Rapport d'information n° 675 (2010-2011) de Mme Marie-Thérèse HERMANGE , fait au nom de la Mission commune d'information sur le Mediator, déposé le 28 juin 2011
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PROCÈS-VERBAUX DES AUDITIONS DE LA MISSION
COMMUNE D'INFORMATION
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Audition de Mme Anne CASTOT, chef du service de la
surveillance du risque, du bon usage et de l'information sur les
médicaments à l'Agence française de sécurité
sanitaire des produits de santé
(mardi 1er février 2011)
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Audition de M. Jean-François GIRARD,
conseiller d'Etat, président du Pôle de recherche et
d'enseignement supérieur (PRES) « Sorbonne Paris
Cité », ancien directeur de la Santé (1986-1997)
(mardi 1er février 2011)
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Audition de M. le professeur Hubert ALLEMAND,
médecin-conseil national de la Caisse nationale d'assurance maladie des
travailleurs salariés (Cnamts)
(mardi 1er février 2011)
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Audition de M. le professeur Jacques BARROT, membre
du Conseil constitutionnel, ancien ministre du travail et des affaires sociales
(1995-1997) (mardi 1er février 2011)
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Audition de M. Pierre SCHIAVI, directeur de la
division scientifique « Pharmacologie et gériatrie »
des laboratoires Servier (jeudi 3 février 2011)
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Audition de M. François ROUSSELOT,
président de la commission des relations médecin-industrie du
Conseil national de l'Ordre des médecins
(mardi 8 février 2011)
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Audition de Mmes Isabelle ADENOT, présidente
du Conseil national de l'Ordre des pharmaciens, et Françoise ROBINET,
vice-présidente de la section B de l'Ordre des pharmaciens
(mardi 8 février 2011)
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Audition de M. Jean-François MATTEI,
président de la Croix Rouge, ancien ministre de la santé
(2002-2004) (mardi 8 février 2011)
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Audition de M. Christian BABUSIAUX,
président de l'Institut des données de santé
(mardi 8 février 2011)
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Audition de M. Noël RENAUDIN,
président du Comité économique des produits de
santé (mardi 15 février 2011)
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Audition de M. Didier TABUTEAU, conseiller d'Etat,
ancien directeur général de l'Agence du médicament
(1993-1997), ancien directeur-adjoint du cabinet du ministre de l'emploi et de
la solidarité (1997-2000), ancien directeur du cabinet du ministre
délégué à la santé (2001-2002)
(mardi 15 février 2011)
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Audition de M. Didier HOUSSIN, directeur
général de la santé
(mardi 15 février 2011)
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Audition de M. Bruno TOUSSAINT, directeur de la
revue Prescrire (jeudi 17 février 2011)
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Audition de M. Dominique MARTIN, directeur de
l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux
(jeudi 17 février 2011)
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Audition de M. André WENCKER, directeur
général de la Mutuelle générale des cheminots
(jeudi 17 février 2011)
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Audition de M. le professeur Pierre-Louis DRUAIS,
président du Collège de médecine générale
(jeudi 17 février 2011)
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Audition du Professeur Jean-Louis MONTASTRUC,
professeur de pharmacologie clinique, chef du service de pharmacologie clinique
du CHU de Toulouse, responsable du centre régional de pharmacovigilance
de Toulouse (mardi 1er mars 2011)
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Audition de M. Philippe LAMOUREUX, directeur
général du des Entreprises du médicament (Leem), ancien
directeur auprès du directeur général (1994-1997) et
ancien secrétaire général (1997-1998) de l'Agence du
médicament (mardi 1er mars 2011)
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Audition de M. Philippe LECHAT, directeur de
l'évaluation des médicaments et des produits biologiques à
l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de
santé (mardi 1er mars 2011)
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Audition de MM. Jean-Luc HAROUSSEAU,
président, François ROMANEIX, directeur général, et
Gilles BOUVENOT, président de la commission de la transparence, de la
Haute Autorité de santé
(mardi 1er mars 2011)
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Audition de M. Jacques de TOURNEMIRE, ancien
conseiller pour les industries de santé au cabinet du ministre de la
santé, de la famille et des personnes handicapées (2002 à
2004) (jeudi 3 mars 2001)
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Audition de M. William DAB, ancien directeur
général de la santé (2003-2005)
(jeudi 3 mars 2011)
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Audition de M. Martin HIRSCH, ancien directeur du
cabinet du secrétaire d'Etat à la santé et ancien
conseiller chargé de la santé au cabinet du ministre de l'emploi
et de la solidarité (1997-1999)
(jeudi 3 mars 2011)
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Audition de M. Claude HURIET, professeur
émérite, rapporteur de la loi n° 88-535 du
1er juillet 1998 relative au renforcement de la veille sanitaire et du
contrôle de la sécurité sanitaire des produits
destinés à l'homme, président d'un groupe de travail des
Assises du médicament (mardi 8 mars 2011)
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Audition de M. Jean-Philippe SETA,
président opérationnel des Laboratoires Servier
(mardi 8 mars 2011)
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Audition de M. Eric ABADIE, conseiller
scientifique auprès du directeur général de l'Agence
française de sécurité sanitaire des produits de
santé (mardi 8 mars 2011)
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Audition de MM. Frédéric VAN
ROEKEGHEM, directeur général et Hubert ALLEMAND,
médecin-conseil national, de la Caisse nationale d'assurance maladie des
travailleurs salariés (Cnam) (mardi 8 mars 2011)
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Table ronde avec des représentants de la
presse médicale : MM. Vincent BOUVIER, président des
éditions Vidal, Gilles CAHN, directeur des éditions John Libbey,
Gérard KOUCHNER, président de Janus, Bruno THOMASSET,
président du groupe Impact médecine, Alain TREBUCQ,
président du syndicat de la presse et de l'édition des
professions de santé, directeur général de Global
média santé et Mme Stéphanie VAN DUIN,
présidente-directrice générale des éditions
Elsevier Masson (jeudi 10 mars 2011)
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Audition de M. Jacques SERVIER, président
des Laboratoires Servier (jeudi 10 mars 2011)
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Audition de M. Jean-René BRUNETIÈRE,
ancien directeur général de l'Agence du médicament
(1997-1999) (mardi 22 mars 2011)
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Audition de M. Lucien ABENHAÏM, professeur
d'épidémiologie et de biostatistique ancien directeur
général de la santé (1999-2003)
(mardi 22 mars 2011)
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Audition de M. Jean-Pierre BADER, professeur
émérite, ancien conseiller au cabinet du ministre de la
santé (1974-1979), ancien président du comité national de
pharmacovigilance (1979-1981), ancien vice-président de la commission
d'autorisation de mise sur le marché des médicaments (1988-1991),
ancien président de la commission de contrôle de la
publicité et de la diffusion du bon usage des médicaments
(1991-1997) (mardi 22 mars 2011)
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Audition de M. Philippe BAS, président de
l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de
l'environnement et du travail (Anses), ancien ministre de la santé et
des solidarités (2007), ancien directeur du cabinet du ministre du
travail et des affaires sociales (1995-1997)
(jeudi 24 mars 2011)
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Audition de M. Antoine de BECO, président
de la Société de formation thérapeutique du
généraliste (jeudi 24 mars 2011)
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Audition de M. Jean-Louis IMBS, professeur de
pharmacologie, ancien président de la commission nationale de
pharmacovigilance (1992-1995) (jeudi 24 mars 2011)
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Audition de Mme Geneviève DERUMEAUX,
présidente de la Société française de cardiologie
(jeudi 24 mars 2011)
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Audition de M. Dominique MARANINCHI, directeur
général, et de Mme Fabienne BARTOLI, adjointe au directeur
général, de l'Agence française de sécurité
sanitaire des produits de santé (mardi 29 mars 2011)
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Audition de M. Pierre-Louis BRAS inspecteur
général des affaires sociales, ancien directeur de la
sécurité sociale (2000-2002) (jeudi 31 mars 2011)
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Audition de M. Louis-Charles VIOSSAT, inspecteur
général des affaires sociales, ancien directeur du cabinet du
ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées
(2002-2004) (jeudi 31 mars 2011)
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Audition de MM. Daniel VITTECOQ, président,
et Jean-François BERGMANN, vice-président, de la commission
d'autorisation de mise sur le marché de l'agence française de
sécurité sanitaire des produits de santé (jeudi 31 mars
2011)
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Audition de Mme Virginie BAGOUET, journaliste
scientifique (mardi 5 avril 2011)
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Audition de MM. Daniel BIDEAU, administrateur, et
Grégory CARET, directeur des études, de l'UFC-Que Choisir
(mardi 5 avril 2011)
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Audition de M. Etienne CANIARD, président
de la Fédération nationale de la mutualité
française, président de la Fondation de l'avenir pour la
recherche médicale appliquée
(mardi 5 avril 2011)
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Audition de M. Philippe DUNETON, ancien directeur
général de l'Agence française de sécurité
sanitaire des produits de santé (Afssaps) (1999-2004)
(mardi 5 avril 2011)
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Table ronde avec des représentants
d'associations de patients : M. Dominique-Michel COURTOIS,
président de l'Association des victimes de l'Isoméride et du
Mediator (Avim), M. Karim FELISSI, conseiller national et Mme Marie
RUELLEUX, de la Fnath, association des accidentés de la vie,
Mme Sophie Le PALLEC, présidente de l'Association des malades des
syndromes de Lyell et de Stevens-Johnson (Amalyste), M. Gérard
RAYMOND, président de l'Association française des
diabétiques (AFD) (mercredi 6 avril 2011)
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Audition de M. Jean MARIMBERT, ancien directeur
général de l'Agence française de sécurité
sanitaire des produits de santé (Afssaps) (2004-2011)
(mercredi 6 avril 2011)
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Audition de Mme Carmen KREFT-JAÏS, ancien
chef du département pharmacovigilance de l'Agence française de
sécurité sanitaire des produits de santé (2008-2011)
(mardi 12 avril 2011)
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Audition de M. Louis MERLE, professeur de
pharmacologie, ancien président de la commission de pharmacovigilance de
l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de
santé (Afssaps) (2007- 2010) (mardi 12 avril 2011)
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Audition de M. Antoine VIAL, spécialiste de
l'information médicale et grand public, membre de la commission
« Qualité et diffusion de l'information
médicale » de la Haute Autorité de santé, membre
du conseil d'administration de la revue Prescrire, coordinateur du Collectif
Europe et Médicament (mardi 12 avril 2011)
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Audition de Mme Anne LAUDE, professeur de droit
à l'université Paris Descartes, codirecteur de l'Institut Droit
et Santé (jeudi 14 avril 2011)
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Audition de M. Denys SCHUTZ, directeur
général de Servier-Biopharma
(jeudi 14 avril 2011)
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Audition de M. Bernard BÉGAUD,
professeur de pharmacologie à l'université de Bordeaux,
directeur de l'unité de recherche
« Pharmaco-épidémiologie et évaluation de
l'impact des produits de santé sur les populations »
(jeudi 14 avril 2011)
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Audition de Mme Catherine REY-QUINIO, responsable
de l'unité pharmaco-toxico-clinique 2 du département de
l'évaluation thérapeutique des demandes d'autorisation de mise
sur le marché à l'Agence française de
sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps)
(mardi 26 avril 2011)
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Audition de M. Jean-Michel ALEXANDRE, professeur
de pharmacologie, ancien président de la commission d'autorisation de
mise sur le marché (1985-1993), ancien directeur de l'évaluation
des médicaments à l'Agence du médicament et à
l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de
santé (1993-2000), ancien président du comité des
médicaments à usage humain au sein de l'Agence européenne
du médicament (1995-2000) (mardi 26 avril 2011)
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Audition de M. Jean WEBER, ancien conseiller
technique au cabinet du ministre de la santé et de la
sécurité sociale (1975-1978), ancien directeur de la pharmacie et
du médicament au ministère de la santé et de la
sécurité sociale (1978-1982), secrétaire
général de la commission nationale de la pharmacopée
(1979-1982), chargé par le Premier ministre d'une mission sur la
politique et le prix du médicament (1991) (mardi 26 avril 2011)
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Audition de MM. Christian LAJOUX,
président, Philippe LAMOUREUX, directeur général et Mme
Catherine LASSALE, directeur des affaires scientifiques des entreprises du
médicament (Leem) (jeudi 28 avril 2011)
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Audition d'Irène FRACHON, praticien
hospitalier au département de pneumologie du Centre hospitalier
universitaire de Brest (jeudi 28 avril 2011)
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Audition de M. Christian RICHÉ, professeur
de pharmacologie, responsable du centre régional de pharmacovigilance
de Brest, ancien président de la commission nationale de
pharmacovigilance (1998-2001) (mardi 3 mai 2011)
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Audition de M. Eric GIACOMETTI, journaliste, chef
de service au quotidien Le Parisien (mardi 3 mai 2011)
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Audition de M. Pierre CHIRAC, membre du collectif
Europe et Médicament, vice-président de l'association Mieux
Prescrire, membre de la rédaction de la revue Prescrire (mardi 3 mai
2011)
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Audition de M. Bernard KOUCHNER, ancien ministre
de la santé et de l'action humanitaire (1992-1993), ancien
secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'emploi et de la
solidarité, chargé de la santé (1997-1999), ancien
ministre délégué à la santé auprès du
ministre de l'emploi et de la solidarité (2001-2002) (mardi 3 mai
2011)
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Audition de Mme Corinne LEPAGE,
députée européenne, ancien ministre de l'environnement
(1995-1997) (jeudi 5 mai 2011)
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Audition de M. Philippe EVEN, professeur
émérite à l'Université Paris-Descartes,
président de l'Institut Necker, auteur d'un rapport avec M. Bernard
Debré sur la refonte du système français de contrôle
de l'efficacité et de la sécurité des médicaments
(jeudi 5 mai 2011)
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Audition de Mme Catherine HILL
épidémiologiste à l'Institut de cancérologie
Gustave Roussy, MM. Philippe RICORDEAU et Alain WEILL du
département des études sur les pathologies et les patients
à la direction de la stratégie, des études et des
statistiques de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs
salariés (Cnamts) (jeudi 5 mai 2011)
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Audition de M. Dominique DUPAGNE, médecin
généraliste (mardi 17 mai 2011)
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Audition de M. Lionel BENAÏCHE,
secrétaire général du service central de prévention
de la corruption (SCPC) (mardi 17 mai 2011)
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Audition de M. Jean ACAR, cardiologue, ancien chef
de service de cardiologie à l'hôpital Tenon, fondateur du groupe
valvulaire de la Société française de cardiologie, M.
Mahmoud ZUREIK, directeur de recherche et Mme Agnès FOURNIER,
épidémiologiste, à l'Institut national de la santé
et de la recherche médicale (Inserm)
(mardi 17 mai 2011)
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Audition de M. Edouard COUTY, président du
conseil d'administration de l'Office national d'indemnisation des accidents
médicaux (Oniam), rapporteur des Assises du médicament
(mardi 17 mai 2011)
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Audition de M. Philippe FOUCRAS, médecin
généraliste, président, et Mme Anne Chailleu, membre,
du Formindep (Pour une formation et une information médicales
indépendantes) (jeudi 19 mai 2011)
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Audition de M. Pierre BORDRY, président, et
Mme Axelle HOVINE, secrétaire générale, de la Commission
paritaire des publications et agences de presse (CPPAP) (jeudi 19
mai 2011)
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Audition de M. Paul BENKIMOUN, journaliste en
charge des questions de santé et de médecine au quotidien Le
Monde (jeudi 19 mai 2011)
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Table ronde sur la pharmacovigilance en
France :M. Jacques CARON, responsable du centre de pharmacovigilance
de Lille, Mme Françoise HARAMBURU, responsable du centre de
pharmacovigilance de Bordeaux, M. Jean-Pierre KANTELIP, responsable du
centre de pharmacovigilance de Besançon, Mme Marie-Christine
PÉRAULT, responsable du centre de pharmacovigilance de Poitiers,
présidente de l'Association française des centres de
pharmacovigilance (mardi 24 mai 2011)
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Audition de M. André CICOLELLA,
président du Réseau Environnement Santé (mardi 24 mai
2011)
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Audition de Mme Patricia BRUNKO, chef
d'unité, et Mme Irène SACRISTAN-SANCHEZ, chef d'unité
adjoint « produits pharmaceutiques », au sein de la direction
générale de la santé et des consommateurs de la Commission
européenne (mardi 24 mai 2011)
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Audition de MM. Pierre AUCOUTURIER, Alain
TRAUTMANN et Mme Angélica KELLER, membres de l'Association Sauvons la
recherche (mardi 24 mai 2011)
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Audition de MM. Pierre JOLY, président, et
Patrice QUENEAU, membre, de l'Académie de médecine (jeudi 26 mai
2011)
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Audition de MM. Gérald SIMONNEAU,
professeur des universités, chef de service de pneumologie et
réanimation respiratoire, coordinateur du Centre de
référence national pour l'hypertension artérielle
pulmonaire sévère et Marc HUMBERT, professeur des
universités, praticien hospitalier dans le service de pneumologie et
réanimation respiratoire, à l'hôpital Antoine
Béclère (jeudi 26 mai 2011)
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Audition de M. Michel POT, ancien
secrétaire général de l'Agence française de
sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps)
(2004-2011) (jeudi 26 mai 2011)
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Audition de Mme Anne PRIGENT, directeur des
rédactions d'Impact Médecine et de Prescriptions Santé
(jeudi 26 mai 2011)
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Audition de M. Jean-Hugues TROUVIN, conseiller
scientifique auprès du directeur général pour les produits
biologiques, ancien directeur de l'évaluation (2001-2007), à
l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de
santé (Afssaps) (mercredi 1er juin 2011)
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Audition de M. Alain-Michel CERETTI, conseiller
santé auprès du Médiateur de la République, auteur
d'un rapport sur le bilan et les propositions de réforme de la loi du 4
mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du
système de santé (mercredi 1er juin 2011)
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Audition de MM. Didier DELMOTTE et
Jérémie SÉCHER, membres titulaire et suppléant de
la commission de déontologie (formation spécialisée
compétente pour la fonction publique hospitalière) (mercredi 1er
juin 2011)
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Audition de M. Jacques POIRIER, lanceur
d'alerte, ancien responsable de Sanofi-Aventis chargé des
approvisionnements biologiques du Lovenox
(mercredi 1er juin 2011)
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Audition de M. Pierre BOISSIER, chef de
l'Inspection générale des affaires sociales, Mme Anne-Carole
BENSADON, MM. Etienne MARIE et Aquilino MORELLE, membres de l'Inspection
générale des affaires sociales (Igas)
(lundi 6 juin 2011)
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Audition de M. André SYROTA,
président-directeur général de l'Institut national de la
santé et de la recherche médicale (Inserm),
Mme Cécile THARAUD, présidente du directoire de l'Inserm,
M. Victor DEMARIA-PESCE, chargé des relations avec les Parlements
français et européen, et M. Arnaud BENEDETTI, directeur du
département de l'information scientifique et de la communication
(mardi 7 juin 2011)
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Audition de M. Georges CHICHE, cardiologue
à Marseille (mardi 7 juin 2011)
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Audition de M. Xavier BERTRAND, ministre du
travail, de l'emploi et de la santé
(mardi 7 juin 2011)
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Audition de Mme Anne CASTOT, chef du service de la
surveillance du risque, du bon usage et de l'information sur les
médicaments à l'Agence française de sécurité
sanitaire des produits de santé
(mardi 1er février 2011)
N° 675
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2010-2011
Enregistré à la Présidence du Sénat le 28 juin 2011 |
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la mission commune d'information sur : « Mediator : évaluation et contrôle des médicaments » (1),
Par Mme Marie-Thérèse HERMANGE,
Sénateur.
Tome II : Auditions
(1) Cette mission commune d'information est composée de : M. François Autain , président ; Mme Nathalie Goulet, MM. Gilbert Barbier, Bernard Cazeau, vice-présidents ; MM. Jacky Le Menn, Jean-Louis Lorrain, secrétaires ; Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur ; M. Paul Blanc, Mme Marie-Christine Blandin, MM. Philippe Darniche, André Dulait, Alain Fauconnier, Michel Guerry, Mme Christiane Kammermann, M. Ronan Kerdraon, Mme Virginie Klès, MM. Dominique Leclerc, Jean-Pierre Michel, Alain Milon, Jean-Jacques Mirassou, Mmes Janine Rozier, Odette Terrade, MM. Jean-Marie Vanlerenberghe et Alain Vasselle.
PROCÈS-VERBAUX DES AUDITIONS DE LA MISSION COMMUNE D'INFORMATION
Audition de Mme Anne CASTOT, chef du service de la surveillance du risque, du bon usage et de l'information sur les médicaments à l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (mardi 1er février 2011)
M. François Autain, président . - Alors qu'elle est due à une initiative qui remonte au 21 novembre, notre mission commune d'information n'organise qu'aujourd'hui ses premières auditions, en commençant par celle de Mme Anne Castot, chef de service de la surveillance du risque, du bon usage et de la formation sur les médicaments à l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps). Nous voulons comprendre ce qui s'est passé avec le Mediator et éviter que de tels événements ne surviennent à nouveau.
Madame, je vous demanderai de commencer par décrire les étapes de votre carrière, les conditions de votre recrutement à l'Agence du médicament et les fonctions successives que vous avez exercées.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - J'ajoute que nos travaux sont ouverts à la presse.
M. François Autain, président . - En effet. Vous pouvez d'ailleurs demander le huis clos.
Mme Anne Castot, chef du service de la surveillance du risque, du bon usage et de l'information sur les médicaments à l'Afssaps . - Soyons transparents.
J'ai effectué toute ma carrière dans le service public, à l'hôpital Fernand Widal de Paris, où j'ai été médecin attaché, puis chef de clinique-assistant avant de devenir, en 1986, praticien hospitalier en pharmacologie clinique. J'ai exercé au centre antipoison dans le service du professeur Fournier, avant de faire partie des pionniers de la pharmacovigilance dans les années 1974-1975, au sein d'une structure créée à la demande des chefs de service de l'époque, car il nous fallut attendre 1984 pour qu'un décret reconnaisse cette nouvelle discipline.
Jusqu'en 1993, je me suis consacrée à la toxicologie clinique, à la pharmacologie et à la pharmacovigilance dans le centre de l'hôpital Fernand Widal, où j'ai poursuivi mon activité en consultation.
Lorsque l'Agence du médicament fut créée en 1993, j'ai été contactée par le professeur Jean-Michel Alexandre, futur directeur de l'évaluation du médicament. Après un temps de réflexion, j'ai accepté d'y travailler à titre temporaire, si bien que j'ai cumulé pendant quelques mois ce nouveau poste avec mon travail de pharmacovigilance à Fernand Widal. Ce choix s'explique à la fois par les échanges que j'ai eus avec le professeur Alexandre et par la volonté d'infléchir ma carrière en quittant l'hôpital. Au demeurant, l'évolution n'a pas été sans difficultés, car je ne connaissais pas l'administration. Je suis restée à l'agence à temps plein à partir de 1994. Souhaitant garder néanmoins un contact avec la clinique, j'ai conservé une activité de consultation hebdomadaire, puis bihebdomaire, avant d'y renoncer il y a deux ans à la suite d'un accident. Au demeurant, mes responsabilités au niveau européen étaient devenues prenantes.
M. François Autain, président . - Quelles étaient vos fonctions à l'Agence du médicament, à partir de 1994 ?
Mme Anne Castot . - Je fus tout d'abord nommée chef de l'unité de pharmacovigilance. Ma mission consistait à créer cette activité ab initio , et à l'organiser, sachant qu'elle allait devoir intégrer un an plus tard l'Europe du médicament, puisque l'Agence européenne du médicament date du 1 er janvier 1995. Dès lors, j'ai représenté la France au groupe européen de pharmacovigilance.
M. François Autain, président . - Je vous remercie de ces précisions. Avez-vous eu à un moment de votre carrière un lien d'intérêts avec un laboratoire pharmaceutique ?
Mme Anne Castot . - Jamais.
M. François Autain, président .- Nous commencerons par évoquer l'affaire du Mediator, avant d'aborder, si nous en avons le temps, l'évaluation et le contrôle du médicament.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Quand et comment avez-vous été informée pour la première fois des effets nocifs du Mediator, qui a reçu son autorisation de mise sur le marché (AMM) en 1974 ? En Belgique, son enregistrement a été refusé dès 1977. Quelles mesures avez-vous alors prises ?
Connaissez-vous les suites données aux premières analyses portant sur le danger des fenfluramines, notamment après l' International Primary Pulmonary Hypertension Study , dite « enquête IPPHS », réalisée en 1995 ? Comment furent traitées les informations transmises à l'agence dès 1998 par ses unités de pharmacovigilance ?
M. François Autain, président . - Quand avez-vous appris que le Mediator s'appelait benfluorex ?
Quand avez-vous fait le lien avec la dénomination commune internationale (DCI) élaborée par l'OMS ? Dans ce cadre, chaque famille thérapeutique est identifiée par un segment-clé. Ainsi, les dénominations ayant une terminaison en « orex » désignent des anorexigènes. Il est vrai qu'au cours d'une interview donnée au Figaro , le professeur Lucien Abenhaïm a dit n'avoir découvert qu'en 1999 l'existence du benfluorex !
Mme Anne Castot . - Ces trois questions sont distinctes mais liées. Pour plus de clarté, je commencerai par la deuxième.
Quand j'ai rejoint l'Agence du médicament, l'évaluation des risques liés aux anorexigènes avait déjà commencé, qu'il s'agisse des amphétaminiques ou des fenfluraminiques. La Direction de la pharmacie et du médicament (DPHM) s'intéressait aussi au sujet. Pour nous, l'année 1994 a joué un rôle charnière, puisque nous attendions les résultats préliminaires intermédiaires de l'étude IPPHS, conduite par le professeur Abenhaïm à la demande des laboratoires Servier mais dont nous avions validé le principe et que nous avions largement prise en charge. La France a, en effet, été rapporteur de ce dossier sur le plan européen. J'ai donc participé à l'expertise européenne des anorexigènes, mais ma première rencontre avec le Mediator date du milieu 1995.
Au vu de l'étude IPPHS, nous avons saisi l'Agence européenne du médicament, à qui l'Allemagne avait demandé un arbitrage. La réévaluation a commencé en Europe par un tour de table sur les effets indésirables des anorexigènes dans les pays membres. Je souligne que cette démarche concernait les seuls produits dont l'AMM mentionnait une indication anorexigène. Or, le benfluorex était classé hypolipidémiant, c'est-à-dire dans une autre catégorie ; l'occasion de l'étudier a donc été manquée.
M. François Autain, président . - L'OMS le classe comme anorexigène.
Mme Anne Castot . - Je n'ai découvert cela que bien plus tard.
M. François Autain, président . - En quelle année ?
Mme Anne Castot . - En 1996, lorsque j'ai constaté sa présence sur la liste 3 du décret Talon.
M. François Autain, président . - Si tard ? Vous avez pourtant été sollicités plus tôt à son sujet, en 1995.
Mme Anne Castot . - Oui... Cela doit remonter à 1995.
M. François Autain, président . - En effet, je dispose d'une lettre que vous avez signée cette année-là. Il faut être précis.
Mme Anne Castot . - Il s'agissait alors d'interdire l'utilisation de ce produit dans certaines préparations magistrales. Nous avons procédé en deux temps.
M. François Autain, président . - Pourquoi ?
Mme Anne Castot . - Mus par une volonté de précaution, nous n'avons pas attendu les résultats des études européennes pour interdire l'utilisation dans les préparations magistrales des produits dont l'AMM établie en France mentionnait une finalité anorexigène. Ensuite, au début de l'été 1995, nous avons ajouté les anorexigènes autorisés seulement sur les autres marchés européens, ainsi que les produits figurant sur la liste 3 du décret Talon, dont le benfluorex. C'est alors que j'ai découvert l'existence de ce produit. Je me suis interrogée sur les raisons ayant motivé son inscription du fait de sa parenté structurale, sans pousser ma réflexion jusqu'à son terme...
M. François Autain, président . - Avez-vous envisagé une erreur ?
Mme Anne Castot . - Non. En effet, ce produit devait raisonnablement faire perdre du poids, ne serait-ce que par les effets périphériques sur le métabolisme.
Nous avons interdit le benfluorex par précaution dans les préparations magistrales, car il est extrêmement difficile de les surveiller, contrairement aux spécialités mises sur le marché, mais nous n'avions pas pris cette décision sur des arguments pharmacologiques rapprochant le benfluorex des anorexigènes.
M. François Autain, président . - Ce distinguo est curieux, puisque l'interdiction du benfluorex en préparation magistrale était motivée par la crainte d'un déplacement de prescription, qui pouvait tout aussi bien se produire avec la spécialité pharmaceutique.
Il est vrai que ne pas utiliser la DCI est source de difficultés. Vous n'avez peut être pas établi de lien entre le Mediator et le benfluorex.
Pourquoi ne pas avoir évoqué le sujet avec votre directeur ? Songez à ce que vous auriez évité si vous n'aviez pas gardé tout cela pour vous !
Mme Anne Castot . - Je ne me souviens pas de l'avoir fait, mais il n'est guère envisageable que le chef de la pharmacovigilance que j'étais n'ait pas évoqué ce sujet avec son directeur.
Il faut savoir qu'à cette époque, nous pratiquions une pharmacovigilance a posteriori : toute décision devait être fondée sur des certitudes. Depuis, les choses ont évolué.
J'ajoute que je n'avais jamais prescrit de Mediator et qu'il ne figurait à l'ordre du jour d'aucune réunion consacrée aux anorexigènes, ni en France ni en Europe. D'ailleurs, aucun autre Etat membre ne s'était posé la question.
L'interdiction d'utiliser le benfluorex dans les préparations magistrales nous semblait être une précaution car il est difficile, toujours aujourd'hui, de les maîtriser. En revanche, s'agissant d'un médicament surveillé par le système de pharmacovigilance, s'il y a des notifications - et il n'y en avait pas à l'époque -, nous aurons les signaux d'alerte permettant de mieux appréhender le profil de risque.
M. François Autain, président . - Pourquoi ne pas avoir carrément retiré le benfluorex du marché, puisque vous avez interdit son utilisation dans les préparations magistrales ? C'est incohérent !
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Avez-vous eu connaissance de l'étude IPPHS, demandée en 1992 par l'Agence du médicament ? Pourquoi n'avez-vous pas établi de lien avec le retrait de l'Isoméride, décidé en 1997 ?
Mme Anne Castot . - L'Isoméride et le Ponderal ont été retirés de tous les marchés en septembre 1997, à la demande des laboratoires Servier. Nous connaissions alors des cas de valvulopathies, observés uniquement aux Etats-Unis et très mal expliqués.
M. François Autain, président . - Avez-vous effectué des recherches en France ?
Mme Anne Castot . - Oui.
M. François Autain, président . - Et vous n'avez rien trouvé ?
Mme Anne Castot . - Non. Les conditions d'utilisation aux Etats-Unis étaient différentes. Ces produits y étaient prescrits à de vrais obèses - car l'obésité y est un authentique sujet de santé publique - en association avec d'autres anorexigènes amphétaminiques. J'observe que l'AMM a été délivrée aux Etats-Unis en 1996, alors que le processus de retrait était engagé sur le Vieux Continent. En France et en Europe, les prescriptions concernaient des patients au surpoids modeste ou nul, avec des durées de traitement beaucoup plus courtes.
En septembre 1997, nous avons tenté de savoir si le problème existait en France et en Europe. La Commission européenne a demandé une réévaluation du bénéfice thérapeutique et du risque inhérent aux amphétaminiques et aux fenfluraminiques. J'en fus le rapporteur. Il est apparu qu'il n'y avait pas en Europe de valvulopathies reliées à ces spécialités - sauf en Belgique où elles étaient prescrites simultanément à d'autres anorexigènes, comme l'Amphepramone.
M. François Autain, président . - En France aussi il y a eu des co-prescriptions ! Le Centre régional de pharmacovigilance (CRPV) de Besançon a signalé onze cas d'hypertension artérielle pulmonaire due à l'absorption en association d'Isoméride et de benfluorex.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Quand avez-vous été pour la première fois informée des effets nocifs du Mediator ? Comment ces informations ont-elles été traitées au sein de l'agence ?
Mme Anne Castot . - Entre 1995 et 1997, ce produit a été mis sous surveillance par le CRPV de Besançon. Fin 1997-début 1998, suite à l'affaire des anorexigènes, il a été décidé de faire le point sur les données de notifications spontanées. Le profil pharmacocinétique de ce produit a été examiné au vu des connaissances acquises au sujet des fenfluramines et des autres spécialités dont l'AMM mentionnait un effet anorexigène.
M. François Autain, président . - Tout le problème est là !
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Comment les informations étaient-elles traitées au sein de l'unité de pharmacovigilance ?
Mme Anne Castot . - Courant 1998, un comité technique a examiné les données présentées par le CRPV de Besançon.
M. François Autain, président . - Ne disposiez-vous pas de résultats officieux depuis 1995 ?
Mme Anne Castot . - Non ! Nous craignions seulement une déviation de la prescription en raison de la parenté chimique. D'où l'enquête confiée au CRPV de Besançon, qui a été renforcée en 1998.
M. François Autain, président . - Pourtant, les premiers éléments étaient disponibles dès 1995.
Mme Anne Castot . - Il n'était alors question que de parenté chimique et de risques de déviation dans la prescription. C'était extrêmement ténu.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Pourquoi avoir maintenu l'indication de diabète avec surcharge pondérale lorsqu'en juillet 2007, la commission d'AMM a supprimé l'indication de troubles du métabolisme des lipides ?
Quels liens aviez-vous établis avec les autres agences de sécurité sanitaire ?
Mme Anne Castot . - En juillet 1999, j'ai quitté la pharmacovigilance pour prendre en charge la coordination des vigilances.
Pendant une partie de mon exercice professionnel à l'agence, je suis passée en deuxième position.
Fin 1998, deux démarches parallèles se déroulaient. L'une, conduite en France, concernait spécifiquement le produit ; l'autre, qui avait démarré en septembre 1998, était consécutive à la lettre envoyée par le professeur Garattini, suggérant d'inclure ce produit dans l'évaluation conduite à l'initiative de la Commission européenne sur les liens entre anorexigènes et valvulopathies.
M. François Autain, président . - Le professeur Garattini présentait-il le Mediator comme un anorexigène ?
Mme Anne Castot . - Oui.
M. François Autain, président . - Qu'en pensiez-vous ?
Mme Anne Castot . - Je ne pouvais qu'admettre cette idée, puisque le métabolisme de ce produit libère des norfenfluramines, dont les propriétés sont les mêmes que celles des fenfluraminiques.
M. François Autain, président . - Les « mêmes propriétés » ? Dites plutôt la même nocivité !
Mme Anne Castot . - Je me posais des questions. Certains parlaient d'hypertension artérielle pulmonaire (HTAP) liée à la norflenfluramine, mais certains travaux suggéraient que cet effet n'était pas dû à la consommation d'un produit isolé. Nous nous interrogions sur son rôle dans les valvulopathies, confirmé en 2000. Un cortège d'arguments suggérait que le Mediator pouvait se comporter comme les fenfluraminiques, mais sans preuve catégorique, ni compréhension du mécanisme.
Fin 1998, l'enquête française de pharmacovigilance continue. Saisie par le professeur Garattini, l'Agence européenne du médicament n'estime pas nécessaire de modifier la réévaluation en cours. Elle a donc saisi de ce dossier le groupe de pharmacovigilance dont j'étais vice-présidente. Nous avons alors lancé une évaluation sur deux pays : l'Italie et la France.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Quand avez-vous su que l'Espagne et l'Italie avaient retiré le Mediator ? Quelles conséquences ces décisions ont-elles eues pour l'agence ?
Mme Anne Castot . - Pour l'Espagne, je l'ai su dès 2003. En revanche, je n'ai aucun souvenir s'agissant de l'Italie, car j'étais chargée de coordonner les diverses actions de vigilance entre l'hémovigilance des produits sanguins labiles, la biovigilance portant sur le triptyque organe-tissu-cellule et la cosmétovigilance, outre les domaines alimentaire et environnemental. Il fallait que toutes les structures concernées travaillent ensemble. Pendant l'été 2005, le directeur général de l'Afssaps m'a demandé de revenir pour y développer le système de gestion des risques et mettre en place l'activité de plans de gestion du risque, ainsi que les études pharmaco-épidémiologiques.
Au demeurant, je n'ai jamais totalement cessé de suivre ce dossier, étant présidente du groupe européen de pharmacovigilance, où j'étais tenue à une certaine réserve puisque je ne représentais pas la France.
M. François Autain, président . - Vous vous êtes contentée de le suivre... Avez-vous utilisé les moyens tirés de l'article 12 pour imposer à vos partenaires une vision plus rigoureuse du benfluorex ? Vous disposiez des éléments permettant de faire retirer le benfluorex du marché, mais je n'ai pas l'impression que la France ait fait entendre sa voix...
Mme Anne Castot . - Alors que la règle « un pour tous, tous pour un » s'applique en cas de procédure communautaire, il est en revanche extrêmement difficile de se faire entendre dans le cadre européen lorsqu'on est en minorité sur un produit. Le benfluorex n'était commercialisé que dans certains pays. Les autres n'étaient pas intéressés.
J'espère que la révision communautaire va changer les choses.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Puisqu'il ne s'agissait pas d'une autorisation européenne, pourquoi la France n'a-t-elle pas retiré ce produit, comme l'Espagne l'a fait dès 2003 ?
M. François Autain, président . - Excellente décision !
Mme Anne Castot . - L'Espagne n'a pas retiré le produit du marché.
M. François Autain, président . - Vous faites du formalisme !
Mme Anne Castot . - En 2003, nous connaissions un cas de valvulopathie en Espagne. La commercialisation y a été immédiatement arrêtée par le laboratoire, mais les autorités de ce pays nous ont simplement informés que le benfluorex n'y était plus en vente.
M. François Autain, président . - Sans mentionner de liens avec la valvulopathie ?
Mme Anne Castot . - Mais c'est aujourd'hui que l'on se pose cette question !
M. François Autain, président . - Aurait-il fallu que Servier retire le benfluorex du marché français pour que nous en soyons débarrassés ?
Mme Anne Castot . - La pharmacovigilance repose sur des données provenant des professionnels de la santé, mais aussi sur celles transmises par les laboratoires. En 2003, Servier ne nous avait pas informés de ce qui avait motivé son retrait des marchés espagnol et italien.
Mme Nathalie Goulet . - Je ne suis ni médecin, ni pharmacien, mais je consomme des coupe-faim. Lorsque vous avez reçu la lettre des laboratoires Servier au sujet du Ponderal et de l'Isoméride, quel a été le circuit d'examen de ce courrier ? Quelle publicité les risques éventuels ont-ils reçue ?
Comment expliquez-vous le maintien du Mediator malgré le retrait de deux spécialités chimiquement semblables ? Le Dinintel était analogue au Mediator.
M. Jean Desessard . - Je suis perplexe. Quand on vous interroge, vous évoquez l'Europe ou l'avis de votre directeur, vous répondez que vous attendiez de savoir si le laboratoire prendrait une initiative. Est-ce à dire qu'à votre sens, l'Agence du médicament doive se contenter d'une activité journalistique faisant le point sur l'information et la diffusant, ou estimez-vous qu'elle doive anticiper les dangers pour protéger la santé des gens ? Ce que j'ai entendu jusqu'à présent évoque plutôt un service administratif empilant des dossiers avec inertie.
M. François Autain, président . - La comparaison avec les journalistes ne doit pas sembler critique, car ils ont effectué un travail remarquable.
M. Jean Desessard . - En effet.
M. François Autain, président . - On ne peut pas en dire autant de l'Afssaps.
M. Bernard Cazeau . - Le 1 er février 2001, Servier vous a donc envoyé un courrier décrivant le protocole d'une étude à conduire normalement en douze mois, mais celle-ci n'a été réalisée qu'en 2006 et transmise à l'Afssaps qu'en 2009 ! Pourquoi ces délais ? Pourquoi n'avez-vous pas insisté auprès du laboratoire pour que les résultats vous soient communiqués dans les délais habituels d'un an au lieu de trois ?
Mme Anne Castot . - Servier nous a envoyé non un courrier, mais la nouvelle qu'il allait retirer l'Isoméride et le Ponderal. Disposant d'un peu d'avance sur l'annonce officielle, nous avons immédiatement mis fin à toute commercialisation de ces deux spécialités.
M. François Autain, président . - Il me semble que le laboratoire a pris sa décision en France trois jours après la fin de la commercialisation aux Etats-Unis. Cela montre une nouvelle fois sa grande compassion...
Mme Anne Castot . - A cette époque, j'étais chef d'unité. Servier a pris une décision extrêmement brutale.
M. François Autain, président . - Par précaution.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Le laboratoire, pas l'agence chargée de la pharmacovigilance.
Mme Anne Castot . - Les conditions de prescription des anorexigènes étaient extrêmement restreintes depuis plusieurs années.
M. François Autain, président . - C'est exact.
Mme Anne Castot . - Nous arrivions au bout de l'évaluation européenne. Un arbitrage contraignant avait alors laissé le produit sur le marché, mais seulement sur une niche divisant par plus de cent la consommation, qui atteignait auparavant quelques centaines de milliers de boîtes par mois.
Nous connaissions alors les premiers cas de valvulopathies constatés à la Mayo Clinic. D'où la réunion organisée au plan européen.
M. François Autain, président . - Pour les réunions, vous êtes imbattables : il y en a eu dix-sept sur le benfluorex ! Votre problème, c'est l'action.
Mme Anne Castot . - Nous avons élargi l'évaluation à tous les anorexigènes, donc aussi au Dinintel.
M. François Autain, président . - Et au benfluorex ?
Mme Anne Castot . - Non ! L'AMM du Mediator ne mentionnait aucune « aide à perdre du poids » .
M. François Autain, président . - Saviez-vous qu'il s'agissait d'un anorexigène au sens de l'OMS ?
Mme Anne Castot . - Pas encore.
M. François Autain, président . - Quand en avez-vous pris conscience ?
Mme Anne Castot . - Bien plus tard.
M. François Autain, président . - N'aviez-vous pas de contact avec l'OMS ?
Mme Anne Castot . - Si.
M. François Autain, président . - La terminaison en « orex » ne vous avait rien suggéré ?
Mme Anne Castot . - Ni à moi ni aux autres pharmacologues.
M. François Autain, président . - Si ! Dès 1976, le n° 4 de la revue « Pratiques » a publié un article où était indiqué ce que nous avons découvert vingt ans plus tard.
Mme Anne Castot . - Je ne le conteste pas.
M. François Autain, président . - C'est heureux !
Mme Anne Castot . - Je suis humble, sans aucune prétention à être un grand pharmacologue.
M. François Autain, président . - Il y en avait à vos côtés.
Mme Anne Castot . - Parmi les experts consultés, aucun ne nous a alertés.
M. Jean Desessard . - Comment concevez-vous le rôle d'anticipation de l'agence ?
Mme Anne Castot . - Je suis arrivée dans le domaine de la pharmacovigilance au début des années soixante-dix ; le système a beaucoup changé en trente-cinq ans pour éliminer ses insuffisances et ses dysfonctionnements. Depuis 2005, il anticipe bien mieux.
M. François Autain, président . - Vous me rassurez.
Mme Anne Castot . - Je vous rappelle que la définition initiale de la pharmacovigilance au plan européen concernait l'ensemble des risques liés à l'usage des médicaments dans les conditions de l'AMM.
Selon M. Desessard, nous n'avons pas pris les décisions qui s'imposaient, mais les directeurs des centres de pharmacovigilance se réunissent tous les mois.
M. Jean Desessard . - Ce n'est pas une raison pour ne rien décider.
Mme Anne Castot . - Jusqu'à la mi-1998, le comité technique estimait que les arguments manquaient pour suspendre la vente d'un produit sur la seule base d'une parenté chimique et parce que l'OMS reconnaissait un effet anorexigène. Jusqu'à présent, la pharmacovigilance repose largement sur les notifications spontanées transmises par des professionnels de santé - qui sont tenus de signaler tout lien possible entre un événement indésirable et la prise d'un médicament. Bientôt, les patients et leurs associations pourront participer au dispositif.
Toute cette affaire se caractérise par une grande sous-notification d'événements indésirables. En 2009, la décision de retrait a été prise alors que moins de quarante cas d'hypertension artérielle pulmonaire avaient été rapportés.
M. François Autain, président . - N'est-ce pas assez ? Combien vous en faut-il ? En Italie et en Espagne, un seul a suffi.
Mme Anne Castot . - La décision italienne était fondée sur d'autres considérations.
M. François Autain, président . - C'est vrai, mais les cas répertoriés en France suffisaient à suspendre le Mediator après le cas de Marseille. Vous ne l'avez pas fait.
M. Bernard Cazeau . - Je répète ma question : pourquoi Servier a-t-il pu attendre trois ans pour vous remettre son étude, elle-même tardive ?
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Avez-vous eu connaissance de conflits d'intérêts ? Comment ceux-ci étaient-ils gérés ?
Mme Anne Castot . - En 2001, nous souhaitions une étude comparant l'efficacité du Mediator et celle d'autres antidiabétiques, en ajoutant une surveillance écho-cardiographique des patients avant et après traitement.
Le premier protocole européen de 2001 a été regardé de près par les Français et les Italiens, qui ont d'ailleurs réagi plus vite que nous. Portant sur l'efficacité, les résultats de l'étude Moulin étaient disponibles en 2005. L'étude Regulate sur la tolérance a été conduite entre 2005 et 2007. Nous avons réussi à en obtenir les résultats après septembre 2009.
M. Bernard Cazeau . - Comment expliquer ce délai inhabituel ?
Mme Anne Castot . - La rédaction d'un protocole est rapide, mais il faut ensuite choisir les centres, inclure les patients et obtenir l'autorisation de la Cnil. Tout cela prend plus d'un an. Reste à faire l'étude et à en analyser les résultats. Que l'ensemble du processus prenne trois ans n'est pas pour surprendre.
M. Jacky Le Menn . - La pharmacovigilance fonctionne-t-elle encore sur la base des transmissions spontanées ? Comment les décisions sont-elles prises, dès lors qu'une nocivité est perçue ?
Par ailleurs, vous avez dit qu'il était compliqué de se faire entendre au niveau européen lorsqu'on est minoritaire. Il s'agit pourtant d'une question scientifique. Les notions de minorité et de majorité n'ont rien à voir avec la vérité scientifique !
M. Jean-Jacques Mirassou . - Tout ce que vous avez dit est remarquable au sens péjoratif du terme. Certains produits disponibles sur le marché sont soumis au principe de précaution. Avant le Mediator, il y avait eu l'Isoméride, quasiment identique. La pharmacovigilance a été doublement coupable, puisque le cas de ce médicament n'a pas été considéré comme un signalement très fort pour au moins revoir l'AMM du Mediator.
M. François Autain, président . - Le benfluorex n'était pas considéré comme un anorexigène.
Mme Anne Castot . - Pas jusqu'en 1995, quand les premiers doutes sont apparus quant à l'usage des préparations magistrales. Pour la préparation pharmaceutique, cette propriété n'a été claire qu'en 1998.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Etait-ce avant ou après le courrier envoyé le 21 septembre 1998 par les médecins conseil des trois principales caisses nationales d'assurance maladie ?
Mme Anne Castot . - La décision date du mois d'avril.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Avez-vous eu connaissance du courrier envoyé en septembre ?
Mme Anne Castot . - Oui. Nous avons répondu qu'une enquête était en cours.
M. François Autain, président . - Vous avez répondu ! C'est beaucoup, mais vous n'avez pris aucune décision.
Mme Anne Castot . - Je m'exprimais comme chef d'unité de pharmacovigilance.
M. François Autain, président . - Rassurez-vous : nous interrogerons votre supérieur hiérarchique.
Mme Anne Castot . - Le premier cas index d'insuffisance aortique a été signalé en 1999, suivi d'un cas d'hypertension artérielle pulmonaire.
M. François Autain, président . - Cela ne suffît toujours pas : en France, nous sommes exigeants.
Mme Anne Castot . - Fin juin 1998, j'ai écrit une lettre pour dire que ces deux cas et les données pharmacologiques devaient conduire à accélérer la réévaluation.
Monsieur Le Menn, la pharmacovigilance est restée une responsabilité nationale jusqu'en 1995, qu'il s'agisse de surveiller les risques ou de prendre des décisions. A cet égard, je tiens à souligner que, dès que l'Isoméride a reçu l'AMM, nous avons organisé une surveillance, par crainte de voir réapparaître les inconvénients du Ponderal. Dans les deux cas, l'AMM comportait une indication anorexigène.
A partir de 1995, nous arrivons dans l'Europe du médicament. L'Agence européenne du médicament s'intéresse d'abord aux procédures centralisées. Prises dans ce cadre à la majorité des vingt-sept membres, ses décisions sont contraignantes. Peu après 1995, la France a pris ses responsabilités et saisi l'Agence européenne de certains produits, qui n'étaient pas tous anorexigènes.
En cas de procédure d'« arbitrage », un ou plusieurs Etats membres soumettent des questions. Les recommandations du comité des spécialités pharmaceutiques (CSP) sont transmises à la Commission de Bruxelles, qui les avalise ou s'abstient de le faire.
Les difficultés apparaissent lorsque la procédure n'est pas contraignante, quand le produit n'est pas sur tous les marchés, comme l'a montré l'exemple du Ketum.
M. François Autain, président . - Ce qui n'est pas le cas du Mediator qui pouvait être retiré sans passer par les instances européennes !
Mme Anne Castot . - Je vous parle de la période allant de 1994 à 1998. Ensuite, ce médicament a été considéré comme anorexigène. Suite à la suspension de l'Isoméride en 1998, nous avons considéré qu'il fallait mener une enquête de pharmacovigilance afin de mettre en évidence le plus rapidement possible le profil du risque potentiellement similaire à l'Isoméride et au Pondéral. Quand on surveille un médicament, il faut mettre en regard risques et efficacité.
M. François Autain, président . - Cela ne plaide pas en faveur du Mediator puisqu'il était prouvé que le Mediator ne servait à rien !
Mme Anne Castot . - Il y a eu un problème de process à un moment donné : on voyait l'efficacité sans prendre suffisamment en compte les risques. Ce n'est qu'à partir de 2004, avec les textes européens, que la notion de bénéfices-risques est devenue primordiale. En outre, il a été décidé, avec la révision communautaire, que l'évaluation du risque devait prendre en compte l'usage thérapeutique.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Nous avons rencontré les mêmes problèmes au moment du Vioxx. A l'époque, Mme Payet et moi-même étions rapporteurs et nous avions proposé un certain nombre de solutions dont on peut s'étonner qu'elles n'aient pas été suivies d'effet.
Vous avez dit que le Mediator avait fait l'objet de quarante notifications. De plus, vous avez dit que les médicaments étaient mis sur le marché selon un modèle pasteurien. Or, la plupart des médicaments sont aujourd'hui délivrés pour des pathologies à long terme. Le modèle pasteurien risque de dysfonctionner d'autant plus. Le modèle de mise sur le marché avec une évaluation de bénéfices-risques reposant sur un modèle pasteurien ne semble-t-il pas inadapté à la réalité actuelle ?
Mme Anne Castot . - Suite à l'évolution de la législation, notamment en décembre 2005, les mises sur le marché des médicaments ont beaucoup évolué. Depuis lors, quand on met un médicament sur le marché, on part du principe que rien n'est figé et que tout reste à faire. Dans la mesure où les essais thérapeutiques sont réalisés de façon « aseptisée », on ne peut savoir exactement comment les médicaments vont se comporter une fois sur le marché. C'est pourquoi les Etats-Unis, l'Europe, dont la France, ont mis en place des plans de gestion des risques. Ces études portent sur la production, l'utilisation et la prescription des médicaments mis sur le marché.
M. François Autain, président . - C'est la théorie. Dans la pratique, nous savons bien que les choses se passent différemment.
Nous allons être obligés d'interrompre cette audition, mais elle pourra reprendre ultérieurement si nous avons d'autres questions à vous poser.
Mme Nathalie Goulet . - Un problème de méthode, monsieur le président. Comme nous ne sommes pas tous des spécialistes, serait-il possible de disposer d'organigrammes précis pour savoir exactement qui sont nos interlocuteurs et de schémas sur le système du médicament ?
M. François Autain, président . - Je vous invite à consulter le remarquable rapport qui a été rédigé par Mme Hermange en 2006 et qui décrit le très complexe circuit du médicament.
Mme Nathalie Goulet . - Rien n'a changé depuis 2006 ?
M. François Autain, président . - J'en ai bien peur ! Je vous remercie.
Audition de M. Jean-François GIRARD, conseiller d'Etat, président du Pôle de recherche et d'enseignement supérieur (PRES) « Sorbonne Paris Cité », ancien directeur de la Santé (1986-1997) (mardi 1er février 2011)
M. François Autain, président . - Nous avons l'honneur et le plaisir de recevoir M. le professeur Jean-François Girard, président de « Sorbonne Paris Cité » et ancien directeur général de la santé de 1986 à 1997. Au cours de cette période, un certain nombre de décisions ont été prises en ce qui concerne le Mediator. Je ne pense pas avoir à vous demander si vous avez des liens d'intérêts avec l'industrie pharmaceutique.
M. Jean-François Girard, président de « Sorbonne Paris Cité », ancien directeur de la Santé (1986-1997) . - Ni à cette époque, ni depuis !
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Pouvez-vous nous dire quand et comment vous avez été informé pour la première fois des effets nocifs du Mediator et quelles mesures vous avez prises, alors que vous étiez directeur général de la santé de 1986 à 1997 ?
Comment expliquez-vous que le Mediator ait fait l'objet d'une validation restrictive le 22 avril 1987 restée lettre morte pendant dix ans, comme le fait remarquer le rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) ? Lorsque, enfin, la modification de l'AMM intervient le 16 avril 1997, elle sera de façon incompréhensible annulée le 5 juin de la même année. Comment expliquez-vous une telle décision ? Le rapport de l'Igas évoque la possibilité d'une « instruction d'un des responsables de la direction de l'évaluation » .
M. Jean-François Girard . - Tout d'abord, je veux vous dire quelque chose qui va vous paraître sans doute stupéfiant : je n'ai aucun souvenir de ces événements. Ce n'est que récemment, exerçant d'autres métiers, que j'ai pris connaissance des actes que j'avais signés. Comme vous pouvez l'imaginer, cette situation m'a interpellé : s'agissait-il d'un affaiblissement de la mémoire ? Cela arrive à tout le monde... Cela fait effectivement une quinzaine d'années. Deuxièmement, et c'est une hypothèse que formule un médecin qui s'est intéressé un peu à la physiologie, peut-être que mes molécules d'ARN, largement sollicitées depuis par des métiers tout aussi épuisants que celui de directeur général de la santé, ont dû faire place à autre chose - puisque j'ai exercé la présidence de l'Institut de recherche pour le développement pendant huit ans, puis mon actuel métier de président d'un pôle de recherche d'enseignement supérieur à Paris. La troisième remarque que je ferai sur la faillite de la mémoire éclaire sans doute le mieux le fonctionnement de l'administration en général, et en tout cas celui de la Direction générale de la santé : je n'ai pas de souvenir de ce dossier. Par contre, j'ai des souvenirs très précis en ce qui concerne les dossiers du pilotage de la lutte contre le Sida dont j'ai été un temps le délégué interministériel, de l'amiante et de la crise de la vache folle. Lorsqu'on est directeur général de la santé, on ne voit pas tout : on s'investit beaucoup dans des dossiers lourds à vos yeux, pour les ministres que vous servez et pour la société, mais d'autres dossiers ont pu apparaître, du moins à cette époque, ne pas nécessiter le même type d'investissement du directeur général de la santé. Ceci étant, cela veut dire que je faisais confiance à mes collaborateurs et si j'ai signé un arrêté publié au Journal officiel, c'est qu'il était accompagné d'un fond de dossier qui m'a convaincu. Vous devez bien comprendre que ces dossiers lourds mobilisaient toute mon attention et d'autres, qui pouvaient apparaître à l'époque plus « secondaires », même si le terme peut aujourd'hui choquer, étaient traités par les trois cents fonctionnaires de mon administration. Enfin, il faut garder à l'esprit qu'à l'époque, coexistaient la Direction générale de la santé et la Direction de la pharmacie et des médicaments puis, depuis la loi du 4 janvier 1993, a été créée l'Agence du médicament, aujourd'hui l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps).
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Grâce au Sénat !
M. François Autain, président . - Et grâce au gouvernement de Lionel Jospin !
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Que de bonnes fées !
M. Jean-François Girard . - L'expérience que j'en retire, notamment lorsque j'ai réalisé en 2006 un rapport au Gouvernement sur la veille sanitaire, est que la compétence de la Direction générale de la santé ne concerne pas le médicament, sauf pour les préparations magistrales, ce que je ne m'explique pas.
M. François Autain, président . - On se prend à regretter qu'elle n'ait pas été aussi responsable pour tous les médicaments !
M. Jean-François Girard . - C'est un autre débat, sur la taille et le périmètre des administrations.
J'ai eu à gérer diverses crises sanitaires - crise de la vache folle, sang contaminé, hépatites, clinique du sport et amiante -, et loin de moi l'idée de vouloir me défausser. A l'époque, nous voulions à la fois analyser les crises que nous subissions et dire la vérité à nos concitoyens. De plus, la coexistence de diverses administrations me rendait attentif au respect des frontières entre les unes et les autres. C'est sans doute aussi pourquoi ce dossier a été considéré à l'époque comme « secondaire » - et je ne voudrais pas que cette expression soit considérée comme quantitative - par rapport à celui de la vache folle ou celui du Sida. En outre, il a relevé de la Direction de la pharmacie et du médicament puis de l'Agence du médicament.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - En octobre 1995, vous avez signé un arrêté interdisant le benfluorex dans les préparations magistrales. Pourquoi cette interdiction n'a-t-elle pas été étendue aux préparations pharmaceutiques ? Vous venez implicitement de nous répondre : ce n'était pas de votre responsabilité. Pourquoi aucun lien n'a-t-il été établi avec le retrait de l'Isoméride en 1997 ? Comment expliquez-vous que, selon le rapport de l'Igas, de 1987 à 2001, les responsables de l'évaluation du médicament de l'agence « ont fait passer la promesse de nouvelles études de la firme, études dont ils connaissaient pourtant les faiblesses, avant l'application de leurs propres décisions constatant la très faible efficacité thérapeutique du Mediator » ?
M. Jean-François Girard . - Concernant l'Isoméride, j'ai certes signé un arrêté qui relevait des attributions de la Direction générale de la santé, mais je n'ai pas eu la curiosité, ni le temps, de me mêler des attributions d'une autre direction ou d'une agence. Il y a un débat sur une meilleure réponse du dispositif sanitaire à ce genre de situation. De nombreux acteurs interviennent dans la politique de la santé et il serait légitime de s'interroger sur la création d'une autorité de tutelle.
M. François Autain, président . - Nous reviendrons sur ces questions en abordant votre rapport de 2006. Vous avez signé deux arrêtés mais, si j'en juge par une lettre signée d'une chargée de mission à l'Agence du médicament, Mme Hélène Sainte Marie, vous ne suiviez pas personnellement ce dossier. D'ailleurs, à l'époque, elle se demandait pour quelle raison l'Afssaps vous demandait de signer un deuxième arrêté en octobre, après celui de mai. On aurait peut-être pu faire signer un seul arrêté. Les deux arrêtés dénotent que, dans ce domaine, l'Afssaps a beaucoup hésité.
M. Jean-François Girard . - Je n'ai pas de souvenir sur ce point. Je me dois de vous préciser que lorsque j'ai quitté mon poste, je n'ai pris aucun document avec moi : tout à été versé aux Archives nationales. Je ne peux donc pas répondre.
Sinon, selon son intitulé, la sous-direction était compétente pour la pharmacie et pas pour le médicament. La direction générale de la santé était chargée des services professionnels de santé, y compris les professions pharmaceutiques. Mme Sainte Marie était chargée de mission auprès du sous-directeur de la pharmacie, à qui elle a succédé. Son sérieux, son sens de l'intérêt général et sa connaissance des dossiers ne sont pas discutables.
M. François Autain, président . - Est-elle toujours en activité ?
M. Jean-François Girard . - Je ne sais pas.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Estimez-vous que l'influence des laboratoires est forte auprès des administrations publiques ? Explique-t-elle « l'incompréhensible tolérance de l'Afssaps à l'égard du Mediator » que l'Igas a soulignée ?
M. Jean-François Girard . - Dans une vie antérieure, quand j'exerçais une activité hospitalière, je ne recevais déjà pas les visiteurs médicaux. Je n'ai jamais eu de contact avec les laboratoires, à deux exceptions près : pour les vaccins, parce que l'Etat est pour ainsi dire prescripteur, puisqu'il s'agit d'une véritable politique publique comportant un calendrier et l'engagement de sa responsabilité par l'Etat. Il était donc normal que le directeur général de la santé reçoive les laboratoires producteurs de vaccins. En outre, j'ai également eu des contacts avec les laboratoires en 1996 à l'occasion de l'apparition sur le marché des trithérapies contre le Sida. Avec le ministre de la santé de l'époque, M. Gaymard, nous avons décidé de généraliser très vite l'accès du plus grand nombre aux trithérapies. En quatre mois, ce fut chose faite et j'estime qu'il s'agissait à l'époque d'une politique de santé publique : rendre les trithérapies accessibles à tous.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Nous en arrivons à l'évaluation et au contrôle du médicament. A la suite de l'affaire du Vioxx, le Sénat a publié en 2006 un rapport dont celui de l'Igas reprend un certain nombre des préconisations. En tant qu'ancien directeur général de la santé, avez-vous des propositions pour améliorer l'organisation institutionnelle de la sécurité sanitaire, notamment sa simplification ?
Dans un article d'un quotidien du soir daté du 15 janvier 2011, reprenant un rapport que vous aviez remis en 2006, vous estimez qu'il serait souhaitable de rapprocher les agences pour éviter la balkanisation, pour réduire les coûts et pour développer une culture commune. Ce rôle n'incombe-t-il pas au Comité d'animation du système d'agences (Casa) créé en 2008 et regroupant, autour du directeur général de la santé, les dix opérateurs sanitaires et l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) ?
M. Jean-François Girard . - C'est toute l'histoire de l'administration de la santé et de son renforcement depuis deux décennies que vous évoquez là ! J'ai créé le premier embryon d'agence en 1992 avec le réseau national de santé publique. J'ai joué un rôle dans sa création, non pas du fait des crises sanitaires antérieures, mais parce que j'avais en effet été très impressionné, lors d'un voyage aux Etats-Unis effectué en 1987, par le CDC (Center for Disease Control and Prevention) , et je m'étais juré que nous aurions un CDC en France. Il m'a fallu cinq ans pour obtenir la création du réseau national de santé publique. Globalement, la création des diverses agences françaises a été positive, mais des questions demeurent. Le ministère de la santé dispose désormais de lieux d'expertise qu'il n'avait pas auparavant. A une époque où la croissance de la fonction publique n'était déjà plus de mise, nous avons obtenu de l'ordre de mille cinq cents postes pour ces agences, ce qui a donné au ministère de la santé une puissance de feu en termes d'expertise. Pour leur part, les administrations centrales auraient dû se focaliser sur leur métier : faire de la stratégie et appliquer les politiques gouvernementales. En 1993 fut créée l'Agence du médicament, puis en 1998 l'Afssaps, ainsi que la création de l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail (Afsset), ayant fusionné récemment avec l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa).
Mais il est évident qu'une approche sectorielle plutôt qu'une approche globale de la santé peut être un handicap. Traiter de façon segmentaire le domaine du médicament indépendamment des autres aspects de la politique de santé conduit à une forme d'autarcie intellectuelle. Les inconvénients de cette organisation ne sont-ils pas supérieurs aux avantages qu'on peut en espérer ? Il faut également savoir qui pilote, d'autant que le pilotage doit être rigoureux. Je ne peux en revanche répondre sur la performance du Casa, même si, dans son principe, il répond à un besoin indispensable. En outre, je veux insister sur le caractère interministériel de toute politique en matière de santé. Ainsi, la sécurité alimentaire est à la fois sous l'autorité des ministres de l'agriculture, de la santé, de l'équipement et du travail !
Enfin, il est temps d'évaluer le dispositif qui a été mis en place depuis une bonne dizaine d'années. Enfin, madame le rapporteur, vous avez évoqué la pharmacovigilance, sans que le nom n'en soit prononcé.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - J'allais vous poser la question. Que pensez-vous de la prise en compte des décisions de rejet ou de retrait d'AMM dans les autres pays et des signalements directs des effets nocifs par les patients et les associations ? Comment mieux utiliser les données recueillies par les centres régionaux de pharmacovigilance ?
Comment développer une expertise indépendante des laboratoires et comment lutter contre les conflits d'intérêts ?
Comment accélérer les mesures de suspension et de retrait, améliorer la transparence et le pluralisme, dès lors qu'il y a plusieurs cas de notification ? A quel moment doit-on décider de retirer un médicament ?
M. Jean-François Girard . - Lorsque j'étais directeur général de la santé, je me suis intéressé à la pharmacovigilance, mais je n'ai pas vu fonctionner ce secteur de l'intérieur.
Sur la pharmacovigilance, j'ai une position minoritaire, inchangée depuis 1993 et réaffirmée dans mon rapport de 2006 : j'estime qu'elle ne doit pas être du ressort de l'Agence du médicament. Il faut, en effet, éviter tout conflit d'intérêts, conscient ou inconscient. On ne peut à la fois être juge et partie. Sur ce point, je vous renvoie au rapport qui a été rendu par M. Sauvé au Président de la République : les grandes règles qui y sont rappelées à propos des conflits d'intérêts dans des situations différentes peuvent s'appliquer à la question qui nous réunit cette après-midi. L'administration qui joue un rôle dans l'accès aux médicaments peut-elle, en même temps, les contrôler, faire preuve de la nécessaire défiance, prendre en compte la moindre alerte ? Je pense que la fonction d'alerte de la pharmacovigilance doit être sortie de l'agence. Par exemple, si un symptôme apparaît, le lien avec la prise de médicaments doit être analysé. Le dépistage des signes qui contribue à la pharmacovigilance est un acte médical et implique une déclaration à l'Institut de veille sanitaire (InVS). Cet organisme est chargé de collecter les variations de l'état de santé de la population, fussent-elles faibles. Ainsi, l'épidémie de Sida a-t-elle été détectée au CDC grâce à la consommation excessive de certains médicaments. Le donneur d'alerte doit être extérieur à l'Agence du médicament, même s'il est envisageable que cette dernière prononce le retrait du marché.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - M. Hirsch a dit qu'il fallait « renationaliser » la pharmacovigilance. Qu'en pensez-vous ? Y a-t-il un modèle étranger qui vous agrée ?
M. Jean-François Girard . - L'expression « renationaliser » est étonnante ! Je ne savais pas que la pharmacovigilance avait été privatisée ! Il s'agit d'une fonction régalienne, d'un service public qui peut faire appel, il est vrai, à des praticiens en exercice libéral. Je pense qu'elle n'a jamais été dénationalisée.
En ce qui concerne l'analyse des risques, à partir de quand doit-on s'inquiéter ? A partir de deux, de dix cas ? Il faut distinguer le constat, l'analyse du risque et sa mesure dans les différentes étapes de la sécurité sanitaire. L'intervention de l'InVS doit porter sur le recueil et l'intégration des signes puis sur l'analyse des risques.
Pour ceux qui n'ont pas compris l'intérêt des statistiques, je ne puis que les inciter à se pencher sur les crises passées. Le tournant a toujours eu lieu après une étude, française ou étrangère, qui a mis en évidence la mort de deux cents, cinq cents ou mille personnes. Ce n'est qu'en 1996, après une étude de l'Inserm demandée par la Direction de la réglementation du travail et la Direction générale de la santé, qui avait déclaré que l'amiante ferait deux mille morts, que des décisions ont été prises. Pour le tabac, il en a été de même. Le jour où l'on dira, par exemple, que tel ou tel produit va faire des morts, je puis vous assurer que des décisions seront rapidement prises. La quantification des risques en épidémiologie est le guide fondamental des décisions de santé publique.
M. François Autain, président . - Vous avez raison.
Je reviens sur vos propositions pour restructurer notre système de sécurité sanitaire. Dans votre rapport, vous préconisez que la pharmacovigilance soit intégrée à l'InVS. Faut-il également adjoindre les vigilances en général, comme la matériovigilance et la toxicovigilance ?
Je reconnais avec vous que la commission nationale de pharmacovigilance n'a pas assez d'autonomie par rapport à la commission d'autorisation de mise sur le marché (AMM) : elle devrait pouvoir prendre des décisions, et pas seulement rendre des avis. Le cas du Mediator en est la preuve.
Certains experts estiment que tout ce qui concerne le médicament devrait être regroupé dans une instance unique. Il serait préférable que la commission de la transparence, au sein de la Haute Autorité de santé (HAS), soit réintégrée à l'Afssaps, si tant est que l'Afssaps doit demeurer dans sa forme actuelle. Aujourd'hui, le circuit du médicament est beaucoup trop compliqué : il faudra nécessairement le simplifier et votre proposition vise à le rendre plus autonome afin de renforcer la sécurité sanitaire. Doit-on l'intégrer à l'InVS et, dans ce cas, ne doit-on pas rapatrier toutes les vigilances, assez nombreuses au sein de l'Afssaps ?
Enfin, quand M. Hirsch parlait de « renationaliser » la pharmacovigilance, il devait sans doute faire référence à son financement car, actuellement, les agences sont financées par les laboratoires. Un financement public irait bien évidemment dans le bon sens.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - S'agissant du financement, je parle sous l'autorité de M. Vasselle : faut-il réformer le dispositif de remboursement en cas de service médical rendu insuffisant ? Comment expliquez-vous le maintien d'un taux élevé de remboursement pour le Mediator ?
M. Jean-François Girard . - Il n'y a pas de raison de ne pas traiter toutes les vigilances de la même façon. Mon analyse de l'Afssaps, où je n'ai jamais travaillé, lui est extérieure. Enfin, l'idée qui circule de regrouper tout ce qui concerne le médicament me fait peur. En matière de médicaments, mais aussi dans tous les domaines, je me méfie de l'endogamie : je trouve cela dangereux.
Quel doit être le statut des experts, cette question étant liée à celle du financement ? On peut être spécialiste d'un sujet à vie, mais on ne saurait être expert ad vitam aeternam , car on intervient dans un domaine et sur un sujet précis, et l'on doit rendre une réponse dans un temps donné. Une fois la réponse faite, on redevient enseignant chercheur ou professeur de pharmacologie. Toute la difficulté vient de ce que l'expertise n'est ni valorisée, ni payée dans notre pays.
M. François Autain, président . - Cela s'appelle du bénévolat.
M. Jean-François Girard . - Lorsque j'étais directeur général, nous avons fait venir des généralistes au ministère de la santé pour débattre de leur métier. Ils ont perdu des journées de consultation et ils n'ont pas été rétribués. Lorsque les enseignants chercheurs salariés sont appelés en tant qu'experts, ils doivent en retirer un avantage financier, surtout lorsqu'on connaît le montant de leur rémunération, ou bien ce travail doit être pris en compte dans leur parcours professionnel, au même titre que leurs publications.
Je souhaite ajouter qu'un nouvel acteur est apparu en vingt ans : le citoyen, ou le malade. Sur la question du Sida, les associations de malades ont été très présentes et je veux rendre hommage à la façon dont s'est constituée l'Agence nationale de recherche sur le Sida, parmi les premières à associer les malades aux décisions sur la définition de protocoles thérapeutiques.
M. Jean-Jacques Mirassou . - En préambule, vous avez dit que votre mémoire vous faisait défaut, mais elle est surtout sélective car, dans certains domaines, elle est excellente pour analyser l'organisation du système de sécurité sanitaire ! Du fait de la multiplicité des agences, notre politique sanitaire manque de lisibilité et les responsabilités sont diluées.
Ma question sera brutale : considérez-vous l'épisode du Mediator comme une fatalité ?
M. Jean-François Girard . - La fatalité, je ne connais pas ! Il y a trente ans, on croyait que la maladie était une fatalité : ce n'est plus le cas aujourd'hui. Ce que l'on mange, l'air que l'on respire, ce que l'on prend comme médicaments a un impact sur notre santé. Il serait trop facile de considérer que le Mediator n'a été vendu qu'en raison de l'agressivité commerciale de son fabricant. Si tel avait été le cas, le dispositif public aurait dû l'emporter. En matière de santé, le grand nombre de dossiers à traiter fait que l'on est amené à faire des choix, à définir des priorités, comme en politique, et donc d'une mémoire qui peut apparaître faillible ou sélective.
Mme Nathalie Goulet . - Le principe de précaution aujourd'hui ne va-t-il pas nous amener à découvrir d'autres scandales sanitaires ? Ne faudrait-il pas envisager une révision complète du contrôle des médicaments, favorisant des positions minoritaires comme la vôtre ?
M. Jean-François Girard . - Nous n'avons pas besoin d'un autre Mediator pour envisager un remaniement en profondeur du dispositif actuel. Je n'ai pas lu tout le rapport de l'Igas mais il y a sûrement d'autres situations qui illustrent les mêmes difficultés de prise de décision. Il faut y mettre un terme. Le Mediator est très explicite, mais il y aura d'autres cas où l'appréciation du risque fera débat.
M. Alain Vasselle . - Même si vous ne vous souvenez plus de façon précise de la manière dont les choses se sont passées à l'époque, pensez-vous pouvoir adresser une note au président et au rapporteur de cette commission sur les faiblesses du système ? Ne pensez-vous pas que les différents organismes qui se prononcent sur la mise sur le marché d'un médicament travaillent de façon beaucoup trop cloisonnée ? Ne faudrait-il pas plus de transversalité pour un travail cohérent, même si le regroupement opéré au sein de la Haute Autorité de santé (HAS) a permis de réaliser des progrès ?
M. Jean-François Girard . - Il me faudrait beaucoup de temps pour me replonger dans ce dossier, et mes fonctions actuelles m'en laissent très peu. Je reste néanmoins intéressé par l'organisation générale du dispositif : à mon avis, il ne faut pas que le médicament ne soit traité que par l'Agence du médicament. Comme je l'ai déjà dit, l'endogamie est néfaste. On me répond que l'InVS n'a pas de compétences en matière de pharmacovigilance : cet argument n'est pas recevable ! On n'a qu'à doter cet organisme de cette compétence ! Divers éclairages sont absolument nécessaires. Je me félicite de la création de la HAS après que j'ai quitté le ministère de la santé, et cette question renvoie au Casa dont vous avez évoqué la mise en place. Plutôt que de tout mettre sous la même autorité, je préfère une forte coordination pour éviter l'endogamie.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe . - Vous avez dit qu'il fallait des morts pour prendre conscience des dangers d'un médicament. Ces propos sont terribles ! Ils mettent en cause tout notre dispositif sanitaire de vigilance et ils semblent démontrer que l'agressivité des fabricants l'emporte sur le dispositif public. C'est la conclusion que je retire de votre audition.
M. François Autain, président . - Vous posez là une vraie question. Pour mettre un médicament sur le marché, il suffit d'une présomption de rapport bénéfices-risques favorable. Pour le retirer, une présomption ne suffit pas, il faut une certitude. En d'autres termes, pour mettre un médicament sur le marché, quelques mois suffisent, mais pour le retirer, il faut des années. Pour l'amiante, il en a été de même.
Quand il y a doute, il doit profiter au patient et non à l'industrie pharmaceutique. Cette révolution culturelle des mentalités sera très difficile à mettre en oeuvre.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - De plus, comme il nous l'avait été dit lors de la mission d'information du Sénat suite à l'affaire du Vioxx, il y a inadéquation entre le modèle pasteurien sur lequel est fondée la décision de mise sur le marché et l'utilisation à long terme des médicaments par les patients. Les risques s'en trouvent encore accrus.
M. Alain Milon . - Si nous avions disposé il y a un siècle des mêmes méthodes d'analyse qu'aujourd'hui, l'aspirine n'aurait-elle pas connu un sort identique à celui du Mediator ?
M. Jean-François Girard . - Je me suis fait mal comprendre : je n'ai pas dit qu'il fallait des morts pour retirer du marché un médicament, j'ai dit que l'important était la quantité mesurée d'effets indésirables - cela peut être simplement l'apparition de boutons à la suite de la prise d'un médicament. Si une personne sur dix en est victime, il faut intervenir, même si la situation n'entraîne pas de morts.
Sont aussi en cause la facilité à accorder l'AMM en même temps que la difficulté à la retirer à un médicament. Après l'AMM, le suivi est insuffisant. Certains médicaments justifient la mise en place de dispositifs de suivi post-AMM.
Enfin, il faut considérer la place du médicament dans notre système de santé. D'abord, du point de vue économique, puisque l'industrie pharmaceutique représente jusqu'au dixième de notre industrie agroalimentaire. Ensuite parce que le médicament devient vite un recours facile par rapport aux autres pratiques médicales et qu'il les fait disparaître dès lors qu'il apparaît. Je me souviens avoir craint en 1996 que l'arrivée des trithérapies ne réduise à néant les efforts de prévention contre le Sida.
M. François Autain, président . - L'aspirine présente aujourd'hui un rapport bénéfices-risques bien supérieur à celui du Mediator qui, lui, ne servait à rien...
Merci, monsieur, pour ces opinions, minoritaires mais fécondes, et dont je tiendrai le plus grand compte.
Audition de M. le professeur Hubert ALLEMAND, médecin-conseil national de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (Cnamts) (mardi 1er février 2011)
M. François Autain, président . - Monsieur le professeur, vous êtes médecin conseil de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (Cnam) et c'est à ce titre que nous vous auditionnons aujourd'hui, même si, dans un avenir proche, vous pourriez être appelé à d'autres fonctions, selon les journaux.
Nos questions porteront sur l'année 1998 et les suivantes puisque, cette année-là, vous avez été le premier à appeler l'attention de l'Agence française de sécurité sanitaire et des produits de santé (Afssaps), avec vos deux collègues, sur le mésusage dans les prescriptions du Mediator. J'ai même lu dans le rapport de l'Igas que des médecins conseil de la sécurité sociale de Dijon avaient porté des jugements qui, avec le recul, apparaissent très sensés, sur la véritable utilité de ce médicament. Et j'espère que demain l'Afssaps se posera, à son tour, les vrais problèmes.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Comment expliquez-vous l'absence de suites données à votre courrier alertant sur l' « utilisation non contrôlée d'un produit de structure amphétaminique, dans un but anorexigène » ? Quelle procédure aurait dû alors être engagée ? Avez-vous, par la suite, à nouveau alerté les autorités sanitaires ?
M. François Autain, président . - Mme Castot nous a dit qu'on avait répondu à votre courrier. Qu'en est-il exactement ?
M. le professeur Hubert Allemand, médecin conseil de la Cnam . - Merci de me recevoir et de permettre ainsi à l'assurance maladie de s'exprimer. La lettre de 1998 a été adressée dans le cadre d'évaluations que nous faisons systématiquement sur les produits dont nous avons l'impression qu'ils peuvent être prescrits hors AMM - produits de dopage ou utilisés à titre toxicomaniaque par exemple. Le médicament est un produit actif, que le corps humain tend à éliminer au plus vite. On espère que son passage dans le corps présentera plus de bénéfices que de risques, individuels ou collectifs. Nous avons écrit et alerté les pouvoirs publics parce que le Mediator offrait un bénéfice faible, étant prescrit pour un autre usage que ses indications. Dans environ un tiers des cas, selon les études que nous avons faites à l'époque, il était utilisé comme coupe-faim. Il présentait une analogie avec les amphétamines. Le rapport de l'Igas nous apprend qu'il y aurait eu un projet de réponse, non daté, non signé, mais nous n'avons pas retrouvé trace de cette réponse dans nos archives que la réglementation nous oblige à détruire au bout de cinq ans. Je ne peux donc vous répondre formellement mais je ne me souviens pas d'une quelconque réponse.
M. François Autain, président . - L'Afssaps a, semble t-il, retrouvé cette réponse. L'avez-vous relancée ultérieurement ?
M. le professeur Hubert Allemand . - Nous n'avons apparemment pas eu de réponse. Nous n'avons pas de responsabilités dans la sécurité du médicament. N'ayant pas de suites, nous avons conclu que les pouvoirs publics considéraient qu'il n'y avait manifestement pas de risques. Toutefois, que pouvions-nous faire sur les prescriptions hors AMM portant préjudice à l'assurance maladie ? Nous ne pouvons pas mettre un gendarme derrière chaque prescripteur ! Un médecin a toujours la possibilité de faire une telle prescription, sous sa responsabilité et, nous, nous ne pouvons la contester sur des arguments médicaux car nous n'avons pas d'élément de diagnostic à notre disposition. On peut faire des enquêtes spécifiques, mais à l'époque nous n'avions pas le codage des médicaments. Dans un cas de médicament hors AMM, le médecin doit écrire NR (non remboursable) mais il ne le fait quasiment jamais, alors que je pense que la proportion des prescriptions hors AMM est énorme, plus de 50 % quand j'interroge certains pharmacologues. Par exemple, lorsqu'un industriel propose une statine, il présente l'indication qu'il souhaite dans le cadre de l'AMM. Certaines statines reçoivent l'autorisation pour une prévention primaire et d'autres pour une prévention secondaire - c'est-à-dire lorsque la maladie est installée et qu'on a déjà fait un infarctus du myocarde, par exemple. Or, les deux statines les plus prescrites dans notre pays n'ont pas d'AMM pour la prévention secondaire. Ces deux médicaments font plus de la moitié des prescriptions dans notre pays. A chaque fois qu'ils sont prescrits après un infarctus, ce devrait être avec la mention NR. On retrouve la même chose pour le benfluorex. En réalité, le hors AMM est très courant ; il faut revoir cette situation, car il est toujours dommageable d'avoir une réglementation qui n'est pas appliquée. Si on dit à des médecins : « Vous avez prescrit hors AMM sans indiquer NR » , ils nous répondront que la médecine est un art difficile et demanderont si on ne peut pas organiser quelque chose de plus fonctionnel.
M. François Autain, président . - Et lorsque le médicament ne devrait être prescrit qu'en deuxième intention ? S'il est prescrit en première intention, c'est aussi du hors AMM ?
M. le professeur Hubert Allemand . - Il y a des positions de la commission de transparence dans ces cas-là. Certains remboursements ne sont effectifs que pour les formes sévères d'une affection. Mais comment pouvons-nous le savoir ? Nous n'avons pas de données médicales. Cette réglementation n'est pas opérationnelle.
M. François Autain, président . - On ne va quand même pas remettre en cause le sacro-saint principe de la libre prescription !
M. le professeur Hubert Allemand . - C'est un des échelons manquants de notre dispositif du médicament. On ne parle jamais d'une question essentielle : la hiérarchisation des traitements qui sont de niveaux 1, 2 ou 3. Nous attendons de la Haute Autorité de santé (HAS) qu'elle ait un positionnement en termes de hiérarchie.
M. François Autain, président . - Elle vient de changer de président...
M. le professeur Hubert Allemand . - On peut fixer intelligemment le prix d'un médicament dès lors qu'on sait où il se place exactement dans la stratégie thérapeutique. Certains pays ont avancé sur ce sujet : la Nouvelle Zélande, l'Australie, la Grande-Bretagne, les Etats-Unis.
M. François Autain, président . - En Nouvelle-Zélande, ils n'ont que deux statines et ils ne s'en portent pas plus mal...
M. le professeur Hubert Allemand . - Douze ans après, le rapport de l'Igas dit la même chose que nous. La mise sur le marché des médicaments peu efficaces pose un vrai problème...
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Comment expliquez-vous qu'en octobre 2009, plusieurs de vos interlocuteurs ne soient pas encore convaincus du lien que vous avez établi dans un rapport entre le benfluorex et les valvulopathies comme le précise l'Igas ?
M. le professeur Hubert Allemand . - Je crois que le doute bénéficie au médicament et pas au patient. Nous sommes toujours séduits par la science, par la multiplication des études. Mais devant certains signaux, il vient un moment où il faut arrêter les études, parce qu'on a bien assez d'indicateurs, et prendre une décision d'ordre humain, même si elle n'est que suspensive.
Il y a aussi un problème dans l'accueil des alertes, et même des petites alertes. Un effet indésirable a très peu de chances d'être déclaré : 5 % selon certaines études. Prenons l'exemple d'un accident qui arriverait une fois sur mille, ce qui est déjà relativement fréquent : 5 % d'un cas sur mille, cela fait une fois sur 20 000. Tout clignotant devrait être pris au sérieux. Là, nous avions des analogies avec d'autres produits. Les radars ne sont pas assez sensibles pour détecter les petites alertes, alors que le doute devrait toujours bénéficier au malade. Avant le 12 octobre 2009, nous n'avions jamais entendu parler des effets secondaires du Mediator à l'assurance maladie, quand quelqu'un de la Cnam l'apprend dans un colloque et qu'on lui demande de regarder dans ses bases de données. Aujourd'hui, contrairement à ce qu'il en était en 2009, nous disposons à la Cnam d'une base de données qui permet de traiter les petites alertes, de confirmer ou d'infirmer le clignotant. Nous disposons de l'intégralité des prescriptions ambulatoires depuis 2005 mais c'est seulement depuis juillet 2009 que nous avons le chaînage des décès en hôpital. Depuis 2000, nous n'avions que la base de médicaments. C'est donc tout récent. Mais, depuis, nous avons pu aller vite car nous connaissions et suivions de près une cohorte d'un million de diabétiques, nous avions l'expérience du benfluorex et on nous disait d'observer les cas de valvulopathies. Mais toute étude ne pourrait pas se faire dans les mêmes délais et avec la même facilité.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Vous avez donc disposé de la base des données la même année que la publication du rapport.
M. le professeur Hubert Allemand . - Exactement. Nous étions prêts avec la base de données des diabétiques pour répondre en un mois et demi.
M. François Autain, président . - Comptez-vous faire ce genre d'études pour d'autres médicaments ? En avez-vous l'initiative, ou faut-il attendre une commande de l'Afssaps ?
M. le professeur Hubert Allemand . - Nous pouvons en effet maintenant, à partir de nos bases de données, répondre aux demandes des agences, de l'Afssaps, de l'InVS lorsqu'ils ont une suspicion sur un produit. Et il est important que cela se fasse à la demande des agences, sinon on pourrait accuser la Cnam de conflits d'intérêts qui regarderaient, par exemple, les médicaments coûteux. Nous disposons d'une expertise publique de haut niveau et ce sont les pouvoirs publics qui sont décideurs. Nous avons créé un pôle spécifique pour répondre à ces questions car nos bases sont fondées sur la réglementation du remboursement et non à destination épidémiologique. Nous renforçons notre pôle pour répondre à ces demandes. Nous avons déjà établi une convention avec l'InVS et réfléchissons à en établir une avec l'Afssaps.
M. François Autain, président . - Le prochain directeur ira certainement dans votre sens...
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Vous êtes professeur de santé publique à la faculté de médecine de Besançon. Avez-vous été en contact avec le centre régional de pharmacovigilance de cette ville, qui a été parmi les premiers centres régionaux à mettre en garde contre le Mediator ?
M. le professeur Hubert Allemand . - Je l'ai lu dans le rapport de l'Igas. Je connaissais bien le professeur Bechtel mais nous n'avons jamais évoqué ce sujet ensemble. Je ne suis plus dans son CHU depuis qu'en 1997, j'ai été nommé médecin conseil de la Cnam, à Paris.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Pourquoi les intérêts des laboratoires - maintenir la commercialisation et le remboursement du Mediator - ont-ils été manifestement plus puissants que l'intérêt général, c'est-à-dire réévaluer le service médical rendu, empêcher son mésusage et donner une réponse efficace et rapide aux signalements de pharmacovigilance ? Quel a été le poids des liens d'intérêts entre l'industrie, les agences sanitaires et l'expertise ? Ou faut-il déplorer aussi la dispersion des instances d'autorisation et de contrôle qui aurait entraîné la dilution des responsabilités ? Qui est responsable des dysfonctionnements révélés par l'Igas ?
M. le professeur Hubert Allemand . - La première responsabilité est celle du laboratoire qui, lui, dispose de l'intégralité des informations sur son médicament, y compris internationales - on a vu encore récemment que la Belgique s'est prononcée très tôt. Le laboratoire a-t-il répercuté ces informations ? C'est une question. C'est pourquoi l'assurance maladie - le régime général, avec le régime social des indépendants (RSI) et la Mutualité sociale agricole (MSA) - a décidé de porter plainte, notamment pour « tromperie aggravée », afin que la justice puisse trancher sur la responsabilité réelle des laboratoires et que la Cnam, tout comme les citoyens, soit dédommagée. Ces dédommagements doivent porter sur les remboursements illégitimes opérés depuis 1999 - date à laquelle l'Igas dit qu'on avait assez d'éléments pour retirer le médicament -, pour un montant de 220 millions d'euros. Ils doivent porter aussi sur les conséquences sanitaires, pas seulement les décès mais aussi les hospitalisations et les actes de chirurgie, sur les rappels adressés aux patients et sur leurs conséquences.
Pour le reste, les responsabilités sont éclatées du fait que le système est segmenté et que les différents niveaux de responsabilité ne fonctionnent pas en coordination. La première de ces responsabilités est intervenue au moment de la décision très importante d'attribution de l'AMM en 1974, où le doute doit profiter au patient. Je suis un fervent défenseur de la gestion du risque en amont. Lorsque le bénéfice médical est faible, je suis partisan d'agir en amont plutôt que de s'épuiser ensuite dans de multiples contrôles, et on simplifie les situations qui s'ensuivent comme les prescriptions hors AMM. La première responsabilité concerne l'AMM.
Autre niveau de responsabilité, celui de la pharmacovigilance : quand apparaît un élément nouveau, il faut savoir reconsidérer l'intérêt d'un produit. D'autant que, sur le plan de sa commercialisation, nous étions isolés en Europe...
M. François Autain, président . - Pourquoi étions-nous les seuls en Europe, si l'on excepte l'Italie, l'Espagne, Malte et la Grèce ?
M. le professeur Hubert Allemand . - La décision de retirer un médicament n'est pas chose facile, c'est un risque qu'une agence peut ne pas avoir l'audace de prendre. Si bien qu'on peut se demander qui est le véritable « client » d'une agence : le patient ou le laboratoire ? Dans certains pays, c'est le patient ; dans d'autres, peut-être que les enjeux économiques l'emportent. C'est une décision difficile, mais sans doute devons-nous changer notre position à cet égard.
La décision relative à un médicament est éclatée entre les commissions d'AMM, de transparence, de pharmacovigilance... Et tout cela ne communique pas beaucoup, et parfois elles sont en opposition de phase. Il faut recentrer une expertise beaucoup plus forte sur le suivi du médicament ! Dans l'affaire du Mediator, la transversalité a été la grande absente. Il faut une plus grande intégration des informations et des acteurs car le rapport bénéfices-risques peut varier. Il faut des experts moins nombreux, plus responsables, indépendants des industriels et aussi bien rémunérés qu'ils le seraient dans l'industrie privée. Travailler quelques années dans une telle structure d'expertise est au moins aussi intéressant que de le faire dans un laboratoire.
Je m'intéresse au médicament, j'ai l'impression de connaître le sujet. A propos du Rimonabant, j'ai d'emblée questionné la commission de transparence, je lui ai écrit pour lui faire part de mes doutes sur un anorexigène provoquant des troubles psychiques graves. J'ai écrit à la commission de transparence et je l'ai dit au laboratoire. Je n'ai reçu de réponse ni d'un côté ni de l'autre et mon intervention a fortement déplu... Un mois après, la Food and Drug Administration portait les mêmes accusations que moi. Mais le médicament a encore été commercialisé en France pendant un an... A l'issue de ce délai, j'ai renvoyé un courrier au président de la Haute Autorité de santé, lui disant que le Rimonabant avait entraîné des suicides. Et sur nos bases de données, plus de 10 % des personnes prenant du Rimonabant ont parallèlement pris des antidépresseurs. Quelques semaines après, il était enfin retiré.
Il faudrait donc que des experts passent quelques années de leur vie professionnelle dans une agence, alertant les autorités au bon moment. Il faut ensuite que quelqu'un prenne les décisions ! Dans le cas du Mediator, la ligne décisionnelle n'existait pas suffisamment fortement. Et je le dis sans porter des critiques sur un métier extrêmement difficile.
Il faut corriger le tir, mais sans oublier tous les progrès précédemment réalisés, sans vouloir brutalement tout détruire et prétendre reconstruire à partir de zéro. Car c'est ce que certains veulent faire...
M. François Autain, président . - Ce sont des nouveaux convertis...
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Après l'affaire du Mediator, faut-il réformer l'Afssaps ? Et que faut-il penser du projet de direction bicéphale pour cette agence, de la réforme de la composition des commissions et de celle du système de financement annoncés par le Gouvernement ?
Comment améliorer la réactivité des autorités publiques en matière de signalements, d'expertises et de décisions ? Comment améliorer les mesures de suspension, de retrait, la transparence, le pluralisme ?
M. le professeur Hubert Allemand . - Les propositions faites sont intéressantes, en particulier celle d'une direction bicéphale, car l'agence est une structure complexe aux dimensions tant administrative et juridique que médicale et scientifique. Un binôme de ce genre a montré expérimentalement son utilité et, avec Frédéric Van Roekeghem, nous en avons formé un à la tête de la Cnam. Certains penchent pour un éclatement des responsabilités. Il faut y réfléchir mais je suis plutôt partisan de les recentrer et de coordonner tant les informations que les décisions. Il faut qu'une personne ait une vision globale sur un médicament, qu'on ne sépare pas pharmacovigilance et octroi de l'AMM. Il faut établir une ligne claire de responsabilités en recentrant les experts et en les valorisant - d'un point de vue pas seulement financier mais aussi universitaire.
M. François Autain, président . - Et aussi dédommager les hôpitaux du temps que les praticiens hospitaliers passent à l'Afssaps, ce qui n'est pas le cas jusqu'à présent.
M. le professeur Hubert Allemand . - Il leur faut donner davantage de latitude pour, lorsqu'il y a un doute sur un médicament, prendre une décision, proposer un retrait définitif ou provisoire. La réglementation peut-elle être modifiée ? Beaucoup de décisions sont prises au niveau européen, la réglementation est actuellement trop protectrice à l'égard des industriels. Dans l'industrie pharmaceutique, on trouve en général aussi de grands professionnels. Commençons par être aussi professionnels qu'eux dans l'évaluation et le contrôle ! Nous commençons à l'être par nos outils et nos équipes, comme les délégués de l'assurance maladie. Et nous avons eu des procès retentissants de certains laboratoires qui considéraient que nous allions trop loin, dont l'un est allé jusqu'en cassation.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Le Sénat est aussi très professionnel qui, après l'affaire du Vioxx, avait élaboré en 2006 un rapport intitulé « Restaurer la confiance » qu'on a redécouvert récemment comme je le constate à la conclusion du rapport de l'Igas. Je m'étonne que les pouvoirs publics n'aient pas tenté d'appliquer certaines de nos propositions concrètes.
M. François Autain, président . - Et à l'époque, Xavier Bertrand était déjà ministre de la santé.
M. le professeur Hubert Allemand . - Il faut redonner aux pouvoirs publics la force d'intervenir. Par exemple, pour les bases de données, certains organismes à but lucratif peuvent vouloir les utiliser. Aujourd'hui, les pouvoirs publics ont les moyens de répondre aux questions qui se posent en phase post-AMM. C'est une manière d'être transparent vis-à-vis du public. J'ai lu qu'on voulait introduire des représentants dans certains organismes, ce dont je me félicite, mais en faisant attention de ne pas rebasculer dans les conflits d'intérêts. Les pouvoirs publics ont déjà beaucoup à faire pour avoir une grande liberté sur la procédure d'AMM. J'ai lu avec intérêt ce rapport du Sénat. Beaucoup de bonnes propositions ont été faites. Il serait bon que l'assurance maladie puisse dérembourser des médicaments, par exemple.
M. François Autain, président . - J'étais aussi membre de la mission parlementaire, à l'époque de ce rapport, et j'avais proposé de confier à l'assurance maladie le soin de fixer le prix des médicaments. Il sera difficile de ne pas en arriver là, sans associer également les assurances complémentaires.
M. le professeur Hubert Allemand . - Ou au moins, dans une première étape, d'avoir la parité au Comité économique des produits de santé (Ceps) alors qu'aujourd'hui, les représentants des assurances obligatoires et complémentaires sont minoritaires.
M. François Autain, président . - J'étais pour ma part partisan de la suppression pure et simple du Ceps, ce qui évite peut-être de passer par cette étape transitoire.
M. Bernard Cazeau . - J'ai écouté religieusement votre dialogue avec le président ; j'ai cru à un moment qu'il allait vous nommer à la tête de l'Afssaps... Tout cela est bien beau mais ne nous dit pas pourquoi, depuis 1998, vous n'êtes pas allé au-delà d'une simple lettre alors qu'on l'a fait pour un autre médicament. Tout ce que vous nous dites, ce sont des « voeux pieux ». Il ne faudrait pas occulter les pressions des laboratoires et des visiteurs médicaux. Sinon, tout recommencera. Il y a eu un raté. Bien sûr, il y a maintenant les banques de données ; j'espère qu'on s'en servira, mais je doute que le contrôle s'améliore beaucoup.
M. Jacky Le Menn . - Vous dites que les industriels sont de grands professionnels et vous souhaitez que les collaborateurs des autorités publiques le soient autant. Pourquoi les uns sont-ils très professionnels et les autres très influençables ? Les uns sont professionnels du fait de l'appui financier de leurs laboratoires, les autres sont influençables du fait d'un certain laxisme des pouvoirs publics dans le chaînage de l'expertise ou du fait des liens d'intérêts. En ce sens, ils sont moins « professionnels » pour résister dans l'intérêt des malades.
Mme Janine Rozier . - Ma question est celle de quelqu'un qui n'appartient pas au monde médical. Quand, exactement, avez-vous appelé l'attention de l'Afssaps sur le problème du Mediator ? Vous avez dit qu'il fallait peu de temps pour obtenir l'AMM et beaucoup de temps pour la retirer. Je croyais au contraire qu'au moins sept à dix ans étaient nécessaires entre la découverte du médicament et l'obtention de son AMM. Enfin, je trouve que les notices ne sont pas toujours compréhensibles pour le patient moyen, et l'on est mal éclairé sur les effets des interférences entre plusieurs médicaments.
M. Alain Milon . - Actuellement, il y a l'organisme qui accorde l'AMM, celui qui surveille et celui qui rembourse, et une grande influence des laboratoires transparaît. Si, comme vous le proposez, les trois activités sont le fait d'un même organisme, l'influence qu'auront sur lui les laboratoires ne sera-t-elle pas plus grande encore ?
M. le professeur Hubert Allemand . - Madame Rozier, c'est en 1998 que nous avons adressé notre courrier. Il est vrai qu'il faut, en moyenne, sept à dix ans avant de pouvoir demander une AMM et cela représente un très gros investissement pour les laboratoires ; d'où la très grande difficulté qu'il y a à accepter ou à refuser cette autorisation. Et à ce moment, il faut se poser la question de qui bénéficie du doute : le laboratoire ou les patients ? Sinon, oui, la rédaction des notices est perfectible pour faire la part de certains risques.
Je n'ai pas dit qu'il faut fondre les différentes structures en une seule mais que des experts doivent avoir en main l'ensemble des données. Sur le Mediator, ceux qui s'occupaient de l'AMM n'avaient pas le même avis que la commission de pharmacovigilance. L'existence de différentes structures n'empêche pas qu'un groupe d'experts possède et synthétise l'ensemble des données. Le rapport de l'Igas a fait ce travail-là. S'il y avait eu un audit sur ce médicament par un comité d'expertise, on aurait peut-être eu ces résultats plus tôt.
M. François Autain, président . - Merci d'avoir contribué à ce débat. Il aboutira à un rapport qui, lui, nous l'espérons, sera lu...
Audition de M. le professeur Jacques BARROT, membre du Conseil constitutionnel, ancien ministre du travail et des affaires sociales (1995-1997) (mardi 1er février 2011)
M. François Autain , président . - Conformément à votre demande, monsieur le ministre, cette audition se déroulera à huis clos. Vous avez été, entre autres nombreuses fonctions, ministre du travail et des affaires sociales et, à ce titre, vous avez eu à « connaître » du Médiator, par l'intermédiaire de votre directeur de cabinet, en une période où l'Afssaps aurait pu prendre des décisions adéquates. Vous avez la possibilité de faire un exposé liminaire.
M. Jacques Barrot . - Je rappelle que j'ai été ministre de la santé de juillet 1979 à avril 1981, et chargé du ministère du travail en mai 1995 puis des affaires sociales à partir de novembre 1995. Nous avons mis en place, à la suite de Simone Veil, une série de commissions qui ont été le début d'une vraie politique de surveillance du médicament. Nous avons créé la commission d'AMM, la nouvelle organisation de la pharmacovigilance grâce à la loi du 7 juillet 1980 et la commission de la transparence le 3 octobre 1980. En 1992, la revue Prescrire a écrit que le bon usage du médicament avait connu son « heure de gloire » entre 1975 et 1981. Outre Jean Weber qui a aidé à cette mise en oeuvre, le professeur Legrain a beaucoup marqué cette période.
En 1993, l'Agence du médicament a été créée pour des raisons d'abord financières, car le gouvernement de l'époque voulait introduire une taxe sur les laboratoires pharmaceutiques. Je souligne que l'on a exclu tout recours gracieux auprès du ministre contre une décision de l'agence, ce que je crois utile. En 1993, on coupe donc le lien entre le ministre et l'agence.
M. Didier Tabuteau, premier directeur général de l'Agence du médicament, a envoyé le 20 décembre 1996 une note très complète à mon directeur de cabinet, M. Philippe Bas, pour lui dire, que dès le printemps 1995, un arrêté du directeur général de la santé avait interdit l'usage du benfluorex dans les préparations magistrales. Je me suis interrogé sur cette décision. Il est à noter que l'AMM initiale du benfluorex comportait l'indication antidiabétique. En fait, l'arrêté du directeur général de la santé - antérieur à ma nomination - était motivé par l'inscription de cette spécialité sur une liste dressée en 1982.
Lorsque le comité des spécialités pharmaceutiques au niveau européen a rendu son avis le 15 février 1996, M. Didier Tabuteau a fait savoir que la France l'avait précédé, puisque l'AMM délivrée en 1995 comportait déjà les informations mentionnées par le comité européen, à des détails de formulation près, qui allaient disparaître pour reprendre les termes exacts de l'instance communautaire. M. Didier Tabuteau ajoutait qu'il importe d'écarter tout risque de prise d'anorexigènes en dehors du strict respect de l'AMM.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Merci d'être venu, monsieur le ministre. Interdire l'usage du benfluorex dans les seules préparations magistrales est incompréhensible pour les citoyens ordinaires. Qui, auprès de vous, était en charge de ce secteur ? Avez-vous le sentiment d'avoir été bien informé ? Saviez-vous que le benfluorex continuait à être utilisé dans les spécialités pharmaceutiques ?
M. Jacques Barrot . - Je n'ai pas eu à en connaître, puisque l'arrêté du directeur général de la santé était antérieur à mon arrivée.
M. François Autain , président . - Le premier, mais le deuxième est intervenu le 25 octobre 1995.
M. Jacques Barrot . - Or, je suis arrivé le 2 novembre 1995. Je me suis bien sûr interrogé sur ce sujet, mais l'agence étant responsable de ses décisions, le cabinet du ministre n'en était pas saisi. D'ailleurs, mon directeur de cabinet n'en a gardé aucun souvenir.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Vous avez mentionné une liste établie en 1982.
M. Jacques Barrot . - Elle comportait des substances considérées comme étant de la même famille.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Entre 1982 et 1995, treize ans ont passé. Entre l'envoi d'une lettre par l'assurance maladie en 1998 et le retrait du produit en 2009, on retrouve une période presque aussi longue.
M. Jacques Barrot . - Je n'étais pas ministre en 1982.
M. François Autain , président . - C'était M. Jack Ralite.
M. Jacques Barrot . - Je me suis demandé pourquoi le benfluorex figurait sur cette liste, alors qu'il n'était pas considéré comme un anorexigène par l'agence.
M. François Autain , président . - Tel était le cas pour l'Organisation mondiale de la santé (OMS). L'Afssaps était la seule à ne pas le considérer comme tel.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Selon l'Igas, le 16 avril 1997, l'Agence a notifié aux laboratoires la modification de l'AMM, découlant de l'avis de la commission d'AMM du 3 février 1995 écartant l'indication d'adjuvant du régime chez les diabétiques avec surcharge pondérale. Mais cette décision est aussitôt remise en cause, de façon non motivée et non précédée d'une nouvelle consultation éventuelle de la commission d'AMM, donc, selon l'Igas, de façon illégale comme l'attestent deux courriers en date du 5 juin 1997 et du 4 août 1997 permettant aux laboratoires de maintenir l'indication thérapeutique du diabète. Avez-vous une explication à cette incohérence ?
M. Jacques Barrot . - Je suis parti fin mai... La décision me semble avoir été prise en août. C'est alors que la commission d'AMM a exclu l'indication antidiabétique.
M. François Autain , président . - La seule indication validée est celle d'adjuvant de régime adapté contre les hypertriglycéridémies. L'indication d'adjuvant antidiabétique n'existait pas entre 1987 et 1997. La modification d'avril 1997 était « incompréhensible », car il n'y avait aucune raison d'utiliser ce médicament pour combattre le diabète. D'ailleurs, aucun essai n'avait été réalisé. Nous ne comprenons pas cette extension d'AMM.
M. Jacques Barrot . - Le 24 janvier 1997, la firme a demandé le renouvellement de l'AMM, dans les deux indications. Formulé le 16 avril, le refus d'inscrire le diabète a été confirmé le 5 mai, avant que cette indication ne réapparaisse, semble-t-il, en août.
M. François Autain , président . - Il faudra procéder à des vérifications.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - A lire le rapport de l'Igas, le déremboursement de certains médicaments au service médical rendu insuffisant a indirectement stimulé la prescription de Médiator, qui bénéficiait d'un remboursement élevé. Comment expliquez-vous cette situation ?
M. Jacques Barrot . - A mon regret, je ne peux rien dire à ce propos.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Y avait-il déjà des allers et retours entre cabinets ministériels et laboratoires, comme on l'a récemment mis en exergue ?
M. François Autain , président. - Deux journaux vous ont mentionné à ce propos.
M. Jacques Barrot . - C'est très clair. Après que j'ai été remplacé par Mme Questiaux et M. Ralite en 1981, une de mes collaboratrices a été recrutée par les laboratoires Servier au printemps 1985.
Dix ans plus tard, j'ai été nommé ministre du travail - non de la santé. J'ai de nouveau fait appel à cette personne, qui connaissait bien la Haute-Loire et qui venait d'être élue sur la même liste municipale que moi. Au mois de novembre, M. Juppé m'a demandé de mettre en oeuvre son plan de sécurité sociale, ce que j'ai fait jusqu'en mai 1997, date à laquelle cette collaboratrice a été reprise par son employeur. A mes côtés, elle n'a jamais été chargée d'une relation quelconque avec les laboratoires.
M. François Autain , président . - Quelle était sa fonction ?
M. Jacques Barrot . - Elle a commencé par être attachée parlementaire, avant de devenir mon chef de cabinet en mai 1995.
M. François Autain , président . - Et quelles étaient ses fonctions au sein des laboratoires Servier ?
M. Jacques Barrot . - Il faudrait le lui demander. Je crois qu'elle s'occupait de veiller à l'information.
M. François Autain , président . - Que pensez-vous de la suggestion formulée par M. Xavier Bertrand consistant à publier les liens d'intérêts ?
M. Jacques Barrot . - C'est nécessaire pour clarifier la situation.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Notre mission a aussi en charge de réfléchir sur le système d'évaluation et de contrôle des médicaments. En 2006, le Sénat a publié un rapport intitulé « Comment restaurer la confiance des citoyens européens dans la science et la technologie ? » La même question se pose aujourd'hui pour les médicaments.
Quelles réformes institutionnelles préconisez-vous pour améliorer le circuit du médicament ? Faut-il modifier les procédures d'AMM et d'autorisation ? Serait-il judicieux de rémunérer les experts pour garantir leur indépendance envers les laboratoires ? Convient-il de revoir l'architecture des agences sanitaires et le système de la pharmacovigilance ?
M. Jacques Barrot . - Je pense utile surtout de revoir la gouvernance et le fonctionnement de l'agence du médicament, pas les outils de la pharmacovigilance ou de l'évaluation. Le directeur actuel exerce de très lourdes responsabilités. Il est quasiment irrévocable.
Il faudrait placer à la tête de l'agence un binôme avec d'une part, un président - peut-être un grand médecin - capable d'écouter ce qui se dit dans le monde médical en démêlant l'essentiel du secondaire, quelqu'un ayant la stature du professeur Legrain, à la réputation morale incontestée, et, d'autre part, un directeur administratif, responsable d'appliquer l'impulsion donnée par le président. Pourquoi ne pas nommer les deux en conseil des ministres, avec une responsabilité partagée pour signer les autorisations ?
Le binôme président-directeur devrait régulièrement informer le cabinet, afin que le ministre ne puisse pas dire ce que je viens de vous affirmer au sujet du Mediator, à savoir qu'il n'avait jamais entendu parler de l'affaire. La tutelle du ministère de la santé doit être plus proche et plus régulière.
M. François Autain , président . - Le ministre ne peut pas formuler un avis sur chaque médicament mis sur le marché.
Vous ne pensez pas utile de revenir sur la séparation entre l'évaluation des risques et sa gestion ?
M. Jacques Barrot . - Il faut la conserver.
M. François Autain , président . - Je me demande si vous n'avez pas déjà été entendu à propos du binôme...
M. Jacques Barrot . - Parce que votre mission a d'excellentes idées !
En 1980, j'ai aidé Prescrire à voir le jour, car il me semblait nécessaire d'encourager l'émergence d'un pouvoir parallèle à même de contester la position des autorités. D'ailleurs, cette revue ne s'en est pas privée.
M. François Autain , président . - Et elle veut rester ce qu'elle est, sans intégrer la moindre structure, pour demeurer un contre-pouvoir.
M. Jacky Le Menn . - Si vous aviez été interrogé à propos de l'interdiction de l'usage du benfluorex dans les préparations magistrales alors que la substance restait licite dans les spécialités pharmaceutiques, qu'auriez-vous répondu ?
Le remboursement élevé de ce produit relève le comble de l'absurde. Qu'auriez-vous dit à ce propos si vous aviez pu le faire ?
M. Jacques Barrot . - Un petit rappel historique. J'ai été ministre de la santé de juillet 1979 à avril 1981, puis chargé du ministère du travail en mai 1995, mais en charge de l'ensemble des affaires sociales à partir de novembre de cette même année. A cette époque nous avons mis en place, à la suite de Simone Veil, une série de commissions qui ont inauguré une vraie politique de surveillance médicale.
En ce qui concerne votre question, si tel avait été le cas, j'aurais certainement été très attentif. En 1979 et en 1980, j'ai été formé par un ancien inspecteur général de la santé, qui me disait qu'un ministre de la santé devait faire très attention à toutes ces questions.
J'ai d'ailleurs fermé la maternité Baudelocque en dépit de nombreuses protestations, après le décès suspect d'un nouveau-né. En cas de doute, j'aurais donc probablement réagi immédiatement.
Avant de quitter le ministère, l'inspecteur général que j'ai évoqué m'avait dit qu'il faudrait revoir tout le système de la transfusion sanguine. Je suis heureux d'avoir échappé au scandale du sang contaminé, mais ce haut fonctionnaire avait déjà en tête la réforme de cette administration.
Certes, M. Didier Tabuteau a dit, dans sa lettre d'octobre 1995, qu'il subordonnait l'utilisation de ce produit à des conditions assez strictes, mais l'expérience a démontré qu'il n'avait pas toujours été entendu, d'où la nécessité d'un directeur administratif qui veille à ce que les décisions soient exécutées.
Sur le coût, dans la mesure où les commissions de transparence se réunissaient, j'avais le sentiment que le dispositif fonctionnait.
Lors du plan Juppé, j'ai taxé assez sévèrement l'industrie pharmaceutique et si j'avais pu réduire le remboursement du Mediator, je l'aurais fait. Mais c'était l'Agence du médicament qui, à l'époque, était responsable.
M. François Autain , président . - Je reviens sur le rapport de l'Igas qui fait état de la longue lettre de M. Didier Tabuteau à votre directeur de cabinet et qui parle de « pressions » auxquelles il aurait été soumis de la part des laboratoires Servier, qui lui reprochaient le sort réservé à l'Isoméride. Avez-vous entendu parler de ces menaces ? On parle même d'un déjeuner organisé par le secrétaire général du Conseil économique et social avec votre directeur de cabinet et M. Servier pour arrondir les angles.
M. Jacques Barrot . - J'ai posé la question à M. Philippe Bas et il m'a affirmé qu'il n'avait pas le souvenir d'un quelconque déjeuner. Tout ceci n'est pas remonté jusqu'à moi.
Encore une fois, si j'avais été alerté, j'aurais immédiatement réagi. En outre, nous avons soutenu Didier Tabuteau.
M. François Autain , président . - Rien ne dit, dans le rapport, que vous ne l'avez pas soutenu. Merci pour votre contribution. Nous espérons que notre rapport permettra d'engager cette réforme nécessaire.
M. Jacques Barrot . - Ne croyez-vous pas que l'Europe devrait davantage s'impliquer dans ce dossier ? Pour l'avenir, une alerte au niveau européen n'est-elle pas souhaitable ?
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Bien sûr !
M. François Autain , président . - On a tendance à se réfugier derrière l'Europe dès que des décisions impopulaires doivent être prises et que le pouvoir politique ne souhaite pas les assumer. On peut invoquer l'Europe quand il s'agit d'une procédure centralisée, mais pour ce qui concerne le Mediator, il s'agissait d'une procédure nationale et la France aurait pu prendre la décision d'un retrait du marché, comme l'a fait l'Espagne en 2003. L'Europe, c'est une excuse, mais il ne faut pas en abuser.
Je vous remercie, monsieur le ministre.
Audition de M. Pierre SCHIAVI, directeur de la division scientifique « Pharmacologie et gériatrie » des laboratoires Servier (jeudi 3 février 2011)
Réunie sous la présidence de M. François Autain, président , la mission commune d'information procède à l' audition de M. Pierre Schiavi, directeur de la division scientifique « Pharmacologie et gériatrie » des laboratoires Servier .
M. François Autain, président . - Nous vous remercions d'avoir répondu à notre invitation. Vous avez accepté que cette réunion soit publique : le confirmez-vous ?
M. Pierre Schiavi, directeur de la division scientifique « Pharmacologie et gériatrie » des laboratoires Servier . - Absolument.
M. François Autain, président . - Vous êtes bien, monsieur Schiavi, directeur de la division scientifique « Gériatrie » des laboratoires Servier et trésorier de la société française de pharmacovigilance et de thérapeutique.
M. Pierre Schiavi . - Je le confirme. Plus précisément, je suis directeur de la division scientifique « Pharmacologie et gériatrie » des laboratoires Servier, et trésorier de la société française de pharmacologie et de thérapeutique. La pharmacovigilance n'est que l'une des composantes de la pharmacologie.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Pouvez-vous nous rappeler les grandes étapes de votre carrière au sein des laboratoires Servier et nous dire si vous ne vous êtes jamais trouvé en situation de conflit d'intérêts ?
M. Pierre Schiavi . - Ingénieur biochimiste de formation, je suis sorti en décembre 1979 de l'Institut national des sciences appliquées (Insa) de Lyon. Après avoir fait mon service militaire à l'hôpital Sainte-Anne de Toulon, j'ai été recruté en 1979 par les laboratoires Servier, dans un laboratoire de pharmacologie cardio-vasculaire, pour y faire des recherches sur les inhibiteurs d'enzymes de conversion, utilisés dans le traitement de l'hypertension artérielle. Après deux ou trois ans, mon patron m'a conseillé de poursuivre ma formation jusqu'à un doctorat es-sciences. Je me suis donc inscrit en diplôme d'études appliquées (DEA) de pharmacologie générale à Paris V en 1982-1983 et, à la suggestion d'une de mes enseignantes, pharmacologue réputée, j'ai rejoint en 1984 l'association des anciens élèves du certificat de pharmacologie et de pharmacodynamie, société savante devenue un peu plus tard la société de pharmacologie expérimentale (je l'ai présidée de 1989 à 1992). Le 1 er janvier 1997, les trois principales sociétés savantes françaises dans ce domaine se sont réunies en une seule société française de pharmacologie et de thérapeutique ; administrateur de l'une des trois anciennes, j'ai rejoint le conseil d'administration de la nouvelle société, où j'ai toujours été réélu. Ce regroupement a offert l'avantage d'améliorer la représentativité de la pharmacologie française dans les instances internationales, où celle-ci ne dispose généralement que d'un siège. Le président d'une des sociétés fondatrices m'a demandé d'être le trésorier de la nouvelle société, et j'ai accepté.
Les comptes, que je présente chaque année à l'assemblée générale, ont toujours été approuvés à l'unanimité.
J'ai mené en parallèle une carrière au sein des laboratoires Servier, que je n'ai jamais quittés. Au centre de recherche de Suresnes, j'ai contribué au développement d'un inhibiteur d'enzymes de conversion dont le nom de marque est Coversyl, mais aussi d'autres antihypertenseurs. En 1991, je suis passé de « la paillasse » au développement clinique et à la recherche thérapeutique, dans une division consacrée au développement d'antihypertenseurs : nous avons mis au point une version à libération prolongée du Fludex - les antihypertenseurs sont ma zone de compétence. Puis, au début des années 2000, j'ai rejoint Servier International, une structure de marketing, où je me suis occupé de Natrilix SR, nom de marque international du Fludex LP, dont la dénomination commune internationale est l'indapamide. Enfin, en 2006, j'ai quitté cette structure pour la direction scientifique France, dont le rôle est d'informer les médecins et pharmaciens hospitalo-universitaires ; on m'a chargé de la direction scientifique d'une division où ont été mis au point des inhibiteurs d'enzymes de conversion, comme le Protélos, le Coveram ou le Procoralan qui est un bradycardisant pur, doués de propriétés pharmacologiques particulières - ce sont les premiers de leur classe, avec une position particulière dans l'arsenal thérapeutique. Ces nouveaux médicaments qui sont issus de la recherche des laboratoires Servier sont de réelles innovations pharmacologiques. Mais je n'insiste pas, je crois que vous êtes médecin.
M. François Autain, président . - Je ne prescris plus.
M. Pierre Schiavi . - Je n'ai jamais été visiteur médical, mais ma fonction est d'informer les médecins et les pharmaciens. J'ajoute que j'ai appartenu entre 1988 et 2002 à une société américaine d'hypertension artérielle.
M. François Autain, président . - Nous avons bien compris que vous étiez spécialiste de l'hypertension, mais nous souhaitons que vous nous parliez de benfluorex. Dans le livre d'Irène Frachon, vous êtes cité à propos d'une lettre indiquant que « le Mediator se distingue radicalement des fenfluramines tant en termes de structure chimique et de voies métaboliques que de profil d'efficacité et de tolérance » . Cela n'a rien à voir avec les documents parus depuis 1976. Pouvez-vous nous expliquer le contenu de cette lettre dans laquelle vous n'êtes pas nuancé du tout mais catégorique et maintenez-vous ce propos ?
M. Pierre Schiavi . - Je suis content de pouvoir m'expliquer. Je vais vous dire comment cela s'est passé. Je vous laisserai juge de mon implication. Ma fonction consiste à rencontrer les médecins, pharmaciens et pharmacologues hospitalo-universitaires. Vers la fin mars 2008, je visitais le service de pharmacologie du CHU de Brest ; après une longue conversation avec le chef de service concernant les nouveaux médicaments des laboratoires Servier, je suis passé voir une de ses collègues, membre du centre régional de pharmacovigilance et membre de la société savante, à qui j'ai présenté le Procoralan dans le détail. A l'issue de cet entretien, ce membre de la société de pharmacologie m'a posé une question très précise : « Y a-t-il des similitudes chimiques entre le Mediator et les fenfluramines, Isoméride et Pondéral ? » N'étant pas spécialiste du métabolisme ni de l'endocrinologie, j'ai fait part de cette question à notre service d'information médicale au siège des laboratoires Servier, qui m'a transmis une note, sous forme de fichier, que j'ai transmise à mon interlocutrice, et que je n'ai pas signée moi-même. La réponse portait sur la similitude chimique puisque c'était la question initiale. Ma contribution a été de transmettre une information qui avait été, je suppose, donnée en interne par les chimistes compétents.
M. François Autain, président . - Vous n'assumez donc pas la responsabilité de cette lettre ?
M. Pierre Schiavi . - Je n'assume pas la teneur de celle-ci dans la mesure où je ne l'ai pas rédigée.
M. François Autain, président . - Qui est responsable ? Qui faut-il interroger ? Il nous faudrait savoir sur quel fondement cette personne propageait une telle thèse.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Quand l'Isoméride et le Ponderal ont été retirés du marché, la société savante dont vous êtes membre s'est-elle interrogée sur les similitudes éventuelles entre ces médicaments et le Mediator ?
M. Pierre Schiavi . - Je rappelle qu'il ne s'agit pas d'une société de pharmacovigilance, mais de pharmacologie. Son rôle n'est pas de porter un jugement sur des décisions administratives.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Quel est le processus décisionnel au sein du groupe Servier sur la conduite, la validation et l'exploitation des travaux de recherche ? Quelles ont en particulier été les grandes étapes entre les recherches menées sur le Mediator et son autorisation de mise sur le marché en 1976 ?
M. Pierre Schiavi . - Entré chez Servier en 1979, j'ignore comment les recherches s'étaient déroulées auparavant. Par ailleurs, je ne me suis jamais occupé de métabolisme ou d'endocrinologie, domaines dont relève le Mediator. Je n'avais aucune compétence réglementaire et je n'ai jamais monté aucun dossier, excepté celui de la pharmacologie du Coversyl en 1981 - j'en suis fier, ainsi que d'avoir signé en 1984 le premier papier sur ce médicament.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Vos équipes scientifiques n'ont elles jamais douté de l'efficacité ou de la sécurité du Mediator ? Avaient-elles connaissance des études internationales mettant en cause la consommation d'anorexigènes, et des deux lettres des médecins de la sécurité sociale soulignant les inconvénients de l'Isoméride ?
M. Pierre Schiavi . - Je manque de compétences sur la question.
M. François Autain, rapporteur . - Vous n'êtes, en somme, qu'un « transmetteur ». Mais qui, chez Servier, était chargé du suivi pharmacologique du benfluorex et donc responsable de cette note ? Vous n'ignorez pas que son segment-clé, d'après la liste établie par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) en 1950, désigne cette molécule comme un anorexigène, c'est indéniable.
M. Pierre Schiavi . - Je n'ai pas à porter de jugement sur ce point.
M. François Autain, président . - Cela s'impose à tous. C'est un dérivé amphétaminique. Comment a-t-on pu dire que cette molécule n'avait rien à voir avec d'autres de la même famille ? Nous attacherions beaucoup de prix à l'original de la lettre et souhaiterions connaître son auteur.
M. Pierre Schiavi . - Vous en avez lu un extrait, j'en ai vu d'autres dans la presse. Les laboratoires Servier vous la feront parvenir. La directrice de l'information médicale était alors le docteur Antoinette Chanu, qui a dû se renseigner auprès des gens compétents parmi nos 22 000 collaborateurs.
M. François Autain, président . - Est-elle pharmacologue ?
M. Pierre Schiavi . - Elle est médecin. Aujourd'hui à la retraite, elle travaillait chez Servier depuis une trentaine d'années.
M. François Autain, président . - Elle a écrit cette lettre sans le recours d'un pharmacologue ? Nous devrions l'auditionner et vous nous laisserez ses coordonnées. Mais avançons, comme me le suggère madame le rapporteur.
M. Pierre Schiavi . - La propriété anorexigène du Mediator, à laquelle vous avez fait référence, monsieur le président, n'a jamais été donnée à ma connaissance comme indication thérapeutique.
M. François Autain, président . - Les médecins prescripteurs lui ont prêté beaucoup sur ce point, à tort ou à raison. Ils l'ont prescrit souvent en lieu et place de l'Isoméride. Vos visiteurs médicaux ne les ont-ils jamais avertis des dangers de cet usage ? Avez-vous informé les médecins en les mettant en garde ?
M. Pierre Schiavi . - Ils l'ont prescrit dans l'« intimité du cabinet », mais il n'y a pas d'indication légale.
M. François Autain, président . - Si vous avez des documents de ce type, ils nous intéressent.
M. Pierre Schiavi . - L'industrie pharmaceutique, vous le savez, est très réglementée. Je suis certain que les laboratoires Servier faisaient la promotion du Mediator dans son indication, en tant qu'adjuvant du traitement du diabète.
M. François Autain, président . - Ce n'était pas le cas dans les années 1980, il était recommandé comme adjuvant du régime dans les hypertriglycémies, le « diabète » ne figurait pas.
M. Pierre Schiavi . - Je ne suis pas compétent pour vous répondre sur ce point.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Tout médicament a des indications dans le Vidal qui est consulté par les médecins et les pharmaciens. Comment cela était présenté ? Avez-vous modifié les informations figurant dans le Vidal ?
M. Pierre Schiavi . - Encore une fois, je n'ai pas de compétences réglementaires. On trouve dans le Vidal la monographie acceptée par les autorités de tutelle. Les médecins avaient accès à une information validée par les autorités règlementaires.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Les laboratoires Servier n'ont pas présenté le Mediator comme anorexigène, mais des médecins l'auraient prescrit comme tel ?
M. Pierre Schiavi . - Je n'ai pas dit cela.
M. François Autain, président . - Mais nous sommes bien forcés de constater, comme le disait avant-hier le professeur Allemand, qui est une autorité incontestée, qu'un tiers des prescriptions s'effectuait hors AMM. Pourquoi ? Quelle est la part de responsabilité des laboratoires Servier ?
M. Pierre Schiavi . - Je ne suis pas compétent pour en juger.
M. François Autain, président . - Vous le serez un peu plus en sortant de cette salle ! Il nous faudra bien comprendre pourquoi les médecins ont prescrit le Mediator comme un anorexigène et quelle est la responsabilité des laboratoires Servier.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Un récent rapport de l'Igas met en cause une stratégie de positionnement du Mediator, menée dès l'origine par les laboratoires Servier, en décalage avec sa réalité pharmacologique ? Répondez-vous que le Mediator a été prescrit en dehors de son indication thérapeutique ?
M. Pierre Schiavi . - Jamais, de la première AMM jusqu'à la dernière, le Mediator n'a été indiqué comme anorexigène par les laboratoires Servier.
M. François Autain, président . - Jamais non plus l'hypertension artérielle pulmonaire ni les valvulopathies cardiaques graves n'ont été désignées comme d'éventuels effets indésirables de 1979 à 2009 ! C'est extraordinaire ! Alors que c'est la raison pour laquelle il a été finalement retiré.
M. Pierre Schiavi . - Encore une fois, la notice du Vidal n'est que la copie de la monographie acceptée par les autorités de tutelle.
M. François Autain, président . - Je ne vous mets pas en cause. Je fais juste état d'une « étrangeté ». La réglementation est, en effet, du ressort de la commission d'AMM et de l'Afssaps, mais le laboratoire peut ne pas inclure un médicament dans le Vidal.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - A combien les laboratoires Servier estiment-ils le nombre de victimes du Mediator ? Les estimations actuelles oscillent entre cinq cents et deux mille victimes.
M. Pierre Schiavi . - Un médicament n'est pas là pour faire des victimes, ces dernières étant de toute manière toujours trop nombreuses. En tant que citoyen et pharmacologue, je suis choqué qu'un médicament fasse des victimes, et impatient de connaître les responsabilités de chacun. Je souhaite ardemment que le groupe Servier assume celles qui lui seront imputées et je ne doute pas qu'il le fera comme d'autres laboratoires français ou internationaux l'ont fait en des cas semblables.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Quelles dispositions prenez-vous pour les patients qui ont consommé du Mediator dans le passé ?
M. Pierre Schiavi . - Je ne suis pas impliqué dans le suivi thérapeutique. Les autorités sanitaires, l'Afssaps, la société française de cardiologie, les ordres des médecins et des pharmaciens ont formulé des recommandations et les autorités sanitaires ont pris des décisions. J'espère que le suivi sera efficace, car même ceux qui n'ont subi que des effets collatéraux doivent avec leur famille être au coeur de notre attention.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Par précaution, comptez-vous retirer du marché d'autres médicaments, y compris des génériques ?
M. Pierre Schiavi . - Dans le domaine de l'hypertension et des maladies cardio-vasculaires, pas à ma connaissance. Les autorités sanitaires françaises, européennes et internationales sont là pour effectuer cette surveillance. N'oublions pas les bienfaits des médicaments, qui permettent aujourd'hui de soigner certaines maladies cardio-vasculaires dont on pouvait décéder il y a vingt ans.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Y a-t-il sur le marché des génériques composés de la même molécule que le Mediator ?
M. Pierre Schiavi . - Il n'y en a pas à ma connaissance !
M. François Autain, président . - Non, en effet. Mais rappelons que l'autorisation de mise sur le marché des génériques est intervenue un mois avant le retrait du benfluorex, ce qui témoigne de la cohérence de la gestion de l'Afssaps !
Que pensez-vous du Vastarel ? Certes, c'est un vasodilatateur et non un antihypertenseur. Le journal Prescrire , il y a un an, estimait que sa balance bénéfices-risques était défavorable et qu'il devait être retiré du marché. Je ne sais s'il figure sur la fameuse liste des soixante-dix-sept médicaments sous surveillance, où l'on trouve tout et n'importe quoi... Et je prends la responsabilité de ce que je dis.
M. Pierre Schiavi . - Le Vastarel n'entre pas dans mon champ de compétence.
M. François Autain, président . - Encore. Mais la prochaine fois, nous saurons à qui nous adresser en cas de problème avec le Coversyl...
M. Pierre Schiavi . - Pour celui-là, en effet, j'en suis le découvreur et maintenant l'utilisateur.
M. Jacky Le Menn . - En tant que directeur d'une division scientifique chez Servier, vous êtes chargé d'informer les pharmacologues hospitalo-universitaires, gens doués d'une grande curiosité. Lorsqu'une collaboratrice du CHU de Brest vous a interrogé sur les similitudes entre l'Isoméride et le Mediator, ne vous êtes-vous pas demandé sur quoi elle fondait ses doutes ? N'avez-vous fait que transmettre cette question à vos services, simple « petit télégraphiste » ? Quant à la note produite par ceux-ci, n'avez-vous pas voulu connaître les raisons d'une position aussi radicale, contraire à l'avis des plus hautes sommités médicales ? Vous deviez sans doute vous attendre à ce que l'on vous interroge de nouveau à ce sujet.
Je ne puis croire que la société française de pharmacologie et de thérapeutique, dont vous êtes depuis longtemps trésorier, soit restée indifférente lorsque l'Isoméride a été interdit. La curiosité des chercheurs n'a-t-elle pas été piquée ? Je crains que votre patriotisme d'entreprise n'ait occulté à vos yeux des problèmes qui auraient dû vous interpeller en tant que citoyen.
M. Pierre Schiavi . - Je ne me souviens d'aucun commentaire au sein de la société savante lors du retrait du marché de l'Isoméride. La pharmacologie est une discipline transversale, chacun ayant son domaine de compétences ; je ne suis spécialiste que du domaine cardio-vasculaire, non de métabolisme ou d'endocrinologie.
Lors de ma visite à l'hôpital de la Cavale blanche de Brest, je l'ai dit, j'ai présenté dans le détail le Procoralan avec la responsable du centre régional de pharmacovigilance, et ce n'est qu'à l'issue de cet entretien qu'elle m'a interrogé sur les similitudes chimiques du Mediator et des fenfluramines. Je vous ferai parvenir la lettre que je lui ai adressée le 7 avril 2008 : les informations fournies étaient scientifiques et fondées sur des références bibliographiques.
Quant à mon patriotisme d'entreprise, je travaille chez Servier depuis trente-deux ans, et je suis fier des travaux auxquels j'ai contribué sur le traitement de l'hypertension. Il m'est insupportable que des médicaments puissent faire des victimes, et je suis sûr que lorsque les responsabilités de chacun seront élucidées, le groupe Servier saura assumer les siennes.
M. Philippe Darniche . - Pharmacien d'officine, j'ai eu fréquemment à délivrer du Mediator sur l'indication du Vidal, d'abord comme adjuvant du régime du diabétique, puis comme antidiabétique de premier rang. Je voudrais donc savoir si les études des laboratoires Servier ont été confirmées par d'autres travaux dans le monde et si d'autres laboratoires internationaux se sont penchés sur cette indication thérapeutique. Comment les études ont-elles été menées sur cette indication thérapeutique ?
M. Pierre Schiavi . - Ma spécialité est l'hypertension. Cela étant, en général, quand un laboratoire est propriétaire d'une molécule en termes d'utilisation commerciale, tous les scientifiques du monde peuvent obtenir des comprimés « en poudre » ou du principe actif afin de procéder à toutes les expériences qu'ils souhaitent.
M. Philippe Darniche . - Il serait intéressant d'obtenir le résultat des études.
M. François Autain, président . - Ces études existent, comme l'étude Regulate . Ce sont elles qui ont conduit à la suspension de l'autorisation de mise sur le marché en raison des effets secondaires. L'étude du professeur Garattini notamment a montré que les effets du Mediator n'étaient pas différents de ceux des médicaments de référence comme l'Isoméride ou le Ponderal. Tout cela était connu depuis 1999. L'Afssaps a pourtant hésité pendant dix ans...
M. Philippe Darniche . - Je ne parlais pas de l'étude finale sur les effets secondaires mais de l'étude qui a initialement caractérisé le Mediator en tant qu'adjuvant à un régime antidiabétique.
M. François Autain, président . - Ces informations figurent dans le rapport de l'Igas. La commission d'autorisation de mise sur le marché de 1987 a été très claire : elle ne reconnaît pas l'action du Mediator sur le diabète. Reportez-vous au rapport.
Autre point : quelles sont les modalités de financement de votre association et à quel niveau les subventions se situent-elles ? Le ministre a en effet critiqué le financement des sociétés savantes par l'industrie pharmaceutique.
M. Pierre Schiavi . - Les comptes de la société sont présentés à l'assemblée générale qui les vote ; ils sont publics et déposés auprès des services fiscaux - je puis vous les transmettre.
M. François Autain, président . - Nous vous en serions reconnaissants.
M. Pierre Schiavi . - Je ne dispose pas encore des comptes 2010, mais je ne doute pas qu'ils seront proches de ceux de 2009. Notre première recette est constituée des cotisations, soit 110 euros pour chacun de nos six cents à sept cents membres. Viennent ensuite les abonnements des deux journaux que nous publions, l'un en anglais, l'autre en français ; nous en assurons gratuitement le service à nos adhérents et ils sont distribués aux scientifiques et industriels. Cela représente entre 20 % et 25 % de nos ressources.
M. François Autain, président . - Qui finance les journaux ?
M. Pierre Schiavi . - Nous n'avons pas de publicité - la pharmacologie n'est pas un bon vecteur. Nous avons des lecteurs dans le monde entier. Nos recettes proviennent de notre éditeur anglo-néerlandais et des abonnements, notamment des bibliothèques.
M. François Autain, président . - Ne recevez-vous pas de subventions de l'industrie ?
M. Pierre Schiavi . - Le congrès annuel constitue une autre source de recettes. Nous l'organisons avec la société de physiologie, avec qui nous en partageons les pertes et profits dans la proportion de deux tiers pour nous et un tiers pour elle. Viennent enfin les subventions qui représentent 6 % de notre budget. Parmi nos partenaires, l'on trouve des gens qui font du diagnostic et des fournisseurs de matériel expérimental.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - La mission d'information sur le Vioxx avait noté l'omniprésence des laboratoires dans la formation médicale. Faut-il réformer ce système et comment restaurer la confiance ?
M. Pierre Schiavi . - Il faut la restaurer. C'est même urgent quand des personnes ne se font plus vacciner ou que des malades se détournent de médicaments qui sauvent des vies. Je ne puis qu'aller dans votre sens. Les analyses de votre mission peuvent y contribuer : l'on doit identifier les responsabilités et en tirer les conséquences.
M. François Autain, président . - Je vous remercie d'avoir répondu avec précision à nos questions, même si vous n'étiez pas le bon interlocuteur pour toutes.
Audition de M. François ROUSSELOT, président de la commission des relations médecin-industrie du Conseil national de l'Ordre des médecins (mardi 8 février 2011)
Réunie sous la présidence de M. Bernard Cazeau, vice-président , la mission commune d'information procède à l' audition de M. François Rousselot, président de la commission des relations médecin-industrie du Conseil national de l'Ordre des médecins (Cnom) .
M. Bernard Cazeau, président . - Je remplace aujourd'hui le président François Autain, retenu par un engagement pris de longue date.
Je vous rappelle que nos échanges sont enregistrés et filmés et qu'ils seront consultables sur Internet et sur Public Sénat.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Dans notre mission commune d'information, Mme Marie-Christine Blandin remplacera désormais M. Jean Desessard, qui en démissionne pour pouvoir participer à la mission commune d'information relative à Pôle emploi, laquelle se réunit aux mêmes horaires.
M. Bernard Cazeau, président . - C'est avec plaisir que nous accueillons M. François Rousselot, président de la commission des relations médecins-industrie du Conseil national de l'Ordre des médecins.
M. François Rousselot, président de la commission des relations médecins-industrie du Cnom . - Le Conseil national de l'Ordre des médecins (Cnom) se préoccupe depuis longtemps des conflits d'intérêts et lorsqu'est survenue la « loi anti-cadeaux », nous avions depuis deux ans déjà mis en place un service chargé des relations entre médecins et industrie pharmaceutique. Cette loi a formalisé le travail de ce service. Il nous a été demandé de donner un avis sur les conventions liant les médecins à l'industrie du médicament et du matériel médical pris en charge par la sécurité sociale. Les articles L. 4113-6 et L. 4113-9 du code de la santé publique précisent les exceptions autorisées par lesquelles les industriels peuvent financer la recherche et les « hospitalités », fortement encadrées, pour permettre à des médecins de participer à des congrès ou à des journées de formation continue. Ces exceptions, seules, peuvent conduire à des conventions. Notre service, la commission des relations médecins-industrie, chargée d'appliquer la loi et ses règlements comprend douze élus de l'Ordre - six conseillers nationaux et six représentants des conseils départementaux et régionaux - un président élu par ses pairs, un conseiller juridique, M. Francesco Jornet - ici présent -, une directrice de service et cinq secrétaires.
Nous traitons chaque année 38 000 dossiers d'hospitalités et 2 000 dossiers d'études. Ces chiffres évoluent peu depuis ces dernières années. Ces dossiers peuvent concerner un seul médecin ou bien un groupe de médecins, jusqu'à plusieurs centaines de médecins ; ils concernent aussi les hospitaliers. Cela représente un travail important. Un dossier d'hospitalité peut ne concerner qu'un dîner servi à l'occasion d'une formation médicale, ou bien un congrès de spécialistes de cinq jours en Amérique du Nord. Ces dossiers sont donc d'importance inégale mais la grande majorité ne concerne que des hospitalités de moins d'une journée.
Les dossiers d'études sont beaucoup plus compliqués à gérer. Nous devons déterminer s'ils ne sont pas contraires aux dispositions déontologiques - niveau d'honoraires, confidentialité, respect des dispositions règlementaires. Par exemple, pour un médecin hospitalier, cette activité d'étude ne peut être qu'« accessoire », ce qui est aussi imprécis que difficile à gérer. Il y a là matière à simplification...
M. Bernard Cazeau, président . - Comment le Cnom a-t-il été mis au courant des dérives prescriptives du Mediator ? En a-t-il informé l'ensemble des professionnels de santé ? Comment a-t-il été informé du « signalement » des médecins déviants ?
Comment les médecins en général, les médecins condamnés en particulier, connaissaient-ils, officieusement ou officiellement, les effets pervers du Mediator ? Par qui en étaient-ils informés ?
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Avez-vous le souvenir de dossiers spécifiques dont a eu à traiter votre commission, concernant le Mediator, notamment d'études post-AMM ?
M. François Rousselot . - L'exploration de dix ans d'archives papier portant sur 38 000 dossiers annuels est une tâche telle que je fais des réserves sur la certitude de ce que je vais avancer. Nous avons cependant identifié trois études post-AMM, dont la fameuse étude dite du Professeur Moulin - la seule vraiment importante qui nous a été soumise pour avis puisque le Conseil de l'Ordre ne rend que des avis - en 2006. Il y a eu des prolongations en 2007 et 2009. En dix ans, nous n'avons donc eu que trois études sur le Mediator dont deux études observationnelles, de phase 4 - donc d'intérêt scientifique limité -, qui se contentent d'enregistrer le comportement des médecins - fréquence des prescriptions - et des patients - respect de ces prescriptions. Notre commission a demandé des précisions sur l'organisation de l'étude Moulin à la suite desquelles un avis favorable a été rendu quant à la possibilité dans un cadre déontologique de mettre en route cette étude. La délivrance d'un avis est la seule mission confiée à l'Ordre ; ce n'est pas nous qui autorisons une étude et nous ne prenons pas position sur le plan scientifique, uniquement sur l'aspect déontologique.
M. Bernard Cazeau, président . - Le Conseil de l'Ordre a tout de même prononcé quatre-vingt-quatre interdictions temporaires d'exercer depuis 2001 à l'encontre de praticiens qui prescrivaient du Mediator en dehors de ses indications.
M. François Rousselot . - Les plaintes relevaient non pas de la section disciplinaire mais de la section des assurances sociales (SAS). Les caisses d'assurance maladie déposent plainte à l'encontre du comportement d'un médecin devant la section des assurances sociales de la région où ce dernier exerce. La structure d'appel est au niveau national. La SAS a traité des plaintes de l'assurance maladie au sujet de médecins qui prescrivaient ce produit hors AMM et sans mentionner la référence NR (Non Remboursable). C'est le grief. Les caisses se plaignent de devoir prendre en charge des dépenses qu'elles n'avaient pas à assumer. La sanction peut n'être qu'un blâme ou un avertissement. En dix ans, le nom de Mediator apparaît dans moins de cent procédures devant la SAS. C'est pour la prescription hors AMM qu'une sanction a été rendue. Il n'existe pas de dossier où seul le Mediator est en cause. Il s'agit toujours de cas ou plusieurs médicaments ont été prescrits hors AMM et mis à la charge de la sécurité sociale. C'est dans ce cadre que la Cnam a établi ses griefs. En tout cas, à ce jour, la commission disciplinaire n'a enregistré aucune plainte pour mésusage du Mediator. Donc, ce n'est pas à partir du SAS ou de la section disciplinaire que les conseillers ordinaux peuvent savoir que le Mediator est un produit dangereux. Heureusement, leur curiosité est plus large. Depuis peu, comme tout médecin, ils savent qu'il est établi que ce produit avait une dangerosité.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Le Cnom n'a pas de pouvoir disciplinaire en matière de prescription hors AMM ?
M. François Rousselot . - Chaque médecin est libre de ses prescriptions. L'AMM détermine seulement la prise en charge et le remboursement.
M. Bernard Cazeau, président . - Vous n'intervenez que sur plainte de l'assurance maladie. Quand des médecins prescrivent un mélange toxique de Mediator, d'extraits thyroïdiens et d'antidépresseurs, vous n'avez pas le pouvoir de prononcer une sanction ?
M. François Rousselot . - Comment le Cnom aurait-il connaissance de ces prescriptions ? C'est la Cnam qui les connaît et, lorsqu'elle porte plainte, nous instruisons et nous prenons une décision.
M. Francisco Jornet, conseiller juridique de la commission médecins-industrie du Cnom . - Une prescription hors AMM n'est pas, en soi, interdite. Elle est même reconnue par la loi. La section disciplinaire - indépendamment du Mediator - a déjà eu à connaître de médecins qui prescrivaient hors ou sans AMM. Le Conseil d'Etat a annulé les sanctions prononcées du seul fait qu'un médecin prescrivait un médicament sans AMM. Il aurait fallu prouver en outre que ces prescriptions étaient dangereuses pour condamner un médecin.
M. Bernard Cazeau, président . - Vous ne vous prononciez donc que sur plainte de l'assurance maladie pour des remboursements indus, non sur le médicament lui-même ?
M. François Rousselot . - En justice, on répond au grief avancé. Nous ne pouvions réagir qu'au grief présenté par la Cnam.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - La prescription hors AMM est-elle spécifique au Mediator ou n'est-elle pas exceptionnelle ? Et depuis la publication de la liste des médicaments sous surveillance, avez-vous connaissance d'autres problématiques similaires au Mediator ?
M. François Rousselot . - Cette liste, très récente, fait l'objet d'une vigilance mais les autorités sanitaires n'ont pas encore décidé de retirer ces produits de la vente. Dans un délai aussi court, l'assurance maladie n'a pas pu faire d'observations.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - L'affaire du Mediator est-elle de nature à faire évoluer les conditions de travail de votre commission ou à réaffirmer certaines règles déontologiques ? Le Conseil de l'Ordre doit-il se doter de moyens d'information et de contrôle sur la réalisation des études faites par les médecins en relation avec les laboratoires ?
M. François Rousselot . - Nous souhaitons des évolutions, mais d'ordre règlementaire et législatif. Actuellement, pour une étude ou une hospitalité monodépartementale, la déclaration et l'avis sont requis au niveau du conseil départemental de l'Ordre. Sinon, il est requis au niveau du Conseil national qui informe très régulièrement de ses avis. La mission de l'Ordre s'arrête là. Le médecin qui a signé une convention doit l'envoyer à son conseil départemental, lequel doit vérifier si cette étude a fait l'objet d'un avis favorable ou défavorable. Mais aucune disposition actuelle n'organise la centralisation des informations. C'est une grave lacune. Je l'ai déjà évoqué lors des travaux de la commission d'enquête du Sénat sur la grippe A (H1N1). Le président de l'Ordre s'est entretenu également avec le sénateur Alain Milon, rapporteur de la proposition de loi réformant certaines dispositions de la loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST), de la nécessité d'une réorganisation de la collecte des données. Depuis deux ans, nous mettons sur pied un nouveau programme informatique afin de les centraliser ; il entrera dans sa phase pilote avec les industriels en mars. Désormais, nous pourrons ainsi savoir qui fait quoi et quand il le fait. Car, actuellement, on nous sollicite pour donner un avis mais rien n'oblige une entreprise à nous dire si elle a donné suite à son projet d'étude. Nous sommes seulement avertis de la fin de l'étude. Nous ne recevons pas systématiquement les résultats de ces études. Le système a donc ses limites ; l'efficacité exige de le modifier car, actuellement, les conseils national ou départementaux ne peuvent aller au bout de leur mission.
M. Jean-Jacques Mirassou . - C'est étrange. En dehors d'une surveillance, très réduite par les dispositions règlementaires, vous ne pouvez pas intervenir sérieusement lorsque se pose un grave problème de santé publique ! Et tous ceux que nous auditionnons nous disent la même chose ! Il y avait pourtant eu un précédent très semblable, avec l'Isoméride. Vous nous dites que l'Ordre des médecins ne peut intervenir qu'en cas de distorsion de prescription ou de remboursement indu, révélés par l'assurance maladie. Si l'Ordre des médecins ne peut intervenir - et même énergiquement -, qui le fera ?
M. François Rousselot . - Nous sommes les premiers à regretter que notre mission ait été bornée de cette façon. Mais vous nous prêtez des connaissances et des possibilités d'intervention que nous n'avons pas. Nous ne sommes pas des experts scientifiques du médicament ; contrairement à l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) ou la Haute Autorité de santé (HAS) qui, elles, ont de tels experts et des pouvoirs de décision en ce domaine. Et ces organismes, on ne les a pas beaucoup entendus...
L'Ordre ne vivant que de la cotisation de ses membres, il ne peut assumer toutes les responsabilités et notamment pas une responsabilité en pharmacovigilance. Il n'est pas et ne sera jamais compétent en cette matière. Son domaine, c'est la déontologie et les conflits d'intérêts.
M. Jean-Jacques Mirassou . - Mais il y a eu au moins un praticien en France, cette pneumologue de Brest, qui a eu plus d'acuité de jugement que l'Ordre. Son conseil départemental aurait dû accorder davantage d'attention à ce qu'elle s'est échinée à dire pendant des années.
M. Gilbert Barbier . - En matière d'hospitalité, quel rapport la « loi anti-cadeaux » établit-elle entre la partie festive et la partie travail d'une formation ou d'un congrès ? A partir de quand jugez-vous qu'il y a dérive ? Quelles recommandations et quelles sanctions l'Ordre a-t-il prononcées ? Sur 38 000 dossiers annuels, il a eu matière à le faire. Et qu'en est-il des produits de santé ?
J'en viens au problème des rémunérations des médecins, notamment hospitaliers. Pouvez-vous contrôler efficacement ces rémunérations, quelquefois versées à des associations de promotion à l'intérieur des hôpitaux ? A une certaine époque, chaque professeur avait son association de promotion de son activité dans tel ou tel service.
Alors que certains ont demandé la suppression du Conseil de l'Ordre, souhaitez-vous au contraire que la loi élargisse vos responsabilités ? Le problème vient du fait que, actuellement, ni la loi ni le règlement ne vous permettent de remplir assez sévèrement la fonction de gendarme de la profession.
M. François Rousselot . - Les comptes rendus de réunion des années antérieures à 1993, avant la mise en place de notre commission, montrent que, depuis, nous avons fait d'énormes progrès. Les « congrès cocotiers » où l'on emmenait papa, maman et les enfants, cela n'existe plus ! La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) est chargée de le vérifier. L'Ordre irait bien volontiers à l'étranger, par exemple, vérifier si les congressistes y travaillent réellement. Mais cela ne relève pas de ses missions. C'est la DGCCRF qui en est chargée. Les congrès fantaisistes, cela n'existe plus ! Et s'il arrive qu'on nous soumette le projet d'un congrès où la partie scientifique apparaît marginale, nous demandons que la participation aux frais des médecins soit substantielle, sinon nous donnons un avis défavorable. Les dossiers qui nous sont soumis ne prévoient plus d'accompagnants, plus de cadeaux.... La DGCCRF n'a pas prononcé beaucoup de sanctions. C'est à elle qu'il faut demander pourquoi.
La majorité des associations de promotion ont été créées dans un souci de transparence et la majeure partie ne fait l'objet d'aucun grief, leur budget étant très réduit et transparent. Mais il y a d'authentiques scandales, des associations majeures qui brassent énormément d'argent. La bonne solution, c'est d'instituer des contrats tripartites : un établissement hospitalier détache un praticien pour un travail et l'argent arrive dans un centre d'investigation clinique (Cic). Ainsi la transparence est complètement assurée.
Une autre solution au problème des études et de leurs honoraires, éventuellement très importants, c'est la publication des rémunérations perçues. Si on nous en donne la mission et si on impose aux industriels de nous livrer leurs résultats, nous sommes prêts à remplir cette tâche. Cela ne gênera que ceux qui auraient des honoraires qu'ils ne pourraient justifier.
Certains contrats connaissent une dérive inflationniste telle que les laboratoires eux-mêmes ne parviennent plus à faire face à la demande de certains établissements hospitaliers. On ne sait pas comment sont gérés les honoraires encaissés. On nous objecte qu'en interdisant ces honoraires, on empêcherait la France de participer à la recherche internationale. Ce n'est pas tout à fait vrai : les honoraires ne sont pas les mêmes en France qu'en République tchèque ou en Inde. Dans une étude internationale, les honoraires sont adaptés à chaque pays. Lorsqu'on a connaissance d'honoraires dont on demande la justification en raison de leur caractère excessif, on ne nous apporte pas de réponse convaincante. Il nous arrive régulièrement de donner un avis défavorable. Récemment un laboratoire français est passé outre ; nous n'avons pas de pouvoir de sanction en ce domaine.
Mme Virginie Klès . - J'ai cru comprendre que vous regrettiez que la mission de contrôle du Cnom se limite à la déontologie des études et n'aille pas au-delà, jusqu'à l'utilisation, le contrôle et la diffusion, voire la publication, de leurs résultats. Pourquoi n'avons-nous jamais entendu de sa part aucune revendication en ce sens ?
M. François Rousselot . - Je suis en responsabilité depuis deux ans et c'est la troisième fois que je viens le dire au Sénat. Nous faisons plus que vérifier le respect des principes déontologiques puisque nous vérifions la conformité avec la charge de travail qui est avancée. Dans le cadre des études non interventionnelles, nous avons un élu, compétent sur les questions statistiques qui, à diverses reprises, a mis au jour des anomalies d'organisation d'études qui ont ensuite été modifiées. Nous voudrions avoir les moyens de disposer d'un épidémiologiste, d'un informaticien. Pour cela, nous n'avons les moyens ni de l'Etat, ni des industriels, le service relations médecin-industrie ne fonctionne qu'avec les cotisations des médecins.
Je souhaite également préciser que les médecins hospitaliers ne sont pas les seuls concernés. Les médecins libéraux le sont aussi.
Les médecins hospitaliers sont tenus de demander à leur hiérarchie, hospitalière et universitaire, l'autorisation de consacrer « une partie accessoire » de leur activité à des études. En janvier, cette réglementation vient d'être complétée : ces études ne peuvent être menées qu'en dehors du temps de travail - ce qui est curieux lorsqu'il s'agit de s'occuper de malades... Or, lorsqu'un industriel veut justifier des honoraires importants - par exemple 1 000 euros pour une visite d'inclusion dans un protocole - et qu'il en arrive à comptabiliser plusieurs heures pour cette visite, la hiérarchie hospitalière est-elle d'accord pour considérer que cette activité est vraiment accessoire ?
Désormais, grâce à notre système informatique, on déterminera que certains médecins font beaucoup plus d'études que d'autres. Leur hiérarchie serait-elle encore d'accord avec ce projet d'activité ?
Mme Janine Rozier . - Vous avez dit que la liste des médicaments suspects est encore « en vigilance » et qu'on n'a pas encore eu le temps de prendre des décisions. Vous souhaitez que la collecte des informations s'améliore. Que pouvez-vous faire et que pouvons-nous faire pour que cela aille plus vite ?
M. François Rousselot . - En matière d'investissements intellectuels et financiers, nous avons été proactifs ; mais il nous a fallu un an et demi pour mettre en oeuvre ce programme informatique.
Ce qui relève du législateur, c'est de nous confier une autre mission : organiser l'autorisation de publication. L'organisation d'une mission plus efficace et plus utile nécessite une modification législative. Mais le système doit être le plus simple possible. Dans un pays voisin, existe un système informatique : les industriels doivent communiquer leur dossier au système, payer 100 euros pour chacun d'eux, et on règle par convention simplifiée toute hospitalité de moins de vingt-quatre heures. Une telle simplification nous permettrait de recentrer nos travaux sur les gros dossiers et sur les études.
M. Gilbert Barbier . - Que pense l'Ordre de la création envisagée de sociétés interprofessionnelles de maisons de santé ?
M. François Rousselot . - Nous en avons débattu. Face à la dramatique désertification médicale de certaines régions, l'Ordre est conscient qu'il faut imaginer toutes sortes d'innovations. C'est ainsi qu'il a autorisé la formule de l'associé salarié - ce qui aurait été inimaginable il y a quelques années - et les sites multiples.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Avez-vous des propositions concrètes pour que les laboratoires ne financent plus la formation médicale continue ? Comment valoriser, dans leur carrière, l'expertise des praticiens hospitaliers ? Que pensez-vous de la proposition qui figurait dans le rapport sénatorial de 2006 sur le médicament, établi à la suite de l'affaire du Vioxx, de « faire certifier les revues et les journaux pris en compte au titre de la formation médicale continue » ? L'Ordre peut-il s'en charger ? Et que pensez-vous des visiteurs médicaux ?
M. François Rousselot . - Nous n'avons pas en France une revue médicale qui ait un impact factor supérieur à un. Toutes celles qui arrivent au chiffre neuf, qui est un bon chiffre, sont en anglais. Le problème n'est pas celui de la langue. Je souhaite donc que toutes revues existant en France aient recours à un comité de lecture, sachant que l'on retrouve la problématique des experts. Ceux-ci, accaparés par l'Etat ou par les laboratoires, ne courent pas les rues.
Les efforts pour promouvoir une littérature médicale très pointue n'auront un impact que sur des spécialistes très pointus. Tous les médecins doivent avoir accès à une culture médicale de qualité.
Il faut aussi s'efforcer de clarifier les conflits d'intérêts et, par exemple, faire figurer en bas de page des revues que telle étude « est prise en charge par tel laboratoire » , comme cela se fait déjà. Dans un congrès la personne qui intervient doit indiquer s'il reçoit des honoraires de la part d'industriels. On peut imaginer qu'on passe du déclaratif à l'obligatoire.
La charte sur les visiteurs médicaux a apporté d'incontestables progrès. Il faut obtenir que la rémunération d'un visiteur ne soit pas liée à la prescription. On peut plus facilement le vérifier pour sa rémunération de base. C'est plus difficile pour les primes. Imaginez qu'on remplace la visite médicale par je ne sais qui ? L'Etat ? Prenez l'exemple de la formation médicale continue (FMC). Depuis la loi Kouchner qui l'a rendue obligatoire, on n'a jamais réussi à la mettre en place. Cela fait plus d'une génération qui a trouvé d'autres moyens d'assurer sa formation continue. Dès lors, si les laboratoires n'assurent pas cette FMC, qui le fera ? Pour l'instant, l'Etat n'a pas montré qu'il était bien performant en ce domaine pour organiser la formation des médecins, des enseignants.
M. Bernard Cazeau, président . - Nous avons noté avec intérêt quelques-unes de vos propositions. Nous espérons que les missions de l'Ordre des médecins prendront de l'envergure.
M. François Rousselot . - L'Ordre prendra l'envergure qu'on lui permettra de prendre...
M. Bernard Cazeau, président . - Je vous remercie.
Audition de Mmes Isabelle ADENOT, présidente du Conseil national de l'Ordre des pharmaciens, et Françoise ROBINET, vice-présidente de la section B de l'Ordre des pharmaciens (mardi 8 février 2011)
M. Bernard Cazeau, président . - Bienvenue, madame la présidente. Comme vous le savez, nos échanges sont enregistrés et filmés, et seront diffusés sur Internet et sur Public Sénat.
Mme Isabelle Adenot, présidente du Conseil national de l'Ordre des pharmaciens . - A titre liminaire, je vous précise que, outre le contrôle de l'accès à la profession et de son indépendance, notre Ordre est investi d'une mission légale : contribuer à promouvoir la santé publique et la qualité des soins, notamment la sécurité des actes professionnels. C'est une mission de service public. L'Ordre n'est pas un syndicat professionnel et ne défend pas les intérêts économiques des professionnels. Il est organisé par métier, chacun relevant d'une section. Le dénominateur commun est le souci constant de la santé publique.
Les pharmaciens d'officine sont à la fois proches et disponibles. Tous sont informatisés. Quelles informations le pharmacien peut-il recevoir des autorités, quelles informations peut-il faire remonter ? Comment s'appuyer sur l'informatique ? Face à une population suspicieuse et inquiète, le pharmacien joue également un rôle pédagogique. Le caducée pharmaceutique - un serpent enroulé autour d'une coupe - symbolise l'équilibre entre bénéfices et risques, inhérent à tout médicament. C'est pourquoi celui-ci est à la fois désiré et condamné - et pourquoi il n'a pas sa place dans un supermarché ! La question est celle de la juste utilisation du médicament et des progrès souhaitables en termes de pharmacovigilance.
M. Bernard Cazeau, président . - Le Conseil national de l'Ordre était-il au courant de fraudes, d'utilisations nocives du Mediator par certains médecins ? Des pharmaciens ont-ils été sanctionnés dans cette affaire ?
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Auditionné par la mission d'information du Sénat en 2006, le président du Conseil national de l'Ordre avait évoqué une « protocolisation » de la procédure de signalement systématique des accidents médicamenteux, avec des logiciels améliorant le suivi et la traçabilité des médicaments. Avez-vous constaté des progrès dans ce domaine ?
Mme Isabelle Adenot . - Le pharmacien n'a pas à faire une contre-expertise de la décision des agences sanitaires, qui donnent l'autorisation de mise sur le marché, ou de celle du prescripteur, qui a la totale responsabilité du diagnostic et de la mise en oeuvre de la thérapeutique. Le médecin peut choisir de prescrire un médicament hors AMM. Le pharmacien n'a pas accès au dossier médical ; sa responsabilité est d'étudier les contre-indications potentielles. Grâce au dossier pharmaceutique dont 82 % des pharmacies sont désormais équipées, le pharmacien a connaissance de tous les médicaments dispensés au patient. En cas de problème, il appelle le prescripteur.
A ma connaissance, aucun pharmacien n'a été sanctionné pour des délivrances hors AMM. À chacun sa responsabilité. Celle du pharmacien est réelle et reconnue par les tribunaux : il est le dernier rempart avant le patient.
M. Bernard Cazeau, président . - Qu'en est-il de la vente de médicaments sans prescription ? Avez-vous connaissance de déviances qu'il aurait fallu sanctionner ?
Mme Isabelle Adenot . - Vous me demandez si des pharmaciens auraient dispensé du Mediator hors prescription ? À ma connaissance, il n'y a pas eu de chambre de discipline sur cette question. Plus généralement, les pharmaciens peuvent parfois dispenser un médicament pour « dépanner » un patient, mais sont très vigilants. A fortiori avec un médicament comme le Mediator !
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Il y a eu de nombreuses alertes de pharmaciens sur le benfluorex. Comment expliquez-vous qu'elles n'aient pas été prises en compte ? Lors de l'interdiction du benfluorex dans les préparations magistrales en octobre 1995, avez-vous constaté un transfert de prescriptions vers les spécialités pharmaceutiques et, si oui, quelles conséquences en avez-vous tiré ?
Mme Isabelle Adenot . - En 1980, le « décret Talon » interdit au pharmacien d'inclure certaines substances dans les préparations officinales. Le décret de 1982 lui interdit d'inclure dans une même préparation des molécules de quatre groupes : les diurétiques, les psychotropes, les anorexigènes, dont le benfluorex, et les extraits thyroïdiens. En 1995, un arrêté interdit le groupe 3, composé des anorexigènes. Entre 1982 et 1995, il était donc possible de contourner le décret en préparant plusieurs gélules. Après 1995, si le groupe 3 était interdit, la spécialité Mediator demeurait sur le marché... Situation ubuesque, dénoncée par l'Ordre et les inspecteurs de santé publique, présents dans nos conseils régionaux.
M. Gilbert Barbier . - Dans le cas où la personne qui se fait dispenser un anorexigène n'est manifestement pas en surpoids, le pharmacien peut-il refuser le médicament prescrit ? On sait que, pour accélérer le processus anorexigène, certaines personnes faisaient remplir des ordonnances par des prête-noms...
Le Mediator a rarement été utilisé seul. En cas de prescription multiple, n'est-ce pas au pharmacien de signaler d'éventuels doubles emplois ?
Enfin, la presse s'est fait l'écho des pratiques de sociétés qui obtiennent des pharmacies les fichiers de prescriptions par zones géographiques, pour mieux cibler les actions commerciales auprès des médecins...
Mme Isabelle Adenot . - Un pharmacien d'officine doit faire un certain nombre de contrôles. Le cas d'une personne qui ne paraît pas en surcharge Pondérale est difficile. Le médecin, tenu par l'article 39 de son code de déontologie, agit en toute responsabilité ; s'il prescrit un médicament hors AMM, c'est en connaissance de cause, parce qu'il en attend un bénéfice qu'ignore le pharmacien. Ce dernier ne contrôle que les contre-indications entre formules chimiques. Il doit poser des questions au patient mais, je le répète, il n'a pas à faire de contre-expertise. Il peut refuser de dispenser un médicament, mais doit alors prévenir le prescripteur.
M. Gilbert Barbier . - Cela peut arriver en matière de prescription pédiatrique, mais aussi pour des médicaments comme le Mediator ?
Mme Isabelle Adenot . - Pour tous les médicaments ! Je ne fuis aucune responsabilité, mais celles de chacun doivent être clairement définies.
L'utilité des bases de données ne fait pas de doute. La question est celle de leur utilisation et de la collecte des données. La position constante de l'Ordre est que les bases de données ne doivent jamais servir à exercer la moindre pression sur le prescripteur, le pharmacien dispensateur ou le patient. Toutes sont « anonymisées » et doivent être utilisées dans le respect des règles de l'éthique. Celle qui sert à établir le prix du médicament ne relève pas de l'Ordre.
Il est inadmissible que des visiteurs médicaux se renseignent sur les ventes de tel ou tel médicament pour ensuite faire pression sur les prescripteurs. L'indépendance des professionnels de santé doit être pleine et entière.
M. Gilbert Barbier . - Les laboratoires ne font-ils pas pression sur les pharmaciens en proposant des ristournes, notamment pour promouvoir les génériques ? Comment contrôler et assainir ces pratiques ?
Mme Isabelle Adenot . - Les questions économiques ne relèvent pas de l'Ordre mais des syndicats et de l'Etat. Les pharmaciens, d'officine et hospitaliers, assimilés à des prescripteurs, subissent en effet des pressions. C'est pourquoi il faut les protéger, au même titre que les prescripteurs et les patients.
On compte aujourd'hui douze millions de dossiers pharmaceutiques ; trente mille de plus chaque jour. Il n'est pas question d'utiliser ces données pour des raisons commerciales, mais pourquoi ne pas les utiliser positivement, sur requête de l'autorité de tutelle, sachant qu'elles sont immédiatement disponibles ? J'en ai fait la demande au ministre de la santé et demandé rendez-vous à l'Igas. Lors d'une pandémie grippale, par exemple, la décision du ministre gagnerait à être prise en fonction de données récentes. En outre, le dossier pharmaceutique du patient comporte tous les médicaments achetés, y compris hors prescription. Le dossier du patient est un « sanctuaire » : tout y est crypté, personne n'y a accès. Un décret pourrait toutefois prévoir son utilisation, sur demande des autorités, par exemple dans les plans de gestion des risques.
Mme Janine Rozier . - Si je comprends, vous souhaitez que l'on renforce le rôle du pharmacien dans la délivrance des médicaments ?
Mme Isabelle Adenot . - Le pharmacien, spécialiste du médicament, est un acteur incontournable du système de santé. Des pistes d'amélioration existent, pour faire de lui à la fois un diffuseur et un capteur d'informations en matière de santé publique.
Notre système d'alerte « descendante » permet de toucher la totalité des pharmacies en moins d'un quart d'heure. Hier soir, l'Agence française de sécurité sanitaire et des produits de santé (Afssaps) a demandé le retrait d'un lot ; en appuyant sur un bouton, je bloque tous les postes informatiques de toutes les pharmacies. Pour les débloquer, celles-ci doivent confirmer avoir pris en compte le message. Toutes avaient découvert le message au plus tard à 8 heures ce matin.
M. Alain Vasselle . - Cette audition est riche d'enseignements. Le patient peut demander que certaines informations soient exclues de son dossier médical personnalisé. En est-il de même pour le dossier pharmaceutique ? Le patient est-il informé de son existence ?
S'agissant de traçabilité, avez-vous fait remonter des informations collectées auprès des patients concernant le Mediator ? Si oui, quand et comment ?
Les pharmacies avaient-elles engagé des négociations commerciales avec les laboratoires pour obtenir des marges supérieures sur le Mediator, ce qui aurait incité les médecins à prescrire ce médicament ? Enfin, avez-vous relevé des problèmes d'iatrogénie liés à l'utilisation de ce médicament ?
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Les premiers retours sur la mise en place du dossier pharmaceutique indiquent-ils une meilleure prise en compte des effets indésirables des médicaments ? Avez-vous des propositions en la matière ?
La sortie d'AMM se fait sur un modèle-type pasteurien ; n'y a-t-il pas une inadéquation entre ce modèle et les pathologies chroniques pour lesquelles nombre de ces médicaments sont pris ? Le dossier médical ne permettrait-il pas de faire remonter plus facilement d'éventuels effets indésirables ?
Mme Isabelle Adenot . - Nos marges, nos remises sont fixées : il n'y a pas de négociation possible sur ce qui est remboursé par la sécurité sociale. Le cas des génériques est à part : une remise supplémentaire est consentie aux pharmaciens pour encourager la substitution, qui est à mettre à leur actif.
Ce n'est que depuis le décret de 1995 que les pharmaciens sont soumis à obligation de pharmacovigilance. En 2009, 66 % des déclarations étaient le fait de médecins spécialistes, 9 % de médecins généralistes, 15 % de pharmaciens. Il faut sans doute améliorer encore ce chiffre ; notre presse spécialisée y concourt. Notre ambition est d'être des capteurs d'information, d'où l'importance de l'outil informatique.
La pharmacovigilance porte sur les effets indésirables des médicaments, de la cosmétologie, des tatouages et sur un défaut qualité d'un médicament. Les fiches sont sur papier, la procédure compliquée. Nous allons prochainement ouvrir un portail sanitaire destiné aux pharmaciens, qui pourront télétransmettre les fiches. La carte professionnelle du pharmacien indiquera automatiquement l'adresse du centre régional de pharmacovigilance. L'engagement de l'Ordre est fort.
S'agissant de la traçabilité, le code des médicaments indiquera désormais le numéro de lot. Un médicament retiré du marché pourra l'être jusque de l'armoire à pharmacie de la population ! Récemment, un sirop contre la toux surdosé en pholcodine a ainsi fait l'objet d'un retrait immédiat. Désormais, le patient n'aura qu'à présenter sa carte Vitale dans n'importe quelle pharmacie pour savoir s'il est concerné ou non par un mauvais lot.
Merci au législateur d'avoir institué le dossier pharmaceutique, en même temps que le dossier médical personnalisé. Le patient est libre d'ouvrir ou non un tel dossier, et de le fermer. Il faut son accord exprès. Son coût, de 4 millions d'euros, est payé par la profession.
Chaque année, les médicaments causent 13 000 décès et 140 000 hospitalisations. C'est inacceptable, même si on ne peut éviter certains mésusages, pas plus que l'autolyse. Une nouvelle version du logiciel du dossier pharmaceutique, certifié par l'Ordre, facilitera toutefois la remontée des effets indésirables aux autorités de tutelle.
Les essais cliniques sont réalisés dans des conditions de sécurité draconiennes, presque trop ! Le suivi des cohortes est total, alors que, dans la pratique réelle des patients, il peut y avoir des dérapages... Le dossier pharmaceutique pourrait jouer un rôle utile dans les études post-AMM et dans les plans de gestion des risques.
M. Jacky Le Menn .- Le réseau de pharmaciens est informé immédiatement d'un problème concernant un médicament, mais quid des prescripteurs ? S'ils ne sont pas informés, ils continueront à prescrire le médicament incriminé ! Le problème se pose notamment dans les hôpitaux, où le praticien a directement accès aux réserves de médicaments.
Enfin, l'automédication est en constante progression, notamment via Internet. Comment, dans ce cadre, informer de la nocivité d'un médicament ?
Mme Isabelle Adenot . - Le dossier pharmaceutique n'est pas accessible aux médecins, qui n'ont pas développé d'outil semblable. Dès qu'un médicament est retiré du marché, les prescriptions sont arrêtées. Le problème du Mediator est qu'il n'a pas été retiré !
Les médicaments sont partout : dans les officines et les hôpitaux, mais aussi dans les écoles, les centres de soins, les centres mobiles, etc. Une convention prévoit l'information des pharmaciens par fax. Nous en sommes encore au stade expérimental.
L'automédication progresse, mais un médicament reste un médicament et figure dans le dossier pharmaceutique. La France interdit pour l'heure la vente de médication officinale sur Internet, à laquelle l'Ordre est fermement opposé.
M. Bernard Cazeau, président . - On vous comprend !
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Qu'en est-il de la prescription hors AMM et de l'activité des visiteurs médicaux ?
La législation européenne en matière de dosage - la question se pose notamment pour les médicaments pédiatriques - vous paraît-elle suffisante ? Quel contrôle pouvez-vous exercer en ce domaine ?
Enfin, que savez-vous du trafic de médicaments, sujet dont s'est récemment saisi le Sénat ? Ce phénomène, que l'on sait exister dans certains pays d'Afrique, sévit également aux portes de nos grandes villes. Comment entendez-vous lutter contre ?
Mme Isabelle Adenot . - Je me suis exprimée sur le trafic de médicaments, lorsque j'ai été entendue par la Mecss et je serai certainement amenée à en reparler lorsque je serai auditionnée par la mission commune d'information sur les toxicomanies à l'Assemblée nationale.
La question du dosage se pose dès aujourd'hui en pédiatrie et, demain, en gériatrie. Il faudra impérativement adapter les doses.
Les prescriptions hors AMM seront bientôt comprises dans le champ de la pharmacovigilance. C'est tout le sens de la directive récemment adoptée en codécision par le Conseil et le Parlement européens, et que la France devra transposer en 2012. Pour le contrôle, le pharmacien pourrait cocher une case « hors AMM » lors de la délivrance du médicament ; l'information serait centralisée par les caisses d'assurances maladie. L'informatique, utilisée à bon escient, permettrait de remédier à la situation actuelle où le seul moyen d'accéder à l'information est de relire l'ordonnance...
Mme Françoise Robinet . - La charte de la visite médicale a été signée fin 2004. Si l'Ordre des pharmaciens n'a pas été associé - à son grand regret - à la rédaction de ce texte, il a activement participé aux travaux de la Haute Autorité de santé (HAS) sur sa transposition en un référentiel de certification. Cette certification de qualification technique s'est déroulée en plusieurs étapes : tout d'abord, la certification de la visite médicale en ville ; ensuite, celle des prestataires auxquels recourent les sociétés pharmaceutiques ; enfin, par un avenant à la charte en juillet 2008, celle concernant la visite médicale à l'hôpital. Deux enquêtes que la HAS a menées en 2009 et publiées sur son site, dont l'une conjointement avec l'Ordre des pharmaciens, concluent à une dynamique d'installation d'un processus de qualité appliqué à la visite médicale. Nous aimerions savoir comment s'est inscrite cette dynamique dans le temps et quels sont les résultats de la certification. S'il y a des certificats arrêtés ou suspendus, notre mission est de rappeler les devoirs du pharmacien responsable sur la qualité de l'information et de la publicité. Le temps est venu de réfléchir à de nouvelles perspectives ; l'Ordre souhaite contribuer à l'amélioration de la visite médicale.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Existe-t-il également des problèmes de dosage pour les médicaments génériques, sujet auquel le ministre souhaite que nous étendions les travaux de cette mission ? En outre, la caisse d'assurance maladie ne pourrait-elle pas envoyer systématiquement une alerte au pharmacien lorsque des médicaments, tel le Subutex, sont prescrits dix fois dans une semaine ?
Mme Isabelle Adenot . - Les pharmaciens d'officine, acteurs incontournables du médicament, seront toujours à vos côtés pour réfléchir et travailler. Je me tiens à la disposition du président de la mission. Le dosage ne pose pas de problèmes particuliers pour les génériques, puisque ceux-ci sont parfaitement identique au princeps. Concernant le Subutex, il donne normalement lieu à un accord entre le prescripteur, le dispensateur et le patient ; ce dernier doit s'approvisionner dans une seule pharmacie. Malgré cela, on a observé des dérives inadmissibles ; effectivement, seule la caisse d'assurance maladie possède les données.
M. Bernard Cazeau, président . - Je vous remercie.
Audition de M. Jean-François MATTEI, président de la Croix Rouge, ancien ministre de la santé (2002-2004) (mardi 8 février 2011)
M. Bernard Cazeau, président . - La mission a le plaisir d'accueillir M. Jean-François Mattei, qui fut ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées de 2002 à 2004, un moment important de l'histoire du Mediator.
M. Jean-François Mattei , président de la Croix Rouge, ancien ministre de la santé - Je dois dire d'emblée que, durant mes fonctions au ministère, je n'ai jamais eu à connaître de la dangerosité éventuelle du Mediator, ni de près ni de loin, ni par écrit ni par oral.
La politique du médicament que j'ai conduite se fondait sur la poursuite du travail engagé par mes prédécesseurs en matière de référence au service médical rendu. Après que Mme Martine Aubry, qui avait défini ce concept, eut demandé la réévaluation de 4 490 produits, Mme Elisabeth Guigou et M. Bernard Kouchner tentèrent - l'entreprise fut difficile - de baisser le taux de remboursement de certains médicaments de 65 % à 35 %. Une première vague concerna 148 médicaments ; l'arrêté du 1er août 2000, annulé par le Conseil d'Etat pour vice de forme, fut remplacé par l'arrêté du 14 septembre 2000. Celui-ci ne mentionnait pas le Mediator. La deuxième vague, celle de septembre 2001, commença par la publication d'une liste de molécules dont le déremboursement était pressenti. Conformément à la règle, les laboratoires Servier, comme toutes les firmes, eurent le droit de faire valoir leurs observations. Et le Mediator ne figura pas dans l'arrêté du 30 décembre 2001. Enfin, le 24 décembre 2001, la direction de la sécurité sociale sollicita le déremboursement du Mediator ; cette note ne fut pas suivie d'effets.
Ce bref rappel historique montre la complexité et la longueur de toute procédure de déremboursement. Les avis de la commission de la transparence sont souvent contestés. C'est dire la fragilité juridique des avis rendus en 1999 ! De fait, cette commission, qui dispose de moyens et d'une structure administrative faibles pour une charge de travail lourde, s'en tient aux avis éventuellement contestables plutôt que de bloquer l'évaluation de nouveaux produits. En outre, les annulations en Conseil d'Etat ne sont pas rares.
Durant l'été 2002, alors que je venais de prendre la tête du ministère depuis deux ou trois mois, la Direction de la sécurité sociale renouvela sa demande de déremboursement du Mediator au motif que celui-ci avait coûté 30 millions d'euros en 2001. Cette demande avait, j'y insiste, un caractère strictement financier alors que la sécurité sociale accusait un déficit important - c'est un euphémisme. Il n'y avait aucune mention de la dangerosité du produit dans cette note non plus que d'avertissement ou de mise en garde à ce sujet par l'Afssaps ou la Direction générale de la santé (DGS). Aussi celle-ci ne remonta-t-elle pas jusqu'à moi.
Compte tenu des difficultés rencontrées par mes prédécesseurs, je décidai de dérembourser totalement les médicaments à service médical rendu (SMR) insuffisant avec un triple souci : un souci de progressivité - car étaient en cause les patients et leurs habitudes, les médecins et leurs prescriptions, les industries et l'emploi -, un souci de pédagogie et un souci d'égalité de traitement entre les médicaments de la même classe. La première vague de déremboursement, en 2003, concernait les médicaments à SMR insuffisant qui n'avaient pas leur place dans la stratégie thérapeutique, et ils n'étaient pas considérés dangereux. Leur AMM n'était pas en cause. A ce titre, quatre-vingt-deux médicaments figurèrent dans l'arrêté du 24 septembre 2003. La deuxième vague visait 218 médicaments à SMR insuffisant mais de prescription facultative et, donc, disponibles en automédication. Prévue pour 2004, la liste fut reprise dans l'arrêté du 17 janvier 2006 et effective en janvier 2008. La troisième vague comprenait tous les autres médicaments : une quarantaine de produits dont le Mediator. Elle était la plus difficile en ce que certains d'entre eux n'avaient aucune alternative thérapeutique. Initialement fixée à 2005, elle fut mise en oeuvre en janvier 2008.
Je ferai trois remarques.
La politique de déremboursement suscite toujours une contestation très vive. « La santé malade du déremboursement » , « Le déremboursement des médicaments n'est ni le vrai problème ni une solution » pouvait-on lire à la une des journaux. Bref, nous évoluions en milieu hostile.
Ensuite, les trois vagues répondaient à un ordre logique : les produits les plus contestables, puis les produits disponibles en automédication, enfin les produits dépourvus de remplaçants. Ces critères étaient parfaitement objectifs, a reconnu l'Igas dans son rapport. Afin de prévenir une annulation en Conseil d'Etat pour motivation insuffisante de la commission de la transparence - revers qu'avait essuyé mon prédécesseur en décembre 2002, dont j'ai dû assumer les conséquences -, je demandai une nouvelle évaluation approfondie par la commission de la transparence de tous les médicaments. Les firmes pharmaceutiques eurent la possibilité de faire valoir leurs observations. Je tentai de rattraper l'annulation du Conseil d'Etat par une validation législative ; le Conseil constitutionnel censura la disposition, au motif qu'elle constituait un cavalier législatif, en juillet 2003.
De toute façon, envisager la question du Mediator sous l'angle du déremboursement n'est pas la bonne approche. Réduire le taux de remboursement n'a aucune influence sur la consommation, les complémentaires jouant sur le ticket modérateur, a noté l'Igas. Quant au déremboursement total, il ne vient pas à bout des habitudes de consommation, d'autant que le coût du produit n'est pas prohibitif. Or, en 2002, la boîte de trente comprimés de Mediator valait 5,66 euros. La stratégie par l'argent ne donne pas le bon signal. En fait, la seule question qui vaille selon moi est la suivante : pourquoi le Mediator n'a-t-il pas été retiré du marché ?
M. Bernard Cazeau, président . - C'est justement celle que nous vous posons !
M. Jean-François Mattei . - La loi de 1998 a transféré le pouvoir de police sanitaire à l'Afssaps. L'AMM de même que son retrait sont du ressort exclusif de cette agence indépendante, si ce n'est que les laboratoires peuvent décider eux-mêmes d'ôter un produit du marché par mesure de pharmacovigilance. Quant à l'Agence européenne du médicament, son pouvoir se limite aux autorisations centralisées. Durant les trois années où j'étais au ministère, l'Afssaps a retiré trente-sept produits sans que je n'aie jamais à en connaître ! Tout portait à croire que le mécanisme fonctionnait. Dans son excellent rapport de 2003, M. Adrien Gouteyron détaille le rôle de cette agence.
Deuxième fondement de ma politique du médicament : l'amélioration de la qualité du travail de la commission de transparence. Dans mon discours du 17 juillet 2003, entièrement reproduit sur le site « sante.gouv.fr », j'expliquais vouloir modifier la composition de cette commission - je l'ai fait par décret -, rendre les procédures plus claires - ce but fut atteint - et renforcer l'autonomie financière de l'agence. Par un accord signé en 2003 entre Les entreprises du médicament (Leem) et le Comité économique des produits de santé (Ceps), j'avais projeté la création d'études post-commercialisation. Leur but était d'évaluer les réelles conditions d'utilisation d'un produit. Forts d'une telle étude, nous aurions immédiatement repéré que l'utilisation du Mediator comme coupe-faim dépassait largement ses deux indications thérapeutiques relativement limitées. Pour finir, rappelons la charte de la visite médicale, dont on connaît le rôle.
M. Bernard Cazeau, président . - Monsieur Mattei, les parlementaires ne sont pas des procureurs. Soit, le déremboursement du Mediator n'aurait rien changé. Pour autant, vous saviez, en tant que médecin, que le Mediator était un amphétaminique.
M. Jean-François Mattei . - Dussé-je vous décevoir : généticien, je ne prescris pas. En tant que pédiatre, je n'ai jamais prescrit d'amphétaminiques. Je dois vous confesser avoir entendu parler du Mediator pour la première fois lorsque l'affaire est apparue. Il est plus facile pour un ministre de demander un retrait du marché, qui prend douze heures, plutôt que de batailler de longs mois pour le déremboursement des produits.
M. Bernard Cazeau, président . - Soit, mais vous n'ignoriez pas que le Mediator avait été interdit aux Etats-Unis ! Le problème n'a pas pu vous échapper, puisque vous avez cherché à améliorer le travail de la commission de la transparence.
M. Jean-François Mattei . - Quand la pharmacopée française compte quelque 40 000 médicaments, le ministre ne peut pas connaître toutes les molécules ! J'endosse ma responsabilité. C'est précisément la raison pour laquelle nous avons créé l'Afssaps, la commission de la transparence, le Ceps et avons désigné, au sein de chaque cabinet, un conseiller médicament. Le champ de ce ministère est vaste. Pour prendre une décision, encore faut-il être informé ! En tant que médecin, j'ai connu la suppression du bismuth et de la cérivastatine. On a retiré du marché le Vioxx, quatre ou cinq mois après mon départ. Je n'aurais sans doute pas été saisi.
M. Bernard Cazeau, président . - M. Jacques de Tournemire, conseiller technique au sein de votre cabinet, a récemment déclaré dans un entretien : « Je ne m'explique pas pourquoi on n'a rien fait. C'est indéniable : il y a bien eu une note (...) S'il y a une responsabilité, c'est la mienne puisque j'étais chargé de la politique du médicament. » Lui devait savoir !
M. Jean-François Mattei . - M. Jacques de Tournemire est un homme scrupuleux. Au téléphone, lorsque nous avons fait le point, il m'a répété qu'il aurait dû me transmettre cette note. C'est prendre une responsabilité qu'il ne doit pas porter : il ne m'a pas fait remonter cette note parce qu'elle était strictement financière.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Il est difficilement compréhensible que le benfluorex ait été supprimé des préparations magistrales et non des préparations pharmaceutiques, à la suite de la note de 1995 des unités de pharmacovigilance de l'agence.
M. Jean-François Mattei . - Sans expliquer ce phénomène, je dois rappeler que l'Afssaps compte des dizaines d'experts, le champ de connaissances étant très vaste. Dès qu'un sujet est porté à la connaissance du ministre, il y va de sa responsabilité de trancher. Mais encore faut-il qu'il soit informé. La loi de 1998 accorde à l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) comme à l'Afssaps un pouvoir d'instruction des dossiers mais aussi de décision. Je veux bien endosser ma responsabilité puisque c'est le rôle du ministre. Pour autant, je n'ai jamais entendu parler d'une dangerosité quelconque de cette molécule. J'ajoute que j'avais pour directeur général de la santé jusqu'en 2003 un spécialiste de ces sujets ; il avait attiré l'attention sur l'Isoméride durant les années 1996-1997. La loi de 1998 l'ayant exonéré de cette responsabilité, nous n'avons jamais abordé ce dossier ensemble.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Vous avez nommé M. Jean Marimbert à la tête de l'Afssaps. Pour mieux prendre en compte la pharmacovigilance, certains considèrent indispensable une réforme de la gouvernance de cette agence avec l'installation d'une direction bicéphale. Qu'en pensez-vous ?
M. Jean-François Mattei . - Lorsque j'ai pris mes fonctions, le docteur Philippe Duneton dirigeait l'Afssaps. En 2002, l'inspection conjointe de l'Igas et de l'Inspection générale des finances (IGF), observant qu'il existait des problèmes préoccupants au sein de l'agence, a suggéré de confier sa gestion à un fonctionnaire. D'où le choix de M. Jean Marimbert, qui fut notamment directeur général de l'ANPE et président de l'Agence française du sang. Aujourd'hui, c'est le retour du pendule : le gestionnaire n'aurait pas été suffisamment sensible aux aspects médicaux ! Oui, je crois qu'il faut un binôme avec un partage clair des tâches...
M. Bernard Cazeau, président . - ...à condition d'une bonne coordination !
M. Gilbert Barbier . - Les laboratoires Servier ont-ils trompé l'agence ? L'architecture du système - une commission d'AMM, une commission de la transparence et un Ceps - n'entraîne-t-elle pas une déresponsabilisation, sans compter que les études sont fournies par les firmes ? La question du Mediator est réglée, mais quid de l'avenir ? Que faire lorsque les données sont manipulées ?
M. Jean-François Mattei . - L'AMM est délivrée après les essais de rigueur. Ceux-ci sont réalisés sur quelque milliers de personnes, une échelle réduite par rapport aux futurs consommateurs du produit. Le Mediator a été autorisé en 1976 ; il a fallu attendre 1998 pour qu'apparaissent les premiers signalements, et encore dans une seule spécialité : la cardiologie. Même si notre système de pharmacovigilance est de qualité, il faut donc développer les études post-commercialisation pour voir les effets des médicaments dans la durée.
M. Gilbert Barbier . - Qui paiera ces études ?
M. Jean-François Mattei . - Je n'ai jamais eu aucun conflit d'intérêts avec quelque laboratoire que ce soit. Jamais. Mon directeur de cabinet, qui avait travaillé pour le groupe Lilly, m'a prié de ne lui donner aucune délégation dans le domaine du médicament. Quant à M. de Tournemine, mon conseiller technique, il n'avait jamais, de près ou de loin, eu affaire aux laboratoires avant d'entrer à mon cabinet : il a travaillé dans le conseil aux banques, à EDF et à l'industrie automobile. Toutefois, il est vrai que des pressions s'exercent sans arrêt. M. Servier et M. Fabre m'ont rendu visite, respectivement pour le Vastarel 500 mg et l'Omacor ; je n'ai jamais montré la moindre complaisance à leur égard. Cela est impensable lorsque l'on s'engage dans une politique de déremboursement qui est, par définition, impopulaire. J'ai plutôt mené une politique d'affrontement avec les laboratoires - c'est également moi qui ai lancé le tarif forfaitaire de responsabilité (TFR) pour les génériques.
Monsieur Barbier, je vous en supplie, le financement des études post-commercialisation doit être entièrement public ; il faut également prévoir un statut pour les experts et poser tous les conflits d'intérêts sur la table. La question ne manquera pas de se poser car tous les pharmacologues et les spécialistes de thérapeutique ont des liens avec les laboratoires. J'ignore comment cela s'est passé pour le Mediator, mais je trouve curieux qu'aucun signal fort n'ait été porté à ma connaissance lorsque j'étais ministre.
Mme Marie-Christine Blandin . - Je concède qu'un ministre ne saurait connaître les spécifications de 40 000 médicaments... Pour autant, n'est-ce pas sa tâche que d'être un peu plus regardant sur les protocoles, les déclarations d'intérêts et les méthodes d'évaluation au sein des agences ? Les travaux de notre commission d'enquête sur la grippe A ont montré l'état de friche des fichiers de déclaration d'intérêts, dont certains avaient huit ans de retard. M. Marimbert affirmait alors se débrouiller très bien seul sans contrôle extérieur...
M. Jean-François Mattei . - Vous avez parfaitement raison. Toutefois, si je m'étais méfié d'un médicament, j'aurais eu tendance à être plus attentif à des médicaments mis sur le marché dix ans plus tôt plutôt qu'à des produits commercialisés depuis 1976. Ensuite, la commission de la transparence a réexaminé, à ma demande, 4 500 médicaments pour déterminer lesquels étaient à service médical rendu insuffisant. Cela leur a pris huit mois ; ils ont dû retarder l'évaluation de produits nouveaux. Nous n'avons pas les moyens ! Si nous voulons éviter de nouvelles difficultés, il faudra doter cette agence de moyens humains et financiers suffisants.
Monsieur Cazeau, l'Espagne a effectivement retiré du marché le Mediator en 2003. Cela a-t-il été signalé par l'Agence européenne du médicament à l'Afssaps ?
M. Bernard Cazeau, président . - Oui !
M. Jean-François Mattei . - L'Agence européenne du médicament a voté, lors de son conseil d'administration de décembre dernier, ses orientations stratégiques pour 2015. La moindre des choses serait de se rapprocher d'elle. Il est invraisemblable que des produits aient été retirés dans certains pays européens sans que j'en aie été averti !
M. Alain Vasselle . - Je suis surpris qu'une proposition de déremboursement s'appuie seulement sur des raisons comptables lorsque le service médical rendu devrait primer sur toutes les autres considérations. Le Mediator, si j'ai bien compris, a fait l'objet d'une évaluation, lors du réexamen des 4 500 produits que vous avez demandé. Je ne m'explique pas que la commission de la transparence n'ait pas procédé à une expertise scientifique complémentaire, sauf à considérer que le seul but poursuivi était de réaliser des économies. D'après vous, quel rôle doit jouer la HAS au côté de l'Afssaps dans la politique du médicament ? Enfin, concernant l'articulation entre les niveaux national et européen, M. Noël Renaudin, directeur du Ceps, m'a indiqué à plusieurs reprises s'être rapproché de l'Agence européenne du médicament lorsqu'il peinait à fixer un prix. Pourquoi l'Afssaps n'en a-t-elle pas fait de même dans son domaine de compétence ?
M. Bernard Cazeau, président . - Le président de notre mission, M. Autain, qui a été retenu, voulait également vous interroger sur les critères de fixation du prix des médicaments et de modulation du taux de remboursement. En outre, qui arrête la décision ? L'industriel est-il consulté ?
M. Jean-François Mattei . - La direction générale de la sécurité sociale est animée par un souci d'équilibre financier. Naturellement, elle ne m'aurait pas demandé de dérembourser un médicament à service médical rendu important. En l'occurrence, le Mediator avait un SMR insuffisant. Il fallait donc dérembourser tout de suite ce produit. Dans toute cette affaire, il n'a jamais été question de retrait de l'AMM : on s'acharne sur le déremboursement, mais ce n'est pas le sujet ! La commission de la transparence a réexaminé le Mediator et elle a confirmé l'insuffisance de son SMR.
J'en viens à la HAS : elle compte désormais en son sein la commission de la transparence. Si je n'ai pas porté cette agence sur les fonts baptismaux en 2004, j'en suis le concepteur. L'idée était, dans la lignée de la loi de 1998, de laisser à la HAS le soin de donner un avis scientifique et, éventuellement, de trancher.
Enfin, il existe un clivage entre le niveau européen, celui de l'économie, et le niveau national, celui des politiques de santé. Je me suis battu, à la tête de mon ministère, pour harmoniser les normes sanitaires. Il existe une coordination pour les prix des médicaments mais pas, hélas, pour la sécurité sanitaire.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Quelle réforme institutionnelle préconisez-vous pour améliorer le circuit du médicament ainsi que la procédure d'AMM ? Après les défaillances du système de pharmacovigilance, faut-il modifier le fonctionnement interne des agences sanitaires ? Enfin, comment améliorer la réactivité des autorités publiques qui ont interdit l'Isoméride, et non le Mediator, alors que les deux médicaments partageaient la même molécule ?
M. Jean-François Mattei . - La loi sur la sécurité sanitaire date de 1998, sa mise en place de 2000. M. Kouchner signe les contrats d'objectifs et de moyens avec les agences en 2001. Lorsque je prends la tête du ministère en 2002, mon premier souci n'est pas de remettre en cause ce qui vient d'être construit après les épisodes du sang contaminé et de la vache folle. En outre, il ne faut pas céder à la tentation de tout changer au prétexte d'une défaillance. On nous envie notre architecture. La création d'une commission du SMR ? Elle ferait doublon avec la commission de la transparence. Mieux vaut revoir le fonctionnement interne de ces agences, leurs procédures, leur financement, leur gestion, l'articulation avec le niveau européen ; renforcer la pharmacovigilance et prêter plus d'attention à la post-commercialisation. Dans le Vidal, il est indiqué que le Mediator est un adjuvant du régime adapté dans les hypertriglycéridémies et un adjuvant - encore ! - du régime adapté chez les diabétiques avec surcharge Pondérale. De là à en faire un coupe-faim pour tous... Le problème est donc plus complexe : le médicament a certes des effets nocifs, mais il a surtout été mal utilisé. Notre architecture n'est pas mauvaise ; évitons de la modifier en permanence.
M. Jacky Le Menn . - Vous dites que des pressions s'exercent constamment sur l'Afssaps, cela inquiète d'autant plus nos concitoyens que, les experts y étant déjà nombreux à entretenir des liens avec les laboratoires pharmaceutiques, l'agence constitue une sorte de milieu propice aux conflits d'intérêts.
M. Jean-François Mattei . - C'est vrai.
M. Jacky Le Menn . - Votre cabinet aurait donc été court-circuité par une agence dont on pouvait craindre l'action limitée par des conflits d'intérêts. Les médicaments sont certes nombreux - 40 000 sur le marché -, des milliers s'y présentent chaque année, mais compte tenu de l'enjeu pour la santé publique, on comprend mal pourquoi le seul indicateur d'alerte ait été le remboursement devenu trop lourd du Mediator par la sécurité sociale ! Votre cabinet ou, à tout le moins, les experts qui le conseillaient, n'étaient-ils pas informés de ce que la molécule de l'Isoméride avait été retirée de certains pays européens ? C'est difficile à admettre... Le ministre est responsable, même s'il n'est pas coupable, mais vous nous dites, vous, que vous ne saviez rien !
M. Jean-François Mattei . - L'Isoméride a été retiré de la vente en France en septembre 1997 ; s'il y avait une étude à faire sur la dangerosité des molécules voisines, il aurait fallu la faire immédiatement après, soit bien avant que je ne prenne mes fonctions, en 2002. Mon cabinet, ensuite, n'a pas été court-circuité par l'Agence du médicament, puisque le ministre n'est nullement dans le circuit : c'est l'Afssaps qui établit la dangerosité d'un médicament et qui en demande le retrait du marché, ce dont elle informe le ministre ; elle est indépendante.
J'ai toujours pensé que le ministre de la santé devrait avoir l'oeil sur tout ce qui touche à la santé, y compris l'environnement et l'alimentation, mais je sais que ce n'est matériellement pas possible. J'ai aimé ce que j'ai fait et j'ai fait ce que j'ai pu - et je sais qu'on ne peut pas tout voir. L'Afssaps existait depuis deux ans à peine, je n'allais pas la suspecter d'emblée. Et je ne m'en suis pas désintéressé, puisque j'en ai renouvelé le directeur, comme on me le conseillait, et l'agence a fait l'objet d'une mission commune de l'Igas et de l'IGF dès 2002.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe . - Vous reconnaissez que plus de vingt-deux ans pour commencer à découvrir la dangerosité du Mediator, c'est long : c'est effectivement très long ! Un premier problème ne concerne-t-il pas le mode de désignation des membres de l'Afssaps, sachant que 71 % d'entre eux ont fait une déclaration d'intérêts ? Ne faut-il pas d'abord régler la question des conflits d'intérêts qui appellent un meilleur contrôle de cette agence et un autre mode de désignation de ses membres ?
On sait aussi que le Mediator n'a été prescrit pour le diabète que dans 22 % des cas, alors que c'était sa première indication : n'est-ce pas une dérive ? Comment la pharmacovigilance aurait-elle pu l'éviter ?
M. Jean-François Mattei . - Je n'ai pas de certitude. Bien des membres de l'Afssaps font face à des conflits d'intérêts, je crois qu'ils les tranchent dans le sens de l'intérêt général, qu'ils sont honnêtes. J'ai eu moi-même à recevoir des dirigeants des laboratoires Servier qui, sans me parler d'argent, étaient venus me dire que deux nouveaux médicaments devaient être introduits sur le marché, que c'était l'intérêt général... Je n'ai pas accédé à leur demande.
Je crois que les expérimentateurs pharmacologiques ont besoin des industriels pharmaceutiques et que nous perdrions beaucoup à instaurer un climat de suspicion général, qui conduirait les laboratoires à préférer travailler dans d'autres pays que le nôtre. En revanche, nous progresserons avec un réseau efficace de pharmacovigilance, avec un mécanisme de déclaration obligatoire. L'affaire du Mediator montre que les effets néfastes étaient repérables en cardiologie, beaucoup plus que dans la population générale, où ils étaient statistiquement trop faibles pour être repérés par l'Afssaps.
Je crois donc qu'il ne faut pas changer l'architecture de notre système, mais l'assainir et lui donner plus de moyens. Cela passe par un véritable statut de l'expert, avec une rémunération suffisante : j'ai initié le mouvement en obtenant de Bercy que les chefs de cliniques libéraux qui viennent donner leur avis sur des médicaments puissent être rémunérés. Il faut aller plus loin parce que, s'il est toujours plus facile de se reposer sur le privé pour financer l'expertise, je ne crois pas que ce soit la solution la plus saine pour la santé publique.
M. Bernard Cazeau, président . - Monsieur le ministre, je vous remercie.
Audition de M. Christian BABUSIAUX, président de l'Institut des données de santé (mardi 8 février 2011)
M. Bernard Cazeau, président . - Monsieur Babusiaux, l'Institut des données de santé (IDS), que vous présidez, a pour mission - nous apprend son site Internet - de « favoriser les échanges d'informations entre les acteurs du système de santé et de contribuer à une meilleure gouvernance, dans le respect des règles éthiques » . Merci de nous en dire davantage sur cet Institut et sur votre analyse de l'affaire du Mediator.
M. Christian Babusiaux, président de l'Institut des données de santé . - Je vous remercie de me donner l'occasion de m'exprimer sur ce drame. Je le ferai en tant que président de l'IDS, sans que mon propos engage la Cour des comptes, dont je préside la première chambre. Antérieurement, j'ai, par ailleurs, eu à connaître de questions concernant le médicament.
L'affaire du Mediator a mis en évidence des problèmes qui appelaient des solutions depuis longtemps. C'est à l'aune de ce drame qu'il faut regarder des sujets qui peuvent paraître techniques. La santé publique exige, en effet, des données sur les médicaments, pour en connaître les prescriptions, la consommation et les risques.
Ces données sont de deux types bien distincts. Il y a les données qui résultent de la pharmacovigilance : elles sont occasionnelles et si elles peuvent déclencher l'alerte, elles ne sont pas de nature à constituer des bases de données. Il y a ensuite les données méthodiquement enregistrées et que l'on peut ranger en bases de données, par exemple sur les médicaments prescrits à l'hôpital, ou encore sur le remboursement des médicaments. Ces bases de données sont au coeur du domaine de l'IDS. Dans l'affaire du Mediator, les données pharmacologiques ont permis de déclencher l'alerte, et c'est ensuite par l'exploitation de bases de données plus larges qu'on pourra mesurer le risque à une échelle plus générale.
Ces données, d'abord, doivent couvrir une durée suffisamment longue pour identifier des maladies qui se déclenchent progressivement, ou pour les données épidémiologiques sur les risques. L'un des paradoxes de notre système de santé est que, si nous disposons de bases de données cohérentes, en particulier le Sniiram (Système national d'informations inter-régions d'assurance maladie, où sont enregistrés les remboursements de médicaments), ces données ne sont pas conservées suffisamment longtemps : deux ans plus l'année en cours pour les remboursements de médicaments, par exemple. Ainsi, j'ai écrit en juillet dernier au président de la Cnil pour étendre la durée de la conservation de ces données. Il m'a répondu immédiatement, dans un sens plutôt favorable, en reconnaissant qu'un intérêt de santé publique était d'étendre la conservation de ces données.
