CONCLUSION
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La délégation de la commission des affaires sociales qui s'est rendue en Allemagne et en Autriche est consciente que le modèle d'apprentissage germanique ne peut être transposé sans aménagement en France.
D'ailleurs ce système, en dépit de ses bonnes performances globales et du fort taux d'insertion des jeunes apprentis dans le monde du travail, montre aujourd'hui ses limites.
En outre, il n'entrait pas dans la mission de la délégation d'examiner en profondeur notre système d'apprentissage.
Pour autant, certaines pistes de réforme consensuelles se dégagent assez nettement à ce stade de la réflexion :
- la conclusion d'un pacte national sur l'apprentissage, qui réunirait tous les acteurs du monde de l'apprentissage, avec des objectifs pluriannuels précis, réalistes, et renseignés chaque année, permettrait de fixer un cadre global qui fait aujourd'hui défaut ;
- afin d'assurer un véritable pilotage national de l'apprentissage, il serait nécessaire de créer un « BiBB à la française », visant à coordonner l'action des régions, sans bien sûr revenir sur les acquis de la décentralisation ;
- surtout, il devrait revenir aux partenaires sociaux, et non aux services des ministères, d'élaborer eux-mêmes les projets de référentiels de formation en apprentissage, afin de répondre aux besoins concrets des entreprises, tout en respectant les droits des apprentis et leur employabilité à long terme.
Sur tous ces sujets, la réflexion doit être poursuivie par le Sénat afin d'insuffler une nouvelle dynamique à l'apprentissage en France, et redonner de l'espoir aux jeunes confrontés au fléau du chômage.
EXAMEN EN COMMISSION
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Réunie le mercredi 30 septembre 2015, sous la présidence de M. Alain Milon, président, la commission entend une communication de la mission d'information sur l'apprentissage en Allemagne et en Autriche.
M. Alain Milon, président. - Nous allons tout d'abord examiner le compte rendu de la délégation de notre commission qui s'est rendue du 20 au 24 avril dernier à Berlin et à Vienne pour y étudier le système d'apprentissage. Présidée par Michel Forissier puis par Philippe Mouiller, cette délégation était également composée de Jean Desessard, Jérôme Durain, Françoise Gatel et Eric Jeansannetas.
M. Michel Forissier, président de la délégation. - La question de l'apprentissage est au coeur des préoccupations de notre commission, car cette voie de formation en alternance est un moyen reconnu de lutter contre le chômage, de favoriser l'insertion professionnelle des jeunes et de renforcer l'attractivité et le savoir-faire des entreprises.
Face aux difficultés que rencontre l'apprentissage en France ces dernières années, le bureau de notre commission a souhaité qu'une délégation, que j'ai eu l'honneur de présider, se rende en Allemagne puis en Autriche, sous la direction de notre collègue Philippe Mouiller, pour y étudier le système d'apprentissage que nous qualifierons de « germanique » par souci de simplicité, souvent présenté comme un modèle en Europe et même au-delà, mais finalement assez peu connu. Alors que le taux de chômage des jeunes âgés de 15 à 24 ans a atteint 24,7 % en France en février dernier, il s'élevait à 7,2 % en Allemagne et 9 % en Autriche, soit les taux les plus faibles de l'Union européenne, grâce notamment aux bonnes performances des systèmes d'apprentissage dans ces deux pays.
Lors de notre déplacement à Berlin du 20 au 22 avril, et à Vienne du 23 au 24 avril, nous avons pu rencontrer, grâce à la mobilisation des services de nos ambassades auxquels je souhaite rendre hommage, des représentants des services ministériels, les partenaires sociaux, ou encore des responsables de centres d'apprentissage et d'entreprises. Nous avons ainsi pu constater l'efficacité du système d'apprentissage germanique, et tenté d'identifier les raisons de son succès ainsi que les défis qu'il devra relever.
En premier lieu, quelles sont les principales caractéristiques du système d'apprentissage germanique ?
