle-ci des limites extrêmes de ce
pouvoir d'appréciation, notamment par sa censure de la mesure en cas
d'erreur manifeste ".
On peut constater que, malgré une présentation qui peut
suggérer l'inverse, la Cour n'affirme la possibilité pour elle de
contrôler un tel principe que pour préciser aussitôt que ce
contrôle se borne à l'erreur manifeste, c'est-à-dire se
situe uniquement à la " limite extrême " de la marge
d'appréciation que laisse le principe de subsidiarité. Ajoutons
que, dans le cas de ce principe, la " limite extrême " peut
être reculée particulièrement loin, tant sont vagues les
notions de " réalisation suffisante " et de
" meilleure
réalisation " qui sont au coeur du deuxième alinéa de
l'article 3 B du Traité.
Il est clair, en réalité, que l'intérêt de la
Cour de justice est d'affirmer sa compétence (afin de ne pas voir une
autre institution, existante ou à créer, empiéter sur ses
prérogatives), mais de ne pas l'exercer, ou très peu, car ce
serait s'aventurer presque ouvertement sur un terrain politique, avec tous les
risques que cela comporte pour une juridiction.
Lorsque l'acte
contesté émanera de la seule Commission européenne
statuant en matière de concurrence, la Cour de justice veillera, s'il y
a lieu, au respect du principe de subsidiarité ; lorsque l'acte
émanera du Conseil et/ou du Parlement européen, elle fera preuve
de la plus grande circonspection en refusant de se substituer à ces
institutions politiques dans leur pouvoir d'appréciation, et son
contrôle se limitera de fait à celui de la proportionnalité
: elle censurera, à supposer qu'elle soit saisie, l'extrême
excès de zèle en matière de réglementation.
Dès 1991, un membre de la Cour de justice, s'exprimant à titre
personnel, avait formulé toutes les réserves que lui inspirait
l'idée de voir celle-ci s'aventurer sur le terrain du contrôle de
la subsidiarité
(8(
*
))
. Lors d'une
récente rencontre informelle (juin 1996) avec les
délégations pour l'Union européenne de l'Assemblée
nationale et du Sénat, des membres de la Cour de justice ont
manifesté à titre personnel la même très grande
prudence et exprimé le souhait que tout soit fait pour que
d'éventuelles questions de subsidiarité soient
réglées par les organes politiques eux-mêmes, avant que la
Cour de Justice ne puisse être saisie.
Ainsi, pour de fortes raisons, non seulement le contrôle de la Cour de
justice ne trouvera que rarement à s'exercer, mais, lorsqu'il
s'exercera, il ne le fera la plupart du temps qu'à la marge. Serait-il
d'ailleurs souhaitable qu'il en soit autrement, c'est-à-dire que la Cour
de justice devienne l'arbitre de l'Union dans une matière aussi
politique que l'exigence de subsidiarité ? Comme le soulignait M.
Michel Poniatowski dans son rapport déjà cité :
" Il serait paradoxal que l'introduction du principe de
subsidiarité dans le droit communautaire, destinée à
favoriser la " proximité " des décisions, aboutisse
à confier une responsabilité politique éminente à
un organe juridictionnel lointain, soustrait par définition à
tout contrôle des représentants élus des
citoyens ".
3. Une jurisprudence traditionnellement contraire
A supposer même que tous les obstacles qui viennent
d'être soulignés soient levés, la Cour de justice
pourrait-elle apparaître comme un gardien convaincant du principe de
subsidiarité ?
L'on doit convenir que sa jurisprudence a été, jusqu'à
présent, presque constamment orientée dans le sens de
l'augmentation des compétences et des pouvoirs de la Communauté,
allant jusqu'à reconnaître à celle-ci des pouvoirs
implicites - ceux jugés nécessaires à la
réalisation d'objectifs fixés par les traités - et
même des objectifs implicites justifiant des interventions communautaires
dans des domaines non prévus par les traités.
L'expérience montre, au demeurant, que les jurisprudences des Cours
suprêmes des systèmes fédéraux s'orientent, dans la
durée, vers le renforcement des pouvoirs de la Fédération,
ce qui est d'ailleurs inscrit dans la logique d'institutions
fédérales : une Cour suprême n'ayant de
légitimité et de compétences que fédérales,
a nécessairement tendance à accroître les
prérogatives de la Fédération, ce qui lui permet de
consolider sa propre légitimité et d'élargir le champ de
ses propres compétences. La Cour de justice de la Communauté, qui
a reconnu au Traité de Rome une finalité fédérale
implicite, s'est inscrite dans cette tendance - en s'inspirant d'ailleurs,
à diverses reprises, de la jurisprudence de la Cour suprême des
Etats-Unis.
Ainsi, en tout état de cause, une garantie effective du principe de
subsidiarité par la Cour de justice supposerait un changement aussi
profond qu'improbable de l'orientation de sa jurisprudence.
*
* *
Votre rapporteur, qui a quelque expérience des
débats européens, a déjà eu plus d'une fois
l'occasion de comparer la Communauté à une pyramide reposant sur
sa tête.
En effet, lorsque des Etats s'associent pour constituer une
fédération, une confédération, ou tout type de
groupement intermédiaire, ils mettent généralement en
commun, sous une forme ou une autre, les compétences portant sur les
relations extérieures, la défense, la monnaie, le commerce entre
les Etats membres, tandis que les autres domaines restent essentiellement de la
compétence des Etats membres.
La construction européenne s'est effectuée jusqu'à
présent en dehors de ce schéma. Le commerce entre les Etats
membres et les relations commerciales extérieures ont été
mis en commun ; une monnaie unique va bientôt se mettre en place
même si elle ne s'appliquera pas à tous les Etats membres avant
longtemps, notamment si l'on tient compte du processus d'élargissement ;
mais, dans les domaines les plus fondamentaux pour une association d'Etats : la
politique extérieure et la défense, les réalisations
restent embryonnaires et les progrès envisageables incertains.
En revanche, l'élargissement continu du champ des interventions
communautaires, qui s'est effectué soit lors des révisions des
Traités, soit en marge de ceux-ci, soit encore par le biais des actions
structurelles, a fait naître une Union omniprésente, aux
compétences sans limites déterminées, si bien que dans
certains domaines (législation bancaire, marchés publics...) les
Etats membres n'ont même pas l'autonomie que conserve un Etat au sein des
Etats-Unis.
C'est à peine forcer le trait que de remarquer que la même Union
qui finance la rénovation de l'école des arts du spectacle de
Liverpool, règlemente les eaux de baignade et lance un programme de
protection des dunes, ne joue qu'un rôle des plus réduits
lorsqu'il s'agit de rétablir la paix dans les Balkans ou au
Proche-Orient, ou de redéfinir l'architecture de sécurité
de l'Europe.
Le principe de subsidiarité est une orientation politique. Il ne peut
assurément pas, par lui-même, contribuer à remédier
aux carences de l'Union dans les missions qui devraient d'abord être les
siennes. Du moins pourrait-il, indirectement, favoriser un recentrage vers ces
missions ; surtout, sa pleine application pourrait favoriser un meilleur
contrôle, une plus grande efficacité des politiques publiques, et
limiter le risque d'étiolement de la vie démocratique au sein des
Etats membres.
Pourquoi cette orientation politique n'a-t-elle pas, jusqu'à
présent, davantage inspiré la construction européenne ?
Ainsi qu'on l'a vu, au-delà de la ferveur idéologique de
certains, qui voient un progrès dans toute nouvelle intervention de la
Communauté, ce sont principalement la nature et le mode de
fonctionnement des institutions européennes qui sont en cause.
Comme ces facteurs institutionnels sont appelés à perdurer, le
principe de subsidiarité n'est sans doute pas destiné à
jouer dans l'avenir un plus grand rôle que par le passé.
Toutefois, puisqu'il n'est pas nécessaire d'espérer pour
entreprendre, votre rapporteur souhaiterait présenter quelques
suggestions concernant les évolutions institutionnelles qui pourraient
assurer un meilleur respect de ce principe.
IV. LES CONDITIONS D'UNE MEILLEURE APPLICATION
A. REFORMER LE FONCTIONNEMENT DES INSTITUTIONS
Dès lors que le non-respect du principe de subsidiarité tient en grande partie au mode de fonctionnement de la Communauté, une meilleure application de ce principe suppose en premier une modification de certaines pratiques ou règles institutionnelles en vigueur.
1. Le Conseil
a) Introduire la possibilité d'un examen préalable de la subsidiarité
Tout d'abord, une évidence : le principe de
subsidiarité ne peut être appliqué que si le Conseil,
organe essentiel de décision de l'Union, assure lui-même cette
application, ce qui suppose qu'il se prononce explicitement sur le respect du
principe de subsidiarité chaque fois que le problème se pose.
Or, comme votre rapporteur l'a souligné plus haut, l'examen de la
susbsidiarité est nécessairement préalable, puisqu'il
porte sur le principe même d'une intervention de la Communauté.
