B. LES COMMISSIONS DE MÉDIATION : UNE ACTIVITÉ EMPREINTE DE FORTES DISPARITÉS

1. Des recours moins nombreux que prévus mais très concentrés géographiquement
a) Un nombre de saisines inférieur aux estimations initiales

Au 31 décembre 2011, selon les chiffres communiqués par le comité de suivi de la mise en oeuvre du DALO, 280 000 recours avaient été déposés devant les commissions départementales de médiation au cours des quatre premières années suivant l'entrée en vigueur de la procédure. La très grande majorité de ces recours sont des demandes de logement , seuls 15 % constituant des recours en vue de l'obtention d'un hébergement.

La moyenne mensuelle du nombre de recours a connu une légère croissance au fil des mois, passant d'environ 5 000 en 2008 et 2009, à 5 800 en 2010, puis 6 000 en 2011 .

S'il est loin d'être négligeable, ce chiffre apparaît très en-deçà des estimations effectuées par diverses instances avant la montée en charge du dispositif.

Au cours des débats préalables à l'adoption de la loi DALO, de nombreux commentateurs et parties prenantes avaient souligné les difficultés à évaluer les conséquences du dispositif, en raison notamment de l'absence d'étude d'impact à la fois sur le nombre de requérants potentiels et sur le montant des astreintes dont l'État serait susceptible de devoir s'acquitter. Dès l'origine toutefois, il était clair que les conditions d'application du DALO ne rendraient que plus patente la disproportion déjà existante entre le nombre d'ayants droit et celui des logements ou places d'hébergement disponibles . L'estimation moyenne de 600 000 ménages éligibles (1,7 million de personnes) était mise en regard du quota de 25 % des réservations du parc de logement social correspondant au contingent préfectoral destiné aux personnes défavorisées et représentant au mieux 65 000 logements par an.

Les éléments recueillis par vos rapporteurs auprès des commissions de médiation font état d'un étonnement partagé par plusieurs d'entre elles face au nombre plus limité qu'initialement estimé des recours dont elles sont saisies. Les raisons de ce décalage sont diverses :

- une information et un accompagnement des travailleurs sociaux encore insuffisants .

Plusieurs commissions de médiation et associations oeuvrant dans le domaine du logement soulignent des carences dans l'information et la formation de certains travailleurs sociaux qui jouent pourtant un rôle clé dans l'accompagnement des demandeurs. La complexité du dispositif au regard des différents critères de priorité, des étapes de la procédure et des conditions de l'offre de logement pour les demandes prioritaires rend pourtant indispensable l'accompagnement social des requérants dans leurs démarches. Plusieurs interlocuteurs rencontrés par vos rapporteurs soulignent que dans quelques cas, heureusement limités, certains départements, considérant que le DALO relève de la seule responsabilité de l'État, ont refusé que leurs travailleurs sociaux apportent leur concours aux demandeurs.

- la pratique, dans certains cas, d'une certaine autocensure de différents échelons administratifs ou politiques .

Outre la mobilisation très inégale des travailleurs sociaux de certains départements, certaines commissions déplorent une certaine « retenue » de responsables administratifs et politiques dans la publicité faite à la procédure DALO par crainte d'un afflux de demandes et de débordements.

Le Haut comité pour le logement des personnes défavorisées constate, en particulier, que l'obligation faite aux préfets d'organiser l'accès des personnes concernées à l'information, comme le prévoit pourtant l'article 5 de la loi, n'a bien souvent pas été entièrement assumée. Les prestations associatives sont, quant à elles, rendues difficiles par l'absence d'un financement adéquat.

- les appréhensions de certains ménages.

Certaines familles hésitent à faire usage du DALO de peur d'en pâtir au plan de leur proximité et leur communauté de vie en cas de proposition d'un logement ne correspondant pas à leurs attentes ou à leurs ancrages.