Tout d'abord, le nombre d'apprentis est beaucoup plus important en Allemagne et en Autriche qu'en France. Ainsi, 16 % des jeunes Allemands âgés entre 15 et 24 ans sont en apprentissage en 2013, contre 5,2 % en France. Entre le 1 er octobre 2013 et le 30 septembre 2014, 522 232 contrats d'apprentissage ont été conclus, soit un total de 1,358 million en 2014, contre 420 321 en France en 2013, d'où un stock de contrats trois fois plus important que dans l'hexagone. Même en tentant de définir un périmètre cohérent entre ces deux publics pour tenir compte des spécificités des deux pays (par exemple, le contrat de qualification n'existe pas outre-Rhin), le ratio demeure globalement identique. Quant à l'Autriche, qui privilégie les formations en alternance à tous les niveaux, elle comptait 120 579 apprentis en 2013, soit 40 % d'une classe d'âge.
Ensuite, les apprentis allemands et autrichiens sont, en règle générale, plus âgés qu'en France et se caractérisent par une plus grande mixité ; leur formation initiale est plus longue qu'ici et ils sont davantage attirés par les qualifications intermédiaires que leurs homologues français. L'âge d'entrée en apprentissage tout d'abord : en 2014, il était de 20 ans en Allemagne contre 18,7 ans en France. En revanche, les jeunes Autrichiens commencent le plus souvent leur formation vers 14-15 ans. La mixité ensuite : 40,1 % des contrats d'apprentissage sont conclus avec des jeunes femmes en Allemagne, contre 34,1 % en Autriche et 33,3 % en France. Leur formation initiale est plus élevée : moins d'un tiers des apprentis allemands sont titulaires d'un diplôme d'une Hauptschule en 2013, alors que cette école fournissait la majorité des candidats à l'apprentissage il y a quelques décennies. En Autriche, si plus d'un tiers des jeunes apprentis sont issus des écoles dites polytechniques, qui sont la voie classique vers l'apprentissage, presque la moitié a un niveau supérieur. Enfin, leur formation en apprentissage est plus longue : trois ans en Allemagne et en Autriche sauf exceptions, contre 1,7 an en France. L'apprentissage est le seul moyen pour accéder à l'un des 327 métiers en Allemagne (218 en Autriche), qui correspondent à des qualifications intermédiaires, contrairement à la France qui permet également aux étudiants du supérieur d'obtenir des diplômes par cette voie.
S'agissant des entreprises d'accueil, elles sont plus diversifiées qu'en France, moins généreuses en termes d'indemnités d'apprentissage, peut-être parce qu'elles sont moins aidées financièrement par les pouvoirs publics. En Allemagne, 5,6 % des entreprises accueillent des apprentis, contre 2,5 % en France. Alors que l'effort en France pèse surtout sur les entreprises employant moins de 9 salariés (7,4 %, contre moins de 1 % pour les entreprises employant entre 250 et 500 salariés), les entreprises allemandes sont toutes mobilisées, quelle que soit leur taille. En Autriche, une entreprise sur dix est concernée, et même une sur cinq si on considère seulement celles qui remplissent les conditions légales pour accueillir des apprentis. En 2011, la rémunération brute moyenne d'un apprenti était de 708 euros en Allemagne, contre 787 euros en France. Bertrand Martinot, dans une récente étude pour l'institut Montaigne, a rappelé que pendant la campagne d'apprentissage 2012-2013, le coût annuel brut d'un apprenti était évalué à 18 000 euros environ, et les gains globaux résultant de l'apprentissage à 12 500 euros, soit un coût net pour l'entreprise de l'ordre de 5 500 euros. Cette moindre générosité s'explique peut-être par des aides publiques à l'apprentissage moins massives qu'en France. En Allemagne, en 2010, elles ont atteint 1,439 milliard, soit quasiment la moitié de celles versées en France (2,869 milliards), alors que notre pays compte trois fois moins d'apprentis. En Autriche, seulement 150 millions d'euros d'aides ont été versées aux entreprises par l'intermédiaire du fonds de protection des salariés en cas de faillite.
M. Philippe Mouiller, vice-président de la délégation . - Selon notre analyse, au moins quatre facteurs expliquent les bonnes performances du système d'apprentissage germanique.
