INTRODUCTION
« Le jeu de la constance se joue principalement
à porter patiemment
les inconvénients où il n'y a point
de remède »
Montaigne, Les Essais (livre premier, chapitre 12)
Mesdames, Messieurs,
Alors que l'Afrique a connu un développement exceptionnel durant la dernière décennie, les signes de fragilité et les menaces n'ont pas disparu pour autant 1 ( * ) . C'est pourquoi votre commission a décidé fin 2013, dans le prolongement de ses précédents travaux, de mener une réflexion sur la prévention des conflits dans le Golfe de Guinée.
La prévention des conflits, objet de nombreux ouvrages théoriques, s'apparente parfois davantage à une litanie ou à une incantation qu'à une politique effective. Elle constitue pourtant la ligne de force des relations internationales et le principe même de l'Organisation des Nations unies qui a adopté moult résolutions sur la diplomatie préventive, la médiation et le règlement pacifique des différends. Alors que le Conseil de sécurité a justement adopté le 21 août 2014 une résolution sur la prévention des conflits, ce sujet reste donc pleinement d'actualité.
Le Golfe de Guinée constitue un exemple particulièrement intéressant en la matière. Il s'agit d'une zone fragile, stratégique et menacée par plusieurs conflits ou crises de natures différentes. Vos rapporteurs ont choisi de concentrer leurs travaux sur le « coeur » géographique de cette région, à savoir le Nigeria et les pays voisins. Épicentre de la piraterie maritime qui affecte le développement des populations et le commerce international, cette zone est aussi le territoire où des groupes criminels ou terroristes mènent des agissements à même de déstabiliser la région.
La secte Boko Haram, qui s'inscrit dans la lignée d'autres mouvements radicaux dans cette région d'Afrique, s'est engagée, depuis la mort de son leader historique en 2009, dans une spirale de violences et de terreur, qui a particulièrement mobilisé la communauté internationale en avril et mai 2014 mais dont les agissements extrêmes trouvent leurs racines dans des causes profondes qui nécessitent de dépasser l'émotion, pour légitime qu'elle soit.
La prévention des conflits dans le Golfe de Guinée vise d'abord le bien-être des populations qui sont toujours les premières à souffrir des guerres ou des conflits armés, mais elle a une portée plus large, en particulier celle d'éviter la fédération de groupes terroristes. Boko Haram a annoncé la création d'un califat et s'est rapproché de Daech ; les Shebab somaliens continuent de mener des actions meurtrières dans leur pays et au Kenya ; le Sahel reste parcouru par des groupes terroristes qui trouvent notamment refuge dans le Sud libyen et qui justifient la mise en place par la France d'une opération à vocation régionale, Barkhane.
La communauté internationale, dont les actions souffrent parfois d'un déficit de coordination et de cohérence, doit accompagner les efforts des pays, qui sont les premiers responsables de la prévention des conflits, par des mesures concrètes et de soutien.
Pour la France, il s'agit par exemple de l'opération Corymbe, que vos rapporteurs soutiennent résolument, ou de ses actions pour développer l'autorité des Etats sur leur espace maritime ; il s'agit également de l'appui apporté aux troupes africaines engagées sur le terrain contre Boko Haram.
S'attaquer aux causes profondes et ne pas laisser dériver les situations de crise, telles pourraient être les deux conclusions principales de vos rapporteurs en ce qui concerne la prévention des conflits.
I. LE GOLFE DE GUINÉE : UNE ZONE STRATÉGIQUE FRAGILE
Source : ministère des affaires étrangères et du développement international
A. DES RESSOURCES NATURELLES IMPORTANTES
La région dispose de ressources naturelles très importantes. Elle offre de grandes superficies en terres arables, d'abondantes ressources en eau et des conditions climatiques favorables à l'agriculture. Ce potentiel agricole, aujourd'hui sous-exploité, est convoité comme le révèlent certains investissements en provenance d'Asie ou du Moyen-Orient. Les ressources halieutiques pourraient également être importantes mais la production de pétrole, sur la côte et off-shore, entraîne une pollution qui en limite fortement le développement.
Les ressources minières sont diversifiées et stratégiques, en particulier si l'on inclut les pays « de l'intérieur » qui ont besoin d'un accès à la mer pour exporter : on trouve par exemple du cuivre ou du cobalt mais quatre minerais sont susceptibles d'avoir un effet sur les marchés mondiaux, le fer, la bauxite, le manganèse et l'uranium.
Evidemment, ce tableau ne serait pas complet sans les ressources en hydrocarbures , qui présentent un caractère éminemment stratégique pour les pays de la zone et pour le reste du monde. Les investissements des compagnies pétrolières occidentales, notamment américaines, y sont ainsi très élevés, à la fois pour y développer la production immédiate que pour se constituer des réserves diversifiées.
Environ 10 % du pétrole importé en Europe provient de cette région. Premier producteur d'Afrique, le Nigeria assure, à lui seul, 2,6 % de la production pétrolière mondiale (presque 2 millions de barils par jour en 2012) et possède environ le même pourcentage des réserves prouvées.
Si sa production de gaz représente aujourd'hui sensiblement moins en pourcentage de la production mondiale (environ 1,1 %), elle a décuplé entre 2000 et 2010 et ses importantes réserves s'élèvent à environ 2,7 % des réserves mondiales de gaz. Par exemple, l'Algérie a produit en 2012 presque le double de gaz que le Nigeria mais les réserves prouvées de ce premier pays sont légèrement inférieures à celles du second.
Le Golfe de Guinée constitue ainsi un moyen de diversifier les approvisionnements et de diminuer la dépendance envers les producteurs historiques au Moyen-Orient, en Algérie ou en Russie.
Au total, il est donc essentiel, pour ces pays, mais aussi pour la France, l'Europe et le reste du monde, de sécuriser les voies de communications , notamment maritimes. Elles permettent à ces pays d'exporter leurs ressources et aux autres pays d'importer des ressources naturelles importantes.
La situation est, de ce point de vue, différente de celle qui a prévalu et prévaut encore au large de la Somalie, dans le Golfe d'Aden, où il est principalement question de sécuriser le transit international. Dans le Golfe de Guinée, il y a peu de transit de ce type, les navires passant nettement au large du Golfe.
Parallèlement, la gouvernance de l'espace maritime est traditionnellement faible dans cette région, tant sur le plan juridique que sur celui des capacités.
* 1 Voir le rapport d'information n° 104 (2013-2014) de MM. Jeanny Lorgeoux et Jean-Marie Bockel, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, « L'Afrique est notre avenir », 29 octobre 2013.