Ces données, ensuite, doivent être articulées entre elles, il faut ce qu'on appelle un « chaînage ». Cela s'est fait pour le Mediator, puisqu'on a rapproché les informations recueillies auprès des médecins de ville et celles collectées à l'hôpital issues du Programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI), mais ces rapprochements ne sont pas systématiques, ce qui est très regrettable.
Ces données, enfin, doivent être accessibles. Or, pour des motifs juridiques, les données dont nous disposons sont d'un accès très restreint. Dans l'affaire du Mediator, il a fallu que ce soient des chercheurs extérieurs et une revue indépendante comme Prescrire qui alertent sur les problèmes qui étaient susceptibles de se poser. L'évaluation doit être nécessairement pluraliste. De nombreux acteurs, y compris les entreprises du médicament, se voient refuser l'accès à ces données, ce qui empêche de conduire des études préalables. On peut reprocher aux laboratoires pharmaceutiques, non sans raison, de ne pas procéder à suffisamment d'études préalables, mais on leur refuse une partie de l'information, poussant chacun à jouer une sorte de « poker menteur » - au détriment de la santé publique.
Quelques éléments sur l'Institut des données de santé. Prévu par la loi de 2004, il n'a été installé qu'en 2007. Il n'a fonctionné réellement qu'à partir de la fin de l'année 2007 et le début de l'année 2008. C'est une petite structure ayant la forme d'un groupement d'intérêt public (Gip), avec cinq salariés à temps plein, mais c'est une première en France que d'essayer de regrouper et de mettre à disposition les données de santé. Nous rédigeons un rapport annuel, dont les commissions compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat reçoivent communication. Le dernier en date a été publié en janvier 2011. Nous progressons donc sur cette question très difficile, mais il faudrait avoir les moyens d'aller plus vite.
Les questions de données ne doivent pas masquer les questions de fond posées par l'affaire du Mediator, comme la surconsommation de médicaments qui est chronique en France ou la nécessité de développer les études post-AMM, que soulignait déjà la Cour des comptes en 1998 dans son rapport sur la sécurité sociale. La Cour y déplorait déjà que la sécurité sociale rembourse des médicaments sans SMR ; comme l'apport d'un médicament résulte de la balance entre les bénéfices et les risques, il est évident que, sans bénéfice, le risque l'emporte. L'affaire du Mediator a encore posé la question du contrôle du médicament par l'assurance maladie, puisqu'il y a des prescriptions hors AMM. Un autre sujet est l'utilité d'une alerte à l'échelle européenne : lorsque j'étais directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, nous avions bâti un système d'alerte, mais pour d'autres produits que le médicament.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Je me réjouis d'autant plus de vous recevoir, monsieur le président, que nous avions souligné, dans notre rapport de 2006, la nécessité de mettre en place un institut des données de santé. Au moins une des propositions de notre rapport a été suivie d'effet.
Vous avez évoqué deux types de données, révélées par la pharmacovigilance et le remboursement. Nous recherchons aujourd'hui un système d'alerte capable de prévenir les crises sanitaires comme celle du Mediator : pensez-vous qu'en croisant les deux types d'informations que vous nous avez présentées, nous y parviendrions ?
Avez-vous eu connaissance, depuis 2007, d'effets indésirables liés au Mediator ? Il était connu, par exemple, que le benfluorex n'était pas utilisé dans les préparations magistrales, mais qu'il continuait de l'être dans les préparations pharmaceutiques. Cette donnée ne vous a-t-elle pas alerté ?
Enfin, envisagez-vous des évolutions de l'Institut des données de santé pour mieux évaluer et contrôler le médicament ?
M. Christian Babusiaux . - A l'heure actuelle, l'Institut ne traite pas les données, pas plus qu'il ne les centralise : il n'en a pas les moyens avec cinq salariés à temps plein et il n'a pas vocation à faire des études. Mais nous cherchons à développer les bases de données, nécessaires aux épidémiologistes. Je crois que leur accès doit être ouvert, aux assurances complémentaires comme à des organismes tels que la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie. Sans aller jusqu'à un accès généralisé aux fichiers, des progrès ont d'ores et déjà été accomplis, alors que nous étions auparavant, en France, à la préhistoire des données.
Par ailleurs, aujourd'hui les données ne sont pas articulées, ou alors seulement de manière artisanale, au cas par cas. Par exemple, dans le fichier des données de remboursement qu'est le Sniiram, vous pouvez lire des informations sur les prescriptions et les remboursements en ville, mais sans pouvoir établir de lien avec les données d'hospitalisation. Améliorer ce dispositif est aujourd'hui un de nos grands combats, afin de lever une limite essentielle à la connaissance du système de santé par les épidémiologistes et les chercheurs. Il faut connecter les fichiers de la médecine de ville et de l'hôpital, c'est dans l'intérêt de la santé publique. Elles doivent être accessibles aux chercheurs et, je crois, aux laboratoires, dans des conditions strictes d'utilisation, pour mener des études post-AMM.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Nos compatriotes constatent que tout un système d'agences, de comités et d'instituts a été mis en place pour surveiller les médicaments, mais que le Mediator est passé à travers les mailles : comment éviter les crises sanitaires et assurer une meilleure réactivité des autorités publiques ?
M. Christian Babusiaux . - Les risques du Mediator ont été identifiés par la pharmacovigilance, sans qu'il ait été besoin de mobiliser des bases de données plus larges, indépendamment des mesures statistiques qui ont ensuite été conduites. Le risque était détecté dans d'autres pays européens, mais nous ne disposons pas d'un réseau d'alerte européen.
La pharmacovigilance a donc fonctionné et je crois que le bât a blessé plutôt par le réseau d'alerte, par les lacunes liées au défaut d'obligation de déclaration et par des conflits d'intérêts au sein des trois commissions - de la pharmacovigilance, de l'AMM et de la transparence. Ces sujets fondamentaux se situent en amont de l'alerte, indépendamment des bases de données utilisées en aval pour quantifier le risque.
M. Bernard Cazeau, président . - Si l'IDS avait été installé plus tôt, aurait-il pu alerter davantage sur le Mediator ?
M. Christian Babusiaux . - Grâce au législateur, par le vote de la loi de 2004 puis le rapport sénatorial de 2006, l'IDS a pu être mis en place, même s'il a fallu attendre un délai de trois ans. Concernant la possible détection des effets du Mediator, je ne crois pas que l'IDS aurait pu jouer un rôle, car le problème était déjà détecté par la pharmacovigilance. Sur le marché du médicament, on trouve une majorité de médicaments anciens, qui n'a donc jamais fait l'objet d'études post-AMM. Le système se braque sur les médicaments nouveaux, qui donnent lieu à des études post-AMM et à des plans de gestion des risques au niveau européen. Par ailleurs, le renouvellement d'une AMM ne déclenche pas d'étude. Il faut, d'une part, garantir l'indépendance des donneurs d'alerte et, d'autre part, mieux suivre les médicaments dans le temps. Quoi qu'il en soit, jamais une base de données ne donnera seule l'alerte.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe . - Vous dites que le chaînage des données n'est pas possible, mais le professeur Hubert Allemand, médecin conseil de la Cnam, nous a dit qu'elle disposait des données de la médecine de ville depuis 2005 et qu'elle les avait croisées depuis 2009 avec celles de l'hôpital pour éclaircir l'affaire du Mediator. Qu'en est-il ?
M. Christian Babusiaux . - Oui, ces données ont été croisées manuellement, à une échelle parfaitement artisanale, alors qu'il faudrait conduire plusieurs études épidémiologiques d'envergure chaque année. Au sein de l'IDS, nous avons confié à un comité d'experts, avec à sa tête le professeur Didier Sicard, qui a présidé le comité consultatif national d'éthique, et d'autres personnalités éminentes parmi lesquelles Annick Alpérovitch et Brigitte Dormont, le soin de rédiger un Livre blanc sur les données dont les chercheurs ont besoin. Il n'y a donc pas de contradiction : apparemment, les chercheurs de la Cnam ont pu faire le chaînage, mais ils n'ont pas pu le réaliser par un travail de routine.
M. Gilbert Barbier . - Avec ces données, avez-vous connaissance du nombre de personnes souffrant d'hypertensions artérielles pulmonaires et ayant pris du Mediator à un moment ou à un autre de leur vie ? On peut lire des estimations de 500 à 2 000 morts, mais le risque est très flou sur le nombre de personnes exposées et d'opérations : comment peut-on être plus précis sur la morbidité et le risque ? Et comment d'éviter à l'avenir d'autres affaires telles que le Mediator ?
Avez-vous, ensuite, des correspondants européens, avec lesquels échanger vos données, pour disposer de cohortes plus importantes et mener des études plus larges ?
M. Christian Babusiaux . - L'Institut des données de santé n'a pas vocation à réaliser des études. Mais j'insisterai sur l'échelle temporelle des séries conservées. Actuellement, la Cnam est autorisée à conserver les données de la médecine de ville pendant deux ans, en plus de l'année en cours ; il semble qu'elle les conserve un peu plus longtemps, ce qui explique que l'étude à laquelle il est fait référence porte sur une durée de trois années, à laquelle s'ajoute l'année en cours. Sinon, la Cnam doit archiver ces données pendant dix ans : cela même ne me paraît pas suffisant et, surtout, l'archivage papier ne permet pas aux chercheurs de travailler en ligne. Pour déterminer les risques liés au cancer, par exemple, il est essentiel de pouvoir étudier les parcours sur plusieurs décennies. En fait, notre système est adapté à des études économiques de court terme, beaucoup plus qu'à des études épidémiologiques et sur les risques.
A l'étranger, une expérience se distingue : le General Practice Research Database (GPRD) britannique , qui reçoit les données directement des professionnels de santé depuis leurs postes, et qui alimente les études post-AMM. Le GPRD dispose de dix fois plus de moyens en personnes que notre Institut.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Nous irons à Londres rencontrer les responsables du GPRD.
M. Christian Babusiaux . - Si nous ne sommes pas allés à Londres, nous avons, pour notre part, reçu le directeur du GPRD. Le Livre blanc que je vous ai cité décrit sommairement cette expérience, elle mérite d'être regardée de près. Le système britannique est très ouvert, ce qui me semble un avantage. Car la crise se produit là où on ne l'attend pas : l'évaluation doit être pluraliste car aucun organisme ne saurait être omniscient.
M. Bernard Cazeau, président . - Je vous remercie pour ces précisions.
Audition de M. Noël RENAUDIN, président du Comité économique des produits de santé (mardi 15 février 2011)
M. François Autain, président . - J'ai le plaisir d'accueillir M. Noël Renaudin, président du comité économique des produits de santé (Ceps).
Je souhaite tout d'abord savoir si le Ceps est soumis à l'article L. 1421-3-1 du code de la santé publique, dont l'alinéa premier dit : « Les membres des commissions et conseils siégeant auprès des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale ne peuvent, sans préjudice des peines prévues à l'article 432-12 du code pénal, prendre part ni aux délibérations ni aux votes de ces instances s'ils ont un intérêt direct ou indirect à l'affaire examinée. Ils sont tenus au secret et à la discrétion professionnelle dans les mêmes conditions que celles définies à l'article 26 du titre I er du statut général des fonctionnaires. »
M. Noël Renaudin, président du Ceps . - Ma réponse ne sera pas strictement juridique.
Tout membre du comité remplit chaque année une déclaration d'intérêts, qui est rendue publique et figure dans le rapport annuel transmis au Parlement. Cette règle de conduite est d'une application simple au Ceps car, outre les représentants de l'administration, nul membre de cette instance n'a d'intérêt, même indirect, dans l'industrie pharmaceutique, hormis, parfois, le fait qu'un proche y travaille.
M. François Autain, président . - J'ai lu dans La Lettre A un article intitulé « Cure de lobbying à Lourmarin » , dont la première phrase commençait par les mots : « Les universités d'été de Lourmarin, orchestrées par Daniel Vial, mêlent des représentants des pouvoirs publics et de l'industrie pharmaceutique. » Il était précisé que, du 17 au 19 novembre, des responsables des laboratoires et des représentants de l'administration se sont retrouvés comme tous les ans pour une discrète université d'été organisée à Lourmarin, en Provence. Les laboratoires étaient représentés par quelque 180 invités ; Mme Roselyne Bachelot aussi avait fait le déplacement, son cabinet ayant assuré que sa visite n'avait pas d'objet particulier en plein débat sur la réforme de l'assurance maladie, de même que le président du Ceps et le Maltais M. John Dalli, Commissaire européen à la santé. Ces rencontres sont l'oeuvre de M. Daniel Vial, âgé de soixante ans, qui a fait une carrière à la lisière de l'industrie, de la presse médicale et du conseil. Il a notamment créé le Quotidien du médecin , puis la Revue pharmaceutique , une publication dont le numéro de novembre comportait votre photo. Naguère conseiller de M. Douste-Blazy lorsqu'il était ministre de la santé, M. Vial travaille aujourd'hui avec le directeur général de Sanofi-Aventis, ce qui ne l'empêche pas de recevoir les concurrents du groupe français, puisque les universités d'été se déroulent dans sa propriété.
Votre présence à ces événements est-elle compatible avec l'article du code de la santé publique que j'ai cité ? Sans que je ne mette en doute votre intégrité...
M. Noël Renaudin . - Je préfère !
M. François Autain, président . - ...qui est irréprochable, des esprits malveillants ne pourraient-ils y voir un conflit d'intérêts ?
M. Noël Renaudin . - Je ne m'abriterai pas derrière le fait que je ne sois pas seul représentant de l'administration à cette réunion, qui n'était d'ailleurs pas organisée dans la propriété de M. Vial, mais dans un lieu ouvert au public, comme de nombreux congrès. En pratique, on retrouve à Lourmarin presque tous les participants au débat sur l'industrie pharmaceutique, pas seulement sur des questions économiques, mais aussi au titre de la sécurité sanitaire ou de l'éthique.
J'ai été nommé en avril 1999 président du comité économique du médicament puisque telle était la dénomination en vigueur à l'époque. Depuis, j'ai participé à toutes ces universités d'été mi-septembre, où j'interviens le vendredi après-midi et le samedi pour exposer à l'industrie la politique du Gouvernement dans le domaine du médicament. De même, je participe à de très nombreuses autres manifestations, organisées avec ou sans le concours de l'industrie pharmaceutique. Je le fais parce que c'est mon devoir. Au demeurant, il n'y a là rien d'un plaisir : je sors épuisé de cet exercice difficile. Si je le pouvais, je me passerais d'y assister professionnellement.
M. François Autain, président . - Votre tutelle vous le demande peut-être...
M. Noël Renaudin . - Non. J'y vais spontanément, car j'estime que cela fait partie de mon travail.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Nous auditionnerons aussi M. Vial, pour entendre sa version.
Souhaitez-vous commencer cette audition publique par une brève déclaration ?
M. Noël Renaudin . - Disons par une brève introduction.
Le Ceps, qui était le Comité économique du médicament quand j'en ai pris la présidence, n'est compétent ni juridiquement ni techniquement pour apprécier la sécurité des produits pharmaceutiques. Vous le savez, mais il n'est pas inutile de le rappeler. Il en va de même pour l'inscription au remboursement, la suppression du remboursement et la fixation du taux : ces prérogatives relèvent du ministre, sauf la fixation des taux, transférée en 2004 au directeur de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie (Uncam).
Pour le comité et pour moi-même, le Mediator était un des nombreux médicaments dont la commission de transparence avait estimé le service médical rendu (SMR) insuffisant. A l'évidence, ces produits ne sont pas sans importance pour l'industrie pharmaceutique. C'est à ce titre que plusieurs ministres m'ont consulté au sujet du Mediator.
J'ai été nommé en 1999 président du comité, pendant que la commission de transparence conduisait la réévaluation générale engagée à l'initiative de Mme Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Celle-ci m'a demandé de consulter les entreprises pharmaceutiques au sujet des produits à SMR insuffisant, ce que j'ai fait. J'ai consulté les plus grandes entreprises françaises sur le marché en termes de chiffre d'affaires. Rendant compte de mes entretiens, j'ai formulé des propositions dans une note intégralement reprise par l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) dans son rapport. Concrètement, les laboratoires acceptaient plutôt le principe de la réévaluation et même la perspective de déremboursements, pourvu que l'évolution ne soit pas trop brutale.
Il me semblait impossible de supprimer le remboursement de toutes les spécialités concernées, pour des raisons industrielles car une telle mesure toucherait principalement des usines françaises, mais aussi les patients et leurs médecins. J'ai donc recommandé une démarche progressive fondée sur une baisse des prix et une modification du taux de remboursement, pour concilier les intérêts de l'assurance maladie, ceux des professionnels de la santé et ceux des malades, tout en conservant sa crédibilité à la politique du médicament axée sur le remboursement du juste soin. J'ai même rédigé un projet de lettre que Mme Martine Aubry aurait diffusée aux professionnels de la santé, dont je revendique la paternité. Reprise en annexe dans le rapport de l'Igas, cette missive avait pour ambition d'expliquer la réévaluation en cours, le sens du moindre remboursement et le calendrier des déremboursements.
Ces orientations ont été acceptées dans le principe : on m'a demandé de réduire de 20 % la somme des remboursements opérés pour ces produits à l'horizon de trois ans. Dans ce cadre, le Mediator a été traité comme les autres spécialités : son prix a baissé de 10 % en 2000, puis de 7 % en 2001. L'année suivante, nous avons demandé une nouvelle baisse de 5 %. Quasiment seuls parmi les entreprises pharmaceutiques, les laboratoires Servier l'ont refusée, comme pour d'autres produits, et le ministre a alors dû prendre un arrêté unilatéral de baisse des prix. Par la suite, le Ceps n'a plus jamais eu à connaître du Mediator.
Quand M. Mattei a été nommé ministre de la santé, le processus de déremboursement s'est passé en bon ordre.
M. François Autain, président . - Est-ce à dire qu'auparavant, il se passait dans le désordre ?
M. Noël Renaudin . - Non ! M. Mattei a eu la bonne idée de classer en trois paquets les médicaments à SMR insuffisant. Le premier groupe concernait les médicaments nécessitant une action urgente, la commission de transparence ayant déclaré qu'ils n'avaient plus leur place dans une stratégie thérapeutique. Ces médicaments ont effectivement été déremboursés assez vite. Le deuxième paquet concernait des médicaments dispensés de prescription obligatoire, qui pourraient servir pour l'automédication, et dont les patients assumeraient le coût. Enfin, le troisième paquet était constitué par les produits soumis à prescription obligatoire, dont le déremboursement était à l'évidence plus difficile, faute d'offres remboursables dotées d'un bon SMR. M. Mattei a eu le temps de traiter le premier paquet.
Ensuite, la loi de 2004 a créé la Haute Autorité de santé. Bien que je n'en sois pas certain, il me semble que M. Bertrand, devenu ministre de la santé, l'a priée de se prononcer à nouveau sur les produits à SMR insuffisant. En 2006, elle a repris l'essentiel des avis déjà formulés à leur propos. J'ai été associé à ces réflexions, avant que M. Bertrand n'ouvre le sas de 15 % pour les médicaments à prescription facultative, finalement déremboursés au moment prévu. En revanche, les produits à prescription obligatoire, dont le Mediator qui n'était alors pas identifié en particulier, ont bénéficié d'un sursis. Je tiens à préciser que les considérations industrielles n'ont joué aucun rôle en 2006.
M. François Autain, président . - Contrairement à ce qui s'était passé en 2000-2001 ?
M. Noël Renaudin . - L'observateur que je suis pense que les motivations ayant conduit la ministre à ne pas dérembourser certains produits étaient dues premièrement à la situation des patients, secondairement à celle des médecins.
M. François Autain, président . - Et accessoirement à la situation de l'industrie pharmaceutique ?
M. Noël Renaudin . - Je ne le crois pas. J'ai expliqué clairement que les questions industrielles pouvaient être réglées avec du temps. Oui, cela a joué dans les délais, pour l'adoption de mesures progressives, mais pas dans la décision finale de ne pas engager formellement de déremboursement. En tout cas, ce n'est pas l'impression que je retire des discours de cette époque.
Tout au long de cette affaire, la dangerosité du Mediator n'a pas été mentionnée, non plus que celle de tout autre médicament.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Vos propos confirment ceux tenus par M. Jean-François Mattei la semaine dernière sur les trois étapes du déremboursement.
Au plan scientifique, les laboratoires Servier ont-ils produit des résultats d'études sur lesquels vous avez pu procéder à des expertises ?
Votre comité a-t-il échangé avec la commission de transparence au sujet du Mediator ou d'autres médicaments déremboursés ? Pourriez-vous préciser le cadre et les critères retenus dans les conventions générales avec les entreprises du médicament (Leem) fixant les prix des médicaments pour une période de quatre ans ?
M. Noël Renaudin . - La vocation et la compétence du Ceps ne sont pas d'examiner des études au cours de la vie du médicament. Pour le comité, le Mediator était non pas un coupe-faim, comme on le sait aujourd'hui, ni un antidiabétique comme le souhaitaient les établissements Servier, mais un médicament destiné à combattre les dyslipidémies, une famille de produits qui se partagent en quatre groupes : on y distingue les statines, les fibrates, les résines échangeuses d'ions représentées par un médicament unique - et un dernier groupe de deux médicaments, largement dominé par le Mediator, dont les ventes devaient s'élever à l'époque à 200 millions de francs par an. L'autre médicament de ce groupe était le Fonlipol. Ces deux produits affichaient un SMR insuffisant, mais c'était une caractéristique partagée avec huit cents autres spécialités.
Les relations entre le Ceps et la commission de la transparence sont limitées à la transmission des avis de la commission. C'était une position très ferme que j'ai prise dès mon entrée en fonctions comme président du Comité économique du médicament en 1999. Ce dernier était alors soupçonné d'exercer - en sens inverse - des pressions sur la commission de la transparence pour obtenir des avis négatifs et faire ainsi des économies. J'ai donc décidé de ne pas avoir de rapports avec la commission de la transparence, et que le comité se bornerait à utiliser - sans les commenter - les avis écrits formulés par la commission de la transparence, mais il n'y a pas de dialogue entre ces instances. Bien sûr, il m'arrive de rencontrer mon homologue, mais nous ne parlons pas de produits spécifiques.
J'en viens au prix des médicaments. Commençons par un peu d'histoire : juste avant ma nomination en 1999, le Parlement avait institué une « contribution de sauvegarde » . Au terme de ce dispositif, le prix des médicaments serait dès lors fixé par convention entre le Ceps et les entreprises, ces dernières devant acquitter une « contribution de sauvegarde » si leurs ventes excédaient le plafond fixé par le Parlement, sauf accord sectoriel avec le Ceps les exonérant de ce paiement. Ma première tâche a donc été de construire concrètement le nouveau dispositif en élaborant les conventions qui exempteraient les entreprises de la contribution de sauvegarde. J'ai négocié un accord essentiellement de procédure avec le Syndicat national de l'industrie pharmaceutique (Snip), avant de déterminer unilatéralement le dispositif des remises quantitatives de fin d'année éventuellement versées par les laboratoires ayant signé un accord sectoriel avec le comité en cas de dépassement des ventes. Je devais faire en sorte que l'assurance maladie ne soit pas perdante par rapport au dispositif légal des « contributions de sauvegarde » . Cet objectif a été constamment tenu depuis dix ans. Nous devions donc ramasser autant d'argent, mais selon des modalités plus conformes à la politique du Gouvernement que les critères plus rustiques du chiffre d'affaires ou des dépenses de publicité. C'est pourquoi nous n'avons pas taxé le chiffre d'affaires des génériques, ni celui des produits thérapeutiques innovants. Tel était le contenu du premier accord avec le Leem.
Par la suite, le Parlement a conféré une valeur législative à l'accord sectoriel, rebaptisé « accord-cadre » . Je souligne toutefois que le fond reste inchangé : il s'agit presque exclusivement d'un cadre de procédure. La seule règle en matière de fixation des prix résulte des instructions ministérielles : les principales innovations doivent être mises en vente à des prix de niveau européen, au moins pendant un certain temps. Le reste n'est qu'une question de procédure, à l'exception des médicaments orphelins. Ainsi, nous ne contractualisons pas avec l'industrie pharmaceutique pour les règles de fixation des tarifs des médicaments. Chaque année, l'annexe du rapport du Ceps explicite la méthode utilisée, en application du code de la sécurité sociale.
M. François Autain, président . - En d'autres termes, la détermination des prix est unilatérale.
M. Noël Renaudin . - La doctrine s'élabore de manière unilatérale.
M. François Autain, président . - Il existe toutefois la procédure de « dépôt de prix » qui, pour les médicaments efficaces, laisse les laboratoires fixer librement leurs prix, sous la seule réserve d'un référencement par rapport à la moyenne européenne. C'est pourquoi les médicaments à amélioration du service médical rendu (ASMR) I, II ou III et une partie de ceux à ASMR IV sont habituellement plus chers en France.
M. Noël Renaudin . - C'est inexact !
M. François Autain, président . - J'en viens à ma question. Avez-vous eu l'occasion, pendant le délai de quinze jours dont vous bénéficiiez, de mettre en cause le dépôt de prix effectué par un laboratoire ? Pour préserver le budget de l'assurance maladie, la baisse des prix est plus efficace que la contribution annuelle dont vous avez parlé, qui ne me semble toucher que les produits à ASMR V. Est-ce exact ?
M. Noël Renaudin . - Non, car les dépôts de prix sont très rares, ce que je regrette. Je pense que nous n'en avons accepté qu'un en 2010. Cela s'explique par l'existence de nombreuses et fortes contraintes : il ne doit pas y avoir d'équivalent sur le marché français qui rendrait ce prix non justifié. Outre la référence européenne, le laboratoire doit prendre des engagements proportionnés aux circonstances. La plupart du temps, les produits coûteux ne donnent de SMR élevé que pour un faible nombre de personnes, alors qu'on pourrait les utiliser dans bien plus de cas. Nous demandons alors à l'industrie de s'engager sur des reversements, parfois importants, dans l'hypothèse où les prescriptions déborderaient la population cible. Je comptais beaucoup sur le dépôt de prix pour alléger nos procédures. Mais il est toujours difficile de faire coïncider les déclarations spontanées des entreprises et les attentes du Ceps. Nous avons même dû inventer le « pré-dépôt de prix » , pour négocier avant ce dépôt.
M. François Autain, président . - C'est la complexité dans la complexité !
M. Noël Renaudin . - La première difficulté consistant à déterminer la population cible, la deuxième étant de rétablir un équilibre entre ce que l'on exige d'une entreprise et le besoin que ce médicament soit sur le marché pour les malades. Le dépôt des prix n'est pas une cause de prix élevés pour les médicaments.
M. François Autain, président . - Vous m'avez rassuré !
M. Noël Renaudin . - Il est d'autre part inexact de dire que les remises perçues par le Ceps proviennent principalement des produits à ASMR V : c'est le contraire, car ils procurent des économies à la sécurité sociale.
M. François Autain, président . - Vous n'avez jamais pu m'en indiquer le montant.
M. Noël Renaudin . - C'est la vocation de ces produits. Les médicaments à ASMR V font faire des économies à la sécurité sociale. Nous demandons des remises sur les produits qui, eux, sont trop chers.
D'où viennent les remises ? D'une part, elles portent sur le coût du traitement journalier. Par exemple, quand nous négocions avec une entreprise qui vend un anti-hypertenseur selon trois ou quatre dosages, nous ne pouvons pas connaître à l'avance le dosage qui sera le plus commercialisé. Nous contractons donc sur la base d'un coût de traitement journalier. Lorsque le coût est supérieur aux prévisions, des remises sont demandées. Cette procédure spécifique aux produits coûteux peut s'appliquer aussi à des médicaments n'apportant aucune amélioration du SMR. Ainsi, le sixième sartan comporte une clause de cette nature. Si la répartition des ventes selon les dosages n'est pas conforme aux prévisions, nous demandons à être remboursés du surcoût.
Une deuxième origine des remises, beaucoup plus importante, correspond aux médicaments à fort SMR, avec une logique purement commerciale après que nous avons dû accepter le prix européen : nous demandons un rabais de quantités, en observant que nous sommes de très bons clients. La deuxième grande masse de versements concerne les spécialités dont l'amélioration du SMR est circonscrite à une fraction de l'indication. Dans ce cas, la remise est due lorsque la commercialisation excède la population cible. Elle est alors fondée sur le calcul du surcoût par rapport aux spécialités de comparaison.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Estimez-vous que le prix des médicaments est supérieur en France au reste de l'Europe ? Son niveau gêne-t-il les spécialités en pédiatrie et en gériatrie ?
M. Noël Renaudin . - Parmi les quelques études indépendantes, l'une d'elles présente des conclusions sans appel. Commençons par les médicaments d'ASMR I, II et III pour partie : pendant les cinq ou six premières années de leur vie, leurs prix sont analogues à ceux constatés dans le reste de l'Europe. Les autres produits (à ASMR IV ou 5) sont vendus 15 % à 20 % moins cher. Fait par des observateurs indépendants du Ceps, ce constat est logique puisque la France est le seul pays à respecter le principe : « Si ce n'est pas mieux, ce doit être moins cher » . Ainsi, dans les autres pays d'Europe où les prix sont libres, le deuxième sartan coûtait plus cher que le premier, le troisième plus cher que le deuxième et ainsi de suite ; en France, le premier sartan a bénéficié d'une tarification élevée en raison d'un ASMR III, le deuxième a été sensiblement aligné sur le premier, mais les prix ont baissé pour les autres sartans.
Après les médicaments sous brevet, j'en viens aux génériques. La France semble se situer dans la moyenne basse des prix européens : les tarifs y sont plus élevés que ceux en vigueur au Royaume-Uni, mais inférieurs à ceux pratiqués en Allemagne, par exemple. C'est un choix délibéré, car les génériques vont devenir bientôt l'étalon-or du médicament, et non plus des produits supplétifs destinés à réaliser des économies. Ils sont les seuls disponibles pour certains traitements et je souhaite que l'approvisionnement soit assuré par des entreprises ayant pignon sur rue, avec une bonne pharmacovigilance. Pour les génériques, nous ne sommes ni plus chers, ni moins chers.
Les médicaments pédiatriques bénéficient de dispositions très favorables au sein de l'accord-cadre, suivant deux règles. D'une part, un nouveau médicament pédiatrique est vendu à un prix journalier comparable à celui de la spécialité pour adultes, bien que les doses administrées soient plus faibles. D'autre part, ces produits bénéficient, en outre, d'un SMR relevé d'un cran pour l'application des règles de tarification. Par ailleurs, nous avons exempté de toute remise certains médicaments pédiatriques. Leur liste est établie par l'Afssaps.
Enfin, la France est le pays le plus généreux pour les médicaments orphelins.
Je pense que les spécialités spécifiquement gériatriques bénéficieront d'un régime comparable à celui des produits pédiatriques ou orphelins.
M. Gilbert Barbier . - Quel est l'effectif du Ceps ?
M. Noël Renaudin . - Il emploie au total treize personnes, outre votre serviteur et deux vice-présidents, y compris pour effectuer les activités de gestion qui relèveraient normalement du ministère de la Santé. Nous ne sommes pas des budgétivores !
M. Gilbert Barbier . - Avez-vous recours à des experts ? Sont-ils membres de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) et de la commission de la transparence ?
M. Noël Renaudin . - Non, l'expertise est largement faite à l'extérieur du comité. Au sein de celui-ci, la collégialité d'une réflexion conduite par des personnes instruites sur le médicament suffit à donner de bons résultats. A fortiori , nous n'avons recours à aucun expert provenant de la commission de transparence : celle-ci ne nous transmet que ses avis.
Il arrive que les entreprises que nous auditionnons fassent accompagner leurs représentants par des experts. Nous entendons alors ces derniers non en tant qu'experts, mais comme personnes envoyées par le laboratoire.
M. Gilbert Barbier . - Il n'y a donc pas de conflits d'intérêts au Ceps ?
M. Noël Renaudin . - Il n'y a strictement aucun conflit d'intérêts.
M. Gilbert Barbier . - Le classement du Mediator comme anorexigène, son nom scientifique étant le benfluorex, a-t-il constitué une alerte pour vous ?
En 2001, ce produit a coûté 30 millions d'euros à la Cnam, une somme très largement supérieure à celle correspondant à une consommation suivant les indications d'autorisation de mise sur le marché (AMM). Le Ceps s'est-il interrogé à ce propos ?
La première alerte de toxicité remonte à 1999, après que des produits semblables au Mediator eurent été interdits aux Etats-Unis. Une deuxième alerte s'est produite en 2003, lorsqu'il a été exclu du marché espagnol. Cette interrogation sur la toxicité est-elle parvenue au Ceps ?
M. Noël Renaudin . - Jusqu'à l'arrivée des génériques, nous ne connaissions que la dénomination commerciale des médicaments, pas la dénomination commune internationale (DCI). Au demeurant, aurais-je su que le Mediator s'appelait benfluorex en DCI, que cela ne m'aurait rien dit.
M. François Autain, président . - Le professeur Lucien Abenhaïm lui-même ignorait la DCI !
M. Noël Renaudin . - Je n'osais le dire. Je connais bien le professeur Abenhaïm, pour l'avoir fréquenté pendant trois ans lorsqu'il était directeur général de la santé. Il aurait sans doute réagi en apprenant l'appellation « benfluorex ».
M. François Autain, président . - Tout comme M. Mattei, vous avez dit qu'il était très difficile de retirer un médicament à SMR insuffisant. Le plus simple serait de ne pas commercialiser chaque année de nouveaux médicaments à SMR faible.
Cette situation conduit à des situations aberrantes. Je vais citer deux exemples d'actualité, faisant intervenir des spécialités ASMR V mises sur le marché pour faire réaliser des économies par la sécurité sociale et qui figurent sur la fameuse liste des soixante-dix-sept médicaments sous surveillance : à l'absence de tout progrès thérapeutique s'ajoute donc une suspicion de dangerosité en cas de prise continue.
Comment pouvez-vous faire réaliser des économies en vendant des produits deux fois plus chers que ceux déjà présents sur le marché ?
Premier exemple, le Multaq, un anti-arythmique cardiaque avec une ASMR V figurant sur la liste des soixante-dix-sept médicaments surveillés : le traitement coûte 83,60 euros par mois, contre 39,32 euros pour un générique comme l'amiodarone Biogaran. Comment faites-vous des économies avec un médicament plus cher ?
Deuxième exemple, le Nexen, un anti-inflammatoire non stéroïdien qui est également un médicament de ASMR V inscrit sur la liste des soixante-dix-sept médicaments surveillés : il coûte 49 centimes d'euros par jour, contre 30 centimes pour l'Ibuprofène !
En quoi la recommandation de médicaments plus chers, et qui n'améliorent pas le SMR des médicaments existants, peut-elle représenter une économie pour la sécurité sociale ? Si vous parvenez à nous en convaincre, bravo ! Ensuite, à la lecture des comptes rendus, j'apprends que, pour parvenir à de telles recommandations qui défient le bon sens, vous avez contesté et corrigé l'avis de la commission de transparence : n'est-ce pas outrepasser vos compétences légales ?
M. Noël Renaudin . - La comparaison des médicaments anti-inflammatoires non stéroïdiens est très difficile à établir. Du point de vue de l'effet du médicament, on ne peut pas comparer l'Ibuprofène 200 mg et le Nexen, la question de sa dangerosité étant quelque chose de tout à fait différent sur laquelle je n'ai pas d'opinion.
Ensuite, je n'ai jamais dit que le Multaq ferait faire des économies à la sécurité sociale. Le Comité n'est pas lié par les avis qu'il reçoit de la commission de la transparence : il est dans son droit, et c'est même son devoir, de décider en opportunité, comme le fait du reste le ministre. Nous suivons l'avis de la commission de la transparence dans 99 % des cas. Dans le cas de Multaq, certains sont allés jusqu'à prétendre que la commission de la transparence aurait subi des pressions pour changer l'appréciation du SMR du Multaq : je trouve choquant de laisser entendre que les membres de cette commission pourraient se laisser influencer à ce point ! La vérité, c'est qu'elle est revenue sur sa position, après un débat contradictoire, et que le second avis était meilleur !
M. François Autain, président . - Vous pouvez admettre qu'on pense que c'est une erreur !
M. Noël Renaudin . - Certainement, mais pas d'entendre que j'aurais outrepassé mes compétences légales, que j'aurais violé la loi en ne suivant pas l'avis de la commission de la transparence !
Le Multaq appartient à la famille des anti-arythmiques, une famille de médicaments complexe qui comprend quatre classes, où l'amiodarone constitue pratiquement une classe à elle toute seule : ces médicaments ne sont donc pas substituables entre eux, et il n'y a pas eu d'anti-arythmique nouveau depuis des années.
M. François Autain, président . - Est-ce le président du Ceps ou de la commission de transparence qui s'exprime ?
M. Noël Renaudin . - C'est le président du Ceps, évidemment, qui vous répond, et dont le métier est de prendre des décisions. Nous avons estimé que le Multaq était le seul successeur des anti-arythmiques de classe 3, aux effets indésirables moins dangereux que ceux de classe 5. Le Ceps, au vu de ces éléments, a considéré que le Multaq pouvait être utile à ces patients : c'est le sens du changement de SMR. Nous avons attribué à Multaq une ASMR III.
M. François Autain, président . - Qu'est-ce qui vous permet de dire qu'il était de votre compétence de passer outre l'avis de la commission de la transparence ? Quel est l'article applicable du code de la sécurité sociale ?
M. Noël Renaudin . - Un principe général du droit est qu'une autorité n'est pas liée par un avis, sauf lorsque celui-ci doit être conforme : l'administration fonctionne de la sorte.
M. François Autain, président . - Ce n'est peut-être pas le meilleur des fonctionnements...
M. Noël Renaudin . - Si, parce que la prise en charge médicale n'est pas une affaire seulement scientifique, et que nous avons pris nos responsabilités. C'est ce que nous avons fait pour Multaq, avec la direction générale de la santé, en considérant que ce médicament pouvait présenter un intérêt pour les personnes ayant des antécédents de fibrillation auriculaire et qui sont en fibrillation non permanente. Il fallait également prendre en compte deux autres sous-populations que nous avons identifiées : les patients intolérants à l'iode contenue dans l'amiodarone ; enfin, les patients souffrant d'insuffisance coronarienne. En conséquence, nous avons passé contrat avec Sanofi-Aventis, pour un prix réglé sur ces sous-populations cibles, avec une pénalité lourde en cas de dépassement, puisque le laboratoire nous rendrait la différence de prix. J'ai entendu dire que nous aurions fait là un cadeau à notre champion national en faisant payer un prix dix fois plus élevé que celui de l'amiodarone, mais il suffit de regarder de plus près pour voir qu'il n'en n'est rien : le prix du Multaq a été fixé en France plus tard qu'ailleurs, car la négociation y a duré plus longtemps qu'ailleurs, et aucun pays n'a imposé de conditions aussi restrictives que les nôtres.
M. François Autain, président . - Mais vous savez bien que la moitié des prescriptions sont hors AMM, et que c'est bien là le problème !
M. Noël Renaudin . - Les prescriptions hors AMM sont un problème à part entière : vous savez bien que certaines d'entre elles sont nécessaires pour soigner certains patients, mais qu'elles sont critiquables dans d'autres cas, et que ce sont ces cas que nous essayons de limiter, avec l'assurance maladie. S'agissant du Multaq, le problème ne se pose pas, puisqu'on imagine mal un cardiologue prescrire ce médicament en dehors du risque de fibrillation auriculaire...
M. Alain Milon . - Effectivement, c'est un médicament très spécialisé, utilisé contre une maladie elle-même assez rare et prescrit seulement par des cardiologues : nous sommes loin du risque d'une prescription hors AMM !
En revanche, je trouve choquant l'usage qui est fait de la liste des soixante-dix-sept médicaments surveillés. On y trouve en particulier le Lévothyrox, qui est très utile dans le traitement des malades de la thyroïde. En tant que médecin, je ne juge pas pertinent de prendre comme exemples, dans la liste des soixante-dix-sept médicaments, l'Advil, le Multaq ou encore le Lévothyrox.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Vous nous dites que le comité a eu connaissance d'études : dans quels cas ? Figurent-ils, ou non, dans la liste des soixante-dix-sept médicaments surveillés ?
Dans le prolongement de notre mission de 2006 sur le médicament, nous recherchons à améliorer la politique du médicament dans son ensemble : quelles vous semblent être les meilleures pistes d'une telle réforme ?
M. Noël Renaudin . - Les études portent presque exclusivement sur l'inscription de nouveaux médicaments. Nous les examinons pour mieux comprendre l'avis de la Haute Autorité de santé (HAS), voire, dans des cas exceptionnels, pour ne pas suivre cet avis : c'est le cas pour le Multaq ou encore récemment pour un médicament antiparkinsonien, dont nous avons estimé qu'il manquait dans la panoplie des médicaments disponibles. Dans le cas du Multaq, une grande étude Athena nous a paru intéressante, à la direction générale de la santé et au Ceps, car elle a permis d'identifier des sous-populations pour lesquelles le Multaq était approprié. Nous avons aussi examiné les études scientifiques pour un anti-agrégant plaquettaire, qui était un médicament nouveau concurrent de Plavix, en essayant d'identifier une sous-population pour laquelle ce médicament était utile.
Sur la réforme de la politique du médicament, je crois que le Ceps n'est pas le mieux placé pour dire son avis et je ne me pense pas autorisé à dire quelles seraient les bonnes pistes.
M. François Autain, président . - Le rapport d'activité de la HAS souligne le petit nombre d'études post-AMM : des médicaments autorisés depuis 2004, seuls 19 % ont fait l'objet d'une étude terminée et 34 % sont en cours d'examen, ce qui veut dire que pour 47 % d'entre eux, le protocole d'études reste en cours d'expertise, voire n'a pas encore été déposé par l'industriel. Le Parlement a autorisé le Ceps à sanctionner les laboratoires qui ne réalisent pas d'étude, l'accord-cadre a inscrit ce nouveau pouvoir à son article 6 : dès lors, comment expliquez-vous que vous n'ayez encore pris aucune sanction ?
M. Noël Renaudin . - Si le comptage avait commencé un an après que ce nouveau pouvoir a été effectif, on aurait comme résultat 100 % d'études non commencées... Le processus démarre, il s'intensifie : les demandes sont faites, mais la négociation puis la conduite des études demandent du temps, et un nombre toujours plus grand de médicaments arrivent sur le marché, ce qui explique que le stock d'études à faire demeure plus important que celui des études réalisées.
Il y a cependant bien eu un problème au démarrage. Mais les torts sont difficiles à établir. Dans la convention que nous passons alors avec l'entreprise, nous tâchons de définir le cahier des charges de la manière la plus juridique possible, avant que l'étude soit approuvée par une formation resserrée, émanant de la HAS, et dénommée groupe de travail « Intérêt de santé publique et études post-inscriptions » (Ispep). Cette procédure initiale est apparue comme une source de retard, du fait notamment que l'Ispep était trop exigeant sur les protocoles, ce qui pouvait entraîner des échanges d'informations à l'infini. Nous avons donc modifié l'accord cadre pour obliger l'entreprise à commencer l'étude sans attendre l'avis de l'Ispep. D'importantes études ont d'ores et déjà été réalisées, comme celles sur les COX-2 et les glitazones.
Pourquoi n'avons-nous pas encore pris de sanction ? Parce que les choses sont plus complexes qu'il n'apparaît. L'an passé, nous avons notifié à une entreprise notre projet de la sanctionner pour défaut d'étude post-AMM ; ses responsables ont demandé à être entendus et c'est sur la base du dialogue contradictoire que nous avons eu avec eux et qui a fait apparaître l'intrication des responsabilités dans le retard de l'étude post-AMM, que le Ceps a renoncé à sanctionner. Mais le comité n'est pas soupçonnable de faiblesse, quant à son pouvoir de sanction : nous sanctionnons souvent des entreprises en matière de publicité et je ne doute pas que nous ferons de même avec notre nouveau pouvoir de sanction en cas de défaut d'étude post-AMM.
M. François Autain, président . - Merci pour toutes ces précisions. Nous avons appris que le Ceps pouvait aller contre les avis de la commission de transparence, c'est très instructif !
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Effectivement, nous n'avions pas pris acte de ce que cet avis n'était pas conforme.
Audition de M. Didier TABUTEAU, conseiller d'Etat, ancien directeur général de l'Agence du médicament (1993-1997), ancien directeur-adjoint du cabinet du ministre de l'emploi et de la solidarité (1997-2000), ancien directeur du cabinet du ministre délégué à la santé (2001-2002) (mardi 15 février 2011)
M. François Autain, président . - Monsieur Tabuteau, vous exerciez des responsabilités éminentes lorsque le problème du Mediator est apparu, puisqu'en 1995 vous étiez depuis deux ans le - premier - directeur général de l'Agence du médicament, avant de devenir le directeur-adjoint du cabinet de Mme Aubry au ministère de l'emploi et de la solidarité, entre 1997 et 2000, puis, en 2001-2002, directeur du cabinet de M. Kouchner alors ministre délégué à la santé. Nous souhaitons vous interroger sur les épisodes passés qui ont conduit à ce drame du Mediator, mais aussi sur les réformes, à votre avis, nécessaires pour qu'un tel drame ne se reproduise pas - vous écrivez sur la sécurité sanitaire depuis de nombreuses années, votre avis nous intéresse à ce titre.
Mais d'abord, je dois vous poser la question : entretenez-vous des liens d'intérêts avec des entreprises sur les questions dont nous allons parler ?
M. Didier Tabuteau, conseiller d'Etat . - Comme je l'ai dit devant la commission d'enquête sénatoriale sur la question de la grippe A (H1N1)v, je suis depuis sept ans en position de disponibilité du Conseil d'Etat, dans le secteur privé, et je dirige la chaire « Santé » à Sciences Po, laquelle bénéficie du mécénat de sociétés comme Ipsen, Sanofi-Aventis, Abbott France, mais aussi Orange ou, auparavant, la Caisse d'Epargne ; je participe à des formations et donne des conférences à des acteurs du monde de la santé, de même que j'écris dans des journaux professionnels, en particulier dans la revue « Les Tribunes de la Santé ». Je n'ai jamais été lié aux laboratoires Servier.
Ceux qui ont contribué à la mise en place d'un système de sécurité sanitaire, aujourd'hui pris en défaut, ont eu la grande ambition - ce qui rend plus douloureux l'échec constaté actuellement - de créer un service public de sécurité sanitaire. Les constats dressés alors étaient sans appel : retards, absence d'expertise, dépendance financière vis-à-vis des laboratoires, laboratoires de contrôle littéralement sinistrés, inspections lacunaires...
L'Agence du médicament est créée en 1993, avec pour mission notamment de mettre en place un dispositif d'inspection et de participer à l'Agence européenne. On peut mettre à son actif d'avoir installé en quelques années un dispositif capable de prendre des mesures importantes de retrait du marché, en particulier de certains tests du Sida, mais aussi d'avoir renforcé les moyens de la pharmacovigilance et d'avoir mis en place une inspection d'essais cliniques.
M. François Autain, président . - Pendant trente ans, les laboratoires Servier ont prétendu que le Mediator n'était pas un anorexigène, qu'il ne comportait pas de fenfluramine mais qu'il ne servait qu'à traiter le diabète de type II, sans que l'administration n'y trouve rien à redire. Pourquoi l'administration n'a-t-elle fait que reproduire cette thèse fallacieuse, en se montrant incapable de penser par ses propres moyens ? C'est une question de fond, je doute que nous y répondions complètement aujourd'hui, mais je crois utile de vous la poser. Le professeur Edouard Zarifian l'avait constaté dans l'un de ses livres, Le Prix du bien-être . Les sociétés savantes sont devenues incapables d'élaborer un discours autonome, elles se contentent de reproduire la littérature promotionnelle des laboratoires : pourquoi ?
M. Didier Tabuteau . - Je crois que le drame du Mediator révèle que notre système de sécurité sanitaire est resté en vase clos, nourri d'informations scientifiques circulant en circuit fermé ; le principe du contradictoire doit être un principe du système public de sécurité sanitaire. Il faut écouter davantage les experts dissidents, multiplier les auditions publiques, les bilans d'activités, pour que l'information soit diffusée et débattue. Je crois aussi que les divers acteurs devraient faire un bilan périodique de leur action, de leurs tentatives, de leurs échecs et de leurs questions. C'est ce qu'avait fait M. Bernard Kouchner en quittant le ministère de la santé, en organisant une conférence de presse pour faire le point sur tous les dossiers qu'il avait traités. Je crois que ce type de démarche est de nature à éviter l'enfermement de la connaissance et de l'expertise.
M. François Autain, président . - Avez-vous ressenti, comme président de l'Agence du médicament, que l'administration était incapable de penser par elle-même ?
M. Didier Tabuteau . - Non, parce que le système que nous venions tout juste de renforcer, produisait un nombre qui me paraissait important d'alertes et de décisions, en particulier de retraits de produits sanguins et dérivés, dans le contexte que l'on sait de l'affaire du sang contaminé. La France, par exemple, a été alors le premier pays à retirer tout produit sanguin provenant d'un donneur qui pourrait être porteur de la maladie de Creutzfeld-Jacob.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Votre pouvoir d'influence ne vous a-t-il pas permis d'alerter les autorités sur le fonctionnement même du système ? De demander une mise en réseau plus efficace, plus ouverte à l'extérieur, en particulier aux associations ? Quelles ont été les alertes de pharmacovigilance qui ont été suivies d'effets ?
M. Didier Tabuteau . - L'urgence de l'époque était de construire un réseau efficace de pharmacovigilance ; nous partions de loin et nous avons doublé les moyens des centres régionaux, de 6 à 10 millions de francs à l'époque. J'avais également proposé au cabinet du ministre, en 1996 me semble-t-il, d'ouvrir le dispositif aux représentants des associations et des usagers de la santé par voie réglementaire.
L'Agence du médicament a pris de nombreuses décisions de retrait du marché, que je ne peux vous citer toutes de mémoire. Il y a eu, en particulier, le retrait de tests du Sida, à plusieurs reprises, de l'hépatite C, de la rubéole, ou encore de l'Ananxyl, fin 1993. L'Agence réévaluait et retirait du marché, cela sans texte législatif l'y autorisant, et de façon inédite à l'échelle internationale. La pharmacovigilance a aussi permis le retrait ou l'encadrement drastique de médicaments comme le Praxilène, le Teldane, ou le Telebrix.
Sur la méthodologie même de la pharmacovigilance, je ne me sentais pas légitime pour contester ni même modifier ce qui faisait alors cette autorité. J'avais hésité à prendre la tête de l'Agence, à trente-quatre ans, car je n'étais pas un scientifique, et si je l'ai acceptée c'était avec l'idée d'y faire entrer davantage de scientifiques, et parce que la mise en place d'un tel dispositif nécessitait de la construction administrative.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Comment analysez-vous ce qui s'est produit en 1995 ? M. Renaudin nous a dit qu'à son avis, le déremboursement n'était pas le facteur déterminant de la prise de décision : qu'en pensez-vous, et quelle part faites-vous aux pressions exercées par les industriels ?
M. François Autain, président . - En 1995, la fenfluramine et le benfluorex, deux amphétamines anorexigènes, ont été retirés. Pourquoi le mouvement s'est-il fait en deux temps ? Pourquoi le cas des préparations magistrales a-t-il été traité par le ministère, et celui des préparations pharmaceutiques par l'Agence du médicament ? Pensez-vous que si l'Agence avait eu le monopole des préparations, les choses auraient été différentes ?
Ensuite, si votre décision rapide a réduit au dixième le nombre de boîtes de Mediator vendues, pourquoi n'y a-t-il pas eu pour autant une suspension de l'AMM ? Aux Etats-Unis, la Food and Drug Administration (FDA) a retiré l'Isoméride en dix-huit mois, après quelques cas seulement d'hypertension artérielle, mais il vous a fallu plus de soixante cas et sept à huit ans pour parvenir au retrait de l'Isoméride et du Pondéral, et encore, par la décision même des laboratoires Servier qui ont prétendu agir « par précaution » . Pourquoi une telle différence d'un côté et de l'autre de l'Atlantique ? Quelle part faire aux pressions des industriels dans cette différence de traitement ?
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Pourquoi la décision de retrait a t-elle visé seulement les préparations magistrales et non les médicaments ?
M. Didier Tabuteau . - La décision de retrait, en 1995, a été le fait de la Direction de l'évaluation et du dispositif de pharmacovigilance, j'ai suivi exactement les avis que je recevais, car je ne disposais pas d'autres éléments. Cela renvoie à la nécessité de rendre l'expertise contradictoire. La décision a été suivie d'un effet immédiat : les produits retirés ont quasiment disparu du marché français.
La FDA est une agence ancienne, créée au début du XX e siècle, et qui a servi de modèle : elle a pourtant enregistré l'Isoméride en avril 1996, alors même qu'elle disposait de toutes les analyses que notre Agence, bien plus jeune et bien plus modeste, avait réalisées. La décision d'interdiction a été prise ensuite, en 1997, après survenance d'autres cas de valvulopathies, qui n'avaient pas été constatés en France. Qui a été le plus précautionneux ? Vous voyez que la réponse ne va pas de soi... J'aurais aimé que l'agence américaine prenne les mêmes précautions que nous au moment de l'agrément...
M. François Autain, président . - Et vous pensez qu'il serait encore sur le marché, dans ces conditions ?
M. Didier Tabuteau . - Non. En ce qui concerne les préparations magistrales : le benfluorex fait partie d'une liste, établie par la commission de pharmacovigilance à la suite d'une saisine de la Direction générale de la santé. Il s'agit alors, j'imagine, d'une attitude de précaution visant à éviter les reports de prescription. Cette liste comporte trente à quarante substances actives. Je n'ai aucun moyen de déceler qu'il y a là une spécialité pharmaceutique, le Mediator, qui ne suit pas le régime des autres.
M. François Autain, président . - Vous n'aviez pas alors connaissance du segment clé retenu par l'Organisation mondiale de la santé (OMS), « orex » ? D'où l'utilité d'user de la dénomination commune internationale. Il eût ainsi été plus facile de démasquer le benfluorex sous le Mediator.
M. Didier Tabuteau . - Si je l'avais décelé, j'aurais immédiatement réagi.
M. François Autain, président . - Il semble que vous n'ayez guère été aidé par votre directeur de l'évaluation. Nous ne l'avons pas encore entendu, mais qu'il me suffise ici de citer le rapport : il affirmait alors que le benfluorex n'est pas un anorexigène mais un « antidiabétique mal étudié » . Et il le répète en 2011 ! C'est pour le moins inquiétant.
Il est légitime de supprimer le benfluorex des préparations magistrales pour éviter les reports de prescriptions, mais la suspension de l'Isoméride a eu pour conséquence des reports de prescription sur le Mediator : il y a là quelque chose qui a échappé au directeur de l'évaluation. Cela m'étonne. Quels rapports entreteniez-vous avec lui ?
M. Didier Tabuteau . - Je ne peux pas répondre à la place de Jean-Michel Alexandre. Trois objectifs étaient fixés à l'Agence : excellence scientifique ; efficacité administrative, rigueur déontologique. C'est dans le souci de répondre au premier de ces objectifs qu'a été recruté Jean-Michel Alexandre, qui était le numéro un en matière d'évaluation du médicament en Europe, ce dont témoigne son élection par ses pairs au comité des spécialités pharmaceutiques de l'Agence européenne du médicament. Sa présence au sein de notre Agence constituait un gage de crédibilité scientifique. Je l'ai rencontré lorsque j'en préparais la mise en place, et il m'a fait comprendre qu'il serait prêt à s'engager, mais pour une année seulement. Il est finalement resté. Son aura scientifique en France et en Europe était un atout. Lorsque la commission de pharmacovigilance et la commission d'autorisation de mise sur le marché proposaient, ce devait être validé par Jean-Michel Alexandre. Même chose pour les lettres aux prescripteurs, primordiales, signées par des professeurs de médecine et des médecins, et cosignées par Jean-Michel Alexandre et Jean-François Girard, directeur général de la santé.
Je ne suis pas en mesure de vous dire pourquoi les préparations magistrales n'entraient pas dans le champ de l'Agence du médicament qui, comme établissement public, ne disposait que d'une compétence d'attribution. La compétence des préparations magistrales ne figurait pas dans le texte adopté par le Parlement. Vous vous souvenez de sa genèse : l'amendement qui la créait avait, après avoir été une première fois retiré, été réintroduit dans le projet de loi portant réforme de la transfusion sanguine mais sans être réécrit sous l'angle de la sécurité sanitaire. Peut-être est-ce à cela qu'il faut attribuer la chose ?
M. Jean-Jacques Mirassou . - Indépendamment de l'expertise avant autorisation de mise sur le marché, l'essentiel du travail porte sur la pharmacovigilance. Avec des erreurs manifestes, quelle que soit la qualité des experts. La triste expérience de l'Isoméride aurait dû alerter. On a du mal à comprendre ce terrible temps de latence sur le Mediator, qui a continué à être prescrit avec beaucoup de complaisance...
Est-il inenvisageable que ceux qui sont appelés à prendre les décisions publiques en viennent à atteindre un seuil de compétence qui leur permette de lutter à armes égales avec les chercheurs des laboratoires ?
M. Didier Tabuteau . - Atteindre un haut niveau scientifique faisait bien partie des objectifs assignés à l'Agence, comme à toutes les instances chargées de veiller à la sécurité sanitaire. Comment y parvenir ? A cet égard, le travail de l'Igas, dans les mois à venir, sera décisif. Il y a eu défaillance grave sur le Mediator. Il faut en examiner les raisons comme on conduit l'analyse d'un crash aérien, pour savoir s'il est imputable aux circonstances, à une défaillance spécifique ou si c'est un schéma structurel qui peut donc se reproduire.
Vous m'interrogez sur les compétences en matière d'évaluation. Nous disposons d'un vivier de chercheurs et de praticiens hospitaliers de talent. Le métier de l'évaluation gagnerait à être mieux valorisé, il devrait faire naturellement partie d'une carrière de service public. Le développement des procédures contradictoires sont propres également à stimuler le système, à toutes les étapes : la vigilance scientifique peut s'émousser, il faut la stimuler. Il serait utile, enfin, de renforcer la veille scientifique en amont, qui n'était ni suffisamment développée, ni assez valorisée en 1997. Voyez ce que fait aujourd'hui l'Igas : elle va rechercher les publications anciennes qui auraient dû alerter. Mais au-delà des experts, il est bon d'associer aussi l'ensemble des professionnels à notre système de vigilance, pour développer une dynamique de santé publique.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Vous rejoignez là les propositions qu'avait formulées le Sénat en 2006, à la suite de l'affaire du Vioxx.Vous nous dites que vos compétences ne sont pas scientifiques. Mais c'est bien le directeur général de l'Agence qui est responsable des décisions scientifiques, qu'il signe.
M. Didier Tabuteau . - C'est en effet au directeur général qu'il revient non seulement d'organiser le système, mais de prendre les décisions. S'il ne le fait pas, il est fautif. Mais il n'a pas les compétences scientifiques nécessaires pour refaire l'analyse qui a été produite au sein de l'institution. Avant de signer, il s'assure qu'il y a bien eu analyse et que les propositions des instances scientifiques sont bien conformes aux conclusions de cette analyse.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Vous avez évoqué le rejet par l'Agence de tests de dépistage du Sida. Ne pensez-vous pas qu'il est des sujets sur lesquels on est plus vigilants que sur d'autres ? Je reviens d'une réunion de l'Académie de médecine où j'ai vu des chercheurs s'interroger sur le Subutex... Ma question est la suivante : y a-t-il des médicaments dont on tait systématiquement les effets secondaires possiblement nocifs ? Je pense notamment aux médicaments post-ménopause ou à l'association de contraceptifs avec d'autres principes actifs, dont on ne dit rien. Le levier du déremboursement est puissant, mais le contexte de l'information compte aussi : il peut conduire à occulter certaines pathologies aux conséquences majeures.
M. Didier Tabuteau . - Je ne suis pas pharmacologue, mais il est vrai qu'à l'époque, certains produits jugés sensibles étaient très suivis. Je pense en particulier aux produits sanguins. Cela étant, au vu des alertes et des décisions de pharmacovigilance, il me semble que le spectre du contrôle était très large et je n'ai pas l'impression que nous ayons été affligés de myopie sur certains secteurs. On sait aujourd'hui que l'on peut laisser de côté une question lourde, mais je n'en avais pas le sentiment alors.
Mme Marie-Christine Blandin . - M. Mirassou comparaît les « sachants » des laboratoires privés aux « sachants » des opérateurs publics. Mais je rappelle que ce sont toujours les laboratoires privés qui fournissent les études. Lorsqu'ils les transmettent, ce n'est pas sans quelques malencontreux coups de gomme. Je pense notamment à cette phrase, hélas disparue, d'une étude de 1999, qui signalait que « le benfluorex n'est qu'un précurseur de plusieurs métabolites immédiats dont la norfenfluramine » . Je me demande également si le système ne souffre pas d'avoir trop longtemps tenu à l'écart les lanceurs d'alerte. Il faut entendre les victimes, les médecins comme Irène Frachon. Il faut que leurs appels entrent dans un dispositif officiel.
M. Didier Tabuteau . - Il faut que les pouvoirs publics aient les moyens de conduire des études pharmaco-épidémiologiques et de pharmacologie clinique, financées sur fonds publics. Dès 1995, l'Agence a engagé quelques tentatives, en créant un comité d'appels d'offres - la première portait notamment sur les médicaments et la grossesse - afin que les pharmacologues cliniciens hospitaliers puissent mener de telles études sur crédits publics. Le niveau des crédits dont nous pouvions disposer était, certes, sans commune mesure avec ceux que peuvent mobiliser les laboratoires pour les autorisations de mise sur le marché, mais il nous gardait néanmoins d'une totale dépendance vis-à-vis des laboratoires - dont il reste juste, cependant, que des études leur soient imposées sur leurs produits pour éclaircir des points jugés douteux.
Je vous rejoins sur les lanceurs d'alerte. Ils ont besoin d'un statut protecteur - et cela, on sait le faire : on l'a fait sur la maltraitance. Il faut également que les alertes « dissidentes » puissent être entendues. Celles des associations de consommateurs ne suffisent pas. Des auditions publiques conduites à un rythme semestriel ou annuel en matière de pharmacovigilance ou d'autorisations de mise sur le marché donneraient l'occasion aux lanceurs d'alerte de développer leur discours devant une commission de scientifiques. C'est une démarche à mon sens indispensable. Les crises de sécurité sanitaire ont montré que les alertes étaient souvent la meilleure voie pour mettre au jour ce que même les meilleurs systèmes d'expertise n'avaient pas vu.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Entendez-vous qu'il faille en mettre en place dans tous les domaines ? Je pense aux sujets occultés, comme celui des implants mammaires. Mais cela a un coût...
M. Didier Tabuteau . - Tous les domaines touchant à la sécurité sanitaire méritent d'être couverts : produits de santé, pratiques médicales, environnement, alimentation... Autant les études pharmacologiques sont onéreuses, autant une meilleure prise en compte des lanceurs d'alerte, via des auditions publiques, ne l'est pas. Cela mobilise davantage les moyens de l'institution, sur quelques jours, que des crédits. Et cela constitue un utile instrument de pression sur les instances d'expertise.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Mais comment passer de ce dialogue scientifique à la prise de décision ?
M. Didier Tabuteau . - Lorsqu'un débat public a lieu, la presse s'en mêle, tous ceux qui ont leur mot à dire peuvent le faire valoir... Je n'imagine pas que les autorités sanitaires puissent rester sans rien faire dès lors qu'un problème aurait émergé. Y aurait-il eu un débat public, il y a quelques années, sur le Mediator et sa parenté chimique avec l'Isoméride, elles auraient inévitablement agi. La contradiction publique est indispensable.
M. François Autain, président . - Il est vrai qu'une meilleure prise en compte des alertes est essentielle. Mais j'aimerais, encore une fois, que l'on évite d'aller trop avant dans le diagnostic avant d'avoir procédé à un examen clinique approfondi... Je reviens donc à ce qui s'est passé en 1995. Le rapport de l'Igas indique que, le 18 mai, une enquête officieuse de pharmacovigilance a été ouverte sur le benfluorex. Entre les deux arrêtés sur les préparations magistrales, donc. Etiez-vous au courant ? Qui l'était ? Qui en a pris l'initiative ?
M. Didier Tabuteau . - Je ne sais pas vous répondre.
M. François Autain, président . - Le rapport dit que vous avez été soumis à des pressions. On accuse beaucoup le groupe Servier de tromperie. Avez-vous le sentiment d'avoir été abusé ? Estimez-vous que les laboratoires Servier pouvaient compter dans la place sur des gens qui n'ont pas recherché, sciemment, la vérité, pour que le benfluorex continue d'être commercialisé ? Les pressions dont il est question sont-elles liées aux décisions qui avaient été prises, qui, même sans être d'interdiction, entravaient le développement du médicament ? J'ai le sentiment que vous n'êtes pas le seul à avoir subi des pressions, puisque le rapport précise que l'on vous a demandé de produire une note d'information à l'attention du directeur de cabinet, M. Philippe Bas, à la suite d'interventions du laboratoire auprès du ministre. La lecture du rapport donne le sentiment que l'on a créé beaucoup de groupes ad hoc , comptant des personnalités qui n'étaient pas sans liens d'intérêts avec le groupe Servier, pour contourner la commission d'autorisation de mise sur le marché. Autant d'éléments qui ne plaident guère en faveur de l'impartialité de l'Agence dans sa prise de décision. Le doute est ravageur, monsieur le conseiller d'Etat : il faut restaurer la confiance.
M. Didier Tabuteau . - Ce que je puis dire, avec la distance du temps qui entame la précision du souvenir, c'est que, d'une manière générale, l'environnement de l'Agence n'est pas simple. Au moment de ma nomination, plusieurs articles sont parus dans la presse expliquant qu'elle était contestable. Ce qui ne facilite pas les choses pour asseoir son autorité... Quelques mois plus tard, une publication du secteur pharmaceutique annonçait que je quittais l'Agence. Episode quelque peu déstabilisant... Ainsi que je l'ai dit à l'Inspection générale, j'ai reçu plusieurs appels anonymes m'appelant à la prudence... Je suis allé voir Philippe Bas pour m'en ouvrir auprès de lui entre octobre et décembre 1996. Mais je ne peux pas affirmer que ces appels étaient liés à l'affaire du Mediator.
Pour le reste, il y a eu de nombreux articles de presse arguant que l'Agence européenne du médicament avait réhabilité l'Isoméride. Nous avons publié un communiqué de presse pour rétablir les faits, et dire que la décision européenne était parfaitement compatible avec la décision prise par l'Agence, un an plus tôt. On m'a demandé de me justifier. J'ai écrit une note pour dire qu'il s'agissait d'une nécessité de santé publique : c'était ce que me disaient les scientifiques, et ma conviction personnelle.
M. François Autain, président . - J'en viens à 1999, quand se pose la question de la fameuse réévaluation demandée par Martine Aubry, deux ans seulement après celle qui faisait suite à la directive européenne, laquelle rendait nécessaire la validation de 6 000 spécialités - le benfluorex, soit dit en passant, était alors passé au travers... Nouvelle évaluation, donc, de 4 000 médicaments : pour 835 d'entre eux, le service médical rendu (SMR) est jugé insuffisant. Vous avez dû renoncer à une intention première de déremboursement, pour des raisons que nous a expliquées le président du Comité économique des produits de santé, que nous venons d'entendre. Puisqu'il semble très difficile de retirer un médicament qui est déjà sur le marché, même si le service médical rendu est insuffisant, n'eût-il pas été bon, pour l'avenir, d'éviter d'emblée de mettre sur le marché de tels médicaments ? Or, ce que l'on voit depuis 1999 ne rassure pas... Entre 150 et 200 médicaments sont déposés, bon an mal an, qui ne marquent aucun progrès sur le protocole thérapeutique existant. Et il aura fallu dix ans pour arriver au déremboursement des fameux 835 médicaments.
M. Didier Tabuteau . - Il faut bien distinguer entre procédure de validation et procédure de réévaluation. La première porte un enjeu de santé publique, via l'évaluation du ratio bénéfices-risques. Après la directive européenne de 1975 sur l'évaluation du médicament, restaient, à la création de l'Agence, 4 500 dossiers en souffrance, alors qu'ils auraient dû être réglés avant 1990. La pression du comité économique et du ministère était donc très forte. La seconde procédure est d'une tout autre nature. Il s'agit de réévaluer l'engagement des finances publiques sur un médicament, procédure légitime, tant au regard de l'évolution des thérapeutiques que de la santé de nos finances sociales. Je suis partisan d'une réévaluation régulière. Ce qui ne veut pas dire, si la commission d'autorisation de mise sur le marché a bien fait son travail, qu'un médicament réévalué est totalement inutile. La question qui se pose est celle de la bonne utilisation des deniers publics. La lettre à la commission de transparence demandait que ce travail soit mené, qui devait conduire à une évolution du taux de remboursement, ou du prix. Cela a donné lieu à une série d'épisodes que relate le rapport.
Il se trouve qu'en 2000, j'ai été déchargé des fonctions de directeur-adjoint du cabinet du ministre, m'étant vu confier la charge de conseiller sur le projet de loi relatif aux droits des malades. Je n'ai donc pas suivi de près les discussions qui ont eu lieu autour de la réévaluation de 1999.
M. François Autain, président . - Vous étiez directeur du cabinet de M. Kouchner lorsqu'y a été reçue la note de 2001.
M. Didier Tabuteau . - Je n'en ai pas eu, que je me souvienne, connaissance. Elle était adressée aux conseillers du cabinet.
M. François Autain, président . - Nous vérifierons. Il me semblait que le directeur de la sécurité sociale vous avait envoyé une note concernant le Mediator.
M. Didier Tabuteau . - En décembre 2001. Au reste, la Direction de la sécurité sociale n'était pas placée sous l'autorité du ministre délégué à la santé. Il ne s'agissait pour nous que de rendre un avis, le plus souvent favorable au déremboursement.
M. François Autain, président . - J'en reviens aux médicaments à ASMR V. Il n'est pas normal que soient mis chaque année sur le marché des médicaments de ce type. Sur la fameuse liste des soixante-dix-sept, on en compte vingt-cinq ! Non seulement ils ne correspondent à aucun progrès thérapeutique, mais ils ne sont pas, pour certains, sans effets indésirables. Il y a bien là un enjeu de santé publique.
M. Didier Tabuteau . - La question se pose davantage de l'autorisation de mise sur le marché que du déremboursement. Une autorisation ne devrait être délivrée qu'aux médicaments qui améliorent le traitement de référence. Il existe certains domaines où cela est réellement le cas, comme l'oncologie. C'est sur cette voie qu'il faut avancer. La question est complexe, dans la mesure où elle est largement régie par des règles européennes et internationales. La France est de ce point de vue aux avant-postes, car l'appréciation se fait au regard du traitement de référence.
M. François Autain, président . - L'Europe centralise en effet de plus en plus de procédures. Nous n'avons pas la pleine maîtrise de l'autorisation de mise sur le marché. En revanche, nous avons la main sur la liste des médicaments remboursés. Il serait bon, devant la commission de transparence, de procéder à des essais comparatifs pour effectuer un classement.
M. Didier Tabuteau . - Rien n'est exclu. La décision de prise en charge permet de poser des exigences - sauf pour les génériques, réputés rendre, par construction, le même service médical.
M. François Autain, président . - Comment expliquez-vous que beaucoup de médicaments soient mis sur le marché à des prix supérieurs à ceux qui existent déjà...
M. Didier Tabuteau . - Je n'ai pas la réponse...
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Votre prédécesseur nous a dit que les prix n'étaient pas supérieurs à ceux qui sont pratiqués ailleurs en Europe.
M. Didier Tabuteau . - Qu'il existe une réglementation européenne pour la mise sur le marché ne nous interdit pas de la faire progresser. Voyez ce qui s'est passé avec les réactifs de laboratoire. La position française, portée au niveau du Parlement européen par Mme Veil, a imposé en janvier 1994 une révision du projet de directive, pour plus de sécurité. Preuve que l'on peut aller plus vite que quinze ans...
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Comment verriez-vous évoluer le système des agences ? Faut-il rompre tout lien financier avec l'industrie pharmaceutique, au risque de les priver de ressources propres ?
Vous vantez les vertus des donneurs d'alerte, mais la volonté de protéger la santé publique est-elle chez chacun d'eux toute-puissante ? Ne craignez-vous pas de voir le système bloqué par des interventions infondées ?
Vous dites oui à une réforme de l'autorisation de mise sur le marché. J'ai souvenir que, lorsque nous avons conduit nos auditions sur le Vioxx, on nous disait que l'analyse qui y présidait était fondée sur un modèle pasteurien. Or, aujourd'hui, des médicaments apparaissent pour traiter les maladies chroniques, sous forme de traitements à long terme. N'y a-t-il pas contradiction avec ce modèle ? D'où la difficulté à mettre en place les études préalables...
M. Didier Tabuteau . - Je ne sais pas répondre à cette dernière question, de nature scientifique, bien que j'en comprenne la légitimité.
En ce qui concerne le système de financement des agences de sécurité sanitaire, je puis vous dire qu'en 1993-1994, la subvention de l'Etat - subvention directe et mises à disposition de personnel confondues - était de l'ordre de 40 %, le reste étant assuré par des redevances. Ce qui importe à mon sens, c'est de rompre tout lien de l'Agence avec l'industrie pharmaceutique sur les dossiers individuels. L'idéal est à mon sens un équilibre entre la subvention publique et le produit d'une taxe sur le chiffre d'affaires de l'industrie pharmaceutique qui se justifie car il faut des ressources propres.
Un financement public à 100 % ne me paraît pas la solution optimale. La taxe sur le chiffre d'affaires est légitime, parce que l'Agence joue un rôle de surveillance permanente du marché. J'ajoute que ce financement équilibré, qui témoigne à la fois de l'engagement des pouvoirs publics tout en assurant à l'institution des ressources autonomes évite de mettre l'Agence dans une totale dépendance vis-à-vis des pouvoirs publics, qui autrement pourraient être tentés, s'ils l'estimaient un jour gênante, de la mettre à la diète sévère...
Qu'un dispositif d'alerte puisse susciter des manoeuvres, cela ne fait aucun doute. Nous avons martelé, quatre ou cinq ans durant, notre souci de la déontologie. A côté des pressions directes, il y a aussi celles, indirectes, des concurrents qui tentent d'obtenir l'interdiction. La manipulation est partout, elle peut se développer avec le contradictoire. Mais il y a, à mon sens, plus à gagner qu'à perdre en autorisant l'expression des contradictions. Il n'est pas si facile que cela de provoquer des alertes injustifiées.
M. Jean-Louis Lorrain . - Faut-il renforcer les droits des patients en matière de pharmacovigilance et leur donner la possibilité de conduire devant les tribunaux des actions collectives, comme c'est le cas aux Etats-Unis ?
Faut-il renforcer les pouvoirs de l'Etat en matière de contrôle économique du médicament ?
M. Didier Tabuteau . - La participation des usagers et de leurs associations à la vigilance sanitaire, notamment pour les pathologies chroniques, est un élément majeur d'évolution du système. La directive du 15 décembre 2010 va dans ce sens. Il faut renforcer cette évolution. Je ne suis pas hostile à d'éventuelles actions collectives. C'est un moyen de répondre rapidement aux souffrances des victimes, mais l'organisation juridique n'est pas simple. En revanche, les indemnisations punitives, à l'américaine, provoquent du contentieux et me semblent contreproductives.
S'agissant du contrôle économique, les perspectives de l'assurance maladie sont telles que la pression économique sur le prix et le remboursement ne peut que croître à l'avenir...
M. François Autain, président . - Les agences comme l'Agence du médicament ou l'Afssaps ont été chargées de la gestion et de l'évaluation des risques à la suite de crises, comme celle du Sida ou de la vache folle. Leur indépendance conduit à une forme d'« expropriation politique », alors que la protection de la santé publique est une mission incessible de l'Etat. Les ministres ne sont pas informés, se disent incompétents, sachant que les agences prennent leurs décisions au nom de l'Etat... M. Xavier Bertrand va jusqu'à proposer que le ministre n'ait plus la responsabilité du remboursement d'un médicament ! Dans quel sens faut-il aller ? Comment éviter que les autorités gouvernementales légitimes ne se trouvent, par trop, privées de pouvoir ?
M. Didier Tabuteau . - La sécurité sanitaire est une mission incessible de l'Etat, dont les agences sont les bras armés. Elles doivent avoir une autonomie scientifique, d'élaboration et de production d'alerte. Toutefois, même lorsqu'elles sont investies d'un pouvoir de police, délégué par le Parlement, elles doivent, à mon sens, jouer auprès du ministre le rôle d'une direction d'administration centrale, pour évoquer les risques perçus. C'est ainsi que fonctionne la Food and Drug Administration (FDA) américaine.
Les réunions régulières avec les directeurs des agences pour analyser les risques, en discuter et partager l'information assurent l'information du ministre en direct, sans remettre en cause l'autonomie des établissements. Pour ma part, j'ai toujours estimé que, si une décision de l'Agence me paraissait contraire à ce que je pensais, je démissionnerais.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Encore faut-il que le principe du contradictoire puisse émerger au sein de l'Agence, et que celle-ci fasse preuve d'ouverture d'esprit, par exemple en matière de procréation médicalement assistée.
M. Didier Tabuteau . - Nous sommes d'accord. Il faut veiller à la composition des comités, des structures qui alimentent le débat.
M. François Autain, président . - L'architecture du système d'évaluation et de contrôle du médicament, complexe, fait intervenir pas moins de cinq instances. Le ministre dit souhaiter que l'on réduise le nombre de commissions de l'Afssaps, et de leurs membres. Faut-il modifier l'architecture ? Fusionner la commission de la transparence et l'Afssaps ? Créer une seule entité pour le médicament ? N'y aurait-il pas alors un risque de gigantisme ? La pharmacovigilance doit-elle conserver une place à part ?
En matière de conflits d'intérêts, jouer la transparence suffit-il ? Comment garantir des décisions impartiales ? Ne faudrait-il pas ériger « un mur », comme le dit Martin Hirsch, entre les experts de l'Afssaps et l'industrie pharmaceutique ?
M. Didier Tabuteau . - Les organisations se figent ; il faut les remettre régulièrement en question, et pas seulement lors des crises. Une fusion en une seule grande agence me parait toutefois contreproductive : on aboutirait à un ministère bis , et l'on perdrait en réactivité. La question peut se poser en revanche dans le domaine de l'environnement.
S'agissant de l'organisation interne, on gagne toujours à réduire le nombre des divers comités et groupes, mais en veillant à conserver des compétences scientifiques qui sont de plus en plus spécialisées. Une rationalisation faciliterait également la mise en place de dispositifs de contrôle déontologique.
La fusion de la commission d'AMM et de la commission de la transparence entraînerait une confusion des genres. Il faudrait plutôt que la commission de la transparence devienne une vraie commission médico-économique qui prenne en compte le prix du médicament, l'impact médical et économique ; ce ne peut pas être la même instance qui prend la décision de santé publique sur le rapport bénéfices-risques.
Quant à fusionner la commission de pharmacovigilance et la commission d'AMM, surtout pas : ce sont deux métiers différents.
Les alertes montent des services d'inspection, de l'AMM, des laboratoires. Couper la pharmacovigilance des structures dédiées au médicament ferait perdre en information et en réactivité.
M. François Autain, président . - Il faudrait renforcer l'autonomie de la commission de pharmacovigilance, afin qu'elle n'ait plus besoin de passer par la commission d'AMM pour proposer un retrait.
M. Didier Tabuteau . - Il faut qu'elle ait une grande autonomie. La transparence, le contrôle des déclarations d'intérêts, des formations du personnel : tout cela a été mis en place par l'Agence entre 1993 et 1997. J'ai pu recruter un magistrat et créer une cellule de veille déontologique.
M. François Autain, président . - Nous allons l'auditionner.
M. Didier Tabuteau . - Je m'en félicite. Il faut contrôler la mise en oeuvre du droit. Ce type de cellule, qui exerce une sorte d'audit interne, est indispensable pour les agences, confrontées à la difficulté de gérer des centaines d'experts.
L'audit externe est tout aussi indispensable. J'avais proposé, dès ma nomination, que le service central de prévention de la corruption en soit chargé.
M. Jean-Louis Lorrain . - Ne serait-il pas utile de constituer des groupes de réflexion éthique au sein même des organismes, comme dans les hôpitaux ?
M. Didier Tabuteau . - C'est une démarche légitime, mais qui ne remplace pas la démarche purement déontologique. Il faut une cellule de veille qui forme les experts et fasse pression sur les gestionnaires des procédures.
M. François Autain, président . - Sur l'échelle de Richter des crises sanitaires, à quel niveau situeriez-vous l'affaire du Mediator, par rapport à celle du sang contaminé ?
M. Didier Tabuteau . - Je ne saurais comparer les drames. L'affaire du Mediator est une crise d'une intensité absolument exceptionnelle, compte tenu du nombre de personnes concernées, et parce qu'elle affecte la confiance envers tout le système de sécurité sanitaire.
M. François Autain, président . - Je suis d'accord. Merci.
Audition de M. Didier HOUSSIN, directeur général de la santé (mardi 15 février 2011)
M. François Autain, président . - Nous accueillons à présent M. Didier Houssin, directeur général de la santé.
M. Didier Houssin, directeur général de la santé . - Tout d'abord, j'indique que je n'ai pas de lien d'intérêt avec l'industrie pharmaceutique.
Au fil de ses quelque 3 000 pages, le rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) sur le Mediator, rendu public le 15 janvier 2011, mentionne la Direction générale de la santé (DGS) à trente-trois reprises. Il rappelle que si le benfluorex a été interdit dans les préparations magistrales en 1995 par la DGS, l'autorisation de mise sur le marché de la même substance a été maintenue par l'Agence du médicament, sous forme de médicament pour diabétiques ; qu'un rapport de la Cour des comptes sur l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) de mars 2006 n'a pas reçu de réponse de la DGS sur la conduite de la pharmacovigilance par l'Agence ; que la participation de représentants de la DGS aux différentes commissions nationales d'expertise sur le médicament n'a pas permis de générer une alerte ou une réaction plus précoce à propos du Mediator.
Deux critiques s'en dégagent donc. Si la DGS a eu une bonne réaction en 1995, elle n'a pas su mettre fin au paradoxe du maintien de l'utilisation du Mediator dans les préparations pharmaceutiques. Par ailleurs, elle n'a pas donné l'alerte malgré la présence de ses représentants dans le système de protection.
J'ai été informé régulièrement sur la pharmacovigilance dans le cadre des réunions hebdomadaires de sécurité sanitaire que j'anime. Sur 311 réunions qui se sont tenues en six ans, le directeur général de l'Afssaps m'a informé à soixante-treize reprises de questions de pharmacovigilance qui lui semblaient d'une particulière importance. C'est ainsi que le 28 octobre 2009, j'ai appris, en même temps, l'existence du Mediator et la démonstration récente d'un risque accru de valvulopathie liée à son utilisation. J'ai ensuite appris, le 2 décembre 2009, sa suspension effective par l'Afssaps, à la suite de l'avis de la commission d'autorisation de mise sur le marché (AMM) du 12 novembre 2009. Je tiens les comptes rendus de chacune de ces 311 réunions à votre disposition. De manière complémentaire, les représentants de la DGS au sein des commissions, notamment de pharmacovigilance, m'ont informé des conséquences à tirer concernant certains produits, s'agissant de décisions relevant de la DGS, par exemple à propos d'un vaccin contre le virus du papillome humain, de mucolytiques pour le nourrisson ou d'un médicament antidiabétique.
En matière de sécurité sanitaire du médicament, la DGS a un rôle de tutelle stratégique, dans le respect des missions de l'Afssaps, qui exerce sans contrôle hiérarchique ses pouvoirs de police sanitaire au nom de l'Etat. Dès le début des années 2000, la DGS a favorisé la modernisation de la pharmacovigilance, et promu la pharmaco-épidémiologie par diverses initiatives : la création, en août 2004, d'un groupement d'intérêt public sur l'évaluation épidémiologique ; le rapport demandé au professeur Bégaud sur l'évaluation des médicaments après leur mise sur le marché et la gestion des risques ; le financement par l'Afssaps d'études de pharmaco-épidémiologie à partir de 2005 ; la promotion de nombreuses études post-AMM ; la création en juillet 2005 d'un comité de liaison des études post-AMM ; enfin, le travail sur la coordination des vigilances dans le cadre du Comité d'animation du système d'agences (Casa). Surtout, des orientations ont été fixées à l'Afssaps en matière de veille, de surveillance, de réactivité aux risques dans le cadre de son contrat d'objectifs et de performance 2007-2010.
En matière de sécurité sanitaire, la DGS a pour rôle de veiller à la continuité de l'approvisionnement. L'Afssaps a ainsi publié, en 2009, une liste de médicaments dont la continuité de l'approvisionnement est indispensable, notamment en cas de pandémie grave. Une liste analogue a été établie concernant les dispositifs médicaux. Un plan de pharmacovigilance renforcée a été mis en place en 2009 concernant les produits utilisés dans le cadre de la pandémie grippale. Lors de phénomènes épidémiques graves, comme le méningocoque B en Seine-Maritime ou de menaces radiologiques, biologiques ou chimiques, la DGS a coordonné l'action de l'Afssaps et de l'établissement pour la préparation et la réponse aux urgences sanitaires.
L'affaire du Mediator a souligné la nécessité d'une amélioration dans la durée, dont le ministre a tracé les grandes lignes : organisation de l'expertise et conditions de sa crédibilité, organisation interne et financement de l'Afssaps, conditions de la vie du médicament, de son autorisation à son suivi.
L'Europe n'a pas tiré suffisamment les leçons de la crise du Vioxx. L'attention avait alors porté avant tout sur le renforcement de la surveillance lors de l'introduction de nouveaux médicaments, or le Mediator est un médicament ancien. La pharmacovigilance doit se rapprocher de l'AMM. C'est l'esprit de la nouvelle directive européenne sur les AMM. L'AMM n'est plus un aboutissement, mais le début de la vraie vie du médicament. Alors que le principe de précaution est parfois critiqué, le drame du Mediator souligne combien l'incertitude devrait profiter au patient. Restaurer la confiance, pour reprendre le titre de l'excellent rapport du Sénat en 2006, passera par un renforcement de l'approche de précaution.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Quand et comment avez-vous été informé de la nocivité du Mediator ?
M. Didier Houssin . - Le 28 octobre 2009 à 9 heures, en réunion de sécurité sanitaire, lorsque le directeur général de l'Afssaps a indiqué que la commission de pharmacovigilance venait de l'alerter d'un risque accru de valvulopathie, et annoncé que la commission d'AMM allait se prononcer rapidement.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Avez-vous eu les moyens de réagir aux retraits de médicaments dans d'autres pays, sachant que le Mediator a été retiré en Espagne et en Italie en 2003-2004 ?
M. Didier Houssin . - Je n'étais pas informé de cette suspension. Le rapport de l'Igas s'interroge sur la circulation de l'information entre l'échelon européen et les Etats membres. Après 2003, le Mediator n'était plus utilisé qu'en France ; cela explique que la vigilance européenne se soit éteinte.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Il est difficile de concevoir que les autorités compétentes ne soient pas au courant du retrait d'un médicament chez nos voisins ! Est-ce dû au cloisonnement des circuits d'information ?
M. Didier Houssin . - J'ai fréquemment été alerté du retrait de produits à l'étranger, soit parce que l'information était sur la place publique, soit par l'Afssaps. Le Mediator avait pour particularité de n'être utilisé qu'en France. Après 2003, l'Europe n'avait plus guère de raison d'intervenir...
M. François Autain, président . - Bref, on aurait pu se passer d'Europe !
M. Didier Houssin . - L'apport européen est important, car il est fort utile d'analyser les effets d'un médicament sur un territoire et une population étendus.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Le nombre de décès attribuables au Mediator varie selon les études entre 500 et 2 000. Avez-vous pu affiner les statistiques du nombre de décès et d'hospitalisations ? Pouvez-vous nous dire la réalité des chiffres ?
M. Didier Houssin . - L'étude de la Cnam sur des patients hospitalisés pour valvulopathie, qui a démontré un lien avec la prise du Mediator, a dénombré quarante-six décès sur quatre ans et demi. Le médicament existe depuis trente ans : en faisant une règle de trois, Catherine Hill a donc estimé à environ 500 le nombre de décès imputables au médicament. Une autre étude, menée par Mahmoud Zureik et Agnès Fournier de l'Inserm, prend en compte la mortalité sur le long terme : ils estiment le nombre de décès possible entre 1 000 et 2 000. Certaines valvulopathies vont toutefois pouvoir être dépistées et traitées, notamment grâce au comité de suivi mis en place par le ministère, ce qui devrait éviter des décès.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Les chiffres de 500 comme de 2 000 décès ne sont donc que des estimations ? Comment appréhender l'information que nous recevons ? Combien de décès sont imputables au Mediator ?
M. Didier Houssin . - L'étude de la Cnam en identifie quarante-six, sur une période de quatre ans. Reste à déterminer la part de responsabilité du Mediator dans ces morts. Le chiffre de 500 est en revanche une estimation statistique.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Le constat actuel est donc de quarante-six morts. Les autres chiffres sont des estimations auxquelles on parvient par des calculs différents.
M. François Autain, président . - Quels que soient les chiffres, tout mort est un mort de trop ! L'amplitude de la réaction découle sans doute des chiffres annoncés, mais il était nécessaire d'alerter la population sur le risque que présentait le Mediator.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - La DGS a publié une liste de soixante-dix-sept médicaments sous surveillance, tout en indiquant que les patients ne doivent pas pour autant interrompre ou modifier leur traitement sans consulter leur médecin. Quelles sont les implications en termes de contrôle ? Quand donnerez-vous des informations supplémentaires sur ces médicaments ? Quelles dispositions prenez-vous vis-à-vis des médecins ?
M. Didier Houssin . - La pharmacovigilance concerne l'ensemble des médicaments, mais certains font l'objet d'une surveillance renforcée : les médicaments nouveaux ; les médicaments pour lesquels la balance bénéfices-risques est discutable ; ceux pour lesquels on peut craindre un mésusage - comme dans le cas du Mediator.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Quelle attitude doit-on concrètement adopter quand on prend du Lévothyrox ou du Subutex ?
M. Didier Houssin . - Ce n'est pas tant le Lévothyrox qui pose problème que certains génériques. Il ne faut surtout pas arrêter le traitement mais, en cas de doute, interroger son médecin. La transparence a des avantages mais aussi des inconvénients !
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - La décision d'AMM se fait sur un modèle pasteurien ; n'y a-t-il pas une inadéquation entre ce modèle et les pathologies chroniques pour lesquelles nombre de ces médicaments sont pris ?
M. Didier Houssin . - La grande majorité des médicaments sont aujourd'hui à usage prolongé, pour des maladies chroniques. Je ne dirais pas pour autant que toute la philosophie de la chaîne du médicament est marquée par la théorie pasteurienne et le rythme de la maladie infectieuse. L'usage de l'insuline, par exemple, est ancien.
L'opinion doit comprendre que le médicament n'est pas un aliment : il contient un principe actif et a, de par sa nature même, des inconvénients. En matière d'effets indésirables, les statistiques sont essentielles. Comment savoir si une pathologie, qui peut être rarissime, est liée à la prise d'un médicament ou survenue spontanément ? C'est toute la difficulté de la pharmacovigilance.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Le rapport de la mission d'information du Sénat sur le Vioxx a-t-il été pris suffisamment au sérieux ? Nos propositions, qui ressemblent fort à celles que fait aujourd'hui l'Igas, n'ont guère été traduites dans les faits...
M. François Autain, président . - J'ai tenté d'assurer le service après-rapport en déposant nombre d'amendements, presque tous refusés par le Gouvernement. En six ans, j'en ai fait adopter deux, dont un qui étend aux patients la possibilité de notifier les effets indésirables d'un médicament - et pour lequel nous attendons toujours le décret d'application.
M. Didier Houssin . - Le rapport du Sénat de 2006 faisait vingt-cinq recommandations. Je vous ferai parvenir un document retraçant les suites qui leur ont été données. La notification par les patients figure dans la directive européenne du 15 décembre 2010, et a été mise en oeuvre par anticipation lors de la pandémie grippale.
M. François Autain, président . - A l'époque, je n'avais même pas reçu le soutien du Gouvernement, qui s'en était remis à la sagesse du Sénat ! A quand le décret ?
M. Didier Houssin . - Je vous répondrai par écrit.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - En matière d'organisation institutionnelle, comment s'opère la coordination entre agences ? Quelle est le rôle du Casa ?
M. Didier Houssin . - Chaque mercredi, j'anime une réunion de sécurité sanitaire centrée sur l'actualité, qui rassemble, outre le cabinet du ministre, les directeurs généraux de l'Afssaps, de l'Institut nationale de veille sanitaire (InVS), de l'Agence nationale chargée de la sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), de l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (Inpes), de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), de l'Autorité de sûreté nucléaire, de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), un représentant de la direction de la sécurité civile, et souvent la directrice générale de l'alimentation. C'est le lieu du partage de l'information et de la coordination, sachant que de nombreux sujets, comme les accidents de radiothérapie ou les phénomènes épidémiques, relèvent de plusieurs agences.
Le Casa, autour du DGS, opère à un niveau plus stratégique : mutualisation de l'expérience, portage de projets en commun. Il se réunit environ tous les deux mois.
M. Jean-Louis Lorrain . - La canicule de 2003 a révélé l'étendue du mésusage des psychotropes, dont les Français sont de gros consommateurs. Trop de médecins font le choix de la facilité dans la prescription, notamment pour les personnes âgées. Ce sujet doit être une priorité.
M. François Autain, président . - L'excellent rapport Zarifian donnait l'alerte dès 1995, et faisait des propositions concernant le mésusage des psychotropes. Plus récemment, il y a eu le rapport de notre ancienne collègue députée Maryvonne Briot.
M. Didier Houssin . - Ce sujet dépasse le cadre de la régulation du médicament : il s'agit de la prescription, du rôle du médecin, du pharmacien, de leur formation, de la relation entre patient et médecin... Sans doute la tendance à la prescription médicamenteuse est-elle trop accentuée en France. L'affaire du Mediator conduira peut-être à plus de mesure... Nous travaillons sur les conditions de prescription, notamment sur la base du rapport d'information de Catherine Lemorton.
M. Gilbert Barbier . - Que pensez-vous du rapprochement que fait l'Igas entre l'affaire du Mediator et celle du sang contaminé ?
L'Afssaps décide du retrait d'un médicament sans que le politique en soit informé. Quelle est votre appréciation sur l'indépendance des agences vis-à-vis du pouvoir politique ?
Dans quelle mesure la DGS est-elle été informée des alertes, comme celle concernant le Mediator signalée à Marseille en 1999 ? M. Mattei nous a dit n'avoir été au courant de rien durant son passage au ministère, alors que le problème du Mediator avait été soulevé à l'étranger.
M. Didier Houssin . -Le sang comme le Mediator sont des produits de santé, mais l'affaire du sang contaminé s'inscrivait dans un contexte peu réglementé, tandis que le médicament est aujourd'hui très encadré, avec une agence solide, et le Mediator est un produit ancien. C'est l'illustration de la théorie des catastrophes, avec toute une série de défaillances : positionnement « furtif » du médicament, anorexigène habillé en antidiabétique, occasions manquées, garde-fous qui n'ont pas fonctionné... L'analyse en sera instructive.
M. François Autain, président . - Peut-on parler de tromperie de la part des laboratoires Servier ?
M. Didier Houssin . - Je ne puis répondre. C'est à la justice de dire s'il y a eu habileté, ou plus...
La relation entre la DGS et l'Afssaps n'est pas hiérarchique. Le ministère infléchit bien entendu les orientations stratégiques de l'Agence, mais dans son domaine de spécialité, elle fait son travail d'évaluation et de gestion des risques. Ma relation avec le directeur général de l'Agence est excellente, mais il ne pouvait me parler que de ce dont il était lui-même informé ! La vraie question est de savoir à quel moment un signal est constitué, et quand les conditions de son émergence sont rassemblées. Il n'y a pas de rupture entre le pouvoir politique et les agences, qui sont un moyen pour l'Etat d'agir de façon spécialisée, avec des moyens dédiés. L'information circule.
Bien que ce soit rare, puisque les décisions prises sont habituellement fondées, le ministre, juridiquement, peut imposer sa volonté.
Il faut avoir à l'esprit que plus de 12 000 médicaments sont utilisés en France, dont 8 000 sont vendus en officine et 4 000 utilisés dans les hôpitaux.
M. François Autain, président . - Le professeur Mattei parle de 40 000 médicaments.
M. Didier Houssin . - Certains médicaments ne sont plus commercialisés...
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Incluez-vous les dispositifs médicaux ?
M. Didier Houssin . - Non, s'ajoutent en effet les dispositifs médicaux, très nombreux et divers, les cosmétiques et les logiciels. Aucun ministre ne peut savoir ce qui se passe avec chaque médicament.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Des alertes peuvent-elles être occultées pour des raisons de mode ? Je pense notamment aux implants mammaires, dans un contexte de développement de la chirurgie esthétique, et aux psychotropes.
M. Didier Houssin . - Le système des médicaments est très cadré. Il est particulièrement sécurisé, notamment grâce à la chaîne pharmaceutique.
M. François Autain, président . - Disant cela, vous vous exposez...
M. Didier Houssin . - ...à ne pas être cru.
M. François Autain, président . - ...à devoir vous expliquer.
M. Didier Houssin . - Certes l'affaire du Mediator vient me démentir, mais la sécurité des dispositifs médicaux m'inquiète bien plus.
M. François Autain, président . - Vous avez raison.
M. Gilbert Barbier . - Pourquoi ne pas être intervenu à propos de la directive européenne transposée la semaine dernière par le Sénat, qui autorise l'importation de dispositifs médicaux d'occasion après une simple certification par un organisme étranger situé dans un Etat membre ? Cette disposition m'inquiète beaucoup. Un amendement a été adopté à l'unanimité en commission, mais rejeté en séance publique. Le principe de subsidiarité s'applique pourtant en matière de santé publique.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - La traçabilité des prothèses est elle suffisante ?
M. François Autain, président . - Rappelez-vous : vous devez défendre le Gouvernement !
M. Didier Houssin . - Avec les dispositifs médicaux, nous devons faire face à une extrême diversité, en raison de l'existence de producteurs plus petits et de la difficulté accrue de conduire une évaluation des essais cliniques.
Les implants mammaires posent un défi d'autant plus redoutable que des fraudes ont eu lieu. En matière de médicaments, la France est à peu près épargnée par les médicaments falsifiés, mais le problème pointe à l'horizon.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Il existe déjà dans certains endroits.
M. Gilbert Barbier . - Certaines sociétés qui fabriquent des sondes endocavitaires les ont retirées sans la moindre intervention de la pharmacovigilance. Et dans ce cas, ce ne sont pas des petites sociétés.
M. Didier Houssin . - Il s'agit ici de matériovigilance. Dans le cas évoqué, il a été décidé de retirer les sondes, plutôt que de risquer des accidents mortels.
M. Gilbert Barbier . - C'est la société productrice qui l'a fait.
M. Didier Houssin . - En liaison, je suppose, avec les médecins et les chirurgiens.
M. Philippe Darniche . - L'affaire du Mediator est très spécifique. Le Glifanan a été retiré après de nombreuses années d'utilisation...
M. François Autain, président . - ...le Di-Antalvic aussi...
M. Philippe Darniche . - ...avant de découvrir ses propriétés qui détruisaient le foie dans des délais de vingt-quatre ou quarante-huit heures. Dans le cas du Mediator, l'AMM ne correspondait pas aux véritables propriétés de ce médicament, dont nous savons tous aujourd'hui qu'il est un anorexigène.
M. François Autain, président . Pas tous : le professeur Alexandre n'est pas d'accord. Cela figure dans le rapport.
M. Philippe Darniche . - Monsieur le directeur général, avez-vous lancé une recherche sur les « Mediator en puissance », ceux dont les indications de l'AMM ne coïncident pas avec les propriétés pharmacologiques du produit ?
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Cela nous éviterait de créer en juin une nouvelle mission commune d'information...
M. Philippe Darniche . - J'ai apprécié vos trois idées de conclusion, notamment la nécessité de rapprocher AMM et pharmacovigilance. Vous avez raison, mais comment faire ?
M. Didier Houssin . - La vigilance s'atténue dès qu'il s'agit de médicaments anciens. Il faudrait systématiquement les passer en revue.
Vous avez raison d'attirer l'attention sur les médicaments à double usage, comme les sulfamides hypoglycémiants, dont le positionnement est ambigu.
Ma réflexion sur le rapprochement à opérer entre pharmacovigilance et AMM tient notamment à la difficulté de comparer les signaux d'alerte et l'efficacité des produits. La directive européenne sur la pharmacovigilance va dans ce sens : la commission de pharmacovigilance au niveau européen a une capacité, sinon de retrait, du moins d'enclencher un processus conduisant à la suspension ou au retrait d'un médicament. Pour la France, le mieux est que la commission d'AMM travaille avec la pharmacovigilance, ce qui suppose d'adapter les structures administratives et scientifiques. Cela pose le problème des processus, il faudra éviter certains effets de silo, voire des antagonismes. Malgré mon grand respect pour Jean-François Girard, je ne partage pas sa crainte d'un conflit d'intérêts entre l'autorisation et la suspension car, en pratique, la décision n'appartiendra guère aux mêmes personnes.
M. François Autain, président . - Certains siègent à la commission d'AMM depuis plus de vingt ans !
M. Didier Houssin . - Le mieux est d'internaliser les compétences de pharmaco-épidémiologie : il faut proscrire l'analyse distincte de l'intérêt pharmaceutique et des dangers potentiels, car l'analyse d'un médicament n'a de sens que via l'approche simultanée des bénéfices et des risques.
M. François Autain, président . - Une aventure comme celle de 1995 pourrait- elle se reproduire ? M. Tabuteau pense qu'un texte de 1998 a mis fin à l'incohérence entre la surveillance des préparations pharmaceutiques et celle des préparations magistrales.
M. Didier Houssin . - Ce doit être exact, mais je vais vérifier.
M. François Autain, président . - Vous n'avez pas cité le rapport du professeur Queneau sur la iatrogénie médicamenteuse, un sujet dont on ne parle guère, contrairement aux accidents de la route et aux maladies nosocomiales. Certes, il est impossible de chiffrer le nombre de morts, mais le rapport commandé par M. Barrot et remis à un de ses successeurs comporte des propositions de bon sens.
S'agit-il à vos yeux d'un problème de santé publique ? Faut-il lui accorder une priorité ? Dans son livre consacré à la canicule, le professeur Abenhaïm, ancien directeur général de la santé, mentionne 18 000 décès. Un consensus paraît se dégager pour imputer 150 000 hospitalisations annuelles à la iatrogénie médicamenteuse. Ne faudrait-il pas que les hôpitaux adoptent à son sujet des dispositions analogues à celles relatives aux maladies nosocomiales ?
Je ne méconnais pas la difficulté à traiter de ce sujet au cours d'une formation financée par des laboratoires... Pensez-vous que ce sujet deviendra prioritaire ?
M. Didier Houssin . - Vous évoquez l'une des principales causes d'accident grave à l'hôpital et en pratique de ville. Répétée récemment, l'enquête nationale sur les événements indésirables liés aux soins (Eneis) a mis en évidence ses trois principales sources : les iatrogénies médicamenteuses, les maladies nosocomiales et les complications chirurgicales. Le sujet que vous abordez est donc important, ce qui ne signifie pas que rien ne soit fait.
M. François Autain, président . - Je ne l'ai pas prétendu !
M. Didier Houssin . - Des initiatives sont prises dans les établissements de santé, à commencer par l'action des pharmacies hospitalières. Toutefois, subsistent des défaillances de prescription, notamment d'incompatibilité entre produits. En ce domaine, les logiciels d'aide à la prescription ouvrent de grands espoirs, mais ils ne sont pas encore opérationnels. A cela s'ajoutent de mauvaises transmissions d'informations.
M. François Autain, président . - Vous assurez la coordination des plans de gestion des risques, avec des résultats qui n'ont rien de spectaculaire. Je parle surtout des études post-inscriptions. On dénombre aujourd'hui 228 plans de gestion des risques pré- AMM et 22 post-AMM, soit 250 au total, qui relèvent d'une procédure nationale centralisée, sans compter les procédures européennes. De son côté, l'Afssaps en ajoute 29.
Est-ce que ces plans de gestion permettent de réaliser des études conjointes post-AMM ? Paradoxalement, certaines études post-AMM conduites par la commission de transparence sont gérées par le Comité économique des produits de santé (Ceps), ce qui pose la question du rapprochement de ces structures, sans aller jusqu'à leur fusion. Parmi les 126 demandes d'étude que le Ceps a formulées depuis 2004, seules 19 % sont terminées, alors que 47 % n'ont pas encore reçu un début de commencement. Avez-vous connaissance de cette situation et quelles actions avez-vous entreprises ? A ce propos, le président du Ceps a déclaré avoir eu, un moment, un « projet de sanction » ! J'ignorais l'existence de cette notion. La police sanitaire est plus compréhensive à l'égard des laboratoires que la police avec les automobilistes, alors que la sécurité des patients est en cause. On met souvent sur le marché des médicaments dont on ne connaît pas les effets indésirables ni le rapport entre le bénéfice et les risques, et l'on est en droit d'avoir une surveillance effective par les plans de gestion des risques ou les études post-AMM. Si ces études sont demandées uniquement pour se couvrir, c'est une fausse sécurité qui n'est pas de nature à restaurer la confiance dans le médicament.
Je crois que vous avez mis en place des structures de coordination, mais je parle franchement : le résultat n'est pas bon.
M. Didier Houssin . - Pour les nouveaux médicaments, les plans de gestion des risques sont mis en place dans une optique de sécurité sanitaire. L'initiative est souvent européenne, mais l'Afssaps peut intervenir de son propre chef. Vous avez tout à fait raison, et c'est ce que le ministre a dit récemment en déclarant qu'il est important que les laboratoires soient conscients que ces études ne doivent pas traîner et être conduites en temps nécessaire. Si les études peuvent prendre du temps, il faut aussi fixer des limites.
M. François Autain, président . - Il faut au moins commencer les études !
M. Didier Houssin . - Celles effectuées post-inscription apprécient l'utilisation du produit, dans un esprit qui n'est pas nécessairement axé sur la sécurité sanitaire : il s'agit plutôt de légitimer le niveau de prise en charge par la solidarité nationale. Sur ce sujet, je reconnais qu'il faudrait peut-être aller plus rapidement et peser davantage sur les laboratoires.
M. François Autain, président . - Les retards justifient des sanctions financières, à l'égard de personnes qui ne sont pas insolvables.
M. Didier Houssin . - Nous avons mis en place le comité de liaison, en 2005, pour éviter les doublons. Cependant, je retiens votre message, d'aller plus vite, et éventuellement de façon de plus ferme...
M. François Autain, président . - Il faut aussi sanctionner, lorsque c'est nécessaire, et ne pas s'en tenir à des projets de sanction : la disposition existe, elle a été intégrée à l'accord-cadre et il n'y a aucune raison de ne pas l'appliquer. Je vous demande d'intervenir auprès de M. Noël Renaudin, qui ne semble pas en avoir pris la pleine mesure... Je vous remercie d'avoir répondu à nos questions.
Audition de M. Bruno TOUSSAINT, directeur de la revue Prescrire (jeudi 17 février 2011)
M. François Autain , président . - L'audition étant publique, je dois vous demander, en application de l'article L. 4113-13 du code de la santé publique, de nous faire connaître, si vous en avez, vos liens avec des entreprises produisant ou exploitant des produits de santé ou avec des organismes de conseil intervenant sur les produits concernés.
M. Bruno Toussaint, directeur de la revue Prescrire . - Comme tout rédacteur de Prescrire , je n'ai aucun lien d'intérêts avec aucune firme du domaine de la santé.
M. François Autain , président . - Merci. Je vous laisse à présent la parole pour une intervention liminaire avant que Mme le rapporteur et nos collègues ne vous posent un certain nombre de questions.
M. Bruno Toussaint . - Le fait que la séance soit publique est extrêmement important pour répondre aux questions qui se posent. En effet, un des éléments du drame du Mediator, qui a fait des milliers de victimes (personnes handicapées ou mortes), réside dans le secret, dans la rétention d'informations. Il apparaît donc extrêmement important qu'en antidote, l'ensemble des personnes intéressées bénéficient d'une grande transparence et d'une information satisfaisante.
Selon nous, le dossier du Mediator n'est pas un cas isolé ou une « histoire française » mais le révélateur d'un ensemble de dysfonctionnements graves du système d'administration des médicaments, s'agissant tant de l'autorisation de mise sur le marché et de la surveillance que des procédures de retrait du marché. Les procédures et les dysfonctionnements n'ont en l'occurrence rien de spécifiquement français. Les règles du jeu sont en effet identiques, avec quelques nuances, dans l'ensemble des pays européens et du reste du monde. Il apparaît par conséquent extrêmement important que la lumière soit faite sur le dossier du Mediator. Il est effectivement essentiel d'en tirer un grand nombre de leçons pour modifier un grand nombre de paramètres en France et dans le reste du monde.
Je préfère à présent répondre à vos questions.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Quels sont les dysfonctionnements constatés aujourd'hui sur le marché en matière d'autorisation et de retrait au niveau français, au niveau européen et au niveau mondial ? Existe-t-il notamment, selon vous, une différence entre les dysfonctionnements constatés dans le recours au Vioxx, pour lequel le Sénat et l'Assemblée nationale avaient conduit une mission d'information, et le cas du Mediator ? Autrement dit, dans le cadre de chaque retrait d'un médicament, le Sénat, l'Assemblée nationale etc., seront-ils amenés à conduire une mission d'information ? Existe-t-il des dysfonctionnements récurrents en l'occurrence qui devraient rapidement être corrigés ?
M. Bruno Toussaint . - Les difficultés sont identiques partout, avec seulement quelques nuances. Le désastre du Vioxx est simplement apparu comme davantage américain. Il s'agit en effet d'un médicament américain, tandis que les seules statistiques sérieuses disponibles sur les victimes ont été américaines. En France, nous n'avons presque rien su. Il n'en demeure pas moins que les ingrédients sont identiques. L'ensemble des dysfonctionnements mis à jour après le scandale du Vioxx, y compris dans le cadre de la mission d'enquête sénatoriale, sont ainsi toujours à l'oeuvre. Aucune des préconisations de l'époque n'a effectivement été mise en oeuvre. Les conditions n'ont pas changé. Si rien ne change à présent, nous subirons d'autres désastres de grande ampleur. Il s'agit d'une évidence.
Si nous considérons la liste, qui est déjà connue, nous pouvons constater que l'autorisation de mise sur le marché (AMM) est accordée selon un dossier monté par la firme elle-même. La firme pharmaceutique est par conséquent placée dans un conflit d'intérêts massif puisque les pouvoirs publics lui demandent d'évaluer elle-même le médicament dont elle sollicite l'autorisation de mise sur le marché pour gagner de l'argent. Il conviendrait en réalité que la recherche sur le médicament, en particulier la recherche clinique, ne soit plus financée majoritairement par l'industrie pharmaceutique. Ensuite, en ce qui concerne les critères d'obtention de l'AMM, aussi longtemps que des preuves de progrès thérapeutique apportées par le nouveau médicament par rapport aux moyens déjà à disposition ne sont pas exigées, nous serons confrontés à des médicaments qui font courir des risques injustifiés aux patients. Dans le système actuel, une firme peut en effet obtenir une autorisation de mise sur le marché pour un médicament qui n'apporte aucun progrès par rapport à l'existant. Parallèlement, il existe un nombre suffisant de moyens de communication pour convaincre un grand nombre de prescripteurs de prescrire le médicament. L'affaire est donc rentable sans dégager le moindre progrès. Bien entendu, eu égard aux incertitudes qui entourent les effets indésirables dans le dossier d'AMM (qui ne porte que sur quelques centaines de patients), dès lors que le médicament est largement distribué dans la population, de nouveaux effets indésirables sont découverts, parfois extrêmement graves.
Le système actuel d'AMM, en France et ailleurs, est en définitive trop perméable à des médicaments qui n'apportent aucun progrès, voire qui représentent une régression thérapeutique. Malgré tout, les firmes pharmaceutiques disposent d'un nombre suffisant de moyens de promotion pour gagner de l'argent avec de tels médicaments. Le système perdure ; la population reste ainsi exposée à un trop grand nombre de médicaments plus dangereux qu'utiles.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Parlons concrètement. Une liste de soixante-dix-sept médicaments sous surveillance vient d'être publiée, parmi lesquels le Levothyrox. Certains médecins affirment cependant que le retrait des prescriptions de Levothyrox pourrait engendrer des difficultés thyroïdiennes conséquentes chez les patients qui l'utilisent. Quels commentaires pouvez-vous apporter dans le domaine ?
M. François Autain , président . - Si vous me le permettez, madame, j'ajouterai une question. Parmi les soixante-dix-sept médicaments dont il est question, vingt-cinq médicaments ont une ASMR V (amélioration du service médical rendu). N'est-il pas plus simple dès lors de retirer du marché les médicaments concernés, qui non seulement sont inutiles mais sont également dangereux puisqu'ils bénéficient d'une surveillance particulière ?
M. Bruno Toussaint . - La liste des soixante-dix-sept médicaments sous surveillance est particulièrement confuse. Elle a fait naître un grand nombre d'angoisses. Elle pourrait se révéler désastreuse. Son unique avantage réside dans le fait qu'elle permet d'aborder le sujet à grande échelle puisqu'un grand nombre de personnes se sentent désormais concernées.
Pour répondre à vos questions, le Levothyrox est le nom commercial du produit. La substance active est la lévothyroxine. Il s'agit de l'hormone humaine produite par la thyroïde. Elle est indispensable à des personnes dont la thyroïde est devenue inefficace en raison de telle ou telle maladie. Le médicament est donc essentiel. Il est connu depuis des décennies. Sa présence sur la liste n'est à cet égard motivée que par certains de ses génériques, signalés pour leur inefficacité. Le sujet n'est donc ni la surveillance de la lévothyroxine, qui est très bien connue, ni la surveillance du Levothyrox, mais l'absence de qualité de certains génériques. Il s'agit d'un problème particulier qui n'a aucun rapport avec le Mediator. Il est choquant à cet égard de voir le Levothyrox mis sous surveillance.
Par ailleurs, rappelons que le niveau 5 de l'ASMR sous-tend précisément l'absence d'amélioration du service médical rendu. Les médicaments qui présentent une ASMR de niveau 5 n'apportent a priori aucun progrès par rapport à l'existant. Nous sommes donc en droit d'être particulièrement exigeants vis-à-vis des effets indésirables des médicaments concernés. Leurs effets indésirables devraient suffire en l'occurrence à les évincer du marché. Pour autant, les médicaments concernés sont inutiles dans le sens où ils font double emploi. Doivent-ils être retirés ? Je n'ai, pour ma part, pas analysé la liste sous cet angle. Je ne peux donc aller aussi loin.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Vous affirmez que lorsqu'un médicament est mis sur le marché, il existe un obstacle particulier dans le fait que la recherche clinique est financée par l'industrie pharmaceutique. Dans le cadre de la mission que nous avons conduite sur le Vioxx, il nous avait été précisé que lorsqu'un médicament est mis sur le marché, il l'est selon un modèle pasteurien, appliqué à une population qui souffre d'une pathologie chronique. N'existe-t-il pas, par conséquent, un dysfonctionnement entre la norme qui permet au médicament d'être présent sur le marché et la population qui prendra le médicament ? Le problème en l'occurrence ne relèverait pas du financement mais de la norme et du modèle.
M. Bruno Toussaint . - Dans le système actuel, les firmes pharmaceutiques sont incitées à conquérir des parts de marché plus larges, d'un marché qui sera chronique et qui concernera un grand nombre de personnes. Je veux signifier ainsi que l'intérêt des firmes pharmaceutiques consiste actuellement à vendre le plus grand nombre de médicaments, le plus longtemps possible, au plus grand nombre de personnes possible. Avec un tel modèle, un grand nombre de firmes accomplissent des efforts pour conquérir des parts de marché sur lesquelles elles ne prétendent pas guérir avec les médicaments qu'elles proposent, par exemple pour le diabète de type 2 : aucun des médicaments actuels, dont certains sont controversés, ne guérit du diabète. Il est nécessaire de les prendre indéfiniment pour espérer prévenir une partie des complications. Les recherches ne portent plus par conséquent sur des médicaments qui visent à guérir un certain nombre de problèmes (par exemple, sur les anti-infectieux). Vioxx est notamment un anti-inflammatoire qui ne guérit rien. Ses promoteurs n'ont aucune prétention à guérir d'une quelconque maladie. Il s'agit d'un médicament symptomatique qui vise les rhumatismes chroniques. Les anti-inflammatoires ne guérissent pas dans le domaine. Ils diminuent en partie les symptômes pour une partie des patients. L'arrêt des médicaments entraîne ainsi un retour en arrière, même si la maladie a ses fluctuations. Je crois par conséquent que nous ne devons pas croire que la recherche actuelle porte sur des médicaments qui viseraient à guérir les maladies. Les firmes, au contraire, se sont entêtées à gagner des parts de marché sur des maladies chroniques qu'elles ne guérissent pas.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Dès mai 1997, vous avez publié un certain nombre d'articles sur le Mediator. A quelle date le médicament aurait-il dû être retiré de la vente ? Avez-vous, en outre, écrit des articles sur d'autres médicaments dont personne ne se soucie aujourd'hui mais qui pourraient être retirés de la vente ?
M. Bruno Toussaint . - Il convient de se montrer exigeant avec les médicaments, de réaliser un tri pour conserver ceux d'entre eux qui rendent des services importants et d'éliminer les médicaments de second ordre qui sont plus dangereux qu'utiles. Ils sont nombreux dans les pharmacies familiales, dans les officines, dans les pharmacies d'hôpitaux, dans les traités de médecine, dans les périodiques d'information, dans le cerveau des médecins, des pharmaciens et des infirmiers, etc. Il est nécessaire de se concentrer sur les médicaments importants et les progrès réels. Depuis trente ans, une des rubriques de Prescrire baptisée « Rayon des nouveautés » a précisément pour objectif de réaliser un tri parmi les nouveaux médicaments.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Aujourd'hui, pensez-vous que l'aspirine serait mise sur le marché ?
M. Bruno Toussaint . - La question de l'intérêt d'un médicament et de sa mise sur le marché se pose toujours dans une situation précise. L'aspirine, en sa qualité d'antiagrégant plaquettaire, à petites doses pour limiter le risque de thrombose, artérielle en particulier après un infarctus du myocarde, représente un médicament extrêmement utile. En revanche, à titre de médicament contre la fièvre ou contre les douleurs, l'aspirine est dépassée. Il n'existe en l'occurrence aucune raison d'utiliser l'aspirine aujourd'hui dans ce domaine.
S'agissant de votre question précédente, nous avons effectivement publié deux textes, en 1997, d'analyse approfondie de la balance bénéfices-risques concernant le Mediator. Nous avons constaté l'absence de preuve de l'efficacité tangible du médicament. Dans la catégorie des bénéfices, aucun élément probant ne venait ainsi s'inscrire autre qu'un effet placebo. A l'inverse, en matière de risques, le Mediator étant un coupe-faim, il nous est apparu que les effets indésirables liés à ce type de produit ne tarderaient pas à se faire jour, même si, à l'époque, nous n'avons trouvé qu'un faible nombre de données dans le domaine. Nous avons écrit, par conséquent, qu'il n'existait aucune raison de se servir de ce médicament et qu'il y avait lieu de revoir sa présence sur le marché et sa prise en charge par l'assurance maladie. A notre avis, à l'évidence, en 1997, le médicament aurait dû ainsi être retiré du marché. L'administration belge avait même étudié le dossier en 1977 pour parvenir à des conclusions identiques.
Il existe sans aucun doute des situations analogues pour d'autres médicaments. Chaque année, quelques nouveaux médicaments nous apparaissent ainsi plus dangereux qu'utiles. Ils n'apportent pas des progrès mais des régressions thérapeutiques. Nous n'en tenons pas cependant une liste précise. Nous apportons simplement l'information sur le sujet au fil des mois et des années aux professionnels de santé. Il leur appartient ensuite d'utiliser les informations concernées pour adapter leurs décisions en les partageant avec les patients. L'aspect désastreux de la liste des soixante-dix-sept médicaments dont nous parlions précédemment réside dans le fait qu'elle ne présente aucune piste pour permettre une réflexion avec le patient. Quoi qu'il en soit, depuis 2005, la liste des médicaments qui n'apportent aucun progrès thérapeutique est passée de quelques unités à une quinzaine chaque année. A l'inverse, les sorties du marché pour effets indésirables sont au nombre de trois ou quatre chaque année. Il en entre ainsi davantage qu'il n'en sort sur le marché. Je ne peux néanmoins pas dresser une liste nominative précise. J'indique simplement qu'un certain nombre d'aspects doivent être modifiés dans les conditions d'autorisation de mise sur le marché et de surveillance des médicaments sous peine de voir le cas du Mediator se renouveler en France et partout dans le monde.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Quel est le rôle de la presse médicale en matière de formation des médecins ? Quels sont les moyens qui permettraient de renforcer son indépendance ? Estimez-vous, en outre, que la charte de la visite médicale représente un outil efficace ? Préconisez-vous des mesures complémentaires en la matière ?
M. Bruno Toussaint . - Les professionnels de santé ont besoin d'une information indépendante sur les thérapeutiques en général, les médicaments en particulier. La presse biomédicale est majoritairement financée par des firmes pharmaceutiques sous forme de publicité. Dès lors, les supports sont sous influence. La revue Prescrire est au contraire financée exclusivement par les abonnements. Elle n'insère dans ses pages aucune publicité. Elle ne bénéficie d'aucune subvention. Elle n'a pas d'actionnaires puisque l'éditeur est une association à but non lucratif selon la loi de 1901. Il est ainsi possible de disposer d'une presse indépendante des firmes de santé financée par ses abonnés, même si elle est plus coûteuse à l'abonnement que les concurrents financés par les firmes pharmaceutiques.
La situation est identique dans tous les pays. Il existe dans chaque pays au moins une équipe indépendante des firmes pharmaceutiques qui diffuse une information indépendante, fiable et critique sur les médicaments. La plupart des équipes concernées sont regroupées au sein d'un réseau international dont fait partie la revue Prescrire .
Par ailleurs, il n'existe pas d'information fiable à attendre des visiteurs médicaux. Ils sont en effet rémunérés par une firme pharmaceutique ou un prestataire de services et jugés sur les chiffres de vente. Ils sont donc directement intéressés aux ventes des médicaments du moment qu'ils doivent promouvoir. Les chartes et autres encadrements ne changeront rien au problème, qui est celui du financement même et du critère de jugement de performance de la profession. La solution réside simplement dans le fait que médecins et pharmaciens réalisent qu'ils n'ont pas d'informations fiables à attendre des visites médicales. Ils doivent par conséquent cesser de recevoir les visiteurs médicaux ou pharmaceutiques. Ils sont d'ailleurs de plus en plus nombreux dans ce cas.
Le media humain, c'est-à-dire un visiteur qui vient apporter une information sur un médicament au professionnel de santé, peut représenter cependant une avancée. Ainsi, dans certains pays, et selon plusieurs expériences menées en France, le visiteur n'était pas rémunéré par les firmes pharmaceutiques mais par un organisme d'intérêt public. L'information ne servait pas en l'occurrence à promouvoir les ventes mais la qualité des prescriptions. Le visiteur constitue dès lors un outil efficace.
M. François Autain , président . - A quel exemple faites-vous référence en France ? A ma connaissance, il existe en effet les délégués de l'assurance maladie rémunérés par l'assurance maladie. Il n'existe pas en revanche de visiteurs médicaux rémunérés par une instance indépendante de la sécurité sociale et des laboratoires.
M. Bruno Toussaint . - Vous avez raison. En Belgique, en revanche, il existe à ma connaissance un réseau de visiteurs indépendants de l'assurance maladie. Je ne connais pas cependant le détail du financement du dispositif.
M. François Autain , président . - Avez-vous un avis sur les délégués de l'assurance maladie ?
M. Bruno Toussaint . - Le dispositif est plus appréciable que celui d'un financement par une firme pharmaceutique. Cela étant, l'assurance maladie doit également assurer une performance économique. Le modèle économique recommandé par Prescrire consiste au contraire en un financement par les personnes intéressées (principalement les professionnels de santé mais également les patients). Ce modèle permet en effet la plus grande indépendance.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Le niveau de financement de l'Afssaps vous paraît-il aujourd'hui satisfaisant ? Quelles mesures concrètes préconisez-vous en termes de gouvernance pour améliorer le système au-delà de la problématique du financement ?
M. Bruno Toussaint . - A notre avis, le financement d'une agence du médicament doit être indépendant des firmes. Le moindre lien avec les redevances (les frais de dossier) est néfaste. Il ne doit exister aucun rapport financier entre les firmes et l'agence. Le plus grave, selon nous, est le fait que les décisions des agences sont sous influence des firmes. En regard des décisions prises, nous nous sommes ainsi interrogés en 2005 pour savoir si l'Afssaps travaillait dans l'intérêt des firmes ou dans l'intérêt des patients. Trop souvent dans les décisions prises ou proposées par l'Afssaps, en effet, l'intérêt économique des firmes pharmaceutiques prévaut. Nous le voyons avec l'affaire du Mediator. Trop souvent, l'Afssaps est sensible à l'argumentation des firmes jusqu'à considérer que des études supplémentaires doivent être avancées pour prouver que le médicament est dangereux. Pendant le délai, les patients restent exposés, les effets indésirables surviennent, le nombre de victimes augmente mais les ventes se poursuivent. Le financement n'est pas le seul facteur déterminant de la situation. J'invoquerai pour ma part comme solution un état d'esprit général qui doit s'instaurer considérant constamment comme prioritaire le fait que la mission des personnes qui travaillent à l'Afssaps réside en premier lieu dans la protection de la population et non dans la régulation du marché. Le point est d'autant plus choquant que l'agence française dans le domaine est baptisée Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé. Où est la sécurité sanitaire lorsque le Mediator est laissé plusieurs années sur le marché ?
Ce point recoupe la question du financement de la recherche clinique. Aussi longtemps que la recherche clinique sera financée par les firmes pharmaceutiques, il est évident que les firmes pharmaceutiques sont conduites à contacter et à utiliser les services de nombreux cliniciens, de nombreux spécialistes, de nombreux connaisseurs de telle ou telle maladie. Un cercle vicieux se met en place puisque davantage d'experts ont des liens d'intérêts avec les firmes pharmaceutiques. Il est indispensable de s'attaquer à la situation.
M. André Dulait . - Vous nous avez indiqué disposer de 30 000 abonnements. Le chiffre est faible en regard du nombre de prescripteurs présents en France. Par quels autres moyens, dès lors, une alerte peut-elle être donnée auprès du corps médical ? Comment votre rôle peut-il en l'occurrence être démultiplié ?
M. Bruno Toussaint . - Un quart des médecins généralistes français et 5 000 à 6 000 pharmaciens (pour 20 000 officines) sont abonnés actuellement à la revue Prescrire . Il s'agit certes d'une minorité. Elle augmente cependant à l'heure actuelle car l'affaire du Mediator ouvre les yeux à un grand nombre de personnes, qui réalisent qu'une grande partie de l'information du médicament est entre les mains des firmes pharmaceutiques.
D'où l'alerte peut-elle venir ? Elle devrait venir, selon nous, des agences du médicament. Les agences du médicament devraient être en priorité au service de la protection de la santé des personnes. Elles diffusent certes une certaine information. Sur le site de l'Agence européenne du médicament, par exemple, des rapports d'évaluation sont accessibles. Tel n'était pas le cas jusqu'aux années 1990. Les progrès restent lents cependant. Ils nécessitent d'être encouragés. A notre avis, l'information doit davantage venir des agences du médicament. Les avis de la commission de la transparence sont également intéressants. Ils sont accessibles en ligne. Il est possible parfois de critiquer la lenteur de la mise en ligne. Il convient, en outre, de garder à l'esprit que des conflits d'intérêts sont également à l'oeuvre. Malgré tout, l'information est plus intéressante que celle qu'apportent les visiteurs médicaux, la publicité ou les relais d'opinion plus ou moins clairement financés par l'industrie pharmaceutique. Il existe enfin d'autres sources d'information hors de France (périodiques, sites d'information belges notamment, la maîtrise de l'anglais biomédical permettant en outre de bénéficier d'un grand nombre d'informations, même si l'information de qualité est payante).
M. Jacky Le Menn . - Environ 50 % des prescriptions médicamenteuses s'effectuent hors AMM. Qu'en pensez-vous ?
M. Bruno Toussaint . - Le statut de médicament est le statut le moins mauvais des produits de santé. Il est clair que le statut de médicament avec autorisation de mise sur le marché est plus favorable que le statut de complément alimentaire ou de dispositif médical. C'est pourquoi nous devons nous montrer extrêmement exigeants quant à l'AMM. Prescrire concentre d'ailleurs la majorité de ses moyens sur les médicaments avec AMM. Cela étant, il convient de ne pas confondre AMM et état de la science. L'AMM est une autorisation en réponse à la demande d'une firme pharmaceutique qui souhaite avoir une part de marché pour une situation clinique précise, pour un problème de santé précis, pour un patient précis. Le champ est donc extrêmement étroit par rapport à l'ensemble des problèmes de santé à traiter. Il est logique par conséquent qu'il existe des prescriptions hors AMM. La difficulté consiste à savoir si les prescriptions hors AMM sont conformes aux données de la science. Prescrire n'étudie pas méthodiquement l'ensemble des prescriptions hors AMM. Le champ est en effet immense et difficile à analyser. En revanche, Prescrire analyse et compare les choix thérapeutiques du point de vue de l'évaluation comparative entre bénéfices et risques des divers traitements qui existent pour faire face à un problème de santé. Si les données montrent que le meilleur médicament n'est pas autorisé en France, nous incitons les abonnés à examiner cette possibilité avec attention. Il est probable que le médicament est ensuite utilisé par certains patients. Nous incitons donc parfois à prescrire hors AMM. Le cas n'est pas fréquent car, souvent, la prescription hors AMM ne correspond pas à une bonne évaluation comparative de la balance bénéfices-risques et du progrès par rapport aux médicaments existants. La situation peut cependant se produire.
Mme Marie-Christine Blandin . - Quelles sont les ressources humaines et les méthodes de l'équipe de Prescrire ?
M. Bruno Toussaint . - L'équipe compte une centaine de personnes, correspondant à environ soixante-dix équivalents temps plein (ETP). Nous cherchons à disposer d'une certaine indépendance financière et donc intellectuelle par l'abonnement. La méthode de travail est collective. Les rédacteurs s'engagent préalablement à ne pas entretenir de liens avec les firmes pharmaceutiques ou le domaine de la santé plus généralement. Les articles sont signés Prescrire et non nominativement. Chaque texte comporte un rédacteur principal. Il est cependant entouré d'une équipe qui décide des priorités du moment selon les rubriques. Lorsque nous avons décidé de réaliser un article sur un sujet précis, nous recherchons un rédacteur compétent à cette fin. Il s'agit du rédacteur référent, entouré toutefois d'une équipe. Le responsable de rubrique passera ensuite l'ensemble du dossier en revue. Le responsable de rubrique propose le texte à un comité de lecture d'une vingtaine ou d'une trentaine de personnes (à l'intérieur comme à l'extérieur de Prescrire pour croiser un certain nombre de points de vue) dont des médecins généralistes, des pharmaciens, etc., pour recouper un grand nombre de points de vue. L'ensemble du dossier est de nouveau confié au rédacteur principal, qui est chargé d'examiner les contributions des relecteurs. Il ne cherche pas alors une synthèse consensuelle mais un texte informatif. Le responsable de rubrique passe ensuite de nouveau en revue l'ensemble du dossier, y compris les contributions des relecteurs et la façon dont le rédacteur les a prises en compte. Le rédacteur adjoint compare ligne à ligne la véracité des assertions du texte avec les références retenues. Pour les nouveaux médicaments, nous interrogeons en outre méthodiquement selon un protocole précis la firme pharmaceutique concernée, l'agence du médicament, la littérature scientifique et les autres équipes indépendantes.
Mme Janine Rozier . - Vous avez précisé qu'en 1997, vous aviez analysé le Mediator. Vous aviez alors démontré l'absence de preuve d'efficacité. Y avez-vous consacré les gros titres de votre revue pour alerter vos lecteurs sur le sujet ? Des retombées de la part des firmes pharmaceutiques ont-elles été constatées ? Comment, plus généralement, votre revue est-elle considérée par les firmes pharmaceutiques et par l'ensemble des organismes nationaux ? Enfin, votre revue est-elle accessible aux béotiens qui ne connaissent pas la médecine ?
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Je souhaite compléter vos questions. Les 30 000 abonnements à Prescrire sont-ils payants ? Quelle est l'ampleur de la diffusion gratuite ?
M. François Autain , président . - Je peux témoigner que l'abonnement à Prescrire est payant.
M. Bruno Toussaint . - Nous n'avons pas consacré nos gros titres au médicament. Les articles représentaient trois pages. Rétrospectivement, nous pouvons le regretter. Cependant, un grand nombre de difficultés se posent dans le domaine de la santé ; nous ne pouvons donc consacrer des gros titres à chaque sujet. Nous apportons simplement une information. Nous ne cherchons pas le sensationnel. En outre, à l'époque, il n'existait pas de preuve concrète des effets indésirables. Nous pointions pour notre part son inutilité et les très forts doutes sur ses effets indésirables. A l'époque, dans la rubrique « Vigilance », des dossiers plus urgents que celui-ci ont probablement été traités.
Par ailleurs, la revue Prescrire est accessible uniquement sur abonnement. Il s'agit du seul modèle économique qui a paru fiable à l'équipe et elle est efficace. La revue est née dans les années 70 grâce à une subvention du ministère de la santé avant que l'équipe ne décide de s'en passer pour vivre de ses abonnements. Chacun en outre est correctement rémunéré.
L'essentiel des abonnés et des rédacteurs sont des professionnels de santé. Il est donc exact que la lecture de la revue demande un pré-requis de culture médicale. Cependant, l'expérience montre que l'intérêt pour un sujet facilite la possibilité de se cultiver dans le domaine, rendant ainsi plus intelligibles les textes de Prescrire .
M. François Autain , président . - J'apporterai pour ma part une réponse sur la réputation que vous avez auprès des firmes. Ainsi, M. Lajoux vous considère comme une « milice privée ».
M. Bruno Toussaint . - Les firmes pharmaceutiques ne sont pas à considérer globalement. Prescrire organise par exemple chaque année au mois de janvier « La pilule d'or » , et trois palmarès des nouveaux médicaments. Nous récompensons des firmes pharmaceutiques qui, à notre avis, ont travaillé de manière satisfaisante. Les représentants des firmes pharmaceutiques désignées par Prescrire sont heureux de venir à notre manifestation. Ils sont venus cette année chercher un diplôme par lequel Prescrire salue leur travail. Prescrire , en tout état de cause, n'est pas hostile aux firmes pharmaceutiques. Prescrire est favorable aux firmes pharmaceutiques qui accomplissent un travail approprié qui permet de mieux soigner. Quand une firme met sur le marché un médicament qui apporte un progrès, nous la saluons. Quand une firme met sur le marché un médicament qui constitue une régression thérapeutique, nous ne la saluons pas.
M. François Autain , président . - Pour conclure, je souhaite vous poser deux questions. La première concerne l'expertise. Vous semble-t-il que la présence d'experts dans les commissions de l'Afssaps ayant des liens d'intérêts, bien que les liens d'intérêts fassent l'objet de mesures de transparence, est compatible avec la mission qui leur est dévolue ? Est-il possible en l'occurrence d'être à la fois conseiller des firmes et conseiller des pouvoirs publics ?
M. Bruno Toussaint . - Il existe plusieurs études dans le cadre desquelles les médecins ont été interrogés sur l'influence de la visite médicale. Fréquemment, la réponse majoritaire consiste à affirmer que les autres personnes sont influencées tandis que l'individu interrogé sait garder son esprit critique. L'expérience montre en l'occurrence que la visite médicale auprès des prescripteurs est efficace pour augmenter les ventes. A notre avis, les experts ne doivent pas par conséquent avoir de lien d'intérêts avec les firmes pharmaceutiques.
M. François Autain , président . - La seconde question concerne le circuit du médicament. Comme vous le savez, il est extrêmement complexe. Préconisez-vous des réformes ? Dans quel sens iraient les réformes que vous préconiseriez ? Quelle place, en particulier, la pharmacovigilance doit-elle tenir dans le système ? Qu'en est-il de la fixation du prix ?
M. Bruno Toussaint . - Il est important que les moyens financiers et humains de la pharmacovigilance en France soient augmentés. En France, comme dans d'autres pays, celle-ci est en effet sous-développée. Je parle évidemment de la pharmacovigilance sur financement public. Les préconisations des instances de pharmacovigilance doivent notamment avoir autant de poids que celles des commissions d'AMM. La situation actuelle doit donc être modifiée puisque la commission de la pharmacovigilance doit toujours en référer à la commission d'AMM. Nous devons trouver un meilleur équilibre. L'équilibre est également le mot-clé du nouveau système à mettre en place s'agissant des rapports de force avec les firmes pharmaceutiques, qui sont omniprésentes dans le système. Par exemple, le budget de fonctionnement de l'Agence du médicament est de l'ordre de 100 millions d'euros chaque année. Le chiffre d'affaires de la firme Servier est quant à lui de l'ordre de 3 milliards d'euros. Il existe ainsi une énorme disproportion de moyens qui rend les firmes pharmaceutiques omniprésentes dans le domaine de la santé. Les firmes pharmaceutiques financent la recherche clinique, un grand nombre d'experts, une partie de la formation des professionnels de santé, une bonne partie des associations de patients, etc. Il est nécessaire à cet égard de rééquilibrer les rapports entre les acteurs de la santé, en remettant notamment les firmes pharmaceutiques à leur place.
M. Alain Milon . - Votre revue s'est-elle parfois trompée dans ses analyses ? Si tel a été le cas, en avez-vous informé vos lecteurs ?
M. Bruno Toussaint . - Nous avons deux rubriques régulières dans le domaine. La première est baptisée Précisions, corrections . Nous y corrigeons les coquilles et les erreurs factuelles que nous avons commises. La seconde est baptisée Prescrire en questions . Nous y publions les contestations écrites que nous adressent les firmes pharmaceutiques. La lettre que nous avait adressée le directeur de l'Afssaps y a été publiée, ainsi que notre réponse.
Sincèrement, je ne crois pas que nous nous soyons trompés fréquemment. Nous avons notamment révisé notre jugement sur un médicament orphelin. Au vu des données, nous avons en effet considéré initialement que le médicament apportait beaucoup. Ensuite, avec d'autres données, nous avons constaté que le progrès était moins important que prévu. Nous avons donc publié une seconde analyse.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Vous parliez précédemment du choix laissé au patient. Le patient cependant parfois, en regard de la douleur qu'il endure, ne sait pas quelle décision prendre. Il sera peut-être porté vers le choix d'utiliser un médicament aux effets indésirables mais qui le soulagera.
M. Bruno Toussaint . - Bien sûr. Pour un grand nombre de problèmes de santé, la décision est difficile à prendre. Les patients ont dès lors intérêt à utiliser la prestation de service d'un professionnel de santé. C'est pourquoi Prescrire tâche de diffuser une information qui permette de prendre des décisions sur une base solide. Le sujet mérite beaucoup d'énergie.
M. François Autain , président . - Nous n'en manquons pas. Je vous remercie.
Audition de M. Dominique MARTIN, directeur de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (jeudi 17 février 2011)
M. François Autain , président . - L'audition étant publique, je dois vous demander, en application de l'article L. 4113-13 du code de la santé publique, de nous faire connaître, si vous en avez, vos liens avec des entreprises produisant ou exploitant des produits de santé ou avec des organismes de conseil intervenant sur les produits concernés.
M. Dominique Martin, directeur de l'Oniam . - Je n'ai aucun lien avec des entreprises produisant ou exploitant des produits de santé ou avec des organismes de conseil intervenant sur les produits concernés.
M. François Autain , président . - Vous avez la parole.
M. Dominique Martin . - Mon intervention portera sur la réparation du dommage corporel causé par le Mediator. Je vous propose par conséquent de dresser un panorama des différentes possibilités qui existent dans le domaine de la réparation.
En cas d'accident médical, il existe, en premier lieu, la possibilité d'un règlement amiable direct avec le responsable et son assureur. Je ne crois pas qu'en l'occurrence, le point soit opportun et facile. Ensuite, il existe le régime de droit commun, c'est-à-dire le recours au juge. Je citerai les procédures pénales comme les procédures civiles. Un peu moins d'une dizaine de procédures civiles sont actuellement en cours. Dans certaines procédures civiles, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (Oniam) a été appelé en tant que partie. Dans ce système, le délai apparaît plus rapide que le recours au pénal. Les personnes peuvent, en effet, obtenir dans un délai raisonnable d'une année un référé avant d'amener l'affaire au fond. Par ailleurs, il existe depuis la loi de 2002 les commissions régionales de conciliation et d'indemnisation et l'Oniam, c'est-à-dire un dispositif public et amiable des accidents médicaux. La particularité du système réside cependant dans le fait qu'il n'est accessible qu'aux personnes victimes d'un accident postérieur au 4 septembre 2001. Les prescriptions doivent donc être postérieures au 4 septembre 2001. Par ailleurs, il existe des conditions d'accessibilité liées à un seuil de gravité fixé par décret. L'incapacité permanente doit ainsi être de l'ordre de 25 % (niveau relativement élevé). Le dispositif présente des avantages : il est rapide et gratuit. Si la commission saisie par la personne s'estime compétente, elle diligente une expertise au fond. La commission se réunit ensuite dans son ensemble pour émettre un avis transmis au responsable et à son assureur. Quand l'assureur n'adresse pas d'offre à la victime, celle-ci peut demander à l'Oniam de se substituer au responsable et à son assureur. L'Oniam adresse une offre à la victime. Il est ensuite subrogé dans les droits de la personne et se retourne contre l'acteur de santé en cause devant le juge. La victime a ainsi reçu réparation dans un court délai. Le dispositif, avec 4 000 dossiers chaque année, est cependant à saturation à ce jour.
Par ailleurs, l'Oniam gère des missions plus particulières. Il a hérité en propre, en effet, de missions qui ne passent pas par les commissions régionales de conciliation et d'indemnisation. L'Oniam est ainsi aujourd'hui l'organisme du ministère de la santé qui indemnise un certain nombre de situations (les éventuelles victimes de mesures sanitaires d'urgence notamment). En outre, l'Oniam intervient dans un grand nombre de contentieux (2 000 contentieux civils et un contentieux pénal, celui de l'hormone de croissance). Dans la plupart des cas, dès lors qu'un problème nouveau survient induisant une nouvelle pathologie, le législateur doit intervenir de nouveau pour missionner l'Oniam.
A ces dispositifs, il convient d'ajouter les comités de suivi et d'indemnisation. Le modèle a été créé par la Chancellerie à l'occasion de l'accident de Furiani. Il s'agit de traiter les accidents collectifs. Le modèle a été de nouveau utilisé dans de nombreuses circonstances (accidents aériens, AZF, etc.). En cas d'accident collectif, l'ensemble des personnes concernées se réunissent de manière contractuelle (associations de victimes, représentants des caisses, représentants de l'Etat, représentants des assureurs, etc.). L'idée est de déterminer un payeur qui interviendra pour le compte de qui il appartiendra. Le dispositif a récemment été utilisé dans le domaine de la santé, une première fois à Epinal, une seconde fois à Toulouse, dans les deux accidents de sur-irradiation. Le comité d'Epinal a fonctionné de manière extrêmement satisfaisante. A ce jour, quatre cents personnes environ ont été indemnisées. L'assureur a en l'occurrence accepté de payer pour le compte de qui il appartiendra. A Toulouse, le processus est en cours. AXA intervient pour le compte de qui il appartiendra. Le comité de suivi représente une formule appropriée. Il présente cependant des inconvénients. Le dispositif fonctionne notamment de manière satisfaisante dans un cadre géographique limité. Dans une dimension nationale, la situation est plus complexe.
Evidemment, il est possible d'ajouter ce qui serait un modèle ad hoc . Rien n'empêche en effet de créer un modèle spécifique. Je crois avoir lu que Servier a émis une proposition à hauteur de 20 millions d'euros. Il envisage peut-être de créer lui-même un fonds selon un modèle mixte.
M. François Autain , président . - Vous parliez des commissions régionales de conciliation et d'indemnisation (CRCI). Pensez-vous que la firme Servier accepterait les décisions des commissions régionales de conciliation et d'indemnisation ?
M. Dominique Martin . - Je le crois peu. Les dossiers connus à ce jour relèvent, en effet, de situations complexes qui montrent que la firme Servier dispose de moyens juridiques pour parvenir à « s'en sortir ». Le système du point de vue du droit et de la responsabilité est en effet incroyablement complexe, puisqu'il comprend un producteur (qui a fait la promotion de son médicament dans des conditions certes discutables), un prescripteur, une personne qui a délivré le produit (le pharmacien) peut-être dans des conditions qui ne sont pas optimales, et un consommateur. Dans certains cas, par exemple, certains consommateurs ont continué à prendre du Mediator après l'interdiction du médicament. Les personnes avaient, en effet, stocké le médicament, situation qui a résulté soit d'une erreur de délivrance par le pharmacien, soit d'une responsabilité personnelle liée à l'automédication. En l'occurrence, la firme Servier dispose d'arguments solides.
Par exemple, les prescriptions hors AMM ou dans l'AMM impliquent des questions complexes du point de vue de la responsabilité. Les réponses ne sont pas claires. Une prescription hors AMM ne décharge pas en effet le laboratoire de toute responsabilité. Pour les médecins, la question peut entraîner des problèmes disciplinaires et de responsabilité civile. Le pharmacien qui de son côté a délivré cinq ou six boîtes de Mediator peut également avoir une responsabilité. Ne parlons pas de la forme de « trafic » de Mediator entre patients hors du circuit médical qui complexifie encore la situation du point de vue des responsabilités. Pour indemniser rapidement les personnes, il convient de mettre en place un système relativement concentré et suffisamment puissant pour discuter selon un rapport de forces équilibré avec les firmes pharmaceutiques. Dans le cas contraire, il ne sera pas possible de trouver une solution satisfaisante dans l'attente que les responsabilités in fine soient établies. Il s'agit en l'occurrence d'un tout autre sujet.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Je crois comprendre que dès lors qu'un problème nouveau survient induisant une nouvelle pathologie, le législateur doit intervenir de nouveau pour vous missionner.
M. Dominique Martin . - J'ai proposé pour ma part à l'administration centrale qu'en cas d'accident sériel, l'Oniam bénéficie d'une autorisation d'intervenir donnée par un simple arrêté. Le processus d'intervention s'en trouverait considérablement allégé.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - A propos du Mediator, avez-vous déjà reçu des demandes de la part d'associations de défense des victimes ? Quelles sont les spécificités du dossier d'indemnisation selon vous ? En outre, l'Oniam bénéficie d'un Observatoire des risques médicaux chargé de recueillir et d'analyser l'ensemble des données relatives aux accidents médicaux, aux infections iatrogènes, aux infections nosocomiales et à leur indemnisation. Quel bilan tirez-vous du fonctionnement de l'Observatoire ? A-t-il pu assumer une mission d'alerte auprès des pouvoirs publics ? Quelle place pourrait-il assumer dans un dispositif d'alerte ?
M. Dominique Martin . - Nous avons reçu à ce jour neuf demandes auprès des CRCI. Pour deux d'entre elles, une expertise a été diligentée. Pour l'une d'entre elles, l'expertise a été réalisée.
En outre, à la question de savoir si le dispositif a relevé un grand nombre d'infections iatrogènes, la réponse est négative.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Qu'en est-il des infections nosocomiales ?
M. Dominique Martin . - La situation est inverse. Les infections nosocomiales représentent, en effet, environ un tiers des dossiers. Les infections iatrogènes liées à des accidents médicamenteux sont quant à elles seulement de l'ordre de 1 % à 2 % des dossiers.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Les infections nosocomiales résultent-elles de pathologies liées à la chirurgie orthopédique ?
M. Dominique Martin . - Il s'agit des formes les plus sévères. Les infections nosocomiales apparaissent cependant également dans le cadre d'interventions sur l'appareil digestif, d'interventions cardiaques, etc.
M. François Autain , président . - Vous êtes-vous interrogé quant à l'absence de demande de réparation face au préjudice que représentent les infections iatrogènes ?
M. Dominique Martin . - Je suis comme vous dans l'expectative. Je pense pour ma part que les personnes ne perçoivent pas que les accidents médicaux sont des accidents au sens où nous l'entendons par exemple dans le domaine de la chirurgie. Les personnes ont probablement intégré en l'occurrence la dangerosité des produits de santé.
Pour répondre à une précédente question, j'indiquerai que l'Observatoire des risques médicaux ne me semble pas adapté. Nous avons dressé un bilan mitigé de son action. Je pense qu'il pourrait être sérieusement amélioré. L'Oniam n'est d'ailleurs pas l'endroit le mieux approprié pour disposer d'un tel Observatoire. L'Oniam est en effet l'un des trois fournisseurs de données existants, avec l'AP-HP et les assureurs. Par sa construction, en outre, il n'est pas un donneur d'alerte. En effet, seuls les dossiers clos sont concernés dans le travail qu'il mène, c'est-à-dire des dossiers étudiés plusieurs années après que l'accident a eu lieu. Or, le délai entre l'accident et la clôture du dossier s'étale sur trois à quinze ans. L'Observatoire a été créé en réalité non pas dans une visée d'alerte mais dans une visée économique, pour un partage d'informations.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Avez-vous estimé le coût prévisionnel s'agissant du Mediator ?
M. Dominique Martin . - Nous n'avons pas établi de coûts prévisionnels à ce stade. Le coût moyen d'un dossier médical est de l'ordre de 100 000 euros (y compris les créances des organismes sociaux). Nous ne savons pas cependant à ce jour le nombre de dossiers médicaux qui seront ouverts. Je lis les chiffres dans la presse. Si 2 000 décès étaient indemnisés (sachant que les décès sont moins coûteux à indemniser que les personnes vivantes qui ont subi un préjudice lourd, un handicap), en comptant la fourchette basse du coût du dossier soit 60 000 euros, vous avez une idée du coût prévisionnel s'agissant du Mediator. Les calculs restent cependant, à ce jour, extrêmement théoriques.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Pensez-vous enfin que le système de pharmacovigilance pourrait être amélioré ? Le dispositif de l'Oniam existe-t-il en outre dans d'autres pays ?
M. Dominique Martin . - Sur la première question, je n'ai aucune compétence. En tant que citoyen, cependant, je répondrai par l'affirmative. En outre, l'Oniam est un dispositif presque unique au monde. Il existe un dispositif équivalent simplement en Belgique.
M. François Autain, président . - Je vous remercie.
Audition de M. André WENCKER, directeur général de la Mutuelle générale des cheminots (jeudi 17 février 2011)
M. François Autain , président . - J'ai souhaité auditionner M. André Wencker car il a réalisé une enquête sur l'industrie pharmaceutique qui m'a semblé particulièrement intéressante. J'aimerais qu'il expose devant nous le résumé de cette enquête.
En outre, l'audition étant publique, je dois vous demander, en application de l'article L. 4113-13 du code de la santé publique, de nous faire connaître, si vous en avez, vos liens avec des entreprises produisant ou exploitant des produits de santé ou avec des organismes de conseil intervenant sur les produits concernés. Je crois cependant que la réponse sera négative.
M. André Wencker, directeur général de la Mutuelle générale des cheminots . - Absolument.
M. François Autain , président . - Je vous cède donc la parole.
M. André Wencker . - L'enquête a été motivée par mon étonnement lorsque j'ai découvert les résultats de la société Sanofi-Aventis publiés l'année dernière. Les résultats de l'année 2009 faisaient en effet état, pour un chiffre d'affaires de 28 milliards d'euros, d'un résultat opérationnel net de 9 milliards d'euros, soit une marge de plus de 30 %. Vous savez que, pour nos mutuelles, le médicament est un poste important. Il représente aujourd'hui plus de 25 % de nos dépenses. Vous savez également que le médicament représente 17 % des dépenses de l'assurance maladie. Les chiffres précédents ont suscité mon interrogation sur, d'un côté, des systèmes d'assurance maladie obligatoires exsangues et, d'un autre côté, des entreprises qui obtiennent 30 milliards de résultat opérationnel net. Je suis parti à la recherche de documents pour savoir si les chiffres précédents sont la marque d'une entreprise ou d'un secteur. Je les ai trouvés sur Internet et dans les comptes publics que présentent les sociétés concernées, qui sont de très grandes sociétés, en général cotées à la bourse américaine. Le formulaire 10-K, en particulier, donne en quelques chiffres synthétiques l'essentiel de l'activité des entreprises.
Nous avons constitué un échantillon de quatorze sociétés (sept sociétés américaines et sept sociétés européennes). L'échantillon représente 295 milliards d'euros de chiffre d'affaires en 2009. Le coût de production des biens représentait 23,4 % du chiffre d'affaires de l'échantillon. Les coûts de recherche et de développement atteignaient 16 % du chiffre d'affaires de l'échantillon. Le poste le plus important était la vente et l'administration générale, qui affichait un taux de 27 %, sans que j'aie pu à ce stade déterminer les éléments qui relevaient des frais généraux et les éléments qui relevaient du marketing. Nous verrons plus loin cependant que la distinction est possible avec d'autres études.
Le système de rémunérations observé représente également une marque du secteur. Ainsi, chez Merck, les dirigeants se partagent 50 millions de dollars. Les rémunérations « à l'américaine » sont donc également la marque du secteur.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Pouvez-vous préciser votre propos ?
M. André Wencker . - Les dirigeants sont nommés par les actionnaires principaux, souvent des fonds de pension. Les fonds de pension demandent aux dirigeants d'obtenir des rendements extrêmement élevés. Si vous consultez le site de l'industrie pharmaceutique Pharmactua , vous constaterez ainsi que, chez Pfizer, le nouveau dirigeant subit une pression considérable de la part des fonds de pension, qui souhaitent que l'action remonte (elle conditionne en effet le niveau des profits). Pfizer s'interroge ainsi aujourd'hui sur la possibilité de licencier, notamment, pour revenir aux niveaux de résultats attendus dans le secteur, de l'ordre de 30 %. Le système, en définitive, est extrêmement concentré sur la performance économique maximale.
Je m'apprêtais, avant de vous répondre, à évoquer l'étude de la DG15 lancée le 15 janvier 2008. Il y est écrit : « En raison d'informations relatives aux médicaments innovants et génériques suggérant que la concurrence pourrait être restreinte et faussée » . La DG15 a conduit son enquête entre janvier 2008 et juillet 2009.
M. François Autain , président . - Pouvez-vous nous détailler le rôle de la DG15 ?
M. André Wencker . - Il s'agit de la Direction générale de la concurrence au sein de la Commission européenne. Elle est en charge de surveiller les pratiques commerciales des entreprises et de veiller à voir appliquer l'un des objectifs de l'Union européenne, à savoir l'existence d'un marché qui fonctionne de façon régulière selon une concurrence loyale et avec transparence, pour fournir aux consommateurs le meilleur produit au meilleur prix. Nous sommes en l'occurrence au coeur de la préoccupation de l'Union européenne.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Je crois qu'il serait important de détailler la composition de la DG15, notamment pour savoir si la pensée anglo-saxonne y est majoritaire.
M. André Wencker . - Je ne peux vous répondre. Je sais simplement que la commissaire était Mme Nelly Kroes, qui, lorsque les résultats du rapport ont été publiés, a fait savoir qu'elle était indignée par les observations de la DG15 en matière de pratiques anticoncurrentielles de l'industrie pharmaceutique.
L'enquête conduite entre janvier 2008 et juillet 2009 a concerné quarante-trois laboratoires de médicaments originaux et vingt-sept fabricants de génériques, qui représentaient 80 % du chiffre d'affaires de l'industrie au sein de l'Union européenne. 219 substances étaient concernées, dont le chiffre d'affaires correspondant représentait 50 % du chiffre d'affaires total de médicaments délivrés sur ordonnance dans l'Union européenne. A ce stade, les résultats auxquels la Commission est parvenue corroborent nos résultats. Elle les approfondit pour partie. Ainsi, pour les laboratoires de médicaments originaux, 21 % du chiffre d'affaires sont consacrés à la fabrication des produits, 22 % du chiffre d'affaires sont employés en opérations de vente et en promotion, 17 % du chiffre d'affaires sont dédiés aux dépenses de recherche et de développement, dont 15,5 % correspondent à des coûts de recherche en essais cliniques et 1,5 % correspond à des coûts liés à la recherche fondamentale.
M. François Autain , président . - A quoi correspond le solde pour atteindre 100 % ?
M. André Wencker . - Pour le reste, 31 % du chiffre d'affaires correspondent au résultat opérationnel, sachant que chez les « médicaments vedettes » (dont le chiffre d'affaires au plan mondial dépasse 1 milliard de dollars), il n'est pas rare d'atteindre des marges de 80 %, contre 30 % en moyenne.
La Commission s'est d'ailleurs attardée sur un certain nombre des « médicaments vedettes ». Ils représentent ainsi 22 % du chiffre d'affaires de l'industrie. 46 % d'entre eux auront cependant perdu leurs brevets entre 2008 et 2012. Malgré l'allongement des brevets qu'elle a obtenu avec effet en 2005, généralisable jusqu'en 2013, l'industrie pharmaceutique est par conséquent confrontée à une perte des brevets sur les « médicaments vedettes » qui lui permettent de gagner les plus fortes sommes d'argent, alors même, comme le relève la Commission, que la tendance est à la baisse du nombre de nouvelles molécules sur le marché. L'innovation pharmaceutique est en panne. Chacun partage ce constat. L'industrie semble donc s'attacher à défendre l'existence des brevets et à prolonger la durée de vie des produits. Le point nous est apparu comme le coeur du problème qui se pose à l'industrie pharmaceutique.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Avez-vous pu estimer le coût des études avant la mise sur le marché mondial des médicaments ?
M. François Autain , président . - Celle-ci est comprise dans la part de 17 % ?
M. André Wencker . - Il y a un prix très élevé de mise au point des nouveaux médicaments.
M. François Autain , président . - Les chiffres qui circulent sont de 800 millions pour la production d'une nouvelle molécule, mais ils ont été mis en cause par des auteurs comme Marcia Angell.
M. André Wencker . - En ce qui concerne les fabricants de produits génériques, les ordres de grandeur sont évidemment extrêmement différents. Les coûts de production s'élèvent ainsi à 51 % du chiffre d'affaires. Ils sont ainsi plus forts que pour les laboratoires de médicaments originaux. En revanche, les coûts de marketing (13 % du chiffre d'affaires) et les coûts de recherche et de développement (7 %) sont beaucoup plus faibles. Les coûts administratifs et de distribution atteignent quant à eux au total 9 %. Pour les fabricants de génériques, en définitive, la Commission évalue à 29 % le taux de marge. Les résultats sont donc quasiment identiques à ceux des fabricants de médicaments originaux, avec des structures de coûts extrêmement différentes.
M. François Autain , président . - Ce qui ne paraît pas justifié.
M. André Wencker . - Nous restons donc extrêmement éloignés du marché parfait qui nous avait été promis, avec un produit pour le meilleur prix possible. Les laboratoires fabriquent des produits industriels et pas de la haute couture. Une marge de 30 % régulière, récurrente, dans le domaine, me semble donc excessive, particulièrement si nous y ajoutons l'impact sur les comptes sociaux et sur les comptes des différents financeurs publics ou privés, qui rencontrent de leur côté de grandes difficultés.
Nous nous sommes ensuite intéressés à la situation de la France. L'industrie est en effet essentiellement américaine. Les Etats-Unis constituent le premier marché dans le domaine. Ils représentent 42 % de la dépense pharmaceutique dans le monde pour 5 % de la population mondiale. J'ai également découvert un indice de prix relatif entre les Etats-Unis et l'Europe. Selon l'Institut McKinsey, les prix américains seraient en moyenne supérieurs de 118 % aux prix moyens européens. Nous savons également que les Etats-Unis consacrent 16 % à 17 % de leur PIB aux dépenses de santé. Le médicament relève par conséquent majoritairement de l'industrie américaine, avec un marché imposant, celui des Etats-Unis.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Vous insistez sur l'importance du marché américain dans l'industrie pharmaceutique. Avez-vous le sentiment d'une volonté de monopole sur l'ensemble de l'industrie ?
M. André Wencker . - Je n'ai pas enquêté sur le sujet. Je ne pense pas cependant qu'un tel monopole soit à craindre. Je me suis davantage intéressé pour ma part, au-delà du constat dressé au plan mondial, à situation de la France. Nous avons trouvé une source d'information auprès de l'Afssaps, qui a publié une étude remarquable sur l'évolution du prix du médicament entre 1988 et 2008, avec les volumes des dépenses consacrées aux médicaments sur la même période. Je me suis ainsi livré à un exercice de décomposition des éléments cités entre un effet prix et un effet volume, que j'ai présenté à M. Christian Saint-Etienne, avec lequel j'ai publié un article. Ce dernier n'a par conséquent pas paru choqué par mes conclusions, qui sont pour l'essentiel les suivantes. Sur la période, l'augmentation de la dépense tient moins à des effets de volumes qu'à des effets liés aux prix. 150 % d'effets liés aux prix expliquent ainsi l'augmentation du volume des dépenses pharmaceutiques en France en vingt ans. Pour un produit industriel, le taux est extrêmement important, plus important d'ailleurs que dans d'autres pays. Un auteur, M. Philippe Pignarre, a signalé pour sa part qu'entre 1993 et 2001, les prix en France avaient augmenté de 67 % contre 18 % en Allemagne. Les prix des produits pharmaceutiques en France au cours des vingt dernières années ont donc beaucoup augmenté.
Les explications que nous avançons sont liées à la construction du marché européen, à la politique interne, à la création de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) par l'accord de Marrakech en 1994, et donc à l'arrivée sur le marché européen, et français en particulier, des laboratoires américains. L'Afssaps fait remarquer à cet égard au terme de son étude que, dans la même période, le marché français s'est considérablement internationalisé. Elle fait remarquer en effet que, en 1988, vingt-neuf produits sur les cinquante produits les plus vendus en officine étaient français. En 2008, ils ne sont plus que douze produits, tandis que pour l'hôpital, ces chiffres sont passés de douze à sept. La part des producteurs français sur le marché français a ainsi grandement diminué, avec une internationalisation du marché sous l'effet des politiques européennes et de la création de l'OMC.
Poursuivant notre recherche sur le niveau des prix européens, nous avons trouvé des résultats publiés dans le rapport de la Medical Expenditure Panel Survey (MEPS) de 2008 et les données d' Eurostat . Ils aboutissent globalement à un résultat identique pour la France, qui resterait un pays où les prix sont plutôt bas relativement aux autres pays européens (l'Allemagne et l'Italie étant les pays aux prix les plus élevés). En France, les prix, même après avoir beaucoup augmenté, restent ainsi modérés. En revanche, dans le même temps, les pratiques de consommation en volume des médicaments sont sorties de la norme observable chez la plupart de nos voisins. Le rapport de la MEPS a communiqué un certain nombre de données sur le sujet. Les Français, par exemple, consomment neuf fois plus de psychotropes que les Allemands. En France, nous avons donc maintenu des habitudes de consommation importantes voire excessives en volume, avec un effet d'augmentation du niveau des prix très important au cours des vingt dernières années.
Nous nous sommes ensuite intéressés à la manière la mieux appropriée pour maîtriser la dépense.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Je souhaite auparavant revenir sur l'évaluation et le contrôle du médicament. Vous proposez de transférer la responsabilité de fixer les prix à l'assurance maladie et de lui donner la possibilité de lancer des appels d'offres en matière de génériques. Pouvez-vous détailler la structure institutionnelle que vous envisagez pour le circuit du médicament, de l'autorisation de mise sur le marché (AMM) à la pharmacovigilance, en incluant la fixation des prix ? Pouvez-vous également détailler votre proposition de créer une base de données sur le médicament, alimentée par un fonds spécifique, susceptible de prévenir un certain nombre de futures crises sanitaires ?
M. André Wencker . - Comme je le précisais en introduction, le point de départ de mon enquête a été économique. L'enquête a, en outre, été publiée au mois d'octobre dernier, avant que ne soit évoquée dans la presse la malheureuse affaire du Mediator. Les aspects économiques nous ont ainsi intéressés en premier lieu. Ils nous paraissent, quoi qu'il en soit, toujours aussi importants aujourd'hui car nous pensons que certains événements se sont produits en raison de l'existence d'une industrie très puissante, à la forte capacité d'influence sur l'opinion publique et les décideurs au travers d'un ensemble de mécanismes (les emplois qu'elle génère notamment) qui peuvent expliquer l'affaire. Pour en revenir à votre question, l'idée d'avoir recours à des appels d'offres n'est pas de notre fait. Elle vient des exemples néerlandais, notamment, présents dans le rapport de la DG15. Aux Pays-Bas, où les régimes obligatoires sont en concurrence, certains opérateurs ont établi des appels d'offres qui leur ont permis d'obtenir des rabais sur le prix des produits génériques allant jusqu'à 80 %. Les appels d'offres s'inspirent en l'occurrence d'un système plus général mis en place en Nouvelle-Zélande. Il s'agissait de renverser le raisonnement d'acceptation des produits présentés par l'industrie selon ses intérêts. Personne ne déterminait en l'espèce le besoin en médicaments du pays et les entreprises décidaient en fonction de leur politique des produits qu'elles mettaient sur le marché.
M. François Autain , président . - Par vos propos, vous remettez en cause, à mon sens, la neutralité du comité économique des produits de santé (Ceps).
M. André Wencker . - La pratique est générale et mondiale. Je vous cite un exemple qui nous vient des Etats-Unis. Aux Etats-Unis, chaque année, 100 000 décès par infections nosocomiales sont recensés. Une grande part des décès seraient notamment dus à la résistance des souches bactériennes aux antibiotiques. Les autorités américaines s'en sont émues. Les solutions qu'elles ont mises en avant consistent notamment à prolonger les brevets de l'industrie pour lui procurer davantage de revenus encore et l'inciter ainsi à reprendre ses recherches sur les antibiotiques. Dans un pays qui est le temple du libéralisme, les autorités commencent par conséquent à s'inquiéter de la latitude laissée aux entreprises de décider des produits qu'elles mettent sur le marché. L'idée a notamment été avancée d'instaurer un espace de réflexion adéquat au sein de la société pour faire face aux risques sanitaires auxquels elle est confrontée en termes de médicaments.
Le résultat de la pratique en France est le suivant : 11 000 médicaments sont répertoriés en France. Selon l'Afssaps, 500 médicaments représentent 83 % de la consommation. La moitié des 11 000 médicaments représentent, en outre, un chiffre d'affaires de moins de 100 000 euros. Nous avons donc une profusion de médicaments en France. J'ai notamment repris les études de la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam) sur les effets de prix en France. Nous nous apercevons que sur certains types de pathologies, il existe parfois jusqu'à quatre-vingts présentations. Je pense que, de ce fait, résulte une surcharge pour les autorités sanitaires chargées de surveiller un nombre extrêmement élevé de médicaments, dont une certaine part est arrivée sur le marché sans apporter d'amélioration du service médical rendu. Nous constatons ainsi l'apparition, année après année, de médicaments dits « nouveaux » qui n'apportent pas de progrès thérapeutique et qui ne contribuent que médiocrement à la maîtrise des prix. Il s'agit d'une réelle difficulté. Pour surveiller l'affluence de médicaments, nous ne disposons peut-être pas du système qui convient. Je reconnais que je ne réponds pas à votre question. Je répète cependant que mon approche initiale était économique.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Sur l'appel d'offres, votre approche ne concerne que les génériques.
M. André Wencker . - Non. Mon propos portait sur les médicaments originaux et les médicaments génériques, aujourd'hui en grand nombre.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Selon vous, devrait-il appartenir à l'assurance maladie de fixer les prix ?
M. André Wencker . - Je pense qu'effectivement, l'assurance maladie devrait avoir une voix plus forte sur le sujet, car elle reste le financeur.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Vous n'avez pas en revanche réfléchi sur la structure institutionnelle concernant le circuit du médicament...
M. André Wencker . - Non. Je n'ai pas enquêté sur le sujet, mais l'assurance maladie possède les informations nécessaires dans une base de données très riche. L'assurance maladie obligatoire finance 75 % des dépenses, et les assurances complémentaires 11 %. L'enjeu est la maîtrise des dépenses pharmaceutiques, double de celles de l'Angleterre et supérieures d'un quart à celles de l'Espagne. Nous avons en France des dispositifs techniques sans commune mesure avec ce que nous dépensons, tandis que les médecins demandent qu'on leur laisse la liberté de prescrire.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Il y a toujours plusieurs paramètres dans une équation. Ce niveau de dépenses n'est-il pas également lié au large niveau de prise en charge par la protection sociale ? La carte Vitale donne une impression de gratuité...
M. André Wencker . - La responsabilisation, notamment des médecins, est un autre paramètre. Si le généraliste a obtenu d'être rémunéré comme un spécialiste, il doit être un spécialiste de la prescription.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Peut-on mettre en relation ce paramètre avec la générosité du système de protection sociale ?
M. François Autain , président . - Aux Etats-Unis où il n'y a pas de système du tiers payant, les dépenses de santé atteignent 18 % du PIB, soit un niveau très supérieur à celui de la France, et cinquante millions de personnes n'ont pas de couverture de sécurité sociale. La balance bénéfices-risques plaide vraisemblablement pour le système du tiers payant.
Enfin, pour les médecins, refuser de prescrire un médicament prend plus de temps que de refuser une prescription. Les médecins français ne prescrivent-ils pas trop, sous l'influence des laboratoires ?
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Par ailleurs, selon vous, qu'est-il possible d'attendre de la liste des soixante-dix-sept médicaments sous surveillance ?
M. André Wencker . - Je n'ai pas regardé la liste. Je n'ai simplement pas l'impression que la liste, en termes économiques une nouvelle fois, soit d'ampleur. Le problème du Mediator est très particulier. L'entreprise qui le produit a eu un comportement particulier. Je n'en dirai pas davantage. Il s'agit d'un point de vue personnel.
M. François Autain , président . - Soyez extrêmement prudent sur le sujet.
M. André Wencker . - Je serai extrêmement prudent. Simplement, j'ai lu le livre de Mme Frachon et le rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas). Ils comprennent des indications sur un phénomène qui reste relativement particulier. Pour ma part, j'étais intéressé par la notion d'équilibre de nos systèmes de santé dans la durée et par le poids, que je considère comme excessif, du médicament dans les dépenses que le système entraîne, en ville comme à l'hôpital. Le Ceps dit qu'il est vigilant sur les prix à l'hôpital. En ce qui concerne le médicament de ville, qui est le poste qui nous a intéressés, nous pensons que des économies importantes sont notamment réalisables, mais le coût des traitements est plus élevé en France du fait notamment de la pression des visiteurs médicaux.
M. François Autain, président . - Je vous remercie.
Audition de M. le professeur Pierre-Louis DRUAIS, président du Collège de médecine générale (jeudi 17 février 2011)
M. François Autain , président - Monsieur le professeur Pierre-Louis Druais, l'audition étant publique, je dois vous demander, en application de l'article L. 4113-13 du code de la santé publique, de nous faire connaître, si vous en avez, vos liens avec des entreprises produisant ou exploitant des produits de santé ou avec des organismes de conseil intervenant sur les produits concernés.
M. le professeur Pierre-Louis Druais . - Je vous remercie en premier lieu d'inviter en mon nom la médecine générale, qui est hautement concernée par le sujet qui nous intéresse.
Je suis aujourd'hui président du Conseil de la médecine générale. J'ai également été, durant huit, ans président du Collège national des généralistes enseignants, qui est une structure qui gère l'enseignement de la médecine générale. Elle a contribué à la création de la discipline et du diplôme d'études spécialisées. J'ai quitté la présidence du Collège national des généralistes enseignants au mois de novembre dernier. Auparavant, dans le cadre de mes fonctions, j'ai eu à gérer un conflit d'intérêts au sein même du Collège national des généralistes enseignants puisque les activités de recherche de type scientifique ont donné lieu à un certain nombre de partenariats avec le monde de l'industrie pharmaceutique. J'en citerai trois principalement : un partenariat avec Sanofi-Aventis pour la production d'un recueil bibliographique en médecine générale réalisé chaque année qui recense les cent articles scientifiques les plus contributifs à l'activité de la médecine générale ; un partenariat avec GSK dans le cadre des formations qui touchent à la fois au secteur du patient dépressif et au secteur de la relation entre le patient et le médecin ; un partenariat avec les laboratoires Pierre Fabre puisque j'ai personnellement dirigé un travail de recherche sur les carences en fer sans anémie chez la femme. Il s'agit des trois conflits d'intérêts que je souhaite nommer.
M. François Autain , président . - Il s'agit de liens d'intérêts. Il convient en effet de distinguer le lien d'intérêts et le conflit d'intérêts. Il ne s'agit pas en l'occurrence de liens d'intérêts personnels.
M. le professeur Pierre-Louis Druais . - Absolument. Il s'agit de liens d'intérêts qu'entretient mon collège avec certains laboratoires par des contributions à l'activité de médecine générale. En ce qui me concerne, je n'ai aucun lien d'intérêts personnel dans le sens d'une rémunération versée par les structures citées dans le cadre d'une activité ponctuelle ou pérenne.
M. François Autain , président . - Je ne mets pas en doute votre intégrité. Ne pensez-vous pas simplement que, dans la période actuelle, le fait qu'une société savante comme la vôtre soit financée même partiellement par l'industrie pharmaceutique puisse porter ombrage à la qualité ou à l'impartialité des préconisations qu'elle peut être amenée à émettre ? La question se pose. Je tiens à vous rassurer cependant. Vous n'êtes pas la seule société savante affrontant une telle situation.
M. le professeur Pierre-Louis Druais . - A mes yeux, il existe effectivement une difficulté que je souhaiterais voir résolue et disparaître. Elle ne touche pas cependant uniquement les sociétés savantes. Par exemple, dans l'Université, nous retrouvons des difficultés analogues. L'ensemble du système en réalité (pas uniquement la recherche) fait que la participation de l'industrie pharmaceutique est à ce jour incontournable. Toutefois, la gestion que j'opère de la relation avec l'industrie pharmaceutique ne m'empêche pas de me sentir libre de parole. En outre, dans le cadre des relations que nous avons instituées avec l'industrie pharmaceutique presque davantage par nécessité que par obligation, moins de 15 % de l'activité tournent autour des subsides concernés.
M. François Autain , président . - N'avez-vous pas peur d'être manipulé par l'industrie pharmaceutique ? Les laboratoires en effet ne sont pas des philanthropes. En l'occurrence, ils financent une activité comme la vôtre car ils y trouvent un intérêt. Ils espèrent un retour sur investissement. Ne risquez-vous pas dès lors inconsciemment, même si vous êtes libre de parole, d'être manipulé ?
M. le professeur Pierre-Louis Druais . - La réponse à votre question réside dans le fait que la situation ne doit pas être inconsciente. Il convient de rester conscient de la situation. Je reconnais que la tâche est complexe. A chaque étape, la réflexion ne doit pas se détourner cependant de cette considération.
M. François Autain , président. - Pensez-vous par exemple que, lorsque vous êtes interrogé à l'occasion d'une table ronde sur un médicament produit par Sanofi-Aventis, comme cela a pu se produire, vous pouvez avoir un jugement parfaitement objectif ?
M. le professeur Pierre-Louis Druais . - Je ne peux avoir un jugement que sur la notion de prise en charge des troubles du rythme cardiaque chez un patient mais en aucun cas sur l'impact du médicament. Je garde simplement à l'esprit l'ensemble des procédures thérapeutiques qui existent et la manière de les utiliser. En aucun cas, en revanche, je ne peux avoir une opinion sur un médicament. Tel n'est pas mon métier.
M. François Autain , président . - Tel n'est certes pas votre métier. Il reste cependant que vous avez participé sur une radio financée par Sanofi-Aventis à un tel débat. Je n'interdis pas pour ma part de participer à un débat sur une radio financée par un laboratoire. Simplement, le problème commence à devenir inquiétant lorsque des médecins qui participent à une table ronde ne présentent pas préalablement les liens d'intérêts qu'ils peuvent entretenir avec le laboratoire concerné, y compris à travers le collège pour lequel ils travaillent. Un tel oubli est en effet susceptible de générer des doutes chez certains médecins. Vous lisez probablement la revue Prescrire . Dans la rubrique du courrier des lecteurs, vous avez pu constater ainsi que vous avez été mis en cause par un médecin généraliste qui a décidé de ne plus écouter la radio dont il est question. Il s'agit d'un vrai problème. Si j'en avais le pouvoir, je souhaiterais de mon côté que les sociétés savantes n'aient plus rien de commun avec l'industrie pharmaceutique. Un tel souhait est en réalité un rêve. Au minimum, néanmoins, l'ensemble des sociétés savantes devraient afficher les relations qu'elles entretiennent avec l'industrie pharmaceutique sous peine de voir les situations de liens stigmatisées par les observateurs.
M. le professeur Pierre-Louis Druais . - Je tiens à préciser simplement que dans le cadre de la table ronde, je me suis exprimé sur la prise en charge des patients et non sur le produit en tant que tel. Tel n'était pas en effet mon propos. Je me plaçais simplement dans la pratique médicale.
M. François Autain , président . - Aucun des médecins présents à la table ronde n'a indiqué les liens d'intérêts, qui étaient en réalité des conflits d'intérêts, qu'il entretenait avec l'industrie pharmaceutique, contrairement aux termes de la loi. Les mentalités doivent changer. Dès lors qu'un professionnel de santé s'exprime, il doit en effet préciser s'il entretient ou pas un lien avec le laboratoire qui produit le médicament sur lequel porte l'intervention. Vous avez à présent la parole.
M. le professeur Pierre-Louis Druais . - Je commencerai par un constat. Dans de nombreux pays, l'organisation des soins est clairement structurée et le rôle de la médecine générale identifié en tant que soins primaires, non dans les mots comme en France où le médecin traitant n'a pas les moyens de jouer son rôle de « pivot du système ». Ces systèmes fonctionnent plutôt mieux et pour des coûts plus faibles (au Royaume-Uni par exemple) que dans ceux où les spécialistes par appareil ont l'exclusivité des médias et l'oreille des institutions. Mon expérience pendant des années à la commission de transparence a été édifiante sur ce point : travail préparatoire bénévole, rapport écrit et oral, exclusion des débats, et décision souvent loin des conclusions.
J'évoquerai le rapport de l'Igas. Il se suffit à lui-même.
D'une part, il est violent à l'égard de l'industrie et des agences, d'autre part, il préconise dans sa conclusion de s'appuyer sur les médecins (sans précision aucune) et les patients (sans précision dans le texte du rapport) pour éviter ce type de situation à l'avenir. Le rapport pointe relativement bien l'archaïsme du système de pharmacovigilance et les raisons de sa prévisible inefficacité (au-delà de l'éventuel dysfonctionnement critique que cette affaire a pu révéler). Il ne propose pas réellement d'alternative ; il précise cependant que sans les médecins, rien n'est possible. Je veux évoquer pour ma part la nécessité d'une recherche en médecine générale, clinique, sur le terrain, dotée de moyens. Elle débute mais n'est pas encore assez favorisée et reconnue, même si nous pouvons nous réjouir de son entrée dans le cadre d'un volet spécifique du programme hospitalier de recherche clinique (PHRC).
A propos de l'oubli catastrophique de la médecine générale dans le système, j'indiquerai que l'approche globale du médecin généraliste est un moyen approprié pour détecter certains dysfonctionnements de notre système sanitaire. Le généraliste, souvent le médecin de famille, connaît le patient dans toute sa complexité. Il peut détecter des « effets de bords des médicaments », imprévus ou sous-estimés, quand des spécialistes traitent des « tranches » de santé. Je pense que M. le président de cette commission ne me démentira pas. Il partage cette expérience.
Actuellement la médecine générale est encore privée de la reconnaissance universitaire. Elle doit quémander et militer en permanence pour développer l'embryon de filière qui lui est concédé avec réticence. Le généraliste, son rôle, son efficacité, restent en France trop ignorés tant du système de santé et de ses financeurs que de l'université. Aujourd'hui les éléments même de la loi HPST qui concernent la discipline et sa filière ne sont toujours pas respectés. Les moyens ne sont pas au rendez-vous, avec vingt professeurs titulaires et cent cinquante enseignants associés pour former plus de 50 % des étudiants en médecine.
L'investissement sur la médecine générale n'est toujours pas réalisé concrètement par l'assurance maladie, qui cherche prioritairement à effectuer des économies dans ce secteur alors que les marges économiques sont à l'évidence dans le coût des plateaux techniques. Cet investissement n'est pas opéré par les tutelles qui « raccommodent » en permanence le système de santé, sans prendre en compte le fait que lorsque le tissu est trop déchiré, les reprises ne peuvent pas tenir.
Privé de la sentinelle, du relais essentiel que représente la médecine générale, le système sanitaire français est aveugle, puisque la grande majorité des actes médicaux et des prescriptions médicamenteuses est réalisée en soins primaires. Il réagit au gré des données issues du contexte hospitalier, de son hyperspécialisation, de la puissance des lobbies, des liens confus entre l'hôpital, l'université, la formation, la recherche, d'une part, et les industriels, d'autre part. Des médecins généralistes mieux installés en faculté, mieux représentés dans les institutions sanitaires auraient certainement pu constituer un frein aux errements actuels, dont le Mediator n'est que la partie émergée.
Dans les faits, la revue Prescrire a été créée par des médecins généralistes. Elle fonctionne majoritairement avec des médecins généralistes abonnés. Les principaux lanceurs d'alerte sur les conflits d'intérêts et leurs conséquences sur la thérapeutique sont des médecins généralistes. Dans les faits, l'enseignement systématique sur les rapports bénéfices-risques de la thérapeutique médicamenteuse est effectué en troisième cycle de médecine générale, quand les moyens des départements de médecine générale le permettent.
Pour revenir au Mediator, j'ajouterai que le parcours de ce médicament illustre la nécessité d'un regroupement des différentes agences et commissions intervenant dans la politique du médicament, jusqu'à un guichet unique, où la médecine générale puisse être présente, où la pertinence clinique de l'effet du médicament soit prise en compte, où il ne puisse y avoir de décision politique dans un domaine purement technique. Ainsi, dans son avis de 1999, la commission de la transparence a considéré que le service médical rendu (SMR) du Mediator était insuffisant dans ses deux indications, position qui, de facto , aurait dû aboutir à un déremboursement. Il serait donc intéressant de savoir pourquoi les ministres de l'époque (Aubry, Kouchner) n'ont pas suivi l'avis de la commission, signant la poursuite du remboursement (qui plus est à 65 %). A cet égard, il serait intéressant également que le Sénat demande la liste des médicaments qui ont eu un SMR insuffisant à cette époque, pour regarder quels sont ceux qui ont préservé leur remboursement, pour mesurer l'étendue des incohérences. Par ailleurs, dans son avis de 2006, la même commission (avec un président différent) a émis un avis de SMR insuffisant dans l'indication « hypertriglycéridémie » du Mediator. Elle réservait en outre son avis sur l'indication « traitement d'appoint du diabète » dans l'attente des conclusions de la pharmacovigilance. Pour expliquer une telle différence entre 1999 et 2006, citons l'étude Moulin qui était plutôt en faveur d'une discrète efficacité de Mediator sur l'HbAlc, sans prise en compte de la pertinence clinique de cet effet.
J'ajoute qu'il convient d'être prudent sur le chiffre des décès (annoncé entre cinq cents et deux mille décès) car il s'agit d'une estimation construite avec un modèle statistique et non pas d'un comptage précis.
Je propose d'être également prudent sur la notion de prescription hors AMM car je rappelle l'indication : adjuvant du régime adapté dans les hypertriglycéridémies, idem dans le diabète avec surcharge pondérale . Nous savons que prise individuellement, l'hypertriglycéridémie (HTG) n'est pas un facteur de risque cardio-vasculaire tandis que les résumés des caractéristiques des produits (RCP) précisent que l'efficacité de la prévention primaire et secondaire des complications de l'athérosclérose n'est pas prouvée. Il en est de même pour de nombreux produits anti-cholestérol de première génération prescrit larga manu sans bénéfice pour les patients pendant des années. L'absence de guichet unique est évidemment une source de confusion majeure. L'AMM n'a pas de rapport avec la pertinence clinique, n'a pas de rapport avec les avis de la transparence, n'a pas de rapport avec le remboursement. Le problème de la prescription hors AMM n'est qu'une conséquence de la confusion qui existe. Le fait de se centrer sur ce sujet évitera d'aborder les vrais problèmes.
Quoi qu'il en soit, le système est prêt pour un nouveau scandale. La persistance sur le marché de médicaments d'efficacité douteuse et remboursés pendant de nombreuses années pose problème en soi. Elle met directement en cause les agences d'Etat et les décideurs. Les professionnels ne peuvent pas être les garde-fous d'un « système incohérent ». L'information et la formation des médecins, indépendantes de toute influence, sont difficiles à obtenir. Les outils permettant d'y contribuer n'ont pas été encouragés, par exemple les moyens de la formation initiale universitaire des généralistes toujours actuellement ridicules, les revues indépendantes de type Prescrire , dont la diffusion ne pénètre pas l'hôpital et les CHU, lieu emblématique de la formation initiale, une base de données médicamenteuse indépendante de type Theriaque, une formation indépendante de type formation professionnelle continue (FPC) indemnisée et réalisée sur le temps de travail dont les budgets diminuent pour laisser place au développement professionnel continu (DPC) et qui ne priorisent pas la réflexion sur la thérapeutique, la pharmacovigilance en soins primaires, confinée au bénévolat en plus de toutes les tâches des médecins et non rémunérée dans le système du paiement à l'acte.
Le système reste suffisamment incohérent pour que les recommandations qui sont censées être une base de réflexion pour le médecin privilégient des médicaments d'efficacité relative et sans aucun bénéfice clinique à terme, sur des critères intermédiaires, sans bénéfice pour les patients et avec des incidences économiques majeures. Le traitement médicamenteux de la maladie d'Alzheimer est un exemple caricatural d'une telle dérive.
Dans les faits, les médecins généralistes sont mis devant le fait accompli de la prescription des anti-Alzheimer (AC) qu'ils n'ont pas le droit de prescrire en première intention, mais sont supposés entériner en tant que médecin traitant la prescription hospitalière « spécialisée » devenue systématique de ces produits coûteux. Ils ont constaté que l'augmentation considérable du nombre de patients, la pression industrielle pour fournir une thérapeutique dans un marché en expansion massive, la pression sociétale illustrée par un plan ministériel, devenaient des justifications pour utiliser massivement des traitements inefficaces et dont le rapport bénéfices-risques est par définition défavorable. Ces traitements ont eu une AMM puis une évaluation de la transparence surréaliste avec un avis qui conditionne son utilisation abusive d'où est absente toute pertinence clinique.
Le terme même de médecin traitant traduit ce malaise : le médecin généraliste n'est plus décideur dans le soin ; il est traitant, donc contraint d'appliquer des directives venues d'ailleurs (protocoles, recommandations, décisions hospitalières ou spécialisées) sous peine de déconsidération voire d'attaques. Dans la réalité, nous sommes quasi quotidiennement confrontés au dilemme de poursuivre des traitements inutiles, coûteux et iatrogènes ou de les arrêter avec les difficultés qu'une telle décision entraîne avec les confrères, les patients et leurs familles.
Dans les faits, les médecins généralistes sont écartés des décisions en cancérologie concernant leurs patients car rien n'est prévu pour leur permettre d'assister aux réunions de concertation pluridisciplinaires. Les médicaments inutiles, iatrogènes et coûteux en cancérologie constituent probablement l'autre grand secteur où le circuit du médicament aboutit à des décisions que paient au sens propre comme au sens figuré les malades. Les soins pratiqués par les médecins généralistes sont peu onéreux, faciles d'accès pour les patients. Ils supportent en outre la comparaison avec les soins spécialisés. Pourtant le risque en France est de voir disparaître le plus pratique et le plus concret des garde-fous qui pourrait être efficace si les moyens lui étaient donnés.
La question qui se pose est grave : est-il encore temps de réagir ? Les jeunes médecins ont été formés à l'hôpital, qui n'est pas tendre pour ceux qui ne viennent pas du sérail. De longues années seront nécessaires avant de les convaincre de revenir vers le merveilleux métier qu'est ou malheureusement qu'était la médecine générale. Ces longues années risquent de coûter extrêmement cher à la Nation.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Dans l'affaire du Mediator, les médecins généralistes sont critiqués pour des prescriptions hors AMM. Estimez-vous que la liberté de prescription des médecins doive être mieux encadrée ?
M. le professeur Pierre-Louis Druais . - Les médecins qui ont partagé la prescription hors AMM sont nombreux : endocrinologues, diabétologues, spécialistes en obésité, nutritionnistes, généralistes. Nos confrères spécialistes ne sont donc pas étrangers à la situation. La prescription hors AMM n'en demeure pas moins le quotidien des médecins généralistes. Elle doit cependant être réalisée dans le respect de deux notions régaliennes, le signalement de la prescription et le fait que la prescription n'est pas couverte par l'assurance de responsabilité civile. A ce jour, dans l'ensemble des hôpitaux de France, des prescriptions hors AMM sont effectuées. Elles sont ensuite répercutées auprès des médecins généralistes ou spécialistes comme constituant une pratique licite. Le « consensus professionnel » engendre donc le fait que la prescription hors AMM peut être utilisée (par exemple dans le cas du Rivotril, utilisé chaque jour). Le médecin n'en doit pas moins demeurer circonspect lorsqu'il conseille un patient. La parole du médecin reste en effet d'importance dans notre société vis-à-vis du patient.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Pensez-vous par ailleurs que la formation des médecins en matière de pharmacologie doive être réformée ?
M. le professeur Pierre-Louis Druais . - Les médicaments comprennent parfois des excipients qui sont source d'intolérance. Ce point, parmi d'autres, complexifie la situation en matière de pharmacologie. Je citerai notamment également la foultitude de génériques qui n'en sont pas car ils ne copient pas exactement le produit initial. Un médecin généraliste doit notamment, pour trouver le principe actif d'un produit, dérouler deux écrans sur son ordinateur. Si vous y ajoutez le fait que le pharmacien délivrera peut-être un autre générique, nous évoluons ainsi, dans le domaine, dans la folie totale.
M. François Autain , président. - Je souhaite vous poser une dernière question pour conclure. Comment votre revue Exercer est-elle financée ?
M. le professeur Pierre-Louis Druais . - La revue Exercer, dont je ne suis plus le directeur de publication, est entièrement financée par des fonds propres et des abonnements. Elle est ainsi malheureusement déficitaire. L'année prochaine, par conséquent, elle cessera sa publication, tandis qu'elle atteignait l'étape de l'indexation. En France, malheureusement, rien n'est fait pour que des revues de qualité existent.
M. François Autain, président . - Je vous remercie.
Audition du Professeur Jean-Louis MONTASTRUC, professeur de pharmacologie clinique, chef du service de pharmacologie clinique du CHU de Toulouse, responsable du centre régional de pharmacovigilance de Toulouse (mardi 1er mars 2011)
M. François Autain, président . - Vous avez souhaité que cette audition se tienne à huis clos et ne soit pas ouverte à la presse. Cette réunion n'étant pas publique, je vous propose de décliner vos liens d'intérêts.
M. Jean-Louis Montastruc, professeur de pharmacologie clinique, chef du service de pharmacologie clinique du CHU de Toulouse, responsable du centre régional de pharmacovigilance de Toulouse . - J'ai souhaité que cette réunion se tienne à huis clos car je ne suis pas un homme public ; je relève du secteur hospitalo-universitaire. J'ai deux liens d'intérêts, l'un avec le laboratoire Therabel Lucien qui fabrique le Nexen et l'autre avec la revue Prescrire dont je suis l'un des collaborateurs de longue date. En tant que pharmacologue, j'ai publié la première observation française relative à une valvulopathie sous Mediator.
M. François Autain, président . - Pourquoi dites-vous que cette observation est la première à avoir été effectuée ? Considérez-vous la valvulopathie qui a été signalée par le docteur Georges Chiche, à Marseille, comme nulle et non avenue ?
M. Jean-Louis Montastruc . - L'observation dont je parle est la première à avoir été publiée, contrairement à celle effectuée par le docteur Chiche. De même, les observations effectuées en 2004, concernant deux soeurs, à Toulouse, dont la pathologie n'était pas très évocatrice, n'ont pas été publiées.
Selon mon point de vue de pharmacologue, qui se bat jour après jour en faveur d'une bonne utilisation des médicaments, l'affaire du Mediator illustre deux carences majeures, en France.
La première carence concerne l'insuffisance de la culture pharmacologique, qui consiste à confronter les données de base du médicament à la pratique clinique. Rappelons que le Mediator n'est pas un médicament antidiabétique, ni un médicament destiné à favoriser l'amaigrissement. Il s'agit d'un produit amphétaminique qui, de par ses propriétés, produit des effets attendus et des effets défavorables. La question posée est donc la suivante : les propriétés de base d'un produit amphétaminique peuvent-elles être transférées à la pratique clinique, en fonction de ses avantages et de ses inconvénients ?
La deuxième carence concerne l'insuffisance de la culture relative au risque médicamenteux. En France, la pharmacovigilance est une branche méprisée, maltraitée de la pharmacologie. En comparaison avec toutes les actions engagées pour évaluer les bénéfices des médicaments, l'évaluation des risques reste insuffisamment développée. Je suggère donc cinq pistes de réflexion.
D'une part, il me paraît très important de renforcer le fonctionnement des centres régionaux de pharmacovigilance (CRPV). Nos missions sont immenses alors que nos moyens sont ridicules par rapport aux autres services hospitaliers. En 2005, une modélisation a été effectuée par la Direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins (Dhos) et par l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) sur le personnel dans ces centres : parmi ces trente et un centres, vingt et une structures ont à peine les moyens de fonctionner. Depuis cette date, au CHU de Toulouse, je plaide en faveur d'un deuxième praticien hospitalier. Or je me heurte systématiquement au refus des autorités.
Les CRPV ont besoin de praticiens hospitaliers pour valider les signaux. Depuis 2006, au CHU de Toulouse, la direction des relations humaines nous a attribué des assistants de recherche clinique (Arc) qui, dans tous les hôpitaux de la région, relèvent les effets indésirables des médicaments. En cinq ans, cette initiative, peu coûteuse et particulièrement efficace, a permis de multiplier par 4,5 le nombre d'observations réalisées, puisque 148 observations ont été relevées en 2006 contre 674 observations en 2010.
D'autre part, dans le domaine de la pharmaco-épidémiologie, j'insiste sur l'importance de la notification spontanée, qui reste la base du signal. Celle-ci exige à la fois une compétence médicale et une compétence pharmacologique. S'agissant du Mediator, elle a été négligée. Il faut absolument la renforcer, par des moyens modernes. A Toulouse, une notification en ligne a été mise en place depuis juillet 2010. En ce début du mois de mars 2011, cent notifications en ligne ont d'ores et déjà été effectuées.
Le nombre de notifications pourrait constituer un élément important pour l'accréditation des services, des pôles hospitaliers, des hôpitaux, des médecins et des pharmaciens. A mon sens, un médecin généraliste qui, durant une année entière, ne déclare aucune observation de pharmacovigilance ne répond pas à sa mission de santé publique.
Certes, une équipe de l'Inserm se consacre à la pharmaco-épidémiologie. Néanmoins, contrairement à une affirmation répandue, celle-ci ne peut répondre à l'ensemble des questions.
C'est à partir des notifications spontanées, et non sur la base d'un simple brassage des données, qu'une étude de pharmaco-épidémiologie peut être lancée. Entre 1998 et 2005, parmi vingt et un médicaments qui ont été retirés du marché, la pharmaco-épidémiologie n'a été à l'origine que d'un seul retrait. Ce sont les notifications spontanées qui ont suscité la majorité des décisions : il a fallu ce signal pour que l'Afssaps réalise une étude sur les valvulopathies sous benfluorex, auprès de la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam).
Le recours à la pharmaco-épidémiologie pose le problème de la qualité des bases de données : actuellement, aucune base, notamment à la Cnam, n'est constituée pour étudier les effets indésirables des médicaments.
Enfin, la mise en place des études de pharmaco-épidémiologie est une aubaine pour les firmes car plusieurs mois s'écoulent entre l'évocation d'un signal et le résultat des études. Durant ce délai, le médicament reste sur le marché. Si les signaux relatifs au Mediator avaient été suivis, ce médicament aurait pu être retiré beaucoup plus tôt du marché, sans attendre les données de pharmaco-épidémiologie.
Mme Marie-Thérèse Hermange . - Les données issues du dossier pharmaceutique (DP) pourraient-elles constituer une base de données ?
M. Jean-Louis Montastruc . - Elles pourraient constituer une base de données, mais elles ne seront pas exhaustives car le patient peut refuser que certains médicaments y soient mentionnés. Or, dans un pays moderne, les autorités de contrôle doivent avoir accès à l'ensemble des données relatives aux médicaments prescrits à l'ensemble des patients.
Ma troisième suggestion consiste à renforcer l'information indépendante. En ce sens, la revue Prescrire constitue un modèle. Par ailleurs, des bulletins sont édités par les CRPV. Le service de pharmacologie clinique du CHU de Toulouse publie le bulletin Bip31.fr Celui-ci fait partie de l' International Society of Drug Bulletins , tout comme la revue Prescrire .
Je souhaite, à ce propos, évoquer le problème posé par les visiteurs médicaux qui interviennent à tort et à travers dans les hôpitaux. Ils entrent dans les chambres des patients, dérangent leurs visiteurs, financent tel repas de service, tel voyage ou tel congrès. Il a été démontré que ces visiteurs médicaux exercent une influence sur les plus jeunes prescripteurs de médicaments, qui ont moins de recul que des praticiens plus âgés : les internes et les chefs de clinique s'avèrent beaucoup plus sensibles à leurs arguments qu'à ceux de la revue Prescrire .
Dès maintenant, il convient donc de débattre sur l'intrusion de ces visiteurs médicaux dans les lieux de formation, c'est-à-dire les facultés de médecine, de pharmacie et les hôpitaux universitaires. Accepterions-nous qu'un commercial fasse intrusion lors d'une séance au Sénat pour vanter les mérites de son matériel ?
M. François Autain, président . - Dans l'état actuel de la réglementation, un chef de service peut recevoir des visiteurs médicaux s'il le souhaite. Il paraît donc difficile d'interdire aux visiteurs médicaux l'accès aux hôpitaux et les tournées chez les médecins généralistes. Je n'ai pas de réponse à cette question.
M. Jean-Louis Montastruc . - Dans un premier temps, il conviendrait de réglementer cet accès. Dans mon service, les visiteurs médicaux peuvent uniquement prendre part à la réunion « officielle » du lundi. Certes, je n'ai pas de solution miracle à proposer, mais il me semble urgent d'alerter les pouvoirs publics.
Ma quatrième proposition consiste à renforcer l'enseignement de la pharmacologie, en distinguant clairement celle-ci de la thérapeutique. Nos confrères ont besoin qu'on leur rappelle la classe pharmacologique des médicaments, leurs propriétés de base, leurs interactions pertinentes sur le plan clinique mais aussi leurs effets indésirables et les pathologies qu'ils peuvent favoriser. Il est ainsi avéré que la pioglitazone, principe actif qui fait baisser la glycémie, augmente le risque de cancer de la vessie : le médicament Actos, présent sur le marché depuis 2006, ne devrait donc plus s'y trouver. Il conviendrait de renforcer l'enseignement de la pharmacologie dès la première année des études de médecine et de pharmacie, et même dès l'école car nous sommes tous des futurs consommateurs de médicaments. L'enfant doit être sensibilisé au fait que le médicament n'est pas un produit anodin : il génère des bénéfices mais aussi des risques. Une expérience pédagogique, dans ce domaine, a été réalisée à Toulouse.
Enfin, je propose quelques pistes de réflexion sur le fonctionnement de l'Afssaps où j'ai l'occasion de me rendre régulièrement, notamment depuis 1990 en tant que directeur du CRPV de Midi-Pyrénées, même si j'ai toujours refusé la présidence des commissions qui m'ont été proposées.
M. François Autain, président . - Etes-vous, depuis cette date, membre de la commission nationale de pharmacologie ?
M. Jean-Louis Montastruc . - Non, j'en ai été membre depuis 2000 ou 2002 jusqu'en 2007, et j'en fais à nouveau partie. En ce qui concerne l'autorisation de mise sur le marché ou AMM, il faudrait, pour qu'elle soit conférée à un médicament, qu'une comparaison soit effectuée avec un comparateur actif plutôt qu'avec un placebo. Par ailleurs, même si cette proposition paraît extrémiste, la délivrance d'une AMM ne devrait être conditionnée qu'au progrès thérapeutique constaté. Il faut cesser de commercialiser des médicaments dont le service médical rendu (SMR) est évalué au niveau 5. Je suis intimement persuadé qu'un jour ou l'autre, nous y parviendrons.
M. François Autain, président . - Quand un SMR de niveau 5 est conféré à des médicaments qui ne génèrent pas de progrès thérapeutique, l'objectif consiste à faire réaliser des économies à la sécurité sociale. Selon le texte réglementaire, ces produits peuvent être inscrits sur la liste des médicaments remboursés uniquement s'ils permettent à la sécurité sociale de réaliser une économie.