Tout d'abord, l'apprentissage jouit d'une image positive dans l'opinion publique allemande et autrichienne. Notre délégation a constaté que ce sujet était essentiel pour les partenaires sociaux, qui refusaient toute approche polémique au profit d'une attitude constructive et responsable. En Allemagne, le cadre juridique du système d'apprentissage a été mis en place dès 1969 et n'a été révisé substantiellement qu'une seule fois en 2005. L'apprentissage n'y est ni une voie d'excellence, ni une voie de garage, mais plus simplement une voie d'accès normale à des centaines de métiers. Une Alliance pour la formation initiale et continue pour la période 2015-2018 a d'ailleurs été conclue entre tous les acteurs institutionnels pour promouvoir l'apprentissage, qui prend la relève des pactes nationaux conclus depuis 2004. En Autriche, de nombreux hauts fonctionnaires ainsi que des ministres de premier rang, comme l'actuel ministre du travail, des affaires sociales et de la protection des consommateurs, ont débuté leurs carrières par l'apprentissage. Parmi les cadres dirigeants autrichiens, le pourcentage de personnes possédant comme diplôme le plus élevé un certificat de fin d'apprentissage s'élève à 29,2 %, et atteint 6,8 % dans les professions académiques comme les scientifiques.
Ensuite, alors que le collège unique français a vocation, sauf exceptions, à assurer un enseignement indifférencié aux élèves jusqu'à la fin de la troisième, le système éducatif allemand organise une orientation précoce des élèves dès l'âge de onze-douze ans et même dix ans en Autriche, ce qui n'est pas sans susciter des critiques et des interrogations dans ce pays.
Par ailleurs, l'organisation institutionnelle de l'apprentissage accorde une place de choix aux partenaires sociaux. Contrairement à certaines idées préconçues, les organisations retenues en Allemagne et en Autriche sont complexes, du fait notamment de la structure fédérale des deux Etats : notre rapport précise la répartition des compétences entre les différents acteurs. En revanche, ces deux pays, contrairement à la France, donnent toute leur place aux syndicats de salariés et aux représentants des employeurs. Ainsi, en Allemagne, ils ont la mission d'élaborer par consensus le contenu de chaque formation d'apprentissage au sein de l'institut fédéral pour la formation professionnelle (BiBB) ; de participer aux comités pour la formation professionnelle au sein des chambres consulaires ; de négocier les indemnités des apprentis dans chaque branche professionnelle ; de participer aux commissions d'examen de fin de formation en apprentissage, ou encore d'animer les comités d'entreprise, qui comprennent une formation spéciale pour les apprentis. Cette implication des partenaires sociaux est gage de souplesse et de réactivité : il faut seulement entre un an et demi et deux ans pour modifier ou créer une filière d'apprentissage en Autriche.
Enfin, le service public de l'emploi est davantage mobilisé qu'en France en matière d'apprentissage. L'équivalent autrichien de Pôle emploi et les services des chambres de commerce ont par exemple mis en place un portail commun afin de créer une bourse de l'apprentissage en ligne.
M. Jérôme Durain . - Malgré ses succès indéniables, le système d'apprentissage germanique est confronté à d'importants défis à court et moyen terme.
Il convient en effet de rappeler que jamais le nombre d'apprentis n'a été aussi bas dans ces deux pays. Le nombre de contrats d'apprentissage conclus en Allemagne est le plus faible depuis la réunification, alors que les perspectives d'évolution démographique sont défavorables dans les années à venir, avec une pénurie de main d'oeuvre attendue dans certains secteurs. En outre, l'élévation du niveau scolaire détourne certains jeunes des formations en apprentissage, dont l'attractivité faiblit depuis plusieurs années. En Autriche, le nombre d'apprentis est en baisse quasi constante depuis le pic de 1980 (plus de 194 000 contrats avaient alors été conclus, soit presque 75 000 de plus qu'en 2013).
Par ailleurs, le taux de rupture des contrats d'apprentissage demeure à un niveau élevé : 24,4 % en Allemagne, contre 28,1 % en France en 2012. Certes, deux tiers des apprentis allemands sont embauchés par leur entreprise d'accueil, et la moitié en Autriche, contre un tiers en France. Mais un grand nombre d'apprentis allemands ayant connu une rupture de contrat quittent définitivement cette voie de formation.
Surtout, le marché allemand de l'apprentissage est doublement déséquilibré. En 2014, 37 101 places en apprentissage sont restées vacantes, et 20 872 jeunes n'ont pas trouvé de place en apprentissage, sur un total de 522 232 contrats conclus. Le nombre de places vacantes a même doublé par rapport à 2009. Les difficultés d'appariement entre l'offre et la demande d'apprentissage sont variables selon les métiers. Certaines professions peinent à attirer des candidats (comme les serveurs de restaurant, les plombiers ou les vendeurs dans l'alimentation de détail), tandis que d'autres connaissent un afflux de demandes (assistants vétérinaires, laborantins, fleuristes).