Pour que le principe de subsidiarité puisse être effectivement
pris en compte, il conviendrait donc -contrairement à ce qu'affirme la
déclaration d'Edimbourg- que le Conseil se prononce sur son respect
préalablement à l'examen au fond, dès lors qu'un
Gouvernement en ferait la demande, et que le résultat du vote soit
publié, afin que les Parlements nationaux puissent exercer leur
contrôle.
Il est à noter qu'un tel changement ne requerrait pas
nécessairement une révision formelle des textes en vigueur, mais
pourrait résulter d'un accord informel, au moins pendant une phase
expérimentale, qui permettrait de constater que, contrairement aux
craintes de la Commission européenne, le processus de décision ne
s'en trouve nullement bloqué.
b) Assurer une régulation des travaux du Conseil
S'il est certes indispensable de corriger en premier lieu
l'anomalie que constitue l'interdiction faite au Conseil de se prononcer
spécifiquement sur les questions de subsidiarité, on ne peut
cependant espérer obtenir un progrès durable qu'en agissant sur
ce facteur important du non-respect du principe de subsidiarité qu'est
la multiplication des Conseils spécialisés.
Il y a d'indéniables avantages à ce que les ministres
compétents dans des domaines où l'Union n'a qu'un rôle
résiduel se rencontrent périodiquement (ce qui suppose
néanmoins qu'ils ne se fassent pas représenter par un haut
fonctionnaire...). Mais les inconvénients l'emportent sur ces avantages
lorsque de telles réunions permettent à ces ministres d'utiliser
les procédures de décision communautaire pour contourner les
Parlements nationaux ou les concertations interministérielles
nationales, ou lorsqu'elles permettent à la Commission européenne
de développer sans nécessité son champ d'intervention (en
effet, aucune réunion de ce type, ne serait-ce que pour montrer qu'elle
a abouti à une conclusion, ne se termine sans que les ministres
demandent à la Commission d'entreprendre ou de poursuivre quelque
action).
Pour contrecarrer ces effets,
il conviendrait de revenir sur le mythe du
Conseil toujours un au-delà de la multiplicité de ses formations,
et d'introduire une forme de régulation de ses travaux en distinguant
les formations du Conseil susceptibles de prendre des décisions et
celles habilitées seulement à faire des propositions aux
formations autorisées à décider.
Dans cette optique, les Conseils spécialisés dans les domaines
où l'Union n'a que des compétences réduites ne seraient
pas supprimés, ce qui permettrait aux ministres concernés de
continuer à échanger leurs expériences, mais la
décision finale serait renvoyée à une formation du Conseil
ayant une vue plus générale des activités de l'Union, et
par là mieux à même de tenir compte du principe de
subsidiarité.
Cette activité de régulation d'ensemble incombait implicitement,
dans les premiers temps de la construction européenne, au Conseil
" Affaires générales " où se retrouvent les
ministres des Affaires étrangères. Elle s'est de moins en moins
exercée dans les faits et, aujourd'hui, n'est plus assurée du
tout, le Conseil " Affaires générales " se consacrant
en très large part aux problèmes de la politique
extérieure et de sécurité commune, et n'étant plus
en mesure de veiller à la cohérence d'ensemble de l'action de la
Communauté.
Certains ont proposé que cette fonction de régulation soit
attribuée à une nouvelle formation du Conseil, composée de
ministres chargés de suivre en permanence les activités
communautaires et qui seraient de ce fait amenés à résider
à Bruxelles. Une telle formule reviendrait, en pratique, à
élever au rang ministériel la fonction de représentant
permanent. Elle permettrait, en principe, une supervision des travaux des
formations du Conseil spécialisées dans les domaines où
les traités n'accordent à la Communauté qu'un rôle
réduit, voire ne prévoient pour elle aucun rôle. Elle
aurait également l'intérêt d'assurer la continuité
des travaux du Conseil et, de ce fait, d'éviter les situations,
aujourd'hui fréquentes, où une formation
spécialisée du Conseil ratifie -sous la rubrique des points A de
l'ordre du jour du Conseil- des décisions portant sur des domaines dont
elle ignore tout.
Une autre solution possible, réclamant un changement moins profond,
serait de confier cette fonction de régulation, de supervision, au
Conseil ECO-FIN, ce qui présenterait l'avantage de correspondre aux
pratiques nationales et de confier le contrôle sur les formations
" secondaires " du Conseil à une formation ayant
intérêt à faire mieux respecter le principe de
subsidiarité.
2. La Commission
La proposition présentée par le Gouvernement
français dans le cadre de la préparation de la CIG, de
réduire à une dizaine le nombre des membres de la Commission,
irait dans le sens d'une meilleure application du principe de
subsidiarité, car elle permettrait à chaque commissaire de
gérer un véritable domaine de compétences, alors que
l'actuelle Commission de vingt membres est incitée à tenter
d'élargir les compétences de l'Union pour que chaque commissaire
dispose de responsabilités significatives.
Les premiers débats de la CIG ont cependant permis de constater que
cette proposition rencontre une forte opposition de la part des
" petits " Etats, qui tiennent à conserver leur droit de
nommer chacun un membre de la Commission.
A supposer que la proposition française ne soit finalement pas retenue,
il serait à tout le moins nécessaire que le rôle du
Président de la Commission soit renforcé pour lui permettre de
limiter les dérives découlant du nombre trop important de
commissaires par rapport aux compétences véritables de l'Union si
l'on tient compte du principe de subsidiarité. Dans ce sens,
le
Président de la Commission devrait être spécialement
chargé, pour ce qui concerne la Commission, du respect de ce principe et
devrait disposer à cet effet du pouvoir de bloquer toute initiative qui
lui paraîtrait contraire à celui-ci.
Cependant, une organisation plus resserrée, ou du moins plus
cohérente de la Commission européenne aurait sans doute des
effets limités si elle ne s'étendait pas à ses services.
Là où il y a un bureau, il y a un projet d'intervention :
aussi longtemps que les services de la Commission seront subdivisés en
vingt-deux directions générales couvrant tous les domaines
d'action d'un Gouvernement dans un Etat centralisé, la Commission
continuera à proposer des interventions dans ces différents
domaines et tentera avec constance d'élargir son champ d'action ;
une réorganisation des services de la Commission autour des
tâches incombant clairement à la Communauté contribuerait
à une meilleure application du principe de subsidiarité
, sans
d'ailleurs que la moindre modification des Traités soit
nécessaire pour cela.
3. Le Parlement européen
a) Rationaliser les travaux du Parlement européen
Le Parlement européen est d'autant moins porté
à respecter le principe de subsidiarité que, jusqu'à
présent, les Traités ne lui ont pas appliqué les
techniques du parlementarisme rationalisé. Cette lacune,
compréhensible tant que les pouvoirs du Parlement européen
restaient d'ordre consultatif, est devenue plus difficile à justifier
depuis que le traité de Maastricht a accordé à
l'Assemblée de Strasbourg des pouvoirs importants. On peut se demander
s'il est raisonnable, dans ce nouveau contexte, que cette Assemblée qui,
par nature, est très éloignée des citoyens et qui, du fait
du scrutin proportionnel et de l'absence de possibilité d'une
dissolution, n'est pas en situation de responsabilité vis-à-vis
du corps électoral, continue à n'être pas dotée
d'une " loi fondamentale " qui encadrerait ses travaux.
Il serait tout d'abord nécessaire à cet égard que soit
adopté un " article 40 " européen qui oblige le
Parlement européen à respecter le plafond des dépenses
fixé par le Conseil et à compenser toute augmentation d'une
dépense non obligatoire par la diminution d'une autre dépense non
obligatoire.
Une plus grande maîtrise des dépenses non
obligatoires, qui concernent par définition des domaines de
compétence partagée entre l'Union et les Etats membres,
favoriserait en effet à l'évidence une meilleure application du
principe de subsidiarité.
Mais la " loi fondamentale " devrait également inclure des
règles conduisant le Parlement européen à s'en tenir aux
pouvoirs que lui attribuent les traités et à respecter les
limites des compétences de l'Union. L'absence de telles règles
conduit depuis des années à des controverses politico-juridiques
pratiquement permanentes, donnant périodiquement lieu à des
compromis interinstitutionnels qui peuvent s'écarter très
sensiblement des traités
(9(
*
))
. Il en
résulte une situation où ni les compétences du Conseil, ni
celles des Etats membres ne sont protégées face à la
tendance du Parlement européen à déborder de ses
prérogatives, telles que les fixent les traités ; et la
Commission européenne s'appuie régulièrement sur les
interventions du Parlement européen dans les domaines les plus divers
-interventions dont la portée juridique peut être très
variable- pour justifier ses propositions tendant à élargir les
compétences communautaires.
b) Distinguer les catégories de normes
On doit souligner, à la décharge du Parlement européen, que l'absence de distinction entre catégories de normes dans les Traités européens le conduit à se prononcer fréquemment sur des textes de portée technique. Comment l'Assemblée de Strasbourg pourrait-elle avoir une perception claire de ses propres compétences et du rôle que doit avoir l'Union, dès lors qu'on lui demande de se prononcer sur la longueur des béquilles des motos ou la puissance des avertisseurs des tracteurs ? Au sein des domaines où l'accord du Parlement européen est requis, les Traités devraient introduire une distinction entre les règles de portée générale, où le Parlement européen jouerait le rôle normalement dévolu à une assemblée parlementaire, qui n'a pas à se prononcer sur les détails techniques, et les textes d'application, qui devraient quant à eux relever seulement du Conseil et de la Commission. Une telle distinction est déjà mise en oeuvre dans les articles du Traité concernant la recherche : rien n'empêche qu'une telle approche soit étendue à d'autres domaines, de manière à permettre un recentrage des travaux du Parlement européen, ce qui l'aiderait à acquérir cette " culture de la subsidiarité " qui lui fait aujourd'hui défaut.
