B. LE RISQUE D'UN AFFRONTEMENT MILITAIRE DIRECT DANS LE BASSIN MÉDITERRANÉEN EST RENFORCÉ PAR LA DÉGRADATION DU CONTEXTE STRATÉGIQUE EN MÉDITERRANÉE ORIENTALE
1. La présence militaire turque à Chypre contribue au maintien d'un risque d'affrontement armé en Méditerranée orientale
a) Plus de quarante-cinq ans après l'intervention militaire de la Turquie, le règlement de la question chypriote reste entravé par l'absence de perspective de solution politique
Dès le XVI e siècle, la proximité de l'île de Chypre avec les côtes turques, la distance la plus courte de l'île avec le continent étant de 70 kilomètres seulement, a fait de ce territoire un point stratégique comme en atteste sa conquête par le sultan ottoman Selim II en 1571 pour sécuriser le port commercial de Mersin. Après avoir été cédée à la Couronne britannique en 1878, l'île a accédé à son indépendance en 1960. La Grèce, le Royaume-Uni et la Turquie se voit alors accordé le statut de « garant » de l'équilibre constitutionnel de l'île et le droit d'intervenir militairement pour défendre cet équilibre. Le rôle spécifique joué par les Britanniques dans l'Histoire de l'île justifie le maintien sur son territoire de la base aérienne d'Akrotiri et la base navale de Dhékélia gérées respectivement par la Royal Air Force et par la Royal Navy .
À partir des années 1950, la promotion par les nationalistes Grecs de l' Enosis (c'est-à-dire de la fusion de l'île avec la Grèce) est combattue par la Turquie. En particulier, le dirigeant turc Adnan Menderes promeut comme solution alternative celle de la partition de l'île ( Taksim ) et propose en 1957 à la Grèce et au Royaume-Uni un projet de division de l'île le long du 35 e parallèle 94 ( * ) . Les Britanniques ayant maintenu l'unité territoriale de l'île jusqu'à son indépendance, les années 1950 sont marquées à partir de 1958 par des affrontements intercommunautaires entre la communauté grecque qui représente 80% des habitants de l'île et la communauté turque qui en représente 20%. Ces affrontements violents justifieront l'intervention en 1963, sous mandat du Conseil de sécurité, des « casques bleus » des Nations unies pour une opération de maintien de la paix qui dure depuis plus de cinquante ans 95 ( * ) .
Le 15 juillet 1974, le coup d'État organisé par les Chypriotes grecs de l'EOKA ( Ethniki Organosis Kyprion Agöniston ) contre le président Makarios a donné lieu à partir du 20 juillet 1974 à l'intervention de l'armée turque, l'opération Attila, et à l'établissement par les Nations unies d'une zone tampon démilitarisée le long d'une ligne verte passant par la capitale Nicosie et stabilisée par la Force des Nations unies chargée du maintien de la paix à Chypre (UNFICYP). Depuis 1974, l'île est donc traversée par cette démarcation qui sépare la communauté grecque installée au sud de l'île et la communauté turque installée au nord de l'île sur un territoire qui représente 37% de sa superficie totale. Alors que la partie sud de l'île est administrée par les autorités de la République de Chypre, membre depuis le 1 er mai 2004 de l'Union européenne, la partie nord de l'île est occupée, depuis la proclamation du 15 novembre 1983, par l'autoproclamée « République turque de Chypre du Nord » (RTCN) qui n'est reconnue à l'échelle internationale que par la Turquie et dont la survie est subordonnée aux aides économiques turques dont elle est destinataire. Si au mitan des années 2000 la politique de rapprochement de la Turquie avec l'Union européenne a motivée l'adoption d'une attitude constructive des autorités de Chypre-Nord, le rejet par la communauté grecque de l'île lors du référendum organisé le 24 avril 2004 du projet de règlement des Nations unies, dit plan « Annan », qui prévoyait l'unification de l'île et l'établissement d'une confédération et qui a reçu une majorité favorable au sein de la communauté turque de l'île, a été suivi d'un durcissement de la position turque sur la question chypriote.