M. Jean-Louis Montastruc . - Cependant, le Febuxostat, c'est-à-dire le nouvel Allopurinol, est huit fois plus cher que l'ancien Allopurinol.
M. François Autain, président . - J'aurais tendance à être d'accord avec vous. D'ailleurs, j'ai demandé à plusieurs reprises que le montant des économies ainsi réalisées par la sécurité sociale soit chiffré. Je n'ai jamais obtenu de réponse.
M. Jean-Louis Montastruc . - Pour ma part, je considère que ce type de médicaments ne permet pas de réaliser des économies.
S'agissant de l'Afssaps, je pense qu'il faut y développer l'expertise interne, tout en maintenant l'expertise externe. De nombreux experts internes sont de jeunes étudiants, fraîchement émoulus de la faculté de médecine ou de pharmacie. En revanche, les seniors dont le métier est l'évaluation y sont rares. Il serait judicieux, à l'exemple de l'agence britannique, que tel ou tel professeur de pharmacologie vienne y faire part de son expérience, en fin de carrière, pour renforcer une évaluation de qualité.
Je constate également un manque de coordination et de communication entre les nombreux groupes de travail, au sein de l'Afssaps, mais également des agences sanitaires comme la Haute Autorité de santé (HAS). Il faudrait simplifier les activités, souvent redondantes.
M. François Autain, président . - Quelles propositions effectuez-vous pour éviter ces redondances ?
M. Jean-Louis Montastruc . - Je suis persuadé qu'il faudrait séparer, de manière définitive et exemplaire, l'évaluation pré-AMM et post-AMM. En effet, les experts qui évaluent tel médicament avant la délivrance d'une AMM ne devraient pas être consultés, quelques années plus tard, pour revenir sur leur avis. Depuis longtemps, la Food and Drug Administration (FDA) souhaite dissocier ces deux activités.
Le dossier d'AMM et le dossier réalisé par la Commission de la transparence sont analysés par deux commissions différentes, au sein de deux structures différentes. Or ils s'avèrent quasiment les mêmes : « rapprocher » ces dossiers permettrait de réaliser un gain de temps. Une fois le médicament mis sur le marché, l'Afssaps jouerait pleinement son rôle d'agence vouée à la sécurité sanitaire.
M. François Autain, président . - Cette séparation est-elle effective dans certains pays étrangers ?
M. Jean-Louis Montastruc . - Non, à l'étranger ce système n'existe pas. Néanmoins, je souligne le fait que la FDA a beaucoup insisté sur ce point lors de l'affaire du Vioxx. Une telle séparation faciliterait des prises de décisions plus rapides.
M. François Autain, président . - Iriez-vous jusqu'à préconiser que la Commission nationale de pharmacovigilance émette un avis de retrait sans consulter la Commission d'AMM ? Dans ce cas, il appartiendrait ensuite au directeur général de suivre cet avis.
M. Jean-Louis Montastruc . - Tout à fait. Le noeud de l'affaire Mediator se situe bien à ce niveau. Au sein de la Commission nationale de pharmacovigilance, j'ai fait partie des personnes qui, en 2007, ont demandé la réévaluation du rapport entre les bénéfices et les risques suscités par ce médicament. Malheureusement, il était déjà trop tard. La Commission nationale de pharmacovigilance a estimé qu'il existait un rapport défavorable. Or, la commission d'AMM a rendu un avis contraire. Ce dysfonctionnement montre bien que l'empilement d'une structure au-dessus de l'autre ne convient pas.
La Commission nationale de pharmacovigilance, dès lors qu'elle est bien constituée, est tout à fait capable d'évaluer le rapport entre les bénéfices et les risques liés à un médicament. Je le répète, on ne connaît pas l'action de la pioglitazone sur l'évolution du diabète mais il est avéré que celui-ci augmente les risques de cancer de la vessie.
M. François Autain, président . - En revanche, la rosiglitazone, qui correspondait au médicament Avandia, a été retirée du marché.
Vous soulignez qu'une divergence d'avis peut apparaître entre la Commission d'AMM et la Commission nationale de pharmacovigilance, même si le cas se présente rarement. Cette divergence est apparue au sujet du benfluorex, principe actif du Mediator : le directeur général s'est trouvé dans une très grande difficulté et n'a pas pris de décision. Habituellement, un consensus est systématiquement recherché entre la Commission d'AMM et la Commission nationale de pharmacovigilance, comme le souligne le rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas). Or cette recherche de consensus entraîne la prescription d'études qui peuvent se prolonger de manière délétère. Comment peut-on y remédier ?
M. Jean-Louis Montastruc . - Si la Commission d'AMM et la Commission nationale de pharmacovigilance relèvent d'instances différentes et si cette dernière possède de véritables responsabilités dans la phase post-AMM, il n'y aura plus besoin de demander son avis à la Commission d'AMM. Il faut que cette commission soit majeure et puisse prendre ses décisions.
Ma dernière préconisation porte sur l'Afssaps, que j'estime trop soumise à la réglementation européenne. De multiples exemples montrent que les décisions qui doivent être prises, en France, au sujet d'un médicament, restent suspendues à un avis européen. Cette attente, qui peut s'éterniser pendant des mois, constitue une véritable aubaine pour les firmes. Or une loi permet à chaque pays de suspendre temporairement un médicament, comme cela s'est produit en Finlande ou en Espagne. A ma connaissance, jamais ce type de décision n'a été pris en France.
M. François Autain, président . - Si, cela s'est produit pour le Kétoprofène.
M. Jean-Louis Montastruc . - Pour citer un exemple, en 2002, j'ai été responsable du suivi de pharmacovigilance de la sibutramine, principe actif correspondant au médicament Sibutral, un amphétaminique prescrit contre l'obésité. Après la réunion, il a été indiqué à Philippe Duneton, directeur de l'Afssaps, que le rapport entre les bénéfices et les risques était considéré comme défavorable. Celui-ci a déclaré que le médicament serait retiré du marché. Or la décision, au niveau européen, n'était pas encore prise. Il a fallu sept ans pour que ce retrait devienne effectif, en 2009. Je n'élève aucune critique envers Philippe Duneton mais j'attire votre attention sur ces problèmes de fonctionnement.
La France doit prendre ses entières responsabilités vis-à-vis des patients, et la notion de pharmacologie sociale doit être prise en compte. Selon les pays, il existe des spécificités relatives à la consommation des individus, à l'utilisation d'un médicament, aux réactions qu'il suscite et notamment à ses effets indésirables. La consommation de médicaments n'est pas la même à Séville et à Copenhague. Il n'est pas toujours acceptable de se conformer à un avis européen centralisé, surtout s'il est rendu avec retard.
Mme Marie-Thérèse Hermange . - Pensez-vous que l'étude publiée en 2006 concernant un seul cas, celui d'une patiente de quarante-huit ans souffrant d'une valvulopathie sous Mediator, aurait dû suffire pour décider le retrait du médicament ? Quels signalements relatifs aux effets indésirables de ce produit avez-vous reçus avant 2010 ? Quelle réaction ont-ils suscité ?
M. Jean-Louis Montastruc . - L'analyse anatomo-pathologique effectuée pour cette patiente âgée de quarante-huit ans montrait des lésions caractéristiques sous Mediator. Par ailleurs, nous disposions de l'étude espagnole publiée en 2004 et de la plausibilité pharmacodynamique relative à un médicament amphétaminique. Un tel contexte aurait dû conduire au retrait du Mediator car ce médicament s'avérait inefficace, tout en suscitant des effets indésirables graves. Le rapport entre ses bénéfices et ses risques n'était pas considéré comme favorable.
Dans le passé, l'Ananxyl, un médicament anxiolytique, a été retiré du marché sur la foi d'une seule observation bien faite.
M. François Autain, président . - A quelle date le retrait du Mediator pouvait-il être envisagé ?
M. Jean-Louis Montastruc . - Son retrait pouvait être envisagé en 2005-2006, c'est-à-dire dès que notre observation a été publiée.
Mme Marie-Thérèse Hermange . - Comment les spécialistes pouvaient-ils se mobiliser pour obtenir le retrait du Mediator ? Comment faire « bouger » le système ?
M. Jean-Louis Montastruc . - Pour ma part, je me suis mobilisé mais je n'ai pas été entendu. De même, concernant la pioglitazone, je me mobilise depuis plusieurs mois sans obtenir l'écoute nécessaire.
Mme Marie-Thérèse Hermange . - D'autres affaires, selon vous, pourraient-elles exploser un jour ?
M. Jean-Louis Montastruc . - Le bulletin que nous publions s'appelle le Bip31.fr. Depuis plusieurs mois, il fait état d'une liste de médicaments à éviter : une dizaine de produits sont mentionnés, comme l'Arcoxia, un médicament anti-inflammatoire non stéroïdien qui provoque de l'hypertension artérielle. Il est incompréhensible qu'un tel médicament ait pu être commercialisé. Il en va de même pour le Celebrex ou le Parlodel utilisé pour l'inhibition de la lactation. Cependant, je considère que la question la plus urgente porte sur la pioglitazone : un médicament qui suscite des risques accrus de cancer ne peut pas rester sur le marché.
Mme Marie-Thérèse Hermange . - Les activités des centres régionaux de pharmacovigilance (CRPV) sont-elles suffisamment prises en considération et relayées au plan national ?
M. Jean-Louis Montastruc . - Les CRPV travaillent beaucoup mais ils ont peu de moyens. L'enjeu fondamental consiste à réformer la prise en compte du risque, dans nos facultés de médecine. L'ouvrage publié par Aquilino Morelle, La Défaite de la santé publique , évoque l'affaire du sang contaminé mais la même inertie peut être constatée dans le domaine des médicaments : entre 1996 et 2011, rien n'a changé. Notre culture du risque est insuffisante.
Mme Marie-Thérèse Hermange . - Quelles conséquences institutionnelles la séparation de la procédure d'AMM et du suivi post-AMM pourrait-elle entraîner ? Comment mettre en place un système de contrôle permettant une véritable dissociation entre ces deux démarches ?
M. Jean-Louis Montastruc . - Actuellement, la Haute Autorité de santé (HAS) et l'Afssaps ne possèdent pas le même statut. La Direction générale de la santé (DGS) pourrait, à cette occasion, jouer pleinement son rôle de coordination entre les deux instances. Prenons l'exemple d'une aberration. Depuis quelque temps, la pharmacovigilance des essais cliniques se développe. Dans mon service, l'une de mes collaboratrices est chargée d'étudier les effets indésirables des médicaments, avant l'AMM tandis que la pharmacovigilance relève du suivi post-AMM.
Récemment, le Revlimid, un médicament qui génère des risques de cancer, a fait parler de lui. A cette occasion, j'ai pu me rendre compte que la communication entre les responsables de l'AMM et les responsables du suivi post-AMM était inexistante : l'un, à l'Afssaps, est rattaché aux essais cliniques ; l'autre exerce un contrôle de pharmacovigilance. Pourtant, leur démarche relève bel et bien d'une continuité.
Ce dysfonctionnement est frappant, y compris à l'intérieur d'une même agence. Il ne s'agit pas seulement d'un problème de structures mais aussi d'un problème relationnel. Les uns se réunissent à la Fédération hospitalière de France, les autres à l'Afssaps. Il serait bon que les responsables de la vigilance des essais cliniques rencontrent périodiquement ceux des centres régionaux de pharmacovigilance.
Mme Nathalie Goulet . - Monsieur le professeur, je souhaite d'abord vous remercier pour la qualité de votre exposé. Les schémas, les responsabilités et les blocages ont été mis en lumière de manière très claire. Vous avez donc accompli votre mission d'avertissement. Par la suite, vous avez tenté de relancer cette vigilance et vous n'y êtes pas parvenu.
Je me souviens, pour ma part, de l'affaire du Dinintel. Cette amphétamine a été retirée du marché alors que le Mediator n'a pas été suspendu. Pourtant, ces médicaments présentent des similitudes. Si vous aviez été écouté, dès 2006, le Mediator aurait été retiré du marché. A quel étage du dispositif identifiez-vous le blocage ?
M. François Autain, président . - Dès 1999, nous disposions de signaux très forts. Le cas de valvulopathie rapporté à Marseille a été reconnu mais n'a pas fait l'objet d'une publication. Par ailleurs, un cas d'hypertension artérielle pulmonaire a été détecté à l'hôpital Antoine-Béclère, à Clamart. La même année, la commission de la transparence a estimé que le Mediator ne méritait pas d'être pris en charge car son service médical rendu (SMR) était insuffisant. Cet ensemble de signaux aurait dû conduire, en toute logique, à la suspension du médicament.
M. Jean-Louis Montastruc . - Les responsables de la pharmacovigilance, à l'Afssaps, effectuent un travail intense et de grande qualité mais la communication avec le directeur de l'évaluation, le directeur de l'Afssaps et les autres commissions, reste insuffisante.
Au début des années 2000, je me suis beaucoup battu pour souligner les risques induits par les coccides. La Commission nationale de pharmacovigilance a effectué une étude mais nul ne sait ce que les représentants français ont indiqué aux responsables de niveau européen. Nul ne contrôle l'avis de ces fonctionnaires d'Etat, qui ne rendent de comptes à personne. Cela pose un problème majeur.
Mme Marie-Thérèse Hermange . - Néanmoins, la Commission nationale de pharmacovigilance émet une note dont on peut supposer qu'elle est transmise à un niveau supérieur.
M. Jean-Louis Montastruc . - Cette note est transmise au directeur de l'évaluation, qui peut en parler ou non au directeur de l'Afssaps. A la place que j'occupe, je n'en sais pas plus.
M. Dominique Leclerc . - Monsieur le professeur, je souhaite revenir sur le manque de culture en pharmacologie, dans notre pays, et sur le nombre de chaires de pharmacologie en France, dans les facultés de médecine et de pharmacie.
M. Jean-Louis Montastruc . - Dans les facultés de médecine, la quasi-totalité des centres hospitaliers universitaires (CHU) en sont pourvus.
M. Dominique Leclerc . - En France, on recense une cinquantaine de chaires de pharmacologie. Vous dénoncez le manque de culture qui prévaut en matière de pharmacovigilance. Cependant, des conférences de doyens sont organisées. Il me semble que l'enseignement et la thérapie s'adaptent aux exigences d'aujourd'hui. Il existe cinq agences importantes et cinq agences plus modestes dont les responsables travaillent beaucoup, émettent maintes notes mais ne communiquent pas entre eux. C'est dire qu'en matière de pharmacovigilance, ce régime est technocratique. Il ne faut donc pas s'étonner que l'affaire Mediator ait pu éclater et que d'autres anomalies puissent se produire à l'avenir.
Par conséquent, je ne vois pas bien de quelle manière le législateur pourrait intervenir. Comment des lois supplémentaires pourraient-elles résoudre le problème ?
Par ailleurs, je m'étonne que vous puissiez déplorer le comportement de visiteurs médicaux à l'hôpital. Seules les personnes autorisées ont le droit de pénétrer dans les services et dans les chambres des malades. Dans chaque pôle, l'autorité est conférée à un « patron », c'est-à-dire le directeur du pôle.
M. Jean-Louis Montastruc . - Les visiteurs médicaux entrent à l'hôpital sans demander l'avis de quiconque, et pourquoi pas avec une bouteille de champagne. Le directeur du pôle n'est pas forcément présent. La situation évolue beaucoup, et de manière négative.
Dans les facultés, les étudiants doivent préciser les propriétés de base des médicaments. Il ne suffit pas de dire qu'un médicament est un hypertenseur. Est-ce un bétabloquant, un diurétique utilisé contre l'hypertension artérielle ? Le message relatif à la pharmacovigilance doit être fort.
M. Alain Fauconnier . - Vous jugez nécessaire d'intégrer des notions sur les médicaments au programme scolaire. Cette idée me paraît judicieuse mais sa concrétisation ne paraît guère simple. Sous quelle forme évoquer cette problématique au collège ?
M. Jean-Louis Montastruc . - Une expérience pédagogique a été menée au lycée Pierre-de-Fermat, à Toulouse. Plusieurs fois, j'ai eu l'occasion de rencontrer des élèves de seconde pour évoquer les médicaments, leurs caractéristiques, le rôle de l'AMM et la notion de risque médicamenteux. Il me semble important de sensibiliser les enfants à cette thématique : on ne prend pas n'importe médicament à la légère, à la moindre douleur. Il convient également d'enseigner aux jeunes les dangers des drogues. Les enseignants en sciences de la vie et de la terre (SVT) ont toutes les compétences nécessaires pour prodiguer ces notions.
Mme Nathalie Goulet . - Vous constatez des insuffisances dans le domaine de l'enseignement en pharmacologie. Quel est l'avis de vos collègues ? Avez-vous l'occasion de vous réunir et d'élaborer un programme intégrant le dispositif sur les bénéfices et les risques des médicaments ? Quelle vulgarisation pédagogique le ministère de l'éducation nationale pourrait-il élaborer ?
Le discours sur la bonne utilisation des antibiotiques est bien passé dans le langage courant : chacun le comprend. Peut-être pourriez-vous élaborer, communément avec vos collègues, une note destinée aux professeurs de SVT. Cette démarche pourrait jeter un pont utile entre vos propos et l'application pratique que nous pourrions tirer de cette audition.
M. Jean-Louis Montastruc . - Je n'ai pas le souvenir d'avoir évoqué la question de l'enseignement en pharmacologie avec mes collègues. Cependant, beaucoup partagent mon avis. En tout cas, je suis prêt à vous aider, pour ma part.
Mme Marie-Thérèse Hermange . - Le dispositif de pharmacovigilance doit-il être systématiquement étendu aux dispositifs médicaux ? Par ailleurs, la liste de médicaments à éviter, publiée par le bulletin Bip31.fr, a-t-elle été transmise au directeur de l'évaluation des médicaments et des produits biologiques, à l'Afssaps, voire au ministère de la Santé ?
M. Jean-Louis Montastruc . - S'agissant des dispositifs médicaux, je n'ai pas vraiment les compétences pour répondre à votre question. Cependant, je répondrais plutôt par l'affirmative.
Quant au bulletin Bip31.fr, je pense que Philippe Lechat le reçoit. Je n'ai pas transmis ce bulletin au ministère de la Santé. Cependant, lorsque l'affaire du Mediator a éclaté, j'ai écrit plusieurs fois au ministre pour solliciter un rendez-vous. Je n'ai jamais obtenu de réponse.
M. François Autain, président . - Au sein de la Commission nationale de pharmacovigilance, ne serait-il pas souhaitable de recourir plus fréquemment au vote, plutôt qu'à la recherche de consensus ?
Par ailleurs, j'ai été frappé, en lisant certains comptes rendus de réunions de la Commission nationale de pharmacovigilance, qu'aucune référence ne soit faite au service médical rendu par un médicament. Il convient, je suppose, d'être beaucoup plus vigilant pour un médicament dont le SMR s'avère insuffisant que pour un médicament contre le cancer, par exemple. La référence aux SMR, au sein de la commission, permettrait-elle d'obtenir une suspension plus rapide des médicaments ?
M. Jean-Louis Montastruc . - Le recours plus fréquent au vote, au sein de la Commission nationale de pharmacovigilance, me paraît souhaitable. Il m'a semblé, lors des dernières réunions, que cette évolution commence à se mettre en place. Les décisions nécessitent parfois d'être tranchantes.
Dans les comptes rendus de réunions, il n'est pas fait mention du rapport entre les bénéfices et les risques d'un médicament. Cependant, cette notion fait continuellement partie de nos arrière-pensées. Elisabeth Autret, vice-présidente de la commission de la transparence et membre de la Commission nationale de pharmacovigilance, y fait systématiquement référence.
M. François Autain, président . - Je vous remercie.
Audition de M. Philippe LAMOUREUX, directeur général du des Entreprises du médicament (Leem), ancien directeur auprès du directeur général (1994-1997) et ancien secrétaire général (1997-1998) de l'Agence du médicament (mardi 1er mars 2011)
M. François Autain, président . - Vous êtes actuellement directeur général du Leem (Les Entreprises du médicament). En outre, vous avez été membre du cabinet de Martine Aubry et directeur général de l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (Inpes).
Je vous informe que cette audition est ouverte à la presse et donne lieu à un enregistrement audiovisuel en vue de sa diffusion sur Public Sénat et sur le site Internet du Sénat. En application de l'article L. 4113-13 du Code de la santé publique, je vous demande de faire connaître, le cas échéant, vos liens d'intérêts avec des entreprises produisant ou exploitant les produits de santé ou des organismes de conseils intervenant sur ces produits.
Avez-vous des liens d'intérêts à déclarer ?
M. Philippe Lamoureux, directeur général du Leem . - Je rappelle, tout d'abord, que le Leem est le syndicat représentatif de l'ensemble des entreprises du médicament. L'énoncé de mes fonctions suffit donc à répondre à votre question.
M. François Autain, président . - Lors de son audition au Sénat, votre ancien directeur, Didier Tabuteau, a indiqué qu'il avait pris connaissance des signaux relatifs au Mediator en 2009, lors la suspension de ce médicament. Lors d'une interview au Figaro, le professeur Lucien Abenhaïm, dont l'audition n'a pas encore eu lieu, a effectué la même déclaration. Pour votre part, quand avez-vous entendu parler pour la première fois du Mediator ?
M. Philippe Lamoureux . - Jusqu'à ces derniers mois, je n'avais pas entendu parler du Mediator. Vous avez rappelé que j'ai été directeur auprès du directeur général, puis secrétaire général de l'Agence française du médicament. A cette époque, la fonction de directeur général-adjoint n'existait pas dans cette instance. Mes fonctions se situaient à mi-chemin de celles qu'exercent actuellement, à l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps), le secrétaire général et le directeur général adjoint.
Mon rôle, essentiellement administratif, portait sur la préparation des instances, le budget et le schéma directeur des systèmes d'information. Mes compétences originelles, en tant qu'inspecteur général des affaires sociales, pouvaient être utiles à cette institution en cours de création : j'intervenais donc également au niveau de l'inspection, de la représentation internationale hors de l'Europe et de la communication. En revanche, mes délégations de signature n'englobaient pas de compétences relatives à l'autorisation de mise sur le marché (AMM) des médicaments. Juridiquement, je n'étais pas compétent dans ce domaine, ni dans celui des suspensions d'AMM.
M. François Autain, président . - Vous dites que vous n'avez pas eu connaissance des risques suscités par le benfluorex avant 2009. Pourtant, le 11 juillet 1995, vous avez assisté à une réunion du comité technique de pharmacovigilance (CTPV), où vous représentiez l'Agence du médicament. Or c'est au cours de cette réunion qu'a été présentée l'enquête officielle sur les effets indésirables du Mediator, prescrite le 18 mai 1995. Elle indique que seize notifications spontanées concernant des cas d'hypertension artérielle pulmonaire primitive avaient été identifiées. Etiez-vous alors présent ?
M. Philippe Lamoureux . - Monsieur le président, je suis très heureux que vous me posiez cette question qui me permettra d'effectuer une mise au point. Effectivement, des observateurs particulièrement attentifs, à la lecture du rapport de l'Inspection générale, qui comporte 3 015 pages, ont relevé ma présence lors de cette réunion du comité technique de pharmacovigilance.
A l'époque, Didier Tabuteau, directeur général de l'Agence du médicament, avait fixé une règle de bon sens : les membres de la direction générale, n'étant pas des scientifiques, ne participaient pas aux travaux des grandes commissions de l'agence, qu'il s'agisse de la commission d'AMM, de la commission de pharmacovigilance, de la commission de pharmacodépendance ou de la commission de contrôle de la publicité. Je n'ai donc jamais assisté aux travaux de la commission d'AMM.
Toutefois, au titre de mes fonctions administratives, il m'est arrivé d'intervenir ponctuellement, au sein d'une commission, pour préciser aux responsables des centres régionaux les modalités par lesquelles ceux-ci pouvaient accéder à des financements par l'Agence du médicament. En effet, en tant que secrétaire général, je pouvais avoir à effectuer un appel à dépôt de dossier auprès de l'agence pour bénéficier de ses subventions. Une fois cette présentation effectuée, je quittais la commission et n'assistais pas aux débats.
Si vous regardez attentivement les procès-verbaux, vous verrez qu'ils présentent une forme particulière. Dans les autres procès verbaux de la commission de pharmacovigilance, en règle générale, le procès-verbal de la session précédente est acté et l'ordre du jour est déroulé. Or, dans le procès-verbal de la commission que vous citez, l'introduction que j'ai effectuée est mise en exergue. A moins de faire une erreur de mémoire, je n'étais pas présent aux débats qui ont suivi. Je pense qu'il est facile de faire témoigner d'autres personnes sur ce point.
Mme Marie-Thérèse Hermange . - D'après vos propos, lors de cette réunion du CTPV, un point de vue scientifique a été précisé et acté, selon lequel le benfluorex, indiqué comme traitement adjuvant au régime adapté chez les personnes diabétiques présentant une surcharge pondérale, possédait une structure voisine de celle des anorexigènes. Au sortir de cette réunion, des éléments ont-ils été fournis aux responsables administratifs, à propos des positions qui venaient d'être exprimées sur le benfluorex ?
D'une part, nous entendons qu'il n'existe aucune coordination à l'agence entre la structure scientifique et la structure administrative. D'autre part, il nous est dit qu'une double direction, scientifique et administrative, serait nécessaire à l'agence, mais que faire si ces deux directeurs ne se parlent pas et se rejettent mutuellement les responsabilités ?
M. Philippe Lamoureux . - Le procès-verbal de cette commission montre que je n'ai pas assisté aux travaux. Je me suis contenté d'ouvrir la réunion, au sujet de questions purement administratives, puis j'ai quitté la salle.
La question que vous posez est importante. S'agissant de l'organisation de l'agence, le choix effectué était le suivant. D'une part, la direction scientifique comptait des personnalités reconnues, comme le professeur Jean-Michel Alexandre. D'autre part, le directeur général et, par voie d'extension, la direction générale, même si je n'exerçais pas de compétences au sujet de l'AMM, dépendaient des avis des commissions scientifiques.
Je n'ai, personnellement, aucun doute sur le fait que les données sur le Mediator ne soient pas parvenues au directeur général. J'ai travaillé auprès de Didier Tabuteau pendant plusieurs années. Si des indicateurs, quels qu'ils soient, avaient été portés à sa connaissance sur ce médicament, il aurait nécessairement agi.
M. François Autain, président . - Comprenez notre trouble. Vos précisions permettent d'expliquer que votre nom figure sur le compte rendu de cette réunion, étant entendu que vous n'y participiez qu'en partie.
M. Gilbert Barbier . - Pouvez-vous indiquer à quel moment le blocage s'est produit ? Comment, à partir de l'avis de la commission scientifique, l'information n'est-elle pas remontée jusqu'au directeur ?
M. Philippe Lamoureux . - En réalité, aucun blocage ne s'est produit. L'information n'est pas remontée jusqu'à la direction générale. Selon le rapport, la décision qui est remontée, à l'époque, portait sur les restrictions d'indication des anorexigènes. Cette décision, telle que proposée par les scientifiques de la direction de l'évaluation et par les spécialistes de la commission de pharmacovigilance, a été suivie par la direction générale.
Mme Marie-Thérèse Hermange . - Considérons une autre situation. Nous venons d'auditionner le professeur Jean-Louis Montastruc qui vient de publier une liste des médicaments à éviter. Celle-ci a peut-être été transmise au directeur de l'évaluation des médicaments et des produits biologiques, à l'Afssaps, ainsi qu'à la Direction générale de la santé. Concrètement, comment éviter une nouvelle affaire ? Que faire pour que la coordination fonctionne ?
M. Philippe Lamoureux . - La problématique n'est pas liée à l'existence d'un « tandem » entre responsables scientifiques et administratifs. Elle relève plutôt d'une question de process. Au début des années 1990, les responsables nommés à la tête des grandes agences présentaient plutôt un profil administratif. Ces nominations intervenaient en réaction à des affaires de santé publique où les systèmes avaient été pilotés par des scientifiques.
Au-delà des profils de compétences et de la qualité des individus, c'est plutôt au mode de fonctionnement des institutions que des améliorations peuvent être apportées. Le ministère a commencé à esquisser des pistes, puisque cette thématique est intégrée aux Assises du médicament et au second rapport de l'Inspection générale qui porte sur les voies et moyens de l'amélioration de la pharmacovigilance. Une fois encore, l'instance à laquelle j'appartiens aura des propositions à soumettre, dans ce domaine.
M. François Autain, président . - Certaines sont déjà faites, d'ailleurs.
Mme Nathalie Goulet . - A cette époque, vous vous occupiez du schéma directeur des circuits d'information. Vous assumiez des responsabilités dans le domaine de la communication. Or l'un des points d'achoppement essentiel, dans ce dossier, concerne précisément les circuits de communication. De quel schéma directeur de circuits d'information aviez-vous la charge ?
M. Philippe Lamoureux . - J'ai indiqué que la communication entrait dans mes champs d'activité. Je n'ai pas prétendu que mes fonctions étaient celles d'un directeur de la communication. Dans cet établissement public nouvellement créé, nous avions hérité d'un circuit relevant très largement du papier, et comprenant des kilomètres d'archives. Un énorme travail devait donc être effectué sur la conception de systèmes informatiques. Les enjeux portaient sur la dématérialisation, la mise à jour des AMM qu'il fallait souvent reconstituer.
Dès lors que le Mediator n'était pas mentionné et que l'information ne remontait pas vers le directeur général, il n'y a aucune raison particulière d'imaginer que le sujet ait été traité à ce niveau.
Mme Nathalie Goulet . - Cependant, d'après vos propos, votre mission englobait le schéma directeur du circuit d'informations. S'agit-il bien du circuit intérieur de l'établissement ?
M. Philippe Lamoureux . - Le schéma directeur des systèmes d'information se définissait simplement comme le plan informatique de l'agence, rien de plus.
Puisque vous avez rappelé mon parcours, je me permets d'en préciser les dates essentielles. De mars 1993 à septembre 1997, j'ai exercé les fonctions de directeur auprès du directeur général de l'Agence du médicament. De septembre 1997 à septembre 1998, j'y ai exercé les fonctions de secrétaire général. De surcroît, d'août 1996 jusqu'en septembre 1997, j'ai occupé les fonctions de directeur de l'inspection et des établissements : nous étions en phase de transition, l'un des directeurs ayant quitté l'agence en septembre 1998.
Par la suite, j'ai travaillé au cabinet de Martine Aubry jusqu'en 2001. J'avais plutôt en charge les sujets relatifs à l'administration générale du ministère, et suis donc sorti complètement du champ des médicaments. En 2001-2002, j'ai été nommé directeur adjoint du cabinet de Bernard Kouchner : le médicament n'entrait pas dans mes attributions. De 2002 à 2008, j'ai eu la responsabilité et l'honneur de devenir le premier directeur général de l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (Inpes) qui n'intervenait pas directement dans ce champ. Depuis novembre 2008, je suis directeur général du Leem.
J'ai repris l'ensemble des délégations de signature. La plus large qui m'ait été attribuée, comme secrétaire général de l'agence, mentionnait l'ensemble de ses activités, à l'exception de l'AMM.
M. Gilbert Barbier . - Durant les années 1993 à 1998, quels contacts l'Agence entretenait-elle avec l'industrie pharmaceutique ? Etant chargé de la communication, vous receviez sans doute des personnes issues des laboratoires. Des interventions, voire des pressions se sont-elles exercées ?
M. Philippe Lamoureux . - Je le répète, l'agence ne comportait pas de directeur de la communication. Les moyens de cette structure étant plus limités qu'aujourd'hui, en tant que secrétaire général, je pouvais me trouver « au four et au moulin » et avoir, par exemple, à rédiger un communiqué de presse. Quant aux relations avec les industriels du monde pharmaceutique, l'agence exprimait un souci de dialogue et d'écoute, mais sa priorité absolue consistait à ne jamais perdre de vue sa mission sanitaire. Le dialogue avec les industriels était borné par cette mission. Je n'ai pas eu, à la place que j'occupais, le sentiment que l'agence ait eu à reculer dans l'une ou l'autre de ses décisions, sous la pression de l'industrie.
M. François Autain, président . - Le rapport de l'Igas, concernant le Mediator, comporte un passage surprenant. Selon ce document, « l'Afssaps, qui est une agence de sécurité sanitaire, se trouve à l'heure actuelle structurellement et culturellement dans une situation de conflit d'intérêts » avec l'industrie pharmaceutique, « non pas en raison de son financement qui s'apparente à une taxe parafiscale, mais par une coopération avec l'industrie pharmaceutique qui aboutit à une forme de coproduction des expertises et des décisions qui en découlent » . Ce constat paraît très grave. Avez-vous ressenti ce conflit d'intérêts global, lorsque vous occupiez votre poste à l'Agence du médicament ?
M. Philippe Lamoureux . - Cette partie du rapport m'a quelque peu interloqué. Dans les décisions qui ont été prises par l'agence, je n'ai jamais eu ce sentiment. Le travail qui a été accompli, à cette époque, est considérable.
Mme Marie-Thérèse Hermange . - Le rapport de l'Igas précise que « la présence, encore aujourd'hui, d'un représentant du Leem dans les commissions et, parfois, dans les groupes de travail paraît inacceptable » . Or aucun représentant n'a siégé lors de la réunion de la commission d'AMM à la fin du mois de janvier 2011. S'agit-il d'une initiative du Leem ou de la réponse à une demande effectuée par l'Afssaps, comme l'a affirmé Fabienne Bartoli, alors directrice générale par intérim de l'agence ? Le Leem continue-t-il à siéger dans les groupes d'experts et les autres commissions sanitaires, comme la commission de pharmacovigilance où il possède un droit de vote ?
M. Philippe Lamoureux . - Il faudrait poser cette question au président du Leem. Sa présence relève de raisons juridiques assez différentes. Dans certaines commissions, le Leem possède la simple qualité d'invité. En revanche, un représentant du Leem peut siéger dans d'autres commissions. La situation est différente pour la commission d'AMM et les autres commissions administratives.
M. Gilbert Barbier . - Des alertes à propos du benfluorex ont été adressées, depuis l'étranger, à l'Agence du médicament. L'agence fonctionnait-elle en circuit fermé ? Ses responsables n'y lisaient-ils pas la littérature étrangère ?
M. Philippe Lamoureux . - Je ne peux, pour ma part, qu'évoquer la période antérieure à 1998.
La direction de l'évaluation comprenait une unité de pharmacovigilance : c'est à ce niveau que les échanges techniques s'effectuaient. Je crois me souvenir, par exemple, que les échanges entre les autorités françaises et italiennes passaient directement de service d'évaluation en service d'évaluation. Dans leur domaine de compétences, les scientifiques exercent la plénitude de leurs attributions.
Selon ce rapport, aucun effet indésirable grave concernant le benfluorex n'a été rapporté. Il paraît donc normal que la direction générale n'ait pas eu connaissance des alertes dès lors qu'elles n'étaient pas « remontées » par les services de pharmacovigilance.
Selon le rapport, en 1995, lorsque la DGS a pris des décisions relatives aux préparations magistrales, les services d'évaluation n'ont pas identifié que le benfluorex entrait dans cette catégorie : ce constat m'a interrogé et je ne peux pas fournir d'éléments de réponse. Seuls les scientifiques sont à même d'en apporter.
M. François Autain, président . - De fait, on ne peut pas incriminer des responsables administratifs qui n'ont pas la compétence requise. Le professeur Jean-Michel Alexandre, directeur de l'évaluation à cette époque, soulignait que le benfluorex n'était pas un anorexigène, mais un antidiabétique mal étudié. Il maintient encore cette position aujourd'hui. Ce constat suffit à expliquer les errements auxquels a été soumis le Mediator. Les dérives paraissaient donc inévitables.
L'évaluation demandée par Martine Aubry s'est terminée dans les années 2000 et le directeur de la sécurité sociale a demandé aux différents ministres qui se sont succédé de ne plus rembourser le benfluorex, parmi d'autres médicaments. Or sa note n'a pas obtenu de réponse. Vous avez été directeur adjoint du cabinet de Bernard Kouchner, ministre délégué à la santé. Avez-vous eu connaissance de cette note ?
M. Philippe Lamoureux . - Très honnêtement, cette note ne me dit rien. Je voyais passer de nombreuses notes et ce n'était pas dans le champ de mes attributions.
M. François Autain, président . - En 1998, une lettre émanant de trois médecins a été adressée à Jean-René Brunetière, directeur de l'Agence du médicament. La réponse, semble-t-il, n'a pas été rédigée ou a été perdue. Nous avons demandé à Hubert Allemand s'il en avait conservé une trace. Il nous a dit qu'il n'en avait pas trouvé. A votre connaissance, quel traitement a été réservé à cette lettre ?
M. Philippe Lamoureux . - Si ma mémoire ne me trompe pas, cette lettre est datée du 21 septembre 1998. Comme l'indique le Journal officiel, j'ai pris mes fonctions au cabinet de Martine Aubry le 4 octobre. Jean-René Brunetière a adressé ce courrier aux deux directeurs compétents et je n'en étais pas destinataire en copie. Même si j'en avais été destinataire, dans les circonstances dans lesquelles je me trouvais, je n'aurais pas eu connaissance de la réponse.
Mme Marie-Christine Blandin . - A l'époque de l'Agence du médicament, quelle personne, dans l'organigramme, était chargée de vérifier la bonne tenue des liens d'intérêts, leur actualisation et les comportements induits, c'est-à-dire la sortie au moment des votes de toute personne ayant des conflits d'intérêts pour une décision ?
M. Philippe Lamoureux . - Au moment de sa création, en 1993-1994, l'une des tâches premières de l'agence a consisté à mettre en place une politique de déclarations, en matière de liens d'intérêts. Cette politique, embryonnaire ou artisanale, était encore insuffisante. Depuis, elle s'est beaucoup développée. De fait, l'agence a été la première à demander les liens d'intérêts et à les publier régulièrement, en annexe à son rapport d'activité. Un magistrat a été spécifiquement recruté pour déployer ce dispositif et installer des règles qui, depuis, ont fait florès.
Mme Marie-Christine Blandin . - Les salariés mandatés au sein du Leem pour suivre un médicament et en faire la promotion rendent-ils compte, dans leurs entreprises, de leurs rendez-vous avec les représentants de la puissance publique ?
M. Philippe Lamoureux . - Il faudrait poser la question dans chaque entreprise concernée. Le Leem entretient, bien sûr, des contacts avec les représentants de la puissance publique. Ses instances se réunissent de façon très régulière, notamment au sein d'un bureau et d'un conseil d'administration. Il va de soi que les rendez-vous publics permettent de diffuser et de fluidifier l'information, ce qui correspond au rôle du Leem.
Mme Marie-Christine Blandin . - Avez-vous des propositions concrètes à soumettre pour éviter de nouveaux dysfonctionnements, à l'avenir ? Préconisez-vous le développement d'une expertise indépendante des laboratoires, conduite par des experts publics, en dehors de tout lien d'intérêts ? Comment imaginer une meilleure coordination entre les structures existantes ?
M. Philippe Lamoureux . - Ce questionnement fait partie des sujets sur lesquels nous réfléchissons. De fait, nous avons des propositions à effectuer. Cependant, il appartient au Leem de s'en expliquer. Il convient, à mon sens, de ne pas mélanger les deux exercices.
M. François Autain, président . - Votre passé, notamment à l'Agence du médicament, a-t-il constitué une aide dans l'exercice de vos fonctions actuelles ? Le Leem bénéficie de votre expérience. Comment peut-on, le cas échéant, caractériser ce bénéfice ?
M. Philippe Lamoureux . - Durant mes vingt années d'exercice dans la fonction publique, je ne me suis jamais trouvé en situation de conflits d'intérêts. Lorsque j'ai quitté la fonction publique pour rejoindre le Leem, je me suis interrogé. Un décret de 2007 concernant les conflits d'intérêts fixe un certain nombre de règles. Il est convenu qu'une personne ne peut pas rejoindre une entreprise sur laquelle, durant les trois années précédentes, elle a pu exercer des fonctions de contrôle ou de tutelle. En ce qui me concerne, il s'est écoulé dix ans entre mes fonctions à l'Agence du médicament et mon arrivée au Leem. Mes connaissances devenaient donc un peu obsolètes d'autant plus qu'en 1998, le paysage a été complètement bouleversé.
Par ailleurs, je n'ai pas rejoint une entreprise mais un syndicat professionnel, ce qui ne correspond pas tout à fait au même statut juridique. Enfin, j'ai pris la précaution de solliciter mon corps d'origine, l'Inspection générale des affaires sociales, pour qu'elle recueille l'avis de la commission de la déontologie. Saisie sur ma situation, celle-ci a rendu un avis favorable.
Les éventuels réseaux personnels n'apportent pas grand-chose aux industriels du médicament. Ceux-ci n'en ont pas besoin pour connaître le champ de la réglementation pharmaceutique. La démarche du Leem, lorsque j'y suis entré, consistait à recruter un professionnel faisant preuve d'une véritable compétence dans le domaine de la santé publique, et à envoyer un message d'ouverture à un milieu qui lui reproche souvent de rester en circuit fermé.
Travailler à l'apport d'innovations thérapeutiques, dans un secteur qui emploie plus de 100 000 salariés, me semblait un challenge important. Ce secteur ne me semblait pas tellement éloigné d'une activité au service de l'intérêt général. Notre pays possède des atouts qu'il est essentiel de développer dans un contexte de compétition qui ne concerne plus seulement les entreprises mais les Etats.
M. François Autain, président . - Je vous remercie.
Audition de M. Philippe LECHAT, directeur de l'évaluation des médicaments et des produits biologiques à l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (mardi 1er mars 2011)
M. François Autain, président . - Je vous informe que cette audition est ouverte à la presse et donne lieu à un enregistrement audiovisuel en vue de sa diffusion sur Public Sénat et sur le site Internet du Sénat. En application de l'article L. 4113-13 du code de la santé publique, je vous demande de faire connaître, le cas échéant, vos liens d'intérêts avec des entreprises produisant ou exploitant les produits de santé ou des organismes de conseils intervenant sur ces produits.
M. Philippe Lechat, directeur de l'évaluation des médicaments et des produits biologiques à l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé . - Je n'ai aucun lien d'intérêts avec l'industrie depuis que je suis à l'Afssaps.
M. François Autain, président . - Cependant, vous avez eu des liens d'intérêts avec l'industrie, dans le passé. J'ai consulté vos déclarations publiques d'intérêts à l'Afssaps, sur le site Internet de cet organisme, et j'ai constaté qu'elles étaient lacunaires, voire contradictoires ou parfois absentes. Cette audition est l'occasion de vous demander les raisons d'une telle situation.
Avant d'être directeur de l'évaluation, vous étiez membre de la commission d'AMM. En 2004, vous n'avez effectué aucune déclaration. En 2005, vous avez publié une déclaration le 2 avril, dans laquelle vous faites état de l'existence de six liens d'intérêts, et l'autre le 8 septembre, où vous déclarez ne plus avoir aucun lien d'intérêts. En quelques mois, ces liens ont donc disparu comme par enchantement, ce qui mérite quelques explications : selon la pratique anglo-saxonne, il convient d'évoquer les liens d'intérêts qui existaient dans les cinq ans précédant une prise de fonctions. En 2006, la déclaration dément celle du 8 septembre 2005 puisqu'elle fait état de quatre liens avec le laboratoire Merck et d'un lien direct avec Astrazeneca, en 2005. Certaines données ne paraissent donc pas cohérentes.
M. Philippe Lechat . - Je suis membre de la commission d'AMM depuis fin 2006. J'ai pris mes fonctions, en tant que directeur, en juillet 2007. Plusieurs années auparavant, j'avais été nommé membre du groupe de travail sur la thrombose.
M. François Autain, président . - C'est donc à ce titre que vous avez déclaré vos liens d'intérêts.
M. Philippe Lechat . - Oui. Il est possible que j'aie oublié de déclarer des liens d'intérêts. Ceux que j'ai déclarés, durant cette période, étaient en rapport avec des études de recherche clinique que j'ai essentiellement menées sur les bétabloquants, dans le domaine de l'insuffisance cardiaque, et plus généralement sur les anti-thrombotiques. L'issue d'une étude peut s'accompagner d'une ambiguïté sur le terme d'un conflit d'intérêts. Cependant, je suis prêt à vous fournir toutes les informations nécessaires.
M. François Autain, président . - De fait, je ne m'explique pas certaines lacunes. Au niveau européen, vous avez déclaré des liens d'intérêts avec un laboratoire pour des recherches dans le domaine de l'hypertension, mais vous n'avez pas déclaré vos liens d'intérêts avec Sanofi-Aventis. Ces déclarations d'intérêts remontent à 2008 et 2010.
M. Philippe Lechat . - J'ai mené cette étude avant mon arrivée à la direction de l'évaluation, à l'Afssaps. Elle portait sur un produit élaboré par Sanofi-Aventis, l'Enoxaparine, intitulé Lovenox sur le marché. Cette étude n'était pas promue par ce laboratoire mais par la Société française de cardiologie. J'ai donc déclaré ce lien d'intérêts à l'Afssaps mais je n'ai pas effectué de déclaration à l'Agence européenne car l'on y déclare uniquement les liens avec des promoteurs industriels.
M. François Autain, président . - Il me semble que vous jouez sur les mots. Qui finance la Société française de cardiologie ? Le laboratoire Sanofi-Aventis et, parfois, les laboratoires Servier contribuent à ce financement.
M. Philippe Lechat . - Cette étude portait sur l'adaptation de doses à des patients qui reçoivent de toute façon le produit. Elle visait donc à améliorer leur prise en charge.
M. François Autain, président . - Néanmoins, vous auriez dû déclarer ces liens d'intérêts. Dans la foulée, vous avez été chargé d'une mission en tant que corapporteur sur la crise des héparines. Auriez-vous obtenu cette nomination si vos liens d'intérêts avec Sanofi-Aventis, même par l'intermédiaire de la Société française de cardiologie, avaient été connus ? Ces liens n'ont-ils pas obéré les résultats de cette mission ?
M. Philippe Lechat . - Aucunement. Les deux problèmes sont complètement différents. Je me suis occupé de l'affaire des héparines parce que je connaissais bien le dossier, ayant travaillé sur ce sujet. Le laboratoire Sanofi-Aventis est le principal producteur des héparines, au niveau mondial.
Il n'existe aucun lien entre l'étude que j'avais effectuée sur l'Enoxaparine et la gestion de cette crise, liée à la falsification de la matière première des héparines chinoises : Jean Marimbert et moi-même avons oeuvré à gérer au mieux cette grave affaire.
M. François Autain, président . - Vous estimez donc que l'homme qui travaille pour Sanofi-Aventis n'est pas le même que l'homme appelé à travailler pour la puissance publique. Dans ce cas, je vous admire, monsieur le professeur.
M. Philippe Lechat . - Mon travail de chercheur hospitalo-universitaire est antérieur à mon arrivée à l'Afssaps. Dès lors, j'ai demandé à la Société française de cardiologie de me démettre de ma fonction d'investigateur principal pour cette étude.
M. François Autain, président . - Néanmoins, vous figurez toujours sur le fichier gouvernemental des Etats-Unis comme investigateur.
M. Philippe Lechat . - Oui, dans la mesure où nous avions déclaré cette étude, à l'origine.
M. François Autain, président . - Ce mélange des genres est à la fois peu clair et inconfortable, compte tenu du poste que vous occupez à l'Afssaps. Dans un tel contexte, j'estime injuste qu'Anne Castot ait été remerciée de ses fonctions.
Je vous propose, si vous le souhaitez, d'effectuer une intervention liminaire.
M. Philippe Lechat . - Je vous propose de résumer ma position concernant l'affaire du Mediator, dans la mesure où Aquilino Morelle m'a demandé de rédiger la note de pharmacologie concernant ce produit.
Pour bien comprendre ce qui s'est produit, il est nécessaire de remonter aux années soixante. A cette époque, les laboratoires Servier, qui s'intéressent à la problématique des anorexigènes et des amphétaminiques, découvrent des molécules qui possèdent uniquement la propriété anorexigène des amphétamines, sans y associer leur propriété stimulante pour le système nerveux central.
Dès lors, quelque 250 molécules sont développées, à partir d'une même molécule de base, la norfenfluramine. Le Ponderal apparaît en 1965 et le Mediator en 1974. Selon une stratégie industrielle, ce produit est volontairement développé pour répondre à une indication thérapeutique différente du Ponderal, relative aux troubles du métabolisme : c'est dans ce contexte d'ambiguïté que débutent les problèmes.
Dès 1968, il est constaté que les anorexigènes peuvent engendrer des effets nocifs. En Autriche et en Suisse, l'Aminorex est retiré du marché, en lien avec une épidémie d'hypertension artérielle pulmonaire. Par la suite, en 1985, les laboratoires Servier réintroduisent l'Isoméride sur le marché : entre 1985 et 1995, ce produit est largement utilisé, accompagné par un marketing intense.
Cependant, des cas d'hypertension artérielle pulmonaire conduisent le professeur Lucien Abenhaïm à effectuer une étude et à démontrer l'association entre les fenfluramines et l'hypertension artérielle pulmonaire. En 1997, à peine deux ans après son introduction, le produit est retiré du marché américain, des problèmes valvulaires ayant été constatés sur des patients. En France, l'Isoméride est simultanément suspendue. A cette époque, les notifications de valvulopathie associées à ce médicament demeurent rares. Mais le Mediator reste présent sur le marché.
En 1999, à la suite d'un débat européen sur les anorexigènes, ceux-ci sont retirés du marché : on invoque la toxicité des fenfluramines et l'inefficacité des autres anorexigènes. Etrangement, le benfluorex échappe à cette épuration. Dans le doute relatif à la toxicité valvulaire du produit, une étude est demandée mais elle n'est pas réalisée : les laboratoires Servier traînent, et l'Afssaps ne se montre pas suffisamment réactive. Par ailleurs, les cas rapportés d'hypertension artérielle pulmonaire sont plus rares avec le Mediator qu'avec l'Isoméride. Or l'agence est davantage obnubilée par cette pathologie que par les valvulopathies. Dans les deux cas, les notifications liées au Mediator restent limitées. Ce produit reste sur le marché.
Progressivement, des notifications sont diffusées. En 2008-2009, Irène Frachon effectue un travail de recherche à la fois rétrospectif et prospectif, à partir des bases de données : elle retrouve de nombreux cas de valvulopathies opérées chez des patients ayant eu recours au Mediator.
En septembre 2009, à l'occasion de son étude cas-témoin, je reçois Irène Frachon. De toute évidence, il faut retirer le produit du marché : ce retrait est effectué en novembre. En août 2010, sur la base d'une étude rennaise, le député Gérard Bapt évoque l'hypothèse de 500 à 1 000 décès liés au Mediator. Je demande alors à la Caisse nationale d'assurance maladie une étude complémentaire sur les cas d'hospitalisations chez les diabétiques, et la mortalité dans ce contexte.
Mme Marie-Thérèse Hermange . - Vous avez déclaré que l'Afssaps n'avait pas retiré le médicament en 1999 parce qu'elle s'était « endormie » et que « les équipes qui se trouvaient en charge de l'évaluation à cette époque auraient dû réagir mais ne l'ont pas fait. » Quelles étaient, selon vous, les causes de cette « somnolence » ? En 2006, le Professeur Jean Louis Montastruc, chef de pharmacologie clinique au CHU de Toulouse, avait publié une étude faisant état d'un lien entre l'utilisation du Mediator et la valvulopathie. Où faut-il identifier les dysfonctionnements ?
M. Philippe Lechat . - Les laboratoires Servier ont fait en sorte de présenter le médicament comme différent des autres anorexigènes. L'ensemble de la communauté scientifique n'a pas considéré suffisamment le fait que ce produit était susceptible d'engendrer les mêmes complications. Elle n'avait pas les mêmes craintes vis-à-vis du Mediator et de l'Isoméride. En Italie, la proximité du Mediator avec les anorexigènes a été soulignée. Cependant, ces voix n'ont pas été entendues.
M. François Autain, président . - Le professeur Garattini n'a pas été le premier à effectuer ce constat. Dès 1977, dans la revue Pratiques , des médecins généralistes avaient déjà identifié le produit. Ces modestes pharmacologues ont bien fait leur travail. Comment expliquer que, par la suite, de grands pharmacologues ne soient pas parvenus au même constat ?
M. Philippe Lechat . - Ces médecins généralistes ont peut-être été guidés par la terminologie de la substance active utilisée, c'est-à-dire le benfluorex.
Mme Marie-Thérèse Hermange . - En 2006, le professeur Montastruc publiait un article sur un cas de valvulopathie sous Mediator.
M. Philippe Lechat . - Cependant, il n'est pas allé plus loin, à l'instar d'Irène Frachon. Je lui ai d'ailleurs posé la question. Pourquoi personne n'a-t-il effectué en 2006 le travail qu'Irène Frachon a fourni en 2009 ? Je n'ai pas obtenu de réponse.
M. François Autain, président . - Nous sommes habitués à cette absence de réponse. Personne n'a rien vu, personne n'était là au bon moment.
M. Philippe Lechat . - L'Afssaps n'a pas positionné correctement le produit, et n'a pas effectué d'alerte.
M. François Autain, président . - Le directeur de l'Agence du médicament a déclaré qu'il n'était pas au courant. Il affirme qu'il ne savait pas que le benfluorex existait.
M. Philippe Lechat . - De fait, sa proximité avec le Mediator n'ayant pas été mentionnée, ce produit n'a pas été soupçonné d'engendrer les mêmes lésions. La pharmacovigilance ne pouvait pas remonter un signal que les médecins ne notifiaient pas, puisqu'ils n'étaient pas avertis : ils n'avaient aucune raison de relier une valvulopathie au Mediator.
M. François Autain, président . - Pire, pendant trente ans, l'hypertension artérielle pulmonaire et la valvulopathie n'ont jamais figuré, dans le résumé des caractéristiques du produit, parmi les effets indésirables du produit. Cela ne vous paraît-il pas extraordinaire ? C'est bien la commission d'AMM qui réalise les fiches.
M. Philippe Lechat . - Nous sommes d'accord. Cependant, quand un médicament déjà ancien se trouve déjà positionné, avec sa définition et ses indications, on ne refait pas toute l'histoire. Ce produit, rappelons-le, était présent depuis 1975 sur le marché et aucun événement indésirable n'était notifié. Or la notification est basée sur les déclarations spontanées des médecins, qui effectuent des notifications s'ils sont avertis. Tel n'était pas le cas.
En 2006, dans les bases de données de la Cnam, parmi les 300 000 patients qui prenaient du Mediator, 300 personnes ont subi un remplacement valvulaire dans les années suivantes. Ce nombre peut être rapporté aux 5 millions de patients ayant utilisé ce produit, et aux trente-trois années pendant lesquelles il a été commercialisé. Si l'on multiplie le nombre de 300 patients opérés par 15, on obtient quelque 4 000 cas. Cela signifie qu'environ 4 000 patients, en France, ont probablement subi un remplacement valvulaire alors qu'ils avaient pris du Mediator. Or, un ou deux cas seulement ont été notifiés à l'agence.
M. François Autain, président . - Cette sous-notification est avérée. Cependant, dès 1999, le premier cas de valvulopathie a été découvert dans ce contexte, à Marseille, de même que le premier cas d'hypertension pulmonaire artérielle à l'hôpital Antoine-Béclère. Dans le Vidal, ces effets indésirables n'étaient pas mentionnés : ces médecins ne les ont pas trouvés.
Une telle absence d'indications pouvait se comprendre, à cette époque, mais elle reste incompréhensible pour les années postérieures. Il aurait été nécessaire d'intégrer ces effets indésirables dans la fiche concernant ce produit mais cette démarche n'a jamais été effectuée, ce qui est inexplicable et même inadmissible. Si cette mention avait été faite, des médecins plus nombreux auraient probablement fait le lien entre des cas de valvulopathie et la prise du médicament.
Cette carence constitue une faute grave de la part des responsables qui établissent les fiches du Vidal même si, lors de leur conception, l'avis du laboratoire est demandé. Quand un laboratoire s'oppose à la proposition de la commission d'AMM, la fiche est corrigée.
S'agissant du Mediator, il suffit de consulter les annexes du rapport. Celles-ci comportent des injonctions inadmissibles du laboratoire vis-à-vis des rédacteurs des fiches. Ces injonctions sont suivies d'effets puisque les rédacteurs ont tendance à les respecter. A plusieurs reprises, ceux-ci ont demandé à inscrire le Mediator comme un anorexigène, ce que le laboratoire a toujours refusé. Les rédacteurs ont toujours obéi, ce qui est inadmissible.
M. Philippe Lechat . - Je suis d'accord avec vous. Cependant, la question consiste à déterminer pourquoi les complications valvulaires et l'hypertension pulmonaire n'ont pas été inscrites par l'agence dans le résumé des caractéristiques du produit, c'est-à-dire dans l'AMM.
M. François Autain, président . - Les laboratoires Servier s'y opposaient, c'est clair. Or combien de morts fallait-il pour réagir ? Un mort aurait pu suffire, d'autant plus que ce médicament ne servait à rien.
Mme Marie-Thérèse Hermange . - L'Afssaps est-elle indépendante des études menées par les laboratoires ? Si ce n'est pas le cas, comment remédier à cette situation ?
M. Philippe Lechat . - Les laboratoires nous fournissent les études qu'ils effectuent dans le cadre du développement d'un produit. Il nous appartient ensuite d'analyser ces études, grâce à des évaluateurs internes et des experts externes. Les laboratoires chercheront toujours à valoriser leurs produits. De notre côté, nous devons résister. L'Afssaps doit être indépendante de l'industrie pharmaceutique, dans ses interprétations.
M. François Autain, président . - Malheureusement, ils ne rencontrent guère de résistance. Les laboratoires n'ont pas de mérite, dans ce contexte, à remporter la partie.
Mme Marie-Thérèse Hermange . - Plusieurs pays européens ont retiré le Mediator du marché. Comment expliquez-vous que la coordination européenne n'ait pas incité la France à la suspension du produit ?
M. Philippe Lechat . - A mon sens, l'année 1999 constitue la période-clé. A la suite du débat européen, le produit aurait dû être suspendu.
M. François Autain, président . - Malheureusement, plutôt qu'un débat, il s'agissait d'un enlisement.
M. Philippe Lechat . - En 2003, le produit a été retiré du marché en Espagne, simultanément à un cas de valvulopathie opérée. En Italie, ce retrait a été effectué en 2005.
M. François Autain, président . - De fait, en Espagne, un seul cas a suffi.
M. Philippe Lechat . - Oui, cette critique est recevable.
Mme Marie-Thérèse Hermange . - Pourquoi ce produit n'a-t-il pas été retiré en 1999 ?
M. Philippe Lechat . - Nous avions tous les éléments pour prendre une telle décision. En Italie, la démonstration avait été effectuée : elle montrait que la structure chimique du produit était très proche de celle des anorexigènes, ce qui pouvait engendrer le même type de complications. Jean-Michel Alexandre, président de la commission de vigilance à l'Agence européenne du médicament, était mon prédécesseur à l'Afssaps. Pourquoi n'a-t-il pas pris cette décision ? Cela reste difficile à comprendre.
M. François Autain, président . - Postérieurement, Eric Abadie a succédé à Jean Michel Alexandre, puis Jean-Hugues Trouvin.
M. Philippe Lechat . - Non, le professeur Abadie n'était pas directeur de l'évaluation des médicaments. Il occupait le poste de directeur de l'évaluation thérapeutique. En outre, il représentait la France au Committee for Medicinal Products for Human Use (CHMP).
Mme Marie-Thérèse Hermange . - Pour l'avenir, vous appelez à une « révolution » du contrôle du médicament par un développement des études sur une base de données, ainsi qu'à une réforme de la direction de la pharmacovigilance. Pourriez-vous exposer vos idées concrètes sur ces points ? Imaginons que je sois pharmacologue et que je publie, dans un bulletin indépendant, une liste de produits à éviter. Comment cette liste pourrait-elle parvenir à l'Afssaps ? Dès lors qu'une suspicion est exprimée, quel dispositif mettre en place pour évaluer la nécessité à retirer ou non tel produit du marché ? Autrement dit, faudra-il d'autres affaires pour qu'enfin, le système fonctionne ?
M. Philippe Lechat . - A l'origine d'un tel problème, personne ne se trouve isolé. La plupart des problèmes possèdent une dimension internationale. Nos informations sont multiples, notamment la base de pharmacovigilance, qu'elle soit française ou européenne, mais aussi la base des essais cliniques et l'ensemble des publications effectuées dans le monde. Des discussions et des interrogations s'expriment entre les agences. Ainsi, l'Afssaps a signé un accord de confidentialité avec la Food and Drug Administration (FDA). Nous consultons cette instance, en cas de questionnement.
L'interrogation des bases de données fournit, à mon sens, un apport extrêmement important. En France, l'interrogation de la base de la Cnam a puissamment conforté le signal exprimé, en termes de pharmacovigilance. Cette possibilité, très récente, date de 2008. Auparavant, il n'était pas possible de créer un chaînage entre le système national d'informations inter-régions d'assurance maladie (Sniiram) pour les prescriptions, les programmes de médicalisation des systèmes d'information (PMSI) pour les causes d'hospitalisation et les données de l'Insee concernant la mortalité, exploitables depuis 2010.
Si, pour n'importe quel signal, l'interrogation des bases de données peut compléter cette alerte, la réaction prendra de la puissance. Concrètement, lorsqu'un médecin constate des faits troublants, son premier réflexe doit consister à joindre le centre régional de pharmacovigilance. Celui-ci analyse les informations, les fait remonter et l'Afssaps interroge la base européenne et les bases d'essais cliniques. Cet ensemble de moyens permet de répondre rapidement au questionnement. Ainsi, le retrait récent de la rosiglitazone résulte d'une cinquantaine d'études, centrées durant dix ans sur la recherche d'une éventuelle surmorbidité cardio-vasculaire : l'accumulation de ces informations a démontré que la balance bénéfices-risques, pour ce médicament, n'était plus favorable.
Etant donné les outils dont nous disposons, la question porte donc, pour l'essentiel, sur notre capacité d'organisation et d'interrogation informatique. L'Afssaps et la Cnam élaborent un projet de convention, pour permettre une interrogation plus efficace de ces bases. Celles-ci, cependant, fournissent uniquement des informations sur des événements graves, c'est-à-dire les hospitalisations. Il conviendrait, à titre complémentaire, d'utiliser le dossier médical (DM) en concertation avec les médecins et les pharmaciens et de prendre en compte les données cliniques sur les pathologies, sous couvert de confidentialité.
M. Gilbert Barbier . - Durant plusieurs années, des alertes sur les cas d'hypertension artérielle pulmonaire ont été effectuées. Dans plusieurs pays voisins, l'Italie, la Suisse et l'Espagne, le Mediator a été interdit. Comment expliquer que la France n'ait pris en compte que des données purement hexagonales ?
Par ailleurs, l'hypertension artérielle pulmonaire constitue une affection extrêmement grave, étudiée périodiquement dans le cadre de la Société française de cardiologie. Depuis 1995, ce problème semble avoir été occulté dans une instance qui réunit l'ensemble des cardiologues.
Enfin, la publication par l'Afssaps d'une liste de soixante-dix sept médicaments sous surveillance a-t-elle un rapport avec l'affaire du Mediator ?
M. Philippe Lechat . - S'agissant de l'Isoméride, dont la commercialisation s'est étendue de 1985 à 1997, plus de 150 cas d'hypertension artérielle pulmonaire ont été notifiés en France. Le premier cas relié au Mediator a été notifié en 1999. Jusqu'en 2006, cinq cas ont été ainsi relevés, dont l'interprétation s'est sans doute révélée difficile dans la mesure où de nombreux patients avaient pris les deux médicaments : le Mediator étant mal positionné, on incriminait plutôt l'Isoméride.
M. François Autain, président . - Dès 1998, onze cas étaient identifiés, pour lesquels une association entre l'Isoméride et le Mediator était relevée.
M. Philippe Lechat . - Cependant, la seule publication évoquant un lien entre l'hypertension pulmonaire artérielle et la prise de Mediator date de 2009 : cinq cas ont été publiés par l'équipe de l'hôpital Antoine-Béclère. Parallèlement, des centaines de notifications relatives à l'association entre cette pathologie et la prise d'Isoméride étaient effectuées. Cette différence quantitative a induit en erreur.
M. François Autain, président . - Certains pays n'attendent pas la multiplication des cas pour interdire un produit. Un seul cas peut suffire pour prendre une décision qui relève du principe de précaution, surtout lorsque l'on sait que le SMR d'un médicament est insuffisant.
M. Philippe Lechat . - Encore faut-il avoir bien identifié ce médicament comme potentiellement susceptible de générer le même type de complications qu'un produit proche.
M. François Autain, président . - Lors de l'introduction d'un médicament sur le marché, le rapport bénéfices-risques est présumé, même s'il ne constitue pas une certitude. Pour cette raison, des plans de gestion des risques sont prescrits. Dans ce cas, lorsqu'il s'agit de retirer un produit du marché, pourquoi ne se contente-t-on plus de présomptions mais de certitudes ? Pourquoi, cette fois, faut-il attendre que des risques avérés soient notifiés ? Cette asymétrie reste incompréhensible, sauf à conclure que l'intérêt du laboratoire prévaut sur celui du malade.
Mme Marie-Thérèse Hermange . - La jurisprudence du Conseil d'Etat exige-t-elle des certitudes scientifiques pour fonder le retrait d'un médicament ?
M. Philippe Lechat . - Dans le cas du Mediator, un ou deux cas étaient notifiés. Cependant, les instances n'ont pas considéré que ce produit, dont la molécule présentait une proximité avec les anorexigènes, pouvait être incriminé : ce médicament était considéré, à tort, comme un produit différent. Le raisonnement, dans le domaine de la pharmacovigilance, relève de la pharmaco-épidémiologie : il consiste à comparer les effets attendus aux effets observés. On retire un produit si la fréquence des événements paraît nettement supérieure à ce qui est attendu.
Par ailleurs, une fois l'AMM édictée, il est considéré qu'un médicament produit un minimum d'effet thérapeutique. La suspension d'un médicament est essentiellement liée à ses risques induits, plutôt qu'à son manque d'efficacité. Et pour qu'un produit soit retiré, la jurisprudence exige de nouvelles données relatives à ses risques.
Si ce paradigme peut changer, la situation évoluera favorablement. L'Afssaps bénéficiera d'une latitude supplémentaire afin de retirer du marché des produits pour lesquels les bénéfices ne sont plus à la hauteur des progrès de la médecine, et le niveau de risques n'est pas admissible.
M. François Autain, président . - Néanmoins, je n'ai pas l'impression que la crainte du Conseil d'Etat a été à l'origine de l'inertie constatée pour le Mediator.
Mme Marie-Thérèse Hermange . - Parmi la liste des soixante-dix-sept médicaments sous surveillance, comme le Celebrex, quelle procédure concrète sera mise en oeuvre pour évaluer tel médicament et, le cas échéant, le retirer du marché ?
M. Philippe Lechat . - Une fois qu'un médicament est introduit sur le marché, il est régulièrement surveillé. Le laboratoire doit fournir des rapports de sécurité. Au bout de cinq ans, le renouvellement définitif du produit est examiné. Si le rapport bénéfices-risques reste considéré comme favorable, ce renouvellement est agréé. Etant donné le volume des informations dont les experts disposent, ce système me paraît relativement satisfaisant.
M. François Autain, président . - Les informations disponibles pour le Mediator étaient-elles suffisantes ?
M. Philippe Lechat . - Le problème posé par le Mediator est beaucoup plus ancien. Aujourd'hui, lorsque le laboratoire dépose son produit, le niveau d'exigence présidant à sa validation est bien supérieur. Des études complémentaires sont demandées aux laboratoires. Cette évaluation est effectuée à un échelon international. Un médicament comme le Celebrex, dont la validation a été renouvelée après cinq ans de commercialisation, ne peut être retiré qu'à certaines conditions. D'une part, les notifications peuvent montrer des effets indésirables plus importants que ses effets attendus dans cette classe de médicaments. D'autre part, des études cliniques réalisées par le laboratoire, afin d'étendre l'utilisation du médicament pour traiter d'autres pathologies, peuvent révéler des effets indésirables non détectés jusqu'ici : c'est dans ce contexte que le Vioxx a été retiré du marché.
M. Gilbert Barbier . - Pouvez-vous revenir sur les travaux de la Société française de cardiologie ?
M. Philippe Lechat . - S'agissant de l'hypertension artérielle pulmonaire, le réseau des centres de référence, très structuré, se montre extrêmement attentif. Plusieurs études ont été coordonnées par l'hôpital Antoine-Béclère, notamment en 2005. Or elles ne faisaient pas ressortir un problème particulier relatif au Mediator. En 2009, cinq ou six cas ont fait l'objet d'une publication.
En ce qui concerne la chirurgie cardiaque, la lésion, au niveau de la valve, est relativement spécifique : il s'agit d'une fibrose. Les valves, moins souples, se ferment plus difficilement et fuient.
A l'occasion de remplacements valvulaires, des chirurgiens peuvent observer l'aspect des valves. Ainsi, certaines anomalies ont pu être caractérisées comme typiques du Mediator. Néanmoins, dans de nombreux cas, cette observation était moins évidente : la fibrose pouvait également résulter d'une dégénérescence des tissus. De ce fait, des praticiens n'ont pas réagi. Les cardiologues qui constatent une fuite valvulaire, s'ils ne sont pas sensibilisés aux effets indésirables dudit médicament, n'effectuent probablement pas de notification. Il en va de même pour les chirurgiens cardiaques.
Mme Nathalie Goulet . - Au cours des différentes auditions, nous avons progressivement admis de ne pas obtenir de réponse à nos questions. Ainsi, selon vos propos, les laboratoires Servier ont fait en sorte que la présentation du Mediator conduise les instances à ne pas effectuer de contrôle. Ce défaut d'évaluation pourrait-il se reproduire aujourd'hui ? Pourrait-il mener à de tels manquements ? Certes, l'Afssaps a effectué une « erreur d'aiguillage » dans le positionnement du produit. Cependant, selon le professeur Montastruc, l'évaluation des médicaments manque d'informations transversales et la culture du risque reste insuffisamment développée. Concrètement, comment les risques sont-ils évalués ?
M. Philippe Lechat . - En 1974, quand les laboratoires Servier ont déposé son dossier d'AMM, celui-ci était conforme aux attentes. Les études déposées sur ce médicament démontraient un effet. Le tort des laboratoires Servier est d'avoir omis de présenter d'autres études qui prouvaient ses effets anorexigènes, ni de données comparatives. Aujourd'hui, la législation a évolué. Un laboratoire doit présenter l'ensemble des données relatives à un produit, même celles qui ne correspondent pas à l'indication qu'il soumet.
M. François Autain, président . - Néanmoins, si les laboratoires ne présentent pas l'ensemble des données, aucune sanction n'est retenue contre eux. De même, aucune sanction n'est retenue contre les experts qui ne déclarent pas leurs liens d'intérêts.
M. Philippe Lechat . - Il est vrai que l'enseignement médical favorise surtout le diagnostic. La thérapeutique reste un peu moins abordée, et la gestion du risque médicamenteux est sans doute insuffisamment traitée. Lorsque j'étais cardiologue à l'hôpital de La Pitié-Salpêtrière, mon équipe et moi-même n'étions pas, au premier chef, préoccupés par cette notion. Il semble utile de valoriser la notion de rapport bénéfices-risques.
M. François Autain, président . - Etant donné le temps imparti à ces auditions, je vous propose que vous répondiez par écrit à la question posée sur les procédés d'évaluation à l'Afssaps.
Mme Marie-Christine Blandin . - Lorsqu'une commission rend un avis d'évaluation, fait-on sortir de la salle les personnes qui ont déclaré des liens d'intérêts ?
Par ailleurs, l'environnement que vous évoquez semble favorable à des prises de décisions pertinentes. Or celles-ci n'ont pas été prises. Le 16 avril 1997, l'agence souhaite modifier l'AMM. Pourtant, le 5 juin, elle annule cette modification. Le 24 avril 2000, malgré la demande des laboratoires Servier, l'agence refuse que le Mediator soit désormais considéré comme un antidiabétique de premier rang. Le recours de l'industriel est rejeté le 11 décembre. Finalement, en juin 2001, l'AMM considère le Mediator comme un adjuvant du régime du diabète.
Dans les collectivités territoriales, lorsqu'un appel d'offres est effectué pour la construction de bâtiments publics, il est interdit à nos directeurs de rencontrer les postulants. Je serais donc curieuse de connaître les agendas des experts qui ont changé d'avis sur le Mediator. Les rendez-vous entre un représentant d'un laboratoire et un expert se déroulent-ils en tête à tête ? Ont-ils lieu en présence de plusieurs personnes ?
M. Philippe Lechat . - Je peux difficilement évoquer, de manière détaillée, les rendez-vous qui ont été pris à cette époque. Actuellement, lorsque des industriels sont reçus à l'Afssaps, la réunion comporte plusieurs personnes. Toutes les réunions donnent lieu à un compte rendu. Cependant, les agendas des experts ne sont pas contrôlés.
S'agissant du Mediator, la commission d'AMM avait voté en défaveur du maintien d'une indication relative au diabète. Celle-ci a ressurgi par le biais d'une lettre d'Arielle North relative à la notice et à l'étiquetage du produit. Cet épisode est particulièrement complexe. Il résulte probablement d'une influence des laboratoires Servier.
M. Bernard Cazeau . - Comment la première estimation de l'Afssaps, concernant le nombre de décès liés au Mediator, a-t-elle été effectuée ? En novembre 2010, cette estimation portait sur 500 décès. Puis on a évoqué quelque 2 000 décès. Les méthodologies utilisées étaient-elles différentes ?
M. Philippe Lechat . - J'ai interrogé la Cnam et j'ai effectué moi-même cette estimation. La Cnam recensait en 2006 une cohorte de quelque 300 000 patients ayant pris du Mediator, et qui ont été suivis jusqu'en 2010. Parmi cette cohorte, soixante-quatre décès ont été recensés : quarante-cinq décès étaient imputables, directement ou indirectement, à une pathologie valvulaire.
Deux études, l'une menée précédemment par la Cnam et l'autre par Irène Frachon, avaient démontré qu'en cas de prise du Mediator, le risque de valvulopathie était multiplié par trois. Par conséquent, si quarante-cinq décès sont imputables à une valvulopathie sous Mediator, cela signifie que trente cas peuvent être attribués à ce médicament. Ces faits-là sont indiscutables.
Sur cette base, comment calcule-t-on l'extrapolation à l'ensemble de la période d'exposition au Mediator ? On estime qu'environ 5 millions de personnes ont reçu du Mediator. Si l'on effectue une règle de trois, le résultat obtenu porte sur quelque cinq cents décès.
L'Afssaps a fait appel à des épidémiologistes confirmés, afin d'estimer ces résultats : il s'agissait de rapporter l'extrapolation à une surmortalité à plus long terme, au-delà de cinq ans. En effet, un patient atteint d'une valvulopathie encourt alors un risque de décès plus élevé. Ce calcul, particulièrement complexe, a donné lieu à d'intenses débats. On peut évaluer cette surmortalité à quelque 2 000 décès. Cependant, s'agissant de personnes qui ne sont pas encore décédées, aucune certitude ne peut être avancée. L'enjeu consiste à suivre et traiter les patients atteints d'une valvulopathie.
M. François Autain, président . - Vous avez pris l'initiative de demander à la Cnam d'effectuer cette étude. Celle-ci a permis de mettre à jour l'ampleur de cette affaire. La méthodologie utilisée, qui s'est révélée efficace, ne peut-elle pas s'appliquer à d'autres médicaments ? La rosiglitazone, utilisée comme antidiabétique, aurait généré aux Etats-Unis quelque 85 000 infarctus du myocarde, selon les dernières études américaines. De même, le professeur Jean-Louis Montastruc a exprimé son inquiétude au sujet de la pioglitazone qui augmente le risque de cancer de la vessie. De telles études pourraient être menées de manière systématique.
M. Philippe Lechat . - En 2010, Anne Castot et moi-même avons demandé à la Cnam l'interrogation de sa base de données pour l'Avandia. Au niveau européen, le vote du CHMP venait déjà d'aboutir au retrait du médicament. L'analyse de la Cnam portait sur les hospitalisations liées à un infarctus du myocarde et comprenait une comparaison entre la pioglitazone et la rosiglitazone. Dans le contexte des conditions d'utilisation, aucune différence n'a été constatée mais ces résultats préliminaires mériteraient d'être peaufinés.
En ce qui concerne la pioglitazone, la Cnam devrait fournir des résultats d'ici la fin du mois.
Si l'accès à ses bases de données peut être systématique, nous y aurons recours. Pour cela, il faut du temps et des moyens financiers.
M. François Autain, président . - Je vous remercie.
Audition de MM. Jean-Luc HAROUSSEAU, président, François ROMANEIX, directeur général, et Gilles BOUVENOT, président de la commission de la transparence, de la Haute Autorité de santé (mardi 1er mars 2011)
M. François Autain, président . - Je vous informe que cette audition est ouverte à la presse et donne lieu à un enregistrement audiovisuel en vue de sa diffusion sur Public Sénat et sur le site Internet du Sénat. En application de l'article L. 4113-13 du code de la santé publique, je vous demande de faire connaître, le cas échéant, vos liens d'intérêts avec des entreprises produisant ou exploitant les produits de santé ou des organismes de conseils intervenant sur ces produits.
M. Jean-Luc Harousseau, président de la HAS . - Comme je m'y étais engagé lors de ma visite devant la commission des affaires sociales du Sénat, lors de ma prise de fonctions, j'ai effectué une déclaration publique d'intérêts en deux temps. Depuis le 1 er février 2011, je déclare ne plus avoir aucun conflit d'intérêts. Dans le passé, de par mes fonctions de médecin oncologiste, j'ai entretenu de nombreux rapports avec plusieurs compagnies pharmaceutiques, dans une visée d'amélioration thérapeutique pour les patients cancéreux. Ces firmes étaient spécialisées dans le développement de molécules anticancéreuses.
Mon autre déclaration d'intérêts, rendue publique sur le site de la Haute Autorité de santé (HAS), fait état des rapports personnels que j'ai entretenus avec ces compagnies pharmaceutiques et des relations indirectes que j'ai nouées en tant que chef du service d'hématologie du CHU de Nantes, directeur du centre anticancéreux de Nantes et président d'un groupement coopérateur de recherche clinique sur le myélome. Ces relations, de par leur diversité et leur nature, m'ont permis de conserver une objectivité dans l'analyse des différents traitements proposés aux patients dont j'avais la responsabilité.
M. François Autain, président . - Il est normal que des médecins travaillent avec des laboratoires. En revanche, un problème se pose lorsque les mêmes médecins ont la charge d'évaluer des médicaments issus de ces laboratoires. Cette dichotomie constitue un exercice particulièrement difficile. Dans les pays anglo-saxons, même si un expert n'a plus de liens d'intérêts durant l'année en cours, il ne doit pas omettre de citer ceux qu'il avait auparavant. En France, nous sommes beaucoup moins exigeants.
Il n'est pas sûr que les pratiques ayant prévalu pour le Mediator n'existent pas encore. Elles sont sans doute plus sophistiquées.
M. Gilles Bouvenot, président de la commission de la transparence, de la HAS . - Pour ma part, depuis notre précédente rencontre au sujet du virus de la grippe A(H1N1)v, ma déclaration n'a pas évolué et reste toujours vierge. Cela étant, il est interdit aux membres du collège de la Haute Autorité de santé d'avoir des liens d'intérêts.
M. François Autain, président . - Hélas, tel n'est pas encore le cas pour les membres des commissions.
M. Gilles Bouvenot . - Pour les membres des commissions, l'exercice est beaucoup plus difficile. D'importants efforts ont été effectués. Un bon expert, au sein de la commission de la transparence, est recruté en fonction de sa haute compétence dans sa spécialité et dans tel domaine d'évaluation. En outre, il doit déclarer le moins possible de liens d'intérêts. A l'heure actuelle, la commission de la transparence entretient beaucoup moins de liens d'intérêts que par le passé.
Un médicament est obligatoirement réévalué tous les cinq ans, et parfois plus fréquemment, en fonction du contexte médical. Voici un mois, un médicament anti-ostéoporotique issu des laboratoires Servier, le Protelos, a été évalué. A cette occasion, j'ai été particulièrement attentif aux liens d'intérêts des membres de la commission avec Servier. Seuls deux experts avaient de tels liens, et ils étaient mineurs. L'ensemble des institutions a effectué d'énormes progrès depuis cinq ans. Nous devons beaucoup, pour notre part, à la mise en place d'un collège de déontologie.
M. François Romaneix, directeur général . - En ce qui me concerne, je n'ai pas de conflit d'intérêts avec l'industrie pharmaceutique. Ma déclaration est publiée sur le site de la Haute Autorité de santé, comme celle de l'ensemble des agents qui concourent à l'évaluation du médicament.
A la suite de notre audition au Sénat, dans le cadre de la grippe A(H1N1)v, votre rapport avait reconnu l'action menée par la Haute Autorité de santé. En 2006, un premier guide a été élaboré. En 2010, un second guide, plus rigoureux, a également contribué à améliorer la situation. En outre, la mise en place d'un comité de déontologie nous fournit un regard externe sur les évolutions qu'il convient d'apporter, en matière de gestion des conflits d'intérêts. La procédure est fondée sur la responsabilisation des différents acteurs des travaux de la Haute Autorité de santé. Ainsi, le bureau de la commission de la transparence décide, au cas par cas, de retenir ou non un expert, en fonction de la difficulté des sujets. S'agissant des maladies rares, par exemple, il est plus difficile de recruter un expert n'ayant aucun conflit d'intérêts.
M. François Autain, président . - Si vous le souhaitez, vous pouvez effectuer une intervention liminaire.
M. Gilles Bouvenot . - Je vais tenter d'évoquer l'affaire du Mediator telle qu'elle a été vécue au sein de la Haute Autorité de santé. A l'heure actuelle, il paraît facile d'avoir une vision longitudinale des faits, mais nous ne l'avions pas à cette époque où prévalait le morcellement des instances et des périodes. Celui qui s'occupait d'un produit, telle année, n'était pas nécessairement au fait de la situation antérieure.
La commission de la transparence a rendu un premier avis sur le Mediator en 1999.
M. François Autain, président . - Faisiez-vous partie de cette commission ?
M. Gilles Bouvenot . - Non. De 1997 à 2000, j'étais président de l'Observatoire national des prescriptions et consommations des médicaments, mis en place à la suite du rapport Zarifian. Nous avons effectué quatre rapports. L'un d'eux, consacré à l'abus de la prescription et de la consommation d'antibiotiques, a contribué à améliorer la situation.
En 1999, Martine Aubry demande à la commission de la transparence, de manière très pertinente, de procéder à la réévaluation des 4 450 produits figurant sur la liste des médicaments remboursables. Au cours de cette évaluation, qui prend alors deux ans, le Mediator est l'un des premiers médicaments à être étudié. La commission, qui n'a pas connaissance de ses effets indésirables dramatiques, indique alors que ce médicament est très peu efficace et que sa place dans la stratégie thérapeutique est mal définie.
M. François Autain, président . - Savez-vous alors qu'il s'agit d'un anorexigène ?
M. Gilles Bouvenot . - Je ne peux pas m'exprimer au nom des membres qui participaient à la commission de 1999.
Sur les 4 450 médicaments de la liste, 835 produits se voient attribuer un SMR insuffisant, c'est-à-dire un avis favorable au déremboursement : le Mediator en fait partie. Par la suite, il ne se produit rien d'exceptionnel, hormis une baisse des prix.
En 2003, Jean-François Mattei, ministre de la santé, demande à revoir la copie. En effet, le Conseil d'Etat a invalidé une décision prise par le ministère, à propos d'un avis de la commission de la transparence considéré comme insuffisamment motivé. Il propose à la commission de la transparence de réévaluer ces 835 médicaments, en trois étapes, depuis les produits les plus simples jusqu'aux produits les plus compliqués à dérembourser. Deux commissions successives s'attachent à ce travail. La première, présidée par le professeur Bernard Dupuis, a déjà procédé à l'évaluation des médicaments entre 1999 et 2001. Quant à la seconde, j'en suis nommé président à la fin de l'année 2003.
L'Autorité française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) constitue le « premier regard » sur les médicaments. La Haute Autorité de santé fournit un « second regard ». Quand des AMM paraissent fragiles parce qu'elles sont très anciennes, la commission de la transparence peut intervenir, à la demande du ministère.
La première étape de l'évaluation concerne une soixantaine de médicaments sur lesquels on a des doutes, en termes d'efficacité. En juin 2003, leur déremboursement est annoncé par le ministère.
En 2005, la deuxième vague concerne 225 médicaments de prescription médicale facultative, susceptibles, après leur déremboursement, d'être utilisés dans le cadre d'une automédication. C'est notamment le cas des veinotoniques.
Le Mediator fait partie d'une troisième vague, en 2006, comportant quatre-vingt-cinq médicaments. Ce produit de prescription médicale obligatoire (PMO) est l'un des derniers à être évalué. Un phénomène singulier nous amène alors, sur le plan réglementaire, à le considérer comme différent des autres produits.
Normalement, la procédure est simple. Quand un ministre souhaite le déremboursement de certains produits, il autorise les firmes à venir en pré-audition devant la commission, avant que celle-ci ne porte un jugement définitif, afin de nous expliquer que cela a été très mal de notre part de proposer un SMRI en 1999, et que ce serait bien entendu très mal de proposer un SMRI en 2006. Les firmes tentent alors de « sauver » la tête de leurs produits, ce qui ne change rien, bien sûr, à leur valeur intrinsèque.
A notre grande surprise, concernant le Mediator, il s'est passé quelque chose de tout à fait imprévu. Au lieu de dire « encore un instant monsieur le bourreau » , les laboratoires Servier nous ont apporté une nouvelle étude sur le Mediator, que tout le monde a appelé depuis l'étude Moulin, et dont les résultats tendaient à faire croire que ce Mediator était un vrai traitement du diabète, comme la metformine, dans le diabète de type II : les résultats montrent que le taux d'hémoglobine glyquée dans le sang, sous Mediator, baisse d'environ 1 %, ce qui correspond à une vraie performance d'antidiabétique. C'est faire jeu égal à la metformine.
L'astuce de la firme consiste, sur la foi de cette étude, à demander une modification du libellé d'AMM. Nous n'avions donc pas d'autre issue à la HAS que de dire que nous ne pouvions pas statuer. Il est donc indispensable que l'Afssaps nous dise si elle valide l'étude Moulin. La Haute Autorité de santé considère qu'elle ne peut pas statuer mais elle confirme que le Mediator démontre un SMR insuffisant dans la lutte contre l'hypertriglycéridémie. En revanche, il faut reconnaître qu'elle ne se montre pas suffisamment explicite concernant l'utilisation du Mediator comme traitement adjuvant du régime du diabète. Dans l'attente de l'avis de l'Afssaps, le produit conserve son SMRI car nous n'avons pas le droit de le modifier. Nous y étions tenus réglementairement. Par conséquent, nous attendons les résultats de la réévaluation menée par l'Afssaps : en 2007, la commission d'AMM confirme le maintien de l'AMM du Mediator, sans modifier son libellé.
Cependant, l'étude Moulin présentait un caractère troublant. Nous avons une furieuse envie d'être sûrs que ses résultats soient indiscutables. Nous pensions alors, même si nous ne pouvons pas l'écrire, qu'il serait souhaitable de procéder à une inspection de cette étude : seule l'Afssaps, qui exerce la « police » du médicament, possède ce droit.
Une telle inspection prend beaucoup de temps. Elle consiste, notamment, à contrôler les sérums des patients qui ont été conservés. Durant l'été 2009, sans nouvelles des résultats de cette inspection, je dois admettre que nous ne sommes pas suffisamment pro-actifs auprès de l'Afssaps, hormis par téléphone.
C'est par le rapport de l'Igas que j'apprends, personnellement, que les résultats de cette étude, non définitifs, présentent des anomalies méthodologiques rendant ses conclusions extrêmement discutables.
Selon le rapport de l'Igas, c'est en avril-mai 2009 que les résultats sont portés à la connaissance des évaluateurs.
Mme Marie-Thérèse Hermange . - Pourquoi n'avez-vous pas demandé à l'Afssaps les résultats de l'inspection ?
M. Gilles Bouvenot . - Nous les avons demandés mais ils ne nous ont pas été communiqués. En effet, ces résultats étaient intermédiaires, comme le souligne le rapport de l'Igas.
Il se trouve que j'ai des liens professionnels et des liens d'amitié avec le professeur Dominique Mottier, à Brest, dont le service de pneumologie travaille en relation avec Irène Frachon.
Fin septembre 2009, celui-ci me téléphone et m'indique qu'Irène Frachon, pour laquelle il a beaucoup d'estime professionnelle, a toutes les difficultés à se faire entendre concernant les effets indésirables du Mediator. Ne disposant d'aucune information, cette nouvelle me sidère. Dominique Mottier me demande d'agir.
Il semble que le manque de communication prévaut à l'intérieur de l'Afssaps et dans les rapports qu'elle entretient avec d'autres instances. Cette entité comprend une commission d'AMM et une commission de pharmacovigilance, mais il n'existe pas de « bloc » homogène traitant du rapport bénéfices-risques des médicaments. Pourtant, il serait souhaitable, à mon sens, que cette question soit traitée par une instance unique.
Le 6 octobre 2009, Irène Frachon m'adresse un long mail dans lequel elle m'interroge sur l'action à mener. Je téléphone alors à Philippe Lechat : il m'indique que l'Afssaps est au courant de cette problématique. Cependant, les processus d'AMM et de contrôle en matière de pharmacovigilance prennent du temps. Durant mon audition à l'Assemblée nationale, j'ai employé le terme de « palabres ». Même si ce terme peut paraître excessif, la prudence est de mise concernant les alertes.
Dans les minutes qui suivent, je transmets le mail d'Irène Frachon au service d'évaluation des médicaments, placé au sein de la Haute Autorité de santé sous la direction de François Romaneix. De manière conservatoire, nous pouvons rappeler ce médicament : dans ce cas, une demande de dossier est effectuée auprès de la firme pharmaceutique qui, généralement, ne se précipite pas pour y répondre. A la fin du mois d'octobre 2009, l'Afssaps prend la décision de retirer le Mediator du marché.
En conclusion, je voudrais dire combien le drame occasionné par ce médicament conforte la Haute Autorité de santé dans son point de vue.
L'Afssaps statue sur les bénéfices et les risques des médicaments. Pour notre part, nous recourons à d'autres critères, différents et complexes : ils relèvent du service médical rendu, de la place d'un médicament dans la stratégie thérapeutique et du progrès qu'il permet d'effectuer. Nous tentons surtout de situer le médicament dans le contexte national, en tenant compte des priorités de santé publique et du principe de solidarité nationale. Nous travaillons également de manière transversale : en effet, les médicaments de demain, qui prendront la forme de thérapies cellulaires ou géniques, ne se concevront qu'associés à des dispositifs médicaux et des actes. L'évaluation du médicament concerne la chimie, et non la biologie.
Je constate que l'Afssaps s'inscrit désormais dans un assujettissement à l' European Medicines Agency (EMA) même si ce constat ne prend aucune valeur péjorative. De son côté, la Haute Autorité de santé ne constitue pas seulement un « second regard » : depuis deux ans et demi, elle devient un « second rempart ». Tout en respectant la légitimité de l'Afssaps et de l'EMA, nous sommes beaucoup plus indépendants, beaucoup plus critiques.
Prenons l'exemple du médicament Acomplia, un antidiabétique qui avait reçu une AMM européenne. La Haute Autorité de santé, lors de l'étude sur ce produit, s'est montrée opposée à ce qu'il soit remboursé à d'autres patients que des diabétiques atteints d'un surpoids important. Elle a donc souhaité restreindre le périmètre de remboursement de ce médicament, et a décidé de ne pas le rembourser pour les patients ayant des antécédents de dépression. Cette décision a suscité quelques conflits avec l'Afssaps. Finalement, le médicament a été retiré du marché.
En décembre 2010, nous avons également émis un avis défavorable au remboursement du Nexen, un anti-inflammatoire non-stéroïdien qui n'est pas encore suspendu.
Au total, nous tentons de rester à l'affût des alertes. Le drame du Mediator renforcera probablement cette tendance. Selon le code de la sécurité sociale, pour qu'un médicament soit inscrit sur la liste des médicaments remboursables, il faut qu'il constitue un progrès ou qu'il induise des économies pour l'assurance maladie. Désormais, nous pourrions aller au-delà. Dans le cas où des alertes de pharmacovigilance sont émises, nous pourrions proposer au ministère la mise en cause du remboursement du produit.
Au niveau européen, les AMM se décident à la majorité des vingt-sept votants. La France n'est pas forcément favorable à certaines AMM européennes mais elle ne peut s'exprimer seule. En revanche, la Haute Autorité de santé peut renforcer son rôle de rempart national. Si nous déclarons qu'un produit ne doit pas être pris en remboursement et si le ministère nous suit, l'AMM française n'aura pas failli à la directive mais nous aurons probablement oeuvré pour une meilleure sécurité des patients.
D'ores et déjà, la Haute Autorité de santé tire quelques leçons du drame du Mediator. Pour l'essentiel, elles portent sur la structuration et la formalisation de ses rapports. Le ministère a suggéré que, lorsqu'un avis de service médical rendu insuffisant (SMRI) est rendu, celui-ci puisse aboutir au non-remboursement du produit concerné, sans qu'il puisse lui-même s'y opposer : cette suggestion me paraît appréciable. De même, Dominique Marininchi propose, quand un avis de SMRI est rendu, qu'un retour immédiat puisse être effectué. En effet, le rapport bénéfices-risques du produit est peut-être fragile. Il mérite d'être réévalué.
M. François Autain, président . - Puisque vous avez parlé de SMRI, il serait utile de rappeler la définition de service médical rendu (SMR) et d'amélioration du service médical rendu (ASMR). Il conviendrait de fournir des précisions sur le lien établi entre les avis de SMR et d'ASMR avec le taux de remboursement des médicaments. Ces notions suscitent certaines confusions dans les esprits car notre système est cloisonné, très complexe.
Pour procéder valablement à l'examen médico-économique des médicaments, la Haute Autorité de santé devrait connaître leur prix. Or tel n'est pas forcément le cas.
En outre, le rapport de l'Igas établit une corrélation troublante entre le SMR des médicaments et le taux de remboursement fixé par l'assurance maladie. La Haute Autorité de santé évalue un médicament, elle demande ou non son inscription mais elle ne détermine pas son taux de remboursement. Cette disposition a été introduite en 2004 mais la situation mériterait d'être plus claire.
Un médicament possédant un SMR satisfaisant peut prétendre au remboursement. Quant à l'ASMR, on peut le considérer comme un SMR relatif. Un médicament auquel s'applique un ASMR V, par exemple, n'est pas remboursable. Le remboursement est conditionné à l'économie qu'un produit permet de réaliser à la sécurité sociale. Or, quelle instance peut véritablement évaluer le niveau de l'économie réalisée ? Ce rôle revient-il à la Haute Autorité de santé ou au comité économique des produits de santé ? En réalité, cette disposition n'est absolument pas respectée, ce qui devra changer.
Certes, le ministère suggère d'instaurer une sorte d'automaticité entre l'avis émis par la Haute Autorité de santé et le remboursement ou non d'un médicament. Néanmoins, la manière dont le comité économique des produits de santé (Ceps) interprète ses avis laisse subsister des inquiétudes. De nombreux médicaments faisant l'objet d'un ASMR V sont mis sur le marché à des prix supérieurs à ceux pratiqués pour des médicaments de la même catégorie. Il est donc difficile de comprendre comment la sécurité sociale peut réaliser des économies.
La complexité et les incohérences d'un tel système méritent des réponses.
M. Gilles Bouvenot . - J'espère être clair dans celles que je pourrai apporter. La Haute Autorité de santé souhaite d'ailleurs obtenir que ses débats, notamment ceux de la Commission de la transparence, soient publics.
M. François Autain, président . - Sous réserve que Mme le rapporteur l'approuve, il s'agira de l'une des propositions de la commission.
Mme Marie-Thérèse Hermange . - Nous avions déjà présenté cette proposition dans notre rapport de 2006.
M. Gilles Bouvenot . - Il existe, à l'heure actuelle, un lien quasi mécanique entre le niveau d'ASMR et le taux de remboursement. De même, il existe un lien, non mécanique cette fois, entre l'ASMR et le prix du produit.
Notre commission est chargée d'évaluer le service médical rendu. Il se définit selon des critères comme la gravité de la maladie, la performance du médicament, l'absence d'alternatives thérapeutiques et la place dans la stratégie thérapeutique, ainsi que l'intérêt pour la santé publique. Ce SMR peut être important, modéré ou faible : nous estimons alors que la solidarité nationale doit prendre en charge ces produits. Quand le SMR d'un médicament est insuffisant, nous déconseillons vivement leur prise en charge.
Il est vrai, même si cette disposition ne figure pas dans un décret, que c'est le directeur général de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie (Uncam) qui fixe le taux de remboursement. Celui-ci est déterminé de façon quasi mécanique, à partir des niveaux de SMR que nous fixons. Jusqu'à l'arrêté de Roselyne Bachelot, effectif depuis janvier 2010, les médicaments correspondant à un SMR important ou modéré étaient respectivement remboursés à 65 % et 35 %. Depuis cet arrêté, les produits ayant obtenu un SMR faible, jusqu'ici remboursés à 35 %, sont remboursés à 15 %.
Lorsque ces produits sont prescrits dans le contexte d'affections de longue durée, les produits sont remboursés à 100 %, hormis dans le cas d'un SMR insuffisant.
M. François Autain, président . - Quel est le pourcentage de médicaments pour lesquels un SMR insuffisant est rendu ?
M. Gilles Bouvenot . - Jusqu'à présent, 5 % à 10 % des médicaments recevaient un SMR insuffisant. La situation évolue pour deux raisons. D'une part, dans le cas où un médicament est suspecté d'une moindre tolérance que les produits existants, il conviendra désormais de s'interroger sur son inscription. D'autre part, voici quinze ou trente ans, maintes pathologies ne correspondaient à aucun traitement. Des produits pouvaient être proposés au remboursement sans qu'ils fournissent un apport thérapeutique vraiment supérieur aux médicaments existants, dont l'efficacité n'était pas forcément fameuse.
Aujourd'hui, de nombreux médicaments sont proposés contre l'hypertension artérielle ou le diabète, entre autres. Cette abondance nous rend de plus en plus exigeants, et il y a matière pour que nous le soyons.
S'agissant de l'amélioration du service médical rendu (ASMR), qui recouvre la notion de progrès thérapeutique, il nous est demandé de définir si un médicament constitue un progrès par rapport aux produits existants. Dans ce domaine, nous pouvons attribuer un ASMR de type 1 correspondant à un progrès majeur, un ASMR de type 2 pour un progrès important, ou un ASMR de type 3 pour un progrès modeste. Selon la réglementation, la firme est autorisée à un dépôt de prix européen. D'une certaine manière, la fixation du prix semble échapper aux autorités françaises.
Lorsque nous donnons une ASMR de type 4, c'est-à-dire pour un progrès minime, il semble qu'une véritable négociation nationale ait lieu, dans laquelle le Ceps a toute latitude pour bien argumenter. Enfin, lorsqu'une ASMR de type 5 est attribuée, le code de sécurité sociale stipule que le médicament doit induire des économies.
Pour ma part, je ne sais pas comment ces économies sont réalisées.
M. François Autain, président . - Pourtant, vous exercez des fonctions médico-économiques.
M. Gilles Bouvenot . - Effectivement, depuis la loi de financement de la sécurité sociale, en 2008, la Haute Autorité de santé est dotée de fonctions médico-économiques. Cependant, elle rencontre une limitation de taille : ce rôle ne lui est pas attribué pour les premières inscriptions, mais pour la suite.
Lorsque nous évaluons un médicament, nous ne connaissons pas encore son prix. En effet, nous ne savons pas encore quelle ASMR ce produit obtiendra. Néanmoins, la Haute Autorité de santé sait conjuguer un certain nombre de jugements de valeur et d'évaluation. Le collège, composé de huit membres, en effectue la synthèse alors que les commissions de la Haute Autorité de santé, eux, ont des missions bien particulières.
Je souhaite, à l'instar de tous les membres du collège, que ce rôle médico-économique gagne en importance. Je ne suis pas choqué que, au sein de la Haute Autorité de santé, une instance comme la commission de la transparence, dans son évaluation, ne tient pas compte de considérations comptables : ce rôle revient, au sein de la Haute Autorité de santé, à la commission d'évaluation économique et de santé publique. A l'avenir, le législateur pourrait se montrer favorable au resserrement des liens entre ces deux commissions, voire en suscitant une activité commune.
A l'heure actuelle, il est demandé à la commission de la transparence de noter les médicaments à l'aune de ce qu'ils valent réellement, en termes de performances médicales et de santé publique. En effet, la suspicion prévaut toujours, à l'extérieur : si les membres de la commission de la transparence savent combien coûtera un produit, selon la note qu'ils lui attribuent, ne seront-ils pas tentés d'assortir cette note d'une arrière-pensée comptable, ou plus noblement, d'une arrière-pensée médico-économique ? Il est probablement nécessaire que, au sein de la Haute Autorité de santé, l'évaluation médico-technique menée par la commission de la transparence soit utilisée par une autre structure, dotée d'une expertise médico-économique.
Actuellement, la commission de la transparence réévalue l'opportunité de continuer à rembourser l'hormone de croissance chez les enfants non déficitaires. Elle s'intéresse donc aux performances médico-techniques de ces hormones de croissance. Quant à la commission d'évaluation économique et de santé publique, elle élargit son questionnement à la sociologie, à la psychologie et à l'équité.
A l'avenir, il conviendrait à la fois de préserver le « second rempart » constitué par la commission de la transparence et de maintenir une évaluation scientifique dénuée d'arrière-pensées.
Mme Marie-Thérèse Hermange . - En tant qu'organe chargé d'améliorer la qualité de l'information médicale, disposez-vous de données rétrospectives sur les informations délivrées par la presse médicale relatives au Mediator, depuis la création de la Haute Autorité de santé ?
Par ailleurs, l'affaire du Mediator montre que des « lanceurs d'alerte » sont nécessaires. Les médecins généralistes sont-ils suffisamment écoutés et pris au sérieux ? Les logiciels d'aide à la décision médicale permettent-ils d'améliorer la prescription médicamenteuse ? Peuvent-ils être utilisés pour améliorer les systèmes d'alerte en pharmacovigilance ?
M. Gilles Bouvenot . - Concernant les logiciels d'aide à la prescription médicale, j'invite François Romaneix à vous répondre.
Jusqu'ici, la Haute Autorité de santé a scrupuleusement respecté la légitimité du système national de pharmacovigilance. Jusqu'à l'affaire du Mediator, elle n'estimait pas légitime de souligner, dans ses avis, l'effet indésirable d'un médicament si celui-ci n'avait pas été validé par l'Afssaps, et particulièrement par sa commission spécialisée en pharmacovigilance : cet effet n'était pas mentionné dans le résumé des caractéristiques des produits. La situation a changé. De tous côtés, on entend dire qu'il faudra être plus attentif aux lanceurs d'alerte, quels qu'ils soient.
Voici quelques mois, la Haute Autorité de santé a rappelé, pour réévaluation, un médicament anti-arythmique récemment mis sur le marché. Ce rappel n'est pas lié à une alerte effectuée par l'Afssaps ou l'EMA. Il résulte de quelques observations publiées, particulièrement préoccupantes. Or le rappel d'un produit n'est pas une mince affaire. Nous devons être attentifs à ne pas intenter de procès d'intention. A l'avenir, même si les alertes ne sont pas jugées très préoccupantes par les grands professionnels, nous y seront particulièrement attentifs. Dans la plupart des cas, ces médicaments ne sont pas vraiment supérieurs aux produits existants. Leur efficacité est souvent de niveau équivalent. Dès lors, une alerte, même si elle ne constitue pas un signal très fort, doit être prise en compte.
Les professions de santé sont à l'origine de la plupart des notifications spontanées. Nous savons combien leur formation initiale et permanente est insuffisante en matière pharmacologique. Il est difficile, pour un médecin ou un pharmacien surchargé, de rédiger toutes les notifications qu'il souhaiterait écrire.
Quand un nouveau médicament s'avère très supérieur aux produits existants, il convient de bien réfléchir avant de lui conférer une mauvaise note, basée sur un signal minime : il est préférable d'attendre qu'il soit validé. A l'inverse, lorsqu'un nouveau médicament ne s'avère pas meilleur que les produits existants, il convient de prendre en compte l'ensemble des informations à son sujet.
Les avis de la commission de la transparence, longs de quinze ou vingt pages, sont rarement lus. Depuis deux ans, nous publions régulièrement des synthèses d'avis. Ces synthèses sont publiées sur le site de la Haute Autorité de santé avant que les produits ne soient commercialisés et que leur prix ne soit fixé. Avant même d'être abordé par un visiteur médical, le prescripteur sait donc ce que vaut le médicament.
M. François Autain, président . - Maintes critiques sont émises à l'égard de la charte de la visite médicale, dont l'efficacité est contestée et le contrôle impossible. Or il est difficile d'interdire aux médecins de recevoir des visiteurs médicaux. Comment rendre leurs relations plus « vertueuses » ? Comment faire évoluer cette charte ? Des propositions circulent, comme rattacher à la HAS une cohorte de visiteurs médicaux qui pourraient provenir des délégués de l'assurance maladie.
M. Jean-Luc Harousseau . - L'intervention des firmes pharmaceutiques auprès des médecins ne se limite pas à ces visites. Elles disposent de nombreux moyens d'intervention, comme l'organisation de congrès. Une réflexion de fond doit être menée sur cette problématique, ainsi que sur la formation initiale et continue des jeunes médecins.
M. François Romaneix . - La Haute Autorité de santé n'est pas chargée du contrôle de la publicité, mission qui relève de l'Afssaps. Elle n'exerce pas non plus de mission de veille. Aucune institution publique ne contrôle la qualité de l'information promotionnelle, en dehors de la publicité, bien que cette proposition ait été émise en 2007 par l'Igas.
Selon la mission confiée par le législateur en 2004, le rôle de la Haute Autorité de santé se limite à certifier, au travers d'un référentiel, la mise en oeuvre de la charte de la visite médicale, signée entre les entreprises du médicament (Leem) et le Ceps. En outre, la Haute Autorité de santé évalue la pertinence de l'action ainsi conduite. En 2009, nous avons rendu un bilan de cette certification : il n'a pas conclu à une amélioration de la qualité de la visite médicale. Nous en tirons des interrogations.
Quant aux logiciels de prescription médicale, leur rôle sera croissant à l'avenir. De plus en plus, l'information sur les médicaments passera directement dans ces logiciels, voire même dans les systèmes d'aide à la décision médicale. Nous avons d'ailleurs commandé un rapport sur ce sujet.
Le référentiel intègre des éléments sur l'efficience des produits et sur la sécurisation de la prescription. Nous entretenons d'ailleurs des contacts de travail avec l'Afssaps dans le domaine de la pharmacovigilance. Reste à estimer l'effectivité de ce référentiel dont la mise en oeuvre devient, pour nous, un point crucial. A l'heure actuelle, cette procédure n'est pas obligatoire. En 2011, la loi de financement de la sécurité sociale prévoit d'inciter les médecins à utiliser des logiciels certifiés.
Mme Marie-Thérèse Hermange . - Combien de sites Internet la Haute Autorité de santé a-t-elle certifiés ? Quels sont l'intérêt et les inconvénients de ces sites consacrés à la santé ?
M. François Romaneix . - Nous travaillons à ce bilan et à l'amélioration de la procédure de certification, mise en oeuvre avec la fondation suisse Heath on the Net (HON). Je ne dispose pas, en cet instant, de données sur le nombre de sites certifiés mais nous vous transmettrons ces informations. Les critères fixés portent sur l'indépendance de la ligne éditoriale et la qualité du processus, mais ils ne portent pas sur le contenu des sites.
Mme Marie-Thérèse Hermange . - Y a-t-il une alternative au fait que la formation continue des médecins soit financée par les laboratoires ?
M. François Romaneix . - L'industrie pharmaceutique recourt à de nombreux moyens, du financement de symposia jusqu'à la diffusion de rapports de congrès sur Internet. La Haute Autorité de santé se situe au début de sa réflexion dans ce domaine. Des décisions plutôt simples peuvent être prises. Les intervenants d'un congrès peuvent s'y engager à exprimer des opinions objectives. Il n'est pas obligatoire qu'une manifestation soit sponsorisée par une seule firme pharmaceutique. La question récurrente concerne le financement de ces congrès.
M. François Autain, président . - Les laboratoires tirent leurs moyens de la vente des médicaments, remboursés par l'Assurance maladie. On peut donc en inférer que la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam) finance indirectement les congrès, et donc le développement professionnel continu des médecins. J'estime donc, à titre personnel, qu'il conviendrait de « raccourcir » le mode de financement de ce circuit, qui entretient actuellement les soupçons.
De fait, certaines actions promotionnelles ne semblent pas prioritairement destinées à améliorer les connaissances des médecins sur tel médicament, ou sur telle stratégie thérapeutique. Contrairement à l'information proprement dite, la publicité émane de l'industrie. Certes, les firmes défendent leurs propres intérêts. Néanmoins, le combat n'est pas toujours égal avec les responsables chargés de défendre les intérêts de la santé publique et de la sécurité sociale.
Mme Marie-Thérèse Hermange . - Je pose à nouveau ma question relative à la presse médicale. Depuis dix ans, quelles données rétrospectives sur le Mediator, publiées dans cette presse, la Haute Autorité de santé détient-elle ?
M. Gilles Bouvenot . - Nous avons fidèlement retranscrit les informations fournies par la revue Prescrire dans un document préparatoire de la commission. A cette époque, nous pensions que seul le système de pharmacovigilance devait traiter ce type d'informations.
M. François Autain, président . - Vous avez pointé des difficultés de communication entre la commission de la transparence et la commission d'AMM, mais aussi avec la commission nationale de pharmacovigilance ou avec le Ceps. Je cite vos propos dans le journal La Tribune : « Nous modifions notre avis dans 25 % des cas. » Etes-vous soumis à des pressions ?
M. Gilles Bouvenot . - Ces malentendus et ces suspicions devraient disparaître dès lors que nos débats, mais aussi les avis intermédiaires et les avis définitifs de la commission, seront rendus publics. A l'heure actuelle, ceux-ci sont occultés dès lors que la firme retire son dossier. Je vous propose de fournir des exemples concrets.
Début janvier, lors d'une séance de la commission de la transparence, nous avons examiné quatre produits qui ont donné lieu à trois avis insuffisants. Au niveau européen, les avis d'AMM nous paraissaient fragiles : ils sont émis par vingt-sept votants, et je ne suis pas sûr que de grands professionnels soient sollicités.
M. François Autain, président . - A en juger par la représentation que nous envoyons à Londres, il s'agit pourtant de professeurs notoirement reconnus.
M. Gilles Bouvenot . - Personnellement, certaines AMM européennes me laissent un peu perplexes. Voter une AMM à la majorité ne constitue pas le meilleur système.
Pour en revenir à ces trois produits, nous les avons jugés insuffisants mais personne ne le saura jamais : les firmes ayant appris notre projet d'avis défavorable, elles ont retiré leur dossier. C'est pourquoi je souhaite que nous obtenions le droit de publier nos avis.
Qu'est-ce qu'un avis intermédiaire ? Lorsque nous rendons un avis, nous rendons d'abord un projet d'avis. Les industriels ne disposent pas d'instance d'appel pour faire valoir leurs produits. La réglementation prévoit donc que la commission de la transparence organise une procédure contradictoire : lorsqu'une firme n'est pas satisfaite d'un avis, ses propres experts peuvent être reçus en audition. Ils tentent alors de démontrer que le dossier initial de la firme était mal présenté, que la commission a pu se tromper, ou mal interpréter le résultat des essais. Cette période contradictoire permet à la firme de se faire entendre, et ceci, non pas en exerçant des pressions mais sous la forme d'arguments. Certaines firmes retirent de l'audition une note moins bonne qu'à l'origine.
Une modification d'avis, dans ces conditions, n'est pas choquante. En termes statistiques, lorsqu'une audition est effectuée, nos avis évoluent dans 25 % des cas. Cependant, les auditions ne sont pas très nombreuses et l'évolution d'un avis est étayée de façon sérieuse, scientifique.
Cependant, il serait essentiel que nous puissions publier l'ensemble des éléments qui fondent l'évolution éventuelle de nos avis. Actuellement, la réglementation nous impose un huis clos, sans la participation des associations de malades. Les journalistes, ne connaissant pas cette phase contradictoire, peuvent tout imaginer. Nous pouvons être suspectés et ne pouvons pas nous défendre. C'est pourquoi je souhaiterais que le législateur nous accorde une transparence plus importante, même si nos détracteurs nous opposent le respect de la confidentialité des données appartenant aux firmes.
M. François Autain, président . - Pouvez-vous revenir sur le contexte relatif au médicament Multaq ? Le comité économique des produits de santé a fourni sa version des faits. Nous souhaiterions connaître la vôtre. Quel était votre premier avis ? Ce médicament a t-il conservé un ASMR V ? Les conséquences ont-elles été tirées, en termes de prix ?
M. Gilles Bouvenot . - Selon une étude demandée par la Food and Drug Administration (FDA) sur les contre-indications à ce produit, le Multaq s'avère délétère pour les patients atteints d'insuffisance cardiaque. C'est dans ce contexte que notre premier avis sur ce médicament a été rendu.
A l'origine, nous avions considéré cette étude comme une démonstration de performances. Rappelons que notre commission est constituée de professionnels de santé qui, dans leur quotidien, effectuent des consultations auprès de malades, notamment des patients atteints de complications thyroïdiennes. Le Multaq est un médicament analogue au Cordarone, mais qui ne comporte pas d'iode. De ce point de vue, un tel produit pouvait paraître satisfaisant. Par ailleurs, il convenait tout particulièrement d'écouter l'avis des experts dans un domaine, celui des troubles du rythme, qui requiert une spécialisation très pointue.
Cependant, au vu des résultats préoccupants de l'étude américaine, nous avons conféré au Multaq, dans notre projet d'avis, un SMR modéré. Des « fuites » ont eu lieu dans la presse.
Deux mois plus tard, la firme a été reçue en audition : il est alors apparu que le dossier avait été mal présenté. Nous avons finalement abouti à la conclusion que le Multaq est comparable aux autres médicaments arythmiques, et qu'il n'est pas plus efficace. Dans la mesure où ces produits possèdent un SMR important, notre avis a évolué : d'un SMR modéré, nous sommes passés à un SMR important. La presse s'est emparée de l'affaire et nous avons été soupçonnés d'être perméables au lobbying de la firme. En réalité, nous nous étions contentés d'aligner ce produit sur les autres. Nous n'avions pas connaissance, à cette phase, de la notification relative à deux cas d'hépatite grave, chez des patients auxquels du Multaq avaient été prescrits. Ce produit sera donc réévalué.
En ce qui concerne les relations entre la commission de la transparence et le Ceps, celui-ci est le destinataire de nos avis. Le prix d'un médicament est fixé dans le cadre d'un comité interministériel où siège la Cnam. Le Ceps comprend des représentants du ministère de l'industrie, ainsi que des représentants du ministère de l'économie et des finances. Pour déterminer ces prix, ce comité utilise d'autres critères que le niveau d'ASMR.
N'ayant pas connaissance de ces éléments, je ne suis pas à même d'estimer si le prix d'un médicament est justifié ou non. Je tiens d'ailleurs à rendre hommage à Noël Renaudin qui, durant de longues années, a évité toute conversation directe au sujet des médicaments. Parfois, il m'a demandé de préciser, par écrit, l'avis de la commission de la transparence. A titre personnel, je n'ai pas un véritable intérêt pour les prix fixés pour les médicaments. En tant qu'évaluateur, j'aurais du mal à déterminer le prix d'un nouveau médicament qui ne serait pas inutile sans pour autant apporter de progrès, et dont la concurrence serait déjà établie sous la forme générique, à tarif modique. Je ne participe pas à ces négociations et je tiens à ne pas exprimer d'interrogations à ce sujet. Je tente de défendre l'indépendance de l'évaluation médico-technique vis-à-vis des conséquences que ses avis génèrent en aval. Si je franchissais la frontière, cette transgression rendrait la justesse des évaluations plus incertaine.
M. François Autain, président . - Pouvez-vous évoquer la place de la commission de la transparence au sein de la chaîne du médicament. L'éclatement des instances a souvent été reproché à cette chaîne. La commission de la transparence, qui n'a jamais été véritablement intégrée à l'agence, garde une position un peu marginale. Dans une perspective de réforme, la fusion des instances relatives aux médicaments n'est-elle pas souhaitable ? Chaque commission, au sein d'une seule instance, pourrait conserver son autonomie. L'Observatoire national des prescriptions et des consommations des médicaments, que vous avez présidé, ne devrait-il pas renaître ?
M. Jean-Luc Harousseau . - Je prends ma présidence dans un contexte particulier, alors l'affaire du Mediator bouleverse la donne. Au sein de la Haute Autorité de santé, le collège a mené une réflexion sur le rôle de cette instance dans le système des médicaments. Pour l'instant, il nous apparaît que les structures sont bien définies.
Le « métier » de l'Afssaps porte sur la sécurité : il est essentiel que la commission d'AMM et la commission de la pharmacovigilance soient soudées. Quant au « métier » de la Haute Autorité de santé, il porte sur l'évaluation de la qualité des soins. Dans ce cadre, le travail effectué par la commission de la transparence vise à évaluer l'intérêt thérapeutique des médicaments, le SMR et l'ASMR. Or les décisions concernant l'AMM tendent à être prises au niveau européen. Il est donc important que les décisions relatives à l'intérêt thérapeutique des produits soient prises par une institution dont c'est le « métier » spécifique.
Nous militons donc pour que la commission de la transparence demeure au sein de la Haute Autorité de santé. En effet, nos évaluations concernent à la fois les médicaments mais aussi les dispositifs médicaux et les actes, une injection dans un organe par exemple : de plus en plus, ces trois paramètres seront mêlés dans la prise en charge thérapeutique des patients.
Enfin, la Haute Autorité de santé intégrera l'évaluation médico-économique, qui constitue un critère essentiel, aux recommandations qui seront effectuées à destination des décideurs publics.
M. Gilbert Barbier . - La commission mixte paritaire intervient prochainement sur la transposition des directives européennes relatives aux produits de santé. Selon la directive qui devrait être adoptée la semaine prochaine, des produits de santé d'occasion, dont la validation aura été effectuée par des organismes de la communauté européenne, pourront être commercialisés en France, sans aucun contrôle au niveau du territoire national. Quelle est la position de la Haute Autorité de santé sur cette question ?
M. Gilles Bouvenot . - Je rappelle que la Haute Autorité de santé constitue précisément un rempart national. C'est tout l'intérêt de cette instance.
M. François Autain, président . - Cette question devrait être posée au Gouvernement.
Mme Marie-Thérèse Hermange . - Il est intéressant de noter que la Haute Autorité de santé n'a pas pris connaissance de cette directive, alors que la santé relève de la compétence nationale. A chaque fois que l'Europe souhaite faire adopter une directive dans le domaine de la santé, elle recourt systématiquement au biais du médicament.
J'ai siégé pendant dix ans au Parlement européen. J'ai vu comment les Anglo- Saxons y travaillent. Dès qu'une réunion de commission s'achève, ils prennent contact avec leurs homologues. Voici trois ans, une directive sur le médicament a fait l'objet d'une transposition. Certains aspects de son contenu m'ont paru inadmissibles et je ne l'ai pas votée. Au Sénat, au sein de la commission des affaires sociales, un certain nombre de sénateurs se sont montrés interpellés par les dispositions de cette directive. Malheureusement, lors du vote en séance publique, sont apparues des positions inverses à celles qui s'étaient exprimées au sein de la commission. La Haute Autorité de santé devrait s'intéresser à la façon dont sont élaborées les directives relatives aux médicaments.
Certaines directives, toutefois, permettent de réaliser des progrès, notamment dans le domaine du médicament pédiatrique.
M. Gilles Bouvenot . - Au cours des six dernières années, notre précédent président a développé une collaboration extrêmement fructueuse avec nos homologues britanniques et allemands. Nous allons probablement les contacter rapidement, pour connaître leur point de vue.
Quant à la création de l'Observatoire national des prescriptions et des consommations, elle partait certainement d'une très bonne idée. J'ai eu le plaisir de m'en occuper pendant trois ans, avant que Patrick Choutet ne me succède. Nous avons produit quatre rapports, avec les moyens du bord, qui n'étaient pas ceux de l'industrie pharmaceutique.
L'Observatoire des prescriptions et consommations a servi de révélateur mais sa pérennisation ne me paraît pas souhaitable. Cet observatoire devient suranné dès lors que l'assurance maladie, qui effectue notamment des enquêtes régionales, met à disposition l'ensemble de ses données : il semble qu'elle prenne cette orientation. Désormais, le problème essentiel réside plutôt dans leur exploitation.
M. François Autain, président . - Le ministre de la santé a proposé de réduire le nombre de membres siégeant au sein des commissions. S'agit-il, selon vous, d'une bonne proposition ?
M. Gilles Bouvenot . - J'attache beaucoup d'intérêt à cette question. La commission de la transparence a d'abord été une commission administrative comportant une douzaine de membres. Certes, la question de l'indépendance réelle des experts, qui siégeaient en nombre minoritaire, peut se poser. Cependant, à l'époque, cette question ne se posait pas. L'assiduité des membres de l'administration était constante, et cette commission apparaissait, à certains moments, plus administrative que médicale.
En 2003, Jean-François Mattei a voulu créer une nouvelle commission de la transparence, aux dimensions élargies, comportant vingt-six membres, dont vingt titulaires et six suppléants.
Il a souhaité que les administrations représentées, telles la direction générale de la santé, la direction de la sécurité sociale, la direction générale de l'Afssaps et les trois caisses, ne puissent pas prendre part au vote. Ces administrations, qui possèdent un rôle consultatif, participent aux débats, émettent des avis et fournissent parfois des données. Nous souhaiterions d'ailleurs en collecter davantage. Seuls les membres professionnels de santé prennent part au vote, ce qui présente deux avantages. D'une part, ces professionnels de santé peuvent éprouver, concrètement, le bénéfice des médicaments dont ils parlent sur les patients : ils n'effectuent pas d'évaluation dans l'absolu. D'autre part, le nombre de membres permet la pluralité d'avis et renforce la protection de la commission de la transparence contre les influences. Les avis divergents, ou minoritaires, peuvent s'exprimer. Ils se manifestent dans les comptes rendus. Une commission très réduite n'offrirait pas autant ces garanties.
Cependant, l'avenir reste impossible à prédire. Maints experts se demandent s'il y a encore un intérêt à siéger dans les commissions. Leur présence relève quasiment du bénévolat, même si leur rétribution reste honorable. En outre, la réduction du nombre des membres, au sein des commissions, rendra peut-être celles-ci moins attrayantes.
M. François Autain, président . - Même si l'on augmentait leur rémunération ?
M. Gilles Bouvenot . - Nos rapporteurs extérieurs sont, en général, des professeurs d'université-praticiens hospitaliers (PU-PH). Quand nous leur demandons de rédiger un rapport, ils travaillent sept jours sur sept. Leur contribution n'a pas de prix. Ces experts de qualité, qui ne mélangent pas les genres, travaillent dans une visée d'intérêt général. Une meilleure contribution n'est pas déterminante pour les attirer au sein des commissions. Néanmoins, je serais ravi qu'un effort financier puisse être effectué en leur faveur.
M. François Autain, président . - Je vous remercie d'avoir répondu à l'ensemble de nos questions.
Audition de M. Jacques de TOURNEMIRE, ancien conseiller pour les industries de santé au cabinet du ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées (2002 à 2004) (jeudi 3 mars 2001)
M. François Autain , président. - Merci de venir devant notre mission. Je vous rappelle que nos échanges sont enregistrés et filmés et qu'ils seront consultables sur Internet et sur Public Sénat.
Question rituelle : avez-vous des liens, au sens de l'article L. 4113-13 du code de la santé publique, avec des entreprises produisant ou exploitant des produits de santé ou des organismes de conseil intervenant sur ces produits ?
M. Jacques de Tournemire, ancien conseiller pour les industries de santé au cabinet du ministre de la santé. - De 2002 à 2004, lorsque j'étais conseiller technique de M. Mattei, et auparavant, je n'ai eu aucun lien avec des entreprises de santé. Après avoir travaillé pour Pfizer entre 2007 et 2010, je suis devenu consultant. En tant que tel, j'interviens dans le domaine de la santé. Si vous le voulez, je peux vous transmettre une liste des laboratoires avec lesquels je travaille aujourd'hui ; les laboratoires Servier n'en font pas partie.
M. François Autain , président. - Cela ne semble pas utile. Cette vocation vous est-elle venue à la suite de votre expérience dans le cabinet de M. Mattei ?
M. Jacques de Tournemire. - Tout à fait, je ne connaissais pas ce secteur avant d'entrer au cabinet du ministre de la santé.
M. François Autain , président . - Nous vous auditionnons pour parler, non de vos fonctions actuelles, mais de la période où vous étiez auprès de M. Mattei. En tant que conseiller pour les industries de santé, vous étiez en relation constante avec les laboratoires. Voulez-vous faire une déclaration liminaire ?
M. Jacques de Tournemire. - Compte tenu de la modestie de mes fonctions à l'époque, une intervention liminaire me semble quelque peu déplacée. Mieux vaut que je réponde à vos questions.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur. - L'année 1995 constitue une « occasion manquée » , écrit l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) dans son rapport. De fait, si la direction générale de la santé interdit le benfluorex dans les préparations magistrales, l'utilisation de ce principe actif du Mediator reste, de manière inexplicable, possible dans les spécialités pharmaceutiques. Comment expliquez-vous cette incohérence ?
M. Jacques de Tournemire. - Cette période est antérieure à mon arrivée au cabinet de M. Mattei. Les suppositions que je pourrais faire sont dénuées d'intérêt, d'autant que je ne suis ni médecin, ni pharmacien...
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur. - Comment expliquer que le Mediator, jusqu'à son retrait du marché en novembre 2009, ait bénéficié d'un taux de remboursement de 65 % alors que la sécurité sociale vous avait demandé à trois reprises une réduction de ce taux ? « J'ai dû considérer qu'une baisse du taux de remboursement ne nous rapporterait pas grand-chose financièrement, alors qu'elle risquerait de nous coûter cher politiquement. » , indiquez-vous dans un entretien récent. Faut-il en conclure que les considérations économiques, voire politiques, ont prévalu sur les impératifs de santé publique ou faut-il mettre sur le compte de l'« inertie administrative » le fait que ces demandes soient restées sans suite ?
M. Jacques de Tournemire. - Merci de me donner l'occasion de donner une réponse plus complète.
La sécurité du produit, angle sous lequel on envisage aujourd'hui le Mediator, relève de la compétence de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps), non de celle du ministre ou de son conseiller technique. La question posée par la direction de la sécurité sociale était économique : ne faudrait-il pas réduire le taux de remboursement du Mediator de 65 % à 35 % ? Il est d'ailleurs frappant de constater le faible degré d'information sur ce produit ; on s'inquiétait davantage des effets secondaires du Vastarel et de son utilisation hors autorisation de mise sur le marché (AMM). Une baisse de taux s'inscrit dans une logique purement financière : il s'agit de transférer une partie de la charge de l'assurance maladie vers les complémentaires. Durant de nombreuses années, cette politique a été considérée comme l'un des moyens les plus sûrs de réduire les dépenses de la sécurité sociale sans porter préjudice aux patients puisque la plupart des Français sont assurés par une complémentaire.
Pourquoi n'ai-je pas donné suite aux trois notes que m'a adressées la direction de la sécurité sociale (DSS) ? Les faits remontant à neuf ans, j'ai dû me replonger dans les documents. Notre objectif était de réduire le taux de croissance du médicament de 3 % dans le PLFSS, le déficit de la sécurité sociale atteignant alors des sommets. Au regard d'une masse globale de 15 milliards d'euros, la réduction du taux de remboursement du Mediator représentait un enjeu financier mineur : 10 millions par an pour un chiffre d'affaires de 30 millions par an. Nous étions très loin du compte ! D'autres mesures étaient financièrement plus intéressantes. Dès septembre 2002, le ministre annonçait que le Mediator, comme l'ensemble des médicaments à service médical rendu (SMR) insuffisant, avait vocation à être déremboursé dans les trois ans. Ce fut chose faite en 2005. Autre point à souligner, la complexité administrative de la procédure de déremboursement, sujet que l'Igas, par manque de temps, n'a pas développé dans son rapport. Le 18 décembre 2002, le Conseil d'Etat, saisi par certains laboratoires, déclara que les avis de la commission de la transparence, parce qu'ils étaient insuffisamment motivés, ne pouvaient pas servir de base à une décision administrative de déremboursement, décision qu'il confirma officiellement le 20 juin 2003. Entre ces deux dates, l'ensemble des décisions de déremboursement prises sur ces bases étaient donc fragilisées. D'où la décision du ministre de demander à la commission de la transparence de réécrire les avis sur les six cents médicaments à SMR modéré ou faible, dont le taux de remboursement fut réduit en avril 2003 pour une économie de 400 millions.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur. - La commission de la transparence s'est-elle pliée facilement à cette demande ?
M. Jacques de Tournemire. - Elle était alors placée auprès du ministre, et non de la Haute Autorité de santé (HAS). Au vu de ses faibles moyens, que la Cour des comptes avait soulignés, nous avons dû hiérarchiser les priorités. Or le Mediator ne figurait pas dans la liste des médicaments dont le ministre avait annoncé le déremboursement dans des délais rapides.
M. François Autain , président. - Le 23 février 2003, me semble-t-il, trois médicaments seulement avaient échappé au déremboursement. De quoi alimenter les fantasmes sur d'éventuelles complicités ! Pourtant, venez-vous de montrer, les considérations étaient financières, et non de santé publique.
M. Jacques de Tournemire. - S'il y avait eu le moindre doute, le Mediator aurait été naturellement prioritaire ! Mais aucune indication n'allait en ce sens. Les services compétents n'ont même pas jugé bon d'inscrire le Mediator sur la liste des médicaments concernés par la première vague de déremboursement. Pourtant, nous les avions incités à y faire figurer le plus grand nombre de produits, car cette liste était la plus facile à faire accepter. Elle concernait les produits qui n'avaient plus leur place dans la stratégie thérapeutique, un concept qui n'était pas très clair pour moi. Je souhaitais protéger le ministre ; je savais que ces déremboursements ne seraient pas acceptés facilement par les patients et les médecins. Pour faciliter cette tâche, j'avais proposé à l'Afssaps de retirer l'AMM de ces produits. Pour ce faire, m'avait répondu l'Agence, il faudrait prouver le risque que présentaient ces produits pour la sécurité. Bref, ces produits, sans être réellement dangereux, n'étaient pas souhaitables pour les patients, soit parce qu'ils en existaient de meilleurs, soit parce qu'ils ressortaient d' « associations illogiques » , pour reprendre l'expression du professeur Bouvenot, telles que celle d'un expectorant et d'un antitussif. Aucune indication de santé ou d'utilisation hors AMM du Mediator n'a été portée à ma connaissance entre 2002 et 2004.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur. - Pourtant, il y a eu des publications dès 1999, puis l'importante étude du professeur Montastruc. L'Afssaps avait été alertée sur la dangerosité du benfluorex en 1999, qui avait abouti à son interdiction dans les préparations magistrales. Un cas avait été signalé à Marseille. Cela semble incompréhensible...
M. Jacques de Tournemire. - Tout à fait ! Mais le cabinet d'un ministre ne peut réagir que s'il est informé, ce qui n'a pas été le cas.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur. - Le ministre actuel assume les conséquences de l'affaire Mediator aux yeux de l'opinion. Dans la loi relative à la bioéthique que nous allons bientôt examiner, la compétence éthique est entièrement dévolue à l'Agence de la biomédecine alors que, pour le citoyen, seul le ministre est responsable. Dans ces conditions, ne faudrait-il pas réévaluer la charge des compétences ?
En outre, si vous découvrez dans la revue Prescrire , que vous lisez sans doute, qu'un lanceur d'alerte considère dangereux des médicaments et qu'il préconise leur retrait du marché, quelle démarche allez-vous entreprendre auprès des laboratoires et des autorités compétentes, en tant que consultant ?
M. Jacques de Tournemire. - Confier l'évaluation du risque à l'Afssaps a été une bonne évolution. L'idée de placer à la tête de cette agence un binôme constitué d'un administratif et d'un médecin, plus à même de juger de la sécurité sanitaire, apporterait une amélioration, pour peu que le binôme fonctionne harmonieusement. De surcroît, peut-être faut-il imaginer une soupape de sécurité pour les lanceurs d'alerte qui estiment ne pas avoir été entendus par l'Afssaps...
La pharmacovigilance est un sujet complexe. Pour un non-médecin comme moi, elle passe par la collection d'événements statistiques qui ne semblent pas toujours liés à la prise du médicament. Pour le Mediator, il y a eu pas moins de dix-sept alertes ; cela interpelle ! La direction générale de la santé (DGS), qui exerce une tutelle sur l'Afssaps, pourrait remplir ce rôle de soupape de sécurité. A partir des rapports que la commission de la pharmacovigilance lui remettrait directement, elle pourrait demander l'examen d'un produit.
En tant que non-médecin et ancien conseiller technique, je note d'ailleurs la conjonction entre un SMR insuffisant et les doutes sur la sécurité d'un produit. Dans l'affaire Mediator, c'étaient hélas plus que des doutes : on a compté dix-sept alertes !
M. François Autain , président. - Vous voulez dire que les commissions techniques de pharmacovigilance se sont réunies dix-sept fois à ce sujet...
M. Jacques de Tournemire. - C'est cela. Il serait tout à fait légitime que la commission de pharmacovigilance adresse chaque année un rapport sur les produits à SMR insuffisant ou faible à la commission de la transparence. En quelque sorte - et c'est toute la vertu du système français -, l'absence de remboursement constitue un « second rempart », après l'AMM. Grâce à ce système, des médicaments qui ont posé problème dans de nombreux pays, ont été commercialisés de manière restreinte en France, tandis que nous avons le cas inverse avec le Mediator.
M. François Autain , président. - Le Mediator n'est pas le seul exemple. On peut penser à l'Arcoxia, un anti-inflammatoire de la famille du Vioxx, qui a été interdit aux Etats-Unis.
M. Jacques de Tournemire. - Certes ! Mais, grâce à notre système, l'Arcoxia a mis longtemps à arriver en France alors que la réglementation européenne impose le libre accès des produits, une fois l'AMM obtenue. Les autorités françaises n'ont pas eu une forte appétence pour rembourser l'Arcoxia, à en croire le prix dissuasif pour le laboratoire fixé au terme d'âpres négociations.
M. François Autain , président. - Soit ! Mais l'Arcoxia a été interdit aux Etats-Unis. Nous, nous l'avons mis sur le marché. Ce médicament est commercialisé par Pfizer, n'est-ce pas ?
M. Jacques de Tournemire. - Non, par les laboratoires Merck Sharp et Dohme-Chibret (MSD).
Pour répondre à la deuxième question de Mme le rapporteur, en tant que consultant, je travaille sur des problématiques générales telles que l'accès au remboursement, et non sur la sécurité des produits, que je connais mal.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur. - Quelles autres réformes institutionnelles préconisez-vous pour renforcer la pharmacovigilance ? La surveillance doit-elle relever davantage de l'Union européenne, à la suite de la directive du 15 décembre 2010 ? Quels risques cette évolution nous ferait-elle courir ?
M. Jacques de Tournemire. - La pharmacovigilance n'est pas mon domaine. En revanche, permettez-moi une suggestion. L'évaluation étant au coeur du système français, ne faut-il pas construire une véritable filière de l'expertise ? Je m'explique : on peine à recruter des experts pour participer aux travaux de la commission de l'AMM et de la commission de la transparence. La tâche est extrêmement lourde : elle exige d'assimiler d'innombrables connaissances ; elle expose à de très fortes tensions, les laboratoires estimant toujours que votre évaluation est inférieure à la leur. Les contreparties sont extrêmement faibles. L'indemnisation de la participation aux commissions, décidée par le ministre Jean-François Mattei - c'était un premier pas -, reste très inférieure aux rémunérations auxquelles ces experts peuvent prétendre. Résultat, seuls les PU-PH (professeurs des université-praticiens hospitaliers) estiment qu'ils peuvent, au terme de leur carrière, donner un peu de temps à la collectivité. Si nous voulons de l'expertise efficace, il faut y mettre les moyens. Tout le monde y perd dans le système actuel : l'hôpital et les médecins qui ne peuvent pas publier, faute de travailler sur les produits. L'évaluation ne doit pas être déconnectée de la pratique. Pourquoi certains restent-ils si longtemps à l'Afssaps ? Parce qu'on ne leur propose pas d'autre débouché ! Il faut construire une véritable filière de l'expertise.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur. - Faut-il créer une Haute Autorité de l'expertise et de l'alerte ?
M. Jacques de Tournemire. - De quelles fonctions serait-elle dotée ?
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur. - De la déontologie de l'expertise, du recensement des lanceurs d'alerte... Elle servirait d'intermédiaire.
M. Jacques de Tournemire. - La France compte déjà de nombreuses institutions...
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur. - Cette suggestion a été faite en 2007 par la Fondation sciences citoyennes lors du Grenelle sur l'environnement.
M. Jacques de Tournemire. - Il existe déjà une commission de la déontologie. L'alerte est souvent l'un des points faibles, car l'information ne remonte pas jusqu'au ministre de la santé par les canaux officiels. Peut-être faut-il imaginer des canaux parallèles ?
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur. - C'est-à-dire ?
M. Jacques de Tournemire. - La DGS, qui compte de nombreux médecins et professionnels de la santé, peut faire office de recours pour les lanceurs d'alerte.
Ironie de l'histoire, lorsque M. Mattei était ministre, le directeur général de la santé était M. Lucien Abenhaïm. Très sensible aux questions de sécurité sanitaire, il a joué un rôle central dans l'interdiction de l'Isoméride. Il aurait réagi, s'il avait eu l'information !
M. François Autain , président. - A en croire les auditions, personne ne savait rien...
Revenons-en à votre proposition. La DGS, normalement, est représentée à la commission de l'AMM et à la commission de la transparence. Le directeur général de la santé devrait donc être informé de tout ce qui s'y passe. L'expérience prouve, hélas !, que ce n'est pas toujours le cas. Vous proposez que la commission de la transparence retire éventuellement du marché ces médicaments à SMR insuffisant.
M. Jacques de Tournemire. - Ces produits ne sont pas totalement inutiles, sans être majeurs pour le traitement du patient.
M. François Autain , président. - Imaginons un médicament à ASMR V, selon la terminologie de la commission de la transparence. Une fois mis sur le marché, il est fort difficile d'obtenir son retrait.
M. Jacques de Tournemire. - Une des vertus des déremboursements massifs depuis 1999...
M. François Autain , président. - A proprement parler, ce n'étaient pas des déremboursements.
M. Jacques de Tournemire. - Il y a eu trois vagues : 1999, 2001 et 2003. En 2003, après la réduction du taux de remboursement, M. Mattei a annoncé le déremboursement total de certains médicaments.
M. François Autain , président. - Sauf le Mediator ! Ce qui est fort regrettable, car s'il fallait en dérembourser un seul, cela aurait dû être celui-là.
M. Jacques de Tournemire. - Je ne peux parler que de la période de 2002 à 2004...
M. François Autain , président. - Il est difficile d'obtenir le retrait d'un médicament, une fois qu'il a obtenu son AMM. Mieux vaut donc prévenir que guérir ! Or on continue de mettre sur le marché des médicaments qui feront bientôt l'objet de déremboursement pour SMR insuffisant.
M. Jacques de Tournemire. - Vous m'interrogez à la fois sur le flux et le stock. Concernant le stock, un rapport annuel de la commission de la pharmacovigilance me semble la bonne solution. Quant au flux, la réglementation sur le médicament a beaucoup évolué ces trente dernières années. Le corpus de preuves et d'informations demandées s'est incontestablement renforcé. La commission de la transparence classe très régulièrement des produits nouveaux dans la catégorie des produits à SMR insuffisant. Compte tenu de l'affaire du Mediator et du climat actuel, elle sera, j'en suis persuadé, de plus en plus exigeante sur la qualité des produits.
M. François Autain , président. - On ne saurait s'en plaindre !
M. Jacques de Tournemire. - La question est délicate. Certains patients ne répondent pas à des médicaments dont on considère, sur des bases statistiques, qu'ils fonctionnent. D'où tout l'intérêt de la médecine prédictive. Celle-ci permettra de tester l'efficacité du traitement sur le patient avant de le lui administrer. Ce sera une source d'économies considérable pour la sécurité sociale !
M. François Autain , président. - Rien n'est moins sûr, compte tenu du coût des examens...
J'accepterais volontiers votre raisonnement si notre pharmacopée était restreinte. Hélas, on ne compte pas moins de cent cinquante spécialités pour des maladies aussi courantes que l'hypertension ! Dans ces conditions, faut-il vraiment mettre sur le marché des médicaments qui ne représentent pas un réel progrès thérapeutique au motif que certains malades ne répondent pas aux médicaments existants ? Je ne le pense pas, d'autant que, plus notre pharmacopée sera fournie, plus il sera difficile de repérer les effets indésirables de tel ou tel produit.
M. Philippe Darniche . - Notre système est l'un des plus « rassurants » au monde. L'affaire du Mediator montre pourtant qu'il comporte des failles. Un rapport annuel sur les médicaments à SMR faible me semble une excellente idée. Travaillons sur cette proposition dans notre rapport. Permettez-moi une autre réflexion : ce qui me frappe dans l'affaire Mediator, c'est l'utilisation détournée de ce produit. Nous devons faire un état des lieux pour débusquer les « Mediator cachés », tel le Glifanan dont on a découvert tout à coup, après plus d'une dizaine d'années d'utilisation qu'il pouvait provoquer en vingt-quatre heures de forts effets secondaires sur le foie.
M. Jacques de Tournemire. - L'utilisation hors AMM est une question délicate. Rien n'incite les laboratoires à demander une seconde autorisation. Il faudrait établir une liste de ces produits, d'autant qu'il existe une utilisation moderniste des produits, notamment chez les oncologues. Dans ce cas-là, la puissance publique devrait s'engager résolument dans le financement de l'AMM.
M. Jacky Le Menn . - Dans mes fonctions à l'hôpital - mais la remarque vaut aussi pour la médecine de ville - j'ai toujours vu des médicaments prescrits en dehors de leur destination première, hors AMM, sans que l'on en mesurât les effets négatifs. Il y a sans doute, aujourd'hui encore, des « Mediator cachés ». Un dépistage systématique est indispensable.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur. - Le laboratoire Pfizer, où vous avez travaillé, se demandait-il si certains de ses médicaments n'étaient pas de ces « Mediator cachés » ?
M. Jacques de Tournemire. - J'ai quitté Pfizer il y a un an, mais je me souviens qu'un médicament a été retiré du marché récemment pour une raison de ce genre.
Aux Etats-Unis, où les règles d'indemnisation des patients sont beaucoup plus contraignantes, les laboratoires sont forcés d'être très prudents. Un article de Libération sur le scandale du Fen-Phen, il y a quelques jours, montrait bien que les conséquences étaient beaucoup plus lourdes pour la firme commercialisant le médicament aux Etats-Unis que pour la firme française. Tout dépend aussi de la dynamique économique des laboratoires.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur. - Les laboratoires français devraient faire preuve de la même prudence, sous peine d'entretenir la défiance des citoyens envers les médicaments.
M. Jacques de Tournemire. - Il est essentiel que nos concitoyens aient confiance dans les médicaments et l'affaire du Mediator n'y contribue pas. Mais j'observe un effarant déficit d'informations, alors que la France est championne du monde de la consommation de médicaments. Beaucoup de personnes âgées, par exemple, ne sont pas averties des interactions entre les produits qui leur sont prescrits. Il serait d'utilité publique de lancer une campagne nationale pour informer chacun que, dès lors qu'un médicament est efficace, il peut avoir des effets secondaires et qu'il convient d'être prudent.
M. François Autain , président. - Vous avez tout à fait raison.
Un fonctionnaire ayant exercé des responsabilités dans un domaine industriel ne peut rejoindre l'industrie privée avant deux ans. La même règle ne devrait-elle pas s'appliquer aux membres des cabinets ? Vous-même, n'avez-vous pas rejoint l'industrie pharmaceutique après votre passage au cabinet de M. Mattei ?
M. Jacques de Tournemire. - J'ai observé un délai de carence de trois ans. A mon sens, la même règle doit s'appliquer aux fonctionnaires et aux membres des cabinets - qui sont d'ailleurs pour la plupart des fonctionnaires. Mais si l'on veut éviter trop de consanguinité au sein des cabinets, il convient de réfléchir au sort des conseillers lorsque le ministre quitte ses fonctions : alors que les fonctionnaires peuvent réintégrer leur corps d'origine, les autres n'ont pas la même sécurité.
M. François Autain , président. - Merci de vos réponses et de vos propositions.
Audition de M. William DAB, ancien directeur général de la santé (2003-2005) (jeudi 3 mars 2011)
M. François Autain , président. - Monsieur le directeur général, je vous rappelle que cette audition est ouverte à la presse et que son enregistrement audiovisuel sera diffusé sur Public Sénat et sur le site Internet du Sénat. Je dois d'abord vous demander si vous avez des liens d'intérêts avec l'industrie pharmaceutique.
M. le professeur William Dab, ancien directeur général de la santé . - Je travaille actuellement sur la sécurité sanitaire de l'environnement et du travail, et je n'ai pas de lien avec l'industrie pharmaceutique, si ce n'est que j'ai aidé le laboratoire Novartis, en 2008, à élaborer son plan de continuité d'activité face à la pandémie grippale.
Au-delà des responsabilités et des insuffisances pointées par le rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas), il faut insister sur le fait qu'il n'y a pas de politique du médicament en France, autrement dit que l'on considère le médicament comme un outil de soin des malades, non comme un outil de santé publique, d'amélioration de l'état de santé général de la population. Les instances publiques chargées d'intervenir dans ce domaine sont cloisonnées et manquent d'un pilotage : si l'on met à part la recherche, l'Autorité française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) intervient au moment de l'autorisation de mise sur le marché (AMM), la commission de la transparence doit s'assurer de l'amélioration du service médical rendu, le comité économique des produits de santé (Ceps) fixe le prix et le niveau de remboursement, les instances de pharmacovigilance sont là pour surveiller les effets secondaires. A cela, s'ajoutent la Haute Autorité de santé (HAS), la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam), les directions du ministère - direction de la sécurité sociale (DSS), direction générale de l'offre de soins (DGOS), direction générale de la santé (DGS) - et les mutuelles. Cette nébuleuse n'est pas pilotée ; il n'y a pas d'articulation. Dès mon entrée en fonctions, en septembre 2003, j'ai dit devant l'association des cadres de l'industrie pharmaceutique mon inquiétude devant l'absence d'une vision d'ensemble des usages et mésusages des médicaments en termes de santé publique. Dans un tel contexte, il n'est pas étonnant qu'un drame comme celui du Mediator se soit produit.
D'importants progrès ont été réalisés depuis une vingtaine d'années pour ce qui est de la sécurité sanitaire de l'environnement, du travail, des aliments, mais le maillon faible est la sécurité sanitaire du système de soins. C'est paradoxal, car la notion de sécurité sanitaire a émergé lors des affaires du sang contaminé et de l'hormone de croissance. Nous n'avons pas d'agence d'expertise de sécurité sanitaire du système de soins. Il y avait autrefois l'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé que je saisissais avec mon collègue Edouard Couty, directeur de l'hospitalisation puis directeur de l'hospitalisation et de l'organisation des soins, mais elle a été remplacée par la Haute Autorité de santé, indépendante qui, par définition, ne peut pas être saisie par les directions des ministères. Outre le médicament, le risque iatrogénique et les infections nosocomiales sont en cause : bien que ces derniers aient été réduits, comme les indicateurs en témoignent, nous manquons d'une force d'expertise d'aide aux politiques de prévention.
M. François Autain , président. - Nous pouvons souscrire à vos critiques, mais il est plus difficile de faire des propositions. Vous dites qu'il n'y a pas de pilote dans l'avion. Comment restaurer une unité de commandement, ce qui est vital pour la sécurité des patients ?
M. le professeur William Dab. - A mon sens, le pilotage du médicament ne peut pas être entièrement délégué à un établissement public : c'est une responsabilité politique, qui doit être assumée par le ministre et son administration. Aujourd'hui se juxtaposent la DGOS, chargée des soins, la DGS, chargée de la santé publique, et la DSS, chargée du financement. Faut-il créer une quatrième direction du médicament et des produits de santé ? En pratique, un conseiller technique du ministre est le seul à assurer in fine la coordination, ce qui n'est pas satisfaisant.
M. François Autain , président. - Autrement dit, vous proposez de revenir en arrière et de remettre en cause la séparation entre l'évaluation et la gestion des risques ? Ou faut-il la maintenir tout en recentralisant les responsabilités ?
M. le professeur William Dab. - Il faut une tour de contrôle. Dans ma conception républicaine, c'est au ministre de porter la responsabilité. Sur la séparation de l'évaluation et de la gestion, j'ai évolué. Je ne crois pas que ce soit la bonne distinction. Par exemple, dans l'évaluation des risques des polluants de l'environnement, nous utilisons des modèles mathématiques et statistiques pour mettre en relation les doses reçues et les risques. S'agissant des rayonnements ionisants, nous nous servons d'un modèle linéaire sans seuil : c'est un choix de gestion, pas un choix scientifique ! C'est pourquoi il faut plutôt distinguer entre l'expertise, chargée de donner l'état des connaissances sur tel ou tel sujet, et la décision politique, l'arbitrage en fonction des incertitudes résiduelles et des moyens disponibles.
M. François Autain , président. - Remettez-vous en cause le fait que le directeur général de l'Afssaps puisse prendre une décision sur un médicament au nom de l'Etat, sans que le ministère ait les moyens de revenir dessus ?
M. le professeur William Dab. - La plupart des décisions sont prises au niveau européen.
M. François Autain , président. - Et au niveau européen, les décisions ne sont pas politiques ?
M. le professeur William Dab. - Certes. J'estime que c'est au politique de dire de quels médicaments doivent bénéficier les Français, à quel coût, avec quelles indications et contre-indications, en fonction de quel rapport bénéfices-risques. Car, dans ce domaine, il y a des incertitudes que le politique doit assumer. En revanche, il peut y avoir une agence chargée d'instruire scientifiquement les dossiers. Et n'oublions pas que lorsque l'expertise défaille, ce sont les politiques qui sont interpellés.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur. - Je partage votre analyse, qui ne vaut pas seulement pour le médicament ou l'environnement : en biologie cellulaire, le contrôle est défaillant, malgré l'Agence de biomédecine. Pensez-vous qu'il faille créer une direction d'expertise et d'alerte sur tous les produits de santé, à l'intérieur ou à l'extérieur du ministère, ou simplement une direction du médicament et des produits de santé ?
M. le professeur William Dab. - Avant tout, il faut une politique du médicament explicite : aujourd'hui, aucun texte ne l'exprime. Sur l'alerte, nous souffrons en France d'un problème culturel. L'expertise se concentre sur le service rendu aux personnes individuelles et ne prend pas suffisamment en compte l'impact des produits de santé sur l'ensemble de la population. Or il est bien difficile d'établir un lien de causalité entre un médicament et une maladie à partir d'un cas individuel. Tout notre système de pharmacovigilance repose pourtant sur ce principe. Ce qui a manqué dans l'affaire du Mediator, c'est l'évaluation de la dimension « populationnelle » du risque.
M. François Autain , président. - Elle est venue un an après.
M. le professeur William Dab. - En effet. J'ai le souci de ne pas multiplier les agences, déjà trop nombreuses, comme j'ai pu le constater lorsque j'étais au ministère. Mais il existe déjà un organisme de surveillance de l'état de santé de la population : c'est l'Institut de veille sanitaire (InVS). Il faudrait créer en son sein un département chargé de la surveillance des soins, y compris les médicaments. L'Institut n'évalue-t-il pas déjà le rapport bénéfices-risques des vaccins, comme celui contre l'hépatite B qui a suscité des inquiétudes ? Trois épidémiologistes de plus à l'Afssaps ne suffiront pas. L'InVS, quant à lui, compte une masse critique de trois cents spécialistes.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur. - Comment assurer le contrôle politique ?
M. le professeur William Dab. - L'InVS est sous tutelle du ministère.
M. François Autain , président. - J'exprimerai cependant une réserve : à l'approche de la pandémie grippale, l'InVS a émis des signaux contradictoires. Car un institut, quel qu'il soit, a ses limites. Mais peut-être, en l'espèce, faut-il plutôt incriminer le politique, car les décisions à prendre étaient plus de nature politique que relevant d'une agence indépendante.
M. le professeur William Dab. - L'Institut est tout à fait conscient de n'avoir pas prévu le scénario de la pandémie. Je suis invité, en mars, à un séminaire de retour d'expérience car ces scientifiques savent reconnaître leurs erreurs et veulent en comprendre les raisons pour ne pas les reproduire à l'avenir.
M. François Autain , président. - En somme, vous souscrivez aux recommandations du rapport Girard ?
M. le professeur William Dab. - En effet.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur. - Le politique doit prendre ses responsabilités. Mais lors de l'affaire du Vioxx, le Sénat avait formulé des propositions que les autorités et instituts n'ont pas prises en compte... N'y a-t-il pas une contradiction entre le modèle pasteurien, qui préside à la mise sur le marché, et l'usage qui est fait des médicaments ? N'est-ce pas plutôt en fonction de modèles de gestion, et dans l'intérêt économique de l'entreprise, que certains médicaments sont diffusés ?
M. le professeur William Dab. - J'observe que l'Agence européenne du médicament relève, au niveau européen, de la direction générale des entreprises et de l'industrie...
M. François Autain , président. - Cela vient de changer : elle relève désormais de la direction générale de la santé et de la protection des consommateurs.
M. le professeur William Dab. - Je m'en félicite. Le médicament est certes un outil de politique industrielle, mais aussi un outil de santé publique pour lequel il faut un pilotage.
Sinon, mes cadres de référence sont évidemment populationnels. On peut définir au sein de la population un groupe pour lequel les bénéfices d'un médicament l'emportent sur les risques, et un autre groupe qui suit le traitement. Tout notre effort doit être de faire coïncider ces deux groupes et d'éviter que des malades ne soient pas traités - comme la moitié des déprimés en France - ou des gens sains traités - car alors ils subissent les risques sans les bénéfices. Le rapport de l'Igas est excellent, mais il ne met pas assez l'accent sur la responsabilité de l'assurance maladie pour conduire cette politique. Aucun assureur automobile n'accepte de payer une réparation sans avoir détaché un expert pour s'assurer que le dommage est réel et l'intervention du mécanicien appropriée ! De même, l'assurance maladie devrait vérifier le bien-fondé des traitements qu'elle rembourse. Est-il normal que les médecins puissent prescrire sans tenir compte de l'AMM, et sans que l'assureur ait son mot à dire ? Nous manquons d'un système de contrôle qualité.
M. François Autain , président. - Et de contrôle des prix !
M. le professeur William Dab. - D'autant que l'assurance maladie dispose des données, grâce au système national d'informations interrégimes (Sniiram) : elle connaît les assurés, les prescriptions, les remboursements et les diagnostics. Lorsque j'étais directeur général de la santé, j'ai voulu faire en sorte que ces données servent à piloter la politique de soins par l'évaluation et le contrôle de gestion, mais je me suis heurté aux réticences de la Cnam. L'accord signé avec le directeur général, M. Daniel Lenoir, pour créer un groupement d'intérêt public, est resté lettre morte. Pourquoi l'assurance maladie rembourserait-elle des médicaments prescrits hors AMM, comme c'était souvent le cas pour le Mediator ?
M. François Autain , président. - Dans la moitié des cas !
M. le professeur William Dab. - Certes, on peut incriminer le marketing effréné des laboratoires Servier. Mais force est de constater que le chaînon manquant des politiques publiques, c'est le contrôle qualité. Dans de telles conditions, n'importe quel assureur ferait faillite !
M. François Autain , président. - L'assurance maladie est d'ailleurs en faillite...
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur. - En tant que directeur général de la santé, quand et comment avez-vous été informé de la nocivité du Mediator ? De quels dispositifs d'alerte disposiez-vous pour connaître et réagir aux décisions de retrait dans d'autres pays ?
M. le professeur William Dab. - Le seul dispositif d'alerte de la direction générale de la santé est sa présence à la commission de pharmacovigilance. J'ai quitté mes fonctions en avril 2005 et ce n'est qu'en novembre que la commission a évoqué les risques du Mediator, mais j'ai des observations à faire.
Il faudrait fournir au ministre une vision d'ensemble de l'usage des médicaments en tant qu'outils de santé publique, qui prenne en compte les risques, les bénéfices et les avantages comparatifs par rapport à d'autres traitements. Je ne suis pas favorable à ce que toutes les alertes sanitaires soient centralisées à la direction générale de la santé, ou alors il faudrait renforcer considérablement ses moyens - elle compte aujourd'hui trois cents agents. Mais ce n'est pas dans l'air du temps, avec la révision générale des politiques publiques...
M. François Autain , président. - Certes !
M. Jacky Le Menn . - Je crois aussi qu'il faut séparer l'expertise de la décision. Pourquoi donc l'Afssaps agrège-t-elle évaluation, gestion et décision ?
Qu'il n'y ait pas de politique du médicament, chacun peut s'en rendre compte. Mais n'est-ce pas en raison des pressions de l'industrie pharmaceutique, qui y a tout intérêt ? J'ai été étonné qu'un ancien ministre nous dise avoir découvert le danger du Mediator lorsqu'il a été de notoriété publique ! C'est le ministre que nos concitoyens interpellent en cas de problème, mais on le tient à l'écart, lui et son administration.
M. le professeur William Dab. - Le système du médicament a d'abord été vu sous l'angle de la politique industrielle. Pour le Ceps, beaucoup de décisions sont prises à Bercy et ne tiennent compte que du développement industriel, des emplois et de la dépense. Mais il ne faut pas croire que l'affaire du Mediator soit l'oeuvre d'un deus ex machina ou le fruit d'un complot. C'est le déficit culturel de santé publique dans notre pays qui explique en partie les problèmes rencontrés dans cette affaire.
J'ai travaillé avec Jean Marimbert : j'ai beaucoup d'estime pour lui et c'est un grand serviteur de l'Etat qui a tiré les conséquences de cet échec.
M. François Autain , président. - Ce n'est donc pas lui qu'il fallait remercier.
M. le professeur William Dab. - Il en a tiré les conséquences. Au sein de l'Afssaps, il y a eu déficit de compétence en matière populationnelle.
M. François Autain , président. - N'y aurait-il pas eu assez de pharmaco-épidémiologistes ?
M. le professeur William Dab. - Oui, mais pas seulement. Je ne veux pas être corporatiste. Le raisonnement populationnel est propre à l'épidémiologie, mais il est aussi économique. Cette vision a fait défaut et a permis à un laboratoire astucieux d'utiliser les failles du système. Même si l'on modifie la manière dont le budget de l'Afssaps est alimenté, rien ne changera en matière de compétence et de culture. Ce n'est pas parce que l'Afssaps est financée par une taxe qu'elle est à la solde de l'industrie pharmaceutique.
M. François Autain , président. - Il faut quand même que l'Etat finance les missions régaliennes qui sont de sa responsabilité.
M. le professeur William Dab. - Dans tous les domaines, le producteur du risque doit internaliser les coûts du contrôle. C'est un peu trop facile de compter sur l'impôt pour financer la gestion de ses propres risques. Que l'industrie pharmaceutique paye la gestion du risque du médicament ne me choque pas, mais il faut que les ressources dégagées soient utilisées de manière honnête et indépendante. Appliquons dans ce domaine le principe « pollueur - payeur ».
M. François Autain , président. - L'Igas a dit que l'Afssaps était structurellement et culturellement en situation de conflits d'intérêts : son rapport va même jusqu'à dire que les décisions des experts sont une coproduction de l'Afssaps et de l'industrie pharmaceutique.
M. le professeur William Dab. - Pour moi, il s'agit d'une crise de compétence sur la dimension populationnelle.
Quand j'ai lu le rapport de l'Igas, les bras m'en sont tombés : dans le compte rendu de la commission de pharmacovigilance de juillet 2009, face à la multiplication des alertes sur le Mediator, elle estime qu'il faut faire une étude animale ! Il y a là un vrai problème de compétence en matière d'évaluation des risques ! Il y a un temps pour l'évaluation animale et un temps pour l'évaluation sur les patients.
La crise est également liée à l'absence de contrepouvoirs : il est normal que l'on entende la voix des industriels au sein des commissions de l'Afssaps, mais il est beaucoup moins acceptable que les associations de patients ne soient pas représentées.
M. François Autain , président. - Elles le sont à la commission nationale de pharmacovigilance.
M. le professeur William Dab. - Certes, mais pas à la commission d'AMM ni à la commission de la transparence. L'équilibre des points de vue n'est pas assuré.
M. François Autain , président. - Vous avez fait partie du conseil scientifique lors de l'étude International Primary Pulmonary Hypertension Study (IPPHS) de 1995. Quand avez-vous entendu parler pour la première fois du Mediator ?
M. le professeur William Dab. - En 2009.
M. François Autain , président. - C'est bien ce que je pensais. Mais à l'occasion de cette étude, ni vous ni vos collègues n'ont entendu parler du Mediator. 1995 est le moment où le destin de l'Isoméride et du Mediator se sont croisés et tous ceux qui, à l'époque, étaient en responsabilité ne l'ont pas vu. Au moment même où vous exposiez les résultats de l'IPPHS à la commission nationale de pharmacovigilance, celle-ci décidait une enquête officielle sur le Mediator en raison de sa parenté avec les fenfluramines. On a là l'illustration des conséquences du cloisonnement.
M. le professeur William Dab. - Je veux rendre hommage à la DGS. Dans son domaine de compétences, qui était les préparations magistrales, à la suite de la publication de l'IPPHS, elle a pris les bonnes décisions et le Mediator a été exclu des préparations magistrales.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur. - Mais pas dans les préparations pharmaceutiques.
M. le professeur William Dab. - La DGS a agi dans son domaine de compétences.
M. François Autain , président. - Les décrets ont été pris à la demande instante de l'Agence du médicament.
M. le professeur William Dab. - Le benfluorex a été inscrit dans la liste des médicaments interdits par la DGS.
M. François Autain , président. - Bien sûr, au même titre que les anorexigènes de la liste du décret Talon de 1982.
M. le professeur William Dab. - Concernant ma contribution à l'étude IPPHS, j'avais déjà mené un certain nombre d'études sur des cas témoins comme épidémiologiste et je suis intervenu au début et à la fin du processus, à la demande du professeur Abenhaïm. Au début, nous avons eu une longue discussion sur la stratégie du choix des témoins, mais je ne suis pas un épidémiologiste du médicament. A la fin du processus, je suis intervenu quand, face aux résultats, il nous a fallu prendre position sur une éventuelle causalité de l'association observée. Après beaucoup de discussions, j'ai fait plutôt partie de ceux qui, au sein du conseil scientifique, estimaient que ces résultats révélaient un lien de nature causale. Mais mon rôle a été assez marginal et je ne suis pas signataire de l'article paru dans le New England Journal of Medicine . Je suis simplement mentionné comme membre du conseil scientifique.
Ceux qui ont été en charge d'évaluer les cas d'exposition et les cas témoins se sont interrogés sur les anorexigènes mais, à l'époque, le Mediator était considéré comme un antidiabétique et donc il est passé au travers des mailles du filet, comme le dit très justement l'Igas.
M. François Autain , président. - Nous vous remercions pour votre témoignage.
Audition de M. Martin HIRSCH, ancien directeur du cabinet du secrétaire d'Etat à la santé et ancien conseiller chargé de la santé au cabinet du ministre de l'emploi et de la solidarité (1997-1999) (jeudi 3 mars 2011)
M. François Autain , président. - Nous poursuivons nos auditions avec M. Hirsch que je n'ai pas besoin de présenter. Nous l'auditionnons non seulement en raison des fonctions qu'il a occupées mais aussi pour ses compétences et les propositions qu'il a faites à la suite de l'affaire du Mediator. Je pense bien sûr à son livre mais aussi aux interviews qu'il a données et qui sont susceptibles de nourrir notre réflexion.
Vous avez été directeur du cabinet du secrétaire d'Etat à la santé, M. Bernard Kouchner, et conseiller chargé de la santé au cabinet du ministre chargé de l'emploi et de la solidarité, Mme Martine Aubry, de 1997 à 1999.
Cette audition est ouverte à la presse et fait l'objet d'un enregistrement audiovisuel en vue de sa diffusion sur Public Sénat et le site Internet du Sénat.
Pour la forme, je vous demanderai quels sont vos liens d'intérêts avec l'industrie pharmaceutique.
M. Martin Hirsch, ancien directeur du cabinet du secrétaire d'Etat à la santé et ancien conseiller chargé de la santé au cabinet du ministre de l'emploi et de la solidarité . - Je n'en ai aucun et je n'en ai jamais eu. Quelques mots sur mes responsabilités. En 1992-1993, j'ai été conseiller juridique du ministère de la santé au moment de l'examen de la loi de sécurité sanitaire du 4 janvier 1993 qui a créé l'Agence du médicament. J'étais au Sénat lorsque, vec le sénateur Huriet, nous avons rédigé l'amendement prévoyant la création de cette agence alors que le projet de loi ne concernait à l'origine que la transfusion sanguine.
Ensuite, pendant deux ans, j'ai été directeur de la pharmacie centrale des hôpitaux de l'assistance publique de Paris ce qui m'a permis de prendre conscience des pressions qu'il peut y avoir dans le domaine du médicament. Puis, j'ai été directeur de cabinet de Bernard Kouchner au moment de la deuxième loi de sécurité sanitaire qui a transformé l'Agence du médicament en Afssaps. Je fus ensuite directeur général de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) entre 1999 et 2005. Je fais partie de ceux qui n'ont pas entendu parler du Mediator jusqu'à récemment. Pendant la période 1997-1999, où pourtant nous nous réunissions très régulièrement autour du secrétaire d'Etat et l'ensemble des responsables des autorités sanitaires pour faire des points réguliers sur d'éventuelles alertes, je n'ai jamais entendu parler du Mediator. Même chose lorsque nous nous sommes réunis très fréquemment au moment du vaccin sur l'hépatite B.
Ne nous focalisons pas sur les procédures administratives car le système d'abord est sous emprise économique et sous influence. Le responsable du médicament ne doit pas être le ministre et il doit avoir la responsabilité de la mise sur le marché et du retrait. Nous avons également besoin d'un organisme d'Etat spécialisé dans les questions de sécurité sanitaire avec des responsabilités bien identifiées. On peut revoir l'architecture des différentes commissions mais le problème se situe en amont.
La France est grande consommatrice de médicaments et l'influence de l'industrie pharmaceutique s'exerce d'un bout à l'autre de la chaîne : sur les patients, avec certaines associations de patients financées par les laboratoires, sur la recherche publique, qui a été encouragée ces dernières années à multiplier les collaborations avec l'industrie pharmaceutique, sur les médecins eux-mêmes, avec la visite médicale, les congrès médicaux, les voyages. Les cercles d'expertise et les règles de sécurité sanitaire subissent également cette influence. Il est vraiment anormal que lorsqu'un problème est détecté, ce ne soit pas l'autorité sanitaire qui commandite, qui finance, qui pilote les études et que l'on soit contraint de se tourner vers les laboratoires pour financer ces études et le travail de ces chercheurs. Il doit être mis fin à ce système, sinon nous aurons encore beaucoup d'autres Mediator.
Si je reprenais mon livre sur les conflits d'intérêts, je récrirais divers chapitres : certes, nous avons fait des progrès depuis les années soixante-dix et quatre-vingt, mais nous sommes restés au milieu du gué : tout ce qui touche à la transparence sur les intérêts doit être revu. De nombreux experts externes gardent des liens forts avec l'industrie pharmaceutique et ce qui avait été conçu en matière d'expertise interne s'est révélé insuffisant pour jouer un rôle de garde-fou.
Quand nous avons créé l'Agence du médicament avec le sénateur Huriet, nous pensions qu'il fallait mobiliser sur l'expertise les meilleurs chercheurs ; il est illusoire de croire qu'il est possible de faire en sorte que ceux-ci n'aient pas de liens avec l'industrie pharmaceutique mais nous espérions rendre les liens transparents et écarter certains d'entre eux, et nous voulions contrebalancer ces études par des expertises internes financées par l'argent public. L'addition de ces deux expertises nous semblait garantir la qualité et l'impartialité des études. Mais l'expertise interne n'a pas pu contrebalancer l'influence des laboratoires.
En outre, les liens entre les mondes économique et politique font que l'on ne sait plus qui fait quoi, qui est responsable de quoi.
Je propose donc des solutions radicales : la formation initiale et la formation continue des médecins, ainsi que les congrès, ne doivent plus dépendre de l'industrie pharmaceutique. Lorsqu'on lit l'excellent livre d'Irène Frachon, on se rend compte qu'elle continue à aller dans des congrès financés par des laboratoires concurrents de Servier.
M. François Autain , président. - Si l'industrie pharmaceutique n'était pas là, il n'y aurait pas de congrès ! Je me demande d'ailleurs comment les autres professions libérales s'y prennent pour financer les leurs.
M. Martin Hirsch. - Il peut y avoir le même genre de liens.
Il est néanmoins possible de mettre fin à ces financements. J'ai connu l'époque, où dans les maternités des hôpitaux de l'Assistance publique, il y avait le « tour de lait » : les producteurs de lait fournissaient le lait gratuitement et ils s'entendaient avec les équipes médicales pour faire croire aux mamans qu'il ne fallait pas qu'elles changent de lait. Chaque marque avait sa semaine et, en contrepartie, on alimentait la caisse pour financer les voyages. Voilà un bel exemple de système sous influence. Nous y avons mis fin. Nous avons des témoignages de ce type dans les secteurs libéraux et publics très régulièrement.
Bien évidemment, les sociétés savantes ne doivent pas être financées par les laboratoires : il faudrait au moins qu'elles signalent quels sont leurs financeurs.
L'Igas a rendu en 2007 un excellent rapport sur la visite médicale, malheureusement trop peu connu. Les patrons des visiteurs médicaux qualifient certains médecins de « blaireaux », ce sont des médecins qui ne prescrivent pas assez et qui refusent d'ouvrir leur porte aux visiteurs médicaux. Ne vous trompez pas sur la baisse des effectifs de la visite médicale : elle est due au fait que les bons prescripteurs sont mieux identifiés. Il serait d'ailleurs intéressant de savoir comment les laboratoires font pour connaître parfaitement les profils des prescripteurs. Quand j'étais à la pharmacie centrale des hôpitaux, une des entreprises est venue me présenter son logiciel sur lequel on pouvait, d'un médecin, connaître ses prescriptions, ses patients et les pharmacies avec lesquelles il travaillait. Le degré de sophistication de ce logiciel était bien supérieur à celui dont disposait l'assurance maladie.
Au-delà de la question de savoir si les taxes doivent financer l'Afssaps, faisons en sorte de reconquérir de l'argent public pour financer l'ensemble des actions à mener. Lorsque nous disions cela il y a quinze ans, on nous traitait d'idéalistes. Quand le Sénat l'a écrit il y a quelque temps, on l'a pris au sérieux.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur. - Nous l'avons écrit, mais aucune des agences n'a relayé notre rapport de 2006.
M. Martin Hirsch. - Le Sénat ne s'est pas trompé de diagnostic.
M. François Autain , président. - J'ai été surpris par ce que vous avez dit dans le Journal du dimanche du 16 janvier : « Un laboratoire - il s'agit de Servier - adoptant de pareilles méthodes ne peut être considéré comme un acteur de santé publique responsable. » Est-ce à dire que les laboratoires, hormis Servier, sont des acteurs de santé publique responsables ? Le rôle des laboratoires n'est-il pas de fabriquer et de vendre des médicaments ? On ne peut leur demander autre chose. Mais vous semblez attendre de ces firmes un comportement responsable.
M. Martin Hirsch. - J'ai donné cette interview après avoir lu le rapport de l'Igas où il apparaît que la stratégie d'« enfumage » - pardonnez le terme - de Servier a été particulièrement marquée, sophistiquée, perverse et, malheureusement, efficace.
Nous avons besoin de nouveaux médicaments, sans doute pas trop, mais nous avons fait jouer aux laboratoires un rôle qui n'était pas le leur. Par exemple, l'industrie pharmaceutique n'a pas à donner d'informations sur le médicament.
L'intégration de cette industrie dans la chaîne de pharmacovigilance, qui est une action de santé publique, n'a pas non plus lieu d'être. Nous avons également été trop loin en lui demandant de financer des recherches et des études sur la santé publique.
Dans l'ensemble du secteur de la santé, l'industrie pharmaceutique doit être respectée, mais il ne faut pas la mettre en situation de conflit d'intérêts.
M. François Autain , président. - Vous préconisez la suppression de la visite médicale, mais est-ce possible ? Peut-on interdire aux laboratoires de la pratiquer, dès lors qu'il ne s'agit pas d'information mais de publicité ?
M. Martin Hirsch. - Aux dires des laboratoires, la visite médicale n'est pas faite pour influencer les médecins. En outre, son impartialité serait garantie par la charte de la visite médicale.
J'ai reçu une lettre d'admonestation du directeur général des entreprises du médicament (Leem) m'expliquant que j'avais tort de dénigrer les visites médicales puisqu'il existe un code de déontologie.
M. François Autain , président. - La Haute Autorité de santé elle-même a conclu que la charte n'avait rien changé et qu'elle n'était pas respectée.
M. Martin Hirsch. - On nous dit aussi que ces visites sont indispensables aux médecins, mais 30 % à 40 % des médecins libéraux ne reçoivent pas les visiteurs et leurs patients ne se portent pas plus mal. Il serait d'ailleurs intéressant de regarder quel est le profil de prescription des médecins qui reçoivent des visiteurs médicaux et celui des médecins qui n'en reçoivent pas.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur. - Une telle étude existe.
M. Martin Hirsch. - Je ne la connais pas.
La visite médicale est financée par les cotisations d'assurance maladie que nous payons et par la cotisation sociale généralisée (CSG). L'Igas a chiffré le coût de ces visites à un montant évalué entre 3 et 10 milliards : on peut les rendre financièrement insupportables.
M. François Autain , président. - Il existe déjà une taxe, mais elle est totalement inefficace.
M. Martin Hirsch. - Le législateur peut parfaitement interdire à l'industrie pharmaceutique d'avoir des visiteurs médicaux, comme il a réglementé le démarchage ou le colportage. Il n'y a aucun obstacle juridique national ou européen à dire que les laboratoires n'ont plus le droit d'aller faire la promotion directe dans les cabinets médicaux.
M. Jacky Le Menn . - Le professeur Dab nous a dit que la France n'avait pas de politique du médicament. Partagez-vous son avis ? Si oui, quelles devraient être les priorités d'une telle politique ?
Dans un article, Jacques Testart, directeur honoraire de recherche à l'Institut national scientifique d'études et de recherches médicales (Inserm), demande qui va expertiser les scientifiques ? « Sommé d'arbitrer les débats de plus en plus techniques, le monde politique se tourne vers des experts afin d'éclairer sa décision, mais ceux-ci, pour être compétents dans leur domaine, sont trop souvent liés aux intérêts du secteur. Une expertise publique pourrait aider à lever le soupçon. » Dans quelles conditions ?
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur. - Faut-il recentraliser, avoir une direction générale du médicament au ministère qui inclurait l'ensemble des produits de santé, les dispositifs médicaux et tout ce qui est issu de l'Agence de biomédecine ? En ce qui concerne la biomédecine, ne risquons-nous pas d'être confrontés à des problèmes un jour ou l'autre ?
M. Martin Hirsch. - Il y a plus une politique des médicaments qu'une politique du médicament. Le fonctionnement de l'AMM part du principe que, si le rapport bénéfices-risques est favorable, le médicament peut être autorisé. Mais nous n'avons pas le raisonnement inverse : il faudrait s'interroger sur le fait de savoir si ces médicaments, dont le rapport est favorable, sont utiles à la stratégie thérapeutique de notre pays.
Les médicaments comme le Mediator étaient traités par le mépris par les experts et les professeurs de médecine. On tolérait le fait que l'assurance maladie les rembourse un peu pour donner confiance aux patients.
Il ne suffit pas de faire de l'évaluation au cas par cas, produit par produit, pour donner le feu vert à la mise sur le marché en se rattrapant ensuite sur les taux de remboursement. N'est-ce pas plus en amont qu'il faut définir une stratégie définissant l'arsenal thérapeutique dont doivent disposer les médecins ?
Quand on raisonne à la fois en matière sanitaire et économique, il y a un certain nombre de médicaments qui n'ont pas leur place dans une stratégie thérapeutique, mais qu'on ne peut plus retirer du marché.
M. François Autain , président. - Quand un médicament a un rapport bénéfices-risques présumé favorable, et quand il a été démontré qu'il apportait un progrès thérapeutique par rapport à ceux de la même famille déjà sur le marché, il n'y a aucune raison de ne pas le commercialiser. La distinction que vous apportez ne me semble pas claire. Il y a peut-être dix à vingt médicaments d'utiles sur les trois cents nouveaux qu'autorise la commission de la transparence.
M. Martin Hirsch. - Comme c'est l'industrie pharmaceutique qui a l'initiative, nous nous retrouvons dans une situation paradoxale : certains médicaments manquent, notamment les formules pédiatriques.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur. - Et gériatriques !
M. Martin Hirsch. - C'est vrai ! A l'inverse, il y a des innovations qui ne sont pas forcément d'une grande pertinence.
Faut-il recentraliser la politique du médicament ? Non. Ne nous leurrons pas : si nous décidions de retransférer les pouvoirs du directeur général de l'Afssaps au ministre, ce dernier les déléguerait automatiquement : vous le voyez signer toutes les AMM ? Et dans ce cas, il n'y aurait plus de responsable. Il vaut mieux avoir un directeur général responsable qu'un ministre responsable en apparence seulement. Il s'agit donc d'une fausse bonne idée, à mon sens dangereuse.
Le système, même s'il a failli sur ce point, reste valable : les ministères et les administrations au niveau national et européen doivent être chargés des réglementations générales et des orientations et les opérateurs publics appliquent ce cadre général, prennent les décisions et réalisent des expertises.
Je ne pense pas que la séparation de la gestion et de l'évaluation soit une distinction pertinente. Autant, il faut séparer la gestion économique de la gestion sanitaire, autant il faut prendre garde à ne pas mettre en place deux entités : expertise d'un côté et décision de l'autre. Ce système génère de l'irresponsabilité. J'ai vu cela dans le domaine de la sécurité alimentaire : mon agence n'avait pas les pouvoirs de police. Nous devions garantir la responsabilité sanitaire mais, quand nous avions un avis d'expert discutable et que nous pressentions que, dans les abattoirs, dans les arrière-cuisines, les règles n'étaient pas respectées, et donc que les bonnes recommandations scientifiques ne se traduisaient pas dans la réalité, nous ne pouvions intervenir car on m'expliquait que cela ne me regardait pas puisqu'il s'agissait de la gestion du risque.
Certes, le système n'a pas marché pour le Mediator, mais sans doute parce qu'il était sous influence. Il ne faut pas rompre cette chaîne de l'évaluation et de la gestion du risque, sinon chacun se renverra la balle. Je crois qu'il serait préférable de conserver les préceptes définis au moment où nous avons réorganisé la transfusion sanguine et qui séparent les responsabilités économiques des responsabilités sanitaires. Du côté des responsabilités sanitaires, ceux qui accordent l'autorisation de mise sur le marché des produits et qui, éventuellement, la retirent doivent être identifiés. Que ces règles soient rénovées, confortées, soit, mais ne les jetons pas à la poubelle.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur. - Le drame, c'est qu'en 1997, on a retiré le Pondéral et l'Isoméride, et pas le Mediator.
M. Martin Hirsch. - Absolument ! Le moment où le Mediator a été placé dans un tiroir étanche reste mystérieux, même après la lecture du rapport de l'Igas.
M. François Autain , président. - Vous voulez revisiter le principe de la séparation de l'évaluation du risque et de sa gestion. Comment cela se traduirait-il pour les institutions ? Faut-il maintenir les agences en place, faut-il donner plus de compétences au directeur général de l'Afssaps ? Actuellement, il prend des décisions concernant les médicaments au nom du ministre et ce dernier n'a pas de droit d'appel.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur. - Au lieu de se situer entre évaluation et gestion du risque, la ligne de démarcation doit-elle se trouver entre expertise et décision ?
M. Martin Hirsch. - Je ne pense pas qu'il faille bousculer le système institutionnel actuel. Il est assez logique que le ministre ne puisse pas revenir sur une décision, sinon cela déresponsabiliserait le directeur général. A la limite, il pourrait avoir un pouvoir conservatoire pour suspendre temporairement telle ou telle décision, mais plutôt d'autorisation sur le marché.
Quand on a évoqué en 1994 un pouvoir d'appel, ce n'était pas pour renforcer la sécurité sanitaire mais à la demande de l'industrie pharmaceutique qui craignait que le gendarme ne soit trop sévère. En revanche, il faut revoir juridiquement les conditions de retrait : il est extravagant de voir que les autorités sanitaires doivent apporter de multiples preuves pour sécuriser leurs décisions de suspension ou de retrait.
M. François Autain , président. - Il s'agit d'une décision administrative. On ne peut empêcher que celui qui se sente lésé puisse engager une action contre cette décision.
M. Martin Hirsch. - Si nous voulons faire de la prévention, le principe de précaution doit s'appliquer. L'autorité sanitaire ne doit pas payer le fait qu'elle veuille protéger les patients.
M. François Autain , président. - Je suis d'accord avec vous, mais le Conseil d'Etat, dont vous êtes d'ailleurs membre, a une autre jurisprudence. L'épisode du Kétoprofène est là pour nous le rappeler. Il est vrai que cette décision de l'Afssaps contredisait celle de l'Europe.
M. Martin Hirsch. - Je suis bien placé pour savoir qu'au-dessus de la jurisprudence du Conseil d'Etat, il y a la loi et les textes européens, et ils devraient simplifier les procédures de suspension des mises sur le marché.
M. François Autain , président. - Modifier les textes européens ne serait pas une mince affaire !
M. Martin Hirsch. - Tous les pays européens peuvent être confrontés aux mêmes problèmes que nous.
Mme Marie-Christine Blandin . - Nous entendons des avis très contrastés sur la séparation ou non de l'expertise et de la décision. Je m'intéresse plus à la déontologie et à la fiabilité de l'expertise elle-même.
Il a été évoqué une Haute Autorité de l'expertise et de l'alerte chargée de se pencher sur les conflits d'intérêts, le respect des protocoles, la confrontation avec les études étrangères et l'écoute des lanceurs d'alerte. Or, dans la loi Grenelle de juillet 2009, à mon initiative, nous avons voté, à l'unanimité des deux chambres, la création d'une telle autorité. Pensez-vous que les firmes soient suffisamment puissantes pour dissuader les ministres de mettre en oeuvre des dispositions votées par le Parlement ?
M. Martin Hirsch. - La réponse est oui. Les meilleurs codes de déontologie ne résisteront pas si les médecins, les chercheurs, les experts ne peuvent travailler sans avoir recours aux financements de l'industrie pharmaceutique. Comment voulez-vous que de telles personnes, qui sont le plus souvent intègres, puissent se prononcer contre un médicament produit par la firme qui les rémunère ? Le vice est là ! L'agence que j'ai dirigée il y a quelques années a récemment publié un rapport sur les régimes amaigrissants : il n'y a pas eu un mot sur les pilules amaigrissantes ! Or, le président de ce comité d'experts est payé par les quatre plus gros laboratoires pharmaceutiques : même s'il est honnête, comment voulez-vous qu'il dénigre ses employeurs ? Il ne peut y avoir de bonne déontologie si les conflits d'intérêts ne sont pas dénoués, qu'il s'agisse de conflits individuels ou institutionnels.
Sur la protection des lanceurs d'alerte, rappelez-vous ce qui est arrivé à Pierre Meneton : les services secrets ont essayé de le déstabiliser en prétendant qu'il était payé par la CIA pour s'attaquer à l'industrie pharmaceutique française !
Mme Marie-Christine Blandin . - Et l'Inserm ne l'a pas défendu : il s'est retrouvé seul devant les tribunaux.
M. Martin Hirsch. - Je revendique de l'avoir défendu : nous avons organisé un colloque financé uniquement sur fonds publics.
M. François Autain , président. - Vous préconisez le retrait de l'industrie pharmaceutique de tous les secteurs de la santé. Comment financer les activités jusque là prises en charge par l'industrie pharmaceutique ?
M. Martin Hirsch. - Le surcoût de la consommation de médicaments en France par rapport à d'autres pays se monte à plusieurs milliards. Le coût direct des dépenses de promotion représente aussi quelques milliards.
En se privant d'un certain nombre de dépenses, on pourrait récupérer quelques centaines de millions pour financer des laboratoires de recherche qui travailleraient sur les risques, sur l'évaluation, qui pourraient reproduire de l'expertise publique indépendante des intérêts économiques. Il serait aussi possible de financer ainsi la formation continue des médecins.
Dans un deuxième temps, une politique du médicament plus restrictive permettrait de réaliser quelques économies : plutôt que d'augmenter les déremboursements, il serait préférable de diminuer la masse des médicaments remboursés.
M. François Autain , président. - Vous n'envisagez pas une baisse du prix des médicaments pour faire réaliser des économies à l'assurance maladie qui pourrait, en contrepartie, financer directement certaines activités ?
M. Martin Hirsch. - Aujourd'hui, la sécurité sociale paye les dépenses des laboratoires en congrès, en promotions de toute sorte et en papier glacé. Pourquoi ne pas les taxer de la somme équivalente ?
Une telle politique allégerait la pression économique supportée par le prescripteur et par le patient : par contrecoup, elle aurait une influence sur la consommation de médicaments dans notre pays. Le déficit de l'assurance maladie se réduirait donc encore.
M. François Autain , président. - Ce schéma serait vertueux, mais on peut avoir quelques doutes sur la mise en oeuvre de mesures aussi radicales. Il n'empêche que nous pouvons les proposer, même si un Gouvernement ne reprend que très rarement les propositions d'un rapport sénatorial.
M. Martin Hirsch. - Détrompez-vous ! L'Agence du médicament a été créée à l'initiative du Sénat. L'Afssaps vient d'une proposition de loi sénatoriale, tout comme l'Agence du service civique que je préside. Enfin, la paternité du revenu de solidarité active (RSA) est en partie due au rapport de Mme Létard. Je ne fais mon miel que du Sénat !
M. François Autain , président. - Reconnaissez que, dans le domaine du médicament, nous avons plus de difficultés. Merci pour votre contribution, nous essaierons d'en faire notre miel !
Audition de M. Claude HURIET, professeur émérite, rapporteur de la loi n° 88-535 du 1er juillet 1998 relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à l'homme, président d'un groupe de travail des Assises du médicament (mardi 8 mars 2011)
M. François Autain, président . - L'audition étant publique, je dois vous demander, en application de l'article L. 4113-13 du code de la santé publique, de nous faire connaître, si vous en avez, vos liens avec des entreprises produisant ou exploitant des produits de santé ou avec des organismes de conseil intervenant sur ces produits.
M. Claude Huriet, professeur émérite . - Merci, monsieur le président, de m'avoir convié à cette audition. En ce qui concerne les conflits d'intérêts, je préside le Conseil d'orientation de la Fondation générale de santé qui a pour fonction de promouvoir le sang de cordon dans ses prélèvements et son utilisation. Je n'ai pas d'autre lien de cette nature.
M. François Autain, président . - En tant que rapporteur de la loi de 1998 relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire, il vous revenait de nous donner votre sentiment sur les événements intervenus depuis quelques mois et sur leurs conséquences sur l'organisation sanitaire. Je vous donne d'abord la parole pour une intervention liminaire.
M. Claude Huriet . - Je souhaiterais évoquer le point de départ des crises sanitaires et les réponses qu'ont pu apporter le Parlement, et plus précisément le Sénat. En 1986, le Centre national de la transfusion sanguine avait alerté qu'un patient sur deux était atteint du Sida. Est ensuite survenu le drame de la vache folle. C'est dans ce contexte que la commission des affaires sociales a abouti à cette loi de 1998.
Je souhaiterais apporter quelques précisions sur l'Agence du médicament. La loi du 4 janvier 1993 relative à la sécurité en matière de transfusion sanguine et de médicament avait été précédée quelques mois plus tôt d'un projet relatif à l'Agence du médicament et à la régulation des dépenses de médicament prises en charge par les régimes d'assurance maladie. La tentative du Gouvernement d'introduire un texte de sécurité sanitaire avait tourné court. Dans l'intitulé de la loi mais aussi dans son contenu, deux missions nous avaient paru peu compatibles entre elles, la sécurité du produit et l'économie. L'amendement du Sénat introduit par la commission des affaires sociales n'avait cependant guère de chance d'être suivi en commission mixte paritaire au regard des équilibres politiques de l'époque. Le président de la commission compétente de l'Assemblée nationale, Jean-Michel Belorgey, a pourtant retenu l'argument du Sénat, et la CMP a ainsi abouti en satisfaisant la demande des Sénateurs. Le Gouvernement ayant demandé l'urgence, le texte a toutefois été abandonné puisque le résultat final ne correspondait pas à ses souhaits. En 1993, la loi relative à la sécurité en matière de transfusion sanguine et de médicament a réintroduit ces éléments.
L'Agence du médicament a entraîné la disparition de la Direction de la pharmacie et du médicament. C'est particulièrement rare. Les inquiétudes avaient ainsi été fortes au sein des administrations centrales, et la suite du travail en a été quelque peu influencée.
Je conteste la notion de récurrence des crises sanitaires que vous évoquez. L'opinion a été secouée par les crises de la transfusion sanguine ou de la vache folle. Toutefois, parler de « crise sanitaire » chaque fois qu'il y a des conséquences négatives de médicaments ou de produits apparentés me paraît impropre. Ce sont des incidents regrettables. Le terme de crise a quant à lui une connotation médiatique à l'origine d'une grande angoisse chez nos concitoyens ainsi que d'une perte de confiance envers le législateur et les institutions de la République.
M. François Autain, président . - Contestez-vous l'appellation de crise concernant le Mediator ?
M. Claude Huriet . - Je crois qu'il est trop tôt pour se prononcer. Il ne suffit pas de dénoncer les dangers d'un médicament pour affirmer que toutes les victimes se sont présentées à bon escient. Les chiffres méritent d'être soumis à une analyse contradictoire.
S'agissant des dysfonctionnements au sein de l'Afssaps pointés par le rapport de l'Igas, vous connaissez les liens affectifs que j'ai pu avoir avec cette agence et l'InVS. Pour analyser les dysfonctionnements d'une institution comme l'Afssaps, le rapport de l'Igas a été rédigé dans des délais extrêmement brefs. Il aurait fallu s'appuyer sur des faits et non sur une analyse globale entraînant du reste des conséquences non seulement au sein de l'Agence mais aussi au sein de la population. Il faut être très attentif à ne pas casser la confiance des citoyens dans des institutions qui sont censées les défendre, sans pour autant affirmer que cette confiance doit être aveugle. Il y a également une perte de confiance dans le médicament. Même s'il est important de remettre en cause une consommation française parfois excessive, la marche ne doit pas être franchie trop vite. S'il y a eu des dysfonctionnements, il appartiendra aux différentes instances de se prononcer sur leur nature et les remèdes à apporter.
Concernant les conflits d'intérêts, c'est seulement parce qu'il y a expertise que les décisions peuvent apparaître comme suspectes. L'expertise fait heureusement l'objet d'un renouveau de discussions et de débats. La question majeure n'est, à mon sens, pas tant les conflits d'intérêts que les problèmes posés par l'expertise. L'expertise revêt un caractère nécessaire mais exige des conditions de mise en oeuvre très particulières quand il s'agit d'innovations. L'innovation thérapeutique nécessite en effet de se hâter tout en restant prudent pour s'assurer que les bénéfices sont supérieurs aux risques. C'est à travers l'innovation et son expertise que nous devons réfléchir aux conflits d'intérêts. En matière d'innovation, les personnes disposant des connaissances, de la réflexion et des moyens de porter une appréciation hors de tout conflit d'intérêts sont très peu nombreuses. Les experts ont en effet pu être approchés par des firmes pharmaceutiques. Pour autant, faut-il les écarter ? Et dans ce cas, par qui les remplacer ? Jean-François Mattei souligne « qu'il n'y a pas d'expert naïf » . Une expertise ne vaut que si elle est contradictoire, qu'elle tient compte d'avis d'experts qui peuvent être contradictoires mais proviennent tous de personnes ayant les connaissances suffisantes pour savoir ce dont elles parlent. Le caractère contradictoire, la publicité et, éventuellement, la collégialité sont des éléments extrêmement importants. Peu après le vote de la loi de 1998, Mme Veil, alors ministre de la santé, avait introduit un amendement autorisant le ministre à faire un recours hiérarchique contre une décision d'une Agence, autorité administrative indépendante. Je suis intervenu au nom de la commission des affaires sociales pour m'opposer à cet amendement. Voter un tel amendement revenant, en effet, à considérer que l'expert saisi en application du recours hiérarchique pourrait émettre un avis différent de celui des experts de l'Agence. Retenir ce second avis reviendrait à se prononcer pour un changement de gouvernance de l'Agence.
Concernant l'Oniam (Office national d'indemnisation des accidents médicaux), j'ai exercé deux mandats à la présidence de cet organisme. Le Sénat avait été à l'origine d'une proposition de loi sur la reconnaissance de l'aléa médical (avec une responsabilité sans faute). Cette proposition a été reprise par Bernard Kouchner dans la loi sur le droit des malades de 2002. Je me suis enquis des quelques réponses possibles auprès du directeur actuel de l'Oniam, Dominique Martin.
M. François Autain, président . - Nous l'avons également auditionné.
M. Claude Huriet . - Il envisage quatre possibilités pour répondre à la question de l'indemnisation :
- laisser faire les commissions régionales de conciliation et d'indemnisation (CRCI). Ces commissions pourraient toutefois avoir des prises de positions différentes, source d'inégalités ;
- créer un fonds dédié qui serait alimenté et géré par les laboratoires Servier. Ce fonds serait néanmoins sans doute contesté dans le contexte actuel ;
- s'inspirer du modèle des irradiés d'Epinal dans lequel un comité d'indemnisation avait été créé. Ce comité, au financement mixte, public et privé, comptait un seul payeur se retournant contre les responsables. Cette solution peut convenir pour des accidents ou crises sanitaires géographiquement localisés ;
- confier de nouvelles missions à l'Oniam, comme cela a été fait pour le VIH et l'hépatite C. Le comité d'orientation de l'Oniam se réunit en présence des victimes ou de leurs représentants, avec une possibilité de saisine individuelle sans seuil minimal. Est alors constitué un groupe d'experts dans le respect du principe contradictoire. Des dispositions législatives pourraient être prises pour poser un cadre plus large.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - C'est ce que Dominique Martin a effectivement proposé. Une disposition législative plus générale pourrait permettre de saisir l'Oniam en cas de crise, sans se limiter à une liste restreinte de pathologies.
M. Claude Huriet . - Par rapport au Mediator, nous nous retrouvons confrontés à une certaine urgence. Je crois que nous pourrions nous inspirer de ce qui a été fait pour le VIH, l'hépatite C et peut-être l'amiante.
S'agissant des Assises du médicament, les problèmes de gouvernance ont été à l'origine de l'ensemble du travail législatif entrepris par le Sénat. Les crises sanitaires ont entraîné la constitution d'une commission d'enquête, mais aussi de missions d'information avec, à l'époque, le rôle moteur de la commission des affaires sociales. Nous nous sommes interrogés sur la multitude des organismes en charge de la sécurité sanitaire, présentant des statuts variés et dépendant de plusieurs tutelles. Le recensement n'avait d'ailleurs pas pu être exhaustif. Le ministre de l'agriculture avait dénombré plus de cinquante organismes, sans pour autant pouvoir en faire un décompte précis. Le dispositif en place présentait un caractère vertical, avec un certain cloisonnement et un manque de cohérence et de communication. Je ne suis pas certain que la question de la gouvernance soit actuellement parfaitement résolue. C'est dans ce contexte que le groupe 5 des Assises a demandé un état des lieux des institutions en charge de la sécurité sanitaire. Je rappelle qu'un amendement du sénateur Charles Descours avait chargé le Gouvernement de compléter le travail du Parlement afin que des structures qui n'avaient pas immédiatement été incluses soient incitées à présenter une certaine cohérence par rapport au dispositif législatif. Ce travail n'a cependant jamais été effectué.
Concernant le fonctionnement du comité d'animation du système d'agences (Casa), le Sénat avait proposé de créer un Conseil national de sécurité sanitaire. Ce Conseil, sous l'autorité du Premier ministre, aurait été chargé de préparer les décisions du Gouvernement en matière de prévention des risques de toute nature et les actions menées dans ce domaine par les différents départements ministériels et, en cas de crise importante, de veiller à la cohérence et à l'exhaustivité des dispositions législatives et réglementaires en matière de veille et de sécurité sanitaire ainsi qu'à l'efficacité de leur mise en oeuvre. Le cadre légal actuel (article L. 796-1 du code de la santé publique) procède d'un amendement de l'Assemblée nationale qui a créé un Comité national de la sécurité sanitaire chargé d'analyser les événements susceptibles de nécessiter la coordination de la politique scientifique de l'Institut de veille sanitaire et des agences françaises de sécurité sanitaire des produits de santé et des aliments sous la présidence du ministre chargé de la santé.
M. François Autain, président . - Nous vérifierons que le Casa et le CNSS ont ou non les mêmes missions.
M. Claude Huriet . - Nous avons voulu, à travers l'interministérialité et l'autorité du Premier ministre, souligner la dimension toute particulière des questions touchant à la sécurité sanitaire des Français.
M. François Autain, président . - Le Casa est un comité qui réunit les différentes agences avec la DGS, alors que le CNSS est un comité interministériel.
M. Claude Huriet . - Le CNSS réunit, sous la présidence du ministre chargé de la santé, les directeurs généraux et les présidents des conseils scientifiques de l'InVS, de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, et de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments, une fois par trimestre ou à la demande de l'un d'entre eux.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Nous avons peut-être créé le Casa sans nous apercevoir qu'il y avait le CNSS.
M. Claude Huriet . - Concernant votre question relative à une politique du médicament, je pense que notre pays ne dispose pas d'une véritable politique du médicament. Toutefois, je ne crois pas que ce soit souhaitable. Une politique nécessite en effet de s'intéresser aux besoins non satisfaits de la population, en définissant des objectifs, des priorités et des moyens correspondants. Une politique doit présenter une certaine cohérence. En matière de médicament, je ne pense pas que ce soit possible ni souhaitable. Je prendrai l'exemple de l'Etat de l'Oregon aux Etats-Unis, dont le système de sécurité sanitaire avait été étudié par la commission des affaires sociales. Le budget de la santé de l'Oregon est établi selon les pathologies les plus fréquentes et en fonction des coûts. Les moyens financiers pour satisfaire les principaux objectifs sont additionnés. Une sorte de référendum est organisé pour fixer une limite de dépenses de santé en-dessous de laquelle il ne pourrait y avoir de prise en charge. Cet exemple me semble être la caricature de ce que pourrait être une politique du médicament. Il ne faut pas se gargariser de mots. J'ignore également ce qu'est la « dimension populationnelle ». Les accidents iatrogènes sont, sauf exception, des accidents individuels ou éventuellement des accidents sériels. Adopter, dans l'appréciation d'un médicament, de sa mise sur le marché ou de son suivi, une dimension populationnelle ne me paraît donc pas faire avancer la réflexion.
M. François Autain, président . - Le professeur Dab faisait référence aux études pharmaco-épidémiologiques qui permettent d'identifier des effets indésirables graves en relation avec la prise d'un médicament, sans pour autant établir une relation de cause à effet. Ce sont du reste les résultats auxquels est arrivée l'étude conduite sous la direction de Mme Catherine Hill sur la base de données de l'union nationale des caisses d'assurance maladie (Uncam). Des risques collectifs peuvent ainsi être identifiés grâce aux bases de données dont nous disposons.
M. Claude Huriet . - Chaque fois qu'il y a des difficultés, on cite l'exemple de la Food and Drug Administration (FDA). A cet égard, il faut souligner que pour le Vioxx, les alertes et décisions ont quelque peu tardé. En outre, la FDA n'est pas la seule agence de sécurité sanitaire au niveau mondial. Défendre un système dual pour les produits de santé et les aliments s'appuie sur une méconnaissance de la FDA, de son mode de financement et de son évolution.
Il faut par ailleurs aller plus en amont dans la question de la dimension populationnelle en évoquant la recherche biomédicale et les essais cliniques. En effet, pour faire apparaître avant la mise sur le marché un risque de l'ordre de 1 pour 10 000 ou 50 000, il faut des populations très nombreuses et un délai de suivi très long, ce qui est incompatible avec l'impatience de ceux qui sont en attente d'innovation. Rappelez-vous l'impatience des séropositifs par rapport aux délais trop longs de mise sur le marché de nouvelles molécules.
S'agissant de la réforme du système de pharmacovigilance, je rappellerai que la loi de 1998 était relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire. Il avait en effet été distingué la veille sanitaire de la sécurité sanitaire. L'InVS n'est, de ce point de vue, pas une véritable agence. Il veille mais n'a pas vocation à décider.
M. François Autain, président . - Vous êtes donc opposé à la proposition du rapport du professeur Jean-François Girard consistant à transférer la pharmacovigilance à l'InVS.