B. ASSOCIER LES PARLEMENTS NATIONAUX
Une situation dans laquelle les instances communautaires
sont
finalement seuls juges des compétences de l'Union européenne ne
peut être considérée comme satisfaisante pour l'application
du principe de subsidiarité, dès lors que ces instances n'ont pas
en règle générale intérêt à appliquer
celui-ci.
Si l'on veut que l'exigence de subsidiarité soit effectivement prise
en compte, il est donc nécessaire de s'appuyer à cet effet sur
les Parlements nationaux qui ont, quant à eux, intérêt
à son respect, car leur rôle et leurs compétences y sont en
jeu.
La solution, proposée par certains, de s'appuyer dans le même but
sur le Comité des régions ne peut être retenue : en
effet, tel qu'il est défini par le Traité, le principe de
subsidiarité ne s'applique qu'aux relations entre l'Union
européenne et les Etats membres, et de ce fait ne concerne pas les
prérogatives des régions ou, plus généralement, des
collectivités locales.
C'est donc à juste titre que le Gouvernement français a
proposé, dans le cadre de la CIG, la création d'un " Haut
Conseil parlementaire " composé de délégués
des Parlements nationaux et chargé de donner au Conseil des avis sur
l'application du principe de subsidiarité.
Précisons, tout d'abord, que le débat sur cette proposition
française ne doit pas être arrêté par les mots.
Certains de nos partenaires, après une lecture peut-être un peu
rapide, ont exprimé la crainte que le " Haut Conseil
parlementaire " ne soit une institution supplémentaire, qui
alourdirait et compliquerait le fonctionnement de l'Union, voire risquerait de
paralyser le processus de décision.
Ces inquiétudes ne sont pas fondées.
Le sens de la proposition française est de permettre une expression
collective des Parlements nationaux sur l'application du principe de
subsidiarité. Cette expression pourrait être assurée par
une instance
ad hoc
; mais,
puisqu'il existe déjà un
organisme de concertation entre les Parlements nationaux - la Conférence
des organes spécialisés dans les affaires communautaires (COSAC)
- il est également possible d'utiliser ce cadre, à la condition
d'apporter certaines améliorations à son fonctionnement
.
Il n'est donc pas nécessaire de créer une nouvelle institution
pour impliquer les Parlements nationaux dans le respect de la
subsidiarité : un renforcement de la COSAC peut tout aussi bien
convenir. La Délégation du Sénat s'est au demeurant
déjà prononcée sur la forme que pourrait prendre ce
renforcement de la COSAC : celle-ci devrait pouvoir voter, à la
majorité, des résolutions ou des recommandations ; d'autre part,
elle devrait se doter de deux formations spécialisées - l'une
traitant des questions de subsidiarité, l'autre des questions relevant
du " troisième pilier " de l'Union (justice et affaires
intérieures) - afin d'assurer la continuité de ses travaux dans
l'intervalle de ses réunions plénières. Aucune lourdeur
institutionnelle dans une telle formule. Quant au risque de paralysie du
processus de décision communautaire, une telle inquiétude est
à l'évidence sans fondement, s'agissant d'un organisme à
caractère consultatif.
La " COSAC renforcée ", ainsi suggérée,
pourrait recevoir en matière de subsidiarité trois tâches
principales :
- tout d'abord, elle pourrait être saisie de textes précis en
cours d'examen, soit à la demande du Conseil, soit à la demande
des organes spécialisés dans les affaires communautaires d'au
moins deux assemblées parlementaires ne relevant pas du même Etat
membre ; dans ce cas, elle devrait, dans un délai
déterminé, donner un avis sur la conformité de ce texte au
principe de subsidiarité.
- ensuite, elle aurait à débattre, sans être
enfermée dans un délai, de la manière dont pourrait
être précisée et complétée, pour chaque grand
domaine d'action, la répartition des compétences entre l'Union et
les Etats membres ; elle pourrait adopter dans ce sens des
recommandations. Ainsi des points de repère seraient-ils proposés
au Conseil pour l'appréciation de la subsidiarité ;
- enfin, elle devrait se prononcer sur le rapport annuel de la Commission
européenne au sujet de l'application du principe de subsidiarité.
Il convient par ailleurs d'écarter l'objection, avancée
semble-t-il par certains pays, selon laquelle une COSAC renforcée ne
pourrait valablement "engager " les Parlements nationaux. Il
n'est en
effet nullement question, s'agissant d'un organisme consultatif, d'
" engager " les Parlements des Etats membres et encore
moins de se
substituer à eux. Les délégués à la COSAC
renforcée auraient le même statut juridique que les
délégués à l'Assemblée parlementaire du
Conseil de l'Europe, ou à l'Assemblée parlementaire de l'OSCE, ou
encore à l'Assemblée de l'Atlantique Nord. La
représentation de Parlements nationaux au sein d'une Assemblée
parlementaire internationale à caractère consultatif est une
pratique bien établie et dont la légitimité n'a jamais
été jusqu'à présent contestée. De telles
instances ne concurrencent pas les Parlements nationaux,
n'" engagent " pas ceux-ci et nul n'a jamais exprimé la
crainte qu'elles ne les remplacent : elles ont pour but de favoriser le
dialogue entre parlementaires nationaux sur des questions
déterminées, afin d'essayer de favoriser une approche commune et
une compréhension réciproque, d'où peuvent, dans certains
cas, se dégager des avis majoritaires ayant éventuellement une
certaine valeur politique, qui sont adressés aux instances
intergouvernementales correspondantes. De même, une COSAC
renforcée aurait pour but principal d'instaurer notamment, sur la mise
en oeuvre de la subsidiarité, un dialogue entre parlementaires rompus
aux questions européennes, de manière à faire peu à
peu apparaître, autant que possible, une culture commune susceptible
d'inspirer l'action des Gouvernements réunis au sein du Conseil.
On voit qu'une telle instance consultative n'aurait ni la mission, ni
d'ailleurs la possibilité, de remplacer le contrôle exercé
à l'échelon national par chaque Parlement sur l'action
européenne de son Gouvernement. Elle aurait plutôt pour fonction
de compléter ce contrôle, d'en améliorer les conditions, en
favorisant le dialogue et l'échange des expériences dans un
domaine où il est nécessaire que se dégage une approche
commune, une sensibilité commune.
On ne peut en effet avoir quinze
conceptions très différentes de la subsidiarité, ou alors
ce principe n'aura jamais de véritable portée
: ce n'est
qu'en mettant en commun les problèmes tels que les appréhendent
les différentes assemblées que l'on pourra parvenir à une
conception de la subsidiarité ayant une valeur opératoire et
pouvant de ce fait influencer les travaux du Conseil.
Enfin, l'intérêt de cette instance serait de contribuer à
réintégrer les Parlements nationaux dans la vie de l'Union
européenne. Depuis l'élection du Parlement européen au
suffrage direct, le lien qui unissait les Parlements nationaux aux
activités de la Communauté s'est trouvé rompu, et cette
coupure a favorisé un certain éloignement vis-à-vis des
citoyens et une faiblesse chronique du contrôle démocratique, au
moment même où le construction européenne s'approfondissait
et s'étendait à de nouveaux domaines. Associer davantage les
Parlements nationaux, notamment en ce qui concerne l'application du principe de
subsidiarité, pourrait aider à réconcilier les opinions
publiques et la construction européenne, en incitant le Conseil à
faire entrer davantage dans les faits l'idéal, proclamé par le
Traité de Maastricht, d'une Union où les décisions sont
prises "
le plus près possible des citoyens "
.
Certains soulignent, à juste titre, que la tâche des Parlements
nationaux est d'abord de contrôler l'action européenne de leurs
Gouvernements respectifs, y compris en matière de subsidiarité.
Mais la qualité d'un tel contrôle ne pourra qu'être
améliorée si les Parlements nationaux disposent d'un cadre
où échanger leurs expériences, prendre conscience de la
diversité des préoccupations selon les pays, et s'efforcer de
parvenir à une approche commune.
Il y aurait d'ailleurs quelque paradoxe, alors que la construction
européenne a désormais pénétré tous les
domaines d'activité et se trouve au coeur des vies politiques des Etats
membres, à ce que les Parlements nationaux restent en dehors de l'effort
de concertation, alors que certaines des questions qu'ils ont à traiter
se posent à chacun d'entre eux, certes dans des contextes nationaux
spécifiques, mais dans des termes comparables.