La question chypriote joue par ailleurs un rôle important dans la politique turque et dans sa stratégie extérieure. En premier lieu, sur le plan géographique, Chypre est appréhendée par les autorités turques depuis 1983 comme une île « qui perce le milieu de la Turquie comme un poignard » 96 ( * ) , selon l'expression utilisée par le premier ministre turc Turgut Özal. Cette image trouve son fondement dans le « syndrome de l'encerclement » diffusé en Turquie dans les années 1950 et selon lequel la présence turque à Chypre est un moyen essentiel de contrebalancer l'isolement de la Turquie aux confins du « lac grec » que constituerait la mer Égée. En deuxième lieu, sur le plan militaire, la Turquie s'appuie sur les infrastructures installées sur l'île qui joue un rôle de « porte-avion insubmersible » des forces armées turques qui y disposent de deux aérodromes à Pinarbasi et Geçitkale, situés respectivement au nord-ouest et au nord-est de Nicosie. La présence militaire turque sur l'île constitue donc non seulement un vecteur de protection de la minorité turque de l'île mais également un « glacis » qui rend difficile toute tentative d'offensive vers la Turquie depuis l'île. Enfin en troisième lieu, sur le plan politique, la question chypriote a été élevée au statut de « cause nationale » ( milî Dâva ) par les partis politiques turcs et elle fait partie des rares sujets consensuels au sein du paysage politique turc.
L'importance stratégique que représente Chypre-Nord pour la Turquie explique le fait que les autorités turques aient maintenu dans la partie nord de l'île, depuis les combats de 1974, 35 000 militaires stationnés sur un territoire de seulement 3 350 km 2 soit trois fois plus que le nombre de militaires des forces armées chypriotes, réunis dans une garde nationale qui compte seulement 12 000 militaires.
Source : FMES, 2022, Atlas stratégique de la Méditerranée et du Moyen-Orient, (c) P. Orcier
b) Le durcissement de la position de la Turquie vis-à-vis de Chypre participe de la dégradation de l'environnement stratégique en Méditerranée orientale
L'élection d'Ersin Tatar le 18 octobre 2020 comme nouveau dirigeant des autorités autoproclamées de Chypre-Nord est intervenue dans un contexte de réinvestissement de la question chypriote par le parti de la justice et du développement (AKP) au pouvoir en Turquie. Après avoir prôné une solution bicommunautaire sur le modèle fédéral belge, les autorités turques défendent désormais ouvertement une solution politique à deux États, en contradiction avec la position tenue par l'ensemble des membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies. Dans ce contexte, la réunion de négociation organisée à Genève du 27 au 29 avril 2021 dans le format « 5+1 » 97 ( * ) n'ont pas permis d'aboutir à des avancées sur le règlement diplomatique de la question chypriote.
Dans un environnement international où les États-Unis ont affirmé leur volonté de réintégrer la Turquie à la communauté atlantique et où le Royaume-Uni entretient ses relations avec la Turquie depuis sa sortie de l'Union européenne, le durcissement de la position turque à Chypre s'est traduite par « une série de faits accomplis territoriaux » 98 ( * ) consacrés par la visite au nord de l'île du président turc R. T. Erdogan le 20 juillet 2021 à l'occasion du 47 e anniversaire de l'intervention militaire turque à Chypre.
Sur le plan civil, E. Tatar a annoncé la seconde phase, après une première phase intervenue en 2019, de réouverture de la ville de Varosha, zone rattachée à l'agglomération de Famagouste anciennement habitée par des Chypriotes grecs forcés à l'exil, en contradiction avec les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies qui a notamment déclaré qu'il « considère inadmissibles les tentatives d'installation, dans une partie quelconque de Varosha, de personnes autres que les habitants de ce secteur » 99 ( * ) . La poursuite de ce plan de réouverture, dont l'objet est de faire de Varosha un lieu d'attractivité touristique à Chypre-Nord, est susceptible d'exacerber les tensions intercommunautaires sur l'île dans les années à venir.