M. Claude Huriet . - J'y suis au contraire favorable. La veille doit déclencher des mesures et des actions, encore faut-il que la mission de « veille » soit bien exercée. Jean François Girard, alors directeur général de la santé, évoquait devant la commission des affaires sociales du Sénat, en 1996 déjà, toute la diversité de la vigilance (pharmacovigilance, bactériovigilance, hémovigilance...). Ces vigilances doivent être regroupées sur une tête de réseau. L'origine d'un incident grave n'est, en effet, pas toujours initialement connue. Par des rapprochements entre des faits disparates, l'InVS peut éclairer les décisions politiques.
M. François Autain, président . - La décision du retrait d'un médicament est aujourd'hui du ressort du directeur général de l'Afssaps au nom du Gouvernement. Dans la configuration que vous préconisez, l'InVS n'agit pas mais transmet le résultat de ses observations au directeur général de l'Afssaps qui prend la décision.
M. Claude Huriet . - Effectivement. Je prendrai l'exemple de la canicule pour laquelle les actions ont été prises avec un certain retard. Les sapeurs-pompiers et les pompes funèbres ont été les premiers à remarquer des éléments inhabituels et à les signaler à la préfecture de police. L'InVS avait par la suite été attaqué. On ne peut pourtant pas reprocher à un observatoire auquel les informations n'ont pas été transmises une insuffisance d'analyses et de propositions.
M. François Autain, président . - J'aurais souhaité revenir sur la question des liens d'intérêts. J'ai toujours beaucoup de difficultés à concevoir qu'un expert puisse conseiller les firmes pharmaceutiques au même titre que les autorités publiques. Il est vrai que les experts peuvent être extrêmement peu nombreux. Toutefois, lorsqu'un rapport leur est présenté par un éminent expert, les membres d'une commission doivent disposer des connaissances de base pour émettre un avis sur un médicament et évaluer la balance bénéfices-risques, quitte à demander, si nécessaire, un autre rapport. Il me paraît possible de se déterminer en disposant de tous les éléments du problème, même sans être spécialiste du médicament concerné.
M. Claude Huriet . - Les situations sont extrêmement diverses. Le rapport bénéfices-risques est effectivement un point tout à fait essentiel à examiner. Les comités de protection des personnes (CPP) sont chargés d'émettre un avis sur la balance bénéfices-risques d'une nouvelle molécule alors qu'ils ne sont pas des comités d'experts.
Je prendrai l'exemple du retrait de la vaccination contre l'hépatite B. Quelques cas de scléroses en plaque étaient apparus chez des patients vaccinés. L'émoi a été important dans un contexte où les médias s'étaient emparés du sujet. Le ministre a alors saisi des experts pour éclairer sa décision et, conformément au principe de précaution, a préféré suspendre la vaccination. Le risque de recrudescence d'hépatites et de tumeurs du foie était pourtant avéré. Ceci témoigne de la diversité des avis d'experts et du rôle très inconfortable du décideur politique.
M. François Autain, président . - Le rapport bénéfices-risques est présumé favorable lorsqu'un médicament est mis sur le marché. Lorsqu'un médicament est retiré, il n'y a pas de présomption : il faut avoir la certitude que le médicament présente un risque. A cet égard, le principe de précaution me paraît fonctionner à rebours, en faveur de l'industrie pharmaceutique et non du patient.
M. Claude Huriet . - L'exemple de l'hépatite B va à l'encontre de ce que vous affirmez.
M. François Autain, président . - Effectivement. Les cas peuvent être divers.
M. Dominique Leclerc . - Vous avez indiqué qu'il n'y avait pas d'expert naïf. Il faudrait peut-être s'interroger sur le mode de fonctionnement des agences. Sur ce point, l'absence de démarche contradictoire me paraît regrettable.
M. Claude Huriet . - Une expertise collégiale et contradictoire est, en effet, indispensable.
M. François Autain, président . - En l'absence d'autres questions dans l'immédiat, nous vous remercions.
M. Claude Huriet . - Je reste à la disposition de madame le rapporteur pour répondre à ses questions. Merci.
Audition de M. Jean-Philippe SETA, président opérationnel des Laboratoires Servier (mardi 8 mars 2011)
M. François Autain , président. - Vous avez souhaité que cette audition se déroule à huis clos. Nous en avons bien pris acte. Je vous propose de commencer par un exposé liminaire.
M. Jean-Philippe Seta, président opérationnel des laboratoires Servier . - Je vous épargnerai une longue déclaration liminaire ; le docteur Servier, que vous recevrez après-demain, en fera certainement une. Je voudrais très sincèrement vous remercier de nous recevoir sur cette grave affaire du Mediator, dont nous mesurons bien l'importance et la sévérité pour les patients. Après trois mois d'un bombardement médiatique extrême, suite à un rapport de l'Igas mené dans des conditions contraires à toutes les règles déontologiques, sans le respect du principe contradictoire, je suis ravi, en tant que médecin, fils et petit-fils de médecins, de pouvoir m'exprimer.
M. François Autain , président . - Je ne crois pas que l'Igas avait la possibilité de vous auditionner.
M. Jean-Philippe Seta . - Je me suis permis de prendre le guide des bonnes pratiques de l'Igas en date de mai 2009 qui précise « Entrent dans la saisine de l'Igas : tous les organismes bénéficiant de concours publics ou d'un organisme de sécurité sociale ou financés par des cotisations sociales. Les concours doivent être interprétés dans un sens large. » Je vous rappelle que le Mediator, pour 80 % de ses prescriptions, était associé à une affection de longue durée (ALD) et à un remboursement à 65 %. 60 % du chiffre d'affaires français du Groupe Servier correspondent du reste à des remboursements des organismes de sécurité sociale. Le rapport précise plus loin : « Ces rapports sont soumis, sauf exception, à une procédure contradictoire, tant la rigueur méthodologique que le respect des droits de la défense veulent que l'on ait entendu les responsables mis en cause. Une interprétation large doit être donnée au principe contradictoire. Le contradictoire doit concerner toutes les parties mises en cause dans un rapport de l'Igas. » Je m'étonne donc que les laboratoires Servier n'aient pas été entendus, quitte à étendre la saisine de la mission de l'Igas.
M. François Autain , président . - Reste à prouver que les laboratoires Servier peuvent être considérés comme un organisme recevant un concours financier des pouvoirs publics.
M. Jean-Philippe Seta . - La sécurité sociale bénéficie, à mon sens, des cotisations sociales. Je ne m'étendrai toutefois pas sur ce débat administratif.
Je suis heureux d'avoir l'occasion de me présenter devant vous avec un sens aigu de la responsabilité de l'entreprise, du médicament mais aussi des individus, moi en premier chef. Je pense avant tout aux patients directement concernés mais aussi à ceux qui prennent le Mediator ou un des soixante-dix-sept médicaments listés. J'ai également une responsabilité à l'égard des 22 000 collaborateurs des laboratoires Servier dans le monde et particulièrement des 5 500 collaborateurs français. Ils doivent continuer à être fiers de travailler dans une industrie de vie et dans un laboratoire qui est une Fondation dans laquelle il n'y a jamais eu ni de stock-options, ni d'actions gratuites, ni de bonus, et qui a toujours voulu travailler pour le bien des patients.
J'ai lu certains comptes rendus d'auditions. Vous avez affirmé, monsieur le président, que les laboratoires pharmaceutiques n'étaient pas des acteurs de santé publique. Nous sommes toutefois des acteurs privés participant à la santé publique. Nous sommes de ce fait assujettis à des règles de déontologie et d'éthique. C'est dans cet esprit de grande responsabilité que je me présente devant vous.
M. François Autain , président . - Je cède la parole à madame le rapporteur.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Quand avez-vous été alerté pour la première fois des effets indésirables du Mediator ? Pourquoi ce médicament n'a-t-il pas été mis sur le marché aux Etats-Unis et au Royaume-Uni ? Pourquoi, lorsque le Mediator a été retiré en Espagne et en Italie, n'avoir pas suggéré un retrait sur le sol français et dans les autres pays où il était commercialisé ?
M. Jean-Philippe Seta . - Nous n'avons été véritablement informés qu'à partir de 2008. Si l'on fait une rétro-chronologie précise, on relève une notification datant de février 2003 de l'Agence espagnole pour une valvulopathie qui était considérée comme non attribuable. La prise du médicament n'étant en effet pas clairement établie au moment de la notification de ce cas de valvulopathie. C'est en 2008 que d'autres notifications vont apparaître. Je reviendrai sur le cas marseillais de 1999 ou sur le cas espagnol de 2003.
M. François Autain , président . - Un cas a également été constaté à Clamart en 1999.
M. Jean-Philippe Seta . - Il s'agit d'une hypertension artérielle pulmonaire.
M. François Autain , président . - Entendez-vous dissocier les valvulopathies des hypertensions artérielles ?
M. Jean-Philippe Seta . - Oui. Vis-à-vis de la physiopathologie, nous éprouvons certaines difficultés à comprendre que nous soyons confrontés dans un cas à un phénomène de nature amphétaminique, dans l'autre à un phénomène 5-HT2B. Je souhaiterais d'abord terminer mes explications sur les valvulopathies.
Le cas marseillais de 1999 portait sur une personne qui avait fait un infarctus massif à l'âge de trente-cinq ans. La cause principale de la valvulopathie n'est aujourd'hui plus le rhumatisme articulaire aigu mais la maladie coronarienne. La cause principale des insuffisances mitrales sévères est l'infarctus antérieur étendu. Le cas marseillais n'avait pas été considéré, y compris par la pharmacovigilance française, comme attribuable au médicament. Nous ne l'avions pas dans nos bases de données.
M. François Autain , président . - Nous interrogerons très prochainement le docteur Chiche.
M. Jean-Philippe Seta . - Il vous donnera sa version des choses ; je ne peux que vous donner la mienne. A partir de 2008, des signaux plus importants ont été enregistrés. Je cède la parole au docteur Canet.
Docteur Emmanuel Canet . - S'agissant des valvulopathies, à fin décembre 2008, notre base de données de pharmacovigilance recensait pour les patients n'ayant pris que du Mediator onze cas de valvulopathies et six cas d'hypertensions artérielles pulmonaires primitives. Le rapport de la commission de pharmacovigilance de 2009 comptabilisait quatre cas retenus en termes d'hypertensions artérielles pulmonaires primitives, c'est-à-dire pour lesquelles il n'y avait pas d'autre étiologie d'identifiée. La conclusion était qu'il n'y avait pas de signal de toxicité cardio-pulmonaire liée au Mediator du type hypertension artérielle primitive. Ce rapport a été publié très peu de temps avant que le produit ne soit suspendu.
M. Jean-Philippe Seta . - En mars 2009, paraît dans l' European Journal of respiratory diseases , un article signé par M. Simonneau et Mme Frachon, dans lequel il est écrit : « En termes d'hypertensions artérielles pulmonaires et de valvulopathies, il n'y a pas de signal significatif sous Mediator » . Nous tenons cet article à la disposition de la commission.
M. François Autain , président . - Le produit est suspendu en novembre 2009.
M. Jean-Philippe Seta . - Oui, une vague de notifications extrêmement importante est en effet intervenue au cours de l'année 2009.
M. François Autain , président . - Contestez-vous ces notifications ?
M. Jean-Philippe Seta . - Pas du tout. Personne dans le groupe Servier ne conteste l'existence d'un signal valvulopathique, c'est-à-dire d'une augmentation du risque relatif sous Mediator. La seule preuve méthodologiquement sérieuse a été apportée par une étude mise en place par le groupe Servier, Regulate , qui est une étude multicentrique internationale en double aveugle contre médicament de référence. Cette étude a montré qu'avant tout traitement, 51 % des diabétiques présentaient déjà une valvulopathie préexistante. Ceci signifie que toute valvulopathie sous Mediator n'est pas nécessairement une valvulopathie liée au Mediator. L'étude précise qu'il y a toutefois une augmentation du risque qui, pour les valvulopathies triviales, est de 3 et pour les valvulopathies organiques de 2,3. Nous ne remettons pas en cause ce point.
Pourquoi cette accélération de l'histoire ? Entre temps sont publiées une étude rétrospective cas-témoins de Mme Frachon - qui est critiquée par de nombreux méthodologistes - et une étude du professeur Tribouilloy à Amiens. En septembre 2009, les résultats de l'étude Regulate sont transmis immédiatement à la Commission nationale de pharmacovigilance par les laboratoires Servier. Une séance est programmée et le retrait est décidé. Nous avions proposé des mesures du type de celles prises pour le Pergolide (ou Celance du laboratoire Lilly) qui a été retiré du marché américain en 2007 pour valvulopathie et ne l'est toujours pas en France. Cet anti-parkinsonien entraîne une augmentation d'incidence de valvulopathies nettement supérieure à celle du Mediator. Ce médicament a fait l'objet de mesures de surveillance accentuée (échographies avant et pendant, suivi, contre-indications absolues chez des patients présentant des antécédents cardiaques). Nous avions proposé le même dispositif pour le Mediator. La commission de pharmacovigilance a toutefois décidé le retrait du marché, décision que nous n'avons du reste pas contestée.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Que contestez-vous dans la méthodologie de Mme Frachon ? Les autres méthodologistes critiquent-ils cette étude ?
M. Jean-Philippe Seta . - Cette méthodologie est également contestée par les professeurs Acar ou Alpérovitch. Les cas témoins ne sont pas de vrais cas-témoins. Il y a en effet une surreprésentation des « malades Mediator » dans l'ensemble du groupe traité. Le nombre de cas dits inexpliqués est à l'opposé statistiquement des résultats trouvés par l' European Heart Survey , qui est une étude faite sur 5 000 patients en Europe sur les causes de valvulopathies. Selon cette étude, 64 % des valvulopathies sont expliquées par les causes classiques (maladie coronarienne, rhumatisme...). Dans l'étude Frachon, 64 % des cas sont inexpliqués, et presque tous attribués au Mediator.
M. François Autain , président . - Vous avez déposé des brevets dans de nombreux pays en Europe, mais vous n'avez pas demandé d'AMM dans l'ensemble de ces pays. Pourquoi ?
En ce qui concerne l'Espagne, la valvulopathie n'a pas été imputée au Mediator. Pourquoi le Mediator a-t-il alors été retiré ?
M. Jean-Philippe Seta . - Le laboratoire Servier découvre ce médicament en 1974. A cette époque, le laboratoire est extrêmement peu présent à l'international. En 1991, nous ne réalisions encore que moins de 30 % de notre chiffre d'affaires à l'international. En 1976, le Groupe Servier disposait d'un service export. Ce groupe, qui avait été le premier à mettre sur le marché un antidiabétique oral de la classe des insulinosécréteurs, le Glucidoral en 1956, découvre en 1973 le diamicron, molécule qui est la base de l'internationalisation du Groupe. En Belgique, le diamicron est enregistré en 1975. Le laboratoire Servier ne compte alors que quelques visiteurs médicaux et il est donc impossible de développer deux antidiabétiques oraux sur le marché belge. Certains affirment que le repositionnement du benfluorex visait à éviter la compétition. C'est absurde puisque le diamicron a représenté notre premier chiffre d'affaires jusqu'en 1996. Notre intérêt n'était pas de nous autoconcurrencer sur le diabète. Nous obtenons un brevet dans un certain nombre de pays. Nous ne commercialisons le médicament que dans des pays où nous sommes quelque peu présents, comme le Portugal. Si nous sommes le neuvième laboratoire français, nous sommes le troisième groupe pharmaceutique au Portugal depuis une vingtaine d'années. Nous n'avons pas lancé la commercialisation dans un certain nombre de pays car nous n'avions pas les moyens de financer plusieurs réseaux de visiteurs médicaux. C'est pourquoi le diamicron a été notre fer de lance international tandis que le benfluorex a été le parent pauvre. Aux Etats-Unis, le diamicron n'a jamais été enregistré. Le brevet étant rapidement échu, nous n'avons pas trouvé de licencié pour le benfluorex. Nous avons simplement déposé un IND ( Investigation on new drugs ), une demande pour faire un essai thérapeutique. Cette demande nous a été accordée mais nous ne disposions pas du brevet.
En Belgique, le diamicron est enregistré en 1975. En 1977, la Direction de la pharmacie et du médicament du ministère belge nous envoie une note nous demandant de réaliser des études complémentaires pour le diabète et une étude supplémentaire de toxicologie gros animaux. L'étude toxicologique confirme la sécurité d'emploi du médicament. Nous n'avons pas mis en place d'études complémentaires d'efficacité dans le diabète parce que la Belgique n'était pas pour nous un marché essentiel.
M. François Autain , président . - La Direction de la santé belge était-elle plus rigoureuse que la Direction de la pharmacie française de l'époque ?
M. Jean-Philippe Seta . - Ce serait un raccourci excessif. Sur ce dossier, la Belgique était moins convaincue par les études d'efficacité antidiabétique.
Docteur Emmanuel Canet . - Posent également problème dans l'étude du docteur Frachon, la qualité des données sources, le PMSI n'étant pas destiné à réaliser ce type d'étude de pharmaco-épidémiologie. L'appariement des cas et des témoins tel que réalisé dans cette étude pose également problème du fait d'une disparité importante sur les co-morbidités qui pouvaient influer sur la survenue ou non d'une valvulopathie. Le troisième point porte sur la qualité des diagnostics, élément souligné par le professeur Acar dont on connaît la réputation dans le domaine du diagnostic des valvulopathies. Il souligne que la distinction origine rhumatismale/non rhumatismale est un raccourci qui ne permet pas d'établir un diagnostic précis de valvulopathie.
M. François Autain , président . - Le professeur Acar est le seul expert qui a récemment rédigé une étude à l'encontre des travaux de Mme Hill.
M. Jean-Philippe Seta . - Je pense que vous voulez parler de Mme le professeur Alpérovitch qui a produit une étude à la demande de la direction générale de la santé qui critique la méthodologie statistique. M. Acar, qui est cardiologue, critique la partie diagnostic et méthodologie clinique. Aujourd'hui, en 2010, la majorité des valvulopathies sont d'origine ischémique (coronarienne). Pourtant, le PMSI ne distingue toujours que les valvulopathies rhumatismales des valvulopathies non rhumatismales. Le PMSI permet ainsi davantage une gestion budgétaire de l'allocation de ressources qu'il n'est un outil de diagnostic médical.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - En dehors du professeur Acar, d'autres méthodologistes ont-ils critiqué l'étude du docteur Frachon à l'étranger ?
Docteur Emmanuel Canet . - A l'étranger, peut-être pas, mais le professeur Alpérovitch l'a également critiqué. Nous avons également consulté des experts reconnus en France sur le plan méthodologique et épidémiologique qui eux-mêmes ont émis un certain nombre de réserves. Les résultats de Mme Frachon aboutissent à une multiplication du risque par 17. Ceci aurait dû conduire à un signal extrêmement précoce, alors qu'un risque relatif inférieur à trois peut conduire à des signaux relativement faibles rendant difficile l'identification d'un risque.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - En 2003, en Espagne, un seul cas est signalé et le médicament est retiré.
M. Jean-Philippe Seta . - Il y a une conjonction malheureuse de dates. En février 2003, un article est publié, qui nous est notifié plus tard. En mars 2003, nous prenons la décision, pour des raisons commerciales, de ne pas continuer la commercialisation du médicament. Nous ne nous demandons pas le renouvellement de l'AMM. Je cède la parole à Patricia Maillère pour vous apporter des précisions sur ce point.
Mme Patricia Maillère . - Le produit a été enregistré en Espagne en 1978. Dès 1989, nous avons arrêté la promotion de ce produit dans ce pays. Nous devions nous prononcer sur le renouvellement de l'AMM en 2003. Les patients traités étaient très peu nombreux. L'objectif était de rationaliser l'activité de l'usine espagnole. C'est ce qui a été expliqué à l'Agence espagnole en mars 2003 en lui proposant un non-renouvellement de l'AMM.
M. Jean-Philippe Seta . - La sunset clause qui est automatique aujourd'hui n'existait pas à l'époque. Les régimes de renouvellement étaient alors quinquennaux. Maintenir une AMM vivante nécessite du temps et des ressources.
M. François Autain , président . - Les préoccupations de santé publique doivent toutefois être prises en compte.
M. Jean-Philippe Seta . - Effectivement, à ce titre, nous maintenons sur le marché européen le Vectarion, alors que nous n'en vendons plus que quelques boîtes par an car dans le domaine de la bronchite chronique et de l'hypoxémie, il n'y a pas d'alternative thérapeutique.
M. François Autain , président . - Ceci signifie-t-il que le Mediator n'était pas absolument vital en termes de bénéfices aux patients ?
M. Jean-Philippe Seta . - Il y a une différence entre un médicament utile et un médicament sans alternative. Je vous rappelle que nous avons proposé de maintenir le Mediator sous des conditions restrictives de prescription. C'est bien que nous sommes convaincus de son utilité thérapeutique, en particulier chez les diabétiques intolérants, résistants ou contre-indiqués à la metformine, ou avec une hypertriglycéridémie. Je rappelle que la metformine peut être utilisée chez tous ceux qui ne sont pas intolérants ou résistants. J'ajoute que la glitazone avait à l'époque une place plus importante au sein des guidelines . En Espagne, Suisse et Italie, des pays dans lesquels le produit n'avait pas commercialement réussi, nous avons donc estimé qu'il existait des alternatives thérapeutiques efficaces au benfluorex.
M. François Autain , président . - Quelle a été la situation en Italie ?
Mme Patricia Maillère . - Le produit a été enregistré en Italie en 1980. Rapidement, il n'a plus été promu par notre filiale italienne. L'Agence italienne a, autour des années 2000, décidé de revoir l'efficacité de tous les produits de plus de dix ans, dans le cadre d'un processus de revalidation particulièrement long. Daflon représentant 30 % du chiffre d'affaires de notre filiale, nous lui avons accordé la priorité et nous avons retiré le Mediator du processus de revalidation.
M. François Autain , président . - Sans revenir sur l'ensemble des pays, nous pourrions peut-être revenir sur le cas du Portugal qui a retiré le Mediator quelque peu avant la France.
M. Jean-Philippe Seta . - Le Portugal a retiré le Mediator au même moment que la France, conformément à l'article 107 (retrait dans l'ensemble des pays européens). Le Mediator a formellement été retiré en décembre 2009 par l'Agence européenne.
Mme Patricia Maillère. - Lorsque l'Agence française a décidé en 2009 de suspendre la commercialisation du Mediator en attente des décisions européennes, j'ai rencontré l'Agence portugaise pour leur expliquer la situation. La procédure de retrait avait, en effet, été extrêmement rapide. Les autorités portugaises ont pris leur décision en parallèle des autorités françaises.
M. François Autain , président . - A partir de 2005, seuls les Français ou presque pouvaient bénéficier des services du Mediator.
M. Jean-Philippe Seta . - Et les Portugais.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - L'étude clinique comparative sur douze mois dont un protocole a été adressé à l'Afssaps en février 2001 a-t-elle été réalisée ? Dans le cas contraire, pour quelles raisons ? Quelle est votre réaction par rapport aux affirmations du rapport de l'Igas concernant la multiplication des demandes d'études par les laboratoires Servier auprès de la commission d'AMM et de pharmacovigilance ?
M. Jean-Philippe Seta . - Je précise que pas plus au Portugal qu'en France, les prescriptions hors AMM n'ont été importantes.
M. François Autain , président . - La Cnam avance des chiffres de 30 % par la voix du professeur Allemand.
M. Jean-Philippe Seta . - L'Afssaps en 1998 notait que l'évolution des consommations et des prescriptions au cours de ces dernières années ne permettait pas de mettre en évidence un détournement d'usage de ce médicament. Les prescriptions dans ses indications hors AMM (médicament anti-obésité) sont modestes et surtout ont décru au cours de la période (9 % en 1994, 5,1 % en 1997-1998). Ces éléments sont rappelés dans le rapport Igas (paragraphe 568, annexe 3-48).
Le Thalès, organisme indépendant, repris dans un compte rendu de la Commission nationale de pharmacovigilance de mars 2007, indique qu'en 2004-2005, la part des prescriptions de Mediator concernant les patients obèses est de 11,5 % en 2005-2006, elle est de 10,7 %. Thalès indique en novembre 2010, qu'entre mai 2004 et avril 2009, 11,2 % des prescriptions de Mediator par les médecins généralistes ont été réalisés chez des patients obèses ou en surcharge Pondérale. Dans le rapport d'information de Mme Catherine Lemorton de l'Assemblée nationale du 30 avril 2008, vos collègues députés ont noté que 15 % à 20 % du total des prescriptions de l'ensemble des médicaments en France sont réalisés hors AMM.
M. François Autain , président . - Les chiffres divergent. A certains endroits, ces prescriptions seraient de 50 %.
M. Jean-Philippe Seta . - L'Urcam de Bourgogne avance même le chiffre de 70 %. Dans quelques arrondissements de Paris, des déviations d'usage ont peut-être pu être constatées en lien avec des médecins « régimologues ». Quand on parle du hors AMM, il ne faut pas confondre le hors « remboursement » et le hors « bonne médecine ». Ce n'est peut-être pas de la mauvaise médecine de prescrire à une personne qui présente une obésité androïde avec un syndrome métabolique (hypertension artérielle, triglycérides et cholestérol à la limite) du Glucophage pour prévenir l'apparition d'un diabète et, en son temps, du Mediator ou aujourd'hui une glitazone. Il ne s'agit pas de prescriptions cosmétiques.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Quid des études comparatives et des demandes d'études ?
Mme Patricia Maillère . - Vous voulez sans doute parler de l'étude vs. Acarbose dont nous avions envoyé le protocole en février 2001 aux agences française et italienne. Ceci répondait à une demande correspondant à des critères d'efficacité et de sécurité d'emploi, avec un suivi échocardiographique. Cette étude a été impossible à réaliser.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Par qui le protocole avait-il été défini ?
Mme Patricia Maillère . - Le protocole avait été défini en fonction des demandes de l'Italie et de la France. Il s'agit d'une proposition Servier.
Nous nous sommes aperçus que nous ne pouvions pas réaliser les deux études à la fois du fait de problèmes de disponibilité en matière de patients tels que définis dans les protocoles du fait de difficultés pour disposer de centres échocardiographiques. Nous avons lancé l'étude Moulin 1 vs. placebo qui était une étude d'efficacité. Nous avons réalisé cette étude en 2001-2004. En 2004, nous avons repris le travail pour mettre en place l'étude avec le suivi échocardiographique. Le protocole alors mis en place a permis une évaluation échocardiographique de bien meilleure qualité que celle qui était prévue initialement. L'étude a été réalisée.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Concernant la publication des résultats scientifiques et la communication sur le Mediator, l'Afssaps a interdit une publicité sur le Mediator le présentant comme un traitement de premier rang contre le diabète et non comme un adjuvant. En 2010, la Commission européenne a publié un communiqué dans lequel elle déclare disposer des preuves selon lesquelles Servier a fourni des renseignements inexacts. En 2011, le professeur Bernard Iung a également accusé les laboratoires Servier d'avoir dénaturé la présentation de son étude 2009.
M. Jean-Philippe Seta . - Nous réagissons à l'ensemble des mises en cause du rapport de l'Igas. Depuis le 15 novembre, je travaille beaucoup et je me demande si je n'ai pas failli ou si quelqu'un aurait pu faire mieux. Nous pouvons avoir des nuances et engager des discussions sur les rapports Frachon ou l'étude Tribouilloy, mais nous ne remettons pas en cause leurs résultats. Nous remettons en revanche fondamentalement en cause le rapport de l'Igas. Est-il logique qu'un inspecteur général de l'Igas qui vient de travailler pendant deux ans dans une agence au service de l'ensemble des firmes multinationales anglo-saxonnes soit chargé de ce rapport ? Le chef de mission, M. Aquilino Morelle a en effet travaillé pendant deux ans au sein de l'agence EuroRSCG Life dont les clients étaient les grandes multinationales anglo-saxonnes qui souhaitent notre disparition.
M. François Autain , président . - Y a-t-il d'autres conflits d'intérêts de ce type ?
M. Jean-Philippe Seta . - Non, les dénonciations anonymes à des journalistes me paraissent du reste tout à fait choquantes.
C'est la première fois que je vois dans un rapport de l'Igas des termes tels que « enfumage » ou « rouler dans la farine ». Est-ce le langage d'un rapport administratif ?
M. François Autain , président . - Ces propos entre guillemets sont prêtés à des anonymes.
M. Jean-Philippe Seta . - Vous l'avez dit. Il est regrettable que ces propos ne soient pas sourcés.
A ma connaissance, aucun salarié honoré ou contractuel de Servier n'a jamais exercé de pression sur quiconque. C'est contraire à notre code d'éthique.
M. François Autain , président . - M. Abenhaïm a parlé de « cercueil ».
M. Jean-Philippe Seta . - Je crois que M. Abenhaïm a précisé que ce n'était arrivé que sur le territoire américain. Or, le Groupe Servier n'est pas présent aux Etats-Unis, même si on peut toujours penser que tout reste possible.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Par rapport aux conflits d'intérêts, y a-t-il des appétits financiers ou économiques pour que Servier parte dans d'autres mains ?
M. Jean-Philippe Seta . - Je rappelle que ce médicament a été retiré du marché français en novembre 2009. Un an plus tard, une campagne médiatique se déchaîne. Une conférence de presse est prévue le 16 novembre, avec des fuites à la presse la veille. La France est le cinquième marché mondial de la pharmacie. Pour l'ensemble des groupes anglo-saxons, c'est leur deuxième filiale dans le monde. Pourquoi l'Allemagne et le Japon ont-ils mieux protégé leur marché ? Le Groupe Servier, qui n'est que le vingt-deuxième groupe pharmaceutique dans le monde, réussit particulièrement bien sur les marchés émergents, avec une deuxième position mondiale sur l'ensemble des pays de l'ex-bloc de l'Est. Nous connaissons une croissance forte au Brésil, en Russie, en Chine ou en Inde. Avec la réforme Obama, depuis que le marché américain est passé de 51 % à 41 % du marché mondial, les laboratoires Servier dérangent davantage. Sans éluder notre responsabilité, considérer cette affaire comme la plus grande affaire mondiale de pharmacovigilance est certainement excessif. J'ai du mal à penser que ce ne soit qu'une coïncidence. Je n'ai évidemment aucune preuve. Je n'ai qu'un faisceau d'indices et qu'une intime conviction.
M. François Autain , président . - Il ne faut peut-être pas sombrer, ni d'un côté ni de l'autre, dans la théorie du complot.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Pouvez-vous nous parler de la place des laboratoires dans la formation initiale et continue des médecins ? Est-elle excessive ?
M. Jean-Philippe Seta . - La place des laboratoires me paraît extrêmement limitée dans la formation initiale. A part les préparations privées au concours d'internat, je ne vois pas d'autre élément de participation à la formation initiale des médecins.
La formation continue constitue un problème plus vaste. Le doyen Even a noté qu'il n'y avait pas suffisamment de formation initiale à la pharmacologie dans les études de médecine. Il n'a pourtant pas augmenté le nombre d'heures de formation lorsqu'il était doyen à la faculté de Necker. Les doyens ont pourtant la possibilité d'agir sur le programme pédagogique bien davantage que les laboratoires pharmaceutiques. L'industrie participe aujourd'hui sans doute trop au financement de la formation médicale continue. Il faut, sur ce point, prévoir des alternatives. Il faut des fonds et des ressources. La France a encore des médecins exceptionnels. Je regrette d'ailleurs que la confiance s'effrite. Les médecins français font de la formation soit sur leurs temps de loisirs, soit sur leur temps familial, en perdant des revenus, car ils ne sont généralement pas rémunérés.
M. François Autain , président . - L'assurance maladie les rémunère.
M. Jean-Philippe Seta . - Il faudrait alors augmenter la part de l'assurance maladie dans la formation. Pour une bonne médecine coût-efficacité, nos médecins doivent être chaque jour mieux formés. Diminuer la part de l'industrie dans la formation médicale continue devra s'accompagner de la création d'alternatives de droit public, qu'il s'agisse des régions, des départements ou des caisses nationales et régionales d'assurance maladie. Lorsque nous avons terminé nos études, un tiers des connaissances se renouvelait tous les dix ans. Aujourd'hui, 50 % des connaissances d'un médecin se renouvellent en trois ans. En absence de formation continue, on aboutit à de la mauvaise médecine en cinq ou six ans, pas plus. La formation médicale continue est un coût pour les laboratoires pharmaceutiques. Ils seraient sans doute ravis que la loi les en exonère.
M. Gilbert Barbier . - En 1976, lorsque ce produit a été mis sur le marché, à partir de quel moment avez-vous noté ses effets amphétaminiques et anorexigènes ? Vous avez évoqué la responsabilité des médecins prescripteurs dans le mésusage en citant quelques localisations géographiques. Avez-vous des statistiques à nous donner sur des médecins qui pourraient concentrer une part importante de prescriptions ? Comment expliquer l'ASMR qui situait ce produit comme un adjuvant des hypertriglycéridémies ?
M. Jean-Philippe Seta . - C'est une question centrale. Le Mediator est un médicament qui possède en commun avec l'amphétamine le noyau 2 phényléthylamine, comme l'adrénaline, la dopamine, la dobutamine, le salbutamol anti-asthmatique ou encore le méthylphénidate (Ritaline). Le poids moléculaire est de 351,4 pour le benfluorex contre 135,2 pour l'amphétamine, soit 2,6 fois plus. La différence s'explique par les trois molécules de fluor. L'amphétamine a pour formule C9H13N, le benfluorex C19H20F3NO2. Le nombre de molécules est 2,6 fois plus important. La théophylline (antiasthmatique) a exactement la même formule que la théobromine qui est le composant du chocolat avec seulement une isomérie de position sur un radical méthyl. Certains sulfamides, avec des formules deux fois plus proches que le benfluorex et l'amphétamine, sont antibactériens ; d'autres hypoglycémiants ; d'autres encore diurétiques. L'effet secondaire principal des sulfamides diurétiques est l'augmentation de la glycémie. Avec la même formule, un sulfamide diminuera la glycémie ; un autre l'augmentera. L'idée de l'analogie structurale me paraît donc à exclure, d'autant plus avec une différence de 2,6 fois en terme de poids moléculaire.
La fenfluramine stricto sensu est-elle anorexigène ? Le poids moléculaire du benfluorex en diffère de 70 %. Dans le cas de la fenfluramine, contrairement à ce qu'affirme le rapport de l'Igas, ce n'est pas la norfenfluramine seule qui est efficace. Le principe actif inchangé représente la majorité du circulant ; la norfenfluramine en représente 40 %. Une pro-drug est un médicament dans lequel le principe actif inchangé est inactif et seul le métabolite est actif. C'est le cas des inhibiteurs de l'enzyme de conversion. Ce n'est pas le cas des fenfluramines ni du benfluorex. Le bilan métabolique du benfluorex fait apparaître seulement 7 % de norfenfluramine. Le benfluorex inchangé est actif au niveau du foie. Le métabolite principal 1575 est actif au niveau du foie. Le métabolite secondaire 422 est actif. La norfenfluramine ne représente que 7 % du bilan métabolique du produit. La fenfluramine et la dexfenfluramine sont des anorexigènes, c'est-à-dire que ce sont des médicaments qui font perdre du poids en diminuant la prise alimentaire, ce qui n'est pas le cas du benfluorex.
M. François Autain , président . - Bien qu'ils n'aient pas d'élément clé en « orex ».
M. Jean-Philippe Seta . - A part l'aminorex, je crois qu'il n'y avait pas d'autres anorexigènes présentant « orex » dans sa DCI, jusqu'en 1997, date où ils ont été retirés du marché.
Un médicament de la perte de poids peut diminuer la prise alimentaire (amphétaminiques, amphétamine et fenfluramine). Aux doses thérapeutiques utilisées chez l'homme (450 mg par jour), le benfluorex ne fait perdre que très peu de poids. Au bout d'un an, dans des études contrôlées contre placebo, la perte est en effet de 1,6 kg.
M. François Autain , président . - A cette dose-là, on retrouve dans le sang la même dose de norfenfluramine que lorsque l'on administre des fenfluramines. On peut donc considérer que le benfluorex est un anorexigène.
M. Jean-Philippe Seta . - Le médicament ne peut être réduit à ces 7 %.
M. Gilbert Barbier . - Vous avez dû vous rendre compte que ce médicament était utilisé en tant qu'anorexigène depuis 1976.
M. François Autain , président . - Pourquoi ce médicament a-t-il été utilisé comme coupe-faim alors que ce n'était pas un anorexigène ?
M. Jean-Philippe Seta . - Savez-vous quel est le pourcentage des prescriptions de metformine dans l'obésité ?
Lorsque l'ensemble des anorexigènes ont été retirés du marché, l'Afssaps a bien noté qu'il n'y avait pas eu d'augmentation des prescriptions hors AMM.
Mme Marie-Christine Blandin . - Lors du retrait des anorexigènes au motif des risques engendrés par la norfenfluramine, votre Laboratoire ne s'interroge-t-il pas sur ces 7 % ? Dans les autres produits retirés, Pondéral et Isoméride, quel était le pourcentage ? Avez-vous par ailleurs l'assurance du message passé par vos visiteurs médicaux ?
M. Jean-Philippe Seta . - Le retrait est intervenu en septembre 1997. Il n'est pas réalisé pour la norfenfluramine à l'époque. Il s'explique par des cas de valvulopathies aux Etats-Unis. Il n'y en a alors pas en Europe. Nous croyons à l'époque que c'est parce qu'aux Etats-Unis un amphétaminique, la phentermine, est souvent associé. Cette association montre d'ailleurs bien que les fenfluramines ne sont pas des amphétaminiques. La première publication date de 2000, la seconde de 2004. La certitude est seulement acquise en 2008 que les médicaments qui donnent des valvulopathies ne sont pas seulement la fenfluramine, le benfluorex, mais aussi le pergolide, le méthysergide, l'ergotamine. C'est parce qu'ils agissent sur le récepteur sérotoninergique 5-HT2B. En 1976, on ne savait pas que ce récepteur existait.
Quant à nos visiteurs médicaux, je suis certain des directives données. Je tiens à la disposition de la commission les copies des directives données à partir de 1997. Nous avons écrit tous les quatre mois à nos visiteurs pour leur rappeler le cadre strict des indications. Je tiens à votre disposition tous les courriers que nous avons envoyés aux médecins. Nous avons toujours insisté sur le fait que le Mediator n'était pas un médicament de la perte de poids et qu'il n'était d'ailleurs que très peu efficace à cet effet. Nous avons écrit que ses indications étaient strictement validées par l'AMM.
Mme Janine Rozier . - Les laboratoires Servier sont implantés dans le Loiret. Chez nous, l'aura de Servier est indéniable et je souhaite en témoigner. Le souci de faire partager les découvertes, et notamment tout récemment en matière de médicaments ciblés, est saisissant et reconnu. Les habitants saluent l'honnêteté et le charisme de M. Servier et de ses collaborateurs. Pour ma part, je ne veux pas croire à une défaillance quelconque de leur part, et encore moins à une malhonnêteté. Par la voix de Mme Vincent, Servier a fait savoir qu'il ferait face à ses responsabilités si quoi que ce soit était prouvé.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe . - Vous avez plaidé avec talent et brio. Néanmoins, vous affirmez qu'il n'y a que moins de 10 % de ce médicament qui a été utilisé en dehors des prescriptions AMM. Des médecins qui soignaient le diabète en toute bonne foi ont pourtant prescrit le Mediator comme coupe-faim pour des patients obèses. C'est donc bien qu'il a été indiqué quelque part, soit par les visiteurs médicaux, soit dans la presse médicale, que le Mediator était un anorexigène. Le pourcentage est nécessairement supérieur.
M. Jean-Philippe Seta . - Je ne le nie pas. J'ai cité les statistiques de l'Afssaps et de Thalès. Dans nos mesures, que nous réalisons avec nos moyens, nous avons estimé aux alentours de 20 % les prescriptions hors du diabète stricto sensu ALD. Il y a une différence entre une prescription de ce médicament pour un très fort surpoids et une prescription de type cosmétique. Lorsqu'un diabétique est très obèse et montre des signes d'insulino-résistance, avec l'association d'une hypertriglycéridémie et un syndrome métabolique, l'idée d'utiliser un médicament de l'insulino-résistance avec un léger effet sur le poids n'est pas à rejeter. L'effet n'est pas anorexigène. La perte de poids sous Mediator est équivalente à la perte de poids sous metformine. C'est par un effet au niveau du foie, du muscle et de l'adipocyte qu'il y a une augmentation de la consommation de glucose et pas par une diminution de la prise alimentaire.
Docteur Emmanuel Canet . - Les deux derniers grands essais cliniques multicentriques randomisés en double aveugle montrent une perte de poids dans une population de diabétiques de 1,6 kg après dix-huit semaines de traitement et de 1,7 kg après douze mois de traitement (étude Regulate ). La perte de poids est tout à fait mineure et équivalente à celle des comparateurs, excepté pour les pioglitazones qui font prendre du poids.
M. Gilbert Barbier . - Les laboratoires Servier considèrent qu'il y aurait moins d'une quarantaine de décès imputables au Mediator. Quels sont les critères retenus ? Quel est actuellement le suivi des patients qui ont pris du Mediator il y a quelques années ?
M. Jean-Philippe Seta . - Je ne voudrais pas que l'on donne l'impression d'être dans une comptabilité sordide des chiffres. Tout mort est un mort de trop. Nous ne nions pas l'existence d'un sur-risque sous ce médicament. L'étude Regulate le démontre. Les valvulopathies sont accrues sous Mediator. Or, lorsqu'elles sont sévères, elles amènent à des actes chirurgicaux qui peuvent se compliquer de décès. Après trois mois d'un déferlement médiatique sans précédent, trente-huit morts sont notifiés sous Mediator dans l'ensemble des bases de données mondiales. Certaines ne sont pas attribuables à Mediator. Un patient est mort dans un tableau de choc septique, en réanimation de service de cancérologie, un autre a fait une hémorragie grave à la suite d'un traitement thrombolytique à trop forte dose, un autre a fait une occlusion intestinale. Sur ces trente-huit morts, quatre étaient porteurs d'une valvulopathie. Même si la causalité n'est pas encore démontrée, ces quatre morts font bien partie du tableau « complications cardiaques du médicament ». C'est relativement peu d'autant plus qu'un tel phénomène médiatique a augmenté le nombre de notifications de manière extraordinaire. J'ajoute que le chiffre de trente-huit n'est pas issu de nos calculs mais des bases de données mondiales. C'est ce qui nous choque dans cette polémique. On parle d'extrapolations et de calculs mathématiques sur la base de ratios extrêmement théoriques. Certains ont même dit que l'affaire du Mediator était plus grave que le sang contaminé. L'hormone de croissance a fait 120 décès, c'est-à-dire qu'il y a 120 certificats de décès. A ce jour, sous Mediator, il y a trente-huit certificats de décès dans le monde entier, dont aujourd'hui seulement quatre sont attribuables au médicament.
M. François Autain , président . - Nous sommes dans l'impossibilité de poursuivre, d'autres auditions étant prévues. Nous recevrons toutefois très prochainement le président Servier. Merci Monsieur Seta.
M. Jean-Philippe Seta . - Je souhaiterais vous remercier de nous avoir donné l'occasion de nous exprimer.
Audition de M. Eric ABADIE, conseiller scientifique auprès du directeur général de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (mardi 8 mars 2011)
M. François Autain , président . - L'audition est ouverte à la presse et fait l'objet d'un enregistrement audiovisuel en vue de sa diffusion sur le site Internet du Sénat et sur Public Sénat. Il me revient en application de l'article L. 4113-13 du code de la santé publique, de vous demander si vous avez des liens avec des entreprises produisant ou exploitant des produits de santé ou avec des organismes de conseil intervenant sur ces produits.
M. Eric Abadie, conseiller scientifique auprès du directeur général de l'Afssaps . - Je n'ai pas de tel lien.
M. François Autain , président . - Pouvez-vous nous rappeler le déroulement de votre carrière quelque peu atypique ?
M. Eric Abadie . - Après mon cursus hospitalier universitaire, j'ai travaillé au Syndicat national de l'industrie pharmaceutique où j'ai été une sorte de messager entre la Direction de la pharmacie et du médicament et l'industrie. A ce titre, j'étais ou membre ou expert de l'ensemble des commissions du médicament (l'AMM, la transparence, la pharmacovigilance, les stupéfiants et psychotropes). J'y ai passé huit années, particulièrement riches en contacts et intéressantes au plan scientifique. J'ai ensuite passé quelques mois au sein des laboratoires Wellcom, puis j'ai rejoint l'Agence du médicament qui venait d'être créée en 1994. Le professeur Alexandre m'avait donné la définition de mission suivante : l'Europe, les rapports d'évaluation, l'évaluation interne, c'est-à-dire la formation des jeunes évaluateurs afin de mettre en place une évaluation interne de bon niveau. En 2001, je suis élu vice-président du comité des médicaments à usage humain (CHMP). En 2007, je suis élu président de ce même comité et réélu en 2010.
En juin 2007, j'avais demandé à mon directeur général de ne pas exercer de fonctions opérationnelles (en tant que responsable du pré-AMM) si jamais j'étais élu à la commission d'AMM européenne. Il en avait pris acte et m'avait indiqué qu'il me nommerait dans ce cas conseiller scientifique auprès de lui. C'est donc le poste auquel j'ai été nommé après mon élection. En l'espace de quatre ans, je n'ai toutefois donné aucun conseil à mon directeur général ; il ne me l'a du reste pas demandé. J'ai été quasiment à plein temps sur les dossiers européens.
M. François Autain , président . - En 2002, la DIA ( Drug Information Association ) vous a distingué.
M. Eric Abadie . - C'est une association d'industriels et de régulateurs. Les principaux régulateurs sont membres du Board of directors . Je n'en fais pas partie, je tiens à le préciser. La DIA organise des congrès. Je me rends d'ailleurs à la fin du mois de mars au Congrès de Genève. La fonction d'un président de CHMP est également de communiquer sur les actions menées. Or, la DIA est un forum permettant de toucher un grand nombre d'acteurs.
M. François Autain , président . - La présence d'une personne chargée de la police de la santé à un forum organisé par l'industrie pharmaceutique pourrait comporter un certain risque de conflit d'intérêts.
Vous avez reçu une distinction de la DIA pour « services exceptionnels » rendus à l'industrie pharmaceutique alors que vous étiez à l'Afssaps depuis huit ans. Ce délai peut interpeller.
M. Eric Abadie . - Toutes les agences ont essentiellement deux fonctions : protéger la santé publique (pharmacovigilance) et faciliter l'innovation en participant à des réunions de concertation avec l'industrie pharmaceutique pour l'aider à développer de nouveaux médicaments. Pour les réelles innovations, les industriels sont en effet confrontés à des choix difficiles s'agissant des populations cibles, de la durée d'études et du nombre de patients au sein de la base de données de sécurité. Toutes les agences sont alors consultées.
M. François Autain , président . - C'est l'inverse qui me paraît critiquable.
M. Eric Abadie . - Les agences ne vont pas voir les industriels pour leur donner des avis scientifiques. Les politiques et les associations sont également présents au forum de la DIA, qui est un véritable forum international. L'objectif est d'améliorer la transparence de nos actions. Nous cherchons à expliquer ce que nous faisons. Outre la DIA, nous participons également à des universités d'été qui sont fréquentées par les ministres. Ne vous méprenez pas, c'est un vrai travail. Nous préparons du reste avec grand soin nos présentations.
M. François Autain , président . - Le Commissaire européen est également présent. Ce n'est pas pour autant que personnellement je me réjouisse d'une telle connexion.
M. Eric Abadie . - Je ne suis pas certain que ce soit le terme approprié. Les personnes discutent entre elles, ce qui me paraît sain.
M. François Autain , président . - Le rapport de l'Igas a souligné que l'Afssaps était « structurellement et culturellement » en position de conflit d'intérêts. Je m'aperçois que ce constat n'est pas très éloigné de la réalité. Je pense qu'il faudrait peut-être à l'avenir établir une distinction plus franche.
M. Eric Abadie . - Il faudrait que vous nous disiez comment.
M. François Autain , président . - Nous ferons des propositions d'ici quelques mois. Vous avez la possibilité de faire une présentation liminaire si vous le souhaitez.
M. Eric Abadie . - Je souhaite en priorité répondre à l'ensemble des questions qui vont m'être posées.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Avez-vous eu la possibilité de bénéficier d'une procédure contradictoire dans le cadre du rapport de l'Igas ?
M. Eric Abadie . - Le rapport de l'Igas est un travail analytique extrêmement conséquent, même si je ne partage pas l'ensemble des positions prises. Je crois que mon directeur général s'est ouvert de certains points au directeur de l'Igas. Cela ne portait pas sur des éléments factuels mais plutôt sur des interprétations.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Quand et comment avez-vous été informé pour la première fois des effets du Mediator ?
M. Eric Abadie . - Je ne suis pas pharmacologue. Pour moi, ce produit présente une analogie structurale évidente avec les fenfluramines. C'était du reste ce qu'a écrit le professeur Garattini au CHMP. Le benfluorex est un hypolipémiant qui présente une analogie structurale avec la fenfluramine qui est un anorexigène. Le CHMP est sollicité en octobre 1998 et examine la lettre de du professeur Garattini. Je crois que nous avons évoqué la possibilité d'inclure le benfluorex dans l'arbitrage fenfluraminique. Nous y avons renoncé car l'indication n'était pas la même et que le produit était présenté comme un hypolipémiant. En outre, il y avait peu ou pas de cas. Le président de l'époque a demandé au groupe pharmacovigilance d'étayer le dossier avant de déclencher la procédure dite de l'« article 12 », c'est-à-dire une saisine officielle du comité pour des motifs d'intérêts communautaires de pharmacovigilance. Le CHMP n'a malheureusement plus revu le dossier.
Ce groupe pharmacovigilance a une fonction duale. Lorsqu'il s'occupe des problèmes de pharmacovigilance des procédures centralisées, il en réfère formellement au CHMP. Lorsqu'il traite des problèmes de pharmacovigilance des AMM nationales, ce qui était le cas du Mediator, il est un forum informel de discussion entre Etats membres. Soit l'on considère qu'il y a suffisamment de matériel pour saisir le CHMP via l'article 12, soit il est demandé à l'industriel de modifier son résumé des caractéristiques du produit qui figurent dans sa fiche au Vidal. C'est ce qui s'est fait. Le rapporteur italien a proposé deux options : le déclenchement de l'article 12 et l'envoi d'une liste de questions.
En mars 1999, le groupe pharmacovigilance ne voit pas de problème de bénéfices-risques. A la fin de l'année 1999, il décide de « jouer la carte nationale », en posant à Servier une liste de questions. J'ai signé cette lettre davantage en tant que responsable de l'Afssaps qu'en tant que membre français du CHMP. J'ai demandé à la firme de nous fournir des données d'efficacité clinique sur la glycémie sur une période de six à douze mois et des données échocardiographiques. Ce projet a été pris en charge par la pharmacovigilance de l'Afssaps. Servier a fait deux propositions d'études, une étude sur les glycémies et une étude sur les échocardiographies.
Fin 2000, une réunion a été organisée entre Servier et les rapporteurs français et italien qui se sont mis d'accord sur un protocole. Le protocole comprenant deux critères (glycémique et échocardiographique) a été validé par les responsables des centres régionaux de pharmacovigilance (CRPV) de Besançon et de Lille en septembre 2001. Cette étude, et notamment l'étude cardiographique, n'a toutefois vu le jour que beaucoup plus tard. Je n'ai pas d'explication sur ce point. Si ce problème avait été référé au niveau du CHMP, je ne sais pas si la décision aurait été différente, mais les délais auraient été toutefois respectés. A l'époque, nous ne donnions pas de délais, ce qui n'est aujourd'hui pas concevable.
M. François Autain , président . - Y a-t-il des sanctions en cas de non-respect des délais ?
M. Eric Abadie . - Oui, sont désormais prévues des pénalités financières, même si elles n'ont pas encore été appliquées. Lorsqu'un laboratoire fournit ses données avec retard, il fournit aujourd'hui systématiquement des explications.
M. François Autain , président . - Vous semblez très bienveillant à l'égard des laboratoires.
M. Eric Abadie . - Je ne le pense pas.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Le rapport de l'Igas relève la place décisive des communautés scientifiques et médicales dans la construction de décisions publiques. Toutes les décisions prises au sein de l'Agence sont préparées par des experts qui rendent leur avis. Or, de très graves défaillances, pour certaines incompréhensibles, ont été relevées par ce rapport. Comment expliquez-vous les failles dans l'expertise scientifique du Mediator ? Comment se fait-il qu'à ce jour deux femmes ont été sanctionnées ? C'était un point que je voulais signaler à l'occasion de la Journée de la femme.
M. Eric Abadie . - Le départ d'Anne Castot et de Carmen Kreft-Jaïs sera sans nul doute un coup dur pour la pharmacovigilance européenne.
Les défaillances consistent en un manque de réactivité dans les années 2000 au niveau des comités techniques et nationaux de pharmacovigilance. Je ne considère pas que la pharmacovigilance est responsable et que le pré-AMM ne l'est pas. Le système a failli dans son ensemble. Pour autant, le manque de réactivité des instances du post-AMM paraît évident à la lecture du rapport de l'Igas. En tant que responsable jusqu'à 2007 du pré-AMM, je ne peux pas vous en dire beaucoup plus. Je ne participais pas aux comités techniques et aux commissions nationales de pharmacovigilance. En 2005, la Commission nationale demande une réévaluation du rapport bénéfices-risques du Mediator. Il ne se passe rien au niveau de la commission de l'AMM. En 2007, le même souhait est prononcé par la Commission nationale de pharmacovigilance et la commission de l'AMM ne va pas dans ce sens. Au regard de ces événements, l'intégration me paraît indispensable, que ce soit au niveau interne ou au niveau européen. La commission de pharmacovigilance et la commission de l'AMM n'ont peut-être pas suffisamment dialogué. Je suis partisan de la création d'une seule commission d'évaluation du rapport bénéfices-risques.
M. François Autain , président . - Cela signifie-t-il que vous êtes favorable à l'intégration de la Commission nationale de pharmacovigilance à la commission AMM ?
M. Eric Abadie . - Je suis surpris qu'en 2007, il y ait eu un tel manque de communication entre les deux commissions.
Mme Marie-Thérèse Hermange , président . - Estimez-vous que l'étude faite par Mme Frachon a été conduite avec des données-sources exemplaires ?
M. Eric Abadie . - Je ne peux pas vous répondre. L'étude de Mme Frachon a servi de catalyseur et de lanceur d'alerte. Mme Frachon a fait remarquablement avec les « moyens du bord ».
M. François Autain , président . - A-t-elle fait ce qu'aurait dû faire l'Afssaps ?
M. Eric Abadie . - Elle a fait ce qu'aurait dû faire l'Afssaps plus tôt. L'étude échocardiographique aurait pu nous montrer une différence dans l'incidence des valvulopathies.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Avez-vous lu les études Frachon ou Alpérovitch ?
M. Eric Abadie . - Non, je suis incapable de juger ces études. Je suis davantage intéressé par l'imputabilité, c'est-à-dire les données médicales.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Pensez-vous qu'il soit important de développer une expertise indépendante des laboratoires ?
M. Eric Abadie . - Il est très difficile d'avoir des experts indépendants compétents dans le domaine concerné. En tant que président d'un comité de fonctionnaires, qui n'ont pas de conflits d'intérêts, j'ai beaucoup de chance. Les experts externes européens ont tous des conflits d'intérêts. J'essaye de les solliciter le moins possible en faisant le travail en interne. Je réserve les groupes d'experts aux cas les plus difficiles. Les experts doivent conseiller mais ne pas se prononcer sur le rapport bénéfices-risques, le CHMP étant décideur sur ce point.
L'expertise externe est une tradition en France. Jusqu'aux années 2000, je faisais l'apologie du système français. Je n'étais pas le seul. Jean-Michel Alexandre et Marcel Legrain étaient également partisans de ce système. J'ai changé d'avis à l'examen des systèmes européens. Les évaluations internes réalisées sont relativement satisfaisantes, surtout pour des médicaments déjà connus. En cas de difficulté, des groupes d'experts externes peuvent toujours être sollicités. Dans ce cas, il faut trouver des experts indépendants, compétents et qui n'ont pas de conflits d'intérêts. J'ai tout récemment reçu deux lettres d'injures d'industriels pour deux molécules différentes. Le premier industriel estimait que mon scientific advisory group (SAG) était peuplé de personnes incompétentes. Le même jour, un autre laboratoire notait qu'un membre d'un SAG avait un conflit d'intérêts avec son compétiteur. Ces situations sont loin d'être faciles.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - L'Etat s'est-il trop désengagé du financement de l'Afssaps ?
M. Eric Abadie . - Les deux plus belles agences européennes, l'agence anglaise et l'agence suédoise, sont entièrement financées par l'industrie pharmaceutique. Le mode de financement joue-t-il ? Il s'agit, à mon sens, d'un impôt payé par les firmes qui n'a rien à voir avec la décision qui sera donnée. Davantage d'évaluateurs compétents et de bon niveau serait positif, et ce, quelle que soit l'origine du financement.
M. Gilbert Barbier . - En octobre 2002, les laboratoires Servier ont demandé une nouvelle étude de la fiche de prescription du Mediator. L'Afssaps a réexaminé le dossier. Cela n'a pourtant pas été l'occasion de rappeler à Servier qu'il devait fournir une étude.
M. Eric Abadie . - Le suivi du projet Mediator a été assuré par la pharmacovigilance. Je ne vois pas pourquoi le pré-AMM aurait doublé la pharmacovigilance. Pour autant, un certain nombre d'effets secondaires (neurologiques, allergiques et cardio-vasculaires) devaient être inclus dans la fiche Vidal.
M. François Autain , président . - Cela n'a jamais figuré dans cette fiche.
M. Eric Abadie . - Dans notre système, les demandes de modifications de l'information (ou DMI) sont gérées par le post-AMM avec les centres régionaux de pharmacovigilance. Le résultat de leurs discussions est soumis en commission d'AMM pour finalisation. Lorsque les modifications sont relativement mineures, il n'y a pas de passage en commission plénière. Dans les années 2000, le groupe d'évaluation interne (GEI) examinait toutes les « petites » modifications de résumés de caractéristiques du produit, notamment les DMI traitées par la pharmacovigilance. Le président de la commission d'AMM, le professeur Charles Caulin, présidait ce GEI. Lorsqu'il est parti, j'en ai pris la présidence.
En 2003, le groupe pharmacovigilance a été amené par le biais d'un infofax à connaître la suspension de l'autorisation de mise sur le marché à l'initiative de la firme pour une valvulopathie en Espagne.
M. François Autain , président . - La firme indique que cette suspension s'explique par des raisons commerciales.
M. Eric Abadie . - La valvulopathie a « facilité », à mon sens, le retrait pour raisons commerciales. S'est récemment produit la même chose avec le Thelin des laboratoires Pfizer qui a été retiré par le laboratoire lui-même après deux cas d'hépatites graves. Si ce médicament avait eu un marché gigantesque, la firme se serait sans doute battue pour le conserver. La décision espagnole a été prise à la suite d'une publication d'un cas de valvulopathie espagnole et a été suivie par une suspension du Mediator par la firme en Italie. Il est regrettable que l'article 12 n'ait pas pu être déclenché à ce moment-là. Après 2005, il aurait été déclenché de manière automatique.
M. François Autain , président . - Qui est responsable de ce non-déclenchement ?
M. Eric Abadie . - Les Etats membres concernés ont fait preuve de peu de réactivité.
M. François Autain , président . - Ni la France, ni l'Espagne, ni l'Italie n'ont déclenché cet article.
Mme Marie-Christine Blandin . - Quel est le rythme d'actualisation des déclarations d'intérêts ? Les avis sont-ils pris par consensus ou par vote ? Les avis divergents sont-ils consignés et/ou publics ? Les experts ayant un conflit d'intérêts sortent-ils au moment de la délibération ?
M. Eric Abadie . - Je signe une déclaration d'intérêts à l'EMA tous les ans. Cette obligation est strictement respectée. Je participe au comité. Il n'y a pas de conflit d'intérêts puisque le comité est composé de fonctionnaires.
M. François Autain , président . - Le professeur Lechat a fait une déclaration inexacte en omettant de signaler ses liens avec Sanofi-Aventis au moment où il a été nommé corapporteur d'une mission chargée d'analyser les raisons de la crise des héparines survenue en 2008. Il estimait que c'était la Société française de cardiologie qui le finançait. Le contrôle doit encore, à mon sens, être amélioré.
M. Eric Abadie . - Il s'agit d'un système déclaratif à l'anglo-saxonne.
S'agissant du vote, dans 60 ou 70 % des cas, il y a consensus. Dans environ 30 % des cas, nous procédons à un vote. Les divergences figurent dans le rapport avec le nom des personnes qui les ont exprimées. L'une d'entre elles explique leur position de manière écrite. Chaque divergent signe. Les noms de chacun ne figurent peut-être pas alors dans l'EPAR ( European public assessment report ) publié sur Internet, mais les divergences sont signalées en conclusion.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Avez-vous eu des alertes depuis 2005 sur la base de l'article 12 ? Sur quels types de médicaments ? J'ai en tête le RU 486. Certaines alertes sont-elles tues ?
M. Eric Abadie . - Je ne peux pas l'imaginer. Toute alerte doit faire l'objet d'une saisine du CHMP depuis 2005 en lien avec l'article 107. Avant 2005, il n'y avait que l'obligation d'informer. Depuis, l'arbitrage est systématique.
L'article 31 de la directive 2001/83/CE qui a repris la procédure susmentionnée de l'article 12 a été déclenché à plusieurs reprises. Concernant le nimésulide (Nexen), le CHMP se positionnera au mois de mai 2011. Doivent également être signalés le trasylol, l'acide tranexamique dans les saignements post-opératoires cardio-vasculaires, ou encore les antidépresseurs et leur utilisation chez l'enfant.
L'article 31 comme l'article 12 précédemment impose plusieurs rapports d'évaluation et plusieurs explications orales. Une firme a en effet le droit d'être entendue avant l'avis final.
M. François Autain , président . - En l'absence d'autres questions, nous vous remercions.
Audition de MM. Frédéric VAN ROEKEGHEM, directeur général et Hubert ALLEMAND, médecin-conseil national, de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (Cnam) (mardi 8 mars 2011)
M. François Autain , président. - L'audition est publique et enregistrée en vue de sa diffusion sur le site Internet du Sénat et sur Public Sénat. Je ne pense pas qu'il soit nécessaire d'aborder vos liens d'intérêts car je connais par avance la réponse. Vous pouvez faire une intervention liminaire ou si vous le préférez, nous pouvons directement passer aux questions.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Le Mediator a fait l'objet de plusieurs demandes de déremboursement au cours des années 1990 et 2000. La faiblesse des indications de ce médicament aurait pu conduire à s'interroger sur le nombre de prescriptions et sur leurs motifs. Cela a-t-il été le cas ? Vous avez annoncé que la sécurité sociale ferait valoir ses droits dans les procédures qui seraient intentées par les victimes du Mediator. Où en êtes-vous dans vos démarches et à combien estimez-vous le préjudice financier ? Nous avons, par ailleurs, des chiffres contradictoires sur les prescriptions hors AMM. Pouvez-vous nous fournir vos éléments ?
M. Frédéric Van Roekeghem, directeur général de la Cnam . - Le rapport de l'Igas est très précis quant à l'analyse des différentes indications et des conditions de l'AMM. Nous avons mené au sein de l'assurance maladie dans les années 1998 un ensemble d'études, pas seulement en Bourgogne, à la suite des publications parues notamment dans le journal Prescrire . A l'époque, il s'agissait avant tout de mesurer le respect des conditions de remboursement et non d'évaluer le rapport bénéfices-risques. Le professeur Allemand avait tiré la sonnette d'alarme face à cette situation en s'interrogeant sur la structure amphétaminique de ce produit, dont il est apparu ultérieurement qu'elle pouvait être un précurseur de la norfenfluramine, composant très anorexigène. Les suspicions ont été portées à la connaissance des pouvoirs publics, y compris du directeur général de la santé de l'époque. Ces éléments n'ont pas été jugés suffisamment convaincants. Au cours des contrôles, les praticiens-conseils qui constataient des prescriptions décalées des conditions de remboursement pouvaient déférer les médecins contrôlés devant le Conseil de l'Ordre pour manquement aux règles déontologiques ou de facturation, ce qui a été fait pour un certain nombre de cas. Il n'appartenait pas à l'assurance maladie de prendre des décisions qui ne lui incombaient pas.
S'agissant de l'action en justice, notre analyse s'est, en premier lieu, concentrée sur la situation du droit en matière de recours contre tiers qui est imputable à l'assurance maladie. Il s'avère que ces demandes peuvent se réaliser dans un environnement législatif relativement contraint. Dans le cadre des contentieux, l'assurance maladie peut être appelée à la cause par les juges. Cependant, dans le cas d'accord amiable, la déclaration de l'accord est obligatoire auprès de la Caisse. Si elle n'est pas faite, cette absence de déclaration n'est pas opposable aux victimes et la pénalité financière se limite à 470 euros. J'ai donc demandé au Gouvernement d'examiner la possibilité de réévaluer cette situation.
En deuxième lieu, nous avons également fait l'analyse du préjudice que nous considérons avoir subi, si les révélations de l'Igas s'avèrent fondées, ce qui est notre avis. Nous distinguons trois types de préjudice :
- les soins engagés du fait des conséquences délétères d'un produit de santé ;
- les rappels des patients qui sont en cours ;
- le maintien d'un produit de santé sur une durée beaucoup plus longue si des informations avaient pu être analysées par les pouvoirs publics de manière à changer leur décision.
Ce dernier chef de préjudice est de loin le plus important. Dans le cas du Mediator, il s'agit de 30 millions d'euros de chiffre d'affaires par an. Dans ce contexte, en lien avec les autres régimes d'assurance maladie, nous avons pris la décision de faire valoir ce chef de préjudice sur le fondement de la tromperie aggravée. Nous avons déposé plainte au pénal afin de faire valoir nos droits au civil. Le montant du préjudice à ce titre a été évalué à partir du rapport de l'Igas. Ce rapport a conclu que le produit aurait pu être retiré dès 1999-2000. Le montant du préjudice est ainsi évalué à 226 millions d'euros en euros courants pour le régime général, à 300 millions d'euros pour l'ensemble des régimes, et à 400 millions d'euros tous régimes, y compris complémentaires, confondus. Nous avons déposé plainte sur le chef de la tromperie et accessoirement de l'escroquerie.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Estimez-vous que l'étude du docteur Frachon présente des faiblesses méthodologiques ?
M. Hubert Allemand, médecin conseil national de la Cnam . - Les études de cas-témoins présentent toujours un risque de biais lié à la construction-même de l'étude. Elles peuvent être critiquables et sont souvent critiquées. Les études rétrospectives ne peuvent pas mesurer la hauteur d'un risque de manière précise. En revanche, elles permettent d'attirer l'attention sur un phénomène. De ce fait, l'étude de Mme Frachon qui donne un signal assez fort possible doit être prouvée par d'autres moyens. L'étude réalisée par la Cnam en 2009, publiée dans la revue de référence Pharmacoepidemiology and Drug safety, a été faite selon une autre modalité. C'est une étude exposés/non exposés (personnes qui prennent du benfluorex/personnes qui n'en prennent pas). Pour que les deux groupes se ressemblent, nous n'avons retenu que des patients diabétiques - un million - entre quarante et soixante-neuf ans et « standardisé » les critères de sexe, d'âge et de co-morbidité. Cette étude montre que la population prenant du benfluorex présente quatre fois plus de chirurgies valvulaires et trois fois plus d'hospitalisations. Notre étude est peu évoquée alors qu'elle conforte fortement les indications apportées par les études cas-témoins de Mme Irène Frachon. Je précise que si notre étude ne porte pas sur la mortalité, elle vise à connaitre l'augmentation des valvulopathies chez les diabétiques en cas de prise de benfluorex. La réponse est indiscutable, de toute façon la chirurgie valvulaire occasionne de la mortalité post-opératoire. Des informations issues de nos bases ont été transmises à l'Afssaps qui a demandé à des épidémiologistes d'évaluer la mortalité. L'étude exposés/non exposés témoigne d'effets secondaires très rapides. Cette étude n'a, à ce jour, pas été critiquée. C'est l'une des premières études de ce type portant sur un million de personnes.
M. François Autain , président . - Il est regrettable que votre étude ne soit pas davantage évoquée.
M. Hubert Allemand . - Effectivement. On parle moins de cette étude que des études cas-témoins qui posent problème mais qui sont de bons signaux, confirmés par la suite.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Comment encadrer les prescriptions hors AMM ? Avez-vous des propositions pour améliorer la pharmacovigilance ?
M. Frédéric Van Roekeghem . - La première question fait l'objet d'une réflexion dans le cadre d'un groupe de travail animé par Hubert Allemand.
Pour répondre à votre deuxième question, doit-on disposer d'une expertise publique indépendante sur la pharmacovigilance, la pharmaco-épidémiologie et le suivi des prescriptions des professionnels de santé ? Nous le pensons. Ce n'est du reste pas l'exploitation des bases de l'assurance maladie qui a permis de lever un certain nombre d'incertitudes sur l'existence d'un lien entre la consommation du Mediator et la valvulopathie et son influence sur la mortalité, mais le rapprochement des bases de l'hôpital (PMSI), de l'assurance maladie et de l'Insee. La France a une organisation unique au monde en matière de données, sous le contrôle de la Cnil. Il est possible de capitaliser intelligemment sur ces données afin d'améliorer la pharmaco-épidémiologie. Il est indispensable que le secteur public qui est responsable de l'AMM et de la sécurité sanitaire (et in fine le politique) réfléchisse à cette « capitalisation » des données entre les agences afin de faire émerger une expertise plus indépendante que celle que nous n'avons pas réussi à mettre en place pour les études d'AMM. C'est un sujet majeur.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Comment ?
M. Frédéric Van Roekeghem . - Cela fait partie de la réflexion du groupe de travail. Une collaboration intelligente entre l'assurance maladie, l'Afssaps et l'InVS pourrait permettre de définir un certain nombre de règles. Il faut s'interroger tout autant sur la pertinence des questions posées que s'assurer de l'indépendance et de la méthodologie avec laquelle on y répond. La pharmacovigilance et l'exploitation des données cliniques sont un élément indispensable au système, en lien avec la pharmaco-épidémiologie. Les deux doivent travailler de concert dans un environnement sécurisé du point de vue des risques de conflits d'intérêts.
M. François Autain , président . - Les examens et les études post-AMM sont financés par l'industrie pharmaceutique. Or, plus de la moitié de ces études même si certaines ont été prescrites depuis 2004 n'ont toujours pas été réalisées. L'industrie pharmaceutique risque de faire pression pour accéder à ces données. Il est plus difficile de garantir l'indépendance de l'expertise dès lors que l'industrie pharmaceutique a accès à ces données. Comment peut-on y remédier ? Doit-on ouvrir les bases de données à l'industrie pharmaceutique, comme au Royaume-Uni ?
M. Frédéric Van Roekeghem . - Le coût de fonctionnement du Système national d'informations inter-régions d'assurance maladie (Sniiram) est de 70 millions d'euros. L'accès à des données de santé pour des raisons de santé publique est légitime. Indépendamment de cette question, se pose la question de l'intérêt à agir des acteurs. Le secteur public est-il capable d'avoir un avis indépendant puisque c'est lui qui autorise et qui prend la décision de retrait ? Est-ce que l'accès aux données de l'assurance maladie aurait changé la donne dans l'affaire du Mediator ? Je ne le pense pas.
Dans le cadre de la décision d'autoriser des produits de santé en fonction du rapport bénéfices-risques, dès lors que la décision et la responsabilité sont du ressort des pouvoirs publics, comment s'assurer que la prise de responsabilité est la plus éclairée possible ? Nous devons être capables de capitaliser sur les talents qui existent et sur les données déjà disponibles afin de prendre des décisions de manière indépendante.
La question des experts pourrait trouver une solution relativement rapide. Les enjeux économiques sous-jacents sont sans commune mesure avec les coûts de fonctionnement des bases de données ou de remboursement des experts. Un investissement me paraît justifié s'il est bien utilisé. Or, les études d'un professeur universitaire-praticien hospitalier pour le compte du secteur public ne sont pas prises en compte dans le déroulement de sa carrière universitaire.
M. Hubert Allemand . - Il n'y a aucune chance d'attirer des professionnels de haut niveau dans le cadre d'un tel système. Un professeur d'université-praticien hospitalier (PU-PH) devrait pouvoir faire carrière au sein d'une agence en valorisant ses études sur le plan universitaire tout en étant indépendant des industriels.
Il faudra sur ces questions être le plus précis possible. Au Royaume-Uni, est prévu un accès aux données sur un grand échantillon. Néanmoins, l'accès à l'ensemble des données nationales avec la localisation de tous les prescripteurs est de nature quelque peu différente. Notre système national est fondé sur une logique de remboursement de soins. Chaque pays s'est organisé en fonction de son système de soins. Il ne faut pas faire de transposition trop rapide. Ces sujets présentent un vrai enjeu éthique.
M. François Autain , président . - Je ne suis pas sûr que les industriels n'aient pas accès de façon plus ou moins clandestine aux dossiers pharmaceutiques. Ils sont remarquablement bien informés sur les pratiques des médecins. J'en suis personnellement très étonné.
M. Frédéric Van Roekeghem . - La question de l'accès aux données pose aussi celle des règles de déontologie selon lesquelles on les utilise, de la connaissance dont on en tire et de la manière dont on l'exploite. Aujourd'hui, ces règles ne sont pas encore clairement définies. Il nous paraît nécessaire de les préciser.
Nous ne pouvons pas justifier des décisions de régulation en amont par des demandes d'études en aval. Récemment nous avons eu à décider de l'opportunité d'inscrire un produit de santé sur la liste en sus de ceux qui avaient reçu un ASMR provisoire dans l'attente de disposer d'études complémentaires. Il y a eu un refus et c'est parfois, c'est difficile de dire non. Les autorités publiques doivent disposer d'experts indépendants à leurs côtés, même si les industries pharmaceutiques peuvent mener des études tout à fait utiles.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Les contrats de bonnes pratiques seraient-ils de nature à limiter les prescriptions hors AMM ?
M. Hubert Allemand . - Les réflexions sur ce sujet sont nombreuses. L'AMM traite de la question de l'entrée sur le marché d'un médicament entre l'Afssaps et les industriels du médicament. Aujourd'hui, d'autres agences, et surtout la HAS, émettent des recommandations qui sont fonction des données acquises de la science, sans s'occuper de la question de l'AMM. Ces recommandations hors AMM d'une autorité de santé fondent aujourd'hui l'art médical. Le rapport bénéfices-risques de chacune de ces recommandations n'est toutefois pas évalué. Il importe d'envisager la question des liens entre la HAS qui fait des recommandations, dont beaucoup hors AMM, et ce qui se passe dans d'autres lieux en amont avec des industries du médicament.
Aujourd'hui, avec le progrès médical, on se situe dans une impasse en l'absence d'évaluation pour chaque pathologie des conséquences en termes de bénéfices-risques. Il me semble qu'on est dépassé aujourd'hui par l'importance des prescriptions hors AMM dont les médecins n'ont même pas conscience et qui sont déconnectées de ce qui se passe en amont entre les agences européennes ou nationales et l'AMM.
M. Frédéric Van Roekeghem . - Pour aborder la question du hors AMM, il faut poser d'abord la question de l'AMM. La science progresse parfois plus vite que les données des agences, notamment dans le cas des maladies rares. Le législateur a ressenti le besoin de mettre en place des dispositifs plus souples dans des cas de bénéfices-risques bien encadrés. Pour de très grandes classes de médicaments, le pourcentage de prescriptions hors AMM est extrêmement élevé. Cela dépend de la manière dont l'AMM a été demandée.
Quel est le regard des agences sur les demandes d'AMM déposées par les laboratoires ? Peuvent-elles demander des études complémentaires ? Quelles sont les sanctions possibles en cas de non-respect ? En fait, très peu.
M. François Autain , président . - Les agences répugnent, d'une manière générale, à sanctionner les laboratoires. Les projets de sanctions ne sont que rarement menés à terme. Nous devrions nous décider à davantage sanctionner les laboratoires, d'autant plus qu'ils disposent de moyens financiers suffisants.
Je ne pensais pas que les différences entre recommandations et AMM étaient d'une aussi grande ampleur. Dans le cas d'une étude de pharmacovigilance, un médicament prescrit dans telle indication présente-t-il davantage de risques quand il est prescrit pour une autre indication ?
M. Hubert Allemand . - Dans le cas d'un même médicament prescrit dans le traitement soit de la polyarthrite rhumatoïde soit de cancers métastasés, l'évaluation du rapport bénéfices-risques est loin d'être semblable. Il y a des seuils différents pour un même médicament.
Le hors AMM ne peut pas être contrôlé. Les médecins, du reste, ne s'y retrouvent pas entre l'AMM et le hors AMM, même pour des médicaments courants. C'est dans le dispositif même de régulation du système de soins, de mise sur le marché et de recommandation qu'il faut trouver la solution.
M. François Autain , président . - Avez-vous des propositions ?
M. Hubert Allemand . - Nous y travaillons.
M. Frédéric Van Roekeghem . - Il faut peser le rapport bénéfices-risques. Pour le Mediator, d'après les études réalisées, ce rapport paraissait faible parce que le bénéfice était faible. Il faut toujours rechercher un équilibre.
M. Gilbert Barbier . - Le préjudice évalué est de 400 millions d'euros. Si demain une transaction est proposée par les laboratoires Servier avec le versement d'une somme quelque peu moindre, quelle serait la réaction de la Caisse ?
Compte tenu de votre étude qui présente un caractère statistique, la preuve médicale à apporter devra être étayée pour chacun des patients. Comment cela devra-t-il se passer ? Servier évalue à une quarantaine le nombre de cas de valvulopathies sous Mediator et reconnaît quatre décès qui pourraient être imputables au médicament. La procédure judiciaire s'annonce longue et difficile. Comment voyez-vous l'évolution de ce dossier ? Qu'en est-il si un patient acceptait un arrangement amiable ?
Il y a actuellement soixante-dix-sept médicaments sous surveillance. Comment la Cnam envisage-t-elle de procéder à une étude de certains de ces médicaments à l'instar de celle qui a été menée pour le Mediator ?
M. François Autain , président . - Avez-vous procédé à des études semblables pour les antidiabétiques Rosiglitazone et Pioglitazone ? Si oui, quels sont les premiers résultats ?
M. Frédéric Van Roekeghem . - Concernant le préjudice, il y a trois chefs de préjudice. Pour les soins délivrés aux victimes, l'imputabilité devra être démontrée devant les tribunaux au cas par cas. C'est la raison pour laquelle nous avons ouvert une seconde voie qui est de poser la question au juge si du point de vue de l'assurance maladie, les informations communiquées par le laboratoire ont été exhaustives et si un certain nombre de ces informations n'avaient pas été cachées, ce qui aurait conduit à différer la décision des pouvoirs publics. Le préjudice représente alors l'ensemble des remboursements des régimes d'assurance maladie pour la période où le médicament n'aurait pas dû être autorisé à l'AMM. Le procureur de la République de Paris vient de désigner des juges d'instruction sur deux chefs de préjudice distincts : tromperie aggravée et homicide involontaire. Le procureur de la République remonterait jusqu'en 1973.
Dès lors qu'il n'y a pas de class action en France, seuls l'assurance maladie ou les pouvoirs publics pouvaient déposer plainte au nom de l'ensemble des assurés. Nous avons jugé qu'il était nécessaire de ne pas rester dans le cadre des contentieux antérieurs. Si on se pose la question des conséquences au sujet de l'Isoméride en France, on constate qu'elles sont inexistantes du point de vue de la collectivité publique. Notre analyse a été la suivante : si la justice ne tranche pas ce sujet, dans les circonstances actuelles et compte tenu de la législation, il nous semble que le bénéfice est plutôt favorable à un retrait tardif, tout au moins en termes économiques, qu'au risque d'être sanctionné économiquement par rapport à ce retrait tardif.
Nous demandons au juge de trancher et de faire jurisprudence s'il considére l'existence de certains manquements. L'article L. 213-6 du code de la consommation prévoit que les personnes morales reconnues responsables pénalement encourent un certain nombre d'amendes. Le code de la santé publique souligne que les laboratoires restent responsables des produits qu'ils mettent sur le marché. La qualité essentielle du produit a-t-elle été clairement indiquée aux pouvoirs publics ? Il s'avère, à la lecture du rapport de l'Igas, que le caractère anorexigène a été nié par le laboratoire. Il appartient au juge d'en décider. Nous demandons au juge d'établir si nous sommes en face d'un produit dont les caractéristiques essentielles ont été niées et si tel est le cas nous demandons réparation du préjudice du maintien de ce produit pendant un certain nombre d'années.
A ce stade, nous n'envisageons pas de transaction.
M. François Autain , président . - Avez-vous eu des propositions ?
M. Frédéric Van Roekeghem . - Non, nous n'avons pas de contact avec les laboratoires Servier. Il s'agit d'un sujet de jurisprudence. Il me paraît assez sain que la justice se prononce en toute équité et en toute impartialité.
M. Gilbert Barbier . - Quid d'une action du ministère public ?
M. Frédéric Van Roekeghem . - N'étant pas avocat, je ne me prononcerai pas. Pour ce qui est des chefs de préjudice, nous avons agi en toute indépendance.
M. François Autain , président . - Pouvez-vous apporter une réponse sur les soixante-dix-sept médicaments ?
M. Hubert Allemand . - Les laboratoires présentent des résultats populationnels (essais thérapeutiques) pour obtenir une AMM. Ce sont des études statistiques qui cherchent à démontrer le bénéfice d'un médicament. L'étude de groupe montre un risque de valvulopathie multiplié par quatre par rapport au groupe témoin. Cette étude des pouvoirs publics qui ressemble à celle des industriels ne semble pourtant pas être entendue. Ce n'est, j'en conviens, pas un essai. Les essais présentent, toutefois, une autre faiblesse en sélectionnant les populations de façon assez favorable pour répondre à la question. Dans le cadre de notre étude, nous avons pris l'ensemble de la population. Nous avons recherché à nous mettre dans une situation défavorable. Nous avons placé les personnes qui ont pris une ou deux boîtes de benfluorex en 2006 dans le groupe benfluorex. De plus, parmi le groupe non benfluorex, nombreux avaient pu en prendre avant 2006. Le signal est donc extrêmement puissant même s'il est effectivement d'ordre statistique, comme tous les essais thérapeutiques.
Devant un patient donné, il revient au juge de décider si le médicament est ou non en cause. Symétriquement, les guérisons ne sont pas toutes dues aux médicaments.
Parmi les soixante-dix-sept médicaments, je citerai l'exemple du vaccin contre le risque du cancer du col de l'utérus, Gardasil. L'objectif est d'être certain de l'absence de risque, notamment suite aux polémiques autour du vaccin contre l'hépatite B. Pour l'instant, aucun élément n'est relevé sur les bases de données.
Concernant les deux médicaments que vous avez cités, nous sommes en train de recueillir des données sur plusieurs années. L'étude est en cours. Les résultats transmis à l'Afssaps sont extrêmement préliminaires et doivent donc être maniés avec précaution. Pour l'instant, il n'y a pas de signaux spécifiques ni dans un sens ni dans l'autre. Nous devons affiner notre étude via une approche doses/effets. Les études doivent être réalisées dans des conditions très rigoureuses. Pour l'instant, nous ne donnons pas de réponse sur ces produits par rapport à leurs effets secondaires en l'absence d'éléments probants.
M. Gilbert Barbier . - Quid si Mme Frachon n'avait pas fait son étude ?
M. Frédéric Van Roekeghem . - Mmes Irène Frachon et Catherine Hill, de par leur expérience professionnelle, ont été à l'origine d'une sollicitation. Catherine Hill s'est mise dans un environnement relativement indépendant du laboratoire pharmaceutique en utilisant les données de l'assurance maladie. Nous avons répondu à sa demande immédiatement. Ces données ont joué un rôle important.
M. Hubert Allemand. - Avec les moyens du bord, Mme Frachon a essayé de déterminer la responsabilité du benfluorex. Si son étude peut être critiquable, elle a constitué un signal fort avec les éléments cliniques dont elle disposait. Les autorités doivent être attentives à ce type de travail. C'est le principe même de la pharmacovigilance.
M. François Autain , président . - Concernant les prescriptions hors AMM, le Groupe Servier a contesté vos statistiques sur le mésusage. Vous parvenez à des chiffres de 30 % pour le Mediator. Il nous a transmis les chiffres de l'institut Thalès : les prescriptions pour des patients obèses ou en surcharge Pondérale non diabétiques hors AMM n'auraient été que de 11,5 % en 2004-2005 et de 10,7 % en 2005-2006. Entre 2004 et 2009, 11,2 % des prescriptions de Mediator par les médecins généralistes auraient été réalisées chez des patients obèses ou en surcharge Pondérale. Connaissez-vous ces statistiques ?
M. Hubert Allemand . - Plus de 400 000 personnes ont pris du Mediator en 2006. Nous comptons autour de 60 000 diabétiques qui ont pris du Mediator cette même année. Doivent être ajoutés les diabétiques non traités par des hypoglycémiants oraux ou par de l'insuline. Pour parvenir à ces chiffres, ceci signifierait que de nombreux diabétiques n'étaient traités que par un régime et du Mediator.
M. François Autain , président . - Je voudrais aborder la question du prix des médicaments et de vos relations avec la commission de la transparence et le Ceps.
Thésorimed est la base de données indépendante dont les médecins disposent. Beaucoup de mes collègues ne connaissent toutefois pas l'existence de Thésorimed établi à partir de la base Thériaque. La gestion de cette base est privée. Ce n'est pas la HAS qui en a la responsabilité. Il m'aurait paru plus cohérent qu'on rassemble sous une même tutelle l'information des médecins. Disposer d'une gestion indépendante, y compris de l'assurance maladie, ne me paraîtrait pas absurde pour se prémunir contre les critiques d'éventuels conflits d'intérêts, bien que vous ne fixiez pas le prix des médicaments. J'ai consulté la base Thésorimed, mais je n'ai pas remarqué que vous donniez l'ASMR. Cela mériterait d'y figurer.
M. Frédéric Van Roekeghem . - Nous devons examiner la possibilité d'une amélioration s'agissant de l'ASMR en lien avec la HAS.
Concernant le prix du médicament, l'équilibre repose sur une collégialité au sein du Ceps : trois voix pour les assurances maladie obligatoires, une voix pour l'assurance complémentaire et quatre voix pour les représentants de l'Etat. Plus on augmente le poids des assureurs, plus on durcit potentiellement la tarification.
M. François Autain , président . - Vous ne seriez pas opposé à une augmentation de votre participation au sein du Ceps.
M. Frédéric Van Roekeghem . - C'est au Parlement d'en décider. A titre personnel, une représentation paritaire ne me paraîtrait pas choquante.
M. François Autain , président . - La présence au sein de cet organisme de représentants du ministère des finances peut paraître étonnante. C'est en effet, à ce jour, l'assurance maladie qui est le financeur du médicament.
M. Frédéric Van Roekeghem . - Les modèles étrangers, notamment allemand, peuvent être examinés sur ce point.
M. François Autain , président . - Vous avez un rapport direct avec les médecins libéraux en fixant la convention. Or, l'industrie pharmaceutique est une industrie libérale. Si vous êtes capable de fixer le prix des honoraires médicaux, ne seriez-vous pas capable de négocier avec les laboratoires pour fixer le prix des médicaments ?
M. Frédéric Van Roekeghem . - C'est une question qui doit être tranchée par les responsables politiques.
M. François Autain , président . - C'est vous qui déterminait le taux de remboursement du médicament. En fonction de quels critères l'établissez-vous ?
M. Frédéric Van Roekeghem . - Nous sommes liés aux dispositions législatives et réglementaires. Le taux est totalement déterminé par l'évaluation du service médical rendu (SMR), à l'exception des médicaments qui peuvent être prises en charge à 100 % du fait de leur caractère essentiel par rapport au risque patient. La prise en charge à 100 % est décidée par l'Etat. Notre travail consiste à inscrire le niveau de prise en charge conformément au décret en Conseil d'Etat qui détermine ce taux en fonction du SMR.
M. François Autain , président . - C'est la commission de la transparence qui fixe le taux.
M. Frédéric Van Roekeghem . - Oui. C'est une compétence purement administrative. Nous avons considéré que dès lors que le SMR était insuffisant, nous ne pouvions pas, de par les textes, inscrire un quelconque taux.
M. François Autain , président . - Les médicaments qui rendent un service médical important bénéficient d'un remboursement à 65 %. Néanmoins, il peut aussi se retrouver en ASMR V. Certains médicaments n'apportent rien par rapport à l'arsenal existant mais sont malgré tout pris en charge à 65 %. On nous dit que s'ils sont inscrits, c'est qu'ils permettent à la sécurité sociale de réaliser des économies. Néanmoins, la situation ne me paraît pas cohérente. Vous écriviez dans une note publiée le 13 mars 2008 : « 45 % de ces dépenses supplémentaires concernent des molécules qui ne présentent pas ou peu d'amélioration du service médical rendu (ASMR IV et V) par rapport à l'arsenal thérapeutique préexistant » . Ces médicaments sont mis sur le marché pour vous permettre de faire des économies. Or, apparemment, ceci entraîne une augmentation des dépenses.
M. Frédéric Van Roekeghem . - Une analyse écrite pourra être réalisée. Il y a des effets d'offre. Les économies doivent être évaluées par rapport à un niveau défini (génériques ou produit princeps). Je pense qu'il y a une part de vérité dans ce qui est écrit. Nous devons toutefois approfondir et donner des exemples.
M. François Autain , président . - Ceci signifierait que la réglementation de la sécurité sociale n'est pas respectée.
M. Frédéric Van Roekeghem . - Les économies sont toujours relatives.
Pour ce qui est des comparaisons avec les pays internationaux, nous venons de finaliser une étude comparative avec huit pays européens. Nos politiques de réduction des volumes de prescriptions se montrent assez efficaces. L'écart a été réduit ces trois dernières années. Néanmoins, nous restons le premier pays en termes de dépenses de médicaments par habitant. La question du mix entre les produits est vraisemblablement une des questions à traiter.
M. François Autain , président . - Si l'assurance maladie fixait elle-même les prix, vous ne pourriez plus adresser de critiques.
M. Frédéric Van Roekeghem . - Nous serions effectivement obligés de prendre position.
M. François Autain , président . - Quel est votre rôle au Ceps ? Il n'y a, à mon sens, pas de transparence.
M. Frédéric Van Roekeghem . - Les débats sont confidentiels.
M. François Autain , président . - Je reste personnellement un partisan du transfert de la compétence du prix des médicaments à l'assurance maladie.
M. Frédéric Van Roekeghem . - C'est un équilibre qu'il convient de peser au niveau politique.
M. François Autain , président . - Je vous remercie.
Table ronde avec des représentants de la presse médicale : MM. Vincent BOUVIER, président des éditions Vidal, Gilles CAHN, directeur des éditions John Libbey, Gérard KOUCHNER, président de Janus, Bruno THOMASSET, président du groupe Impact médecine, Alain TREBUCQ, président du syndicat de la presse et de l'édition des professions de santé, directeur général de Global média santé et Mme Stéphanie VAN DUIN, présidente-directrice générale des éditions Elsevier Masson (jeudi 10 mars 2011)
M. François Autain , président . - Lors de notre mission d'information sur le Vioxx, on nous a reproché de ne pas avoir auditionné la presse médicale. Il est vrai que c'est un élément de réflexion important. Nous avons donc convié ce matin MM. Vincent Bouvier, président des éditions Vidal, Gilles Cahn, directeur des éditions John Libbey, Gérard Kouchner, président de Janus, Bruno Thomasset, président du groupe Impact Médecine, Alain Trébucq, président du Syndicat de la presse et de l'édition des professionnels de santé, directeur général de Global Média Santé et Mme Stéphanie Van Duin, présidente-directrice générale des éditions Elsevier Masson.
M. Vincent Bouvier, président des éditions Vidal . - Vidal est plus qu'une entreprise de presse ; c'est une entreprise éditrice de bases de données sur les produits de santé - les médicaments et les dispositifs médicaux -, et une entreprise plus qu'une maison d'édition. Notre métier est de rassembler, agglomérer, diffuser une information standardisée sur les médicaments et les dispositifs médicaux. Notre ligne éditoriale passe par un strict respect de l'information validée par les sources officielles, qui sont nombreuses en France.
Je veux vous dire, au nom des éditeurs de bases de données, que nous avons besoin d'informations officielles de qualité et à jour pour pouvoir fournir de bons outils aux professionnels de santé. Dans le cas qui nous occupe, l'information officielle sur le Mediator n'a pas été, pendant longtemps, au niveau où elle aurait dû être. Notre première demande est d'améliorer le fonctionnement et la qualité des sources officielles.
L'une des composantes de la qualité est la rapidité dans la mise à disposition de l'information. Sur les effets secondaires, le délai moyen pour que les rectificatifs de l'autorisation de mise sur le marché (AMM) figurent dans les résumés des caractéristiques des produits (RCP) est aujourd'hui de dix-huit mois en moyenne.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - A quoi est-ce dû ?
M. Vincent Bouvier . - Aux procédures contradictoires entre l'Afssaps et les laboratoires.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Et ensuite, quel est votre délai ?
M. Vincent Bouvier . - Grâce aux outils électroniques, nous diffusons l'information dans la journée, la semaine tout au plus. C'est ce qui s'est passé pour les informations sur le Mediator.
Nous devons également prendre en compte l'information publique mais moins officielle : les avis de la commission de la transparence ne sont pas à la disposition des professionnels dans les bases de données et l'affaire du Mediator pose la question des informations diffusées. Les avis sont publiés tardivement.
M. François Autain , président . - Pourquoi ne figurent-ils pas dans le Vidal ?
M. Vincent Bouvier . - Les avis de la commission de la transparence figurent dans les bases de données.
M. François Autain , président . - Et les améliorations du service médical rendu (ASMR), de niveaux 1, 2, 3, 4 ou 5 ?
M. Vincent Bouvier . - Elles y sont, indexées par indication, puisqu'un même produit peut être prescrit pour différentes pathologies.
M. Gilles Cahn, directeur des éditions John Libbey . - Les éditions John Libbey regroupent des revues médicales liées à des sociétés savantes, financées par abonnement et centrées sur une pathologie, Bulletin du cancer ou Société française d'hématologie , par exemple. Chaque revue a un comité de lecture, les articles sont soumis à la rédaction ou sollicités par elle dans le cadre de l'éducation et de la formation médicale continue. Nous sommes une maison essentiellement francophone : 80 % des titres sont publiés en français.
Le défaut d'information dans nos revues est essentiellement lié à la faible valorisation de l'auteur qui publie en français. Et cela entraîne un déficit d'informations du tissu médical français. Pourquoi l'article de Mme Irène Frachon n'a-t-il pas été publié dans notre presse médicale ? Parce qu'elle ne nous l'a pas soumis. Pourtant, nous aurions été heureux de le publier !
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Quand les articles sont sollicités par vous, comment cela se passe-t-il ? Un article d'un professeur de médecine a-t-il autant de valeur qu'un article écrit par un donneur d'alerte ? Comment êtes-vous financés ? Uniquement par les abonnements ?
M. Gilles Cahn . - Les articles primaires ne sont jamais sollicités par les rédactions. C'est l'auteur qui décide où il présente son article, où son intérêt de chercheur est le mieux satisfait. Les articles sollicités par nous sont ceux relevant de la formation médicale continue et de l'éducation, ceux qui dressent l'état des connaissances sur un sujet ; et des articles de synthèse, soumis au comité de lecture, qui corrige éventuellement - il demandera par exemple des compléments bibliographiques. Le financement, dans le cas des sociétés savantes, repose uniquement sur les abonnements, mais les revues francophones ne sont pas suffisamment soutenues, et la publicité devient rare !
M. Gérard Kouchner, président de Janus . - J'étais président du groupe UBM Medica France ; il y a huit jours à peine, j'ai racheté une partie du groupe, accompagné par quelques managers. L'entreprise de presse qui a pris le nom de Janus est ainsi redevenue française. Elle édite notamment Le Quotidien du médecin, Le Quotidien du pharmacien, le Généraliste, Décision santé . C'est une presse payante, contrairement à ce qui se dit trop souvent : elle vit d'abonnés. La diffusion ne peut se faire à destination des non-professionnels. Le caractère payant a été vérifié par des magistrats lors des contrôles demandés par la commission paritaire.
M. François Autain , président . - Lorsque j'étais médecin, je ne payais pas le Quotidien du médecin , mais lorsque je suis devenu sénateur, il a fallu que je règle mon abonnement ! Pourquoi un tel ostracisme ? Aucun de mes confrères en exercice, à l'époque, ne payait !
M. Gérard Kouchner . - La commission paritaire de la presse autorise un tirage équivalent à deux fois le nombre d'abonnements, pour faciliter la prospection. Nos abonnés sont essentiellement des spécialistes et des institutions de santé, des bibliothèques, des facultés. Les abonnés généralistes sont plus rares, ils payent moins facilement... Nous servons un certain nombre d'entre eux gratuitement - mais pas toujours les mêmes ! Nous organisons une rotation. Les généralistes en France reçoivent presque tous Le Quotidien du médecin .
M. François Autain , président . - Vous êtes donc en prospection permanente ?
M. Gérard Kouchner . - Pour chaque médecin, on arrête, puis on recommence, puis on arrête...
M. François Autain , président . - Je reçois Pharmaceutiques sans être abonné.
M. Gérard Kouchner . - Si je vous l'envoie à titre gratuit, nous serons accusés d'être une presse gratuite. Nous appliquons strictement la loi ! Notre presse, dans l'ensemble, n'est pas une presse gratuite.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Quelle est la part de la publicité et la part des abonnements, par exemple pour Le Quotidien du médecin , ou Décision santé ?
M. Gérard Kouchner . - Pour l'ensemble de nos titres, la publicité pharmaceutique représente 42 % des financements, mais aucun laboratoire ne dépasse 4 % du chiffre d'affaires, la diversité des annonceurs assurant l'indépendance ; les abonnements représentent environ 20 % pour Le Quotidien du médecin ou Décision santé . Les annonces classées ont une part comprise entre 10 % et 15 %, qui monte à 20 % pour Le Quotidien du médecin.
M. François Autain , président . - Je croyais que la publicité assurait 65 % à 70 % du financement de cette revue ?
M. Gérard Kouchner . - Ce n'est plus vrai : en quelques années cette part, qui était de 68 %, est tombée à 58 % : elle recouvre aussi les publicités des mutuelles, des assurances, des entreprises d'électronique, et non seulement des laboratoires.
M. Alain Trébucq, président du Syndicat de la presse et de l'édition des professions de santé, directeur général de Global média santé . - Notre syndicat regroupe des éditeurs de presse et des éditions scientifiques. Nos adhérents sont très divers, multinationales ou sociétés strictement françaises, entreprises employant un grand nombre de salariés et petites structures de deux ou trois personnes... Nous comptons à ce jour 49 adhérents qui représentent 270 publications traditionnelles et 141 publications en ligne. Ce sont ainsi 30 millions d'exemplaires annuels de journaux et de revues qui sont diffusés auprès de toutes les catégories de professionnels de santé, médecins, sages-femmes, ambulanciers, chirurgiens-dentistes,... Notre presse est à la fois d'information et de formation. Les éditions scientifiques émanent de sociétés savantes ; certains de nos adhérents publient des livres scientifiques, tel Elsevier Masson.
Le modèle économique n'est pas très différent de celui des autres secteurs de la presse. Le partage entre publicité et abonnements varie d'un titre à l'autre. Mais s'agissant de santé, nous sommes assujettis au code de la santé publique, au contrôle permanent de la commission de la publicité de l'Afssaps, à la charte de l'Union des annonceurs et de notre syndicat professionnel, au règlement intérieur du syndicat, opposable à chaque adhérent - qui peut être exclu en cas d'infraction au code des bonnes pratiques - signé entre les entreprises du médicament (Leem) et le ministère de la santé pour encadrer les actions financées par les laboratoires, dans le cadre de la formation continue des médecins.
L'entreprise que je dirige et dont je suis le principal actionnaire depuis trois ans est à cheval entre deux secteurs de la presse qui suivent des modèles économiques différents. Nous éditons deux publications consacrées à la formation généraliste des médecins - généralistes ou spécialistes - Le Concours médical , créé en 1879, et La revue du praticien , depuis 1861. La seconde est financée à 98 % par les abonnements. Le Panorama du médecin fonctionne différemment, les articles ne sont pas soumis à un comité de lecture, les journalistes sont médecins ou non. Nous sommes sur un modèle qui a plus bénéficié de la publicité que des abonnements. Depuis le milieu des années soixante-quinze et l'avènement des blockbusters , la promotion de ces médicaments à travers la publicité pour les installer sur le marché s'est faite au plus grand bénéfice de la santé publique. Mais cette bulle a disparu. L'ensemble des laboratoires pharmaceutiques dépense en publicité dans la presse médicale généraliste 300 euros par an et par médecin.
M. François Autain , président . - On est loin des 25 000 euros par médecin évoqué dans le rapport de 2007...
M. Alain Trébucq . - Le budget a chuté de moitié depuis 2007, et même de 80 % ces derniers temps, avec la montée en puissance des génériques. Les laboratoires ont de moins en moins intérêt à promouvoir des marques dans nos journaux.
M. Bruno Thomasset , président du groupe Impact médecine . - Impact médecin hebdo comprend quatorze publications de médecine générale ou spécialisée ou de pharmacie. Je représente ici, surtout, l'hebdomadaire Impact médecin hebdo , qui compte 45 000 lecteurs, surtout des spécialistes de médecine générale. La presse médicale devrait être considérée comme les autres secteurs de la presse et devrait être soumise aux mêmes droits et devoirs. Songez à la largeur de la cible de lectorat : nous pourrions parfaitement revendiquer le statut de presse d'information générale et politique !
M. François Autain , président . - Quelle réforme serait nécessaire ?
M. Bruno Thomasset. - Le fisc, les pouvoirs publics, la réglementation de la presse ne nous considèrent pas comme tels, malgré le nombre de lecteurs, l'importance des sujets traités, la place de la santé publique.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Mais s'agit-il d'informations générales ? Chacun doit peut-être faire une partie du chemin...
M. Bruno Thomasset . - La santé représente 35 % de l'information générale, autrement dit nous couvrons déjà un tiers des sujets traités par l'information générale. Impact médecin hebdo a, depuis l'origine, le projet éditorial d'être Le Point, L'Express ou Le Nouvel Observateur des médecins.
En dix ans, Impact médecin hebdo n'a rien écrit sur le Mediator, sauf le 26 novembre 2009 - il a alors signalé le retrait du marché. Je n'éprouve guère de culpabilité car dans le foisonnement de l'information, le Mediator était inexistant ! J'assume cette responsabilité. Nous avons publié en ligne la lettre de l'Afssaps aux prescripteurs.
M. Alain Trébucq . - Aucun titre de la presse spécialisée n'a évoqué le dossier Mediator ces dernières années, car il n'y avait pas d'« affaire Mediator ». Je rappelle que l'Afssaps a délivré une AMM à des molécules génériques du Mediator en 2009. Ce sujet était inexistant.
Depuis, la presse médicale a relayé l'information. La couverture a été large, sur Internet notamment, où les médecins ont été libres de formuler leurs commentaires à charge et à décharge.
M. Bruno Thomasset . - Ce que j'attendrais des pouvoirs publics est un soutien à l'investissement publicitaire. La publicité dans la presse médicale représente moins de 3 % des investissements promotionnels de l'industrie. Or elle finance des projets éditoriaux utiles aux professionnels de santé et constitue un relais pour les politiques de santé publique. La publicité médicale, après contrôle des autorités, ne devrait pas être freinée. Les laboratoires veulent faire de la publicité, mais ils ne veulent pas que cela se sache, car ils craignent de se faire taper sur les doigts !
Mme Stéphanie Van Duin, présidente directrice générale des éditions Elsevier-Masson . - Je dirige la filiale française d'Elsevier, groupe important dans l'édition médicale et scientifique. Nous adhérons au syndicat de la presse et de l'édition, nous suivons des règles de fonctionnement très spécifiques, comités de rédaction, conseils scientifiques, rédacteurs en chef, souvent des leaders dans leur spécialité. Nos revues, souvent l'émanation de sociétés savantes, sont référencées dans les bases de données internationales telles que l'ISI ( Institute for scientific information ), lesquelles imposent des règles, réception électronique, transmission à deux experts pour avis, correction, intervention du comité de rédaction et du rédacteur en chef. Si l'article est accepté pour publication, l'auteur doit remplir une déclaration mentionnant les conflits d'intérêts qu'il pourrait connaître. Il doit indiquer ses activités annexes, de consultant, d'expert, auprès de laboratoires ou d'autres entités.
Toutes nos revues, aujourd'hui, sont en ligne. Papier ou électronique, cela ne change rien dans le traitement des manuscrits ; simplement, on peut, en ligne, ajouter des contenus complémentaires, des vidéos, des images en 3D.
Nous avons de plus en plus de difficultés à obtenir de bons articles de recherche, car les revues internationales sont plus connues et plus largement diffusées. Nous recevons plutôt des articles de deuxième, troisième ou quatrième niveau. Si bien que les sociétés savantes qui en ont les moyens décident d'opter pour la langue anglaise. Les autres souffrent.
La presse et l'édition spécialisées devraient être considérées comme contribuant à la politique de formation continue - par conséquent éligibles aux crédits de celle-ci. Tous les autres pays procèdent ainsi ! Un abonnement à une revue de société savante coûte entre 400 et 600 euros, ce qui induit une spirale négative sur la diffusion.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Quel est le référencement des revues françaises par rapport aux revues anglo-saxonnes ?
Mme Stéphanie Van Duin. - La situation est dramatique. L' impact factor est un algorithme fondé sur le nombre de citations et de consultations. Un article écrit en français a forcément une audience plus limitée, les bons articles paraissent donc en anglais et sont ensuite traduits en français. Quelle perte !
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Les revues américaines, je vous renvoie au rapport de l'Igas, publient, semble-t-il, essentiellement des études financées par des laboratoires. Les résultats sont présentés plus favorablement, les résultats négatifs non publiés... Quel est le point de vue de la presse française ? Cette mission peut être l'occasion de réfléchir sur l'ensemble de la politique du médicament. Avez-vous tenté de comparer les différentes bases de données ?
Mme Stéphanie Van Duin . - Le fonctionnement de la recherche est très différent aux Etats-Unis. Ce sont les laboratoires qui la financent. Il est donc normal, si les résultats ne sont guère favorables, qu'ils ne soient pas publiés.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Pourtant, on dit aux Etats-Unis que la presse française est en partie financée par des laboratoires et qu'elle n'est pas objective ! Or, certaines revues américaines sont financées en totalité par des laboratoires.
Mme Stéphanie Van Duin . - Le traitement des manuscrits par nos titres est soumis aux normes de Vancouver et au « double blind » en particulier, qui impose la lecture du texte, rendu anonyme, par au moins deux experts. Ensuite, il y a la déclaration des conflits d'intérêts ; mais nous n'avons pas à vérifier si la déclaration est honnête ou mensongère...
M. François Autain , président . - Il arrive qu'elle soit mensongère ?
Mme Stéphanie Van Duin . - C'est certain.
M. François Autain , président . - Même parmi les grands professeurs.
Mme Stéphanie Van Duin . - Je signale que nous avons publié l'article du docteur Frachon quand il a été présenté à notre comité de rédaction.
M. Gilles Cahn . - Nos rédacteurs en chef sont des experts hospitaliers et non des salariés de notre société. Nous n'entretenons pas de rapport avec eux, sauf pour fixer le calendrier. La presse francophone est dévalorisée au point que même les publications dans les sociétés savantes comme l'Académie des sciences ne sont pas prises en compte dans l'évaluation des chercheurs ! Cela leur vaudrait plutôt des points négatifs !
Dans les années à venir, les pouvoirs publics devraient nous aider à améliorer l' impact factor. Le système Sigaps d'interrogation, de gestion et d'analyse des publications scientifiques a été mis en place. Il concerne les cliniciens chercheurs.
Une revue scientifique se doit d'être référencée sur Medline : or aucune française ne l'est ! La référence Medline rapporte des crédits à l'hôpital, les chercheurs sont donc fortement incités à publier dans les revues internationales, tandis que les sociétés savantes se paupérisent. L'enjeu peut atteindre 16 000 euros par an pendant cinq ans ! Nous devrions définir avec l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Aeres) les revues éligibles à une récompense similaire.
Mme Virginie Klès . - Dans une vie antérieure j'ai soumis quelques articles à la presse scientifique et je puis vous dire que le double aveugle n'existe pas en pratique, parce que tout le monde sait qui travaille sur quoi. Et quelle garantie a-t-on d'une absence de conflits d'intérêts, non à l'instant de la publication, mais avant et après !
M. Gérard Kouchner . - Publions-nous seulement des études positives, demandait Mme Hermange ? Il faut distinguer entre les études cliniques où l'on cherche à évaluer l'efficacité supplémentaire d'un médicament, et les études financées par l'Inserm ou par les laboratoires, où l'on tente d'évaluer d'éventuelles nouvelles indications. Dans toute la presse médicale, par le passé, on privilégiait les résultats positifs. Mais les choses ont changé. Le Quotidien du médecin publie les résultats négatifs d'impact clinique.
M. François Autain , président . - Cela n'a pas toujours été le cas : des laboratoires ont été condamnés pour cette raison. Voyez que les sanctions servent à quelque chose !
M. Gérard Kouchner . - Nous avons affaire à un partenariat à trois, qui associe la presse, les pouvoirs publics et les laboratoires.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Je suis heureuse de vous l'entendre dire.
M. Gérard Kouchner . - En ce qui concerne les conflits d'intérêts, la question ne se pose que dans des cas délimités. Les intérêts apparaissent dans nos cahiers de formation continue, et les interventions d'experts pour les laboratoires sont toujours signalées. Chaque fois que nous citons un expert, ses conflits d'intérêts apparaissent soit dans le journal, soit sur le site - c'est la solution à laquelle nous étions parvenus avec Que choisir ?
En ce qui concerne le Mediator, nous avons rendu compte des études Cnam 1 et Cnam 2, des travaux du docteur Frachon, mais aussi des professeurs Alpérovitch et Acar. Il ne s'agit pas de nier le drame des victimes, mais d'évaluer la portée de cet accident de santé publique.
M. François Autain , président . - Pourquoi ne pas avoir publié une analyse de ces travaux au moment où la presse généraliste en rendait compte ?
M. Gérard Kouchner . - Une vague de stupeur et d'indignation a déferlé lorsqu'on a entendu parler de centaines de morts. A ce moment-là, nous n'étions pas audibles. Mme Alpérovitch ne voulait pas s'exposer à un lynchage médiatique en critiquant les études mettant en cause le Mediator...
M. François Autain , président . - Vous l'avez tout de même fait parler.
M. Gérard Kouchner . - Il est difficile de ne publier des informations qu'à charge.
M. François Autain , président . - Sur ce plan-là, on peut dire que vous avez fait votre travail ! Je n'ai lu dans Le Quotidien du médecin aucun compte rendu du livre du docteur Frachon, mais seulement un communiqué AFP de Servier. Est-ce un oubli ?
M. Gérard Kouchner . - Non, c'était délibéré : nous ne sommes pas une presse à sensation. Pareil sujet mérite que l'on prenne du recul, et nous avons parlé ultérieurement de l'enquête du docteur Frachon. Mais nous ne traitons pas des chiens écrasés.
M. François Autain , président . - Vous rangez donc ce livre à la rubrique des chiens écrasés ! Nous en prenons note.
M. Gérard Kouchner . - Des livres à sensation paraissent tous les jours ! Nous devons à nos lecteurs, médecins, une information rigoureuse, et nous avons consacré vingt articles aux travaux du docteur Frachon. Nous avons aussi publié le rapport de l'Igas.
M. François Autain , président . - Il est heureux que vous ne rangiez pas les rapports de l'Igas parmi les chiens écrasés...
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Je tiens à apporter une précision : nous ne sommes pas une commission d'enquête, mais une mission d'information.
Mme Marie-Christine Blandin . - Vous prétendez, en tant que presse d'information générale et politique, au même soutien que la presse ordinaire, mais vous avez refusé de rendre compte du livre du docteur Frachon au motif qu'il était destiné au grand public. N'y a-t-il pas là une contradiction ?
M. Gérard Kouchner . - Je vous rassure : nous ne revendiquons d'aide d'aucune sorte.
Mme Marie-Christine Blandin . - Les éditions Vidal pourraient-elles nous remettre les fiches du Mediator depuis 1975 ? Certaines ne sont disponibles que sur papier, mais ce ne sont pas celles qui disparaissent le plus vite : l'Afssaps avait publié sur Internet un article selon lequel les dérivés mercuriels des vaccins contre la grippe devaient être retirés du marché, mais cet article a disparu lors de la diffusion du vaccin pandémique. Heureusement qu'un doctorant avait enregistré le fichier PDF...
M. Vincent Bouvier . - Nous vous ferons bien sûr parvenir ces informations.
Mme Marie-Christine Blandin . - Vous avez dit qu'aucune alerte n'avait été lancée dans la presse, qui se conformait à la ligne de l'Afssaps. Mais avez-vous publié des articles décrivant le rôle du Mediator, ou de la publicité ?
M. Alain Trébucq . - Le Mediator, comme tout médicament mis sur le marché, a fait l'objet de campagnes promotionnelles. Je ne me rappelle pas de quand date la dernière, mais cela remonte loin.
Mme Marie-Christine Blandin . - Ce n'est pas un reproche que je vous fais, mais il est important pour nous de savoir dans quels termes cette publicité était faite, et si elle correspondait ou non à l'AMM.
M. Alain Trébucq . - Nous vous fournirons des documents, mais vous pouvez aussi vous tourner vers la commission de la publicité de l'Afssaps, qui exerce un contrôle a posteriori , et vers les laboratoires Servier. Le Mediator avait suscité des polémiques dès avant « l'affaire », mais il nous fallait prendre du recul. Nos sources d'informations sont les institutions publiques - Afssaps et Haute Autorité de santé -, les experts et les entreprises du médicament. La publication des études de la Cnam a donné lieu à un emballement médiatique ; nous n'avons pas alors attendu le rapport de l'Igas : quinze articles ont été publiés dans Le Panorama du médecin et sur son site Internet, à charge et à décharge. Il est regrettable que la presse d'information générale n'ait pas relayé les informations à décharge, notamment les études du professeur Jean Acar. On a accusé ce dernier de conflits d'intérêts, mais les experts qui composent le comité scientifique de nos revues de formation m'ont assuré qu'il s'agissait d'un homme d'une grande intégrité, et d'un spécialiste mondialement reconnu des valvulopathies.
M. François Autain , président . - Madame Klès, avez-vous le sentiment que l'on ait répondu à votre question ?
Mme Virginie Klès . - Non. Je la répète : comment contrôlez-vous les conflits d'intérêts des experts de vos comités de lecture, qui savent bien quels collègues ont écrit les articles ? Selon quel calendrier contrôlez-vous ceux des auteurs eux-mêmes ?
M. Gilles Cahn . - En général, le nom des membres des comités de lecture n'est pas rendu public, afin de préserver leur indépendance. Mais dans certaines revues très spécialisées, la composition des comités est connue, car les experts sont en si petit nombre qu'il n'y aurait aucun sens à cacher leur identité.
Mme Virginie Klès . - Des membres de comités de lecture m'ont parfois contactée parce qu'ils avaient compris que j'étais l'auteur d'un article... Le « double aveugle » ne marche pas.
M. Gilles Cahn . - Cela dépend des revues. Quoi qu'il en soit, les auteurs doivent signer un formulaire détaillant précisément leurs conflits d'intérêts : se sont-ils fait payer des voyages, des déplacements pour des conférences ? Nous conservons ces déclarations sur l'honneur, et si un auteur refuse de s'y prêter, nous le signalons.
Mme Stéphanie Van Duin . - La question de Mme Klès m'a paru polémique. Dans les domaines très spécialisés, les experts sont peu nombreux, et il n'est pas difficile d'identifier les équipes qui ont réalisé des travaux. Mais les experts font leur travail : chez nous, le taux de rejet s'élève à 50 %, et à 90 % pour The Lancet !
M. François Autain , président . - Arrive-t-il que les laboratoires commandent des articles, ou qu'ils en relisent ?
M. Gérard Kouchner . - Tous les articles publiés à l'initiative des laboratoires, ou soumis à leur relecture, sont signalés comme tels : la publicité rédactionnelle est interdite par notre charte.
M. François Autain , présidente . - Même en cas de petite correction ?
M. Gérard Kouchner . - Dans tous les cas, la chose est signalée.
M. Alain Trébucq . - Je le confirme. Aujourd'hui, les recettes publicitaires ne suffisent plus à assurer l'équilibre financier des revues, qui ont besoin d'une diffusion payante : d'où la nécessité de gagner la confiance des lecteurs. Nous aurions tort de sous-estimer l'esprit critique des lecteurs.
M. François Autain , président . - Monsieur Thomasset, j'ai remarqué que tous les articles sur les laboratoires Servier dans votre journal étaient signés par une certaine Claire Bonnot, dont je n'ai pas trouvé trace dans l'OURS. S'agit-il d'une pigiste ? Dans quelles conditions travaille-t-elle ?
M. Bruno Thomasset . - Il s'agit en fait d'un pseudonyme. Je vous ferai parvenir les coordonnées du journaliste concerné.
M. François Autain , président . - Est-ce bien conforme à la déontologie ?
M. Alain Trébucq . - Notre règlement intérieur ne prévoit rien à cet égard. Tout dépend de la déontologie de chaque éditeur.
M. Bruno Thomasset . - Nos revues sont archivées à la Bibliothèque nationale, et nous avons pu analyser nos publications des années 1995, 1997 et 1999. Nous n'avons rien trouvé de significatif sur le Mediator, mise à part une campagne de publicité au début de l'année 1995.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - On dit que certains groupes pharmaceutiques étrangers veulent racheter des laboratoires français. Observe-t-on la même tendance dans la presse médicale ?
M. Gérard Kouchner . - Bien au contraire ! Je viens de racheter l'entreprise à un groupe anglo-saxon côté à Londres.
M. Alain Trébucq . - Celle dont je suis le principal actionnaire appartenait à un groupe britannique il y a trois ans.
M. Gilles Cahn . - Je détiens à 100 % les éditions britanniques John Libbey. Mais notre marché doit s'élargir, notamment grâce aux abonnements.
M. François Autain , président . - La nationalité est devenue secondaire. La mondialisation s'impose à nous, que nous le voulions ou non.
M. Alain Trébucq . - Il faut encourager l'expression médicale francophone, pour laquelle il y a une forte demande en Afrique, en Amérique latine, en Asie ou en Europe de l'Est.
M. François Autain , président . - Une remarque encore : je n'ai pas trouvé trace dans le Vidal du SMR ou de l'ASMR du Mediator.
M. Vincent Bouvier . - Je me suis mal exprimé : ils figurent sur notre base électronique.
M. François Autain , président . - Merci à tous.
Audition de M. Jacques SERVIER, président des Laboratoires Servier (jeudi 10 mars 2011)
M. François Autain , président . - Monsieur Servier, merci d'avoir répondu à notre invitation. Vous êtes président-fondateur des laboratoires Servier depuis 1954, et président d'honneur du conseil central de l'Ordre national des pharmaciens. Vous avez souhaité que cette audition se déroule à huis clos : cette demande est de droit. Vos collaborateurs pourraient-ils se présenter ?
M. Laurent Boussu . - Je suis responsable des risques et assurances chez Servier, rattaché à la division juridique.
Mme Patricia Maillère . - Je suis responsable des affaires réglementaires.
M. Emmanuel Canet . - Je suis médecin pédiatre et dirige la recherche-développement.
Mme Corinne Moizan . - Je suis directrice en charge des relations avec le Parlement.
Mme Lucy Vincent . - Je suis directeur général des affaires extérieures.
M. Laurent Sorcelle . - Je suis conseiller en communication, responsable des relations avec la presse.
M. François Autain , président . - Après l'intervention liminaire de M. Servier, Mme le rapporteur et les membres de la mission vous interrogeront.
M. Jacques Servier, président des Laboratoires Servier . - L'entreprise que je préside s'est beaucoup développée depuis quarante ans. Actuellement, nos produits sont consommés pour 90 % hors de France : cela illustre l'effort considérable que nous avons fait pour l'économie du pays.
Notre but est triple. Avant tout, nous voulons satisfaire les patients qui utilisent nos produits, et sommes très attachés à leur confiance, notamment celle des diabétiques confrontés à une maladie difficile et qui vivent souvent dans l'inquiétude. Ensuite, nous avons l'ambition de faire progresser la recherche. Enfin, nous souhaitons que nos collaborateurs soient satisfaits de leur travail ; des laboratoires de quelque importance, nous sommes les seuls à n'avoir jamais procédé à aucun licenciement collectif.
A propos du Mediator, on a parlé de « scandale » ou d'« affaire », termes très exagérés. Ce médicament a reçu son autorisation de mise sur le marché en 1974 ; il a été conçu pour les diabétiques qui tolèrent mal les autres traitements. Depuis, il est toujours resté sous surveillance étroite. Le feuillet du Vidal - organisme très contrôlé par l'Etat - donne sa définition officielle.
M. François Autain , président . - Je vous arrête : Vidal est une entreprise privée, même si les informations fournies ont un caractère officiel puisqu'elles émanent de l'Afssaps.
M. Jacques Servier . - Le contrôle de l'Afssaps est étroit, parfois tatillon. Tous les documents produits par les laboratoires sont soumis à un contrôle en vertu de la loi du 24 août 1974 qui a instauré une véritable censure. L'AMM du Mediator a été renouvelée tous les cinq ans, non sans de longues discussions, car l'Afssaps est, comment dirai-je, loin d'être négligente.
En 2008, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a classé le Mediator sous la rubrique des « autres médicaments utilisés dans le traitement du diabète, en dehors de l'insuline ». En novembre 2008, il s'est passé quelque chose de remarquable : l'Agence a accordé une AMM à deux génériques du Mediator, qui sont normalement les copies textuelles du médicament, un an avant le retrait de celui-ci : jusqu'à la fin, nous avons été en règle avec la pratique administrative.
Ainsi, en novembre 2009, le Mediator a été retiré du marché, car les laboratoires Servier et l'Afssaps ont voulu appliquer le principe de précaution. Lors d'un point d'information, l'Agence a estimé qu'il n'y avait pas eu d'alerte significative avant le début de l'année 2009. Le retrait faisait suite à l'étude Regulate que nous avons menée à nos frais et à notre initiative sur huit cents patients pendant plusieurs années : les indices donnaient satisfaction sur l'activité du produit mais non sur la tolérance. Cette étude fut entreprise à nos frais et sous notre animation.
Quant aux études des autorités universitaires et administratives, leur méthodologie est très critiquable. On a voulu établir un nombre de victimes, selon des calculs hasardeux. Lorsqu'un produit concurrent, l'Avandia, a été retiré du marché le 23 septembre 2010, cela n'a suscité aucune émotion médiatique !
M. François Autain , président . - Nous n'en avons pas fini avec l'Avandia. Il a fallu un an, depuis le retrait du Mediator, pour que l'opinion s'émeuve de ses effets néfastes.
M. Jacques Servier . - Justement : s'il y avait urgence, pourquoi la presse n'a-t-elle pas réagi plus tôt ?
L'intérêt matériel des laboratoires Servier est chétif en ce qui concerne le Mediator. Ce dernier ne représente que 0,7 % de leur chiffre d'affaires.
Le rapport de l'Igas a suscité une grande émotion. Et l'Igas a refusé de nous entendre ! Ses conclusions sont très violentes, alors qu'en la matière les conclusions n'appartiennent qu'à la justice.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Vous avez raison de le souligner.
M. Jacques Servier . - En outre, ce rapport est entaché d'inexactitudes. Il ne tient aucun compte des travaux de deux spécialistes très compétents, les professeurs Alpérovitch et Acar.
On lit dans la presse que le Mediator n'est pas un antidiabétique. C'est faux, comme en témoignent les termes de l'AMM et l'expérience quotidienne des médecins.
Les anomalies valvulaires étaient connues il y a cinquante ans. Nous avons étudié le rétrécissement mitral. Jadis, il s'agissait d'une découverte clinique d'auscultation, très forte et symptomatique. Mais la cardiologie a fait des progrès inouïs, et l'on découvre à présent les anomalies valvulaires par milliers, grâce à des examens spécialisés très fins.
On a parlé de glissements de prescription. Il semble en effet que le Mediator ait été prescrit pour le traitement de l'obésité, dans environ 10 % des cas. Mais il existe une zone d'ombre qui n'est pas de notre fait : les diabétiques éprouvent une faim intolérable, et les obèses deviennent souvent diabétiques.
M. François Autain , président . - Sur les prescriptions hors AMM, vous déclinez toute responsabilité. M. Jean-Philippe Seta parlait lui aussi de moins de 10 % de mésusages. Mais selon l'assurance maladie, cette proportion s'élève à 30 %. Comment un antidiabétique a-t-il pu être prescrit comme coupe-faim ? Qu'il l'ait été, cela ne fait aucun doute : lorsque l'Isoméride a été retiré du marché, les ventes de benfluorex ont fortement augmenté.
Mme Patricia Maillère . - Je puis vous expliquer la différence des chiffres. En annexe du rapport de l'Igas, nous avons découvert un document interne de l'Agence, où M. Frédéric Fleurette, en charge de la division épidémiologique, répond à M. Jean-Michel Alexandre, qui lui avait demandé de suivre les prescriptions du Mediator ; selon M. Fleurette, les prescriptions hors AMM étaient très limitées et n'avaient pas augmenté suite au retrait de l'Isoméride.
Quant aux chiffres avancés par M. Van Roekeghem, ils ne prennent pas en compte les patients soignés pour des troubles du métabolisme des lipides - alors que cette indication figurait dans l'AMM du Mediator jusqu'en 2007 - ni les patients diabétiques au régime ou sous insuline. Selon les chiffres de Thales et Dorema, 45 % des prescriptions concernaient des troubles du métabolisme des lipides, 35 % le diabète, 10 % l'obésité, et 10 % des prescriptions restent indéterminés. Voilà pourquoi l'Afssaps parlait de 20 % de prescriptions hors AMM, proportion assez classique.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Qu'auriez-vous dit aux inspecteurs de l'Igas s'ils vous avaient auditionné ?
M. Jacques Servier . - La même chose qu'à vous, madame.
M. Emmanuel Canet . - Comme le disait le docteur Seta, nous avons été surpris que l'Igas n'ait pas souhaité nous entendre, alors que son guide de bonnes pratiques de mai 2009 impose un débat contradictoire dans la conduite de ses enquêtes. N'étions-nous pas les premiers accusés ?
M. François Autain , président . - Je ne crois pas que l'Igas ait refusé de vous entendre : selon son interprétation des textes, elle n'avait pas le droit de le faire. Mais nous auditionnerons le docteur Aquilino Morelle.
M. Emmanuel Canet . - Nous n'allons pas refaire l'histoire, mais il s'agit d'une interprétation restrictive des textes de la part de l'Igas et nous aurions préféré un débat contradictoire.
M. François Autain , président . - J'ai bien parlé d'une interprétation.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Estimez-vous que le benfluorex représente une classe pharmacologique à part, avec un profil d'activité différent de celui de l'amphétamine alors qu'il partagerait les effets indésirables d'autres dérivés d'amphétamines ? Ne serait-ce d'ailleurs pas la raison pour laquelle il a été retiré en Espagne puis en Italie ?
M. Jacques Servier . - Cette question est essentielle : en ce qui concerne l'Espagne, l'Italie, la Grèce, la Belgique et la Suisse, il faut savoir qu'à l'époque nous étions un laboratoire peu important et nous n'avions pas les moyens de fonctionner dans ces pays. Nous y étions représentés par des agents avec plus ou moins de bonheur et, quand nous avons retiré ce produit de ces pays, les ventes étaient infinitésimales et nous redoutions de laisser traîner indéfiniment dans les pharmacies des produits non utilisés. Nous avons donc retiré un médicament qui n'avait pratiquement plus d'existence dans ces pays.
Les discussions que nous avons eues en Espagne ont été simples et beaucoup plus compliquées en Italie, mais les conséquences ont été les mêmes.
S'agit-il d'un médicament bien à part ? On ne peut pas confondre le blanc avec le noir : si on consulte la formule du principe actif du Mediator, on constate qu'elle est assez compliquée et nettement différente de celle de l'amphétamine et des produits anorexigènes que nous avons exploités par la suite.
M. Emmanuel Canet . - Ce point est effectivement très important. Il y a une grande différence entre la structure d'un produit et la fonction pharmacologique dont est porteur un composé.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Une note sur ce point serait souhaitable.
M. Emmanuel Canet . - En termes de structures chimiques, il n'est pas douteux que l'on peut trouver une analogie de structure chimique entre une amphétamine ou une phényléthylamine et le benfluorex, au même titre qu'un certain nombre de neuromédiateurs naturels ou d'autres médicaments qui n'ont en aucun cas le profil, sur le plan pharmacologique ou sur le plan de l'efficacité thérapeutique, d'une amphétamine : il faut donc bien faire la distinction entre, d'une part, la structure chimique et, d'autre part, le profil d'activité pharmacologique. L'exemple des sulfamides est, de ce point de vue, assez clair.
J'en viens à l'aspect pharmacologique : si on regarde la pharmacologie moléculaire, c'est-à-dire l'affinité d'une molécule pour ses récepteurs, il y a une grande différence entre l'amphétamine et le benfluorex : d'un côté, les amphétamines sont plutôt des composés qui vont interagir avec la dopamine ou la noradrénaline alors que le benfluorex interagit plutôt avec la sérotonine.
Sur le plan de la pharmacologie de ces composés, les amphétamines vont induire des effets hémodynamiques, avec l'augmentation de la pression artérielle et de la fréquence cardiaque, ce qui n'est pas le cas avec le benfluorex.
Il n'y a pas non plus d'effet psychostimulant avec le benfluorex, ce qui n'est, bien sûr, pas le cas avec les amphétamines.
Si nous revenons aux modalités de prescription, j'observe que pour la Ritaline, qui est une amphétamine, le Vidal précise que ce composé doit être donné le matin pour éviter les insomnies.
M. François Autain , président . - C'est une amphétamine cachée, car elle est sur le marché alors que toutes les autres amphétamines ont été retirées en 1997.
M. Emmanuel Canet . - Les indications sont bien particulières. Contrairement à ce médicament, le Mediator était administré trois fois par jour, dont le soir. D'ailleurs, il n'induisait pas d'hyperactivité, ni de psychosimulation, il entraînait plutôt une légère somnolence.
Troisième point majeur : on observe une addiction aux amphétamines, alors que tel n'était pas le cas avec le benfluorex.
Vous voyez donc que le profil du Mediator était à l'opposé d'une amphétamine. Certes, il y a une analogie de structure, mais on ne peut conclure qu'il y ait analogie de fonction : ce raccourci n'est pas recevable.
Mme Patricia Maillère . - On prétend que les amphétamines ont été retirées du marché en 1995. Les fabricants d'amphétamines ont fait appel à la Cour européenne de justice et celle-ci a estimé que la position européenne n'était pas légale. Il y a eu une nouvelle discussion au niveau national et aujourd'hui l'amfépramone est à nouveau en vente et utilisée comme anorexigène en Allemagne et en Finlande.
M. François Autain , président . - Mais pas en France.
Mme Patricia Maillère . - Tout ne s'est donc pas arrêté en 1995.
M. François Autain , président . - Il y a effectivement encore quelques amphétamines sur le marché.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Vous estimez donc qu'il y a analogie de structure mais pas de fonction.
M. Emmanuel Canet . - Ce qui est d'ailleurs assez classique dans le domaine de la pharmacologie.
Mme Marie-Christine Blandin . - Merci pour ces explications très claires.
Je souhaite en revenir aux amphétamines : votre directeur général, avant-hier, nous avait expliqué que, dans le bilan métabolique du benfluorex, il restait seulement 7 % de fenfluramine. Dans le bilan métabolique de l'Isoméride ou du Pondéral, combien reste-il de fenfluramine ou de norfenfluramine ?
M. Emmanuel Canet . - C'est un point important sur lequel nous aurions également aimé être entendus par l'Igas.
Lorsque vous administrez de la fenfluramine ou de la dexfenfluramine, le composé parent, elle représente environ 60 % des composés circulants, les 40 % autres circulants étant de la norfenfluramine. Si vous prenez du benfluorex, ce dernier ne circule pas au niveau plasmatique en tant que tel : il est en effet métabolisé en trois à quatre métabolites circulants, la norfenfluramine ne représentant que 10 % des composés circulants. Ce qui fait la différence majeure, c'est que le benfluorex ne donne pas naissance à de la fenfluramine. Dans le cas de l'Isoméride, la fenfluramine est elle-même porteuse de l'activité pharmacologique, et donc en partie responsable de l'effet anorexigène.
La fenfluramine et la norfenfluramine sont tous deux porteurs de l'activité pharmacologique alors que, pour le benfluorex, la norfenfluramine ne représente qu'environ 10 % de l'exposition plasmatique de l'ensemble des métabolites qui sont d'une autre nature. Le benfluorex ne donne pas naissance à la fenfluramine.
Le rapport de l'Igas rappelle que l'effet anorexigène a été rapporté dans les études de pharmacologie chez l'animal. Mais il y a une différence majeure entre le métabolisme du rat et celui de l'homme pour ce qui concerne le benfluorex. Chez le rat, après administration de benfluorex, la norfenfluramine est le métabolite principal et est retrouvé en quantité très supérieure au métabolite S1475 qui est le métabolite principal retrouvé après administration de benfluorex chez l'homme. Nous sommes donc dans un niveau d'exposition à la norfenfluramine différent et un ratio des composés circulants totalement inverse selon qu'on fait la pharmacologie chez le rat ou chez l'homme. Cela permet de comprendre pourquoi chez le rat on est capable de mettre en évidence, à des taux d'exposition élevés de norfenfluramine, une activité de type anorexigène, alors qu'on ne le constate pas chez l'homme.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Quelles études avez-vous menées sur l'homme ?
M. Emmanuel Canet . - Si nous regardons l'effet sur le poids chez l'homme, qui n'est pas forcément lié à un effet de type anorexigène, dans des études en monothérapie ou dans des études versus comparateur, la baisse de poids induite par le benfluorex est en moyenne d'un kilo. Pour les fenfluramines, elle est au moins égale à trois kilos. La baisse de poids est équivalente chez les personnes ayant pris ou non du benfluorex. Il y a en effet un certain nombre d'autres antidiabétiques qui ont un effet bénéfique sur le poids : je pense à la metformine, aux agonistes GLP-1 et même à l'insuline qui a un effet central sur la prise alimentaire. Pour autant, on ne dit pas que ce sont des produits de type anorexigène.
Nous aurions pu porter ces points importants à la connaissance de l'Igas dans le cadre d'un débat contradictoire pour éviter des raccourcis ou des conclusions hâtives qui soient tirés à partir d'une analyse partielle, qui néglige en particulier les études menées chez l'homme.
M. François Autain , président . - Votre thèse n'est pas partagée par l'Afssaps : le professeur Lechat, chargé de l'évaluation, a estimé dans son document qu'il n'y avait pas de différences entre les différents médicaments et les différentes molécules, étant donné les doses qui avaient été prescrites et c'est pourquoi il a conclu que le benfluorex était un anorexigène.
Il s'agit d'une querelle d'experts et il nous est difficile d'avoir un avis sur ce point : il leur appartiendra de se mettre d'accord entre eux.
Le professeur Le Doirec, qui a été un de vos experts, disait dans les années soixante-dix que le benfluorex était un anorexigène puissant. Il a pu se tromper, mais les choses ne sont pas simples puisque, même chez vous, on a pu défendre des thèses inverses à celles que vous soutenez aujourd'hui.
M. Emmanuel Canet . - Encore une fois, si un débat contradictoire avec l'Igas avait eu lieu, nous aurions pu nous expliquer de façon détaillée. Je ne remets pas en cause nos publications, mais elles concernaient le rat dont le métabolisme est différent. L'activité anorexigène de la fenfluramine n'est pas portée uniquement par la norfenfluramine, qui ne représente qu'un tiers des composés actifs circulants. Dans ce cas, la fenfluramine, qui représente deux tiers des composés actifs circulants, est elle-même porteuse de l'activité. M. Lechat a considéré qu'il n'y avait qu'un composé actif, la norfenfluramine, dans les deux cas, ce qui est faux pour l'un et pour l'autre de ces médicaments.
Mme Virginie Klès . - D'entrée de jeu, vous nous avez expliqué que la posologie et la fréquence d'administration étaient bien supérieures par rapport aux amphétamines. Vous nous parlez de ratio de métabolite actif mais, au-delà, il y a des concentrations plasmatiques qui sont intimement liées à la posologie et à la fréquence d'administration.
M. Emmanuel Canet . - Dans un cas, vous avez deux composés, A et B, et dans l'autre vous avez B, C, D, E. Pour un médicament A et B sont actifs tandis que pour l'autre B, C, D et E sont actifs mais ne portent pas la même activité pharmacologique (excepté pour B). Il y a donc à la fois des différences de ratio, mais aussi de nature des composés circulants et de profil d'activité de ces composés.
L'Igas oublie également de dire qu'il y a une différence importante entre le profil métabolique chez l'animal, notamment chez le rat, et l'homme.
Mme Virginie Klès . - Pourquoi ne pas avoir mené des essais avec d'autres espèces que le rat, plus proches de l'homme ?
M. Emmanuel Canet . - Nous avons fait des études de toxicologie à la fois sur les rongeurs et sur les gros animaux, en particulier le chien, à des doses suprathérapeutiques. Or, à très fortes doses chez le chien après traitement chronique (52 semaines), on ne constate pas d'impact sur le poids ni sur la consommation alimentaire.
Mme Virginie Klès . - Le métabolisme du chien se rapproche assez peu de celui de l'homme. Pourquoi ne pas avoir étudié les réactions sur le porc, proches de celles de l'homme ?
M. Emmanuel Canet . - Pas pour le benfluorex.
M. Philippe Darniche . - Merci pour ces précisions sur les aspects pharmacologiques. Quand le produit a été mis sur le marché, le lien moléculaire structurel très fort qu'il y a entre le benfluorex et l'ensemble des anorexigènes était-il connu ?
M. Emmanuel Canet . - L'analogie structurale avec les dérivés de la phényléthylamine était connue et nous avions d'ailleurs publié ce fait à deux reprises, mais le Salbutamol est également un dérivé de la phényléthylamine. Je fais bien la distinction entre une parenté de structure et une activité pharmacologique. Notre objectif était d'identifier un composé qui avait en priorité une activité sur le métabolisme des glucides et des lipides, ce qu'ont confirmé ultérieurement la pharmacologie et les essais cliniques.
M. Jacky Le Menn . - A chaque renouvellement de mise sur le marché du Mediator, vous avez tenu le même raisonnement. Je suppose que lorsque vous déposiez un demande de renouvellement d'AMM, les questions étaient les mêmes. Vous garantissiez ce produit et vous assuriez qu'il n'y aurait pas de dérives pour d'autres utilisations. Comment se fait-il que vous n'ayez pas remarqué jusqu'à une date récente les risques d'anomalies valvulaires ? Pourquoi êtes-vous passés à côté de ces risques ? Quand l'Isoméride a été retiré du marché, vous ne vous êtes pas posé de questions, sachant qu'il y avait des prescriptions hors AMM ? Nous ne comprenons pas ce décrochage.
M. Emmanuel Canet . - Concernant le mésusage, nous avions pris des mesures auprès des médecins prescripteurs et de nos visiteurs médicaux pour nous assurer que les recommandations de prescription du produit étaient bien suivies, à la fois par nos propres collaborateurs et par nos médecins prescripteurs. Nous avons tout fait pour réduire les prescriptions hors AMM. Nous tenons ces documents à la disposition de la mission d'information.
Fin décembre 2008, il n'y avait pas de signal tangible, et d'ailleurs différentes commissions de pharmacovigilance l'ont confirmé : après trente-cinq ans de commercialisation, après plus de deux millions et demi de patients traités, nous comptions onze cas de valvulopathies dans notre base de pharmacovigilance, et la Commission nationale de pharmacovigilance considérait qu'il n'y avait pas de signal tangible. Ce n'est qu'en 2009, avec une augmentation importante des notifications, en particulier avec les cas de Brest, que le signal est apparu et que les choses se sont accélérées. A la même époque, les résultats de l'étude Regulate ont confirmé ce signal, ce qui a abouti au retrait du Mediator à l'automne 2009.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Un mois avant le retrait du Mediator, deux génériques ont obtenu leur AMM : les règles sont-elles différentes en fonction des laboratoires ? Avez-vous le sentiment que vos concurrents cherchent à singulariser le cas du Mediator ?
Mme Patricia Maillère . - L'AMM des génériques en question a été délivrée par l'Afssaps en 2008, mais ces médicaments n'ont été mis sur le marché qu'en octobre 2009, ce qui démontre que l'Afssaps ne mettait pas en doute le rapport bénéfices-risques du produit en 2008 : je pense qu'elle n'aurait pas donné d'AMM à ces génériques en octobre 2009.
M. Emmanuel Canet . - En ce qui concerne la rosiglitazone, nous sommes un peu surpris de la façon dont les choses se sont passées, car ce produit induit des effets secondaires sur le plan cardio-vasculaire. Pourquoi ne parle-t-on que de « l'affaire » du Mediator ? Il existe d'autres produits qui sont susceptibles de donner des valvulopathies. Jusqu'à décembre 2010, il y avait d'autres produits sur le marché, qui y sont encore et qui sont des dérivés de l'ergot de seigle et dont on sait qu'ils risquent d'induire de telles maladies.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Faudrait-il être, d'après vous, plus attentif aux mises sur le marché des génériques ?
M. Emmanuel Canet . - Il y a probablement des mesures à prendre pour que les exigences soient identiques en ce qui concerne les princeps et les génériques.
Mme Patricia Maillère . - Le générique doit seulement démontrer sa bioéquivalence avec le produit et se raccroche à toutes les preuves d'efficacité et de sécurité d'emploi du médicament princeps. La qualité de la fabrication de ces produits doit cependant être vérifiée. En France, les mesures d'inspection sont très sérieuses, mais il n'en va pas de même en dehors de l'Europe.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - C'est pour cela que j'ai refusé de voter hier la transposition de la directive en matière sanitaire.
M. François Autain , président . - Il ne s'agissait pas de la directive sur la pharmacovigilance qui n'est pas encore parvenue au Parlement !
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Vous avez parlé d'indemniser les victimes à hauteur de 20 millions d'euros. Cette indemnisation doit-elle s'opérer dans le cadre de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (Oniam) ou d'un dispositif ad hoc ? Nous avons auditionné M. Martin, directeur de l'Oniam, qui indiquait que le coût moyen d'un dossier médical est d'environ 100 000 euros. Cela signifie-t-il que vous considérez le nombre de victimes aux alentours de deux cents alors que vos bases de données n'enregistrent que trente-huit décès « sous Mediator », dont quatre chez des malades porteurs de valvulopathies ?
M. Emmanuel Canet . - Fin février 2011, nous avons dans notre base de données trente-huit décès, ce qui ne veut pas dire qu'ils soient liés à la prise de Mediator. Sur ces trente-huit décès, quatre sont le fait de porteurs d'une valvulopathie, sans préjuger de l'imputabilité.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Comment êtes-vous parvenus à cette somme de 20 millions d'euros ?
M. Laurent Boussu . - Pour calculer le montant de l'indemnisation, nous avons un problème d'évaluation. Nous avons exprimé cette incertitude à Mme Favre qui a été missionnée par les ministères de la santé et de la justice. Nous avons eu trois rendez-vous avec elle et c'est pour cela que le communiqué de presse d'hier peut être qualifié d'intermédiaire. Les solutions techniques n'ont pas encore été validées par les deux autorités qui ont missionné Mme Favre. Il faut comprendre que ces 20 millions sont une première dotation et nous verrons si cette estimation doit être révisée. Nous n'avons pas procédé à une projection de nos bases de pharmacovigilance pour aboutir à ce chiffre.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Par rapport à vos bases de données, ce chiffre n'est-il pas erroné ?
M. Laurent Boussu . - Pour faire des projections d'indemnisation, il faut prendre en compte le nombre de personnes amenées à être indemnisées et l'amplitude de leurs dommages. Grâce à notre étude Regulate , nous avons pu démontrer que les atteintes cardiologiques ou de type valvulopathie dont souffraient les patients étaient minimes. C'est pourquoi nous estimons que, dans la majorité des cas, les indemnisations seront relativement basses ou modérées et que nous pourrons répondre à la plupart des demandes d'indemnisations grâce à ce fonds.
J'en viens à l'Oniam : nous avons voulu combler un vide juridique en proposant une indemnisation aux patients les plus modérément atteints, c'est-à-dire ceux présentant entre 5 % et 24 % d'incapacité permanente partielle (IPP). Nous offrons une procédure d'expertise simplifiée pour ces patients et nous répondons à la demande qui a été faite d'une indemnisation juste et rapide. Un collège d'experts fera un examen sur pièces avant de proposer une indemnisation. Nous travaillerons avec la commission régionale de conciliation et d'indemnisation (CRCI) pour les cas qui seraient supérieurs à 24 % d'incapacité permanente partielle (IPP).
M. Jacques Servier . - Il s'agit avant tout d'un geste de bonne volonté.
M. Emmanuel Canet . - Comme l'a souligné M. Boussu, il est possible qu'un certain nombre de patients se manifestent dans les mois à venir, ce qui explique la distorsion de chiffres entre les données dont nous disposons et le montant dont nous avons doté le fonds d'indemnisation.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Que pensez-vous de la plainte de la Cnam pour « tromperie aggravée » ? L'affaire est portée devant la justice. Nous ne sommes pas des juges : notre mission est d'informer et d'améliorer la politique du médicament.
M. Emmanuel Canet . - Nous contestons un certain nombre de points soulevés par le rapport de l'Igas qui semble, pour l'instant, être la vérité admise et qui ne reflète pas ce que nous savons.
Nous avons toujours travaillé en étroite concertation, et avec le maximum de transparence, avec les autorités administratives et l'Agence du médicament.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Notre mission est de restaurer la confiance vis-à-vis du médicament et d'induire une nouvelle politique du médicament. Quel regard portez-vous sur l'évolution des conditions de mise sur le marché ? Pensez-vous que des médicaments comme le Mediator - ou comme l'aspirine - seraient aujourd'hui mis sur le marché dans les mêmes conditions qu'en 1974 ?
Les modifications des règles administratives ont-elles été dans le bon sens ? En souhaitez-vous de nouvelles ?
M. Jacques Servier . - Cette question est passionnante mais il est difficile d'y répondre.
Je crois beaucoup en la capacité des serviteurs de l'Etat français et j'estime que nous avons les fonctionnaires les plus honnêtes du monde.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Vous regrettez que Mme Castot soit partie ?
M. Jacques Servier . - Elle n'a jamais été indulgente et je ne la connais pas personnellement.
J'ai toujours eu affaire à des fonctionnaires parfaitement honnêtes.
La pharmacie était entièrement libre jusqu'en 1940. Cette année-là, on nous a imposé une loi qui n'a pas été très heureuse, alors qu'il y avait peu d'accidents thérapeutiques en France auparavant et une liberté complète.
La professionnels de la santé n'ont jamais intérêt à tuer, à blesser, ni même à mécontenter leurs clients.
M. François Autain , président . - Primum non nocere !
M. Jacques Servier . - Exactement ! L'industrie pharmaceutique française était la première du monde jusqu'en 1914 et la deuxième jusqu'en 1940. Il était indispensable de mieux règlementer les pratiques à cause de l'efficacité et de l'activité des nouveaux médicaments. Mais les contrôles ont été très lourds, avec d'abord le service central de la pharmacie qui comprenait quarante personnes. On a estimé, à tort, qu'elles ne travaillaient pas très bien, et on a créé l'Agence qui est passée à 1 200 personnes. Les fonctionnaires devaient être choisis en fonction de leurs compétences, de leur objectivité et de leur ténacité. Mais ils auraient dû avoir une situation en rapport, ce qui ne s'est pas passé. Les fonctionnaires et les membres des commissions ne sont pas bien traités. Ils travaillent très souvent dans des conditions difficiles et ils font ce qu'ils peuvent.
M. François Autain , président . - Vous faites allusion aux conditions de travail des membres des commissions, des praticiens hospitaliers professeurs des universités (PHPU), par exemple, dont les membres viennent souvent travailler bénévolement ?
M. Jacques Servier . - Absolument ! Ainsi, un professeur de Montpellier devait se lever à 5 heures du matin pour être à 10 heures à Paris et il avait une demi-heure pour prendre connaissance de dossiers qui comportent des millions de données. C'est inhumain. Mais les fonctionnaires de carrière ne sont pas mieux traités. Il aurait fallu des instances moins lourdes et sélectionner les gens en fonction de leur bon sens et leur ténacité.
En outre, on suppose de la malhonnêteté dans tous ces mécanismes : mais il n'y en a pas. Mais comment éviter que, dans de si lourdes organisations, il n'y ait pas des camaraderies et des affinités de toutes sortes ? La France vit assez largement sous un régime d'endogamie.
Il faudrait sélectionner des gens parfaitement raisonnables dans les commissions et non pas des ténors de la contestation ou de la conservation. Nous y sommes arrivés dans le domaine du nucléaire.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Vous avez évoqué le poids de l'industrie pharmaceutique en France et son rang. Aujourd'hui, sentez-vous l'appétit de certaines grandes firmes étrangères, notamment américaines, pour l'industrie française ?
M. Jacques Servier . - Quand j'ai commencé à exercer, il y avait 3 000 laboratoires français. Aujourd'hui, il n'en reste que trois ou quatre. Evidemment, il y a eu un mouvement de concentration mais en Allemagne ou aux Etats-Unis, il y a beaucoup plus de sociétés pharmaceutiques, ce qui permet davantage de créativité.
L'industrie pharmaceutique française n'a pas d'« ambassades », alors que les industries étrangères en ont : quand un grand pays industriel veut imposer ses produits dans un autre pays, ses « ambassades » jouent un grand rôle.
Comme le disait Charles Mérieux, ce sont des métiers dont on vit et dont on meurt, car ce sont des métiers stimulants mais aussi horriblement angoissants, vous en comprenez les raisons dans le contexte actuel. Ce sont des métiers extrêmement agités dans leurs rapports administratifs et politiques. Nous avons absolument besoin de ténacité. Il a fallu cinquante ans pour construire ce laboratoire. A l'heure actuelle, les grands managers entrent dans une grande entreprise, y restent deux ans et s'en vont avec des indemnités et des primes considérables, mais notre industrie ne peut pas se permettre ce type de fonctionnement.
M. François Autain , président . - C'est pourtant ce qui se passe dans les grands laboratoires internationaux.
M. Jacques Servier . - Chez nous, nous essayons de payer convenablement tout le monde, et pas spécialement les grands cadres, et c'est pour cette raison que nous sommes une maison extrêmement unie. L'argent ne compte que lorsqu'on n'en a pas : lorsqu'on en a suffisamment, il faut s'en contenter et on a fait une folie avec les sursalaires des grands managers, car ils n'en n'ont pas besoin et parce que cela provoque des jalousies dégradantes.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Que pensez-vous de la proposition consistant à interdire la visite médicale ?
M. Jacques Servier . - Il s'agit d'une activité particulière : elle a beaucoup augmenté dans les années 70 lorsque les laboratoires américains se sont implantés en France : nous avions alors dans notre maison trente visiteurs et nous nous sommes trouvés devant des concurrents qui en avaient mille ! Il aurait fallu à l'époque un arrangement entre les laboratoires et les pouvoirs publics afin de ne pas multiplier les visiteurs médicaux.
Etre visiteur médical, c'est souvent une deuxième chance dans la vie : nous recrutons des gens intelligents mais qui n'ont pas eu la chance de faire des études longues ou qui ont connu des accidents familiaux. Les médecins ont aussi besoin qu'on vienne leur présenter les dernières nouvelles de la thérapeutique dans leur cabinet.
Et puis, si l'on supprimait les visiteurs médicaux, cela ferait 25 000 chômeurs de plus du jour au lendemain. Enfin, l'Etat doit-il être le seul à produire de l'information sur les médicaments ?
M. François Autain , président . - Que s'est-il passé avec Les entreprises du médicament (Leem) ? Quels sont vos rapports avec cette organisation ?
M. Jacques Servier . - Si les syndicats ouvriers étaient aussi efficaces que le Leem, il y aurait toujours des enfants qui travailleraient dans les mines. Cela dit, c'est certainement un des clubs les plus sympathiques du XVI e arrondissement.
Nous avons démissionné quatre fois et, comme dans l'affaire du Mediator il n'a pas fait preuve d'une grande solidarité, nous avons démissionné une cinquième fois. De temps en temps, nous nous rapprochons un peu, nous nous rendons des services, mais ce sont des rapports comme on en a dans les mauvais ménages.
M. François Autain , président . - En lisant le livre d'Irène Frachon, j'ai vu que les laboratoires Servier auraient suspendu leur subvention à l'Association des diabétologues et leur participation à son congrès annuel. Est-ce exact ?
M. Jacques Servier . - C'est impensable ! Nous sommes très liés à l'Association de langue française pour l'étude du diabète et des maladies métaboliques (Alfédiam) et cela fait vingt ans que nous y cotisons.
M. François Autain , président . - D'après vous, ce qu'écrit Mme Frachon est donc faux.
M. Jacques Servier . - Son état d'esprit s'apparente sans doute à celui de Jeanne d'Arc.
M. François Autain , président . - Nous poserons la question à Mme Frachon lorsque nous l'auditionnerons.
J'en viens au think tank nommé l'Institut de prospective économique du monde méditerranéen (Ipemed) dont l'objectif est de rapprocher par l'économie les deux rives de la Méditerranée et dont l'un des présidents était M. Guigou. Avez-vous participé à son financement, comme il a été indiqué dans la presse ?
M. François Autain , président . - Vous avez confié au professeur Lucien Abenhaïm une étude restée célèbre, l'International primary pulmonary hypertension study (IPPHS), que vous avez rémunérée dans sa totalité. Lui avez-vous confié d'autres études ?
M. Jacques Servier . - Jamais !
Mme Patricia Maillière . - Avant l'étude IPPHS, une étude relative à l'hypoglycémie et aux sulfonylurées avait été réalisée par le professeur Lucien Abenhaïm. Après l'IPPHS nous avons continué à travailler avec lui dans le cadre d'une étude sur la maladie veineuse.
M. François Autain , président . - Donc vous lui avez confié d'autres études ?
M. Jacques Servier . - Oui, je l'avais oublié ...
M. François Autain , président . - Vos relations étaient donc excellentes, malgré une petite divergence sur l'IPPHS, dont les résultats n'étaient pas forcément conformes à vos attentes. Quelle appréciation portez-vous sur cette étude et quelles en ont été les conséquences sur vos rapports avec le docteur Abenhaïm ?
M. Jacques Servier . - Si je le rencontre dans Paris, nous aurons des échanges amicaux. Mais nous renouvelons nos experts de temps à autre.
M. François Autain , président . - A la suite de cette étude, il ne s'est rien passé ?
M. François Autain , président . - Lui se plaint d'avoir reçu des petits cercueils par la Poste, il s'est senti persécuté.
M. Jacques Servier . - On a même dit qu'ils étaient envoyés par mon épouse.
M. François Autain , président . - C'est un fantasme ?
M. Jacques Servier . - De la mythologie.
Mme Marie-Christine Blandin . - Votre très récente annonce d'une proposition d'aide aux victimes n'a été accompagnée ni d'une évaluation chiffrée, ni de mesures techniques. Vous avez lié cette offre, comme cela se fait dans certaines affaires, à une renonciation aux poursuites judiciaires, ce qui a semé l'émotion. Dans le cas de l'amiante, l'indemnisation par le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante ne fait pas obstacle aux poursuites - le Fiva se portant lui-même en justice. Les victimes ont besoin de recevoir une aide mais aussi de faire dire la faute. Votre demande leur pose problème.
M. Laurent Boussu . - La façon dont les médias ont présenté l'information nous a émus. Sachez que des personnes qui n'ont subi aucun préjudice s'adressent à nous pour recevoir de l'argent...
Dans le cas de l'amiante, les victimes indemnisées conservent la faculté d'engager des poursuites. Mais dans le cas d'autres fonds, créés pour des indemnisations de même nature, les intéressés renoncent à agir en justice. Je comprends l'émotion que vous rapportez mais les personnes qui nous contactent, ou leurs avocats, ou les associations, formulent avant tout un souhait d'indemnisation. Chacun est libre d'user de sa faculté d'ester en justice. Et les informations pénales qui ont été ouvertes se poursuivent. Nous en attendons beaucoup pour avoir l'occasion enfin de nous exprimer sur le sujet. Nous sommes du reste étonnés - à moitié - que des avocats dénoncent notre démarche en évoquant une visée procédurière, alors que nous proposons une solution rapide.
M. Jacky Le Menn . - Estimez-vous que votre laboratoire est victime d'une cabale médiatique ? La médiatisation de l'affaire du Mediator vous semble-t-elle normale ? Les pouvoirs publics sont-ils dans leur rôle en insistant pour comprendre ce qui se passe ?
Mme Janine Rozier . - Je ne comprends pas grand-chose aux informations scientifiques et je crois que les medias ne les maîtrisent guère plus que moi. Si bien que tout et n'importe quoi a été écrit, mais toujours à charge contre les laboratoires Servier, avant même qu'aucune preuve n'ait été apportée. Je le déplore. Il en résulte des dommages considérables pour cette entreprise et pour l'activité économique dans le Loiret. Servier y fournit du travail depuis cinquante-six ans et sa réputation n'a auparavant jamais été égratignée.
M. François Autain , président . - Nous sommes en présence de différentes thèses et il faut qu'elles s'expriment.
Mme Janine Rozier . - D'où cette mission, mais je regrette que tout et n'importe quoi soit dit avant même que nous soyons parvenus à une quelconque conclusion et que la vérité ait émergé.
M. Emmanuel Canet . - Nous sommes heureux de pouvoir nous exprimer devant la représentation nationale, exposer nos arguments, donner des éléments de réponse. Le déroulement des événements est parfois anormal : ainsi la commission nationale de pharmacovigilance a tenu une réunion où elle ne nous a pas entendus ; des informations ont filtré dans la presse le soir même et la commission a convoqué une conférence de presse avant même de nous avoir donné l'occasion de répondre.
M. François Autain , président . - Vous aussi avez tenu une conférence de presse, réservée à la presse médicale, me semble-t-il ?
M. Jacques Servier . - Nous avons de temps en temps de telles réunions avec la presse spécialisée.
M. Emmanuel Canet . - Nous considérons que le traitement médiatique ne nous a pas laissé la possibilité de faire valoir notre point de vue dans le cadre d'un débat contradictoire, conforme aux règles de la démocratie. Nous sommes favorables à un débat public dans une enceinte qui garantit son caractère contradictoire.
M. François Autain , président . - Ici, il n'y a pas de débat, on vous écoute, on ne vous contredit pas.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - L'affaire du Vioxx a montré que les médicaments sont mis sur le marché selon un modèle pasteurien. Or un médicament est appliqué à une population qui souffre d'une pathologie sur le long terme. Il peut y avoir inadéquation entre le modèle d'élaboration des médicaments et leur utilisation ultérieure.
M. Jacques Servier . - C'est absolument certain. Le seul remède est de tenir compte de l'avis des médecins. La médecine française est la meilleure du monde, au plus près du patient. La santé publique est un concept théorique : ce qui doit être pris en compte avant tout, c'est la souffrance de chacun, la migraine de l'un et la gastralgie de l'autre. On entend encore trop d'opinions dogmatiques.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Il faut faire évoluer le modèle en fonction des pathologies chroniques.
Mme Patricia Maillère . - Dans les études de phase III et le dossier d'AMM, on tient compte des pathologies chroniques mais il est exact qu'on n'inclut pas dans les d'essais, sur des sujets fragiles, personnes très âgées ou enfants, etc. La pharmacovigilance a connu des évolutions profondes, l'AMM s'accompagne désormais d'une réflexion sur un plan de gestion des risques : il s'agit de réfléchir sur les risques éventuels qui n'ont pu être évalués initialement. Des points d'étape sont prévus.
Mais je rappelle que les études portent sur un nombre toujours plus important de patients, jamais moins de 5 000 dans un dossier d'AMM. Néanmoins le risque à fréquence rare reste difficile à cerner. La pharmacovigilance restera toujours un outil indispensable.
M. Jacques Servier . - Je vous remercie de ce débat en profondeur : il n'y a pas de démocratie sans Sénat.
Audition de M. Jean-René BRUNETIÈRE, ancien directeur général de l'Agence du médicament (1997-1999) (mardi 22 mars 2011)
M. François Autain , président. - Nous accueillons M. Jean-René Brunetière, ancien directeur général de l'Agence du médicament, pour l'auditionner sur la période 1997-1999. Nous le remercions d'avoir répondu à notre invitation. Je vous rappelle que cette audition est ouverte à la presse et fait l'objet d'un enregistrement audiovisuel en vue de sa diffusion sur le site Internet du Sénat et sur Public Sénat.
En application de l'article L. 4113-13 du code de la santé publique, je dois vous demander de nous faire connaître, si vous en avez, vos liens avec des entreprises produisant ou exploitant des produits de santé ou des organismes de conseil intervenant sur ces produits.
M. Jean-René Brunetière, ancien directeur général de l'Agence du médicament (1997-1999) . - Je n'en ai aucun.
M. François Autain , président . - Vous ne m'étonnez pas. Souhaitez-vous nous faire part de propos liminaires ?
M. Jean-René Brunetière . - Je me tiens à votre disposition pour répondre à vos questions. Mon seul propos liminaire sera ma compassion pour les victimes de cette affaire que nous n'avons pas su protéger.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Nous avons deux catégories de questions à vous poser. L'une concerne le problème du Mediator afin d'obtenir quelques éclaircissements sur les dysfonctionnements constatés, l'autre l'évaluation, le contrôle et la politique du médicament que nous avons mis en place par l'intermédiaire de la législation actuelle.
Le rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas), dans sa conclusion, souligne que « le système de notification des cas par les professionnels de santé aurait pu permettre le retrait du Mediator dès 1999 si le principe de précaution s'était appliqué ». Quelle est votre appréciation sur cette affirmation ? Disposiez-vous à l'époque d'un certain nombre d'éléments qui vous auraient permis d'envisager une procédure de retrait du marché de ce médicament ?
En outre, vous avez été destinataire d'une dépêche AFP concernant une étude de l'union régionale des caisses d'assurance maladie (Urcam) de Bourgogne sur le fait que le Mediator était utilisé à des fins amaigrissantes, préconisant son reclassement dans le groupe des amphétamines. Pouvez-vous nous dire la suite que vous avez donnée à cette demande ?
M. Jean-René Brunetière . - Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, concernant la première question, je dois préciser que j'ai été directeur général de l'Agence du médicament de novembre 1997 au 8 mars 1999. Le premier cas de valvulopathie attribué au Mediator a fait l'objet d'un signalement qui est parvenu au centre de pharmacovigilance régional de Besançon en février 1999. Je n'en ai pas eu connaissance personnellement.
M. François Autain , président . - Je vous arrête, monsieur. Vous faites allusion aux hypertensions artérielles pulmonaires ou aux valvulopathies imputables au seul Mediator ?
M. Jean-René Brunetière . - C'est exact.
M. François Autain , président . - Or, dans la période pendant laquelle vous étiez directeur de l'Agence, vous avez sans aucun doute eu connaissance de cas où le Mediator était associé aux fenfluramines et avait provoqué un certain nombre d'hypertensions artérielles pulmonaires. Tel est l'objet du rapport Bechtel qui émanait du centre régional de pharmacovigilance de Franche-Comté en 1998 et qui, je pense, a été communiqué à la commission nationale de pharmacovigilance. Je souhaitais apporter cette précision.
M. Jean-René Brunetière . - Il convient de rappeler l'existence de plusieurs étages de décision : le comité technique de pharmacovigilance, la commission nationale de pharmacovigilance, la commission d'autorisation de mise sur le marché (AMM) et le directeur général. A ma connaissance, il ne m'est jamais parvenu de signalement d'effets indésirables graves imputables au Mediator.
M. François Autain , président . - Vous avez raison ; ces effets indésirables n'ont jamais été imputés au seul Mediator.
M. Jean-René Brunetière . - Les soupçons que nous avions sur le Mediator provenaient essentiellement de sa parenté chimique avec les autres amphétamines qui avaient été retirées du marché ou restreintes entre 1995 et 1997, soit avant mon arrivée à l'Agence.
M. François Autain . - Excusez-moi de revenir sur cette question, mais j'ai sous les yeux l'enquête officielle présentée au comité technique de pharmacovigilance du 17 décembre 1998 alors que vous étiez encore directeur de cette agence. Il fait état de onze cas d'hypertension pulmonaire dans lesquels le Mediator était à chaque fois mis en cause parmi d'autres médicaments. Par conséquent, je pense que vous avez eu des remontées.
M. Jean-René Brunetière . - Je n'en ai pas eu.
M. François Autain . - Lorsque la commission nationale de pharmacovigilance ou le comité technique se réunissaient, n'aviez-vous pas un représentant qui y siégeait ? N'étiez-vous pas informé ?
M. Jean-René Brunetière . - Je ne suis pas médecin. Dès lors, chacun prenait ses responsabilités. A un moment donné, les commissions scientifiques de l'Agence se réunissaient, prenaient une position et proposaient à ma signature une décision, qu'il s'agisse d'une autorisation, d'un retrait ou autre. Je n'avais pas qualité pour leur indiquer qu'elles se trompaient sur tel ou tel point.
Cependant, je posais des questions lorsque quelque chose m'étonnait. Dix ans après, mes souvenirs sont vagues. Néanmoins, je me souviens de m'être étonné du fait qu'il existait des cas d'hypertension pulmonaire artérielle en France et de valvulopathie aux Etats-Unis liés aux fenfluramines, médicaments qui avaient été retirés du marché. On m'a alors expliqué que ces médicaments n'avaient pas été prescrits dans les mêmes stratégies thérapeutiques. Je me suis donc contenté de cette explication. S'agissant du Mediator, nous nous attentions davantage à des hypertensions artérielles pulmonaires qu'à des valvulopathies. J'ai cru comprendre que ces hypertensions artérielles pulmonaires n'avaient, durant mes fonctions à l'Agence, jamais encore pu être imputées par les scientifiques directement au Mediator. Ce dernier était sous surveillance étroite à titre officieux depuis 1995 et à titre officiel depuis mai 1998 - l'enquête officielle avait été déclenchée sous mon mandat - au titre de soupçons. Or, comme l'a souligné le rapport de l'Igas, il est très difficile de procéder au retrait d'un médicament sur des soupçons. Malheureusement, seuls des incidents graves permettent de le retirer immédiatement du marché.
A la même époque, nous avons connu un exemple de ce type avec le Tasmar qui était un antiparkinsonien du laboratoire Roche. Ce médicament était parfaitement efficace. Or, trois cas d'hépatites fulminantes ont été recensés dans le monde. Par conséquent, le médicament fut retiré du marché en quarante-huit heures. Le Mediator a survécu plus longtemps car nous n'avions que des soupçons. En l'absence d'incident grave, nous ne pouvions pas le retirer du marché. Le débat d'experts a permis la survie du Mediator.
M. François Autain , président . - Vous n'aviez pas entendu parler du Mediator ?
M. Jean-René Brunetière . - J'avais patronné la mise sous enquête - je ne saurais pas dire si c'était sous ma signature ou sous délégation de signature - donc j'étais au courant.
M. François Autain , président . - La mise sous enquête officielle a été décidée en mai 1998 mais l'enquête officieuse date de 1995 ?
M. Jean-René Brunetière . - C'est exact.
Le premier signalement de valvulopathie est parvenu quelques jours avant mon départ de l'Agence. Je n'ai pas le souvenir qu'il m'ait été communiqué. Si tel avait été le cas, je n'aurais manifestement pas eu le temps d'intervenir car il a été notifié le 16 février ; or j'ai quitté l'Agence le 8 mars.
M. François Autain , président . - Evoquez-vous le cas de valvulopathie de Marseille ?
M. Jean-René Brunetière . - C'est oui.
Pour répondre à l'autre question, la lettre de l'Urcam de Bourgogne a été publiée dans Le Figaro du 10 décembre. C'est ainsi que je l'ai découverte ou plutôt redécouverte.
M. François Autain , président . - Cela signifie-t-il qu'au moment où elle a été publiée, vous n'en aviez pas connaissance ?
M. Jean-René Brunetière . - Je n'ai pas de souvenir précis de tous les épisodes lorsque j'étais directeur général de l'Agence du médicament.
J'ai fait publier dans Le Figaro un droit de réponse. J'ai alors pris un avocat. Je pense que vous disposez d'une copie de mon droit de réponse.
M. François Autain , président . - Nous l'avons.
M. Jean-René Brunetière . - Cette lettre soulève trois problèmes : les effets indésirables du Mediator, le service médical rendu et son classement parmi les amphétamines.
M. François Autain , président . - N'oublions pas le mésusage de ce médicament.
M. Jean-René Brunetière . - L'autre problème était celui du mésusage lié au remboursement.
Comme vous pouvez le lire sur la copie de la lettre originale, j'ai adressé copie de la lettre aux deux directions compétentes, à savoir la direction de l'évaluation sous l'autorité du professeur Alexandre et la direction des études et de l'information pharmaco-économiques sous l'autorité du docteur Florette qui étaient respectivement en charge, pour le premier, de l'AMM et de la pharmacovigilance, et pour le second, du bon usage du médicament et du secrétariat de la commission de la transparence.
Les deux directions ont eu des échanges dont il est fait état dans le rapport de l'Igas. Ces échanges portent notamment sur les chiffres de vente car une surveillance de ces chiffres a été lancée simultanément avec l'enquête de pharmacovigilance. J'avais demandé aux deux directions de préparer conjointement une réponse à ma signature. En effet, « RMS » sur le document signifie « réponse à ma signature ». Le rapport de l'Igas m'a appris - je ne pense pas qu'une copie de l'échange entre les deux directions m'ait été communiquée - que la direction qui surveillait les ventes n'avait pas constaté d'augmentation significative des ventes au moment du retrait du Pondéral et de l'Isoméride. La direction de l'évaluation craignait alors un report de prescription lors du retrait du marché de l'Isoméride et du Pondéral.
M. François Autain , président . - Je vous rappelle que cela ne s'est pas vérifié par la suite. Nous avons au contraire observé une augmentation considérable des ventes du benfluorex à la suite du retrait de l'Isoméride. Cela prouve bien que le benfluorex était également prescrit comme coupe-faim, contrairement à ce que l'on veut nous faire admettre.
M. Jean-René Brunetière . - C'est exact. Nous avions manifestement une prescription en dehors de l'AMM, connue de l'Agence depuis 1997. A ce titre, la lettre de l'assurance maladie qui m'a été adressée ne faisait que confirmer les informations que nous avions à notre disposition depuis plus d'un an et qui avaient motivé le déclenchement de la surveillance des ventes. Je ne sais pas pour quelle raison la communication entre les deux directions fait état - ce que j'ai appris par le rapport de l'Igas - d'une absence d'augmentation significative des ventes. Toutefois, nous pouvions sans doute chiffrer à 20 % ou 30 % la prescription hors AMM du Mediator comme coupe-faim amaigrissant.
J'avais le sentiment que nous étions à l'affût en ce qui concerne la pharmacovigilance. S'agissant de la prescription hors AMM, je l'avais signalée à la direction compétente. En revanche - et je m'en veux encore -, je n'ai pas prêté particulièrement attention à la question du classement du médicament. Lorsqu'on se réfère aux deux passages que j'ai soulignés sur l'original, les traits un peu épais sont de ma plume. J'écrivais d'une encre brune reconnaissable.
M. François Autain , président . - J'ai l'original. Vous avez souligné deux passages.
M. Jean-René Brunetière . - Vous voyez que je n'ai pas souligné la fin sur le classement dans les amphétamines. En effet, j'étais très préoccupé des effets indésirables que nous aurions pu détecter lors de l'enquête de pharmacovigilance. J'étais également préoccupé de la prescription hors AMM. Cependant le classement du médicament ne m'alertait pas, n'étant ni médecin ni pharmacien.
Le rapport de l'Igas fait état d'un projet de réponse à cette lettre. Je ne saurais pas dire aujourd'hui si nous avons effectivement répondu ou non, mais le projet de réponse fait état de la manière dont l'Agence considérait les choses. Premièrement, ce médicament était sous surveillance du point de vue de la pharmacovigilance. Deuxièmement, le classement du médicament parmi les médicaments du diabète et de l'hyperlipidémie ne le répertoriait pas comme une amphétamine. En revanche, sa parenté avec les amphétamines justifiait notre vigilance. En effet, selon moi, ce médicament ne devait pas être assimilé à l'Isoméride et au Pondéral mais était un parent dont il fallait déterminer le degré de cousinage. Tel était mon état d'esprit à l'époque.
M. François Autain , président . - Est-ce que vous aviez connaissance du fait que ce médicament avait été retiré des préparations magistrales en 1995 ? Cela attestait sa nature chimique et son assimilation à un coupe-faim.
M. Jean-René Brunetière . - Je n'en ai pas le souvenir. La mémoire transforme les choses. Les explications qu'on m'avait données à cette époque m'avaient semblé convaincantes.
M. François Autain , président . - Quand vous dîtes « on », à qui pensez-vous ?
M. Jean-René Brunetière . - Je fais essentiellement référence à la direction de l'évaluation, c'est-à-dire le professeur Alexandre en qui j'avais toute confiance d'un point de vue scientifique. C'était une sommité mondiale ; il était à la fois président du comité européen et directeur de l'évaluation à l'Agence. Dès lors, il était extrêmement respecté dans le milieu. Par conséquent c'était ma référence scientifique. D'ailleurs, il avait parfois l'honnêteté de dire : « sur ce point-là, je ne sais pas ».
A l'Agence du médicament, la sortie des deux médicaments du marché - ce n'était pas encore un retrait définitif - était considérée comme un haut fait. Mon prédécesseur avait rencontré de grandes difficultés y compris des menaces ; vous êtes au courant de cela.
M. François Autain , président . - Nous l'avons auditionné. Nous en avons parlé.
M. Jean-René Brunetière . - Quand j'ai pris sa succession, mon prédécesseur apparaissait comme le mythe fondateur de l'Agence, ayant eu le courage d'avoir affronté un laboratoire français. Selon moi, le ménage était fait. Je considérais que le Mediator n'avait pas été retiré du marché car il n'était pas apparenté aux deux autres médicaments. Or, cette idée s'est révélée largement fausse par la suite.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Alors que ce médicament était placé sous surveillance pour sa parenté avec les fenfluramines et qu'une enquête officielle avait été mise en place le 11 mai 1998 sur ses effets indésirables, pourquoi n'avoir pas envisagé l'application du principe de précaution ou au moins de prudence ? La convergence de ces différents signaux d'alerte ne devait-elle pas conduire à ne pas attendre le résultat des études en cours ?
M. Jean-René Brunetière . - D'une certaine manière, nous pouvons largement regretter qu'à cette époque-là, le droit était presque davantage un droit du commerce et de l'industrie qu'un droit de la santé publique. En effet, ces questions étaient traitées à la commission européenne par la direction de l'industrie et non par la direction de la santé. Dès lors, pour interdire un produit, il fallait apporter - l'Agence avait d'ailleurs perdu un procès contre Servier pour une restriction d'indication d'un médicament juste avant mon arrivée - des preuves suffisantes pour que le tribunal n'annule pas la décision. Or, les scientifiques qui m'entouraient disaient que nous ne disposions pas de preuves suffisantes. Nous ne pouvions pas à l'époque retirer un médicament du marché sur des présomptions non prouvées.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Vous avez été directeur général de l'Agence. Qu'avez-vous mis en oeuvre pour améliorer la politique du médicament ? Que regrettez-vous de ne pas avoir mis en oeuvre ? Finalement, quel est le bon profil du directeur général d'une agence du médicament ? Vous dîtes que vous n'êtes pas médecin. Doit-on recentraliser l'Agence ou la garder telle quelle ? Quel doit être le champ des responsabilités du directeur général, notamment au regard des avis qui lui sont transmis par la voie de l'expertise ?
M. Jean-René Brunetière . - L'Agence constitue un grand progrès par rapport à l'ancien système de direction de la pharmacie car elle a permis de doter le nouveau système de moyens que l'ancien n'aurait pas pu acquérir ainsi que de recruter des personnes de qualité. Rappelons le contexte : l'industrie pharmaceutique était omniprésente et très riche tandis que le service public ne l'était pas. Par conséquent, le recrutement à l'Agence s'avérait difficile. En effet, nous n'offrions pas des salaires comparables à ceux de l'industrie pharmaceutique. Grâce à l'aura du professeur Alexandre, nous avons recruté de nombreux jeunes pharmaciens prometteurs qui restaient quelques années à l'Agence mais avec la perspective de se faire embaucher un jour par un laboratoire. Les laboratoires « tournaient autour » de l'Agence pour recruter de nouvelles personnes.
M. François Autain , président . - Ils tournaient autour mais ne rentraient pas ?
M. Jean-René Brunetière . - Il m'arrivait tout de même de recevoir des représentants de l'industrie pharmaceutique.
M. François Autain , président . - J'emploie la même métaphore que vous pour évoquer l'influence des laboratoires sur l'Agence.
M. Jean-René Brunetière . - Il faudra que nous parlions des questions de conflits d'intérêts que ces aspects soulèvent.
Par ailleurs, je pense que l'expertise interne de l'Agence était de qualité même si je n'ai pas toutes les qualifications pour en juger. Elle était doublée d'une expertise externe assez importante.
Toutefois, la séparation de l'AMM, du remboursement et de la transparence était peut-être source de difficultés.
Je ne suis pas sûr que l'existence de plusieurs systèmes est une bonne chose. Dans d'autres pays, lorsqu'un médicament est mis sur le marché, on considère qu'il a fait ses preuves et doit donc être remboursé le cas échéant. D'ailleurs, la dilution des responsabilités a été néfaste dans l'affaire du Mediator.
A l'époque, les dysfonctionnements concernaient la formation continue des médecins, l'influence des laboratoires sur la prescription et le défaut de moralisation de la visite médicale. Je n'ai pas la preuve que, dans le secret des cabinets, la prescription hors AMM n'ait pas été évoquée lors des visites médicales. La pression de l'industrie pharmaceutique était vraiment très forte.
En outre, le financement de l'Agence était public avec une participation majoritaire de l'Etat, de l'ordre de 50 % du fait des salaires. Je passais mon temps à répéter aux directeurs de l'industrie pharmaceutique que les taxes ne leur revenaient pas mais correspondaient à un prélèvement de l'Etat. Néanmoins, l'augmentation progressive du financement par les taxes prélevées sur l'industrie pharmaceutique ne me semblait pas aller dans le sens de l'indépendance de l'Agence et m'inquiétait déjà.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Vous nous dites que le système de l'Agence du médicament est préférable à une direction car elle bénéficie de plus de moyens. Or, si ces moyens avaient été mis directement au service de la puissance publique au sein de l'administration centrale, quelle aurait été la différence ?
Le système d'agence avait été largement mis en place par l'Angleterre avant d'être véhiculé dans toute l'Europe. Cependant, nous nous apercevons que l'expertise de l'Agence peut être sujette à l'erreur. Si ces moyens avaient été mis au sein d'une administration centrale, qu'est-ce que cela aurait changé ?
M. Jean-René Brunetière . - Cela n'aurait rien changé. Je fonctionnais comme un directeur d'administration centrale. J'étais en liaison constante avec le cabinet du ministre. Le ministre M. Bernard Kouchner nous réunissait tous les quinze jours autour des questions de sécurité sanitaire. Dès lors, je ne me comportais pas comme un électron libre au sein d'une agence voguant seule. Ce statut d'agence était un artifice administratif pour régler des problèmes financiers et administratifs. Je me considérais comme entièrement dévoué au Gouvernement. Dans la pratique, les décisions importantes étaient évidemment prises sous l'égide du ministre.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Si nous conservons le système de l'Agence du médicament, compte tenu de l'évolution du droit vers un droit de la santé publique, quel doit être aujourd'hui le champ de responsabilités du directeur général d'une agence du médicament au regard des avis qui lui sont transmis par la voie de l'expertise ? Par ailleurs, êtes-vous d'accord avec la proposition du rapport Debré-Even de transformer l'agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) en une agence du médicament ?
M. Jean-René Brunetière . - Je prenais les décisions directement et non par délégation. En effet, la loi m'octroyait une délégation directe pour prendre les décisions d'AMM, de retrait, etc.
M. François Autain , président . - Le directeur général de l'Agence du médicament avait-il les mêmes prérogatives que celui de l'Afssaps qui remplacera l'Agence du médicament ? Prenait-il les décisions au nom de l'Etat ?
M. Jean-René Brunetière . - C'est exact. Cela n'a pas changé. Il prenait les décisions directement et non par délégation. Je trouvais ce système convenable car les responsabilités étaient clairement définies. C'est pourquoi je réponds aujourd'hui devant vous de mes responsabilités.
S'agissant des propositions qui m'étaient transmises par les commissions scientifiques, je n'étais pas lié par la totalité d'entre elles. Je pouvais demander que ces propositions soient revues. Néanmoins, je n'allais pas dire aux membres des commissions scientifiques : « Vous vous trompez tous ; j'ai raison ». Cependant, sur certains points importants, je demandais des explications et des compléments d'information. J'ai une culture scientifique générale et des connaissances en statistiques. Dès lors, l'épidémiologie ne m'était pas étrangère. Par conséquent, je faisais une dernière relecture des propositions.
Sur le point de savoir si le poste de directeur général doit être confié à un médecin, je suis mal placé pour donner une réponse absolue. De mon point de vue, ce n'est pas nécessaire. Mon successeur a été un médecin.
M. François Autain , président . - Actuellement, ce poste est occupé par un médecin.
M. Jean-René Brunetière . - Oui ; dernièrement il a été occupé par un conseiller d'Etat... Je ne suis pas du tout sûr que le fait que le directeur général de l'Agence soit un médecin donne une garantie particulière. En effet, lors de l'accident nucléaire de Tchernobyl, nous revoyons les images du professeur Pèlerin qui était bien médecin. Par conséquent, tout le monde peut se tromper. En revanche, l'organisation de la délibération collective et de la collecte du savoir importe davantage.
Je pense que tous les systèmes sont défendables à condition que le directeur général de l'Agence soit un organisateur.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Vous ne nous avez toujours pas répondu sur la question du champ de responsabilités du directeur général d'une agence du médicament au regard des avis qui lui sont transmis par la voie de l'expertise.
M. Jean-René Brunetière . - Il endosse la décision. C'est lui qui signe donc il a la pleine responsabilité. Je trouve que c'est une bonne chose. Je n'aurais pas accepté le poste si je n'avais pas approuvé ce système. Je savais la portée de mon engagement. Il est préférable que les responsabilités ne soient pas diluées mais confiées à une personne.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Je vous poserai une dernière question pour ma part. Faut-il donner à la commission de pharmacovigilance un pouvoir de décision et pas seulement une compétence à donner des avis ?
M. Jean-René Brunetière . - Je répugne un peu à donner à une commission un pouvoir de décision. Dans l'affaire du Mediator, la question n'a été que très rarement portée à la connaissance de la commission nationale de pharmacovigilance. Dix-sept réunions du comité technique ont été organisées selon le rapport de l'Igas mais leurs conclusions ne sont jamais parvenues à la commission d'AMM. La question d'un hiatus possible entre l'avis de la commission et un décideur n'a pas pu être posée puisque les conclusions de la commission n'ont pas été portées à la connaissance du décideur.
Je pense que la structure « avis scientifique et décision par un responsable public » n'est pas une mauvaise formule.
M. François Autain , président . - Je voudrais revenir sur la lettre du 21 septembre 1998 que vous ont adressée ces trois médecins-conseils nationaux de l'assurance maladie. Cette lettre de la caisse de Bourgogne a donné lieu à un reportage dans la région et à une dépêche de l'AFP qui est arrivée sur le bureau d'un des conseillers du ministre, à savoir Gilles Duhamel.
M. Jean-René Brunetière . - Il s'agit du docteur Gilles Duhamel.
M. François Autain , président . - Gilles Duhamel vous aurait transmis cette dépêche avec un mot. Je voudrais savoir si vous l'avez reçue et ce qui en a résulté.
M. Jean-René Brunetière . - Je voyais Gilles Duhamel au moins une fois par semaine et quelquefois plus lorsque nous avions des affaires importantes à traiter. Je suppose qu'il a dû me donner la dépêche lors de l'une de ses visites et que nous en avons parlé. Je n'en ai pas gardé le souvenir mais j'imagine que nous avons évoqué la question du Mediator et que je lui ai dit ce que l'Agence était en train de faire. Il m'a sans doute dit qu'il fallait faire attention. Cette dépêche doit dater de l'été 1998. La lettre des médecins m'est parvenue ultérieurement, en septembre 1998.
M. François Autain , président . - Cela est possible puisque la lettre est postérieure à l'enquête.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Ni Gilles Duhamel ni vous-même n'aviez alors pensé à alerter le comité technique de pharmacovigilance (CTPV) ou la commission nationale de pharmacovigilance (CNPV) ?
M. Jean-René Brunetière . - Ils ont été alertés puisque c'était le principe même de l'enquête de pharmacovigilance. Le CTPV et le CNPV devaient ainsi être alertés sur les dangers potentiels du médicament même si à l'époque, nous cherchions plutôt les hypertensions artérielles pulmonaires que les valvulopathies. Lorsque j'ai reçu cette lettre, j'avais le sentiment que les filets étaient en place et je l'ai donc vérifié. Je suppose que c'est dans ce sens que les choses ont été évoquées avec Gilles Duhamel.
M. François Autain , président . - Dans le rapport de l'enquête officielle pour laquelle avait été mandaté le comité régional de pharmacovigilance de Besançon, il est fait état de ces onze cas d'hypertension artérielle pulmonaire qui impliquent le Mediator. Or, il n'est fait aucune référence au problème soulevé par la caisse primaire d'assurance maladie (Cpam) de Dijon. Cela signifie que tout est cloisonné. Or, il me semble qu'il s'agissait d'une occasion de citer ce rapport et d'envisager des mesures. On dirait que l'alerte de la caisse de Bourgogne n'a pas été suivie d'effets. Si une réponse a été donnée, nous n'en trouvons pas la trace. Il est vrai que les archives ne sont pas conservées au-delà de cinq ans. Nous avons interrogé M. Hubert Allemand qui ne se souvient pas avoir reçu de réponse.
C'est à la fois déprimant et inquiétant. Il semble que l'Agence n'ait pas réagi ; qu'elle ne s'est pas montrée proactive. Cela est arrivé de nombreuses fois par la suite à propos du Mediator. Nos interlocuteurs sont à chaque fois incapables de répondre. Soit ils n'ont rien vu, soit ils ne savaient pas, ou encore ils ne pouvaient pas... Aujourd'hui, je m'aperçois que nous en sommes réduits au même point.
M. Jean-René Brunetière . - Monsieur le Président, je m'exprime peut-être mal mais nous avions le sentiment que l'Agence avait déjà mis en place les éléments de réponse à ce que soulevaient ces médecins, grâce à l'enquête de pharmacovigilance, la surveillance des chiffres de vente, l'Observatoire de la prescription, etc. Cette lettre, à l'époque où elle est écrite, ne constituait pas une alerte à proprement parler. Elle soulevait des problèmes que nous connaissions déjà à l'époque et dont nous avions le sentiment - à tort ou à raison - qu'ils étaient placés sous surveillance active. J'en apporte pour preuve les nombreuses réunions du comité technique de pharmacovigilance qui traitaient du cas du Mediator. Il n'a malheureusement pas fait remonter les informations à la commission nationale de pharmacovigilance, à la commission d'AMM et au directeur général.
M. François Autain , président . - J'espère que ce n'est pas pour cette raison que vous ne répondez pas.
M. Jean-René Brunetière . - Non ; je ne me vante pas de ne pas avoir répondu à la lettre.
M. François Autain , président . - Concernant le mésusage que vous reconnaissez, quelle mesure l'Agence a-t-elle prise ? Elle aurait pu adresser une lettre aux médecins. Cela s'est déjà produit. J'ai lu dans les annexes du rapport que le professeur Alexandre avait quelquefois envoyé des lettres aux médecins pour les alerter sur tel ou tel médicament, notamment lorsqu'il s'agissait de réduire la prescription des fenfluramines - avant votre arrivée. En outre, l'Agence aurait pu envoyer un courrier au laboratoire pour s'assurer que les visiteurs médicaux transmettent les indications contenues sur le résumé des caractéristiques du produit. Vous êtes bien d'accord avec moi : l'Agence du médicament n'a eu aucune réaction.
M. Jean-René Brunetière . - Il n'y a pas eu de réaction propre au Mediator. L'Agence a eu une réaction importante et générale au sujet des surprescriptions. C'est à cette époque que nous avons mis en place l'Observatoire de la prescription, confié au professeur Bouvenot. En effet, la prescription hors AMN n'était pas l'exclusivité du Mediator. Nous avions une inquiétude générale sur la quantité de médicaments prescrits qui n'a pas cessé. Je suis prêt à assumer les responsabilités de l'Agence. Néanmoins, chaque médecin est responsable de ses prescriptions notamment lorsqu'il effectue des prescriptions hors AMM. L'Agence n'avait qu'un pouvoir d'observation et de recommandation que nous avons essayé de mettre en oeuvre en créant l'observatoire et en diffusant des documents sur les bonnes pratiques.
Il est vrai que le Mediator était l'objet, comme de nombreux autres médicaments, de prescriptions hors AMM et de surprescriptions que nous traitions de manière globale et non médicament par médicament. D'ailleurs, dans le cadre du Mediator, je ne pense pas que l'Agence aurait eu le pouvoir de réduire les prescriptions. Le médecin qui prescrit hors AMM sait ce qu'il fait.
M. François Autain , président . - C'est la liberté de prescription ; vous avez tout à fait raison. Cependant, je pense qu'il est du devoir d'une agence qui a aussi la mission d'informer les médecins, compte tenu de l'enquête, de les alerter sur la surprescription hors AMM. En outre, il était peut-être possible d'alerter les laboratoires Servier sur ces pratiques.
M. Jean-René Brunetière . - Cela aurait pu être fait ; vous avez sans doute raison.
M. François Autain , président . - Nous demanderons au professeur Alexandre pourquoi il ne l'a pas fait.
Mme Maryvonne Blondin . - Vous avez dit qu'en l'état du droit à cette époque, il n'était pas possible de retirer un médicament seulement sur des soupçons ; il fallait des incidents graves donc des preuves. Aujourd'hui, en l'état du droit, sans preuve mais sur la base d'une convergence de soupçons, l'Agence a-t-elle le droit de retirer un médicament ?
M. Jean-René Brunetière . - Madame la sénatrice, je ne suis pas compétent pour répondre de manière détaillée à cette question, ayant quitté le secteur depuis longtemps. Je n'ai pas suivi suffisamment l'évolution du droit.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Aviez-vous connaissance à votre époque d'autres médicaments y compris génériques sur lesquels un certain nombre de soupçons se sont portés mais ont été tus pour des raisons idéologiques, environnementales, économiques ou autres ?
M. Jean-René Brunetière . - Les arguments économiques n'intervenaient pas dans mes décisions. En revanche, nous placions toujours nos décisions dans un contexte de santé publique. A l'époque, nous traitions la question du vaccin contre l'hépatite B qui avait des soupçons d'effets indésirables graves. Par ailleurs, les bienfaits pour la santé publique étaient indéniables. Nous cherchions à équilibrer les deux aspects. Nous défendions le seul intérêt de la santé publique.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - J'ai découvert ce matin une nouvelle catégorie de produits dits PTA, c'est-à-dire les produits thérapeutiques annexes. Bénéficient-ils du même type de contrôle ? Comment sont-ils encadrés ? Ces médicaments sont largement utilisés dans un certain type d'indications. Ils affectent directement le corps de la femme. Avez-vous eu connaissance de ces produits à l'époque où vous étiez directeur général de l'Agence ?
M. Jean-René Brunetière . - Je n'en ai pas connaissance. Mes souvenirs ne sont pas suffisants pour répondre à votre question.
M. François Autain , président . - Je crois que Monsieur Brunetière a quitté la santé depuis un certain temps pour se consacrer à l'environnement. Je vous remercie d'avoir répondu à nos questions.
Audition de M. Lucien ABENHAÏM, professeur d'épidémiologie et de biostatistique ancien directeur général de la santé (1999-2003) (mardi 22 mars 2011)
M. François Autain , président . - Nous sommes très heureux d'accueillir M. Lucien Abenhaïm que nous auditionnerons en tant que responsable de la fameuse étude International primary pulmonary hypertension (IPPHS) et pour les fonctions de directeur général de la santé qu'il a exercées entre 1999 et 2003. Cette audition est ouverte à la presse et fait l'objet d'un enregistrement audiovisuel en vue de sa diffusion sur le site Internet du Sénat et sur Public Sénat.
En application de l'article L. 4113-13 du code de la santé publique, je vous demande de nous faire connaître, si vous en avez, vos liens avec des entreprises produisant ou exploitant des produits de santé ou des organismes de conseil intervenant sur ces produits. Cette disposition de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades ne peut être appliquée que depuis 2007.
M. Lucien Abenhaïm, ancien directeur général de la santé (1999-2003) . - Merci monsieur le président. Je vous remercie de m'avoir invité à m'exprimer aujourd'hui. C'est un sujet qui me tient à coeur et sur lequel je travaille depuis plus de vingt ans. Je me plie bien volontiers à la déclaration des conflits d'intérêts d'autant que j'étais en fonction lorsque la loi a été promulguée. En outre, cette question des conflits d'intérêts est devenue mondiale à la suite de l'étude IPPHS. En effet, c'est à la suite d'un éditorial frelaté, écrit par des personnes sous contrat avec les firmes pharmaceutiques à l'encontre de mon étude, que l'ensemble des revues médicales ont établi une politique de déclaration des conflits d'intérêts.
Aujourd'hui je suis résident britannique. J'exerce des activités de directeur scientifique d'un bureau d'études que j'ai fondé dans le domaine de la pharmaco-épidémiologie ainsi que des risques environnementaux et professionnels. Ces études sont essentiellement financées par des firmes pour la plupart pharmaceutiques dont je peux vous fournir la liste.
M. François Autain , président. - Rassurez-nous : Servier figure-t-il dans cette liste ?
M. Lucien Abenhaïm . - Je vous affirme très clairement que je ne reçois aucun financement de la part de Servier depuis 1996 ni de la firme Wyeth-Ayerst. Ces financements ont été arrêtés suite aux désaccords que nous avons eus au sujet de l'étude IPPHS. La firme Wyeth-Ayerst avait commercialisé le Redux qui est la copie du Mediator. Pour tout vous dire, Wyeth-Ayerst s'est joint à un groupe pharmaceutique avec lequel nous étions en contrat, nous avons immédiatement mis fin à ce contrat.
M. François Autain , président . - Vous nous remettrez la liste des firmes pharmaceutiques avec lesquelles vous êtes en contrat.
M. Lucien Abenhaïm . - Je travaille avec AstraZeneca, GSK, Johnsen, Merck, Novartis, Roche, Sanofi-Aventis et un consortium de petits laboratoires essentiellement français producteurs d'anti-arthrosiques. Je vous fournirai la liste complète par courrier électronique.
Je suis également professeur honoraire à la London School of Hygiene and Tropical Medicine qui est l'école de santé publique de l'université de Londres.
J'ai mené ma carrière dans le domaine des risques professionnels et environnementaux puis des risques des médicaments qui représentent l'essentiel de ma carrière. En tant que médecin épidémiologiste, je m'intéresse aux problèmes de santé lorsqu'ils se manifestent en grand nombre. J'ai notamment travaillé sur les conséquences de l'utilisation de l' « agent orange » par les Américains au Vietnam.
Comme vous avez eu l'amabilité de le rappeler, j'ai mené l'étude IPPHS sur l'hypertension artérielle pulmonaire (HTAP). Cette pathologie avait déjà fait l'objet auparavant d'une épidémie à la suite de l'utilisation d'un anorexigène, l'aminorex. Lorsqu'un certain nombre de cas d'HTAP sont survenus en France, on m'a demandé d'étudier la question d'un point de vue épidémiologique.
M. François Autain , président. - On vous a contacté en 1991, est-ce bien cela ?
M. Lucien Abenhaïm . - C'est exact.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Quand vous dites « on », à qui faites-vous référence ?
M. Lucien Abenhaïm . - Il s'agit des laboratoires Servier. J'ai également eu quelques échanges avec la commission nationale de pharmacovigilance en France et un certain nombre d'experts français. Je vivais alors au Canada où je dirigeais le programme de pharmaco-épidémiologie que j'avais créé en 1988.
Lorsque j'ai été contacté par la firme en tant que consultant, je lui ai indiqué dans une note qu'il existait selon moi une forte plausibilité de l'existence d'un lien entre ces produits et l'hypertension artérielle pulmonaire (HTAP). A l'époque nous n'avions recensé que sept cas. Nous avons lancé une étude internationale qui a été menée à la fin de l'année 1992 dans quatre pays : la France, la Belgique, l'Angleterre et les Pays-Bas. Elle était essentiellement financée par les laboratoires Servier. Elle était également financée par l'Institut d'hygiène et d'épidémiologie de Belgique et avait le soutien du Conseil de recherche médicale du Canada, ce qui en assurait l'indépendance. L'ensemble des travaux ont été menés sans la présence des laboratoires Servier et sans aucun échange avec eux sur les résultats sinon la veille des présentations dans les différentes commissions.
Cette étude avait été lancée à la suite d'une alerte initiée par l'équipe des professeurs Simmoneau et Duroux qui faisaient d'ailleurs partie du conseil scientifique de notre étude. Ces deux professeurs avaient rapporté un certain nombre de cas de pharmacovigilance. La méthodologie de cas-témoins consiste à collecter des cas et des témoins indépendamment de l'exposition et de vérifier les pourcentages d'exposition des cas et des témoins aux différents produits.
Les professeurs Bégaud et Weitzenblum faisaient partie de notre conseil scientifique. Cependant nos cas étaient triés par une équipe de trois Américains (les professeurs Rich, McGoon - qui a découvert les valvulopathies par la suite - Long Wayburn) et un Canadien. Nous avons remis un premier rapport intermédiaire en avril 1994.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Pourquoi vos cas étaient-ils sélectionnés exclusivement par des Américains ?
M. Lucien Abenhaïm . - Nous pensions qu'il était important que les personnes qui sélectionnaient nos cas ne puissent pas être liées à celles qui avaient fait le diagnostic. Il fallait que l'expertise soit menée par des personnes susceptibles de rejeter un cas. Il en allait de l'indépendance de l'évaluation.
En outre, je vivais au Canada.
Tous les cas ont ensuite été revus par le comité scientifique dont les experts français. Les experts des quatre pays ont tous signé un accord sur le fait que les cas mentionnés étaient retenus. Nous avons rapporté cette étude en France à la commission nationale de pharmacovigilance en 1994 ainsi qu'à l'Agence du médicament qui avait été créée entretemps. Ce premier rapport faisait état d'une augmentation d'un risque associé aux fenfluramines bien qu'il s'agissait d'un rapport intermédiaire portant sur la moitié des cas. En mars 1995, nous avons rendu notre rapport final portant sur les produits spécifiques, que sont les spécialités pharmaceutiques dans lequel nous avons indiqué sans ambiguïté l'existence d'une relation causale entre l'exposition aux anorexigènes (notamment les fenfluramines) et l'HTAP.
Je tiens à souligner qu'il est assez rare qu'une étude épidémiologique conclue à la causalité sans estimer devoir mener d'autres études par la suite. Par ailleurs, il est assez rare qu'une étude financée par une firme pharmaceutique conclue à la responsabilité du produit dans une maladie mortelle sans ambiguïté.
M. François Autain , président . - Cela n'arrive qu'une fois. L'équipe qui a réalisé cette découverte a peu de chances de retrouver un contrat avec cette firme dans les mois qui suivent.
M. Lucien Abenhaïm . - Dans ce cas précis, nous avons eu des relations parfaitement cordiales avec la firme en France. Elle a financé la publicité des résultats de l'étude lors d'un congrès international à Montréal ayant réuni 750 participants et nous a permis de financer la poursuite de l'étude pour pouvoir explorer d'autres sujets.
Nous avions remarqué que les patients nous avaient rapporté avoir pris assez souvent des préparations que l'on ne pouvait pas attribuer à des coupe-faim particuliers car ils nous disaient qu'il s'agissait de préparations pour maigrir. Ils nous disaient « j'ai pris des plantes ». Grâce au deuxième financement, nous avons pu retourner chez les pharmaciens de ces patients. Nous avons ainsi pu vérifier que ces préparations magistrales comprenaient très souvent de la fenfluramine. A la suite de la découverte de la présence de fenfluramine dans les préparations magistrales, j'ai écrit au directeur de l'évaluation de l'Agence du médicament le 11 octobre 1995 pour l'alerter sur les préparations magistrales. Je pense que cette lettre a joué un rôle très important dans l'arrêté du 25 octobre 1995 indiquant que tous les anorexigènes et amphétaminiques étaient interdits dans les préparations magistrales, notamment le benfluorex.
M. François Autain , président . - Pourriez-vous nous procurer cette lettre dont nous n'avions pas connaissance ? Le rôle qu'elle a joué dans la décision est intéressant à évaluer. Il importe de savoir si vous êtes intervenu avant ou après que la bataille ait été livrée.
M. Lucien Abenhaïm . - Je vous la ferai parvenir. Je subodore que cette lettre a joué un rôle important puisque j'ai remarqué dans le rapport de l'Igas la conjonction entre les dates du 11 et du 25 octobre 1995.