Comment, d'ailleurs, des Parlements totalement séparés les uns
des autres pourraient-ils avec toute l'efficacité et la pertinence
souhaitables contrôler des Gouvernements qui eux, travaillent ensemble et
doivent en permanence rechercher des compromis ? Loin de s'opposer
à l'exigence de contrôle à l'échelon national, la
concertation interparlementaire paraît être un complément
nécessaire de celle-ci, notamment sur un thème comme celui de la
subsidiarité où l'avènement d'une culture commune doit
être recherché.
C. MIEUX DEFINIR LE CHAMP D'INTERVENTION DE L'UNION
1. Les compétences
a) Redonner sa signification au recours à la directive
Lors des débats de 1992-1993 sur la
subsidiarité, la Commission européenne a fait remarquer que,
depuis les origines de la Communauté, elle avait
privilégié le recours à la directive sur le recours au
règlement et que ce choix traduisait déjà le souci de
subsidiarité. Cette affirmation serait exacte si la directive
était bien en fait ce qu'elle est en droit, c'est-à-dire un texte
définissant un résultat à atteindre tout en laissant aux
Etats membres le choix des moyens ; mais en pratique, il n'en est
rien : les directives communautaires sont devenues presque aussi
détaillées que des règlements, et leur valeur
contraignante est presque aussi grande, puisque la Cour de Justice leur a
reconnu un effet direct en l'absence de mesures nationales de transposition.
Ainsi, le choix de la directive par rapport au règlement ne
témoigne-t-il pas, en réalité, d'une prise en compte de
l'exigence de subsidiarité.
Il serait donc souhaitable, d'une part, de redonner sa signification à
la notion de directive, caractérisée certes par l'obligation de
résultat, mais aussi par le libre choix des moyens, et, d'autre part, de
ne recourir au règlement que lorsqu'il constitue la seule formule
possible pour atteindre le résultat recherché. Pour qu'une telle
orientation soit effectivement appliquée, elle devrait résulter
plus clairement du Traité lui-même.
b) Préciser le partage des responsabilités
Il est vain d'espérer régler de manière
cartésienne le partage des compétences entre l'Union et les Etats
membres ; mais l'on ne peut non plus se satisfaire du flou actuel, qui
dilue les responsabilités et désoriente les citoyens.
Dans bon
nombre des cas, la rédaction très vague des traités
pourrait être remplacée par des formules plus précises,
indiquant plus nettement ce qui ne peut entrer dans les compétences de
l'Union.
On fera valoir qu'on ne peut enfermer le développement de la
Communauté dans un cadre trop rigide. Mais, outre le fait qu'entre un
corset trop étroit et le flottement actuel, il existe une marge de
progrès raisonnable, on doit souligner qu'
une répartition plus
précise des compétences par les Traités eux-mêmes
n'interdirait nullement toute évolution : elle obligerait
simplement à ce que les évolutions aient lieu au grand jour, avec
l'approbation des Parlements nationaux.
Le flou actuel est d'autant plus préoccupant que l'article 235 du
traité (destiné à l'origine à permettre à la
Communauté de prendre des mesures dans des domaines où le
traité n'avait pas prévu de pouvoir d'action, dès lors que
ces mesures s'avéraient nécessaires au fonctionnement du
marché commun) a été progressivement
détourné de son sens initial pour être
considéré, en pratique, comme autorisant à prendre toute
mesure correspondant à un objectif, même très vague, retenu
par le Traité et pour lequel celui-ci ne prévoit pas de pouvoir
d'action. Comme les objectifs de la Communauté ont été
définis, au fil des révisions, de manière de plus en plus
large, la combinaison du vague des objectifs et de l'interprétation
extensive de l'article 235 conduit à une situation où les
compétences de la Communauté peuvent être étendues
de manière pratiquement illimitée dès lors qu'il existe
pour cela un accord au sein du Conseil. Une définition plus
précise des objectifs et compétences communautaires limiterait le
risque de centralisation rampante inhérent à une telle situation.
Il est vrai qu'un effort de clarification soulèverait bien des
difficultés politiques, et que l'ordre du jour de la CIG en cours est
suffisamment chargé pour qu'il ne soit pas judicieux de proposer d'y
ajouter un exercice aussi périlleux. Cependant, ainsi que votre
rapporteur l'a suggéré plus haut, les Parlements nationaux
pourraient, dans un premier temps, recevoir collectivement la tâche de
préparer le terrain à cette clarification, éventuellement
en vue d'une modification ultérieure des traités.
2. Les modalités
a) Enrayer la multiplication des programmes d'action communautaire
Le bon fonctionnement du marché unique requiert des
règles communes et un contrôle de la loyauté de la
concurrence ; il ne demande pas que soient multipliées les
interventions communautaires sous forme de programmes d'action dans les
domaines les plus divers. Ces programmes, consistant en pratique à
subventionner des organismes ou des projets, ne sont pas seulement discutables
au regard du principe de subsidiarité, mais également peu
opportuns dans une période où les Etats membres sont durablement
engagés, dans le cadre du processus d'union économique et
monétaire, dans un effort d'économies budgétaires.
Maîtrise des dépenses à l'échelon national, gestion
dispendieuse à l'échelon communautaire : un tel
schéma traduirait fort mal le principe de subsidiarité !
Bien au contraire, la Communauté se doit, dans l'esprit de ce principe,
de faire preuve d'au moins autant de rigueur que les Etats membres.
Il serait à tout le moins nécessaire, dans cette optique, que le
Gouvernement s'oppose désormais à tout programme d'action
fondé sur l'article 235 du Traité ; cet article
demandant l'unanimité des Etats membres, une telle attitude suffirait
à éviter le lancement des programmes dont l'utilité et la
conformité au principe de subsidiarité sont les plus incertaines,
puisqu'ils ne peuvent s'appuyer sur une disposition précise des
Traités et qu'aucun d'eux ne peut passer pour être
nécessaire au fonctionnement du marché commun.
b) Réformer la politique de cohésion
La politique de cohésion s'est développée
sans prendre en compte le principe de subsidiarité. Sa gestion actuelle
entraîne l'approbation par la Commission européenne d'une
multitude de programmes répondant à six principaux objectifs et
couvrant au total une très grande proportion du territoire
communautaire :
ainsi la politique d'aménagement du territoire
se trouve-t-elle de fait partiellement transférée à un
échelon plus éloigné du " terrain ".
Le degré élevé de centralisation de la politique de
cohésion (malgré les progrès enregistrés lors de la
réforme de 1993) ne semble pas, par ailleurs, être un facteur
d'efficacité incontestable, puisque l'augmentation considérable
des moyens de la politique de cohésion depuis 1988 a eu des effets
très inégaux selon les pays
(10(
*
))
.
De plus, la politique de cohésion revient à faire intervenir la
Communauté, par ses décisions de cofinancement, dans un grand
nombre de domaines où elle n'a normalement que des compétences
résiduelles ou très délimitées : culture,
environnement, aménagement rural, politique industrielle... Le principe
de subsidiarité se trouve ainsi contourné.
Dans l'optique de l'élargissement de l'Union, la politique de
cohésion devra nécessairement être revue. Les pays
associés d'Europe centrale et orientale, compte tenu de leur niveau de
développement, sont appelés à bénéficier
tout particulièrement de l'effort de cohésion. Une extension
à ces pays des aides structurelles sans réforme de celles-ci
provoquerait une hausse de 60 % des dépenses qui pèserait
lourdement sur le budget des pays contributeurs. La révision des
perspectives financières de l'Union qui interviendra en 1999 devra donc
comprendre une réforme de la politique de cohésion : pour
votre rapporteur, une telle réforme devrait principalement se traduire
par une meilleure prise en compte du principe de subsidiarité, de
manière à maîtriser les dépenses et à
rapprocher des citoyens des centres de décision.
Mme Monika Wulf-Mathies, chargée des politiques régionales
au sein de la Commission européenne, s'est elle-même
prononcée, dans le cadre de la préparation du Conseil
européen de Madrid, en faveur d'une "
réforme
approfondie
" des politiques structurelles après 1999, qui
serait "
fondée sur une concentration géographique et
thématique des activités
" en vue d'aboutir à un
système "
plus efficace, mieux géré, et soumis
à une meilleure discipline "
(11(
*
)).
Lorsqu'elle a examiné, au début de l'année, le rapport de
M. Denis Badré sur l'élargissement à l'Est, la
Délégation du Sénat a approuvé ce principe de
concentration des aides et souhaité qu'après 1999 les aides
visent un petit nombre d'objectifs précis et, sauf le cas de certains
grands projets structurants, soient réservées aux régions
en retard de développement (actuel objectif 1).
On obtiendrait
ainsi une restitution partielle de compétences aux Etats membres en
matière d'aménagement du territoire, la Commission
européenne étant là, en tout état de cause, pour
faire respecter la loyauté de la concurrence dans le marché
unique.
D. LA SUBSIDIARITE DANS LA CONFERENCE INTERGOUVERNEMENTALE
Bon nombre des propositions qui précèdent ne
demandent pas de modification des Traités. Il serait possible en
principe, dans le cadre actuel, d'améliorer l'examen de la
subsidiarité par le Conseil, de recentrer les travaux de la Commission,
et même de regrouper et simplifier les fonds structurels (le
Traité en prévoit explicitement la possibilité). Mais pour
que le principe de subsidiarité soit mieux appliqué, il est en
réalité indispensable que les institutions européennes
reçoivent en ce sens un " signal " politique de valeur
durable.