Sur le plan militaire, l'hypothèse de l'ouverture d'une base navale turque à Chypre-Nord a fait l'objet d'études prospectives par des experts turcs et la Turquie a récemment renforcé sa présence militaire au nord de l'île en déployant des drones Bayraktar TB2 sur la base aérienne de Geçitkale. Ce renforcement de la présence militaire turque s'inscrit enfin dans un climat de tensions et de confusion alimenté par la Turquie à l'image des tirs dirigés par un navire turc contre des garde-côtes chypriotes en patrouille près du port de Kato Pyrgos le 16 juillet 2021.
2. Les tensions accumulées autour de la délimitation des espaces maritimes renforce le risque d'escalade militaire en Méditerranée orientale
a) La découverte de gisements gaziers en Méditerranée orientale a exacerbé les différends soulevés par le phénomène de territorialisation de la Méditerranée
La territorialisation des espaces maritimes, c'est-à-dire leur délimitation pour les placer sous l'autorité d'États souverains, est un phénomène ancien dont l'architecture actuelle repose essentiellement sur la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM) signé à Montego Bay le 10 décembre 1982 et entrée en vigueur le 16 novembre 1994. Aux termes de cette convention, les États disposent non seulement d'une mer territoriale pouvant s'étendre sur une distance allant jusqu'à 12 milles marins des côtes, mais également d'une « juridiction », c'est-à-dire de l'exclusivité pour exploiter les ressources naturelles de la surface, de la colonne d'eau, du sol et du sous-sol, sur une zone économique exclusive (ZEE) située entre les eaux territoriales et internationales et limitée, en l'absence d'autre rivage, par la ligne des 200 milles nautiques au-delà de la ligne de base.
Dès la signature de la Convention de Montego Bay dans les années 1980, un relatif consensus s'est dégagé sur le fait que l'espace méditerranéen n'était pas adapté, du fait de son exiguïté, aux règles de territorialisation prévues par le droit international, comme en témoigne la réserve de la majorité des États méditerranéens 100 ( * ) lorsque la Libye fit le choix de revendiquer publiquement sa souveraineté sur les eaux du golfe de Syrte en 1973. La délimitation des espaces maritimes dans le bassin méditerranée est perçue dès cette époque comme un facteur de « balkanisation de la Méditerranée » 101 ( * ) résultant d'une volonté d'appliquer en Méditerranée un droit de la mer inadaptable et inadapté à cet espace. La fragilité de l'architecture fixée par la Convention de Montego Bay en Méditerranée est encore renforcée par le fait que de nombreux pays riverains ne sont pas signataires de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, dont notamment Israël, la Turquie, la Syrie et la Libye qui ne sont pas liées par les dispositions de cette Convention.
Du fait des multiples chevauchements entre les ZEE qui résultent de l'application mécanique des règles de délimitation en Méditerranée, l'établissement de ZEE repose sur l'adoption d'accords bilatéraux par les États riverains concernés. En l'absence d'accord, les ZEE revendiquées par les États peuvent partiellement s'interpénétrer, ce qui donne lieu à la présence en Méditerranée de « zones grises » revendiquées par plusieurs pays, comme c'est par exemple le cas entre l'Algérie, l'Espagne et l'Italie en Méditerranée occidentale, qui nuisent à la sécurité juridique et opérationnelle des acteurs susceptibles d'intervenir dans ces espaces.
Plusieurs États riverains du bassin méditerranéen ont négocié des accords bilatéraux à partir des années 1990 pour fixer les délimitations entre leurs espaces maritimes, dont notamment l'accord de 2003 entre Chypre et l'Égypte sur la délimitation de leur ZEE, l'accord frontalier entre Chypre et le Liban adopté en 2007 avant d'être suspendu en 2010 ou encore l'accord de délimitation de la frontière maritime entre Chypre et Israël en 2010.
