B. LES RELATIONS DE PÔLE EMPLOI AVEC SES SOUS-TRAITANTS
Dans le prolongement des développements qui précèdent sur la relation de Pôle emploi avec l'Apec, la mission s'est intéressée aux modalités de recours par Pôle emploi à la sous-traitance, notamment pour faire appel aux services des opérateurs privés de placement.
1. La place des opérateurs privés de placement dans le service public de l'emploi
a) La sous-traitance, source présumée de gains d'efficience pour le service public de l'emploi
A la suite de la loi de programmation pour la cohésion sociale de 2005, qui était revenue sur le monopole étatique du placement des demandeurs d'emploi instauré en 1945, les opérateurs privés de placement (OPP) ont occupé une place grandissante dans l'accompagnement global des demandeurs d'emploi 65 ( * ) . Les raisons du recours à cette sous-traitance sont multiples, mais se réfèrent toutes au même objectif : améliorer l'efficience du service public de l'emploi en permettant un retour à l'emploi plus rapide et plus durable. Au-delà des convictions idéologiques de certains de ses promoteurs (une organisation privée serait par nature plus efficace qu'une organisation publique), les bienfaits de la sous-traitance du placement des demandeurs d'emploi reposent sur deux arguments principaux :
- la mise en concurrence des opérateurs publics et des entreprises privées est un facteur d'émulation réciproque. En particulier, la sous-traitance est supposée permettre d'élargir la gamme des méthodes de placement, de favoriser les expérimentations et les échanges d'expérience. Comme le résumait le rapport du Sénat relatif au projet de loi de programmation pour la cohésion sociale : « Le renforcement de la concurrence doit favoriser l'émergence des bonnes pratiques et dynamiser le service public de l'emploi. » 66 ( * ) ;
- la sous-traitance est également un moyen souple pour l'opérateur public d'ajuster le niveau des moyens nécessaires au suivi des chômeurs et de faire face aux pics d'activité. C'est un argument qui a été particulièrement d'actualité avec la crise économique qui est intervenue à partir de 2008.
b) Une sous-traitance d'une ampleur inédite depuis 2008
En 2006, un appel d'offres lancé par l'Unedic a donné pour la première fois à la sous-traitance globale de l'accompagnement des chômeurs une importance significative, en prévoyant la délégation pendant deux ans du suivi de 46 000 allocataires par an présentant des difficultés particulières d'accès à l'emploi.
En 2008, la sous-traitance a changé une nouvelle fois d'ordre de grandeur, quand l'ANPE a défini des marchés de sous-traitance globale pour deux prestations, « Cible emploi » et « Mobilisation vers l'emploi ». « Cible emploi » est un programme de suivi non ciblé, d'une durée de trois mois, qui comprend un entretien bimensuel, des ateliers à thème et la mise à disposition d'outils de recherche d'information pour élaborer un projet professionnel. Le second programme est une prestation d'une durée de six mois visant à faciliter l'intégration dans un emploi de personnes au chômage qui rencontrent des difficultés de réinsertion professionnelle et sociale (problèmes personnels de différente nature : santé, surendettement, hébergement, contraintes familiales...). Ces deux programmes ont conduit à déléguer aux OPP le suivi de 900 000 chômeurs sur la période 2009-2010 pour un coût cumulé de plus de 500 millions d'euros.
Après la fusion de l'ANPE et des Assedic, dans un contexte de forte montée du chômage entrainant la saturation des capacités de traitement de Pôle emploi, le recours aux OPP a constitué un moyen d'adaptation des capacités à la conjoncture. L'opérateur public a alors mis en place deux programmes de sous-traitance supplémentaires ciblés sur des personnes rencontrant des difficultés particulières et nécessitant un suivi approfondi et personnalisé 67 ( * ) :
- le programme « Trajectoire emploi ». Il vise les demandeurs d'emploi rencontrant des difficultés d'insertion durable (CDD ou missions d'intérims récurrents) souhaitant se stabiliser dans un emploi, ceux pour lesquels les perspectives d'emploi sont limitées localement et dont le retour à l'emploi nécessite un travail sur la mobilité professionnelle et/ou géographique et ceux qui se confrontent pour la première fois au marché du travail et dont la cible professionnelle est à clarifier. Déclenchée lors du projet personnalisé d'accès à l'emploi ou du suivi mensuel personnalisé, la prestation est prévue pour une durée de six mois, plus trois mois de suivi dans l'emploi en cas de reprise d'emploi ;
- le programme « Accompagnement des licenciés économiques ». Le public visé comprend les adhérents aux dispositifs de reclassement professionnel inscrits en catégorie 4 (salariés des entreprises locales en liquidation ou en redressement judiciaires ou de moins de mille salariés qui procèdent à des licenciements économiques). La prestation fournie par le sous-traitant est de douze mois, plus trois mois d'accompagnement dans l'emploi.