La Conférence intergouvernementale en cours est seule en
mesure de jouer pleinement ce rôle.
La CIG a déjà abordé à plusieurs reprises la
question de la subsidiarité. Comme on pouvait s'y attendre, les
échanges de vue ont fait ressurgir les clivages qui étaient
apparus en 1992 : la Commission européenne craint pour ses propres
pouvoirs, tandis que les Etats membres fortement bénéficiaires
des interventions communautaires -les pays méditerranéens et
l'Irlande- s'opposent aux propositions tendant à une application plus
effective du principe de subsidiarité, y voyant le risque d'une remise
en cause de certaines de ces interventions.
1. La proposition de la présidence irlandaise
Dans ce cadre, la présidence irlandaise a
proposé que soient intégrées au Traité les
dispositions de la déclaration d'Edimbourg de 1992 et de l'accord
interinstitutionnel de 1993.
Votre rapporteur a souligné plus haut que ces textes, loin de garantir
l'application du principe de subsidiarité, tendaient à le
neutraliser en pratique. Leur inscription dans le Traité ne
constituerait donc pas un progrès, mais plutôt un recul :
dans les faits, aucune amélioration ne pourrait en découler,
puisque les comportements actuels seraient confirmés ; mais, sur le
plan du droit, on assisterait à une régression, car l'absence de
véritable contrôle sur l'application de la subsidiarité
recevrait une confirmation juridique.
Votre rapporteur estime donc que le Gouvernement doit s'opposer à
cette proposition de la présidence irlandaise.
2. Les propositions de l'Allemagne et de la Grande-Bretagne
Deux Etats membres, ont par ailleurs, officiellement
présenté des propositions à la CIG au sujet de la
subsidiarité : il s'agit de l'Allemagne et de la Grande-Bretagne.
Ces deux textes figurent en annexe au présent rapport.
Pour votre rapporteur, quel que soit l'intérêt de la contribution
britannique, qui tend avant tout à préciser la signification du
principe de subsidiarité,
c'est la proposition
présentée par l'Allemagne qui répond le mieux aux
problèmes qu'a rencontrés jusqu'à présent
l'application de ce principe
.
La proposition allemande, tout d'abord, a le mérite de clarifier la
notion de " compétence exclusive de la Communauté ".
Lorsque l'on est en présence d'une compétence exlusive,
rappelons-le, le principe de subsidiarité ne s'applique pas : pour
que ce dernier reçoive toute sa portée, il convient donc
d'adopter une définition clairement limitative de ce qu'est une
compétence exclusive.
La proposition allemande précise à cet égard que :
"
La Communauté dispose de la compétence exclusive
lorsqu'elle est seule autorisée à agir aux termes du
Traité et que les Etats membres n'ont aucune compétence pour
agir
". En d'autres termes, il y a compétence exclusive de la
Communauté lorsque le Traité lui-même dessaisit les Etats
membres. Le critère ainsi proposé a l'avantage de donner de la
notion de compétence exclusive une interprétation simple et
claire, et en même temps la plus favorable possible à
l'application du principe de subsidiarité.
La proposition allemande tend également à préciser la
signification du deuxième alinéa de l'article 3 B. Cet
alinéa dispose qu'une intervention de la Communauté n'est
légitime que si elle poursuit des objectifs qui ne peuvent être
" suffisamment réalisés " par les Etats membres et
peuvent être " mieux réalisés " à
l'échelon communautaire.
La proposition allemande suggère notamment de préciser que la
Communauté ne doit intervenir que si des mesures au niveau des Etats
membres, "
y compris une coopération entre certains Etats
membres
", ont des effets "
nettement
inférieurs
" à ceux d'une intervention communautaire.
Enfin et surtout, la proposition allemande tend à rendre possible un
examen préalable de la subsidiarité par le Conseil. Lorsque
celui-ci est saisi d'une proposition de la Commission européenne :
"
Tout Etat membre peut demander que la compatibilité d'une
proposition avec l'article 3 B
, deuxième alinéa, du
traité instituant la Communauté européenne
fasse
l'objet d'un débat au sein du Conseil
. Le Conseil et la Commission
tirent de ce débat les conclusions appropriées qui pourront
prévoir un complément de la proposition ou la suspension de son
examen ".
Au total, l'adoption du texte présenté par l'Allemagne
constituerait un progrès considérable sur deux points :
- il clarifierait la signification du principe de subsidiarité en lui
donnant toute sa portée ;
- il permettrait que le respect de la subsidiarité soit effectivement
examiné par le Conseil.
Votre rapporteur suggère donc que le Gouvernement appuie cette
proposition de l'Allemagne.
3. L'attitude de la France
Lors des débats de la CIG portant sur la
subsidiarité, la France a principalement mis l'accent sur l'expression
collective des Parlements nationaux, dans le cadre d'une COSAC renforcée
qui recevrait un rôle consultatif dans ce domaine.
Votre rapporteur, qui a déjà souligné l'importance
qu'il attachait à cette proposition, souhaite que le Gouvernement
poursuive ses efforts pour la faire accepter par la CIG.
EXAMEN DU RAPPORT
I. DEBAT D'ORIENTATION DU 27 JUIN 1996
Le 27 juin 1996, sous la présidence de
M. Jacques Genton, la délégation a procédé
à un échange de vues dans la perspective de l'élaboration
du présent rapport.
M. Christian de La Malène a estimé qu'une réflexion sur le
principe de subsidiarité était nécessaire dans l'optique
de la Conférence intergouvernementale et, à plus long terme, dans
celle de l'élargissement de l'Union.
Il a tout d'abord rappelé la signification du principe de
subsidiarité. Celui-ci, a-t-il relevé, comprend trois aspects :
tout d'abord, les compétences et les pouvoirs de la Communauté
doivent être interprétés strictement ; ensuite, sauf
dans les domaines où elle dispose d'une compétence exclusive, la
Communauté ne peut intervenir que si les Etats membres, seuls ou en
coopération, ne peuvent pas suffisamment réaliser l'objectif
poursuivi, et si la Communauté est mieux placée que les Etats
membres pour atteindre cet objectif ; enfin, la Communauté doit agir par
les moyens les moins lourds et les moins contraignants possibles, compte tenu
des objectifs poursuivis ; lorsqu'elle intervient, la Communauté ne doit
pas se substituer aux Etats, mais compléter leur action.
Il a souligné que le principe de subsidiarité laissait une marge
d'appréciation très importante. Ainsi, il est difficile de dire
ce qu'est la " réalisation suffisante " d'un objectif,
d'autant que les objectifs de la Communauté sont parfois définis
par le Traité en termes très vagues, par exemple
" l'épanouissement des cultures des Etats membres ", le
" développement d'une éducation de qualité ", ou
encore " un niveau élevé de protection de la santé
humaine ". De même, une marge d'appréciation importante
existe sur la notion de " compétence exclusive ". Plusieurs
interprétations de celle-ci sont possibles : certes, il existe un
" noyau dur " de compétences exclusives que personne ne
conteste, celles pour lesquelles le Traité prévoit que la
Communauté doit agir en se substituant aux Etats membres : il en est
ainsi lorsque la Communauté fixe les captures autorisées pour la
pêche, ou qu'elle conclut des accords commerciaux ; mais, dès lors
que l'on dépasse ce " noyau dur ", apparaît une
controverse juridique sur l'extension exacte des compétences exclusives,
dont, par exemple, la Commission européenne a une interprétation
assez large.
Ainsi, a-t-il poursuivi, le principe de subsidiarité est une orientation
politique claire, mais sa portée exacte est imprécise : tout
dépend de la manière dont il est appliqué. Il s'agit d'un
principe plus politique que juridique.
Puis, M. Christian de La Malène a abordé l'application du
principe de subsidiarité. Il a tout d'abord rappelé qu'en 1992 la
Communauté s'était posé le problème du
contrôle de ce principe, et que ce débat s'était conclu par
la décision du Conseil européen d'Edimbourg.
Schématiquement, deux tendances s'opposaient : d'un côté,
se trouvaient la Grande-Bretagne et le Danemark, dont les Gouvernements
souhaitaient mettre en avant le principe de subsidiarité pour rassurer
leurs opinions publiques. De l'autre côté, l'on trouvait la
Commission européenne, le Parlement européen, et les Etats
fortement bénéficiaires des interventions de la
communauté, c'est-à-dire les pays méditerranéens et
l'Irlande : cette tendance souhaitait au contraire réduire au minimum la
portée pratique du principe de subsidiarité. La France et les
pays du Benelux étaient dans une position intermédiaire, mais
plus proches de cette deuxième tendance, tandis que l'Allemagne
était à certains égards plus proche de la première.