Parallèlement, le phénomène de territorialisation est renforcé dans le bassin levantin par l'affirmation de revendication croissante de la Turquie. Ces revendications s'appuient notamment sur la stratégie de la « Patrie bleue » ( Mavi Vatan ), consacrée par le président Erdogan en septembre 2019 et en application de laquelle la Turquie revendique un large espace de 462 000 km 2 autour de la péninsule anatolienne, en contradiction avec les droits souverains revendiqués par la Grèce et par Chypre. Développée au sein de l'administration militaire turque par les amiraux C. Gürdeniz, C. Yayci et S. Polat, la doctrine de la « Patrie bleue » est construite autour de l'idée que la vulnérabilité de l'Empire ottoman aurait résulté de son incapacité à devenir une puissance maritime et a pour objectif de faire de la Turquie une grande puissance maritime sur le plan militaire et économique en faisant émerger une « civilisation bleue » ( Mavi Uygarluk ) 102 ( * ) .
Dans le sillage de cette stratégie, la Turquie a progressivement durci ses positions en Méditerranée orientale et a notamment signé en septembre 2011 avec l'autoproclamée République turque de Chypre-Nord (RTCN) un accord de délimitation de leur frontière maritime servant de fondement à la revendication par Chypre-Nord de sa propre ZEE, non reconnue par les autorités de la République de Chypre, où la compagnie pétrolière turque TPAO a lancé des activités de forage. Plus récemment, les tensions en Méditerranée orientale ont été ravivées par la signature en novembre 2019 d'un accord entre la Turquie et le Gouvernement d'accord national (GNA) libyen relatif à la délimitation de leur frontière maritime commune. Cet accord, que la Commission européenne a dénoncé comme ayant « ignoré les droits souverains de la Grèce » et « porté atteinte aux droits souverains des États tiers » 103 ( * ) , non seulement ne reconnait pas les îles grecques de Rhodes, Karpathos et de Crète mais aurait également pour effet en cas d'application de créer une solution de continuité entre les espaces maritimes grecs et chypriotes. En réaction à l'adoption de cet accord, la Grèce a signé en août 2020 un accord avec l'Égypte relatif à leur frontière maritime qui délimite des ZEE pour la Grèce et l'Égypte qui chevauchent celles revendiquées par la Turquie et la Libye, en contradiction expresse avec les délimitations prévues par l'accord de novembre 2019 104 ( * ) . Ces différends portent atteinte à la stabilité de la zone et à l'exploitation de ces ressources naturelles, que les entreprises énergétiques poursuivent en faisant escorter leurs bâtiments par des navires militaires.
Enfin, la découverte depuis les années 2000 d'importantes réserves gazières dans le sous-sol méditerranéen a joué un rôle de catalyseur des tensions déjà existantes entre les pays riverains sur la question de la délimitation des espaces maritimes. La première séquence de découverte de ces gisements a été ouverte par la découverte en 1999 du gisement « Gaza Marine » au large des eaux territoriales de la bande de Gaza. Elle se poursuit avec les découvertes dans les années 2000 de gisements au large des côtes israéliennes dont notamment le gisement Léviathan en 2010 et dans les eaux chypriotes avec le gisement « Aphrodite » découvert en 2011. Une nouvelle séquence de découverte de gisements est engagée en 2015 par la découverte du champ gazier « Zohr » à 150 kilomètres des côtes égyptiennes. Ces réserves représentent dans leur ensemble une ressource limitée à l'échelle de la planète, avec 1% des réserves mondiales en gaz naturel et en pétrole, mais suffisamment importantes, avec 1,7 Md de barils de pétrole et 3 452 Md de mètres cube de gaz naturel, pour accentuer les enjeux et les différends relatifs à la fixation des délimitations des espaces maritimes.