Il est à noter que ces constats sont restés valables en période de crise économique, crise que certaines commissions affirment percevoir à travers la précarisation croissante des demandeurs au cours de ces dernières années.

b) Une concentration géographique marquée

Malgré un chiffre inférieur aux estimations initiales, le nombre de saisines des commissions de médiation demeure très significatif. Mais surtout, comme en témoignent les chiffres communiqués à vos rapporteurs par le ministère chargé du logement, les recours apparaissent concentrés sur les grandes agglomérations de quelques régions .

En effet, en 2011, près de 90 % des demandes déposées concernent sept régions : 60 % des recours sont déposés en Île-de-France, 13,5 % en région Provence-Alpes-Côte d'Azur (avec une tendance à la hausse par rapport aux années précédentes), près de 5 % en Rhône-Alpes et environ 3 % dans le Nord-Pas-de-Calais, 3% en Midi-Pyrénées, 3 % dans le Languedoc-Roussillon et 2,5 % dans les Pays de la Loire. Par contraste, des régions comme le Limousin ou la Franche-Comté ne comptent chacune que pour 0,05 % des recours. Près de 70 départements, donc une large majorité, ont une moyenne inférieure à 20 recours par mois.

Avec environ 1 000 recours déposés chaque mois, Paris concentre 20 % des recours et fait donc figure d'exception (11 069 recours déposés en 2011). Hors Île-de-France, les Bouches-du-Rhône (4 683 recours en 2011), la Haute-Garonne (2 209), le Var (2 108), le Nord (2 101), le Rhône (1 945), les Alpes-Maritimes (1 693), l'Hérault (1 442), la Loire-Atlantique (1 358), la Gironde (1 091) l'Isère (843) représentent les départements qui concentrent la majorité des recours. Les chiffres présentés par le ministère en charge du logement indiquent que certains départements n'ont enregistré aucun recours l'année dernière (Yonne, Lozère, Ardennes, Meurthe-et-Moselle, Meuse, Lot, Gers).

La concentration des recours est encore plus marquée s'agissant des demandes d'hébergement, l'Île-de-France rassemblant à elle seule près de 74 % d'entre eux , suivie des régions Rhône-Alpes (7,4 %) et Midi-Pyrénées (5,6 %).

c) Le cas particulier de l'Île-de-France

Selon l'Union sociale pour l'habitat d'Île-de-France, entre janvier 2008 et décembre 2011, 185 779 dossiers ont été déposés auprès des commissions de médiation franciliennes. Parmi eux, 162 287 recours concernent une demande de logement, soit 87 % des dossiers déposés. A cet échelon régional, 28 % des recours sont déposés à Paris intramuros.

En 2011, la concentration des recours à Paris est légèrement plus marquée pour les recours logement (25 % des recours de la région) que pour les recours hébergement (19 %). Paris est suivi de la Seine-Saint-Denis pour les demandes de logement (près de 16,5 % des recours logement d'Île-de-France) et par le Val-de-Marne s'agissant des demandes d'hébergement (plus de 23 % des recours hébergement franciliens).

2. Des divergences d'appréciation entre commissions

Vos rapporteurs saluent le travail effectué par les commissions de médiation qui sont désormais toutes opérationnelles. Plusieurs d'entre elles ont connu une montée en régime rapide aboutissant à un fonctionnement chronophage pour leurs membres bénévoles.

Ils se félicitent, par ailleurs, des clarifications apportées depuis la fin de l'année 2009 aux nouveaux formulaires de saisine des commissions, plus complets que les précédents, et qui ont permis de faire baisser de manière significative la part des dossiers inexploitables .

Les éléments recueillis par vos rapporteurs font néanmoins état de divergences d'appréciation persistantes entre commissions. En effet, certaines pratiques ne respectent pas toujours les exigences formulées par la loi DALO.

a) Des disparités dans l'interprétation des critères de priorité

Le manque d'homogénéité des réponses apportées, selon le département concerné, aux demandes reflétant une situation sociale analogue fait partie des constats partagés par les acteurs du DALO entendus par vos rapporteurs. La loi fait obligation aux commissions de médiation d'apprécier les demandes au regard de critères objectifs. Cependant, contrairement à la lettre et à l'esprit de la loi, certaines commissions ne font pas toujours abstraction de la situation générale du logement social ou de l'hébergement dans le département relevant de leur périmètre. Le caractère prioritaire et urgent des demandes s'en trouve relativisé alors qu'il devrait être apprécié dans l'absolu. Des divergences d'appréciation apparaissent également selon le profil de la personnalité qualifiée chargée de présider les commissions.