Compte tenu des difficultés d'un grand nombre de jeunes à trouver une place en apprentissage, l'Allemagne et l'Autriche ont mis en place des systèmes palliatifs qui ont toutefois montré leurs limites.
En Allemagne, une nouvelle voie de formation professionnelle initiale (Übergangsystem, ou secteur de transition) a ainsi été créée pour assurer une formation théorique et pratique au sein de structures financées par des subventions publiques. L'objectif principal est de permettre une remise à niveau des jeunes, notamment issue de l'immigration, en vue de l'obtention d'une place d'apprentissage en entreprise.
Notre délégation s'est rendue dans un centre à Kreuzberg à Berlin, financé par des fonds du secteur de transition, qui assure notamment des formations pour les métiers de la restauration, de la confection de textile, de la coiffure ou de la réparation mécanique.
Entre 50 et 62 % des jeunes en transition trouvent une place en apprentissage à l'issue d'un délai de douze mois. Toutefois, de nombreux observateurs critiquent le secteur de transition, compte tenu de la multiplication des programmes et des initiatives, de l'absence de pilotage du système, de son opacité et de son coût élevé.
L'Autriche a également mis en place un dispositif similaire à travers le système d'apprentissage inter-entreprises (Überbetriebliche Lehrausbildung, ou ÜBA).
Notre délégation s'est également rendue dans un établissement à Vienne qui délivre dans ce cadre des formations dans les métiers de la restauration.
L'équivalent autrichien de Pôle emploi a consacré 140 millions d'euros en 2013/2014 pour aider 14 500 jeunes bénéficiant d'un ÜBA. En 2011/2012, près de quatre jeunes sur dix ont trouvé une place d'apprentissage en entreprise. Le Gouvernement autrichien souhaite cependant aller plus loin et envisage de rendre obligatoire la formation des jeunes de moins de 18 ans, tout en interdisant aux entreprises d'embaucher des jeunes sans formation en deçà de cet âge.
Notre délégation ne souhaite pas proposer à ce stade des propositions précises et opérationnelles pour réformer le système d'apprentissage français, car elle espère que cette réflexion se poursuive, par exemple, au sein d'un groupe de travail ouvert à toutes les commissions concernées.
Nous sommes bien conscients qu'aucun modèle ne peut être tel quel importé dans un autre pays, mais il nous semble que certaines bonnes pratiques en Allemagne et en Autriche mériteraient d'être prises en considération, alors que le système d'apprentissage fait l'objet de critiques de toute part.
Nous pensons notamment à la conclusion d'un pacte national sur l'apprentissage, qui réunirait tous les acteurs du monde de l'apprentissage, avec des objectifs pluriannuels précis, réalistes, et renseignés chaque année.
Pour faire vivre ce pacte, il serait également nécessaire d'assurer un véritable pilotage national de l'apprentissage, à travers la création d'un « BiBB à la française », visant à coordonner l'action des régions, sans bien sûr revenir sur les acquis de la décentralisation. La loi du 5 mars 2014 sur la formation professionnelle a ouvert la voie en instaurant le Conseil national de l'emploi, de la formation et de l'orientation professionnelles et ses déclinaisons régionales, les Crefop. Ce pilotage national de l'apprentissage implique la désignation d'un chef de file parmi les ministères concernés, et de définir le rôle que doit jouer le ministère de l'éducation nationale, dont l'implication aujourd'hui est pour le moins problématique.
Par ailleurs, il est à nos yeux essentiel que les partenaires sociaux élaborent eux-mêmes les projets de référentiels de formation en apprentissage, afin de répondre aux besoins concrets des entreprises, tout en respectant les droits des apprentis et leur employabilité à long terme.