Au-delà des revenus potentiels représentés par ces réserves énergétiques, la découverte de ces gisements gaziers représente un enjeu géostratégique majeur en matière de diversification des pays fournisseurs d'hydrocarbures, notamment en direction de l'Europe. Cet aspect soulève la question de la construction d'infrastructure pour acheminer vers l'Europe les ressources exploitées dans le bassin levantin. Les deux principales infrastructures envisageables sont soit de relier les gisements à la Turquie par le terminal de Ceyhan, soit de relier les gisements à la Grèce en passant par le sud de Chypre et par la Crète avec le projet de gazoduc de 2 000 kilomètres EastMed , dont certains tronçons seraient sous-marins. Malgré l'accord annoncé en janvier 2020 entre la Grèce, Chypre et Israël pour soutenir ce projet, et avant la fin des études de faisabilité prévue à la fin de l'année 2022, les États-Unis ont retiré au début de l'année 2022 leur soutien à la réalisation de cette infrastructure, en invoquant des incertitudes sur sa viabilité économique et la durée nécessaire à sa construction.
C'est dans ce contexte que, en janvier 2019, le premier « Forum du gaz en Méditerranée orientale » (EMGF) s'est tenu au Caire, avec le soutien des États-Unis et en présence des ministres de l'énergie de l'Égypte, de Chypre, de la Grèce, de l'Italie, d'Israël, de la Jordanie et de la Palestine. Depuis mars 2021, la France a intégré ce forum qui s'est constitué en organisation régionale depuis 2020. L'absence de la Turquie, de la Syrie et du Liban de cette organisation, ainsi que l'adhésion comme observateur des Émirats arabes unis en décembre 2020, illustre la dimension stratégique prise par les questions énergétiques en Méditerranée orientale qui explique la résurgence des différends et des tensions interétatiques qui contribue à la dégradation de l'environnement stratégique dans le bassin méditerranéen.
b) La multiplication des incidents maritimes alimente le risque de déclenchement d'un conflit militaire en Méditerranée orientale
L'intensification des tensions entre les pays riverains consécutive à la découverte des réserves en gaz dans le bassin levantin et au durcissement des positions de la Turquie s'est traduite par une militarisation croissante de la Méditerranée orientale qui induit une concentration des incidents maritimes dans cette zone au détriment de sa stabilité et de la sécurité collective 105 ( * ) .
Si dès 2008 des vaisseaux chypriotes avaient subi un épisode de harcèlement infligé par la flotte turque alors qu'ils effectuaient des missions de recherche d'hydrocarbure, ces incidents se sont multipliés depuis qu'en février 2018 le navire d'exploration « Saipem 12000 », affrété par la société italienne ENI, a été intercepté par des navires militaires turcs alors qu'il traversait des eaux revendiquées par Chypre-Nord en se rendant dans sa zone de travail, dite block 3 , au large de Chypre 106 ( * ) . De nouveaux incidents ont été répertoriés depuis dont notamment les violations en 2019 et 2020 des ZEE chypriotes et grecques par plusieurs navires turcs dont l' Oruç Reis , le Barbaros et le Yavuz 107 ( * ) . L'incident survenu le 10 juin 2020 avec l'illumination au large des côtes libyennes de la frégate française Courbet par des navires turcs est une autre illustration de la détermination de la Turquie à s'affirmer dans le bassin méditerranéen. Cette réaffirmation de la Turquie s'est à nouveau illustrée au début de l'année 2021 par l'organisation du 25 février au 7 mars de l'exercice « Mavi Vatan 2021 » au cours duquel les forces armées turques ont fait manoeuvrer en mer Égée et en Méditerranée 87 navires, 27 avions, 20 hélicoptères accompagnés de drones armés et non armés.