Ainsi, des inégalités de traitement entre requérants subsistent-elles d'un département à l'autre. Certaines commissions sont en effet tentées de limiter le nombre de personnes reconnues prioritaires dans les départements qui correspondent à des zones tendues :

- elles ne reconnaissent pas toujours prioritaires des requérants déjà logés dans le parc social, considérant que leur requête relève d'une simple demande de mutation dont il revient aux bailleurs sociaux de traiter ;

- elles ne désignent comme prioritaires les ménages menacés d'expulsion que si une demande de concours de la force publique a été formalisée ou le concours de la force publique accordé, donc trop tard ;

- certaines ne retiennent le motif du délai anormalement long que s'il s'ajoute à un autre critère de priorité ;

- d'autres prévoient une condition minimale de durée de demande de logement social.

Vos rapporteurs saluent donc l'initiative prise par l'administration centrale d'éditer un « guide des bonnes pratiques des commissions de médiation » qui, dans sa version actualisée, permet d'éclairer les commissions sur la bonne manière d'apprécier les critères de priorités.

A l'aune des informations recueillies auprès des commissions de médiation, ils regrettent toutefois que ces lignes directrices qui, sans être contraignantes, devraient faire partie de la culture commune de toutes les commissions, ne soient pas prises en compte par l'ensemble d'entre elles .

Ils rappellent que les commissions de médiation ne doivent en aucun cas se prononcer en tenant compte des disponibilités effectives en logements ou en hébergements du territoire concerné, ni en fonction de l'attitude supposée des bailleurs sociaux.

b) Des écarts significatifs entre taux de décisions favorables selon les territoires

Le taux moyen de décisions favorables émanant des commissions de médiation en réponse aux recours logement et hébergement se situe à environ 39 %. Le taux de rejet est d'environ 52 %, 8 % des recours devenant sans objet parce que les requérants sont relogés avant la réunion de la commission et 1 % perdant leur raison d'être pour d'autres motifs (déménagement, incarcération, décès, etc.).

Ces taux moyens cachent cependant de fortes disparités. Comme le montre le tableau ci-dessous, en 2011, les taux de décisions favorables sur les recours logement et hébergement varient de 35,5 % en Île-de-France et 36,6 % en Languedoc-Roussillon à 72,6 % en Franche-Comté et 74 % en Bourgogne .

Il n'est pas rare que les taux de décisions favorables varient fortement entre départements, au sein d'une même région. En Île-de-France, sur les recours logement, ce taux s'échelonnait de 19,1 % pour le Val d'Oise à 61,6 % pour la Seine-et-Marne en 2011. L'écart est légèrement moins sensible, quoique non négligeable, sur les recours hébergement : il va de 28 % de décisions favorables dans le Val-de-Marne à 53 % à Paris (hors prise en compte des décisions de réorientation vers l'hébergement).

3. Une vigilance particulière consécutive à l'échéance du 1er janvier 2012

La dernière étape du déploiement de la procédure du DALO, tel que le prévoit le calendrier défini par la loi, est celle du 1 er janvier 2012. Le recours contentieux s'est en effet ouvert, depuis cette date, aux demandeurs pour délai anormalement long dont la situation est reconnue prioritaire et urgente et qui n'auraient pas reçu de proposition de relogement adaptée.

Il est fort probable que cette ouverture provoque un afflux de nouvelles demandes, non seulement auprès des juridictions administratives mais aussi, par un effet de visibilité accrue, devant les commissions départementales de médiation. Vos rapporteurs appellent par conséquent à une vigilance particulière face aux évolutions possibles du nombre de recours et aux inquiétudes suscitées par cette nouvelle échéance.

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