Nous avions supposé le rôle des préparations magistrales dans notre rapport de 1995 mais nous n'en avions pas la preuve. C'est par l'analyse du contenu de ces préparations que nous en avons eu la preuve par la suite.
Après cette période, j'étais convaincu comme beaucoup que la question des anorexigènes était réglée pour l'essentiel, puisqu'une décision de limitation de la prescription des anorexigènes à l'hôpital avait été prise en Europe et en France. On m'avait indiqué une chute de 99 % des prescriptions.
M. François Autain , président . - Cette proportion est peut-être un peu exagérée.
M. Lucien Abenhaïm . - Cela m'a beaucoup étonné. J'ai découvert récemment que la décision européenne n'avait pas pour but de limiter à trois mois la prescription mais de permettre une prescription au long cours des fenfluramines, et non des autres amphétaminiques.
M. François Autain , président . - Ce point est soulevé dans le rapport de l'Igas.
M. Lucien Abenhaïm . - Nous croyions avoir réalisé une étude exemplaire à nos yeux. Or une réunion de la Food and Drug Administration (FDA) en septembre 1995 nous a appris qu'il existait une tentative d'introduction du Redux aux Etats-Unis qui est la forme américaine de l'Isoméride. Compte tenu de notre étude et de notre témoignage à la FDA, nous pensions pourtant que ce produit ne serait jamais accepté. Lors du premier débat à la FDA, j'avais d'ailleurs présenté oralement les résultats, y compris concernant les préparations magistrales. Le premier vote avait été négatif. Or il a été cassé par la FDA. Un deuxième vote a abouti à la mise sur le marché du produit avec une prescription au long cours et une publicité directe auprès du public. Cela nous a choqués. Par conséquent, nous avons fait des déclarations auprès des médias et des différentes sociétés. Nous avons cherché à mobiliser la FDA et des firmes en leur exposant qu'il s'agissait d'un risque particulièrement inacceptable. C'est à ce moment-là que nos rapports avec la firme Servier ont commencé à se dégrader très fortement. Notre deuxième étude en cours sur les problèmes liés à l'insuffisance veineuse a été arrêtée d'un commun accord.
M. François Autain , président . - Le laboratoire nous avait parlé du Daflon.
M. Lucien Abenhaïm . - Sauf erreur de ma part, cette étude a été rapportée dans ma note au rapport de l'Igas. J'avais fait une étude peu de temps auparavant sur une base de données anglaise au sujet des antidiabétiques dont le Diamicron.
M. François Autain , président . - Vous n'en aviez pas profité pour tester le Mediator qui est aussi un antidiabétique des laboratoires Servier ; c'est dommage.
M. Lucien Abenhaïm . - L'étude a été menée en Angleterre où je ne crois pas que le Mediator ait été utilisé.
M. François Autain , président . - Pour Servier, le Mediator n'était pas un anorexigène mais un antidiabétique. Il est vrai qu'il n'était pas utilisé en Angleterre.
Décidément les occasions manquées ont été beaucoup trop nombreuses.
M. Lucien Abenhaïm . - Je suis d'accord avec vous ; il y en a eu beaucoup trop.
M. François Autain , président . - Cela devient suspect.
M. Lucien Abenhaïm . - Je reviendrai sur ce point par la suite.
A l'époque, cette étude portait sur les hypoglycémies. Je ne savais pas si le Mediator avait une indication d'antidiabétique à l'époque.
M. François Autain , président . - En France, théoriquement il n'aurait pas dû avoir l'indication d'antidiabétique. Or en pratique, il l'avait puisque cette indication a été maintenue en dépit des avis défavorables de la commission d'autorisation de mise sur le marché (AMM), de 1987 en particulier, ce qui est énigmatique.
M. Lucien Abenhaïm . - C'est même choquant.
L'étude sur l'insuffisance veineuse avait été subventionnée mais nous n'avons plus reçu aucun fonds après cette date. Nous n'avons jamais réalisé l'étude de l'essai pharmaco-économique sur le Daflon. En revanche, l'étude menée précédemment sur les hypoglycémiants a été présentée devant le Conseil québécois de pharmacologie qui est l'équivalent de la commission de la transparence, sans donner lieu à aucune décision.
Le Mediator n'était pas non plus commercialisé au Canada.
M. François Autain , président . - Il est dommage que ce laboratoire ne vous ait pas demandé cette enquête pour la France. Il aurait alors fallu inclure le Mediator.
M. Lucien Abenhaïm . - Sachez que cette étude portait sur les hypoglycémies et non sur les valvulopathies ni les HTAP.
M. François Autain , président . - Le Mediator était considéré comme un antidiabétique en France. Nous aurions alors pu étudier s'il était aussi efficace que le Diamicron par exemple, puisqu'il a été comparé à la Metformine.
M. Lucien Abenhaïm . - Souhaitez-vous plus de détails sur les hypoglycémiants ?
M. François Autain , président . - Poursuivez votre intervention sur les Etats-Unis en particulier. Vous en étiez au deuxième vote venu contredire le premier. Que s'est-il passé ensuite ?
M. Lucien Abenhaïm . - Merci.
Je pense que le produit a été mis sur le marché aux Etats-Unis en mai 1996 environ. Cela avait amené la plupart des observateurs à croire qu'il existait d'autres médicaments coupe-faim sur le marché américain dont l'équivalent du Pondéral qui s'appelait Pondimin et des génériques de ce produit (fenfluramines), ainsi que d'autres amphétaminiques dont la phentermine. Une publicité extraordinaire a commencé pour une combinaison de fenfluramine-phentermine appelée Fen-Phen. Nous avons ainsi connu en quelques mois une forte épidémie de consommation de fenfluramine et de phentermine. Par ailleurs, dix-huit millions de prescriptions de Redux ont été faites. Plusieurs millions de personnes ont donc été exposées à ces produits aux Etats-Unis pendant plusieurs mois alors que nous publiions notre article (en août 1996) indiquant que les anorexigènes étaient la cause de HTAP, notamment les fenfluramines.
Cette publication a été accompagnée d'un éditorial frelaté, c'est-à-dire rédigé par des personnes qui étaient en contrat avec des firmes. Nous avons dénoncé très fortement cette situation. Dès lors la publicité sur ces médicaments était due davantage à l'éditorial. Entre notre passage à la FDA et la publication, nous avions rencontré beaucoup de scepticisme de la part de la majorité des intervenants, qui disaient : « Comment la FDA peut-elle se tromper ? » Heureusement je n'étais pas seul. J'avais le soutien d'une douzaine de centres nord-américains dont les plus grands. L'éditorial frelaté a donc entraîné une énorme suspicion. Il a beaucoup plus fait parler de lui que notre étude.
Jusqu'en 1997, c'est-à-dire jusqu'au retrait des fenfluramines, on parlait beaucoup de notre étude et des risques ainsi que des manipulations qui pouvaient avoir lieu autour de la décision de la FDA puisque personne ne comprenait le renversement à une voix du vote américain. Nous avons demandé le lancement d'une deuxième étude aux Etats-Unis sur l'HTAP. Or nous avons obtenu une fin de non-recevoir de la part des firmes pharmaceutiques - y compris la FDA pendant un certain temps. Par conséquent j'ai utilisé les fonds restants de l'étude IPPHS pour lancer cette deuxième étude appelée SNAP de surveillance nord-américaine de l'hypertension artérielle pulmonaire primitive. Cette étude, qui a mobilisé l'ensemble de la communauté américaine, a été attachée à ma note au rapport de l'Igas mais n'a pas été publiée avec le rapport. La conclusion de cette étude était la suivante : « L'importance de l'association avec l'HTAP, l'accroissement de l'association avec l'accroissement de la durée de l'utilisation et la spécificité des fenfluramines sont cohérentes avec les études précédentes [IPPHS] indiquant que les fenfluramines sont reliées de façon causale à l'HTAP. » Les résultats préliminaires furent disponibles dès 1997. La communauté et les avocats américains - dont certains attendaient même les patients à la sortie des hôpitaux - se sont fortement mobilisés, y compris la Mayo Clinic - où le professeur McGoon avait découvert les valvulopathies.
M. François Autain , président . - On cite aussi souvent le professeur Connolly.
M. Lucien Abenhaïm . - Le professeur Connolly était le chirurgien. Cependant c'est le professeur McGoon qui a fait le lien entre les fenfluramines et les valvulopathies chez ces patientes. L'une des patientes souffrait également d'HTAP. C'est ainsi qu'il a fait le lien avec Redux.
En septembre 1997, les fenfluramines ont été retirées mondialement du marché. Je pensais à nouveau, à tort, que la question était réglée. Pendant toute l'année 1997, nous avons subi des pressions considérables, certaines pour lesquelles je témoignerai sous serment en temps et en lieu. Certaines sont déjà apparues dans la presse. Heureusement je n'étais pas seul à traiter le sujet donc cela n'a pas eu un impact très important sur moi.
Jusqu'à ce que fin 2008 j'apprenne l'existence de cas d'hypertension artérielle pulmonaire primitive en France et un cas de valvulopathie associés au Mediator, je n'avais pas entendu parler de cette situation.
Je suis arrivé à la direction générale de la santé (DGS) en août 1999. On ne m'a alors pas parlé du Mediator. Durant mon séjour à la DGS, on ne retrouve aucune mention à mon endroit sur le Mediator de la part d'aucune instance. D'ailleurs, cette question n'a jamais été abordée par la commission nationale de pharmacovigilance durant cette période. Elle n'a jamais été à l'ordre du jour des comités techniques de pharmacovigilance, et seulement abordée quatre fois en questions diverses ou en tour de table en deux lignes. Elle n'a pas donc pas été abordée une seule fois pendant la période qui a suivi ma nomination surprise à la DGS.
M. François Autain , président . - Pourquoi parlez-vous de « nomination surprise » ?
M. Lucien Abenhaïm . - En juillet 1999, une commission de pharmacovigilance s'est réunie. On m'a contacté pour prendre la DGS pendant que j'étais au Canada.
M. François Autain , président . - Quand vous dites « on », à qui faites-vous référence ?
M. Lucien Abenhaïm . - Je fais référence au cabinet de Mme Aubry. Le rapport de l'Igas fait mention d'une réunion de la commission de pharmacovigilance en juillet 1999 au cours de laquelle le Mediator a été abordé. J'ai été nommé en août 1999. Or personne n'a évoqué cette question devant moi. C'est pourquoi je parle de nomination surprise.
M. François Autain , président . - Ce n'est pas la nomination qui vous a surpris.
M. Lucien Abenhaïm . - Je pense que cette nomination a constitué une mauvaise surprise pour beaucoup de monde car j'étais particulièrement mobilisé contre les anorexigènes depuis plusieurs années. Je pense d'ailleurs que c'est peut-être la raison pour laquelle on n'a pas du tout entendu parler du Mediator après ma nomination. C'est mon interprétation des faits.
M. François Autain , président . - Pendant que vous étiez à la DGS, il est vrai qu'aucune commission nationale de pharmacovigilance n'a abordé le problème du benfluorex. Nous pouvons le déplorer car en 1999 les alertes étaient suffisamment graves pour qu'on puisse prendre des mesures conservatoires de retrait du produit. Or cela n'a pas été le cas.
M. Lucien Abenhaïm . - J'ai terminé mon exposé.
M. François Autain , président . - Madame la rapporteur a un certain nombre de questions à vous poser.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Dès lors que vous avez été nommé quatre ans après la publication de vos études, comment se fait-il que vous n'ayez pas provoqué le débat sur le Mediator ?
M. François Autain , président . - Pourquoi n'avez-vous pas adopté une démarche proactive ?
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Je ne comprends pas. En tant que citoyenne, je voudrais comprendre.
M. Lucien Abenhaïm . - Je ne comprends pas non plus. Votre question est parfaitement légitime. Comment se fait-il que l'expert que j'étais, connaissant parfaitement les questions d'HTAP, ait pu rester quatre ans à la DGS sans que le Mediator ne soit retiré du marché ?
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Vous auriez pu susciter d'autres études avec des experts français.
M. Lucien Abenhaïm . - Je vous rappelle que l'étude IPPHS a été menée en France avec une trentaine de centres français et des experts français, en lien direct avec l'agence française du médicament.
Pour répondre à votre question, à l'époque je ne savais pas que le Mediator était un anorexigène, qu'il s'agissait du benfluorex. Je n'ai pas pensé une seule seconde qu'un pays comme la France puisse avoir laissé sur le marché une fenfluramine, produit mortel, avec la publicité extraordinaire qu'avait eu le retrait mondial des fenfluramines. J'avais été nommé « scientifique de l'année 1997 » par Radio Canada en reconnaissance du travail que nous avions mené. Je pense que la France ne pouvait pas avoir laissé des fenfluramines sur le marché, et je pense que je n'étais pas le seul, puisque des centaines d'experts semblent avoir laissé cette question perdurer.
En 2008, lorsque je reçois en tant que relecteur pour European respiratory journal la publication intitulée « fenfluramine like » (produit apparenté à la fenfluramine) écrite par les docteurs Simmoneau et Frachon, j'ai alors recommandé sa publication. Cela a donc été pour moi un coup de tonnerre d'apprendre qu'il existait encore en France un produit à base de fenfluramine. C'est à ce moment que j'en ai entendu parler.
M. François Autain , président . - Vous savez, monsieur le professeur, qu'il existe encore des amphétamines masquées sur le marché français.
M. Lucien Abenhaïm . - Paraît-il. S'agit-il d'anorexigènes ?
M. François Autain , président . - Le Zyban est l'une de ces amphétamines.
M. Lucien Abenhaïm . - J'espère qu'il n'est pas utilisé comme anorexigène aujourd'hui.
M. François Autain , président . - Je crois que ce médicament a été prescrit dans la lutte antitabagique.
M. Lucien Abenhaïm . - Je me souviens avoir écrit une note pour déconseiller son remboursement lorsque j'étais à la DGS.
M. François Autain , président . - Malheureusement votre préconisation n'a pas été suivie.
M. Jacky Le Menn . - Vous dites que vous ne saviez pas que le Mediator était du benfluorex. Estimez-vous avoir été abusé par votre entourage ? Si oui, par qui et pourquoi ?
M. Lucien Abenhaïm . - J'espère que personne à la DGS ne savait alors que le Mediator était un anorexigène.
M. François Autain , président . - Monsieur le professeur, je vous arrête ; le problème avait été signalé dès 1998 à l'Agence du médicament par les trois médecins conseils de l'assurance maladie. Ils avaient indiqué que le Mediator n'était pas prescrit comme antihyperglycémique mais comme coupe-faim. Que vous ne le sachiez pas à l'époque, pourquoi pas. Cela a peut-être été étouffé par la suite. Toutefois, cela a donné lieu à des publications dans la presse et à des émissions télévisées. Comme je le déplorais lors de l'audition de M. Brunetière, l'Agence du médicament n'avait pris aucune décision.
M. Lucien Abenhaïm . - Je ne crois pas que quiconque ait pu avoir conscience de ce problème sans m'en informer car cela aurait été volontaire. Le problème tient au fait que la DGS siège à la commission nationale de pharmacovigilance et au comité technique de pharmacovigilance. Or le problème du Mediator n'a jamais fait l'objet d'une alerte ou d'une urgence quelconque durant ces quatre années. A la lecture des comptes rendus des réunions, je ne pense pas que les agents de la DGS aient été mis dans la situation d'alerter.
A l'évidence, j'ai été abusé par Servier qui ne m'a pas indiqué au moment de l'étude qu'il avait un autre produit à base de fenfluramine commercialisé en France. Une étude épidémiologique est menée comme une enquête criminelle. Quand on suspecte un produit de pouvoir créer des problèmes, on présente le produit à des témoins mêlé à d'autres produits, pour qu'on ne puisse pas nous accuser d'avoir pointé du doigt le produit. Dans le cadre de l'étude IPPHS, nous avons interrogé les patients de chaque pays sur vingt et une classes de médicaments, comptant cent cinq médicaments au total, dont le Mediator qui faisait partie en France de la classe des hypolipémiants à une époque (1989 à 1992) où il y avait très peu de produits dans cette classe. Mais parmi nos cas, il n'y avait que deux utilisateurs d'hypolipémiants. Nous n'étions pas dans un dispositif d'étude qui aurait pu, sur la base des données dont nous disposions, mettre en évidence le Mediator. Cependant je pense que ce n'est pas par hasard si l'on ne nous a pas signalé l'existence du Mediator au cours de cette période.
M. François Autain , président . - Comment les cas que vous avez examinés dans votre étude IPPHS étaient-ils répartis en France ?
Comment avez-vous travaillé avec les centres nationaux de pharmacovigilance ? Les cas qui ont été relevés sur mandat de la commission nationale de la pharmacovigilance et du comité régional de Besançon, ont-ils été intégrés dans l'étude IPPHS ?
M. Lucien Abenhaïm . - Nous avions contacté 220 centres de traitement de l'HTAP en Europe.
Aujourd'hui notre étude et celle que j'ai menée aux Etats-Unis sont les seules preuves dont nous disposons quant au lien des fenfluramines avec l'HTAP. Les résultats de mon étude s'appliquent au benfluorex et les victimes du benfluorex s'appuieront sur cette étude et celle que j'ai réalisée ensuite car, aujourd'hui, elles apportent la preuve de son rôle comme principe actif causant les HTAP.
M. François Autain , président . - Vous voulez dire que les deux études pharmaco-épidémiologiques sur le benfluorex s'inspirent de la méthodologie que vous avez utilisée pour les fenfluramines ?
M. Lucien Abenhaïm . - Pas tout à fait, ces études qui ont été faites portaient sur les valvulopathies. Or je parle de l'HTAP, un peu oubliée. Aujourd'hui les victimes éventuelles du benfluorex qui souffrent d'HTAP pourront s'appuyer sur mes études de l'époque, en l'absence d'études récentes.
M. François Autain , président . - Il me semble que les études pharmaco-épidémiologiques qui ont été menées, l'une par Mme Hill et l'autre par M. Weil, portaient non seulement sur les valvulopathies et aussi sur les hypertensions artérielles pulmonaires primitives. Dans les deux cas, il y a souvent hospitalisation et, hélas, décès.
M. Lucien Abenhaïm . - Je crois qu'elles ne portaient que sur les valvulopathies. Du point de vue de la méthodologie, les études de causalité sont différentes des études d'évaluation du risque. Mes études sont des études de causalité différentes des études d'évaluation et d'augmentation du risque. Elles seront utiles aux victimes. En matière de politique de santé publique, les études de Mme Hill, de M. Weil et de Mme Frachon étaient suffisantes pour décider du retrait du produit : un cas et, en termes de précaution, peut-être même que zéro cas suffirait dès lors que le bénéfice était considéré comme nul. Nous avons donc collecté les cas en France et dans d'autres pays.
M. François Autain , président . - Vous avez donc court-circuité les centres régionaux de pharmacovigilance (CRPV) ?
M. Lucien Abenhaïm . - Ce n'est pas la même méthodologie. Il y avait deux enquêtes parallèles : celle du CRPV de Besançon, qui collecte des cas exposés aux fenfluramines et plus généralement les coupe-faim, et notre étude cas témoins épidémiologiques de causalité qui n'a pas comme objectif de collecter tous les cas, mais des cas certains de la maladie et, parmi eux, de voir la proportion exposée aux fenfluramines.
M. François Autain , président . - Avez-vous pris en compte les cas qui ont été détectés par les centres régionaux de pharmacovigilance détectés notamment le CRPV de Besançon ?
M. Lucien Abenhaïm . - Nous n'avons pu prendre en compte qu'une partie de ces cas car certains centres les ont déclarés au CRPV de Besançon et n'ont pas voulu participer à notre étude. De plus, notre enquête porte sur la période postérieure à 1992 alors que l'enquête de la commission nationale de pharmacovigilance (CNPV) porte sur des cas qui peuvent avoir été diagnostiqués bien avant.
Par ailleurs, comme je l'ai découvert dans le rapport de l'Igas, en juillet 1995, a eu lieu une enquête sur le Mediator et l'HTAP qui aurait découvert quelque dix cas dont il est dit qu'ils faisaient partie de l'enquête de pharmacovigilance du CRPV de Besançon présentée à la CNPV le 28 avril 1995 alors que nous présentions notre enquête. Je peux vous dire que cette dizaine de cas associés au Mediator n'a pas été vue le 28 avril. J'ai ici l'enquête du CRPV de Besançon. Il y a un seul cas que je retrouve dans leur tableau et, d'ailleurs, pas avec les HTAP, mais concernant un décès. Quarante et quelque cas sont présentés avec les amphétamines, mais en aucun cas le nom Mediator n'est présenté dans l'enquête du CRPV de Besançon en avril 1995.
M. François Autain , président . - Monsieur le professeur, je vais vous apporter un démenti. Il s'agit certes non pas de la réunion du CNPV du 28 avril 1995, mais de celle du 10 mai 1994, dont le compte rendu ne figure d'ailleurs pas dans les annexes de l'Igas, au cours de laquelle vous avez présenté un rapport intermédiaire sur votre étude.
M. Lucien Abenhaïm . - Je me souviens d'être venu du Canada à cette occasion.
M. François Autain , président . - Au cours de cette réunion, le centre régional de pharmacovigilance de Besançon vous a présenté un rapport faisant suite au rapport présenté en juin 1993 devant la commission nationale de pharmacovigilance qui concernait les effets indésirables de l'Isoméride recueillis par l'ensemble des centres régionaux de pharmacovigilance entre novembre 1985 et le 1 er décembre 1992. Certains de ces cas se retrouvent forcément dans votre étude. Ce rapport signale dans ses annexes un certain nombre de cas d'HTAP. Pour quatre cas, il était mentionné expressément que ces personnes avaient pris du Mediator.
M. Lucien Abenhaïm . - Je n'ai pas eu ce rapport.
M. François Autain , président . - C'est dommage car vous auriez appris que certains malades qui prenaient de la fenfluramine prenaient aussi du Mediator. Les patients sont identifiés par des numéros pour respecter leur anonymat. Je pourrai vous communiquer ce rapport.
M. Lucien Abenhaïm . - Quelle est la date de ces cas ?
M. François Autain , président . - Entre novembre 1985 et le 1 er décembre 1992.
M. Lucien Abenhaïm . - Donc aucun cas ne pouvait faire partie de notre étude. Notre étude a commencé en décembre 1992 pour les cas collectés et diagnostiqués après.
M. François Autain , président . - Si vous aviez eu connaissance de ce rapport et l'aviez lu, vous auriez découvert que des patients exposés aux fenfluramines prenaient aussi du Mediator.
M. Lucien Abenhaïm . - Pourquoi ne m'a-t-on pas demandé de prendre en compte le Mediator dans mon étude puisqu'il s'agissait d'un sujet de préoccupation ?
Pourquoi ces cas ne sont-ils pas rapportés dans le rapport subséquent de 1995 du centre régional de Besançon, qui fait l'ensemble des cas précédents et, dans son enquête sur l'Isoméride de 1995, ne signale qu'un seul cas ?
Ces enquêtes ne m'ont jamais été remises car je réalisais une enquête indépendante.
M. François Autain , président . - Pourtant vous assistiez à cette réunion.
M. Lucien Abenhaïm . - Je suis venu présenter mon étude.
M. François Autain , président . - Nous poserons ces questions à M. Imbs qui était le président de cette commission.
Il s'agissait là encore d'une occasion de prendre connaissance du lien entre le Mediator et les fenfluramines, puisqu'il était prescrit en même temps qu'eux, peut-être comme antidiabétique. J'utilise ce mot car le professeur Alexandre dit encore aujourd'hui que le Mediator n'est pas un anorexigène mais un hypoglycémiant mal étudié.
M. Lucien Abenhaïm . - Qu'il s'agisse d'un anorexigène ou non, si c'est une fenfluramine, ce dont plus personne ne doute vraiment aujourd'hui et qu'il n'y a pas des métabolites contrariant son action, il demeure une cause définitive de l'HTAP, que j'ai fait inscrire par l'OMS. Il reste à savoir si l'effet antidiabétique ou hypotriglycéridémiant justifiait ce risque. J'en doute fortement. Un produit qui crée une pathologie probablement mortelle, pouvant l'être ou entraînant un traitement à vie, lorsqu'on le laisse sur le marché, c'est qu'il remplit un besoin médical non satisfait, et je ne crois pas qu'on avait d'autres options que le Mediator.
La seule raison pour laquelle vous pouvez conserver sur le marché un produit connu comme ayant des risques mortels reproductibles, c'est lorsqu'il s'agit du seul traitement connu pour la maladie en question. Or ce n'est pas le cas du Mediator.
M. François Autain , président . - Manifestement la prescription simultanée d'une fenfluramine et du Mediator aboutissait à l'augmentation de la dose de fenfluramine, car cela aboutit à la production de norfenfluramides qui est leur métabolite commun.
M. Lucien Abenhaïm . - Il est possible que ce rapport ait été présenté devant moi. On l'avait pour d'autres produites : car on me l'a demandé pour le Prozac et les autres amphétaminiques, car il y avait le précédent de l'animorex. Cependant personne ne m'a demandé d'analyser si le Mediator présentait un risque. J'étais alors au Canada. J'ignorais que le Mediator faisait partie de cette famille de médicaments.
M. François Autain , président . - C'est un problème vraiment franco-français à part quelques pays méditerranéens. Encore une occasion ratée ! Nous essaierons d'éclaircir cette énième énigme avec les principaux protagonistes. Nous auditionnons M. Iimbs, alors président de la CNPV.
Mme Marie-Christine Blandin . - A la question de M. Le Menn, vous avez répondu avoir confiance en les agents de la DGS. Vous nous avez raconté le revirement brutal de la FDA. Nous avons connu un cas similaire en France avec l'Afssaps le 24 avril 2000 puisque l'agence a refusé une demande d'AMM comme antidiabétique de premier rang. Un recours a été rejeté le 11 septembre 2000. Or en juin 2001, l'AMM devient un adjuvant du régime du diabète à surcharge Pondérale, comme le voulait Servier. Des agents de la DGS surveillent-ils des comportements étonnants de ce type ?
M. François Autain , président . - Je signale à Mme Blandin que la DGS est membre de droit de la commission d'AMM.
M. Lucien Abenhaïm . - A la différence du Redux, nous n'avions aucun moyen en 2000 de savoir que le Mediator était lui-même à l'origine d'HTAP.
Mme Marie-Christine Blandin . - C'est le revirement qui m'interroge.
M. Lucien Abenhaïm . - Les agents de la DGS n'avaient aucun moyen de savoir que ce médicament était une fenfluramine créant des HTAP et des valvulopathies.
Mme Marie-Christine Blandin . - Il est visible qu'une pression des laboratoires a fait changer d'avis les experts.
M. Lucien Abenhaïm . - N'ayant pas assisté à cette réunion, je ne peux pas savoir ce qui a eu lieu. Suite à l'affaire du sang contaminé, la DGS a été privée, à mon avis à juste titre, de ses moyens d'intervention sur l'autorisation de mise sur le marché, sauf en situation d'urgence. Ils ne se prononcent pas comme experts, dans un processus qui doit être indépendant du pouvoir politique et de l'administration. Je continue de penser que l'indépendance de l'autorisation de mise sur le marché de la DGS et du politique est un bon système.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Il nous a été dit par les laboratoires Servier que « lorsqu'on administre la fenfluramine ou la dexfenfluramine (composé parent), elles représentent environ 60 % des composés circulants, les 40 % autres circulants étant la norfenfluramine. Si vous prenez du benfluorex, ce dernier ne circule pas au niveau plasmatique en tant que tel mais est métabolisé en trois ou quatre métaboliques circulants. La norfenfluramine ne représente alors que 10 % des composés circulants. Par conséquent la différence majeure tient au fait que le benfluorex ne donne pas naissance à de la fenfluramine. Dès lors la fenfluramine et la norfenfluramine sont tous deux porteurs de l'activité pharmacologique, alors que pour le benfluorex la norfenfluramine ne représente qu'environ 10 % de l'exposition plasmatique de l'ensemble des métaboliques, qui sont d'une autre nature. » Etes-vous d'accord avec cette déclaration ?
M. Lucien Abenhaïm . - Je ne suis pas pharmacologue. Toutefois je me méfie des pourcentages : sur combien de milligrammes portent-ils ? Je crois avoir vu que dans le cas de l'Isoméride, on parle de 30 % de 30 à 40 mg, et pour le Mediator de 10 % de 150 mg, c'est-à-dire au total la même quantité dans le sang, auquel cas l'argument est spécieux. Je vous invite à interroger le professeur Bégaud, qui est un excellent pharmacologue.
M. François Autain , président . - J'aurais tendance à être d'accord avec vous. Nous lui poserons évidemment la question.
En France, votre étude IPPHS a eu pour effet de restreindre considérablement la prescription des fenfluramines, la vente du produit en France ayant été pratiquement divisée par dix. Cependant ce médicament n'a pas été retiré du marché. Or aux Etats-Unis, le médicament a été mis sur le marché en dépit de votre étude. Je ne comprends pas pourquoi un pays comme la France n'a pas retiré ce médicament du marché malgré les nombreux cas d'HTAP signalés. Or lorsque ce médicament est retiré du marché aux Etats-Unis, après n'avoir été prescrit que pendant un an, il est retiré trois jours après en France.
M. Lucien Abenhaïm . - Il a été retiré dans le monde entier.
M. François Autain , président . - L'Isoméride était toutefois majoritairement prescrit en France. Pourquoi a-t-il fallu que les Etats-Unis retirent ce médicament du marché pour que la France agisse de même ?
M. Lucien Abenhaïm . - On entendait beaucoup dire à l'époque qu'il y avait un bénéfice de ce produit. L'HTAP est une maladie rare : elle survient chez deux personnes sur 500 000 et, dans notre étude, nous montrions que, sous fenfluramine, le risque pouvait être de 1 sur 10 000 ou 1 sur 20 000. Tandis que les valvulopathies sur lesquelles les produits ont été retirés en septembre 1997 avaient des pourcentages rapportés entre 1 % et 30 % parmi les personnes qui les prenaient. Donc, c'était considéré comme un phénomène très rare, comme le choc anaphylactique dans la pénicilline, imprévisible comparable à des réactions immunologiques compensées par des « bénéfices » en termes d'obésité. A l'époque, de savants calculs ont été effectués aux Etats-Unis et, en France, de grands experts, dont certains encore actifs, affirmaient que le bénéfice dans le traitement de l'obésité compensait le risque de la maladie mortelle qu'était l'HTAP, très rare, tandis que pour les valvulopathies, ce modèle ne fonctionnait plus du tout puisqu'on parlait de 1 % à 30 % des personnes. Même s'il a été démontré ensuite que le chiffre de 30 % était faux, la proportion de 1 % était déjà trop élevée, alors qu'il y avait des millions d'utilisateurs.
Personnellement, je n'étais pas convaincu de l'argument de la rareté de l'événement. J'ai alerté la FDA sur le risque qui pouvait être plus important que le bénéfice. On peut perdre du poids pour de mauvaises raisons, y compris quand on est malade. Or à l'époque nous n'étions pas entendus ; les Etats-Unis vivaient les débuts de l'épidémie d'obésité, ce qui créait une grande peur. Pour notre part, nous sentions que, avant les valvulopathies, les choses commençaient à sentir le « roussi » pour le produit. Dans la surveillance que nous menions, des cas apparaissaient : pour le premier cas, la firme a été condamnée à 1 milliard de dollars d'indemnisation de la victime, notamment avec des dommages punitifs du fait des pressions que nous avions subies. Il y a eu un règlement hors cour.
Tout le monde avait peur d'une épidémie d'hypertension artérielle pulmonaire primitive semblable à celle qui avait eu lieu en Suisse. Mon maître, Paul Montastruc de Toulouse, disait toujours que « si vous voulez savoir si un produit a des effets secondaires, regardez la bourse ».
M. François Autain , président . - Le Vioxx en est une illustration.
M. Lucien Abenhaïm . - Les valvulopathies auraient dû porter le coup de grâce, y compris au benfluorex.
M. François Autain , président . - Par conséquent, vous pensez qu'on aurait dû suspendre le produit dès 1995, plutôt que de restreindre les prescriptions ?
M. Lucien Abenhaïm . - Je n'étais pas décideur mais expert à l'époque. Pour conserver notre crédibilité, nous devions nous prononcer sur la science et non sur la décision.
En 1995 même, le rapport bénéfices-risques ne me semblait pas évident.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Vous avez mentionné le cas d'un patient souffrant à la fois de valvulopathie et d'HTAP. Peut-on en conclure que les fenfluramines permettent de montrer un lien de causalité pour les deux maladies ?
M. Lucien Abenhaïm . - A mon sens, il ne fait aucun doute que les fenfluramines sont la cause des deux maladies. Les valvulopathies présentent des membranes blanches qui sont typiques de la fabrication de sérotonines. La causalité est encore plus claire qu'avec les HTAP, car on a quasiment une signature moléculaire.
M. François Autain . - Nous pourrions en dire autant du benfluorex.
M. Lucien Abenhaïm . - Si le benfluorex produit vraiment de la fenfluramine dans les mêmes quantités, nous n'avons pas à nous poser la question. C'est au moins une question de précaution en matière de santé publique. J'ai déjà pris l'argument des études sur le tabac, dont les premières ont été faites aux Etats-Unis sur du tabac blond, mais elles s'appliquaient aussi aux Gitanes et aux Gauloises. Nous n'avons pas besoin d'avoir exactement la même molécule pour savoir si le risque existe ou non.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Lorsque vous êtes arrivé à la DGS, pour vous, il n'y avait aucune fenfluramine sur le marché ?
M. Lucien Abenhaïm . - C'est ce que je croyais et ce que l'on a bien essayé de faire croire à tout le monde. Croyez-vous que si j'avais su que des fenfluramines étaient commercialisées en France, j'aurais publié en 2000 l'étude SNAP dans un article indiquant que les fenfluramines créent une maladie mortelle tout en étant à la DGS ? Il faudrait être sacrément inconsistant ou inconscient.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Comment améliorer la réactivité du processus décisionnel en cas d'effets secondaires graves ? Comment améliorer le dispositif de pharmacovigilance et la politique du médicament ? Je viens de découvrir une nouvelle catégorie de produits, les produits thérapeutiques annexes (PTA), qui ne sont pas sans créer des problèmes.
Comment faire en sorte que nos concitoyens retrouvent confiance dans le médicament, dont nous avons aussi besoin ?
M. Lucien Abenhaïm . - Le rapport Debré-Even vient de sortir. Pour la pharmacovigilance, je suis d'accord avec deux réserves. Il faut peut-être séparer la pharmacovigilance de l'AMM, dans une organisation empruntant aux méthodes épidémiologiques les plus avancées.
Mme Marie-Thérèse Hermange . - Ce que nous disions déjà en 2006, avec moins de succès médiatique.
M. Lucien Abenhaïm . - Il faut être un peu en avant des masses, et pas derrière. En outre, je suis d'accord avec le fait que les commissions sont pléthoriques et pas décisionnelles. Je suis plutôt pour un système d'administration forte, avec un certain nombre d'experts nommés pour un temps limité et des commissions volantes, sujet par sujet, pour qu'il n'y ait pas de conflits d'intérêts.
M. François Autain , président . - Ne peut-on pas avoir des experts sans liens d'intérêts ?
M. Lucien Abenhaïm - Des personnes sans aucun lien d'intérêts, en les réunissant quatre ou cinq à la fois, pendant un mois sur un problème particulier, c'est possible. Si vous avez vingt personnes réunies tout le temps, c'est très facile de savoir où sont les conflits d'intérêts.
Cependant je ne suis pas d'accord sur le fait que seuls les médecins, surtout professeurs d'université, peuvent gérer ce type d'organisation. Je ne pense pas qu'ils constituent une garantie unique et suffisante. J'ai appris à la DGS que l'administration publique peut être de très haut niveau même sans être formée de médecins, du moment qu'elle fait travailler des experts. Je trouve enfin que le rapport ne développe pas assez l'aspect européen.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Faut-il réformer le système français de pharmacovigilance ou suffit-il de transposer la directive européenne en la matière du 15 décembre 2010 ?
M. Lucien Abenhaïm . - Sur la pharmacovigilance, après avoir eu de l'avance, la France a pris du retard en Europe ; il faut amener son système de pharmacovigilance au niveau européen.
La France a négligé de façon considérable la pharmaco-épidémiologie. Or c'est l'une des causes du problème.
M. François Autain , président . - Nous avons tout de même accompli des progrès en la matière. Deux études ont été réalisées, et une autre est en cours sur l'Avandia. La base de données dont nous disposons avec l'assurance maladie nous permettra de mener des enquêtes pharmaco-épidémiologiques pour peut-être détecter rapidement des effets indésirables.
M. Lucien Abenhaïm . - La base de l'assurance maladie est une source extrêmement importante, permettant d'établir des évolutions de risque. Il faut aussi mener des études de terrain de type pharmaco-épidémiologique pour établir les liens de causalité.
Il faut se garder de penser que l'assurance-maladie puisse offrir la base unique d'évaluation du problème.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - S'agissant de la pharmaco-épidémiologie et du lien de causalité, avez-vous le sentiment - comme cela nous a été dit lors de l'étude sur le Vioxx - qu'il faille modifier la norme à partir de laquelle un médicament est mis sur le marché ? Il nous a été expliqué que c'est une norme pasteurienne, alors que les médicaments mis sur le marché s'appliquent à des maladies chroniques. Faut-il changer la norme ?
M. Lucien Abenhaïm . - La France doit se battre aux plans européen et international pour faire en sorte que les évaluations des produits mis sur le marché soient considérablement renforcées, avec des acceptations temporaires, et tiennent compte des conditions réelles d'utilisation, et remettent ensuite en question l'AMM. Pour prendre l'exemple du Vioxx, j'ai refusé - et la France a été la seule à agir ainsi - de rembourser le Vioxx pendant un an et demi après les autres pays, avant de mettre en place un système d'évaluation et de prescription du produit, ce qui a contribué en France que les problèmes n'aient pas été les mêmes qu'ailleurs. Même quand un produit a fait l'objet d'une autorisation de mise sur le marché, la France a encore les moyens d'agir, sur les conditions d'utilisation et de prescription à travers sa politique de remboursement. Et cela a été fait depuis plusieurs années entre le comité économique des produits de santé (Ceps) et la DGS.
Au mois de novembre 2010, j'ai organisé un colloque international à Londres où les grandes agences européennes étaient représentées. Toutes ont mis en avant les atouts du système français sur l'accessibilité au médicament et son remboursement. Par exemple, on survit mieux au cancer en France. La méthodologie française n'est pas que mauvaise ! La France est un des rares pays ou l'on peut prendre immédiatement une décision sur soixante millions de personnes.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur. - Comment peut-on améliorer le modèle ?
M. Lucien Abenhaïm . - La mise sur le marché d'un médicament doit être conditionnée à l'évaluation de son bénéfice et de ses risques réels, ce qui est déjà un peu le cas en France avec la politique de remboursement.
M. François Autain , président . - Pour ma part, je pense qu'il vaut mieux faire un examen pré-AMM et ne mettre sur le marché que des médicaments présentant un progrès thérapeutique. Entre 1999 et 2003, à l'Agence européenne du médicament, on a ainsi mis sur le marché des médicaments qui avaient subi des essais comparatifs pour plus de la moitié des produits. Je pense que nous devons nous orienter dans cette voie même si nous pouvons sans doute faire mieux.
Je vous remercie infiniment d'avoir répondu à nos questions.
Audition de M. Jean-Pierre BADER, professeur émérite, ancien conseiller au cabinet du ministre de la santé (1974-1979), ancien président du comité national de pharmacovigilance (1979-1981), ancien vice-président de la commission d'autorisation de mise sur le marché des médicaments (1988-1991), ancien président de la commission de contrôle de la publicité et de la diffusion du bon usage des médicaments (1991-1997) (mardi 22 mars 2011)
M. François Autain , président . - Nous poursuivons cette audition avec M. le professeur émérite Jean-Pierre Bader, ancien président du comité national de pharmacovigilance et de la commission du contrôle de la publicité. Je vous rappelle que cette audition est ouverte à la presse et fait l'objet d'une diffusion audiovisuelle sur le site Internet du Sénat et sur Public Sénat.
Je vous demanderai de nous faire connaître, si vous en avez, vos liens avec des entreprises produisant ou exploitant des produits de santé ou des organismes de conseil intervenant sur ces produits.
M. Jean-Pierre Bader, professeur émérite . - J'ai eu beaucoup de liens mais je n'en ai plus.
M. François Autain , président . - J'ai souhaité vous auditionner car j'ai été très intéressé par votre rapport de 1995, et notamment les questions de mésusage du médicament et du rôle des visiteurs médicaux. Ce rapport est resté d'une grande actualité. Nous serions très heureux de connaître votre appréciation sur l'affaire du Mediator. Vous avez la parole.
M. Jean-Pierre Bader . - Je suis resté au cabinet de M. Poniatowski pendant plus d'un an avant de rejoindre le cabinet de Mme Weil. J'étais alors chef de service à Henri Mondor à Créteil. J'assistais à de nombreux congrès de gastro-entérologie. Je me suis fait un jour ridiculiser par un Américain de la Food and Drug Administration (FDA) qui m'a dit : « Vos dictionnaires de médicaments français sont un sujet de plaisanterie pour nous. » J'en ai parlé à Mme Veil qui m'a demandé de m'occuper immédiatement de ce problème. J'ai alors convoqué le responsable du Vidal. Les fiches des médicaments étaient jusqu'alors éditées dans le Vidal sans avoir été relues au préalable. Quinze jours après, j'apprenais qu'il avait vendu sa maison d'édition.
M. François Autain , président . - En quelle année cela s'est-il produit ?
M. Jean-Pierre Bader . - Cela date de 1977-1978. J'ai mis en place une commission qu'on a appelée la « commission Alexandre ».
M. François Autain , président . - On l'appelait aussi la « commission du dictionnaire ».
M. Jean-Pierre Bader . - On l'appelait plus précisément la commission de révision des dictionnaires du médicament qui comptait une vingtaine de collaborateurs et qui ne concernait pas que le Vidal. La commission de contrôle de la publicité est née au moment du deuxième passage de Mme Veil. J'étais président de la commission du contrôle de la publicité et du bon usage du médicament, et j'ai fait ajouter ces derniers mots au nom de la commission.
Le travail réalisé a été extraordinaire. Le climat a été complètement changé puisque les fiches étaient contrôlées par l'administration avant d'être publiées. Je me suis étranglé il y a quelques jours lorsque j'ai lu, dans le rapport Debré-Even : « Il y aurait un livre à écrire sur les erreurs, les mensonges et les dissimulations du Vidal noyés dans des détails sans intérêt et dont la fiche du Mediator est un exemple éclatant » . Mon conflit d'intérêts avec le Vidal, dont j'ai été un moment membre du conseil d'administration, fut extrêmement productif.
M. François Autain , président . - Le Vidal n'est pas en cause puisqu'il ne fait que retranscrire les fiches transmises par l'Agence du médicament. Toutefois, je m'étonne qu'il ne soit pas une seule fois fait mention des effets indésirables du Mediator de type cardio-vasculaire. Je trouve cela anormal.
M. Jean-Pierre Bader . - Monsieur Autain, j'ai la réponse à vos questions. Je dispose d'un graphique des événements qui se sont produits entre la mise sur le marché du Mediator (visa de 1974 et commercialisation en 1976) et son retrait.
Dès 1979, la « commission Alexandre » a presque complètement raboté la mission d'efficacité du produit avec des motifs très précis. Le médicament a perdu son indication « athérosclérose » et vu son indication « diabète et hypertriglycémie » réduite à « options ou propos aidants ». En 1987, la commission d'autorisation de mise sur le marché (AMM) supprime l'indication « diabète » mais cela n'a pas été appliqué ! En 1999, la commission de transparence dit que c'est un SMR insuffisant. Rien ne se passe. Il faut donc attendre 2007 pour lire : « Les résultats de votre étude [étude Moulin] semblent montrer une efficacité sur l'hémoglobine qui est intéressée sur cette maladie. Néanmoins à ce jour aucune conclusion définitive ne peut porter sur cette efficacité. Toutefois, dans l'attente des réponses complémentaires et des résultats de l'inspection, aucun motif de protection de la santé publique ne s'oppose à ce que l'indication soit maintenue. »
En 2009, le produit est retiré du marché.
Jusqu'à présent, je n'ai abordé que l'efficacité de ce médicament et non la question de sa dangerosité qui n'a pas été évoquée initialement, sauf en Belgique. L'Isoméride a constitué une alerte très forte à la fin des années 1990 en raison de la parenté des molécules. Ensuite nous aurons connaissance des rapports Garattini en 1998 en Italie, Ribera en Espagne en 1999, Montastruc en 2007, puis Frachon et Iung en 2009.
Vous pouvez constatez un décalage entre le travail réalisé par la commission du contrôle de la publicité et la « commission Alexandre » dans les années quatre-vingt et les problèmes de dangerosité qui n'apparaissent qu'en 1998-1999 pour s'étaler entre 2004 et 2009.
Ce produit ne servait à rien mais on l'avait laissé sur le marché.
M. François Autain , président . - En 1999, nous avons connu deux alertes : la valvulopathie cardiaque de Marseille signalée par le docteur Chiche et l'hypertension artérielle signalée par les docteurs Simmoneau et Humbert du groupe hospitalier de Béclère.
Je déplore que ces signaux n'aient pas modifié le contenu du résumé des caractéristiques du produit (RCP) de l'année suivante concernant les effets indésirables du Mediator.
M. Jean-Pierre Bader . - Ces effets indésirables d'abord isolés ont fini par être regroupés.
M. François Autain , président . - Or, il aurait fallu savoir que l'on prescrivait de la norfenfluramine en prescrivant du Mediator, ce qui n'apparaissait pas non plus dans le RCP. L'identité du produit a été masquée.
M. Jean-Pierre Bader . - La volonté du laboratoire est évidente ! Le Mediator a été créé après le Pondéral. Certains même de mes amis se sont laissé influencer par le fait que ce médicament avait des effets métaboliques que n'avaient pas les autres anorexigènes.
M. François Autain , président . - Comment peut-on se laisser influencer ?
M. Jean-Pierre Bader . - Je ne peux pas vous le dire en public mais j'ai mon opinion là-dessus.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Lors d'une conférence débat que vous avez donnée en février 1982 devant l'Association des cadres de l'industrie pharmaceutique (Acip), vous avez déploré le délai d'un an entre la constatation des dangers d'un médicament (en l'occurrence, la thalidomide) et son retrait du marché. Le dispositif actuel vous paraît-il plus réactif, une fois les effets indésirables constatés ?
M. Jean-Pierre Bader . - Je ne peux pas dire que je suis satisfait de la manière dont on a traité ce médicament. Je cherche désespérément pourquoi il en a été ainsi.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Quel est le système de contrôle à mettre en place pour améliorer le dispositif ?
M. Jean-Pierre Bader . - Il a fallu trente-cinq ans pour se rendre compte que ce produit avait une efficacité nulle. En outre, sa dangerosité aurait dû émerger dès la dangerosité connue de l'Isoméride, au plus tard à la fin des années 90.
M. François Autain , président - J'ai appris que le premier cas d'hypertension artérielle pulmonaire (HTAP) lié au Mediator, en association avec d'autres médicaments, date de 1988.
M. Jean-Pierre Bader . - Il est certain que le problème de la dangerosité a été masqué. Il n'est pas suffisant d'identifier les responsables. Le professeur Alexandre est aujourd'hui cité par les médias comme le grand responsable. Il a été mon élève. Je ne comprends pas.
M. François Autain , président . - Il a persisté à dire que le Mediator n'était pas un anorexigène mais un « antidiabétique mal étudié ».
M. Jean-Pierre Bader . - Je ne comprends pas. Je pense que l'explication est collective. Dans un éditorial de 1992 de la revue Prescrire , peu suspecte de sympathie pour l'industrie pharmaceutique, les années 1976-1981 sont présentées comme l'âge d'or du médicament, à la période où j'étais aux affaires ! Il y a ensuite eu une dégradation, avant que la création d'une agence ne soit vue comme la solution miracle. Mais il n'y a pas eu plus d'affaires réglées.
Les raisons tiennent aussi aux personnalités. Jean Weber était un homme rigoureux : avec lui, le travail ne se discutait pas.
Les décisions ont ensuite éclaté, avec la place croissante de la procédure européenne. Il y a eu une certaine perte d'efficacité du système.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur - La sécurité sanitaire est-elle une mission régalienne qui devrait relever d'une administration centrale, et non d'une agence ?
M. Jean-Pierre Bader . - Dans ses cinq premières années, l'Agence du médicament a bien fonctionné. Or lorsqu'elle fonctionne dans le cadre d'un ministère, il est impossible de recruter. Jean Weber et moi avons été les premiers à réclamer la création d'une plus grande structure permettant de recruter du personnel, comme aux Etats-Unis. Cet agrandissement a peut-être évolué vers le gigantisme ; nous sommes peut-être allés trop loin, puisque les structures décisionnelles ont éclaté. Mais seule une agence donne une certaine liberté, dans un système hiérarchisé.
La hiérarchie des décisions doit être vraiment équilibrée.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Comment appréciez-vous le rôle des « lanceurs d'alerte » et de revues indépendantes comme Prescrire qui, selon certains observateurs, ont suppléé les organismes de pharmacovigilance ? Faut-il leur conférer un statut ?
M. Jean-Pierre Bader . - Je ne crois pas que le lanceur d'alerte puisse être le patient. Le malade n'est pas capable de juger de la corrélation entre un symptôme et un médicament. Sur la liste des soixante-dix sept médicaments sous surveillance, comment peut-il juger ? Cette liste était une maladresse totale.
M. François Autain , président . - Je suis d'accord avec vous. Toutefois, concernant la notification d'effets indésirables, pensez-vous que le patient puisse jouer un rôle ?
M. Jean-Pierre Bader . - Je le pense, dès lors qu'un médicament est annoncé comme dangereux. Or, dans ce cas, on le retire du marché.
M. François Autain , président . - Jusqu'à présent, les patients n'avaient pas le droit de faire des notifications auprès de l'Afssaps ou du centre régional de pharmacovigilance. Or, ils auront bientôt ce droit en vertu de la législation européenne.
M. Jean-Pierre Bader . - Je suis plutôt conservateur. Je pense qu'il appartiendrait plutôt au médecin de lancer l'alerte.
M. François Autain , président . - Vous avez noté le problème de sous-notification chez les médecins.
M. Jean-Pierre Bader . - Je ne pense pas que le patient soit un bon vecteur de l'alerte. Le lanceur d'alerte peut être le médecin généraliste mais cela prend du temps et il n'est pas toujours assez informé. En revanche, je pense que le médecin spécialiste a un rôle fondamental à jouer.
Pour ma part, j'ai géré une alerte, celle du bismuth, à la fin des années soixante-dix et j'ai dû faire périr un grand nombre de laboratoires qui ne produisaient que cela. Les neurologues ont vu apparaître les encéphalopathies, l'alerte étant venue de l'étranger, comme toujours. Je suis persuadé que le problème était dans le surdosage, mais nous n'avons pas fait dans le détail et le bismuth a été interdit.
Le spécialiste a une analyse plus fine que le généraliste. Il convient de généraliser la politique d'alerte. Je pense que tout le monde a sa part de culpabilité dans l'affaire du Mediator. Il y a eu une défaillance à toutes les étapes, outre le rôle d'un laboratoire sur lequel je ne reviendrai pas.
Je suis à l'origine de la création des départements de pharmacologie clinique et hospitalière qu'on pourrait relancer. Je pense qu'ils ne sont pas encore opérationnels.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Comment réagissez-vous aux propositions du rapport Debré-Even concernant la pharmacovigilance, à savoir la création d'une Agence nationale de pharmacovigilance ?
M. Jean-Pierre Bader . - Je ne veux pas parler de ce rapport car je me suis étranglé en le lisant.
Ce rapport comporte beaucoup de vérités sur le comportement des laboratoires ou le financement de la presse médicale, mais aussi de nombreuses contre-vérités, parmi lesquelles celle que je vous ai citée sur le Vidal. Je pense que ce rapport sème la zizanie. Il ne nous facilite pas la tâche.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Aujourd'hui nous disposons de plans de gestion des risques qui nous permettent de mieux surveiller les médicaments nouveaux. De quels outils dispose-t-on pour les médicaments plus anciens ? A partir de quel niveau d'alerte un médicament doit-il être mis sous surveillance ? Par exemple, aujourd'hui l'Aspegic serait-il mis sur le marché ?
M. Jean-Pierre Bader . - Il faut faire la balance de l'efficacité et de la dangerosité. Le retrait doit être immédiat et massif pour un produit à efficacité faible ou nulle, pour lequel on dispose d'autres thérapeutiques.
Il faut réfléchir à l'organisation des alertes. Il faut persuader les généralistes de s'intéresser à ce problème et les rémunérer à cet effet. Cependant je pense que les spécialistes seront toujours les détecteurs les plus précis.
M. François Autain , président . - Le rôle d'Irène Frachon souligne la place importante des spécialistes.
M. Jean-Pierre Bader. - Oui, pour le bismuth, il s'agissait des neurologues et pour la thalidomide des pédiatres.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Aujourd'hui, les retraits se font sur des études de cas individuels, plus difficiles à rassembler. Il faut démontrer le lien d'imputabilité. Comment remettre en cause cette distorsion ? Par une place accrue des études de cohorte dans le dispositif de pharmacovigilance par exemple ?
M. Jean-Pierre Bader . - Il y a d'abord eu l'identification d'un cas d'hypertension artérielle et d'un cas de valvulopathie. C'était des cas isolés avant que les études épidémiologiques ne donnent des chiffres élevés. Les études scientifiques doivent nécessairement être raffinées. Je me moque de savoir combien de morts ce produit a entraîné car je considère qu'un produit aux bénéfices marginaux doit être arrêté dès lors qu'il provoque la mort de deux personnes.
M. François Autain , président . - Je suis d'accord avec vous.
M. Jean-Pierre Bader . - Nous assistons à une véritable guerre des chiffres qui me met un peu mal à l'aise.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Vous savez que le RU 486 a provoqué des décès. Dès lors, pensez-vous que nous aurions dû le retirer du marché ? Existe-t-il certains médicaments pour lesquels les risques sont tus ?
Je découvre aujourd'hui la nouvelle catégorie des produits thérapeutiques annexes (PTA) qui servent à mettre en place la politique de fécondation in vitro. Ils peuvent avoir un certain nombre de conséquences.
M. Jean-Pierre Bader . - Concernant le RU 486, je pense qu'il y a un risque. En revanche je n'ai pas de compétences particulières pour répondre aux autres questions.
Il faut prendre des décisions de bon sens. A l'heure actuelle, on a fait un tel charivari autour de ce dossier que les nouveaux documents ne font pas avancer l'affaire.
M. François Autain , président . - Il y aura peut-être d'autres documents qui reviendront sur le passé.
M. Jean-Pierre Bader . - J'ai connu Robert Debré qui a créé les centres hospitaliers universitaires (CHU). Cette fantastique réforme a bouleversé la médecine française. Cette réforme s'est construite dans le plus grand secret avant de faire l'objet d'ordonnances. Or j'ai l'impression qu'aujourd'hui, on fait d'abord éclater les problèmes.
M. François Autain , président . - C'est la démocratie directe, c'est moderne !
M. François Autain , président . - Dans votre rapport, j'ai lu des choses très intéressantes sur les visiteurs médicaux et les études de phase IV. Je souhaiterais vous interroger à ces deux sujets. A votre avis, est-ce que la situation a beaucoup changé depuis 1995 ?
M. Jean-Pierre Bader . - Vous allez me faire des copains dans l'industrie !
M. François Autain , président . - Vous êtes retraité ; il faut en profiter !
M. Jean-Pierre Bader . - Théoriquement, le visiteur médical peut aider. D'ailleurs la sécurité sociale a créé son propre réseau de visiteurs. L'expérience de mon père me rappelle que le médecin généraliste est très solitaire. Le médecin a besoin d'un support. Cependant, il est vrai que l'aide apportée par les laboratoires est très orientée vers la vente de leurs produits, ce qui ne pose pas de problème lorsqu'ils sont efficaces. Mais ce sont surtout les produits ayant un bénéfice marginal qui sont encouragés.
M. François Autain , président . - M. Bouvenot, président de la commission de la transparence de la Haute Autorité de santé, dit que les médicaments qui apportent une innovation majeure chaque année se comptent sur les doigts d'une main.
M. Jean-Pierre Bader . - C'est totalement vrai.
Le rapport Debré-Even dit la vérité sur un point : nous constatons en France une forte efflorescence des produits à bénéfice marginal.
M. François Autain , président . - Pensez-vous qu'une information qui émane d'un laboratoire est forcément promotionnelle ?
M. Jean-Pierre Bader . - Ce n'est pas forcément vrai. Toutefois, ils sont rémunérés sur le coefficient des ventes dans leur département.
M. François Autain , président . - Dans ces conditions, pouvons-nous imaginer que certains visiteurs médicaux de Servier aient présenté le Mediator comme un coupe-faim après le retrait de l'Isoméride.
M. Jean-Pierre Bader . - Monsieur le Président, vous êtes-vous demandé à quoi était due l'efflorescence de prescriptions hors autorisations de mise sur le marché (AMM) ? Elle tient à la véritable indication de ce médicament.
Nous avons tout de même diminué le nombre de visiteurs médicaux.
M. François Autain , président . - S'agissant des essais de phase IV, qui sont souvent confiés aux généralistes, estimez-vous qu'ils sont utiles et scientifiquement crédibles ?
M. Jean-Pierre Bader . - Je les appellerais plutôt des essais post-commercialisation. A partir des essais qui ont précédé l'AMM, nous ne connaissons pas la totalité des effets que peut produire le médicament. Ces essais ne peuvent pas être conduits pour tous les médicaments car ils sont très longs et très coûteux.
M. François Autain , président . - Quelle connaissance avons-nous de l'ensemble de ces essais ? Elle est presque nulle. Votre avis sur la question a-t-il changé ?
M. Jean-Pierre Bader . - Je pense que nous avons fait quelques progrès.
M. François Autain , président . - Vous ne pensez donc pas que ces essais ont pour but d'obéir à des impératifs de politique commerciale.
M. Jean-Pierre Bader . - Je ne crois pas, ou du moins marginalement.
M. François Autain , président . - J'ai eu beaucoup de plaisir à vous entendre. Je vous remercie.
M. Jean-Pierre Bader . - Je souhaite que le travail que vous menez soit productif.
M. François Autain , président . - Nous espérons que nos propositions seront reprises.
Nous vous donnons rendez-vous fin juin-début juillet pour la publication de ce rapport. Je vous remercie.
Audition de M. Philippe BAS, président de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), ancien ministre de la santé et des solidarités (2007), ancien directeur du cabinet du ministre du travail et des affaires sociales (1995-1997) (jeudi 24 mars 2011)
M. François Autain, président . - Nous accueillons M. Philippe Bas, président de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), ministre de la santé et des solidarités en 2007. Il a dirigé le cabinet du ministre du travail et des affaires sociales de 1995 à 1997.
Publique et ouverte à la presse, cette audition fait l'objet d'un enregistrement audiovisuel.
En application de l'article L. 4113-13 du code de la santé publique, je dois vous demander si vous avez des liens avec l'industrie pharmaceutique ou des cabinets de conseil dans le domaine de la santé.
M. Philippe Bas, président de l'Anses . - Je n'ai aucun lien avec aucune entreprise, a fortiori avec une entreprise du monde de la santé.
Vous avez rappelé certaines des fonctions que j'ai exercées. J'ai été impliqué dans la gestion de la santé publique depuis que j'ai été directeur-adjoint du cabinet de Simone Veil, ministre des affaires sociales de 1993 à 1995, puis directeur de cabinet de Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales de 1995 à 1997. J'ai été en charge de la santé pendant deux ans et ministre de la santé et des solidarités en 2007. Je n'ai néanmoins jamais participé en quoi que ce soit au dossier du Mediator.
M. François Autain, président . - Vous n'êtes pas le seul : ce médicament a évolué dans la solitude.
M. Philippe Bas . - Voilà peut-être l'une des raisons de ce grave accident sanitaire.
Il faut toutefois se garder de « jeter le bébé avec l'eau du bain ». J'ai connu la direction du médicament avant la création de l'Agence du médicament en 1993, je me souviens de ce qui existait avant l'Agence française du sang, et je vois avec le recul que le système que nous avons mis en place n'a cessé d'être conforté et que, malgré le drame du Mediator, il représente un progrès très important dans le système de sécurité sanitaire. Je mets donc en garde contre sa destruction au motif qu'il a révélé des éléments de faiblesse. Nos agences ont en Europe une très forte réputation et servent de référence sur bien des points. Certes, l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) a une part de responsabilité, mais l'on aurait tort de tout lui imputer.
Le travail d'évaluation doit faire l'objet d'améliorations, surtout pour les autorisations de mise sur le marché anciennes. Ce médicament est passé entre les mailles du filet malgré des alertes nombreuses. Il y a là une défaillance. Il faut la corriger sans esprit de système car, à ne faire peser la responsabilité que sur l'expertise, l'on passerait à côté de beaucoup de choses. Autant sont utiles les déclarations d'intérêts, secrètes puis publiques, l'appel à candidatures pour éviter les cooptations...
M. François Autain, président . - On n'y est pas complètement parvenu !
M. Philippe Bas . - Autant il faut affirmer les règles de déontologie, autant il n'est pas possible, selon moi, de devenir expert sans une expérience du travail avec l'industrie pharmaceutique. Il sera plus fécond, après avoir renforcé les règles éthiques, de faire en sorte que l'évaluation soit contradictoire et transparente plutôt que, par excès de puritanisme, de refuser un lien avec l'industrie que l'on recherche dès l'université.
M. François Autain, président . - Sur le Mediator, il y a aussi une défaillance du politique. Les experts de la commission de la transparence ont fait leur travail entre 1999 et 2006 ; l'on n'a pas tenu compte de leurs avis. M. Mattei a bien expliqué qu'une fois qu'un médicament a été mis sur le marché, il était politiquement difficile de le retirer en cas de service médical rendu insuffisant. Mieux vaut donc agir en amont. Au-delà de l'indépendance de l'expert, il y va de la capacité ou de l'incapacité du politique à prendre la bonne décision.
M. Philippe Bas . - J'y venais. J'essayais de dire qu'on ne peut faire porter tout le poids de la responsabilité sur le processus de décision au moment de l'autorisation de mise sur le marché : il y a ensuite de nombreux carrefours avec des signalements. Ce n'est pas seulement le politique qui est défaillant.
M. François Autain, président . - Qui alors ?
M. Philippe Bas . - Vous avez cité la commission de la transparence, qui n'a pas dit que ce médicament était un « poison », mais que le service médical rendu ne justifiait pas sa prise en charge par la sécurité sociale, ce qui n'est pas le signalement d'un danger. Ici, la décision n'est pas de sécurité sanitaire, mais relève de la gestion de la sécurité sociale, afin que chaque euro dépensé soit un euro utile.
M. François Autain, président . - Je mettrai ce bémol : la commission de la transparence prend en compte les effets indésirables d'un médicament. Le Canard enchaîné a publié la communication faite aux membres de la commission de la transparence sur la toxicité de ce médicament ; celle-ci a ensuite estimé inacceptables les effets indésirables de ce médicament.
M. Philippe Bas . - Il s'agit d'un rapport entre le bénéfice et le risque. Tout médicament a des effets indésirables, ce qui n'est pas synonyme de toxicité.
M. François Autain, président . - Le paracétamol est toxique.
M. Philippe Bas . - Toute pharmacopée a des effets indésirables.
Il faut améliorer la qualité du processus d'autorisation de mise sur le marché afin que les mailles du filet soient aussi serrées que possible, mais ce n'est qu'une partie du travail, car le danger tient à la faiblesse de notre organisation de vigilance. Le signalement, le recueil et de celui-ci de son exploitation, voilà où a résidé surtout la défaillance, voilà ce à quoi il faut remédier sans déstabiliser l'Agence, mais, au contraire, en la confortant.
Le rôle de l'assurance maladie en matière de surveillance est insuffisant. Depuis 1993 et la convention sur le codage des pathologies, on n'a toujours pas d'exploitation au niveau national du lien entre le diagnostic et la prescription. Un médicament, qui est mis sur le marché dans le cadre des indications de son autorisation, peut être prescrit en dehors de celles-ci. Le Mediator avait une indication erronée, mais un produit peut être pertinent dans le cadre de son autorisation de mise sur le marché...
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - L'Aspegic !
M. Philippe Bas . - ... et non dans d'autres cas.
Lorsqu'un médicament reçoit son autorisation de mise sur le marché, on estime son prix en fonction des indications et des quantités prévues : si les ventes étaient estimées à 100 000 et qu'on vend 400 000 boîtes, il convient de se demander pourquoi. On verra alors qu'il est prescrit pour d'autres pathologies et l'on se dira qu'il y a là une dérive dangereuse. On aurait évité beaucoup de victimes si l'on avait su faire cela. L'assurance maladie n'y parviendra jamais sans une forte implication du corps médical. Mais cela signifie, pour un médecin, que ses prescriptions, ses diagnostics soient vérifiés par des confrères. Or le corps médical, dont c'est le coeur du métier, ne l'a jamais accepté.
M. François Autain, président . - La loi existe pourtant depuis 1991.
M. Philippe Bas . - En effet. Nous avons achoppé sur les négociations conventionnelles.
M. François Autain, président . - Message transmis au directeur général de la Cnam, M. Van Roekeghem ! De nouvelles négociations vont commencer.
M. Philippe Bas . - Il faut le dire, il y a eu dans l'affaire du Mediator des médecins qui ont développé leur clientèle en se spécialisant dans la prescription de ce coupe-faim. J'ai reçu le témoignage de jeunes médecins qui avaient dû, à l'occasion de remplacements, mettre fin à ces pratiques.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Vous avez rappelé que vous n'avez pas vu passer le dossier du Mediator quand vous étiez aux responsabilités et, comme nous ne sommes pas des juges, je me concentrerai davantage sur les questions relatives à l'évaluation et au contrôle des médicaments. Compte tenu de votre fonction de président de l'Anses depuis janvier comme de votre expérience passée, quels enseignements tirez-vous du fonctionnement d'une agence sanitaire comme l'Afssaps ? Une agence a plus de moyens qu'une direction de l'administration, mais ne peut-on envisager un regroupement de ces moyens au sein d'une administration centrale ?
M. Philippe Bas . - Ce n'est pas la question primordiale. Je suis pragmatique, et je peux tout envisager. Cependant, il importe surtout de s'assurer de la compétence et l'indépendance des experts pour que la décision soit prise sur des fondements scientifiques, dans la collégialité et la transparence, et que les agences régionales de santé, les médecins et l'assurance maladie convergent dans la vigilance. Cela dit, pour répondre à votre question, je préfère les agences parce que, dans l'organisation de notre Etat, chaque fois qu'on en a établi une, elle a reçu indépendance et moyens. Rien ne s'oppose en principe à ce qu'une administration reçoive ces moyens, cependant l'expérience est là.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Qu'est-ce qui a fondamentalement changé depuis l'époque de la Direction du médicament et de la pharmacie ? A-t-on, en prônant la création d'agences, simplement adopté un mode de pensée anglo-saxon ? Quelles réformes institutionnelles préconisez-vous ?
M. Philippe Bas . - Je préconise surtout de ne pas faire une réforme institutionnelle qui revienne sur le progrès important que représente la création de l'Afssaps reconnue partout en Europe comme une institution indépendante.
M. François Autain, président . - Pourtant, selon le rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas), l'Agence est « structurellement et culturellement en conflit d'intérêts avec l'industrie pharmaceutique ». Peut-être faut-il mieux assurer son indépendance...
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Faut-il réformer le fonctionnement interne de l'agence : par exemple, en ce qui concerne la publicité des travaux, le vote des décisions à la majorité ou par consensus ou les suites données aux opinions divergentes ?
M. Philippe Bas . - Je suis d'accord avec ces propositions, mais pas avec un changement institutionnel comme la suppression de l'agence. Le rapport de l'Igas ne se réduit pas à cette appréciation d'ordre politique et qui dépasse de beaucoup son mandat. Attention aux conflits d'intérêts, mais préservons l'expertise...
M. François Autain, président . - Un expert peut-il siéger dans une commission chargée d'émettre un avis sur le médicament d'un laboratoire avec lequel il a des liens d'intérêts ?
M. Philippe Bas . - Sans lien avec l'industrie pharmaceutique, il n'y a pas d'expertise possible, seulement des pharmacologues en chambre. Il est absolument nécessaire de connaître le travail de l'industrie car un travail de chercheur solitaire n'assure pas la sécurité sanitaire requise.
M. François Autain, président . - On peut imaginer qu'il y ait un temps entre le travail avec l'industrie et l'expertise. Le professeur Maraninchi, nouveau directeur général de l'Afssaps, ne sera-t-il pas plus indépendant dans la mesure où il n'a plus de liens avec l'industrie depuis cinq ans ?
M. Philippe Bas . - Il n'y a pas de doute là-dessus. Cependant, je ne veux pas que les experts soient en décalage par rapport à l'état de la recherche, que leur savoir ne soit pas le plus récent. C'est pourquoi je préfère des règles plus strictes afin de ne pas nous priver des meilleurs experts au prétexte qu'ils ont travaillé avec l'industrie. En outre, personne ne peut émettre un avis seul : j'insiste sur la collégialité, le dialogue entre experts sans lesquels une décision ne saurait être fondée scientifiquement. Ne nous laissons pas porter par un excès de puritanisme !
M. François Autain, président . - Le directeur de l'Afssaps n'a plus de lien avec l'industrie depuis cinq ans, celui de la Haute Autorité de santé depuis deux mois et demi. Le premier aura plus de recul que le second.
M. Philippe Bas . - C'est le bon sens. Il faut faire attention à la collégialité, à la transparence et à la procédure contradictoire qui permettent le meilleur avis pour prendre la meilleure décision. Je suis d'accord pour l'expression des avis divergents mais je ne souhaite pas qu'on tarisse l'expertise : l'on peut relativiser sans disqualifier.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Quel avis portez-vous sur les propositions du rapport Debré-Even ?
M. Philippe Bas . - Je n'en ai pas encore pris connaissance.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - La constitution d'un groupe réduit d'experts de haut niveau, bien rémunérés, protégés par un statut, en lieu et place du recours actuel à une multitude d'experts internes et externes souvent en conflit d'intérêts ?
M. Philippe Bas . - C'est une vision simpliste des choses. Nous devons avoir des experts de très haut niveau : c'est le premier impératif. Il est moins important qu'ils aient travaillé ou non en lien avec l'industrie. Le primat, c'est l'excellence de l'expertise ! Sinon on laissera passer des produits dangereux. La question des conflits d'intérêts est essentielle mais demeure seconde.
M. François Autain, président . - N'y a-t-il pas un lien entre les deux ?
M. Philippe Bas . - J'essaie de combiner ces impératifs sans exclure de bons experts et il y a pour cela des conditions éthiques.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Une commission indépendante des contrôles et de la méthodologie d'évaluation des essais cliniques est...
M. Philippe Bas . - ... une excellente proposition.
Mme Virginie Klès . - A quel niveau situez-vous le contradictoire dans la chaîne d'analyse et d'expertise ? Membre de la commission des lois, j'entends bien cela, pour la justice, en amont, mais au final le juge doit décider en toute indépendance. De plus, où placez-vous la barrière du conflit d'intérêts ?
M. Philippe Bas . - Rendre public tout conflit d'intérêts est un impératif absolu. Un intérêt fort peut conduire à exclure l'expertise, cela n'exclut pas une audition de la personnalité scientifique.
Il faut rendre publiques les opinions divergentes et prendre les décisions de manière indépendante. Ma position n'est ni noire ni blanche, parce que je pense qu'on doit préserver une expertise utile.
Mme Janine Rozier . - Comment améliorer le système en impliquant plus les médecins alors que, dans nos régions, nous manquons de généralistes ? Comment eux, qui travaillent douze heures par jour dans leur cabinet, pourraient-ils en plus renseigner et alerter ?
M. Philippe Bas . - Il ne s'agit pas d'une mission facultative. Elle leur incombe déjà en cas d'empoisonnement par un médicament, et ce devoir déontologique passe avant une consultation pour le rhume des foins.
Elu du plus petit canton rural de la Manche, j'entends bien ce que vous dites sur les déserts médicaux. Les médecins sont submergés de tâches bureaucratiques. Il ne s'agit en l'occurrence que de signaler ce qui est grave. Le médecin de Brest...
M. François Autain, président . - Irène Frachon.
M. Philippe Bas . - ... a signalé le rôle du Mediator, mais n'a pas été écoutée, comme si elle était un praticien non compétent. Si le rôle du médecin est essentiel, l'Agence régionale de santé est-elle équipée par ailleurs pour accueillir les signalements, et l'assurance maladie pour évaluer l'adéquation des prescriptions aux diagnostics ? Non !
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Les pharmaciens pourraient contribuer à cette mobilisation avec le dossier pharmaceutique.
M. François Autain, président . - Et le dossier médical qu'on nous a promis en 2005 ?
M. Philippe Bas . - Cette idée est même antérieure. Le dossier médical personnalisé figurait déjà dans la réforme Juppé.
M. François Autain, président . - M. Douste-Blazy nous promettait une économie de 3 milliards d'euros en 2007.
M. Philippe Bas . - Je suis heureux que vous regrettiez qu'il n'ait pas été mis en place.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Nous en avons tous reçu un, sous forme papier, et nous l'avons tous classé.
Mme Marie-Christine Blandin . - L'Agence que vous présidez, l'Anses, est issue de deux organismes de culture radicalement différente, l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa), complaisante et même autiste - je pense au bisphénol -, et l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail (Afsset), qui avait une culture d'écoute et comptait dans son conseil d'administration des représentants d'associations qui servaient de relais aux donneurs d'alerte. Je me félicite que ce soit également le cas de la nouvelle Agence. Le Grenelle a prévu une Haute Autorité de l'indépendance de l'expertise et de l'écoute des lanceurs d'alerte dont la forme n'a pas été définie. Le regard extérieur que proposerait un tel organisme vous semble-t-il intéressant ?
M. Philippe Bas . - Vous avez évoqué les cultures qui se rejoignent dans l'Anses. L'une des raisons pour lesquelles j'en ai accepté la présidence est la composition de son conseil d'administration. Celui-ci compte en effet cinq collèges : les représentants de l'Etat, qui, s'ils n'y sont pas les plus nombreux, y détiennent la majorité des voix, puisque l'agence fonctionne avec des subventions de l'Etat ; ceux des collectivités territoriales ; ceux des organisations non gouvernementales, agissant dans le champ de la consommation et de l'environnement ; ceux du monde de l'économie - ils ont leur légitimité ; ceux du personnel enfin.
L'expression « lanceur d'alerte » pose question dans le cadre du conseil d'administration de l'agence. Les membres du conseil d'administration traitent des moyens ou du programme de travail, mais n'ont pas une qualification d'expertise. A tout le moins, un membre du conseil d'administration peut faire part d'une inquiétude et demander une étude. En tant que président du conseil d'administration, en de telles circonstances, je mets alors aux voix la proposition et fait part de la décision à la direction générale. Le programme de travail de l'Anses a été élaboré selon ce mode de fonctionnement après un travail préparatoire réalisé par des commissions où siégeaient les organisations non gouvernementales.
M. François Autain, président . - M. Hirsch, ancien directeur de l'Afssa, a indirectement porté une accusation contre l'Anses : « L'agence que j'ai dirigée il y a quelques années a récemment publié un rapport sur les régimes amaigrissants : il n'y a pas eu un mot sur les pilules amaigrissantes ! Or, le président de ce comité d'experts est payé par les quatre plus gros laboratoires pharmaceutiques : même s'il est honnête, comment voulez-vous qu'il dénigre ses employeurs ? » Qu'avez-vous à répondre ?
M. Philippe Bas . - Je suppose qu'il est sûr de son information, que je ne possédais pas. En tout état de cause, un régime amaigrissant n'est pas un traitement amaigrissant. Notre agence n'est pas qualifiée pour évaluer les médicaments, il y en a une autre pour cela. Nous nous prononçons sur la qualité des épinards, pas sur les pilules.
M. François Autain, président . - Vous ne voulez pas le savoir ?
M. Philippe Bas . - Je ne crois pas que la confusion entre les missions des agences fasse progresser la sécurité sanitaire, sauf à créer une grande agence - tout peut se discuter.
M. François Autain, président . - J'avais essayé de traduire dans la loi une recommandation du rapport élaboré par le Sénat en 2006 : « Médicament : Restaurer la confiance » en interdisant le financement de la formation médicale continue, pardon !, du « développement professionnel continu » par les laboratoires. Vous m'aviez répondu que leur participation était indispensable.
M. Philippe Bas . - Pourriez-vous lire ma réponse dans son intégralité ?
M. François Autain, président . - J'avais déposé un amendement pour modifier le code de la santé publique. Mon amendement visait à ne plus permettre à l'industrie pharmaceutique de financer la formation médicale continue. Le rapporteur avait émis un avis défavorable. Pour que les choses soient claires, je vais vous donner lecture du Journal officiel de cette séance :
« M. Alain Vasselle : En voilà une bonne idée ! (Sourires.) Je suis surpris que le Gouvernement n'y ait pas pensé plus tôt. Voilà la solution qui permet de diminuer d'autant l'impact de la taxe de 1,96 % sur le chiffre d'affaires !
« Ainsi, on ferait faire aux laboratoires une économie de 1,1 % sur leur chiffre d'affaires! Mais pourquoi n'y avons-nous pas pensé plus tôt, monsieur le ministre ? M. Autain veut rendre service aux laboratoires ! Mais comment allons-nous dorénavant financer la formation médicale continue ?
« Pour l'instant, ce sont les laboratoires qui contribuent à ce financement. Que proposez-vous, monsieur Autain ?
« Plus sérieusement, dans le cadre de la réforme de l'assurance maladie, nous avons prévu une charte de la visite médicale. Je ne sais pas où on en est, mais elle a fait l'objet de discussions et de négociations avec les laboratoires et doit entrer en application ; elle devrait donc bientôt porter ses fruits. Grâce à la mise en oeuvre de cette charte, disposition que vous n'avez d'ailleurs pas votée lors de l'examen du projet de loi relatif à l'assurance maladie, nous devrions atteindre l'objectif que vous poursuivez, monsieur le sénateur. Vous empruntez donc une autre voie pour aboutir au même résultat.
« Considérant que cette charte répondra à vos attentes, nous estimons que votre amendement est satisfait. Aussi, je vous demande de bien vouloir le retirer; à défaut, la commission émettra un avis défavorable.
« M. le président : Quel est l'avis du Gouvernement ?
« M. Philippe Bas, ministre délégué : Le Gouvernement partage en tous points l'avis que M. le rapporteur vient d'exprimer. Monsieur le sénateur, vous avez déploré tout à l'heure le fait que nous ne vous ayons pas demandé de retirer votre amendement, laissant entendre que vous l'auriez fait si nous vous l'avions demandé. Au vu des explications qui viennent de vous être apportées, nous vous demandons donc instamment de bien vouloir retirer l'amendement n° 213.
« En effet, la participation de l'industrie pharmaceutique à la formation des prescripteurs est indispensable, et pas seulement pour des raisons financières. Nous avons d'ailleurs eu tout à l'heure un débat sur les modalités de progression de la recherche et du développement de nouveaux médicaments.
« M. Bernard Murat : Exactement !
« M. Philippe Bas, ministre délégué : Pour que ces médicaments soient prescrits à bon escient, il faut que les laboratoires puissent rendre compte des essais thérapeutiques et des recherches qui justifient les indications des médicaments. Il est donc nécessaire que l'industrie pharmaceutique participe à la formation continue, à condition toutefois qu'elle respecte scrupuleusement toutes les règles déontologiques. Je puis vous l'assurer, nous y veillons, notamment dans le cadre de la charte de la visite médicale que M. le rapporteur a fort opportunément évoquée. »
Cette lecture est un peu longue, mais éclaire mon propos.
M. Philippe Bas . - Le rôle de l'industrie pharmaceutique dans la formation médicale continue est très important et je comprends que votre amendement ait été rejeté à l'époque. S'il s'agit de passer d'un système à l'autre, il ne suffit pas d'abolir le système antérieur, il faut prévoir et organiser la suite, après concertation.
Il n'est pas indispensable d'interdire toute participation de l'industrie pharmaceutique à la formation médicale continue. Les médecins doivent être tenus au courant des nouveaux médicaments mis sur le marché. Bien évidemment, les informations délivrées doivent être de qualité. Le système mérite d'être réformé, amélioré, mais sans exclure la participation des laboratoires ou des pharmaciens qui ont procédé aux essais thérapeutiques. Je ne pars pas du principe que tout laboratoire pharmaceutique a des intentions criminelles ou des intentions économiques qui absorbent la totalité des motivations de ceux qui travaillent pour la mise au point des médicaments.
M. François Autain, président . - Je vous rappelle qu'une directive européenne considère qu'une information qui émane d'une entreprise est de la publicité. Je vous ferai parvenir des extraits de cette directive.
M. Philippe Bas . - J'en serai heureux : elle fera progresser ma réflexion.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Nous avons une mission de contrôle, mais nous devons également faire des propositions afin de redonner confiance dans le médicament et dans l'expertise.
Pensez-vous que des problématiques sanitaires pourraient être tues pour des raisons économiques, financières ou idéologiques ? On sait ainsi que le RU 486 a tué au moins une personne, mais nul n'en a parlé, car c'est toute une politique de santé publique qui serait remise en cause. Or, dans l'affaire du Mediator, j'entends dire que, même si un seul patient était mort, il aurait fallu le dire.
J'ai découvert récemment les produits thérapeutiques annexes pour tout ce qui concerne la fécondation in vitro . Or, ces produits ne sont pas contrôlés.
Ne risque-t-on pas demain d'avoir d'autres affaires similaires à celle du Mediator ?
M. Philippe Bas . -Toute décision en matière de sécurité sanitaire doit être précédée de l'information la plus complète, la plus objective et la plus contradictoire possible, de sorte qu'on puisse la justifier aux yeux des Français. Il est toujours plus facile d'inquiéter que de rassurer. La mission d'une agence n'est de faire ni l'un, ni l'autre, mais de dire la vérité. C'est ainsi qu'on peut justifier les décisions qui sont prises. Il ne faut pas croire que le risque zéro soit atteignable : il n'existe pas de médicaments sans contre-indications. Tout est dans le bon usage : il faut respecter la dose et le traitement.
Il ne faudrait pas que, sous le coup de l'émotion, on retire un médicament ayant donné lieu à un ou plusieurs accidents, alors que, ce faisant, on priverait des dizaines de milliers de patients d'un traitement indispensable. Il y a toujours une balance à faire entre le risque et l'avantage pour les malades. Si l'explication n'a pas lieu, nous serons tous emportés par la vague de l'émotion à chaque fois qu'un évènement sanitaire surviendra.
Vous citez un exemple que je ne connais pas : je ne puis donc me prononcer.
Il est très important de toujours distinguer la conviction que l'on peut avoir sur l'utilisation d'un produit utile pour la santé ou pour des raisons liés aux moeurs, et les risques sanitaires qu'il fait encourir. La chape de plomb n'est jamais la bonne solution : il faut tout mettre sur la table.
M. François Autain, président . - Je vous remercie pour votre témoignage.
Audition de M. Antoine de BECO, président de la Société de formation thérapeutique du généraliste (jeudi 24 mars 2011)
M. François Autain, président . - Nous poursuivons nos auditions avec M. Antoine de Beco, président de la Société de la formation thérapeutique du généraliste (SFTG). Cette audition est ouverte à la presse et fait l'objet d'un enregistrement audiovisuel en vue de sa diffusion sur le site Internet du Sénat et sur Public Sénat. En application de l'article L. 4113-13 du code de la santé publique, pouvez-vous nous indiquer si vous avez des liens avec des entreprises produisant ou exploitant des produits de santé ou des organismes de conseil intervenant dans ces domaines ? Votre société de formation est-elle financée ou a-t-elle des liens d'intérêts avec des laboratoires pharmaceutiques ?
M. Antoine de Beco, président de la Société de formation thérapeutique du généraliste . - Je n'ai aucun lien avec l'industrie pharmaceutique et la SFTG non plus.
M. François Autain, président . - C'est extraordinaire parce que vous tranchez par rapport à l'ensemble des sociétés savantes qui reçoivent des aides, parfois infimes, des laboratoires.
M. Antoine de Beco . - Je vous remercie de m'avoir invité en tant que président de la SFTG pour porter témoignage au sein de votre commission et vous parler de la formation professionnelle des médecins généralistes.
Je vais présenter la SFTG qui est l'une des sociétés scientifiques de médecine générale. L'affaire du Mediator révèle le besoin d'une formation médicale continue indépendante, notamment pour les généralistes. Une telle formation peut exister, mais les obstacles à son développement sont nombreux. L'histoire de la SFTG et les nuages qu'elle voit poindre à l'horizon légitiment son inquiétude.
La SFTG a été créée en 1977 : elle a pour objet la formation médicale continue et l'amélioration de la qualité des pratiques des professionnels. Ses actions s'appuient sur une charte dont les grands axes sont les suivants : développer la compétence scientifique, humaine et sociale du médecin généraliste, renforcer son rôle d'acteur de santé publique, enseigner et former, fonctionner dans l'indépendance et la transparence, dans le respect de l'éthique des droits et de l'intérêt des patients. La SFTG est indépendante de l'industrie des produits de santé pour son fonctionnement, et dans ses interventions elle est indépendante de toute structure syndicale, universitaire ou commerciale. Enfin, la pluridisciplinarité est prônée : recherche, formation continue, amélioration des pratiques en médecine générale ne peuvent se concevoir qu'en lien étroit avec les autres disciplines scientifiques, humaines et sociales.
Un des champs d'intervention principaux de la SFTG concerne la formation médicale continue : son but essentiel est de former les médecins pour le bénéfice des patients et de la santé publique.
La SFTG a créé des groupes locaux de formation ou d'échanges de pratiques tant en province qu'en région parisienne, dans lesquels des médecins se retrouvent une fois par mois pour travailler sur un sujet préparé par des membres généralistes du groupe ou pour réfléchir sur leurs pratiques. Des médecins généralistes ou spécialistes d'organes sont invités à participer dans le cadre de la formation professionnelle conventionnelle à des séminaires de formation d'une ou de deux journées. Ces formations sont un lieu d'échange et de partage d'informations. Les experts intervenants doivent garantir la qualité, la validité et l'indépendance de leurs informations. Nous nous attachons à ce qu'ils soient des acteurs de terrain : experts médecins généralistes associés, dans la même équipe d'intervenants, à des experts spécialistes libéraux ou hospitaliers, à d'autres professionnels de santé ou du secteur social et, parfois, à des représentants des sciences humaines. Nous exigeons toujours des experts qu'ils déclarent leurs conflits d'intérêts. Les interventions sont discutées avec l'organisateur de la formation, membre de la SFTG, qui veille au respect des principes de notre charte.
Nous avons organisé plusieurs colloques pour ouvrir des pistes de réflexion, et nous avons eu l'honneur d'en tenir deux au Sénat. Nos derniers colloques se sont intitulés : « Le pivot du système de soin » , « L'indépendance de l'expertise médicale » , « La course à la dénomination commune internationale (DCI) : à vos marques, prêt, partez ! » , « Les Etats généraux de la formation médicale continue : construire une charte éthique de la formation médicale continue (FMC) » , « L'information santé des patients » , « Le médecin, le patient et l'environnement : quelles informations pour agir ? » .
M. François Autain, président . - Qui finance ces colloques ?
M. Antoine de Beco . - Ils sont financés sur fonds propres.
M. François Autain, président . - Comment se fait-il que les autres sociétés savantes n'y parviennent pas ? Pour un simple buffet, elles sont obligées de s'adresser aux laboratoires. J'ai entendu des experts me dire que, sans le concours de l'industrie pharmaceutique, ils ne pourraient jamais se rencontrer.
M. Antoine de Beco . - L'indépendance a un coût et nous n'avons pas la prétention d'être extrêmement nombreux, mais d'autres sont peut-être encore plus rigoureux, comme la revue Prescrire .
M. François Autain, président . - Je ne comprends pas que votre exemple ne soit pas suivi. Il faudrait faire comme vous pour renforcer l'indépendance de l'expertise et des médecins.
M. Antoine de Beco . - Nous avons créé avec des partenaires le collège de la médecine générale qui tente de s'organiser autour de ces principes.
J'en reviens aux colloques que nous avons organisés : il y transparaît l'intérêt de la SFTG pour le respect des patients, la passion de la santé publique et l'exigence de l'indépendance. Nous proposons toujours à nos participants et à notre public de faire une lecture critique des informations disponibles : une telle lecture s'apprend et c'est un outil indispensable pour les médecins, tant sont nombreuses les informations qu'ils reçoivent. Les patients doivent également se familiariser avec la lecture critique dans ce monde de communication multiple. Les jeunes générations d'étudiants y ont accès par quelques formations en faculté de médecine. Ce n'est sans doute pas par la visite médicale, la publicité ou la presse médicale, hormis Prescrire , que ce sens de la lecture critique est encouragé.
La SFTG travaille depuis plusieurs années sur l'aide que l'informatique peut apporter au suivi des patients et à la stratégie thérapeutique : ces travaux ont été menés exclusivement avec de l'argent public obtenu en répondant à des appels d'offre de recherche. Ces travaux ont donné lieu à des rapports et à des publications. En partenariat avec la Haute Autorité de santé, la SFTG a piloté l'élaboration de recommandations pour l'hygiène au cabinet médical et pour la prise en charge de patients souffrant d'insomnies en médecine générale. Enfin, la SFTG est fortement impliquée dans le congrès national annuel de médecine générale et dans le collège de médecine générale créé en 2010.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Que pensez-vous des informations qui étaient à la disposition des médecins généralistes prescripteurs pour connaître la nature du Mediator, notamment son caractère anorexigène ? L'information disponible permettait-elle d'opérer le rapprochement entre benfluorex et anorexigènes ?
Comment appréciez-vous les prescriptions du Mediator hors autorisation de mise sur le marché (AMM) ? Ont-elles été fréquentes et se justifiaient-elles au regard de la situation des patients ?
Ce sont les spécialistes, plus que les généralistes, qui ont signalé les effets indésirables du Mediator : dans quelle mesure les médecins généralistes pouvaient-ils connaître et signaler les effets indésirables dus au Mediator ?
M. Antoine de Beco . - La formation en pharmacologie dans les facultés était extrêmement pauvre à mon époque. Le concept de bénéfices-risques des médicaments y était peu enseigné. De plus, les médicaments sont connus sous leurs noms de marque et non sous leur dénomination commune internationale (DCI). Les médecins généralistes qui s'intéressent à la thérapeutique ont pu être sensibles au nom de benfluorex, mais pas à celui de Mediator qui n'éveille pas l'attention de la même façon. La revue Prescrire développe une rubrique sur les suffixes, les segments clés, qui met en éveil, mais tout le monde ne lit pas cette revue.
En plus, les médecins ne reçoivent pas les mêmes messages et je ne suis pas certain que la visite médicale des laboratoires Servier expliquait que le Mediator était un anorexigène, mais je ne puis en dire plus, étant donné que je ne reçois pas de visiteurs médicaux.
M. François Autain, président . - Mais comment faites-vous pour vous informer ? On vient de nous dire que cette visite est indispensable !
M. Antoine de Beco . - Je ne sais pas s'il s'agit d'une information. En tout cas, il ne s'agit certainement pas d'une formation. Cela s'apparente peut-être plus à de la publicité.
M. François Autain, président . - Vous pouvez retirer le « peut-être »...
M. Antoine de Beco . - Lorsqu'un médicament nouveau est mis sur le marché, un médecin généraliste en a-t-il besoin immédiatement ? Certainement pas, sauf peut-être pour traiter quelques maladies orphelines. Certaines revues, comme Prescrire , vont en parler rapidement et le médecin généraliste sera informé. Si la visite médicale consiste à me faire un rappel sur des produits que j'utilise déjà, j'ai d'autres façons de m'informer.
M. François Autain, président . - Recevez-vous Le Quotidien du médecin ?
M. Antoine de Beco . - Oui, sans y être abonné, comme quantité de médecins. Je reçois aussi Impact médecin et Le Panorama du médecin . Je lis ces revues en diagonale, en tant que président de la SFTG, car j'ai besoin d'y apercevoir les lignes de force qui y sont développées, mais je ne les lis pas pour l'information médicale.
M. François Autain, président . - Vous recevez ces journaux de façon permanente ?
M. Antoine de Beco . - Oui. Je suis installé depuis vingt-six ans et je ne me suis jamais abonné.
M. François Autain, président . - Ce que vous dites contredit ce que M. Kouchner nous a affirmé : d'après lui, il procède à des abonnements tournants : il envoie pendant quelques semaines un journal à des médecins et, si ces derniers ne s'abonnent pas, il change de praticiens.
M. Antoine de Beco . - Je suis peut-être persona grata , mais je n'ai pas toujours été président de la SFTG. Sans doute, certains jours je ne reçois pas tel ou tel journal, mais il n'y a jamais d'interruption prolongée.
Pour revenir sur l'histoire de la SFTG, il y a une trentaine d'années, les plus anciens se réunissaient avec des pharmacologues de la Pitié Salpêtrière pour recevoir ensemble les visiteurs médicaux : l'expérience n'a pas été concluante et ils ont décidé de se former autrement. En l'absence de formation pharmacologique correcte, nous sommes dans un rapport qui n'est pas favorable à la capacité de compréhension et de discrimination du médecin. Pour moi, la visite médicale n'est pas indispensable.
Pour ce qui est de la prescription hors AMM, elle peut trouver sa place dans certains domaines particuliers, mais je doute qu'il en soit ainsi pour un anorexigène. Les anorexigènes ne résolvent pas le problème de l'obésité qui est extrêmement difficile et douloureux pour des malades qui sont parfois rejetés par la société. En 1979, le Vidal parlait pour le Mediator d'hyperlipidémie et d'hypertriglycéridémie. En 2009, la définition est devenue : « adjuvant du régime adapté chez le patient diabétique ». Si j'avais lu cette définition dans le Vidal, j'aurais sans doute été plus prudent dans l'utilisation de ce médicament. Mais c'est en même temps très tentant : il n'y a pas beaucoup de médicaments qui font maigrir les diabétiques. Une des grandes difficultés chez le patient diabétique, c'est qu'il prend du poids au fur et à mesure de sa pathologie. Si on lui administre de l'insuline, il va encore prendre du poids. On est alors tenté de lui donner un médicament qui va le faire maigrir.
Pour la fréquence des prescriptions hors AMM, la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam) pourrait vous répondre.
Les médecins généralistes sont en permanence soumis à des demandes discutables : il faut savoir dire non, mais le dire, cela prend parfois toute une consultation. Un clic de souris ou prendre son stylo pour rédiger une ordonnance, cela ne prend que quelques secondes. De plus, les médecins généralistes reprennent souvent des prescriptions établies par des spécialistes. Il est extrêmement difficile de refuser un renouvellement, surtout que les spécialistes jouissent d'une aura plus grande que les généralistes.
M. François Autain, président . - Les généralistes sont des spécialistes !
M. Antoine de Beco . - Certes, mais pas des spécialistes d'un organe.
Les traitements sont souvent prescrits en sortie d'hospitalisation, avec les médicaments disponibles dans la pharmacie de l'hôpital. Ils ne sont pas en DCI et ils ne sont pas forcément les moins chers. Bref, les médecins généralistes ne sont pas dans une position facile.
Vous avez dit que les spécialistes avaient plus alerté sur les effets indésirables du Mediator que les médecins généralistes. Certes, mais cela est compréhensible : les cardiologues concentrent les échographies et les chirurgiens cardiaques détectent les anomalies. Les diagnostics de valvulopathies atypiques ont été établis par des spécialistes, et c'est bien normal. Les médecins généralistes ne peuvent qu'entendre un souffle cardiaque, constater l'essoufflement, suspecter un trouble valvulaire : ils adressent alors le patient au spécialiste.
De plus, si la déclaration d'effet indésirable est obligatoire, elle est aussi bénévole. Il faudrait trouver des modes d'indemnisation des médecins, constituer des réseaux de pharmacovigilance, former les médecins généralistes afin qu'ils puissent déclarer les effets secondaires, avoir des médecins qui surveillent les molécules qui sont mises sur le marché. Mais la pratique actuelle de la médecine ne facilite pas ce type d'évolution.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Pensez-vous que la loi « anti cadeaux » de 1994 a été efficace ? Comment assurer une plus grande indépendance de la formation médicale continue vis-à-vis des industries pharmaceutiques ?
Participez-vous aux Assises du médicament ? Qu'en attendez-vous pour les généralistes, pour le système de santé et pour les patients ? Notre but est de redonner confiance dans les médicaments.
M. Antoine de Beco . - Certes, mais la liste des soixante-dix sept médicaments a paniqué certains de nos patients.
La loi « anti-cadeaux » a réduit un peu les abus : il n'y a plus de pots de départ à la retraite payés par les laboratoires, il n'y a plus de séminaires couplés avec des voyages en Mer rouge. Ces pratiques existaient, mais comme je n'y participais pas, je ne puis les décrire.
M. François Autain, président . - Je tiens à votre disposition des exemples qui contredisent ce que vous dites... Tous les colloques n'ont pas lieu à l'Assemblée nationale ou au Sénat...
M. Antoine de Beco . - Les groupes locaux de la SFTG s'autofinancent, la formation continue est financée dans un cadre conventionnel avec un organisme de gestion. Mais le prix de l'indépendance, c'est aussi une grande insécurité : quand il y a des crises conventionnelles, il n'est pas aisé de poursuivre des actions de formation continue. Nous sommes également confrontés aux contraintes économiques de la sécurité sociale. La signature de conventions bipartites avec les représentants de la profession peut faire l'objet de discussions, mais elle me semble préférable au financement par des acteurs ayant un intérêt direct.
Pour l'instant, dans le cadre conventionnel, il y a moyen de réfléchir aux thèmes de formation qui vont être développés.
J'en viens aux Assises du médicament : la SFTG n'a pas été invitée : elle n'y participe donc pas. La représentante de la SFTG qui participe à la commission ministérielle de suivi du Mediator à la demande de la direction générale de la santé prend forcément sur son temps de travail et de congés, sans être rémunérée. La notion de temps est essentielle : la démographie médicale est ce qu'elle est, et nous n'allons pas abandonner nos consultations. Il n'est pas simple de participer à de multiples réunions. Il est cependant très enrichissant de se retrouver entre collègues. Médecin généraliste est un métier très solitaire. Se retrouver avec d'autres, réfléchir à sa pratique, se rendre compte que l'on a les mêmes difficultés et tenter d'avancer ensemble dans notre connaissance, c'est indispensable pour éviter l'épuisement professionnel. Le taux de suicide dans la profession médicale est extrêmement élevé. C'est un métier où vous devez prendre plusieurs décisions par heure et, pour certaines, les conséquences sont importantes.
M. François Autain, président . - Il semble que les jeunes médecins soient de plus en plus attirés par l'exercice en groupe.
M. Antoine de Beco . - C'est vrai. Peu d'entre eux souhaitent s'installer en libéral : les jeunes médecins généralistes vont, pour beaucoup, dans les services de gérontologie ou dans les services d'urgence. En outre, ils préfèrent effectuer des remplacements pendant plusieurs années.
Des Assises du médicament, nous espérons des moyens pour une formation médicale continue indépendante et une réelle mise en oeuvre de l'obligation de formation.
M. François Autain, président . - Cela fait quatorze ans qu'on l'attend !
M. Antoine de Beco . - Il faudra là aussi trouver du temps et de l'argent, ce qui n'est pas simple. Si le prix de la formation continue pour tout le monde, c'est moins de formation pour ceux qui se formaient régulièrement, ce n'est pas vraiment acceptable. Nous espérons aussi que ces Assises déboucheront sur la possibilité de prescrire en DCI, grâce à des outils informatiques adaptés. A l'heure actuelle, je ne crois pas que cela soit possible. Si je tape la molécule amoxicilline au lieu de Clamoxyl, je me retrouve devant une liste considérable. Ce n'est pas ce que j'appelle prescrire en DCI, la multiplication des génériques rendant la situation encore plus compliquée.
Ces Assises devraient déboucher sur la mise en place d'un réseau de pharmacovigilance, d'une banque de données des médicaments indépendante de l'industrie, d'un dispositif de pharmacovigilance active basée sur les médecins généralistes. Elles devraient également prévoir des formations pour apprendre à dire non et s'appuyer sur les sciences sociales pour la formation des médecins.
M. François Autain, président . - Recevez-vous les délégués de l'assurance maladie ?
M. Antoine de Beco . - Non.
M. François Autain, président . - Vous ne recevez donc ni les uns, ni les autres. Comme les visiteurs médicaux, je ne suis pas certain que ces délégués soient formés à la pratique médicale.
M. Antoine de Beco . - Leur métier est celui de professionnels de la communication.
M. François Autain, président . - Vous appelez de vos voeux une banque de données indépendante de l'industrie pharmaceutique. Nous en avons parlé avec le directeur de l'assurance maladie : il existe une banque de données, Thesorimed, mais, quand elle est connue, elle n'est pas utilisée par les généralistes. Cette banque de données a été élaborée à partir de la banque Theriaque, et elle me semble répondre à vos attentes : elle est indépendante de l'industrie pharmaceutique, mais elle n'est pas utilisée. Pourquoi ?
M. Antoine de Beco . - Je ne la connais pas.
Nous travaillons de plus en plus avec des logiciels médicaux : la difficulté sera d'insérer cette banque dans les logiciels que nous utilisons afin de pouvoir prescrire.
Au début, on a marché sur la tête : de trop nombreux logiciels ont été créés. Il était difficile de communiquer, de se transmettre des informations, car ces logiciels n'étaient pas compatibles. Il risque d'en aller de même si l'on veut utiliser une banque de données médicamenteuse.
Au sein de la SFTG, un travail est mené sur cette question afin de mettre en place des tableaux de bord de suivi des patients ayant une pathologie chronique. La SFTG et la HAS tentent de mettre au point des langages communs entre les différents logiciels médicaux, mais les éditeurs de logiciels n'ont pas forcément intérêt à modifier leurs produits.
M. François Autain, président . - Utilisez-vous un logiciel d'aide à la prescription ?
M. Antoine de Beco . - Tout à fait. Il n'y en a qu'un qui soit agréé par la HAS.
M. François Autain, président . - C'est d'ailleurs assez étonnant, car cela fait six ans que la HAS s'en occupe.
M. Antoine de Beco . - Le logiciel agréé par la HAS et celui développé par la SFTG sont en lien et nous essayons de mettre en place le tableau de bord de suivi dont je vous ai parlé. Au sein du collège de la médecine générale, nous réfléchissons ensemble à ces questions importantes.
M. François Autain, président . - Je vous remercie.
Audition de M. Jean-Louis IMBS, professeur de pharmacologie, ancien président de la commission nationale de pharmacovigilance (1992-1995) (jeudi 24 mars 2011)
M. François Autain, président . - Nous auditionnons maintenant le professeur Jean-Louis Imbs, qui fut président du comité national de pharmacovigilance (CNPV) pendant les années cruciales où l'on a perdu l'occasion de retirer le Mediator de la vente quand il en était encore temps. Cette audition, publique et ouverte à la presse, fait l'objet d'un enregistrement audiovisuel pour diffusion sur le site Internet du Sénat et, éventuellement sur la chaîne Public Sénat.
En application de l'article L. 4113-13 du code de la santé publique, je dois vous demander de nous faire connaître, si vous en avez, vos liens avec des entreprises produisant ou exploitant des produits de santé ou avec des organismes de conseil intervenant sur les produits concernant la santé.
M. Jean-Louis Imbs, ancien président du CNPV - J'ai eu en effet des liens d'intérêts avec l'industrie pharmaceutique, que j'ai déclarés dans la déclaration publique exigée depuis plusieurs années par l'Afssaps. J'avais des liens avec le laboratoire Sanofi-Aventis. Mais je n'ai plus aucun de ces liens depuis trois ans. J'avais également déclaré à la Haute Autorité de santé un lien d'intérêt avec Servier, à l'occasion de la présentation du dossier d'un anti-ostéoporotique ; ce fut un lien très bref et d'ailleurs peu fructueux pour le laboratoire puisque, en matière d'amélioration du service médical rendu, ce produit obtint le classement 3 - sur une échelle de 5.
M. François Autain, président . - Lorsque vous étiez président du CNPV, aviez vous des liens d'intérêts avec Servier ?
M. Jean-Louis Imbs. - Non.
Je me présente. Je suis pharmacologue clinicien à la faculté de médecine de Strasbourg, j'ai été directeur de l'Institut de pharmacologie de cette faculté et directeur du service d'hypertension du CHU. Actuellement, je suis professeur de pharmacologie retraité.
Le réseau de pharmacovigilance français repose sur trente et un centres qui, bon an mal an, déclarent 20 000 effets indésirables, tous analysés. Ce réseau passe à la pratique de la pharmaco-épidémiologie, laquelle aurait dû être mise en place depuis des années, ce qui aurait peut-être modifié le devenir du Mediator.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Nous sommes une mission d'information, nous ne menons pas une procédure judiciaire. Nous avons un rôle de contrôle et d'impulsion d'une nouvelle politique du médicament.
Comment expliquez-vous que l'analyse des effets des fenfluramines par l'étude IPPHS n'ait pas conduit à interdire le Mediator ?
Le processus de prise de décision au sein de l'Afssaps est-il responsable du non retrait du Mediator ?
L'indépendance et la compétence des experts de l'Afssaps vous paraissent-elles pouvoir être remises en cause ? Une pétition circule où certains de ces experts s'inquiètent de voir leurs compétences livrées à l'opprobre de nos concitoyens.
Dans le cadre de vos activités de pharmacovigilance, avez-vous eu connaissance d'incidents concernant le Mediator, en France ou à l'étranger ?
M. François Autain, président . - Avez-vous toujours considéré le Mediator comme un anorexigène ?
M. Jean-Louis Imbs. - Je n'étais pas au courant de cette pétition. Mais je souscris à son esprit. Le CNPV comprend des experts internes et externes. Les experts externes, dont j'ai longtemps fait partie, consacrent beaucoup de leur temps et de leurs compétences à l'analyse des dossiers. La liste des soixante-dix sept médicaments sous surveillance spéciale résulte de leur travail. Depuis environ dix ans sont venus s'adjoindre à eux des experts internes qui sont de plus jeunes collègues. La plupart des experts externes ont évidemment des contacts avec l'industrie pharmaceutique ; du fait qu'ils sont compétents, l'industrie a besoin d'eux.
L'étude IPPHS a marqué une étape à la fois pour la rationalité de la pharmacovigilance et pour le Ponderal et l'Isoméride. Elle a prouvé l'absolue nécessité de compléter la « notification spontanée » - les 20 000 notifications dont je parlais - par une démarche de pharmaco-épidémiologie. C'est cette démarche qui a permis de conclure formellement au lien de causalité entre la prise de ces fenfluramines et l'apparition d'hypertension artérielle pulmonaire (HTAP). A l'époque, il n'était pas encore question de lésions des valves cardiaques ; cette complication n'a été mise en évidence que plus tard, avec une observation venue de la Mayo Clinic aux Etats-Unis.
M. François Autain, président . - L'étude IPPHS a été réalisée à l'époque où vous étiez président du CNPV, entre 1992 et 1995. Quel rôle ont joué les centres régionaux de pharmacovigilance dans la fourniture des cas-témoins ? Une enquête du centre de Besançon avait détecté onze cas d'HTAP dont était responsable l'association des fenfluramines et du Mediator. Ces cas ont été intégrés dans l'étude IPPHS. Je m'étonne que le professeur Abenhaim et les membres du Conseil scientifique n'aient pas vu la responsabilité du Mediator. Pourquoi n'a-t-on rien vu ?
M. Jean-Louis Imbs . - A l'époque le poids de la responsabilité des fenfluramines était tel que celle du Mediator est passé inaperçue.
Personnellement, je ne considérais pas ce produit comme un anorexigène. L'information n'est venue qu'après l'enquête de Besançon montrant que de la norfenfluramine était libérée par le métabolisme du benfluorex.
M. François Autain, président . - En tant que pharmacologue, vous saviez que le Mediator avait comme dénomination commune internationale « benfluorex » et que le suffixe « orex » désigne les anorexigènes ?
M. Jean-Louis Imbs . - On aurait dû y penser. Mais au moment de l'étude IPPHS, le Mediator n'était pas perçu comme un anorexigène fenfluraminique, alors qu'il mène à partir d'un comprimé de 150 mg à une concentration ou une libéralisation de norfenfluramine qui est équivalente à celle que l'on peut obtenir avec l'Isoméride. Cela n'était pas connu.
M. François Autain, président . - Pourquoi ?
M. Jean-Louis Imbs . - Je pense que Servier n'a pas donné toutes les informations nécessaires. Le métabolisme du médicament n'était pas connu sur le plan quantitatif. La quantité de norfenfluramine n'a été documentée que plus tardivement.
M. François Autain, président . - C'est étonnant car, dès les années 70, le Professeur Le Douarec, qui a travaillé pour Servier, disait - et avant même sa mise sur le marché - que le benfluorex était un anorexigène puissant. Cela a été complètement oublié.
M. Jean-Louis Imbs . - Non, pas complètement oublié. Le rapport de Besançon fait allusion au risque de libération de norfenfluramine. Mais son effet était considéré comme minime et ne donnant pas lieu comme observation à une HTAP primitive liée au seul benfluorex.
M. François Autain, président . - Au fond, vous n'avez pas eu une démarche proactive.
M. Jean-Louis Imbs . - Non, vous mettez là le doigt sur un manque de l'action de pharmacovigilance initiale et je suis persuadé que c'est une occasion perdue, en raison de multiples causes.
M. François Autain, président . - Qui sont les responsables ? Y en a-t-il ?
M. Jean-Louis Imbs . - Il y en a. Comment ne pas le penser ?
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Que pensez-vous de ces propos d'un responsable des laboratoires Servier :
« Lorsque vous administrez de la fenfluramine ou de la dexfenfluramine, le composé parent, elle représente environ 60 % des composés circulants, les 40 % autres circulants étant de la norfenfluramine. Si vous prenez du benfluorex, ce dernier ne circule pas au niveau plasmatique en tant que tel: il est en effet métabolisé en trois à quatre métabolites circulants, la norfenfluramine ne représentant que 10 % des composés circulants. Ce qui fait la différence majeure, c'est que le benfluorex ne donne pas naissance à de la fenfluramine. Dans le cas de l'Isoméride, la fenfluramine est elle-même porteuse de l'activité pharmacologique, et donc en partie responsable de l'effet anorexigène. La fenfluramine et la norfenfluramine sont tous deux porteurs de l'activité pharmacologique alors que, pour le benfluorex, la norfenfluramine ne représente qu'environ 10 % de l'exposition plasmatique de l'ensemble des métabolites qui sont d'une autre nature. Le benfluorex ne donne pas naissance à la fenfluramine. Le rapport de l'Igas rappelle que l'effet anorexigène a été rapporté dans les études de pharmacologie chez l'animal. Mais il y a une différence majeure entre le métabolisme du rat et celui de l'homme pour ce qui concerne le benfluorex. Chez le rat, après administration de benfluorex, la norfenfluramine est le métabolite principal et est retrouvé en quantité très supérieure au métabolite S 1475 qui lui est le métabolite principal retrouvé après administration de benfluorex chez l'homme. Nous sommes donc dans un niveau d'exposition à la norfenfluramine différent et un ratio des composés circulants totalement inverse selon qu'on fait la pharmacologie chez le rat ou chez l'homme. Cela permet de comprendre pourquoi, chez le rat, on est capable de mettre en évidence, à des taux d'exposition élevés de norfenfluramine, une activité de type anorexigène, alors qu'on ne le constate pas chez l'homme ».
M. Jean-Louis Imbs . - Cela fait partie de la politique de désinformation des laboratoires Servier.
M. François Autain, président . - Et vous n'êtes pas armés pour vous y opposer ? Je reconnais que ce sont d'excellents professionnels. J'admire qu'ils aient réussi à maintenir sur le marché pendant trente ans un médicament inefficace et dangereux... Les autorités sanitaires ont été incapables de contrer cette désinformation.
M. Jean-Louis Imbs . - Je partage ce sentiment. Le rôle de la pharmacovigilance était d'analyser les observations communiquées et d'essayer d'y voir une relation de cause à effet. Ce n'est pas le CNPV qui prend les décisions de retrait. C'est le transfert d'information qui a pris trop de temps...
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Le cadre légal et jurisprudentiel imposant des certitudes scientifiques pour justifier le retrait d'un médicament vous semble-t-il trop contraignant ?
M. Jean-Louis Imbs . - Question difficile. L'apparition d'une préoccupation avec les soixante-dix-sept médicaments soumis à surveillance spéciale ne signifie pas qu'il faille les retirer tous du marché. Il est difficile de prendre des décisions de retrait que nous voulons toujours fonder sur des relations de causalité démontrées. Avec l'étude IPPHS on a l'exemple de ce que doit faire la pharmacovigilance : ramasser les informations par des cas, les analyser et mener à une étude pharmaco-épidémiologique. C'est ce qui se met en place. Mme Frachon a bénéficié des études de cas brestois et français par une méthode mise en place par la pharmacovigilance de l'Afssaps. Il aurait été souhaitable qu'elle soit plus précoce. Mais la pharmacovigilance avait conclu - avec retard, certes - qu'un risque potentiel existait.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Que pensez-vous du débat entre les sources méthodologiques de Mme Frachon et celles de Mme Alperovitch ou du professeur Acar ?
M. Jean-Louis Imbs . - Je ne vois pas à quoi vous faites allusion.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Que pensez-vous de la proposition de sortir le dispositif de pharmacovigilance du champ des compétences de l'Afssaps pour l'intégrer à l'InVS ?
M. Jean-Louis Imbs . - J'ai peur que cela mette à mal un instrument qui fonctionne, au vu du nombre d'observations collectées et de la gestion des risques repérés. J'ai vécu la mise en place de ce réseau de trente et un centres régionaux. C'est un énorme travail et il serait dommage de jeter le bébé avec l'eau du bain.
Je suis frappé de constater que, dans tout cela, la chaîne complète du médicament n'est pas abordée. Certes la firme aurait dû fournir une information différente mais il y a aussi eu un dérapage dans les prescriptions du Mediator qui ont été faites hors AMM. Je n'en entends pas parler et j'aimerais comprendre pourquoi.
M . François Autain, président . - Là aussi, il est difficile de situer les responsabilités. Il y a eu un mésusage de ce médicament, dans des proportions allant de 10 % à 50 %. Les généralistes avancent qu'il était prescrit par les spécialistes et que, eux, ne faisaient que poursuivre. Nous n'avons pas encore auditionné les spécialistes. Il faut s'interroger : pourquoi tant de prescriptions hors AMM ? Il ne s'agit pas d'interdire celles-ci ; elles sont souvent utiles mais il faudra mieux les encadrer.
M. Jean-Louis Imbs . - Et mieux former les médecins au médicament. Cette formation est tout à fait insuffisante !
M. François Autain, président . - Je vous remercie.
Audition de Mme Geneviève DERUMEAUX, présidente de la Société française de cardiologie (jeudi 24 mars 2011)
M. François Autain, président . - En application de l'article L. 4113-13 du code de la santé publique, je dois vous demander de nous faire connaître, si vous en avez, vos liens avec des entreprises produisant ou exploitant des produits de santé ou avec des organismes de conseil intervenant sur les produits concernant la santé.
Mme Geneviève Derumeaux, présidente de la Société française de cardiologie. - J'ai effectivement des relations avec l'industrie pharmaceutique, notamment avec les laboratoires Servier, en tant qu'experte de l'échographie cardiaque dans le cadre de l'étude Regulate . J'ai obtenu des contrats de recherche subventionnés par les laboratoires Astra Zeneca, Trophos, Brams et Servier. Pour des invitations à des congrès scientifiques en France et à l'étranger, j'ai des relations avec Astra Zeneca, Sanofi-Aventis, Metronic et Servier. Je suis également intervenue dans des symposiums financés par Boehringer Ingelheim, Sanofi-Aventis, Toshiba, General Electrics, Metronic et Servier.
J'interviens aussi dans des symposiums non financés par l'industrie pharmaceutique. Les congrès organisés par la Société française de cardiologie ou par la Société européenne de cardiologie comportent des sessions qui, pour la plupart, ne sont pas financées par l'industrie. Celles qui le sont, sont identifiées de façon indépendante au sein de ces congrès. Le congrès de Stockholm de la Société européenne de cardiologie comporte une session financée par l'industrie, sans laquelle il ne serait pas possible de réunir 30 000 cardiologues européens.
M. François Autain, président . - Donc, sans industrie, pas de congrès ! Sans laboratoires, pas de Société française de cardiologie ! C'est inquiétant...
Mme Geneviève Derumeaux. - Actuellement toutes les sociétés ont deux types de revenus. Les cotisations de leurs membres - 80 euros par membre pour la SFC - sont insuffisantes, si bien que l'essentiel de leurs ressources vient des congrès et des subventions pour des recherches. Je le déplore autant que vous, mais le terme d'« inquiétant » me semble excessif. Je partage votre préoccupation. Je suis présidente de la Société française de cardiologie depuis janvier 2010 et j'ai tout de suite eu conscience qu'il fallait travailler à rediscuter le mode de financement de toutes ces sociétés savantes qui doivent, ne l'oublions pas, se positionner au niveau international.
Ces congrès sont des lieux où l'on fait part de ses recherches et où les jeunes chercheurs peuvent débuter leur carrière en exposant leurs travaux. Ce sont aussi des lieux de perfectionnement et d'enseignement post-universitaire, où les cardiologues, libéraux ou hospitaliers, bénéficient de mises au point de la part d'experts internationaux. C'est donc un temps fort de la vie de ces sociétés.
M. François Autain, président . - La Société française de cardiologie n'a donc pratiquement pas de moyens en dehors de l'aide fournie par l'industrie pharmaceutique ?
Mme Geneviève Derumeaux. - Nos moyens propres sont limités. Nous regroupons 4 500 des 6 500 cardiologues français, plus des chercheurs et aussi des paramédicaux. Faites la multiplication. Avec 80 euros de cotisation nous ne pourrions jamais organiser ces congrès.
M. François Autain, président . - Il n'empêche que, à en croire le professeur Philippe Lechat, que nous avons auditionné, votre société aurait financé l'étude Valide dont il était l'investigateur principal. Comment pouvez-vous financer de telles études ?
Mme Geneviève Derumeaux . - Nous sommes en effet une des rares sociétés savantes à avoir développé une cellule Recherche et une cellule Registres. Nos revenus viennent de notre congrès et de subventions de recherche fournies par des laboratoires mais qui sont versées dans un pot commun.
M. François Autain, président . - Donc, ce sont les laboratoires qui vous financent ?
Mme Geneviève Derumeaux. - Ils donnent des subventions qui ne sont pas consacrées à leurs recherches propres et qui se ventilent entre études et registres.
M. François Autain, président . - L'étude Lechat porte sur un médicament. Or, il a argué du financement de votre société pour ne pas la déclarer comme lien d'intérêts. C'était masquer la réalité ! En réalité, ce sont les laboratoires qui financent et, à ce titre, ne doit-on pas déclarer ses liens d'intérêts ?
Mme Geneviève Derumeaux . - La question est légitime. Ces subventions sont données de façon globale à notre société qui promeut des études et ventile les dotations des laboratoires. Peut-être le professeur Lechat n'avait-il pas ce mode de fonctionnement en tête. C'est un pot commun.
M. François Autain, président . - C'est une sorte de « blanchiment » ?
Mme Geneviève Derumeaux . - Non, notre commissaire aux comptes a la liste des subventions versées par les laboratoires, des lignes budgétaires où elles sont affectées, et la transparence est totale.
M. François Autain, président . - Il s'agissait en l'occurrence d'une étude sur l'enoxaparine et j'imagine que vous recevez des subventions de Sanofi-Aventis. C'est une pure coïncidence... Ce laboratoire finance, par votre intermédiaire, une étude Valide . A ce titre, il fallait la mentionner dans une déclaration publique de liens d'intérêts.
Mme Geneviève Derumeaux . - Je l'aurais certainement mentionnée. Mais il m'est difficile de prendre position sur les propos du professeur Lechat.
M. François Autain, président . - Oui, mais cela met en cause la société dont vous êtes la présidente. Nous prenons acte de vos réponses....
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Le Parlement a une mission de contrôle et d'évaluation des politiques menées. Nous ne sommes pas une instance judiciaire. Nous tentons seulement de comprendre, afin de mieux réformer ce qui doit l'être.
Le rapport de l'Igas « constate que, malgré les résultats de l'étude cas-témoin de Brest et ceux de l'étude Regulate, les laboratoires Servier, représentés par le professeur Geneviève Derumeaux et le professeur Philippe Ravaud, se bornent à demander une modification des résumés des caractéristiques du produit. La mission note que ces modifications sont proches de celles déjà évoquées dans la version du rapport révisé rédigé dix ans plus tôt par l'Italie en lien avec la France, qui soulignait déjà la nécessité de faire modifier les RCP. »
Comment réagissez-vous à ces affirmations ? Quels ont été vos premiers contacts avec le Mediator et quand avez-vous eu connaissance des premières alertes relatives aux risques qu'il comportait ?
En plus de l'étude Frachon, certaines sources méthodologiques ont été mises en cause, notamment celles de l'épidémiologiste le docteur Annick Alperovitch, et le professeur Christophe Acar s'est lui aussi interrogé sur la méthodologie employée.
Mme Geneviève Derumeaux . - Lorsque l'étude Regulate a été initiée par les laboratoires Servier, en 2005 - je n'étais pas encore présidente de la Société française de cardiologie -, le professeur Moulin, principal investigateur de Regulate , m'avait demandé une étude sur la sécurité d'emploi cardiovasculaire du benfluorex comparée à celle d'un produit de référence utilisé contre le diabète, la pioglitazone. A cette époque, Servier m'avait demandé s'il était possible d'évaluer les risques d'insuffisance cardiovasculaire de cette pioglitazone et, donc, avait besoin d'une étude échographique - je suis échocardiographiste. J'avais répondu qu'une échographie cardiaque pratiquée pour apprécier la force de contraction du muscle cardiaque devait être absolument complétée par une étude sur les valves et sur l'hypertension artérielle pulmonaire (HTAP). A l'époque il y avait peu de littérature dans la presse médicale sur le benfluorex. Il y en avait en revanche beaucoup sur l'Isoméride - alors retiré du marché - et sur le pergolide, administré en cas de maladie de Parkinson mais nocif pour les valves cardiaques. Sur le benfluorex, la seule alerte que j'avais alors venait d'une étude espagnole mettant en évidence l'apparition d'une valvulopathie.
M. François Autain, président . - Et la valvulopathie de Marseille ?
Mme Geneviève Derumeaux . - Je n'en suis informée que depuis que le Mediator a été retiré, en septembre 2009.
M. François Autain, président . - Vous considérez que l'imputabilité de cette valvulopathie est contestable ?
Mme Geneviève Derumeaux . - Elle est fort probable.
M. François Autain, président . - C'est un progrès : dans vos déclarations au site The Heart Organ, vous disiez qu'elle n'était pas évidente.
Mme Geneviève Derumeaux . - Je n'ai jamais eu le dossier de ce patient. Je connais très bien la rigueur du Dr Chiche et je lui fais confiance. Mais pour affirmer, ou non, l'imputabilité, j'ai besoin du dossier. Sinon, je ne peux vous répondre avec certitude. Ce n'est pas du tout de ma part une dénégation. Je me réfère simplement aux conclusions de la pharmacovigilance de l'époque, où ce n'était qu'une alerte ; je n'avais pas connaissance d'une notification.
M. François Autain, président . - Dans la même interview, vous disiez qu'au moment du retrait du Mediator, on ne disposait que de « quelques cas erratiques », alors que, en mai 1999, trente notifications de valvulopathie avaient été présentées !
Mme Geneviève Derumeaux . - L'incidence de la valvulopathie est importante dans la population générale et elle l'est encore plus dans cette population en particulier, où elle peut aller jusqu'à 50 %. Surtout si ces patients prennent aussi en association d'autres produits ! Mais il ressort de mon étude une indéniable imputabilité. Il n'y a, à cet égard, aucune dénégation de ma part. Et les membres de la commission de pharmacovigilance de 2009, que j'ai interrogés m'ont dit que ma présentation de Regulate et des résultats des échographies cardiaques avait été déterminante dans le retrait du Mediator.
M. François Autain, p résident. - Je parle de ce qui s'est passé avant Regulate . Vous dites qu'à ce moment là on ne savait rien sur les valvulopathies.
Mme Geneviève Derumeaux . - Je maintiens qu'il s'agissait de cas erratiques, compte tenu de la fréquence des valvulopathies dans une population qui y est particulièrement exposée.
M. François Autain, président . - Vous ne pensiez pas que c'était une alerte et que cela imposait autre chose qu'une énième étude qui a retardé de quatre ans encore le retrait du Mediator ?
Mme Geneviève Derumeaux . - A l'origine, cette étude ne portait pas sur les valvulopathies et c'est moi qui ai insisté pour qu'elles y soient intégrées. J'ai été alertée, bien sûr ; sinon, on n'aurait pas fait une étude pour rechercher l'émergence des valvulopathies et des HTAP, la seule étude en aveugle qui montre que, après un an, l'émergence de valvulopathie est multipliée par trois dans le groupe Mediator par rapport au groupe Pioglitazone. Dans le rapport de la Cnam, et aussi dans l'étude Weill, le risque est aussi de l'ordre de 3. Donc, j'ai été alertée.
Cette étude aurait pu être négative si je n'avais considéré que les fuites dites significatives. Or j'ai insisté pour qu'elle englobe également les fuites dites triviales, qui constituent le signal.
Quand à la déclaration du Dr Chiche en 1999, n'ayant pas eu le dossier entre les mains, je ne peux que rapporter les « on-dit »...
M. François Autain, président . - La valvulopathie de Marseille n'est pas une simple rumeur !
Mme Geneviève Derumeaux . - Je répète que je n'ai pas eu le dossier entre les mains. Sur les cas précis, je ne connais que les données de la littérature, à savoir le cas de Barcelone en 2003, et ceux de 2006 rapportés par des équipes françaises.
M. François Autain, président . - Vous n'accordez pas le même crédit à la valvulopathie de Marseille qu'à celle de Barcelone, qui a, elle, fait l'objet d'une publication ?
Mme Geneviève Derumeaux . - Ce n'est pas une question de crédit. Vous me demandez si la valvulopathie de Marseille est imputable au Mediator ; je vous réponds que c'est fort probable, mais que je ne connais pas le dossier. Pour le cas espagnol, je peux le dire avec certitude, car les données ont été publiées.
M. François Autain, président . - N'existe-t-il pas de documents sur le cas marseillais ?
Mme Geneviève Derumeaux . - Certainement, mais je ne les ai pas eus en main.
M. François Autain, président . - N'avez-vous pas cherché à vous les procurer ?
Mme Geneviève Derumeaux . - Ce n'était pas mon rôle de requalifier les éléments rapportés dans les services de pharmacovigilance.
M. François Autain, président . - Vous vous êtes donc exprimée sur l'imputabilité d'une valvulopathie alors que vous n'aviez aucun élément en main ?
Mme Geneviève Derumeaux . - J'ai émis un doute du fait que je n'étais pas en possession du dossier.
M. François Autain, président . - J'attache beaucoup d'importance à cette première valvulopathie, qui a été contestée. Qu'un professeur comme vous, avec votre autorité, semble mettre en doute son imputabilité est très regrettable.
Mme Geneviève Derumeaux . - Je ne mets pas en doute l'imputabilité de la valvulopathie, je dis que je n'ai pas les éléments pour me prononcer. Vous me faites un mauvais procès !
M. François Autain, président . - Le 13 décembre 2010, vous dites que l'imputabilité de la valvulopathie de Marseille en 1999 n'était pas évidente et n'avait donc pas été retenue. Cela me paraît grave.
Mme Geneviève Derumeaux . - Je me faisais le porte-parole du comité de pharmacovigilance, qui avait analysé le dossier de Marseille ; je ne portais pas un jugement personnel. Vous considérez que j'ai pu imaginer qu'il n'y avait pas de lien entre le Mediator et la valvulopathie ; or ce lien, je l'ai démontré, tout en étant pourtant experte mandatée par Servier ! J'aurais pu dans mon étude ne parler que des fuites de grade 2, qui n'induisent pas de symptomatologie. Je pense avoir fait preuve d'une probité totale dans ma recherche et dans ma présentation des résultats. Je me suis livrée à une relecture indépendante de toutes les échographies, sans savoir à quel groupe appartenaient les patients.
Je regrette que les éléments à charge soient ressassés, tandis que l'on balaye un travail de fond, dont la rigueur n'a jamais été contestée, au motif qu'il n'aurait eu aucun impact sur la décision de retrait du Mediator, ou qu'il serait arrivé trop tard, et serait inutile. Cela me paraît injuste !
L'alerte date de 2003. Sans vouloir botter en touche, je rappelle que le Mediator n'était pas un produit de cardiologie. Il était essentiellement prescrit par des médecins traitants, voire des endocrinologues, souvent hors AMM.
En 2008, la Société française de cardiologie a tenu une session dédiée aux valvulopathies induites par les médicaments. Dès le retrait du Mediator, le site de la Société française de cardiologie relayait l'information. Etonnamment, malgré cette publication, malgré l'étude de suivi lancée dès 2009, l'information des cardiologues, notamment libéraux, n'a pas été patente, et n'a pas constitué l'alerte. C'est fort dommageable. Le président du Syndicat des cardiologues, qui a également relayé l'information auprès de la communauté cardiologique, a fait le même constat.
Parlant avec Mme Irène Frachon avant le retrait du médicament, en mars 2009, je m'étais étonnée de la sévérité des cas qu'elle rapportait. Je suis des valvulopathies au quotidien : le premier travail de l'échographiste est d'identifier une valvulopathie, d'en apprécier la sévérité et l'étiologie. En quinze ans d'exercice, je n'ai pas eu de signal de valvulopathie induite par ce traitement. J'ai indiqué à Mme Frachon que nous étions en train d'achever une étude de suivi ; par un hasard du calendrier, nous nous sommes retrouvées en 2009 dans la même session du Comité national de pharmacovigilance.
J'avais dit à Mme Frachon qu'il serait intéressant de reconduire son observation brestoise à l'échelle nationale, et je l'avais mise en contact avec le professeur Christophe Tribouilloy, président de la filiale d'échographie cardiaque de la Société française de cardiologie, pour aider à la diffusion de cette étude et au recensement de ces observations. Les résultats de l'étude ont colligé une quarantaine de cas, rapportés récemment. L'étude de suivi, lancée à la demande de l'Afssaps sur l'ensemble du territoire, donnera des informations factuelles sur un nombre beaucoup plus important de patients exposés au Mediator.
Vous m'interrogez sur des divergences entre experts sur la mortalité induite par le traitement par Mediator. Personne ne conteste qu'il y a eu des valvulopathies induites : sur ce point, aucune voix discordante. Mais l'appréciation de la mortalité induite peut être divergente, car une logique d'épidémiologiste se heurte à une méthodologie de clinicien. J'ai dit, après les déclarations de Servier, qu'il me paraissait indécent de restreindre la mortalité à trois décès. Un seul décès est déjà un de trop ! Il n'y a pas de bagarre, mais une discussion entre experts sur les méthodes de calcul, car on ne saura jamais combien de décès sont liées à cette molécule.
Il faudrait revenir sur la cohorte de patients rassemblés par la Cnam, permettre à des experts cardiologues de revoir les dossiers des soixante-quatre patients décédés et d'adjudiquer la mortalité sur une cause cardiovasculaire ou non ; de retrouver les données précises des échographies cardiaques, des chirurgies, voire des anatomopathologies. L'étude de suivi va apporter des informations importantes. Elle va éclairer la sévérité de cette pathologie, pour les patients et pour la justice. La logique épidémiologique, dont je ne nie pas la valeur, repose sur un nombre de patients potentiellement biaisé par des erreurs d'allocation ; cela mérite qu'on y revienne.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Estimez-vous adaptée la proposition de décembre 2009 de maintenir l'AMM du Mediator, après la parution des études Frachon et Regulate , en modifiant uniquement le résumé des caractéristiques du produit (RCP) ?
Mme Geneviève Derumeaux . - Le rapport de l'Igas fait planer une ambiguïté. On y lit que « les laboratoires Servier, représenté par le professeur Ravaud et le professeur Derumeaux, propose une modification du RCP » . A aucun moment je n'ai proposé une modification de RCP ! Dès que nous avons pris connaissance des résultats préliminaires - début juillet, une photographie de la répartition des valvulopathies - nous avons immédiatement arrêté tout traitement par Mediator dans le service du Dr Moulin à Lyon, et mis en place un contrôle d'échographie. Je ne peux donc pas avoir proposé le maintien du Mediator par une modification du RCP !
M. François Autain, président . - Qu'avez-vous proposé ?
Mme Geneviève Derumeaux . - On ne me demandait pas de faire de proposition, pas plus qu'à Mme Frachon. J'ai présenté des résultats, de façon factuelle.
M. François Autain, président . - La Société française de cardiologie va-t-elle se pencher sur le suivi des patients soumis au Mediator ?
Mme Geneviève Derumeaux . - Elle le fait déjà. Une étude, pilotée par le professeur Tribouilloy, a été mise en route dès 2009. Le professeur Tribouilloy a présenté les résultats de son centre d'Amiens et rassemblé les dossiers de différents centres, en vue d'une publication dans une revue européenne.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Estimez-vous, comme le propose le rapport Debré-Even, qu'il faille créer un corps d'experts internes indépendants ?
Mme Geneviève Derumeaux . - Je n'ai pas de réponse. Il faut des experts indépendants pour évaluer, lors de la mise sur le marché du médicament, le service médical rendu et surtout l'amélioration du service médical rendu.
Si je partage largement le diagnostic du rapport Debré-Even, il ne me paraît toutefois pas souhaitable de tenir les experts éloignés du terrain, de la pratique et des patients...
M. François Autain, président . - Ce ne serait que pendant trois ans.
Mme Geneviève Derumeaux . - Cela me paraît énorme !
L'indépendance est un voeu pieu. Qui peut dire être totalement indépendant, n'avoir jamais eu de relations avec l'industrie, quand celle-ci finance les congrès ?
M. François Autain, président . - Le fait de participer à un congrès financé par l'industrie constituerait un lien avec celle-ci ?
Mme Geneviève Derumeaux . - Je vous en ai décrit le fonctionnement.
En janvier 2010, déjà, j'ai demandé au comité d'éthique de la Société française de cardiologie de réfléchir aux relations avec l'industrie. On parle beaucoup de la relation entre médecins et industrie, j'entends même parler de relation « incestueuse », mais il ne faut pas oublier la place des patients. C'est un triangle. Il faut leur redonner la parole. Quel est leur désir d'innovation, donc de coût supplémentaire ? Aux politiques de ne pas nous laisser seuls face aux patients dans le choix du traitement. Les patients doivent continuer à être acteurs dans l'évaluation des effets secondaires.
Il n'y pas lieu de diaboliser ou de stigmatiser les relations entre les sociétés savantes et l'industrie, si elles sont transparentes.
M. François Autain, président . - Est-ce à dire que vous seriez d'accord pour que ces liens d'intérêts soient rendus publics ?
Mme Geneviève Derumeaux . - Absolument. Ils sont d'ailleurs en ligne sur notre site. Je rappelle au passage que ceux qui animent la Société française de cardiologie sont tous bénévoles, c'est beaucoup de travail notamment pour préparer le congrès annuel.
Il faut revenir au pourquoi de la maladie. J'ai lancé dès le début de ma présidence un groupe de travail translationnel, de façon à faire travailler ensemble chercheurs et cliniciens ; j'ai organisé un congrès dédié à cette approche ; pour la première fois, les patients seront présents. A défaut d'indépendance, il faut assurer une transparence totale, et associer au mieux les patients à notre réflexion éthique. A titre d'exemple, j'anime une prise en charge de patients suivant une filière autour de l'insuffisance cardiaque, avec un parcours du patient, qui donnera lieu à une évaluation qualitative et économique par des chercheurs en sciences humaines et sociales.
Nous n'avons pas le droit, en tant que médecin, d'évacuer la question du risque lié au traitement. Ce risque est permanent, car un traitement efficace entraîne des effets secondaires.
Molécule mise sur le marché par Sanofi-Aventis, la dronédarone, commercialisée sous le nom de Multaq, a fait l'objet d'une alerte de la Food and Drug Administration (FDA) américaine, qui a recensé deux cas d'hépatite. Alors que nous étions en plein congrès européen, le site de la Société française de cardiologie en faisait Etat, avant même que l'Afssaps ne relaye le message.
M. François Autain, président . - Est-ce à dire que l'Afssaps n'est pas assez réactive ?
Mme Geneviève Derumeaux . - Pas du tout. Je dis juste que je n'ai pas attendu les conclusions de l'Afssaps pour relayer celles de la FDA sur notre site.
M. François Autain, président . - L'affaire du Mediator a-t-elle changé les relations de la Société française de cardiologie avec les laboratoires Servier ?
Mme Geneviève Derumeaux . - Elle change la façon dont nous allons accepter la collaboration avec l'ensemble des laboratoires. Servier ne contribue que pour 15 % au budget de la Société française de cardiologie. Notre bureau va discuter aujourd'hui même des engagements proposés par Servier, de la participation aux symposia, des actions qu'il souhaite mener à nos côtés. Il n'y a pas lieu de diaboliser nos relations avec Servier, qui travaille sur des molécules prometteuses dans le domaine de l'insuffisance cardiaque. Nous serons très vigilants dans les propos tenus lors des symposia, s'agissant de toute communication au regard d'une autorisation de mise sur le marché.
M. François Autain, président . - J'ai observé que vos colloques hebdomadaires se terminent par un buffet offert par Servier. C'est le cas pour le colloque du 6 janvier 2011, auquel vous participiez, ou pour le séminaire du 25 janvier, qui se tient « avec le soutien des laboratoires Servier »...
Mme Geneviève Derumeaux . - Je vous ai indiqué les conflits d'intérêts que je pouvais avoir. Là, il ne s'agit pas de la Société française de cardiologie : ce n'est pas moi qui organise ces colloques. Ils se tiennent au sein de l'hôpital, et sont organisés par le pôle d'activité médicale ; à tour de rôle, certains laboratoires offrent en effet des sandwiches - pas grand-chose !
M. François Autain, président . - Raison de plus pour vous passer de leur aide !
Mme Geneviève Derumeaux . - Je transmettrai vos remarques aux organisateurs de ce pôle d'activité médicale. Si je voulais jouer à ce petit jeu, je rappellerai que le Club Hippocrate, qui rassemble députés et sénateurs, travaille avec le soutien de l'industrie du médicament, et de la Générale de santé, ce qui est plus inquiétant !
M. François Autain, président . - Vous aurez remarqué que je n'en fais pas partie.
Mme Geneviève Derumeaux . - Pour ma part, je suis attachée à 100 % au service public. Je n'ai jamais eu d'activité libérale, et n'en aurai jamais.
M. François Autain, président . - Je ne peux que vous en féliciter.
Merci pour cette audition, qui a été très intéressante.
Audition de M. Dominique MARANINCHI, directeur général, et de Mme Fabienne BARTOLI, adjointe au directeur général, de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (mardi 29 mars 2011)
M. François Autain, président . - Nous poursuivons le cycle de nos auditions et nous recevons aujourd'hui le directeur général de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps), M. Dominique Maraninchi, et la directrice adjointe de cette agence, Mme Fabienne Bartoli. Mme la rapporteure nous rejoindra dans peu de temps, mais je vous propose d'ouvrir cette séance dès à présent.
Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et fait l'objet d'un enregistrement, en vue de sa diffusion sur le site Internet du Sénat et, éventuellement sur Public Sénat.
Monsieur Maraninchi, vous avez indiqué, lors de la séance de la commission des affaires sociales du Sénat, que, depuis cinq ans, vous n'aviez aucun lien d'intérêts avec l'industrie pharmaceutique, comme Mme Bartoli, je présume. Il me semble par ailleurs que Mme Bartoli a exercé des responsabilités au ministère de l'Industrie.
Mme Fabienne Bartoli, adjointe au directeur général, de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé . - Pas du tout. J'ai travaillé au sein de ce qui correspond à l'actuelle direction générale du Trésor et de la politique économique, qui dépend du ministre de l'économie et des finances et pas du ministre de l'industrie.
M. François Autain, président . - Je vous avais demandé des documents, dont je n'aurai pas nécessairement besoin aujourd'hui, et en particulier le rapport du centre régional de pharmacovigilance (CRPV) de Besançon sur l'Isoméride et l'hypertension artérielle, qui a été présenté lors de la réunion de la commission nationale de pharmacovigilance (CNPV) le 10 mai 1994.
Mme Fabienne Bartoli . - Ce document n'est pas présent dans nos archives et, suite à votre requête de la semaine dernière, nous l'avons demandé au centre régional de pharmacovigilance de Besançon, qui n'en dispose plus. Nous pouvons toutefois vous remettre l'étude menée en 1995 et dirigée alors par M. Abenhaïm.
M. François Autain, président . - Je dispose du rapport que je vous avais demandé. Comment se fait-il néanmoins que ce document ait disparu de vos archives ? Ce document évoque le Mediator et c'est dans celui-ci que, pour la première fois, il est stipulé qu'une association de l'Isoméride et du Mediator est susceptible de provoquer des hypertensions artérielles. Nous nous étonnons dès lors que ce document soit si difficile à retrouver.
Mme Fabienne Bartoli . - Nous poserons cette question au service des archives.
M. François Autain, président . - De nombreuses autres questions restent sans réponse. J'ai ainsi demandé à M. Abenhaïm quand il avait entendu parler du Mediator et il m'a répondu qu'il n'en avait eu vent qu'en 2009, au moment de la suppression du médicament. Par ailleurs, une note de 1995, qui ne figure pas dans les annexes du rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) évoque clairement le Mediator. Or il ne me semble pas que M. Tabuteau, directeur général de l'Afssaps en 1995, nous ait indiqué qu'il avait eu connaissance du Mediator à l'époque. Ces éléments sont donc préoccupants. Je pourrais vous transmettre cette note si vous le souhaitez et, si vous disposez dans vos archives de notes qui seraient susceptibles de nous intéresser, je vous serai reconnaissant de nous les adresser sans que nous ayons à vous les demander.
Souhaitez-vous procéder à une intervention liminaire ou répondre à nos questions d'emblée ?
M. Dominique Maraninchi, directeur général de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé . - Nous sommes là pour répondre à vos questions.
M. François Autain, président . - Estimez-vous, comme le considère le rapport de l'Igas, que notre police du médicament a failli à sa mission ?
Etes-vous d'accord avec les inspecteurs de l'Igas, lorsqu'ils écrivent dans leur rapport : « De manière plus globale, l'Afssaps, qui est une agence de sécurité sanitaire, se trouve à l'heure actuelle structurellement et culturellement dans une situation de conflit d'intérêts, pas en raison de son financement, qui s'apparente à une taxe parafiscale, mais en raison d'une coopération institutionnelle avec l'industrie pharmaceutique, qui aboutit à une forme de coproduction des expertises et des décisions qui en découlent. » ?
A propos de la gestion des conflits d'intérêts, Madame Bartoli, vous avez indiqué au Télégramme de Brest , le 17 février 2011, que « les règles sont les mêmes dans tous les pays européens » . Il nous a cependant semblé que les règles en vigueur, notamment au Royaume-Uni, n'étaient pas les mêmes que celles de l'Afssaps, par exemple en ce qui concerne l'indépendance des experts. Ainsi, à la Medicines and Healthcare products Regularory Agency (MHRA), les experts rendant leur avis au sujet de l'autorisation de mise sur le marché (AMM) n'ont aucun lien d'intérêts. J'estime pour ma part que nous pourrions nous inspirer de cet exemple avec profit.
Madame Bartoli, dans la Croix du 26 octobre dernier, vous déclariez : « Nous avons une règle intangible, les présidents de nos commissions ou groupes de travail ne peuvent avoir de lien durable avec l'industrie à travers, par exemple, un poste de consultant. C'est un conflit élevé qui a priori nous conduit aussi à juger comme contre-indiquée la présence d'un expert au sein d'un groupe de travail. » Je souhaite donc que vous m'assuriez que les présidents et vice-présidents des commissions d'AMM et des multiples groupes de travail n'entretiennent pas de liens d'intérêts de ce type avec l'industrie. Néanmoins, il semble que le professeur Lechat a été longtemps directeur du groupe thrombose, alors qu'il avait des liens très importants avec Sanofi-Aventis. Même s'il apparaît positif que des médecins entretiennent des liens avec les laboratoires, lorsqu'il s'agit de prendre des décisions pour le compte de l'Etat, ces situations sont inacceptables.
M. Dominique Maraninchi . - Il me semble effectivement que l'Afssaps a failli à sa mission. La situation avec le Mediator souligne les faiblesses du système de l'Afssaps. Qu'est-ce qui a failli et comment faire pour que cela ne se reproduise plus ? Cette question doit guider notre réflexion dans le futur et vous contribuez à nous donner des pistes pour y parvenir.
Le travail de l'Afssaps est d'assurer la sécurité des produits de santé et l'équité de leur distribution, à partir de la remise en question des bénéfices et des risques de ces produits de santé. Nous devons réexaminer ces bénéfices et ces risques selon une analyse dynamique. Dans l'ancien système, il fallait prouver que des risques très importants existent avant de remettre en question l'intérêt d'un médicament. Or un médicament qui n'a pas beaucoup de bénéfices a beaucoup de risques, par nature. Il en va de notre responsabilité d'évaluer cette balance des bénéfices et des risques.
En ce qui concerne le Mediator, si nous avons beaucoup débattu des risques, nous avons très peu examiné les bénéfices. L'agence doit questionner les experts. Ainsi, si nous nous étions interrogés sur la molécule mère du Mediator et sa nature pharmacologique, nous aurions pu constater qu'il s'agissait d'un anorexigène de la famille des amphétamines. Nous aurions également pu nous demander si une amphétamine fait maigrir, ce qui est le cas, et si l'amaigrissement réduit la tolérance au glucose, ce qui est encore le cas, comme pour la réduction de la tolérance aux lipides.
M. François Autain, président . - Le professeur Alexandre avance que le benfluorex n'est pas un anorexigène, mais un antidiabétique mal étudié. Nous sommes donc bien obligés de constater que les thèses erronées du laboratoire ont été prises pour argent comptant par l'Afssaps, ce qui pose un véritable problème, relatif à l'incapacité de l'agence à développer une analyse autonome face au laboratoire. J'espère que cette situation changera.
M. Dominique Maraninchi . - Cette situation doit changer car l'affaire du Mediator ne doit plus se reproduire.
C'est en interne que nos pharmacologues doivent analyser la nature pharmacologique de la molécule et questionner des experts externes. D'autre part, ce qui était peut-être vrai dans les années 1980 et 1990 n'est plus forcément vrai dans les années 2000. Il me semble donc que c'est le devoir de l'agence, si elle prend la responsabilité de distribuer des médicaments sur la base de la balance bénéfices-risques, de poser elle-même les questions et de ne pas attendre des évènements effroyables pour remettre en cause l'utilité et donc la distribution d'un médicament. Voilà ce qu'on attend de l'agence, mais qui n'est pas facile, en raison des contraintes réglementaires auxquelles elle est soumise. Notre travail est de garantir les bénéfices et de limiter les risques pour les patients. L'agence n'a pas déployé son expertise et sa neutralité par rapport à l'objet qu'elle devait traiter. Dans le cadre de mes responsabilités, je tâcherai d'inverser ce processus, pour que nous questionnions nous-mêmes les bénéfices et les risques selon un processus itératif, car les connaissances, la relation entre les bénéfices et les risques évoluent au cours du temps.
M. François Autain, président . - Si vous êtes favorable à un processus itératif, vous êtes donc hostile à cette disposition de la directive de 2004 qui prévoit que, après une première période de cinq ans, le rapport entre les bénéfices et les risques ne soit plus réexaminé tous les cinq ans en ce qui concerne l'AMM.
M. Dominique Maraninchi . - Nous avons le devoir de continuer à suivre le rapport bénéfices-risques des médicaments, même si la directive ne contraint pas à un réexamen de l'AMM. Si les agences effectuent leur travail de suivi, elles peuvent elles-mêmes alerter.
M. François Autain, président . - Vous estimez donc qu'il n'est pas nécessaire que les agences soient soumises à des obligations de réévaluations périodiques.
M. Dominique Maraninchi . - Nous avons le devoir de remettre un médicament en question avant cinq ans, si nous estimons que les risques sont trop importants. Une AMM n'est ainsi pas forcément définitive, de même que son contenu. Les indications et les contre-indications doivent être adaptées et modulées au fil du temps et des connaissances, et tout particulièrement pour les prescriptions hors AMM. Si les agences qui assurent la sécurité ne réexaminent pas les bénéfices et les risques dans une indication qui pourrait se restreindre ou s'élargir dans l'intérêt des patients, le système restera aveugle et nous devrons attendre des complications catastrophiques pour corriger le tir.
Au sujet de la coproduction, je suis réservé par rapport à cette remarque, même si je la comprends dans la globalité du rapport de l'Igas. Il reste que cette vision peut sembler polémique. Les agences du médicament et des produits de santé doivent selon moi entretenir des relations avec les industriels. Elles doivent indiquer aux industriels les règles en matière de développement, les attentes médicales et sociales de la France ou de l'Europe vis-à-vis d'un médicament innovant. Elles doivent ensuite vérifier sur des faits que la relation bénéfices-risques est positive. Il faut que l'AMM soit donnée à l'appui du dossier et que l'agence ait une capacité d'inspection et de contrôle.
M. François Autain, président . - Estimez-vous qu'une réforme vous permettant de disposer d'une unité pharmacologique indépendante qui contrôlerait certains essais concernant des médicaments serait positive ? En effet, vous ne pouvez à l'heure actuelle déterminer l'AMM que sur la base d'essais proposés par l'industrie. Cette unité pourrait, de plus, être utilisée pour les examens post-AMM.
M. Dominique Maraninchi . - Il est de la responsabilité de l'Afssaps, comme de toute agence donnant une autorisation de mise sur le marché, de se doter des moyens de vérifier que cette autorisation est basée sur des faits. Il faut donc que l'agence conserve sa capacité d'inspection et de contrôle, comme c'est le cas à l'Afssaps. Nous pouvons en effet vérifier et auditer les essais.
M. François Autain, président . - Si vous avez des doutes sur certains médicaments en phase pré ou post-AMM, avez-vous la possibilité de procéder à des essais ?
M. Dominique Maraninchi . - En pré-AMM, nous devons vérifier la qualité des essais, ce qui constitue un travail complexe, que nous ne menons pas suffisamment. Le niveau européen, dans le cadre de l' European Medicines Agency (EMA), donne une plus grande force de frappe pour vérifier ces données sources et éviter les fausses interprétations, mais il n'est pas assez utilisé. En outre, en post-AMM, nous devons avoir les moyens de vérifier, d'inspecter et de contrôler. Il faut stimuler des études post-AMM, avec des promoteurs publics et non industriels.
M. François Autain, président . - Je suis d'accord avec vous.
M. Dominique Maraninchi . - Si les agences s'associent de façon plus satisfaisante, dans le cadre d'une politique complète du médicament, des ressources pourraient peut-être être davantage affectées à cette problématique. Le fonds du programme hospitalier de recherches cliniques sert à financer beaucoup d'essais cliniques, très souvent post-AMM. Cependant, quelle est notre capacité à intégrer les résultats de ces essais pour modifier nos pratiques et nos connaissances ? Il faut que nous soyons plus incisifs dans ce domaine. L'Afssaps donne l'autorisation de réaliser des essais cliniques, académiques ou industriels, mais elle doit être capable de se pencher davantage sur le déroulement de ces essais, les interrompre en cas d'insuffisances. L'agence doit également pouvoir demander aux promoteurs de ces essais des résultats précoces, qui permettraient, pour des raisons de santé publique, d'orienter la bonne pratique du médicament. Il s'agit d'un champ nouveau qui devrait nous permettre de ne pas subir les études. En effet, de nombreuses études post-AMM sont des études marketing, alors qu'elles devraient être des études de développement dans le système de santé.
M. François Autain, président . - De plus, de nombreuses études ne sont jamais réalisées.
M. Dominique Maraninchi . - Ces études doivent être interrompues et sanctionnées.
M. François Autain, président . - Quelques sanctions sont prévues, mais elles ne sont pas appliquées. Le comité économique des produits de santé (Ceps) avait un projet de sanction, mais il a été abandonné après contact avec le laboratoire. Concrètement, les laboratoires ne sont pas sanctionnés.
M. Dominique Maraninchi . - Comme vous le savez, il y a de nombreux débats sur les effets du médicament dans la vie réelle par rapport à l'essai clinique d'enregistrement. En particulier, la majorité des essais cliniques portent la limite d'âge de recrutement à soixante-quinze ans. Or la majorité des personnes qui consomment des médicaments ont plus de soixante-quinze ans. Nous devons donc peser sur les firmes ou les promoteurs académiques pour qu'ils incluent dans leurs études des personnes ayant réellement besoin de médicaments et pour que nous anticipions sur les risques et les bénéfices de ces personnes.
Mme Virginie Klès . - Que pensez-vous du système des moyens alloués aujourd'hui aux médicaments vétérinaires ? En effet, l'Agence du médicament vétérinaire s'appuie sur le laboratoire qui la jouxte. Je me souviens avoir réalisé en tant que toxicologue des essais de contrôle à la demande de l'Agence nationale du médicament vétérinaire. Je me souviens également avoir accueilli une délégation de l'Afssaps, qui venait s'inspirer de nos pratiques pour contrôler la sûreté des vaccins, notamment. Pourquoi ce système n'est il pas en place au sein de l'Afssaps ? Que pensez-vous de son éventuelle mise en place ? Il est positif de s'intéresser en amont à la formule chimique, aux isomères d'une molécule, surtout lorsque l'on sait le brouillard qui entoure la composition chimique du Mediator.
M. Dominique Maraninchi . - Votre remarque est pertinente.
L'Afssaps effectue des contrôles à l'échelle nationale comme à l'échelle internationale, en partenariat avec d'autres agences qui contrôlent certaines étapes de la chaîne du médicament. Nous devrons réfléchir sur les moyens dont nous disposons pour assurer une très bonne qualité de contrôle avec les nouveaux produits qui se présentent. Les enjeux concernent à présent des produits issus de la biologie et des biotechnologies. La manière de contrôler ces produits suppose une capacité de codéveloppement et de maîtrise de techniques très sophistiquée. Nous devrons donc investir en France ou développer des partenariats avec d'autres pays, sinon nous supporterons des produits pour lesquels notre capacité de vérification sera limitée. Nous devons, en effet, nous adapter aux produits qui vont se présenter sur le marché, afin que notre capacité d'inspection s'améliore en matière de biologie. Il faut que nous puissions contrôler la firme, ce qu'il est possible de faire et que nous devrons développer à l'Afssaps.
Au sujet de l'indépendance des experts et de la gestion des conflits d'intérêts, nous devons régler cette situation de façon définitive. Lorsque j'ai rejoint l'Afssaps, je n'étais guère inquiet, car les déclarations d'intérêts étaient dans l'ensemble assez bien gérées, mais avec insuffisamment de fermeté et d'autorité. Il est du rôle des responsables de l'Afssaps d'imposer des règles et de faire sortir de l'agence toute personne ayant un lien d'intérêts qui nuit à l'indépendance de l'expertise. Nous ne pouvons plus supporter la remise en question permanente de l'expertise et il faut que les experts n'aient plus aucun lien d'intérêts.
Je souhaite par ailleurs dissocier le cas des présidents de commissions de celui des membres des groupes de travail.
M. François Autain, président . - Combien l'Afssaps compte-t-elle de commissions et de groupes de travail ?
M. Dominique Maraninchi . - Nous vous préciserons cet élément par écrit. La notion de « groupe de travail » est parfois surestimée. Les groupes de travail peuvent en effet parfois se réunir une fois par an, pour rendre un avis sur un sujet mineur. Dans le futur, il faudra éviter de multiplier les groupes de travail.
M. François Autain, président . - Il me semble que l'Afssaps compte 70 groupes de travail, ce qui est considérable.
Mme Fabienne Bartoli . - S'agissant du seul médicament, les chiffres sont moins importants. Trente et un groupes de travail sont rattachés à la commission d'AMM. L'agence compte douze commissions, qui concernent tant les médicaments que les produits cosmétiques, les biocides, les stupéfiants ou les dispositifs médicaux.
M. François Autain, président . - Pour revenir aux questions posées initialement, vous avez indiqué qu'à l'Afssaps, les experts étaient traités comme dans toutes les autres agences, ce qui me semble faux, en tout cas pour trois des principales commissions (CNPV, commission d'AMM, commission de la publicité).
Mme Fabienne Bartoli . - Il m'est difficile, monsieur le président, de vous répondre sur un extrait de citation, qui ne correspond pas à l'ensemble de l'interview que j'ai donnée et, dans ce genre d'exercice, les propos qui vous sont attribués, comme vous le savez, ne sont pas toujours exacts, surtout quand il n'est pas possible de les relire.
Au sujet de l'interview que j'ai donnée à la Croix , je vous renverrai aux documents que nous mettons en ligne sur le site de l'Afssaps. Lors du point presse réalisé le 30 mars 2010, nous avions repris l'historique de la façon dont les conflits d'intérêts sont gérés à l'agence. Nous avions ainsi bien précisé que c'est à partir de la fin de l'année 2006 que l'agence avait renforcé ses exigences d'indépendance pour les présidents de commission et de groupe de travail. Elle a ainsi généralisé les appels publics à candidatures pour recruter les experts membres de ses groupes de travail et de ses commissions. Elle a également souhaité renouveler les membres des commissions et groupes de travail, dans un souci de transparence et d'élargissement du recrutement. Nous avons alors demandé aux présidents des groupes de travail de ne plus avoir de liens d'intérêts. L'exemple que vous mentionnez est donc antérieur à 2006.
M. François Autain, président . - Un problème de permanence se pose cependant, car certains présidents de commission conservent leurs fonctions durant douze ou quinze ans. De plus l'agence ne respecte pas la réglementation, car en février 2007, vous écrivez aux entreprises du médicament (Leem) : « La récente publication du rapport de l'Igas sur le rôle de l'Afssaps ainsi que les nombreux débats publics ont remis en question la présence des représentants du Leem au sein des différentes commissions et groupes de travail de l'agence. Cette présence apparaît en effet comme incompatible avec la garantie d'indépendance des avis donnés par ces commissions et groupes de travail. » J'avais moi-même fait ce constat depuis de nombreuses années et je suis très heureux que vous parveniez aux mêmes constatations. Vous écrivez également dans cette lettre : « L'article R. 5121-54 du code de la santé publique ne prévoit pas de représentant de votre organisme professionnel. » Or des représentants du Leem ont siégé au sein des différentes commissions et groupes de travail de l'agence. Dès lors, pour quelle raison l'Afssaps ne respectait-elle pas la réglementation ? Etait-ce le seul domaine dans lequel elle ne respectait pas la réglementation ? Je ne comprends pas que ces personnes aient siégé dans des commissions dans lesquelles elles n'avaient pas leur place. Comment en sommes-nous arrivés à cette situation ?
Mme Fabienne Bartoli . - Cette réglementation dépend du ministère de la Santé. La présence d'un organisme professionnel est prévue dans le texte qui régit la commission d'AMM, mais avec une voix non délibérative. C'est à ce motif que nous demandons à l'organisme professionnel de ne plus être présent dans cette commission, sans pour autant rendre illégal les votes de la commission. L'Afssaps n'était pas hors de la réglementation, puisque le texte prévoit une présence non délibérative de l'organisme professionnel. En février 2011, nous avons souhaité que le Leem ne soit plus présent dans ces commissions.
M. François Autain, président . - Effectivement, que ce soit à titre délibératif pour la commission de la transparence ou une simple représentation à la CNPV, la présence de représentants du Leem est prévue par la réglementation. J'ignorais cependant que la réglementation prévoyait cette présence en commission d'AMM, avec voix non délibérative. Vous êtes donc allé au-delà de la réglementation dans ce courrier et avez estimé qu'il fallait modifier la réglementation, pour que l'industrie pharmaceutique ne dispose plus de représentants au sein de ces commissions.
M. Dominique Maraninchi . - Suite aux évènements qui se sont produits, nous avons souhaité rapidement modifier le fonctionnement de la commission d'AMM, afin de le rendre plus transparent. Nous avons, par exemple, entrepris de publier les ordres du jour des réunions sur notre site. Toutes les interventions qui se tiennent durant ces réunions sont de plus intégralement retranscrites et peuvent également être consultées en ligne. Je veille, en outre, personnellement à la déclaration des conflits d'intérêts, affichée en début de séance et le responsable de l'Afssaps publie et affiche les noms des personnes susceptibles d'être en conflit d'intérêts, mineur ou majeur, toujours dans un souci de transparence.
Par ailleurs, pour éviter toute suspicion quant à d'hypothétiques pressions de l'industrie pharmaceutique, Fabienne Bartoli a demandé à la chambre patronale de l'industrie pharmaceutique, qui siégeait avec voix non délibérative, de se retirer des commissions. La prochaine réunion de la commission sera filmée et les débats donnant lieu à délibération seront accessibles sur Internet. Les invités à cette commission seront des associations de patients. Si la chambre de l'industrie pharmaceutique était représentée, il faudrait qu'elle le soit en tant que partie prenante, avec d'autres parties prenantes, comme les professionnels de la prescription, les pharmaciens d'officine, les associations de patients et de consommateurs. Il ne faut pas que l'on puisse douter de l'équité des débats.
Enfin, si la réglementation était amenée à évoluer, nous souhaiterions qu'elle prévoit la création de commissions ad hoc, qui permettraient de traiter des dossiers très importants pour la santé publique, comme les dossiers de génériques ou de reconnaissance mutuelle, car les ordres du jour de la commission d'AMM sont souvent très chargés.
M. François Autain, président . - Vous semblez donc favorable à une organisation semblable à celle de la FDA, dans laquelle siègent douze commissions consultatives. Je suis effectivement d'accord avec vous ; la commission d'AMM a trop de travail.
M. Dominique Maraninchi . - On l'accuse de fixer des ordres du jour trop chargés, de compter des experts qui ne connaissent pas suffisamment les dossiers. En fait, ces experts connaissent les dossiers, mais chacun sous l'angle de son expertise.
M. François Autain, président . - Comment envisagez-vous l'avenir de la commission d'AMM par rapport à l'agence européenne ? Les laboratoires empruntent ainsi de plus en plus la procédure centralisée, à laquelle ils sont d'ailleurs parfois contraints. Nous pouvons donc supposer que le travail va diminuer et même que la totalité des AMM devienne de la compétence de l'agence de Londres. Le rôle de la commission d'AMM de l'Afssaps serait alors réduit à sa plus simple expression. Le rapport des professeurs Debré et Even envisage de fondre dans une même entité la commission d'AMM et la commission de la transparence.
Par ailleurs, êtes-vous favorable à une plus grande autonomie de la commission nationale de pharmacovigilance (CNPV) par rapport à la commission d'AMM ? Est-il nécessaire que, lorsque la CNPV émet un avis au sujet d'un médicament, elle soit obligée de passer par la commission d'AMM pour réévaluer la balance bénéfices-risques ? En 2007, la première a souhaité interdire le Mediator, contrairement à la seconde, rendant alors nécessaire un arbitrage de la direction générale de l'Afssaps.
M. Dominique Maraninchi . - Nous avons pour mission d'évaluer la balance bénéfices-risques avant l'AMM, au moment de l'AMM et après à l'AMM. Ce travail doit être mené de façon conjointe. Tous les principes actifs contiennent des effets négatifs et des effets positifs et on ne saurait dissocier ces aspects avant l'AMM, au moment de l'AMM et après à l'AMM.
M. François Autain, président . - Vous êtes donc plutôt favorable à la création d'une commission unique, qui rassemblerait la commission nationale de pharmacovigilance et commission d'AMM ?
M. Dominique Maraninchi . - Je respecte la réglementation, mais c'est là mon sentiment. Il me semble dangereux de dissocier les bénéfices des risques. Or, ce sont souvent les mêmes experts qui évaluent les bénéfices et les risques. L'expertise doit être par nature contradictoire, pour déterminer un ratio final, l'équilibre entre les risques et les bénéfices. La surveillance du risque doit, de plus, être associée à la surveillance du bénéfice et, dès l'année prochaine en Europe, les firmes devront produire des documents sur les bénéfices et les risques de leurs produits au fil du temps et les agences, dont l'Afssaps, auront la responsabilité de corriger les documents produits par les firmes, voire parfois de corriger le tir. Par exemple, la thalidomide est indiqué dans le traitement des myélomes après soixante et un ans. Certains dermatologues jugent intéressant de l'indiquer aussi dans des maladies de la peau. Si l'agence européenne l'accepte avec un suivi particulier du risque, la France peut dire qu'elle refuse une exposition au risque et que, dans ce cas, elle doit préparer un dossier ad hoc car nous ne voulons pas voir un seul bébé souffrir des effets de la thalidomide en France.
La commission d'AMM ne doit pas être une chambre d'enregistrement de l'agence européenne...
M. François Autain, président . - Cependant, en ce qui concerne la procédure centralisée, la commission d'AMM fait figure de chambre d'enregistrement.
M. Dominique Maraninchi . - Dans cette procédure, oui, mais en amont, c'est la France qui donne l'autorisation des essais cliniques.
Mme Fabienne Bartoli . - Dans les procédures centralisées au niveau européen, l'Afssaps est rapporteur ou corapporteur d'une vingtaine de dossiers sur une centaine par an, ce qui nous place parmi les cinq principales agences européennes. Et dans ce cas, seules les équipes internes participent à l'évaluation du dossier. Il faut également savoir que, sur chaque dossier, douze évaluateurs travaillent durant toute l'année. L'Afssaps prend donc une part active à l'évaluation des dossiers. Sur les quatre-vingt autres dossiers traités au sein de l'agence européenne, la France fait partie des pays qui lèvent des objections majeures et posent beaucoup de questions.
M. François Autain, président . - Je souhaitais pour ma part évoquer le rôle de la commission d'AMM de l'Afssaps dans la procédure centralisée, pas de sa participation au sein du Committe for Medicinal Products for Human Use (CHMP). La commission d'AMM peut-elle se saisir elle-même pour un médicament et prescrire un plan de gestion des risques (PGR) complémentaire ?
M. Dominique Maraninchi . - Oui. La commission française doit selon moi se saisir beaucoup plus souvent des modalités d'utilisation et de distribution des produits enregistrés en France. Les circuits d'utilisation et de distribution sont sous notre responsabilité. Une commission examinant les bénéfices et les risques de façon récurrente trouverait son sens dans ce cadre. Il faut travailler sur la distribution des produits de santé.
Au sujet de la transparence, si nous devons examiner les bénéfices et les risques de façon régulière, nous devons le faire dans un contexte donné. Si des médicaments sont plus performants que d'autres, nous devons pointer dans l'examen des bénéfices et des risques ceux qui présentent moins de bénéfices qu'auparavant. Il est donc paradoxal de séparer les bénéfices des risques, dont l'examen doit être indépendant du remboursement, afin que les décisions de distribution ne soient pas influencées par des restrictions budgétaires.
Notre agence doit travailler sur le progrès thérapeutique, qui, en général, étouffe les produits antérieurs. La Haute Autorité de santé (HAS) joue un rôle crucial sur le système de santé, car elle intègre le parcours thérapeutique du médicament ; aucune agence de médicament dans le monde ne joue un tel rôle, par exemple sur le nombre de cures que doit comporter un traitement anticancéreux.
M. François Autain, président . - Une organisation similaire n'a-t-elle pas été mise en place au Royaume-Uni ou en Allemagne ?
M. Dominique Maraninchi . - Effectivement. Toutefois l'agence anglaise ne s'intéresse pas aux comparateurs des médicaments, mais à l'utilité dans le système de santé du partage des liens. Par exemple, il dira qu'il ne faut jamais faire de chimiothérapie dans le cancer de la prostate, ou ne le faire que dans 5 % des cas. Ce n'est pas le rôle d'une agence du médicament.
M. François Autain, président . - Et les raisons sont essentiellement économiques ?
M. Dominique Maraninchi . - Parfois, mais leur organisation de santé est différente.
Mme Marie-Christine Blandin . - Au sujet de la commission d'AMM, vous aviez indiqué que les conflits d'intérêts étaient affichés. Des personnes ayant des conflits d'intérêts sont-elles pour autant exclues de certains débats ?
M. Dominique Maraninchi . - A présent, oui.
Mme Marie-Christine Blandin . - Etes-vous favorable à une proposition du Grenelle, votée par le Parlement, d'une instance extérieure, chargée de vérifier que les agences respectent bien leur protocole éthique en quelque sorte, par exemple dans l'actualisation des conflits d'intérêts ?
M. Dominique Maraninchi . - Nous devons effectivement nous prêter à ces règles.
J'insisterai pour ma part sur l'expertise citoyenne, qui doit donner son regard. Aux Etats-Unis, des représentants d'associations de patients participent aux débats. J'ai l'intention d'expérimenter un fonctionnement semblable en France. Dans notre pays, le débat citoyen est néanmoins déjà bien organisé, mais, pour autant, il ne faut pas mélanger les citoyens et les parties prenantes. Par exemple, pour la mucoviscidose, il est normal que les associations soient présentes.
M. François Autain, président . - Faut-il selon vous sanctionner les experts qui ne publient pas leurs liens d'intérêts ou qui effectuent de fausses déclarations ?
M. Dominique Maraninchi . - C'est à l'évidence une faute grave, puisqu'il s'agit d'une tromperie. Un expert qui agirait de cette façon risquerait d'être banni de la communauté scientifique internationale, ce qui s'est déjà produit. Il faudra effectivement une sanction et il faut que les liens d'intérêts soient affichés clairement. Il faut en effet que tous sachent si des experts sont payés, par qui et pour quoi ils le sont.
M. François Autain, président . - Il y a un consensus sur ce point. Les laboratoires sont également favorables pour que les liens d'intérêts qu'ils ont noués avec les médecins soient rendus publics. Nous sommes toutefois en avance sur les Etats-Unis, où il n'est pas obligatoire pour les laboratoires de publier les liens qu'ils entretiennent avec les associations, ce qui m'a étonné. Les sociétés savantes doivent elles aussi publier leurs liens d'intérêts, car nous nous sommes aperçus que, sans les laboratoires, elles n'auraient pas d'existence. Néanmoins, il semble que certaines universités, comme celle de Paris Descartes, parviennent à organiser des colloques sans l'aide de l'industrie pharmaceutique, contrairement aux médecins. Il y a là un problème.
M. Dominique Maraninchi . - Le fait de déclarer ses liens change tout. De nombreux congrès, surtout à l'échelle mondiale, ne peuvent pas se tenir sans le soutien de l'industrie pharmaceutique. Ces congrès sont en effet de plus en plus souvent mondiaux. Le congrès qui se tient à Lascaux, par exemple, s'apparente à un salon, ce qui ne signifie pas toutefois que certaines interventions qui y sont prononcées ne sont pas d'un excellent niveau.
M. François Autain, président . - Il faut préciser que l'argent dont disposent les laboratoires correspond à de l'agent public, car, si les médicaments n'étaient pas remboursés par la sécurité sociale, ces derniers ne bénéficieraient pas d'autant de moyens pour financer les colloques, faire de la publicité, etc.
M. Dominique Maraninchi . - Je suis d'accord avec vous ; il faut donc être très clair au sujet des liens d'intérêts, limiter les financements de l'industrie pharmaceutique aux sociétés savantes et renforcer le financement public de celles qui appliquent des règles déontologiques, sans accepter d'argent de la publicité. Par ailleurs, dans le domaine de l'édition scientifique, les plus grands scientifiques du monde se sont associés pour fonder une revue totalement indépendante du financement de l'industrie pharmaceutique, la Public library of science .
M. François Autain, président . - Connaissez-vous Lourmarin ?
M. Dominique Maraninchi . - Oui. J'y suis allé une fois.
Après Lourmarin, se tient un colloque à Giens. Il est financé par l'Afssaps et l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). Tous les chercheurs et industriels y sont présents. Les débats s'y déroulent en toute transparence.
M. François Autain, président . - N'invitez-vous jamais les industriels à des colloques organisés à l'Afssaps ?
Mme Fabienne Bartoli . - Si bien sûr. Par exemple, à Saint-Denis, dans nos locaux, nous avons consacré une journée aux PME innovantes et une autre aux équipes académiques innovantes.
Mme Marie-Thérèse Hermange . - Pouvez-vous nous dire quelle est la procédure habituelle de remontée et de traitement de l'information entre votre agence et le Gouvernement, au sujet des effets indésirables d'un médicament ? Les anciens ministres auditionnés ont affirmé ne pas avoir été informés concernant le Mediator.
Mme Fabienne Bartoli . - La direction générale de la santé (DGS) est présente dans toutes les commissions, notamment celle de la commission d'AMM et la CNPV. De ce fait, le représentant de la direction générale de la Santé fait entendre sa voix dans ces différentes instances. De plus, en cas de doute sur les indications, l'agence prend des décisions au nom de l'Etat.
Mme Marie-Thérèse Hermange . - Au sujet du cloisonnement des circuits d'information et de décision, souvent critiqué, quel rôle de coordination la direction générale de l'Afssaps joue-t-elle ? Envisagez-vous des évolutions institutionnelles ?
M. Dominique Maraninchi . - La direction générale de l'Afssaps assure la responsabilité de la décision relative aux produits. Il est donc important de prendre en compte et de déclarer les éventuels avis contradictoires au sujet d'un produit. Notre travail consiste en l'évaluation des bénéfices et des risques. Il peut donc sembler dangereux que certaines commissions n'examinent que les risques et d'autres, que les bénéfices. Nous devons statuer sur les bénéfices et les risques dans le cadre d'une commission unique ou en confrontant deux commissions. C'est sur cette base que la direction générale de l'Afssaps doit prendre la responsabilité d'un avis final. Nous devons, en outre, tous pouvoir être interpellés, en vue de réexaminer rapidement la relation bénéfices-risques d'un produit de santé, lorsque des signaux sont remontés du terrain par le système de vigilance ou d'autres canaux.
Mme Marie-Thérèse Hermange . - Les professeurs Debré et Even ont proposé de transformer l'Afssaps en s'inspirant du modèle américain et en regroupant au sein d'une agence du médicament deux agences autonomes : une agence d'évaluation et une agence de pharmacovigilance. Ils ont également suggéré de fusionner la commission de la transparence avec la commission d'AMM. Jean-François Girard a par ailleurs proposé de sortir le dispositif de pharmacovigilance de l'Afssaps, pour l'intégrer à l'InVS. Quelles sont vos observations sur ce point ?
M. Dominique Maraninchi . - La responsabilité de l'agence et la richesse de notre système consistent à se pencher sur la relation bénéfices-risques dans le temps, de façon récurrente. Il faut intégrer dans cette analyse l'ensemble des bénéfices et des risques au fil du temps, ce qui impose que nous gardions en tête la comparaison avec d'autres pays. Je suis donc assez favorable qu'une partie au moins des fonctions de la commission de la transparence fusionne avec la commission d'AMM, car ce sont les mêmes experts qui participent à l'élaboration des avis. C'est donc un paradoxe que d'avoir deux sources d'information. Cependant, le rôle de la HAS est capital pour positionner le médicament dans un parcours thérapeutique, par exemple en cas d'efficacité pour une partie seulement des patients atteints d'une pathologie.
En ce qui concerne la vigilance, l'Afssaps doit conserver des vigilances, puisque l'évaluation des bénéfices et des risques doit se baser sur une comparaison, mais d'autres vigilances peuvent être traitées à l'Institut de veille sanitaire (InVS), comme la remontée et le traitement des signaux faibles ou les effets indésirables des vaccins, généralement associés à la propagation d'agents infectieux.
De façon plus concrète, nous devons nous articuler et tous ceux qui exercent des responsabilités de sécurité sanitaire doivent pouvoir alerter sur des vigilances. Un portail des vigilances serait donc extrêmement utile. L'Afssaps doit toutefois conserver un système de vigilance, afin d'examiner de façon transparente et complète la relation bénéfices-risques sur la vie du médicament après son enregistrement. Sans cela, elle ne se pencherait plus que sur les bénéfices et la situation serait dangereuse.
M. François Autain, président . - Le mode de financement de l'Afssaps a fait l'objet de controverses jusqu'à ce que le ministre, lors de la conférence de presse prononcée à l'occasion de la publication du rapport de l'Igas, déclare que le mode de financement de l'Afssaps serait désormais assuré par l'Etat, alors que l'Afssaps est aujourd'hui financée à 100 % par l'industrie pharmaceutique. La coïncidence est donc apparue frappante. Le ministre a déclaré que l'Etat recevrait les redevances de l'industrie pharmaceutique, puis financerait l'Afssaps. Quel est votre sentiment sur ce point, d'autant que Mme Bartoli a déclaré que l'actuel financement de l'Afssaps ne posait pas problème ?
Mme Fabienne Bartoli . - Je vais remettre mes propos dans leur contexte. Ces déclarations du ministre datent du 15 janvier dernier et mon intervention sur ce sujet était antérieure et visait à répondre à une question concernant le mode de financement de l'Afssaps, relatif à un éventuel lien de subordination entre l'agence et les opérateurs. Ma réponse sur ce point reste négative quant aux problèmes que poserait le mode actuel de financement. L'agence est financée par des taxes assimilées à des impôts dont le montant est fixé par le législateur. Or, à présent, ce qui pose problème, c'est que l'agent comptable perçoit ces recettes directement pour le compte de l'établissement. Le ministre a donc souhaité clarifier cette situation et a fait en sorte que ces prélèvements obligatoires soient versés à un agent comptable qui dépendrait de la direction générale des finances publiques, à Bercy. Il faudra un débat législatif sur ce point.
M. François Autain, président . - Ne pensez-vous pas qu'il y a un risque d'effets pervers, puisque certaines taxes sont perçues en fonction du nombre de dossiers traités par l'agence ? En effet, moins de dossiers seront traités, moins les revenus de l'Afssaps seront importants. Or les perspectives ne semblent guère optimistes, puisque, si le travail de l'agence européenne est amené à croître, celui de l'Afssaps devrait diminuer, ainsi que ses ressources. L'Afssaps est donc tributaire de l'argent de l'industrie pharmaceutique, ce qui porte atteinte à l'indépendance de l'institution, qui peut songer à multiplier les dossiers. Partagez-vous cette inquiétude ?
Mme Fabienne Bartoli . - 80 % des AMM concernent aujourd'hui des médicaments génériques. Ces volumes n'ont pas tendance à décroître, bien au contraire, et nous nous réunissons souvent au sein du réseau européen pour organiser l'évaluation de l'ensemble des dossiers génériques, afin que les médicaments parviennent sans retard et permettent d'engendrer les économies que les Etats attendent de ce dispositif. Nous avons enregistré des augmentations de volume et avons dû procéder à des gains de productivité pour y répondre correctement. En France, nous comptons 14 fabricants de médicaments génériques et, pour un brevet qui tombe dans le domaine public, plus d'un laboratoire demandera une AMM pour cette molécule.
Par ailleurs, les redevances versées à l'agence européenne sont reversées aux agences nationales. Plus de 10 % de nos revenus proviennent actuellement des AMM centralisées, pour lesquelles nous sommes rapporteurs ou co-rapporteurs. Enfin, plus de 40 % de nos revenus proviennent de la taxe assise sur les demandes d'AMM.
M. François Autain, président . - Nous n'avons donc pas d'inquiétude à nous faire sur ce point.
M. Dominique Maraninchi . - L'agence doit avoir les moyens de remplir ses objectifs et sa mission. Il serait donc grave de limiter les capacités d'inspection et de contrôle de l'agence, au prétexte de coupes budgétaires. Ces missions d'inspection et de contrôle doivent parfois être rapidement diligentées et il est exclu que le financement soit effectué par les personnes contrôlées. Enfin, dans l'onéreux domaine des biosimilaires, la Food and Drug Administration (FDA) va augmenter sa taxation, sur proposition du gouvernement Obama. Il reste que les industriels ne financent pas volontiers une agence qui les inspecte, les contrôle et, éventuellement, les sanctionne.
M. François Autain, président . - Une commission de l'Afssaps est chargée d'examiner la publicité en direction du public et des médecins. Il s'agit d'un contrôle a posteriori pour la publicité en direction des médecins, mais d'un contrôle a priori pour la publicité en direction du public. Or la publicité, si elle est mensongère, a déjà produit ses effets pervers auprès des médecins, puisqu'elle est contrôlée a posteriori, ce qui est déjà arrivé. Ne faudrait-il pas dès lors aligner le contrôle de la publicité en direction des médecins sur le régime de la publicité en direction du public ? De plus, la commission de la publicité ne devrait-elle pas être transférée à la HAS, comme certains le préconisent ?
M. Dominique Maraninchi . - La publicité en direction des patients est assez bien régulée et des sanctions sont prévues.
En outre, à la différence de la FDA, l'Afssaps ne s'adresse pas de façon suffisamment claire aux personnes malades, aux médecins, aux pharmaciens, ce qui lui est reproché. C'est notre rôle d'informer loyalement sur les produits de santé prescrits par les médecins, mais sans faire de publicité.
En ce qui concerne l'information médicale par le biais de sponsorings dans des colloques, la HAS doit veiller à ce qu'une information médicale de très bonne qualité circule sur le territoire. Je n'ai pas à me prononcer sur le contrôle et la sanction, qui sont difficiles à effectuer, mais pas impossibles. En ce qui concerne l'Afssaps elle-même, elle doit informer les médecins sur l'ensemble des produits d'une gamme, de façon loyale, et se positionner sur ces sujets vis-à-vis des patients et des médecins. Enfin, il n'appartient pas aux firmes de décrire des parcours thérapeutiques, mais à la HAS.
M. François Autain, président . - Nous constatons effectivement certaines redondances entre l'Afssaps et la HAS concernant l'information sur le médicament. Il faut donc veiller à ce que chacun fasse bien son travail. Il n'est pas question d'interdire à l'Afssaps de communiquer sur le médicament, mais il faut que cette communication soit bien encadrée, car, selon notre système de santé, la HAS doit garder sa compétence en matière d'information des médecins et des patients.
Par ailleurs, les laboratoires se sont engagés à rendre publics leurs essais cliniques une fois l'AMM délivrée. Toutefois, dans des pays étrangers, notamment aux Etats-Unis, les laboratoires sont contraints de publier leurs essais, qu'ils soient positifs ou négatifs. Qu'en pensez-vous ?
M. Dominique Maraninchi . - Merci de cette question, qui me tient à coeur. La France a été très en avance sur les essais cliniques, sur l'autorisation de procéder à de tels essais. Il ne faut pas oublier que c'est l'Afssaps qui donne l'autorisation de procéder à des essais cliniques, ce qui cependant ne suffit pas. Il faut en effet donner une information plus complète, indiquer à quel endroit ils se réalisent. L'Afssaps doit également pouvoir surveiller ces essais. Il faudra une transparence totale sur le site de l'Afssaps, au sujet de tous les essais cliniques ouverts en France, sur le nombre de malades inclus, les lieux dans lesquels la recherche biomédicale est effectuée, etc. Sous l'influence des associations de patients, dans les domaines du syndrome d'immunodéficience acquise (Sida) et du cancer, nous disposons d'une cartographie exhaustive de ces essais cliniques. Il s'agit d'un sujet majeur et la suspicion demeurera si nous ignorons où ils se déroulent ainsi que leurs résultats. Votre sagesse législative pourrait s'exercer dans ce domaine, afin que ceux qui les autorisent puissent exiger du promoteur des rapports d'étape.
M. François Autain, président . - Aucune obligation juridique ne prévaut effectivement dans ce domaine pour l'heure.
M. Dominique Maraninchi . - Les associations de patients ont exercé une forte pression sur les promoteurs, mais, paradoxalement les promoteurs publics sont les plus frileux dans ce domaine. C'est le rôle de l'agence que d'en exiger un tableau de bord au moins trimestriel.
Mme Marie-Thérèse Hermange . - Merci de vos réponses.
Dans le projet de loi bioéthique, nous avons réintégré l'ensemble des éléments de la proposition de loi sur la recherche et le consentement des personnes. La commission mixte paritaire n'a pas eu lieu et nous avons dû réintroduire ces dispositions dans le projet de loi sur la bioéthique. Les parlementaires sont tenaces.
M. François Autain, président . - Nous allons effectuer des propositions dans notre rapport au sujet des essais cliniques.
M. Dominique Maraninchi . - Je me suis engagé à ce que l'Afssaps accentue la transparence de l'accès aux essais cliniques en France.
M. François Autain, président . - Je souhaitais également vous interroger sur la liste des soixante seize médicaments, qui a été beaucoup critiquée, bien qu'il s'agisse là d'un effort de communication de votre part. Quelle leçon tirez-vous sur cette information concernant des médicaments sous surveillance, l'un au moins ayant été retiré ?
M. Dominique Maraninchi . - L'Afssaps n'était pas prête à parler des médicaments, ni de leur relations bénéfices-risques à la population, aux pharmaciens, aux prescripteurs. Néanmoins, nous avons le devoir d'évoquer ces questions régulièrement, d'alerter, d'informer de façon très transparente. Nous avons été contraints par les évènements subis par notre pays d'afficher rapidement la liste des médicaments sous surveillance, sans pouvoir être explicites sur les raisons de leur surveillance. Cette liste a donc créé beaucoup d'émoi, ce que je comprends.
Tout d'abord, les informations de ce type doivent être partagées avec les médecins prescripteurs et les pharmaciens. L'agence du médicament doit pouvoir parler avec régularité du médicament à la population et aux médecins, en dehors d'une ambiance de drame. Ensuite, il ne faut pas évoquer uniquement les risques des médicaments. Nous en sommes donc à la deuxième version de cette liste, qui sera meilleure que la première car elle tiendra compte des classes thérapeutiques. Je me suis engagé à ce qu'une nouvelle version sorte tous les mois, afin que, progressivement, nous dédramatisions la situation. Nous serons très transparents au sujet de toutes les suspensions, mais il est inutile d'affoler la population. Cette liste sera donc réévaluée chaque mois, selon un processus évolutif. Nous devrons prendre le temps d'y intégrer les personnels de santé, comme c'est le cas dans la deuxième version que j'évoquais. Il s'agit d'un travail sur le long terme et j'espère que nous parlerons désormais de « la liste des médicaments » et non de « la liste des médicaments préoccupants ».
M. François Autain, président . - Parmi les médicaments sous surveillance, certains n'apportent aucun progrès thérapeutique, l'amélioration du service médical rendu (ASMR) étant au niveau 5. Dès lors, pourquoi maintenir ces médicaments ?
M. Dominique Maraninchi . - Vous avez tout à fait raison. Un médicament qui n'engendre pas de bénéfices, ne produit que des risques, il faut le suspendre. Nous prendrons des mesures lors des prochaines commissions d'AMM au sujet de ces réévaluations. En ce moment, l'Afssaps peut donner l'impression qu'elle n'est vertueuse que depuis peu, alors qu'elle suspend des produits depuis toujours, même si une faille d'importance est intervenue concernant le Mediator. Une telle faille ne se produira plus et la liste de tous les médicaments dont nous réévaluons les bénéfices et les risques doit être rendue publique régulièrement. Je suis donc d'accord avec vous : cette liste n'a pas été adaptée à son objectif. Je m'engage à la faire évoluer chaque mois.
M. François Autain, président . - Il existe sans doute trop de médicaments et il est de plus en plus difficile de surveiller tous ces médicaments, ce qui pose problème. Une réflexion doit être mise en oeuvre pour éviter d'augmenter ce nombre. Ne faudrait-il pas être plus sévère en ce qui concerne le remboursement et éliminer les médicaments ne présentant pas d'intérêt majeur par rapport à ceux qui existent déjà ? L'obligation d'essais comparatifs en phase pré-AMM pourrait être une façon de nous prémunir contre ce trop grand nombre de médicaments mis sur le marché, qui ne sont pas utiles aux patients. Recherchons-nous l'intérêt du patient ou celui de l'industrie ? La réponse de certains experts à cette question est ambiguë.
M. Dominique Maraninchi . - Notre intérêt est un intérêt de santé publique. Les Français consomment trop de médicaments, ce qui n'engendre que peu de bénéfices et trop de risques. Nous devons donc changer collectivement notre pédagogie sur ce point. Il est ainsi possible de consulter un médecin, sans pour autant que ce dernier fasse une prescription. Les médicaments doivent être utilisés avec parcimonie et, lorsqu'un médicament est utilisé à long terme, il présente forcément un risque, notamment chez les personnes âgées. En sus de la pédagogie, si nous voulons des progrès, nous devons autoriser de nouvelles molécules plus intelligentes, plus précises. Nous devons donc abandonner certaines molécules. Ces progrès doivent également être soumis à un comparateur, qui doit être très bon. En cancérologie, nous comparions les médicaments à l'absence de traitement. Lorsque les médicaments sont comparés à un traitement, il faut choisir le meilleur. Or les traitements établis ne sont pas forcément très standardisés. Je partage votre avis ; nous devons nous doter de comparateurs à l'enregistrement, mais c'est le rôle des experts et des agences de trouver le meilleur comparateur à un moment donné.
M. François Autain, président . - Nous pouvons établir une liste des comparateurs pour chaque famille thérapeutique.
M. Dominique Maraninchi . - C'est en cours, notamment à la Food and Drug Administration (FDA). Il s'agit néanmoins d'un débat complexe et les médecins ne sont jamais d'accord pour savoir quel est le meilleur traitement. Il faut également réévaluer les comparateurs.
Il importe par ailleurs d'enregistrer de nouveaux médicaments selon moi.
M. François Autain, président . - Même s'ils ne sont pas meilleurs ni plus efficaces ?
M. Dominique Maraninchi . - Oui. Certains malades supportent mal tel principe actif et doivent changer de « me too » . Il ne faut toutefois pas pour autant de concurrence entre les « me too » . Le fait de disposer de plusieurs classes d'antibiotiques est positif, mais il faut les utiliser avec parcimonie. Il faut également veiller à ne pas arrêter le développement de nouveaux antibiotiques. Nous sommes impatients de disposer d'une nouvelle génération d'antibiotiques, ce qui ne signifie pas que son usage doive être disséminé.
M. François Autain, président . - Nous avons besoin d'un antibiotique efficace contre les souches de microbes résistantes. Il ne s'agirait donc pas de « me too » , mais d'un nouvel antibiotique. Par ailleurs, il faut prendre garde à ne pas multiplier les « me too » - je pense en France aux statines et aux hypotenseurs - si les nouveaux ne sont pas forcément meilleurs que les précédents, non seulement dans l'intérêt du patient, mais aussi dans celui de l'assurance maladie. Ces nouveaux médicaments sont toujours beaucoup plus chers que ceux qui existent déjà ; c'est d'ailleurs la raison pour laquelle ils sont mis sur le marché. Il ne s'agit pas là d'une bonne politique, c'est pourquoi je préconise les essais comparatifs, sans être beaucoup entendu, quoique, sur le plan européen, 50 % des médicaments bénéficient d'essais comparatifs, ce qui n'est pas négligeable.
Mme Virginie Klès . - En ce qui concerne le vaccin contre la grippe, l'étude de la balance des bénéfices et des risques a été très rapide. Les firmes pharmaceutiques ont-elles exercé une forte pression pour produire ce vaccin ? Avons-nous pris toutes les précautions au sujet de ce vaccin ?
M. Dominique Maraninchi . - Le vaccin constitue un bien de santé très particulier, car la personne vaccinée n'obtient pas toujours de bénéfice et elle court plus de risques que de bénéfices lorsqu'elle est vaccinée. Les vaccins sont donc mis sur le marché dans un intérêt individuel et collectif, ce qui diffère de la situation que nous avons connue avec le Mediator. Certains vaccins sont conçus pour stopper la propagation d'une épidémie, au sujet de laquelle les connaissances sont parfois parcellaires et il me semblerait opportun d'associer la vigilance contre les propagations épidémiques à celle portant sur la toxicité des vaccins.
M. François Autain, président . - C'était une pandémie de grippe, pas une grippe banale...
Mme Fabienne Bartoli . - Des auditions et des commissions d'enquête ont été effectuées sur ce sujet et l'agence européenne a été plus précautionneuse que la FDA, car elle a souhaité des essais cliniques complémentaires, tandis que la FDA a autorisé tous les vaccins contre la grippe, selon une procédure d'extrapolation des résultats cliniques aux nouvelles souches à partir desquelles ont été produits les vaccins contre la pandémie de grippe A (H1N1)v. En Europe, un dispositif spécifique, accéléré et destiné à répondre à une urgence de santé publique, a été mis en place. Néanmoins, l'évaluation des vaccins et des produits de santé a répondu à une procédure envisagée dès 2005, en vue de répondre à une urgence de sécurité sanitaire. L'évaluation a été rapide, mais pas au rabais pour autant, car les évaluateurs ont accru les contraintes et ces vaccins ont été évalués de façon prioritaire. Les AMM délivrées alors ont, de plus, été conditionnées à la mise en place de plans de gestion de risque et de suivi épidémiologique. Ces plans nous permettent d'ailleurs aujourd'hui de disposer d'informations complémentaires sur ces vaccins.
M. François Autain, président . - Merci, madame Bartoli.
Je m'adresse aussi à l'ancien président de l'Institut national du cancer (INCa). J'ai lu dans la presse que certains proposaient d'intégrer l'INCa et l'Agence de la biomédecine (ABM) à la HAS. Qu'en pensez-vous ?
M. Dominique Maraninchi . - Il faut économiser l'agent public et il faut que les agences soient efficaces.
Les principaux intérêts de l'INCa sont d'intégrer la dimension de santé publique, d'appuyer la distribution de l'organisation des soins pour les personnes atteintes de cancer et, surtout, la vocation de l'INCa est d'être une agence nationale de recherche contre le cancer : 80 % des fonds de l'INCa sont dispensés sur des bases compétitives à des projets innovants dans l'organisation des soins et la recherche. Je souhaiterais donc, pour ma part, que cette agence conserve son organisation actuelle, sous votre contrôle, afin qu'elle n'outrepasse pas ses prérogatives. 160 personnes travaillent à l'agence, qui ne peut fonctionner que si elle est en lien avec les autres agences. Par ailleurs, elle accueille en son sein les associations caritatives et d'usagers. La HAS a de nombreuses préoccupations de santé publique et elle pourrait choisir de ne pas considérer le cancer comme une priorité. Il est donc positif que nous conservions sous l'autorité du législateur une agence dédiée au cancer. Il faut obliger l'INCa à travailler avec les autres agences, ce qui est le cas.
M. François Autain, président . - Merci, madame Bartoli et monsieur Maraninchi, d'avoir répondu à nos questions.
Audition de M. Pierre-Louis BRAS inspecteur général des affaires sociales, ancien directeur de la sécurité sociale (2000-2002) (jeudi 31 mars 2011)
M. François Autain , président . - Nous recevons aujourd'hui M. Pierre-Louis Bras, inspecteur général des affaires sociales et ancien directeur de la sécurité sociale. C'est à ce dernier titre que nous l'auditionnons mais aussi parce qu'il est l'auteur d'un rapport remarqué, paru en septembre 2007, et portant sur l'information des médecins généralistes sur le médicament. Nous lui demanderons si ses propositions ont reçu un accueil favorable du Gouvernement et si, depuis, la situation s'est améliorée.
Ouverte à la presse, cette audition fait l'objet d'un enregistrement audiovisuel.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Notre objectif est de nous interroger sur la politique publique d'évaluation et de contrôle du médicament.
En 1999, la commission de la transparence classe « insuffisant » le service médical rendu (SMR) du Mediator. Le Comité économique des produits de santé (Ceps), sur indication des ministres, diminue le prix des médicaments à SMR insuffisant.
M. François Autain , président . - Le Ceps a agi sur indication des ministres ou les ministres ont-ils pris la décision sur indication du Ceps ? On peut se poser la question.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Pour le Mediator, cette baisse s'effectue en trois étapes entre 2000 et 2002. Dans le même temps, la direction de la sécurité sociale, que vous dirigez alors, propose aux ministres une baisse du taux de remboursement du Mediator par note du 24 décembre 2001. Selon le rapport de l'Igas, vous n'obtenez pas de réponse à la nouvelle note du 8 août 2002 qui rappelle le caractère nécessaire de cette baisse compte tenu du montant des dépenses de remboursement de ce produit. Quelles sont, selon vous, les raisons qui ont contribué à retarder cette baisse ? Y a-t-il eu de tels retards pour d'autres médicaments ? Et comment s'effectue une baisse de remboursement d'une manière générale ?
L'Igas considère que la proposition de déremboursement de 65 % à 35 % « n'aurait toutefois pas eu de conséquence en matière de prescription et de consommation, contrairement à une décision de déremboursement ». Partagez-vous cet avis ?
M. Pierre-Louis Bras, inspecteur général des affaires sociales, ancien directeur de la sécurité sociale . - Je commence par la baisse des prix puisque, avant d'être directeur de la sécurité sociale, j'étais au cabinet de Mme Martine Aubry. La ministre a décidé que tous les médicaments à SMR insuffisant devaient être déremboursés dans un délai de trois ans, mais non immédiatement pour tenir compte des habitudes des patients et des prescripteurs ainsi que des intérêts des industriels. On a donc commencé par diminuer le taux de remboursement des vasodilatateurs et à abaisser certains prix. Ensuite, en 2001, la direction de la sécurité sociale a préparé un passage du remboursement de 65 % à 35 % pour les médicaments à SMR insuffisant pour lesquels les laboratoires ne feraient pas d'observations. Or, les laboratoires Servier ont fait des observations, ce qui a entraîné une nouvelle réunion de la commission de la transparence à la suite de laquelle, le 24 décembre, la direction de la sécurité sociale a proposé au ministre de faire passer le remboursement du Mediator de 65 % à 35 %. Cette note n'a pas eu de réponse. Une relance de mon adjoint faite en août 2002 non plus. Quand il a pris ma succession, il a encore fait deux rappels sans recevoir davantage de réponse.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Quelle appréciation portez-vous sur la complexité et la longueur de la procédure de déremboursement ? Ne concernent-elles que le Mediator ou bien tous les médicaments en général ?
M. Pierre-Louis Bras . - A l'époque, nous n'en étions pas au déremboursement mais seulement au passage du remboursement de 65 % à 35 %. En général, ce passage n'a pas d'incidence sur le volume des ventes parce que les complémentaires prennent ces médicaments en charge à 100 %. Il est vrai que les laboratoires, lorsqu'ils sont procéduriers - et avec Servier, c'était le cas - peuvent se défendre efficacement contre les décisions de l'administration. Avant de faire entrer les nôtres en vigueur, nous étions soumis à un véritable parcours du combattant juridique. Par exemple, certaines de nos décisions sur les vasodilatateurs ont été annulées.
M. François Autain , président . - Le premier arrêté de Mme Aubry avait été annulé....
M. Pierre-Louis Bras . - De lourdes procédures contradictoires nous étaient imposées avant de pouvoir prendre une décision.
M. François Autain , président . - Donc, vous aviez eu connaissance du dossier Mediator bien avant d'autres experts.
M. Pierre-Louis Bras . - Le Mediator était un des 835 médicaments à SMR insuffisant. Mais insuffisant ne signifie pas inutile et encore moins dangereux.
M. François Autain , président . - Comment un médicament insuffisant peut-il être utile ?
M. Pierre-Louis Bras . - Lorsque le rapport bénéfices-risques est positif, il obtient l'AMM. C'est une présomption basée sur des études cliniques. Et en France, il y a un deuxième obstacle à la vie du médicament qui est la possibilité de le dérembourser.
M. François Autain , président . - Est-ce vraiment un obstacle ?
M. Pierre-Louis Bras . - Oui, car on a, quand même, depuis déremboursé les 835 médicaments à SMR insuffisant.
M. François Autain , président . - Il a fallu dix ans !
M. Pierre-Louis Bras . - On peut ne pas rembourser un médicament, même s'il a l'AMM, dès lors que la commission de la transparence le considère comme insuffisant. Insuffisant ne veut pas dire inutile puisque l'AMM garantit son utilité. C'était la norme à partir de laquelle nous fonctionnions à l'époque. Nous ne disions pas a fortiori qu'ils étaient dangereux.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - En tant que directeur de la sécurité sociale, disposiez-vous d'éléments sur les prescriptions hors AMM du Mediator ? Et déplorez-vous ces prescriptions hors AMM ?
M. Pierre-Louis Bras . - Pour le Vastarel, nous avions des remontées sur ses prescriptions hors AMM et j'avais proposé au ministre de le dérembourser. Ces données venaient du système Dorema, outil informatique dont dispose l'industrie pour suivre l'impact de ses visites médicales et les habitudes de prescription des médecins.
M. François Autain , président . - Vous aviez écrit à la ministre votre intention de radier le Vastarel de la liste des spécialités remboursables. Dommage que vous n'ayez pas été suivi...
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Quelle est, selon vous, l'influence de la visite médicale sur les prescriptions des médecins ? Disposent-ils des outils suffisants pour exercer leurs avis critiques sur les informations délivrées par les laboratoires ?