Ainsi, la balance penchait nettement en faveur d'une conception
" minimaliste " de l'application du principe de
subsidiarité,
et c'est une telle conception qui l'a emporté lors du Conseil
européen d'Edimbourg. La déclaration d'Edimbourg a retenu en
substance deux idées : d'une part, l'inscription du principe de
subsidiarité dans le Traité ne doit pas entraîner de
modification importante des pratiques communautaires, et, en particulier, le
respect de ce principe ne doit pas faire l'objet d'un contrôle
particulier ; d'autre part, il incombe à la Commission de faire preuve
de vigilance dans l'élaboration de ses propositions. Cette conception a
été confirmée par l' " accord
interinstitutionnel " intervenu entre la Commission, le Parlement et
le
Conseil des ministres en 1993. Finalement, les institutions communautaires se
sont donc mises d'accord pour donner au principe de subsidiarité la
valeur d'une déclaration d'intention sans véritable
conséquence pratique sur le fonctionnement de la Communauté.
M. Christian de La Malène a souligné que, depuis lors, le
principe de subsidiarité avait tenu une place réduite dans les
débats communautaires. Le Conseil européen s'est borné,
lors de chacune de ses réunions, à lui consacrer un paragraphe de
ses déclarations. La Commission européenne, quant à elle,
s'était engagée à mieux tenir compte du principe de
subsidiarité et à publier, chaque année, un rapport sur
son application. En pratique, elle s'est principalement attachée,
après le Conseil européen d'Edimbourg, à mener à
bien un travail de simplification et de codification de la législation
communautaire, exercice fort utile en lui-même, mais qui n'a qu'un
lointain rapport avec l'application du principe de subsidiarité. Enfin,
le Parlement européen n'est guère intervenu dans le débat
sur la subsidiarité que pour protester contre le retrait de certains
projets de la Commission, tel celui concernant les zoos. L' " accord
interinstitutionnel " de 1993 prévoyait un débat annuel du
Parlement européen sur la subsidiarité ; jusqu'à
présent, il n'a jamais eu lieu.
M. Christian de La Malène a ensuite estimé que le peu d'attention
portée au principe de subsidiarité s'était traduit par la
persistance des tendances antérieures à l'entrée en
vigueur de ce principe. Comme par le passé, a-t-il affirmé, la
Commission continue à présenter des propositions dans des
domaines où une action communautaire ne paraît pas indispensable,
par exemple le programme ARIANE d'encouragement à la lecture, le
programme RAPHAEL de protection du patrimoine, ou le programme KALEIDOSCOPE de
soutien à la création artistique. Les objectifs de ces
programmes, a--t-il poursuivi, sont louables, mais on peut douter que dans de
tels domaines la Communauté soit un meilleur échelon de
décision que les Etats. Comme ces actions communautaires sont
financées par prélèvement sur les budgets des Etats
membres, ce type d'action revient à faire gérer une partie des
moyens disponibles par un échelon plus éloigné des
citoyens, ce qui va à l'opposé du principe de
subsidiarité. Il en est de même du programme communautaire de
sensibilisation pour favoriser la prévention du SIDA, et du programme
communautaire de prévention de la toxicomanie : les objectifs de
ces programmes ne sont pas en cause, mais les crédits seraient
vraisemblablement mieux gérés par des acteurs plus près du
terrain. Il en est également de même du programme
" Pauvreté " qui entend lutter à l'échelon
communautaire contre l'exclusion, alors que l'échelon national ou local
paraît au moins aussi approprié pour mener des actions de ce type.
Par ces différents programmes portant sur la culture, la santé,
l'exclusion, la Commission semble chercher à améliorer l'image de
la Communauté bien plutôt que de viser à
l'efficacité. De même, bien que la Communauté ne soit pas
compétente en matière de tourisme ou de protection civile, la
Commission persiste à proposer des programmes d'action dans ces domaines.
M. Christian de La Malène a cité ensuite le cas des services
publics : alors que les Etats membres paraissent le meilleur échelon
pour définir les missions de service public, les directives
adoptées ou en discussion sur les télécommunications, les
services postaux, l'électricité, reviennent à faire
définir par la Communauté les missions du " service
universel ". Même l'aspect tatillon de la législation
communautaire, a-t-il poursuivi, n'est pas réellement remis en cause :
des règlements ont été pris ou vont l'être sur
l'étiquetage des chaussures, le rendement des
réfrigérateurs, la béquille des motos, le limitateur de
vitesse des tracteurs agricoles. Cette tendance à réglementer les
moindres détails n'est pas le problème le plus grave, mais cela
traduit le maintien de comportements que le principe de subsidiarité
était destiné à remettre en cause.
Puis il a souligné que les propositions d'interventions très
variées de la Commission européenne sous la forme de programmes
d'action avaient été, dans l'ensemble, bien accueillies par les
autres institutions communautaires. Les réserves du Parlement
européen consistent plutôt, en règle
générale, à regretter que ces programmes n'aillent pas
plus loin ; quant au Conseil, son attitude a été
généralement d'approuver les programmes proposés, mais
d'en réduire les dotations. Dans un seul cas, le Conseil a refusé
un de ces programmes d'action : il s'agissait du programme
" Pauvreté ", bloqué par l'Allemagne qui
considérait que ce type d'action était de la compétence de
ses Länder. Néanmoins, la Commission a pu commencer à mettre
en oeuvre ce programme, car le Parlement européen, qui a le dernier mot
sur les dépenses non obligatoires, avait dégagé des
crédits à cet effet.
Ainsi, a-t-il conclu, comme il n'existe pas de contre-pouvoirs au sein des
institutions européennes, le respect du principe de subsidiarité
n'est pas garanti, et la conséquence concrète de cette situation
est qu'il n'est pas mieux assuré qu'avant son inscription dans le
Traité.
M. Christian de La Malène a jugé que cette situation était
préoccupante. Lorsque les Etats s'associent pour constituer une
fédération, une confédération, ou une forme
intermédiaire de groupement, ils mettent en commun des
compétences portant sur des domaines fondamentaux : relations
extérieures, défense, monnaie, et ils laissent aux Etats membres
une grande autonomie dans les domaines où s'expriment les
identités de ceux-ci. Or, les Etats membres n'ont pas jusqu'à
présent réussi à mettre en commun les compétences
portant sur les domaines fondamentaux, tandis que les interventions
européennes se sont largement développées dans les autres
domaines, suscitant un malaise au sein des opinions publiques. L'Union
européenne apparaît ainsi comme une pyramide inversée,
où les Etats conservent les compétences qu'ils auraient
normalement le plus intérêt à mettre en commun, et ont
perdu des compétences qu'il n'était pas nécessaire de
transférer à la Communauté. Au contraire, la construction
européenne devrait être conçue de manière à
préserver les identités nationales : son objectif n'est pas de
créer un " homo europeanus " par disparition de la
diversité des cultures européennes.
Estimant au total qu'une meilleure application du principe de
subsidiarité pouvait apparaître comme un début de
remède à cette déviation de la construction
européenne, il a plaidé en faveur de la proposition faite par le
Gouvernement dans le cadre de la Conférence intergouvernementale de
créer un " haut conseil parlementaire de la
subsidiarité " à caractère consultatif, qui
permettrait aux Parlements nationaux de contribuer collectivement à
veiller à un meilleur respect du principe de subsidiarité.
Terminant son propos, M. Christian de La Malène a relevé que
certains avaient estimé que l'affaire de l'épizootie
d'encéphalite spongiforme bovine devait conduire à une certaine
remise en cause du principe de subsidiarité. Après avoir
rappelé les dispositions du Traité concernant la libre
circulation des marchandises et la politique agricole commune, il a
souligné que la Communauté disposait en réalité des
pouvoirs nécessaires pour faire face à ce problème et que
ces pouvoirs n'avaient en l'occurrence jamais été
contestés au nom de la subsidiarité. Si la Communauté a
réagi avec retard, c'est parce qu'elle avait, semble-t-il, tendance
à privilégier le principe de libre circulation sur d'autres
considérations. Précisant qu'il ne s'agissait pas pour lui de
mettre en cause la responsabilité de tel ou tel dans cette crise, il a
estimé qu'en tout état de cause celle-ci n'avait aucun rapport
avec le principe de subsidiarité, le problème posé par la
gestion de l'ESB ne résidant pas dans une insuffisance des pouvoirs de
la Communauté, mais dans l'usage qui avait été fait de
ceux-ci.
M. Jacques Genton, président, a estimé que certaines des
propositions de la Commission relevaient d'un fédéralisme
anticipé. Il a rappelé que, pour Robert Schuman, la construction
européenne ne devait pas chercher à harmoniser ce qui fait la vie
quotidienne des citoyens.
M. Pierre Fauchon s'est félicité que la communication ait
mentionné les différents aspects du problème posé
par le principe de subsidiarité. L'accent mis sur celui-ci est parfois
l'habillage de convictions anti-européennes qui n'osent pas s'affirmer.
Or le problème de la subsidiarité comporte plusieurs
dimensions : il doit certes conduire l'Union européenne à
éviter un interventionnisme excessif, mais il doit également la
conduire à développer ses compétences dans des domaines
essentiels, tels que la défense, les relations extérieures, la
monnaie, pour lesquels les Etats ne sont plus à la hauteur des
problèmes.