Conséquemment, la militarisation de la Méditerranée orientale est un des facteurs principaux d'escalade dans le bassin méditerranée comme l'illustre le fait que dans son Atlas stratégique 2022 , la Fondation méditerranéenne d'études stratégiques (FMES), dont le directeur général a été entendu par les rapporteures, a retenu comme hypothèse de conflit celui d'un conflit entre la Turquie et la Grèce et Chypre dans cette zone, qui pourrait être déclenché par la prise d'îlots grecs en mer Égée ou par des actions hostiles contre des navires de prospection gazière 108 ( * ) . Cette vulnérabilité potentielle de la Grèce face à l'attitude assertive de la Turquie rend nécessaire la consolidation des positions grecques et chypriotes de manière à décourager toute tentative de fait accompli de la part de la Turquie. L'exercice conjoint mené le 5 février 2022 en Méditerranée par le porte-avion Charles de Gaulle, le porte-aéronefs italien ITS Cavour et le groupe aéronaval de l' USS Harry Truman participe de cette stratégie de stabilisation qui est essentielle pour assurer la stabilité des espaces maritimes disputés dans l'est du bassin méditerranéen.
La dégradation des relations bilatérales gréco-turques depuis le début de l'année 2022, marquée notamment par les accusations des autorités turques, démenties par la Grèce, du verrouillage d'avions de combat turcs par un système anti-aérien grec en août, et par les déclarations ouvertement menaçantes et répétées publiquement au cours du mois de septembre par le président R. T. Erdogan concernant certaines îles en mer Égée revendiquées par la Turquie en contradiction avec la souveraineté territoriale de la Grèce, illustre l'importance de la présence militaire française comme facteur de réassurance de ses alliés grecs et chypriotes et de stabilisation de la région.
* 94 Y. Dahech, septembre 2021, « Chypre-Nord, l'abcès. Une vitrine des ambitions régionales de la Turquie » in IFRI, septembre 2021, RAMSES 2022. Au-delà du Covid.
* 95 Résolution 186 du 4 mars 1964 du Conseil de sécurité des Nations unies.
* 96 P. Blanc, 2013, « Chypre : un triple enjeu pour la Turquie » in Hérodote, numéro 148
* 97 Chypriotes grecs, Chypriotes turcs, Grèce, Royaume-Uni, Turquie et Secrétariat général des Nations unies
* 98 IFRI, D. Schmid, Y. Dahech, juillet 2021, « La méthode turque en Méditerranée. L'emprise sur Chypre-Nord »
* 99 Résolution 553 du 15 juin 1984 du Conseil de sécurité des Nations unies
* 100 M. Pellen-Blin, P. Dézéraud, G. Valin, été 2019, « La territorialisation de la Méditerranée à l'origine des nouveaux équilibres stratégiques » in Revue Défense Nationale, n°822
* 101 P. Dézéraud, printemps 2022, « Méditerranée : la délicate rencontre entre territorialisation de l'espace maritime et concept de bien commun de l'humanité » in Confluences Méditerranée, n°120
* 102 IFRI, A. Denizeau, avril 2021, « Mavi Vatan, la “Patrie bleue”. Origines, influences et limites d'une doctrine ambitieuse pour la Turquie »
* 103 Commission européenne, 19 octobre 2021, Rapport 2021 sur la Turquie
* 104 N. Rebière, printemps 2022, « Le gaz en Méditerranée orientale, un déterminant dans la géopolitique régionale » in Confluences Méditerranée, n°120
* 105 T. Josseran, printemps 2022, « La Mavi Vatan jusqu'où ? Le grand dessein de la Turquie en Méditerranée » in Confluences Méditerranée, n°120
* 106 N. Mazzucchi, été 2019, « Méditerranée orientale : les hydrocarbures de la discorde » in Revue Défense Nationale, n°822
* 107 A. Diakopoulos, juin 2022, « La “Patrie bleue” de la Turquie : un défi pour l'Europe en Méditerranée orientale » in Revue Défense Nationale, n°851
* 108 FMES, 2022, Atlas stratégique 2022, p. 276 et suivantes