M. Pierre-Louis Bras . - L'industrie pharmaceutique reste prépondérante dans l'information des généralistes, sauf pour la minorité qui résiste et ne reçoit pas les visiteurs médicaux. Les visites ont une incontestable influence sur les prescriptions ; sinon les laboratoires n'investiraient pas dans ces visites. En 2007, l'effort marketing de ces derniers se montait à 3 milliards d'euros, la visite médicale représentant 25 000 euros par an pour chaque généraliste. Si l'on consacrait seulement le dixième de ces sommes à la formation continue des généralistes, le progrès serait déjà considérable. Les laboratoires consacrent donc une débauche de moyens à la visite médicale. Celle-ci peut être utile quand il est nécessaire de développer l'usage d'un médicament novateur. Mais l'information délivrée par ces visiteurs médicaux est biaisée parce qu'ils sont rémunérés en fonction de leurs résultats en termes de prescriptions et parce que la rivalité entre laboratoires les fait se limiter à déplacer la prescription d'un produit A vers un produit B qui n'est pas meilleur. Il y a là une grande perte de temps, et d'argent pour la collectivité puisque c'est nous qui payons la visite médicale : c'est la collectivité, qui, en fixant le prix des médicaments, octroie aux laboratoires leurs ressources. La visite médicale est donc un mécanisme d'information pervers - puisqu'il n'est pas objectif - et extrêmement coûteux. Mais c'est un mode d'information gratuit, pratique, valorisant et agréable pour le médecin qui, entre ses nombreux malades, reçoit une personne en bonne santé et pleine d'attention à son égard. De même que la mauvaise monnaie chasse la bonne, les médecins ne vont pas rechercher ailleurs - par exemple sur les sites de la HAS ou de l'Afssaps - une information plus objective mais plus difficilement accessible. Ils sont une majorité à apprécier l'information des visiteurs médicaux, même s'ils sont conscients qu'elle n'est pas objective. Cette ambivalence tient au fait qu'on se pense toujours capable de résister à une influence marchande. Mais toutes les études montrent l'impossibilité d'un regard critique face à l'argumentation d'un commercial.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Si les médecins avaient 25 000 euros annuels à leur disposition, où iraient-ils se former ?
M. Pierre-Louis Bras . - Il est vrai que les pouvoirs publics n'assurent pas cette fonction d'information sur le médicament. Notre rapport proposait que ce soit là une mission claire de la HAS mais nous considérions aussi qu'il fallait aller au-delà de l'information, jusque dans l'univers de la stratégie d'influence des laboratoires. Face à une telle stratégie, un organisme qui ne délivrerait que de l'information pure a perdu d'avance. Nous disions que les pouvoirs publics devaient se donner les moyens d'informer les médecins et, aussi, de développer une stratégie de promotion du bon usage du médicament ; c'est-à-dire que la HAS doit avoir un organisme de veille sur la stratégie des laboratoires. Diffuser l'information, sans se préoccuper des possibilités de son détournement par l'industrie, c'est insuffisant. Je peux citer l'exemple d'un médicament nouveau dont une fiche de bon usage de la HAS avait averti qu'il s'agissait d'un médicament de deuxième intention. La stratégie du laboratoire a été de le faire passer en première intention : des leaders d'opinion sont intervenus dans la presse pour dénoncer la timidité de la HAS et dire que ce médicament méritait d'être prescrit en première intention. La HAS doit donc développer une capacité de veille sur ces stratégies des laboratoires, et y répondre.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Vous me faites là une réponse d'ordre général. Mais, concrètement, si je suis médecin, où vais-je me former avec mes 25 000 euros annuels ?
M. Pierre-Louis Bras . - L'information sur le médicament doit provenir du site de la HAS qui doit être complet et ergonomique. Pour la formation continue, une réforme est en cours et je ne sais pas où on en est puisque les décrets ont été bloqués - notamment en ce qui concerne les organismes agréés - après l'affaire du Mediator. Pour moi, la référence, c'est ce que faisait l'assurance maladie. Elle finançait...
M. François Autain , président . - Pourquoi en parlez-vous au passé ?
M. Pierre-Louis Bras . - Parce que, avec la réforme, ce n'est plus elle qui gèrera les crédits de la formation conventionnelle. Elle les gèrera de façon tripartite avec l'Etat et la profession. Je ne critique pas ce tripartisme car la formation ne doit pas dépendre que d'un organisme dont l'objectif principal est la maîtrise des dépenses. Dans le dispositif que pilotait la Cnam, les médecins étaient subventionnés pour aller dans des programmes agréés après avis d'un conseil scientifique : c'est une garantie car il ne faut pas se contenter d'agréer des organismes, il faut aussi agréer des programmes, même si c'est une lourde procédure. Comme la réforme a rebattu toutes les cartes et que les décrets ne sont pas encore parus, je ne peux aller plus loin dans l'appréciation de ce que sera l'organisation de la formation. Il faut reconnaître que c'est depuis 1996 qu'on rebat les cartes. La dernière réforme date de la loi HPST, mais elle n'est pas encore entrée en vigueur.
M. François Autain , président . - Dans votre rapport, vous faites sur la visite médicale des propositions un peu différentes de celles qu'avance la députée Catherine Lemorton dans son rapport de 2008. Les délégués de l'assurance maladie (les Dam) visitent les médecins pour tenter de rééquilibrer leur information mais, comme ils sont sous la responsabilité de l'assurance maladie, les médecins considèrent qu'ils ne sont pas indépendants. Vous, vous proposez de ne pas confier à la HAS la totalité de la gestion des Dam mais d'en sous-traiter une partie, sur certains sujets, à l'assurance maladie. Catherine Lemorton propose de transférer tous les Dam à la HAS, tandis que Martin Hirsch, plus radical, veut supprimer toute visite médicale. Que pensez-vous de sa proposition et de celle de Mme Lemorton ?
M. Pierre-Louis Bras . - Les Dam sont un moyen de contrer la visite médicale des laboratoires en employant la même méthode qu'eux. Nous n'avions pas proposé de les transférer à la HAS parce que cette structure, nouvelle, ne dispose pas des capacités de management suffisantes pour gérer un tel réseau, et parce que les Dam travaillent en lien étroit avec les médecins conseils de l'assurance maladie. La difficulté est que nous avons d'un côté, une industrie pharmaceutique qui promeut la prescription et, d'un autre côté, une assurance maladie qui promeut la restriction de la prescription. Or il ne faut promouvoir ni l'un, ni l'autre ; il faut promouvoir le bon usage des soins. L'actuelle division du travail n'étant pas saine, nous avions proposé un compromis : permettre à la HAS d'utiliser le réseau des Dam pour certaines campagnes thématiques. Cela n'a pas été fait parce que cet organisme n'a pas été doté des moyens, ni chargé de promouvoir le bon usage des soins. Quant à la radicalité de M. Martin Hirsch, je la salue.
M. François Autain , président . - Moi aussi. Il m'a dit que cette suppression radicale était possible. Mais cela pose un problème politique. Cela ne peut se faire qu'en transférant les 18 000 visiteurs médicaux vers la HAS ou l'assurance maladie. Aucun ministre ne peut envisager une mesure aussi radicale sans compensation.
M. Pierre-Louis Bras . - Plus prudemment, nous nous étions bornés à dire que les pouvoirs publics devaient programmer le désarmement de la visite médicale. Pour des raisons sociales et humaines évidentes, cela ne peut qu'être étalé dans le temps. Mais pour ce faire, encore faut-il que ce soit une option politique affichée.
Ensuite pour financer cela, nous proposions d'utiliser la taxe sur la promotion. Plus cette promotion est taxée, moins les visites médicales sont rentables et moins il y en aura.
M. François Autain , président . - Cette taxe qui existe depuis longtemps n'a pas atteint son objectif et on a restreint son assiette. Il est anormal que la presse médicale n'y soit pas incluse. Je doute de la vertu de cette taxe pour faire diminuer la visite médicale.
M. Pierre-Louis Bras . - L'assiette de cette taxe a été progressivement érodée. On peut s'interroger... Elle n'est pas dissuasive ? Comme pour toute taxe, son effet dissuasif dépend de son taux. Si ce taux augmente, la visite médicale deviendra moins rentable. Je ne sais pas quel taux serait nécessaire. Il suffit de tester.
Le problème, c'est que l'effort de promotion sera seulement déplacé. Il se déplace déjà des généralistes vers les spécialistes et les hospitaliers, vers les « leaders d'opinion clés », les Key Opinion Leaders, (Kol ). Dans la presse pharmaceutique, on voit déjà la publicité d'agences qui se vantent d'avoir des réseaux de ces leaders d'opinion. Ces agences se constituent des « cheptels » de Kol. Actuellement ces leaders d'opinion sont à l'hôpital. Il convient donc de se poser maintenant la question des visites médicales à l'hôpital. Il faudrait leur appliquer les principes que s'imposent les hôpitaux américains les plus vertueux : pas de visite individuelle ; on reçoit les visiteurs en groupe pour pouvoir opérer des comparaisons et c'est l'équipe médicale entière qui les reçoit. Ils doivent venir sur rendez-vous et sur invitation. Tous les contacts doivent être tracés et documentés. Un visiteur médical n'a rien à faire dans l'hôpital, rien à faire auprès des internes. J'ai la faiblesse de penser que ceux-ci doivent être formés par leurs maîtres, non par ces visiteurs.
Que l'hôpital n'ait pas les moyens d'assurer cette information et cette formation alors que l'industrie pharmaceutique les a, cette idée me choque, parce que c'est nous, c'est la collectivité qui, en fixant le prix des médicaments, fournit à cette industrie ses moyens. L'argent est quelque part et, pour rendre à l'hôpital public ce qui devrait être une politique publique, il faut prendre l'argent là où il est, dans les entreprises privées, et le rendre au public, en diminuant le prix des médicaments. Actuellement, l'hôpital ne finance que 10 % de la formation hospitalière ; l'industrie pharmaceutique finance le reste...
M. Jacky Le Menn . - Puisque, dites-vous, la visite médicale ne fait que déplacer la prescription d'un produit vers un autre, globalement, la dépense médicale ne devrait pas augmenter. Les divers laboratoires viennent-ils voir tous les médecins ou bien se partagent-ils le territoire ?
M. Pierre-Louis Bras . - La visite médicale a pour effet de déplacer les marges entre produits similaires mais aussi d'augmenter la prescription. Au total, le marché est globalement soutenu.
M. François Autain , président . - Encore une concurrence qui ne fait pas baisser les prix !
M. Pierre-Louis Bras . - Traditionnellement, l'industrie pharmaceutique corrélait parts de voix et parts de marché. Maintenant, avec les génériques, ce n'est plus aussi simple.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - L'équipe hospitalière, dont vous recommandiez qu'elle reçoive collectivement les visiteurs médicaux, est-elle interdisciplinaire ? Que faire en cas d'essais cliniques ? Et comment un interne pourrait-il contester l'avis de son chef de service ?
M. Pierre-Louis Bras . - Cela signifie seulement qu'il ne doit pas y avoir de relations individuelles . Dans un staff hospitalier il y a des praticiens capables de discuter des vertus d'un médicament avec le chef de service. J'ajoute qu'il est bon de joindre les pharmaciens à l'équipe qui reçoit les visiteurs. Si un essai clinique est en cours, il faut bien sûr en tenir compte. L'important, c'est que la décision soit collective et transparente, afin d'éliminer tout conflit d'intérêts. C'est ce qui se pratique dans les hôpitaux américains qui ont décidé de se doter d'une charte déontologique fondée sur ces principes. Tout le monde y gagnerait du temps et l'assurance maladie y gagnerait de l'argent.
M. François Autain , président . - Le rôle du visiteur médical est, souvent de déplacer la prescription vers des médicaments nouveaux, plus chers mais pas meilleurs, au détriment des génériques. Depuis que les statines sont génériquées, la prescription se déplace vers celles qui ne le sont pas encore. La visite médicale incite à prescrire des princeps, beaucoup plus chers. Plutôt que de se ruiner à envoyer des Dam auprès des médecins, mieux vaudrait agir à la source en évitant de mettre sur le marché ces médicaments et, si on les y met, en leur fixant un prix inférieur à celui des produits existants. Or, ce n'est pas du tout la politique actuelle. Au motif de ne pas mécontenter tel ou tel laboratoire, on accorde à chacun d'eux le droit d'avoir sa statine. Chacun a obtenu satisfaction, ce qui a abouti à augmenter la consommation, à augmenter les dépenses de la sécurité sociale et à renforcer la compétition entre laboratoires sans aucun effet bénéfique sur la santé publique. La Nouvelle-Zélande ne compte que deux statines - au lieu de sept - et l'on n'y connaît pas plus de complications cardiovasculaires qu'en France.
Maintenez-vous les positions de votre rapport à ce sujet ?
M. Pierre-Louis Bras . - Depuis la parution de mon rapport, la situation est devenue encore plus ubuesque, avec les contrats d'amélioration des pratiques individuelles (Capi), promus par la Cnam et auxquels ont adhéré 15 000 médecins. On leur impose de prescrire dans le « répertoire » la liste des princeps et de leurs génériques. Les médicaments qui n'ont pas de génériques sont hors répertoire. Les princeps non génériqués augmentent leurs parts de marché, du fait de la visite médicale. Maintenant, donc, d'un côté on laisse se développer la visite médicale et, de l'autre, l'assurance maladie paye des Dam pour vendre des Capi aux médecins, et elle paye ceux-ci pour résister à cette visite médicale ! C'est Ubu ! Et ce n'est possible qu'à cause de l'existence de deux centres d'impulsion : le ministère et l'assurance maladie.
Les Allemands, eux pratiquent le jumbo class : en cas de médicaments équivalents, ils les remboursent sur la base du moins cher ; automatiquement, tous les laboratoires s'alignent sur ce prix remboursé.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - L'encouragement à la consommation de génériques a suscité des concurrences entre nombre de ces génériques, non indispensables, et certains excipients posent problème.
M. Pierre-Louis Bras . - Normalement, les génériques sont bioéquivalents ; et je crains que cette histoire d'excipient ne soit une propagande anti-générique. Si un jour, il y a un problème d'excipient, on le traitera mais ce n'est pas, actuellement, le problème de sécurité sanitaire qui, dans notre pays, m'inquiète le plus.
La concurrence entre génériques vient de ce que le prix est administré. Le prix des génériques est de 45 % du princeps mais leur coût de production pouvant n'en être que de 20 %, les marges sont parfois énormes et tous les génériqueurs se jettent dans un concurrence qui ne profite pas à l'assurance maladie mais aux pharmaciens. Avec un plafond de remise limité à 17 %, ces derniers font jouer la concurrence.
M. François Autain , président . - Le Gouvernement en est un peu responsable. On a donné aux pharmaciens un rôle qu'ils n'auraient pas eu si la prescription s'était faite en DCI (dénomination commune internationale). Maintenant, il serait difficile de leur retirer ce rôle.
M. Pierre-Louis Bras . - Pour que cette concurrence entre génériques profite à l'assurance maladie et non plus aux pharmaciens, la Cnam a proposé de faire des appels d'offres à tous les laboratoires du monde pour les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP), la HAS ayant établi que génériques et princeps étaient tous équivalents. Elle choisirait deux ou trois fabricants, pour ne pas avoir de rupture d'approvisionnement ; ils auraient l'exclusivité du remboursement en France. On aurait ces IPP au meilleur prix et, en plus, cela aurait l'avantage de faciliter le travail de l'Afssaps qui aurait moins d'entreprises à contrôler. Il faut étudier cette proposition de la Cnam. Je ferais cependant une réserve pour les statines dont la HAS a établi qu'elles n'étaient pas toutes équivalentes. Je m'en tiens à ce que dit la science...
M. François Autain , président . - Vous considérez donc que la charte de qualité de la visite médicale et les limitations imposées par le Ceps ont échoué ?
M. Pierre-Louis Bras . - En 2007 , nous disions que cette charte ne servirait à rien. En 2009, la HAS a confirmé notre intuition : ce n'était qu'une typique proposition d'autorégulation destinée à éviter la régulation.
M. François Autain , président . - Et la limitation du nombre de visites par classe de médicament ?
M. Pierre-Louis Bras . - C'était dans la charte, cela a été abandonné.
M. François Autain , président . - Et les reversements destinés à limiter les prescriptions, par convention entre les laboratoires et le Ceps, sont-ils efficaces ?
M. Pierre-Louis Bras . - C'est la clause de sauvegarde. C'est un outil très faible, et c'est un outil à un coup puisque chaque année la base de départ est celle du dépassement de l'année précédente. Il s'agit d'un élément du compromis.
M. François Autain , président . - Je l'avais critiqué au Sénat et n'avais pas toujours été compris.
M. Pierre-Louis Bras . - Cela ramène un peu d'argent, c'est une petite mesure comptable mais ce n'est pas une mesure fondamentale de régulation.
M. Jacky Le Menn . - Il existe une commission des médicaments dans tous les établissements hospitaliers publics, qui mène une politique de gestion maîtrisée, notamment par le biais de groupements d'achats.
M. Pierre-Louis Bras . - Le médicament étant déjà géré à l'hôpital, ce que je propose devrait instaurer naturellement une véritable discipline à l'égard des visiteurs médicaux. Les prises de position ne seraient pas influencées par la relation, la déontologie pourrait conforter la gestion du médicament à l'hôpital public.
M. François Autain , président . - Vous proposez de réactiver l'Observatoire national des prescriptions et des consommations. Pourtant, M. Bouvenot, qui en a été le premier président, a estimé, lorsque nous l'avons auditionné, que « cet observatoire devient suranné dès lors que l'assurance maladie, qui effectue notamment des enquêtes régionales, met à disposition l'ensemble de ses données : il semble qu'elle prenne cette orientation. Désormais, le problème essentiel réside plutôt dans leur exploitation » . Pensez-vous qu'on aurait obtenu des résultats différents sur le Mediator, et la loi de 1991 sur la codification des pathologies est-elle appliquée ?
M. Pierre-Louis Bras. - Non ! Les débats n'ont jamais abouti. Rapprocher prescriptions et codage des pathologies donnerait un outil plus performant, mais il faut que ce soit acceptable par les généralistes. Depuis 1993, les sociétés savantes de généralistes ont progressé sur ce point. Je pense que cette question pourrait être réactivée. L'Observatoire des prescriptions aurait plus de moyens que dans les années 2000 : on dispose de plus d'informations. Que la HAS fasse régulièrement le point par aire et par classe thérapeutique sur les comportements des prescriptions me paraîtrait utile (les rapports des années 2000 ont fait progresser les connaissances) et permettrait de promouvoir le bon usage grâce à la surveillance du marché. En effet, la politique de communication de la HAS est indexée sur l'actualité, alors que le Mediator remonte à plusieurs dizaines d'années.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - La HAS devrait-elle être l'émetteur unique des recommandations sur le médicament ?
M. Pierre-Louis Bras . - C'est ce qu'a dit le législateur, sauf pour les alertes sanitaires. Mais l'Afssaps veut continuer... Notre démarche doit partir des médecins généralistes, qui ont besoin d'un émetteur officiel d'information. Nous avons besoin d'un outil ergonomique pour une information officielle adaptée.
M. François Autain , président . - Recommanderiez-vous de fondre l'Afssaps et la HAS ?
M. Pierre-Louis Bras. - Ce serait revenir sur la loi de 2004. J'ai été sensible à la théorie du double rempart, l'Afssaps et la HAS. Celle-ci peut intervenir pour correction quand celle-là se tient tenue par les autorisations de mise sur le marché, notamment européennes. C'est devenu un enjeu important, compte tenu de l'actualité et je vois mieux qu'à l'époque l'intérêt d'un autre lieu d'expertise, d'un double rempart. J'avais consacré une annexe de mon rapport aux glitazones.
M. François Autain , président . - C'était prémonitoire... On en a retiré une, en attendant la suite...
M. Pierre-Louis Bras . - On ne savait pas ce qu'il en était à l'époque : Prescrire les excluait quand le Quotidien du médecin publiait des pages de publicité pour Sanofi-Aventis. Selon les recommandations officielles, on pouvait en prescrire en deuxième ou troisième intention malgré de moindres évaluations et un risque vasculaire. Quand vous interrogez l'Afssaps, elle explique qu'elle « transmet ses incertitudes » aux généralistes, lesquels ne peuvent aller plus loin que les experts. Elle se sent surtout tenue par les autorisations de mise sur le marché qu'elle a donnée, d'où ces recommandations en forme de communiqués de l'Onu. La HAS peut alors former un deuxième rempart. Je dis non à la fusion.
M. François Autain , président . - Vous dites donc non à la fusion. Un mot, si vous le voulez bien, des hospitalités, c'est-à-dire du financement de tout ou partie d'une manifestation dans le domaine de la santé et de l'accueil de participants, ainsi que de la loi « anti-cadeaux » de 1993. Le contrôle, qui incombe au Conseil de l'Ordre, laisse à désirer. Quelles mesures peut-on prendre et une autre instance peut-elle s'en charger ?
M. Pierre-Louis Bras . - La jurisprudence du Conseil de l'Ordre ne nous était pas apparue très claire. La transparence, voilà l'essentiel à mettre en place, grâce à une transposition du Sunshine Act. Il importe que les laboratoires déclarent, que l'on contrôle les procédures, que tout cela soit centralisé et rendu public. Je crois que c'est l'esprit d'un article de la loi Fourcade, à cette réserve qu'il faut renvoyer cela au ministre de la santé pour rendre public « qui touche quoi », et non au Conseil.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Le ministre ?
M. Pierre-Louis Bras . - C'est une mission de service public.
M. François Autain , président . - L'ordre est une sorte de tribunal administratif privé.
M. Pierre-Louis Bras . - Il n'a pas les moyens d'assurer la transparence. Aux Etats-Unis, tout est retracé : les avantages, l'hospitalité, les rémunérations, les conférences et les expertises. C'est essentiel à l'égard des leaders d'opinion.
M. François Autain , président . - On les nomme à la tête de la HAS !
M. Pierre-Louis Bras. - La transparence doit être la règle.
M. François Autain , président . - Y compris vis-à-vis des sociétés savantes ?
M. Pierre-Louis Bras . - Bien sûr, et aussi des économistes de la santé - et des politiques. Ne stigmatisons pas les médecins.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Recommanderiez-vous de recentraliser la politique du médicament au ministère de la santé ? Certes, l'Afssaps a plus de moyens, mais il s'agit d'une mission régalienne.
M. Pierre-Louis Bras . - En termes fonctionnels, une agence dispose de plus de moyens, en termes politiques, réintroduire le ministre dans le processus, je ne vois pas l'intérêt. Cela n'aurait rien changé dans l'affaire du Mediator, le risque aurait été de jeter le soupçon sur la classe politique. La décision ne doit être prise que pour des raisons de santé publique ; le principe n'est pas remis en cause ; nul besoin, donc, d'accroître la confusion. Le directeur général de l'Afssaps doit, il y va de sa responsabilité, retirer un médicament dès que le rapport bénéfices-risques devient négatif. Les politiques, quant à eux, ont à assumer un rôle d'un autre ordre : fixer la règle.
M. François Autain , président . - Que pensez-vous de la proposition de M. Xavier Bertrand de retirer au ministre l'inscription des médicaments sur les produits à rembourser ?
M. Pierre-Louis Bras . - L'enjeu de l'asymétrie établie par la loi entre le directeur de la Cnam pour les actes et le ministre de la santé pour les médicaments est l'homéopathie, qui relève de la tradition...
Le ministre doit organiser la prise de décision, mais ne peut prendre une décision d'ordre scientifique.
M. François Autain , président . - Et la fixation du prix des médicaments ?
M. Pierre-Louis Bras . - Le prix des médicaments ne se négocient pas ainsi : il est fixé par un Comité économique des produits de santé (Ceps). Puisqu'on a évoqué l'ASMR V de médicaments nouveaux, et plus chers, je puis dire que je n'ai jamais - quand j'étais représenté au Ceps - et que le directeur de la sécurité sociale n'a jamais fixé un ASMR V à un prix supérieur. Demandez des explications au Ceps. Je me rappelle que toute la complexité tient à la détermination du bon comparateur.
M. François Autain , président . - N'est-ce pas la commission de la transparence qui compare ?
M. Pierre-Louis Bras . - On peut par exemple débattre du dosage le plus proche. Si j'entends vos critiques, je n'ai pas le sentiment d'avoir toléré de telles pratiques et mon successeur pas plus que moi. Que l'on vide cette querelle en posant la totalité du problème ! Ce dossier doit être instruit.
M. François Autain , président . - On ne m'a jamais donné le montant des économies réalisées.
M. Pierre-Louis Bras . - Une ASMR V est toujours fixée en-dessous du comparateur de référence.
M. François Autain , président . - Une note de la sécurité sociale explique pourtant que l'augmentation des remboursements résulte pour moitié de médicaments nouveaux à ASMR V.
M. Pierre-Louis Bras . - Il faut purger la question.
M. François Autain , président . - Le directeur général de l'assurance maladie est très gêné ; le Ceps est placé sous la tutelle du ministre ; il y a les intérêts des patients et aussi ceux des industriels. Quel est le bon comparateur ?
M. Pierre-Louis Bras . - Le Ceps, qui se renvoie la balle du comparateur avec la Cnam, vous doit une réponse car cela fait peser des suspicions...
M. François Autain , président . - Il nous faudrait plus de temps, mais nous avons déjà beaucoup prolongé cette audition, dont je vous remercie.
Audition de M. Louis-Charles VIOSSAT, inspecteur général des affaires sociales, ancien directeur du cabinet du ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées (2002-2004) (jeudi 31 mars 2011)
M. François Autain, président . - Nous avons souhaité entendre M. Louis Charles Viossat, inspecteur général des affaires sociales, parce qu'il a été directeur de cabinet de M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées de 2002 à 2004, que nous avons déjà reçu.
Cette audition, qui est publique et ouverte, sera diffusée sur le site du Sénat et sur Public Sénat.
Vous n'êtes plus, je crois, dans la fonction publique ?
M. Louis-Charles Viossat, ancien directeur du cabinet du ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées . - Membre de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) depuis 1992, j'ai été mis à la disposition du ministère des affaires étrangères et ambassadeur de 2007 à 2009. Je suis actuellement en disponibilité et j'exerce les fonctions de directeur des affaires gouvernementales pour l'Europe d'Abbott, un groupe qui produit des traitements, des dispositifs médicaux et des spécialités pharmaceutiques.
Lorsque Jean-François Mattei m'a proposé de diriger son cabinet en 2002, j'avais passé trois ans à la Banque mondiale, aux Etats-Unis, avant de rejoindre la filiale française du laboratoire pharmaceutique américain Lilly.
M. François Autain, président . - Déjà ?
M. Louis-Charles Viossat . - J'ai demandé à l'époque au ministre d'être déchargé des décisions concernant les médicaments. Ces questions ont été traitées par Jacques de Tournemire, conseiller technique chargé du médicament, et par le ministre lui-même.
M. François Autain, président . - Auriez-vous pu être membre du cabinet du ministre actuel qui a fixé des règles très strictes en ce qui concerne les liens d'intérêts ?
M. Louis-Charles Viossat . - Je ne me suis pas posé la question. J'avais demandé à ne pas traiter ces questions, à être déchargé des relations avec les laboratoires pharmaceutiques pour éviter toute suspicion et garantir l'impartialité des décisions du ministre. Cela a été suffisant. Au cours de cette période, je n'ai donc jamais été informé ni saisi de la moindre question concernant le Mediator.
M. François Autain, président . - Vous n'êtes pas le seul : personne n'a rien vu venir.
M. Louis-Charles Viossat . - Les décisions relatives au remboursement relevaient aussi du conseiller en charge du médicament. Je tiens à souligner à ce sujet que la baisse du taux de remboursement et le déremboursement pour service médical rendu insuffisant ne constituent pas une réponse adaptée lorsque la sécurité sanitaire des patients est en jeu. Dans ce genre de situation, la seule réponse valables est l'arrêt de la commercialisation du produit suspect, une décision qui relève soit du laboratoire soit de l'Afssaps.
Pourquoi le taux de remboursement n'a-t-il pas été abaissé entre 2002 et 2004 ? Je n'ai pas d'élément à ajouter à ce que Jacques de Tournemire vous a déjà dit. Le rapport de l'Igas décrit très bien la politique de déremboursement en trois phases, imaginée par M. Mattei. Selon ce schéma, le Mediator, à propos duquel rien n'avait été signalé sur le plan sanitaire, faisait partie de la troisième vague. La complexité de la procédure de déremboursement résultait de décisions du Conseil d'Etat rendues notamment à la requête des laboratoires Servier. Dans ce contexte, Jacques de Tournemire a, à mes yeux, bien fait son travail.
Le ministre se préoccupait de renforcer la sécurité sanitaire. L'Afssaps était alors en phase de construction. Aussi avons-nous cherché à la renforcer en nous appuyant notamment sur les préconisations des rapports d'audits de l'Igas et de l'IGF. Un rapport d'information du Sénat a souligné par la suite le travail accompli dans le domaine de la pharmacovigilance.
Que faire pour éviter qu'un tel drame ne se reproduise ? Nous devons bien entendu attendre les conclusions et les recommandations des travaux d'expertise en cours. Mais les réformes envisagées devront prendre en compte avant tout l'intérêt du patient - j'ai une pensée pour les familles qui ont perdu un des leurs ou pour ceux qui craignent aujourd'hui pour leur santé. Il est clair que nous devons ensuite tenir compte de la réalité européenne et de la réglementation de l'Union dans le domaine du médicament. De nombreuses réformes sont en cours au niveau de l'Union européenne mais aussi dans certains Etats membres, dont il est possible de s'inspirer. Elles portent tantôt sur l'expertise, tantôt sur la réévaluation de la balance bénéfices-risques, le suivi post-AMM ou encore sur le remboursement. Soyons attentifs au réalisme des solutions : méfions-nous des solutions miracles ! Mieux vaut d'abord améliorer la gestion interne de l'Afssaps ; confrontée, comme les autres agences, à une croissance rapide, elle a besoin de financements adéquats et pérennes. Nous devons ensuite réévaluer le rôle, le statut et la rémunération des experts. Il convient encore de renforcer le rôle des lanceurs d'alerte et de mieux prendre en compte à l'avenir les signalements spontanés y compris les signaux faibles. Il faut aussi être plus strict dans la détection contre les conflits d'intérêts, poursuivre dans le sens des progrès déjà accomplis tout en continuant à attirer les meilleurs experts. Nous devons en outre accroître la transparence en faisant connaître les opinions dissidentes, en rendant les auditions publiques, en révélant les subventions de l'industrie aux associations de patients ou de professionnels de santé, dans l'esprit du Sunshine Act . Il s'agit enfin de former et d'informer : de former les médecins à la prescription et d'informer les patients et l'opinion publique sur le bon usage des médicaments.
M. François Autain, président . - Sachez que nous avons appris, à notre grande surprise, que le Sunshine Act n'oblige pas les laboratoires à rendre publics les liens d'intérêts avec les associations. Nous sommes donc en avance sur ce point, en France.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Plutôt que de vous interroger sur le Mediator, je vous demanderai si, à votre avis, il faut recentraliser cette mission régalienne qu'est la sécurité sanitaire ou en laisser la charge à une agence.
M. Louis-Charles Viossat . - La création d'une telle agence, en France, a marqué un progrès significatif. On série ainsi clairement les responsabilités tout en professionnalisant la fonction et en évitant les interférences.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - N'y a-t-il pas de professionnels dans une administration centrale ?
M. Louis-Charles Viossat . - C'est une affaire de moyens. L'ancienne DPHM (Direction de la pharmacie et du médicament) n'aurait jamais eu les moyens de l'Afssaps. Tous les Etats européens ont créé des agences ; le seul contre-exemple doit être la Belgique. Je vois plus d'inconvénients à un retour au statu quo ante qu'à une amélioration du fonctionnement de l'Agence existante.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Que pensez-vous de la proposition du rapport Debré-Even sur la création d'une commission indépendante des contrôles et de la méthodologie d'évaluation des essais cliniques ?
M. Louis-Charles Viossat . - Je n'ai pas encore lu ce rapport. Ce qui compte, c'est que le travail de l'Agence soit bien fait, pour le reste, je ne crois pas en l'efficacité du Meccano institutionnel : il ne modifie pas fondamentalement les choses.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - La Commission européenne propose de donner aux laboratoires pharmaceutiques la possibilité de communiquer au grand public des informations sur les médicaments, sans que cela puisse être considérer comme de la publicité. Ne considérez-vous pas que l'Etat doit être le seul à produire de l'information sur les médicaments ?
M. Louis-Charles Viossat . - Vous faites allusion au projet de directive sur l'information des patients inclus dans le « paquet » pharmaceutique. C'en est d'ailleurs le point le plus discuté de tous bords et la présidence espagnole a présenté un nouveau projet que le Parlement européen a amendé. Cela reste encore flou. Il y a une multiplicité de sources d'informations, qu'il convient d'organiser.
Mme Marie-Christine Blandin . - J'ai été agréablement surprise de vos préconisations. L'on doit être à l'écoute des lanceurs d'alerte, qu'on a refusé de prendre en compte pour le Mediator, et être sensible aux signaux faibles, dites-vous, mais selon quel protocole et par quelles méthodes ?
M. Louis-Charles Viossat . - Cela dépend d'abord de la législation européenne. La directive sur la pharmacovigilance, qui sera transposée en 2012, constitue un élément de réponse. Le développement de la base de données européenne Eudravigilance permettra de relayer davantage les informations ; elle sera d'autant plus utile que les médicaments ne sont pas commercialisés partout, et que les éléments d'information à cet égard sont rares et anciens. Grâce à un portail Internet, les patients pourront également signaler les problèmes qu'ils rencontrent. L'on gagnera aussi à associer aux dispositifs de pharmacovigilance des personnes qui ne le sont pas aujourd'hui.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Les études post-AMM sont aujourd'hui financées par l'industrie. Ne devraient-elles pas l'être sur fonds publics ?
M. Louis-Charles Viossat . - Cela représente 15 % des dépenses de recherche et développement des laboratoires. Faut-il faire évoluer les sources de financement ? Aux Etats et aux laboratoires de s'entendre si, par exemple, les exigences en matière d'études vont croissant.
M. François Autain, président . - Sur 120 études post-AMM demandées depuis 2004, 20 à 25 sont terminées... La moitié n'est même pas commencée.
M. Louis-Charles Viossat . - Leur nombre va augmenter dans le cadre des plans de gestion des risques mis en place par l'Agence européenne du médicament et, si les exigences s'accroissent, il ne serait pas illogique qu'il y ait des partenariats. Libre à chaque Etat de retenir un mode de financement.
M. François Autain, président . - Je vous remercie de vos réponses.
Audition de MM. Daniel VITTECOQ, président, et Jean-François BERGMANN, vice-président, de la commission d'autorisation de mise sur le marché de l'agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (jeudi 31 mars 2011)
M. François Autain , président . - Au moment de commencer l'audition de MM. Daniel Vittecoq et Jean-François Bergmann, président et vice-président de la commission d'autorisation de mise sur le marché (AMM) de l'Afssaps, je rappelle qu'elle est publique et ouverte à la presse et qu'elle donnera lieu à une diffusion sur le site Internet du Sénat ainsi que sur Public Sénat.
En application de l'article L. 4113-13 du code de la santé publique, je vous demande de faire connaître, le cas échéant, vos liens d'intérêts avec des entreprises produisant ou exploitant les produits de santé ou des organismes de conseils intervenant sur ces produits.
M. Daniel Vittecoq, président de la commission d'AMM de l'Afssaps . - Ma déclaration publique d'intérêts figure sur le site de l'Afssaps.
M. François Autain , président . - Celle que j'ai consultée date du 1 er octobre 2009. J'y lis l'acronyme de GlaxoSmithKline, laboratoire bien connu.
M. Daniel Vittecoq. - J'actualise très régulièrement ma déclaration de liens d'intérêts - je l'ai encore fait il y a deux ou trois mois. Tous les membres de la commission le font chaque année et nous sommes également tenus de déclarer tout nouveau lien d'intérêts.
M. François Autain , président . - Ce que je constate, c'est que celle figurant sur le site de l'Afssaps date du 1 er octobre 2009 et qu'elle fait apparaître un lien d'intérêts.
M. Daniel Vittecoq. - Effectivement, j'avais alors participé à une étude épidémiologique, mais ce n'était pas un lien d'intérêts majeur.
M. Jean-François Bergmann, vice-président de la commission AMM de l'Afssaps. - Le site de l'Afssaps fait apparaître les déclarations d'intérêts une fois seulement publié le rapport de l'année : celui de 2010 ne l'est pas encore, ce qui explique le décalage dans le temps. J'ai avec moi les déclarations d'intérêts de tous les membres de la commission à la date de sa dernière réunion : les intérêts ne sont pas majeurs, dans la hiérarchie établie par l'Afssaps.
M. François Autain , président . - Votre propre déclaration du 11 décembre 2009 fait apparaître un lien avec Sanofi-Aventis, sous la forme d'une rémunération personnelle : ce lien d'intérêts est-il mineur ?
M. Jean-François Bergmann. - Oui.
M. François Autain , président . - Que faut-il donc, pour qu'un intérêt soit qualifié de majeur ?
M. Jean-François Bergmann. - Il faut avoir des parts dans un laboratoire, ou faire partie de son conseil d'administration, intervenir dans la décision. Les liens que j'entretiens avec Sanofi-Aventis tiennent à une étude thérapeutique internationale auprès de 9 000 patients, destinée à la prévention de la mortalité en médecine interne. Je me suis battu pour que cette étude soit réalisée et je suis fier de faire partie de son comité scientifique de suivi. Les résultats de cette étude seront présentés prochainement lors d'un congrès pharmacologique à Kyoto et je ne peux compter ni sur l'Afssaps, ni sur l'AP-HP, ni encore sur mon université pour m'envoyer à ce congrès.
M. François Autain , président . - Tandis que vous pouvez compter sur l'industrie pharmaceutique et que vous acceptez même son invitation !
M. Jean-François Bergmann. - Oui, je n'ai guère d'autre choix... C'est nécessaire à la recherche.
M. François Autain , président . - Mais comment donc font les autres disciplines ? Par exemple les sociologues ou les philosophes, pour se réunir en congrès ?
M. Jean-François Bergmann. - Ils comptent sur les éditeurs...
M. François Autain , président . - Pour leur payer le voyage ? C'est peu probable...
M. Jean-François Bergmann. - Vous-mêmes quand vous vous déplacez pour le Sénat, c'est bien le Sénat qui paie votre voyage...
M. François Autain , président . - Oui, parce que je suis sénateur. Vous-même, avant d'être employé par l'industrie pharmaceutique, vous êtes professeur d'université et salarié de l'hôpital : tout comme le Sénat paie mes voyages professionnels, ce devrait être à votre université ou à l'AP-HP de vous défrayer, mais en l'occurrence, c'est l'industrie pharmaceutique ! Un groupe agroalimentaire m'a récemment invité à visiter la plus grande fabrique de chocolat du monde, à La Haye, j'ai refusé d'y aller, même si certains de mes collègues ont fait le voyage, parce que j'ai estimé qu'il y avait un conflit d'intérêts.
M. Jean-François Bergmann. - L'université nous fait obligation de faire de la recherche, qui entre dans notre évaluation en points, mais elle ne nous en donne pas les moyens. Je serais ravi que mon université ou l'AP-HP finance l'essai thérapeutique international auquel je suis associé, mais cela n'a pas été possible et je n'avais pas d'autre choix que de me tourner vers l'industrie pharmaceutique, en l'occurrence Sanofi-Aventis.
M. François Autain , président . - Je ne vois aucune objection à ce que vous participiez aux essais financés par Sanofi-Aventis et que vous en fassiez bon usage. Le problème vient simplement du fait que vous participiez également à la commission chargée d'autoriser la mise sur le marché de médicaments produits par le même laboratoire pharmaceutique. Le règlement de l'Afssaps est très clair contre les conflits d'intérêts. Or, ce que je constate, c'est que les quatorze membres de votre commission qui ont des liens d'intérêts avec Sanofi-Aventis, ont pris part à des décisions sur des médicaments fabriqués par ce même laboratoire : c'est violer le règlement de l'Afssaps, voilà où est le problème ! C'est arrivé en septembre 2010.
M. Daniel Vittecoq. - Je peux témoigner qu'à chaque fois qu'une décision a concerné Sanofi-Aventis, M. Bergmann est sorti de la salle.
M. François Autain , président . - J'ai devant moi le compte rendu de la réunion du 9 septembre 2010, il n'est nulle part indiqué que M. Bergmann soit sorti, alors que le sort de médicaments de Sanofi-Aventis comme le Lovenox ou le Maalox a été décidé. Le seul qui soit sorti, c'est M. Jean-Roger Claude, en raison d'un conflit d'intérêts important sur le dossier du Bufexamac.
M. Daniel Vittecoq. - Je dois préciser ici que les comptes rendus de réunion n'étaient pas aussi détaillés qu'aujourd'hui, en particulier sur les « sorties de salle ». Ce n'est que depuis cette année que nous publions un véritable verbatim de nos réunions. Mais cela n'enlève rien à l'information que je vous ai donnée.
M. François Autain , président . - Vous reconnaissez cependant que, le 9 septembre 2010, votre règlement n'a pas été respecté ?
M. Daniel Vittecoq. - Non, je n'ai pas avec moi le détail des « sorties de salle », qui n'étaient pas portées alors au compte rendu.
M. Jean-François Bergmann. - Nous avons changé notre procédure et désormais, tous les membres de la commission qui ont un conflit d'intérêts majeur sont prévenus à l'avance des dossiers lors de l'examen desquels ils devront sortir de la salle. Il faut savoir aussi que les médicaments peuvent être examinés par groupes, par exemple les antitussifs, et qu'il s'agit parfois de changer une ligne au registre des caractéristiques du produit (RCP). Et si nous devons sortir systématiquement quand nous avons un lien d'intérêts avec un laboratoire, pourquoi ne devrions-nous pas aussi sortir quand il s'agit d'un concurrent de ce laboratoire ? A ce jeu, nous sortirions tous à tout moment...
M. François Autain , président . - N'apportez-vous pas ici la preuve que le système actuel ne peut pas fonctionner ? Pourquoi ne pas plutôt faire de l'absence de tout lien d'intérêts avec les laboratoires pharmaceutiques, une condition de participation à la commission d'autorisation de mise sur le marché ? Ce serait plus clair !
Ensuite, nous avons appris incidemment que le Leem, c'est-à-dire le syndicat professionnel des entreprises du médicament, était systématiquement présent aux réunions de la commission d'autorisation de mise sur le marché. Ici encore, la réglementation n'était pas respectée : cela ne vous posait pas un problème ?
M. Daniel Vittecoq. - Personnellement, si, et je m'en suis ouvert au directeur général de l'Afssaps.
M. François Autain , président . - Il semble que vous n'ayez pas été entendu !
M. Daniel Vittecoq. - De fait, le Leem avait le statut d'invité permanent lorsque je suis arrivé à la tête de la commission, et je m'en suis inquiété auprès du directeur général de l'époque.
M. François Autain , président . - Rien, dans le règlement de votre commission, n'autorise une telle présence, et votre règlement ne comporte nulle trace d'un statut d'invité permanent ! L'article 4-7 précise quelles personnes non-membres de la commission peuvent participer à ses réunions. Outre les évaluateurs, qui peuvent y assister en tant que de besoin, cet article dispose que toute autre présence devra être dûment autorisée, en particulier par le président de la commission. Et j'y lis encore ceci : « Exceptionnellement, des personnes extérieures à l'Afssaps, notamment des stagiaires, pourront assister en nombre restreint à une séance de la commission avec l'accord préalable du directeur de la DEMEB et du président de la commission. Il sera fait état de la présence de ces personnes en début de séance afin de s'assurer qu'elle ne suscite pas d'objection de la part des membres de la commission. Ces personnes signent un engagement de confidentialité avant la séance. »
Etait-ce le cas avec le Leem ? Assurément non ! C'est donc que cet article de votre règlement intérieur n'a pas été respecté ! L'Igas a dit vrai, dans son rapport, en parlant d'une « coproduction » de la politique du médicament entre les industriels et les experts ! Il faudrait peut-être mettre fin à de telles pratiques si l'on veut rétablir la confiance de nos concitoyens dans leurs autorités de santé !
M. Daniel Vittecoq . - En 2003, je m'en étais inquiété auprès du directeur général de l'époque, M. Philippe Duneton, j'ai recommencé auprès de son successeur, M. Jean Marimbert. On m'a opposé des raisons techniques, en m'affirmant que cette présence était un gage d'efficacité pour mieux répercuter les décisions de l'Agence auprès des industriels. Je n'avais guère de moyens de m'y opposer, sauf à démissionner, mais cette présence du Leem ne m'est pas apparue nocive à ce point et j'avais obtenu que les membres de la commission sortent de la salle en cas de conflit d'intérêts. Le nouveau directeur général, M. Dominique Maraninchi, a accepté de mettre fin à la présence du Leem, c'est une bonne chose.
M. François Autain , président . - Etiez-vous convaincu par les motifs qu'on vous présentait pour justifier la présence des représentants du Leem ?
M. Daniel Vittecoq. - Non.
M. Jean-François Bergmann . - Je crois entendre vos sous-entendus, monsieur le président...
M. François Autain , président . - Lesquels ?
M. Jean-François Bergmann . - Que nous serions des vendus, des pourris...
M. François Autain , président . - Je n'ai rien dit de tel !
M. Jean-François Bergmann . - Une certaine presse l'a dit et des parlementaires lui ont emboîté le pas ! Quoi qu'il en soit, je veux préciser que le Leem n'a jamais pris part à nos débats et que sa présence répondait à un souci d'efficacité pour l'Afssaps elle-même, s'agissant de faciliter certaines démarches réglementaires.
M. François Autain , président . - Vous est-il venu à l'idée, par exemple, d'inviter à votre commission des associations de malades ? Cela est-il arrivé ? Ceci même occasionnellement, je ne parle pas, bien sûr, de ce « statut d'invité permanent » que vous réserviez aux laboratoires...
M. Daniel Vittecoq . - Les associations de malades n'ont jamais participé à notre commission, je le regrette et mon combat de longue date pour faire prendre en compte leur point de vue, atteste de ma bonne foi. Je crois que vous surestimez notre pouvoir d'influence.
M. François Autain , président . - Non, je vous reproche seulement de ne pas avoir bien appliqué la réglementation ! Je ne mets pas en doute votre intégrité, je constate seulement que vous n'appliquiez pas l'article de votre règlement intérieur relatif à la participation à vos réunions. Comme sénateur, il est de mon devoir de contrôler l'action de l'administration !
M. Jean-François Bergmann. - Je peux témoigner de ce que M. Vittecoq s'est engagé de longue date pour faire connaître le point de vue des patients ! Vous paraissez méconnaître nos conditions d'intervention. Savez-vous que nous sommes parfaitement bénévoles ?
M. François Autain , président . - C'est important de le dire.
M. Jean-François Bergmann. - Si nous participons aux travaux de l'Afssaps, ce n'est pas pour l'argent, mais uniquement parce que nous croyons à l'évaluation, à la santé publique. Pourquoi croyez-vous que nous acceptons de lire le dimanche des rapports de 900 pages et de passer des matinées en réunion ?
M. François Autain , président . - Ma perspective n'est pas de croire, mais d'observer...
M. Jean-François Bergmann . - Nous faisons bénévolement tout ce travail en plus de nos fonctions de recherche et d'enseignement, alors acceptez que nous ne connaissions pas dans le détail toute la réglementation relative à l'Afssaps !
M. François Autain , président . - Remplissez-vous ces fonctions bénévoles à côté, ou bien sur votre temps de travail ? Ensuite, je ne vous parlais que du règlement intérieur de votre commission, pas de toute la réglementation relative à l'Afssaps.
M. Jean-François Bergmann . - Notre participation aux réunions elles-mêmes compte sur notre temps de travail, au titre de nos missions de pharmacovigilance, mais pas le travail préparatoire, qui est souvent très important.
Mme Marie-Christine Blandin . - Vous nous dites que le Leem était présent en permanence, que ses représentants ne participaient pas au débat de fond mais qu'ils n'étaient pas muets non plus. Ces représentants, étaient-ils toujours les mêmes ? Combien étaient-ils ?
M. Daniel Vittecoq . - Il y avait deux représentants, toujours les mêmes. Ils n'intervenaient pas sur le fond, mais sur des questions réglementaires.
M. François Autain , président . - S'ils étaient là, vous ne leur refusiez pas non plus la parole...
M. Daniel Vittecoq . - Cependant, lorsqu'une décision devait être prise en équité, je leur demandais de sortir de la salle.
M. Jacky Le Menn . - Comment votre commission décide-t-elle son avis ? Par un vote à main levée ?
M. Daniel Vittecoq . - Les groupes de travail examinent les rapports, souvent volumineux, y compris l'évaluation interne et les expertises externes. La décision elle-même est généralement consensuelle, mais on vote à main levée.
M. François Autain , président . - Sous les yeux, donc, des représentants des laboratoires pharmaceutiques !
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Vous arrive-t-il de recourir au vote secret ?
M. Daniel Vittecoq . - Sur certaines questions sensibles, nous votons par écrit.
M. François Autain , président . - Le proposez-vous systématiquement, pour le cas où l'un des membres de la commission le souhaiterait ?
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Pourquoi est-il si facile d'obtenir une AMM - accordée dans 95 % des cas - et si difficile de la retirer ?
M. Daniel Vittecoq . - Pourquoi est-il si difficile de retirer une AMM ? C'est notre douleur... Je dirais qu'il y a d'abord le risque contentieux, que le laboratoire se retourne contre la décision de retrait, c'est arrivé récemment.
M. François Autain , président . - C'est l'exception qui confirme la règle !
M. Daniel Vittecoq . - Le risque est bien réel, les laboratoires recourent à des avocats très avisés et puissants. Il est certain que, plus les procédures seront transparentes, plus nous gagnerons en capacité d'action.
M. Jean-François Bergmann . - Il faut distinguer entre les années 1970-80, où l'obtention d'une AMM était sans difficulté pour les laboratoires, du fait d'un contrôle sanitaire insuffisant, les années quatre-vingt-dix, où l'AMM a fait l'objet de règles nationales strictes, et la période actuelle, où l'AMM est devenue européenne et d'obtention moins contraignante que sous l'empire des règles nationales. De fait, les règles européennes sont plus souples et il suffit que la majorité des Vingt-Sept valide, pour que l'AMM vaille en France, alors même que nous ne l'aurions pas accordée en appliquant nos critères nationaux. Or, certains de nos voisins ne sont pas aussi stricts que nous, pour des raisons diverses. Aux Pays-Bas, par exemple, l'Autorité de santé est plus souple, mais parce qu'elle sait pouvoir compter sur la prudence des médecins hollandais.
M. François Autain , président . - Les médecins hollandais seraient plus prudents que les médecins français ?
M. Jean-François Bergmann . - Non, c'est plutôt qu'ils auraient moins tendance à prendre une AMM pour une recommandation... En Europe orientale, la souplesse tient à ce qu'on ne veut pas donner l'impression d'être en retard dans la pharmacopée, même si l'on sait pertinemment que l'assurance maladie ne remboursera pas les nouveaux médicaments autorisés.
Pour retirer une AMM, il faut des éléments nouveaux, qui démontrent une moindre efficacité que prévu, ou encore une nocivité qui apparaîtrait. Mais pour établir ces éléments, il faut des études précises, et les laboratoires ne se précipitent pas toujours pour réaliser ces études, alors qu'ils sont les seuls à disposer des ressources nécessaires.
M. François Autain , président . - Si vous disposiez de plus de moyens, réaliseriez-vous ce type d'études ?
M. Jean-François Bergmann . - Bien sûr, même si, évidemment, l'efficacité du système dépend de la pharmacovigilance. Il faut pouvoir identifier les liens de causalité, chercher là où l'on a une chance de trouver, l'arbitrage entre priorités est essentiel. On l'a vu par exemple avec les statines : une seule a été retirée du marché, parce qu'elle avait un effet musculaire plus important que les autres - encore fallait-il bien l'identifier. Or, notre système de recueil des effets indésirables est encore bien trop poreux pour que la collecte soit efficace sur ce plan.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Pouvez-vous nous rappeler dans quelles conditions l'AMM du Mediator a été délivrée aux laboratoires Servier ?
M. Jean-François Bergmann . - C'était en 1974, autant dire sinon dans le désert, du moins dans la brousse...
M. Daniel Vittecoq . - Effectivement, nous n'étions guère organisés... Cependant, les autorités sanitaires n'ont pas rien fait puisqu'elles ont demandé des études post-AMM en 2000, alors que le risque de valvulopathie n'était pas identifié. Mais l'étude a démarré tardivement et elle n'a livré ses résultats qu'en 2009.
M. François Autain , président . - C'est particulièrement long, en effet ! D'autres études post-AMM sont bien plus diligentes !
M. Daniel Vittecoq . - Certes, mais il faut réaliser aussi que le programme hospitalier de recherche clinique (PHRC) n'avait pas identifié le risque de valvulopathie.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Le PHRC n'est pas suffisant ?
M. Daniel Vittecoq . - Pas dans le cas du Mediator. Les experts ne peuvent être tenus pour responsables de tout, il faut prendre en compte les outils dont nous disposions !
M. François Autain , président . - L'efficacité des laboratoires force l'admiration... J'aimerais pouvoir en dire autant des autorités de santé...
M. Daniel Vittecoq . - Je ne vois pas en quoi un laboratoire qui traîne à faire une étude qu'on lui demande, force l'admiration... Ensuite, je crois que, si les effets indésirables avaient été mieux collectés, en particulier par les médecins, il aurait été plus facile d'y voir clair.
M. François Autain , président . - Ce qui est admirable de la part de Servier, c'est d'avoir pu maintenir pendant trente ans un médicament inutile et toxique, sans que les autorités de santé l'en empêchent ! Il a fallu qu'Irène Frachon déploie une énergie colossale pour faire admettre la toxicité du Mediator ! Cependant, je sais que vous attribuez cette découverte non pas à son travail acharné mais à l'étude Regulate ... Je le lis dans un mail que vous avez envoyé à Mme Nancy Claude, chargée des relations avec la presse de Servier et qui est tout à fait explicite sur ce point !
M. Daniel Vittecoq . - Vous évoquez un mail privé que j'ai envoyé à M. Jean-Roger Claude, dont l'épouse travaille effectivement pour Servier.
M. François Autain , président . - Vous me l'apprenez, mais cela ne change rien à l'affaire...
M. Daniel Vittecoq . - Puisque vous m'en donnez l'occasion, je tiens à dire mon admiration pour Irène Frachon, qui a su déceler ce qu'aucun d'entre nous n'avait vu, en particulier les chirurgiens cardiologues...
M. François Autain , président . - Comment auraient-ils pu l'être, si les risques du Mediator pour l'hypertension et la valvulopathie étaient dissimulés ?
M. Daniel Vittecoq . - Le Mediator produit une forme atypique de valvulopathie, d'aspect bourgeonnant, qui aurait dû frapper les chirurgiens, mais ceux-ci ont pu avoir du mal à repérer le lien de causalité. Cependant, si le système de pharmacovigilance avait bien fonctionné, ce lien aurait pu être établi bien plus tôt.
L'étude que nous avons demandée a démarré tardivement, heureusement qu'Irène Frachon avait avancé de son côté, en réalisant un travail de très grande qualité auquel je rends hommage puisqu'elle a comparé les données cliniques avec celles du PMSI. Dans mon établissement, j'ai réalisé une étude comparant, à partir du PMSI, la tolérance aux anticancéreux et leurs effets secondaires, en m'appuyant sur le résumé des caractéristiques du produit (RCP) et je n'ai pas trouvé grand-chose. Irène Frachon, elle, a frappé dans le mille.
M. François Autain , président . - Dès 1999, le professeur Georges Chiche, de Marseille, alertait les autorités sur les dangers possibles du Mediator, il faisait donc le rapprochement, mais tout le monde lui est tombé dessus !
M. Daniel Vittecoq . - Je l'ai appris tardivement.
M. François Autain , président . - Il y avait donc au moins un cardiologue qui avait vu quelque chose, mais personne ne l'a pris au sérieux, on lui a fait une réputation de farfelu !
M. Jean-François Bergmann . - Nous sommes au coeur du problème. On peut certes regretter de ne pas avoir fait nous-mêmes le travail décisif d'Irène Frachon, mais aussi que les premières alertes, dont celle du professeur Chiche en 1999, n'aient pas déclenché une procédure, pour qu'au moins le RCP soit modifié, ce qui aurait facilité le recueil d'information pertinentes. Pourquoi ce recueil de données est-il si difficile ? J'étais récemment au congrès de la société française de pharmacologie et de thérapeutique à Grenoble...
M. François Autain , président . - Invité par un laboratoire ?
M. Jean-François Bergmann . - Non, j'ai payé moi-même mon billet de train, ce qui n'est guère normal, vous en conviendrez. Et lors de ce congrès, chacun pouvait se rendre compte du nombre très important d'alertes de pharmacovigilance. Idem pour tout lecteur de la revue Prescrire , que je connais bien pour avoir participé à son comité de rédaction pendant des années...
M. François Autain , président . - Vous n'y êtes plus ?
M. Jean-François Bergmann . - Non, j'en ai été chassé le jour où je suis devenu maître de conférences à l'université, ce qui ne m'a pas empêché de continuer à la lire et à l'aimer... Dans chaque livraison, on trouve au moins quarante avis de pharmacovigilance !
M. François Autain , président . - Je le lis également et je trouve que vous exagérez ce chiffre...
M. Jean-François Bergmann . - En tout cas, les alertes sont en nombre bien plus grand que celui des études que nous pouvons lancer, et si nous avons manqué de génie scientifique, c'est dans la sélection des priorités. Il faut aussi coupler les informations avec celles du PMSI et avec celles de la Cnam, laquelle a mis beaucoup de temps à accepter de coopérer.
M. François Autain , président . - Il faudrait aussi joindre l'Insee, pour la mortalité...
M. Jean-François Bergmann. - Encore que les statistiques de la mortalité soient réalisées à partir d'actes de décès rendus anonymes... Ce que je veux dire, c'est que le système public d'information est lourd à mettre en place, que les résistances au partage des sources y sont nombreuses, mais qu'en face, les laboratoires disposent de moyens très importants pour bloquer les informations pertinentes. Dans l'affaire du Mediator, j'ai été étonné de la rapidité avec laquelle Servier a lâché du lest, alors qu'il avait fallu trois ans au professeur Gérald Simonneau pour obtenir le retrait de l'Isoméride.
M. François Autain , président . - L'interdiction de l'Isoméride aux Etats-Unis n'y était pas étrangère.
M. Jean-François Bergmann . - C'est vrai, mais pour le Mediator, trois mois, cela a été rapide.
M. François Autain , président . - Il faudra que vous l'expliquiez aux Français...
M. Jean-François Bergmann . - Ce que je vous accorde volontiers, c'est que le système sanitaire a été lent, trop lent, empêtré dans ses habitudes et qu'il a été particulièrement inefficace face à la mauvaise volonté de Servier.
M. François Autain , président . - Servier est-il une exception ?
M. Jean-François Bergmann. - En trente-cinq ans d'expertise, je n'ai jamais rien vu de tel.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Deux génériques du Mediator ont été mis sur le marché en 2009, deux mois avant la suspension du Mediator : pourquoi ?
M. Daniel Vittecoq . - Parce que la procédure était déjà lancée et que l'AMM d'un générique se contente de la bioéquivalence. Nous nous sommes focalisés sur le princeps, et pour les génériques, la bioéquivalence suffit.
M. François Autain , président . - Le doute sur le médicament n'était-il pas suffisant ? L'Igas n'a-t-elle pas raison de dire que le doute profite toujours aux labos et jamais aux patients ?
M. Daniel Vittecoq . - Faut-il refuser de « génériquer » tous les médicaments sur lesquels nous avons des doutes ? La règle, c'est la bioéquivalence.
M. François Autain , président . - Ne peut-on surseoir, dans l'attente de la décision sur le princeps ? Avez-vous à ce point peur du contentieux, que vous préférez prendre de tels risques pour la santé des patients ?
M. Jean-François Bergmann . - Il est toujours plus facile de se positionner a posteriori ... Cependant, sur ces deux génériques, nous ne sommes pas fiers...
M. François Autain , président . - Vous ne recommencerez donc pas, comme on le dit aux enfants qu'on vient de gronder ?
M. Jean-François Bergmann . - Nous avons à examiner trente à soixante-dix génériques tous les quinze jours, nous nous contentons de la bioéquivalence : les experts ne peuvent pas refaire le travail des études cliniques, s'il y a bioéquivalence, le générique suit le princeps ! Si la réglementation ne convient pas, ce n'est pas à nous de la changer...
M. Daniel Vittecoq . - Cependant, il y a bel et bien un problème spécifique avec les génériques, notamment pour ceux dont le princeps a été retiré du marché, parce que la pharmacovigilance est moins efficace pour les génériques.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - L'AMM est accordée d'après un préjugé favorable, qui résulte d'études sur des populations ciblées, tandis que le retrait d'AMM exige la démonstration d'un échec, par l'accumulation d'informations apparemment difficiles à recueillir : n'y a-t-il pas un décalage entre les deux procédures ?
M. Daniel Vittecoq . - Le retrait peut également résulter d'une étude qui fasse apparaître un rapport bénéfices-risques défavorable.
M. François Autain , président . - Ce que Mme le rapporteur souligne, c'est que pour une AMM, il suffit d'une présomption, alors que pour un retrait, il faut une preuve.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - De plus, lors de la mise sur le marché, on a testé le médicament en fonction de normes pasteuriennes, alors que dans la réalité, les malades susceptibles de prendre le médicament sont souvent atteints de maladies chroniques, ce qui constitue un tout autre environnement, avec des risques d'effets indésirables bien plus nombreux, et non testés avant l'AMM.
M. Daniel Vittecoq . - Il est vrai que l'étude préalable à l'AMM, qui établit si la balance avantages-risques est favorable ou non, ne se déroule pas dans la vraie vie, mais en laboratoire, ou bien auprès de populations ciblées, avec tout le talent que l'on sait des laboratoires pour bien cibler les populations en fonction des résultats désirés. L'Afssaps met en place des plans de gestion des risques, qu'il faudrait évaluer. Ensuite, dès lors que les pathologies évoluent, les médicaments ont eux-mêmes un cycle de vie, leur efficacité n'est pas constante, ni le spectre de leurs effets. Tout ceci doit être mieux pris en compte dans les alertes.
M. Jean-François Bergmann . - Les laboratoires, de leur côté, en sont à demander - et ils ont des chances de l'obtenir des autorités européennes - une AMM conditionnelle, c'est-à-dire une mise sur le marché autorisée avant que toutes les études ne soient terminées.
M. François Autain , président . - Ce sont les autorisations temporaires d'usage (ATU) ?
M. Jean-François Bergmann . - Non, c'est une nouvelle procédure, qui est en cours d'instruction. Il ne faut pas perdre de vue que l'autorisation résulte d'un arbitrage de santé publique entre bien des considérations. Un industriel peut faire valoir que le traitement réussi de plusieurs dizaines de milliers de patients peut justifier quelques accidents, une mortalité très limitée. Des associations de malades sont allées dans ce sens, s'agissant de la sclérose en plaques. Et la nocivité d'un médicament peut se réduire avec le temps. L'arbitrage est complexe, souvent très difficile à faire : nous sommes parfois bien incapables de dire où est le juste.
M. François Autain , président . - Si vous ne le savez pas, qui le saura ?
M. Daniel Vittecoq . - Dans cet ordre d'idées, j'ai demandé, et obtenu, de pouvoir inviter des associations de patients pour assister à certaines de nos commissions, pour mieux faire connaître leur position et qu'elles soient mieux informées de notre travail.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Etes-vous saisis des dispositifs médicaux ? Quid des produits technologiques innovants ?
M. Daniel Vittecoq . - Les dispositifs médicaux n'entrent pas dans nos compétences et les produits technologiques innovants ne font pas l'objet d'essais randomisés, c'est un vrai problème, surtout que ces produits peuvent servir dans le cadre d'essais comparateurs.
M. François Autain , président . - Que pensez-vous des essais comparatifs pré-AMM ?
M. Daniel Vittecoq . - Ils sont systématiques, sauf pour les maladies orphelines, quand l'essai comparateur n'est guère possible.
M. Jean-François Bergmann . - Quand un industriel développe un nouveau médicament, il espère toujours qu'il sera meilleur que ceux qui se trouvent sur le marché. Aussi fait-il des études fondées sur des études dites de « non-infériorité » aux médicaments disponibles, ce qui n'est pas de la plus grande exigence quant à l'amélioration du service médical rendu (AMSR).
Et ces essais de non-infériorité sont, pour des raisons méthodologiques, très faciles à biaiser. On leur demande de faire des essais qui ne sont pas forcément une garantie absolue de non-infériorité. D'autre part, avons-nous vraiment besoin d'élargir notre arsenal avec des produits qui sont au mieux non inférieurs ? On l'élargit parce les industriels espèrent, au départ, que leur produit est meilleur et parce que nous sommes dans une économie libérale où rien n'interdit de créer un 24 ème bétabloquant alors qu'il en existe déjà 23 sur le marché. Et nous n'avons pas le droit de l'interdire dès lors qu'il a montré sa non-infériorité.
M. François Autain , président . - Et pourquoi n'exigez-vous pas qu'il soit plus efficace ?
M. Jean-François. Bergmann . - Si un jour, vous législateurs, décidez qu'on ne donnera l'AMM qu'au meilleur médicament, nous appliquerons cette règle. Mais vous ne prendrez jamais cette décision ; ce serait la mort de la recherche et de l'industrie pharmaceutiques.
M. François Autain , président . - Pourtant, de plus en plus, les laboratoires se séparent de leurs centres de recherche.
M. Jean-François Bergmann . - Non. Seul Abbott a fermé son centre d'Angleterre pour s'installer en Russie où c'est moins cher....
M. François Autain , président . - En tout cas, ils investissent moins dans la recherche que dans le marketing. A mettre sur le marché des médicaments pas plus efficaces que les anciens, on tue la recherche. Nous avons besoin de médicaments, non pour faire vivre la recherche, mais pour soigner les patients. Je ne dis pas qu'il ne faut plus financer la recherche ; il faut le faire mais par d'autres moyens.
M. Jean-François Bergmann - Dans les années quatre-vingts, ce fut l'âge d'or de la recherche, où l'on a découvert beaucoup de produits nouveaux. Nous voudrions tous avoir encore de belles AMM pour de nouveaux produits et de bonnes ASMR à 1, 2 ou 3. Mais que faire face à l'industriel qui se lance, investit 2 milliards, développe un produit, puis n'aboutit qu'à un résultat de non-infériorité ? On lui refuse la mise sur le marché ? Si vous prenez des décisions législatives en ce sens, il nous sera facile de les appliquer. La Finlande a fait cela il y a quelques années. Résultat ? Il n'y a plus là-bas aucun laboratoire qui ait développé quoi que ce soit.
M. François Autain , président . - Les médicaments bénéficiant de l'AMM sont automatiquement remboursés. C'est donc l'assurance maladie qui finance la recherche par le biais de ces médicaments que vous mettez sur le marché uniquement pour que l'industrie puisse continuer à faire de la recherche mais aussi rémunérer grassement ses actionnaires.
M. Jean-François Bergmann . - Jusqu'à nouvel ordre nous sommes dans une économie libérale et, dans notre pays, on n'a pas encore décidé d'administrer la recherche pharmaceutique. Et si, demain, on la limite à l'Inserm et au CNRS, les laboratoires iront ailleurs, aux Etats-Unis, en Suisse ou au Japon qui regroupent déjà 65 % de l'industrie pharmaceutique.
M. François Autain , président . - Les laboratoires cherchent, mais trouvent de moins en moins. On continue de mettre sur le marché des médicaments inutiles, à seule fin de perpétuer une recherche qui ne trouve pas grand-chose d'utile.
M. Jean-François Bergmann . - Il y a quand même des nouvelles spécialités qui sont utiles. Et lorsque vous commencez une recherche, vous espérez mais ne savez pas d'avance ce que vous trouverez.
M. François Autain , président . - C'est la même chose pour n'importe quelle industrie où il arrive de mettre au point une nouveauté que le consommateur n'apprécie pas.
M. Jean-François Bergmann . - Dans ce monde du médicament, le libre choix ou le plaisir du consommateur n'existent pas et c'est là la difficulté. On peut avoir l'impression qu'un médicament permettra à un patient d'aller mieux mais ce ne sera pas valable pour un autre patient. Cette impression n'a pas de valeur scientifique. Ce secteur souffre de l'absence d'outils de mesure d'efficacité... et de la crédulité des prescripteurs.
M. François Autain , président . - Sont-ils entièrement responsables ?
M. Jean-François Bergmann - Ils sont coresponsables. En tant qu'enseignant, je tente de former les futurs médecins au bon usage du médicament, et à l'esprit critique. Mais, ensuite, intervient le rouleau compresseur des visiteurs médicaux, des porte-clés et autres « stylobilles ». C'est David contre Goliath ! Et le médecin français est ce que, en marketing, on appelle « un prescripteur rapide ». Il aime beaucoup le médicament moderne et, dans notre pays, la vitesse de pénétration d'un nouveau produit est beaucoup plus rapide qu'ailleurs.
M. François Autain , président . - Je lis dans Le Monde : « Jean-François Bergmann met le doigt sur le cancer qui ronge l'hôpital public et, hélas, l'ensemble de la médecine française. Le soin aux malades est devenu une industrie qui doit faire du profit. D'où le déluge de scanners, d'IRM, d'appareils de plus en plus coûteux. Il faut les user, les amortir, les remplacer. Leurs fabricants sont à la porte dans l'attente fébrile de nouvelles commandes » etc, etc. Je suis tout à fait d'accord. Mais le médicament dans tout cela ?
M. Jean-François Bergmann . - C'est pareil.
M. François Autain , président . - Vous l'avez oublié ? On pourrait croire que vous n'avez pas de liens d'intérêts avec les fabricants de scanners mais que vous en avez avec l'industrie pharmaceutique.
M. Jean-François Bergmann . - J'ai très souvent écrit sur le médicament et, là, dans cet article « Trois maladies de l'hôpital public », j'ai abordé d'autres aspects de la question. J'ai écrit dans Le Monde , une fois sur les évaluateurs et plusieurs fois sur le médicament et la FMC. Le scannographiste qui explique que son scanner précédent est démodé est exactement comme mes enfants qui réclament la Nintendo 4 pour remplacer la Nintendo 3 obsolète.
M. François Autain , président . - Oui, mais la Nintendo n'est pas remboursable par la sécurité sociale...
M. Jean-François Bergmann . - Le visiteur médical incite le praticien à prescrire le médicament le plus moderne et non le générique. Je suis le premier à dénoncer ce système mais c'est notre système, celui que le législateur a voulu.
M. François Autain , président . - Dans Le Monde , vous aviez défendu le Vioxx....
M. Jean-François Bergmann . - J'y écrivais qu'on n'avait pas tenu compte des hémorragies digestives. Aujourd'hui, en termes médiatiques, provoquer un infarctus, c'est un crime, mais provoquer une hémorragie digestive, c'est moins grave. C'est l'éternel problème du rapport bénéfices-risques. Il aurait fallu mesurer le nombre d'infarctus induits et celui des hémorragies digestives évitées. Merck a retiré le Vioxx du marché après avoir comparé le coût d'indemnisation d'un infarctus américain avec le profit qu'il retirait de ce produit. En AMM, il aurait fallu étudier les données de pharmacovigilance et celles de l'efficacité du produit.
M. François Autain , président . - C'est sans doute pourquoi vous avez mis l'Arcoxia sur le marché...
M. Jean-François Bergmann . - L'Arcoxia a été mis sur le marché par une AMM européenne à laquelle la France s'était opposée. L'Afssaps a utilisé toutes les arguties pour tenter d'empêcher cette mise sur le marché.
M. Daniel Vittecoq . - Elle l'a tenté pendant trois ans et n'a cédé qu'après une menace de sanction européenne.
M. François Autain , président . - Beaucoup de médecins prescrivaient le Vioxx en même temps qu'un inhibiteur de la pompe à protons. C'était ceinture et bretelle...
M. Daniel Vittecoq . - En dehors de l'étude Mucosa , aucune autre étude ne démontre que l'association IPP et anti-inflammatoire non stéroïdien diminue l'incidence des hémorragies digestives. Donc c'est une prescription un peu conjuratoire. Un échec de plus...
M. François Autain , président . - J'espère que beaucoup de médecins vous entendront. Merci et peut-être à bientôt.
Audition de Mme Virginie BAGOUET, journaliste scientifique (mardi 5 avril 2011)
M. François Autain , président . - Nous accueillons Mme Virginie Bagouet journaliste scientifique dont l'histoire est pleine d'enseignements. Avant de lui passer la parole, je voudrais lui rappeler, afin qu'il n'y ait pas de malentendu, que cette audition est ouverte à la presse et qu'elle fait l'objet d'un enregistrement audiovisuel en vue de sa diffusion sur le site Internet du Sénat et éventuellement sur la chaîne Public Sénat . Je vous prie d'excuser l'absence de Mme la rapporteure, sollicitée par le débat sur la bioéthique. Nous commençons cette audition sans elle. La parole est à Mme Bagouet pour une intervention liminaire.
Mme Virginie Bagouet, journaliste scientifique. - J'ai accepté de venir témoigner devant vous car j'ai été victime des pressions exercées par les laboratoires Servier sur la rédaction d'un journal médical que je viens de quitter. Je suis journaliste scientifique de formation. J'ai travaillé dans la presse locale, puis dans un mensuel destiné aux chercheurs. Je suis entrée à Impact Médecine , hebdomadaire destiné aux médecins généralistes, début 2008. La perspective d'écrire pour les médecins était pour moi motivante. Voilà pourquoi j'ai intégré dans cet hebdomadaire avec joie. Malheureusement, j'ai dû déchanter.
Cet hebdomadaire traite de l'actualité de la santé publique, de la vie syndicale des médecins, ainsi que de leur exercice médical. Dans les dossiers publiés, nous décrivons les médicaments disponibles au regard des pathologies. Au regard de mon expérience, j'estime aujourd'hui que si la partie traitant de l'actualité a un intérêt indéniable pour les médecins, les sujets relatifs à l'exercice médical et à la prescription ne sont pas traités de manière satisfaisante. En effet, le nombre de pages du journal dépend directement de la publicité. Les sujets susceptibles d'attirer la publicité de l'industrie pharmaceutique sont donc privilégiés. Les effets secondaires des médicaments ne sont quasiment pas abordés.
A cet égard, l'attitude des laboratoires Servier est remarquable. En effet, les articles faisant la promotion des produits de ce laboratoire sont envoyés pour relecture et modifiés par les équipes de Servier. J'ai assisté et été directement concernée par de telles pratiques, que je considère comme un grave manquement à la déontologie journalistique. Un texte qui vise à faire la promotion d'un produit n'est rien d'autre que de la publicité.
L'affaire du Mediator a démontré que la presse, financée par l'industrie pharmaceutique, ne pouvait pas être critique à l'égard de ses financeurs que sont les laboratoires pharmaceutiques. Pour Impact Médecine , cette affaire a commencé avec la publication du livre d'Irène Frachon, que nous avons reçu début juin 2010 à la rédaction. Les journalistes l'ont lu. A juste titre, ils ont estimé qu'ils devaient en rendre compte. Immédiatement, notre direction s'est opposée à ce que nous parlions de ce livre dans nos colonnes, ainsi que sur le site Internet de la revue. Nous avons été particulièrement affectés. Nous avons donc surveillé ce que faisaient nos concurrents. Nous avons pu constater que personne ne parlait du livre. Les seuls journaux qui en ont parlé l'ont fait par l'intermédiaire d'un communiqué de presse de Servier publié le 3 juin.
Nous n'avions donc pas le droit de parler de ce livre. Ensuite est arrivée l'étude de Catherine Hill, qui donnait une estimation du nombre de morts et d'hospitalisations imputables au Mediator. Notre rédaction en chef a décidé que nous pouvions traiter de cette étude. Une journaliste a réalisé un article. Au dernier moment, il n'a pas été publié dans le journal au motif que le sujet était trop sensible.
Nous n'avons publié qu'un seul article sur l'affaire du Mediator, suite à une conférence de presse de l'agence du médicament. Cet article se voulait extrêmement pratique pour les médecins généralistes quant à la conduite à tenir vis-à-vis de leurs patients qui avaient pris du Mediator. Il nous a été dit que rien d'autre que ces informations pratiques ne devait être publié jusqu'à la présentation du rapport de l'Igas. J'ai couvert la conférence de presse de l'Igas pour ma rédaction. Au retour, j'ai été très claire : j'ai dit à ma direction que j'étais prête à rédiger un article, mais à condition de pouvoir aborder la question de la responsabilité de Servier et raconter l'histoire de ce médicament passé entre les mailles du filet pendant des dizaines d'années. Mon article a été modifié au dernier moment. La plupart des parties de récit ont été supprimées pour conserver, au final, l'énumération des mesures annoncées le 15 janvier par Xavier Bertrand.
M. François Autain , président. - Qu'est-ce qui a été supprimé exactement dans votre article ?
Mme Virginie Bagouet. - Je pourrai vous remettre l'article tel qu'il était et tel qu'il est devenu.
M. François Autain , président. - Pouvez-nous tout de même donner quelques éléments sur ces modifications ?
Mme Virginie Bagouet. - Je voulais notamment préciser qu'aux doses thérapeutiques, dans le sang, Pondéral égal Isoméride égal Mediator. Cette partie a été supprimée.
M. François Autain , président. - Nous avons auditionné les laboratoires Servier. Ils ne reconnaissent pas la véritable nature pharmaco-chimique de ce médicament, qu'ils refusent de considérer comme un anorexigène.
Mme Virginie Bagouet. - Des informations ont été données dans l'article final, mais les parties les plus gênantes sur la stratégie de Servier pour cacher ce qu'était réellement le médicament ont été supprimées.
En parallèle de cette affaire, j'ai plusieurs fois constaté la difficulté de traiter de manière normale tout ce qui concerne les produits du laboratoire Servier. Il m'est notamment arrivé de rédiger des dossiers médicaux de cardiologie et de rhumatologie, domaines dans lesquels Servier commercialise des produits. Fin août, j'ai été chargée de suivre un congrès de cardiologie à Stockholm. Une étude a notamment présenté les bénéfices du procoralan, un médicament des laboratoires Servier pour les cas d'insuffisance cardiaque, modérée à sévère. J'ai rédigé un article que j'ai envoyé directement par mail à ma rédaction en chef, qui l'a envoyé pour relecture aux laboratoires Servier pour « validation scientifique ».
M. François Autain , président. - C'est complètement contraire à la déontologie qui régit votre profession. C'est de la publicité.
Mme Virginie Bagouet. - Nous sommes bien d'accord, mais en l'espèce, les modifications apportées n'étaient pas très importantes par rapport à l'article de départ. En revanche, une erreur de terminologie a été introduite lors de la relecture par Servier. L'article a pourtant été publié tel quel sur le site Internet. Lorsque je suis revenue à Paris et que j'ai fait part de mon mécontentement à ma rédaction en chef, il m'a été répondu que Servier était content.
M. François Autain . - Il s'agissait donc de contenter Servier.
Mme Virginie Bagouet. - Sur ce même dossier, il avait été décidé que nous parlerions des nouvelles recommandations européennes sur la fibrillation atriale qui avaient été présentées lors de ce congrès. Finalement, tout a été modifié. L'étude de Servier sur le procoralan a été passée en ouverture du dossier. Un article a été publié sur un autre médicament de Servier, le coversyl. C'est moi qui avais rédigé la plupart des articles. Ce dernier article est apparu dans mon dossier un peu comme par miracle, sans que je n'ai été alertée de quoi que ce soit, avec la signature du pseudonyme Claire Bonneau. Ce pseudonyme est utilisé pour tous les articles publicitaires que personne dans la rédaction ne souhaite assumer.
M. François Autain , président. - Qui assume ces articles alors ?
Mme Virginie Bagouet. - Claire Bonneau.
M. François Autain , président. - Je me souviens avoir demandé à Monsieur Thomasset, président du groupe Impact Médecine , qui était Claire Bonneau. Incapable de me répondre, il devait me faire parvenir les coordonnées du journaliste concerné. Nous les attendons toujours.
Mme Virginie Bagouet. - L'utilisation de pseudonymes peut se justifier lorsqu'un journaliste a plusieurs activités. Dans le cas présent, c'est uniquement pour se décharger. Apparemment, la directrice de la rédaction souhaite prendre la responsabilité de ce pseudonyme.
M. François Autain , président. - Vous pensez donc que ce serait la directrice de la rédaction.
Mme Virginie Bagouet. - Il faudrait le leur demander.
M. François Autain , président. - Je l'ai fait, mais ils ne répondent pas. Comment s'appelle votre directrice de la rédaction ?
Mme Virginie Bagouet. - Elle s'appelle Anne Prigent.
M. François Autain , président. - Nous essaierons de rappeler Monsieur Thomasset lorsque nous aurons le temps.
Mme Virginie Bagouet. - Un autre exemple assez frappant concerne un produit, le Protélos, que possède Servier dans le domaine de la rhumatologie. Des articles sont régulièrement publiés dans Impact Médecine . Ils sont principalement signés de Claire Bonneau. J'ai été chargée d'un dossier de rhumatologie à l'occasion du congrès de la société française de rhumatologie qui s'est tenue fin novembre/début décembre à La Défense. J'ai assisté à une conférence organisée par les laboratoires Servier. J'en ai rédigé un compte-rendu. J'ai demandé à le relire avant qu'il ne soit publié. En fait, il s'est avéré que mon article avait été modifié ; 50 % de l'article initial avait été ajouté dans un style de marketing pur.
M. François Autain , président. - Manifestement, vous n'aviez pas le « style Servier ». J'imagine que c'est rédhibitoire pour quelqu'un qui travaille dans un journal comme Impact Médecine .
Mme Virginie Bagouet. - J'ai estimé que cet article ne devait pas être publié, ou en tout cas pas sous ma signature. Il a donc été signé par Claire Bonneau.
En avril-mai 2010, j'ai réalisé un dossier de rhumatologie à l'occasion d'un congrès qui s'est tenu à Milan. L'un des thèmes principaux portait sur les effets secondaires des traitements de l'ostéoporose. D'emblée, il m'a été dit que je ne parlerai pas de ces effets secondaires en raison d'une mauvaise expérience que le journal avait déjà eue fin 2007 : suite à la parution d'un article, les laboratoires Servier n'avaient plus publié d'annonces pendant six mois dans le journal.
M. François Autain , président. - Dès qu'un article est défavorable à Servier, ils suppriment donc la publicité ?
Mme Virginie Bagouet. - J'imagine que c'est pour cela que les articles sont envoyés pour relecture à Servier. Ce n'est pas par plaisir, mais pour ne pas renoncer à des pages de publicité de Servier dans le journal. Le budget que les laboratoires pharmaceutiques consacrent à la communication dans les journaux médicaux va déjà décroissant. Ces journaux sont donc prêts à beaucoup pour avoir des pages de publicité.
M. François Autain , président. - Lorsqu'un article déplaît à Servier, la sanction est donc l'absence de publicité.
Mme Virginie Bagouet. - C'est en tout cas ce que m'a dit la rédaction lorsque j'ai expliqué que je souhaitais rédiger un article sur les effets secondaires des traitements de l'ostéoporose.
M. François Autain , président. - A votre connaissance, les autres laboratoires se comportent-ils de la même manière ?
Mme Virginie Bagouet. - Je pense qu'ils communiquent de manière plus subtile. Ils nous invitent à des congrès scientifiques aux Etats-Unis pendant cinq jours.
M. François Autain , président. - Ils vous mettent en condition.
Mme Virginie Bagouet. - En général, nous expliquons que la conférence est organisée par un laboratoire. A ma connaissance, les articles ne sont pas envoyés pour relecture. Je n'ai pas travaillé pour les autres titres de la presse médicale. Je ne peux donc rien affirmer. Dans les conversations de congrès, les journalistes de la presse médicale parlent de manière récurrente des pressions des laboratoires Servier.
M. François Autain , président. - Vous êtes la première à nous le dire. Cela nous éclaire sur un aspect souvent caché de la presse médicale.
Mme Virginie Bagouet. - Il y a des bons journalistes dans la presse médicale, mais ils ne peuvent pas faire normalement leur travail en raison de ces pressions. Je pensais qu'en France, la liberté de la presse était respectée. Je ne me doutais pas que les articles étaient entièrement dépendants des annonceurs.
M. François Autain , président. - Vous êtes donc déçue de votre expérience à Impact Médecine .
Mme Virginie Bagouet. - Oui. J'ai regardé les auditions des dirigeants de la presse médicale. Elles m'ont attristé. Ils sont uniquement sur la défensive et n'ont pas l'air disposés à revoir leurs pratiques.
M. François Autain , président. - Dans les deux cas, Sénat comme Assemblée Nationale, vous avez été déçue.
Mme Virginie Bagouet. - Je n'ai pas l'impression qu'ils reconnaissent les pressions des laboratoires et qu'ils aient envie de délivrer une information complète aux médecins généralistes, qui ont pourtant le droit d'être informés des effets secondaires des médicaments qu'ils sont amenés à prescrire.
M. François Autain , président. - Ils nous ont pourtant indiqué que les médecins semblaient satisfaits de l'information qui leur est apportée.
Mme Virginie Bagouet. - Prescrire ne parle que des prescriptions médicales. Les articles sont rédigés par des médecins, pas par des journalistes. Il n'y a pas de partie actualité/santé publique. Ils ont donc leur place. Il faudrait juste qu'ils revoient leurs pratiques et qu'ils refusent les pressions des laboratoires.
M. François Autain , président. - Ils sont dans une véritable impasse : s'ils donnent l'information sans tenir compte des pressions des laboratoires, ils n'auront plus d'argent. Ils sont donc condamnés à délivrer une information qui donne avant tout satisfaction aux annonceurs.
Mme Virginie Bagouet. - Sauf si leur financement dépend davantage des abonnements que de la publicité.
M. François Autain , président. - Je suis d'accord. D'après ce que nous ont dit les responsables que nous avons auditionnés, le pourcentage que représente la publicité des laboratoires a tendance à diminuer, mais elle reste encore de l'ordre de 50 %, et quelquefois davantage. En tout cas, nous sommes bien obligés de constater que l'information que délivre Impact Médecine aux médecins n'est pas très objective scientifiquement.
Mme Virginie Bagouet. - C'est le cas de certains articles.
M. François Autain , président. - Avez-vous d'autres choses à ajouter ?
M. François Autain , président. - Je passe donc la parole à mes collègues.
Mme Janine Rozier . - Pensez-vous qu'il pourrait y avoir des représailles après tout ce que vous venez de dire ?
M. François Autain , président. - Je ne l'espère pas. Je ne travaille plus pour Impact Médecine . J'ai quitté ce journal.
M. Michel Guerry . - Servier continue-t-il à faire de la publicité dans Impact Médecine ?
Mme Virginie Bagouet. - A ma connaissance, oui.
M. Michel Guerry . - Faites-vous, dans votre journal, des articles critiques, ou s'agit-il à chaque fois d'articles qui vantent les bienfaits des médicaments ?
Mme Virginie Bagouet. - Nous sommes critiques vis-à-vis des politiques de santé menées par le Gouvernement. Nous avons la liberté d'être critiques dans tout un tas de domaine de la médecine, mais pas sur les médicaments , ou alors à la marge, par exemple lorsqu'un médicament est en passe d'être retiré.
M. Michel Guerry . - Apparemment, les journaux médicaux sont financés à 50 % par la publicité des firmes pharmaceutiques. Ils n'auront donc jamais la possibilité d'avoir une attitude éthique quant à la qualité ou aux aspects secondaires des médicaments.
Mme Virginie Bagouet. - Peut-être pourraient-ils conclure des deals avec les annonceurs, acceptant leurs annonces tout en souhaitant pouvoir parler de tout aux médecins.
M. Michel Guerry . - Dans d'autres domaines, la presse est souvent critique. Dans le domaine médical, elle ne l'est jamais à l'égard des firmes pharmaceutiques.
Mme Virginie Bagouet. - Rarement, quand il est impossible de faire autrement.
M. François Autain , président. - Vous avez répondu par avance à un certain nombre de questions posées par le rapporteur. Les laboratoires ont-ils leur mot à dire dans le choix des journalistes qui se rendent à leurs conférences de presse ? Avez-vous été présentée à des laboratoires par votre rédaction ?
Mme Virginie Bagouet. - Non. J'ai simplement le souvenir, avant le congrès de Stockholm de l'été dernier, que la directrice générale d' Impact Médecine souhaitait que je rencontre des personnes des laboratoires Servier. J'étais prête à m'y rendre, mais à condition d'avoir des résultats d'études à discuter avec eux. Je ne voyais pas l'intérêt d'une simple visite de courtoisie. Je ne sais pas si les laboratoires choisissent les journalistes qui partent avec eux en congrès.
M. François Autain , président. - Et en conférence de presse ? Au moment de l'affaire du Mediator, Servier avait organisé une conférence de presse.
Mme Virginie Bagouet. - Seuls les membres de la presse médicale avaient été conviés, pas les autres. Cette conférence de presse avait pour but, entre autres, de démonter l'étude de Catherine Hill.
M. François Autain , président. - Ce n'est pas vous qui avez été conviée à vous rendre à cette conférence pour le compte de votre journal.
M. François Autain , président. - Cette conférence de presse a-t-elle donné lieu à un compte-rendu ?
Mme Virginie Bagouet. - Non. Il y a eu des comptes-rendus dans les journaux concurrents. Notre article n'a pas suffisamment plu à Servier pour être publié. C'est en tout cas ce qui m'a été dit. Il y a eu des comptes-rendus de cette conférence de presse dans d'autres revues, notamment dans le Panorama du Médecin .
M. François Autain , président. - J'ai appris qu'il existait une charte de déclaration des devoirs et des droits des journalistes. Son article 9 énonce qu'il ne faut « jamais confondre le métier de journaliste avec celui du publicitaire ou du propagandiste ; n'accepter aucune consigne, directe ou indirecte, des annonceurs ». Après ce que vous venez de nous dire, les journalistes d' Impact Médecine peuvent-ils être considérés comme de véritables journalistes ?
Mme Virginie Bagouet. - Ceux qui ne parlent pas de médicaments peuvent être considérés comme de véritables journalistes. Pas les autres. Voilà pourquoi je suis partie. J'ai estimé que je ne pouvais plus exercer mon métier.
M. François Autain , président. - Il existe donc deux catégories de journalistes dans ces rédactions : ceux qui traitent des médicaments et les autres. Vous pensez que « les autres » sont plus libres que ceux qui traitent des médicaments.
M. François Autain , président. - Qu'est-ce qui vous fait dire cela ?
Mme Virginie Bagouet. - Leurs articles ne sont envoyés à personne pour relecture. Même s'il arrive aux syndicats de passer une page de publicité dans le journal, cela reste plus rare que les campagnes réalisées par l'industrie pharmaceutiques. Ces journalistes sont donc assez libres d'exercer normalement leur métier. Ceux qui parlent d'exercice médical et de stratégie thérapeutique ne le sont pas.
M. François Autain , président. - Combien y a-t-il d'abonnés à Impact Médecine ?
Mme Virginie Bagouet. - Je ne sais pas.
M. François Autain , président. - Connaissez-vous le tirage de la revue ?
Mme Virginie Bagouet. - Il me semble que c'est 40 000 exemplaires.
M. François Autain , président. - Je n'ai pas bien compris la technique des abonnements prospectifs. Beaucoup de médecins que j'ai interrogés reçoivent les journaux médicaux de manière permanente sans y être abonnés eux-mêmes.
Mme Virginie Bagouet. - Il m'a été expliqué qu'ils les recevaient les journaux de manière tournante. Ainsi, pendant un mois, un médecin reçoit trois numéros.
M. François Autain , président. - Il faudrait que nous interrogions les médecins.
Mme Virginie Bagouet. - La commission paritaire devrait avoir ce genre d'information.
M. François Autain , président. - Nous pourrons leur demander s'ils ont des informations concernant les abonnements. Si même ces abonnements sont fallacieux, que reste-t-il aux journaux pour se prévaloir du statut d'organe de presse ? Certains journalistes n'ont plus de journaliste que le nom. Ce sont de vrais problèmes. J'ai cru comprendre que certains responsables de presse se plaignaient de ne pas recevoir de la part des pouvoirs publics toute l'attention et toutes les aides auxquelles ils prétendent avoir droit.
Mme Virginie Bagouet. - C'est mon ancien PDG qui a dit cela.
M. François Autain , président. - Cela paraît pour le moins paradoxal. Il y a matière à réaliser une enquête pour savoir ce qu'il en est exactement.
Les laboratoires Servier ont-ils une réputation particulière dans le secteur de la presse médicale ?
Mme Virginie Bagouet. - Oui. Ils sont réputés pour leur intrusion.
M. François Autain , président. - Existe-t-il des équivalents dans les autres laboratoires ?
Mme Virginie Bagouet. - Pas à ma connaissance.
M. François Autain , président. - Avez-vous un comité de relecture ? A vous entendre, j'ai compris que ce comité était situé chez Servier.
Mme Virginie Bagouet. - Pour les articles concernant les produits Servier.
M. François Autain , président. - D'après ce que vous avez dit, les autres laboratoires n'ont pas de comités de relecture.
Mme Virginie Bagouet. - Pas à ma connaissance.
M. François Autain , président. - Avez-vous des attentes vis-à-vis des pouvoirs publics en matière de réglementation ou de soutien à la presse médicale ? Avez-vous une certaine idée de ce que devrait être la presse médicale ?
Mme Virginie Bagouet. - L'information des médecins est utile, mais à condition qu'elle puisse être réalisée de manière convenable. Il est dommage que seul Prescrire soit indépendant, car cette revue n'aborde pas tous les domaines de la médecine et toute la vie d'un médecin.
M. François Autain , président. - Il est vrai qu'il n'est jamais question des problèmes des médecins et des syndicats médicaux.
M. Michel Guerry . - Avec toute l'expérience que vous avez, je crois que vous devriez écrire un livre. Peut-être y avez-vous déjà pensé ?
Mme Virginie Bagouet. - Pas particulièrement. Ma priorité était de quitter cette rédaction, pas d'écrire un livre.
M. François Autain , président. - Avez-vous quelque chose à ajouter ?
M. François Autain , président. - L'audition est donc terminée. Je vous remercie.
Audition de MM. Daniel BIDEAU, administrateur, et Grégory CARET, directeur des études, de l'UFC-Que Choisir (mardi 5 avril 2011)
M. François Autain, président. - Nous poursuivons nos auditions avec MM. Daniel Bideau et Grégory Caret, respectivement administrateur et directeur des études de l'UFC-Que Choisir.
Je dois vous dire, avant de vous donner la parole, que cette audition est ouverte à la presse et fait l'objet d'un enregistrement audiovisuel en vue de sa diffusion sur le site Internet du Sénat et éventuellement sur la chîne Public Sénat . Je vous prie également d'excuser l'absence de Mme le rapporteur, qui est sollicitée par le débat sur la loi bioéthique.
Je vais vous passer la parole pour un exposé liminaire. Vous êtes intervenus à de multiples reprises sur le problème du médicament.
M. Daniel Bideau, administrateur de l'UFC-Que Choisir. - Nous vous remercions beaucoup pour cet accueil devant votre mission d'information. Nous avons des choses à dire. Ce que nous voulons avant tout, c'est faire avancer l'intérêt du consommateur et de l'usager de la santé.
L'UFC-Que Choisir est une association de représentants d'usagers de la santé. Nous avons un agrément santé, ainsi qu'un agrément juridique, ce qui nous permet d'ester en justice au nom des consommateurs. L'association est complètement indépendante. Nous sommes financés par une activité presse et par les cotisations de nos adhérents. Notre réseau santé est porté par de très nombreux adhérents dans toutes les régions de France. Ces bénévoles interviennent dans les instances locales. Que Choisir Santé est une revue spécifique de la santé. Nous y avons récemment publié une liste particulièrement importante de médicaments pouvant présenter des risques pour la santé des consommateurs.
C'est fort de notre expérience que nous avons demandé à être auditionné par la mission d'information Mediator. La question de la mise sur le marché et du suivi des médicaments en France se retrouve une nouvelle fois sous les feux des projecteurs. Commercialisé en 1976 en France, prescrit initialement comme antidiabétique, le Mediator a été progressivement proposé aux personnes souhaitant perdre du poids pour son effet coupe-faim. Entre 1976 et 2009, environ 5 millions de personnes se sont vus prescrire du Mediator en France. Les premiers signaux inquiétants de dangerosité du traitement sont apparus dès 1997, mais c'est seulement le 30 novembre 2009 que l'Afssaps prendra la décision de retirer le médicament du marché. Ce médicament est resté remboursé à son taux maximal jusqu'à son retrait du marché, ce qui est un comble pour un médicament dont le service médical rendu insuffisant avait été relevé deux ans auparavant.
Les conditions dans lesquelles le médicament a obtenu plusieurs autorisations de mise sur le marché en France et dans les autres pays interdisaient la commercialisation. Celles qui ont conduit à son retrait tardif, comme les dérives de prescription constatées, soulèvent de nombreuses interrogations quant au rôle et au fonctionnement des acteurs concernés. Sont engagées la responsabilité de l'Afssaps, qui était chargée de l'octroi de l'AMM et du suivi de la pharmacovigilance, celle de la HAS, qui a maintenu le remboursement, celle du laboratoire Servier et celle des médecins qui, pendant des années, n'auraient pas suivi les règles de prescription édictées par l'Afssaps.
Plus largement, ce dossier doit être l'occasion d'exiger des mesures fortes d'amélioration du fonctionnement de l'ensemble des dispositifs de lancement et de suivi des produits de santé, qui ont montré de graves dysfonctionnements. Le cas du Mediator est bien loin d'être isolé. L'histoire récente regorge d'exemples de dysfonctionnements dans ces processus de lancement et de suivi des produits de santé.
Nous demandons qu'un fonds d'indemnisation soit ouvert à l'ensemble des victimes, quel que soit leur taux d'incapacité, sous le contrôle de l'Etat et, de fait, rattaché à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (Oniam).
M. François Autain , président. - Comment serait-il financé ?
M. Daniel Bideau. - Nous allons y venir.
Nous demandons également un guichet unique pour les demandes d'indemnisation via l'Oniam, qui gèrera l'ensemble des dossiers, l'organisation des expertises - qui seront gratuites - et l'indemnisation des victimes, avec possibilité de subrogation de droits permettant à l'Oniam de se tourner vers Servier pour se faire rembourser. Nous pensons que la puissance publique doit d'abord abonder le fonds, quitte à ce que Servier soit ensuite ponctionné.
Il est possible que le fonds ne récupère pas toutes les sommes versées. Le principal responsable dans l'affaire doit payer, mais selon notre rapport, il existe également une responsabilité de l'Etat, donc il n'est pas illogique qu'il soit mis à contribution.
Nous sommes totalement opposés à la proposition qu'ont faite les laboratoires Servier de réaliser des transactions individuelles selon un protocole établi en accord avec l'Etat et les associations de patients. Nous participons d'ailleurs au comité de suivi de cette affaire. Servier a, en fait, proposé de passer par les chambres régionales de conciliation et d'indemnisation (CRCI) et de créer un fonds de complément. Or les CRCI ne sont pas dimensionnées pour traiter des litiges de masse. Elles sont également limitées dans leurs prérogatives, ne prenant en considération que les personnes dont le taux est supérieur à 24 % pour des traitements postérieurs à 2002. Beaucoup de patients ont soit des traitements antérieurs, soit des incapacités inférieures.
Un problème de gouvernance se pose. Servier propose que le fonds soit géré par le laboratoire et un comité d'experts nommé par lui. Avec ce dispositif, il n'y a pas de reconnaissance de responsabilité. De plus, nous nous interrogeons sur les assureurs présents derrière Servier. Enfin, en contrepartie, Servier demande un renoncement à toute action en justice alors que tous les préjudices ne sont pas pris en compte. Nous sommes face à une demande particulièrement anormale.
Nous avons de très grandes attentes dans cette affaire. Les rapports et missions actuellement en cours sont importants. Nous voulons des résultats.
M. François Autain , président. - Qu'attendez-vous des Assises du médicament ?
M. Grégory Caret, directeur des études, de l'UFC-Que Choisir. - Elles ne parlent pas du tout du sujet du dédommagement.
M. Daniel Bideau. - Il y est question de l'amélioration du système tel qu'il existe et de la transparence de certaines structures.
Afin d'éviter tout nouveau drame sanitaire, nous exigeons des mesures concrètes pour qu'une réforme du processus de mise sur le marché et de suivi des médicaments soit mise en place autour de quatre grandes idées.
Il faut d'abord limiter le pouvoir de l'industrie pharmaceutique dans la chaîne de décision. Il est peu question de l'étage européen de cette décision dans les débats actuels. Nous y sommes particulièrement attachés. Nous souhaitons une réforme du système européen d'autorisation de mise sur le marché des produits de santé afin que le financement des agences ne dépende plus des demandes d'AMM, donc des laboratoires. Des laboratoires se rendent dans les pays en fonction de la possibilité qu'ils ont d'y faire entrer leurs médicaments par une agence de santé « moins-disante ». Cela nous paraît discutable.
M. François Autain , président . - Vous craignez une concurrence entre les agences de médicaments des différents Etats de l'Union ?
M. Daniel Bideau. - Il y en a une, c'est le système actuel. Nous souhaitons qu'il soit réformé au moyen d'une proposition faite à l'échelon européen.
Les pratiques de prescription médicamenteuse doivent être contrôlées et encadrées plus efficacement. Pour cela, nous souhaitons un renforcement des relations entre les agences nationales et les médecins par la création d'un corps de visiteurs médicaux indépendants placé, par exemple, sous l'égide de la Haute Autorité de santé. Il existe actuellement un corps indépendant, les délégués de l'assurance maladie (DAM), mais il dépend de l'assurance maladie. Il est souhaitable que puisse exister un système d'information indépendant des médecins qui dépende directement de la HAS réformée.
M. François Autain , président. - Que faites-vous des visiteurs médicaux rémunérés par les laboratoires ?
M. Daniel Bideau. - Ils continueraient leur travail.
M. François Autain , président . - Ne craignez-vous pas que nous lassions les médecins en leur proposant plusieurs catégories de visiteurs médicaux ?
M. Daniel Bideau. - Actuellement, beaucoup de médecins ne reçoivent plus les visiteurs médicaux des laboratoires. Ils réclament une information indépendante. Celle que diffuse la HAS par Internet ne suffit pas. De plus, les DAM ont déjà un rôle de prévention et d'intervention. Le seul problème tient à leur lien d'intérêts avec l'assurance maladie.
M. François Autain, président. - Dans votre esprit, cette création d'un nouveau corps de visiteurs médicaux indépendants liés à la HAS s'ajouterait à ceux qui existent déjà.
M. Daniel Bideau. - Oui. Il faut imaginer un système dans lequel les médecins conseils pourraient également être impliqués.
Les prérogatives des structures sanitaires et leur coordination méritent d'être clarifiées afin que les responsabilités ne soient plus diluées. Actuellement, beaucoup de commissions se renvoient la responsabilité des décisions prises. La transparence dans les règles de prise de décision doit être améliorée en donnant accès aux études analysées par les commissions, en publiant les positions minoritaires et en imposant aux directions administratives de motiver leurs décisions lorsqu'elles ne suivent pas les recommandations des experts. Cette traçabilité de l'information au sein des commissions est très importante. Ces commissions auraient alors beaucoup plus de poids au travers des décisions qu'elles prendraient. Pour cela, il faut qu'elles soient particulièrement transparentes. Aujourd'hui, la Ceps, qui décide de la fixation du prix du médicament, est relativement difficile d'accès. Nous avons récemment dénoncé l'augmentation faramineuse de la complémentaire santé.
M. Grégory Caret. - Sur la période 2001 à 2008, la hausse a été de 44 %. L'augmentation est encore plus sensible sur la dernière année. La partie restant à charge augmente également.
M. Daniel Bideau. - Le budget santé des consommateurs explose !
M. François Autain , président. - Le comité économique des produits de santé (Ceps) n'est pas très transparent pour ceux qui sont à l'extérieur, mais rassurez-vous, ceux qui sont à l'intérieur ne voient pas plus clair que vous.
M. Daniel Bideau. - C'est très inquiétant pour une commission qui décide du prix des médicaments que paient les usagers.
M. François Autain, président. - Nous formulerons des propositions qui essaieront de remédier à cette situation que vous dénoncez très justement.
M. Daniel Bideau. - Nous pensons qu'il faut clarifier le fonctionnement. Nous ne demandons pas forcément que les séances soient publiques, tant l'endroit est sensible sur le plan économique. En revanche, un maximum de publicité serait le bienvenu pour les députés, les sénateurs ou tout autre corps d'experts indépendants capable d'évaluer le prix mis en place pour certains médicaments. Aujourd'hui, plus de 90 % des médicaments nouveaux n'ont pas de service médical rendu (SMR) supérieur aux médicaments précédents.
M. François Autain, président. - Je suis très content de vous l'entendre dire. Rare sont ceux qui le disent.
M. Grégory Caret. - Dans le cadre des Assises du médicament, les entreprises du médicament (Leem) ont-elles-mêmes reconnu que l'amélioration du service médical rendu (ASMR) de 95 % des nouveaux médicaments n'était pas meilleur que celui de l'existant. Tout le monde est d'accord pour reconnaître un manque d'innovation depuis quelques années. Nous nous interrogeons beaucoup sur ce qu'est un nouveau médicament. Nous avons du mal à savoir quelle est la structure qui décide, entre l'agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) - qui évalue le bénéfice-risque -, la HAS ou le Ceps. Un médicament doit présenter un bénéfice-risque positif. Aujourd'hui, ils sont évalués selon des études qui, de l'avis même de l'Afssaps, sont très partielles, car uniquement présentées par les laboratoires. Le bénéfice attendu est évalué sur un avantage potentiel. Les experts de l'Afssaps reçoivent des données partielles, d'où l'importance de la pharmacovigilance. Pour sa part, la HAS essaie de statuer sur un taux de remboursement avec des données qui ne sont pas forcément complètes, sans compter que les experts ont parfois des liens avec les laboratoires.
M. François Autain , président. - Ils n'en ont pas davantage que ceux de la commission de mise sur le marché. Je dirai même que le président de la commission de la transparence, contrairement à son homologue de la commission d'AMM, n'a pas du tout de lien d'intérêts.
M. Grégory Caret. - Nous avons déjà entendu dire qu'un expert sans lien d'intérêts était un expert sans intérêt.
M. François Autain , président. - Je vois tout à fait de quoi vous parler.
M. Grégory Caret. - Le Leem reproche parfois à l'Afssaps l'existence de liens d'intérêts négatifs. Dans cette configuration, les liens d'intérêts sont de nature à altérer les jugements.
M. Daniel Bideau. - Les liens d'intérêts doivent être contrôlés et démarrer à une échelle très basse. Aujourd'hui, les liens d'intérêts inférieurs à un certain seuil ne doivent pas être déclarés. Or nous estimons que même les petits liens d'intérêts, lorsqu'ils sont cumulés, peuvent conduire à de gros liens d'intérêts.
Notre quatrième demande vise à renforcer et à valoriser la pharmacovigilance, un secteur particulièrement sous-doté actuellement. Ses moyens sont particulièrement dérisoires. Ainsi, les centres régionaux de pharmacovigilance de l'Afssaps bénéficient de 3,8 millions d'euros de crédits pour 2010, soit 3 % du budget de l'agence, pour la surveillance d'un marché du médicament qui pesait 35 milliards d'euros en 2009. Ce sont souvent les laboratoires qui sont chargés de faire remonter les éléments de pharmacovigilance. C'est bien leur rôle en tant que producteurs de médicaments, mais il est anormal qu'il ne soit pas possible de faire remonter des éléments d'information par des moyens adaptés, par exemple des associations de malades ou des malades. Dans ce système de pharmacovigilance, nous souhaitons qu'un droit d'alerte et d'interpellation en cas de repérage de signaux problématiques sur un médicament soit donné aux associations de représentants des usagers de la santé.
Si les donneurs d'alerte avaient été davantage écoutés dans l'affaire du Mediator, nous n'en serions pas là. D'ailleurs, nous sommes surpris que la HAS n'ait pas vu ce qui se passait dans les pays limitrophes, par exemple en Espagne, où le retrait du marché a été présenté par les laboratoires Servier comme une décision économique, alors même que l'autorité sanitaire espagnole avait souligné les risques de valvulopathie de manière explicite. Pourquoi la HAS n'a-t-elle pas joué son rôle d'alerte dans cette affaire ?
M. Grégory Caret. - C'est surtout la commission nationale de pharmacovigilance. Un document très intéressant daté de 2006 démontre que la HAS avait cette information. Malgré cela, l'Afssaps pensait que le médicament avait été retiré pour des raisons économiques. Il n'y a pas eu de communication. La commission nationale de pharmacovigilance n'a surveillé que très tard les valvulopathies. Pourtant, la HAS avait bien noté que des cas de valvulopathie avaient été constatés en Espagne.
M. François Autain, président. - A quel document faites-vous référence ?
M. Grégory Caret. - Je fais référence au document préparatoire de la commission de la transparence du 12 avril 2006. Le médicament semble condamné en raison d'un SMR insuffisant. Il est écrit que des cas de valvulopathie ont été identifiés en Espagne en association avec le benfluorex et que l'agence espagnole du médicament a prononcé l'interdiction suite à la survenue d'effets indésirables graves. Des dérives de prescription sont également mentionnées, de même que l'absence de données d'efficacité probantes sur deux indications thérapeutiques. Le sort du Mediator apparaît donc scellé. Or, dans la réunion qui a suivi, les conclusions ont été toutes autres.
M. François Autain , président. - Ce document est-il dans les annexes du rapport de l'Igas ?
M. Grégory Caret. - Il fait en tout cas partie de notre rapport, que nous pourrons vous remettre. Suite à cette réunion, il a été décidé de maintenir un remboursement sur l'une des indications, en notant bien que l'étude servant à justifier l'efficacité n'était pas probante.
M. François Autain , président. - Il me semble qu'en 2006, il y a eu un sursis à statuer de la part de la commission de la transparence, qui ne pouvait pas statuer sur les deux indications. La commission de transparence devait statuer sur la seconde indication après avis de la commission d'AMM sur les résultats de l'étude. Finalement, la commission de la transparence n'a jamais statué sur cette seconde indication.
M. Grégory Caret. - Il s'est passé quelque chose durant la réunion.
M. Daniel Bideau. - Le 10 mai 2006, la commission de la transparence, décidant de ne pas décider, écrit : « La commission de la transparence ne réévaluera le service médical rendu de Mediator dans l'indication diabète qu'après avis de la commission d'AMM et prise en compte de la réévaluation du rapport bénéfices-risques de ce produit par l'Afssaps. » Pour ne pas avoir à se prononcer, la décision a donc renvoyé à une autre commission, en sachant très bien que celle-ci ne pourrait elle-même pas se prononcer. En attendant, des usagers de la santé ont continué à utiliser le Mediator.
M. François Autain , président. - Que souhaitez-vous ajouter ?
M. Grégory Caret. - Aujourd'hui, deux questions se posent : l'autorisation de mise sur le marché et la place accordée au médicament dans la stratégie thérapeutique. Nous avons le sentiment que personne ne prend ou ne veut prendre cette responsabilité. Pourtant, il est important de savoir si un médicament a sa place dans la stratégie thérapeutique actuelle. Chaque année, 9 millions de personnes renoncent à se soigner pour des raisons budgétaires. Ceux qui n'ont pas de complémentaire sont les premiers concernés.
Nous participons aux Assises sur le médicament. Le processus d'autorisation de mise sur le marché se déroule beaucoup au niveau européen. Si nous avons des propositions, il faut très vite les remonter à Bruxelles.
M. François Autain , président. - Il faut relativiser. Certes, de plus en plus de médicaments bénéficient de la procédure centralisée, mais nous maîtrisons encore le processus du remboursement. Nous avons notre mot à dire. Le médicament est le cheval de Troie de la Commission européenne pour intervenir dans un secteur, celui de la santé, qui, normalement, relève de la souveraineté des Etats. Il faut s'attendre à ce que nous entendions comme revendication la mise en place d'une commission de la transparence européenne sur laquelle nous n'aurions pratiquement aucun droit de regard. La commission d'AMM nous échappe un peu, bien que l'agence nationale puisse très bien suspendre un produit ayant bénéficié d'une procédure centralisée. Cela ne fonctionne pas toujours. Une seule fois, les experts ont eu le courage d'aller jusqu'à suspendre un médicament, mais cette suspension a ensuite été annulée par le Conseil d'Etat. Cela ne va pas les inciter à recommencer, ce qui est bien dommage. Nous avons à notre disposition des moyens pour remettre les choses en place, d'où l'importance qui devrait être donnée à la commission de la transparence dans un système rénové.
M. Grégory Caret. - Le sujet central est bien la stratégie thérapeutique en France. Quelques avancées ont été enregistrées, au niveau européen, sur la pharmacovigilance, avec un système de données centralisées qui pourraient améliorer les choses. Dans le cas du Mediator, nous avons été frappés du manque de communication des structures de pharmacovigilance au niveau européen. La collaboration entre les structures européennes est pourtant un gage d'information irremplaçable.
Par ailleurs, nous avons été très étonnés de constater l'ampleur des liens qui unissent les experts avec l'industrie pharmaceutique. Comme les personnes du Leem, nous pensons que c'est de nature à altérer le jugement.
M. François Autain , président. - Les personnes du Leem pensent cela ?
M. Grégory Caret. - Dans le cadre de liens d'intérêts négatifs en tout cas.
M. François Autain , président. - Les liens d'intérêts sont donc importants pour un laboratoire dans la mesure où ils jouent un rôle négatif ?
M. Grégory Caret. - La transparence sur les liens d'intérêts est souhaitable pour tout le monde.
M. François Autain, président. - Tout le monde est d'accord, même les laboratoires, pour préconiser la transparence. Certains sont même prêts à appliquer certaines dispositions du Sunshine Act américain, par exemple la publication tous les ans de la liste des médecins avec lesquels les laboratoires ont des conventions, ainsi que le montant des versements effectués à chaque médecin titulaire d'une convention. A ces médecins, nous souhaitons ajouter les associations, les sociétés savantes et un certain nombre d'autres acteurs du système de soins, qui ont parfois des liens avec les laboratoires. Je pense notamment aux économistes de la santé. Cette transparence est acceptée par tous.
Toutefois, suffit-il à un expert de dire qu'il est transparent ? C'est là que les difficultés commencent. Un expert siégeant à la commission d'AMM qui joue la transparence n'en demeure pas moins membre de la commission d'AMM. Il faut mettre en oeuvre un règlement très strict permettant d'éviter les conflits d'intérêts.
Vous avez insisté sur des mesures à prendre. Aujourd'hui, les règles ne sont respectées ni à la commission d'AMM, ni à la commission nationale de pharmacovigilance. La première n'arrive pas à mettre en oeuvre ce règlement. Dans cette commission, quinze experts ont des liens d'intérêts avec Sanofi-Aventis. Les jours où ils doivent procéder à des examens de médicaments de Sanofi-Aventis, il faudrait donc qu'ils fassent sortir tous ces experts. J'ai senti chez le président et le vice-président qu'ils sont face à une difficulté qu'ils ne parviennent pas à résoudre. D'ailleurs, ils n'arrivent pas non plus à faire sortir les représentants des laboratoires pharmaceutiques présents contre toute attente. Les laboratoires « occupaient » l'Afssaps sans qu'aucun directeur général ne leur dise quoi que ce soit. Depuis l'affaire du Mediator, il semble que l'Afssaps se soit décidée à faire le ménage, mais jusque récemment, les représentants des laboratoires pharmaceutiques étaient partout.
Dans ces conditions, ne vaudrait-il pas mieux faire en sorte que les experts qui siègent dans ces commissions n'aient pas de lien d'intérêts avec l'industrie pharmaceutique ?
M. Daniel Bideau. - Les experts totalement indépendants sont la meilleure solution. Encore faut-il les trouver. A tout le moins, une publicité complète des débats, avec un enregistrement et un verbatim, est indispensable, de manière à ce que nous connaissions les prises de position de chaque expert.
M. François Autain , président. - Cette publicité des débats semble acquise pour la commission de la transparence et la commission d'AMM. Cette évolution est plutôt positive, étant entendu que l'idéal serait des experts indépendants.
M. Daniel Bideau. - Outre les déclarations de liens d'intérêts, nous avons également besoin d'aller plus loin dans le contrôle de ces liens d'intérêts. Dans le système américain, le Sunshine Act est très important en matière de transparence des décisions. Il éclaire la scène d'une clarté importante par rapport à ce qui se passe en France.
M. Grégory Caret. - La séance du 27 mars 2007 de la commission nationale de pharmacovigilance a fait l'objet d'un compte rendu. A la fin, il est écrit que « certains membres de la commission souhaitent faire connaître leur opinion en se prononçant pour un bénéfice/risque défavorable au Mediator ». Il semble donc qu'il y a eu des débats. Certaines personnes n'ont pas réussi à faire entendre leur voix.
M. Daniel Bideau. - Cela renvoie à une autre de nos demandes : la publicité des avis minoritaires.
M. François Autain , président. - Vous avez parlé de l'encadrement des prescriptions. Nous avons beaucoup de difficultés à contrôler les prescriptions hors AMM. Nous n'avons pas les moyens. Nous possédons une base de données importante, mais nous ne connaissons pas les maladies pour lesquelles les médicaments sont prescrits car nous ne sommes pas parvenus à mettre en oeuvre la loi Teulade de 1993, qui instituait le codage des maladies. Avez-vous perçu cette difficulté ? Y avez-vous réfléchi ? Avez-vous des réponses ?
M. Daniel Bideau. - Ces prescriptions ne tiennent que dans la mesure où l'on reste à un service médical rendu suffisant de la part du médicament et, surtout, à une valeur de remboursement de ce médicament. Dans le cas du Mediator, si ce médicament a continué à être prescrit, c'est parce qu'il était remboursé au taux maximal. Si ce taux de remboursement avait été limité à celui d'un service médical rendu pour le moins moyen, en tout cas insuffisant, nous aurions assisté à une baisse énorme des prescriptions.
M. François Autain , président. - Je suis d'accord. Toutefois, je ne suis pas certain qu'un remboursement à 35 %, comme l'a demandé le directeur de la sécurité sociale dans les années 2000, aurait été aussi efficace qu'un déremboursement.
M. Daniel Bideau. - C'est un élément dissuasif, mais le déremboursement était de toute manière la solution proposée par la commission au départ.
Au niveau de la prescription, il existe un élément important qui est la notion de dénomination commune internationale (DCI), qui présente un double intérêt. Elle permet d'abord de faire prescrire un médicament valable dans n'importe quel pays européen, voire du monde. De plus, il n'y a pas de fixation sur la marque du produit. J'aimerais une généralisation de cette DCI. Nous l'avons demandée avec la Mutualité française il y a une dizaine d'années, mais nous n'avançons pas assez dans ce dossier.
M. François Autain , président. - Aux Etats-Unis, la prescription est à 85 % en dénomination commune internationale. En France, nous sommes à peine à 15 % ou 20 %. Il y a pourtant eu des incitations. Nous avons à notre disposition un certain nombre de moyens que nous n'utilisons pas suffisamment.
Que pensez-vous de la présence des représentants des consommateurs dans les commissions ? Actuellement, seule la commission nationale de pharmacovigilance prévoit leur présence.
M. Daniel Bideau. - Pour notre part, nous sommes présents dans la commission de la publicité.
Nous sommes très circonspects quant à la représentation des usagers dans les commissions. Nous ne sommes pas des spécialistes du médicament. En revanche, nous souhaitons être destinataires de l'information liée aux débats de ces commissions et à ce qui s'y décide. La consultation des associations peut être un élément préliminaire à une décision. Dans un cas de médicament lié au diabète, l'association française des diabétiques (AFD) pourrait être consultée. D'autres associations d'usagers n'ont pas cette position. Certaines souhaitent siéger dans les commissions.
M. François Autain , président. - Quel bilan tirez-vous de votre participation à la commission de la publicité ?
M. Daniel Bideau. - Ce bilan est assez positif. Nous avons pu contribuer, avec l'ensemble des personnes siégeant dans cette commission, au retrait de certains produits du marché.
M. François Autain , président. - Avez-vous une opinion quant aux modalités selon lesquelles sont examinées les publicités des laboratoires, selon qu'elles sont destinées aux médecins ou au public ? Dans un cas, le contrôle est a posteriori . Dans l'autre, il est a priori . Cette distinction vous apparaît-elle justifiée ?
M. Daniel Bideau. - Il faut être particulièrement circonspect du côté de la publicité. Nous collaborons avec d'autres associations européennes de consommateurs. Nous sommes membres du collectif Europe et médicament. Dans ce collectif, nous avons une opinion très mesurée sur l'éducation thérapeutique que veulent promouvoir les firmes. Nous pensons que cette éducation doit rester la prérogative du médecin, avec une grande indépendance.
M. François Autain , président. - Vous êtes donc opposés aux dispositions résultant de la loi hôpital, patients, santé, territoires (HPST), qui prévoit que les laboratoires peuvent financer directement ou indirectement l'éducation thérapeutique.
M. Daniel Bideau. - Clairement.
M. François Autain , président. - Lorsque la commission a terminé d'examiner la demande d'un laboratoire concernant la publicité d'un médicament, il arrive parfois que cette publicité soit déjà pratiquement terminé. De fait, même si cette publicité est qualifiée de mensongère, elle a déjà eu le temps de faire ses ravages. Ne serait-il pas plus juste de prévoir une autorisation a priori pour toutes les publicités ?
M. Daniel Bideau. - Il faut cette autorisation avant de lancer la publicité sur le marché. Actuellement, ce n'est pas le cas, mais nous sommes très prudents quant à la publicité du médicament. Nous nous rendons bien compte des liens qui existent entre les revues qui pratiquent l'information médicale et cette publicité. Au sein de Que Choisir , nous sommes particulièrement attachés à l'indépendance de la presse
M. Grégory Caret. - Les stratégies de marketing visent de plus en plus à vendre une maladie en amont pour après vendre un médicament. Nous l'avons vu avec les enfants sur-actifs. Cela nous rend méfiant quant à la communication sur les maladies.
M. François Autain , président. - Avez-vous pris connaissance du rapport Even-Debré préconisant la suppression du SMR pour ne plus se fonder que sur l'ASMR ? Actuellement, il existe une certaine confusion. Un médicament à SMR insuffisant ne doit pas être pris en charge par la sécurité sociale. Ce point est respecté. La plupart des médicaments mis sur le marché aujourd'hui ont un SMR important, mais lorsque nous les comparons à d'autres médicaments, nous nous apercevons qu'ils ne sont pas utiles, car pas meilleurs. Ils ont donc un ASMR V, mais bénéficient tout de même d'un remboursement à 65 %. De plus, beaucoup de médicaments ASMR V sont mis sur le marché à un prix supérieur à ceux qui existent déjà. Je ne vois pas comment la sécurité sociale peut réaliser des économies de cette manière. Je considère donc que les médicaments qui n'apportent pas un service rendu supérieur à ceux qui existent déjà ne doivent plus être remboursés. Qu'en pensez-vous ?
M. Daniel Bideau. - Le déremboursement est un élément dissuasif très fort. Je parlerais plutôt de l'évaluation des nouveaux médicaments mis sur le marché. Je souhaiterais que la valeur de ces médicaments soit évaluée à ce moment-là et que ceux qui ont un service médical rendu insuffisant ne soient pas mis en circulation.
M. François Autain , président. - Vous me parlez d'ASMR, tout en parlant de service médical rendu, mais je crois que nous disons à peu près la même chose. Vous considérez que les médicaments qui n'apportent pas d'amélioration du service médical rendu ne doivent pas être mis sur le marché.
M. Daniel Bideau. - Nous avons cité le pourcentage de nouveaux médicaments mis sur le marché qui ne présentent pas d'intérêt. Nous ne voyons pas pourquoi ces nouveaux médicaments sont mis sur le marché. Nous sommes très en retrait sur la décision de mise sur le marché de ces nouveaux médicaments qui n'auraient pas d'intérêt thérapeutique valable par rapport à ceux qui existent déjà.
M. François Autain , président. - Souvent, ce ne sont pas les Français qui mettent ces médicaments sur le marché. C'est l'Europe. Notre seule riposte est de ne pas les rembourser. Il y a là un débat à poursuivre sur le remboursement de médicaments qui n'apportent rien par rapport à ceux qui existent déjà.
M. Grégory Caret. - Les Britanniques sont beaucoup plus sévères que nous. Pour eux, l'AMM n'est pas une autorisation de mise sur le marché. La décision est prise dans un second temps.
M. François Autain , président. - Il y a deux ans, vous avez eu l'occasion d'intervenir concernant les liens d'intérêts et l'application de la loi du 4 mars 2002 relative à l'obligation qu'ont les médecins de déclarer leurs liens d'intérêts lorsqu'ils s'expriment publiquement ou lorsqu'ils rédigent un article dans la presse. Il a fallu attendre cinq ans pour que le décret soit publié.
M. Grégory Caret. - Nous avions saisi le Conseil de l'Ordre, qui n'a pas semblé réellement ravi que nous lui demandions d'agir en ce sens. En discutant avec les médecins, nous avons pu constater que beaucoup d'entre eux découvraient cette obligation. Il restait donc un important travail de pédagogie à mener. De ce côté, nous n'avons pas bénéficié d'une oreille extrêmement attentive.
Mme Christiane Kammermann. - Votre audition était très intéressante, notamment ce que vous avez dit à propos de l'Espagne, où le Mediator a été retiré en 2003.
M. Daniel Bideau. - C'est Servier qui a retiré le médicament en Espagne.
Mme Christiane Kammermann. - Comment est-ce que possible que ce n'ait pas été fait en France ?
M. Daniel Bideau. - Servier a expliqué que le Mediator avait été retiré d'Espagne pour des raisons économiques, mais un cas de valvulopathie avait été signalé dans ce pays. Un rapport écrit de l'autorité sanitaire espagnole le prouve. Manifestement, les autorités françaises du médicament n'ont pas récupéré l'information.
Mme Christiane Kammermann. - Cela paraît invraisemblable.
M. Grégory Caret. - Nous n'avons jamais trouvé mention de remontée d'effets indésirables par les laboratoires Servier dans les rapports de pharmacovigilance. Le médicament n'était donc pas efficace, il était dangereux et il y avait des dérives de prescription. Cela faisait au moins trois motifs pour l'interdire !
Mme Christiane Kammermann. - Des experts indépendants et le contrôle des liens d'intérêts sont des points également très importants.
Mme Virginie Klès. - Autant que je sache, Servier n'avait pas une réputation sans tâche dans le milieu. Avez-vous eu écho d'autres affaires ou d'autres dysfonctionnements que le Mediator ?
M. Grégory Caret. - Nous n'avons pas d'élément concret. Nous avons entendu des bruits et rencontré des médecins. L'on nous a raconté la manière de procéder des visiteurs médicaux, notamment de sexe féminin.
M. Daniel Bideau. - Un médicament antérieur au Mediator, l'Isoméride, a déjà défrayé la chronique, et continue de le faire, puisqu'une première décision de justice a été rendue. Les indélicats jouent sur un système qui ne fonctionne pas et qui doit être clarifié.
M. François Autain , président. - C'est ce que nous allons essayer de contribuer à faire. Merci beaucoup.
Audition de M. Etienne CANIARD, président de la Fédération nationale de la mutualité française, président de la Fondation de l'avenir pour la recherche médicale appliquée (mardi 5 avril 2011)
M. François Autain , président. - Nous poursuivons ces auditions avec M. Etienne Caniard, président de la Fédération nationale de la mutualité française et président de la Fondation de l'avenir pour la recherche médicale appliquée. Il est accompagné de M. Jean-Martin Cohen-Solal, directeur général de la Mutualité, et de deux autres collaborateurs.
Je vous rappelle que cette audition est ouverte à la presse et qu'elle fait l'objet d'un enregistrement audiovisuel en vue de sa diffusion sur le site Internet du Sénat et éventuellement sur la chaîne Public Sénat.
En application de l'article L. 4113-13 du code de la santé publique, je dois demander à M. Jean-Martin Cohen-Solal de nous faire connaître, s'il en a, ses liens d'intérêts avec l'industrie pharmaceutique.
M. Jean-Martin Cohen-Solal. - Je n'ai aucun lien d'intérêts avec l'industrie pharmaceutique.
M. François Autain , président. - Je vous prie également d'excuser l'absence de Mme la rapporteure, qui est accaparée par le débat sur la loi bioéthique.
Monsieur le Président, souhaitez-vous procéder à une intervention liminaire ?
M. Etienne Caniard, président de la Fédération nationale de la mutualité française, président de la Fondation de l'avenir pour la recherche médicale appliquée . - Merci monsieur le président. J'interviens en tant que président de la Mutualité française. J'entends vous présenter notre plan et nos propositions. Toutefois, ce plan de la Mutualité française n'est pas une réponse à la seule question posée par le Mediator. Il s'agit d'une réponse plus globale dont les sujets économiques de prix et de remboursement ne sont pas absents.
Les caractéristiques de ce plan sont les suivantes. La première vise à éviter toute confusion dans les responsabilités. Actuellement, il y a beaucoup de confusion des genres dans la manière dont fonctionne le circuit des médicaments. Beaucoup d'acteurs se substituent à d'autres, qu'il s'agisse par exemple de la place respective de l'industrie pharmaceutique et des pouvoirs publics en matière d'information, de l'affrontement des logiques industrielles et sanitaires ou de l'articulation entre les procédures d'autorisation et les règles de vigilance. Nous avons donc essayé de bien mettre chacun face à ses responsabilités.
La deuxième caractéristique de notre plan est qu'il vise à essayer d'assurer davantage de sélectivité, que ce soit dans les procédures d'AMM, dans la fixation des prix, dans les taux de remboursement ou dans l'appréciation des risques. Il s'agit pour nous d'une condition absolument essentielle pour redonner sa juste place au médicament. Il faut tout à la fois éviter les situations de rente et la suspicion sur l'ensemble des médicaments.
Enfin, la finalité de nos propositions consiste à regarder tout cela avec pour seul prisme l'intérêt du patient, qui nous semble parfois un peu oublié tant dans la réflexion que dans son rôle d'acteur de la politique du médicament.
C'est donc dans ce contexte que la Fédération nationale de la mutualité française (FNMF) a formulé un certain nombre de propositions. Nous les avons résumés en dix points.
La première proposition consiste à redonner du sens à l'autorisation de mise sur le marché. Le médicament n'est pas un produit comme les autres. Les règles d'accès à un marché doivent être plus sélectives que dans d'autres domaines. Pour qu'un médicament puisse être mis sur le marché, il doit faire la preuve d'un progrès thérapeutique. En matière de procédure, cela implique d'interdire les essais contre placebo lorsqu'il existe un traitement sur le marché et de procéder à des études vis-à-vis de comparateurs existants. C'est un point extrêmement important pour nous. Au niveau européen, les textes de l'Agence européenne du médicament préfèrent les essais avec comparateur plutôt que les essais contre placebo. Aujourd'hui, nous avons le sentiment que cette position évolue, et qu'il est de plus en plus admis que les essais contre placebo suffisent. Certains, prenant prétexte de la difficulté à réaliser des études préalables à la mise sur le marché, préconisent même des AMM conditionnelles. Cela nous paraît extrêmement dangereux.
M. François Autain , président. - Les AMM conditionnelles figurent-elles dans la directive qui vient d'être adoptée sur la pharmacovigilance ?
M. Etienne Caniard. - Non, je ne crois pas. Toutefois, le débat est très présent dans les instances européennes.
M. François Autain , président. - A ce jour, il n'y a donc pas de texte européen sur les AMM conditionnelles ?
M. Etienne Caniard. - Pas à ma connaissance. En revanche, l'industrie pharmaceutique plaide pour un allègement des conditions d'autorisation de mise sur le marché et pour un renforcement des études post-AMM. De notre point de vue, ce sont les deux étapes qui doivent être renforcées. Le renforcement de la phase post-AMM ne doit pas conduire à accorder des AMM conditionnelles. Ce point important s'accompagne d'autres propositions, par exemple le fait de rendre totalement transparent l'ensemble des essais conduits sur un médicament. Aujourd'hui, l'accès aux données des essais cliniques n'est pas exhaustif. Certains essais négatifs ne sont pas publiés. Ces pratiques sont tout à fait inacceptables.
Notre deuxième proposition vise à considérer que le bénéfice de l'AMM ne doit pas être un bénéfice définitif. Aujourd'hui, il existe une procédure de révision au bout de cinq ans, puis l'AMM est définitive. Nous pensons que la révision quinquennale doit être régulière.
M. François Autain , président. - Il faut donc revenir sur la directive de 2004 ?
M. Etienne Caniard. - Absolument. La balance bénéfices-risques doit être réévaluée régulièrement au regard à la fois des éléments de pharmacovigilance qui s'appliquent aux produits et des éléments provenant de la surveillance populationnelle.
Les réévaluations régulières doivent être fondées sur des études post-AMM. Il faut profiter de ces réévaluations pour s'interroger sur d'éventuelles extensions d'indications. Aujourd'hui, le périmètre des indications demandées lors du dépôt d'une AMM est dans la main des industriels. Ce périmètre est parfois volontairement restreint, l'extension se faisant ensuite dans la vie réelle du produit.
M. François Autain , président. - Pensez-vous que les laboratoires soient si pervers que cela ? Pour vendre plus cher une molécule, ils sont capables de la travestir en molécule pour une maladie orpheline, quitte ensuite à étendre son AMM pour qu'elle bénéficie au plus grand nombre ?
M. Etienne Caniard. - Je ne suis pas certain que ce soit toujours une perversion totalement assumée. L'apparence de la bonne foi peut être préservée. Il suffit de présenter les études disponibles à un moment et d'en avoir d'autres en cours.
M. François Autain , président. - Pour la plupart, ce sont des entreprises éthiques et citoyennes.
M. Etienne Caniard. - Ce sujet du périmètre des indications est absolument essentiel. Aujourd'hui, le périmètre de l'indication demandée est à la main des laboratoires. Lorsque le périmètre est restreint, fût-il demandé pour des raisons extrêmement perverses d'obtention d'un prix plus important, la prescription hors AMM se développe de manière importante et relativement opaque. L'exemple du Mediator montre bien que personne n'est capable de dire très précisément le pourcentage du produit prescrit hors AMM.
M. François Autain , président. - Entre 10 % et 30 %.
M. Etienne Caniard. - Ce qui est quand même une marge d'erreur importante. Le taux de prescription hors AMM ne pourrait être mesuré que par l'assurance maladie. Hors celle-ci ne possède aucun moyen de le vérifier, l'indication de la pathologie n'étant pas appliquée. Dans les prescriptions hors AMM, la seule obligation faite aux médecins consiste à inscrire la mention « NR » dans la marge d'une ordonnance. Cela laisse entendre que pour les pouvoirs publics, l'équilibre des comptes est plus important que la sécurité sanitaire de la population.
J'insiste beaucoup sur ce sujet du périmètre des indications car il est à la base de beaucoup de dérives du système en matière de prix et de sécurité.
M. François Autain , président. - Il m'a été dit que l'assurance maladie remboursait parfois malgré la mention « NR ». Est-ce vrai ?
M. Etienne Caniard. - Nous n'avons aucun accès au produit remboursable. La seule information dont bénéficie la Mutualité est le taux du produit. Quant à savoir si le terme NR a été écrit, nous sommes malheureusement très loin d'avoir ce niveau d'information.
Sur le plan de la pharmacovigilance, nous pensons que les instances chargées de l'autorisation de mise sur le marché et les instances chargées de la vigilance et des études post-AMM doivent être séparées.
M. François Autain , président. - Le directeur de l'Afssaps va tout à fait en sens contraire. Récemment, il a procédé à des réunions conjointes entre la commission AMM et la commission nationale de pharmacovigilance. Les écarts entre ce que vous proposez et ce qui se dessine actuellement sont donc considérables. La séparation entre l'AMM et la pharmacovigilance me semble plutôt être la voie que nous devrions emprunter.
M. Etienne Caniard. - Dans le cas du Mediator, le rapport de l'Igas montre bien que le délai entre les premiers signalements et la réaction a été très long. Peut-être est-ce dû au fait qu'il est extrêmement difficile, pour quelqu'un qui a accordé une autorisation de mise sur le marché, de faire intellectuellement le chemin inverse. De ce point de vue, une séparation des pouvoirs pourrait donc avoir de l'intérêt.
De plus, la pharmacovigilance épidémiologique - études populationnelles permettant de détecter des signaux faibles - est extrêmement peu développée en France. Il nous paraît important d'avoir une organisation de ce type, assez courante dans le système de santé. Dans beaucoup de domaines, il existe un niveau d'autorisation, un niveau de vigilance et, au milieu, l'espace du bon usage et de l'évaluation. Cette distinction peut s'appliquer au médicament. Nous avons le niveau des autorisations et le niveau de l'évaluation. Il reste le domaine de la vigilance, qui recouvre deux aspects : la sécurité de la pharmacovigilance attachée au produit et la pharmacovigilance épidémiologique. Nous préconisons que cet échelon de la vigilance soit rattaché à l'institut de veille sanitaire (InVS), qui a des missions générales de vigilance. Cela aurait l'énorme avantage de séparer les rôles et de développer des outils de pharmacovigilance épidémiologique.
M. François Autain , président. - Souhaitez-vous transférer toutes les vigilances à l'InVS, ou seulement la vigilance médicamenteuse ?
M. Etienne Caniard. - Toutes les vigilances qui sont fondées sur des études et qui reposent essentiellement sur l'épidémiologie devraient être transférées à l'InVS. Il s'agit d'un métier particulier. L'InVS est particulièrement bien placé et compétent.
M. François Autain , président. - Dans ces conditions, qui prendrait la décision de suspension ou de retrait ?
M. Etienne Caniard. - De notre point de vue, la structure qui organise la vigilance doit avoir le pouvoir de retrait, sinon nous retomberions dans la confusion des rôles. Chacun doit assumer ses responsabilités. Ceux qui se livrent à l'analyse des conditions de danger potentiel pour la population doivent avoir le pouvoir de retrait.
M. François Autain , président. - Faut-il également transférer la matériovigilance ?
M. Etienne Caniard. - Ce sont les mêmes aspects : l'un concerne les dispositifs médicaux eux-mêmes, l'autre repose sur des analyses épidémiologiques. Il n'y a pas de raison de la traiter différemment. Dans un certain nombre de propositions, nous dressons des parallèles entre le dispositif médical et le médicament. Notamment en matière d'évaluation et de surveillance des risques, le niveau d'exigence est bien inférieur pour les dispositifs médicaux que pour les médicaments.
La fonction de pharmacovigilance doit s'appuyer sur des études post-AMM. Nous pensons qu'il appartient aux pouvoirs publics de financer l'ensemble de ce dispositif de pharmacovigilance et les études post-AMM. C'est une garantie d'indépendance et un moyen de diminuer de manière considérable le nombre de conflits d'intérêts. La banalisation des conflits d'intérêts fait le lit de discours expliquant qu'il n'existe pas d'experts compétents qui n'ont pas de conflits d'intérêts car par nature, ils sont tous impliqués dans des études post-AMM.
Notre quatrième proposition vise à mobiliser les professionnels de santé dans la sécurité du médicament. Cette mobilisation passe par de nombreux outils. Le premier est la pertinence de la prescription. Aujourd'hui, la liberté de prescription des médecins est largement altérée par la manière dont l'information leur est diffusée.
La mobilisation des professionnels de santé doit passer par plusieurs leviers. Ils doivent notamment être intégrés au dispositif de pharmacovigilance, ce qui est très peu le cas actuellement. Aujourd'hui, les dispositifs conventionnels sont utilisés à des fins pharmaco-économiques. Pourquoi ne pas également intégrer les aspects de sécurité ? Dans un certain nombre de domaines, nous avons besoin d'une participation plus active, parfois par spécialité. La pharmacovigilance pourrait être intégrée dans ces dispositifs conventionnels, que ce soit dans les contrats de type contrat d'amélioration des pratiques individuelles (Capi) ou dans les dispositifs conventionnels en général. Nous pourrions également nous interroger sur l'intégration des pharmaciens dans ce dispositif.
L'utilisation des logiciels métiers, notamment les logiciels d'aide à la prescription, est un sujet très important pour impliquer les professionnels. Ce sujet est largement sous-évalué en France. Nous avons souvent beaucoup de soucis avec la qualité de l'information, d'une recommandation ou d'un avis, mais nous nous interrogeons assez peu quant à la manière dont cette information est intégrée dans la pratique des professionnels. De plus en plus, cette intégration se fait par le biais d'« outils métiers ». La puissance publique doit faire preuve d'une très forte vigilance pour vérifier que ces « outils métiers » ne comportent pas de biais, qu'ils sont conformes aux recommandations en vigueur et qu'ils contribuent à une meilleure qualité des soins.
M. François Autain , président. - Et qu'ils ne comportent pas non plus de publicité.
M. Etienne Caniard. - Cela fait partie des biais. Parfois, des systèmes sont bien plus dangereux qu'une publicité directe. Il s'agit par exemple des logiciels qui comportent des ordonnances types pour certaines pathologies. C'est un moyen autrement plus pervers d'inciter à la prescription de certains produits.
Nous devons nous interroger sur la manière de certifier l'indépendance et la qualité des logiciels d'aide à la prescription, ainsi que sur leur utilisation en vie réelle. Lorsque j'ai quitté la HAS, il n'y avait qu'un logiciel certifié, à diffusion relativement confidentielle. Pourquoi ? Parce que les éditeurs, qui sont très souvent dans des modèles économiques liés à l'industrie pharmaceutique, n'ont aucun intérêt à entrer dans cette certification. Ils n'ont aucun intérêt à proposer des outils métiers.
Une modification apportée à la loi de finances de la sécurité sociale pour 2010 prévoit la possibilité d'inciter à l'utilisation de ces logiciels par les dispositifs conventionnels. Il faut travailler dans ce domaine. La HAS avait officiellement saisi la Cnam pour intégrer ces questions dans les dispositifs conventionnels. Sans incitation très forte à leur utilisation, ces logiciels n'ont aucune chance de se développer. Il existe donc deux solutions : l'obligation ou l'incitation extrêmement forte. Il est tout à fait possible de lier la possibilité d'être conventionné à l'utilisation d'un logiciel certifié. Un pays comme la Belgique a été aussi loin que cela. Des dispositifs extrêmement puissants de financement de la maintenance des logiciels ont été mis en place.
Au-delà des logiciels d'aide à la prescription, le même souci se pose pour la diffusion des recommandations de la HAS. Il existe des systèmes d'aide à la décision intégrés dans des « outils métiers » à destination des médecins. Il est essentiel que la puissance publique s'y intéresse. Les pouvoirs publics doivent comprendre que pour un médecin, le mode d'acquisition d'une recommandation ou de données scientifiques passe davantage par l'acquisition d'outils que par l'apprentissage.
Notre cinquième recommandation porte sur la simplification des questions qui touchent au remboursement et au prix. Aujourd'hui, derrière l'AMM, l'accès au marché en termes de prix et de remboursement n'est ni transparent, ni compréhensible par le public et les professionnels. Lorsqu'un médicament se voit attribuer un service médical rendu insuffisant, deux cas de figure se présentent. S'il s'agit d'une première inscription, le service médical rendu insuffisant entraîne automatiquement une absence de remboursement. S'il s'agit d'une révision, ce service médical rendu insuffisant n'entraîne pas automatiquement le déremboursement du médicament. C'est le ministre qui décide. Cet élément inéquitable entre les produits rend extrêmement difficile à comprendre la réévaluation nécessaire des médicaments.
Par ailleurs, parmi les missions de la commission de transparence figure la détermination du niveau de service médical rendu. Il existe cinq niveaux qui, théoriquement, doivent conduire à déterminer le taux de remboursement. Or il n'existe que quatre taux de remboursement, contre cinq niveaux de service médical rendu. Ce n'est pas totalement idéal en termes de lisibilité. Ainsi, le taux de 15 % mélange des produits à service médical rendu insuffisant et des produits à service médical rendu faible.
Nous pensons que le nombre de niveaux de service médical rendu doit correspondre au nombre de taux de remboursement. Au-delà, nous pensons que le nombre de taux de remboursement devrait être réduit. Trois niveaux nous paraîtraient le minimum : un service médical rendu important, un service médical rendu modéré et un service médical rendu insuffisant, avec pour chacun un taux de remboursement. Dans cette optique de simplification, il nous paraît nécessaire que les avis de la commission de transparence de la HAS soient contraignants.
M. François Autain , président. - Ce n'est pas ce qui se passe à l'heure actuelle.
M. Etienne Caniard. - En cas de réévaluation d'un service médical rendu à insuffisant, le déremboursement n'est pas automatiquement appliqué.
Un autre point est important. Parmi les critères du service médical rendu figure la gravité de la maladie. Ce critère m'a toujours surpris.
M. François Autain , président. - Vous faites allusion à la réglementation.
M. Etienne Caniard. - Oui. C'est le décret d'octobre 1999 qui fixe l'ensemble des critères sur lesquels doit s'appuyer la commission de la transparence pour définir le niveau de SMR. Ce critère de la gravité de la pathologie doit nous interroger. J'ai beaucoup de mal à comprendre en quoi la gravité d'une pathologie doit avoir une influence sur le niveau d'efficacité d'un produit. L'idée est qu'en l'absence de réponse thérapeutique face à une pathologie, il est acceptable de mettre dans la pharmacopée un médicament qui ne sert à rien, mais qui permet une approche compassionnelle vis-à-vis de la pathologie. Cela explique probablement beaucoup de différences quant à l'état d'esprit des prescripteurs vis-à-vis du médicament. Lorsqu'il n'y a rien à faire, on préfère mettre sur le marché un médicament dont l'on sait qu'il est inefficace. Ce sujet est important. Ce n'est pas parce qu'une pathologie est grave qu'un produit dont l'efficacité est faible doit être mis sur le marché.
M. François Autain , président. - Pour un médecin généraliste, il est plus facile de prescrire que de ne pas prescrire.
M. Etienne Caniard. - Vous avez totalement raison. Incontestablement, le fait d'inscrire dans les textes que la gravité d'une pathologie peut conduire à évaluer différemment un produit amène à s'interroger sur la logique qui sous-tend ce type d'information.
Venons-en maintenant aux aspects du prix.
M. François Autain , président. - Que pensez-vous de l'amélioration du service médical rendu ? Ne vous intéresse-t-elle pas ?
M. Etienne Caniard. - Elle nous intéresse un peu moins suite à ce que j'ai dit à propos des critères d'autorisation de mise sur le marché. Pour qu'un produit soit mis sur le marché, il doit apporter un progrès thérapeutique. Cela sous-entend qu'il a un ASMR positif. Dès lors, le rôle de la HAS et de la commission de transparence est un peu modifié. Aujourd'hui, la commission de transparence doit à la fois déterminer le SMR et évaluer l'ASMR. L'introduction du critère de progrès thérapeutique au niveau de l'autorisation de mise sur le marché limite le rôle de la commission de transparence à l'évaluation du SMR et des conditions du bon usage du produit. Le système que nous préconisons permet de dire que la comparaison avec des produits existants limitera le nombre de produits qui arrivent sur le marché, donc la pharmacopée française. Le rôle de la HAS consistera davantage à évaluer le SMR au regard du taux de remboursement et les conditions de bon usage du médicament, sans connexion directe entre le SMR et l'ASMR.
M. François Autain , président. - Vous renversez la perspective en transférant à la commission d'AMM le travail qu'effectue aujourd'hui, dans des conditions contestables, la commission de la transparence. Finalement, c'est la commission d'AMM qui déterminera l'ASMR. Il s'agit d'un renversement complet de la perspective. C'est à partir de médicaments dont nous sommes certains qu'ils apportent une amélioration que sera déterminé le service médical rendu, en fonction des critères contenus dans la réglementation.
M. Etienne Caniard. - A l'exception du critère de gravité de la maladie.
M. François Autain , président. - La commission de la transparence ne ferait plus qu'établir une hiérarchie dans l'efficacité des médicaments mis à sa disposition. De quels moyens disposerait-elle pour cela ? Comment évaluerait-elle le taux de service médical rendu de tel ou tel médicament ?
M. Etienne Caniard. - Dans les mêmes conditions qu'aujourd'hui. La commission de transparence travaille plutôt bien en matière d'évaluation du service médical rendu. L'architecture de notre système vise à introduire les éléments de comparaison en amont, au niveau de l'AMM, ce qui réduit le nombre de médicaments sur le marché et donne davantage de sélectivité. En matière d'évaluation du SMR, il n'y a pas grand-chose à modifier par rapport aux règles actuelles. S'agissant de l'élaboration des règles de bon usage du médicament, il ne faut pas oublier qu'en créant la Haute Autorité de santé, le législateur considérait que la prise en charge d'une maladie devait être globale. L'intérêt de la commission de transparence est de donner des recommandations de bon usage du médicament qui peuvent comparer l'approche médicamenteuse à une autre approche.
M. François Autain , président. - Ce n'est pas la commission d'AMM qui fait cela.
M. Etienne Caniard. - Effectivement. Il ne faut pas oublier cet aspect, qui est un élément extrêmement important dans la stratégie thérapeutique. Le médicament n'est pas la réponse absolue et unique au traitement de toutes les pathologies. Parfois, d'autres moyens doivent être mis en oeuvre.
M. François Autain , président. - Ce que vous dites me perturbe beaucoup. Le rapport Debré-Even préconise exactement l'inverse, notamment la suppression du SMR. Pour votre part, vous préconisez la suppression de l'ASMR et son remplacement par le SMR, mais dans certains cas, celui-ci pourra être considéré comme une amélioration par rapport aux traitements non-médicamenteux auxquels il sera comparé. Par delà vos différences, je me demande si vous n'avez pas la même préoccupation. Je crois qu'il faudra renoncer à l'un des services. Nous ne pouvons pas conserver les deux. Personne n'y comprend rien. Nous ne mettons pas toujours les mêmes conceptions derrière les mêmes sigles. Votre système a une certaine logique dans la mesure où tous les médicaments qui sont soumis à l'AMM font l'objet d'un comparatif. Nous en sommes très loin aujourd'hui.
M. Etienne Caniard. - Notre plan ambitionne de remettre les choses dans l'ordre. Nous avons deux objectifs dans le circuit du médicament. Le premier vise à ne mettre sur le marché que des produits qui apportent un progrès thérapeutique. Ensuite, la question qui se pose touche au remboursement. Pour nous, il est clair qu'il doit être lié à l'efficacité du produit, d'où l'intérêt de maintenir cette évaluation du SMR. Il est probable qu'une réflexion sémantique s'impose. La plupart des prescripteurs ne connaissent pas la différence entre l'ASMR et le SMR.
M. François Autain , président. - Même le rapport de l'Igas est incompréhensible dans son passage sur l'ASMR et le SMR. Il y a urgence à clarifier ces données.
M. Etienne Caniard. - Dans notre construction, en mettant en amont cette appréhension du progrès thérapeutique, nous réglons le problème par la suite. Dès lors que cette logique de progrès médical aura été adoptée dans une première évaluation pour la mise sur le marché, le reste de l'évaluation aura deux objets : fixer un taux de remboursement et des recommandations aux fins de bon usage du médicament - lesquelles intègreront des éléments de comparaison avec d'autres approches thérapeutiques. Si le législateur a souhaité mettre entre les mains de la HAS l'ensemble des moyens thérapeutiques, c'est bien pour permettre cette comparaison.
M. François Autain , président. - Nous n'avons pas le sentiment que cette comparaison a véritablement été mise en oeuvre.
M. Etienne Caniard. - Le système que l'on décrit aujourd'hui s'y prête assez mal. Nous sommes dans une logique d'évaluation de l'amélioration du service médical rendu à des fins de fixation. Les textes énoncent que le médicament ne peut être mis au remboursement que s'il démontre cette amélioration. Cela sous-entend que la comparaison se fait avec des produits. En séparant le progrès thérapeutique au niveau de l'AMM, l'évaluation du SMR pour le taux de remboursement et le bon usage du médicament au niveau de la HAS, avec un fonctionnement plus transparent du Ceps, le système aura le mérite de séparer différentes fonctions aujourd'hui complètement mêlées.
M. François Autain , président. - Vous nous avez souvent proposé des amendements très intéressants au sujet du Ceps, mais ils ont toujours été refusés par le ministre. Il est possible que les mentalités aient évolué et que nous ayons davantage de chances aujourd'hui que par le passé.
M. Etienne Caniard. - Nous nous sommes souvent exprimés sur le rôle du Ceps dans le circuit du médicament. Nous avons émis des critiques assez fortes quant à son absence totale de transparence. Tous les observateurs le disent.
M. François Autain , président. - Excepté le précédent directeur, M. Renaudin.
M. Etienne Caniard. - De l'extérieur, nous avons peu d'informations sur les ordres du jour et les comptes rendus de réunion. L'absence de transparence est un sentiment assez partagé, avec en plus des règles de fonctionnement qui ne sont pas toujours très explicites. Le Ceps semble fonctionner en se réservant des marges d'appréciation relativement importantes. Sa finalité n'a jamais été tranchée : s'agit-il de primer la politique industrielle ou la politique sanitaire ?
M. François Autain , président. - La pratique montre qu'encore une fois, l'économie l'emporte.
M. Etienne Caniard. - C'est un peu le sentiment que nous avons. Ce sentiment est renforcé par le fait que le système de conventionnement entre le Ceps et l'industrie se fasse par laboratoire et non par produit. Après tout, cette logique pourrait se défendre, mais il faudrait que les choses soient claires et qu'il soit annoncé que les décisions sont prises au nom d'une politique industrielle. Dès lors, un lieu d'arbitrage entre la politique industrielle et la politique sanitaire serait nécessaire. Aujourd'hui, nous avons le sentiment que les deux sont mêlés.
M. François Autain , président. - Le directeur du Ceps ne se cache pas de parfois remettre en cause l'évaluation de la commission de la transparence. Il n'a pas de vidéos ou d'experts tenus de publier leurs conflits d'intérêts. Il décide dans son bureau avec ses propres experts. S'il agit comme cela, c'est probablement parce que des directives ministérielles le lui permettent.
M. Etienne Caniard. - Le problème de fond tient vraiment au positionnement du Ceps. Ce qui nous choque, c'est le fait que tout soit présenté comme si le Ceps était une instance extrêmement transparente et rigoureuse, intégrant toute la procédure d'évaluation scientifique en amont. Or cette procédure amont disparaît au moment d'une prise de décision qui n'est même pas explicitée. Nous préfèrerions que la fixation des prix s'appuie sur une logique exclusivement sanitaire, et qu'il puisse ensuite y avoir un lieu d'arbitrage qui intègre des politiques industrielles.
M. François Autain , président. - Ne trouvez-vous normal que ce soit l'assurance maladie qui prenne en charge la décision ?
M. Etienne Caniard. - Il y a la question de qui supporte le coût de cette décision. Il y a surtout la question de l'explicitation de cette décision. Il ne faut pas prendre des décisions de politique industrielle en les habillant des atours d'une évaluation scientifique. C'est bien cela la difficulté. Ce que nous remettons en cause, c'est la convention par laboratoire.
M. François Autain , président. - Vous ne remettez donc pas en cause globalement le principe de la convention et le taux K.
M. Etienne Caniard. - Le Ceps doit fixer des prix par produit à partir de son évaluation.
M. François Autain , président. - Mais sans ce système de reversement et de remise qui est complètement contre-productif et qui n'apporte pas grand-chose. Le taux K est un fusil à un coup. Il n'y a pas de report sur l'année suivante. L'industrie est tout à fait gagnante. Ce point aussi doit être revu, du moins me semble-t-il.
M. Etienne Caniard. - Il existe quatre dimensions, dans ce système des remises, qui toutes doivent nous conduire à abandonner le système d'urgence. Le premier concerne les complémentaires. Les complémentaires paient 65 % d'un produit remboursé à 35 %. Imaginons une remise portant sur 20 % du prix. Il resterait 7 % qui basculent du côté du remboursement des régimes complémentaires. Par ce biais s'opère un transfert invisible de dépenses du régime obligatoire vers le régime complémentaire.
De plus, ce système de remise dissocie le prix facial du prix réel, le second étant le premier augmenté des remises. Le prix des médicaments qui est indiqué n'est évidemment pas le prix réel. Il s'agit du prix facial avant remise. Ce système ajoute donc de l'opacité. Cet élément contribue à l'absence de transparence.
Il présente également l'inconvénient d'être un fusil à un coup. Une fois l'amende payée, il est possible de continuer tranquillement comme avant. Il n'existe pas de pérennité dans le dispositif de régulation. Cette question montre bien que le dispositif actuel du Ceps n'est pas adapté, sans compter qu'il crée une véritable distorsion de concurrence, avec des politiques de prix qui ne permettent pas de procéder à des comparaisons. Tous les économistes libéraux devraient être choqués.
M. François Autain , président. - Nous sommes dans un système de prix administrés. La concurrence n'est pas libre et non faussée. Compte tenu des dysfonctionnements du Ceps, je me suis demandé s'il ne fallait pas tout simplement la supprimer et transférer à l'assurance maladie la compétence de fixation du prix, quitte à ce qu'elle soit assistée des complémentaires. Pourquoi l'assurance maladie ne serait-elle pas capable de négocier avec l'industrie pharmaceutique ? Le rapport de forces serait bien meilleur. Nous pourrions laisser la possibilité au ministère de remettre en cause la fixation du prix dans les quinze jours suivant la décision, mais à condition de motiver cette remise en cause. Je m'interroge sur l'utilité du Ceps dans ses conditions de fonctionnement actuelles.
M. Etienne Caniard. - Le renforcement du rôle des financeurs dans le Ceps est une première étape. La logique est que les financeurs aient une action sur les prix. Vous avez raison de souligner l'incohérence de notre mode de régulation par les prix. L'assurance maladie joue des rôles très différents selon qu'il est question de la rémunération des professionnels de santé, de la dotation aux établissements ou du prix des médicaments. Un système bien encadré permettant une convention entre le financeur et l'offreur de soins présenterait davantage de qualités que le système actuel.
Mon septième point touche à l'encouragement de l'utilisation de la DCI.
M. François Autain , président. - Elle a été rendue obligatoire, mais nous ne nous sommes pas donné les moyens de la rendre obligatoire. Une disposition figure dans la loi de financement de la sécurité sociale de 2009.
M. Etienne Caniard. - Si cette proposition était appliquée, nous pourrions redonner au prescripteur l'espace de liberté dont il a besoin.
Cela pose beaucoup de questions très facilement solubles, mais qui conduisent les autorités sanitaires à avoir des approches un peu différentes. Par exemple, le fait d'avoir un système d'autorisation de mise sur le marché, produit par produit, conduit à avoir énormément de difficultés à posséder une base d'information commune par dénomination commune internationale. Notamment, les conditions d'AMM peuvent différer selon les moments. Il faut donc fabriquer une recommandation virtuelle des caractéristiques du produit qui s'applique à cette dénomination commune internationale.
Notre huitième proposition porte sur le suivi et l'analyse des prescriptions hors AMM. Il faudrait avoir un peu de traçabilité sur la justification thérapeutique des prescriptions.
M. François Autain , président. - Que faire pour qu'une loi restée inapplicable pendant vingt ans soit enfin appliquée ? Cette loi est-elle réellement applicable ?
M. Etienne Caniard. - Nous pouvons nous interroger sur son applicabilité comme sur la volonté politique de l'appliquer. Les deux éléments ont probablement joué. Un codage intégral des pathologies serait difficile à mettre en oeuvre. Il serait probablement plus facile d'obtenir une justification thérapeutique d'un certain nombre de prescriptions médicamenteuses, dans des conditions à définir.
M. François Autain , président. - Il faut que ça passe par une convention ou par les contrats d'amélioration des pratiques individuelles (Capi).
M. Etienne Caniard. - Les dispositifs conventionnels sont très puissants, mais ils sont trop souvent utilisés à des fins tarifaires et de rémunération des professionnels, pas suffisamment à des fins d'organisation du système.
Le neuvième point porte sur les outils qui permettent de réduire l'influence de l'industrie pharmaceutique. La sphère publique doit réinvestir un certain nombre de domaines qu'elle a abandonnés. Je pense notamment à la formation médicale continue ou à l'évaluation des pratiques professionnelles. J'entends souvent l'argument du manque de moyens. Le financement par l'industrie pharmaceutique est dans le prix du médicament. Il est donc supporté par la collectivité. Ce n'est pas un problème économique qui est posé. Globalement, il me paraît relever de la responsabilité des pouvoirs publics d'assurer la formation professionnelle continue des médecins et l'évaluation des pratiques.
De même, les pouvoirs publics doivent réinvestir l'intérieur de l'hôpital. Je suis frappé par la place qu'y occupe aujourd'hui l'industrie pharmaceutique. Au sein de la HAS, nous avions engagé un travail visant à organiser la visite médicale à l'hôpital. Ce travail n'est pas terminé. Sur ce sujet, la mission confiée par le législateur à la HAS est extrêmement ambiguë : il s'agit de transformer la charte de la visite médicale signée par le Leem et le Ceps en une procédure de certification.
M. François Autain , président. - Il est curieux que le Ceps ait signé une charte médicale avec les laboratoires. Il aurait mieux valu que ce soit la HAS. Enfin, peu importe, vu que cette charte n'a servi à rien.
M. Etienne Caniard. - Au moment de la discussion de la loi du 13 août 2004, la HAS n'existait pas. La charte avait été signée auparavant entre le Leem et le Ceps. Nous pouvons effectivement nous interroger sur la légitimité du Ceps à signer un tel document. Le plus curieux est que le législateur ait confié à la HAS la mission de transformer cette charte en une procédure de certification sans lui donner aucun pouvoir sur le contenu de la charte. D'ailleurs, dans cette charte figurent un certain nombre de dispositions qui devraient relever du domaine réglementaire. Je pense notamment à l'interdiction des cadeaux ou de la remise des échantillons. Les résultats de la certification de la charte démontrent que les seuls domaines dans lesquels les résultats sont positifs sont ceux dans lesquels les mêmes résultats auraient pu être obtenus par une réglementation pure et simple. Il faut sortir de cette logique de charte. Nous avons besoin d'une application tout à fait spécifique de la visite médicale à l'hôpital.
La première version de la charte ne visait que la médecine de ville. Dés sa création, la HAS a demandé son extension à l'hôpital. Un travail extrêmement important a été mené pour cela, pour une extension finalement a minima , le mot hôpital ayant été ajouté en trois endroits dans la charte sans que ses spécificités ne soient prises en compte. Or la visite médicale à l'hôpital ne peut pas être organisée dans les mêmes conditions qu'en ville. Nous avons besoin d'une approche complètement différente et d'un réinvestissement de la sphère publique.
Beaucoup d'autres éléments pourraient être pris en compte pour réduire l'influence de l'industrie. Ainsi, un avenant à la charte visait à essayer de réduire la visite médicale sur certains produits. Cet élément a été complètement abandonné. D'autres éléments pourraient être utilisés, notamment ce qui touche à la taxe sur les dépenses de promotion du médicament. Les contours de cette taxe sont incertains. Personne ne s'est jamais demandé comment rendre cette taxe progressive, ce qui serait pourtant le meilleur moyen pour limiter la part des dépenses de promotion dans le chiffre d'affaires des laboratoires.
Enfin, notre dernier sujet concerne l'Europe et la directive sur l'information directe vers les patients. Toutes les expériences d'information directe du patient sur le médicament, menées aux Etats-Unis ou en Nouvelle-Zélande, ont conduit à une augmentation des volumes prescrits. Il s'agit d'une pression supplémentaire sur les médecins au travers d'une instrumentalisation des patients. Il ne faudrait pas ouvrir cette vanne. Les outils de régulation seraient alors sans effet. Globalement, cette position est défendue par la plupart des autorités françaises. Il ne faut pas que les règles européennes mettent en péril les efforts effectués. Les pays européens ne sont pas comparables. Aux Pays-Bas, les habitudes des prescripteurs sont très différentes des nôtres.
M. François Autain , président. - Votre exposé a été exhaustif. Je souhaiterais revenir sur les AMM conditionnelles.
M. Etienne Caniard. - Elles existent dans certains cas.
M. François Autain , président. - Selon les informations dont je dispose, la directive et le règlement du 15 décembre 2010 prévoient ces AMM complémentaires. C'est un véritable danger.
M. Etienne Caniard. - Cette possibilité est légale dans certains cas, mais elle reste très limitée. Le risque est que ces procédures d'exception deviennent plus générales.
M. François Autain , président. - Il s'agit davantage qu'un risque. C'est le but implicite poursuivi par les laboratoires. Il me semble bien que la directive de 2010 a modifié la directive de 2001.
Mme Christiane Kammermann. - J'ai beaucoup appris en vous écoutant. J'ai été un peu scandalisée d'apprendre que des médicaments inefficaces pouvaient être délivrés. Je vous remercie tout particulièrement.
M. François Autain , président. - Je vous remercie également.
Audition de M. Philippe DUNETON, ancien directeur général de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) (1999-2004) (mardi 5 avril 2011)
M. François Autain , président. - Nous terminons cette série d'auditions avec M. Philippe Duneton, ancien directeur général de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) entre 1999 et 2004. Je vous rappelle que cette audition est ouverte à la presse, comme vous l'avez accepté. En revanche, vous n'avez pas souhaité qu'elle soit enregistrée.
M. Philippe Duneton, ancien directeur général de l'Afssaps . - Le fait qu'elle soit filmée ne me dérange pas, mais je ne souhaite pas qu'elle soit sur Internet.
M. François Autain , président. - En application de l'article L. 4113-13 du code de la santé publique, je dois vous demander de nous faire connaître, si vous en avez, vos liens avec des entreprises produisant ou exploitant des produits de santé, ou des organismes de conseil intervenant sur ces produits.
M. Philippe Duneton. - Je n'ai aucun lien d'intérêts avant, pendant et depuis mes activités à l'Afssaps.
M. François Autain , président. - C'est assez rare pour être souligné. Je vous prie d'excuser l'absence de Mme le rapporteur, qui est prise par le débat sur la bioéthique. Je vous invite, si vous le souhaitez, à faire une déclaration liminaire.
M. Philippe Duneton. - Ma déclaration sera très courte pour laisser place aux questions. Evidemment, je suis frappé par l'ampleur de cette catastrophe sanitaire, qui est à l'évidence un coup pour le système de sécurité sanitaire français, voire européen. Je suis tout à fait à votre disposition pour tenter d'apporter les éléments qui pourraient expliquer les raisons de cette catastrophe, et éventuellement en tirer le bilan.
M. François Autain , président. - A quelle date avez-vous pour la première fois entendu parler du Mediator ?
M. Philippe Duneton. - J'ai eu à connaître du Mediator dans mes activités de directeur général de l'Afssaps pour deux raisons qui n'étaient pas directement liées à la sécurité sanitaire. En 1999, l'Afssaps a été chargée de la réévaluation du service médical rendu des spécialités sur le marché. Le Mediator faisait partie des spécialités qui avaient été considérées, par la commission de la transparence, comme ne disposant pas des éléments nécessaires par rapport au service médical rendu (SMR) pour prétendre au remboursement. En 2001, nous avons aussi publié une liste de 835 spécialités qui n'avaient pas de SMR jugé suffisant.
La seconde fois que j'ai eu à connaître le Mediator, ce fut au cours du contrôle de la publicité. J'ai été amené à prendre une décision d'interdiction de la publicité pour le Mediator, sur proposition de la commission de la publicité, pour des motifs de non-respect du libellé d'autorisation de mise sur le marché (AMM) à cette époque.
Dans aucun de ces deux cas, je n'avais la notion qu'il s'agissait d'un produit apparenté aux anorexigènes. Je n'ai découvert ce fait qu'extrêmement tardivement, à la lecture du livre d'Irène Frachon, puis au travers des révélations de la presse et lors du rapport de la mission de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas).
M. François Autain , président. - Comment expliquer que selon l'Igas, il n'y ait pas eu de réponse du directeur de l'évaluation à une note de 1999 de l'unité de pharmacovigilance de l'Afssaps portant sur les inquiétudes à propos des hypertensions artérielles et des valvulopathies ? Quand considérez-vous que le signal quant à des effets indésirables est devenu significatif ? Plus généralement, pouvez-vous détailler la procédure de remontée et de traitement des informations entre les organismes de pharmacovigilance et le directeur général de l'Afssaps ?
M. Philippe Duneton. - J'ai découvert l'existence de ce problème à la lecture du livre d'Irène Frachon, puis du rapport de l'Igas. Lorsque j'ai su qu'une mission d'inspection était en cours, j'ai contacté l'Igas. Ils m'ont parlé de cette note que j'ai retrouvée dans le rapport, mais je n'ai malheureusement pas d'explication. Je n'étais pas au courant de l'existence de cette demande de réévaluation datant de 1999, de la même manière que je n'ai pas été informé des deux cas de 1999, un cas de valvulopathie et un cas d'hypertension artérielle pulmonaire. Je les ai découverts a posteriori à la lecture du rapport.
M. François Autain , président. - Vous n'en avez pas eu connaissance.
M. François Autain , président. - Pensez-vous que ce soit normal ?
M. Philippe Duneton. - Je ne pense pas que ce soit normal. En 1999, l'agence du médicament était en construction. Il s'agissait d'étendre la sécurité sanitaire à l'ensemble des produits de santé. Il existait une relation étroite entre le directeur général que j'étais et tous les responsables des systèmes de vigilance. Les réunions étaient régulières. Les commissions nationales étaient préparées, avec un ordre du jour. Les cas difficiles étaient signalés à mon attention soit par le directeur, soit par le chef d'unité. A posteriori , je me suis tout à fait étonné de n'avoir pas entendu parler du Mediator. J'ai contacté le directeur de l'évaluation qui a été nommé à la suite de Jean-Michel Alexandre, parti en 2000. Il m'a confirmé que lui-même n'avait pas été informé d'un problème entre 2001 et février 2004.
M. François Autain , président. - Ces deux observations intervenues en 1999 sont donc restées confinées à la commission de pharmacovigilance.
M. Philippe Duneton. - De ce que j'ai reconstitué dans le cadre du rapport, je crois que ce n'était même pas à la Commission nationale de pharmacovigilance (CNPV). Selon le rapport, il n'y a pas eu d'examen par la CNPV.
M. François Autain , président. - Et en comité technique ?
M. Philippe Duneton. - Oui, mais pas en commission nationale jusqu'en 2005, qui a d'ailleurs demandé une réévaluation de la balance bénéfices-risques.
M. François Autain , président. - Lorsque vous étiez directeur général, vous aviez probablement des réunions pour examiner les médicaments pouvant poser des difficultés. A aucun moment, ce problème ne vous a été signalé ? Vous avez dit que l'agence était en phase de construction. Est-ce la seule raison pour laquelle des effets indésirables de cette importance ne sont pas arrivés jusqu'à vous ? Est-ce en raison de cette jeunesse de l'institution, ou en raison des structures qui ne permettent pas au directeur général d'être alerté aussi rapidement qu'il serait nécessaire de le faire dans le cas d'un accident relativement grave survenant avec un médicament considéré comme inutile ? Cela pourrait-il se reproduire aujourd'hui alors que l'agence a derrière elle plus de dix années d'expérience ?
M. Philippe Duneton. - Je ne peux pas dire que le directeur général ait vocation à connaître tous les cas. En matière de pharmacovigilance, 20 000 notifications sont réalisées chaque année.
M. François Autain , président. - Il y a plusieurs sortes d'effets indésirables. Une hypertension artérielle pulmonaire, ça n'est pas une inflammation de la peau.
M. Philippe Duneton. - Personne ne peut connaître l'ensemble des cas. En revanche, lorsque des éléments significatifs sont de nature à remettre en cause le bénéfice-risque, il est naturel que le directeur général soit informé.
Je connaissais bien l'histoire des anorexigènes. J'ai moi-même eu à prononcer, en application de l'arbitrage européen de septembre 1999, la suspension et le retrait d'AMM de l'ensemble des anorexigènes. Je pensais donc très sincèrement que ce problème avait été pris en compte par l'agence française et par l'agence européenne.
M. François Autain , président. - Vous connaissez les tribulations de ce médicament, qui est passé au travers de tous les contrôles. En 1987, la commission d'AMM a formellement récusé l'indication concernant le diabète. Cet avis n'a jamais été mis en application. Pendant plus de dix ans, cette indication a toujours figuré sur le RCP du Mediator en dépit de l'avis de la commission. Il a fallu attendre 2001 pour que soit infirmé l'avis de la commission. Des documents officialisent cette indication concernant le diabète. En revanche, je ne suis pas parvenu à retrouver la commission d'AMM qui modifie l'avis de la commission de 1987. Seule une lettre de juillet 2001 donne un avis favorable à l'indication dans le traitement du diabète.
Evidemment, vous n'avez pas signé ces documents. Vous allez sans doute me dire que vous n'étiez pas au courant. Je crains que ce soit un groupe de travail qui ait modifié l'avis d'une commission d'AMM. Ce serait assez grave. Un groupe de travail ne peut pas modifier l'avis d'une commission d'AMM. Que pouvez-vous nous dire ?
M. Philippe Duneton. - Sincèrement, je ne suis pas au courant. Normalement, une décision, même signée par délégation, doit être motivée.
M. François Autain , président. - Il y a juste un avis, une référence de la commission d'AMM, sans même la date de sa réunion. Quelques lignes plus haut, il était pourtant fait référence de manière très précise à l'autorisation de mise sur le marché. Dans un cas, la commission est donc citée, mais il n'y a pas d'autre référence à une commission d'AMM qui aurait modifié l'autorisation de mise sur le marché de la commission de 1987. Je suis déçu, mais je ne m'attendais pas à ce que vous puissiez répondre à cette question. Je voulais au moins savoir si vous en aviez entendu parler. Manifestement, ce n'est pas le cas.
Un rapport d'audit commandé par Mme Guigou lorsqu'elle était ministre des Affaires sociales dénonçait la présence tout à fait inopportune de représentants de l'industrie pharmaceutique dans toutes les commissions de l'Afssaps. Rassurez-vous, jusqu'au Mediator, vos successeurs n'ont rien fait ! A l'époque, une structure était chargée de vérifier les conflits d'intérêts. Deux notes vous ont été adressées par son responsable, M. Benaïche, pour attirer votre attention sur les inconvénients et les risques que pouvait présenter, sur un plan contentieux, la présence de représentants de l'industrie pharmaceutique dans les commissions. Aviez-vous connaissance de ces deux notes ? Y avez-vous répondu ? Si oui, quelle a été votre attitude ? Avez-vous fait quelque chose ?
M. Philippe Duneton. - Oui. J'ai été amené à répondre à la mission de l'Igas et de l'Inspection générale des finances (IGF) sur ce point. Ma réponse figure dans le rapport. Dans le cadre de la commission nationale de pharmacovigilance, des représentants étaient présents en tant que tels. Cela me posait un problème vis-à-vis de la commission d'AMM également. Dans le cadre du règlement de la commission d'AMM, il avait été indiqué que l'industrie pharmaceutique ne pouvait être qu'invitée, sans participer aux votes de la commission. C'est sur ces principes que j'ai demandé au service de l'agence d'agir. Je pense que la direction générale de la santé avait également été mise en éveil pour trouver un règlement harmonisé à la présence des syndicats de l'industrie pharmaceutique dans les commissions de l'agence.
M. François Autain , président. - Cela ne vous choquait pas que les laboratoires pharmaceutiques participent à toutes ces commissions ?
M. Philippe Duneton. - Dans le cadre de la pharmacovigilance, c'était prévu par les textes. Nous avons demandé que ce soit retiré pour leur confier un statut d'observateurs ne participant pas aux débats, en tout cas pas aux délibérations. Je ne sais pas si cela a été fait.
M. François Autain , président. - Rien n'a été fait. Vous n'avez pas demandé que les délégués des laboratoires ne siègent plus dans la commission d'AMM.
M. Philippe Duneton. - C'est l'instruction que j'ai donnée. Elle figure dans le rapport de l'Igas.
M. François Autain , président. - J'ai lu ce rapport. Je n'ai rien trouvé. Je fais référence à des notes que vous a adressées la cellule de veille déontologique en date du 24 juillet 2000, puis du 11 juillet 2001, ce qui indique d'ailleurs que vous n'aviez pas répondu à la première, sinon vous n'auriez pas reçu la seconde. Ces notes vous rappelaient les risques contentieux auxquels s'exposait l'agence en acceptant la participation systématique du syndicat national de l'industrie pharmaceutique (Snip) à ses réunions. Manifestement, vous n'avez pas répondu à la note du 24 juillet 2000. M. Benaïche pourrait se tenir à votre disposition. En avez-vous discuté avec lui ?
M. Philippe Duneton. - Bien sûr, avec le service juridique de l'agence. La réponse de l'agence à l'Igas a été revue par le service juridique de l'agence.
M. François Autain , président. - Vous n'avez pas répondu aux notes qui vous ont été adressées par la cellule de veille déontologique.
M. Philippe Duneton. - Honnêtement, je ne peux pas vous dire.
M. François Autain , président. - Malgré cette mise en garde de la cellule de veille, les représentants du Snip ont continué à participer à ces réunions.
M. Philippe Duneton. - A ma connaissance, ils n'ont pas pris part aux délibérations.
M. François Autain , président. - A quoi servaient-ils s'ils étaient là, mais qu'ils ne disaient rien ? Ils faisaient tapisserie ? Ce n'est pas l'habitude de l'industrie pharmaceutique, dont les compétences en termes de lobbying sont bien connues. S'ils étaient là, c'est qu'ils considéraient que leur présence était utile. Comment considérer que quelqu'un qui était présent était en fait absent dès lors qu'il ne s'exprimait pas, ce dont vous n'avez d'ailleurs pas la preuve ? Dès lors que l'industrie pharmaceutique est présente dans les commissions, mais ne dit rien, cela ne vous pose donc pas de problème ?
M. Philippe Duneton. - Je ne sais pas si ça a été réformé depuis.
M. François Autain , président. - Je peux vous assurer qu'il n'y a eu aucune réforme. Il a fallu l'affaire du Mediator pour qu'un courrier soit adressé aux entreprises du médicament (Leem) afin de leur dire de ne plus venir. Peut-être reviendront-elles plus tard, vu que l'industrie pharmaceutique a le privilège de ne pas devoir respecter la réglementation. Nous avons l'impression qu'elles étaient chez eux à l'Afssaps. Vous ne pouviez pas le leur dire ?
M. Philippe Duneton. - La présence du Snip dans certaines commissions, dont celle de la pharmacovigilance, était prévue par les textes.
M. François Autain , président. - Sur ce plan, le texte n'a pas changé. Il y a toujours un représentant de l'industrie pharmaceutique à la commission nationale de pharmacovigilance, de même qu'il y en a un à la commission de la transparence. En revanche, il ne devrait pas y en avoir dans la commission d'AMM ni dans les groupes de travail. Ils étaient pourtant bien présents. C'est bien de la commission d'AMM dont je parle, pas de la commission nationale de pharmacovigilance.
M. Philippe Duneton. - De mémoire, dans la réponse que j'ai faite et dans les instructions que j'ai données, ne voyant pas pourquoi ils siégeaient dans la commission de pharmacovigilance, j'avais demandé qu'ils puissent simplement être présents en tant qu'observateurs, mais sans participer aux délibérations des différentes commissions de l'agence, en tout cas pas celle de la transparence.
M. François Autain , président. - J'ai sous les yeux la réponse de l'Afssaps et les nouvelles observations de la mission. Effectivement, vous avez parlé des conflits d'intérêts, évoquant le fait qu'une réflexion à moyen terme plus systématique sur le recours à l'expertise externe devait être engagée par l'agence. Je serais très heureux que vous m'adressiez la partie de ce texte où vous apportez une réponse à cette interrogation des rapporteurs.
M. Philippe Duneton. - Je l'ai sous les yeux, en page 5 d'un document de décembre 2002. Je vous la transmettrai. Une réponse concerne le fonctionnement de la commission d'AMM et de déontologie. Le texte est un peu long. Je vous le lis : « La mission a relevé que la commission d'AMM ne disposait pas d'un règlement intérieur. » Il est précisé que le projet de règlement intérieur a été finalisé et qu'il sera présenté à la prochaine commission d'AMM, qu'elle doit être formée par le ministre dans les prochaines semaines et les membres nouvellement nommés (40 % des membres proposés) ou reconduits dans leur mandat pourront en prendre connaissance et l'adopter rapidement. Le projet actuel de règlement intérieur insiste notamment sur les obligations de confidentialité des débats et des données fournies dans les dossiers étudiés, sur l'obligation de déclaration des éventuels conflits d'intérêts. Dans le domaine de la déontologie et des conflits d'intérêts, les membres et les experts des groupes de travail ou membres de la commission d'AMM, il faut souligner que des actions correctrices ont déjà été entreprises ou vont prochainement être mises en place. La liste exhaustive des experts amenés à travailler pour l'agence dans les différents groupes de travail établis fait l'objet d'une décision du directeur général publiée au bulletin du ministère de la santé. Le directeur général a demandé qu'à partir de cette liste une vérification systématique soit réalisée pour s'assurer de la complétude de la base Fides que nous avons développée. Cette vérification est facilitée par l'ensemble des secrétariats de l'agence. Par la suite, la présence du Leem aux séances de la commission d'AMM et des groupes de travail correspondants, à l'occasion de la nomination de la nouvelle commission d'AMM et d'une reconstitution des groupes de travail, il va être instauré que la participation des membres du Leem ne sera pas systématique dans les groupes de travail. Le Leem pourra présenter, le cas échéant, des arguments de leur profession sur les questions générales qui concernent directement le groupe de travail ou être invité à présenter en cas de nécessité des observations sur les points particuliers. Il pourra être aussi parfois nécessaire de recueillir l'avis des professionnels représentés par le Leem, mais dans ce cas ce sera l'agence et non plus le groupe de travail qui prendra l'initiative de la consultation. La participation du représentant du Leem peut être envisagée au cours des séances plénières de la commission d'AMM, pour leur information et participation au débat sur les questions générales ayant trait au médicament. « En revanche, chaque fois qu'un vote formel sera prononcé sur les médicaments en examen par la commission, il sera demandé aux représentants de quitter la salle. »
M. François Autain , président. - Nous n'avons pas le même document. Nous allons faire une copie du vôtre.
M. Philippe Duneton. - Avec plaisir. Il y a même la réponse de la mission Inspection générale des finances-Inspection générale des affaires sociales (IGF-Igas), qui prend note de ces observations.
M. François Autain , président. - Mon document ne fait pas état d'une réponse aussi détaillée. N'avez-vous fait qu'une réponse ?
M. Philippe Duneton. - Oui. Toutefois, il y a plusieurs rapports. La mission d'inspection a duré de nombreux mois. Elle a étudié l'ensemble des activités de l'agence. Vous avez peut-être le rapport de synthèse.
M. François Autain , président. - Ce n'est donc pas le même rapport. En tout cas, cela n'enlève rien à la constatation faite à l'époque, et qui a malheureusement perduré. Jusqu'en décembre 2010, les représentants de l'industrie pharmaceutique ont siégé dans des commissions et des groupes de travail où ils n'avaient rien à faire. Nous comprenons donc pourquoi le rapport de l'Igas dit que l'Afssaps, structurellement et culturellement, était en conflit d'intérêts avec l'industrie pharmaceutique. Dans son livre, Irène Frachon fait même état de membres de l'Afssaps qui ont appris leur nomination par l'industrie pharmaceutique. Cela dénote un climat. C'est davantage que de la porosité, c'est de la perméabilité. A aucun moment, l'Afssaps n'a mis en cause les thèses des laboratoires Servier. Lorsque ce dernier a estimé que le Mediator n'était pas un anorexigène, le directeur de l'évaluation n'a pas dit le contraire. L'Afssaps n'était pas capable d'avoir ses propres analyses, son propre discours. Son discours était celui de l'industrie pharmaceutique. Comment l'expliquez-vous ?
M. Philippe Duneton. - Je laisserai ses propos à l'ancien directeur de l'évaluation. Le rapport établit qu'il y a eu des informations au niveau européen, notamment de collègues italiens qui ont fait état de la similitude. Il y a donc un avis pharmacologique tout à fait clair. De ce que j'ai pu voir du rapport, cet avis transmis par le laboratoire n'a pas été correctement transmis à l'agence.
Je ne pense pas qu'on puisse dire que l'agence reprend simplement les avis des laboratoires. Il est déjà arrivé, dans des affaires de pharmacovigilance (comme par exemple la cérivastatine), que nous ayons des constats de désaccord relativement lourds avec l'industrie pharmaceutique. J'ai également mené des actions très directes, vis-à-vis du Sibutral notamment. J'ai été extrêmement choqué de voir que le Mediator n'a pas été traité comme il aurait dû l'être. En revanche, j'avais été alerté sur les risques liés au Sibutral. Avant la commission de pharmacovigilance, lorsque le cas italien est survenu, j'avais convoqué l'unité de pharmacovigilance et le président de la commission pour lui faire état de mes doutes sérieux quant à l'intérêt de ce médicament. Cette classe pharmacologique me semblait pour le moins en décalage avec ce qu'on pouvait attendre de la sécurité d'un produit. J'ai prononcé la suspension car j'ai reçu un avis détaillé de la commission de pharmacovigilance.
Je pourrais également citer le cas du Zyban.
M. François Autain , président. - Il est toujours sur le marché.
M. Philippe Duneton. - La France a posé des questions d'exception et demandé des études complémentaires, repoussant d'un an et demi l'autorisation européenne. Nous avions des doutes sérieux et nous les avons motivés. Le président du laboratoire m'avait publiquement accusé d'être responsable de la mort de patients qui ne pouvaient pas avoir accès au Zyban. Je pourrais citer un très grand nombre d'exemples dans lesquels l'agence a été réactive.
M. François Autain , président. - Le Zyban est encore sur le marché. Il a donc bien été autorisé.
M. Philippe Duneton. - Oui, mais nous avions posé un certain nombre de questions car nous avions des soucis en termes de dépendance. En 1999, nous avions obtenu le retrait du Survector, un médicament de Servier, pour les mêmes motifs. Nous étions très en alerte, malheureusement pas sur le Mediator, mais sur cette classe de médicaments. Le médicament est arrivé à l'AMM européenne après que, pendant un an et demi, l'agence eut bloqué ce dossier pour des raisons de santé publique.
M. François Autain , président. - Malheureusement, cela n'a pas été suffisant. Une fois qu'un médicament est sur le marché, il est difficile de le retirer. Est-ce vous ou le laboratoire qui avez retiré la cérivastatine ?
M. Philippe Duneton. - C'est le laboratoire, mais nous y avions beaucoup travaillé. D'ailleurs, il est écrit dans le rapport d'inspection que nous avons consacré trop de temps à la cérivastatine ! La France était très active dans la procédure engagée quant à ce médicament. Le laboratoire, considérant que la procédure d'arbitrage se terminerait probablement par une suspension, en a profité pour retirer son produit dans des conditions d'information de l'agence que j'ai directement critiquées. Je trouve qu'il est normal qu'un laboratoire puisse prendre la décision de retirer un médicament, encore faut-il qu'il puisse avertir de manière motivée les autorités sanitaires, surtout lorsqu'elles sont directement engagées dans le dossier.
M. François Autain , président. - A l'époque, étiez-vous sollicités par des associations de patients pour éventuellement participer à des groupes de travail ou à des commissions ? Quelles suites avez-vous données à ces demandes ?
M. Philippe Duneton. - Il y en a eu. Historiquement, l'agence a beaucoup travaillé avec les associations engagées dans la lutte contre le syndrôme d'immuno-déficience acquise (Sida). Un groupe spécial de contacts avait été créé avec l'agence. Les associations ne nous ont pas demandé de siéger aux commissions, mais elles nous ont régulièrement interpellés, demandant par exemple la mise en place d'une pharmacovigilance spécifique. Avant mon départ, nous avons travaillé avec eux sur les conditions de notification directe par les patients. Nous avons également changé, pendant mon mandat, le dosage des insulines en unités internationales. L'association française des diabétiques a été étroitement associée à ces travaux. Nous avons organisé le suivi du distilbène avec la pharmacovigilance. J'ai personnellement reçu les associations de familles. Nous avons mis en place des études afin d'analyser le risque pour les générations secondaires des femmes exposées. Ce ne sont que quelques exemples. Nous avons eu beaucoup d'interactions avec des associations de patients.
M. François Autain , président. - Avez-vous lu le rapport Debré-Even ?
M. Philippe Duneton. - Non. J'ai lu des comptes rendus dans la presse.
M. François Autain , président. - Ce rapport n'est pas tendre avec l'Afssaps. Il est question du « triste bilan » de l'Afssaps, de sa « totale faillite », de son « impéritie ». Ces termes vous semblent-ils exagérés ?
M. Philippe Duneton. - Ils sont légitimes dans l'affaire du Mediator, exagérés pour l'ensemble de l'activité de l'agence.
M. François Autain , président. - La décision prise par l'ancienne directrice générale de demander le départ du Leem de toutes les commissions vous semble-t-elle juste et de nature à améliorer les conditions dans lesquelles fonctionnent les groupes de travail et les commissions ? Est-ce un commencement pour donner davantage d'indépendance à l'Afssaps ?
M. Philippe Duneton. - C'est un élément. Il n'est pas illogique de demander une intervention motivée. C'était le sens de ma réponse à l'inspection. Toutefois, elle doit être limitée.
M. François Autain , président. - Cela va au-delà. Ils ne sont plus acceptés. Cette mesure vous semble-t-elle positive ?
M. Philippe Duneton. - Oui. Les règles doivent être claires. Certaines dispositions du rapport Debré-Even sur les conditions d'expertise me semblent en partie justifiées. L'expertise externe est extrêmement prenante. Elle doit être valorisée et rémunérée, pas forcément à titre personnel, mais au niveau de l'hôpital par exemple. Il me semble tout à fait justifié de clairement fixer la ligne. De mon point de vue, cela doit permettre d'encadrer les conditions d'information demandées aux firmes.
M. François Autain , président. - Il n'est pas nécessaire que les laboratoires soient présents en permanence. Les experts doivent pouvoir, le cas échéant, convoquer les laboratoires si des points d'un dossier ne sont pas clairs. Cela n'a rien à avoir avec une présence en permanence des représentants de ces laboratoires dans les commissions. Ils étaient partout, dans tous les groupes. J'espère que la lettre de la directrice générale adjointe a été suivie d'effet.
M. Philippe Duneton. - Cela me semble plus clair et je pense qu'il y aura des traductions au plan réglementaire.
M. François Autain , président. - La réglementation n'a pas changé, mais nous ferons des propositions qui iront dans le sens d'une séparation : le laboratoire ne peut pas être juge et partie.
Mme Marie-Christine Blandin. - Ma première interrogation est celle d'une citoyenne non-avertie des questions médicales. L'AMM parlait d'un adjuvant au régime du diabète, pas d'un traitement de premier rang du diabète. Ce terme de « régime » renvoie à un comportement diététique. N'était-il pas susceptible de donner directement l'alerte avec une indication de crypto « coupe-faim » de la part du laboratoire ?
Par ailleurs, ne serait-il pas pertinent, puisque vous avez cité le cas du distilbène, que l'Afssaps réalise des signalements de certains « types de molécules » à une agence comme l'Agence nationale de sécurité sanitaire, de l'alimentation et du travail (Anses) ?
M. Philippe Duneton. - Le terme d'adjuvant au régime diabétique me paraît relativement flou. J'imagine qu'il s'est appuyé sur des études. Je ne pense donc pas que nous puissions parler d'un crypto « coupe-faim » , malgré d'assez importantes prescriptions hors AMM.
M. François Autain , président. - Comment l'appelleriez-vous ?
M. Philippe Duneton. - Tout dépend de la question posée. Dans le cas des 835 médicaments dont le prix devait être revu, la commission de la transparence avait tiré des conclusions assez drastiques sur un certain nombre de molécules. Pourtant, il s'agissait, à quelques exceptions près, des mêmes experts. Souvent, ils avaient travaillé sur le dossier d'AMM auparavant. Assez rapidement, ils ont conclu à l'absence de service médical rendu. Par exemple, le Mediator ne figurait dans aucune recommandation de bonne pratique thérapeutique. Il n'y avait pas la documentation nécessaire pour préciser un intérêt majeur ou significatif dans la prise en charge d'un diabète. Le terme d'adjuvant est le produit de l'histoire. Les conditions d'octroi de l'AMM ont évolué au fil du temps.
M. François Autain , président. - Nous ne sommes pas certains que ce soit une commission d'AMM qui ait octroyé cette appellation.
M. Philippe Duneton. - J'imagine que c'est le cas. En tout cas, ces libellés sont discutables. Le terme d'adjuvant n'est pas extrêmement net en matière d'efficacité.
Concernant les risques plus grands, j'ai cité le cas du distilbène en réponse à des associations de patients. Pour les phtalates, nous avons conduit des études particulières transversales en coordination avec les autres agences concernées. Nous avions mis en place des échanges inter-agences, en particulier avec l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa). C'est quelque chose que nous avons oublié aujourd'hui. Nous avons beaucoup investi dans le risque du nouveau variant de la maladie de Creutzfeldt - Jakob. Nous nous sommes posé beaucoup de questions, en termes de produits de santé, sur le risque de transmission par le sang. Cela nous a conduits à réévaluer le risque des gélatines contenues dans les médicaments. Nous avons agi en pleine concertation avec les autres agences concernées par ces risques transversaux.
Mme Marie-Christine Blandin. - Je précise que je ne suis pas médecin. En cherchant sur Internet le terme « adjuvant du régime », je suis tombé sur un médicament décrit de la manière suivante : « adjuvant du régime de traitement hormonal utilisé à terme comme provoquant des amaigrissements et suggéré par de nombreux médecins comme coupe-faim ».
M. François Autain , président. - Le terme d'adjuvant a été utilisé pour habiller le compromis que l'Afssaps a passé avec le laboratoire pour un médicament qui, manifestement, ne possédait pas les qualités requises pour être qualifié d'antidiabétique. Il s'agissait uniquement de ne pas être désagréable au laboratoire.
Mme Virgine Klès. - De manière très générale, le terme d'adjuvant augmente les capacités intrinsèques et positives du médicament.
M. Philippe Duneton. - Je n'ai pas fait la bibliographie de l'utilisation du terme d'adjuvant. Je dis qu'il s'entend comme complémentaire à des actions diététiques qui ne semblent pas anormales dans le cadre du diabète. Dans les diabètes gras, un régime nutritionnel est largement conseillé. J'entends vos propos. A la lecture du rapport de l'Igas, il apparaît un certain nombre d'étapes et d'évènements sur ce produit. De manière objective, des travaux ont été effectués sur le plan de l'efficacité. Il existe un retard évident dans la mise en place d'études demandées au laboratoire par l'Europe et par l'agence française sur la mesure de la tolérance et des risques du médicament. Ces études ont été réalisées très tardivement. Une évolution de la réglementation européenne va dans ce sens, mais elle n'est peut-être pas suffisante. Des plans de gestion du risque sont dorénavant compris dans l'évaluation du médicament. Toute demande en matière de sécurité d'un médicament devrait systématiquement être validée, dans le cas national, par la commission de pharmacovigilance et par le directeur général, et dans le cas européen, par le Committee for médicinal products for human use (CHMP) avec des délais conduisant à une décision automatique de suspension en cas de dépassement des délais d'une étude de tolérance. Des pénalités sont prévues si le laboratoire ne fournit pas ses preuves. Il faut aller plus loin. Le rapport de l'Igas montre qu'il y a eu des retards, à l'évidence pas explicables, à des études qui auraient permis de mettre en évidence ce risque de manière plus précoce.
La pharmacovigilance a un problème évident de sous-déclaration. Des efforts doivent être faits. La notification spontanée doit être complétée par des études. Cela pose la question de la responsabilité des laboratoires dans la réalisation des études. Les pouvoirs publics doivent avoir davantage de moyens pour mener des études de sécurité. Aucun laboratoire ne réalisera des études transversales. A la rigueur, un laboratoire pourra y être contraint pour un produit particulier. Lorsque les risques concernent plusieurs classes de médicaments ou, encore pire, plusieurs classes de produits, aucun laboratoire n'est capable de développer ce type d'étude.
Cette évidence n'est pas forcément connue. Il existe un problème de financement pour créer un cercle vertueux de l'expertise. Ce problème a plusieurs fois été souligné. Les experts sont financés par l'industrie. Il apparaît tout à fait légitime que les pouvoirs publics se dotent des moyens pour conduire des investigations. La toxicologie est une profession sinistrée. Il y a très peu de toxicologues aujourd'hui. Dans le domaine public, il n'y en a pratiquement plus.
Je comprends parfaitement l'émotion qui s'attache au Mediator. Il est possible de débattre des structures. Il faut aussi voir les fonctions. Je peux comprendre que nous ayons un débat institutionnel, mais je pense qu'il est beaucoup plus important d'avoir un débat fonctionnel. Les problèmes de notification, d'évaluation et de mise en oeuvre d'études sont essentiels. Sachons tirer un certain nombre de leçons de ce drame. Tel est l'enjeu.
M. François Autain , président. - Votre idée de sanctionner les laboratoires qui n'accomplissent pas les essais post-AMM me semble tout à fait positive, mais je vous rappelle qu'actuellement, les laboratoires sont déjà tenus de réaliser des études. Or ils ne les font pas. Des sanctions sont prévues, mais d'après le dernier rapport d'activité de la Haute Autorité de santé (HAS), sur les 125 ou 130 études post-AMM prescrites depuis 2004, plus de la moitié n'a pas encore été réalisée. Interrogé sur le sujet, le comité économique des produits de santé (Ceps) répond qu'il y a eu un projet de sanction, mais qu'il a été abandonné suite à une rencontre avec le laboratoire. Tout cela pour vous dire que je suis assez sceptique quant à la portée réelle d'une sanction appliquée à un laboratoire. La publicité est pratiquement le seul exemple contraire.
M. Philippe Duneton. - Ces sanctions sont ressenties comme très désagréables, mais elles sont relativement rares car difficiles à motiver. Il n'y a même pas forcément de sanction financière. Ce sont surtout des sanctions de publication.
En 2000, puis en 2001, des mesures très précises demandées au laboratoire n'ont pas été réalisées. Face à ce type de situation, lorsque des demandes d'études sont demandées au titre de la sécurité, nous pourrions prévoir un délai raisonnable assorti d'une condition explicite de suspension. Ce serait extrêmement dissuasif. Il n'y aurait plus de zone d'ombre.
M. François Autain , président. - Il s'agit d'une mesure que nous pourrions effectivement proposer. Je crois d'ailleurs que le ministre l'a déjà fait. Monsieur Duneton, je vous remercie.
Table ronde avec des représentants d'associations de patients : M. Dominique-Michel COURTOIS, président de l'Association des victimes de l'Isoméride et du Mediator (Avim), M. Karim FELISSI, conseiller national et Mme Marie RUELLEUX, de la Fnath, association des accidentés de la vie, Mme Sophie Le PALLEC, présidente de l'Association des malades des syndromes de Lyell et de Stevens-Johnson (Amalyste), M. Gérard RAYMOND, président de l'Association française des diabétiques (AFD) (mercredi 6 avril 2011)
M. François Autain , président . - Nous commençons ces débats en l'absence de Mme la rapporteure qui est occupée par les débats sur la bioéthique. Elle essaiera de nous rejoindre avant la fin de la matinée. Nous poursuivons nos auditions ce matin avec les représentants des associations qui jouent un rôle important dans le domaine du médicament et de la santé. Nous avons donc organisé cette table ronde avec les représentants des associations suivants : MM. Dominique-Michel Courtois, président de l'Association des victimes de l'Isoméride et du Mediator (Avim) ; Karim Felissi, conseiller national, et Mme Marie Ruelleux, de la Fédération nationale des accidentés du travail et handicapés (Fnath) ; Mme Sophie Le Pallec, présidente de l'Association des malades des syndromes de Lyell et de Stevens-Johnson (Amalyste) ; et M. Gérard Raymond, président de l'Association française des diabétiques (AFD). Nous attendons M. Christian Saout, président du collectif inter-associatif de la santé (Ciss).
M. Gérard Raymond, président de l'AFD. - M. Saout s'excuse mais il ne pourra être présent puisqu'il participe à une commission sur la dépendance. Il nous a chargés de répondre à sa place.
M. François Autain , président . - Vous êtes membres du Ciss et pourrez donc parler au nom de ce collectif.
M. Gérard Raymond. - Tout à fait.
M. François Autain , président . - Je vous rappelle que cette réunion est ouverte à la presse et fait l'objet d'un enregistrement audiovisuel en vue de sa diffusion sur le site Internet du Sénat et, éventuellement, sur la chaîne Public Sénat.
Je vous donnerai la parole à tour de rôle et nous vous poserons ensuite un certain nombre de questions.
Je cède la parole à Mme Sophie Le Pallec.
Mme Sophie Le Pallec, présidente de l'Association des malades des syndromes de Lyell et de Stevens-Johnson (Amalyste). - Je vous remercie, monsieur le président, de nous donner l'occasion d'exprimer notre point de vue et de faire connaître l'association Amalyste.
Nous représentons les victimes des syndromes de Lyell et de Stevens-Johnson. Ces maladies sont des réactions très graves qui se traduisent par un décollement brutal de la peau et des muqueuses, ce décollement pouvant être très étendu. La victime doit impérativement être prise en charge dans une unité spécialisée. La douleur est extrême et il y a 30 % de décès. 90 % des cas sont dus à des réactions médicamenteuses ; certains peuvent être liés à une infection à mycoplasmes. Une douzaine de molécules ont été identifiées ce jour comme étant à risque élevé de syndrome de Lyell parmi lesquelles les sulfamides anti-infectieux, certains anti-inflammatoires, certains anti-épileptiques, l'allopurinol et la névirapine. D'autres médicaments sont impliqués mais ne présentent pas un risque aussi élevé.
Cette maladie est orpheline, avec cent cinquante cas par an en France et un millier dans l'Union européenne. Il s'agit également d'une maladie chronique puisque 95 % des survivants gardent des séquelles invalidantes et évolutives. Nous avons eu du mal à démontrer que les personnes ne s'en sortaient pas indemnes. L'identification du médicament est très difficile du fait de l'effet retard entre la prise et la réaction. Les moyens donnés à la recherche sont très insuffisants tout comme la prise en charge des séquelles, sauf pour les séquelles oculaires. De nombreux traitements ne sont pas pris en charge s'ils concernent la peau, les yeux ou les dents. En 2003, un dispositif innovant est apparu : il permettait de changer radicalement la vie des malades et les victimes ont dû payer pour mener l'étude afin de prouver les bénéfices d'un dispositif et d'obtenir la prise en charge par rapport à la sécurité sociale.