Puis M. Pierre Fauchon a estimé que la question de l'application du
principe de subsidiarité devait être abordée en tenant
compte des exigences de chaque domaine d'action. Dans le domaine de la
consommation, les réglementations communautaires sont certes nombreuses,
mais il s'agit là d'une nécessité pour le bon
fonctionnement du marché unique. Par ailleurs, l'application des
décisions européennes sur le terrain suppose des moyens
d'exécution et de contrôle : les refuser à la
Communauté au nom de la subsidiarité empêcherait l'action
communautaire d'être efficace. De même, il serait nécessaire
de créer un corps communautaire de douaniers, chaque Etat membre ayant
tendance à n'exercer les contrôles que sur les marchandises
destinées à son proche marché : ainsi, les
contrôles dans le port de Rotterdam sur les marchandises destinées
à être réexpédiées sont-ils parfois
superficiels, sans que les autres Etats membres puissent y remédier. De
même encore, la lutte contre le terrorisme et le trafic de drogue, dans
les conditions actuelles, n'est pas d'une efficacité suffisante.
M. Philippe François a indiqué que des douaniers français
participaient aux contrôles dans le port de Rotterdam, et a estimé
que la coopération entre Etats membres en matière de lutte contre
le terrorisme avait fait la preuve de son efficacité.
M. Pierre Fauchon s'est déclaré persuadé qu'il n'y aurait
de réelle efficacité dans ce domaine que par la mise en place
d'un système unifié. Il a ensuite précisé qu'il
partageait les doutes émis par M. Christian de
La Malène sur certains programmes d'action communautaire concernant
la culture, tout en soulignant que, par exemple, le programme Erasmus visant
à stimuler les échanges d'étudiants entre
universités européennes était d'un intérêt
indéniable. De même, a-t-il poursuivi, la Communauté n'est
sans doute pas très bien placée en ce qui concerne la
sensibilisation au risque du SIDA ; mais elle peut, en revanche, se
montrer utile dans le domaine de la recherche sur le traitement de cette
maladie. L'intérêt principal du principe de subsidiarité
devrait être de réorienter l'action de la Communauté vers
les grands domaines et les types d'intervention où elle se montre la
plus utile et la plus efficace.
M. Jacques Genton a rappelé que la délégation avait eu
l'occasion d'appuyer le développement du programme Erasmus lors des
débats budgétaires.
II. DEBAT DU 23 OCTOBRE 1996
La délégation s'est réunie le
23 octobre pour l'examen du présent rapport.
M. Christian de La Malène a tout d'abord analysé la signification
du principe de subsidiarité. Selon ce principe, a-t-il souligné,
la Communauté ne doit faire que ce que les Etats membres,
individuellement ou en coopération, ne peuvent pas faire. Le
problème de la subsidiarité concerne donc avant tout le partage
des compétences. Face à une proposition de la Commission
européenne, il convient d'abord de se demander si la Communauté
doit ou non intervenir ; ce n'est qu'ensuite que se pose le
problème des modalités de cette intervention.
Ce deuxième aspect, a-t-il poursuivi, a certes son importance. Dans
l'esprit de la subsidiarité, les interventions communautaires ne doivent
pas être inutilement contraignantes : chaque fois que possible, il
faut choisir le moyen le moins lourd, celui qui laisse la plus grande marge de
liberté aux Etats membres. Mais cet aspect du problème n'est pas
en réalité le plus important : lorsque la
réglementation communautaire paraît tatillonne, c'est souvent
parce qu'il a fallu faire la synthèse de réglementations
nationales elles-mêmes complexes et détaillées ; or,
du moins dans le domaine économique, mieux vaut une seule
réglementation communautaire, même trop minutieuse, plutôt
que quinze réglementations nationales qui ont, de toute manière,
également ce défaut.
M. Christian de La Malène a estimé que l'objectif essentiel du
principe de subsidiarité était de limiter les interventions de la
Communauté aux cas où l'action des Etats membres,
séparément ou en coopération, ne permet manifestement pas
d'atteindre le but recherché en commun. Cette orientation, a-t-il
souligné, répond à un souci de démocratie et
d'efficacité, car tout transfert d'une décision à la
Communauté implique le recours à une procédure lourde,
contraignante, éloignée du terrain, et surtout difficile à
contrôler et à évaluer.
S'il est dans la vocation de la Communauté d'être un bon
échelon de conception, elle est rarement un bon échelon de
gestion. Les interventions communautaires les plus critiquables, du point de
vue de la subsidiarité, sont donc généralement les
programmes d'action par lesquels la Communauté finance ou cofinance les
actions les plus diverses. La Communauté est dans son rôle
lorsqu'elle élabore la législation du marché
intérieur -même s'il faut éviter qu'elle aille plus loin
que nécessaire dans le détail-, car le besoin de normes communes
appelle l'intervention de la Communauté. En revanche, lorsque la
Communauté veut agir par elle-même, mettre en oeuvre des
programmes, elle risque souvent d'être moins efficace que les Etats ou
que la coopération entre Etats.
Prenant l'exemple de la recherche, M. Christian de La Malène a ainsi
estimé que la Communauté se devait d'intervenir pour
définir des priorités communes et inciter les Etats membres
à coopérer pour les mettre en oeuvre, mais qu'il n'était
pas souhaitable qu'elle gère elle-même l'effort de recherche.
Enfin, le rapporteur a souligné que le principe de subsidiarité
ne permettait pas de définir des domaines, par exemple la culture,
où une intervention de la Communauté serait par nature exclue, la
frontière passant en réalité à l'intérieur
de chaque domaine. Ainsi, dans le domaine de la culture, certaines
interventions de la Communauté sont indispensables, par exemple pour
préciser les règles concernant la libre circulation des objets
d'art ou pour harmoniser les règles concernant le droit d'auteur. En
revanche, il n'est pas nécessaire que la Communauté lance des
programmes pour encourager la promotion du livre ou protéger le
patrimoine : dans l'optique de la subsidiarité, la
Communauté devrait donc s'abstenir de ce type d'intervention.
La subsidiarité, a-t-il poursuivi, est fondamentalement une orientation
politique, qui donne la priorité, la compétence de droit commun,
aux Etats membres. Ceux-ci doivent être présumés
compétents ; c'est seulement s'ils ne peuvent pas réaliser
convenablement un objectif que la Communauté doit prendre le relais.
Puis, M. Christian de La Malène a indiqué que son rapport
montrait que le principe de subsidiarité était loin d'être
pleinement respecté.
Il a souligné l'absence de volonté commune aux Etats membres pour
appliquer véritablement ce principe. Les débats qui ont eu lieu
en 1992 et 1993, a-t-il poursuivi, ont montré au contraire que certains
Etats étaient très réticents à cet égard,
notamment ceux qui bénéficient particulièrement des
subventions communautaires au titre d'actions menées dans les domaines
les plus variés. Ces pays craignent qu'une application plus stricte de
la subsidiarité ne se traduise pas une remise en cause de certaines de
ces subventions et ont donc tendance à militer, aux côtés
de la Commission et du Parlement européen, pour que le principe de
subsidiarité reste une référence générale
sans véritable conséquence. Cette situation explique que la
déclaration adoptée lors du Conseil européen d'Edimbourg,
en 1992, et " l'accord interinstitutionnel " conclu en 1993
ne
prévoient aucune forme de contrôle de la subsidiarité, et
excluent même que le Conseil puisse tenir des débats
spécifiquement consacrés à des problèmes de
subsidiarité.
Les mêmes tendances, a estimé le rapporteur, se retrouvent
aujourd'hui dans la Conférence intergouvernementale et conduisent
certains pays à demander que la déclaration d'Edimbourg et
" l'accord interinstitutionnel " soient intégrés au
Traité. Or, il est clair que si ces textes, qui ne permettent pas au
Conseil d'avoir des débats spécifiques sur la
subsidiarité, étaient intégrés au Traité, il
serait difficile d'espérer un progrès sur l'application du
principe de subsidiarité.
Le rapporteur a également estimé que le fonctionnement actuel des
institutions européennes n'était pas de nature à permettre
l'application du principe de subsidiarité, aucune institution
n'étant véritablement incitée à respecter ce
principe, et aucun contrepoids ne jouant pour favoriser ce respect.
Passant aux propositions présentées dans le rapport, M. Christian
de La Malène a souligné la nécessité d'une
réflexion sur l'avenir des fonds structurels dans la perspective de la
révision des perspectives financières, en 1999, et dans la
perspective de l'élargissement à l'Est. Les politiques
menées dans le cadre des fonds structurels, a-t-il estimé,
enlèvent une partie de sa portée au principe de
subsidiarité, puisque la Communauté peut intervenir par ce biais
pour financer pratiquement n'importe quel type de projet. Par ailleurs, les
fonds structurels ont pour conséquence que la politique
d'aménagement du territoire est principalement arrêtée
à l'échelon communautaire, ce qui revient à
éloigner la décision du " terrain ". Dans une optique
de subsidiarité, mieux vaudrait concentrer les actions structurelles de
la Communauté sur les seules régions relevant de l'effort de
cohésion, en regroupant les actions autour d'un nombre réduit
d'objectifs.