Mme Françoise Gatel. - Le présentation de notre déplacement qui vient de vous être faite est fidèle et correspond à ce que j'ai pu observer. Je souscris aux propositions de réformes du système d'apprentissage français, étant entendu qu'aucun modèle ne peut être implanté tel quel dans un autre pays. On ne peut passer sous silence l'existence d'une culture nationale en Allemagne et en Autriche qui accorde une place essentielle à l'apprentissage et à l'industrie. Notre législation sur l'apprentissage doit changer, notamment en matière de métiers dangereux. Lorsque j'ai demandé à un représentant des syndicats allemands s'il existait des règles spécifiques pour les apprentis couvreurs, ma question l'a étonné... Comment peut-on apprendre ce type de métier si l'on ne peut pas monter sur un toit ? La surenchère de normes et de protections dans notre pays freine le développement de l'apprentissage, alors qu'un apprenti peut par la suite reprendre l'entreprise lors du départ à la retraite de l'employeur. Il faudrait également que l'orientation vers l'apprentissage ne soit plus par défaut et considérée avec commisération mais que cette voie soit mieux valorisée par le ministère de l'éducation nationale. En Allemagne, l'apprentissage est une voie de réussite, qui ouvre ensuite à d'autres formations si le jeune le souhaite.
M. Jean Desessard. - Je voudrais pour ma part insister sur trois points qui m'ont surpris pendant notre déplacement. Tout d'abord, l'âge moyen des apprentis est plus élevé en Allemagne qu'en France. Ensuite, les entreprises allemandes trouvent naturel d'accueillir des apprentis puis de les embaucher pour la plupart, et n'attendent pas de subvention de l'Etat. Enfin, certains métiers ne sont accessibles que par la voie de l'apprentissage, évitant ainsi tout risque de dévalorisation de cette voie de formation. Sur les propositions de réforme, je les rejoins également. Nous avons rencontré à Vienne trois inspecteurs de l'éducation nationale, et j'ai pu alors mesurer à quel point nous devons repenser le lien entre leur ministère de rattachement et les besoins des apprentis et des entreprises. Certains ont le sentiment que l'apprentissage est leur chasse-gardée. Impulsons une dynamique capable de créer de la complémentarité entre les différents acteurs.
M. Jean-Pierre Caffet. - S'agissant du pilotage du système d'apprentissage, est-il assuré par les Länder ? Pouvez-vous indiquer ce que vous entendez par qualifications intermédiaires ? L'apprentissage est-il la voie obligatoire pour accéder à certains métiers ?
M. Yves Daudigny. - Il est utile de rappeler qu'il ne faut pas idéaliser le modèle allemand, qui n'est pas transposable en France sans aménagement. Existe-t-il outre-Rhin comme dans notre pays une dichotomie entre les centres de formation d'apprentis et les lycées professionnels ?
Mme Agnès Canayer. - L'amélioration de l'adéquation entre les attentes des jeunes et les besoins des entreprises est un défi commun à tous nos pays. Trop souvent, des places d'apprentissage restent vacantes tandis que les candidatures des jeunes sont infructueuses. La question du savoir-être des jeunes et l'acquisition des codes de l'entreprise est, à mes yeux, essentielle. A Rotterdam, j'ai pu observer une plate-forme qui réunissait les représentants de l'éducation nationale, les collectivités territoriales, les entreprises et les apprentis : c'est ce genre d'initiatives qu'il faut encourager. La réactivité et la souplesse des formations en apprentissage doit être améliorée compte tenu des changements rapides dans le monde de l'entreprise.
M. Philippe Mouiller . - Il revient à l'institut fédéral pour la formation professionnelle (BiBB) de piloter le système d'apprentissage en Allemagne et d'assurer la coordination entre les différents Länder. L'apprentissage en Allemagne n'existe quasiment pas dans l'enseignement supérieur, et corrélativement certains métiers nécessitant pas ou peu de qualifications ne bénéficient pas de filières d'apprentissage. C'est vrai, certains métiers en Allemagne et en Autriche ne sont accessibles que par la voie de l'apprentissage, c'est pourquoi il est si naturel pour certaines entreprises de recruter des apprentis.