Ce qui caractérise ces réactions, par rapport au Mediator, c'est que le risque est souvent accepté, sans retombées médiatiques, alors qu'il y a autant, voire plus de victimes, que pour le Mediator. Sur les quatre dernières années, il y a eu entre 450 et 500 victimes, 150 décès. Sur les trente-trois dernières années, il y a eu entre 3 500 et 4 000 victimes et environ 1 000 ou 1 200 morts en France.
Amalyste a été créée en 2002 et est agréée depuis 2007 : nous sommes une association de patients et de victimes. Nous luttons pour une meilleure prise en charge, pour la recherche et pour l'indemnisation. Nos partenaires sont le Centre national des maladies rares, situé à Henri Mondor à Créteil, qui a de nombreux centres affiliés en régions ainsi qu'un registre européen dont le copilote est situé en France. Nous essayons d'amener une vision d'ensemble sur la gestion du risque. Nous aurions souhaité que cette gestion globale du risque puisse intégrer en amont l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) et en aval l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (Oniam). Une gestion correcte du risque devrait effectivement intégrer toute cette chaîne, ce qui n'est pas le cas actuellement.
Je souhaite aborder deux thèmes liés à l'évaluation et au contrôle du médicament, mais aussi à notre expérience d'association de victimes.
La surveillance du risque et le système de pharmacovigilance ne reposent pas sur un système d'information décisionnel. Le système d'information de la pharmacovigilance consiste en effet à comptabiliser, en entrée, l'organisation des risques et les effets indésirables des médicaments, notamment à travers la notification spontanée, mais il n'est pas, en sortie, un véritable outil d'aide à la décision. Mettre en place un véritable outil d'aide à la décision constitue l'un des grands enjeux de la pharmacovigilance, avec celui de la sous-notification patente des effets indésirables. Le système actuel ne permet pas d'automatiser le déclenchement des alertes lorsque le risque n'est plus acceptable. Pour déclencher une réévaluation, il faut soit attendre la fin du délai de surveillance des cinq ans, soit une décision du directeur de l'Afssaps. Ces deux procédures ne peuvent être efficaces. Le délai de cinq ans est, à notre sens, complètement artificiel : le critère pertinent pour mesurer le risque d'un médicament n'est pas le temps mais plutôt celui de la population exposée à la substance active pour la première fois. Cette population s'estime en fonction du niveau de risques qu'on cherche à détecter, en la majorant du taux de sous-notification des médicaments. Pour détecter un risque d'1 sur 10 000 nouveaux utilisateurs et qu'on suspecte que ce risque n'est notifié qu'une fois sur deux, comme c'est le cas pour le Lyell, la population pertinente est alors de 20 000 personnes. La décision du directeur de l'Afssaps n'est pas très efficace : quand on a un portefeuille de 5 000 molécules, il faut disposer d'un système d'aide à la décision pour générer automatiquement des alertes. A notre sens, il manque, en amont de la procédure pour générer les alertes, la fixation d'un niveau de risque attendu et d'un seuil maximum d'acceptabilité du risque, quand on accepte un risque et autorise la mise sur le marché du médicament. Pour les médicaments causant du Lyell, nous n'avons pas de visibilité sur le niveau de risque qui n'est plus acceptable et induirait une réaction de l'Afssaps. En 2001, l'Afssaps a suspendu l'autorisation de mise sur le marché (AMM) des sédatifs légers qui contenaient du phénobarbital au motif que ces médicaments avaient un service médical rendu (SMR) insuffisant et qu'ils avaient provoqué, sur douze ans, une douzaine de cas de Lyell. En cinquante ans, ce médicament avait sûrement provoqué cent cas de Lyell : pourquoi a-t-il fallu attendre si longtemps pour retirer un tel médicament ? En 2005, l'Afssaps a ordonné le retrait des immunostimulants au motif d'un SMR insuffisant et d'effets indésirables (type crises d'asthme, purpura, oedèmes du visage et d'un cas douteux de Lyell). La victime de ce syndrome de Lyell a toutefois été déboutée quand elle a été devant l'Oniam pour obtenir une indemnisation, au prétexte que son cas était douteux. Le doute profite donc toujours à l'administration qui s'en prévaut pour retirer une AMM, mais aussi pour refuser une indemnisation. Aujourd'hui, nous avons un problème avec la lamotrigine, anti-convulsant, et l'allopurinol. La lamotrigine a été mis sur le marché en 1995 : après la fin de la période de surveillance, dans les années 2000, les ventes ont explosé, ainsi que le nombre de victimes. Malgré cela, l'indication a été étendue aux maladies bipolaires, sans plan de gestion de risque, alors que ce médicament est le second pourvoyeur de Lyell en Europe. L'allopurinol est un médicament contre la goutte qui a un problème de mésusage puisqu'il est prescrit deux fois plus que la prévalence connue de la goutte et est le premier pourvoyeur de Lyell.
M. François Autain , président . - Ce médicament figure-t-il dans la liste des soixante-seize médicaments sous surveillance ?
Mme Sophie Le Pallec. - Non. Et nous n'avons pas de visibilité sur le niveau maximum de risque acceptable qui permettrait de construire un système d'information pertinent.
Pour ce qui est du problème de l'indemnisation, Amalyste pense que l'Oniam devient une compilation de fonds spécifiques, créés au gré des diverses crises sanitaires : il existe ainsi le fonds d'indemnisation des victimes HIV-hépatite C par transfusion, le fonds d'indemnisation des victimes de la vaccination obligatoire... On parle maintenant de créer un fonds d'indemnisation spécifique pour les victimes du Mediator. Le risque est que, dans vingt ans, l'Oniam ne soit plus qu'un chapelet de fonds d'indemnisation que personne ne comprendra. Nous pensons qu'il faut sortir de cette impasse par le haut, que les crises sanitaires ne doivent pas conduire à ce que les victimes dont les maladies ont les honneurs de la presse soient mieux traitées que les autres victimes des médicaments mais, au contraire, que ce scandale soit l'occasion pour les politiques de mettre en oeuvre une gestion globale du risque médicamenteux. Le médicament est un produit à risque. Le modèle qui préside à son acceptabilité pose toutefois problème : il est encadré par la notion de balance bénéfices-risques et légitime l'idée qu'on puisse sacrifier une minorité pour le bien-être du plus grand nombre. Si cette position est défendable, nous n'acceptons pas que cette inégalité ne soit pas réparée dès le début et qu'on ne pose pas le principe que le risque doit être indemnisé. Si un médicament apporte un progrès social au plus grand nombre, il convient toutefois que les quelques personnes qui subissent des effets indésirables très graves bénéficient d'une réparation, ce qui n'a pas été pensé par le régulateur à l'origine.
M. François Autain , président . - Il semblerait en outre que ce risque ne soit presque jamais indemnisé.
Mme Sophie Le Pallec. - Le risque n'est pas pensé comme un risque assurable et indemnisable. Depuis 1988, date où la directive sur les produits défectueux aurait dû être transposée en France, le juge considère que, si le risque figure dans la notice, le risque est légitime et ne donne pas lieu à indemnisation. Il n'existe alors plus d'obligation de sécurité absolue mais seulement relative ; la notice devient un parapluie juridique pour les laboratoires qui sont complètement déresponsabilisés de la faute, mais aussi du risque. Les victimes entre 1988 et 2001 n'ont aucune possibilité de recours.
L'Oniam ne résout pas le problème des accidents médicamenteux, qui ne représentent que 2 % des dossiers. Certaines problématiques ont été résolues, avec la création de la notion de la solidarité nationale, mais l'Oniam n'a pas résolu le problème de la charge de la preuve. L'imputabilité d'une réaction à un principe actif ne peut être démontrée sur le plan individuel mais c'est pourtant ce qui est demandé aux victimes. Quand on autorise la mise sur le marché d'un médicament, on doit prouver le bénéfice et le risque sur un plan statistique. Il faut donc accepter les démonstrations sur le plan statistique, ce qui n'est pas évident : nous pouvons faire ressortir des niveaux de risques élevés mais ne pouvons démontrer le risque pour les molécules à risques moins élevés.
Nous avons des propositions simples.
M. François Autain , président . - Vous m'avez effectivement fait parvenir un document récapitulant vos propositions que nous mettrons à disposition de la mission.
Mme Sophie Le Pallec. - Le risque d'effet indésirable, surtout lorsqu'il est spécifié dans la notice, doit être assuré : il doit y avoir une obligation d'assurance pour le producteur, quelle que soit la forme d'assurance choisie. Le coût du risque doit être intégré dans le coût du médicament : comme il sera répercuté sur le payeur final, la sécurité sociale, cette proposition ne changera pas tellement le modèle économique des laboratoires pharmaceutiques tout en apportant une réponse à un problème sociétal.
Le fait que le risque soit mentionné dans la notice doit constituer une présomption de preuve pour la victime. Cette mention doit se traduire, pour le producteur, par une obligation de mettre en place un vrai plan de gestion des risques.
M. François Autain , président . - Merci.
M. Gérard Raymond. - L'Association française des diabétiques (AFD) est la première association de patients pour défendre et représenter les patients diabétiques. Nous nous sommes retrouvés en première ligne pour l'affaire du Mediator, médicament prescrit aux diabétiques de type II. L'AFD s'est essentiellement consacrée sur trois axes quand l'affaire a éclaté. Le premier consistait à réclamer le recensement de toutes les personnes ayant consommé du Mediator, à leur assurer un examen pour considérer le risque d'anxiété et à ce que ces examens soient pris en charge à 100 % par l'ensemble de la communauté. Cette revendication a été satisfaite puisque des courriers ont été écrits, avec l'aide de l'Afssaps et de l'assurance maladie, à 600 000 patients.
Le second axe consistait à indemniser les victimes du Mediator, dans le cadre d'un fonds d'indemnisation public regroupant l'ensemble des responsables. Le rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) pointe la responsabilité des laboratoires Servier, mais aussi de l'Etat, voire des prescripteurs. Dans ce cadre, nous réclamons ce fonds dans le cadre de l'Oniam, même si je rejoins le point de vue de Mme Le Pallec sur le risque de ce que pourrait devenir l'Oniam et sur la nécessité de revaloriser les indemnisations de l'Oniam. Nous avons fait une proposition de loi, déposée jeudi dernier à l'Assemblée nationale avec le collectif inter-associatif sur la santé pour provoquer la création de ce fonds. Au cours des cinq derniers mois, nous avons bien vu que certains profitaient de la misère et du désarroi des patients, y compris les laboratoires Servier qui ont entrepris des démarches directes auprès de certains patients. Nous ne pouvons que regretter l'hara-kiri de l'Afssaps qui a publié la liste des soixante-seize médicaments, ce qui n'a fait qu'augmenter la défiance des patients vis-à-vis du système. Ce fonds d'indemnisation devra être alimenté par les laboratoires Servier, géré de manière indépendante ; la commission des experts devra déterminer les critères et les taux d'indemnisation.
M. François Autain , président . - Servier n'est pas un philanthrope : attendre que ce laboratoire contribue au financement de ce fonds risque de prendre longtemps surtout si l'on veut que ce financement soit suffisant. Il serait donc plus astucieux de faire en sorte que l'Etat avance les fonds et se retourne ensuite contre les laboratoires Servier pour obtenir ce que les victimes ne pourront obtenir individuellement. L'audition d'UFC-Que choisir que j'ai réalisée hier m'a apporté cette idée que je trouve intéressante.
M. Gérard Raymond. - Dans le cadre du comité de suivi du Mediator auquel nous participons, il apparaît effectivement que le Gouvernement souhaite prendre cette direction. Nous attendons une information à ce sujet. Il faudra néanmoins une loi pour encadrer ce fonds et nous la demandons avec force.
Enfin, le troisième axe de notre action concerne la refonte de notre système de pharmacovigilance. Nous nous sommes rendu compte que, à vouloir ne considérer que l'expertise scientifique et l'industrie pharmaceutique, nous avons fonctionné en vase clos, ce qui a entraîné certaines conséquences. Nous pensons qu'il faut également considérer l'expertise profane et l'intégrer dans notre système de pharmacovigilance. La commission de transparence de la Haute Autorité de santé ne comporte pas d'associations de patients ou de patients. Les Assises du médicament devraient refondre tout le système : il semble important de reconnaître le rôle des associations de patients et leur expertise profane, de pouvoir être nous aussi des donneurs d'alerte pour les effets secondaires. Nous avons récemment alerté l'assurance maladie, que nous considérons comme étant l'institution stable actuellement et disposant de données scientifiques importantes, et lui avons demandé de faire une enquête sur les dernières molécules qui sont sorties pour le traitement des diabétique de type II. Il est important que, dès la mise sur le marché d'une molécule, l'institution suive une cohorte de patients pour étudier des effets secondaires. Je pense notamment aux DPP-4 des pectines.
En conclusion, nous attendons que l'Oniam crée un fonds d'indemnisation, avec une gestion indépendante, et que le système de pharmacovigilance soit refondu, dans un système transparent reconnaissant l'expertise des patients.
M. Dominique-Michel Courtois, président de l'Avim. - Notre association a été créée en 2001 ; elle s'est occupée dans un premier temps de l'Isoméride puisque cinq cents patients étaient concernés. Nous avons engagé des procédures individuelles contre les laboratoires Servier, devant le tribunal de Nanterre, avec des problèmes financiers du fait des frais d'avocat et d'expertises, qui dépassaient 5 000 euros. Peu de personnes ont engagé des procédures. Les laboratoires Servier ont mobilisé des moyens pour torpiller les expertises et faire cesser les poursuites. En février, nous avons obtenu la condamnation du laboratoire à verser 180 000 euros, après sept ans de procédure, puisque nous avons dû aller en cassation.
Au cours de l'année dernière, nous avons vu arriver des victimes du Mediator. Forts de notre expérience, nous avons décidé d'attendre un peu et l'affaire du Mediator est arrivée. Nous avons pensé qu'il fallait avoir une action forte vis-à-vis des laboratoires Servier et avons déposé 650 plaintes devant le pôle Santé publique du tribunal de grande instance de Paris pour homicide involontaire, blessures involontaires et tromperie. L'association s'est portée partie civile et j'ai été reçu par les trois juges - Pascal Gand, Anne-Marie Bellot et Franck Zientara -, qui m'ont expliqué qu'il y aurait une expertise médicale pour chaque individu, ce qui signifie que le traitement du dossier prendrait des années au pénal.
Nous avons alors tenté de négocier avec les laboratoires, mais ce qu'ils proposaient était inacceptable. J'ai toujours demandé un fonds d'indemnisation gouvernemental qui prendrait en charge la totalité des victimes. En tant que président d'association, le financement n'est pas mon problème : il y a des milliers de victimes et il faudra répondre à leur demande.
En ce qui concerne les réformes, je crois aux donneurs d'alerte. Je pense qu'il faudrait davantage associer les patients, en les motivant et en leur expliquant les effets possibles qui peuvent survenir. Les patients et les médecins généralistes devraient être les premiers témoins de ces dysfonctionnements qu'il faudrait ensuite remonter, en espérant que se trouvent, au niveau supérieur, des instances capables de réagir plus efficacement. Pour les prothèses mammaires PIP, qui intéressent 30 000 personnes, l'Afssaps avertissait auparavant un mois à l'avance les laboratoires qu'elle réaliserait des contrôles inopinés, ce qui leur permettait de retirer pendant un mois le gel frauduleux. Il faudra y remédier. Il est surprenant que, pour le matériel implantable, une fois l'autorisation obtenue, il n'y ait aucun contrôle systématique : ce contrôle est même délégué, pour les PIP, à une société allemande.
M. Karim Felissi, conseiller national . - La Fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés (Fnath) fête ses quatre-vingt-dix ans ; l'association réunit 150 000 adhérents. Elle fédère plusieurs associations dont l'association DES (pour diéthylstilboestrol) qui regroupe les victimes du Distilbène. Je formulerai le souhait qu'elle soit également reçue, car je crois qu'aucun parlementaire n'a auditionné cette association. Or, ceci vous permettrait de vous rendre compte que vous êtes devant un choix politique. Pour l'instant, les responsables, directs ou indirects, font le plus de bruit possible pour qu'on ne se préoccupe pas trop des responsabilités de chacun. Vous avez un choix politique à faire : soit vous vous servez de cette affaire comme levier pour améliorer la globalité du système, de manière définitive, soit vous répondez à l'affaire du Mediator par une réponse circonscrite, en créant un fonds d'indemnisation et l'affaire s'arrêtera là.
Vous avez eu à vous préoccuper des victimes de l'amiante et vous retrouvez les mêmes stigmates dans cette affaire du Mediator, avec une responsabilité évidente de l'Etat, avec des carences inacceptables, proches d'une République bananière : quand des victimes signalent des effets indésirables et que ces points dorment dans les tiroirs d'une agence sanitaire de l'Etat, je me demande si nous sommes en France.
M. François Autain , président . - L'adjectif est peut-être exagéré.
M. Karim Felissi. - Certes, mais il faut souligner l'ampleur du problème : outre le Mediator, il y a eu l'amiante, le sang contaminé, l'Isoméride, les prothèses.... Le problème est systémique et ne se limite pas au Mediator. Nous considérons donc qu'il faut apporter une réponse globale car la sécurité des personnes n'est pas réellement assurée en termes sanitaires. Une proposition de loi a été déposée sur les effets indésirables causés par les plastiques. Ces problèmes ne sont pas nouveaux mais l'intérêt économique est mis en avant ; les agences sanitaires indiquent devoir mener des études complémentaires tandis que certains industriels demandent, comme pour l'amiante, où sont les victimes. Nous plaidons donc pour un changement systémique et réel, en posant la question du médicament en tant que tel pour le Mediator. Si nous créons un fonds pour l'indemnisation des victimes du Mediator, cela ajoutera une tranche de plus dans le millefeuille et, en 2025, l'Oniam aura un fonds pour chaque scandale. Si nous appréhendons le sujet de manière globale, il conviendrait d'adopter une loi de restauration de la confiance dans le médicament.
M. François Autain , président . - Nous avons rédigé un rapport il y a cinq ans intitulé Restaurer la confiance mais nos propositions n'ont pas été prises en considération.
M. Karim Felissi. - Pourquoi ?
M. François Autain , président . - Il faudrait poser la question au ministre.
M. Karim Felissi. - Tous ces problèmes sont connus. Les victimes et associations vous diront toutes la même chose. Pour l'amiante, nous avons été bouleversés par le fait que l'Etat français ait accepté que celui qui a causé le préjudice dicte ses conditions d'indemnisation.
Sur le fond, il existe trois axes de travail, le premier étant celui de la prévention et de l'amélioration du système en tant que tel. J'ai pris connaissance des dix propositions d'Etienne Caniard de la Mutualité française, que vous avez auditionné : les propositions sont remarquables.
M. François Autain , président . - Nous pouvons le proposer mais le texte ne sera peut-être pas adopté.
M. Karim Felissi. - Si vous adoptiez ne serait-ce que la moitié des propositions de la Mutualité, cela me conviendra parfaitement.
Combien avons-nous de bataillons à mettre dans cette affaire ? A chaque projet de loi de financement de la sécurité sociale, nous nous demandons comment rentrer dans les cadres et ne pas perdre notre notation AAA. Quel est le budget qui sera consacré à cette réserve ? La France compte 18 000 visiteurs médicaux. Quel sera le budget de l'agence ?
Les plaintes au pénal font du bruit mais nous avons déposé une plainte au pénal depuis vingt ans pour l'amiante et les veuves attendent toujours. Il serait possible d'imaginer un corps complètement indépendant pour le médicament, sur le modèle de l'Igas, pour exercer une surveillance constante et régulière sur les médicaments ayant obtenu l'AMM, effectuée par des personnes qui ne peuvent avoir aucun lien avec une quelconque industrie. Ces personnes devraient à mon sens être des fonctionnaires d'Etat, qui constitueraient une sorte de police du médicament.
Nous avons 5 000 molécules. Un autre exemple à suivre pourrait être celui de la cellule Tracfin. Nous avons des caisses de retraite du personnel des banques (CRPB) qui fonctionnent très bien puisque le nombre d'agents a été augmenté. Nous disposons d'une mine : les bases de données de la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam). Une fois qu'il a été demandé à la Cnam de vérifier quelles personnes avaient pris du Mediator et avaient été hospitalisées quelques années après, elle a sorti les données avec rapidité et objectivité, de manière imparable. La Cnam ne doit toutefois pas prendre cette responsabilité et devenir une agence sanitaire bis . Un corps d'inspecteurs, composé notamment d'épidémiologistes, pourrait en revanche régulièrement exploiter ces bases de données en fonction des molécules. Ce corps devrait être indépendant, incorruptible. Il n'est pas acceptable que des signalements restent dans les tiroirs, comme l'a montré le rapport de l'Igas, digne d'un scénario d'Hollywood.
Un autre point concerne l'indemnisation. Je pense que nous ne pourrons pas évoluer sur la prévention si nous n'évoluons pas définitivement sur l'indemnisation. Nous avons développé ce point au cours de l'audition à l'Assemblée nationale avec Mme Le Pallec. Un sénateur, M. Badinter, a voté une loi fondamentale en 1985 sur les accidents de la route. L'idée était la suivante : dans un carambolage, vingt ou trente véhicules sont impliqués et les victimes ne peuvent prouver qui a causé le dommage. Plutôt que d'initier des procédures qui durent dix ou quinze ans, avec des expertises et des contre-expertises très coûteuses, la loi Badinter pose le principe, non pas de rechercher la cause, mais de considérer que, à partir du moment où un véhicule terrestre moteur est impliqué, le responsable doit payer. La voiture présente exactement les mêmes stigmates que cette affaire : la voiture est un élément de progrès incontestable pour notre société ; elle a un poids économique important ; sa possession entraîne une obligation d'assurance qui solvabilise les victimes ; elle crée un risque social évident. Il en est de même pour la santé au travail : à partir du moment où la loi de 1898 a été votée et que le problème de la causalité a été dégagé, l'employeur a été responsable pour tous les accidents survenus sur le lieu de travail et les employeurs ont mutualisé les risques. Il en est de même pour l'assurance automobile. A partir du moment où cette organisation est posée, le secteur s'auto-organise alors pour faire de la prévention. Il s'agit, pour nous, d'une pierre fondamentale. Or, pour le médicament, les victimes ne sont pas toujours indemnisées et s'engagent dans des procédures longues. S'il n'est pas possible de déterminer la causalité, nous pourrions dégager ce problème comme cela a été fait pour d'autres sujets sociétaux importants (le travail et la voiture). Il serait intéressant d'interroger M. Badinter car je pense qu'il a eu les mêmes problèmes à résoudre en termes de causalité. Quand un risque est socialisé par une assurance privée, ce risque mutualisé accélère la prévention. La socialisation du risque en 1985 pour l'automobile et la branche accidents du travail-maladies professionnelles (AT-MP) qui réunit les employeurs contribuent effectivement à la prévention.
Si nous admettons l'idée que le médicament est un progrès considérable, qu'il faut préserver l'emploi et les entreprises qui sont parmi les meilleures du monde, il faut alors avoir confiance dans le médicament. Les industriels doivent admettre l'existence d'un risque et refuser les scandales : il faut alors accepter de ne pas s'occuper de la causalité et que la responsabilité soit mutualisée. Si nous ajoutons une tranche supplémentaire dans le millefeuille, nous n'aurons fait qu'un saut de puce alors que la mutualisation de la responsabilité constituerait un pas de géant.
Le troisième point, également fondamental, du projet de réforme, concerne la politique pénale de la criminalité sanitaire. La France s'est dotée d'un pôle de santé publique mais sans politique pénale de la santé. Quelle est l'incrimination pénale spécifique pour ceux qui dépassent les bornes dans ce domaine ? Des incriminations spécifiques existent pour les personnes mais pas contre les grands groupes.
M. François Autain , président . - Vous avez raison : même quand des sanctions financières sont prononcées, elles sont rarement mises en oeuvre.
M. Karim Felissi. - Sur l'indemnisation, il faut profiter de l'affaire du Mediator pour revoir les barèmes de l'indemnisation de l'Oniam, actuellement insuffisants. Si l'idée est de créer un fonds pour éviter la judiciarisation des victimes, encore faut-il que l'indemnisation prévue couvre tous les préjudices, comme le font les indemnisations décidées par les juridictions. Si l'indemnisation ne suffit pas, certaines victimes s'engageront dans des procédures.
Enfin, je souhaite évoquer le préjudice d'anxiété qui a été reconnu par la Cour de cassation pour les victimes de l'amiante. Ce préjudice concerne les personnes exposées à l'amiante qui ne sont pas malades mais doivent faire régulièrement des examens et vivent avec l'angoisse de tomber malades et de mourir rapidement. La définition donnée par la Cour de cassation, qui fait partie du droit positif, s'applique ici. Les personnes qui ont pris ce médicament, même celles qui n'ont rien, ont un préjudice d'anxiété. Les femmes dont la mère a été exposée au distilbène peuvent se signaler à la sécurité sociale quand elles sont enceintes, afin d'être suivies. Elles bénéficient alors d'un arrêt maladie que vous avez voté. Ces femmes ne sont toutefois pas remboursées à 100 % pour leur suivi car on suspecte l'apparition du cancer du sein. Si ces femmes souhaitent se faire dépister, elles sont remboursées sur les bases du droit commun, ce qui est extraordinaire. Ces personnes subissent aussi un préjudice d'anxiété. Si on ne change pas radicalement le logiciel, définitivement, la judiciarisation sera très importante.
Mme Marie-Christine Blandin . - Lors de la fusion de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Afsset) et l'Agence française sécurité sanitaire des aliments (Afssa) pour créer l'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses), la représentation officielle des associations et des usagers qui existait à l'Afsset a péniblement été acquise au sein du conseil d'administration. Quelle forme la présence ou la parole sérieusement écoutée des associations de patients pourrait prendre, dans ce que vous avez évoqué sur l'expertise d'usage ou l'expertise profane ?
M. Gérard Raymond. - Cette affaire montre qu'il faut mener une réflexion sur la démocratie sanitaire et sur la reconnaissance des associations d'usagers de la santé ou de patients. Avec les différentes lois de 2002 et 2004, nous avons gagné une place et figurons désormais dans des commissions, souvent pour servir de caution. Or nous souhaitons jouer réellement un rôle et nous pensons donc que nous devons participer aux instances de gouvernance de ces agences.
M. François Autain , président . - Revendiquez-vous une place au conseil d'administration de ces agences ?
M. Gérard Raymond. - Bien entendu. Chacun d'entre nous a une spécialité pathologique : c'est dans ce cadre que nous devons être auditionnés ou participer à l'élaboration de recommandations. Les associations doivent en outre être davantage reconnues, au-delà des agréments et de la reconnaissance de l'utilité publique. Pour instaurer en France une réelle transparence et démocratie et pour que les patients puissent participer à l'expertise profane, contrepoids à l'expertise scientifique, il faudra nous donner les moyens de fonctionner et surtout de nous former. La reconnaissance de l'engagement bénévole doit passer par cela. Aucun financement n'est aujourd'hui accordé à la démocratie sanitaire, à l'exception des 2 millions d'euros que reçoit le Ciss; ce qui est totalement dérisoire face aux nécessité de formation.
Un pompier bénévole est rémunéré pendant sa formation et pendant ses interventions. Je ne comprends pas pourquoi un bénévole associatif ne serait pas rémunéré pendant ses formations ou sa présence en conseil d'administration. Notre engagement, qui se base sur des valeurs de solidarité, d'entraide et de partage, me semble aujourd'hui en danger, si une démocratie sanitaire n'est pas mise en place.
M. François Autain , président . - Nous ne pouvons éviter de parler du financement par l'industrie pharmaceutique de ces associations. Etes-vous subventionnés par l'industrie pharmaceutique ?
Mme Sophie Le Pallec. - Nous ne sommes subventionnés ni par l'industrie pharmaceutique ni par l'Etat.
M. François Autain , président . - Votre réponse ne m'étonne pas puisque je vois mal cette industrie financer une association qui a pour objectif de critiquer les médicaments.
M. Gérard Raymond. - Pour nous, la situation diffère légèrement. Plus de 60 % de notre financement provient de la solidarité nationale. Toutes ces informations figurent sur notre site Internet.
M. François Autain , président . - J'ai constaté, sur le site de la HAS, que vous aviez reçu, en 2010, 200 606 euros de l'industrie pharmaceutique.
M. Gérard Raymond. - Notre site est plus précis ; nous recevons bien plus que cela. Les laboratoires ne déclarent pas leurs versements lorsqu'ils relèvent des partenariats. L'Association française des diabétiques dispose d'un budget de 4 millions d'euros, issus à 60 % de la générosité publique, à 25 % de l'industrie pharmaceutique et à 5 % ou 10 % de l'Etat. Nous surveillons très attentivement le financement de l'industrie pharmaceutique qui ne concerne que des partenariats. Nous montons nous-mêmes des projets de prévention, d'accompagnement et d'éducation pour les patients diabétiques et réalisons des appels d'offres. Nous demandons que plusieurs industriels financent la réalisation de ces projets. Des conventions de partenariat sont signées et elles sont totalement publiques puisqu'elles figurent sur notre site. Nous souhaitons être totalement transparents.
M. François Autain , président . - Il existe des problèmes plus importants que la transparence. Les laboratoires ne sont pas des philanthropes. Pourquoi subventionnent-ils votre association ?
M. Gérard Raymond. - Nous représentons 3,5 millions de patients. Le diabète est en outre appelé à se développer à une vitesse vertigineuse, selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Je pense qu'ils nous subventionnent parce qu'ils ont compris que, pour cette pathologie, le traitement ne suffit pas mais qu'il existe aussi un facteur d'accompagnement, d'éducation et de qualité de vie. L'industrie a donc compris qu'elle avait un rôle d'éducation et d'accompagnement. Nous sommes extrêmement vigilants quant au respect de l'article L. 1161-2 du code de la santé publique sur l'éducation et l'accompagnement.
M. François Autain , président . - A mon sens, vous n'avez pas été suffisamment vigilants. Je pense que l'industrie pharmaceutique ne peut pas financer l'éducation thérapeutique. Les retombées ne sont pas nécessairement utiles à l'amélioration de la qualité des soins destinés aux diabétiques. Il faut qu'il y ait, entre les laboratoires et les patients, des médecins qui n'aient pas de lien d'intérêts avec l'industrie pharmaceutique. Ces médecins doivent conduire l'éducation thérapeutique. Toute information qui émane d'une entreprise, quelle qu'elle soit, n'est pas une information mais de la publicité.
Si l'Etat s'engageait à vous verser les 800 000 euros que vous recevez de l'industrie pharmaceutique, sous réserve que vous vous engagiez à ne plus avoir de lien avec cette industrie, l'accepteriez-vous ?
M. Gérard Raymond. - Evidemment. L'information divulguée par l'industrie pharmaceutique n'est pas la même que celle relayée par l'Association française des diabétiques. Nous refusons absolument que l'industrie pharmaceutique valide le contenu de nos publications.
M. François Autain , président . - Les médecins disent également qu'ils ne sont pas influencés par les visiteurs médicaux.
M. Gérard Raymond. - Il nous semble important d'imposer la pluridisciplinarité afin d'éviter qu'un seul industriel nous finance. Nous trouvons ainsi un équilibre.
M. François Autain , président . - Je n'ai pas vu dans la liste de vos financeurs les laboratoires Servier.
M. Gérard Raymond. - J'ai effectivement l'habitude de dire que j'ai des conflits d'intérêts avec tous les industriels, à l'exception de Servier.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe . - Il est évident qu'à partir du moment où vous demandez aux industriels du médicament dont le métier est de vendre des médicaments de faire de la prévention, cela semble incompatible avec leurs intérêts.
Je souhaite revenir sur la réforme systémique demandée par les associations et qui me semble fort intéressante. S'en tenir uniquement à l'affaire du Mediator serait effectivement réducteur. L'objet de notre mission est bien d'élargir le champ à une réflexion plus générale sur la fonction du médicament.
J'ai entendu M. Felissi dire qu'il souhaitait que soit instaurée une politique pénale de la santé publique. Cette dernière existe mais la difficulté consiste à remonter jusqu'au coupable quand il y a un temps de latence. Avant que l'affaire se déclenche, il y a déjà eu des victimes. Nous connaissons le fabricant du Mediator mais l'affaire pénale doit aussi envisager le problème de la prescription. Vous aurez alors beaucoup de difficultés à entendre les médecins prescripteurs. Comment mettre en oeuvre une telle politique pénale de la santé publique avec les égards que la justice doit aux victimes et aux coupables ?
Je n'ai jamais entendu parler de l'indemnisation du préjudice d'anxiété : comment est-il possible de le mesurer même si l'on sait que de nombreuses victimes de l'amiante redoutent de passer les examens ?
M. François Autain , président . - Cette angoisse diffère un peu de l'angoisse existentielle puisqu'elle résulte d'un préjudice.
Mme Marie-Christine Blandin . - Le préjudice d'anxiété n'a pas été individualisé mais plaidé par les avocats en même temps que le préjudice de « décote » sur le marché du travail, pour avoir travaillé dans un lieu contaminé. Quand vous parlez d'une politique pénale sanitaire spécifique, il faut savoir que les procès échouent du fait d'un arsenal juridique qui permet de botter en touche. La faute non intentionnelle est ainsi systématiquement utilisée. L'une des seules condamnations de l'employeur avec des indemnités lourdes pour les victimes réelles et potentielles a été prononcée par le tribunal de Lille puisque les avocats ont pu mettre en avant la politique régionale de désamiantage des lycées menée depuis 1993, en inondant les médias et les mairies sur les preuves du danger de l'amiante.
Il faut noter que, pour le pôle de santé, son manque d'officiers de police judiciaire (OPJ), de juges et de greffiers pèse autant que l'absence de politique pénale sanitaire spécifique. Il est difficile de voir les contours de votre proposition.
M. Karim Felissi. - Dans un arrêt du 11 mai 2010, la Cour de cassation a reconnu le préjudice d'anxiété pour les victimes de l'amiante. Je vous transmettrai cet arrêt et les commentaires de doctrine sur cette évolution majeure du droit prétorien. L'arrêt énonce que les victimes « se trouvaient dans une situation d'inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante et étaient amenées à subir des contrôles et examens réguliers propres à réactiver cette angoisse » . Nous plaidons ce préjudice d'anxiété depuis quinze ans et avons enfin réussi à le faire admettre en droit français.
Vous parliez, madame la sénatrice, de la loi Fauchon et du manque de moyens du pôle de santé publique. Je n'ai ni rédigé la loi ni voté le budget de la justice. Si tel était le cas, j'aurai considérablement augmenté le nombre de greffiers, d'OPJ et de magistrats du pôle de santé publique de Paris. La politique pénale ne consiste pas à faire du répressif mais à adopter une politique spécifique pour les criminalités particulières, avec des moyens spécifiques pour la prévention et la répression et des incriminations spécifiques pour la responsabilité des personnes morales. Les amendes ne suffisent pas. Votre rapport publié il y a cinq ans était remarquable. Nous avons réfléchi, en France, à la responsabilité pénale des grands groupes.
M. François Autain , président . - Vous n'avez pas de financement de l'industrie pharmaceutique ?
M. Karim Felissi. - Non. Nous demandons des subventions à l'Etat. Nous sommes présents à la Cnam. L'intelligence de Xavier Bertrand sur les entretiens du médicament est d'avoir réuni tout le monde, mettant face à face des personnes qui ne se parlent que devant les tribunaux. Nous n'avons pas cette culture et sommes disposés à discuter avec les entreprises du médicament de la problématique du risque. Il n'est pas honteux de gagner de l'argent, y compris avec les médicaments, qui créent des emplois et soignent des maladies. Nous avons une culture de la Caisse nationale d'assurance maladie et sommes habitués à nous retrouver face aux employeurs : nous travaillons ensemble et montons ensemble des actions de prévention. Nous avons la culture du Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (Fiva) et avons des très bonnes relations avec les représentants des employeurs. Si nous sommes dans une politique du risque socialisé, avec une solvabilisation par l'assurance, quelle qu'elle soit, nous arriverons à parler avec les entreprises du médicament dans un autre registre que celui des tribunaux et de l'infréquentable. Les entreprises du médicament ne sont pas infréquentables : il suffit simplement d'imposer une notion de risque accepté et mutualisé par elles.
M. François Autain , président . - Personne n'a parlé des actions de groupe. Cette omission est-elle volontaire ? Nous parlions de l'Isoméride : aux Etats-Unis, cette affaire représente, pour le laboratoire qui l'a commercialisé, une dépense estimée à 15 milliards d'euros. En France, les indemnisations s'élèvent à 600 000 ou 700 000 euros. Ce système fonctionne très bien aux Etats-Unis et les tribunaux n'ont même pas besoin d'intervenir : des transactions ont souvent lieu en amont puisque le tribunal est dissuasif.
M. Dominique-Michel Courtois. - Ce système est difficilement transposable. Deux avocats américains sont venus récemment me voir pour que toutes les associations et les victimes se regroupent. Aux Etats-Unis, les laboratoires ont des avocats qu'ils payent très cher. En contrepartie, les avocats qui défendent les victimes sont très bien payés. La condamnation du laboratoire sur le plan pénal, aux Etats-Unis, pour l'Isoméride, s'élevait à 4,3 milliards de dollars, en plus des indemnisations : ce montant étant dissuasif, les laboratoires ont préféré négocier. Aux Etats-Unis, une victime de l'Isoméride a touché 435 millions de dollars. Nous n'avons pas du tout la même culture et les mêmes barèmes. En France, il serait difficile que les avocats se regroupent pour mener une action commune.
Nous pourrions tout de même poser les bases d'une action collective à la française avec d'autres critères. Le Mediator peut être l'occasion de discuter de cela.
Mme Sophie Le Pallec. - Pour le syndrome de Lyell, il n'y a pas suffisamment de victimes par molécule pour envisager une telle possibilité.
M. François Autain , président. - Je vous remercie d'avoir répondu à nos questions.
Audition de M. Jean MARIMBERT, ancien directeur général de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) (2004-2011) (mercredi 6 avril 2011)
M. François Autain , président . - Monsieur Marimbert, vous étiez directeur général de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) de 2004 à 2011.
Cette réunion est ouverte à la presse et fait l'objet d'un enregistrement audiovisuel en vue de sa diffusion sur le site Internet du Sénat et, éventuellement, sur la chaîne Public Sénat.
Avez-vous des liens d'intérêts ? Cette question n'est toutefois pas nécessaire puisque vous n'êtes pas médecin.
M. Jean Marimbert, ancien directeur général de l'Afssaps . - Je remplissais toutefois cette déclaration en tant que directeur général de l'Afssaps : je n'en ai pas.
M. François Autain , président . - Vous pouvez faire une déclaration liminaire si vous le souhaitez. Nous pouvons sinon passer directement aux questions.
M. Jean Marimbert. - Je souhaite faire une déclaration liminaire.
A mes yeux, il est indiscutable, avec le recul et le discernement supplémentaires qu'a donnés récemment l'analyse rétrospective de tous les documents disponibles, que, sur la longue période, le traitement du dossier Mediator par les autorités sanitaires a été marqué par des déficiences.
Dès l'origine, en 1974, le positionnement proposé par les laboratoires de ce médicament comme antidiabétique et hypotriglycéridémiant a été admis, alors que certaines caractéristiques foncières de ce médicament l'apparentaient à un anorexigène. Le médicament n'a pu sortir de ce mauvais « rail » d'évaluation, y compris quand il fallu revalider les indications de 1987 à 1997, d'abord au ministère puis à l'agence. Le Mediator aurait tout de même pu perdre définitivement son indication-phare d'adjuvant antidiabétique, en 1997, si les avis scientifiques négatifs avaient été suivis jusqu'au bout à l'époque. Les interrogations soulevées dans la deuxième moitié des années 90 au niveau français et européen n'ont pas débouché malgré des débats relativement intenses. Un suivi de pharmacovigilance a été mis en place en 1998, puis relancé à partir de 2005 suite au signalement d'un cas d'hypertension artérielle pulmonaire et une première réévaluation d'ensemble de la balance bénéfices-risques a été engagée : elle a débouché en juin 2007 sur un retrait partiel portant sur une des deux indications. J'ai pris la décision de suspension totale en novembre 2009 à partir d'un faisceau d'éléments parmi lesquels figurait la contribution de Mme Frachon, sous forme d'un ensemble de signalements. Enfin, ce médicament est resté remboursé au taux maximum jusqu'à la suspension de son AMM en 2009 alors que, dès 1999, la commission de la transparence avait estimé son service médical rendu insuffisant.
Je voudrais évoquer quelques points. Tout d'abord, que l'agence aurait été délibérément complaisante à l'égard de ce laboratoire : tel n'était pas le cas, ni vis-à-vis de ce laboratoire ni d'autres pendant la période où je l'ai dirigée.
M. François Autain , président . - Ces complaisances auraient donc pu survenir lorsque vous ne dirigiez pas l'agence.
M. Jean Marimbert. - Non. Je ne peux toutefois parler que de la période dont je suis responsable.
Il y a même eu parfois des bras de fer : il n'allait pas de soi de refuser, comme je l'ai fait pendant deux ans et demi, entre l'automne 2005 et juillet 2008, d'accorder une autorisation de mise sur le marché (AMM) pour Arcoxia, un médicament anti-inflammatoire appartenant à la même classe que le Vioxx, retiré à l'automne 2004, malgré l'arbitrage européen favorable rendu sur Arcoxia et obligatoire pour les autorités nationales. J'estimais à l'époque que nous n'avions pas un recul suffisant pour apprécier de façon fiable si ce nouveau « coxib » présentait vraiment moins de risque que le précédent. Une telle décision est bien loin de l'image de « juridisme excessif » qui a parfois été véhiculée ces derniers mois.
M. François Autain , président . - Auriez-vous pu refuser la mise sur le marché, malgré l'autorisation de l'Europe ?
M. Jean Marimbert. - Je l'ai refusée, pendant deux ans et demi. J'ai expliqué, en juillet 2008, en toute transparence à l'occasion d'un point de presse, les raisons de mon refus puis de mon accord.
Une autre explication ne me semble pas convaincante : cela se serait passé ainsi parce que tel ou tel expert faisant partie du dispositif d'évaluation a eu des liens avec les laboratoires. De tels liens ont parfois existé et le développement, dans la seconde moitié des années 2000, de la mise en oeuvre effective des règles de déclaration et de gestion des liens d'intérêts, pour laquelle il reste du chemin à faire, a rendu progressivement plus visible ce type de situations. Le dossier Mediator a toutefois été examiné par des générations successives d'experts siégeant dans plusieurs commissions : sans sous-estimer la capacité d'influence de certains operateurs, il aurait fallu qu'elle soit tentaculaire pour biaiser au long cours en sa faveur les processus d'évaluation faisant intervenir tant d'acteurs différents.
La troisième explication, parfois avancée, consiste à dire que les experts de l'AMM n'auraient pas voulu se déjuger. Or, ceux qui ont statué en 1995, puis en 2007, n'étaient pas les mêmes que ceux qui avaient donné l'AMM en 1974 ou l'avaient partiellement revalidée en 1987.
Le quatrième argument vise à souligner que la pharmacovigilance aurait négligé des signaux forts venant de la notification spontanée des effets indésirables. Même si l'on reprend en compte, comme il faut le faire, certains signalements anciens, dès la fin des années 90, qui avaient été perdus de vue ou négligés, comme le cas marseillais, et même si on applique un critère d'imputabilité plus large, le constat global reste le même jusqu'en 2008 ou 2009 : le nombre de signalements par les professionnels de santé a été très faible, pour les hypertensions artérielles pulmonaires mais aussi pour les valvulopathies.
Dans les années ou j'ai exercé mes fonctions, et si l'on met à part le bref article de septembre 2005 de Prescrire , dont la tonalité sur ce médicament particulier n'était pas spécialement virulente, je n'ai pas le souvenir, en tant que directeur général, d'avoir jamais reçu de messages d'alerte de professionnels de santé, de scientifiques ou de patients à ce sujet, alors qu'il ne passait pour ainsi dire pas de semaine sans que je reçoive directement de tels messages sur les sujets les plus divers touchant aux produits de santé. Irène Frachon elle-même, qui était fortement préoccupée par ce sujet et dont la contribution à la démonstration du risque est indiscutable, ne m'a jamais saisi personnellement, et, à ma connaissance, son premier signalement documenté de valvulopathie aux services de pharmacovigilance date du premier trimestre 2008.
La poignée de personnes - médecins chevronnés - qui soignent depuis quelques mois leur notoriété médiatique en martelant sans vergogne approximations, outrances et formules à l'emporte-pièce dirigées contre 1'Afssaps et certaines des personnes qui y ont servi, feraient mieux de se souvenir qu'elles n'ont pris aucune initiative sérieuse avant la mesure de suspension pour alerter les autorités compétentes sur un danger qu'elles présentent aujourd'hui comme aveuglant. Cet effort de mémoire devrait les porter à faire preuve de davantage de retenue et de moins de zèle destructif.
M. François Autain , président . - Pensez-vous notamment aux auteurs du rapport du Sénat Restaurer la confiance ?
M. Jean Marimbert. - Non je parle d'autres personnes, médecins, qui ont fait des déclarations publiques outrancières.
Il y a eu une sous-notification particulièrement forte des effets indésirables de ce médicament. Pourquoi ? La pharmacovigilance, fondée sur la notification par les professionnels de santé, a des limites intrinsèques. De ce point de vue, il est crucial de pouvoir mobiliser plus facilement que par le passé les ressources qu'offrent les bases de données de l'assurance maladie. Il faut aussi qu'au-delà de ces études de l'assurance maladie, l'autorité sanitaire compétente ait les moyens de faire réaliser des études pharmaco-épidémiologiques post-AMM dans des conditions de totale indépendance scientifique par rapport aux laboratoires, quitte à s'inspirer par exemple du dispositif italien.
Un autre facteur qui explique le cheminement de la situation concerne l'ampleur de l'usage hors AMM : la prescription a parfois été déraisonnable pour des demandes d'amaigrissement. Une telle proportion de prescription hors AMM n'incite pas à déclarer puisque la responsabilité du médecin est alors en première ligne. Ce n'est pas parce qu'un médicament est ancien et que le praticien n'a pas d'information alarmante lui donnant à penser qu'il pourrait présenter de graves risques, que le praticien peut prescrire sans discernement hors AMM.
En outre, à plusieurs moments-clés, le système n'a pas gardé la mémoire d'éléments antérieurs, de débats ou de données scientifiques qui auraient été utiles pour éclairer les choix ultérieurs. Notre dispositif a une capacité insuffisante à faire converger toutes les données disponibles susceptibles d'éclairer les décisions à prendre sur la balance bénéfices-risques. Ces informations concernent la pharmacovigilance, les données fondamentales sur la pharmacologie du projet, les données sur l'évolution de la littérature scientifique. Sur ce point, il y a eu un problème systémique.
Sous cet angle, je suis très sceptique sur la valeur ajoutée de l'idée visant à séparer organiquement l'activité de pharmacovigilance du reste des activités dévolues à l'agence en charge du rapport bénéfices-risques. Cela ne répond en rien au problème posé, et pourrait même aggraver les risques de cloisonnement entre les différentes sources et enceintes d'évaluation des divers types de données utiles. Même si l'information est traitée de manière indépendante, elle doit converger.
Il faut élargir le pluralisme au stade de l'évaluation de la portée des signaux issus de la pharmacovigilance. Je distinguerai deux stades : le stade technique de la pharmacovigilance, qui consiste à recueillir les effets indésirables et à étudier l'imputabilité, et le stade d'analyse du risque. Le risque est-il acceptable par rapport aux bénéfices mais aussi par rapport à d'autres risques d'autres médicaments ? Pour cette phase d'analyse de l'acceptabilité du risque, il faut élargir le pluralisme pour disposer de regards différents. Introduire, à ce stade de l'analyse, des scientifiques non spécialistes de la pharmacovigilance, des épidémiologistes et des associations de patients permet d'élargir le débat autour du risque pour décider s'il est acceptable.
J'ai réellement cherché à faire de sérieux efforts, en tant que directeur général, tant pour la gestion des conflits d'intérêts que pour la transparence et la mise en ligne des comptes rendus. Pour les conflits d'intérêts, nous avions commencé à travailler, au sein de l'agence, pour que toutes les déclarations d'intérêts soient accessibles en ligne, de manière très régulière, pour les membres des commissions comme pour les rapporteurs. Nous devrions nous inspirer des pratiques de certains laboratoires qui publient tous les liens de collaboration qu'ils ont avec les experts, parfois dans le détail. Cette orientation est la bonne. En croisant ces données avec les déclarations d'intérêts de tous les experts des agences, les moyens de recoupement sont importants pour les déclarations inexactes ou incomplètes, ce qui permettra de vérifier qu'il n'y a pas d'omissions et que les déclarations sont fiables. Je suis convaincu que la majorité des experts est honnête et ne triche pas sur ces déclarations d'intérêts.
M. François Autain , président . - Sans chercher, j'en ai trouvé un : le directeur de l'évaluation de l'Afssaps. Cet oubli fait désordre car il devrait montrer l'exemple. La déclaration d'intérêts ne concernait pas l'Afssaps mais l'Agence européenne du médicament. Quelles peuvent être les sanctions ?
M. Jean Marimbert. - Il ne relève pas des missions d'une agence sanitaire de faire un travail d'investigation pour vérifier que toutes les rubriques sont exactes. En croisant une mise en ligne généralisée par les laboratoires qui devraient indiquer toutes collaborations avec les experts et une mise en ligne, à l'intérieur de chaque agence, de toutes les déclarations d'intérêts, nous nous doterions d'un moyen de recoupement de la véracité des déclarations plus fort. Faut-il une instance externe qui ait une capacité d'investigation ? Pourquoi pas, mais cela ne dispense pas de mettre d'abord en place les autres propositions.
M. François Autain , président . - Avant que vous ne preniez la direction de l'Afssaps, il existait une cellule de veille dont la mission consistait justement à surveiller que les experts faisaient bien leur déclaration d'intérêts dans les délais. Cette cellule de veille a ensuite été supprimée.
M. Jean Marimbert . - Je suis heureux que vous me posiez cette question. Quand j'ai pris la direction de l'agence, début 2004, les autorités qui m'ont nommé m'ont indiqué que le système de déclaration d'intérêts était un système théorique et que je devais lui donner de la réalité dans le fonctionnement quotidien. Je me suis aperçu que la cellule de veille, qui comprenait un magistrat et une autre personne, passait le plus clair de son temps à enregistrer et à saisir dans le système informatique de l'agence des déclarations d'intérêts, alors que l'essentiel était que les évaluateurs et les chefs d'unité soient en relation avec les experts pour se demander, avant chaque séance, si la déclaration d'intérêts était bien remplie et vérifier l'existence de conflits d'intérêts en fonction des points inscrits à l'ordre du jour. J'ai donc supprimé la cellule.
M. François Autain , président . - Nous allons bientôt auditionner le magistrat de cette cellule.
M. Jean Marimbert. - Je pense que tout le monde vous dira que le système est désormais beaucoup plus effectif et davantage mis en oeuvre, dans la seconde moitié des années 2000, qu'il ne l'était auparavant. Le taux de déclaration est d'ailleurs passé de 80 % au début des années 2000 à 99,5 % en 2010. La cellule déontologique est restée ; elle a été intégrée au service juridique et recentrée sur son véritable travail qui consistait à appuyer les équipes pour mettre en oeuvre les règles sur les conflits d'intérêts.
M. François Autain , président . - Vous dites que l'agence n'est pas complaisante à l'égard des laboratoires. Cette cellule de veille avait rappelé à votre prédécesseur que la présence systématique de membres de l'industrie pharmaceutique dans toutes les commissions et tous les groupes de travail présentait un risque de contentieux pour les décisions prises en commission. Malgré ces rappels, aucune disposition n'a été prise pour chasser les représentants des laboratoires de ces commissions. Mme Bartoli a adressé une lettre en février 2011 à M. Christian Lajoux, président des entreprises du médicament (Leem) : cette lettre souligne que le rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) remet en question la présence des représentants du Leem au sein des différentes commissions et groupes de travail de l'agence, notant que cette présence apparaît incompatible avec une obligation et une garantie d'indépendance des avis donnés par les commissions et groupes de travail. En ce qui concerne la commission d'autorisation de mise sur le marché, l'article R. 5121-154 du code de la santé publique ne prévoit pas de représentant du Leem dans cette commission, même s'il avait été accepté que le Leem puisse assister en tant qu'observateur aux séances de cette commission et de certains groupes de travail rattachés. Mme Bartoli conclut sa lettre en signifiant qu'une telle représentation au sein de ces instances consultatives ne paraît plus envisageable.
Pour vous, cette représentation ne portait pas atteinte à l'indépendance des avis rendus par la commission puisque vous ne leur avez pas demandé de quitter ces commissions.
M. Jean Marimbert. - Par rapport aux éventuelles stratégies que les laboratoires peuvent développer individuellement pour influencer une décision, la présence muette de l'organisme professionnel au sein d'une instance n'est pas la chose la plus grave. Cette décision ne me semblait pas prioritaire.
M. François Autain , président . - Je pense que vous avez tort.
M. Jean Marimbert. - Il m'a semblé plus important que chacun sache ce qui se passait au sein des commissions, par la publication d'un compte rendu des séances. L'exigence d'impartialité est désormais de plus en plus forte pour tous.
M. François Autain , président . - Vous semble-t-elle utile ?
M. Jean Marimbert. - Elle est même fondamentale. Le représentant de l'organisme professionnel était muet, au moins la plupart du temps car je ne peux pas garantir que c'était toujours le cas.
M. François Autain , président . - Aviez-vous conscience de violer la réglementation ?
M. Jean Marimbert. - Je n'ai pas remis en cause une pratique qui existait de longue date et j'en étais conscient. Dans le contexte des débats sur l'impartialité de l'évaluation, je considère que la décision récemment prise est une bonne décision.
M. François Autain , président . - Pourquoi n'avez-vous pas répondu aux demandes récurrentes des associations de patients qui veulent participer à ces instances ? Vous avez accepté la présence du syndicat des laboratoires pharmaceutiques : vous êtes prêt à violer la réglementation pour satisfaire les demandes du Leem mais pas celles des associations de patients qui souhaitent siéger dans ces instances.
M. Jean Marimbert. - Pas du tout. A partir de 2006-2007, j'ai souhaité, avec le président du conseil d'administration de l'agence, que l'ensemble des instances aient des représentants d'associations de patients, ce qui supposait des modifications des textes règlementaires, ainsi que je l'ai proposé au ministre.
M. François Autain , président . - Vous avez pourtant laissé le Leem participer alors que la réglementation ne le permettait pas. Pouvez-vous expliquer une telle différence de traitement ?
M. Jean Marimbert. - Nous avons cherché à faire entrer officiellement les associations de patients dans les commissions. J'ai fait des propositions en ce sens.
M. François Autain , président . - Vous auriez également dû le faire pour le Leem afin que la réglementation soit conforme à la pratique.
M. Jean Marimbert. - Vous avez peut-être en face de vous le directeur qui a le plus dialogué avec les associations de patients.
M. François Autain , président . - Le problème est tout autre : je vous reproche d'avoir traité différemment les représentants des laboratoires pharmaceutiques et les représentants des associations de patients. Vous avez violé la réglementation en acceptant que le Leem fasse partie des commissions : pour autoriser les associations, vous avez en revanche demandé la modification de la réglementation.
M. Jean Marimbert. - Quand on fait entrer une association de patients dans une instance, ce n'est pas pour que sa présence soit muette mais pour qu'elle y participe.
M. François Autain , président . - Pourquoi le Leem voulait-il participer à ces commissions ?
M. Jean Marimbert. - Je crois qu'il y avait un enjeu d'accès à l'information, pour l'organisation professionnelle et ses adhérents. Je reconnais que je n'ai pas remis en cause une pratique très ancienne pendant la période où j'étais à la tête de l'agence. Avec le recul du temps et l'ampleur des débats sur l'impartialité, la décision récemment prise me paraît être une bonne décision.
M. François Autain , président . - Votre propos visant à dire que l'Afssaps n'a pas été influencée par les laboratoires soulève certaines réserves de ma part. J'aurais plutôt tendance à penser, comme le souligne le rapport de l'Igas, que l'Afssaps était en conflit d'intérêts avec l'industrie pharmaceutique, « structurellement et culturellement » . La place donnée au Leem dans toutes ces instances me semble être une preuve de ce qu'avance l'Igas dans son rapport.
M. Jean Marimbert. - Je ne suis pas d'accord : la culture dominante de l'agence est celle de la santé publique.
M. Jacky Le Menn . - Quand vous avez pris vos fonctions de directeur général, vous vous êtes certainement informé de la manière dont fonctionnait la structure. Quelles sont les justifications que vos collaborateurs vous ont données pour expliciter la présence du Leem ? Quelles sont les explications qui vous ont été données, et par qui, pour expliquer ce laxisme dans l'application stricte d'une réglementation qui avait sa raison d'être ?
M. Jean Marimbert. - Je n'ai pas le souvenir que ce sujet ait surgi tout de suite. Quand on arrive dans un service, on prend connaissance des dossiers généraux sur l'organisation des services. La question s'est toutefois posée. J'ai perçu, dans les échanges avec le service et avec le Leem, que l'organisme professionnel souhaitait disposer d'une vue d'ensemble sur l'activité d'évaluation, non pas pour intervenir sur tel ou tel dossier individuellement mais pour disposer d'un accès à l'information, enjeu de pouvoir pour l'organisation professionnelle vis-à-vis de ses adhérents. L'idée n'était pas de participer à l'évaluation.
M. François Autain , président . - Tous les membres des commissions d'évaluation ont eux-mêmes des liens d'intérêts avec les laboratoires : les laboratoires n'ont pas à intervenir puisqu'ils ont des porte-paroles au sein des commissions.
M. Jean Marimbert. - Beaucoup de membres de la commission d'AMM ont eu des activités de type essais cliniques. Ce point renvoie toutefois à un autre débat. Le débat consiste à savoir s'il est possible ou non, dans un domaine tel que les produits de santé, d'avoir une expertise de haut niveau avec uniquement des personnes qui n'auraient jamais eu de liens d'intérêts.
M. François Autain , président . - On peut considérer qu'un expert qui n'a plus de lien d'intérêts avec un laboratoire depuis cinq ans est indépendant. Vous avez l'exemple de M. Maraninchi, ce qui n'est pas le cas de M. Harousseau, président de la HAS. Les experts sollicités par la Medicines and Healthcare products Regulatory Agency (MHRA) au Royaume-Uni n'ont pas de liens d'intérêts.
M. Jean Marimbert . - Je n'en suis pas certain.
M. François Autain , président . - Avec d'autres membres de la mission d'information, nous avons rencontré le directeur de la MHRA qui m'a déclaré que les experts de la commission d'évaluation n'avaient pas de liens d'intérêts.
M. Jean Marimbert. - J'ai beaucoup travaillé avec mes collègues européens et nous avons souvent parlé de ces questions de conflits d'intérêts. Les problèmes que nous rencontrons en France pour concilier l'impartialité des processus d'évaluation et l'existence de liens entre les personnels académiques, les hospitaliers universitaires et les opérateurs privés ne sont pas isolés. Certains pays ont su trouver de meilleures solutions que nous. Je ne suis pas certain de ce que vous dites sur l'Angleterre.
M. François Autain , président . - Vous pensez donc que le directeur de la MHRA m'a menti ?
M. Jean Marimbert. - L'affirmation selon laquelle les experts de la commission AMM n'ont aucun conflit d'intérêts doit être vérifiée.
En Suède ou aux Pays-Bas, les problèmes autour des conflits d'intérêts ont été résolus en développant une formule de bi-appartenance. Les experts académiques ou hospitaliers travaillent à mi-temps à l'université ou à l'hôpital et à mi-temps à l'agence et n'ont pas de liens d'intérêts, ou n'en ont pas eu depuis cinq ans. J'ai proposé cette formule de bi-appartenance et je pense qu'il serait utile d'aller dans ce sens pour résoudre le problème des conflits d'intérêts. Il n'y a jamais eu autant d'efforts concrets réalisés au sein de l'agence qu'au cours des dernières années dans ce domaine mais le problème n'est pas résolu. Il faut aller vers de nouvelles solutions pour mettre fin à la suspicion et aux controverses.
Je souhaite partager une dernière idée qui me tient à coeur : en tant qu'ancien directeur général d'une structure que j'ai dirigée pendant cinq ans, je pense que cette collectivité de service public mérite autre chose et mieux que l'image caricaturale et destructrice qui en a été donnée ces derniers temps, à des années lumières des multiples appréciations positives, voire élogieuses, que je recevais jusqu'en novembre dernier. Comment se fait-il qu'à partir d'une polémique sur un sujet, l'or se soit transformé en plomb ?
M. François Autain , président . - En 2006, dans le rapport que nous avons rendu public, nous ne considérions pas que l'Afssaps fût de l'or.
M. Jean Marimbert. - J'ai souvenir de nos échanges et j'ai pris en compte vos suggestions sur les conflits d'intérêts et la transparence. Oui, il y a eu des déficiences mais on ne juge pas une communauté de service public, confrontée tous les jours à des décisions délicates, à l'aune d'un seul dossier, si critiquable cette gestion soit-elle.
M. François Autain , président . - Il y a d'autres problèmes que je pourrai lister si vous le souhaitez.
M. Jean Marimbert. - Je suis attaché au service public et j'ai dirigé cinq collectivités de service public. Quand on laisse se répandre, à partir d'un sujet polémique parmi de multiples domaines où l'intervention de l'agence a été pertinente, un jugement sur un établissement public, on envoie un signal démotivant à de nombreuses communautés de service public qui travaillent dans des domaines exposés. Je souhaite donc faire un appel à plus d'équilibre et à plus de mesure.
M. François Autain , président . - Ceux qui ont dénoncé ce désastre ne vont tout de même pas être tenus responsables de cela !
M. Jean Marimbert. - J'ai reconnu que le fonctionnement du système avait été déficient. Mes pensées vont aux victimes. Je dis en même temps qu'il ne faut toutefois pas laisser détruire l'image d'un service public qui est tous les jours au front. Ce service public prend, au nom de l'Etat, des décisions compliquées sur le bénéfice-risque qui doivent être prises tout en exposant ses membres. Il peut y avoir des incertitudes et des erreurs dont il faut rendre compte et les assumer, mais le service public mérite qu'on n'en donne pas une image caricaturale et démotivante tant pour ses équipes que pour l'immense majorité des experts qui est honnête et impliquée.
M. François Autain , président . - Pensez-vous que le rapport de l'Igas donne une image caricaturale de l'Afssaps ?
M. Jean Marimbert. - Le rapport est documenté - puisque nous avons transmis des documents à l'Igas - mais je considère que la conclusion est trop généralisante. Elle consiste à passer d'une affirmation sur un sujet mal traité à une conclusion qui dit que l'agence en général a perdu le sens de la précaution et n'est pas réactive : cette conclusion est infondée et illégitime, en plus d'être injuste et de faire du mal au service public.
M. Gilbert Barbier . - Avez-vous l'impression que le laboratoire en question a été traité de manière différente ou déférente au sein de l'Afssaps ou du Leem ?
M. Jean Marimbert. - Il m'est difficile de répondre pour le Leem puisque je ne suis pas qualifié. Pour l'agence, il n'y a aucune volonté de favoriser les laboratoires Servier par rapport à d'autres laboratoires ou un laboratoire français par rapport à des laboratoires étrangers. Ces critères n'ont absolument aucune pertinence par rapport à nos objectifs de santé publique. Nous avons pu faire des erreurs ou des mauvaises appréciations mais il n'y a eu aucune volonté de favoriser les laboratoires Servier en tant que tels.
M. Gilbert Barbier . - En tant que directeur général, avez-vous été amené à vous saisir plus directement de ce dossier particulier et à demander qu'une attention particulière y soit apportée, compte tenu de l'histoire du médicament, des problèmes rencontrés lors de sa mise sur le marché, en 1998 et à l'étranger, connus du monde scientifique ? Comment expliquez-vous cette nonchalance ?
M. Jean Marimbert. - Je n'ai découvert le dossier du Mediator qu'en septembre 2005 puisque Prescrire l'évoquait. Ce point rejoint le problème de la perte de mémoire. Des événements datant de la moitié des années 1990, notamment des débats intenses sur la pharmacologie du produit et sur sa similitude avec les fenfluramines, manquaient à mon analyse. Ce pan du dossier a eu très peu de visibilité pour moi jusque très tard. Lorsque j'ai demandé des éléments sur le Mediator, ceux qui me sont remontés concernaient la pharmacovigilance, soit le baromètre des signalements : or, en 2005 et jusqu'à fin 2008, ce baromètre est extrêmement faible, avec des troubles qui ne sont pas dangereux et un cas d'hypertension pulmonaire artérielle déclaré début 2005, date à laquelle l'enquête de pharmacovigilance est relancée.
M. François Autain , président . - Vous faites abstraction des cas signalés en 1999 ?
M. Jean Marimbert. - Je n'en ai alors pas connaissance.
M. François Autain , président . - Comment expliquez-vous cela ?
M. Jean Marimbert. - Il y a plusieurs éléments d'explication. Si dans un tableau d'une décision, vous avez uniquement des éléments de pharmacovigilance qui ne sont pas très probants et sont peu abondants, s'agissant des HTAP et des valvulopathies, la situation diffère de celle où vous disposez de toute la mise en perspective de la connaissance pharmacologique sur le produit, de l'évolution des données scientifiques sur les voies d'action de la métabolite et des débats. Cet aspect pharmacologique n'est pas remonté et j'ai donc longtemps appréhendé le sujet à l'aune de la pharmacovigilance et des données sur les signalements qui nous parvenaient. J'ai évoqué tout à l'heure la capacité insuffisante du système à faire converger toutes les données disponibles.
M. François Autain , président . - Quel est le remède à cela ?
M. Jean Marimbert. - Pour remédier à cet effet de cloisonnement, il faut apporter des modifications au fonctionnement des processus de réévaluation. Il faut d'abord introduire beaucoup plus d'interactions physiques directes entre les membres de la commission de pharmacovigilance et les membres de la commission d'AMM. En 2007, une minorité de la commission de pharmacovigilance a estimé que le bénéfice-risque était négatif. Le dossier est ensuite passé en commission d'AMM qui m'a proposé, à la quasi-unanimité, de retirer une des indications. Or si une minorité des membres d'une des deux commissions émet des doutes très forts et souhaite une mesure de retrait, il convient d'organiser un débat collégial mixte pour que les membres aillent jusqu'au bout de l'échange. En outre, le processus d'évaluation et de réévaluation classique se déroule avec l'avis d'un groupe scientifique spécialisé (groupe diabétologie, groupe anti-infectieux) composé uniquement de spécialistes de ce domaine, puis la présentation du dossier en commission d'AMM.
M. François Autain , président . - Vous êtes donc opposé à ce qu'on donne plus d'autonomie à la commission nationale de pharmacovigilance. On pourrait imaginer que, à la suite de l'avis de 2007, le directeur général ait décidé, sans passer par la commission d'AMM, étant donné qu'une minorité se prononçait pour une réévaluation ou une balance bénéfices-risques négative, de prendre ses responsabilités et suspendre le produit.
M. Jean Marimbert. - Il ne faut pas court-circuiter l'analyse bénéfices-risques. La commission d'AMM a pour rôle de mettre en relation les bénéfices et les risques, évalués par la commission de pharmacovigilance, pour prendre une décision d'ensemble. Je propose donc qu'il y ait des modalités spécifiques de débat, avec des réunions mixtes associant les experts des deux commissions pour discuter des arguments minoritaires.
M. François Autain , président . - Cette commission nationale de pharmacovigilance comprenait deux personnes en conflit d'intérêts qui ne l'avaient pas déclaré : le conflit d'intérêts était constitué avec les laboratoires Servier.
M. Jean Marimbert. - A partir du moment où la controverse publique a débuté, j'ai cherché à vérifier rétrospectivement si le dispositif de conflit d'intérêts que nous avons rénové en 2005 et appliqué à partir de 2006 fonctionnait : je me suis aperçu qu'il avait bien fonctionné en 2009, mais pas en 2007.
M. François Autain , président . - Nous ne connaissons même pas le nombre de membres de cette commission qui ont demandé le retrait de ce produit.
M. Jean Marimbert. - Nous ne sommes pas allés suffisamment loin dans l'exposé des opinions dissidentes. Il faut sûrement aller plus loin et dire combien de membres et lesquels expriment cette position. J'ai longtemps considéré qu'il valait mieux protéger les experts, mais il apparaît en fait que la meilleure protection est l'exposé transparent des positions de chacun. Les comptes rendus devraient donc mentionner ces points. Pour analyser les bénéfices-risques, il faut que tous les arguments minoritaires soient discutés. Dans cet esprit, je propose une réunion mixte des deux commissions.
M. François Autain , président . - Vous avez été suivi par votre successeur.
M. Jean Marimbert. - Cette proposition date de début janvier. J'ai envoyé une autre proposition au ministre, avant la publication du rapport de l'Igas, pour dire que, lorsque la commission d'AMM donne un avis sur le bénéfice-risque au terme d'une réévaluation, l'avis de la commission de pharmacovigilance doit être également transmis, ainsi que celui d'un groupe de travail composé de personnes spécialisées dans le domaine thérapeutique concerné. Il faut aussi disposer du regard de personnes qui ne sont pas des spécialistes du sujet et auront une approche plus transversale sur le bénéfice-risque. Ceci offrira une garantie supplémentaire.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur. - Vous avez évoqué les dysfonctionnements entre la procédure de remontée et de traitement des informations entre les différents organismes : quelles sont les propositions concrètes que vous faites en la matière ? En 2005 et en 2007, vous avez demandé un suivi particulier du dossier du Mediator. Le Sénat a, dans le même temps, publié un rapport suite à l'affaire du Vioxx. Avez-vous tenu compte des observations et des propositions que nous avions alors faites ? Avez-vous envisagé par exemple de constituer une base de données informatique publique sur les essais cliniques après l'obtention de l'AMM ? Etes-vous favorable à cette proposition ? De nouvelles mesures ont-elles été prises au sein de l'agence pour que le suivi entre la procédure de remontée et le traitement des informations soit amélioré ? Quelles sont les propositions concrètes qui ont été faites à ces différentes dates ?
M. Jean Marimbert. - J'ai tenu compte de ces échanges dans plusieurs domaines. Mi-2005, j'ai décidé que nous mettrions en ligne des comptes rendus, pour plus de transparence : cette disposition a été appliquée à partir de 2006 et, en quatre ans, elle s'est étendue à toutes les commissions de l'agence.
A partir de 2005-2006, l'organisation interne de l'agence a beaucoup évolué : il n'y avait pas, jusqu'en 2005, de service dédié au suivi post-AMM au sein de l'agence et les deux unités de pharmacovigilance étaient intégrées au département qui évaluait l'AMM. Il m'a paru indispensable de créer un département dédié à la surveillance post-AMM qui est devenu, fin 2007, un service comptant une cinquantaine de personnes. A la suite des débats ayant suivi l'affaire du Vioxx, nous avons cherché à instaurer une passerelle entre la pharmacovigilance fondée sur la notification spontanée et la pharmaco-épidémiologie. Nous avons donc créé une cellule spécifique : cette dernière a travaillé, à partir de 2008, avec la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam) lorsque des signaux apparaissaient en pharmacovigilance. Nous avons tenu compte du rapport du Sénat, mais nous ne sommes peut-être pas allés assez vite et assez loin.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur. - Jugez-vous possible et souhaitable aujourd'hui d'accroître la part de la recherche publique pour les études post-AMM ?
M. François Autain , président . - Quel pourcentage d'études post-AMM a été effectivement réalisé par rapport à celles qui ont été prescrites depuis début 2004 ?
M. Jean Marimbert. - Il faut que l'agence publique ait la capacité de déclencher des études indépendantes, non seulement des études Cnam qui servent principalement à confirmer les signaux, mais aussi des études plus longues. Nous restons actuellement prisonniers d'une logique consistant à demander au laboratoire de réaliser les études pour réévaluer le bénéfice-risque. Les délais de réalisation sont souvent dépassés, en France comme ailleurs. Il faut avoir la capacité de faire faire, selon un cahier des charges déterminé par des instances scientifiques indépendantes, des études pour éclairer une réévaluation, quitte à faire ce qu'ont fait les Italiens. Ces derniers ont mis en place un prélèvement supplémentaire sur les laboratoires : ce prélèvement est affecté à un fonds qui finance des études pharmaco-épidémiologiques indépendantes.
M. François Autain , président . - Quel pourcentage d'études post-AMM a été réalisé par rapport à celles qui ont été prescrites depuis début 2004 ?
M. Jean Marimbert. - Je l'ignore.
M. François Autain , président . - Je puis vous dire que la moitié n'a pas débuté.
M. Jean Marimbert. - C'est la raison pour laquelle, dans la nouvelle directive communautaire modifiée sur la pharmacovigilance, il est prévu que les Etats membres devront mettre en place des systèmes de sanctions lorsque les études prescrites n'ont pas été réalisées.
M. François Autain , président . - Ce système de sanctions existe en France.
M. Jean Marimbert. - Vraiment ?
M. François Autain , président . - Mais nous ne prenons pas de sanctions, ce que je ne comprends pas au vu des retards.
M. Jean Marimbert. - Vous faites allusion à la possibilité qu'a le Comité économique des produits de santé (Ceps) de prononcer des sanctions.
M. François Autain , président . - Oui. L'article 6 de l'accord-cadre signé par le Ceps et le Leem prévoit ce régime de sanctions. Malgré cela, les sanctions ne sont pas appliquées. J'en ignore la raison.
M. Jean Marimbert. - Il faut effectivement utiliser tous les leviers disponibles pour garantir que les études prévues soient réalisées. Je pense aussi que nous devons avoir d'autres capacités, dans d'autres cadres, de faire faire des études de pharmacovigilance, au-delà du laboratoire.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur. - Il est regrettable de devoir élaborer une directive européenne, dont on connaît la lourdeur, pour aboutir à ce que les études post-AMM puissent être réalisées.
Pensez-vous qu'il faut revoir les circuits de financement par d'autres dispositifs que l'impôt ainsi que le niveau des financements publics, en vue d'une plus grande indépendance financière vis-à-vis des laboratoires ? Les taxes et redevances représentent 90 % des ressources de l'agence.
M. François Autain , président . - Ce pourcentage atteint même 100 % cette année.
M. Jean Marimbert. - J'ai mis en garde les autorités sur les conséquences de la disparition totale de toute subvention de l'Etat dans le financement de l'agence puisque ce dernier matérialisait l'implication de l'Etat. Quand l'Agence du médicament a été créée, des taxes et redevances étaient affectées mais les proportions entre les taxes et redevances affectées et la subvention n'étaient pas du tout les mêmes puisque la répartition était à 50-50. Au fil du temps, ce rapport s'est déformé jusqu'à supprimer toute subvention de l'Etat. Si on pouvait passer à un financement budgétaire sans paupériser l'agence, si le prix à payer pour régler le débat sur l'impact du financement sur l'indépendance consiste à changer de circuit, nous pouvons le faire, à condition que l'agence ne soit pas paupérisée car elle a des investissements à faire, par exemple dans ses laboratoires ou pour son système informatique.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur. - Le développement des procédures européennes de mise sur le marché modifie-t-il le fonctionnement et les procédures de la commission d'AMM ? Quel rôle joue la commission d'AMM dans les procédures centralisées ?
M. Jean Marimbert. - La procédure dite centralisée se développe mais ne concerne qu'une centaine de dossiers par an, alors que la France traite environ mille dossiers dans le même temps. Alors qu'à partir de l'application de la directive de 2004, le nombre de produits soumis à la procédure centralisée a fortement augmenté, ce sont maintenant les génériques qui alimentent cette procédure, ce qui prouve que le pipe-line de la création s'assèche.
Au fil du temps, les experts de la commission d'AMM ont ressenti une frustration croissante à l'idée de ne pas pouvoir peser sur les choix effectués au sein du comité européen. Il est néanmoins possible de mettre la commission dans la boucle. Il n'est pas impossible d'avoir un échange collégial avec les experts français de la commission d'AMM, pour éclairer le point de vue soutenu par les représentants de l'agence au sein du comité scientifique européen, en amont. Ceci est difficile mais pas impossible. Il est arrivé que l'avis français ne soit pas suivi et que l'avis collégial européen n'ait pas été conforme au point de vue français. Arcoxia était un cas typique.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur. - Ceci ne signifie-t-il pas que la France entérine souvent les décisions ? La procédure de liaison avec les instances nationales fait souvent que les directives entérinent une décision.
M. Jean Marimbert. - Le risque est de dévaloriser ou de dévitaliser le travail des instances scientifiques nationales avec des décisions centralisées. Il convient donc d'essayer d'instaurer des temps de débat, en amont de la décision, pour éclairer la position de la France. Pour peser au niveau européen, ce qui était une obsession pour moi, sur les avis du Committee for Medicinal Products for Human Use (CHMP) concernant les produits qui passent en procédure centralisée, il faut participer et être rapporteur sur des dossiers, d'où l'importance de ne pas désinvestir ces dossiers européens qui peuvent avoir un impact considérable sur la santé publique puisque ces produits seront accessibles partout en Europe. Il faut beaucoup travailler dans les instances européennes et développer des débats en France en amont pour peser sur les décisions.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur. - On peut citer un brevet impliquant la thérapie cellulaire : ces décisions sont-elles prises en tenant compte des spécificités législatives nationales ?
M. Jean Marimbert. - Les thérapies cellulaires relèvent, pour les aspects avancés, du comité des thérapies avancées. Au-delà de cette question, il arrive que les débats européens oublient les différences qui existent entre les Etats membres et qui sont très importantes pour les conditions d'usage du médicament : l'organisation de la chaîne des soins et de distribution, les modes de prescription sont largement nationaux. Il faut faire attention à ne pas avoir au niveau européen des débats désincarnés à partir de dossiers pharmacologiques, puisque le bénéfice-risque d'un produit dépend tout autant des conditions concrètes d'utilisation que des caractéristiques intrinsèques. Les choix européens ne doivent donc pas perdre de vue tous ces paramètres nationaux et la diversité des législations.
M. François Autain , président . - La commission d'AMM a-t-elle la possibilité de remettre en cause la décision prise au niveau européen ? Quelle procédure avez-vous utilisée pour Arcoxia ?
M. Jean Marimbert. - Il existe trois types de décisions. Avec la décision centralisée pure, une fois la décision validée, elle s'impose dans toute l'Europe. Nous participons à l'évaluation mais la commission nationale n'a pas compétence pour examiner le produit.
Arcoxia relevait de la procédure de reconnaissance mutuelle, ou décentralisée : la décision part d'une nation et s'étend, par la procédure de reconnaissance mutuelle, à d'autres nations. Pour Arcoxia, j'avais un arbitrage communautaire de la commission avec un bénéfice-risque positif et j'étais donc juridiquement tenu de prendre la décision. J'ai estimé qu'il existait un enjeu de santé publique et j'ai pris une décision contraire : j'avais toutefois juridiquement tort.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur. - Pensez-vous que certains pays influencent davantage les décisions de cette commission ?
M. Jean Marimbert. - La situation a évolué. A l'origine, lors de la création du comité dans les années 1990, quatre pays pesaient davantage : la Suède, le Royaume-Uni, l'Allemagne et la France. D'autres pays ont progressivement pris leur place, en étant rapporteurs, comme les Pays-Bas. Les rôles du rapporteur et du co-rapporteur sont fondamentaux au sein de l'instance européenne, surtout si leur position est partagée par les grands pays, puisque les petits pays n'ont pas les moyens de mener des études de pharmacovigilance. La France doit garder sa capacité à peser sur les choix.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur. - Comment distinguer un lien d'intérêts mineur d'un lien d'intérêts majeur ? Est-il nécessaire de les distinguer ?
Faut-il fusionner la commission de la transparence avec la commission d'AMM ?
M. Jean Marimbert. - La distinction est utile : si vous êtes l'investigateur principal d'un essai clinique sur un produit, vous ne pouvez participer à l'évaluation, ce qui n'est pas le cas si vous êtes un investigateur parmi d'autres. Compte tenu de l'importance des débats sur ces conflits d'intérêts, il faudrait viser un pourcentage qui soit le plus élevé possible d'experts qui n'ont pas de liens, même si cela n'est pas évident. Nous avons augmenté la proportion d'experts sans conflits d'intérêts en procédant à un appel d'offres pour renouveler la composition de la commission d'AMM.
M. François Autain , président . - Il conviendrait peut-être de mieux rémunérer ces experts qui travaillent quasiment à titre bénévole quand ils interviennent au sein de l'Afssaps.
M. Jean Marimbert. - Il conviendrait effectivement de revaloriser les indemnités des vacations. Certains experts viennent tôt le matin de province pour recevoir une faible vacation : le problème n'est pas tant le niveau de la gratification que le fait que ce travail de participation à l'expertise de santé publique n'est pas reconnu à l'université par les pairs, contrairement aux publications. Ce travail doit être valorisé, d'autant que les experts y consacrent du temps et ne s'enrichissent pas : il convient donc que ces experts ne soient pas coupés d'une reconnaissance académique. Nous pourrions décider que, chaque année, sur le contingent des promotions académiques universitaires, une petite part soit dédiée à des experts de qualité qui ont participé à l'expertise de santé publique.
M. Jacky Le Menn . - N'y a-t-il pas une cooptation entre les experts ? Comment se génère cette notion d'expertise ? Il y a les experts connus mais aussi un vaste réseau d'experts potentiels compte tenu de leurs travaux.
M. François Autain , président . - Le président et le vice-président des commissions AMM sont à l'Afssaps dans les diverses commissions depuis vingt ans. Ne faut-il pas accélérer le renouvellement ?
M. Jean Marimbert. - J'ai justement décidé de passer à un système d'appel à candidatures alors que prévalait auparavant une logique de réseaux à chaque renouvellement des commissions. Ces appels à candidatures systématiques visaient à renouveler les membres : chaque commission a compté entre 25 % et 40 % de nouveaux membres et l'agence a en outre bénéficié de nouvelles expertises. Pour les présidents de commission qui ont plus de travail et de responsabilité que les autres membres, le renouvellement s'avère plus problématique. A partir de 2006-2007, j'ai souhaité que les présidents de commission signent un engagement comprenant quatre points parmi lesquels figurait une absence de conflit d'intérêts significatif, ce qui a aggravé la difficulté à renouveler des présidents. L'idéal serait effectivement de pouvoir changer de président au bout de quelques années.
M. François Autain , président . - En 2006, la Cour des comptes a publié un rapport sur l'Afssaps : ce rapport indique notamment que la pharmacovigilance ne serait ni transparente, ni suffisamment réactive en France. Quand la balance bénéfices-risques est défavorable, comme pour le benfluorex et l'agréal, quand des médicaments sont retirés du marché espagnol, l'Afssaps n'en dit rien et les médicaments continuent à être distribués en France. Dans votre réponse, vous indiquez que les produits visés dans le rapport ont fait l'objet d'une enquête approfondie, que, pour le benfluorex, vous avez demandé une réévaluation et que le produit a cessé d'être commercialisé en avril 2006. Vous citez, comme source de référence, le procès-verbal du 26 novembre 2006. S'agit-il d'un lapsus ?
M. Jean Marimbert. - Ce rapport était complet et portait notamment sur ces points. A l'évidence, la référence à un retrait du marché est le fruit d'une erreur : le passage qui fait allusion à un retrait du marché fait référence à une commission qui est postérieure à la date d'envoi de la réponse à la Cour des comptes. En avril ou mai 2007, lors d'une seconde réponse apportée à la Cour des comptes, la réponse explique le processus de réévaluation initié à partir de début 2006 et indique que la commission d'AMM examine le produit. Il s'agit donc d'une erreur matérielle que l'agence rectifie complètement un an après dans la réponse à un autre rapport de la Cour des comptes.
M. François Autain , président . - Si vous aviez pris cette décision en 2006, il y aurait eu moins de dégâts.
M. Jean Marimbert. - J'ai pris deux décisions défavorables au maintien du produit.
M. François Autain , président . - Quelles sont les conditions dans lesquelles vous avez décidé de lancer cette étude pharmaco-épidémiologique en 2010 auprès de la Cnam ?
M. Jean Marimbert. - Il y a deux études, en 2009 et en 2010. En 2009, une étude est réalisée par les services de la Cnam à la demande d'une épidémiologiste membre du groupe pharmaco-épidémiologiste de l'agence qui prend alors l'initiative de nouer un contact avec la Cnam. Cette étude montre l'existence d'un surrisque d'hospitalisation chez les patients diabétiques. La seconde étude Cnam a été demandée par les services de la direction de l'évaluation des médicaments de l'agence, sans instructions du directeur général. L'étude de la Cnam en 2009 corroborait l'existence d'un lien de cause à effet et d'un surrisque, et la seconde étude visait donc à connaître son impact en termes de mortalité et de morbidité. Dans la première quinzaine d'octobre 2010, la direction générale de l'agence a annoncé qu'elle examinerait les résultats et qu'elle rendrait l'enquête publique, ce qui a effectivement été le cas en novembre 2010.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur. - Avez-vous le sentiment que nous avons la même vigilance vis-à-vis des autres produits thérapeutiques qu'à l'égard des médicaments ?
M. Jean Marimbert. - Le terme de produits thérapeutiques englobe les dispositifs médicaux innovants et les thérapies cellulaires innovantes. Dans les domaines d'innovation hors médicament, nous sommes confrontés à un dilemme : comment faire le travail de sécurité sanitaire et évaluer le bénéfice-risque sans être un obstacle au progrès thérapeutique ?
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur. - Un certain nombre de produits sont utilisés sur le corps de la femme qui est le lieu d'expérimentations. La vigilance est-elle alors aussi conséquente que pour le médicament ?
M. Jean Marimbert. - Vous faites allusion aux produits thérapeutiques annexes (PTA) utilisés notamment en procréation médicalement assistée ? La France avait un dispositif spécifique d'autorisation des produits thérapeutiques annexes qui permettait d'examiner l'évaluation bénéfices-risques de manière adaptée. Un arbitrage a été rendu, au niveau européen, pour reclassifier ces produits comme dispositifs médicaux. La procédure française a été vidée de son contenu. Cela ne rend que plus nécessaire la mise en place au niveau communautaire de modifications législatives qui permettent d'avoir, pour les dispositifs médicaux les plus innovants qui sont des enjeux de santé publique importants, un niveau d'évaluation comparable à celui du médicament. Il me semble prioritaire, dans les années à venir, de modifier le corpus communautaire sur les dispositifs médicaux, marqué par le libre marché, pour y insérer davantage de considérations de santé publique, avec une procédure d'évaluation qui pourrait être européenne.
M. Jacky Le Menn . - Compte tenu des incidents rencontrés, pensez-vous que l'Afssaps a toujours sa raison d'être ? Sinon, que voyez-vous à sa place ?
M. Jean Marimbert. - Je crois profondément que les agences nationales de produits de santé gardent en Europe leur raison d'être puisqu'il n'existe pas de compétence communautaire générale en matière de santé. En cas de problème, la responsabilité nationale est mise en cause. La santé est déterminée par les règles européennes mais elle est très ancrée au niveau national, politiquement, psychologiquement et médiatiquement. La santé relève d'abord de la compétence des Etats. Dire qu'on va tout centraliser alors que, politiquement et juridiquement, la santé est de la compétence des Etats crée un hiatus encore plus fort.
Le bénéfice-risque n'est pas seulement lié aux caractéristiques intrinsèques d'un médicament mais aussi aux conditions concrètes de son utilisation, selon l'organisation sanitaire du pays. Les instances nationales doivent garantir, par leur action, tout ce pan de l'analyse bénéfices-risques, même pour les produits centralisés. Il reste donc une place pour des organismes publics qui jouent ce rôle.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur. - Les institutions européennes n'aiment pas la subsidiarité. Par le biais du médicament, elles essaient d'enfoncer un clou dans ces compétences de subsidiarité.
M. François Autain , président . - Je vous remercie d'avoir répondu à nos questions.
Audition de Mme Carmen KREFT-JAÏS, ancien chef du département pharmacovigilance de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (2008-2011) (mardi 12 avril 2011)
M. François Autain , président . - Nous accueillons aujourd'hui Mme Carmen Kreft-Jaïs, chef du département de pharmacovigilance de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps), médecin diplômé. En vertu de l'article L. 4113-12 du code de la santé publique, je vous prie de bien vouloir m'indiquer d'éventuels liens d'intérêts avec l'industrie pharmaceutique.
Mme Carmen Kreft-Jaïs, chef du département pharmacovigilance de l'Afssaps . - Je souhaiterais rectifier vos propos : j'étais chef du département de pharmacovigilance jusqu'au 31 mars. Je fais partie des personnes qui ont été démises de leurs responsabilités. Je travaille encore à l'Afssaps en attendant d'occuper un autre poste.
M. François Autain , président. - Savez-vous s'il s'agira d'un poste au sein de l'Afssaps ?
Mme Carmen Kreft-Jaïs. - Non, ce ne sera certainement pas le cas.
M. François Autain , président. - La fin de vos fonctions est-elle liée à l'affaire Mediator ?
Mme Carmen Kreft-Jaïs. - C'est probable. Pour répondre à votre question concernant les conflits d'intérêts, je souhaite signaler qu'avant ma prise de fonctions à l'Afssaps, j'avais accepté de faire partie d'un comité de sécurité concernant un produit en développement des laboratoires Servier. Cette fonction ne procurait aucun revenu ni aucun avantage en nature.
M. François Autain , président. - En quelle année était-ce ?
Mme Carmen Kreft-Jaïs. - En 1998 et 1999. J'ai donné ma démission avant de prendre mes fonctions à l'Afssaps. Toutes les réunions de ce comité se sont tenues, à ma demande, en terrain universitaire.
M. François Autain , président. - Avez-vous quitté ces fonctions le jour où vous êtes entrée à l'Afssaps ?
Mme Carmen Kreft-Jaïs. - Non, un mois avant.
M. François Autain , président. - Etes-vous donc entrée à l'Afssaps en 1999 ?
Mme Carmen Kreft-Jaïs. - J'ai pris mes fonctions à la mi-juillet 1999.
M. François Autain , président. - Souhaitez-vous faire une déclaration liminaire ?
Mme Carmen Kreft-Jaïs. - En tant que médecin et ancienne responsable du département de pharmacovigilance, j'ai une pensée particulière pour les victimes de l'affaire Mediator.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur. - Lors de la journée internationale de la femme, j'ai observé en séance publique que ce sont deux femmes qui ont été sanctionnées en ce qui concerne le Mediator.
Vous êtes spécialiste d'hypertension artérielle. Quand avez-vous entendu parler pour la première fois du Mediator dans l'exercice de vos fonctions ? Les cas d'hypertension artérielle pulmonaire liés à l'Isoméride, recensés en 1993, après le lancement d'une enquête en 1985, avaient-ils attiré votre attention sur ce médicament ? La structure chimique en est en effet proche.
Mme Carmen Kreft-Jaïs. - J'ai suivi l'affaire des anorexigènes. J'ai été représentante d'un centre régional de pharmacovigilance jusqu'à ma prise de fonctions à l'Afssaps. En tant que suppléante responsable du centre à l'hôpital Broussais, j'ai participé au comité technique de pharmacovigilance ; j'ai également été membre de la commission nationale de pharmacovigilance à deux reprises. De ce fait, j'ai suivi les problèmes liés à la fenfluramine et à la dexfenfluramine.
Il est également exact qu'en tant que membres de la commission nationale de pharmacovigilance, nous avons été informés de l'enquête officieuse puis officielle sur le Mediator. Effectivement, pour le Mediator, une ambiguïté persiste. Il existe une parenté chimique que nous ne pouvons pas discuter aujourd'hui. Nous l'avons évoquée à l'époque, mais nous nous sommes davantage attardés sur la classification anatomique, thérapeutique et chimique (ATC), c'est-à-dire sur son appartenance à une classe thérapeutique, du fait des indications de l'époque.
M. François Autain , président. - C'est pourtant bien en fonction de la classification de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), et non de la classification ATC, que ce principe actif (à savoir une molécule de benfluorex) a été retiré des préparations magistrales. En effet, si c'est cette classification qui devait être retenue, jamais le benfluorex n'aurait été retiré des préparations magistrales. C'est pourquoi reconnaître cette classification revient à ne pas reconnaître la classification de l'OMS, c'est-à-dire le fait que le benfluorex soit un anorexigène.
Vous ne pouvez pas vous contenter d'affirmer que le laboratoire avait décidé de classer ce médicament dans le classement ATC, alors qu'il était par ailleurs classé par l'OMS parmi les anorexigènes. Niez-vous que le benfluorex soit un anorexigène ?
Mme Carmen Kreft-Jaïs. - Non, je ne le nie pas, surtout avec les connaissances actuelles. Je rappelle néanmoins que la dénomination commune internationale du benfluorex et la classification ATC sont toutes deux données par l'OMS. La classification ATC peut ne pas suivre l'appartenance pharmacologique de la molécule ; cela a été le cas pour le benfluorex. Elle a en revanche suivi les indications qui avaient été octroyées au moment de l'autorisation de mise sur le marché (AMM), qui était celle du traitement des hypertriglycéridémies en tant qu'adjuvant dans le régime du diabète.
M. François Autain , président. - Je ne suis pas d'accord. La commission de l'AMM, en 1987, a récusé cette indication, relative au diabète, qui n'a été véritablement régularisée qu'en 2001. En 1999, lorsque vous avez commencé à entendre parler du Mediator, l'indication d'adjuvant au traitement antidiabétique n'était pas encore validée, mais en suspens.
On ne peut donc pas considérer que le benfluorex était à cette époque reconnu comme un adjuvant au régime antidiabétique, et encore moins comme un antidiabétique. Je ne comprends pas que vous continuiez à considérer qu'à cette époque, on pouvait négliger le caractère d'anorexigène de ce médicament.
Mme Carmen Kreft-Jaïs. - A cette époque, la pharmacologie indique clairement que le produit est anorexigène. Nous savons aussi éventuellement que le produit pourra être utilisé de manière détournée. Néanmoins, parallèlement à cela, il existe des « indications » en tant qu'adjuvant, notamment dans le traitement du diabète. Cette ambiguïté de la classification ATC nous a éconduits. Elle sera évoquée à plusieurs reprises.
Nous ne sommes certainement pas allés jusqu'au bout du questionnement, en ne considérant pas qu'il s'agissait d'un anorexigène.
M. François Autain , président. - Avez-vous conscience que cette ambiguïté était volontairement entretenue par le laboratoire ? L'Afssaps n'a pas su en sortir : elle a adopté le discours du laboratoire, en contradiction avec les expériences réalisées dans les années 70.
Une note précise intégrée dans le rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) spécifiait, dès les années 70, que le benfluorex était un anorexigène très puissant. Il y a là, me semble-t-il, de la part de l'Afssaps, un manque de perspicacité et une absence de remontée dans le passé permettant de mieux connaître les médicaments qu'elle a à évaluer.
La facilité de s'en remettre uniquement au laboratoire a souvent été retenue, non seulement pour le Mediator, mais également pour d'autres médicaments. Vous ne pouviez - et ne pouvez toujours pas - faire des analyses permettant de contrôler celles qui sont effectuées par le laboratoire.
Mme Carmen Kreft-Jaïs. - Vous avez raison d'affirmer que nous avons manqué de perspicacité. Un des grands enseignements de cette affaire est la nécessité de retourner en arrière aussi loin que possible. Je reconnais que dans l'analyse de la pharmacologie du médicament, nous ne sommes pas allés aussi loin que nous aurions dû. Cela nous aurait probablement permis de mettre en avant les éléments que l'enquête de l'Igas a mis en évidence.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur. - Pourquoi l'enquête officieuse, qui est ensuite devenue officielle menée par le centre régional de pharmacovigilance de Besançon, n'a été étendue à l'hypertension artérielle pulmonaire que dix ans plus tard ? Avez-vous été associée aux travaux du groupe européen de pharmacovigilance sur un dossier rapporté par la France et l'Italie ? Pourquoi la procédure d'arbitrage sur l'évaluation du bénéfice-risque n'a-t-elle pas abouti, malgré de nombreuses réunions entre 1998 et 2003 ?
Mme Carmen Kreft-Jaïs. - Je n'étais pas associée à la partie concernant les anorexigènes, n'étant arrivée qu'en 1999, une fois que les études sur les amphétamines et les fenfluramines ont déjà été menées. Les fenfluramines avaient alors déjà fait l'objet d'une suspension d'autorisation de mise sur le marché (AMM) en 1997, à la suite des valvulopathies identifiées aux Etats-Unis. Les indications et les prescripteurs pouvant utiliser le produit en France avaient déjà fait l'objet d'une restriction en 1995.
Au niveau européen, je n'ai été associée au dossier évoqué par l'Italie en 1998 qu'à mon arrivée à l'Afssaps, et au moment où j'ai été nommée déléguée française au groupe européen de pharmacovigilance. Ce dossier a également été suivi de près par l'ancienne responsable de pharmacovigilance, alors vice-présidente du groupe européen de pharmacovigilance.
Nous suivions le dossier et étions au courant des réponses apportées par la France à l'Italie sur différents sujets : effets indésirables, nécessité d'éclaircir la pharmacocinétique de la molécule et de disposer d'études susceptibles d'apporter des données en termes de tolérance au long cours.
Effectivement, des protocoles ont été demandés aux laboratoires Servier, qui ont été évalués par l'Italie, mais également par la France en 2001 et en 2003. En revanche, les études ont abouti plus tardivement : l'étude Moulin a été rapportée en 2005 et l'étude Regulate a été présentée en 2009.
Pour résumer, j'étais effectivement au courant des échanges qui ont eu lieu au niveau européen. Néanmoins, à la lecture des comptes rendus des réunions, on comprend que le Mediator intéressait l'Italie, la France et l'Espagne ; le produit était autorisé et commercialisé dans très peu de pays de l'Union européenne. Outre ces trois pays, il y avait -je crois- la Grèce et le Portugal.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur. - Nous notons que le directeur général de l'Afssaps a demandé une note à l'unité de pharmacovigilance de l'Afssaps pour disposer d'éléments de réponse sur le Mediator en 2005. Selon le rapport de l'Igas, « les éléments de réponse transmis au directeur général sont incomplets ». Ils concernent le lien entre les valvulopathies et le benfluorex ainsi que des cas de valvulopathies survenus en France, où la parenté structurale avec les fenfluramines est établie. Partagez-vous cette appréciation ? Y a-t-il eu « blocage » ou « écran », comme cela a été dit ? Pouvez-vous nous détailler la procédure de remontée et de traitement des informations entre les organismes de pharmacovigilance et le directeur général de l'Afssaps ?
Mme Carmen Kreft-Jaïs. - Je ne pense pas qu'il y ait eu écran. En revanche, l'information qui a été délivrée aurait pu être plus complète.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur. - Qu'est-ce que cela signifie ? Aurait-on pu insister sur l'équivoque pharmacochimique ?
Mme Carmen Kreft-Jaïs. - On aurait pu donner un historique plus complet de la problématique liée aux anorexigènes et expliciter la raison pour laquelle le Mediator a fait l'objet d'une enquête officieuse, puis officielle à partir de 1998. En revanche, le rapport du comité technique et les comptes rendus de la commission nationale se trouvent dans le même parapheur.
S'agissant de l'information du directeur général, elle s'effectue le plus souvent sous la forme d'une note qui reprend les éléments du dossier de la manière la plus complète possible. Un directeur général est nommé ou renouvelé tous les trois ans ; il n'est donc pas nécessairement au fait de l'ensemble des éléments. Il convient donc de rappeler l'historique du dossier.
Je rappelle qu'en mai 2005, un comité technique traitait des problèmes d'hypertension artérielle pulmonaire et des questions psychiatriques. Une commission nationale se déroulera au mois de novembre de la même année sur ce problème.
Mme Marie-Thérèse Hermange , r apporteur. - Je répète qu'il ne s'agit pas là d'une procédure judiciaire, mais d'une évaluation de la politique du médicament que nous mettons en place. Vous avez été sanctionnée. Selon vous, où s'est trouvé le dysfonctionnement ?
Mme Carmen Kreft-Jaïs. - Je pense que le dysfonctionnement majeur a résidé dans l'échange d'informations entre les différentes commissions d'experts en charge de l'évaluation du médicament.
Le comité technique et les groupes de travail de la commission nationale de pharmacovigilance ont pour mission l'évaluation des risques liés à l'utilisation des médicaments, que ce soit dans ses indications ou hors AMM.
Cette évaluation des risques s'est réalisée dans le contexte du bénéfice du médicament, même si ce n'était pas la mission de la commission nationale de pharmacovigilance. Il est schizophrène de réaliser une évaluation des risques sans tenir compte du bénéfice.
C'est la raison pour laquelle, en 2005, la commission nationale de pharmacovigilance a pointé quelques problèmes et a souhaité analyser les risques dans le contexte du bénéfice. Elle a demandé une évaluation complète du rapport bénéfices-risques, dans les deux indications autorisées. L'évaluation du risque avait alors déjà été effectuée. Il restait donc à réaliser l'évaluation de bénéfice. C'est la commission d'AMM, avec son groupe de travail, qui en a été chargée.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur. - Vous semblez considérer que la multiplicité des commissions ne donne pas une vue d'ensemble à celui qui doit prendre la décision. Pensez-vous que les différentes commissions, qui rendent des avis qui ne sont pas toujours concordants, ne permettent pas aux autorités qui doivent prendre des décisions d'avoir tous les éléments pour prendre la décision adéquate ?
Mme Carmen Kreft-Jaïs. - Certaines commissions ont des fonctions très précises. Si les fonctions de chaque commission étaient présentées aux décideurs, avec les arguments des uns et des autres, la décision pourrait être prise.
En 2007, la commission nationale de pharmacovigilance a demandé à la commission d'AMM de tenir compte des risques potentiels du médicament au vu d'un bénéfice jugé modeste. La commission d'AMM, à la lumière des travaux de l'étude Moulin, a suspendu l'indication des hypertriglycéridémies. Elle se contentera de conserver l'indication d'adjuvant chez les diabétiques.
Nous aurions pu faire remonter de façon plus précise les dissensions qui existaient entre la commission nationale de pharmacovigilance, dont certains membres sont allés jusqu'à considérer que le bénéfice-risque était négatif. Cette position n'était pas majoritaire.
M. François Autain , président. - Etait-ce en 2005 ou en 2007 ?
Mme Carmen Kreft-Jaïs. - En 2005, la commission nationale de pharmacovigilance a demandé la réévaluation du bénéfice-risque. Lorsqu'en 2007, elle a pris connaissance de l'évaluation du bénéfice, elle a fait part de ses doutes. Certains membres ont considéré que le rapport bénéfices-risques était négatif.
M. François Autain , président. - Nous ne saurons d'ailleurs jamais combien de membres avaient cette opinion, car cette précision n'est pas portée au procès-verbal.
Mme Carmen Kreft-Jaïs. - Non, car à l'époque, on ne comptabilisait pas les votes favorables et défavorables.
M. François Autain , président. - Procède-t-on différemment désormais ?
Mme Carmen Kreft-Jaïs. - Désormais, non seulement les voix sont comptabilisées, mais aussi, si les membres de la commission le demandent, elles sont clairement mentionnées.
M. François Autain , président. - En 2007, deux avis n'étaient donc pas parfaitement identiques.
Je souhaite à présent vous interroger sur l'étude Regulate , qui a été demandée vers 2001. Les résultats n'ont été connus que peu de temps avant que le médicament soit retiré de la vente : il a donc fallu sept ou huit ans pour obtenir les résultats de cette étude. N'estimez-vous pas ce délai excessif ?
Mme Carmen Kreft-Jaïs. - En 2001, les laboratoires Servier avaient présenté un protocole où figurait un volet cardiologique, qui se transformera quelques années plus tard en étude Regulate . Il est possible que si l'étude avait été menée plus tôt, nous aurions obtenu les mêmes résultats que ceux de l'étude Regulate .
Si l'étude avait été connue en 2007, peut-être aurions-nous pris une décision différente ; je ne peux l'affirmer.
M. François Autain , président. - Selon vous, pour quelle raison ce délai a-t-il été aussi long ?
Mme Carmen Kreft-Jaïs. - S'il faut peu de temps pour écrire un protocole, la mise en place peut en revanche être assez longue, tout comme l'inclusion des patients. Je rappelle que le benfluorex était autorisé dans très peu de pays. Il s'agissait donc de trouver des lieux où le protocole allait être mis en place et accepté par les comités de protection des patients. Par la suite, il fallait inclure les patients ; or, avant de terminer ce travail préalable, l'analyse est longue.
M. François Autain , président. - Vous considérez donc cette durée comme normale, contrairement à ce que certains ont avancé, notamment dans le rapport de l'Igas.
Mme Carmen Kreft-Jaïs. - Non. J'ai seulement dit que le délai aurait pu être plus court.
M. François Autain , président. - Je vous remercie de cette précision. Vous occupiez déjà des fonctions au niveau européen, puisque vous avez été appelée à exercer ces fonctions presque au moment où vous avez été recrutée à l'Afssaps. Vous avez donc pleinement participé à, selon l'expression du rapport de l'Igas, l'« enlisement » du dossier Mediator en Europe.
En effet, pendant quatre ou cinq ans, des allers-retours ont eu lieu entre l'Italie, Londres et Paris, et le dossier n'a pas avancé. Pour quelles raisons ? Avions-nous besoin d'un arbitrage européen et d'un éventuel recours à l'article 12 ? Comme vous l'avez fait remarquer plus tôt, la prescription du Mediator était un privilège français. Seuls les Français ont absorbé du Mediator pendant de longues années.
Pourquoi, s'agissant d'une procédure nationalisée, avez-vous eu recours à l'Europe pour prendre une décision qui revenait, me semble-t-il, à la France ? Ce détour par l'Europe n'a fait que retarder le cheminement du dossier.
Mme Carmen Kreft-Jaïs. - Je vous rappelle que ce n'est pas la France qui a sollicité l'Europe, mais l'Italie. Etant donné que la France avait utilisé le Mediator à grande échelle, nous avons participé aux travaux entre 1998 et 2003.
M. François Autain , président. - Lorsque vous évoquez une grande échelle, voulez-vous dire que davantage de boîtes de benfluorex ont été prescrites en Italie qu'en France ?
Mme Carmen Kreft-Jaïs. - Non. Des échanges ont eu lieu entre la France et l'Italie, à la demande de l'Italie, qui a mis le dossier sur la table. Il existe depuis le départ une ambiguïté entre les propriétés pharmacologiques et l'utilisation du produit du fait des indications données en 1976.
M. François Autain , président. - Nous continuons donc à être victimes de cette ambiguïté.
Mme Carmen Kreft-Jaïs. - L'ambiguïté entre la classe pharmacologique et les indications qui lui ont été octroyées joue un rôle.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur. - Je souhaite revenir sur la notion de balance bénéfices-risques. Vous avez évoqué des desaccords entre la commission d'AMM et la commission nationale de pharmacovigilance. Comment améliorer l'appréciation globale de la balance bénéfices-risques dans l'architecture de la surveillance du médicament, alors que les structures de décision sont éclatées entre plusieurs commissions ?
Mme Carmen Kreft-Jaïs. - Il ne s'agit pas nécessairement d'obtenir des accords ; on peut avoir des opinions différentes. Je rappelle que la commission nationale de pharmacovigilance et la commission d'AMM rendent chacune un avis. La décision est prise par les décideurs. Il est également vrai que lorsque ces deux commissions ont des opinions convergentes, cela facilite la décision. En général, les directeurs généraux de l'Afssaps suivent les avis donnés par ces commissions.
En cas d'opinions divergentes, nous avons l'obligation de faire remonter cette dissension de façon très claire auprès du directeur. En 2007, aucune note n'a été émise à ce propos. En revanche, dès 2007, les procès-verbaux des réunions de la commission nationale de pharmacovigilance ont été mis en ligne sur le site de l'Agence. Avant leur mise en ligne, ils ont été visés par un comité de lecture comprenant l'ensemble des décideurs ainsi que par le président de la commission nationale, les départements de pharmacovigilance et le président de la commission d'AMM.
En 2007, nous avons commis l'erreur de ne pas mettre en exergue cette dissension de façon concrète. Nous n'avons pas assez attiré l'attention du directeur général sur le fait que les avis n'étaient pas convergents.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur. - Si vous deviez faire une réforme de la pharmacovigilance, de l'architecture institutionnelle et de l'organisation de l'Agence, quelles en seraient les grandes lignes ?
Mme Carmen Kreft-Jaïs. - Je pense que l'évaluation du médicament doit s'effectuer à l'intérieur d'une même agence. Les spécialistes des risques et des bénéfices doivent échanger entre eux. Il ne doit pas exister de prévalence d'une commission par rapport à une autre.
Nous pourrions envisager la mise en place d'une commission du rapport bénéfices-risques unique, similaire à l'organisation qui est prévue à l'heure actuelle pour les Procédures de réglementation avec contrôle (Prac). Je pense qu'il est en effet très difficile d'évaluer un risque sans tenir compte du bénéfice. Si le bénéfice est modeste, voire très faible, un petit risque peut amener à prendre plus facilement des décisions qui sont habituellement considérées comme relevant « de la dernière chance » (suspension, voire retrait, d'une autorisation de mise sur le marché).
M. François Autain , président. - En 1999, une mission d'évaluation a été menée par la commission de la transparence. Au même moment, un cas de valvulopathie et un cas d'hypertension artérielle pulmonaire ont été signalés. Il y avait là une coïncidence qui aurait dû conduire la direction générale de l'Afssaps à en tirer les conséquences. L'avis de la commission de la transparence est pourtant digne d'intérêt.
Les deux accidents majeurs qui sont alors survenus étaient imputables au Mediator. Pourquoi, à ce moment-là, la direction générale n'a-t-elle pas pris cette décision, qui semble découler très directement de l'observation que vous venez d'émettre ?
Mme Carmen Kreft-Jaïs. - Je ne peux pas répondre à cette question.
M. François Autain , président. - N'avez-vous pas été interpellée ? Vous affirmez que vous êtes au courant de cet avis de la commission de la transparence. L'étiez-vous à l'époque ?
M. François Autain , président. - Vous aviez néanmoins connaissance des cas de valvulopathie et d'hypertension artérielle de 1999.
Mme Carmen Kreft-Jaïs. - Le cas de valvulopathie a été abordé lors d'un comité technique, mais je ne l'avais pas en mémoire en permanence.
M. François Autain , président. - Le cas de valvulopathie de Marseille n'a pas été examiné comme il aurait dû l'être. Un comité technique de pharmacovigilance s'est tenu en juin 1999 ; il n'est absolument pas fait mention du cas de valvulopathie aortique qui a pourtant été notifié en février 1999. Le délai de transmission par le centre régional de pharmacovigilance de Marseille pour une évocation en comité technique de pharmacovigilance me paraît raisonnable.
Lors de chaque réunion mensuelle, chaque directeur de centre régional fait état des effets indésirables qu'il a observés dans son secteur. Or nous ne comprenons pas que lors du comité technique paritaire de juin 1999, il n'en ait pas été fait mention. Peut-être cette question est-elle nulle et non avenue si vous n'aviez pas encore pris vos fonctions à l'Afssaps à cette époque.
Cet exemple démontre néanmoins que la remontée de l'information ne s'effectue pas suffisamment rapidement, ce qui peut expliquer la situation dans laquelle se trouvait et se trouve encore la pharmacovigilance.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur. - Vous avez travaillé dans les services renommés des docteurs Ménard, Corvol et Plouin. Ces situations, compte tenu de leurs spécialités, n'ont-elles jamais été connues au niveau de l'hôpital ?
Mme Carmen Kreft-Jaïs. - Les services des docteurs Ménard, Corvol et Plouin traitent l'hypertension artérielle, et non l'hypertension artérielle pulmonaire, cas très spécifique que l'on rencontre dans les services de pneumologie. Il s'agit heureusement de pathologies encore assez rares, qui nécessitent de vrais spécialistes.
M. François Autain , président. - Vous étiez à l'Afssaps lorsque le benfluorex a été retiré de la vente en Italie. Les laboratoires Servier ont indiqué qu'il n'existe aucun rapport entre le cas de valvulopathie et le retrait du Mediator, ce qui demande à être vérifié.
Comment expliquez-vous que, en Espagne, un cas de valvulopathie ait eu pour conséquence le retrait du Mediator, alors qu'en France, il a fallu attendre une dizaine de valvulopathies avant le retrait du médicament du marché ?
Mme Carmen Kreft-Jaïs. - Le retrait d'autorisation de mise sur le marché en Espagne n'est pas un réel retrait : Servier n'a pas demandé le renouvellement de l'AMM. La valvulopathie espagnole est arrivée à peu près en même temps. Si le renouvellement avait été demandé, peut-être l'Espagne ne l'aurait-elle pas octroyé.
M. François Autain , président. - C'est ce que les laboratoires Servier ont affirmé.
Mme Carmen Kreft-Jaïs. - Je ne juge pas de ce qui se serait produit si les laboratoires Servier avaient sollicité le renouvellement alors que les publications étaient déjà parues. C'est également ce qui s'est produit en Italie. Pour des raisons commerciales, les produits étaient certainement moins utilisés qu'en France. En revanche, les préparations magistrales, formes assez importantes de consommation de benfluorex en Espagne, ne seront interdites que deux ans plus tard.
M. François Autain , président. - Oui, il me semble que cette interdiction date de 2005 en Espagne. Pourquoi le retrait en Espagne n'a-t-il jamais été communiqué, que ce soit au comité technique de pharmacovigilance ou à la commission nationale de pharmacovigilance ?
Mme Carmen Kreft-Jaïs. - Je pense qu'il n'est pas consigné dans les procès-verbaux des comités techniques. Lorsque les cas avaient été signalés, nous avions indiqué qu'en Espagne, le produit n'était plus autorisé.
M. François Autain , président. - Lorsqu'un médicament est retiré de la vente dans un pays, quels qu'en soient les motifs, il me semble que l'on doit en informer l'agence française, au moins pour qu'elle procède à une réévaluation du produit.
Le cas de valvulopathie en Espagne n'a pas soulevé, de la part des membres de la commission nationale de pharmacovigilance, une réaction particulière. Vous n'avez pas estimé nécessaire de consigner cette information dans le compte rendu.
Mme Carmen Kreft-Jaïs. - Le cas a été discuté brièvement et n'est pas consigné dans le procès-verbal.
M. François Autain , président. - Estimez-vous qu'il n'était pas nécessaire de noter cette information dans le compte rendu ?
Mme Carmen Kreft-Jaïs. - Je ne pense pas qu'au moment où nous avons rédigé le procès-verbal, nous ayons réfléchi à la possibilité d'inclure ou non cette information : nous avons simplement oublié de l'intégrer.
M. François Autain , président. - Qu'avez-vous pensé du cas de valvulopathie en Espagne lorsque vous en avez eu connaissance ? Avez-vous estimé que cet élément devait peut-être conduire à davantage de vigilance ou à accélérer le processus en cours ?
Mme Carmen Kreft-Jaïs. - Nous en avons pris connaissance, mais nous n'en avons pas pris la mesure.
Mme Marie-Christine Blandin . - Vous semblez affectée par votre mise à l'écart. Ressentez-vous la sanction qui vous a été infligée comme injuste ? Si tel est le cas, sur quel maillon de l'édifice reportez-vous la faute ?
Mme Carmen Kreft-Jaïs. - Les dysfonctionnements ne sont pas uniquement imputables à la pharmacovigilance.
M. François Autain , président. - Nous vous remercions.
Audition de M. Louis MERLE, professeur de pharmacologie, ancien président de la commission de pharmacovigilance de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) (2007- 2010) (mardi 12 avril 2011)
M. François Autain , président. - M. Louis Merle, je dois vous demander en vertu de l'article L. 4113-12 du code de la santé publique si vous avez des liens d'intérêts avec l'industrie pharmaceutique.
M. Louis Merle, président de la commission de pharmacovigilance de l'Afssaps. - Je n'ai aucun lien avec l'industrie pharmaceutique. J'ai un neveu qui travaille dans le laboratoire Sanofi-Aventis en tant que pharmacien coordinateur qualité.
M. François Autain , président. - Vous avez la possibilité de faire un exposé liminaire.
M. Louis Merle. - Je souhaite en premier lieu faire une rectification : je ne suis plus président de la commission nationale de pharmacovigilance (CNPV). Je l'ai été d'août 2007 à août 2010, au moment où le Mediator a été retiré du marché. J'en suis désormais seulement membre.
Je souhaiterais aborder deux problèmes : la pharmacovigilance et le benfluorex. La période est difficile : nombreux sont ceux qui ont critiqué la pharmacovigilance. Je souhaiterais donc la défendre ici.
Tous les médicaments ont des effets indésirables, ce que le public non averti découvre aujourd'hui à l'occasion de l'affaire du Mediator. Ces effets indésirables n'ont rien de spécifique. Ils ne font que mimer les pathologies classiques. Lorsque quelqu'un a un problème, il faut en trouver les causes. Parmi les diverses causes se trouve le médicament. C'est le rôle de la pharmacovigilance que de procéder à cette identification.
Un premier signalement doit être fait au centre régional de pharmacovigilance par un professionnel de santé. Nous instruisons ensuite le dossier. Si nous considérons que le problème a un intérêt, nous le signalons au comité technique de pharmacovigilance et à l'Afssaps. Des signaux peuvent ensuite ressortir du signalement de ces problèmes.
En cas de signal, une enquête est proposée à un centre régional de pharmacovigilance, qui étudie les observations des divers centres de pharmacovigilance et celles qui sont rapportées au laboratoire. Le rapport est d'abord présenté en comité technique de pharmacovigilance. Si les éléments sont suffisamment mûrs, le dossier passe devant la commission nationale de pharmacovigilance, à laquelle assiste le laboratoire correspondant. Des questions sont posées au rapporteur et au laboratoire. Puis le laboratoire se retire et la discussion se poursuit, donnant lieu à des propositions au directeur général de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps).
Plusieurs problèmes se posent alors, notamment le découplage potentiel entre une proposition faite par la commission et une décision prise ultérieurement. La commission étant uniquement consultative, le pouvoir décisionnel revient à l'échelon administratif.
M. François Autain , président. - Considérez-vous qu'un découplage a eu lieu en 2007, lorsque la commission nationale de pharmacovigilance a émis un avis mitigé sur le rapport bénéfices-risques du médicament et qu'il a été décidé de laisser le Mediator sur le marché ?
M. Louis Merle. - Je pense que l'évolution aurait effectivement pu être plus rapide. En 2007, M. Jacques Caron, mon prédécesseur, avait notifié à la commission d'autorisation de mise sur le marché (AMM) sa grande réserve sur le produit.
Lorsqu'un avis est rendu par la commission nationale de pharmacovigilance, il faut qu'il soit soumis à la commission d'AMM, dont la philosophie est différente. En pharmacovigilance, on critique le médicament, alors que la commission d'AMM y est plutôt favorable, le mettant sur le marché. Il n'est donc pas logique que la commission de pharmacovigilance dépende de la commission d'AMM pour rendre un avis.
Il me semble qu'un avis commun pourrait être pris avec quelques représentants de chaque commission, en nombre égal.
M. François Autain , président. - S'agirait-il d'une sorte de commission mixte paritaire, présidée par le directeur général de l'Afssaps ?
M. Louis Merle. - Oui. Une représentation paritaire serait en tous les cas souhaitable.
Il y a dix ans, la commission nationale de pharmacovigilance n'était pas supervisée par la commission d'AMM. Des décisions s'ensuivaient très rapidement.
Par ailleurs, la base anonyme de données informatiques avec laquelle nous travaillons fonctionne mal depuis des années.
Les centres de pharmacovigilance regroupent des activités nombreuses et éparses. Le Mediator n'était que l'un des produits que nous surveillions à l'époque.
Il existe trente et un centres régionaux de pharmacovigilance (CRPV) en France. J'y ai toujours été favorable. Il est souhaitable de développer une proximité avec les déclarants, voire avec les patients. Je suis satisfait que cette structure ait toujours été soutenue par l'ancien directeur général de l'Afssaps et que le nouveau directeur général de l'agence la défende tout autant. Aux Assises du médicament, cette structure décentralisée n'a pas fait l'objet de critiques.
Nous percevons une subvention de la part de l'Afssaps, destinée à payer des vacataires, ce qui n'est pas très valorisant. Les personnes que nous payons le sont légèrement mieux qu'auparavant, mais nous n'avons pas de postes à proposer, notamment aux jeunes médecins. Ils ne s'intéressent pas aux médicaments, contrairement aux pharmaciens.
M. François Autain , président. - Ils les prescrivent pourtant, et en quantité, la France étant championne des prescriptions. Il y a là un paradoxe.
M. Louis Merle. - Tout à fait. Qui plus est, les consultations chez le médecin se terminent dans la plupart des cas par une ordonnance prescrivant des médicaments. Il s'agit d'un problème de formation. La France est en effet le pays d'Europe qui dispense le moins d'enseignement de pharmacologie. De plus, dans la discipline de la pharmacologie, la pharmacovigilance n'est pas valorisante.
Il découle de cet état de fait une sous-déclaration des problèmes de la part des médecins. Les pharmaciens les déclarent peut-être plus facilement. Désormais, nous aurons la possibilité de prendre connaissance des déclarations des patients.
S'agissant du Mediator, j'ai pris connaissance du premier rapport en 1998, réalisé par le professeur Bechtel du centre de pharmacovigilance de Besançon, qui s'intéressait au problème des anorexigènes. Au départ, seul l'aspect amphétaminique du produit a été envisagé sur des problèmes de retentissement psychiatrique : délires, confusion et dépendance.
M. François Autain , président. - Le résumé des caractéristiques du produit (RCP) a d'ailleurs été modifié en fonction de ces effets indésirables.
M. Louis Merle. - Exactement. C'étaient les seuls éléments qui faisaient l'objet d'une inquiétude et qui ont été notifiés dans l'enquête. Ce n'est que vers 2004-2005 que sont arrivés des cas d'hypertension artérielle pulmonaire.
M. François Autain , président. - La première hypertension artérielle pulmonaire qui a été imputée au Mediator date de 1999 ; elle est apparue à l'hôpital Antoine Béclère. La même année, quelques cas d'hypertensions artérielles pulmonaires et de valvulopathies ont été détectés à Marseille.
M. Louis Merle. - Je n'en avais pas du tout connaissance.
Mon collègue du CRPV de Marseille a très bien fait son travail ; après que l'observation lui a été signalée, elle l'a analysée et intégrée dans la base de pharmacovigilance. J'ignore ce qui s'est produit par la suite.
M. François Autain , président. - Des pertes en ligne s'en sont suivies. Le comité technique de pharmacovigilance, qui s'est réuni quelques mois plus tard, n'en a absolument pas parlé. Il s'agit d'une lacune importante.
M. Louis Merle. - En effet. Je précise néanmoins qu'il s'agit d'un seul cas. A partir de combien de cas faut-il considérer que le signal qui a émergé devient capital ?
M. François Autain , président. - Selon moi, lorsqu'un médicament est inutile, un seul cas doit entraîner sa suppression.
M. Louis Merle. - Je ne souhaite pas défendre le médicament. Toutefois, dans certains cas, des endocrinologues ont remplacé un antidiabétique oral par ce produit, l'ayant considéré comme équivalent. Je pense que l'on ne peut donc pas aller jusqu'à affirmer que ce produit était inutile.
M. François Autain , président. - Je me réfère uniquement à l'avis de la commission de la transparence, qui a jugé que le service médical rendu (SMR) de ce médicament était insuffisant. Je résume cette position en disant que ce médicament ne servait à rien. Nous savons combien les prescriptions des médecins hors AMM ont été importantes ; cela relève de leur responsabilité.
L'avis de la commission de la transparence a été pris en compte au regard des deux accidents qui ont eu lieu en 1999. Par la sous-notification, nous savons d'ailleurs qu'il y a pu y avoir en réalité vingt fois plus de cas. On estime en effet que seuls 5 % des effets qui surviennent sont notifiés.
La pharmacovigilance manifeste là une confiance mal placée.
M. Louis Merle. - Initialement, les hypertensions artérielles pulmonaires déclarées sous Mediator correspondaient à des malades qui avaient antérieurement reçu des anorexigènes. On a donc considéré que la responsabilité de l'anorexigène qui avait été pris antérieurement intervenait. Le Mediator a donc été laissé de côté.
Il aurait fallu considérer que si un terrain était peut-être préparé par les anorexigènes, le Mediator pouvait avoir ajouté son action. Nous connaissions mal la fenfluramine, commune aux anorexigènes et au benfluorex.
M. François Autain , président. - Considérez-vous que le benfluorex n'est pas un anorexigène ?
M. Louis Merle. - Le benfluorex n'est pas un bon anorexigène.
M. François Autain , président. - Heureusement, car il n'était pas prescrit comme tel.
M. Louis Merle. - Tout à fait, il était prescrit dans le cadre du diabète. Il me semble qu'un mauvais usage l'a fait utiliser en relais des anorexigènes qui avaient été retirés du marché.
M. François Autain , président. - Les laboratoires Servier se défendent que le benfluorex soit un anorexigène.
M. Louis Merle. - C'est pourtant l'impression que j'en ai retiré. Certaines utilisations correspondaient néanmoins à peu près à l'AMM du produit. Il nous a été dit que ce métabolite commun se retrouvait avec le benfluorex en des quantités très faibles.
M. François Autain , président. - Dans le sang ou dans les urines ?
M. Louis Merle. - 2 % ont été retrouvés dans les urines. C'est là que l'argumentation qui nous a été apportée par le laboratoire pêche. J'avais l'impression que ce produit était différent des produits qui avaient été retirés du marché du fait d'une bien moindre quantité de ce métabolite. Or j'avais tort, car il a été montré récemment que la posologie efficace du benfluorex conduisait à des taux voisins de fenfluramine.
M. François Autain , président. - N'êtes-vous pas étonné qu'il ait fallu attendre vingt-cinq ou trente ans pour obtenir les vérités pharmacologiques de ce produit, alors qu'elles étaient connues dès 1972 ?
M. Louis Merle. - C'est effectivement regrettable.
M. François Autain , président. - Dans le rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas), il est fait référence dès 1972 à des publications qui indiquaient que le benfluorex était potentiellement un anorexigène puissant. Personne ne s'est référé à cette littérature pour trouver une vérité que l'on mettra des années à découvrir. Pourquoi pensez-vous que l'Afssaps a été pendant des années incapable de trouver cette vérité pharmacologique qui lui échappait ?
M. Louis Merle. - Je n'irais pas jusqu'à dire qu'il s'agit d'un anorexigène puissant.
M. François Autain , président. - Je ne fais que citer cette étude, qui a été menée dans les années 70, d'ailleurs à la demande des laboratoires Servier.
M. Louis Merle. - Je ne pense pas qu'il s'agit d'un anorexigène puissant. Les malades ne perdaient pas une charge pondérale très importante avec ce produit. L'enquête qui a été effectuée était organisée autour de la mise en évidence des effets indésirables. Les laboratoires Servier n'ont sans doute pas fourni les informations bibliographiques qui leur ont été demandées et qui auraient pu être utiles dans ce cas.
M. François Autain , président. - Vous n'avez pas l'attitude proactive que l'on demande à présent à la pharmacovigilance. En l'absence de données bibliographiques fournies par le laboratoire, vous n'avez pas procédé à des recherches de structure. Il n'existe pas de démarche autonome de la part de l'Afssaps ou de la pharmacovigilance qui soit indépendante de celle du laboratoire. Il est insuffisant de s'en remettre constamment aux informations qui vous sont fournies. Avez-vous changé votre position pour une attitude proactive ?
Recherchez-vous par vos propres moyens les données bibliographiques vous permettant de confirmer ou d'infirmer les propos du laboratoire ?
M. Louis Merle. - La situation a évolué. De manière générale, les enquêtes actuelles sont de meilleure qualité que celles conduites il y a dix ou quinze ans.
Dans ce problème, on semble oublier l'historique. Notre connaissance s'est constituée progressivement. Nous disposons à présent d'informations qui proviennent des études de la caisse nationale d'assurance maladie. Tout a tendance à être mélangé. Mais une étude de la caisse nationale d'assurance maladie est différente d'une étude statistique, car elle est réalisée sur des données de remboursement, qui ne correspondent pas à des cas signalés.
A l'époque, nous connaissions mal la situation.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur. - Que pensez-vous de la thèse selon laquelle le poids moléculaire du benfluorex diffère de 70 % de celui de la norfenfluramine et que le bilan métabolique du benfluorex fait apparaître seulement 16 % de norfenfluramine ?
M. Louis Merle. - Je ne connais pas le métabolisme du produit. Il m'a été indiqué que le métabolisme de la norfenfluramine était différent selon qu'elle provenait du benfluorex, de la fenfluramine ou de la dexfenfluramine.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur. - Comment peut-on améliorer le fonctionnement des structures de pharmacovigilance dans le sens d'une plus grande réactivité ? Faut-il intégrer à l'Afssaps les différentes vigilances ?
M. Louis Merle. - Les activités et les modes de fonctionnement des différentes vigilances diffèrent. L'hémovigilance travaille sur un domaine particulier ; la réactovigilance et l'identitovigilance n'ont rien à voir. La seule partie commune des différentes vigilances est le secrétariat ; les activités divergent totalement.
Chaque centre de pharmacovigilance a une zone de compétence géographique sur plusieurs départements. Je travaille dans quatre départements, sur le territoire du Limousin et de l'Indre. Je reçois des cas qui proviennent de mon CHU (environ la moitié) ; le reste vient de la région. Or je n'ai pas suffisamment de relations avec les autres hôpitaux et cliniques de la région. Si on ne stimule pas la communication et la déclaration de cas, il est très difficile d'obtenir des réponses. La proximité s'avère donc importante.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur. - Selon vous, comment améliorer le signalement des effets indésirables ? Trouveriez-vous pertinent qu'il s'agisse d'un des critères retenus dans le conventionnement des médecins ? L'hôpital a-t-il une mission particulière à jouer s'agissant des effets indésirables ?
M. Louis Merle. - Je ne sais s'il existe des différences de signalement selon que l'on a affaire à un spécialiste ou à un généraliste. Dans le cadre des accréditations des hôpitaux, il est important de constater que l'hôpital procède à des signalements. Néanmoins, nous sommes peut-être trop individualistes ; certains considèrent en effet que s'ils signalent un effet indésirable d'un médicament, c'est qu'ils ont commis une faute ou qu'ils ont mal utilisé ce médicament. Ceci est faux et constitue un frein important à la déclaration. Il faut comprendre que la survenue d'un problème doit être signalée. Nous ne sommes pas là pour juger, mais pour constater et pour tenter de faire en sorte que le problème ne se reproduise pas.
M. François Autain , président. - Mme Fabienne Bartoli, qui était directrice générale adjointe de l'Afssaps, a adressé au Leem (Les entreprises du médicament), syndicat de l'industrie pharmaceutique, une lettre pour lui demander de retirer les membres de son organisation qui assistaient systématiquement à l'ensemble des commissions et des groupes de travail.
Avez-vous connaissance de cette lettre ? Quelles conséquences en avez-vous tirées ? Au sein de la commission nationale de pharmacovigilance, le Leem est-il toujours représenté en tant que tel ?
M. Louis Merle. - Je ne connais pas cette lettre. A la commission nationale de pharmacovigilance, nous avons toujours un représentant du Leem. Le principe de fonctionnement est que chaque personne dispose d'une voix.
M. François Autain , président. - Ceci est tout à fait conforme à la réglementation. Vous confirmez donc qu'en dépit des consignes données par Mme la directrice générale, le fonctionnement de votre commission n'a pas changé : le représentant du Leem est toujours présent.
M. Louis Merle. - Oui. Lorsque j'étais président, il y avait une représentante du Leem.
M. François Autain , président. - Lors de l'examen du benfluorex auquel vous avez procédé le 7 juillet 2009, deux membres ayant des liens avec les laboratoires Servier ne l'ont pas signalé. Par conséquent, ils n'ont pas quitté la séance comme ils auraient dû le faire.
Ce jour-là, vous avez signalé deux situations de conflits d'intérêts majeurs concernant deux points de l'ordre du jour, mais pas celui qui touche le Mediator. Aviez-vous connaissance de ce dysfonctionnement ?
M. Louis Merle. - Non, il s'agit d'une erreur.
M. François Autain , président. - J'en prends acte. L'application de la réglementation est donc difficile.
M. Louis Merle. - Les conflits d'intérêts sont revus par le personnel de l'administration de l'Afssaps. Régulièrement, avant les réunions, on me faisait part de conflits d'intérêts concernant certaines personnes, qui étaient amenées à se retirer.
M. François Autain , président. - Qui vous faisait part de cela ?
M. Louis Merle. - L'administration de l'Afssaps, qui vérifie les conflits d'intérêts des participants aux réunions.
M. François Autain , président. - Vous rencontrent-ils systématiquement en début de réunion ?
M. François Autain , président. - J'imagine qu'ils ne vous avaient pas signalé ce conflit d'intérêts.
M. Louis Merle. - Je le pense.
M. François Autain , président. - Ma dernière question portera sur le problème des notifications. Il m'a semblé que vous n'étiez pas particulièrement favorable au fait que les patients puissent eux-mêmes notifier. Cette décision a été votée par le Parlement en 2009 lors de l'examen de la loi hôpital, patients, santé, territoires (HPST). Que pensez-vous de cette réforme ?
M. Louis Merle. - Peut-être me suis-je mal exprimé : je n'y suis pas défavorable. Toutefois, les malades signalent des éléments d'ordre différent, souvent des problèmes qui gênent leur vie au quotidien, que les médecins laissent souvent de côté. Ces informations, différentes et complémentaires, demandent des confirmations par un professionnel de santé.
J'ai participé à une assemblée générale de victimes de la cérivastatine il y a une dizaine d'années : les personnes présentes signalaient parfois des problèmes qui n'avaient rien à voir avec le produit, mais qui pouvaient néanmoins avoir une importance, étant donc d'un ordre différent de ce qui intéresse un médecin.
Mme Marie-Christine Blandin . - Je suis intriguée par vos propos concernant l'aspect obsolète de l'informatique. S'agit-il d'une question de moyens, de logiciel ou de ressources humaines ? Faut-il envisager un investissement spécifique à l'Afssaps ou le problème peut-il dépasser l'Afssaps pour donner lieu, comme aux Etats-Unis, à une fondation de rassemblement de l'ensemble des données ? Celle-ci viserait à faire émerger des alertes par la mise en relation de dommages apparents, de signalements et de prescriptions.
M. Louis Merle. - Je suis incapable de vous expliquer pourquoi l'informatique fonctionne mal. Il s'agit là d'un problème spécifique à l'Afssaps. Lorsque nous interrogeons le logiciel, nous n'obtenons pas toujours les mêmes résultats. Depuis des années, j'entends des gens dire que le processus va s'améliorer, ce qui n'est pas vraiment le cas.
Quant à la détection automatique de signaux, nous l'évoquons aux Assises du médicament. Si elle présente un intérêt, celui-ci demeure de mon point de vue assez limité. Cet élément doit être pris en compte, mais il ne doit pas constituer le seul élément ; c'est en cela qu'une structure nationale unique qui recevrait des signalements sans l'intermédiaire des centres de pharmacovigilance me semblerait dangereuse. Nous obtiendrions l'information utile parmi un ensemble d'informations inutiles, ce qui poserait problème.
M. François Autain , président. - Quel est l'intitulé de la société savante dont vous faites partie ?
M. Louis Merle. - Il s'agit de la société de pharmacologie thérapeutique.
M. François Autain , président. - Nous avons auditionné M. Schiari des laboratoires Servier, il y a quelques semaines. De nombreuses préoccupations portent sur le financement de ces sociétés savantes. La plupart, sinon toutes, sont financées par l'industrie pharmaceutique. Cela nous semble parfois un obstacle au fait qu'elles puissent délivrer un message indépendant et autonome par rapport aux laboratoires pharmaceutiques.
J'évoque cet aspect car vous allez prochainement tenir à Grenoble un congrès financé par les laboratoires, notamment par les laboratoires Servier. Cette situation vous pose-t-elle problème, surtout après l'affaire du Mediator, ou vous semble-t-elle inévitable et ne portant pas atteinte à votre indépendance ?
M. Louis Merle. - Selon moi, il est anormal qu'un laboratoire pharmaceutique puisse avoir un trésorier dans une société savante. Le fait que des membres d'un laboratoire fassent partie de la société me paraît en revanche tout à fait normal. On trouve dans l'industrie des pharmacologues très compétents ; il est donc normal qu'ils fassent partie de ces sociétés. Néanmoins, ils ne devraient pas intervenir dans des instances de la société. Je suis d'accord avec vous sur ce dernier point.
M. François Autain , président. - Je ne parlais pas seulement des pharmacologues travaillant pour un laboratoire (qui ont effectivement tout à fait leur place au sein d'une société telle que la vôtre), mais également du financement par ces laboratoires des activités de la société.
M. Louis Merle. - A l'époque où se tenaient des réunions de pharmacovigilance uniquement, des réunions faisant l'actualité de la pharmacovigilance avaient lieu chaque année, dans des locaux de faculté à des prix abordables. Aucun laboratoire pharmaceutique n'était impliqué. Tout se passait alors très bien ; l'industrie pharmaceutique venait même suivre les réunions.
M. François Autain , président. - Pourquoi ne pas recommencer ?
M. Louis Merle. - Certains ont voulu étendre les activités de notre société à la thérapeutique. Depuis quelques années, dans notre congrès, la pharmacovigilance est quelque peu noyée avec la physiologie, la pharmacologie en dehors de la pharmacovigilance et la thérapeutique. Je n'y suis pas très favorable. Je pense qu'il était préférable de tenir des réunions telles qu'elles étaient antérieurement, totalement indépendamment de l'industrie pharmaceutique. Il n'est pas souhaitable qu'un financement dépende du bon vouloir d'un laboratoire.
M. François Autain , président. - Vous n'êtes pas les seuls dans ce cas : toutes les sociétés sont tributaires des subsides des laboratoires. Nous vous remercions, monsieur le président.
Audition de M. Antoine VIAL, spécialiste de l'information médicale et grand public, membre de la commission « Qualité et diffusion de l'information médicale » de la Haute Autorité de santé, membre du conseil d'administration de la revue Prescrire, coordinateur du Collectif Europe et Médicament (mardi 12 avril 2011)
M. François Autain , président. - Nous poursuivons nos auditions avec M. Antoine Vial. Etant donné que vous n'êtes pas médecin, il n'y a pas lieu de vous demander si vous avez des liens d'intérêts.
M. Antoine Vial, spécialiste de l'information médicale et grand public, membre de la commission « Qualité et diffusion de l'information médicale » de la Haute Autorité de santé. - J'ai pourtant des liens d'intérêts.
M. François Autain , président. - Je parle de liens d'intérêts avec l'industrie pharmaceutique.
M. Antoine Vial. - Dans ce cas, je n'en ai pas.
M. François Autain , président. - Nous nous fondons sur l'article L. 4113-13 du code de la santé publique, qui ne prévoit pas que les intervenants au public fassent connaître des liens d'intérêts autres que ceux qu'ils peuvent avoir avec l'industrie pharmaceutique. Cette caractéristique s'adresse aux médecins, et non aux journalistes.
En tant que membre de la commission, vous n'êtes pas concerné. Je vous laisse la parole si vous souhaitez faire une intervention liminaire, puis nous vous poserons des questions.
M. Antoine Vial. - Merci, monsieur le président. Vous avez commencé par affirmer que je n'avais pas de déclaration d'intérêts à faire ; je pense au contraire que si. Le fait de siéger comme membre au conseil d'administration de Prescrire eu égard au débat qui nous réunit aujourd'hui constitue un véritable conflit d'intérêts ; il est important que vous connaissiez cette information, de même que mon engagement à la commission information et communication de la Haute Autorité de santé et mon appartenance au collectif Europe et médicaments.
En 2002, à l'antenne de France Culture toutes les semaines, j'ai demandé à mes invités de se présenter et de déclarer leurs conflits d'intérêts, c'est-à-dire d'annoncer d'où ils parlaient. Cela me paraît essentiel pour mieux entendre les personnes.
Je ne suis pas venu ici pour faire le procès de quelque individu que ce soit. En revanche, me considérant comme un serviteur de la santé publique, je considère comme très important que vous vous intéressiez au Mediator, y compris sous l'angle de la communication. Dans cette affaire, il est évident que des questions de pharmacologie se posent, mais pas seulement. Il est important que nous étudiions cette affaire en raison de son exemplarité.
Il y a quelques années, le scandale du sang contaminé a été analysé, mais l'affaire ne reposait pas sur une traçabilité des faits de chaque acteur de manière parfaite. Parce qu'il s'agissait d'une nouvelle maladie et que nombre d'éléments nous étaient inconnus, nous n'avons pu en tirer tous les enseignements nécessaires. Or, le Mediator présente tous les éléments permettant de tirer ces enseignements.
L'histoire du Mediator était écrite à l'avance. L'affaire aurait pu être évitée, parce que prévisible. Le Mediator n'est pas un cas isolé ; il n'est que le révélateur d'une confusion entre intérêts publics et privés, de dysfonctionnements de notre système sanitaire dans ses missions régaliennes de protection des citoyens et surtout dans le domaine du médicament.
Il est toujours problématique de faire admettre à la population que la santé serait finalement un secteur comme un autre ; elle semble estimer que la santé n'est pas soumise aux règles du marché, qu'elle est protégée et que l'on ne peut y agir n'importe comment. Malheureusement, nous allons voir que cette affaire, comme d'autres, révèle que l'on a agi là n'importe comment.
Comme vous me l'avez demandé, je vais me restreindre à la stricte observation de cette affaire sous l'angle de la communication, en commençant par en rappeler le contexte.
M. François Autain , président. - Vous pourrez tirer de cet exemple des conséquences générales.
M. Antoine Vial. - Très bien. Je rappelle donc le contexte : le médicament est réglementé, que ce soit dans son accès, sa délivrance ou son information, ce qui en fait un produit différent des téléphones portables, des lessives ou autres. Pour le vendre, l'industrie doit donc passer par l'Etat, qui l'autorise ou non, et par un prescripteur, qui le prescrit ou non. Le fabricant ne peut pas vendre directement à son client, au point que pendant trente ans, l'industrie pharmaceutique a considéré que son client était le médecin et non le patient.
La situation change totalement dans les années 70 ; nous en trouvons des traces dans les boards des grandes compagnies internationales pharmaceutiques, où apparaît le mot de DTC ( direct to consumer ). L'industrie pharmaceutique ne trouvant pratiquement plus de nouveaux vrais médicaments (une dizaine seulement par décennie), elle se croit obligée de copier les médicaments des firmes qui offrent des produits leaders sur le marché mondial. Nous entrons alors dans un registre différent ; une copie reste une copie, et donc toujours plus difficile à vendre que l'original. A partir de ce moment-là, l'industrie se saisit des moyens de marketing de la grande distribution.
M. François Autain , président. - A quelles copies faites-vous référence ?
M. Antoine Vial. - Aux me too .
M. François Autain , président. - Ne sont-ce pas plutôt les génériques qui sont des copies ?
M. Antoine Vial. - Vous avez raison ; pardonnez-moi cette confusion. Le me too désigne plus précisément ce à quoi je fais référence.
L'industrie pharmaceutique va surtout changer de clients. A partir de là, le médecin ne devient plus qu'un intermédiaire, et le patient client des firmes : il s'agit du direct to consumer dont je viens de parler. D'ailleurs, les laboratoires ne s'en cachent pas.
Si le malade est le client, il va falloir le convaincre de son produit. Un dernier rempart s'oppose à cela : l'interdiction en France et en Europe de faire de la publicité pour les médicaments soumis à prescription. Depuis 2002, l'industrie pharmaceutique mondiale fait tout pour lever l'interdiction de publicité. Elle y est parvenue aux Etats-Unis et en Nouvelle-Zélande.
A Bruxelles, au collectif Europe et Médicament, elle exerce un lobbying considérable pour modifier la législation à son avantage, utilisant de pseudo-associations de malades pour laisser croire que la demande viendrait expressément de la population et des malades eux-mêmes. Nous verrons que cette utilisation des associations est un viatique qu'utilisent fréquemment les firmes pharmaceutiques.
Ne pouvant obtenir l'autorisation de faire de la publicité directe, l'industrie demande de faire de l'information ; j'y reviendrai. Vous autres, sénateurs et sénatrices, avez été devant la question de l'observance. On vous a récemment demandé votre accord.
M. François Autain , président. - Il s'agit de l'observance thérapeutique ?
M. Antoine Vial. - Tout à fait. On vous a demandé votre accord pour que l'industrie pharmaceutique participe au programme d'observance thérapeutique. Nous sommes bien là dans le cadre du direct-to-consumer , où un industriel est en contact direct avec le patient. Avant que nous puissions voir en Europe une publicité pour un antidiabétique ou un antidépresseur, l'industrie pharmaceutique s'est adaptée et professionnalisée à cette communication grand public. Un exemple pour illustrer la publicité dans certains pays : photo d'un cadavre à la morgue, une voix off : « et dire qu'un simple test de cholestérol aurait pu éviter cela ».
L'histoire d'un médicament est longue, y compris pour une copie. Elle commence en général une dizaine d'années avant que le médicament n'apparaisse sur le marché. D'études en études, le fabricant prépare son dossier d'autorisation de mise sur le marché. Deux ans avant, il sait à quelle date son produit sera commercialisé et peut commencer à préparer le terrain de la vente ; j'appelle cela la « phase de labour ». On plante, dans l'esprit du consommateur patient, l'idée d'un mal dont il pourrait être atteint (surpoids, fatigue, mal de dos, etc.).
La publicité étant interdite, l'industrie fait de l'information : cela coûte moins cher et rapporte bien davantage en termes d'impact. On montre qu'il s'agit d'un très grave problème de santé, qui touche beaucoup d'entre nous. Si la marque de la firme apparaît, c'est seulement comme un bienfaiteur ayant permis de rappeler ce grave problème, qu'il s'agisse d'un médecin, d'une association ou d'une société savante.
Evidemment ce ne sont pas les responsables des firmes qui s'expriment devant la presse. On fait appel à des intermédiaires rémunérés (instituts de sondage), à des sociétés savantes, à des grands professeurs de médecine, à des ex-champions de football, etc., pour blanchir l'information. Je les appelle d'ailleurs des « agents de blanchiment ». Fin du premier acte.
Tout cela est orchestré, planifié et professionnel. On alerte alors la presse pour la bonne cause, à l'aide de chiffres, de sondages et de témoignages d'experts. Sans un esprit critique aiguisé, on ne voit rien des intentions commerciales, qui ne sont pas annoncées clairement.
Quelques mois après vient la « phase d'ensemencement » : on annonce qu'un produit qui répond à la problématique soulevée quelques mois plus tôt va révolutionner la prise en charge. Le Viagra répond exactement à cette planification.
M. François Autain , président. - Le Viagra n'est pas remboursé par la sécurité sociale.
M. Antoine Vial. - Oui, mais il s'agit d'un médicament de prescription, donc interdit à la publicité.
Là encore, la parole n'est pas portée par l'industrie elle-même, mais par les « agents de blanchiment ».
Ce que je viens de décrire n'est pas un cas isolé, et peut être appliqué à bon nombre des produits qui reçoivent une AMM à l'heure actuelle.
Aujourd'hui, l'industrie pharmaceutique :
- crée de nouvelles maladies de toutes pièces et étend les indications des produits, comme le fait n'importe quel industriel de n'importe quel secteur d'activité ;
- élargit les définitions des maladies : vous avez ainsi dû entendre parler du pré-diabète, du pré-cholestérol et de la pré-hypertension ;
- transforme les événements de la vie en maladies : le deuil, la vieillesse, le chagrin d'amour deviennent ainsi des maladies ;
- transforme les facteurs de risques réels en maladies, sans que l'on dispose de traitement opérant (ostéoporose) ;
- exagère une menace (exemples de la grippe H1N1 et de la maladie d'Alzheimer) ;
- aggrave un symptôme (c'est le cas de la spondylarthrite ankylosante et de la fibromyalgie).
Afin que mon propos soit concret, je vais l'illustrer par la présentation d'une campagne. Je vais justement prendre l'exemple de la spondylarthrite ankylosante, qu'est devenue le mal de dos pour un laboratoire produisant un médicament, certes reconnu efficace contre certaines spondylarthrite s (quoique pas toutes), mais certainement pas contre toutes les dorsalgies.
Pour vous faire prendre la mesure de cette campagne, je vais me mettre à la place d'un Français souffrant du dos, regardant la télévision l'an dernier au moment de la Coupe du Monde de football. Avant que ne commence le match, dans un spot de publicité, il entend Franck Leboeuf, ancien champion du monde de 1998, évoquer son mal de dos. Le spot s'achève pas une adresse Internet facilement mémorisable ; après le match, la personne se rend naturellement sur le site, dans lequel plusieurs rubriques sont proposées, sous forme de petits films.
Le premier se décompose de la façon suivante :
- témoignage d'une personne, qui fait apparaître que le médecin généraliste n'est pas compétent, et qu'il est préférable de consulter un rhumatologue ;
- mise en scène de l'aggravation du symptôme : « maladie fréquente : 0,5 % de la population va souffrir d'une spondylarthrite » ;
- mise en avant de la gravité du mal destinée à faire peur : « maladie grave : 10 % des maladies ont des formes handicapantes ».
Le spot sème le doute quant à l'efficacité des traitements classiques, en même temps qu'il met en avant une alternative grâce au progrès et à l'innovation.
Le second film met en scène un professeur et commence par une explication de ce qu'est une société savante, gage de sérieux. La société savante et le professeur jouent le rôle d'intermédiaires. Le professeur provient d'un CHU : l'image du monde hospitalier public est donc utilisée ici pour « vendre de la lessive ». Le grand professeur affirme : « 150 000 personnes seront atteintes en France » ; on étend l'indication aux jeunes ; les signes d'appel sont banals (mal de dos). Le mot « spondylarthrite » a disparu ; l'expression « mal de dos » commence à être imposée.
Là encore, on remet en cause les traitements classiques : « les douleurs vont aussi être soulagées par certains antidouleurs, certains anti-inflammatoires, mais attention cela peut être un piège, car cela peut retarder la consultation, le diagnostic, et peut-être la mise en route de traitements beaucoup plus spécifiques. » Là encore, on fait peur aux malades. Puis on les rassure : « On dispose aujourd'hui de traitements particulièrement efficaces, avec lesquels on peut rendre une vie tout à fait normale à des sujets jeunes. »
M. François Autain , président. - Quel est le professeur en question ?
M. Antoine Vial. - Il s'agit du professeur René-Marc Flipo, du CHU de Lille, secrétaire général de la société française de rhumatologie.
M. François Autain , président. - Il serait intéressant que nous puissions l'auditionner.
M. Antoine Vial. - On fait donc passer un médicament très spécialisé pour un médicament pour tout un chacun. De 150 000 potentiels clients annoncés, la firme a multiplié son portefeuille de clients par 100.
M. François Autain , président. - De quel médicament et de quelle firme s'agit-il ?
M. Antoine Vial. - Il s'agit de Pfizer. Je vous donnerai le nom du médicament ultérieurement. Pour vous donner une échelle, d'après les registres nationaux, la lombalgie a une prévalence élevée, qui en fait un problème de santé publique dans les pays industrialisés ; la prévalence annuelle est de 35 % à 50 % de la population, avec une prévalence de vie entière supérieure à 60 %. On est donc arrivé à faire passer les consommateurs potentiels d'un médicament de 150 000 personnes à 60 % de la population (soit plus de 20 millions).
Sinon, comment expliquer un tel budget pour seulement 150 000 personnes ? Combien faudra-t-il que la firme vende de boîtes de médicaments pour amortir un tel budget ?
D'après des spécialistes de la publicité, un tel spot publicitaire sur des grandes chaînes à une heure de grande écoute, des spots radio pendant trois semaines, le site Internet et le mix marketing avec le journal L'Equipe coûtent environ 2,5 millions d'euros au minimum, auxquels il convient d'ajouter le salaire de Franck Leboeuf. Le « coût contact » (2,5 millions divisés par 150 000) revient ainsi à plus de 16 euros. Ceci est la preuve que tout cela est orchestré.
J'en viens à présent à la presse, qui joue un rôle déterminant dans la stratégie marketing des firmes. En 1998, avec Sophie Guillot, sociologue et le Docteur Cohen, spécialiste des études de comportement, nous avons mené une des seules études, sinon la seule, sur les circuits de l'information médicale. Qu'a-t-elle révélé qui soit encore aujourd'hui d'actualité ?
Les journalistes de la presse grand public qui traitent de la santé n'ont majoritairement pas de formation spécifique à la médecine. Je ne suis pas certain que cela soit un véritable problème. Le vrai problème réside davantage dans leur absence d'analyse critique systématique, surtout avec les moyens d'investigation que nous avons à disposition (Internet). Il est désormais très facile pour chacun d'entre nous de valider une information.
Le deuxième point qu'a révélé cette étude est que les journalistes n'ont pas assez de temps pour faire correctement leur travail : on leur demande ainsi parfois d'écrire une page entière en une journée sur un sujet pour lequel ils n'ont aucune connaissance ni aucune formation de base. L'industrie, qui a parfaitement compris cela, rédige des articles courts et longs, prend des photos et fait des interviews de grands professeurs.
M. François Autain , président. - Vos propos portent-ils aussi bien sur la presse généraliste que professionnelle ?
M. Antoine Vial. - Non. Cette étude a été menée spécifiquement sur la presse grand public.
Les rédactions demandent à leurs journalistes du sensationnel (un médicament ou une technique miracle) et du scandale. De façon générale, la santé publique n'a pas bonne presse. Les sources d'information sont majoritairement d'origine industrielle, mais ne sont jamais citées.
Je vais évoquer une anecdote révélatrice à ce sujet. Un journaliste spécialisé d'une grande agence de presse nationale a un jour repris un communiqué d'un laboratoire presque mot à mot dans sa dépêche. Prescrire , qui s'en est rendu compte, l'a dénoncé. Ledit journaliste a alors intenté un procès à Prescrire pour diffamation. Ces dysfonctionnements sont tellement entrés dans les moeurs que ce journaliste n'a pas vu où était le mal.
Enfin, la notion d'éthique revêt parfois un sens assez surprenant. Ainsi, une journaliste, qui avait profité d'un voyage de presse organisé par l'industrie, nous a déclaré : « J'estime, d'un point de vue éthique, que quand on accepte de partir dans un voyage de presse, il faut écrire un papier après. S'ils vous invitent, c'est bien pour parler d'eux ; donc si vous acceptez, il faut le faire. J'ai des confrères qui acceptent les voyages et n'écrivent rien au retour. Pour moi, ils n'ont pas d'éthique. »
M. François Autain , président. - Au cas où vous en douteriez, les journalistes ont néanmoins un peu d'éthique. Cette phrase est toutefois révélatrice d'une grande naïveté.
M. Antoine Vial. - Nous pouvons dire cela : naïveté pour les uns, mais également duplicité pour les autres. Vous avez raison : on ne peut laisser penser que tous les journalistes qui traitent de la santé ont des pratiques à la limite de la déontologie. Certains réalisent un travail très sérieux ; qu'ils en soient remerciés ici.
Où le dérapage commence-t-il ? Le fait d'être invité à un déjeuner de presse est-il l'amorce d'une compromission ? Le fait d'être invité à Boston à un congrès scientifique comportant un important programme d'agrément est-il contraire à la déontologie ? La plupart des personnes que j'interroge estiment qu'un déjeuner ne comporte pas de compromission ; pour ma part, je considère que si. Je crois que l'on perd son libre-arbitre dès lors que l'on entre dans une relation autre que professionnelle.
Déjeuner ou dîner est évidemment un acte commercial, en tout cas du côté de la firme ; il ne faut pas en être dupe.
J'ai commencé mon exposé en affirmant que j'espérais que l'affaire du Mediator servirait de leçon. S'agissant de la presse, j'ai nourri des espoirs qui ont été rapidement anéantis. Plusieurs informations médicales parues depuis dans la presse grand public ont montré des intérêts commerciaux, qui prouvent qu'aucun enseignement n'a pour l'instant été tiré. Il suffit d'aller sur le site d'une société savante pour savoir d'où celle-ci tire ses profits.
M. François Autain , président. - Ceci est d'autant plus simple que toutes les sociétés savantes sont financées par l'industrie pharmaceutique.
M. Antoine Vial. - Je vais à présent évoquer le cas plus spécifique des propriétaires et des rédacteurs en chef de presse. La presse a accepté tous les compromis et a laissé croire que l'information pouvait être gratuite. Elle a arrêté de produire des analyses, mais personne n'a été dupe. La crise de la presse en France est immense.
Toutefois, il existe des raisons de rester optimistes. Certains journaux proposent un autre modèle économique et financier : ils développent un contenu sérieux, fiable et indépendant même s'ils font payer cher cette indépendance à leurs lecteurs. Et malgré la crise et Internet, ils s'en sortent très bien.
Si vous le permettez, je vais à présent faire quelques recommandations.
La première concerne le statut de journaliste, qui est octroyé par le fisc. Pour en bénéficier, plus de 50 % des revenus doivent provenir de la presse. Il paraît surprenant que le fisc soit le garant du fait que l'on soit journaliste ou non. Il n'existe pas de commission d'éthique à la commission de la carte d'identité des journalistes professionnels.
Puisque le fisc voit passer les déclarations d'impôts des journalistes, pourquoi ne lui demande-t-on pas d'aller jusqu'au bout de sa démarche ? Certains multiplient par trois ou quatre leurs émoluments d'une chaîne de radio ou de télévision du service public « en faisant des ménages » : ils ne sont donc plus journalistes, gagnant davantage en ménage qu'en salaire. Peut-être, vous, législateurs, devriez-vous vous intéresser à la manière dont est octroyé le statut des journalistes.
M. François Autain , président. - Comme vous le savez, les politiques se méfient beaucoup des journalistes. Nous prenons acte de votre proposition.
M. Antoine Vial. - Par ailleurs, une réflexion est actuellement menée par le Groupe d'experts stratégiques consultatifs (Sage) sur les conflits d'intérêts. Il serait bon d'y associer les journalistes.
M. François Autain , président. - Apparemment, la commission des lois du Sénat travaille sur les conflits d'intérêts.
M. Antoine Vial. - Je rappelle que l'utilisation des noms commerciaux des médicaments est interdite. Un de mes combats à la Haute Autorité de santé pendant plusieurs années a été la prescription en DCI (dénomination commune internationale).
M. François Autain , président. - C'est obligatoire.
M. Antoine Vial. - J'ai oeuvré pour que cela le devienne.
M. François Autain , président. - Avez-vous remarqué que cela n'est pas respecté ?
M. Antoine Vial. - Certes, mais nous l'avons rendu obligatoire dans les logiciels de prescription.
M. François Autain , président. - Est-ce le cas y compris dans ceux qui ne sont pas agréés par la HAS ?
M. Antoine Vial. - Non. Il serait intéressant que les législateurs que vous êtes reprennent la loi pour inviter à citer les noms des dénominations commerciales. Cela garantit davantage de sécurité et coupe les effets du marketing de l'industrie pharmaceutique.
M. François Autain , président. - Oui, car la simple citation du médicament est autorisée.
M. François Autain , président. - Dans ce cas, pourquoi a-t-elle lieu ?
M. Antoine Vial. - La loi interdit la citation.
M. François Autain , président. - La réglementation n'est-elle donc pas respectée ?
M. Antoine Vial. - Absolument.
M. François Autain , président. - Est-ce le Bureau de vérification de la publicité (BVP) qui exerce un contrôle ?
M. Antoine Vial. - Non. Au sein de l'Afssaps, une commission s'en charge. J'ignore si elle a les moyens de faire respecter la réglementation.
Enfin, je m'adresserai directement à vous : lorsque l'on viendra vous présenter les prochains articles de loi, pensez au Mediator ; même si l'on vous dit que cela provient des patients, cela provient probablement de l'industrie : ayez une analyse critique. Continuez à nous aider dans ce domaine.
M. François Autain , président. - Nous vous remercions.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur. - Existe-t-il dans la presse médicale des liens d'intérêts qui expliqueraient le traitement de certains médicaments et qui occulteraient certaines problématiques du médicament ? Je pense, par exemple, au RU486, pour lequel un cas de décès a été relevé. Le contexte socioculturel occulte-t-il certaines problématiques, qui peuvent pourtant avoir des effets sur la santé ?
M. Antoine Vial. - Je ne vois pas pourquoi cela n'existerait pas, étant donné le contexte dans lequel nous nous trouvons. Cela existe dans les deux sens, nous l'avons constaté depuis l'affaire du Mediator. Les soixante-dix-sept médicaments examinés sont devenus « dangereux ». Le message de base selon lequel le médicament est efficace mais également potentiellement dangereux n'est donc pas passé.
Parce que l'on n'a pas assimilé le fait qu'un médicament est potentiellement dangereux, on ne peut envisager la question de la balance bénéfices-risques de la même façon.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur. - Etes-vous d'accord que certaines problématiques sont occultées, y compris par des journaux tels que Prescrire ?
M. Antoine Vial. - Je ne pense pas que vous puissiez affirmer cela. Je serais très surpris que le médicament n'ait pas été suivi par la rédaction de Prescrire . Les effets secondaires ont dû être mesurés, identifiés et rendus publics. Toutefois, comment ces effets secondaires néfastes peuvent-ils être jugés, par exemple sur une question telle que celle de l'avortement ? La problématique du bénéfice-risque sur une question telle que celle-ci est très difficile.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur. - Quels sont les laboratoires qui, selon vous, ont une réputation plus spécifique dans le secteur de la presse médicale ?
M. Antoine Vial. - Les laboratoires Servier. Pendant vingt ans, j'ai eu en charge le magazine médical de France Culture, lieu d'observation privilégié. Deux ans après avoir pris mes fonctions, j'ai commencé à être invité.
La même année, j'ai été reçu par Jacques Crozemarie dans un sublime appartement du boulevard Haussmann, servi par des personnes en gants blancs, etc. Il ne pouvait faire de doute que ce dîner ne reposait pas sur des principes et des valeurs éthiques.
M. François Autain , président. - En acceptant cette invitation, le journaliste que vous étiez n'a-t-il pas rencontré de conflit d'intérêts ?
M. Antoine Vial. - Non. J'allais simplement rendre visite au président de l'association pour la recherche sur le cancer (ARC), ce qui entrait dans le cadre de mes attributions. Qui plus est, les rapports de l'Igas n'avaient pas encore été effectués. Néanmoins, le fait d'être reçu de cette manière m'a surpris et gêné. De la même façon, je me suis rendu au cercle Hippocrate de Jacques Servier dans un hôtel particulier de Neuilly.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur. - J'ai été frappée par vos propos sur les pathologies ayant une dimension « pathétique ». Pensez-vous réellement que celles-ci puissent être mises en exergue à des fins industrielles ? Je pense en particulier à la maladie d'Alzheimer.
M. Antoine Vial. - Oui, la maladie est si mal connue qu'il est difficile d'en faire ne serait-ce qu'une sérologie. Nous avançons, mais les résultats s'avèrent très différents selon la prise en charge et le fait est que l'on met rapidement une personne dans une situation de dépendance.
M. François Autain , président. - Existe-t-il actuellement une structure dont la compétence est explicitement l'information des patients ? Serait-il souhaitable qu'il en existe ou que l'une de ces agences développe cette spécificité à l'exclusion de toutes les autres ?
M. Antoine Vial. - Il est effectivement compliqué de déterminer les tâches de chaque entité : le ministère, l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (Inpes), la Haute Autorité de santé et certains services de l'Afssaps. Je me demande toujours s'il est de la compétence de l'Etat de faire de l'information de santé. L'Etat devrait en tous cas fournir une information brute, validée et sérieuse.
A l'heure actuelle, nous ne disposons pas de base de données publique sur les médicaments. La base de données des médicaments en France est une société privée, le Vidal.
M. François Autain , président. - Connaissez-vous Thesorimed ?
M. Antoine Vial. - Oui. Il s'agit plus d'un outil de recherche hospitalier.
M. François Autain , président. - Il s'agirait donc de créer un outil adéquat ?
M. Antoine Vial. - Certes, mais avant de créer l'outil, il faudrait créer la source. Si je travaillais encore à France Culture, il me faudrait une information - source crédible et sérieuse. Très vite, je me suis rendu compte que les pouvoirs publics n'avaient pas la réponse ni même l'expertise ; la notice de la boîte était la meilleure information que je pouvais obtenir. Or j'attendais une analyse critique et un avis autorisé. Selon moi, c'est une mission régalienne que de fournir l'information de base. Il me semble que nous pouvons favoriser des initiatives associatives, voire privées.
Je ne crois plus en l'information par les médias audiovisuels classiques, qui dispensent une information à un moment donné à des personnes qui ne sont pas nécessairement concernées. Lorsqu'elles traitent de santé, la télévision et la radio évoquent la sexualité, le sommeil et l'alimentation. En effet, seuls ces sujets sont suffisamment transversaux pour intéresser un public assez large.
Avec l'arrivée d'Internet, nous avons pu obtenir l'information adéquate au moment où l'on en a besoin. L'outil de la puissance publique qui apporte l'information de base est donc bien Internet. Il revient par ailleurs à l'Etat de fournir les informations de base et de fournir une transparence totale à tous les dossiers d'AMM, ce qui n'est pas le cas à l'heure actuelle. De même, le Parlement européen n'a pas encore autorisé l'accès par le grand public à l'ensemble des dossiers.
Il est temps de considérer le citoyen, qui est aussi un assuré qui paie cher pour sa santé. Le grand public serait très preneur d'une offre d'information sérieuse. Si un tel site avait existé avant l'affaire du Mediator, il aurait très bien fonctionné, bien plus que Doctissimo .
M. François Autain , président. - Pour l'information des patients, vous militez donc en faveur d'un site dédié, qui serait alimenté par une base de données de l'Afssaps.
M. Antoine Vial. - Oui, mais il s'agirait d'une base de données critique, et non d'une simple notice de médicament.
M. François Autain , président. - Pour cela, une collaboration de l'Afssaps et de la HAS et nécessaire.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe . - Il nous manque un système tel que celui qui existe en Grande-Bretagne. La Cnam envisage de mettre en place une base de données par un regroupement d'informations.
M. François Autain , président. - Vous évoquez là une base de données médicamenteuse, alors qu'à l'Afssaps, la base de données concerne la prescription.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe . - Les deux peuvent s'apparenter.
Je suis d'accord avec votre analyse. Il nous faut trouver un fournisseur de cette information qui soit indépendant.
M. François Autain , président. - Il existe déjà une base indépendante, Thériaque, à partir de laquelle Thesorimed a été construite. Celle-ci doit néanmoins être adaptée.
M. Antoine Vial. - Il faut pour cela une volonté politique. Cela fait quinze ans que je milite pour une base de données. On me répond à chaque fois que les moyens sont insuffisants.
M. François Autain , président. - J'ai pour ma part déposé plusieurs amendements qui ont toujours été refusés.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe . - De quels moyens de diffusion parlez-vous si la base existe ?
M. Antoine Vial. - Non, c'est là qu'est le problème. La base est si segmentée qu'elle n'existe pas. Il n'y a pas d'équivalent public du travail réalisé par Prescrire . Nous sommes coincés entre Vidal Cegedim, qui utilise l'information à des fins de vente, et Prescrire , qui effectue un travail précis de discrimination de chaque étude. Pourquoi n'est-ce pas fait par les pouvoirs publics ? J'ai participé à des réunions de consensus public où l'on assimilait des études qui n'avaient rien à voir et qui auraient pu être éliminées. Je relève un problème de professionnalisation, et non de moyens.
La volonté politique manque. Il vous revient de faire partager ce constat rapidement au plus haut niveau. Des mesures de base permettraient un vrai travail de communication avec le patient et l'assuré. Le jour où nous aurons fait comprendre au patient que l'enveloppe de la sécurité sociale représente une quantité d'argent limitée, les choix pourront être explicites.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe . - Ne croyez-vous pas que c'est la sécurité sociale qui devrait le faire ?
M. Antoine Vial. - Bien sûr, mais elle ne le fait pas. C'est à vous, législateurs, de la forcer à le faire.
M. François Autain , président. - Thesorimed constitue un début, mais il s'agit d'une base privée ; elle n'est pas opérationnelle et est incomplète. Il faudrait un outil plus adapté à la demande des médecins et des patients.
J'ai observé que nous rencontrions des difficultés pour obtenir l'application de l'article L. 4113-13 du code de la santé publique, à savoir l'obligation dans laquelle se trouvent les médecins de déclarer leurs liens d'intérêts lorsqu'ils s'expriment en public ou écrivent un article dans la presse. Les journalistes estiment que c'est impossible, et les médecins n'y pensent pas ou n'en ont pas connaissance.
M. Antoine Vial. - Pour les généralistes, je veux bien le croire, mais pas pour les médecins ayant travaillé pour des sociétés savantes. Pendant une dizaine d'années, à France Culture, pas une seule personne ne s'est opposée à déclarer ses liens d'intérêts, y compris si elle travaillait pour l'industrie pharmaceutique. Le consommateur est tout à fait capable d'entendre cela.
M. François Autain , président. - N'y a-t-il donc pas d'objection valable de la part des journalistes ?
M. Antoine Vial. - Non, et encore moins en presse écrite.
M. François Autain , président. - Que faut-il faire pour que cette loi soit enfin appliquée ?
M. Antoine Vial. - Une volonté politique est nécessaire. La situation n'a guère changé depuis l'étude qui a été réalisée. Je suis frappé par le fait que le statut de journaliste dépende de l'administration fiscale.
Je constate que les grandes rédactions prônent enfin une information de qualité payante. J'ignore s'il est trop tard pour cela. Cela signifie que les gens sont prêts à accepter ce raisonnement.
M. François Autain , président. - Connaissez-vous la Drug Information Association (DIA) ?
M. François Autain , président. - Il s'agit d'une organisation mondiale financée par l'industrie pharmaceutique qui se réunit tous les ans à Genève. Se rendent à ce rendez-vous l'ensemble des représentants des grandes agences de santé, et encore récemment, sous la direction de M. Dalli, commissaire européen.
Nous constatons que tous les directeurs de l'évaluation de l'Afssaps ont été décorés par cette association pour « services exceptionnels » rendus à l'industrie pharmaceutique.
M. Antoine Vial. - Je ne suis pas surpris. Cela reflète l'état de délabrement de la morale et la confusion entre intérêts publics et privés.
Je pense que la situation peut évoluer. Il y a quelques années, le Club Santé comprenait quatre-vingts journalistes traitant de la santé dans les médias grand public. Il emmenait les journalistes dans des palaces au bout du monde : pendant trois jours, des professeurs venaient parler de pathologies. J'ai eu connaissance du dossier envoyé aux industriels par la société qui organisait ces voyages. Il s'agissait d'acheter la presse, pour un coût de 800 000 francs. Cela expliquait pourquoi, dans le même mois, tous les journalistes traitaient des mêmes sujets avec les mêmes intervenants.
Lorsque nous avons commencé à évoquer cette question, par le biais du Canard enchaîné , cela a commencé à poser problème. Le Club Santé s'est arrêté, mais le même fonctionnement se poursuit pour les journalistes de manière individuelle.
M. François Autain , président. - Les rencontres de Lourmarin semblent toutes naturelles à ceux qui y participent. Je n'arrive pas à trouver chez eux de commencement de culpabilité ou de remise en cause. Le travail à faire sera considérable.
M. Antoine Vial. - Oui, mais j'ai la naïveté de croire que s'il existait une alternative d'information santé grand public de qualité payante sur Internet, les Français l'utiliseraient. Les Français n'achètent plus la presse, car ils savent qu'elle est « vendue ». Je fais là une généralisation et m'excuse pour les médias qui font correctement leur travail.
M. François Autain , président. - Nous allons lever la séance. Je vous remercie, monsieur Vial.
Audition de Mme Anne LAUDE, professeur de droit à l'université Paris Descartes, codirecteur de l'Institut Droit et Santé (jeudi 14 avril 2011)
M. François Autain , président . - Vous êtes professeur de droit à l'université Paris Descartes et codirecteur de l'Institut Droit et Santé. Vous n'êtes donc pas concernée par la question sur les déclarations d'intérêts ; en revanche, je dois vous préciser que cette audition sera enregistrée en vue de sa diffusion sur le site Internet du Sénat et sur Public Sénat.
Mme Anne Laude, professeur de droit à l'université Paris Descartes, codirecteur de l'Institut Droit et Santé. - J'ai mené des recherches sur les responsabilités qui pourraient être engagées à la suite de prescriptions hors autorisation de mise sur le marché (AMM). L'autorisation de mise sur le marché délivrée par les autorités sanitaires comporte les indications de prescription, la posologie, etc. Une prescription hors de ces termes peut avoir un intérêt pour le patient. En effet, les essais cliniques sont difficiles à réaliser sur certaines catégories de personnes, par exemple les enfants ou les personnes âgées, et c'est alors empiriquement que l'on peut juger de certains effets dans des conditions qui n'ont pas été explorées.
Les prescriptions hors AMM peuvent cependant entraîner la mise en jeu de responsabilités, celle des professionnels de santé, et tout d'abord, les médecins. Ceux-ci ont une liberté totale de prescription, sauf quand l'AMM limite l'usage d'un médicament au cadre hospitalier. Le législateur a posé une autre limite : les médecins sont tenus d'observer la plus stricte économie compatible avec la qualité, la sécurité et l'efficacité des soins.
Leur responsabilité disciplinaire peut être mise en oeuvre en cas d'infraction aux obligations du code de déontologie. Leur responsabilité civile est engagée si le juge retient l'existence d'une faute. L'article L. 1110-5 du code de la santé publique précise que le médecin doit faire bénéficier son patient de thérapeutiques dont l'efficacité est reconnue et qui offrent la meilleure sécurité sanitaire au regard des connaissances scientifiques avérées. Dans le cas des prescriptions hors AMM, les connaissances peuvent être jugées insuffisantes et la sécurité sanitaire non assurée.
Le code de santé publique comporte, également depuis 2002, une obligation qui met en jeu la responsabilité civile du praticien : il s'agit de l'information du patient sur le traitement, l'utilité de celui-ci, ses conséquences, l'urgence éventuelle, les alternatives. Déjà particulièrement large, l'obligation d'information est renforcée dans le cas des prescriptions hors AMM, le médecin étant tenu de mentionner l'absence de validation par les autorités, justifier son choix et préciser les alternatives. La Cour de cassation l'a rappelé dans un arrêt récent.
Rappelons que, lorsque la responsabilité civile du médecin est engagée, il est a priori couvert par son assureur. Les professionnels de santé sont tenus de souscrire une assurance depuis 2002. Mais couvrirait-elle la responsabilité du professionnel de santé en raison d'une prescription hors AMM ? Sans validation scientifique, l'on peut se poser la question. Il faudrait interpréter au cas par cas les polices d'assurance.
La responsabilité du médecin peut être également pénale, du fait d'obligations spéciales du code de la santé publique ou d'infractions plus générales, en cas d'homicide involontaire par exemple.
Enfin, le médecin qui prescrit hors AMM a l'obligation de mentionner sur l'ordonnance que la prescription ne sera pas remboursée. A défaut, sa responsabilité financière à l'égard de l'assurance maladie est engagée : il peut se voir infliger des pénalités financières tandis que son patient sera contraint de rembourser les sommes indûment perçues.
Le pharmacien a une obligation de conseil, de contrôle et de vérification des prescriptions. Il doit se montrer objectif. Aussi, lorsque l'intérêt de la santé du patient lui paraît l'exiger, le pharmacien doit refuser de dispenser un médicament. La jurisprudence a retenu comme une faute le fait pour un pharmacien d'avoir délivré un médicament prescrit hors AMM après avoir préalablement appelé le médecin, dans la mesure où il avait accordé une trop grande confiance au prescripteur...
L'infirmière, qui délivre le médicament au domicile du patient ou qui injecte le produit, est éventuellement responsable, en ce qu'elle est tenue de respecter le mode d'emploi et les termes de l'AMM. Dans le doute, elle aussi doit en référer au prescripteur.
Et les laboratoires ? S'ils font de la publicité pour leurs produits, ils ont l'obligation de respecter les termes de l'AMM. Une publicité pour une indication hors AMM engagerait la responsabilité pénale du laboratoire. Il n'y a pas de jurisprudence en France dans ce domaine. Aux Etats-Unis, un juge a retenu la responsabilité d'un laboratoire qui avait lors d'un congrès laissé promouvoir un usage de son médicament qui ne figurait pas dans l'autorisation officielle. La publicité vise toutes les informations produites sur support papier ou audiovisuel mais aussi, dans l'interprétation française et européenne, celles transmises par les visiteurs médicaux.
M. François Autain , président . - La commission de la publicité de l'Afssaps peut relever le non-respect des règles et appliquer des sanctions. Elle a ainsi reproché aux laboratoires Servier des publicités mensongères.
Mme Anne Laude . - La commission de la publicité contrôle a priori mais aussi a posteriori et, dans le second cas, elle peut demander au laboratoire de retirer les informations contraires aux termes de l'AMM. Elle peut aussi prononcer des sanctions. Le code de la santé publique prévoit également une sanction pénale lourde : deux années d'emprisonnement, 30 000 euros d'amende.
M. François Autain , président . - Sanction formelle, jamais appliquée...
Mme Anne Laude . - Pas à ma connaissance.
On peut s'interroger aussi sur la responsabilité des organismes d'assurance maladie. L'ordonnance en cas de prescription hors AMM doit porter la mention « NR », non remboursable. Si le praticien l'a portée, et que la prescription est tout de même remboursée par la caisse, la responsabilité de l'organisme peut être engagée. Par ailleurs, dans le cadre d'une affection de longue durée, le « parcours de soins » d'un patient doit être validé par le médecin conseil de l'assurance maladie. Celui-ci, ainsi que le médecin prescripteur, pourraient voir leur responsabilité engagée en raison d'une prescription jugée non justifiée au regard de l'état de la science. Le juge, pour se prononcer sur une prescription hors AMM, se fonde en effet sur l'information donnée au patient et sur l'état des connaissances scientifiques.
L'Afssaps encourage dans le cadre de la pharmacovigilance la remontée de l'information sur les effets indésirables ; mais les médecins ne se précipitent pas, s'agissant de prescriptions hors AMM, car ils craignent l'engagement de leur responsabilité. La directive du 15 décembre 2010 relative à la pharmacovigilance - qui devra être transposée avant juillet 2012 - marque à cet égard une avancée : elle suggère aux Etats de déconnecter la remontée des informations sur les effets indésirables et la mise en jeu de la responsabilité des professionnels de santé, ce qui devrait les inciter à signaler les incidents.
Faut-il mieux encadrer les prescriptions hors AMM ? Aucun pays n'interdit plus de telles prescriptions - la Hongrie, qui était une exception, vient de modifier sa législation. Cela n'exclut toutefois pas de réfléchir à cette question.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . Les suggestions sont les bienvenues...
Mme Anne Laude . - Premier constat, les contrôles des organismes de sécurité sociale sont manifestement peu effectifs. Il faudrait pour les améliorer avoir des indications sur la pathologie traitée.
M. François Autain , président . - Eh oui ! La loi Teulade de 1993, le codage des pathologies ! Mais quand une loi votée dix-huit ans plus tôt n'est pas appliquée, peut-être faut-il se demander si elle est inapplicable.
Mme Anne Laude . - Elle peut l'être par défaut de publication des décrets d'application.
Une autre piste de réflexion concerne le taux de remboursement. Celui-ci est fixé indication par indication pour un même produit, ce qui crée une grande complexité. Un seul taux par produit serait préférable. Et rien n'interdirait à un laboratoire de commercialiser deux gammes de produits, pour deux indications différentes, avec éventuellement deux taux de remboursement différents. Le médecin saurait tout de suite si l'indication est remboursable ou non.
J'ajoute que les modifications d'AMM sont mal diffusées auprès des professionnels. La communication gagnerait à être améliorée. De même, on devrait imposer aux laboratoires de notifier aux autorités compétentes toute utilisation de leurs produits dont ils ont connaissance et qui n'est pas conforme aux termes de l'AMM. Développons la culture du signalement, la directive européenne nous y encourage.
M. François Autain , président . - Quand un juge lui reproche son manque d'indépendance par rapport au praticien, cela signifie-t-il que le pharmacien ne doit pas respecter les instructions données au téléphone par ce dernier ?
Mme Anne Laude . - Que la prescription soit conforme ou non à l'AMM, on peut reprocher au pharmacien d'avoir délivré des médicaments qui ne sont pas dans l'intérêt du patient ou qui ne sont pas confortés par l'état de la science.
M. François Autain , président . - Le pharmacien peut-il l'apprécier ?
Mme Anne Laude . - Je l'ignore. Il ne parle même pas toujours au patient directement. Et il n'a pas à opérer un contrôle systématique de la pathologie et de la prescription.
M. François Autain , président . - Un seul taux de remboursement serait préférable. Il faut aussi distinguer première et deuxième intention. Certaines autorisations sont délivrées pour des médicaments de deuxième intention, puis les prescriptions se font en première intention. Il serait bon de simplifier tout cela afin d'éviter ces mésusages.
Mme Anne Laude . - Les termes de l'AMM sont parfois difficiles à mettre en pratique.
M. Jean-Louis Lorrain . - N'est-il pas choquant que certains laboratoires limitent leurs études préalables pour réaliser des économies, quitte à restreindre les indications du produit soumises à l'AMM ? Les autres applications seront testées empiriquement, les effets indésirables ne seront pas décelés, mais les laboratoires élargiront ensuite les indications soumises à autorisation, à leur plus grand profit.
Mme Anne Laude . - Vous évoquez les essais effectués après le début de la commercialisation. La vraie vie du médicament va révéler de nouvelles indications. Si l'on généralise les essais post-commercialisation, à la charge de qui seront-ils, laboratoires, autorités de contrôle ? La directive de 2010 apporte un élément de solution. Au moment de l'AMM, les autorités pourraient imposer aux laboratoires de développer les essais après la mise sur le marché.
M. François Autain , président . - En effet, la législation européenne prévoit, dans certaines limites, la possibilité d'octroyer des AMM conditionnelles. Il y a là un risque, car si l'on restreint les contrôles préalables, si l'on raccourcit la durée des essais et diminue leur nombre, on mettra en danger la sécurité des patients. Je vois bien l'intérêt des firmes dans cette affaire, moins celui des malades.
Mme Anne Laude . - Les essais post-AMM ne doivent bien sûr pas se substituer aux essais préalables, mais peut-être pourrait-on développer les essais post-AMM complémentaires, sans s'inscrire pour autant dans un cadre d'AMM conditionnelle.
M. François Autain , président . - Je suis très sceptique : aujourd'hui, les études post-AMM demandées sont rarement réalisées.
L'article 26 de la loi du 4 mars 2002, relatif à la déclaration des liens d'intérêts, a fait l'objet d'un décret d'application en 2007. Or, il n'est pas respecté. Quelles sont vos suggestions à ce sujet ?
Mme Anne Laude . - Certains proposent de développer un système à l'américaine, inspiré du Sunshine Act .
M. François Autain , président . - Qu'apporterait-il de plus ?
Mme Anne Laude . - L'obligation pèserait aussi sur l'autre partie, les laboratoires. Ils devraient déclarer ces liens d'intérêts comme ils le font pour les subventions qu'ils versent aux associations de patients.
M. François Autain , président . - Ils ne le font pas !
Mme Anne Laude . - Si, me semble-t-il, on peut le voir sur le site de la Haute Autorité de santé (HAS).
M. François Autain , président . - Trois seulement l'ont fait, indiquant qu'ils ne versaient pas de subventions aux associations.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Des nouvelles dispositions sont entrées en vigueur récemment.
M. François Autain , président . - Depuis juin 2010. Peu de laboratoires font des déclarations. Et ils ont raison : ils n'encourent aucune sanction ! Mais je remercie ceux qui s'acquittent de cette exigence morale. Il y aurait lieu de prévoir des sanctions. Soit dit en passant, l'obligation de déclarer les subventions aux associations ne figure pas dans le Sunshine Act .
La HAS a signalé que la loi actuelle lui paraissait bien floue. Il faudra y revenir car les aides à déclarer ne sont pas bien identifiées.
Mme Anne Laude . - En effet, comme on l'a fait pour la loi anti-cadeaux, les notions d'avantage, de bénéfice, mériteraient d'être mieux circonscrites.
M. François Autain , président . - Deux exceptions ont été introduites après 1993 : les avantages prévus par convention et les hospitalités. Ils doivent être portés à la connaissance de l'Ordre des médecins, qui procède aux contrôles en amont - c'est la direction générale de la concurrence qui contrôle en aval. Or, l'un n'a pas les moyens de remplir cette mission, l'autre n'a que des moyens faibles. Une autre instance pourrait-elle en être chargée ? Les congrès sous les cocotiers restent trop fréquents... Il faut changer la loi ou l'instance de contrôle.
Mme Anne Laude . - L'Afssaps étant chargée de la police des médicaments et non de celle des professionnels, à quelle autorité de contrôle confier cette tâche : direction générale de la santé, HAS ? Celle-ci contrôle déjà les relations des laboratoires avec les associations de patients, il y a une logique à lui confier les relations entre les laboratoires et les professionnels, mais cela rentre-t-il dans le champ de l'évaluation ?
M. François Autain , président . - Et les hospitalités sont toujours offertes dans le cadre de la formation continue, qui relève de la HAS.
Mme Anne Laude . - Le « développement professionnel continu » est effectivement placé sous son contrôle. Cependant, j'entends dire ici et là que la formation continue devrait être indépendante, qu'elle pourrait être confiée aux universités. Attribuer ce contrôle à la HAS ne consacrerait-il pas le rôle des laboratoires dans la formation continue ?
M. François Autain , président . - Il y aura forcément une période transitoire, interdire du jour au lendemain les financements par les laboratoires équivaudrait à un tremblement de terre. Les sociétés savantes et les associations seraient prises au dépourvu ! Du reste, je me demande comment on fait dans les autres disciplines : qui paye les formations et les congrès en droit de la santé ?
Mme Anne Laude . - Les professionnels, en l'occurrence avocats, paient leur inscription !
M. François Autain , président . - Dans le monde de la santé, les mauvaises habitudes sont ancrées depuis longtemps.
Vous l'avez signalé dans plusieurs de vos nombreux articles, il n'y a pas de définition du patient dans notre droit. La loi de 2002 mentionne la « personne malade », vous utilisez les termes de patient, usager, malade, citoyen. Ne serait-il pas utile de préciser ces termes dans la loi ?
Mme Anne Laude . - Vous avez raison. L'usager du système de santé désigne la personne prise en charge par le système hospitalier : il n'y a pas de contrat comme en matière libérale. Malade, patient, sont des termes qui ne clarifient pas les concepts, mais la directive du 9 mars 2011 sur les soins de santé transfrontaliers donne une définition assez large du patient. Nous serons de toute façon obligés de nous en inspirer en transposant !
M. François Autain , président . - L'avis défavorable rendu sur le Mediator par la commission de transparence en 1999 n'a pas été suivi d'effets. Le ministre n'a pas pris de décision, pour des raisons politiques. Ne devrait-on pas faire en sorte que cette commission prenne des décisions plutôt qu'elle ne rende des avis ? Lorsqu'elle estime insuffisant le service médical rendu (SMR) par un médicament, ce dernier ne serait pas inscrit sur la liste des produits remboursés et le ministre n'aurait plus à intervenir. Les ministres que nous avons interrogés ne se souviennent même pas s'ils sont ou non intervenus après de tels avis. Ils n'exercent pas réellement cette compétence !
Mme Anne Laude . - Votre question en soulève plusieurs autres. Sur l'avis de 1999, il faudrait examiner les textes d'application ; la politique de déremboursement s'est effectuée en trois temps. En 2006...
M. François Autain , président . - Je n'ai pas évoqué 2006, parce que la commission n'a alors statué que sur l'une des deux indications du Mediator. C'est d'autant plus absurde que cette indication a ensuite été retirée...
Mme Anne Laude . - On retrouve ici le problème de la différence des taux de remboursement en fonction de l'indication thérapeutique. Mais surtout, selon moi, on assimile trop facilement l'insuffisance du SMR à une inefficacité du produit. Appréciant l'efficacité d'un médicament en comparaison de ses concurrents, la commission de la transparence ne se prononce pas d'après les mêmes critères que la commission d'AMM, d'où un risque de confusion : un médicament peut présenter un SMR insuffisant sans que sa balance bénéfices-risques soit négative.
Quid du pouvoir de décision de la commission de la transparence ? Il est vrai qu'en l'espèce, l'Afssaps dispose vis-à-vis du ministre de plus d'autonomie que la Haute Autorité de santé.
M. François Autain , président . - Beaucoup d'associations sont subventionnées par les laboratoires. Cela porte-t-il atteinte à leur indépendance ? Des représentants des associations siègent à la commission nationale de pharmacovigilance, et peut-être demain à la commission d'AMM.
Mme Anne Laude . - Oui, le financement par les laboratoires peut mettre en cause l'indépendance des associations, mais la même remarque vaut pour les experts et les autres professionnels. La transparence est de rigueur, puisque les versements effectués par les laboratoires doivent être déclarés, ce qui permet d'apprécier les conflits d'intérêts et de demander, le cas échéant, aux personnes concernées d'en tirer les conséquences.
M. François Autain , président . - Mais si l'on considère demain que la transparence ne suffit plus, et que l'on exige de la part des experts l'absence de tout lien d'intérêts avec les laboratoires, la même règle ne devrait-elle pas s'imposer aux associations ?
Mme Anne Laude . - Sans doute, au nom du parallélisme des formes. Mais serait-ce réaliste ?
M. François Autain , président . - Je vous remercie de vos réponses.
Audition de M. Denys SCHUTZ, directeur général de Servier-Biopharma (jeudi 14 avril 2011)
M. François Autain , président . - Cette audition se déroulera à huis clos, comme vous l'avez souhaité. Monsieur Schutz, voulez-vous faire un exposé liminaire ?
M. Denys Schutz, directeur général de Servier-Biopharma . - Je vous remercie d'avoir accepté de reporter cette audition, suite à l'accident de santé que j'ai subi. C'est avec une profonde tristesse que je me présente devant vous : en fin de carrière, l'idée qu'un médicament qui devait améliorer le pronostic des patients ait fait des victimes est tout à fait contraire aux motifs qui m'ont fait entrer chez Servier. Nos collaborateurs sont dans le désarroi : une de nos secrétaires a été traitée de « tueuse » par un commerçant, qui a refusé de la servir...
M. François Autain , président . - Je suis étonné que les choses en arrivent là...
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - C'est la troisième fois que nous auditionnons des représentants des laboratoires Servier, dans le cadre de notre mission de contrôle. Des procédures judiciaires sont en cours, et vous n'êtes pas ici devant un tribunal : ce que nous voulons, c'est comprendre les dysfonctionnements dans l'évaluation et le contrôle des médicaments dont l'affaire du Mediator est l'indice.
Le débat scientifique sur la composition physico-chimique du Mediator se poursuit. Vous avez écrit en 2010 que « les principes actifs de Mediator et d'Isoméride sont différents, tant en termes de structures chimiques que d'effets biologiques (...) ou en termes de métabolisme » . Maintenez-vous cette affirmation contestée par l'Igas dans son rapport de janvier ?
Comment expliquez-vous la part des prescriptions hors AMM du Mediator ? Quelles étaient les méthodes des laboratoires Servier pour informer les médecins à son sujet ?
M. Denys Schutz . - Je ne suis pas pharmacologue. Ma tâche, à la tête de Biopharma, société d'information du groupe Servier que je dirige depuis 1997, est de diffuser une information médicale, certes promotionnelle, mais conforme aux AMM, aux avis de la commission de la transparence et aux diverses recommandations, afin de favoriser le bon usage des médicaments.
M. François Autain , président . - Si vous n'êtes pas pharmacologue, pourquoi avez-vous adressé aux médecins, le 3 décembre 2010, une lettre où vous indiquiez que le Mediator est un antidiabétique oral ? C'est tout simplement faux. Même l'indication comme adjuvant au régime antidiabétique a été refusée en 1987. Tous les pharmacologues - le dernier en date est le professeur Philippe Lechat, directeur de l'évaluation des médicaments et des produits biologiques à l'Afssaps - admettent désormais que le benfluorex est un anorexigène. Des publications le prouvaient dès 1974. Un tel déni de réalité de votre part m'inquiète ! Reconnaissez-vous que la concentration plasmatique de norfenfluramine après l'ingestion de 60 mg d'Isoméride ou de 450 mg de Mediator est la même, comme le prétend le docteur Irène Frachon ?
M. Denys Schutz . - La lettre à laquelle vous faites référence a été écrite en faisant appel à toutes les compétences des laboratoires Servier, et en conformité avec l'AMM. Tous les médecins qui prescrivaient du Mediator et que nos visiteurs ont rencontrés affirmaient que les patients n'éprouvaient pas les sensations subjectives habituelles avec les coupe-faim. Des études cliniques ont montré que l'effet du Mediator sur le poids était minime, comparable à celui des médicaments contre l'insulinorésistance : les patients perdent entre 500 g et 1,5 kg. Depuis le début des années 90, nous utilisons la technique du clamp hyperinsulinique qui permet de déceler les effets des produits sur la sensibilité à l'insuline. Les effets du Mediator sur l'hémoglobine glyquée - entre 0,9 et 1 point - le situent à mi-chemin entre deux antidiabétiques : l'acarbose, commercialisé sous le nom de Glucor...
M. François Autain , président . - Je vous arrête : selon le résumé des caractéristiques du produit (RCP), le Mediator n'a jamais été un antidiabétique, mais tout juste un adjuvant du régime du diabète. Vous qui vous retranchez souvent derrière les décisions des autorités sanitaires, reconnaissez que votre présentation de décembre dernier était mensongère ! Les laboratoires Servier ont d'ailleurs déjà été condamnés pour publicité mensongère.
M. Denys Schutz . - Il y a eu deux interdictions de publicité, mais pas de condamnation pour publicité mensongère.
M. François Autain , président . - La commission de la publicité de l'Afssaps a émis des observations à trois reprises, en 1998, 2002 et 2004, et je reviendrai tout à l'heure sur le contentieux qui vous a opposé au professeur Roujansky dans les années 70. En 2004, l'Afssaps a interdit des publicités vantant l'efficacité et le caractère bien toléré du Mediator chez les patients diabétiques, et comprenant des recommandations erronées pour le traitement des hypertriglycéridémies. Si ce n'était pas mensonger, c'était au moins erroné !
M. Denys Schutz . - Les antidiabétiques reçoivent eux aussi l'indication d'adjuvant au régime, ce qui signifie avant tout qu'aucun médicament ne peut se substituer à un régime adapté. Encore une fois, il est de ma responsabilité de diffuser des informations conformes aux recommandations des autorités sanitaires, et dans la classification des RCP, le Mediator a été d'abord classé parmi les antilipémiants, puis parmi les « antidiabétiques ou autres, non insuliniques ».
M. François Autain , président . - Je répète que les autorités de contrôle n'ont jamais reconnu le Mediator comme un antidiabétique, mais comme un anorexigène.
M. Denys Schutz . - Je ne puis vous suivre sur ce point.
M. François Autain , président . - Vous ne pouvez citer que les classements qui vous arrangent !
M. Denys Schutz . - Sa structure chimique commande-t-elle les propriétés d'un produit ? Celle du Mediator - la phényléthylamine - se retrouve dans beaucoup de neuromédiateurs et d'autres produits. De la même façon, le graphite et le diamant ne diffèrent que par la structure cristalline ! L'amidon, comme la cellulose, est un polymère de glucose. L'aniline servit à développer toute une famille de colorants chez IG Farben, mais aussi à mettre au point le premier sulfamide antibactérien dans les années trente, et à soigner la typhoïde à Montpellier en 1942, grâce aux efforts de Marcel Janbon...
M. François Autain , président . - Nous nous éloignons du sujet...
M. Denys Schutz . - Un mot encore : si ce traitement a permis d'éradiquer la salmonellose, il a aussi produit des hypoglycémies et des comas. Tout cela pour dire que deux produits dotés d'une même structure chimique peuvent avoir des profils d'activité tout à fait différents. Les patients sous Mediator n'éprouvaient pas les sensations caractéristiques des coupe-faim - diminution de l'appétit, stimulation de la vigilance, tachycardie - et ne perdaient pas autant de poids qu'avec un amaigrissant. Les effets du produit s'apparentaient plutôt à ceux des antidiabétiques diminuant l'insulinorésistance musculaire ou hépatique : des travaux l'ont confirmé dans les années 90.
M. François Autain , président . - Vous ne m'avez pas répondu : la concentration plasmatique de norfenfluramine après l'ingestion de 60 mg d'Isoméride ou de 450 mg de Mediator est-elle équivalente ?
M. Denys Schutz . - Oui, mais la norfenfluramine n'est pas le support d'activité.
M. François Autain , président . - Vous reconnaissez cependant que le Mediator est une pré-drogue, dont on retrouve les traces dans le sang. C'est bien un anorexigène.
M. Denys Schutz . - Pas du tout. Nos travaux ont montré que les métabolites supports de l'activité du Mediator étaient le S 422 et le S 1475, pas la norfenfluramine.
M. François Autain , président . - Ces dérivés ont une durée de vie très courte et laissent rapidement place à la norfenfluramine, vous le savez très bien. Mais avançons.
M. Denys Schutz . - Pour répondre à la deuxième question de Mme le rapporteur, nous sommes très directifs à l'égard de nos visiteurs médicaux, qui ne doivent pas conseiller la prescription d'un produit hors AMM, et s'ils constatent de telles pratiques, un courrier est envoyé aux médecins concernés. Il existe en outre des mesures de surveillance. Le cabinet Antoine Minkowski (CAM) recueille anonymement auprès de panels de médecins le contenu des visites médicales pour tous les produits.
M. François Autain , président . - Le contenu ? Voulez-vous dire les propos échangés ? Y a-t-il donc des caméras ?
M. Denys Schutz . - Les médecins doivent remplir un formulaire. Tous les laboratoires utilisent ces données, afin de vérifier que les conseils des visiteurs médicaux correspondent aux instructions, et pour savoir si les médecins considèrent que les visites leur apportent quelque chose. Or, nous n'avons jamais constaté de dérives au sujet du Mediator.
Nous nous servons aussi de panels pour analyser les prescriptions : à qui est prescrit tel ou tel produit ? Selon quelles indications ? Pour quels effets attendus ? Avec quelles coprescriptions ? Il y a toujours des prescriptions hors AMM, et pour le Mediator, elles représentaient environ 10 % du total - il était alors prescrit en tant qu'amaigrissant.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Le Mediator a été commercialisé dans plusieurs pays, en Asie sous le nom de Mediaxal. Dans combien de pays exactement ? Avez-vous retiré le produit du marché partout en même temps ? Quels étaient les chiffres de vos ventes dans ces différents pays ?
Quelle est la part des dépenses consacrées respectivement à la recherche et au marketing chez Servier et dans l'industrie pharmaceutique en général ?
M. Denys Schutz . - Je ne saurais dire dans combien de pays le Mediator a été commercialisé. Je rappelle d'ailleurs qu'il ne représentait que 0,7 % de notre chiffre d'affaires. Il a naturellement été retiré du marché partout en même temps. Contrairement à ce qu'on lit dans la presse, il n'a pas continué à être commercialisé en Chine : il ne l'a même jamais été ! C'est une copie qui a été mise sur le marché.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Le Sénat s'est saisi récemment du problème du trafic de faux médicaments.
M. Denys Schutz . - Je ne sais pas non plus quelle est la part des dépenses de recherche et de marketing dans nos dépenses consolidées.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Il serait intéressant que vous nous communiquiez ces chiffres. Nous aimerions aussi savoir combien vous dépensez pour informer sur les effets secondaires des médicaments et lutter contre les accidents iatrogéniques.
Mme Virginie Klès . - Vous avez évoqué des fiches de suivi des visites médicales. Sont-elles archivées, et pour combien de temps ? Qui y a accès ? Comment utilisez-vous ces données, en général et pour le Mediator en particulier ? Le cadre a dû changer depuis l'origine. Il serait précieux pour nous de disposer des fiches vierges, pour constater l'évolution des questions, et des fiches remplies si elles existent encore.
M. Denys Schutz . - N'importe qui a accès aux messages Hermès du CAM. Quant à nos données internes, elles sont informatisées depuis longtemps, sous la forme d'un fichier de médecins bien évidemment déclaré à la Cnil. Le Mediator n'occupait qu'une place secondaire dans les comptes rendus de visites ; il était d'ailleurs bien connu des médecins.
Lorsqu'un médecin demande un supplément d'information, le visiteur médical transmet sa demande à notre département d'information scientifique. Lorsqu'est signalé un effet indésirable, le message est transmis à notre service de pharmacovigilance, même si le médecin ne le demande pas ; cette procédure est parfaitement contrôlée. Les visites médicales sont d'ailleurs soumises à un système de certification, et des audits sont menés à échéance régulière sur leur organisation et leur fonctionnement.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Pourriez-vous nous transmettre le cahier des charges de cette certification ?
M. Denys Schutz . - Bien sûr. Une nouvelle vague d'audits vient d'avoir lieu, et l'auditrice a donné un avis favorable à la reconduction de la certification des visites médicales de Servier pour la France.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Nous aimerions aussi disposer de cet avis.
M. François Autain , président . - En 1977, le professeur Roujansky vous a accusé d'avoir donné du Pondéral une présentation non conforme à la réalité pharmacothérapeutique. Il a saisi le Conseil de l'Ordre et, je crois, écrit au procureur de la République. Que dites-vous de cette affaire ?
M. Denys Schutz . - C'était au début de ma carrière, et les procédures devant le Conseil de l'Ordre comme devant la justice ont abouti à un non-lieu.