Au sujet de l'aspect institutionnel, il a présenté un projet de
conclusions mettant l'accent sur trois points :
- les inconvénients d'une inscription dans le Traité des
dispositions de la déclaration d'Edimbourg de 1992 et de " l'accord
interinstitutionnel " de 1993 ;
- la nécessité d'une expression collective des parlements
nationaux au sujet de la subsidiarité, dans le cadre d'une COSAC
renforcée ;
- le soutien au projet de protocole présenté par l'Allemagne,
dans le cadre de la CIG, qui tend à clarifier la signification du
principe de subsidiarité et prévoit que le Conseil examinera si
une proposition de la Commission européenne respecte la
subsidiarité dès lors qu'un Etat en fera la demande.
M. Michel Caldaguès a approuvé les orientations du rapport et
s'est félicité de la clarté des conclusions
proposées. Il a relevé toutefois qu'une limitation des fonds
structurels aux régions de l'objectif 1 aboutirait de fait, dans le
cas de la France, à introduire une différence de régime
entre les départements d'outre-mer (DOM), qui seraient alors les seuls
bénéficiaires, et la métropole, ce qui présenterait
peut-être certains inconvénients.
M. Jacques Genton a rappelé qu'aujourd'hui deux zones
métropolitaines bénéficiaient également de
l'objectif 1 : la Corse et le Hainaut français. Il a toutefois
jugé peu probable que cette situation perdure après la
révision de 1999.
M. Christian de La Malène a précisé que, dans l'optique de
la subsidiarité, il lui paraissait nécessaire de concentrer
l'action structurelle autour de l'effort de cohésion, avec un nombre
réduit d'objectifs, de manière à concourir plus
efficacement au développement des zones concernées. Dans le cas
de la France, a-t-il estimé, seuls les DOM paraissent appelés
à relever de la politique de cohésion après 1999.
M. Jacques Genton a fait état des réserves exprimées par
écrit par M. Pierre Fauchon, précisant que ce dernier
regrettait qu'une seule séance soit consacrée à l'examen
du projet de rapport et estimait que l'élaboration de celui-ci n'avait
pas été accompagnée d'une concertation suffisante au sein
de la délégation. Pour M. Pierre Fauchon, le principe de
subsidiarité a non seulement un versant négatif, mais aussi, en
se plaçant sur un terrain politique, un versant positif justifiant le
développement des compétences communautaires. M. Pierre
Fauchon ne peut donc approuver l'orientation générale du rapport,
marquée par une conception à ses yeux trop négative de la
subsidiarité.
M. Christian de La Malène a tout d'abord rappelé que la
délégation avait tenu un débat d'orientation pour la
préparation du rapport, le 27 juin, auquel M. Pierre Fauchon
avait participé ; il a ajouté que le projet de rapport avait
été adressé à tous les membres de la
délégation deux semaines avant son examen. Revenant ensuite sur
la signification du principe de subsidiarité, il a indiqué que ce
principe, considéré du point de vue philosophique ou
théologique, pouvait donner lieu à plusieurs
interprétations, dont certaines lui accordent un versant positif
(l'obligation d'intervenir, pour l'autorité la plus
éloignée, en cas de carence de l'autorité la plus proche)
à côté de son versant négatif (la limitation des
interventions de l'autorité la plus éloignée). Mais,
a-t-il poursuivi, tel qu'il figure à l'article 3 B du
Traité, c'est-à-dire comme principe appartenant au droit positif,
le principe de subsidiarité est seulement un principe de limitation des
interventions communautaires ; la formulation retenue par le Traité
est en effet uniquement négative. Le jugement du Tribunal
constitutionnel allemand rendu au sujet du traité sur l'Union
européenne confirme, a-t-il ajouté, cette interprétation.
Il n'est pas contradictoire avec le principe de subsidiarité, a-t-il
précisé, de plaider pour un renforcement de certaines
compétences de l'Union, mais on ne peut s'appuyer sur le principe de
subsidiarité tel qu'il figure dans le Traité pour justifier un
tel renforcement.
M. Michel Caldaguès s'est associé à la réponse du
rapporteur, faisant valoir que l'extension éventuelle des
compétences de l'Union était du ressort de la Conférence
intergouvernementale en cours, mais qu'elle ne pouvait être une
conséquence du principe de subsidiarité tel qu'il est inscrit en
l'état dans le Traité sur l'Union européenne.
M. Jacques Genton, revenant sur les conclusion proposées par le
rapporteur, a relevé qu'elles tendaient à soutenir un texte
proposé par le Gouvernement allemand pour préciser les conditions
d'application de l'article 3 B du Traité. Il a estimé que ce
texte reflétait les positions défendues traditionnellement par le
Bundesrat, garant des droits des Länder dans le système allemand.
M. Christian de La Malène a indiqué que l'Allemagne, du fait
d'une organisation fédérale enracinée dans son histoire,
était le seul Etat membre de l'Union à avoir une culture et une
pratique de la subsidiarité, et, de ce fait, se trouvait aussi souvent
le seul à essayer de faire jouer ce principe à l'échelon
de l'Union.
Puis la délégation a adopté le présent rapport.
CONCLUSIONS ADOPTEES LE 23 OCTOBRE 1996
La délégation du Sénat pour l'Union
européenne,
Considérant qu'une pleine application de l'article 3 B du
Traité, loin de compromettre la construction européenne,
renforcerait sa légitimité,
Considérant que le fonctionnement actuel des institutions de l'Union ne
garantit pas suffisamment la mise en oeuvre de l'article 3 B,
Invite le Gouvernement, dans le cadre de Conférence
intergouvernementale :
- à s'opposer à l'inscription dans le Traité des
dispositions de la déclaration d'Edimbourg de 1992 et de l'accord
institutionnel de 1993 sur la subsidiarité, ces textes n'assurant pas la
possibilité d'un contrôle effectif du respect de
l'article 3 B ;
- à soutenir le projet de protocole relatif à l'application du
principe de subsidiarité, présenté le 30 août
1996 par la République fédérale d'Allemagne ;
- à maintenir fermement la proposition française d'assurer une
expression collective des Parlements nationaux sur la subsidiarité dans
le cadre d'une " COSAC renforcée " à caractère
consultatif.
ANNEXES
(1) Aux yeux de ceux-ci, l'introduction du principe de
subsidiarité était cohérente avec l'affirmation, dans le
projet de traité, de la " vocation fédérale " de
l'Union, affirmation que le Conseil européen de Maastricht a
décidé de retirer.
(2) Les conclusions adoptées à Athènes, le
4 décembre 1995, par le groupe parlementaire de réflexion,
précisent à leur point 7 :
" Le Traité doit prévoir que l'examen politique du respect
du principe de subsidiarité par les propositions d'acte communautaire
est confié à un organe représentatif des Parlements
nationaux, comme la COSAC, lorsqu'une ou plusieurs assemblées
parlementaires nationales estiment que ce principe n'est pas respecté.
" Le même organe doit avoir vocation à émettre un
avis sur le choix de l'instrument juridique le plus adéquat, directive
ou règlement ".
(3) L'analyse qui suit reprend, en la résumant, celle faite par
M. Michel Poniatowski dans son rapport de novembre 1992.
(4) Voir, en annexe, une traduction de ce texte.
(1) Voir : Koen Lenaerts et Patrick van Ypersele, " Le principe de
subsidiarité et son contexte : étude de l'article 3 B du
traité C.E. ",
Cahiers de droit européen,
1994
(n° 1-2), pp. 13-33.
(1) Les articles 138 B et 152 sont relatifs aux droits, respectivement, du
Parlement européen et du Conseil, de suggérer à la
Commission de présenter une proposition d'acte communautaire.
(5) Le Bundesrat allemand a pris position sur les rapports
présentés par la Commission européenne. Les critiques du
Bundesrat rejoignent sur plusieurs points les préoccupations de votre
rapporteur. On trouvera en annexe au présent rapport une traduction des
deux décisions du Bundesrat les plus récentes sur ce sujet.
(1) " Europe ", 2 octobre 1993.
(6) " Europe ", 18 septembre 1993.
(7) Club de Florence (préface de M. Jacques DELORS), éd.
Stock 1996.
(1) Certains commentateurs ont estimé que cet échec prouvait que
" l'Europe " était " sans volonté face à
l'exclusion ". Mais est-ce manquer de volonté que de
reconnaître que d'autres échelons sont plus appropriés pour
un type d'action ? Autant dire que l'Etat " manque de
volonté " en ce qui concerne le développement des chemins
vicinaux, dès lors qu'il considère qu'il s'agit là d'une
responsabilité des communes.
(8) P.J.C. Kapteyn " Community law and the principle of subsidiarity ", Revue des Affaires européennes, 1991, pp. 35-43.
(9) Voir le rapport n° 339 de M. Jacques Genton
sur le fonctionnement parlementaire du traité sur l'Union
européenne.
(10) Voir le rapport n° 228 (1995-1996) de M. Denis Badré
sur les conséquences économiques et budgétaires de
l'élargissement de l'Union aux PAECO, p. 35-36.
(11) Ibid.