Lancée en mars 2009, la procédure d'appel d'offres a permis à Pôle emploi d'attribuer trente-trois lots régionalisés dans le cadre de chacun des deux programmes. Manpower, Adecco, Sodie et VAR sont les principaux titulaires des lots attribués sur le programme « Trajectoire emploi » avec respectivement 23 %, 10 %, 9 % et 7 % du montant prévisionnel total des marchés attribués, tandis que, pour le programme « Accompagnement des licenciés économiques », arrivent en tête Sodie et l'Afpa, avec des parts de marchés de, respectivement, 33 % et 10 %.
Là encore, le nombre de bénéficiaires et le montant des dépenses donnent une indication claire de l'ampleur que prend l'externalisation du suivi des demandeurs d'emploi par les OPP. L'objectif de ces deux programmes est en effet de déléguer l'accompagnement de 320 000 demandeurs d'emploi sur deux ans. Sur la période 2009-2010, 280 000 chômeurs leur ont effectivement été confiés, pour un coût d'un peu moins de 300 millions d'euros 68 ( * ) .
Si on le compare à ce qui se fait dans d'autres pays européens, le recours à la sous-traitance en France, malgré sa récente montée en puissance, reste d'une ampleur limitée. D'après les données recueillies par l'IGF sur cette question, en 2009, la dépense de sous-traitance du service public de l'emploi français (349 millions d'euros) est inférieure à celle du Royaume-Uni (967 millions d'euros). En flux de bénéficiaires, 481 000 demandeurs d'emploi ont été orientés vers des prestataires privés en France en 2009 contre 728 000 au Royaume-Uni.
Pour l'avenir immédiat, la tendance est plutôt à la baisse du recours à la sous-traitance. Comme on le verra plus bas, cette dernière n'a en effet pas apporté la preuve d'une supériorité évidente en termes d'efficacité dans le retour à l'emploi et des interrogations demeurent sur les voies à suivre pour optimiser le recours aux prestataires externes. Comme depuis maintenant trois ans, de facto , les OPP constituent essentiellement une variable d'ajustement pour le service public de l'emploi pour faire face aux variations du niveau d'activité, les perspectives d'amélioration modérée de la situation de l'emploi justifient que les pouvoirs publics fassent le choix de « réduire la voilure » - selon l'expression utilisée par le directeur général de Pôle emploi. La quasi totalité des contrats conclus entre Pôle emploi et les OPP dans le cadre des marché « Licenciés économiques » et « Trajectoire emploi » seront donc prolongés d'une année mais avec l'objectif de prendre en charge seulement 80 000 à 100 000 demandeurs d'emploi cette année.
* 65 On distingue la sous-traitance de prestations ponctuelles (ateliers de recherche d'emploi, bilan de compétence approfondi, etc.) et la sous-traitance globale qui délègue entièrement l'accompagnement des demandeurs d'emploi. Dans cette partie, il n'est question que de la sous-traitance globale aux OPP. À noter que, dans les comptes de Pôle emploi, dans la partie « budget d'intervention », ces deux formes de sous-traitance sont distinguées.
* 66 Cf. le rapport Sénat n° 32 (2004-2005), fait par Louis Souvet et Valérie Létard, au nom de la commission des affaires sociales.
* 67 Trois si l'on ajoute le marché « Atouts cadres », dont il a déjà été question dans le chapitre consacré à l'Apec.
* 68 Pour un chiffrage définitif, il faudra attendre les remontées concernant le premier semestre 2011.