M. Michel Forissier , président de la délégation. - Il n'existe pas en Allemagne et en Autriche de lycées professionnels concurrents des CFA. Issus d'un compromis entre partenaires sociaux, les programmes dans les filières d'apprentissage sont adaptés en fonction des métiers. Dans ces deux pays, les organisations syndicales comme celles patronales sont réunies dans des confédérations nationales, ce qui facilite le pilotage de l'apprentissage et évite de polluer la réflexion avec des considérations extérieures. L'Allemagne tente actuellement de faire évoluer son système d'apprentissage, notamment pour répondre aux spécificités des jeunes issus de l'immigration. S'il n'est pas question de dupliquer sans discernement le modèle germanique en France, il n'est pas interdit de nous inspirer de ce qui marche en Allemagne et en Autriche. Je pense notamment au copilotage au niveau national de la politique d'apprentissage entre l'Etat, les régions et les partenaires sociaux. Grâce à la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, les régions doivent saisir l'opportunité qui leur est donnée d'expérimenter l'exercice de nouvelles compétences et bâtir une nouvelle politique en matière d'apprentissage.
M. Jérôme Durain . - Le système d'apprentissage en Allemagne est à la fois très centralisé et très décentralisé. Centralisé sous l'action du BiBB, décentralisé au niveau des Länder, l'Etat prenant toutefois en charge la moitié des frais de fonctionnement des CFA. La réponse en France aux difficultés de l'apprentissage ne doit donc pas être que territoriale. Pour permettre à certains jeunes d'acquérir les codes de l'entreprise et améliorer leur savoir-être, l'Allemagne et l'Autriche ont mis en place, on l'a dit, des systèmes de transition. J'ajoute que dans ces deux pays, certains métiers, comme la restauration, peinent à attirer des candidats.
Mme Françoise Gatel . - La réforme de l'apprentissage ne doit pas être hémiplégique : le volet de l'accompagnement social de l'apprenti est indispensable. Souvent éloignés de leur famille, partagés entre leur lieu de travail et leur CFA, les apprentis ont besoin de soutien, car l'entreprise d'accueil ne peut pas pourvoir à tous ses besoins. C'est pourquoi je plaide pour la création de campus de l'apprentissage, sur le modèle de ceux qui existent dans l'enseignement supérieur, pour réduire le taux de rupture anticipée des contrats.
Mme Isabelle Debré . - Comment peut-on revaloriser l'apprentissage aux yeux des jeunes et de leurs parents ? Faut-il avancer l'âge légal pour entrer en apprentissage ?
Mme Pascale Gruny . - Prévoir une pré-orientation des élèves vers l'apprentissage dès 10 ans comme en Autriche me paraît très contestable et de nature à favoriser les choix par défaut. Certes, le regard de la société sur l'apprentissage évolue lentement, mais le manque de connaissance du monde de l'entreprise par les enseignants constitue indéniablement un frein important à son développement. Le rôle des parents ne doit pas être oublié : trop souvent, les jeunes ont des problèmes de comportement en entreprise ou d'absentéisme dans les CFA. Par ailleurs, la rémunération des apprentis, si elle ne constitue pas un obstacle pour les grandes entreprises, pose de sérieuses difficultés dans les petites structures. Je souscris aux propos de notre collègue Françoise Gatel sur la nécessité de mettre en place un accompagnement social des apprentis : en zone rurale, certains jeunes refusent une place en apprentissage à quinze kilomètres de chez eux.
Mme Élisabeth Doineau . - Compte tenu du chômage qui frappe les jeunes en Europe, il est urgent de favoriser la mobilité des apprentis à l'international. L'Europe s'est construite notamment sur le principe de libre circulation des travailleurs : les apprentis doivent en bénéficier. Malheureusement, le poids de la bureaucratie, les règles du code du travail et la difficulté des systèmes d'équivalence des diplômes entre Etats-membres rendent malaisés les parcours d'apprentissage à l'étranger.
M. Jean-Louis Tourenne . - A partir du rapport de la délégation sénatoriale, nous devons poursuivre la réflexion pour une réforme d'ensemble de l'apprentissage. N'oublions pas que nous ne devons pas seulement former des apprentis aptes à exercer des métiers bien définis, mais aussi des citoyens. La cohésion sociale est à ce prix. C'est pourquoi il est parfois si difficile de trouver un terrain d'entente entre le ministère de l'éducation nationale, qui accorde une grande importance à la formation générale des jeunes, et les entreprises, qui ont parfois des objectifs à court terme. Les choses évolueront quand les enseignants eux-mêmes accepteront sans difficulté que leurs enfants suivent une filière d'apprentissage.
M. Daniel Chasseing . - Ma commune étant jumelée avec une petite ville allemande, j'ai pu constater à quel point la culture de l'apprentissage était répandue outre-Rhin. Si on faisait davantage découvrir les métiers aux jeunes, on pourrait sans doute éviter les choix de l'apprentissage par défaut. Beaucoup d'entreprises refusent de prendre des apprentis à cause de la complexité des règles. Pourra-t-on avec les nouvelles régions améliorer le fonctionnement de l'apprentissage ?
M. Olivier Cadic . - Comment expliquez-vous que deux tiers des apprentis sont embauchés par les entreprises d'accueil en Allemagne, et seulement un tiers en France ? Quel est le coût d'un apprenti dans notre pays ? Comme les entreprises allemandes assurent une grande part de la formation en apprentissage, à combien s'élèveraient les économies sur le budget de l'éducation nationale si on appliquait la même organisation en France ?
M. Olivier Cigolotti . - L'orientation précoce des jeunes Allemands et Autrichiens vers l'apprentissage vous paraît-elle constituer un facteur déterminant de réussite ou une cause du niveau élevé d'abandon ?
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général.- Il serait utile d'approfondir le lien entre développement de l'apprentissage et baisse du taux de chômage des jeunes. Comment se fait l'orientation des jeunes vers l'apprentissage en Allemagne et en Autriche ? A quel niveau les partenaires sociaux participent-ils à l'élaboration des référentiels de formation : des branches, des Länder, de l'entreprise ? De qui dépendent les CFA en Allemagne ?
Mme Nicole Bricq . - Pouvez-vous préciser la ventilation des aides publiques versées aux entreprises accueillant des apprentis, en distinguant le niveau fédéral de celui des Länder ?
M. Michel Forissier, président de la délégation. - A la lumière de mon expérience dans le secteur de la taille de pierre, j'ai constaté que c'est à travers la culture de l'entreprise que les jeunes deviennent des citoyens. Cette mise en situation est essentielle et souvent méconnue. Il faut également montrer aux jeunes des exemples de personnes qui ont réussi grâce à l'apprentissage et la formation professionnelle en général, et leur dire que le salaire d'un plombier ou d'un électricien n'a parfois rien à envier à celui d'un ingénieur débutant. Le pilier du système d'apprentissage doit être la valeur travail, sérieusement affaiblie ces dernières années. La revalorisation de l'apprentissage passe aussi par la prise de conscience pour les entreprises que cette formation en alternance est un excellent moyen de gérer les ressources humaines à long terme et de créer du lien entre les salariés et l'employeur. Notre rapport constitue un état des lieux de l'apprentissage en Allemagne et en Autriche qui doit déboucher sur une réflexion approfondie pour réformer notre système.
M. Philippe Mouiller . - En Autriche, dès dix ans, certains jeunes peuvent découvrir des métiers en immersion. Pendant quatre ans, ils poursuivent leur scolarité et sont ainsi en mesure de confirmer ou modifier leur choix d'orientation, l'apprentissage ne pouvant être débuté avant 14 ans. Par ailleurs, je rappelle qu'il n'y a pas de taxe d'apprentissage en Allemagne. Les aides publiques à l'apprentissage sont supportées outre-Rhin pour les trois-quarts par les Länder, pour un quart par l'Etat. L'amélioration des relations entre l'éducation nationale et le monde des entreprises est la condition sine qua non pour relancer l'apprentissage en France.
M. Jérôme Durain . - Si les entreprises allemandes ont une plus forte propension à embaucher les apprentis qu'en France, c'est sans doute parce que ces derniers répondent précisément à leurs besoins, après trois années de formation passées en leur sein. La question de l'image de l'apprentissage est cruciale : nous pâtissons en France d'une approche trop théorique voire aristocratique en la matière, alors que les Allemands se montrent plus pragmatiques, ce même travers se retrouvant d'ailleurs dans l'apprentissage des langues étrangères. N'oublions pas que le nouveau patron de Volkswagen a commencé sa carrière dans le groupe comme simple apprenti, ce qui semble peu imaginable dans notre pays où la frontière est grande entre l'élite et les professions en bas de l'échelle sociale.
M. Alain Milon, président. - Après consultation de notre commission, je constate que celle-ci accepte la publication du rapport de la délégation. Je souhaiterais également vous rappeler que la délégation sénatoriale aux entreprises organise demain matin deux tables rondes consacrées à l'apprentissage qui permettront de prolonger notre débat.