M. François Autain , président . - Merci d'avoir répondu à nos questions.
Audition de M. Bernard BÉGAUD, professeur de pharmacologie à l'université de Bordeaux, directeur de l'unité de recherche « Pharmaco-épidémiologie et évaluation de l'impact des produits de santé sur les populations » (jeudi 14 avril 2011)
M. François Autain , président . - L'audition est ouverte à la presse et fait l'objet d'un enregistrement audiovisuel en vue de sa diffusion sur le site Internet du Sénat et sur Public Sénat. Il me revient en application de l'article L. 4113-13 du code de la santé publique, de vous demander si vous avez des liens avec des entreprises produisant ou exploitant des produits de santé ou avec des organismes de conseil intervenant sur ces produits.
M. Bernard Bégaud, professeur de pharmacologie à l'université de Bordeaux, directeur de l'unité de recherche « Pharmaco-épidémiologie et évaluation de l'impact des produits de santé sur les populations . - Je n'ai pas de liens avec de tels organismes ou entreprises, je préside seulement les conseils scientifiques de deux études menées par Lucien Abenhaïm, l'une sur l'homéopathie, l'autre sur le traitement de l'arthrose. Mais, à ce titre, je ne reçois pas d'honoraires des laboratoires et n'ai aucun lien ni conflit d'intérêts avec aucune firme.
M. François Autain , président . - Pouvez-vous nous donner des informations sur l'Association pour la recherche méthodologique en pharmacovigilance (ARME) ?
M. Bernard Bégaud . - Sur le sujet, je ne fais aucun lien avec votre question précédente. Cette association a été créée en 1989 pour rechercher des méthodes plus efficaces en pharmacovigilance et nous tentons de les diffuser pour améliorer les connaissances et les pratiques. Pour ce faire, nous organisons des réunions de travail et publions des ouvrages, parfois à compte d'auteur. Cette association s'est bâtie, en opposition aux conflits d'intérêts, comme un modèle de collaboration entre l'industrie privée et le public, modèle qui pourrait être applicable en d'autres domaines. J'ai été président d'université et, à ce titre, le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche m'a souvent poussé à nouer des partenariats avec le privé. Or, une affaire comme celle du Mediator fait que, lorsqu'un acteur du secteur public noue des liens avec le privé, il a quasiment l'impression de vendre son âme au diable. Personnellement, j'ai toujours pensé que - comme la coexistence de l'URSS et des Etats-Unis assurait l'équilibre pendant la guerre froide - il était important qu'en matière de pharmacovigilance deux pouvoirs, le public et le privé, assurent la paix sanitaire. S'il est normal que les industriels assurent leur propre pharmacovigilance, on ne peut leur abandonner la sécurité sanitaire, il leur faut le contrepoids d'une pharmacovigilance publique. J'ai donc toujours milité pour un travail commun entre les deux secteurs ; l'ARME a été créée dans ce but et sa composition est paritaire entre industriels et public. L'ARME - mauvais jeu de mots - a aussi été créée en réponse à un autre groupe, RADAR, fondé avec un pilotage uniquement industriel vers 1985 et dont l'objectif est de vendre l'idée que les risques des médicaments sont acceptables.
M. François Autain , président . - Vous dites n'avoir aucun lien d'intérêts mais vous présidez une association dont font partie, entre autres, AstraZeneca, GSK, Servier, Pierre Fabre, Roche, Sanofi-Aventis, Lundbeck etc. De la part d'un pharmacologue dont on a dit qu'il est « l'un des plus indépendants », c'est surprenant. En outre, Lucien Abenhaïm en est membre d'honneur ainsi que Carmen Kreft-Jais, chef du département de pharmacovigilance de l'Afssaps, Patrick Le Courtois de l'Agence européenne du médicament, Marc Pierredon délégué pour la France d'une association mondiale financée par GSK, et, cerise sur le gâteau, le professeur Roger Salamon, président du Haut Conseil pour la santé publique. Tous ces gens sont certainement là dans l'intérêt général mais encore faut-il le démontrer. Et d'abord, les laboratoires paient-ils une cotisation ? La même pour tout le monde ?
M. Bernard Bégaud . - Oui et, justement, une cotisation d'un montant fixe est toute différente du sponsoring d'un laboratoire qui donnerait ce qu'il veut. Personne ne tire avantage de sa participation à cette association, et j'en suis le président à titre bénévole.
M. François Autain , président . - Cette association a tout de même fait un certain nombre de travaux....
M. Bernard Bégaud . - Elle est faite pour ça ! Voyez la liste des travaux que nous avons menés : il s'agit de pure méthodologie et je ne vois pas là le moindre conflit d'intérêts, au contraire. D'autant plus que la FDA cite en premier ouvrage de référence le dictionnaire de pharmaco-épidémiologie que j'ai écrit pour ARME.
Il est extrêmement difficile d'arriver à ce que vous appelez l'indépendance. Dès lors que vous ne tirez pas d'avantages du privé et ne recevez pas de subsides du public, il est difficile de faire des recherches dans ce pays. Un exemple : alors que je suis co-fondateur d'une société internationale de pharmacologie, aujourd'hui, je ne peux plus me rendre à ses réunions qui me coûteraient dans les 2 000 euros lorsqu'elles ont lieu aux Etats-Unis. Dépenser pour cela les subsides qui me viennent de l'Inserm ou de l'université empêcherait de recruter un stagiaire de master 2. Je ne vais donc plus à ces réunions depuis plusieurs années. Et je n'ai jamais utilisé ARME pour y aller. Il faut y réfléchir lorsqu'on nous dit de ne pas travailler avec le privé.
M. François Autain , président . - Le problème n'est pas là. Il faut au contraire encourager les médecins à travailler avec l'industrie pharmaceutique. Mais le problème vient de ce que les mêmes médecins travaillent avec cette industrie et, en même temps, délivrent leurs avis aux autorités sanitaires.
M. Bernard Bégaud . - Autre exemple : nous avons un dossier très sensible cherchant à déterminer si la prise, sur longue période, de benzodiazépines par des sujets âgés serait un facteur de risque pour la maladie d'Alzheimer. Il est impossible de lui trouver un financement ! Alors qu'il s'agit d'un problème de santé publique majeur car, si le risque est avéré, ce sont plusieurs dizaines de milliers de cas d'Alzheimer qui pourraient être évités chaque année en France ! Eh bien, nous en avons été de notre poche... ARME est donc tout, sauf un conflit d'intérêts. Je suis fier qu'elle existe et, si c'était à refaire, je la referais à l'identique.
M. François Autain , président . - Donc, j'ai bien fait de vous amener à en parler. Dommage que vous ne l'ayez pas fait spontanément...
M. Bernard Bégaud . - Je n'en ai pas parlé car ce n'est pas un conflit d'intérêts. J'ai cité la présidence des conseils scientifiques de deux études menées par Lucien Abenhaïm qui pourront donner lieu à compensation pour mon université ; cela rentre dans une définition du conflit d'intérêts qui est très large! Ce n'est pas du tout le cas de l'ARME. Que ce soit clair !
M. François Autain , président . - Avant le Mediator, il y avait eu l'Isoméride et le Pondéral. Avec Lucien Abenhaïm, vous aviez fait l'étude IPPHS, étude qui a marqué et à la suite de laquelle la prescription de fenfluramine a été restreinte, mais non supprimée, dans notre pays. Paradoxalement, le médicament a alors été mis sur le marché aux Etats-Unis ! A cette étude, s'est ajoutée celle du centre régional de pharmacovigilance de Besançon. Pensez-vous qu'il soit compatible d'être membre ou vice-président de la commission de la transparence et, en même temps, responsable d'une étude sur l'Isoméride ? Lorsque vous présentiez les résultats de l'IPPHS à la commission nationale de pharmacovigilance, quelle casquette portiez-vous ?
M. Bernard Bégaud . - J'avoue qu'à l'époque, je ne me suis pas posé la question. Il était naturel que je sois membre du conseil scientifique de l'étude IPPHS parce que, à cette époque, j'étais assez connu internationalement dans le monde de la pharmacovigilance et, surtout, de la pharmaco-épidémiologie. En outre, je connaissais Lucien Abenhaïm depuis la fin des années 80. Je n'étais pas, à l'époque, vice-président de la commission de pharmacovigilance. Avec le recul, je pense que ce n'était pas bon d'y rester aussi longtemps et c'est pourquoi j'en ai démissionné en 2000, après y être resté pendant dix-huit ans. En plus, je présidais le GEC (Groupe d'essais cliniques) et j'étais un expert sollicité par l'AMM ou la commission de transparence pour certains dossiers. Si j'avais été malhonnête, je tenais les laboratoires par tous les bouts... Mais ce n'est pas sain et, si c'était à refaire je ne cumulerais pas x mandats. J'ai été nommé vice-président de la commission nationale en tant que pharmaco-épidémiologiste, pour faire un duo avec le professeur Claude Labrousse qui, lui, était plutôt spécialiste de pharmacovigilance. Pour moi il n'y avait pas conflit d'intérêts parce que d'emblée, il avait été négocié qu'il y aurait un lien entre l'étude IPPHS et l'enquête officielle et on avait souhaité que je sois le lien entre les deux. Lucien Abenhaïm donnait tous ses cas à l'enquête Bechtel et l'en informait régulièrement. C'est lui qui a présenté l'étude IPPHS. Je n'étais pas là en 1994 pour présenter l'étude intermédiaire.
M. François Autain , président . - Le 10 mai 1994, vous participez à la réunion de la commission nationale de pharmacovigilance où le professeur Bechtel a présenté les premiers résultats de son enquête et vous avez eu tout loisir de consulter les cas, notamment les quatre cas où le Mediator avait été pris en même temps que de la fenfluramine. Cela ne vous a pas mis la puce à l'oreille ? .
M. Bernard Bégaud . - Je ne me souviens pas très bien. A vrai dire, je n'ai découvert que récemment - en écoutant votre audition du professeur Abenhaim - le rapport qui mentionne le Mediator. J'ai alors appelé la secrétaire du centre régional de pharmacovigilance de Bordeaux pour vérifier. Effectivement, on y constate quatre observations, d'ailleurs manuscrites, où le Mediator est mentionné. En 1995, ces quatre observations apparaissent encore, mais la mention du Mediator n'apparaît plus que dans un cas, non pas dans ceux d'hypertension artérielle pulmonaire (HTAP) mais dans la liste des décès. Je ne m'explique pas pourquoi, d'une année sur l'autre, le Mediator apparaît ou disparaît.
Pierre Bechtel a dû présenter des résultats globaux. Les laboratoires commercialisant les anorexigènes étaient invités, il a fallu les auditionner tous les treize. Le temps a sans doute manqué ensuite. Honnêtement, je n'ai donc découvert le Mediator qu'en 1995 lorsque, à la réunion du 18 mai du comité technique de pharmacovigilance, il apparaissait au point 12 de l'ordre du jour. Nous demandons alors la mise en enquête du produit, non à cause d'un danger avéré, mais en vertu du principe de précaution, pour voir s'il était apparenté aux anorexigènes ou aux fenfluramines.
M. François Autain , président . - Vous saviez que le benfluorex était un anorexigène ?
M. Bernard Bégaud . - Pas clairement .
M. François Autain , président . - Vous aviez enquêté sur l'Isoméride et le Pondéral qui sortaient du même laboratoire : vous n'aviez pas à chercher bien loin et pouviez voir que le Mediator n'est qu'un dérivé de la fenfluramine !
M. Bernard Bégaud . - En 2011, cela peut en effet surprendre mais, à l'époque, le Mediator n'était pas connu des pharmacologues. Sans doute pour des raisons de stratégie marketing et pour ne pas concurrencer le Pondéral, le Mediator a été positionné dans deux classes où il n'aurait pas dû l'être - contre les dyslipidémies et le diabète - et non classé parmi les anorexigènes. C'était un produit prescrit par les généralistes libéraux - il ne l'a jamais été dans mon hôpital - et il était commercialisé surtout en France, alors que - on peut le regretter - nous travaillions surtout sur des ouvrages anglo-américains où il n'apparaissait pas dans les listings d'anorexigènes.
M. François Autain , président . - Pourtant, l'OMS le classe parmi les anorexigènes ! Tous les « orex » sont des anorexigènes.
M. Bernard Bégaud . - Je ne sais pas si le Mediator est un anorexigène, je le suppute, je n'ai pas travaillé dessus. En tout cas, en 1995, ce n'était pas évident.
M. François Autain , président . - Mais il n'est pas indispensable que vous ayez personnellement travaillé sur tous les produits ! On est bien obligé de se référer à des études ! Le fait est qu'il y en a eu - dont une dès 1974 - qui montraient que le benfluorex était un puissant anorexigène. En 1974 sont parus les résultats d'une étude sur le benfluorex - financée par Servier ! - dans Psychopharmacologia et ses conclusions sont très claires. Moi, lorsque j'exerçais, je me fiais aux études plutôt qu'aux visiteurs médicaux - même si cela a dû malheureusement m'arriver.
M. Bernard Bégaud . - Je n'avais aucune raison personnelle de lire une étude Servier dans une revue que je ne connais pas et dans une discipline qui n'est pas la mienne. Les membres de la commission - dont le Mediator n'était pas l'unique préoccupation - se fiaient à ce qu'on leur disait. Lors du comité technique du 10 septembre 1998 - donc bien après cette étude - en point 4 de l'ordre du jour, on leur fait un exposé où il est dit « Les enquêtes pharmacodynamiques n'ont jamais montré un effet anorexigène du benfluorex » . L'OMS a fait classer ce médicament dans les « orex », mais pour les dyslipidémies et les diabètes.
M. François Autain , président . - Les membres du comité technique de pharmacovigilance n'ont pas reconnu ce classement de l'OMS ?
M. Bernard Bégaud . - On m'aurait dit en 1994 qu'il y avait un médicament orex, le benfluorex, qui est hypolipidémiant, j'aurais regardé plus avant. Mais on ne me l'a pas dit ! Avant cette fameuse réunion du 18 mai 1995, je n'avais jamais rencontré le Mediator ! A cette réunion, nous avons été très proréactifs puisque nous avons lancé l'enquête. D'une façon générale, on ne m'a jamais sollicité sur ce dossier et à aucun moment on ne m'a demandé mon avis sur ce produit ! Je n'ai donc pas de problème de conscience.
M. François Autain , président . - Mais aujourd'hui, doutez-vous encore de la nature anorexigène du Mediator ? Rassurez-vous, le professeur Alexandre est encore plus net : pour lui, le Mediator n'est pas un anorexigène, c'est un antidiabétique mal étudié...
M. Bernard Bégaud . - Il faut dire que cette histoire de métabolite a été confuse. Il y a eu cette surprenante règle de trois : le Mediator, disait-on, c'est seulement 4 % de norfenfluramine, contre 33 % dans l'Isoméride ; donc c'est négligeable. C'était oublier que le Mediator, c'était 150 mg et l'Isoméride seulement 15. Donc, au total, la quantité de métabolite était exactement la même. Si c'est vrai que c'est le métabolite qui est actif...
M. François Autain , président . - Vous en doutez encore ?
M. Bernard Bégaud . - Tout cela est encore bien polémique. Ma conclusion est que la pharmacologie de ce produit, pour ses propriétés et sa toxicité, ne doit pas être éloignée de celle de l'Isoméride et du Pondéral.
M. François Autain , président . - J'en reviens au télescopage entre l'étude IPPH et le rapport Bechtel. Ce dernier, dites-vous, vous a été remis le 10 mai 1994. Vous l'avez parcouru mais vous ne vous souvenez plus avoir noté que, parmi les HTAP imputables à la fenfluramine, il y avait quatre cas comportant aussi du Mediator. Cela vous a échappé ?
M. Bernard Bégaud. - Cette même commission recevait en même temps les résultats de l'étude intermédiaire IPPHS de Lucien Abenhaïm, laquelle concluait déjà à l'association entre la prise d'anorexigène ou de fenfluramine et la venue d'HTAP primitive. Or, lorsque vous avez, d'une part, une étude, d'autre part, des notifications spontanées, vous regardez plutôt l'étude parce qu'elle permet une conclusion de causalité. J'étais davantage préoccupé par l'étude Abenhaïm qui provoquait des tensions avec le laboratoire. Et, comme quatre-vingt-quinze cas d'HTAP de l'étude Bechtel étaient dans l'étude Abenhaïm, il n'y avait aucun besoin de fouiller dans les notifications de cas, qui étaient moins précises que l'étude IPPHS. Ensuite, il n'était pas surprenant de voir mentionné quatre fois le Mediator, car un sur six des sujets traités à l'Isoméride ou au Pondéral avait soit un diabète, soit une hyperlipidémie. Cela ne faisait que quatre sur une centaine de cas.
M. François Autain , président . - Ces quatre cas ont été intégrés à l'étude IPPHS.
M. Bernard Bégaud. - Je ne sais pas. En gros 80 % des cas Bechtel se sont retrouvés dans l'étude IPPHS. Il faut aussi considérer « l'effet laboratoire » : quand vous prescrivez un produit Servier pour maigrir, vous avez aussi tendance à prescrire un produit Servier pour l'hyperlipidémie ou pour le diabète.
M. François Autain , président . - Alors que vous, quand vous étudiez les fenfluramines, vous n'en profitez pas pour étudier le Mediator ; pourtant, c'est aussi Servier !
M. Bernard Bégaud. - Je plaide coupable. Si une personne devait le faire, c'est moi. Le professeur Abenhaïm n'est pas pharmacologue et il vivait au Canada où le Mediator n'était pas commercialisé. Et dans l'étude, on interrogeait les sujets principalement sur les anorexigènes ; lorsque j'ai demandé à la direction de la pharmacie et du médicament (DPHM) la liste des anorexigènes commercialisés en France, le Mediator n'y était pas ! Nous nous en sommes tenus à ce qui était officiellement cadré.
M. François Autain , président . - Vous n'avez pas été proactif vis-à-vis des fenfluramines et de leurs dérivés que produisait Servier. Le fait de trouver la présence du Mediator à côté de fenfluramines aurait pu vous intriguer et vous auriez pu vous interroger sur ce qu'était ce Mediator. Tout cela avait été bien mis en lumière dans le rapport de 1994 où c'était le seul médicament mentionné de façon manuscrite.
M. Bernard Bégaud. - Cela n'aurait pas changé grand-chose. Dans l'IPPHS on interrogeait sur les anorexigènes mais aussi sur une centaine de médicaments qui étaient les cinq leaders de leur classe pharmaco-thérapeutique. Il est donc probable que les témoins ont été interrogés sur le Mediator et, si rien n'en est sorti, c'est qu'il n'y avait rien.
M. François Autain , président . - Dans le deuxième rapport de l'enquête sur les anorexigènes, du 28 avril 1995, la mention du Mediator avait disparu ! Vous l'aviez constaté ?
M. Bernard Bégaud. - Je l'ai constaté après avoir entendu vos auditions. Je suis allé vérifier dans le rapport de 1995 : j'ai vu une mention du Mediator dans la liste des décès mais trois mentions du rapport de 1994 n'étaient pas reprises.
M. François Autain , président . - Plus troublant encore : dans l'annexe du rapport de l'Igas qui reprend le rapport de 1995, les pages où devraient se retrouver les cas qui ont pris de la fenfluramine et aussi du Mediator ont disparu ! Les rapporteurs de l'Igas ont donc eu en main un rapport incomplet sur la commission du 28 avril 1995...
M. Bernard Bégaud. - Cette affaire de Mediator m'a atteint et je m'interroge : en 1995, y avait-il quelque chose à voir que je n'ai pas vu ? Je n'en suis pas sûr. Et je suis d'accord avec le professeur Jean-Pierre Bader : le drame du Mediator est avant tout une affaire d'AMM et de pharmacopée. Chronologiquement, c'est d'abord une affaire d'AMM. Le problème de pharmacovigilance est apparu plus tardivement. De toute façon, on a été trop long : dès 1999, l'affaire était jouée et on n'a retiré ce produit du marché que dix ans plus tard !
M. François Autain , président . - En 1999, vous étiez encore à la commission de pharmacovigilance ?
M. Bernard Bégaud. - Oui et non. Je figure parmi les présents de la réunion mais je suis parti avant la fin. Le Mediator, qui n'est toujours pas une priorité, figure au point 8 de l'ordre du jour : c'est là qu'est rapporté le premier cas de HTAP dû au Mediator seul. En tout cas, 1999 est l'année charnière car s'ajoute alors le premier cas de valvulopathie, ce qui accrédite doublement la parenté pharmaco-toxicologique du Mediator avec les fenfluramines. A la réunion du 7 juillet 1999, je suis parti avant la fin et j'assume....
M. François Autain , président . - Si vous aviez été là, vous auriez pu mettre en application l'article sur la pharmacovigilance que vous avez rédigé pour le traité de pharmacologie du professeur Giroux, et où vous écriviez : « En pharmacovigilance, un seul cas peut, à la limite, suffire à démontrer la capacité que possède un médicament de produire un effet donné » . Si vous aviez été là, vous auriez pu arguer de cette publication pour faire suspendre le Mediator. Dommage que vous soyez parti trop tôt...
M. Bernard Bégaud. - Le compte rendu de la réunion atteste de la présence de certains experts qu'on ne peut accuser de laxisme. A moins qu'ils ne soient eux aussi déjà partis à ce stade de la réunion. Le problème de ces réunions, c'est qu'on ne sait jamais à quelle heure a été débattue telle ou telle question ni combien de personnes étaient encore présentes. Il faudrait imposer que ces réunions soient...
M. François Autain , président . - ... filmées, comme l'a décidé le directeur de l'Afssaps.
M. Bernard Bégaud. - Il faudrait qu'on sache qui était présent et qu'on exige un quorum pour chaque vote. Parce que, à partir de 17 heures, c'est la valse des adieux. Mais si les experts auxquels je pense étaient présents, très rigoureux, ils n'ont pu laisser passer la chose. Et, à la lecture du compte rendu, on se rend compte qu'on les a rassurés en leur annonçant, d'une part, que le dossier allait être confié au centre de spécialités pharmaceutiques (CSP), la pharmacovigilance européenne, où on peut compter sur la sévérité des Anglais, d'autre part, que l'hôpital Antoine Béclère reprendrait tous les cas de HTAP pour les interroger sur leur prise éventuelle de Mediator. Dans ces conditions, je comprends que les membres de la commission ne se soient pas émus. Alors que cela aurait dû être le début de la phase critique pour ce produit, cela a été au contraire le début du grand sommeil.
M. François Autain , président . - A ce moment-là, le Mediator, ce n'était pas votre problème....
M. Bernard Bégaud. - J'étais surchargé. En 1995, je suis devenu chef du service de pharmacologie clinique à Bordeaux. J'étais vice-président de la commission. En 1997, j'ai été élu doyen de ma faculté de médecine. Les réunions de la conférence des doyens avaient lieu le jeudi, comme celles de la commission. J'en étais donc souvent absent et c'est pourquoi j'en ai démissionné en 2000. En pharmacovigilance proprement dite, j'étais accaparé par des dossiers qui ont été des combats, auxquels j'ai consacré beaucoup d'énergie, et le Mediator n'était pas parmi mes priorités. Je rappelle mon combat sur le vaccin contre l'hépatite B, étendu aux adultes alors qu'il ne devait viser que les enfants ; j'ai tiré la sonnette d'alarme dès 1996 à propos des risques de sclérose en plaque. En 1997, on était en pleine polémique à ce sujet, en 1998, j'ai mené des études épidémiologiques et un bras de fer avec Bernard Kouchner et les médias. Puis j'ai fait face à d'autres affaires importantes, dont celle du Vioxx...
M. François Autain , président . - Là, le laboratoire vous a aidé en le retirant de lui-même.
M. Bernard Bégaud. - A l'époque, nous étions peu nombreux à dire que ces produits n'étaient pas la révolution qu'on prétendait. Les membres de la commission ont été rassurés par le fait que le Mediator n'était traité qu'au chapitre des questions diverses et que son dossier était transmis à l'Europe.
M. François Autain , président . - Maintenez-vous ce que vous préconisiez dans le traité de pharmacovigilance du professeur Giroud, à savoir qu'un seul cas suffit pour suspendre un produit ?
M. Bernard Bégaud . - Quand il s'agit d'une maladie grave, d'un produit sans intérêt majeur et en présence d'éléments de plausibilité - par exemple le rapport entre fenfluramine et HTAP ou vavulopathie - un seul cas suffit en effet. Inutile d'attendre d'en avoir cinquante.
M. François Autain , président . - Et ne trouvez-vous pas étonnant la différence de traitement entre le rapport bénéfices-risques, pour lequel on émet toujours un avis qui présume de la positivité de ce rapport, et le retrait d'un médicament pour lequel on ne se contente pas d'une présomption mais on exige que le risque soit avéré ? Ce déséquilibre est-il indépassable ?
M. Bernard Bégaud. - Je suis d'accord avec vous . Une des raisons de la crise du Mediator réside dans les anomalies de fonctionnement de la commission nationale de pharmacovigilance.qui a été affaiblie ; on lui a retiré beaucoup de ses prérogatives et elle ne délivre plus que des avis. On ne lui a confié que le risque et elle n'a pas le droit de statuer sur le rapport bénéfices-risques qui reste du ressort de la commission d'AMM. Lorsque la commission de pharmacovigilance a fini d'instruire un dossier, elle le transmet à la commission d'AMM, pour lui demander de bien vouloir juger du rapport bénéfices-risques. Cela s'appelle aller à Canossa, c'est très humiliant et c'est une des raisons pour lesquelles j'ai démissionné.
Le rapport bénéfices-risques doit être évalué comme un tout, sinon l'exercice n'a aucun sens. Autre point choquant, on demande des preuves, toujours plus de preuves de la toxicité, toujours plus de cas, et l'on accumule le retard. Côté bénéfice, la démonstration est généralement claire - sauf ici, car seule était mentionnée une étude chez le rat pour le diabète et le Vidal, jusqu'en 2009, ne disait rien de la toxicité cardio-pulmonaire, rien de l'effet central...
M. François Autain , président . - Ni rien de la pharmacocinétique !
M. Bernard Bégaud . - On n'exige aucune vérification sur le terrain de l'efficacité du médicament. Elle est considérée comme acquise, tandis que la toxicité doit être démontrée. Lorsque M. Lucien Abenhaïm était directeur général de la santé, il m'a confié des missions ponctuelles, notamment la documentation sur l'intérêt en santé publique des médicaments. Il s'agissait de savoir si l'efficacité démontrée lors des essais cliniques se confirme dans les prescriptions réelles. Ce fut une volée de bois vert ! « C'est un scandale ! Qu'allez-vous chercher, l'efficacité a déjà été démontrée ! »
Un équilibre a été rompu. Il faut le retrouver.
M. François Autain , président . - Vous souhaitez donc que la commission nationale de pharmacovigilance soit plus indépendante ? Que ses avis soient directement transmis au directeur général de l'Afssaps ?
M. Bernard Bégaud . - Oui, quitte à ce que l'évaluateur de la commission d'AMM soit présent pendant les réunions. Il est un médicament que je déteste, l'Equanil, un Mediator bis qui a tué autant et qui ne sert à rien puisque nous avons la benzodiazépine. Mais certains psychiatres expliqueront qu'il est utile pour quelques indications concernant les sujets âgés et la conclusion pourra alors être modulée. La commission n'est pas suffisamment instruite de ce qui se passe au plan européen. Son président ne va pas dans les instances européennes, ce sont les directeurs de l'évaluation qui s'y rendent. La commission a des prérogatives trop faibles.
M. François Autain , président . - Il faut renforcer le poids de la commission de pharmacovigilance. En cas de conflit entre les deux commissions, comme en 1997 sur le Mediator, on pourrait, cette suggestion a été formulée par l'un de ceux que nous avons auditionnés, réunir une commission mixte paritaire qui statuerait.
M. Bernard Bégaud . - Cela s'est fait je crois une ou deux fois. C'est une bonne idée. Les commissions sont trop nombreuses, trop séparées, trop étanches. Il est curieux que le Mediator ait pu être interdit dans les préparations magistrales en 1995 mais non dans les préparations médicamenteuses, mais je ne suis même pas certain que les membres de la commission de pharmacovigilance en aient été informés !
M. François Autain , président . - Ils ne l'ont pas été car à l'époque la compétence appartenait à la direction générale de la santé.
M. Bernard Bégaud . - Certaines décisions sont prises d'un côté, ignorées de l'autre. Il serait bon de corriger cela.
M. François Autain , président . - Vous avez réalisé de nombreuses études sur les psychotropes, notamment dans le cadre du rapport de la députée Maryvonne Briot. Ces propositions fort intéressantes sont presque toutes demeurées lettre morte.
M. Bernard Bégaud . - Il en a été de même en 2006 pour le rapport que Mme Costagliola et moi-même avons rédigé sur l'état de la pharmacovigilance et de la pharmaco-épidémiologie, établi à la demande de la direction générale de la santé. Nous y décrivions une situation qui ressemble fort au cas du Mediator et nous estimions que si rien ne changeait, des affaires se produiraient.
M. François Autain , président . - Sur les psychotropes, mais aussi sur la iatrogénie médicamenteuse, que vous avez beaucoup étudiée, quels messages avez-vous à nous communiquer ?
M. Bernard Bégaud . - En 1998, nous avons réalisé une enquête nationale sur les effets indésirables des médicaments, responsables d'environ 18 000 décès par an. Il y a les médicaments qui tuent mais qui soignent et qui sauvent des vies, anti-cancéreux, anti-coagulants. Mais il y a aussi les erreurs de prescription et les médicaments qui n'ont pas d'efficacité thérapeutique majeure mais présentent un risque élevé. Je m'étonne du reste - je fus doyen de faculté de médecine, je dois me flageller aussi - que les étudiants en médecine en France soient si peu formés à la prescription médicamenteuse : leurs condisciples européens suivent dix fois plus d'heures d'enseignement en cette matière. Tout le monde est d'accord pour le déplorer mais aucune réforme de l'enseignement n'y a remédié, au contraire, on ne cesse de réduire le nombre d'heures !
Nous sommes les champions du monde des psychotropes, notamment la benzodiazépine : plus de 30 % des sujets âgés en prennent au long cours, alors que les médicaments en question sont recommandés en traitement de quelques semaines. Chutes, troubles du comportement, peut-être démence, l'impact est énorme. Mais il n'y a pas de pharmacovigilance proactive, on constate a posteriori les effets mais pourquoi ne s'interroge-t-on jamais sur la façon dont nous pourrions réduire la consommation de psychotropes en France ? Je ne sais ce qui ressortira des Assises et des ses recommandations ; mais il y a un gros danger que l'on tue la pharmacovigilance actuelle pour le compte de quelqu'un. L'industrie pharmaceutique est très désireuse de reprendre du terrain mais je le répète, il faut préserver un équilibre entre la pharmacovigilance publique et celle assumée par les industriels.
M. François Autain , président . - Le rapport Even-Debré donne des chiffres impressionnants : 4 000 médicaments environ, mais seulement 1 120 molécules originales, dont 560 sans intérêt.
M. Bernard Bégaud . - Comment se fait-il que les pharmacologues n'aient pas mieux connu le Mediator ? Sur 4 500 médicaments, un médecin en maîtrise 500, un bon pharmacologue 1 000 à 1 500. Parmi les médicaments que l'on ne connaît guère, il y a du ménage à faire...
M. François Autain , président . - Hélas, on n'y parvient jamais. Cela a pris dix ans de réduire le taux de remboursement de 835 produits de la liste des médicaments remboursables.
M. Bernard Bégaud . - L'Euphytose a été déremboursée, ce qui se justifiait puisque ce somnifère doux n'avait pas fait l'objet d'études, mais cette suppression a entraîné des reports vers la benzodiazépine. Il ne faut donc pas procéder à la hache mais rester prudent. Le rapport Debré-Even ne fait pas dans la nuance...
M. François Autain , président . - Sur ce plan-là, il fait l'unanimité.
Merci de vos observations.
M. Bernard Bégaud . - J'ai parfois montré de la passion ; sur l'ARME, je persiste !
M. François Autain , président . - Nous vous avons donné l'occasion de répondre sans ambiguïté.
Audition de Mme Catherine REY-QUINIO, responsable de l'unité pharmaco-toxico-clinique 2 du département de l'évaluation thérapeutique des demandes d'autorisation de mise sur le marché à l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) (mardi 26 avril 2011)
M. François Autain, président . - Nous accueillons aujourd'hui Mme Catherine Rey-Quinio, responsable de l'unité pharmaco-toxico-clinique 2 du département de l'évaluation thérapeutique des demandes d'autorisation de mise sur le marché à l'Afssaps. Vous avez souhaité être entendue à huis clos ; nous en avons pris acte. En application de l'article L. 4113-13 du code de la santé publique, je vous demanderai de nous faire connaître, si vous en avez, vos liens avec des entreprises produisant ou exploitant des produits de santé ou des organismes de conseil intervenant sur ces produits.
Mme Catherine Rey-Quinio . - Je n'ai aucun lien avec l'industrie pharmaceutique.
M. François Autain, président . - Merci madame. Vous pouvez à présent faire une déclaration avant de répondre à nos questions.
Mme Catherine Rey-Quinio . - Je vous laisse la parole.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Dans le cadre de notre mission d'information, nous sommes chargés d'évaluer la politique du médicament. Une étude métabolique et un suivi pharmacologique sur les effets à long terme étaient prévus dans l'avis de la commission du 5 février 1974 ayant autorisé la mise sur le marché du Mediator. Comment expliquez-vous cette absence de suivi spécifique ?
Avez-vous eu des échanges avec M. Le Douarec, auteur de travaux précurseurs sur les anorexigènes ?
Pour quelles raisons, selon vous, le débat sur la composition pharmaco-chimique et les effets du Mediator se poursuit-il encore aujourd'hui ? Existe-t-il une ambiguïté sur la composition pharmaco-chimique de ce produit ?
Mme Catherine Rey-Quinio . - Ce produit a bien fait l'objet d'un suivi dans le cadre de la pharmacovigilance. Plusieurs enquêtes ont été menées. A quoi faites-vous référence ?
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Les études post-AMM n'ont pas été réalisées dans les délais prévus.
Mme Catherine Rey-Quinio . - Evoquez-vous l'absence de suivi spécifique de la part de l'Agence, de la firme ou des laboratoires ?
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Je voudrais que vous envisagiez cette question sous l'angle de l'Agence dans un premier temps.
Mme Catherine Rey-Quinio . - La pharmacovigilance effectuait un suivi sur les requêtes émanant de la commission d'autorisation de mise sur le marché (AMM). Je ne peux que me référer à la période durant laquelle j'étais en poste à l'Agence. Je suis arrivée en 1998. J'ai d'abord travaillé en tant qu'évaluateur avant d'acquérir des responsabilités.
Ces requêtes font référence à trois études dont la première est l'étude Del Prato, dont la commission d'AMM a été saisie en 1995 si ma mémoire est bonne. Elle a été déposée à l'Agence, peu après mon arrivée, pour évaluation dans le cadre de l'extension d'indication au diabète de type 2 que souhaitait la firme. Cette étude a fait l'objet d'un suivi correct et légitime. Plusieurs réunions ont eu lieu avec le directeur de l'évaluation, M. Alexandre, ainsi que des réunions de concertation avec la firme et avec M. Abadie.
La deuxième étude est l'étude Moulin, demandée par la commission d'AMM qui estimait que la place de cette molécule pouvait éventuellement se situer davantage dans l'indication en relation avec le métabolisme des glucides en association à un traitement antidiabétique oral. Je laisse de côté la question de la pharmacologie. De ce fait, la commission d'AMM avait souhaité orienter cette molécule dans le cadre d'un traitement en association à un autre antidiabétique oral, dit en traitement en add-on . Cette étude a été demandée, suivie et déposée en temps et en heure.
Le seul bémol que nous ayons rencontré concerne la troisième étude appelée étude Moulin 2 ou étude Regulate. Nous avions rencontré la firme lors des auditions de suivi dans le cadre de la pharmacovigilance. Nous avons réclamé cette étude à plusieurs reprises car elle s'avérait très intéressante d'un point de vue cardio-vasculaire. Cette étude était attendue car elle apportait également des données de l'efficacité du benfluorex sur le métabolisme des glucides. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous avons, en juillet 2007, laissé une indication « diabète de type 2 » comme adjuvant et non comme une molécule pleine et entière dans le traitement du diabète de type 2. La firme devait déposer cette étude fin 2007.
M. François Autain, président . - Le principe en avait pourtant été arrêté dès 2001. Pourquoi a-t-il fallu attendre aussi longtemps pour obtenir une étude déterminante puisqu'elle a finalement entraîné le retrait du Mediator ?
Mme Catherine Rey-Quinio . - C'est une excellente question. Une étude sur les effets cardio-vasculaires avait été demandée au niveau européen. Une demande de protocole avait été formulée par la Commission européenne - ce qui est mis en exergue par le rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas).
M. François Autain, président . - Il s'agit de M. Pimpinella.
Mme Catherine Rey-Quinio . - De fait, cette étude n'a pas eu lieu.
M. François Autain, président . - Pourquoi ?
Mme Catherine Rey-Quinio . - Je n'ai pas la réponse.
M. François Autain, président . - D'après vous, qui pourrait nous donner une réponse à cette question ?
Mme Catherine Rey-Quinio . - Je pense que la firme pourrait vous répondre.
M. François Autain, président . - L'Afssaps n'intervenait-elle pas ? Qui pourrait nous répondre à l'Afssaps ?
Cela signifie que c'est la firme qui décidait.
Mme Catherine Rey-Quinio . - La firme peut vous répondre sur le fait qu'elle n'a pas réalisé cette étude. Quant à la question de savoir qui suivait ce dossier, je crois que vous avez auditionné mes collègues de la pharmacovigilance à qui la saisine avait été demandée.
M. François Autain, président . - C'est exact.
Mme Catherine Rey-Quinio . - A l'époque, j'ai reçu le protocole pour avis sur l'aspect des bénéfices en particulier sur les critères d'évaluation retenus dans le protocole de l'étude : est-ce que les critères sont bien définis ? La méthodologie de l'étude est-elle correcte ? La population cible qui allait recevoir le médicament a correspondait-t-elle à la population réelle rencontrée dans la vraie vie ? Nous avons donné un avis interne sur ce protocole. Je ne me suis pas positionnée sur le versant sécurité d'emploi dont est en charge la pharmacovigilance. L'avis émis par notre Unité est ensuite reparti au département de pharmacovigilance puisque la saisine lui avait été adressée. Pour rappel, la saisine initiale de cette étude émanait de l'Europe.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Le département de l'évaluation thérapeutique s'intéressait donc au rapport bénéfices-risques.
Mme Catherine Rey-Quinio . - C'est exact.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Est-ce que vous jugiez douteux le cas de décès de Marseille en 1999 car il avait été précédé d'un infarctus ?
Mme Catherine Rey-Quinio . - Je ne peux pas me positionner sur ce cas pour lequel je n'étais pas moi-même acteur au moment où il a été déclaré. Le département de l'évaluation thérapeutique travaille sur le rapport bénéfices-risques. En revanche, l'analyse fine des risques à partir des cas notifiés de pharmacovigilance relève de la compétence de la pharmacovigilance. Je ne dispose que d'une information a posteriori des conclusions émises sur ce cas.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Nous concevons bien les difficultés inhérentes au cloisonnement des structures. Quelle proposition voudriez-vous formuler au législateur pour améliorer la politique de contrôle du médicament ? Faudrait-il créer une commission indépendante de contrôle, avec une méthodologie plus rigoureuse d'évaluation ?
Mme Catherine Rey-Quinio . - Vous me demandez de faire les Assises du médicament à moi toute seule !
« L'affaire M », comme nous l'appelons ou l'histoire du Mediator est beaucoup plus complexe qu'il n'y paraît. Je l'ai évoquée à M. Etienne Marie lors de mon audition par l'Igas. Il faut se replacer dans le contexte à chaque étape de la vie de ce dossier. Avec le recul je suis peut-être en mesure de formuler des propositions. Je pense que le législateur doit donner aux agences les moyens de leurs politiques de santé.
M. François Autain, président . - Etes-vous d'accord avec cela ?
Mme Catherine Rey-Quinio . - Le travail en interne est toujours effectué avec la même rigueur. Néanmoins les firmes pharmaceutiques n'oeuvrent pas dans un but philanthropique. Chaque demande d'une firme est une véritable « enquête policière ».
La demande d'une firme se traduit généralement par une information scientifique codifiée ensuite dans le résumé des caractéristiques du produit (RCP) : propriétés pharmacologiques, contre-indications et indications nouvelles. Pour chaque demande quelle qu'elle soit, le firme doit apporter un niveau de preuves suffisant. L'enquête que nous menons est toujours une vérification rigoureuse entre la demande de la firme et le niveau de preuves apporté.
Je ne pense pas que l'on puisse dire que le doute bénéficie aux firmes, contrairement à ce que le rapport de l'Igas indique.
M. François Autain, président . - S'agissant de l'enquête « rigoureuse » menée en 1998 - vous étiez alors en charge de l'évaluation de l'efficacité du Mediator - considériez-vous à l'époque ce médicament comme un anorexigène ou comme un antidiabétique ?
Mme Catherine Rey-Quinio . - Je le considérais sur la base des informations dont je disposais, à savoir deux indications : dysfonctionnements métaboliques (dyslipidémie) et adjuvant dans le traitement du diabète chez les patients en surcharge pondérale. Lorsque je suis arrivée à l'Afssaps, cette molécule était sur le marché depuis plus de dix ans. D'éminents pharmacologues avaient alors statué. Je n'avais donc pas remis en question leur évaluation.
M. François Autain, président . - Ce n'est pas tout à fait exact. En 1997, la commission avait examiné et refusé la deuxième indication concernant le diabète. Pourtant ce médicament a toujours vu son indication maintenue dans les RCP.
Mme Catherine Rey-Quinio . - Lorsque j'ai repris le dossier en tant qu'évaluateur en 1998, j'ai demandé un récapitulatif des différentes étapes de ce dossier depuis l'AMM.
M. François Autain, président . - Les événements vous ont-ils parus clairs en 1997 ?
Mme Catherine Rey-Quinio . - Non, j'en ai fait part à ma hiérarchie.
M. François Autain, président . - Alors que la commission avait exclu l'indication diabète, trois mois plus tard c'est exactement l'inverse qui a été notifié au laboratoire. Que s'est-il passé ?
Mme Catherine Rey-Quinio . - Je n'en sais rien.
M. François Autain, président . - Comment voulez-vous que nous puissions connaître la vérité ?!
Mme Catherine Rey-Quinio . - Je comprends votre énervement. Que pourrais-je vous dire pour vous aider ? J'ai initié cet état des lieux. Il s'agit d'un document public.
M. François Autain, président . - Nous l'avons sous les yeux. Cependant nous n'avons pas retrouvé l'ajout manuscrit de mai-juin 1997. A-t-il disparu ?
Mme Catherine Rey-Quinio . - Je ne sais pas.
M. François Autain, président . - Vous savez finalement peu de choses.
Mme Catherine Rey-Quinio . - Dans un tel contexte, ce serait mon devoir de vous en faire part et ce avec plaisir, mais je ne le peux pas.
Je crois que vous avez interrogé avant moi des personnes qui étaient en poste à cette époque-là. Durant cette période, d'autres acteurs étaient en charge de la validation.
J'ai fait cet état des lieux et récupéré le dernier document connu sur cette période de la validation. Quand je suis intervenue fin 1998 sur ce dossier en tant qu'évaluateur, il fallait expertiser l'étude Del Prato. C'est la première fois que je rentrais en action concernant ce produit. Il faut poser les questions aux décideurs de cette époque-là.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Avez-vous été informée des travaux de l'Agence européenne du médicament menés notamment sous l'autorité du professeur Pimpinella ? Quel a été votre avis sur le protocole Pimpinella et Malgarini lorsqu'il a été soumis à votre appréciation, si tel est le cas ?
Mme Catherine Rey-Quinio . - Je n'ai pas été associée à l'expertise du rapport italien. Toutes les données de pharmacovigilance étaient gérées par le département de pharmacovigilance. Je les récupérais a posteriori pour information. J'étais simple évaluateur à l'époque. Peut-être faites-vous allusion à l'étude versus Acarbose qui avait été demandée par l'Europe ?
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Il s'agit bien de cette étude.
Mme Catherine Rey-Quinio . - Le protocole a été adressé par les laboratoires Servier. Nous l'avons lu en interne, la porte d'entrée étant la pharmacovigilance. Je devais donner un avis sur la population cible, les critères d'évaluation (hémoglobine glyquée) etc. Nous avons donné un avis sur l'efficacité de la molécule. C'est de cette étude dont je vous ai parlé précédemment. L'autre versant était géré par la pharmacovigilance. Il me semble qu'ils ont reçu un avis du CRPV de Besançon et d'un méthodologiste en interne sur les autres parties du protocole.
Cette étude était intéressante car elle positionnait cette molécule, indépendamment de l'aspect sécurité d'emploi dans un champ plus proche de la réalité en termes d'efficacité. L'acarbose est un médicament antidiabétique dont l'efficacité n'est pas très importante et à peu près du même ordre.
En revanche, l'étude précédente Del Prato (versus metformine) a apporté des résultats beaucoup moins intéressants en termes d'efficacité puisque la metformine utilisée comme comparateur est bien plus efficace.
M. François Autain, président . - Il n'est pas difficile d'être plus efficace qu'un médicament qui ne sert à rien.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Indirectement, étiez-vous donc favorable au protocole Pimpinella ?
Mme Catherine Rey-Quinio . - Si vous parlez bien du protocole Acarbose, la réponse est oui. A l'époque, l'Afssaps souhaitait repositionner cette molécule dans le traitement du diabète de type 2 car les nouvelles classes thérapeutiques n'existaient pas. Il n'existait que les sulfamides hypoglycémiants, dont les risques sont connus, et la metformine. Le versant échographie de cette étude était également intéressant pour la sécurité d'emploi.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Comment ont été menés les travaux scientifiques qui ont conduit à l'avis favorable rendu en 2006 pour la mise sur le marché de deux génériques ?
Mme Catherine Rey-Quinio . - Pour commercialiser un générique, une firme doit déposer une étude de bioéquivalence.
Le dossier a été réceptionné par le département pharmaceutique. Il a examiné la réalité en termes de niveau de preuves des études soumises pour étayer la demande. La législation ne nous permettait pas de refuser la demande de génériques en termes de recevabilité. Les « génériqueurs » ont été associés et ont participé à toutes les étapes de l'évaluation de la molécule princeps.
Par ailleurs je n'ai eu aucun échange avec M. Le Douarec dans le cadre de ma mission. Je ne le connais pas.
M. François Autain, président . - Il est mort en 2002. Il vous restait quatre ans pour prendre contact avec lui ; c'est peut-être un peu court.
Mme Catherine Rey-Quinio . - Votre troisième question concernait la composition chimique du Mediator. L'ambiguïté sur sa composition ne m'a pas échappé. Nous avons tous vu qu'il existait un métabolite commun. Néanmoins de nombreuses réunions et discussions ont eu lieu avec d'éminents pharmacologues qui ont précédé les années 2000 au sujet de la classification de cette molécule, sa parenté et la cinétique.
Au-delà de sa parenté avec le métabolite, il avait été conclu que les effets de cette molécule étaient différents. Je ne peux pas à ce jour remettre en question ce qui a été décidé avec d'éminents pharmacologues avant mon arrivée à l'Agence.
Je ne suis pas pharmacologue mais médecin généraliste de formation.
Il existe cependant de nombreux exemples dans la pharmacologie de molécules qui sont des « cousins germains » mais dont les propriétés sont différentes. J'en prends pour exemple des molécules apparues récemment (thiazolidinediones). L'Avandia a été retiré du marché pour des problèmes cardio-vasculaires il y a un an et demi, tandis que l'Actos est toujours sur le marché, avec un tropisme différent. Tous deux sont liés à des PPAR (peroxisome proliferator-activated receptors). Leur action pharmacologique se porte sur des récepteurs gamma et alpha différents. Leurs effets peuvent être différents, indépendamment des risques. Je crois que c'est la considération qui a présidé pour le Mediator : les propriétés sont différentes. Les propriétés qui agissent sur le système nerveux central étaient moindres que ce que l'on pouvait observer avec le cousin germain, à savoir les fenfluraminiques.
M. François Autain, président . - L'opinion des pharmacologues concernant ce produit n'a pas été aussi claire que vous voulez bien le dire. En 1995, on a retiré le benfluorex des préparations magistrales car l'on craignait que la suppression des amphétamines n'entraîne un report des prescriptions vers le benfluorex. Cela signifie que l'on soupçonnait le benfluorex d'avoir des vertus anorexigènes. En revanche, le benfluorex n'a pas été retiré des préparations pharmaceutiques, ce qui semble contradictoire.
Nous avons mentionné précédemment le parcours du Mediator entre 1987 et 1997. Ce parcours ne s'arrête pas là puisque l'indication concernant le diabète n'a été actée que le 12 juin 2001. Je pense que vous étiez aux manoeuvres à l'époque puisque vous avez signé les courriers adressés à ce titre aux titulaires de l'AMM. L'avis du groupe de travail, publié à la fin de l'année 2000, a-t-il été acté par une commission d'AMM ?
Mme Catherine Rey-Quinio . - Il a bien été acté par une commission d'AMM.
M. François Autain, président . - A quelle date ? Je ne l'ai pas retrouvée.
Mme Catherine Rey-Quinio . - Votre question avait été posée dans le cadre de la mission de l'Igas. Tous les renseignements nécessaires avaient alors été communiqués. Tous les groupes de travail font l'objet d'une validation par la commission d'AMM.
M. François Autain, président . - Ce groupe de travail avait fait des recherches sur cette indication puisque la commission d'AMM du 6 décembre 1999 avait refusé cette indication. Il s'agissait de trouver un compromis à la suite d'une demande de recours gracieux formée par le laboratoire le 29 juin 2000.
Mme Catherine Rey-Quinio . - Nous avons récupéré ce dossier dans le cadre de la fin de la tranche neuve de validation : l'examen de l'étude Del Prato, qui a été soumise avec un positionnement très précis, à savoir un positionnement dans le diabète de type 2. Pour la première fois, l'indication demandée aurait positionné cette molécule comme antidiabétique oral. Cette extension d'AMM a été refusée dans un premier temps. Cependant l'indication d'adjuvant subsistait ; elle avait été retirée en avril ou mai 1997 avant d'être autorisée de nouveau par le directeur de l'évaluation. Lorsque j'ai récupéré ce dossier, il était clair que les deux indications persistaient.
M. François Autain, président . - En vertu de quelle commission ces deux indications persistaient-elles ?
Mme Catherine Rey-Quinio . - Cette commission précède mon arrivée. Je ne peux donc pas vous répondre.
M. François Autain, président . - Le problème est que cette décision ne résulte pas d'une commission mais d'une décision unilatérale et souveraine de la direction de l'évaluation. Il est pourtant d'usage que l'avis d'une commission soit modifié par une autre commission. Or cette commission n'est mentionnée dans aucun document et nous n'en connaissons pas la date. Vous avez envoyé l'avis au laboratoire le 12 juin 2001.
Mme Catherine Rey-Quinio . - Vous évoquez deux périodes différentes : avant 1998 - au moment où l'indication d'adjuvant a été rétablie - et après 1998. J'ai fait réaliser une traçabilité des différentes étapes de ce dossier. Nous avons tous constaté que l'indication en tant qu'adjuvant dans le diabète de type 2, qui a été de nouveau octroyée fin 1997, existait lorsque nous avons été amenés à nous intéresser à nouveau à cette spécialité dans le courant de l'année 1998. Je ne sais pas comment elle a été validée puisque je n'étais pas en poste à l'époque.
Dans le cadre de l'examen de l'étude Del Prato, tout groupe de travail fait l'objet d'une validation par la commission d'AMM. Si vous n'avez retrouvé ni la date ni le numéro de cette commission, je m'engage à vous les communiquer.
M. François Autain, président . - Je voudrais savoir quelle commission a validé le groupe de travail et vous a permis d'adresser une lettre le 12 juin 2001 aux laboratoires Servier. Les pièces jointes comportent une décision du directeur général de l'Afssaps qui comprend la mention suivante : « vu l'avis de la commission prévue à l'article R. 5140 du code de la santé publique ». Il s'agit donc bien de la commission d'AMM.
Mme Catherine Rey-Quinio . - Il s'agit d'un courrier rédigé par les affaires réglementaires.
M. François Autain, président . - La commission d'AMM s'est donc réunie pour émettre un avis. Ce serait une deuxième violation de la réglementation.
Ce passage du rapport (page 56) ne vous avait-il pas intriguée ? Votre lettre ne fait référence à aucune commission d'AMM. Nous progressons toutefois puisque vous nous dites que vous avez peut-être la réponse. Merci beaucoup.
Vous êtes sollicitée en cas de modifications du RCP. Vous pouvez peut-être nous expliquer le déroulement du processus.
Mme Catherine Rey-Quinio . - Toute demande de modification du RCP déposée à l'Afssaps, est accompagnée d'un argumentaire. Notre travail consiste dans un premier temps à examiner si le niveau de preuve est suffisant pour octroyer telle ou telle modification. Il en va de même si la firme souhaite retirer ou ajouter un effet indésirable. Nous menons vraiment une enquête policière.
M. François Autain, président . - Vous êtes une police sanitaire.
Mme Catherine Rey-Quinio . - Exactement, nous vérifions si l'étude réalisée par la firme est de qualité suffisante d'un point de vue méthodologique et si les résultats sont exploitables. Cela dépend du domaine thérapeutique.
Le processus de décision est collégial. Nous avons recours à des experts externes si nécessaire. Les différents avis sont ensuite discutés au sein d'un groupe de travail. Il existe trois groupes de travail au sein de l'unité dont je m'occupe dont le groupe DEUG qui a en charge le diabète, l'endocrinologie, la gynécologie et l'urologie. Si nécessaire, nous votons. Puis nous rédigeons un avis résumant les débats. Le résumé des caractéristiques du produit (RCP) sert ensuite à la promotion du produit. C'est pourquoi toute demande de modification de l'information scientifique est vérifiée à la loupe. Chaque mot est important.
Lorsque la firme nous envoie des commentaires sur le projet de RCP que nous lui avons communiqué, nous les examinons attentivement, dans le respect de la procédure contradictoire. Nous ne modifions pas spécifiquement les conclusions des groupes de travail ou autres.
M. François Autain, président . - Cela vous arrive quelquefois.
Mme Catherine Rey-Quinio . - Cela se produit en effet parfois. Je ne peux pas cependant modifier les conclusions d'un groupe de travail qui ont été validées en commission d'AMM. Je ne peux pas m'octroyer un rôle qui dépasse mes fonctions.
M. François Autain, président . - Dans les années 2000, vous aviez proposé le RCP suivant : « En cas d'exposition fortuite, il conviendra d'interrompre le traitement [Mediator], dont la prescription du fait des propriétés amphétaminiques est déconseillée au cours de la grossesse » .
Le laboratoire était mécontent puisqu'il contestait la qualification d'amphétaminique ou d'anorexigène. Les Laboratoires Servier ont rédigé le commentaire suivant : « L'allusion à des propriétés amphétaminiques ne se justifie pas. » Il ajoutait que les propriétés n'avaient pas été retrouvées avec le benfluorex et que la classification Anatomical Therapeutic Chemical (ATC) était différente de benfluorex. Enfin, il indiquait que la non-correspondance avec les résultats cliniques pourrait susciter des déviations d'usage.
Qu'avez-vous fait après avoir reçu ces commentaires ?
Mme Catherine Rey-Quinio . - Ce document est reçu par les affaires règlementaires, qui nous font parvenir le document dans un parapheur. Une cellule et un groupe spécifique sont chargés des questions relatives à la toxicité des médicaments pour les femmes enceintes et allaitantes. J'ai moi-même validé ce qui correspondait à ma partie. La personne chargée des questions de grossesse et d'allaitement a reçu cette partie pour validation ou non. Il a vraisemblablement été procédé à une modification.
M. François Autain, président . - C'est une certitude. Qui a procédé à cette modification ?
Mme Catherine Rey-Quinio . - Ce n'est pas moi. Je suis ambidextre mais ce n'est pas mon écriture.
M. François Autain, président . - Vous avez tout de même eu connaissance de cette modification.
Mme Catherine Rey-Quinio . - Je n'en ai eu connaissance qu'une fois que la firme l'a reçue.
M. François Autain, président . - N'en avez-vous pas eu connaissance avant ?
Mme Catherine Rey-Quinio . - De mémoire, je n'ai pas eu connaissance, à ce jour, des éléments qui ont motivé la modification validée par mes collègues.
M. François Autain, président . - Ne l'avez-vous donc pas modifié ?
Mme Catherine Rey-Quinio . - Je n'ai procédé à aucune modification.
M. François Autain, président . - Vous ne vouliez pas modifier le RCP mais cela a quand même été fait.
Mme Catherine Rey-Quinio . - Je n'ai pas donné mon accord pour la modification de la rubrique grossesse.
M. François Autain, président . - Etait-il fréquent que l'on se passe de votre accord pour modifier des RCP ?
Mme Catherine Rey-Quinio . - Je n'étais qu'un maillon de la chaîne, en tant qu'évaluateur.
M. François Autain, président . - Qui avait l'autorité pour modifier le RCP ?
Mme Catherine Rey-Quinio . - Il s'agit de la personne responsable du groupe « grossesse et allaitement », avec l'expert qui a sans doute été mandaté pour moduler ou modifier le libellé.
M. François Autain, président . - Ce groupe avait pourtant été partie prenante dans la rédaction du premier RCP.
Mme Catherine Rey-Quinio . - C'est exact.
Il s'agit toujours de l'évaluateur thérapeutique dont le nom figure dans le courrier adressé par les affaires réglementaires.
M. François Autain, président . - Sous l'influence de la firme, ils ont donc changé d'avis.
Mme Catherine Rey-Quinio . - Peut-être, voyez-le comme cela. Ils ont modulé la rédaction de ce libellé.
M. François Autain, président . - Ils l'ont plus que modulé ; ils l'ont modifié.
Je croyais obtenir une réponse claire. Vos efforts sont cependant louables.
Mme Catherine Rey-Quinio . - J'ai une proposition à vous formuler pour l'amélioration de la politique du contrôle du médicament. Je me retrouve comme vous dans la tourmente. Il s'agit d'une affaire globale dont il ne faudrait pas limiter le champ à la pharmacovigilance. Ce dossier fait appel à plusieurs facettes.
M. François Autain, président . - Le directeur de l'Afssaps l'a pourtant limité à la pharmacovigilance.
Mme Catherine Rey-Quinio . - Je ne crois pas.
M. François Autain, président . - C'est ce qui apparaît du point de vue extérieur.
Mme Catherine Rey-Quinio . - Je crois que des orientations auraient dû être prises. Pour l'avenir, le législateur a son mot à dire. Vous avez d'ailleurs mis l'accent sur le fait que la législation française ne nous permet pas de retirer aussi facilement que nous le voudrions une autorisation d'AMM. M. Autain, vous avez évoqué le manque d'efficacité de telle ou telle molécule. Le Vidal en est rempli.
M. François Autain, président . - D'après le rapport Evin, 50 % des molécules sont inefficaces.
Mme Catherine Rey-Quinio . - Peut-être ; je n'en sais rien. Il est important, pour les acteurs d'une agence où la rigueur est de mise, que vous nous donniez les moyens d'accélérer le dépôt des études que la commission d'AMM a demandées aux firmes. Vous seriez dès lors acteurs à nos côtés pour faire avancer la santé publique au bénéfice du patient et non des firmes.
M. François Autain, président . - Merci madame d'avoir répondu à nos questions.
Audition de M. Jean-Michel ALEXANDRE, professeur de pharmacologie, ancien président de la commission d'autorisation de mise sur le marché (1985-1993), ancien directeur de l'évaluation des médicaments à l'Agence du médicament et à l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (1993-2000), ancien président du comité des médicaments à usage humain au sein de l'Agence européenne du médicament (1995-2000) (mardi 26 avril 2011)
M. François Autain , président . - Nous poursuivons nos auditions avec M. le professeur Jean-Michel Alexandre, professeur de pharmacologie, ancien président de la commission d'autorisation de mise sur le marché (AMM) (1985-1993), ancien directeur de l'évaluation des médicaments à l'Agence du médicament et à l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (1993-2000) et ancien président du comité des médicaments à usage humain au sein de l'Agence européenne du médicament (1995-2000).
Je vous rappelle, monsieur le professeur, que cette audition est ouverte à la presse et fait l'objet d'un enregistrement audiovisuel en vue de sa diffusion sur le site Internet du Sénat et éventuellement sur la chaîne Public Sénat.
En application de l'article L. 4113-13 du code de la santé publique, je vous demande de nous faire connaître, si vous en avez, vos liens avec des entreprises produisant ou exploitant des produits de santé ou des organismes de conseil intervenant sur ces produits.
M. Jean-Michel Alexandre, professeur de pharmacologie . - Ma réponse est très claire : pendant que j'étais en exercice au sein de l'administration, je n'ai eu aucun lien ni aucun émolument de la part de l'industrie. On ne peut pas être d'un côté et de l'autre. Etant dans le service public, il était inconsidéré pour moi d'avoir quelque relation commerciale ou industrielle que ce fût avec les entreprises du médicament.
Lorsque j'ai décidé de quitter l'administration fin 2000, ne pouvant obtenir les moyens qui me paraissaient nécessaires, j'ai envisagé, à la demande de plusieurs industriels, d'exercer une fonction de conseil scientifique. Pour ce faire, j'ai demandé l'autorisation du directeur de l'Agence de l'époque, Philippe Duneton, qui a interrogé la commission de déontologie. L'Agence comportait une cellule de déontologie présidée par un magistrat, M. Lionel Benaïche.
La commission, instituée par l'article 87 de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993, s'est déclarée incompétente car j'exerçais toujours des fonctions hospitalo-universitaires. Une lettre signée par le directeur général, Philippe Duneton, fait le point sur cette situation.
M. François Autain , président . - Pourrez-vous nous remettre cette lettre, monsieur le professeur ?
M. Jean-Michel Alexandre . - Je vous la communiquerai. En voici le contenu : « Je vous prie de trouver ci-joint l'avis rendu par la commission (...) le 7 juin dernier. Cette commission s'est déclarée incompétente pour statuer sur la compatibilité des activités de consultant indépendant projetées, dans la mesure où vous continuez à exercer des fonctions administratives en position d'activité. Il est à souligner que cette instance ne se prononce pas non plus sur la compatibilité des activités privées que des fonctionnaires souhaitent cumuler avec les fonctions administratives qu'ils continuent d'exercer en position d'activité. Je me range à l'avis de cette instance mais estime personnellement souhaitable, compte tenu des éminentes fonctions occupées successivement depuis 1993 à l'Agence du médicament puis à l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps), que vous vous absteniez, pendant une durée de cinq ans à compter du début de votre nouvelle activité, de toute relation professionnelle avec l'Agence. »
M. François Autain , président . - Il s'agissait d'éviter les conflits d'intérêts avec l'Agence.
M. Jean-Michel Alexandre . - Il n'était pas question de consulter qui que ce soit de mon ancienne équipe pour un dossier et a fortiori pour promouvoir les intérêts d'une firme pharmaceutique ou pour défendre un dossier. Je ne l'ai jamais fait, non seulement parce qu'on ne me le demandait pas mais aussi car j'étais consultant scientifique pour les produits en développement. Je rendais un avis aussi indépendant que possible dont les firmes pharmaceutiques faisaient ce qu'elles voulaient. Il ne s'agissait aucunement d'intervenir auprès de tel ou tel expert ou instance pour faire passer un dossier.
J'ai travaillé comme consultant scientifique indépendant en disant ce que j'avais à dire, sans promouvoir ni les intérêts d'une firme, ni un médicament, pour trente à quarante laboratoires dans le monde. D'ailleurs, je pourrais plus facilement citer les firmes pour lesquelles je n'ai pas travaillé que celles sur les dossiers desquelles je me suis penché.
M. François Autain , président . - Je vous remercie d'avoir abordé ce sujet avant même que nous vous posions la question.
Elle me paraît particulièrement importante, notamment au regard de la réglementation européenne. M. Lönngren, que vous connaissez peut-être, l'ancien président de l'EMA, a comme vous quitté ses fonctions et on lui reproche aujourd'hui d'avoir immédiatement travaillé pour l'industrie privée. Cela fait actuellement l'objet d'un contentieux. Je pense qu'il faut examiner ces questions avec beaucoup d'attention.
M. Jean-Michel Alexandre . - Il s'agit de Thomas Lönngren. Il semble que contrairement au règlement intérieur qui prévoyait une période de « sevrage » de deux ans, il est rentré dans une société de consulting, NDA, et il va donc être obligé pour le moins de différer son entrée dans cette société ou dans une autre.
M. François Autain , président . - Je comprends que la commission que vous aviez saisie se soit estimée incompétente. Il me semble que la commission de déontologie aurait été plus à même de répondre à une telle demande. Je ne sais pas si elle existait déjà. Vous ne l'avez pas saisie à l'époque.
M. Jean-Michel Alexandre . - Ce n'est pas moi qui ai saisi la commission mais le directeur de l'Agence, en accord avec le magistrat qui travaillait à l'Agence, à savoir M. Benaïche. Ils ont saisi la commission créée par l'article 87 de la loi de janvier 1993. Je n'ai pas participé à la saisine.
M. François Autain , président . - S'agit-il de la commission de déontologie telle que nous la connaissons aujourd'hui, qui se prononce sur les conflits d'intérêts ?
M. Jean-Michel Alexandre . - Je l'ignore.
M. François Autain , président . - Nous pouvons nous demander pourquoi notre réglementation n'est pas en accord avec la réglementation européenne, qui prévoit un délai de « sevrage » de deux ou trois ans entre le moment où l'on quitte une administration et le moment où l'on reprend des activités de conseil pour l'industrie.
M. Jean-Michel Alexandre . - Cela pouvait me paraître légitime. Cependant je ne suis pas sûr qu'il s'agisse d'un règlement européen. Il s'agit d'un règlement interne à l'Agence. Dans d'autres professions, il est possible de passer librement d'un exercice professionnel dans la fonction publique à des activités privées. C'est quelque chose qui ne me regarde pas.
L'autorisation m'a été donnée sous conditions. J'ai respecté ces conditions et même au-delà puisqu'au cours des dix années qui ont suivi, je ne suis jamais intervenu ni à l'Agence européenne, ni à l'Agence française pour faire passer un dossier, défendre les intérêts d'une firme pharmaceutique ou faire pression. Mon rôle n'était pas de cet ordre.
M. François Autain , président . - Je souhaite aborder vos autres activités dans le privé ; en plus de Jean-Michel Alexandre SARL, il y a Pharnext.
M. Jean-Michel Alexandre . - Un ami m'a demandé de faire partie du conseil de direction de cette société de biotechnologie, en raison de mes connaissances scientifiques. Cette société enregistre des brevets et essaie de développer des molécules sur un concept intéressant.
M. François Autain , président . - Pouvez-vous nous expliquer ce qu'est le drug repositioning ?
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Sur quel concept Pharnext travaille-t-elle ?
M. Jean-Michel Alexandre . - Elle travaille sur le concept de pléothérapie, proposé par le professeur Daniel Cohen qui est l'un des inventeurs de la carte du génome humain. Ce concept consiste à proposer une association de molécules existantes sur le marché, avec des indications très différentes de celles qui sont visées, pour des doses très inférieures, afin d'agir sur des molécules cibles qui interviennent sur les circuits de régulation physiopathologiques. Ceci porte sur différentes maladies à contexte génétique (diabète, maladie d'Alzheimer, etc.). Pour l'instant, les preuves n'existent qu'au plan expérimental, c'est-à-dire sur des animaux, notamment transgéniques et sur des données in vitro . Cette approche apparaît non seulement originale mais aussi très prometteuse.
Je participe au conseil de direction pour apporter mon aide sur le plan scientifique et réglementaire. J'indique la marche à suivre pour proposer un dossier de développement clinique qui puisse être présenté un jour à une commission d'AMM. Je ne touche aucune indemnité à ce titre.
M. François Autain , président . - Est-ce cela le drug repositioning , dont Pharnext passe pour un spécialiste sur Internet ? Il s'agit du développement de traitements innovants à partir de médicament existants, dont la toxicité est déjà connue et tolérable.
M. Jean-Michel Alexandre . - C'est exact, à des doses très faibles et pour des indications différentes, dans la mesure où il existe des preuves expérimentales d'interaction sur des molécules considérées comme essentielles pour la régulation physiopathologique.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Monsieur le professeur, nous intervenons dans le cadre de notre mission de contrôle de la politique que nous mettons en place pour évaluer, à partir de ce dossier du Mediator, la politique du médicament conduite en France et réfléchir à une réforme possible de cette politique. Vous êtes pharmacologue. Comment vous positionnez-vous aujourd'hui dans le débat sur la composition pharmaco-chimique et les effets du Mediator ? Est-ce que les effets du benfluorex sont très différents de ceux des amphétamines, malgré une parenté chimique ? Est-ce que le benfluorex donne naissance ou non à de la fenfluramine ? Les taux de composés circulants sont-ils très différents de ceux de l'Isoméride ?
Jugez-vous que l'indication « diabète » aurait dû être retirée - notamment au regard de l'efficacité du Mediator comme adjuvant au régime du diabète - et si oui, à partir de quelle date ?
M. Jean-Michel Alexandre . - Je souhaite d'abord répondre à la deuxième question. J'ai longtemps réfléchi à ce dysfonctionnement majeur du système de santé. Le produit a été retiré fin 2009. Il est absolument évident qu'il aurait dû être retiré avant.
M. François Autain , président . - A quelle date ?
M. Jean-Michel Alexandre . - Je vais essayer de vous le dire et de vous donner les raisons de mon point de vue. Je me suis longuement interrogé, pouvant porter personnellement une responsabilité puisque j'étais en place jusqu'à fin 2000. Il convient de distinguer deux périodes : de 1993 à la fin de l'année 2000 et une deuxième période au cours de laquelle les événements indésirables se sont accélérés. En 1999, nous n'avions répertorié qu'une valvulopathie et une hypertension artérielle pulmonaire. Néanmoins, en 2007 les hypertensions artérielles pulmonaires primitives en monothérapie étaient au nombre de trois et les valvulopathies au nombre de dix. Il y en avait trente en mai 2009. Il est plus aisé de répondre sur la deuxième partie, en prenant en compte, d'une part, la nocivité, d'autre part, l'efficacité thérapeutique. On entend beaucoup de choses à partir du rapport de l'Igas. On parle de connivence. On suggère la concussion, la compromission, on parle non seulement de connivence mais de complaisance. De mon point de vue, le produit aurait dû être retiré en 2007. Il aurait pu être retiré en 2005. Le problème aurait dû être évoqué en 2003.
Pour porter un jugement, il faut se souvenir de deux choses. D'une part, la responsabilité des instances d'évaluation, c'est-à-dire des experts, qui sont essentiellement la commission nationale de pharmacovigilance avec son comité technique et la commission d'AMM. D'autre part, il existe bien entendu une responsabilité de l'administration. Les rôles sont différents : l'évaluation est réalisée par l'expertise externe. Les avis sont donnés au directeur général qui est censé les suivre, sauf exception. L'administration n'est pas chargée d'évaluer les dossiers mais de servir de secrétariat, d'intendance, et de programmer le passage en séance des dossiers, prévoir un ordre du jour, veiller à la bonne tenue des réunions, faire un compte rendu, préparer les décisions pour le directeur général, veiller à ce que les études recommandées ou promises soient menées, convoquer s'il en est besoin des comités d'experts, autrement dit faciliter le travail. L'évaluation est donc réalisée non par l'administration mais par les instances d'évaluation.
M. François Autain , président . - Vous voulez dire la direction de l'évaluation.
M. Jean-Michel Alexandre . - C'est exact. Le système français est basé sur l'expertise externe. C'est très différent de ce qui se passe par exemple aux Etats-Unis où le système est à la fois celui de l'expertise externe avec les « advisory board » et où l'administration a un rôle déterminant dans l'évaluation du médicament.
En France, pour suspendre ou révoquer une AMM, l'article L. 5121-8 et l'arrêté R. 5121-42 du code de la santé publique prévoient très clairement les conditions nécessaires : une nocivité dans les conditions normales d'utilisation ou une efficacité non démontrée ou insuffisante au regard des effets indésirables. Dans ce contexte, ce n'est pas un raisonnement pharmacologique qui peut entraîner une suspension ou un retrait d'AMM. Il faut des faits bien concrets attestant les deux conditions susmentionnées.
En 2007, trois cas d'hypertension pulmonaire sont déclarés mais l'on considère qu'ils ne constituent pas un signal significatif de toxicité. Dix valvulopathies sont déclarées, dont deux valvulopathies pathognomoniques, c'est-à-dire portant la signature d'une atteinte par les fenfluramines. La première observation publiée par l'école de Toulouse date de 2006. L'école de Toulouse disposait des pièces anatomiques indiquant une atteinte fenfluraminique aux plans anatomique et histologique. Il s'agissait d'une véritable signature. En 2003, une observation espagnole attestait de cet aspect propre à l'Isoméride et au Pondéral. Cette publication ne signalait cependant pas si les patients avaient reçu de l'Isoméride ou du Pondéral.
La commission n'a toutefois pas conclu formellement. Elle a seulement fait état de ce que les indications, notamment celle du diabète, étaient peu claires et non conformes aux données disponibles. Elle conclut qu'il faut tenir compte de l'analogie structurale avec la fenfluramine de la formation de norfenfluramine, des effets neuropsychiatriques et de la survenue de valvulopathies et d'hypertensions artérielles pulmonaires de même nature qualitative que les effets indésirables qui avaient entraîné la suspension des autorisations d'AMM de l'Isoméride et du Pondéral.
Certains membres de la commission ont fait savoir qu'à titre personnel, ils estimaient que le rapport bénéfices-risques était négatif. Il s'agit de la commission nationale de pharmacovigilance du 27 mars 2007. C'était assez clair. Nous pouvons regretter que cette instance n'ait pas recommandé la suspension ou le retrait.
Le 5 avril 2007, la commission d'AMM, saisie des problèmes de pharmacovigilance et de l'éventualité d'une revue des indications, supprime l'indication portant sur les hypertriglycéridémies mais estime, d'une façon extravagante, qu'il n'existe aucun motif de santé publique à ne pas maintenir l'indication dans le diabète. Or, cette indication n'était qu'un minimum ; elle ne correspondait pas aux indications reconnues à travers le monde que sont le traitement du diabète en association à un régime adapté. Cette indication était libellée ainsi : « traitement adjuvant du régime ».
M. François Autain , président . - Pensez-vous qu'à ce moment-là, la commission aurait dû retirer le produit du marché ?
M. Jean-Michel Alexandre . - Oui. Plus encore, l'administration n'a pas essayé de savoir où était la vérité. Elle n'a pas essayé de concilier les positions des deux commissions.
M. François Autain , président . - Lorsque vous parlez de l'administration, faites-vous référence au directeur général de l'Afssaps ou au directeur de l'évaluation ? Vous avez distingué tout à l'heure le rôle de l'administration et celui de l'évaluation.
M. Jean-Michel Alexandre . - Je pense, à partir du rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas), que le directeur général était parfaitement informé de cette discordance - il faut cependant le vérifier - et qu'il aurait dû en prendre la responsabilité.
M. François Autain , président . - Le directeur de l'évaluation n'avait donc aucun rôle à jouer en l'occurrence.
M. Jean-Michel Alexandre . - En l'occurrence, on ne peut pas laisser deux commissions dire le contraire l'une de l'autre. Qui plus est, on essaie de connaître la vérité. Il n'a été procédé à aucun effort d'éclaircissement et l'administration a pris les avis de la commission d'AMM en disant qu'il n'y avait aucun motif de santé publique remettant en cause l'indication dans le diabète. Pourtant, lors de cette évaluation, l'efficacité du médicament n'était pas prouvée.
Par conséquent, il apparaît très clairement que la commission nationale de pharmacovigilance n'a pas été capable d'élaborer une conclusion définitive. La commission d'AMM n'a pas été capable de prendre en compte les risques. L'administration n'a pas joué son rôle. De mon point de vue, il existe des responsabilités très claires, à la fois de la part des instances d'évaluation et de l'administration.
M. François Autain , président . - Le directeur général a d'ailleurs démissionné. Il en a tiré les conséquences.
M. Jean-Michel Alexandre . - C'était en 2007. La situation était assez convaincante.
Il est à noter qu'en juillet 2009, compte tenu des trente valvulopathies connues, la commission considère qu'il existe un signal qu'il convient d'explorer. Elle se place donc en retrait par rapport à sa position de 2007. Cela montre très clairement que les structures de pharmacovigilance n'ont ni la responsabilité ni la compétence d'évaluer et de gérer les risques afférents aux effets indésirables. Selon le code de la santé publique, la pharmacovigilance consiste en la surveillance des risques d'effets indésirables. Il ne s'agit pas de risques liés aux effets indésirables mais de risques de survenue des effets indésirables. On analyse le risque et l'imputabilité et on en tire les conséquences que l'on peut. Il n'est nullement prévu que la pharmacovigilance analyse et gère des risques pathogènes et prenne en compte le bénéfice. Ceci semble tacitement réservé à la commission d'AMM.
En 2005, le produit aurait pu être retiré. Deux cas d'hypertension artérielle pulmonaire et cinq cas de valvulopathies, dont les valvulopathies gnomoniques espagnoles, avaient été signalés. La commission a conclu qu'il n'existait pas de signal significatif de toxicité. Elle est donc passée à côté. Elle a demandé une réévaluation du rapport bénéfices-risques, qui n'a eu lieu qu'un an et demi après les résultats que nous venons d'évoquer. Si la réévaluation avait été faite immédiatement et correctement, elle aurait pu aboutir à une remise en cause du rapport bénéfices-risques. L'enquête de pharmacovigilance a tout de même été étendue aux hypertensions artérielles pulmonaires. Il était prévu d'interroger les dix-sept centres régionaux de pharmacovigilance pour examiner si d'autres cas pouvaient être reliés à la prise de Mediator. Je ne sais pas si cette enquête a eu lieu.
M. François Autain , président . - Monsieur le professeur, tout ce que vous nous indiquez est intéressant mais nous aimerions que vous évoquiez la période à laquelle vous étiez en fonction. Nous considérons comme vous que ce produit aurait dû être retiré au moins en 2005 mais pensons qu'il aurait pu être retiré avant, à la période durant laquelle vous étiez en fonction.
M. Jean-Michel Alexandre . - J'y viens. Au vu des dommages subis par les malades et les familles, je me suis posé la question. Je vais essayer de vous donner les fruits de mes réflexions en me fondant sur des faits et sur des raisonnements et pas sur des jugements totalement subjectifs. En 2003, la suspension aurait dû ou pu être évoquée car il y a eu l'observation espagnole. Les Espagnols et les Italiens avaient retiré l'AMM. Je crois que les responsables de la pharmacovigilance n'ont pas été au courant de ces événements.
M. François Autain , président . - C'est une certitude. Cette période montre très clairement les déficiences des deux systèmes d'évaluation - commissions d'AMM et de pharmacovigilance - et le rôle que l'administration n'a pas tenu. Cela n'exonère pas les responsabilités dans une période antérieure.
Le rapport de l'Igas fait état de deux opportunités pour suspendre ou retirer l'AMM : la première en 1995 et la deuxième en 1999.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - En 1995, le benfluorex est interdit dans les préparations magistrales.
M. Jean-Michel Alexandre . - J'y viens.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Une telle décision n'a d'ailleurs pas été prise en Italie.
M. Jean-Michel Alexandre . - L'Italie a retiré le produit en 2003. L'Espagne a retiré le benfluorex en 2003 ou 2004 sans l'interdire dans les préparations magistrales.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - C'est exactement ce que je voulais dire ; c'est l'inverse de ce qui a été décidé en France.
M. François Autain , président . - J'aurais préféré cette solution pour la France.
M. Jean-Michel Alexandre . - L'Igas nous reproche le fait qu'on ait ignoré que le Mediator était un anorexigène. Si on l'avait su, cela aurait permis d'écarter cette spécialité dès 1995.
M. François Autain , président . - Vous maintenez qu'on ne savait pas que c'était un anorexigène ?
M. Jean-Michel Alexandre . - J'y viens. Je recense les reproches faits par l'Igas qui indique que si l'on avait su que le Mediator était un anorexigène, on aurait pu écarter cette spécialité, c'est-à-dire suspendre l'AMM. Enfin, le rapport de l'Igas met en exergue un manque de raisonnement pharmacologique, ce qui est une attaque personnelle à mon encontre.
Le produit était-il un anorexigène ? Chez le rat, à partir de certaines doses, il est incontestable que ce produit est un anorexigène. Aucun élément ne le démontre néanmoins chez l'homme. La petite perte de poids observée n'est en rien comparable à celle de la fenfluramine. Les études Moulin, certes contestables, montrent un effet antidiabétique d'amplitude semblable à celle des nouvelles classes d'antidiabétiques et ceci indépendamment de la perte de poids.
M. Gilbert Barbier . - Ce produit était-il considéré comme un dérivé amphétaminique dès sa mise sur le marché ?
M. Jean-Michel Alexandre . - Il s'agissait bien plus que d'un amphétaminique. C'était un fenfluraminique.
Le Pondéral et l'Isoméride étaient des fenfluramines ayant un métabolique toxique (la norfenfluramine). Le benfluorex avait ces deux propriétés communes.
M. Gilbert Barbier . - Pourquoi cela n'a-t-il pas été considéré comme tel ?
M. Jean-Michel Alexandre . - Cela a été considéré comme tel dès le début.
Le rapport de l'Igas soutient que le Mediator est un anorexigène, en particulier à cause de ses propriétés à certaines doses chez l'animal. L'Igas affirme sans preuve, sans rigueur scientifique, que la norfenfluramine est le seul métabolite actif.
M. François Autain , président . - C'est le professeur Lechat, directeur de l'évaluation à l'Afssaps qui le souligne et non les rapporteurs de l'Igas. Son étude a été faite à leur demande et eux-mêmes ne se seraient pas permis d'avoir une opinion personnelle.
M. Jean-Michel Alexandre . - Ces propos ont été repris par l'Igas. Elle conclut au fait que deux autres métabolites ne peuvent pas avoir d'activité car leurs concentrations plasmatiques sont faibles. Or c'est oublier que ces métabolites sont censés être actifs sur le foie. Les concentrations plasmatiques ne reflètent nullement ce qui peut se passer dans le foie.
M. François Autain , président . - Vous contestez ainsi l'analyse faite par le professeur Lechat.
M. Jean-Michel Alexandre . - Je conteste en partie l'analyse faite par le professeur Lechat. Il dit bien qu'il existe des propriétés sur les triglycérides de même type que les clofibrates, ainsi que des propriétés antidiabétiques. Ses conclusions sont beaucoup moins nuancées sur ce point. J'affirme que scientifiquement, il n'est pas possible d'exclure d'un trait de plume le fait que ces métabolites puissent être actifs.
Je regrette que l'Igas n'ait pas interrogé le laboratoire car il aurait pu apporter des précisions sur ce point particulier.
M. François Autain , président . - Nous l'avons fait. Il dit effectivement absolument l'inverse.
M. Jean-Michel Alexandre . - Les seules données dont nous disposons chez l'homme sont celles d'un antidiabétique et non d'un anorexigène.
M. François Autain , président . - Sur quoi vous basez-vous pour conclure qu'il s'agissait d'un antidiabétique ?
M. Jean-Michel Alexandre . - L'étude Moulin montre une chute de l'hémoglobine glyquée.
M. François Autain , président . - Cette étude n'a pas été retenue par les instances pour des raisons méthodologiques.
M. Jean-Michel Alexandre . - Ces données existent alors que toute l'argumentation de l'Igas, à partir du rapport de M. Lechat, est purement théorique et ne prend pas en compte les données existantes qui ne permettent pas de conclure à l'existence d'un effet anorexigène.
Par ailleurs, nous pouvons nous interroger sur le rôle des métabolites, qui n'existent pas avec la fenfluramine - à savoir le S422 et le S1475.
M. François Autain , président . - Dès lors, pourquoi avez-vous retiré le benfluorex des préparations magistrales alors ce n'était pas un anorexigène ?
M. Jean-Michel Alexandre . - Si l'on avait su qu'il s'agissait d'un anorexigène, nous n'aurions pas retiré le produit car il ne s'agit ni d'une condition nécessaire, ni d'une condition suffisante. Nécessaire, car il existe deux types d'anorexigènes : amphétaminiques et fenfluraminiques. D'autres substances, notamment les dérivés de l'ergot, entraînent des lésions valvulaires du type de celles des fenfluramines. Suffisante car il n'est pas prouvé que les amphétaminiques déterminent les hypertensions artérielles pulmonaires et les valvulopathies.
M. François Autain , président . - Pourtant...
M. Jean-Michel Alexandre . - Lorsqu'en 1999, le comité des spécialités pharmaceutiques s'est prononcé pour la suspension de l'ensemble des anorexigènes, c'est-à-dire les spécialités recommandées dans le traitement de l'obésité, des fenfluraminiques qui comportaient des effets indésirables de type hypertension artérielle pulmonaire et valvulopathie aux amphétaminiques qui manquaient d'effets thérapeutiques prolongés sur l'obésité. L'un de ces amphétaminiques, la phentermine, qui a été retirée en Europe, est toujours utilisée en Nouvelle-Zélande, en Australie et même aux Etats-Unis.
Nous entendons beaucoup parler d'une nouvelle spécialité proposée dans le traitement de l'obésité : Nesca. Cette spécialité consiste en une association de topiramate - qui est un antiépileptique, ce qui montre bien qu'un médicament peut avoir différents effets pharmacologiques - et de phentermine. La Food and Drug Administration (FDA) a pour l'instant refusé cette spécialité, non à cause de la présence de phentermine mais parce que le topiramate provoque des malformations congénitales, notamment des atteintes de la voûte palatine. Il n'est en aucune façon question d'hypertension artérielle pulmonaire ou de valvulopathie.
Le fait de savoir que le Mediator était un anorexigène n'était ni une condition nécessaire ni une condition suffisante pour envisager le retrait.
En 1995, on me dit que nous avons retiré l'ensemble des anorexigènes ou restreint de façon drastique leur utilisation, de telle manière que leur chiffre de ventes s'est effondré. Si le benfluorex était un anorexigène, celui-ci aurait dû être soumis aux mêmes règles. C'est oublier que les règles de restriction d'utilisation appliquées en 1995 portaient sur des spécialités pharmaceutiques dont l'indication était la perte de poids, pour lesquelles des effets indésirables avaient été rapportés au cours de la notification spontanée à la pharmacovigilance et/ou observées dans le cadre de l'étude International Primary Pulmonary Hypertension Study (IPPHS). Des données montraient ou laissaient supposer une certaine nocivité d'emploi. Aucun effet indésirable de type valvulopathie et de type hypertension artérielle pulmonaire n'était mentionné pour le benfluorex.
M. François Autain , président . - En 1994...
M. Jean-Michel Alexandre . - Nous ne pouvions pas, quand bien même nous l'aurions souhaité en considérant que le produit était un anorexigène, le retirer du marché. C'est l'analyse que j'ai faite a posteriori . Je pense que c'est celle qui a été faite par l'instance de pharmacovigilance dont c'est le rôle, avec la responsabilité pour l'administration de vérifier le bien-fondé de l'analyse.
S'agissant des préparations magistrales, il n'était pas possible de restreindre l'utilisation de la spécialité pour les raisons que j'ai précédemment indiquées. Fallait-il pour autant croiser les bras ? C'était un dérivé de l'amphétamine et de la fenfluramine. On a su plus tard qu'il existait un métabolite commun et qu'il y avait une interrogation sur le potentiel anorexigène. Il existait dès lors un risque de dérive d'utilisation lorsque nous avions restreint l'usage des anorexigènes. La seule façon de limiter les risques était de s'attaquer aux préparations magistrales.
M. François Autain , président . - Pourquoi ne pas s'attaquer aux préparations pharmaceutiques également ?
M. Jean-Michel Alexandre . - Nous ne le pouvions pas.
M. François Autain , président . - Pourquoi ?
M. Jean-Michel Alexandre . - J'ai essayé de vous l'expliquer. Il n'y avait pas d'effets indésirables pouvant motiver une restriction d'utilisation du Mediator.
M. François Autain , président . - Il n'existait pas non plus d'effets indésirables pour les préparations magistrales.
M. Jean-Michel Alexandre . - Non mais il pouvait y avoir une dérive d'utilisation.
M. François Autain , président . - Pour les préparations pharmaceutiques également. Je ne comprends pas pourquoi vous ne les avez pas supprimées. Je ne comprends pas cette incohérence entre préparations magistrales et pharmaceutiques.
M. Jean-Michel Alexandre . - On appelle spécialités pharmaceutiques les médicaments préparés à l'avance. Il n'y a pas d'incohérence. La commission de pharmacovigilance a pris très probablement en compte le fait qu'en l'absence d'effets indésirables au sens du code de la santé publique, on ne pouvait ni suspendre le benfluorex ni en restreindre l'utilisation. En 1995, nous ne pouvions pas nous attaquer aux spécialités pharmaceutiques, c'est-à-dire au médicament spécialisé sous le nom de Mediator. En revanche, dans la mesure où il existait une interrogation sur la potentialité anorexigène, il pouvait y avoir un report de prescription sur des préparations magistrales.
M. François Autain , président . - Ce report de prescription ne pouvait-il pas s'opérer sur les préparations pharmaceutiques ?
M. Jean-Michel Alexandre . - Il pouvait exister un report sur les spécialités pharmaceutiques mais nous pouvions contrôler ou suivre les prescriptions et les délivrances. La même chose a d'ailleurs été faite en 2006 pour les hormones thyroïdiennes. Elles avaient été interdites des préparations magistrales alors qu'elles étaient maintenues en spécialités pharmaceutiques afin d'éviter le report ou l'utilisation incontrôlée en préparations magistrales.
M. François Autain , président . - Restons en 1995. Vous dites que vous n'avez pas retiré le Mediator car vous aviez un contrôle sur le mésusage, que vous ne pouviez pas avoir avec les préparations magistrales. Permettez-nous d'être quelque peu sceptiques quand on connaît le sort qui a été réservé à la lettre adressée à la direction générale de l'Afssaps par les médecins-conseil de l'assurance maladie, qui alertait sur ce point la direction générale de la santé.
M. Jean-Michel Alexandre . - Si vous le voulez bien, je traiterai cette question à part. Je voudrais terminer mon propos sur les préparations magistrales qui résulte d'une recommandation de la commission de pharmacovigilance de juin 1995. Le problème a été traité directement par le directeur de l'Agence, Didier Tabuteau. Nous avons la chance d'avoir un directeur très versé dans les affaires de pharmacovigilance. Il a d'ailleurs écrit un livre qui traite du principe de précaution et de l'histoire de la fin des coupe-faim. Il s'honore de l'action qui a été menée. Il est certain que le directeur général n'a agi qu'en fonction des données qui lui avaient été transmises par la pharmacovigilance, en lui expliquant qu'à ses yeux le produit ne pouvait être taxé d'anorexigène. Il n'existait pas d'effets indésirables qui permettaient de restreindre l'utilisation...
M. François Autain , président . - Il existait un doute quant à la dimension anorexigène du produit.
M. Jean-Michel Alexandre . - Je vais vous dire les mesures qui ont été prises. Il y a une note transparente à cet égard, de Didier Tabuteau à la direction générale de la santé, faite sur la recommandation de la commission nationale de pharmacovigilance pour éviter le report d'un produit qui avait comme indication le traitement du diabète et des hypertriglycéridémies.
M. François Autain , président . - Je ne comprends pas que vous ayez accepté le report de prescription en ce qui concerne le Mediator.
M. Jean-Michel Alexandre . - Il n'a pas été accepté ; il a été suivi.
M. François Autain , président . - Comment a-t-il été suivi ?
M. Jean-Michel Alexandre . - Je souhaite terminer le raisonnement pharmacologique et les mesures qui ont été prises.
Nous ne pouvions pas conclure que le benfluorex était un anorexigène chez l'homme. La seule mesure qui pouvait être prise était l'interdiction du principe actif dans les préparations magistrales pour éviter le report. En raison de l'existence d'un risque, le produit a été mis sous surveillance. Une enquête officieuse a ainsi été menée en 1995, avant de devenir officielle en 1998. Le problème a été porté à l'Europe par l'Italie, le professeur Garattini s'est demandé si l'on pouvait inscrire le benfluorex sur la liste des médicaments anorexigènes. Le comité a répondu par la négative pour différentes raisons. Le groupe de travail de pharmacovigilance a préconisé, en fonction de ses conclusions sur l'absence de neurotoxicité et de cardiotoxicité, une modification du résumé des caractéristiques du produit (RCP).
M. François Autain , président . - A quelle date ?
M. Jean-Michel Alexandre . - Cette préconisation a été formulée en 1998-1999.
Un fait très important est qu'une étude vérifiant les propriétés pharmacologiques, pharmacocinétiques et thérapeutiques du produit ainsi que comportant des examens écho-cardiographiques tous les six mois a été demandée. Le protocole a été accepté par la firme.
M. François Autain , président . - Parlez-vous des études Regulate ?
M. Jean-Michel Alexandre . - Oui, nous étions en 2001. L'étude aurait normalement dû être réalisée dans les deux ou trois ans. Nous aurions dû connaître les résultats en 2004 ou 2005. La firme ne l'a pas fait. Je ne sais pas si l'administration a correctement effectué le suivi de cette étude. Le laboratoire a réalisé une autre étude sur les propriétés antidiabétiques comparées à un placebo. Le suivi pharmacologique était basé essentiellement sur le fait que c'était une fenfluramine - laquelle provoque des valvulopathies etc. - et sur le fait qu'il existait un métabolite commun (la norfenfluramine), que le produit était suspect selon nos collègues italiens. Nous ne pouvions pas conclure à un risque neurotoxique et cardiotoxique en 1999. Il existait un doute pour lequel il convenait d'effectuer un suivi et de mener une étude.
Lorsque l'Igas indique que le raisonnement pharmacologique a manqué, qu'il aurait permis de retirer du marché le produit en 1995, je considère qu'il s'agit là d'une erreur d'interprétation.
M. François Autain , président . - Vous m'avez dit que vous n'aviez pas retiré le Mediator car vous aviez la certitude de pouvoir contrôler les éventuels mésusages. Pouvez-vous revenir sur ce que vous avez dit à ce sujet ?
M. Jean-Michel Alexandre . - Voici la note de M. Tabuteau : « Suite à l'avis de la commission nationale de pharmacovigilance en date du 19 juin 1995, je confirme qu'il me paraît nécessaire que les principes actifs figurant dans le groupe 3 du décret (...) de 1982 fassent l'objet d'un arrêt d'interdiction d'utilisation dans les préparations magistrales. Parmi les produits, deux sont exploités dont le Mediator, afin de permettre une identification rapide d'un éventuel report de prescription. »
Lorsque l'Igas indique que la direction de l'évaluation et l'Agence ignoraient que parmi les produits interdits des préparations magistrales figurait le benfluorex, c'est-à-dire le seul produit pour lequel il existait une spécialité pharmaceutique, c'est évidemment faux. La preuve en est dans cette note de M. Tabuteau.
M. François Autain , président . - Nous avons cette note mais elle ne figure pas parmi les annexes du rapport. Pourquoi ? Lorsque nous avons auditionné M. Tabuteau, il n'avait pas connaissance de cette note et nous a affirmé qu'il n'avait pas connaissance de l'identité exacte du Mediator. Il ne savait pas que le Mediator était le benfluorex.
M. Jean-Michel Alexandre . - Il est très clair que ce n'est pas sa faute mais celle des autres.
M. François Autain , président . - J'essaie de comprendre ; je n'accuse personne.
M. Jean-Michel Alexandre . - Moi non plus.
M. François Autain , président . - Je le répète : j'ai beaucoup de mal à comprendre pourquoi vous avez supprimé le benfluorex dans les préparations magistrales et ne l'avez pas fait pour les spécialités pharmaceutiques.
M. Jean-Michel Alexandre . - Nous ne pouvions rien faire d'autre. Cela ne veut pas dire que l'on contrôlait parfaitement l'utilisation des spécialités pharmaceutiques mais que nous étions mieux placés pour le faire.
M. François Autain , président . - Le directeur général aurait pu retirer du marché le benfluorex ou Mediator en 2007. Vous êtes bien d'accord sur le fait qu'il n'a pas fait son travail.
M. Jean-Michel Alexandre . - Oui.
M. François Autain , président . - Nous pouvons très bien estimer que vous n'avez pas fait le vôtre en 1995 en ne supprimant pas le benfluorex des spécialités pharmaceutiques !
M. Jean-Michel Alexandre . - Nous nous sommes tous posé la question. Pourquoi l'examen du benfluorex a-t-il eu lieu ? L'analogie structurale était telle que nous devions nous poser la question. Si nous avions eu des doutes sérieux et des données concrètes, nous aurions limité l'utilisation de la spécialité pharmaceutique, Mediator. Cela étant impossible...
M. François Autain , président . - Vous ne dites pas que c'était impossible. Le cinquième alinéa indique : « Ces deux spécialités font l'objet d'une surveillance de leur sécurité d'emploi par les autres centres de pharmacovigilance et les centres d'évaluation » ; « L'Agence du médicament suit également avec précision le volume des ventes de ces spécialités et pourrait ainsi prendre sans délai les mesures nécessaires en cas de report de prescription. »
Or, vous n'avez absolument pas tenu ces promesses puisque lorsque les médecins de l'assurance maladie ont adressé ce courrier au directeur de l'Agence, Jean-René Brunetière, aucune réponse n'a été apportée. Vous n'avez absolument pas suivi les conditions dans lesquelles était prescrit ce médicament.
M. Jean-Michel Alexandre . - Je vais y venir.
M. François Autain , président . - Je vous écoute.
M. Jean-Michel Alexandre . - En 1999, une hypertension artérielle pulmonaire et une valvulopathie ont été signalées. Pour l'Igas nous avons manqué une opportunité de suspendre ou de retirer le médicament du marché. Or, il existait théoriquement deux raisons d'envisager une suspension ou un retrait en 1999 : le fait que l'ensemble des anorexigènes aient fait l'objet d'une recommandation de suspension par l'Europe et l'existence même de ces deux effets indésirables. L'avis européen ne portait que sur les fenfluramines pour lesquelles il existait des effets indésirables. Au début de l'année 1999, aucun effet indésirable n'avait été relevé pour le benfluorex.
M. François Autain , président . - Cela commençait en 1999.
M. Jean-Michel Alexandre . - Cela ne pouvait pas encore être pris en compte dans l'avis européen.
M. François Autain , président . - Il est vrai.
M. Jean-Michel Alexandre . - Le groupe de travail de pharmacovigilance a déclaré qu'il n'y avait aucune préoccupation majeure de santé publique pour le risque neurotoxique et cardiotoxique. Les amphétamines manquent d'efficacité à long terme. Tel ne pouvait pas être le cas pour le benfluorex qui ne comportait pas l'indication de traitement de l'obésité.
La valvulopathie, déclarée par le docteur Chiche à Marseille, a été considérée comme plausible. Nous ne pouvions pas retirer un médicament sur un seul cas. Nulle part dans le monde il n'a été procédé au retrait. L'observation de l'Igas sur un retrait dès cette époque est donc peu réaliste, d'autant plus que la valvulopathie pouvait être liée à d'autres causes que le produit. Il en va de même pour l'hypertension artérielle pulmonaire : c'était le premier cas après vingt-trois ans de commercialisation. Vingt-cinq millions de mois de traitement soit deux millions de malades traités pendant un an. C'était donc la moitié d'un cas par million de malades traités pendant un an. Il faut tenir compte de la sous-notification mais nous ne pouvions pas du tout affirmer de relation, d'autant plus que l'imputabilité avait été déclarée douteuse. L'équipe de Mme Frachon a publié un article en 2009 ou 2010 portant sur cinq cas d'hypertension artérielle pulmonaire. Aucune relation de cause à effet n'avait alors été établie. « Des études bien programmées sont nécessaires pour explorer davantage l'impact cardio-vasculaire du benfluorex. »
La commission nationale de pharmacovigilance n'a pas donné l'alerte en 1999, pour les raisons que j'ai essayé de commenter. Encore une fois, il n'appartenait pas à l'administration de donner l'alerte. Elle n'a pas du tout envisagé de suspendre ou de retirer le médicament en 1999.
Je suis d'accord sur la première partie du rapport de l'Igas selon laquelle la commission de pharmacovigilance ne gère pas convenablement les risques, par défaut de formation, d'habitude et parce que les textes ne le précisent pas. Je suis également d'accord sur le fait que la commission d'AMM n'évalue pas correctement le rapport bénéfices-risques. Cependant, je récuse formellement le rapport de l'Igas quant à ses conclusions à charge et totalement orientées sur la période 1995-2000, en raison de ses omissions, de ses erreurs factuelles sur des bases de jugement totalement critiquables, portant sur des interprétations entièrement erronées et abusives.
Il eût été important de rappeler le rôle de l'administration et des instances d'évaluation afin de ne pas confondre les responsabilités, en se référant au code de la santé publique. Les conditions de suspension ou de retrait d'une AMM ne sont pas basées sur un raisonnement pharmacologique juste ou erroné, mais sur l'existence de données mettant en cause la sécurité d'emploi dans les conditions normales d'utilisation et/ou une efficacité insuffisante. Cela n'a pas été dit ! Les données qui auraient pu justifier une suspension ou un retrait du marché n'étaient pas présentes. Des erreurs factuelles. Le rapport indique que j'ai mené la validation d'un point à l'autre, ce qui est faux : je l'ai menée en tant que président de la commission d'AMM jusqu'en 1993, date à laquelle je suis entré dans l'administration. C'est le président suivant de la commission d'AMM qui a poursuivi ce travail de validation.
Autre erreur en affirmant que l'on ignorait que le benfluorex était le seul médicament dans la liste de ceux interdits des préparations magistrales faisant l'objet d'une spécialité pharmaceutique. La note de M. Didier Tabuteau est très claire à cet égard. Il savait très bien que le benfluorex faisait l'objet d'une spécialité pharmaceutique : le Mediator.
M. François Autain , président . - Nous l'avons auditionné. Il nous a indiqué qu'il ne savait pas.
M. Jean-Michel Alexandre . - Il signe pourtant les papiers que présente la commission nationale de pharmacovigilance.
Il m'a interrogé sur le point de savoir si le Mediator était un anorexigène ou non. J'ai répondu qu'à mon sens, je n'avais aucune donnée montrant qu'il s'agissait d'un anorexigène et que les molécules au plan de l'efficacité et du profil de sécurité fenfluramine et benfluorex semblaient différentes. Elles le sont.
M. François Autain , président . - Dès lors que l'Isoméride a été retiré du marché, comment expliquez-vous l'augmentation de la consommation de benfluorex dans des proportions très importantes ?
M. Jean-Michel Alexandre . - J'y viendrai.
M. François Autain , président . - Pourquoi ne répondez-vous pas maintenant ?
M. Jean-Michel Alexandre . - Laissez-moi terminer. Je récuse la forme et les conclusions du rapport de l'Igas.
M. François Autain , président . - C'est votre droit mais c'est aussi le droit du président de vous demander quelques explications supplémentaires !
M. Jean-Michel Alexandre . - Je vous les donnerai ensuite si vous le voulez bien.
Le rapport de l'Igas est rédigé sur des bases de jugement critiquables selon lesquelles le produit est un anorexigène - alors que nous ne disposions d'aucune donnée en ce sens - et la norfenfluramine le seul métabolite actif. Personne ne peut avoir de certitude en la matière. Il s'agit d'un diktat venant peut-être un peu du rapport du professeur Lechat.
M. François Autain , président . - Il ne s'agit pas d'un diktat. Le rapport de 1999 indiquait très clairement que la prise de benfluorex avait exactement le même effet que la prise d'Isoméride.
M. Jean-Michel Alexandre . - Personne ne l'a jamais dit.
M. François Autain , président . - Si le professeur Garattini et le rapport Pimpinella l'a également indiqué.
M. Jean-Michel Alexandre . - Non !
M. François Autain , président . - Nous ne le lisons pas de la même façon.
M. Jean-Michel Alexandre . - M. Garattini, qui connaît bien la norfenfluramine pour avoir travaillé dessus - son institut Mario Negri a touché des fonds des laboratoires Servier - s'est interrogé, lors du début de l'examen européen, sur l'opportunité d'inscrire le benfluorex sur la liste des anorexigènes. Il disait que ce médicament n'était pas présenté comme un anorexigène mais comme une substance ayant des propriétés hyperlipoprotéinémiques pouvant former de la fenfluramine. Or, il ne forme pas de la fenfluramine mais de la norfenfluramine ! Par conséquent, la lettre de M. Garattini était partiellement inexacte. En revanche, elle a eu l'intérêt d'attirer l'attention des Italiens et d'engager une étude à l'échelle européenne qui a permis de rendre ce médicament suspect, alors que le comité technique de pharmacovigilance considérait comme étonnant que les concentrations plasmatiques de norfenfluramine soient les mêmes après administration de benfluorex et de fenfluramine.
Le centre régional de pharmacovigilance de Besançon qui était en charge de l'enquête a même dit qu'il était peu probable que les effets indésirables du benfluorex soient semblables à ceux de la fenfluramine. Le message français était plutôt sécurisant comparé au message italien.
M. François Autain , président . - Contestez-vous le raisonnement italien ?
M. Jean-Michel Alexandre . - Je ne le conteste pas. Nous avons eu ce raisonnement. Nous pensons qu'il ne fallait pas inscrire le benfluorex sur la liste des anorexigènes.
M. François Autain , président . - Je ne comprends pas.
M. Jean-Michel Alexandre . - L'interprétation selon laquelle il y a eu une inversion de l'avis de la commission d'AMM en matière de validation est erronée.
M. François Autain , président . - De quelle commission parlez-vous ?
M. Jean-Michel Alexandre . - J'évoque la commission d'AMM de 1997.
M. François Autain , président . - Je souhaiterais également vous parler de la commission de 1987.
M. Jean-Michel Alexandre . - Il est heureux que l'évaluation européenne ait eu lieu. Elle s'est terminée par la préconisation d'une étude. Si nous avions pu la réaliser plus tôt, elle aurait permis de conclure plus tôt à la toxicité du produit au niveau valvulaire.
Enfin l'Igas fait une interprétation abusive sur le retrait possible du médicament en 1995 et en 1999. J'ai essayé de faire comprendre qu'il n'était pas possible de suspendre ou de retirer le Mediator en 1995 et 1999. J'espère que vous avez pu m'écouter. J'espère aussi que vous avez pu, d'une certaine façon, m'entendre. J'ajoute que le rapport de l'Igas est à charge car il me vise personnellement. Je suis presque la seule personne de l'Agence citée dans ce rapport. Il s'agit d'une attaque ad hominem .
M. François Autain , président . - D'autres personnes sont citées.
M. Jean-Michel Alexandre . - Je suis cité sans cesse. Nul ne peut penser qu'une mission de l'Igas puisse se livrer à une vindicte personnelle mais c'est tout de même étrange. Il est également surprenant de lire dans le Nouvel Observateur un article intitulé « Cet étrange Monsieur Alexandre » : « Avant la remise du rapport au ministre, Jean-Michel Alexandre s'est vu remettre les passages concernant son action afin qu'il puisse y répondre. Il s'y réfugie une fois encore, derrière son humour so british : "C'est tout ? Je m'attendais à bien pire." » C'est exactement ce que j'ai dit mais il n'y avait que les trois membres de l'Igas et moi. Je ne l'ai pas dit à ce journaliste. Ce passage vient d'une brèche de confidentialité de la part de l'un des membres de la mission de l'Inspection. Cependant avoir de l'humour british est peut-être un compliment. Je récuse ce rapport qui me met en cause personnellement. Je ne crois pas que l'on puisse me reprocher un manquement pendant les années 1993 à 2000 mais vous pouvez en juger autrement.
Sur la question du suivi des prescriptions du Mediator, j'ai saisi, à la demande de M. Jean-René Brunetière, la direction des études et de l'information pharmacoéconomique. La réponse de Frédéric Fleurette est annexée au rapport à la page 1494 : « Les mesures prises en 1995 pour restreindre la prescription d'anorexigènes n'ont pas entraîné de report en faveur du Mediator. Ce médicament demeure très largement prescrit comme hypocholestérolémiant et comme antidiabétique. »
M. François Autain , président . - « Hypocholestérolémiant » n'était pas l'indication.
M. Jean-Michel Alexandre . - « Ainsi, en conclusion, apparaît-il qu'un détournement d'usage du Mediator, s'il existe, ne pourrait être évalué qu'à l'aide de données beaucoup plus fines qui font actuellement défaut sur la prescription de ce médicament. »
Nous nous en sommes inquiétés. La réponse que nous avons reçue est la suivante : « en fonction des données actuellement disponibles, le message est plutôt rassurant » .
M. François Autain , président . - Pensez-vous qu'à cette époque-là, nous avions les moyens de surveiller les prescriptions des médecins ?
M. Jean-Michel Alexandre . - Non.
M. François Autain , président . - Je ne vous aurais pas cru si vous m'aviez répondu oui car nous n'avons pas beaucoup progressé dans ce domaine. Avec le recul, il s'avère que de nombreuses prescriptions ont été faites hors AMM.
M. Jean-Michel Alexandre . - Selon les études, leur proportion varie de 10 % à 35 %. Je crois que les études faites en 2007 n'ont pas conclu non plus à un véritable détournement d'utilisation. Si le produit n'avait pas été toxique, cela n'aurait exercé que peu d'impact. Je suis prêt à répondre maintenant à toutes vos questions.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Vous avez animé la commission sur les fiches figurant dans les dictionnaires médicaux comme le Vidal. Pouvez-vous nous détailler vos travaux concernant le benfluorex en 1980 ? Aujourd'hui, si vous deviez établir une fiche, comment le classeriez-vous pharmacologiquement ?
M. Jean-Michel Alexandre . - Le benfluorex a été inscrit selon la classification ATC (atomique, thérapeutique et chimique). Il ne s'agit pas des propriétés pharmacologiques mais thérapeutiques. Un médicament peut avoir différents effets pharmacologiques - qui permettent d'anticiper ou non une action thérapeutique - et des effets indésirables. Il s'agit d'une anticipation. Pour délivrer une AMM à un médicament, il faut démontrer une efficacité et une sécurité suffisantes. L'approche pharmacologique est nécessaire mais insuffisante pour conclure. Le produit était considéré comme une spécialité ayant des vertus métaboliques proches du clofibrate, à la fois par ses effets et son mécanisme d'action pour les hypertriglycéridémies ayant un effet antidiabétique.
M. François Autain , président . - Vous dites qu'il a un effet dans les hypertriglycéridémies alors que cette indication a été retirée.
M. Jean-Michel Alexandre . - Elle a été retirée en 2007.
M. François Autain , président . - Vous pensez donc que nous avons eu tort.
M. Jean-Michel Alexandre . - Nous avons eu parfaitement raison. Je pense que le produit aurait dû être retiré bien avant en raison d'un rapport bénéfices-risques négatif. Il aurait dû être retiré en 2007 et aurait pu l'être en 2005 ; la question se posait en 2003. Nous ne pouvons pas dire la même chose en 1999 dans la mesure où aucune préoccupation majeure de santé publique ne semblait exister et que le rapport bénéfices-risques n'avait pas été remis en cause.
La commission des dictionnaires de contrôle des spécialités pharmaceutiques, dite « commission du Vidal » ou « commission Alexandre », a été créée à l'initiative de Mme Simone Veil en 1976, lors de son entrée au ministère, pour la raison suivante. Je crois que M. Jean Weber était son directeur de cabinet. Il est ensuite devenu directeur de la pharmacie et des médicaments. A cette époque, l'information des médicaments était épouvantable. Il s'agissait de pures publicités. En effet, le service public n'exerçait aucun contrôle ; les autorisations de mise sur le marché étaient octroyées après l'avis d'une commission informelle à laquelle participaient de grands patrons sur des rapports d'experts. Je pense qu'elle était présidée par l'inspecteur général en pharmacie. Rien de crédible. L'information du Vidal, assimilée à une publicité, racontait tout et son contraire. A l'époque, il n'existait pas d'autorisation de mise sur le marché mais seulement un visa, sans libellé d'indications.
Suivant l'idée de l'un de leurs conseillers, M. Jean-Pierre Bader, Mme Veil avec l'appui de M. Weber a imaginé une commission plus ou moins formelle créée par décret ou arrêté, c'est-à-dire sans base législative, et destinée à discuter avec l'industrie pharmaceutique pour améliorer l'information, en faisant état des données disponibles, si les firmes étaient d'accord. Dans ces conditions, il était possible d'octroyer ou de réoctroyer trois types d'indications :
les indications parfaitement acceptables fondées sur des essais contrôlés montrant l'efficacité et la bonne sécurité du médicament ;
l'indication « proposé dans » lorsque de mauvaises études avaient été publiées mais que l'on pensait que le produit avait peut-être une efficacité thérapeutique ;
l'indication « utilisé dans » lorsqu'en l'absence de données concrètes, le médicament correspondait à une utilisation apparemment sûre mais sans autre réel fondement que des précédents.
Ce dispositif a été mis en place en attendant la création en 1978 d'une commission d'AMM formelle, présidée par le professeur Marcel Legrain. En raison de la charge de travail à accomplir sur 5 000 spécialités, il ne lui était pas possible de revoir les anciens produits, ceci était prévu ensuite pour la validation qui a eu lieu à partir de 1985.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Pouvez-vous nous répondre pour le benfluorex ?
M. Jean-Michel Alexandre . - Je vais vous répondre précisément.
Cette situation intermédiaire n'a pas été acceptée par tous les fabricants, certains ayant refusé la discussion, en particulier le plus grand laboratoire français de l'époque, Rhône-Poulenc.
L'AMM initiale du Mediator était la suivante : « troubles métaboliques glucido-lipidiques athérogènes, troubles du métabolisme des lipides, troubles du métabolisme des glucides ». C'était relativement large. Cela n'a pas empêché le fabriquant de mettre en avant une indication encore plus large dans le Vidal : « hyperlipidémie, hypercholestérolémie, hypertriglycéridémie, hyperlipémie mixte, diabète patent et diabète latent, athérosclérose potentielle et avérée » . Le laboratoire avait franchi les limites.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Vous avez supprimé l'indication « athérosclérose ».
M. Jean-Michel Alexandre . - La commission de révision des dictionnaires des spécialités pharmaceutiques l'a supprimée en 1978.
M. François Autain , président . - Vous l'avez maintenue.
M. Jean-Michel Alexandre . - Nous avons indiqué « proposé dans », ce qui signifiait qu'il existait une action possible mais non démontrée dans les hypercholestérolémies et les hypertriglycéridémie endogènes. « Adjuvant du régime dans le diabète asymptomatique avec surcharge pondérale » . C'était une indication minimale.
N'étant pas la commission d'AMM, nous n'avions aucune possibilité de retirer une indication.
M. François Autain , président . - Vous avez maintenu l'indication « athérosclérose » tout en mentionnant le fait que cela n'avait pas été prouvé. Cela me laisse perplexe. Pourquoi la maintenir dans ces conditions ?
M. Jean-Michel Alexandre . - Nous souhaitions que l'ensemble des publicités qui pouvaient se référer au Vidal ne comportent plus l'athérosclérose. « Proposé dans » signifiait que les effets thérapeutiques n'avaient pas été mis en évidence par des essais contrôlés, c'est-à-dire par des études cliniques rigoureuses comme cela était devenu la règle pour les nouveaux médicaments.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Vous avez insisté sur l'importance des données. Faut-il rétablir l'évaluation quinquennale des médicaments supprimée par la directive européenne de 2004 ?
M. Jean-Michel Alexandre . - Oui. Il faut rétablir une instance de pharmacovigilance-risque à part pour effectuer le suivi et prendre les mesures nécessaires après l'AMM. Le meilleur scénario serait le suivant :
une instance d'AMM chargée des nouveaux produits ;
une instance de pharmacovigilance-risque pour gérer et évaluer les risques. Elle aurait la possibilité, en fonction du rapport bénéfices-risques, de prendre toutes les mesures nécessaires.
On peut examiner s'il est nécessaire ou non de réévaluer tous les cinq ans, mais dès lors qu'un élément nouveau apparaît, cette instance de pharmacovigilance-risque devrait se prononcer et modifier si nécessaire l'AMM.
M. François Autain , président . - L'indication « diabète » a été formellement récusée par la commission d'AMM en 1987. La lettre adressée au pharmacien responsable des laboratoires Servier sous la signature du directeur de la pharmacie et du médicament indique : « Le Mediator 150 milligrammes a fait l'objet d'un passage en validation à la suite duquel l'indication "adjuvant du régime dans le diabète asymptomatique avec surcharge pondérale" a été examinée mais n'a pas été retenue. Elle n'a donc pas été reprise dans l'annexe 1 de l'autorisation (...) » . Or, force est de constater qu'on n'a jamais tenu compte de cet avis de la commission puisque cette indication a été maintenue dans les RCP. C'est ce qui découle de la lecture du rapport et d'un certain nombre d'annexes.
Pourquoi cet avis n'a-t-il jamais été appliqué ?
M. Jean-Michel Alexandre . - C'est très compliqué. En 1987, l'hypertriglycéridémie a été acceptée avec l'indication « proposé dans ». L'indication pour le diabète a été refusée mais n'aurait jamais dû être examinée car cela n'était pas prévu par le Journal officiel de 1985. La première tranche comportait les hypolipémiants. Les antidiabétiques figuraient à la huitième tranche. Il a été rappelé que la validation porte sur les indications thérapeutiques et non sur les propriétés pharmacologiques. Une spécialité correspondant à plusieurs indications, appartenant à différentes classes pharmaco-thérapeutiques, devait être étudiée avec chacune des classes concernées. Le laboratoire a fait valoir que le produit avait été examiné à tort sur cette indication lors de la cinquième tranche et a demandé le réexamen avec la huitième tranche.
Je les ai reçus et, après discussion avec le directeur général de l'époque, le professeur Ambroise Thomas, nous avons fait droit à leur demande.
La huitième tranche n'a été examinée qu'à partir de 1994-1995. En 1995, l'avis a été négatif pour l'indication diabète. Cela n'a été notifié, probablement par manque de moyens, qu'en avril 1997 par Mme Arielle North. L'Igas indique qu'il a été procédé à une inversion de l'avis de la commission d'AMM lorsque le 4 août, Mme Arielle North, après avoir rencontré les représentants du laboratoire...
M. François Autain , président . - Les a-t-elle rencontrés sans vous en avoir informé ?
M. Jean-Michel Alexandre . - Elle dit m'avoir informé sur ce qu'elle projetait de faire. Je n'en ai aucun souvenir mais je veux bien le croire.
M. François Autain , président . - Vous a-t-elle informé ?
M. Jean-Michel Alexandre . - Je veux bien croire qu'elle m'ait informé.
Le 4 août 1997, il est indiqué, pour la notice et le conditionnement, dans une lettre : « Suite à votre entretien avec Mme Arielle North, vous avez souhaité modifier les corrections notifiées par l'Agence concernant un projet de notice et d'étiquetage. A cet égard, je vous informe que vous pouvez maintenir les mentions concernant l'indication thérapeutique du diabète. »
M. François Autain , président . - Cela sous entend-t-il qu'elles pourraient être supprimées dans le RCP ?
M. Jean-Michel Alexandre . - Oui.
M. François Autain , président . - Elles ne l'ont pourtant jamais été.
M. Jean-Michel Alexandre . - D'après le Journal officiel , « un délai de dix-huit mois sera accordé pour permettre au fabriquant une éventuelle reconversion. » Il pourrait par exemple s'agir d'une modification de la formule. « A l'issue de cette période, s'il y a lieu, le retrait sera prononcé. »
Contrairement à ce qu'indique de façon formelle l'Igas, la décision n'a pas été inversée. La note explicative a disparu. Nous pouvons nous interroger sur les raisons de cette disparition et sur les raisons de cette notification du 4 août 1997. S'agit-il d'une inversion de la position de la commission d'AMM ? Concernant Mme Arielle North, la réponse est non. Une personne qui a fait toute sa carrière dans l'administration ne pourrait en aucune façon inverser l'avis d'une commission.
M. François Autain , président . - Elle peut interpréter.
M. Jean-Michel Alexandre . - Sa lettre mentionne un projet de notice et de conditionnement ; elle est extrêmement maladroite car Mme Arielle North n'explique pas qu'elle accorde une dérogation et qu'il s'agit expressément de la notice et du conditionnement. De plus elle n'indique pas le délai au terme duquel cette dérogation prendra fin et rappelle même que la notice et le conditionnement devront être conformes à l'AMM, alors qu'elle vient d'accorder une dérogation pour écouler les notice et conditionnement existants.
Cette lettre et l'absence de la note ont rendu la situation confuse.
La validation n'a pas accordé l'indication diabète en 1997. Il n'y a pas eu d'inversion mais une demande d'extension d'indication en 1998 par la firme qui, après un certain nombre de réponses négatives, a abouti à une indication du type de celles qui étaient revendiquées en 1987, à savoir « adjuvant du régime » . Mais il s'agit d'une demande d'extension.
M. François Autain , président . - Quelle est la commission qui a décidé cette modification ?
M. Jean-Michel Alexandre . - Il s'agit de la commission d'AMM de novembre 2000. L'ampliation de l'autorisation a été faite en 2001.
M. François Autain , président . - Nous ne parvenons pas à trouver la commission qui a modifié l'avis de 1987.
M. Jean-Michel Alexandre . - Il ne s'agissait pas d'une modification mais d'une extension d'indication.
M. François Autain , président . - Cela constituait tout de même un changement par rapport à l'avis de 1987 qui avait été confirmé par la commission du 16 avril 1997 et qui avait été infirmé entre temps par Mme North.
M. Jean-Michel Alexandre . - Entre temps, d'autres études avaient été réalisées. Le dossier monté en 1999-2000 était vraisemblablement plus étayé que celui de 1994-1995. Entre temps, la firme pharmaceutique a continué d'apporter des données complémentaires.
M. François Autain , président . - Cela signifie qu'entre 1987 et 2001, ce médicament a bénéficié illégalement d'une indication qui avait été réfutée par la commission d'AMM de 1987.
M. Jean-Michel Alexandre . - Il n'en a pas bénéficié de manière illégale pendant tout ce temps. Une période de dérogation a été accordée mais n'a malheureusement pas été précisée.
M. François Autain , président . - Une dérogation non précisée n'est pas une dérogation.
M. Jean-Michel Alexandre . - Mme Arielle North faisait partie de ma direction. J'en assume très clairement une part de responsabilité. Elle a signé au nom du directeur général car elle avait la délégation de signature du directeur général. Elle devait vérifier le bien-fondé réglementaire de ses actes. Elle a donc commis une maladresse. Je vous répéterai ce que j'ai dit devant vos collègues de l'Assemblée nationale : c'est un travail bâclé.
M. François Autain , président . - Tant mieux pour le laboratoire et tant pis pour les patients. Tout le monde n'est pas perdant.
M. Jean-Michel Alexandre . - Notre rôle n'était pas celui-là.
M. François Autain , président . - Nous nous interrogeons précisément sur votre rôle. Néanmoins, nous ne pourrons pas régler ce problème aujourd'hui.
M. Gilbert Barbier . - Monsieur le professeur, durant la période 1998-2000, avez-vous eu connaissance des travaux menés par l'agence italienne du médicament ? Beaucoup de restrictions avaient été apportées à l'utilisation du Mediator en Italie. Il semble que l'Afssaps ait plutôt freiné les interrogations qu'un certain nombre d'experts italiens avaient pourtant nettement mises en avant jusqu'en 2001. Ils ont ensuite été remerciés.
M. Jean-Michel Alexandre . - La commission de pharmacovigilance a travaillé avec l'Italie au sein d'un groupe de travail. Le comité des spécialités pharmaceutiques que je présidais a été informé du résultat et non du contenu du rapport ni de la discussion. Il m'apparaît très clairement que mes collègues italiens ont été bien meilleurs que mes collègues français.
M. François Autain , président . - Y a-t-il plus mauvais que les Français en l'occurrence ?
M. Jean-Michel Alexandre . - Nous étions rapidement devenus l'une des meilleures agences européennes. Par conséquent, je suis peu habitué à ce que les experts français soient moins bons que les autres. En l'occurrence, j'ai eu la surprise de le constater en lisant les différents comptes rendus. A trois reprises, le centre de pharmacovigilance de Besançon - en la personne du professeur Bechtel - a donné des informations qui n'étaient pas les plus fiables :
le benfluorex donnait des concentrations plasmatiques de fenfluramine de même ordre que celles qu'on aurait obtenu avec des doses équipotentes de fenfluramine. Il sous-entendait que ce résultat était probablement faux ;
le même centre de pharmacovigilance fait état, en septembre 1998, qu'il était peu probable que les effets indésirables du benfluorex soient semblables à ceux de la fenfluramine ;
en 1998, nous retrouvons dans les annexes une insertion du même centre de pharmacovigilance selon laquelle il n'existe aucune publication montrant l'effet anorexigène du benfluorex. C'était faux ; cela existe au moins chez l'animal.
Telles sont les conclusions des rapports du centre qui ont été présentés au comité technique de pharmacovigilance qui avait lui-même pour mission de préparer les travaux de la commission nationale. Il n'a rien corrigé.
Nos amis italiens, après la réception de la lettre de M. Garattini, ont considéré que le médicament était vraiment suspect. L'existence d'une neurotoxicité ou d'une cardiotoxicité n'était pas certaine. Il fallait néanmoins continuer à explorer ce médicament, qu'une étude devait être faite, qu'il fallait modifier le RCP et éventuellement demander un arbitrage. Nos amis italiens ont été bien plus rigoureux que nous. Contrairement au rapport de l'Igas qui évoque un « enlisement au niveau européen » , je considère que le passage au niveau européen a été tout à fait bénéfique.
M. François Autain , président . - Avant de nous quitter, je voudrais vous remercier. Pensez-vous toujours que le Mediator n'est pas un anorexigène mais un antidiabétique mal étudié ? J'ai tendance à penser l'inverse : le benfluorex n'est pas un antidiabétique mais un anorexigène mal étudié.
M. Jean-Michel Alexandre . - Merci, monsieur le président, de me donner encore une fois l'opportunité de donner mon point de vue sur cette question qui passe pour importante. Il n'existe aucun élément permettant d'affirmer que le benfluorex est un anorexigène chez l'homme. Nous ne pouvons cependant pas exclure la possibilité d'une composante anorexigène pour ce produit qui a été présenté comme un antidiabétique et un hypolypémiant. Toutefois, le fait de savoir qu'il s'agit d'un anorexigène n'est ni une condition nécessaire ni une condition suffisante pour conclure à une probabilité certaine que ce produit produise des effets indésirables du même type que la norfenfluramine.
Le point essentiel tient au fait que le benfluorex est une fenfluramine, comme le Pondéral et l'Isoméride, comme la fenfluramine elle-même. La fenfluramine a provoqué des effets indésirables de type valvulopathie et hypertension artérielle pulmonaire de par l'existence d'un métabolite qui est la norfenfluramine. Ce même métabolite se retrouve avec le benfluorex. Par conséquent, le produit doit être considéré comme suspect. C'est pourquoi il a été mis sous surveillance. Il aurait fallu réagir en termes de rapport bénéfices-risques dès que les données d'efficacité et de sécurité le permettaient. De mon point de vue, le produit aurait pu être retiré en 2005 et aurait dû l'être en 2007. Toutefois, il était très probablement impossible de le faire avant, à savoir en 1995 et en 1999.
M. François Autain , président . - Merci, monsieur le professeur.
M. Jean-Michel Alexandre . - Merci à vous, mesdames et messieurs.
Audition de M. Jean WEBER, ancien conseiller technique au cabinet du ministre de la santé et de la sécurité sociale (1975-1978), ancien directeur de la pharmacie et du médicament au ministère de la santé et de la sécurité sociale (1978-1982), secrétaire général de la commission nationale de la pharmacopée (1979-1982), chargé par le Premier ministre d'une mission sur la politique et le prix du médicament (1991) (mardi 26 avril 2011)
M. François Autain , président . - Nous sommes très heureux d'accueillir M. Jean Weber, inspecteur général des finances, qui est ancien conseiller technique au cabinet du ministre de la santé et de la sécurité sociale (1975-1978), ancien directeur de la pharmacie et du médicament au ministère de la santé et de la sécurité sociale (1978-1982), ancien secrétaire général de la commission nationale de la pharmacopée (1979-1982) et chargé par le Premier ministre d'une mission sur la politique et le prix du médicament (1991).
Notre audition est ouverte à la presse et fera l'objet d'un enregistrement audiovisuel en vue de sa diffusion sur le site Internet du Sénat et éventuellement sur la chaîne Public Sénat.
Je vous donne la parole. Vous avez la possibilité de faire une intervention liminaire.
M. Jean Weber, ancien conseiller technique au cabinet du ministre de la santé et de la sécurité sociale (1975-1978), ancien directeur de la pharmacie et du médicament au ministère de la santé et de la sécurité sociale (1978-1982) . - J'ai créé la direction de la pharmacie et du médicament à la fin de 1977 et elle a fonctionné au début de l'année 1978. J'y suis resté jusqu'en 1982. Les options prises à l'époque étaient tout à fait claires dans un certain nombre de domaines. Elles ont ensuite beaucoup évolué. Je les décrirai volontiers pour montrer que différents types d'administration du médicament peuvent être choisis.
J'ai suivi le Mediator pendant quatre ans. Il était déjà sur le marché mais nous avons pris certaines mesures intéressantes, notamment le classement parmi les anorexigènes.
J'évoquerai enfin des pistes de nature à éviter une crise aussi tragique que celle que nous vivons.
Organiser une administration du médicament revient à faire certains choix. Nous devons réfléchir à la relation avec le ministre, que nous avons défini comme une indépendance avec l'administration. Il s'agit ensuite de réfléchir à l'étendue de la matière administrée. Il faut prévenir les conflits d'intérêts et assurer l'équilibre entre l'expertise interne et externe.
En 1978, le Gouvernement a souhaité, alors qu'il créait une nouvelle direction à l'intérieur du ministère en charge de la santé, déléguer sa prise de décision d'autorisation de mise sur le marché (AMM) au directeur. En 1983, une entité séparée a été créée : l'Agence du médicament. Le directeur a reçu des pouvoirs propres. Il signait l'AMM en son nom propre et en tant qu'autorité responsable. Il n'était toutefois pas totalement indépendant puisqu'il était sous la tutelle du ministre. Ce passage à l'Agence du médicament a été décrit fréquemment comme créant les conditions de l'indépendance de la décision. Cela signifiait que le ministre n'avait plus la possibilité d'intervenir - pour d'autres raisons que médicales - dans la décision d'autorisation ou de gestion du médicament. Or ce n'est pas ma vision des choses. L'indépendance de la décision avait été établie en 1978 lorsque nous avons créé la commission d'AMM, présidée par le professeur Marcel Legrain. Ce n'est pas l'organisation juridique qui prévaut mais l'organisation préalable à la décision. Jamais je n'ai eu d'instruction concernant l'AMM, pas plus qu'une autre décision sanitaire.
Il est vrai que l'organisation en agence règle un problème budgétaire compliqué qui est celui de l'inscription au budget de l'Agence de produits des redevances obtenues en rémunération des services de l'Agence. Cela n'était pas le cas alors que j'étais directeur. C'est difficile lorsqu'il s'agit d'une administration centrale. En 1993, nous avons pensé qu'il était indispensable d'assurer l'autonomie financière ; la constitution de moyens suffisants ont été déterminants.
Que confier à cette unité ? Jusqu'en 1980, nous avons travaillé pour confier à cette unité que je dirigeais la totalité des fonctions concernant le médicament. Nous avons mis en oeuvre la commission des dictionnaires. J'espère que le professeur Jean-Michel Alexandre vous en a parlé. Il a mené un travail considérable, jouant un rôle de réviseur rapide des AMM, ce que nous ne pouvions pas faire dans le cadre trop contraignant de l'AMM tel qu'il existait. Nous avons créé un contrôle de la publicité, toujours conduit par la direction du médicament, et la commission de pharmacovigilance en lui donnant des bases juridiques au Sénat (décret Talon). En 1978, la mise en place de la commission d'AMM a assuré l'indépendance de l'octroi des AMM. Nous sommes enfin passés d'une logique de grille de prix fondée sur le prix de revient du produit à une logique de service médical rendu (SMR) suite à la création de la commission de la transparence. Tous ces éléments ont été établis sous la responsabilité unique du directeur de la pharmacie et du médicament.
Dix ou quinze ans plus tard, un seul directeur d'administration centrale est remplacé par quatre autorités : l'Afssaps, la Haute Autorité de santé (HAS), le Comité économique des produits de santé et la direction générale de la santé pour les préparations magistrales - ce qui n'est plus le cas depuis 1998, me semble-t-il.
Mme Marie-Thérèse Hermange . - Si nous dotions un directeur d'administration centrale des moyens de l'Agence du médicament, faudrait-il recentraliser l'organisation du circuit du médicament ?
M. Jean Weber. - Il faut, d'une manière ou d'une autre, que tous ceux qui travaillent sur le médicament le fassent ensemble. La solution minimum est de les mettre sur le même plateau administratif pour qu'ils se rencontrent aussi de façon informelle.
Une autre solution consiste à replacer toutes ces fonctions sous une seule autorité. Je ne tire des conclusions que de ma période. Je ne peux pas intégrer les contraintes qui naissent de l'existence de la HAS. Si on veut être efficace concernant le médicament, il faut d'abord un engagement politique très fort. La politique du médicament doit être une priorité du Gouvernement. Il faut qu'on réunisse toutes les fonctions du médicament.
Mme Marie-Thérèse Hermange . - Devons-nous fusionner l'Afssaps et la HAS ?
M. Jean Weber. - Je suis convaincu qu'il est indispensable de réunir l'évaluation, le suivi, c'est-à-dire la pharmacovigilance, l'information et une bonne vision de la contribution à l'information médicale.
M. François Autain , président . - Que faites-vous de l'information aux patients ?
M. Jean Weber. - C'était moins notre préoccupation trente ans auparavant.
Mme Marie-Thérèse Hermange . - Devons-nous fusionner la commission de la transparence et la commission d'AMM ?
M. Jean Weber. - Nous avons créé la commission de la transparence, dans une logique différente, pour remplir un travail considérable. Elle apporte énormément à la commission d'AMM dans les rapports entre les deux instances. En effet, la France n'a pas limité sa vision à l'évaluation et à l'autorisation des médicaments mais poursuit le bon usage du médicament. C'est la totalité de la chaîne qui, me semble-t-il, doit animer l'ensemble des participants à la vie du médicament. Si l'on veut mobiliser les meilleurs experts du pays, les hospitalo-universitaires, qui ont mille autres choses à faire, il faut leur proposer des fonctions gratifiantes et intéressantes. C'était ce que nous avions essayé de faire en les chargeant de la cogestion des médicaments. Les ministres suivaient leur avis.
Mme Marie-Thérèse Hermange . - Comment appréciez-vous le rôle du Comité économique des produits de santé (Ceps) ? Etes-vous favorable à ce que la compétence de fixation du prix du médicament incombe à l'assurance maladie ?
M. Jean Weber. - Je ne peux pas y être favorable car j'avais beaucoup travaillé pour qu'il reste au ministère de la santé. J'étais président également du comité économique du médicament. La sécurité sociale, la direction générale de la santé (DGS), l'industrie et nous-mêmes formions le « groupe des quatre ».
Je pense qu'il est bon que l'instruction technique continue d'être réalisée par des personnes spécialisées, avec la collaboration des administrations compétentes.
Mme Marie-Thérèse Hermange . - L'information du médicament doit-elle rester de la compétence de la HAS, afin de lui permettre de développer une stratégie de promotion du bon usage du médicament ?
M. Jean Weber. - Il faut développer des stratégies propres aux pouvoirs publics. Nous avions subventionné Prescrire et la Lettre médicale d'information . Prescrire n'aurait pas pu s'émanciper sans nous. Il ne faut pas que l'Etat minimise le rôle qu'il a joué dans cette affaire. Il a permis le démarrage de cette aventure.
Mme Marie-Thérèse Hermange . - Etes-vous pour encourager toute revue de type Prescrire aujourd'hui ?
M. Jean Weber . - Le débat est indispensable. Il faut que d'autres revues indépendantes se développent.
Mme Marie-Thérèse Hermange . - Nous sommes ici dans notre mission de contrôle et d'évaluation de la politique du médicament. Vous venez de nous dire que vous regrouperiez volontiers un certain nombre de fonctions actuellement dispersées pour mieux contrôler et évaluer la politique du médicament. Si vous étiez législateur, quelles autres propositions feriez-vous à la Nation ?
M. Jean Weber . - J'accorderais une importance particulière à l'équilibre entre l'expertise interne et externe. Nous avions choisi de tout miser sur l'expertise externe afin de faire évoluer la culture médicale et celle des patients sur la consommation du médicament. Nous devions engager le plus grand nombre. Nous préférions disposer d'experts externes qui nous apportaient l'information et la renvoyaient vers l'extérieur que d'avoir des experts internes qui évaluaient correctement mais qui ne faisaient pas circuler l'information.
M. François Autain , président . - Je vous remercie de nous apporter ces explications. Le rapport conjoint de l'Inspection des finances et de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas), publié en 2000, faisait état de ce parti pris concernant l'expertise sans en donner les raisons.
M. Jean Weber . - Secondairement, l'expertise externe était beaucoup moins coûteuse. Il me semble que dans un pays comme la France, dotée d'une organisation médicale très spécifique et hiérarchisée, il est préférable de s'appuyer sur ce vaste corps médical très compétent et soucieux de s'engager pour l'intérêt général. Certes, l'administration dispose d'un certain nombre d'emplois compétents et présents en permanence. Toutefois, il ne s'agit pas d'expertise interne mais de moyens administratifs. Ces moyens de gestion étant assurés, il est préférable d'avoir recours aux experts externes pour assurer le relais de l'information auprès du monde médical.
Mme Marie-Thérèse Hermange . - Jugez-vous possible et souhaitable que les commissions publiques ne comportent plus d'experts ayant des liens d'intérêts ?
M. Jean Weber . - Le conflit d'intérêts est un problème délicat. Il faut bien distinguer les experts réalisant des expertises à la demande, qui ne posent pas de problème de conflits d'intérêts, des experts qui peuvent être appelés à être rapporteurs ou membres d'une commission.
En 1980, les déclarations d'intérêts n'existaient pas. Pour régler ce problème, nous nous attachions à organiser la transparence, le débat et la bonne répartition du travail des commissions, qui ne comportaient pas plus de vingt membres. Je connaissais chacun des membres. Les présidents de chacune des commissions avaient une autorité extraordinaire. Ils connaissaient chacun des membres de leur commission et veillaient à leur objectivité dans le débat.
M. François Autain , président . - A l'époque, les médicaments mis sur le marché chaque année étaient aussi moins nombreux.
M. Jean Weber . - Je m'interroge sur ce point. Un grand nombre d'autorisations sont maintenant gérées à Londres. Par ailleurs, la commission d'AMM ne devrait même pas intervenir sur un grand nombre de génériques.
Nous devions mener un travail considérable de révision du stock de médicaments en place en 1978. Pour tous ces dossiers, il n'y avait pas d'expertise clinique.
M. François Autain , président . - La validation résultait de la directive européenne.
M. Jean Weber . - C'est exact.
Deux phases se sont succédées : une révision officieuse par la commission Alexandre jusqu'en 1988, puis la révision de l'AMM suivant la directive. Durant cette période intermédiaire, l'AMM n'a pas de conséquence juridique.
M. François Autain , président . - Nous comprenons enfin ! Les décisions de l'AMM n'ont finalement aucune valeur juridique.
M. Jean Weber . - Leur valeur n'est que théorique.
Prenons l'exemple du Mediator. Autorisé en 1974, ce médicament est commercialisé en 1976 avec trois indications : « troubles glucido-lipidiques athérogènes, troubles du métabolisme des lipides, troubles du métabolisme des glucides » .
Après un premier travail, la commission Alexandre retient le 29 octobre 1979 des indications très différentes : « proposé dans le traitement des hypercholestérolémies et des hypertriglycéridémies » , signifiant aux yeux des médecins « ne répond pas aux exigences actuelles des essais contrôlés » . L'indication suivante est ajoutée : « adjuvant du régime dans le diabète asymptomatique avec surcharge pondérale ». Il était écrit précisément : « La prévention de l'athérosclérose est explicitement écartée. » La direction du médicament notifie ces nouvelles indications auxquelles on ne pourra pas déroger. Le Mediator conserve son ancienne AMM car la révision de toutes les AMM aurait engorgé la commission d'AMM. Cependant, dans la pratique, le Mediator est réduit à ces indications. Deux dispositifs se chevauchent ainsi pendant dix ans. Nous n'avons jamais eu de contentieux sur ce point avec aucun laboratoire ; le cas échéant nous aurions révisé l'AMM.
La déclaration d'intérêts est aujourd'hui obligatoire. Pourquoi ne pas y faire figurer le montant versé ? Il ne faut toutefois pas y attacher trop d'importance. La solution consiste à connaître les personnes, engager le dialogue et faire preuve de transparence. En effet, ce n'est pas la nature de la fonction exercée qui met à l'abri des conflits d'intérêts. La seule affaire pénale dont nous ayons eu connaissance en vingt ans en Europe s'est produite en Italie, sur la personne même du directeur de l'administration. Dans la gestion du médicament, vous ne savez pas dans quel sens joue le conflit d'intérêts. La personne peut aussi bien défendre le produit qu'avoir un intérêt à l'attaquer. Cette question du conflit d'intérêts doit être résolue par la clarté et le débat.
Mme Marie-Thérèse Hermange . - Comment se sont mis en place les premiers dispositifs de pharmacovigilance ? Comment s'opèrent la sélection des médicaments et la détection des effets indésirables ? Comment retirer un produit du marché ?
M. Jean Weber . - Le réseau des centres de pharmacovigilance nous a énormément aidés. A l'époque, la France disposait de peu de pharmacologues, et pratiquement pas d'épidémiologistes. Ces centres furent rapidement mes premiers interlocuteurs, auxquels nous avons donné d'abord une reconnaissance officielle, puis une reconnaissance légale. Ces pharmacologues cliniciens rassemblaient au niveau régional les effets adverses, les partageaient et tenaient une réunion mensuelle pour échanger leurs observations. Je crois que cette organisation était très efficace. Nous avons dû retirer des produits, dont la Phenformine, pour des effets adverses. Nous avons aussi commencé les révisions de classes. Le professeur Legrain a commencé par la classe des antalgiques.
M. François Autain , président . - Cette révision est-elle distincte de la validation européenne ?
M. Jean Weber . - Elle précède la validation européenne. Nous avons fait de nombreux classements au tableau A et retiré l'amidopyrine qui était très utilisée. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, lorsqu'un directeur du médicament retire des médicaments, il reçoit surtout des reproches de la part des patients, qui sont habitués à leurs médicaments.
M. François Autain , président . - Les patients peuvent aussi reprocher le fait qu'un médicament n'ait pas été retiré du marché, comme en témoigne l'affaire du Mediator. L'exemple du Di-Antalvic atteste cependant de la véracité de vos propos.
M. Jean Weber . - En effet ; nous avons toujours tort ! Je m'associe aux protestations des patients au sujet du Di-Antalvic.
D'une manière générale, nous prévenions le laboratoire avant de retirer un médicament. Le laboratoire préférait souvent le retirer lui-même. Suivant l'urgence de la situation, le médicament était retiré soit immédiatement, soit après un bref délai permettant aux médecins de modifier les prescriptions.
M. François Autain , président . - La situation n'a pas beaucoup évolué.
M. Jean Weber . - Revenons sur le décret Talon voté le 7 juillet 1980. Cette année-là, l'administration a été informée de pratiques qualifiées d'« aberrantes » par le sénateur Talon, de la part de médecins spécialisés dans l'amaigrissement consistant à remettre des spécialités pharmaceutiques sous forme de préparations magistrales. Il s'agissait de mélanger des produits extrêmement dangereux tels que des psychotropes, des diurétiques, des anorexigènes ou encore des extraits thyroïdiens. Il était très difficile d'agir sur ces pratiques car nous portions atteinte à la liberté de prescription.
M. François Autain , président . - C'est encore difficile aujourd'hui.
M. Jean Weber . - Il fallait passer par une loi. L'attaché parlementaire du ministre a demandé au sénateur Talon de travailler sur cette question. Je vous recommande cet excellent rapport pour mieux comprendre l'affaire du Mediator. A la demande de la commission d'AMM, il fallait organiser de manière légale une surveillance des médicaments après leur mise sur le marché. A l'époque, le terme de surveillance a suscité un débat au sein de la commission. Le sénateur a accepté que nous lui préférions le terme de pharmacovigilance.
Cette loi a permis de légaliser la pharmacovigilance et de rendre possible d'établir par décret, après avis des académies de médecine et de pharmacie ainsi que des conseils de l'Ordre des médecins et des pharmaciens, des listes de médicaments qu'il est interdit de mélanger. Ce décret est paru avec une liste d'anorexigènes dont le benfluorex.
En 1995, lors de la séance de la commission nationale de pharmacovigilance traitant des anorexigènes, quelqu'un - nous ne savons pas qui - propose que les anorexigènes visés soient ceux de la liste 3 du décret de 1982. Il n'a pas cité le benfluorex en séance mais s'est référé très clairement au décret Talon. Nous avons là une très bonne illustration de ce qu'est pour l'administration un personnel compétent, doté d'une grande mémoire et capable d'effectuer un suivi sur dix ou vingt ans.
Pourquoi n'a-t-on pas interdit le benfluorex à cette époque ? C'était impossible car les preuves du danger n'étaient pas établies. Il aurait fallu reprendre le dossier. Il s'agit d'un problème de mobilisation de toutes les personnes qui travaillent sur ces sujets de pharmacovigilance. Une occasion a été perdue mais nous ne pouvons le reprocher à personne. Il faut que nous recherchions l'efficacité de nos organisations.
Monsieur le président, mes suggestions sont très modestes. Il faut étudier sérieusement l'éventualité d'un retour au rattachement ministériel. Un ministre anime son administration très fortement. Il est exigeant ; pose des questions tous les jours ; demande que les choses avancent sans se contenter de délais.
M. François Autain , président . - Remettriez-vous en cause ce principe selon lequel le directeur de l'Afssaps par exemple prend ses décisions au nom de l'Etat ?
M. Jean Weber . - La situation est absurde ; deux niveaux de décisions coexistent.
En outre, je propose de retenir le nom d'« Institut du médicament » pour l'organe de gestion du médicament. Il faut également assurer la plus grande unification possible du domaine du médicament (AMM, transparence, pharmacovigilance).
Il faut donner une plus large place à l'expertise externe ; attacher une grande importance au bon fonctionnement des commissions en réduisant leurs dimensions et assurer une meilleure connaissance du hors AMM. Ce problème se pose depuis trente ans. Mon administration souhaitait que l'Etat finance un sondage sur les prescripteurs. Ce sondage existe ; il s'agit du panel Dorema, devenu l'« étude permanente de la prescription médicale » (EPPM). Nous avons toujours obtenu ces informations sur demande aux laboratoires. Il faut comprendre qu'un outil de cette nature, qui donne la réalité des motifs de prescription avec la posologie et les durées de traitement, de manière continue dans le temps, est un élément extraordinaire du suivi de l'activité du médicament.
M. François Autain , président . - Cela est différent des bases de données dont dispose l'assurance maladie puisque le codage n'y figure pas.
M. Jean Weber . - C'est exact. Il faudrait au préalable obtenir le codage auprès des praticiens et mettre en place de gigantesques bases de données. Je pense que ce sondage des prescripteurs serait un signal d'alerte important pour le suivi, après la mise sur le marché, par la pharmacovigilance.
Je suggère également de porter une attention particulière au « double marketing » qui consiste à dédoubler la présentation d'une spécialité pour la placer dans deux voire trois réseaux de visiteurs médicaux simultanément à son lancement. Dès lors nous constatons une montée très rapide des ventes de ce produit et ainsi un risque accentué du point de vue de la surveillance de ce produit.
M. François Autain , président . - Est-ce la même chose que le me too ?
M. Jean Weber . - Le me too désigne un produit qui ressemble à un autre sans être le même.
M. François Autain , président . - Pensez-vous que cette pratique du « double marketing » existe encore ?
M. Jean Weber . - Je le crois, monsieur le président. Il faut se montrer très vigilant.
M. François Autain , président . - Cela veut dire que la commission d'AMM mettrait simultanément sur le marché deux médicaments identiques sous des noms différents.
M. Jean Weber . - Je pense que la commission d'AMM ne peut pas légalement s'y opposer. Je pense toutefois que la commission de la transparence et que le comité économique des produits de santé pourraient s'y opposer.
Par ailleurs, il faut confier à l'administration du médicament le leadership de l'exploitation des grandes bases de données existantes. Avec l'affaire du Mediator, nous avons assisté au croisement des bases hospitalières. Ces études peuvent être multipliées. Qui prendra l'initiative de ces études ?
M. François Autain , président . - A l'heure actuelle, cette base de données est gérée par l'assurance maladie.
M. Jean Weber . - C'est un problème.
M. François Autain , président . - L'Institut des données de santé en est le dépositaire. Je reconnais que cette structure est assez fermée. L'Afssaps peut demander des données mais les organismes privés n'en ont pas la possibilité.
M. Jean Weber . - Il faut aussi que le directeur de l'Agence du médicament dispose d'un droit d'initiative, de suivi et de connaissance de l'ensemble de ces études.
M. François Autain , président . - Il faudrait donc que la puissance publique se dote de moyens lui permettant de procéder à des études épidémiologiques.
M. Jean Weber . - Je pense qu'il faudrait, en premier lieu, confier au directeur de l'Afssaps ou à l'organisme successeur la responsabilité de ces études. Nous sommes dans le domaine de la santé publique et non de l'assurance maladie. La meilleure connaissance de la santé de la population ou des effets adverses des médicaments sont des compétences régaliennes.
M. Gilbert Barbier . - Vous avez parlé de la création de l'amélioration du service médical rendu (ASMR). Que pensez-vous de l'ASMR V ?
Nous parlons du médicament. Le circuit des produits de santé ne mériterait-il pas aussi de bénéficier d'un contrôle plus précis ?
M. Jean Weber . - Je suis incompétent sur l'ASMR V.
La complexité du circuit de santé tient à la diversité extrême des produits. Je crois que nous ne pouvons pas donner de réponse d'ensemble. Il faut suivre ce secteur par grandes catégories de produits, en y portant la plus grande attention.
M. François Autain , président . - Monsieur Barbier a raison de nous le rappeler ; lorsque nous évoquons la pharmacovigilance ou l'évaluation, nous pensons d'abord aux médicaments, en oubliant les dispositifs médicaux. Nous devrons sans doute nous y intéresser davantage car ce domaine est sans doute appelé à se développer et est moins bien contrôlé que les médicaments.
Je vous remercie infiniment pour cette contribution très intéressante.
Audition de MM. Christian LAJOUX, président, Philippe LAMOUREUX, directeur général et Mme Catherine LASSALE, directeur des affaires scientifiques des entreprises du médicament (Leem) (jeudi 28 avril 2011)
M. François Autain , président . - Nous recevons les responsables du Leem (Les entreprises du médicament) : MM. Christian Lajoux, président, Philippe Lamoureux, directeur général, Mme Catherine Lassale, directeur des affaires scientifiques, et M. Jean de Roquette-Buisson, chargé de mission. Je précise que cette audition est ouverte à la presse et sera enregistrée en vue de sa diffusion sur le site Internet du Sénat et sur Public Sénat.
M. Christian Lajoux ., président du Leem - L'industrie du médicament est une industrie de progrès et d'innovation. Grâce aux innovations thérapeutiques, nous avons amélioré la santé et le confort des patients.
Le Mediator est une histoire des années 70 qui s'est mal terminée en 2009. Depuis, les méthodes de recherche et de travail des industriels du médicament ainsi que les modes d'évaluation des agences sanitaires ont significativement évolué, particulièrement durant la dernière décennie. Pour autant, dès le début de cette affaire et prenant acte du rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas), nous nous sommes mis à l'entière disposition des autorités.
Conscients de la nécessité d'une vigilance renforcée à la mesure de la complexité grandissante des réponses thérapeutiques, nous sommes convaincus que le système français, s'il reste l'un des meilleurs en Europe, comporte des marges de progrès qui doivent s'inscrire dans un cadre européen. Pour nous, industriels de santé, la priorité est la sécurité sanitaire ; rien ne saurait nous en détourner. A l'invitation du ministre, le Leem, qui représente quelque 270 entreprises, participe aux Assises du médicament...
M. François Autain , président . - Vous êtes moins nombreux depuis peu, je crois...
M. Christian Lajoux . - Conscients de nos responsabilités et de la nécessité de nous engager dans les travaux de reconstruction du système, nous avons suspendu les laboratoires Servier ; celui-ci a, ensuite, choisi de démissionner. D'autres entreprises pharmaceutiques n'adhèrent pas à notre groupement, mais elles sont rares.
Le Leem, disais-je, a formulé des propositions au sein des Assises du médicament ; d'autres sont à venir. L'idée est de fournir des contributions à mesure de l'évolution de la réflexion en restant à notre place, celle d'acteur du médicament. La semaine prochaine, nous remettrons probablement une synthèse sur les améliorations à apporter au système d'évaluation et à la gouvernance du médicament. Pour nous, l'essentiel est d'agir dans le cadre européen.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Pour reprendre vos termes, pourquoi cette histoire des années 70, le Mediator, n'a-t-elle pas été détectée avant 2009 ? A votre avis, est-on à l'abri d'une nouvelle affaire ?
M. François Autain , président . - Peu probable ! A lire Le Figaro du 27 avril dernier, c'est au tour de deux antidiabétiques d'être sur la sellette...
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Existe-t-il des précédents à la suspension de Servier par le Leem ? Pourquoi cette décision ?
M. Christian Lajoux . - Un nouveau Mediator ? Notre souhait le plus cher, en tant qu'industriel, est que cette situation ne se reproduise pas. Peut-on parvenir au risque zéro ? Je ne le garantis pas. Notre devoir est de tout mettre en oeuvre pour un système garantissant une sécurité sanitaire maximale. Un médicament n'est jamais anodin ; plus il est complexe, plus l'évaluation du rapport entre bénéfices et risques est nécessaire. Si je ne peux pas m'engager sur le résultat, je m'engage, en tant qu'industriel, sur les moyens.
Ces dernières années, on note d'importantes évolutions dans le système européen d'évaluation du médicament. Tout d'abord, depuis 2002-2003, les études post-AMM...
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Avec des résultats modestes ! Il y aurait, entend-on dire, beaucoup de résistances de la part des laboratoires...
Mme Christine Lassale, directeur des affaires scientifiques du Leem . - Pas moins de quarante études sont terminées sur 180. Elles prennent, au bas mot, trois à quatre ans.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Sans compter les deux ans durant lesquels le laboratoire résiste à la demande d'étude...
Mme Christine Lassale . - Ce type d'études est récent et les protocoles ont été difficiles à mettre en place tant pour les industriels que pour les investigateurs. Aujourd'hui, les délais ne sont plus les mêmes qu'en 2002-2003. Il faut noter que les résultats de certaines études sont quelque peu décevants ; on ne peut pas en tirer de conclusions. Des progrès restent à faire en ce domaine...
M. François Autain , président . - D'après la Haute Autorité de santé (HAS), plus de la moitié de ces études post-AMM n'auraient pas reçu un début de commencement de réalisation. C'est d'autant plus inquiétant qu'elles ont débuté, avez-vous dit, en 2002, et non en 2004 comme je le pensais. Le président de la commission de la transparence nous a indiqué, hier, qu'il peinait à obtenir la mise en place de ces protocoles.
M. Christian Lajoux . - La position du Leem est constante : lorsqu'une étude est demandée, les industriels doivent la réaliser. Quelques problèmes techniques, en particulier de méthodologie, subsistent ; d'où des difficultés, parfois, à trouver un accord entre industriels et investigateurs.
L'important, pour notre système d'évaluation du médicament, est l'existence de ces études post-AMM, de même que la transparence des essais cliniques, la publication des dons aux associations depuis 2009 - quatre-vingts de nos entreprises s'y plient déjà -, l'application de la « loi anti-cadeaux » et la charte de la visite médicale. Le Leem soutient ces initiatives.
M. François Autain , président . - Le diagnostic de la HAS sur la charte de la visite médicale n'est guère positif...
M. Christian Lajoux . - Il n'est pas partagé... La charte existe, la certification est en cours, on améliore la formation des visiteurs médicaux. Tout est parfait ? Cela n'est pas mon propos. En revanche, si chacun des acteurs du médicament s'engage à respecter le nouveau cadre législatif et réglementaire, nous avancerons.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Quid des rapports entre Servier et le Leem ?
M. Christian Lajoux . - A ma connaissance, la suspension de Servier n'a jamais eu de précédents, au moins formellement. Notre collectif n'est ni l'avocat ni le procureur de ce laboratoire. Nous ne pouvions pas placer celui-ci dans la position de participer à nos travaux quand il doit répondre, indépendamment de notre collectif, aux multiples questions qui lui sont posées sur le Mediator.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Le Leem peut-il s'engager à inviter ses membres à donner suite aux demandes d'études post-AMM ? Ensuite, concernant le post-AMM, faut-il privilégier les études comparatives contre médicament ou l'observationnel ?
M. Christian Lajoux . - Toute entreprise adhérant au Leem s'engage à respecter la législation. Ces études post-AMM, je le répète, posent essentiellement un problème méthodologique.
Mme Catherine Lassale . - Nous travaillons avec les industriels et la HAS pour améliorer la faisabilité de ces études. Le protocole, la formation des investigateurs et la valorisation des résultats pourraient être améliorés.
M. François Autain , président . - Curieux ! On n'y a jamais pensé avant...
Mme Catherine Lassale . - C'est une question de temps. Pensez que les essais cliniques ont été encadrés par la loi Huriet de 1988. Le Leem, avec la volonté de favoriser ces études, participe aux réflexions sur une nouvelle méthodologie. Ces études sont variées : elles portent sur le suivi de prescription, l'impact sur la santé publique ou encore l'impact sur le système de soins. L'idéal est de comparer l'usage quotidien du médicament par rapport aux stratégies thérapeutiques en général. C'est donc un problème de méthodologie, et peut-être de coût. Les industriels doivent-ils prendre en charge cette comparaison des stratégies thérapeutiques ? Dans les années à venir, peut-être en viendrons-nous au système anglo-saxon de l'évaluation des technologies de santé. Ce serait une bonne chose.
M. François Autain , président . - Le financement de ces études par les laboratoires représenterait-il un obstacle ? Tout au moins, cette cause peut-elle expliquer le retard avec lequel les études sont réalisées ?
Mme Catherine Lassale . - De manière exceptionnelle, seulement lorsque l'étude demandée est colossale au vu d'un faible chiffre d'affaires. La HAS vous l'a sûrement signalé. Point important, ces études sont réalisées par les cliniciens. Les industriels acceptent le financement des études pré-AMM, pourquoi en irait-il différemment pour les études post-AMM ? Ne les condamnons pas.
M. François Autain , président . - Ce n'était pas mon intention... Je cherchais seulement une explication au retard. Si la puissance publique finançait ces études, peut-être cela irait-il plus vite... Au reste, elle le fait parfois.
M. Christian Lajoux . - Le coût de l'étude n'est pas le facteur principal de retard, quoi qu'en disent les entreprises. Il entre en jeu seulement lorsque la méthodologie et l'objectif de l'étude n'ont pas été clarifiés. Au cours de ces dernières années, on a noté une réalisation accélérée de ces études. Quarante sont déjà réalisées !
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Est-ce souhaitable de revenir à une réévaluation régulière des AMM ? D'après le professeur Alexandre, un changement d'indication d'un médicament par la commission d'AMM peut s'accompagner d'une dérogation pour dix-huit mois, période durant laquelle notices et conditionnements devenus inexacts sont écoulés. Est-ce encore exact ? Autrefois, une évaluation régulière tous les cinq ans était prévue. Faut-il y revenir ? Dans ce cas, nous devrions modifier la directive - si ma mémoire est bonne - de 2004. Comment faudrait-il s'y prendre à Bruxelles ?
Mme Catherine Lassale . - La nouvelle législation pharmaceutique européenne, qui s'appliquera en juillet 2012, répond en partie à cette préoccupation. Certes, il n'existe plus de revue systématique des AMM. Celle-ci, pour les industriels, était fastidieuse et plutôt réglementaire. La nouvelle législation prévoit une réévaluation permanente centrée sur le rapport entre bénéfices et risques. Cette législation européenne résoudra les difficultés décrites dans Le Figaro . Souhaitons qu'elle soit transposée le plus tôt possible.
M. François Autain , président . - Apparemment, je n'ai pas la même lecture de la directive de 2010 sur la pharmacovigilance. A quelle partie de ce texte pensez-vous ? Celle sur les AMM conditionnelles ?
Mme Catherine Lassale . - Je pense aux notifications des patients. Au reste, la France a un peu d'avance sur ce terrain...
M. François Autain , président . - Il a fallu forcer la main au Gouvernement...
Mme Catherine Lassale . - ...peut-être, mais pas celle de l'industrie. Je pense également au traitement du signal avec une base européenne, ce qui a été anticipé avec la liste des soixante-dix-sept médicaments - tout médicament posant un problème de pharmacovigilance sera signalé comme tel sur la notice - et, enfin, la réévaluation permanente du rapport entre bénéfices et risques du médicament.
M. François Autain , président . - La précédente directive prévoyait une évaluation unique cinq ans après la mise sur le marché, ce qui constituait un retrait par rapport au système antérieur de réévaluation quinquennale. De ce point de vue, la nouvelle législation n'apporte pas d'améliorations notables. Selon moi, le seul changement qu'elle introduit concerne les AMM conditionnelles dont le seul but est d'autoriser une mise sur le marché plus rapide au terme d'une évaluation incomplète, sous réserve d'une éventuelle étude post-AMM. Je suis inquiet : n'est-ce pas ouvrir la boîte de Pandore ?
M. Christian Lajoux . - Il existe depuis 2004 un plan européen de gestion des risques. Lors de l'autorisation de mise sur le marché, on continue donc d'évaluer le rapport entre bénéfices et risques.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Faut-il conserver ce concept de rapport entre bénéfices et risques ou retenir celui de progrès thérapeutique ?
M. Christian Lajoux . - Les deux, l'un n'allant pas sans l'autre, surtout lorsqu'il est question de sécurité sanitaire.
Mme Christine Lassale . - La notion du rapport entre bénéfices et risques est indispensable. La difficulté réside dans le fait que ce rapport est aujourd'hui mal évalué. Qu'appelle-t-on bénéfice ? Il faudrait également se pencher sur l'acceptabilité sociale de ce rapport. Quant aux AMM conditionnelles, elles sont réservées à des situations particulières. Leur but est de répondre à un besoin thérapeutique spécifique. Seule l'Agence européenne les délivrera, elle réévaluera le produit tous les ans, demandera une étude en fonction de laquelle elle prendra une décision de suspension ou non. Ce système fast track fonctionne bien aux Etats-Unis. Pour preuve, une première décision de suspension a été prise. Il est plus sûr pour le patient que le système des autorisations temporaires d'utilisation (ATU).
M. François Autain , président . - Soit ! Mais, dans la réalité, les agences peinent à suivre...
M. Christian Lajoux . - Les AMM conditionnelles comme le système ATU sous le contrôle de l'Afssaps poursuivent le même but : répondre rapidement aux besoins des patients avec, toujours, le souci de limiter le risque. Dans ce cas, l'urgence est le soin.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Permettez-moi une question directe : que signifie la présence du Leem au sein de la commission de la transparence ?
M. Christian Lajoux . - Elle participe de la transparence au sein de la commission de la transparence.
M. François Autain , président . - Cela demande des éclaircissements supplémentaires...
M. Christian Lajoux . - Mme Lassale y représente, non un industriel, mais un collectif d'industriels, ce qui oblige à la neutralité. En outre, elle y joue un simple rôle d'observateur ; elle n'a jamais voté. D'ailleurs, on réfléchit actuellement à ouvrir ces réunions à un public plus large.
M. François Autain , président . - Votre présence au sein des commissions et des groupes de travail de l'Afssaps n'est, elle, prévue par aucune réglementation ; on comprend qu'elle ait suscité la critique. L'affaire du Mediator a clarifié cette situation. Comment s'est déroulé ce départ ? Êtes-vous partis de votre propre chef ou avez-vous répondu à la demande que la directrice-adjointe de l'Afssaps vous a adressée par courrier ?
M. Christian Lajoux . - Nous avons pris acte de la demande de la directrice-adjointe. L'affaire Mediator comporte plusieurs étapes : le temps de l'émotion, pour les patients et leurs familles, le temps de la réflexion, qui vise l'intérêt collectif ; enfin, le temps de l'expertise. Touchés par cette déflagration, nous n'avons pas voulu envenimer la situation et prendre des décisions qui n'auraient pas été audibles par l'opinion publique. Nous avons donc mis fin à cet usage, nous ne participons donc plus aux commissions auxquelles nous ne sommes pas invités.
M. François Autain , président . - Auparavant, vous alliez aux réunions auxquelles vous n'étiez pas invités. Autrement dit, vous étiez chez vous ! Cet usage faisait l'objet de critiques depuis 2001. J'en veux pour preuve le rapport commun de l'Inspection des finances et de l'Igas. A deux reprises, le directeur de l'Afssaps a été alerté et a dû rendre des comptes. La situation n'était pas claire.
M. Christian Lajoux . - Les industriels ne souhaitent pas une guerre de religions. Ils ne veulent pas mettre de l'huile sur le feu. En revanche, permettez-moi d'insister : notre présence n'influençait en aucun cas les décisions de l'agence, nous y oeuvrions pour la transparence : notre représentant informait les industriels sur le fonctionnement de l'agence, faisait des remarques méthodologiques et donnait des informations sur les pratiques à l'étranger. Aucun membre permanent ne s'est jamais plaint de notre présence.
M. François Autain , président . - Quelle surprise !
Lorsque j'ai eu vent de cette information, j'ai mieux compris le rapport de l'Igas. L'Afssaps est effectivement « culturellement et structurellement en conflit d'intérêts avec l'industrie pharmaceutique » . Votre présence au sein de cette agence est un symptôme, il y en a sans doute d'autres...
M. Christian Lajoux . - Ces propos pourraient porter à confusion...
M. François Autain , président . - Je ne fais que citer les termes du rapport !
M. Christian Lajoux . - Notre présence était discrète, limitée à un simple rôle d'observation. Laisser penser que nous aurions joui du pouvoir d'orienter les décisions est fort mal connaître cette agence et l'engagement des membres permanents de ces commissions à accomplir leur tâche.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Notre mission est de contrôler et d'évaluer la politique du médicament. Nous voulons comprendre le mécanisme et proposer des solutions. Selon vous, faut-il réformer le système de financement des agences sanitaires par l'industrie pharmaceutique ? Si oui, comment faire en sorte que la France ne soit pas pénalisée par rapport aux autres pays européens ?
M. François Autain , président . - Le ministre a fait récemment des déclarations à ce sujet. Vous-a-t-il consulté ?
M. Christian Lajoux . - Non, ce qui était légitime. La proposition du ministre ne nous a pas heurtés. Que les taxes et impôts de l'industrie pharmaceutique financent d'autres budgets que celui de l'Afssaps ne pose aucune difficulté. Ces dernières années, elles constituaient la principale source financière de l'agence, tant la subvention de l'Etat avait diminué.
M. François Autain , président . - Exact ! Dans le dernier budget, soit au moment où l'on annonçait des réformes, elles représentaient même la totalité des ressources de l'agence.
M. Christian Lajoux . - Le Leem s'est opposé à cet état de fait.
Mme Virginie Klès . - La présence du Leem au sein de l'Afssaps s'explique par un souci de transparence, dont acte. La réciproque existait-elle : les représentants de l'Afssaps participaient-ils aux travaux du Leem ?
Mme Catherine Lassalle . - Les travaux de l'Alliance pour la recherche et l'innovation des industries de santé (l'Ariis) sont ouverts aux représentants de l'Afssaps...
M. Philippe Lamoureux, directeur général du Leem . - ...comme à d'autres acteurs publics et privés.
M. Christian Lajoux . - Précisons que le Leem est, aux termes du décret de 1982, légalement membre de la commission nationale de pharmacovigilance.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Pouvez-vous nous présenter en quelques mots l'Ariis ?
M. Christian Lajoux . - L'Ariis réunit les entreprises de santé et leurs syndicats. Son but est de promouvoir l'attractivité de notre territoire. Présidée par le professeur Teillac, elle est située à Boulogne.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Quelle part consacre l'industrie pharmaceutique française, d'une part, à la promotion, d'autre part, à la recherche ?
M. Christian Lajoux . - Question difficile : le cadre français est peu pertinent ; nos entreprises travaillent toutes à l'international. Ensuite, où s'arrête la promotion ? Cela dit, on considère que ces dépenses s'équivalaient ; aujourd'hui, les investissements dans la recherche augmentent. Jadis, les dépenses de promotion étaient plus importantes, cela n'est plus le cas aujourd'hui.
M. François Autain , président . - Pourtant, un certain laboratoire anglais ferme un centre de recherches...
M. Christian Lajoux . - Il faut envisager la situation de manière globale. Les investissements de recherche augmentent tandis que les dépenses de promotion baissent. Nous sommes confrontés à un phénomène de générification. Or, les génériques sont proposés par les pharmaciens, non par les médecins. En France, le nombre de visiteurs médicaux est passé de 24 000 il y a trois ans à 18 000 aujourd'hui. Ce sont des chiffres tangibles, qui correspondent à des suppressions d'emplois.
M. François Autain , président . - Les efforts de recherche sont moins féconds que par le passé.
M. Christian Lajoux . - Soit, mais l'on soigne aujourd'hui un cancer sur deux.
M. François Autain , président . - D'après les statistiques de la HAS, le nombre de produits à ASMR I et ASMR II décroît. Tout le monde s'accorde à dire que la recherche s'essouffle. Dans le même temps, les laboratoires investissent moins. Je faisais allusion à Pfizer qui ferme son centre de recherches de Sandwich. « Pfizer n'a pas le choix » , peut-on lire dans la revue Pharmaceutique , « car il va falloir réaliser des économies pour satisfaire la communauté financière. » Peut-être, y verrez-vous la marque de mon mauvais esprit et Pfizer est-il l'exception qui confirme la règle...
M. Christian Lajoux . - Mon rôle n'est pas de commenter la politique d'une entreprise. Le Leem est un collectif. Les investissements dans la recherche sont extrêmement lourds. Pour qu'un nouveau médicament apparaisse sur le marché, il faut huit, dix, voire douze ans. Entre-temps, les exigences des évaluateurs changent. Le ralentissement, indéniable, est lié aux efforts des industries pour trouver de nouvelles méthodologies adaptées à l'évolution des connaissances scientifiques et aux nouvelles pathologies. En moyenne, les industries de santé investissent 4 milliards d'euros par an dans la recherche. En France, recherches publique et privée collaborent davantage ; le rôle des études cliniques devient fondamental. Si la France a longtemps été un grand pays pour les études cliniques, on observe aujourd'hui un léger décrochage. Les flux se déplacent aujourd'hui vers d'autres parties du monde, notamment l'Asie qui considère l'innovation comme une priorité stratégique.
M. François Autain , président . - Donc, mon interprétation des récentes décisions de Pfizer est erronée, n'est-ce pas ?
M. Christian Lajoux . - Je ne la partage pas et, surtout, il n'est pas de mon ressort de m'exprimer à ce sujet. La revue Pharmaceutiques est un journal destiné aux professionnels.
M. François Autain , président . - Je la reçois gratuitement.
M. Christian Lajoux . - Vous êtes sans aucun doute un observateur vigilant de la société...
Pour en revenir aux autres industries, celles-ci consacrent des efforts importants pour les médicaments orphelins et les études cliniques. On a dénombré une trentaine d'innovations thérapeutiques en 2010. La recherche n'en est donc pas au point zéro. En outre, l'évaluation repose sur les avis de la commission de la transparence, lesquels ne sont pas sans poser quelques interrogations.
M. François Autain , président . - Autrement dit, le thermomètre est mauvais... Faut-il le casser ?
M. Christian Lajoux . - Non, mais il peut être invalidé par l'appréciation portée dans d'autres parties du monde sur d'autres thérapeutiques, notamment chez nos voisins.
M. François Autain , président . - Quel est le pourcentage exact des investissements consacrés à la promotion et à la recherche ?
M. Christian Lajoux . - Selon vous, quel est-il ?
M. François Autain , président . - Je ne peux pas vous répondre. Le but des auditions est justement d'en savoir plus. Les chiffres qui circulent sont consternants.
M. Christian Lajoux . - Environ 12 % à 13 % pour la promotion et 15 % pour la recherche. Pour autant, ces chiffres globaux ne veulent rien dire ; il faudrait les examiner entreprise par entreprise.
M. Philippe Lamoureux . - Je précise que le médicament est l'un des secteurs où l'on investit le plus dans la recherche.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Les enjeux de concurrence entre pays et continents ont-ils une influence sur l'obtention des AMM ? Pour exemple, l'industrie américaine a-t-elle des velléités sur les entreprises européennes ?
M. Christian Lajoux . - La concurrence est forte sans ce que cela n'ait d'incidence sur l'obtention ou non d'une AMM, y compris avec les pays émergents.
Les processus d'autorisation de mise sur le marché se ressemblent désormais d'un pays à l'autre, ce qui diffère c'est la prise en charge collective des médicaments, par leur remboursement. Cependant, la concurrence internationale est rude sur les biotechnologies, qui sont partout perçues comme un secteur d'avenir, actuellement en phase de recherche mais qui passera prochainement dans sa phase d'industrialisation. Il y a ainsi des motifs économiques pour investir dans le secteur, du fait des emplois liés, mais aussi politiques, car la maîtrise de ces technologies nouvelles deviendra une condition de l'autonomie en matière de santé, voire un facteur stratégique dans la diplomatie.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Vous vous êtes prononcé pour un Sunshine Act français. Cette publication des conflits d'intérêts vous semble-t-elle suffisante, ou faut-il qu'on aille plus loin, en interdisant aux experts travaillant pour l'industrie de participer aux instances de régulation ? Quel encadrement pour les relations entre les services de l'Etat et l'industrie pharmaceutique ?
M. Christian Lajoux - Les liens d'intérêts sont un sujet important, la réglementation dont ils font l'objet est précise, mais elle n'a manifestement pas été bien appliquée. Notre position est très claire : toute personne travaillant pour l'industrie pharmaceutique ne doit pas être en position d'évaluer ni d'autoriser la mise sur le marché de ce médicament ou d'un médicament concurrent pour le compte d'une autorité de régulation. Nos règles suffisent-elles ? Nous le saurions mieux si elles étaient mieux appliquées. Lors des Assises du médicament, les industriels annonceront les mesures qu'ils entendent prendre pour améliorer la publicité des liens d'intérêts.
Mme Marie-Thérèse Hermange . - On imagine que la publication des liens d'intérêts suffit à empêcher les conflits d'intérêts, mais on découvre que c'est plus complexe.
M. Christian Lajoux - Comme industriel, je suis favorable à ce que toute la transparence soit faite sur les liens d'intérêts. Cependant, la cloison ne saurait être complètement étanche entre l'industrie du médicament et les médecins. Ce qui compte, c'est de savoir en quelle qualité on s'exprime, et de l'énoncer clairement.
M. François Autain , président . - Nous demandons seulement que la cloison soit étanche entre l'industrie pharmaceutique et les autorités de santé.
M. Christian Lajoux - Mais il faut qu'il y ait un dialogue entre les deux, c'est la démocratie.
M. François Autain , président . - Lors des auditions sur l'épisode de grippe H1N1, les représentants des laboratoires s'étaient déclarés favorables à l'instauration d'un mécanisme inspiré du Sunshine Act . Nous avons proposé d'aller plus loin, en incluant les autres professions médicales dans l'obligation de publier les liens d'intérêts, je pense en particulier aux infirmières, aux assistants médicaux. Il faudrait regarder aussi du côté des associations de patients, des sociétés savantes, qui doivent parfois leur existence et leur pérennité aux subsides des laboratoires. Quelle est votre position personnelle, à défaut de nous faire connaître celle du Leem ?
M. Christian Lajoux - Le Leem est favorable à la mise en place d'un dispositif inspiré du Sunshine Act , qui ne saurait s'appliquer tel quel, en raison des différences avec la situation américaine.
M. François Autain , président . - Elles ne sont effectivement pas minces : les laboratoires, aux Etats-Unis, peuvent financer même les campagnes électorales, nous n'en sommes pas là...
M. Christian Lajoux . - Les industriels doivent aussi déclarer à la HAS leurs liens avec les associations de patients. Cette obligation est nouvelle, les entreprises ne l'ont pas toutes appliquée, mais le Leem les y incite et nous leur demandons aussi de veiller à ce que les associations de patients ou les sociétés savantes ne dépendent pas de leurs subventions.
M. François Autain , président . - Le seuil de dépendance est difficile à établir, surtout que les formes d'aides évoluent et que la loi n'est pas suffisamment précise en n'incluant pas toutes les aides indirectes que les industriels peuvent fournir, qu'il s'agisse de la mise à disposition de locaux, de prestations diverses...
M. Christian Lajoux. - Je vous l'accorde volontiers. C'est pourquoi nous sommes favorables à ce que les règles soient plus claires et qu'elles garantissent qu'on sache en quelle qualité les acteurs s'expriment.
M. François Autain , président . - A peine quatre-vingt-une entreprises ont fait leur déclaration d'intérêts avec des associations de patients. C'est peu. Pensez-vous que des sanctions seraient utiles ? Vous pourriez me dire, cependant, que la menace de sanction ne représente pas toujours grand-chose, comme on l'a vu en cas de défaut d'études post-AMM...
M. Christian Lajoux. - Je crois que le dialogue est une vertu et que nous devons d'abord chercher à convaincre.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Le système allemand, différent du nôtre, fait reposer la politique de prix des médicaments sur les équivalents thérapeutiques : qu'en pensez-vous ?
M. Christian Lajoux. - Effectivement, le système allemand est différent, nous avons fait d'autres choix que les leurs et les industriels ont besoin de règles suffisamment stables pour investir. Nous avons fait le choix de promouvoir les génériques, en incitant les pharmaciens à les substituer aux princeps, tandis que la notion d'équivalent thérapeutique n'est pas bien définie. Ne compliquons donc pas les choses, alors que notre système fonctionne plutôt bien, puisque le médicament ne participe plus à la dégradation des comptes sociaux. Le médicament contribue même pour 1 milliard d'euros par an aux économies de la sécurité sociale, alors même que l'activité ne progresse que très peu.
M. François Autain , président . - Elle progresse cependant.
M. Christian Lajoux - Le chiffre d'affaires progresse de 0,5 % pour les médicaments remboursables. C'est si faible, qu'on en vient à s'inquiéter pour l'attractivité économique de notre territoire.
M. François Autain , président . - Les laboratoires ont été gâtés par le passé...
M. Christian Lajoux - Pour être tout comme vous, soucieux de l'accès des Français au progrès médical et de l'avenir des entreprises implantées en France, je regarde surtout vers l'avenir.
M. François Autain , président . - La direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) s'est alarmée de pratiques visant à contourner la loi « anti-cadeaux », qui a interdit aux laboratoires d'offrir des « petits cadeaux » aux médecins sous quelque forme que ce soit. Les frais de séjour des épouses et des assistants des médecins seraient pris en charge lors des congrè, certains symposiums ne serviraient que de prétextes à des séjours touristiques, des médecins seraient invités à des rencontres gastronomiques ou à des événements sportifs sous couvert de réunions de travail... Avez-vous eu connaissance de telles pratiques frauduleuses, et si oui, qu'envisagez-vous pour les faire cesser ?
M. Christian Lajoux. - Je n'ai pas connaissance de telles pratiques, que je condamne et que la DGCCRF doit poursuivre, si elles sont avérées. Ces pratiques ont pu exister par le passé, mais elles sont révolues depuis bien longtemps déjà et le Leem appelle au strict respect des lois.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Nous ne parlons pas des dispositifs médicaux ni des produits thérapeutiques annexes (PTA), alors que, dans notre rapport sur le Vioxx, nous avions déjà noté leur importance pour la sécurité sanitaire. Qu'en pensez-vous ?
M. Christian Lajoux - Les laboratoires se soucient au premier chef de la sécurité sanitaire des patients. Un projet d'accord est en cours sur l'évaluation de ces dispositifs et nous ne partons pas de rien puisque la réglementation est déjà conséquente.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Nous avons cherché à la renforcer dans le cadre de la loi Fourcade, en particulier les règles de transparence et celles relatives à la provenance des dispositifs médicaux, mais l'impression demeure d'un déséquilibre entre une politique du médicament très réglementée, et un certain vide sur le reste.
M. Christian Lajoux. - Les douze organisations professionnelles regroupées dans la Fédération française des industries de santé (Fefis), dont je me trouve être aussi le président, se soucient éminemment de la sécurité sanitaire des dispositifs médicaux et de la fiabilité des produits mis sur le marché.
Mme Catherine Lassale. - Avec l'usage des biotechnologies, les dispositifs médicaux et les PTA seront appelés à prendre toujours plus d'importance dans les traitements médicaux. C'est pourquoi, en amont, nous recherchons déjà des biomarqueurs communs et des modes d'évaluation, qui puissent s'intégrer à un dispositif d'évaluation élargi. Cependant, il est vrai que les standards diffèrent encore, y compris à l'échelon européen, entre le médicament, les dispositifs médicaux et les PTA.
M. François Autain , président . - Vous vous étiez engagés à faire la transparence sur les études pré-AMM, la loi de 2004 en a fait une obligation. Comment les choses se passent-elles concrètement ? Les résultats des études sont-ils publiés ? A quel moment précis, par rapport à l'AMM ?
Mme Catherine Lassale. - C'est l'Afssaps qui en est responsable, le Leem n'a qu'une faculté d'accompagnement et nous nous y employons pleinement. La loi date effectivement de 2004, mais c'est un arrêté de décembre 2009 qui a défini les modalités de publication de ces études, dans le cadre d'un registre géré par l'Afssaps. La France est ainsi devenue le premier pays européen à publier ces études pré-AMM, les institutions européennes suivent. L'Afssaps reçoit des industriels les résultats des études et les publie sans délai. Echappent à cette obligation les études de première administration à l'homme et de phase I, essentielles au secret de fabrication. Pour les études dont la publication est prévue dans une revue scientifique, l'Afssaps procède à l'inscription au registre seulement dans l'année qui suit la publication scientifique.
M. François Autain , président . - La publication n'est donc pas corrélée à l'AMM ?
Mme Catherine Lassale. - La publication intervient dès la phase II, c'est un grand progrès que l'on doit aux actionnaires, les institutions européennes prennent notre dispositif en exemple.
M. François Autain , président . - Tous les essais sont-ils publiés ? Quid de ceux qui ne sont pas favorables au médicament ?
Mme Catherine Lassale. - L'Afssaps se contente de publier, sans intervenir sur les contenus. Et la mise sur le marché dépendant de l'autorisation que l'Afssaps délivre, le processus relie nécessairement l'étude et l'AMM.
M. François Autain , président . - Les industriels ont coutume de se plaindre des taxes...
M. Christian Lajoux - En particulier des taxes sur l'emploi : l'Etat dit encourager à la création d'emplois, mais nous taxe davantage quand nous en créons...
M. François Autain , président . - Ce n'est pas la taxe sur l'emploi, cependant, qui a désarmé les laboratoires pour leur promotion commerciale !
M. Christian Lajoux - Le nombre de visiteurs médicaux est passé de 24 000 en 2008 à 18 000 aujourd'hui, et nous nous orientons vers 14 000. Ce repli est dû à la promotion des génériques, plutôt qu'à la taxe sur l'emploi.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Quelle réforme pensez-vous qu'il serait utile de faire sur les visites médicales ?
M. Christian Lajoux - Les visites médicales ont été profondément réformées depuis 2004, avec la certification, une charte et un bien meilleur encadrement. De fait, le métier de visiteur médical a considérablement changé et, s'ils ont été désignés par la vindicte populaire, ils exercent leur métier dans des conditions désormais très encadrées. La mission du visiteur médical, du reste, n'est pas seulement de promotion, mais aussi d'information. Les deux tiers des effets de pharmacovigilance remontent par les visiteurs médicaux, il faut en tenir compte. Le contenu de la relation avec le médecin a profondément changé : les visiteurs informent davantage, les médecins sont devenus plus exigeants et plus sensibles qu'avant aux aspects économiques.
M. François Autain , président . - Etes-vous d'accord pour dire qu'une entreprise ne saurait informer sur ses produits sans en faire la promotion ?
M. Christian Lajoux - Je crois qu'on gagnerait à bien identifier les deux fonctions que les visiteurs médicaux assument dans les faits. Les professionnels de santé manquent d'information, les visiteurs médicaux leur sont utiles.
M. François Autain , président . - Vous avez qualifié l'affaire du Mediator de crise médiatique, alors que nous y voyons plutôt la crise d'un système censé contrôler la mise sur le marché des médicaments. J'observe que la presse médicale a mis plus de temps que la presse généraliste à informer sur le Mediator, comme cela s'était passé pour l'affaire du sang contaminé. Le Leem a signé une charte de bonnes pratiques avec le syndicat national de la presse médicale : cette charte est-elle appliquée ? Comment vous en assurez-vous ?
M. Christian Lajoux - Le Leem n'a pas pratiqué une politique d'évitement sur l'affaire du Mediator, nous nous sommes mobilisés avant même que l'Igas ne rende son rapport. Nous n'avons pas été audibles, parce que les médias, dans cette crise, n'étaient pas enclins à entendre le point de vue de l'industrie pharmaceutique : nous ne pouvons que le constater.
Je compte d'autant plus assurer l'application de cette charte, que je l'ai signée moi-même. La presse médicale est confrontée à des difficultés financières, liées notamment à la diffusion des génériques. La presse de formation est dans une situation meilleure, semble-t-il, que la presse d'information. La charte est utile et les industriels ont d'autant plus intérêt à adopter des positions cohérentes qu'ils sont peu audibles dans les crises telles que celle que nous traversons.
M. François Autain , président . - Nous avons pourtant de quoi douter que cette charte soit appliquée ! Elle précise en particulier que les entreprises du médicament développent avec la presse des relations toujours distinctes des relations commerciales, que leurs échanges ne doivent jamais donner lieu à des échanges commerciaux susceptibles de peser sur l'indépendance éditoriale de la presse. Des cas nous ont été cités, en particulier par Mme Virginie Bagouet, où la réalité est encore très différente ! Un rappel à l'ordre s'impose...
M. Christian Lajoux - Il est permanent.
M. Philippe Lamoureux . - Dès avant l'affaire du Mediator, la réflexion avait été lancée d'une autorégulation.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Avant de finir, je tiens à vous dire combien je déplore le faible engagement, pour ne pas dire le désengagement des laboratoires privés vis-à-vis des recherches sur les cellules souches autres qu'embryonnaires, en particulier les cellules issues du cordon ombilical. La France était pionnière en la matière, nous avions de l'avance avec le professeur Eliane Gluckman et le professeur Gorin, mais lorsque les industriels organisent un colloque sur les cellules souches, on ne nous parle que des cellules souches embryonnaires ! C'est incompréhensible.
Mme Catherine Lassale. - Nous avons mis l'accent sur les cellules souches embryonnaires, parce que c'est là que la réglementation française freine la recherche, avec un risque pour la compétitivité de notre industrie : pour les autres cellules souches, la recherche est moins contrainte.
M. François Autain , président . - Merci d'avoir répondu à nos questions.
Audition d'Irène FRACHON, praticien hospitalier au département de pneumologie du Centre hospitalier universitaire de Brest (jeudi 28 avril 2011)
M. François Autain , président . - Nous auditionnons Mme Irène Frachon, pneumologue médecin hospitalier dont les recherches ont été déterminantes pour le retrait du Mediator. Cette audition, madame, est enregistrée et pourra être diffusée sur la chaîne Public Sénat. En application de la réglementation, je vous prie de bien vouloir faire connaître à la mission les liens d'intérêts que vous avez avec l'industrie pharmaceutique.
Mme Irène Frachon, praticien hospitalier au département de pneumologie du Centre hospitalier universitaire de Brest. - J'ai un lien d'intérêts comme investigateur pour les entreprises GSK, Bayer et United Therapeutics, un autre lien d'intérêts en participant bénévolement à des journées de formation auprès des entreprises GSK, Phaser et Actelion, et un troisième lien d'intérêts avec ces entreprises puisqu'elles prennent en charge mes frais pour la participation aux congrès et symposiums qu'elles organisent. J'ai aussi des liens d'intérêts avec l'éditeur de mon livre Mediator 151 mg. Combien de morts ? - je rétablis le sous-titre -, même si l'ensemble des droits d'auteur vont à des causes sociales. Mais les liens d'intérêts les plus forts que j'entretiens, c'est d'abord, comme médecin hospitalier, ceux que je noue avec tous mes patients, en particulier avec les victimes du Mediator et de l'Isoméride. Je pense en particulier - je dirai des prénoms - à Joëlle, à Nicole, à Yvon, à Monique, à Jacqueline, à Marcel, à Maurice et à tant d'autres, je pense aux cinq de mes patients qui y ont laissé leur vie, aux onze qui ont subi une opération à coeur ouvert, je pense à Josiane, cette patiente qui vient tout juste de m'envoyer un SMS pour me dire qu'elle était de nouveau hospitalisée pour une hémorragie et qui termine son message par ces mots : « Je suis à l'hôpital un roman de souffrances. » J'ai entendu le président du Leem parler du temps de l'émotion - je crois effectivement que le temps de l'émotion et de l'empathie compte encore.
Je voudrais vous présenter deux courts extraits de documents audiovisuels édifiants. Le premier date de 1986, c'est un documentaire intitulé : « Le médicament français » . On y voit Jacques Servier déplorer la « liquidation » d'une industrie de pointe, s'insurger contre la volonté, nouvelle à l'époque, de contrôler la qualité des médicaments déjà présents sur le marché, on l'y entend qualifier de « délire dirigiste » les projets de contrôler l'information médicale, au moment où, selon lui, la concurrence internationale a les mains libres pour agir par des « moyens variés » Ce genre de propos, je crois, nous fait deviner les pressions qui se sont exercées pour empêcher le contrôle des médicaments déjà présents, et mis sur le marché. Deuxième document, un documentaire de Mireille Dumas, de mars 1997, sur les risques des médicaments. A cette période, on sait déjà que l'exposition à l'Isoméride, qui connaît un grand essor aux Etats-Unis, fait courir un risque d'hypertension artérielle pulmonaire, mais pas encore qu'elle peut provoquer des valvulopathies, et Jacques Servier cherche à limiter l'impact des résultats des recherches américaines sur les ventes européennes d'Isoméride. Dans ce documentaire, on voit le Professeur Gérald Simonneau, à l'hôpital Antoine-Béclère, parler du lien entre les coupe-faim, l'hypertension artérielle pulmonaire et l'Isoméride. La veille de la diffusion, la chaîne de télévision a reçu la visite d'huissiers, venus à la demande du service juridique de Servier pour une procédure de référé, heure par heure, afin d'empêcher la diffusion ; celle-ci a finalement eu lieu mais, comme on le voit sur l'extrait que je vous propose, chaque fois que le terme d'Isoméride est prononcé, il est gommé par un « bip » : en faisant pression, Servier est parvenu à empêcher la divulgation télévisée de faits pourtant établis.
Cet épisode m'évoque celui que j'ai connu lors de la diffusion de mon livre. La pression était telle que le juge a cru devoir raisonnable de faire effacer mon sous-titre « Combien de morts ? » , craignant que ces termes n'emportent un risque de dénigrement d'un médicament qui était pourtant retiré du marché !
La crainte des procédures est un moyen important pour empêcher des signaux de pharmacovigilance. On peut censurer la parole d'un médecin à la télévision. J'ai également reçu des témoignages de victimes de l'Isoméride. Trois d'entre elles ont obtenu des dédommagements au bout de dix ans de procédure. Pour une maladie qui peut tuer en deux ans ...
M. François Autain , président . - On ne connaît pas le nombre de victimes...
Mme Irène Frachon. - Certaines ont préféré un mauvais arrangement à un mauvais procès et ont échangé leur liberté de parole contre un dédommagement. C'est aussi le docteur Georges Chiche, constatant en 1999 une insuffisance aortique évocatrice d'un lien avec le Mediator, faisant une déclaration de pharmacovigilance et qui est appelé par des représentants du laboratoire, un élu local, un médecin...
M. François Autain , président . - Un adjoint au maire de Marseille ?
Mme Irène Frachon. - J'ai été frappée de ce qu'a dit le docteur Jean-Philippe Seta sur le lien entre valvulopathie et Mediator : selon lui, le cas marseillais n'était pas imputable au médicament mais à un infarctus. Ce cas ne figurerait pas dans sa base. J'ai pourtant la fiche.
M. François Autain , président . - On nous a dit en Italie qu'il y avait des doutes sur le cas de Marseille, et pour le professeur Alexandre, que nous avons entendu avant-hier, c'était plausible.
Mme Irène Frachon. - La valve n'étant pas mitrale mais aortique, ce ne pouvait être lié à un infarctus. A l'époque, cela avait été considéré comme plausible. Le médecin de la pharmacovigilance a rencontré le cardiologue avec un représentant des laboratoires Servier, qui avait tous les documents : le médecin déclarant était sûr de son fait.
M. François Autain , président . - Le professeur Derumeaux conteste l'imputabilité de cette insuffisance aortique au Mediator.
Mme Irène Frachon. - Mme Derumeaux dont j'ai lu l'audition n'a peut-être pas eu le détail des constats. Nous n'avons pas écrit dans l' European Journal of Respiratory Deseases qu'il n'y avait pas de signal significatif sur le Mediator. Le professeur Seta a commenté l'étude de cas-témoins de Brest en disant que le résultat était bizarre alors que les 4,5 % de cas inexpliqués que nous identifions se situent dans la moyenne. Son interprétation est inexacte.
Les pressions sont importantes pour notre sujet. Elles peuvent conduire à une censure, voire une autocensure des médecins. Un cardiologue m'a dit avoir rédigé en 2004 un mémoire de fin de spécialisation sur le Mediator, qui n'a pas été publié parce que son patron estimait qu'il ne pouvait pas lancer un tel pavé dans la mare sans plus de preuve. Un spécialiste de l'Afssaps m'a fait part des difficultés considérables d'un collège qui dénonçait les effets indésirables d'un médicament des laboratoires Servier. La crainte d'un recours procédurier peut bel et bien constituer un obstacle : on l'a vu avec le Ketum, et cela explique la frilosité des autorités de santé.
Quand nous signalons des effets indésirables, les firmes insistent pour que nous leur donnions des précisions. Or, dans le cas du Mediator, je n'ai pas eu de nouvelles ni de retours des laboratoires Servier. Ce n'est que cinq mois après le retrait du médicament que j'ai reçu un mail du laboratoire me demandant les comptes rendus d'hospitalisation, que le secret médical m'interdisait de transmettre tels quels. S'agissait-il de préparer un futur procès ?
Quand notre sous-titre a été censuré, l'avocat du laboratoire a expliqué qu'avec le Mediator il ne s'agissait ni d'un anorexique ni d'une amphétamine, que la molécule, le benfluorex, était différente de la fenfluramine. J'avais montré la nature de la molécule à partir d'un document issu des laboratoires Servier, que l'avocat a écarté comme de provenance inconnue avant d'expliquer qu'il n'y avait pas d'étude d'imputabilité pour des atteintes vasculaires. On peut gagner des procès avec des affirmations inexactes...
En juin 2010, Jean Marimbert a déclaré dans Metro que si l'on avait suspendu le Mediator en 2007 ou 2008, les laboratoires Servier auraient contre-attaqué et obtenu gain de cause. Certaines décisions négatives de l'Afssaps ont été contestées et désavouées ...
M. François Autain , président . - Ces décisions négatives sont peu nombreuses : c'est l'exception qui confirme la règle... les responsables de l'Afssaps l'ont confirmé.
Mme Irène Frachon. - La suspension du Ketum, un gel qui brûle en cas d'exposition au soleil, a été tardive, et le Conseil d'Etat a estimé que la décision de retrait comportait un risque pour le chiffre d'affaires du laboratoire, cela sur la base d'informations fausses. Le directeur général du laboratoire l'a reconnu dans le Télégramme de Brest , « le Ketum ne représente que 3 % de notre chiffre d'affaires, mais il a fallu user de cet artifice pour avoir accès au référé, sinon le produit était mort » . L'un des vice-présidents de la commission d'autorisation de mise sur le marché nous avait prévenus des difficultés suscitées par les recours. Cela m'effraie car pour l'Isomeride, les laboratoires Servier ont exercé des recours jusqu'en 2004...
M. François Autain , président . - Il a perdu...
Mme Irène Frachon. - Je m'interroge sur l'impact de ces recours sur la sérénité des décisions.
J'en viens à la presse. Le quotidien du médecin a publié en juin 2010 un encart des laboratoires Servier disant qu'à ce jour, on n'avait établi aucun lien entre le Mediator et le valvulopathie cardiaque, et ce fut la seule information présentée aux généralistes... M. Marimbert nous a dit que le produit avait été suspendu, sans que les malades soient prévenus. Après mon livre, les experts de l'Afssaps étaient fâchés et les critiques des salariés des laboratoires Servier ont circulé par mails, des membres des commissions en recevant copie.
M. François Autain , président . - Le président et le vice-président de la commission d'autorisation de mise sur le marché ont reconnu les faits. Mme Nancy avait un lien avec un membre de cette commission...
Mme Irène Frachon. - ... qui est traversée de beaucoup de conflits d'intérêts. Grâce à la presse, puis à Gérard Bapt, l'affaire est allée à son terme. Cela m'a épargné des ennuis.
M. François Autain , président . - Lesquels ?
Mme Irène Frachon. - On a cherché à me punir. Le conseil de l'ordre a été interrogé, la direction de mon hôpital a été prévenue.
M. François Autain , président . - Pourrez-vous nous remettre les mails ?
Mme Irène Frachon. - Bien sûr . Heureusement, je l'avais prévenue et elle m'a fait confiance.
M. François Autain , président . - Son président ne tarit pas d'éloge à propos de votre action.
Mme Irène Frachon. - Je le crois sincère... En réalité, de telles situations peuvent révéler des liens et des comportements dont on n'avait pas conscience, comme cela a été le cas lorsque certains envoyaient copie des mails me concernant, ce qui pose un problème de confidentialité.
Toutes ces pressions expliquent la difficulté que l'on rencontre à publier nos études. Le Journal de la Société française de pharmacologie et de thérapeutique a refusé notre article.
M. François Autain , président . - Société dont le trésorier est M. Schiavi, un cadre des laboratoires Servier...
Mme Irène Frachon. - Si j'ignore qui en est président, j'ai relevé les liens d'intérêts de l'éditeur avec les laboratoires Servier. Je me suis également interrogée à l'occasion du congrès européen de cardiologie qui s'est tenu en août 2010...
M. François Autain , président . - ... à Stockholm.
Mme Irène Frachon. - Nous avions soumis plusieurs abstracts décrivant les lésions des fameuses valvulopathies au Mediator ; ils ont tous été refusés. Bien sûr, il existe un processus de validation scientifique de ces décisions, mais l'on ne voit peut-être pas d'un bon oeil nos critiques quand les laboratoires Servier apparaissent en tête de liste des sponsors. La Société française de cardiologie était présente au même congrès : sa newsletter affichait en toute transparence le soutien des laboratoires Servier. Nos critiques étaient-elles trop nombreuses ? L'article a été finalement publié en anglais dans une revue canadienne de bon niveau.
Il est vrai que, menée par les laboratoires Servier, l'étude Regulate sur les effets secondaires du Mediator a été saluée par les cardiologues.
M. François Autain , président . - On a déploré sa lenteur.
Mme Irène Frachon. - Elle a mis dix ans pour sortir ! Les journaux s'adressant aux cardiologues ont souligné qu'il n'était pas question de mettre en cause le laboratoire qui l'a rendu publique.
M. François Autain , président . - L'Afssaps a sommé le laboratoire de la mener.
Mme Irène Frachon. - Mme Derumeaux a bien raconté comment elle avait procédé à son étude échographique. Le médicament concurrent était la glitazone, et l'étude portait sur la fonction ventriculaire. Au courant du cas espagnol, Mme Derumeaux avait demandé qu'on étudie aussi les valvulopathies, à l'exception des triviales. En mars-avril 2009, comme j'étais très préoccupée par la toxicité du Mediator, j'ai interrogé le Professeur Gérald Simonneau, qui anime un réseau français sur hypertension artérielle pulmonaire. Jean-François Cordier, professeur de pneumologie à Lyon a communiqué le mail à tous ses collègues lyonnais, dont Philippe Moulin, investigateur principal de Regulate . Celui-ci a immédiatement écrit à Jean-François Cordier car il était d'autant plus intéressé que les laboratoires Servier considéraient en 2008 qu'à l'exception du cas espagnol, tout était très calme. Mme Derumeaux m'a adressé des responsables de pneumologie et a fait prendre en compte dans l'étude les valvulothérapies triviales. L'Afssaps, mise au courant, a demandé le résultat en septembre - il faut mettre sa publication au crédit des laboratoires Servier.
Sans se mettre à la place de la police ou de la justice, l'on doit constater qu'il y a eu des informations inexactes qui ont été diffusées, et que des pressions ont occulté des signaux de pharmacovigilance, ce qui choque le médecin que je suis.
M. François Autain , président . - Pouvez-vous citer des faits précis qui caractérisent ces pressions ?
Mme Irène Frachon. - Je vous en ai parlé et Virginie Bagouet les a décrites. J'en ai eu d'autres échos, qu'il s'agisse du Panorama du médecin ou d'un journaliste comme Eric Giacometti. Des amis, grands reporters de la grande presse, m'ont mise en garde sur les risques que me faisait courir le livre, même si les faits étaient parfaitement établis. Fallait-il parler ou se taire ? Outre la réaction des autorités, l'on constate que des acteurs très engagés ont du mal à prendre leurs distances par rapport à une industrie qui subventionne la recherche, les bourses accordées aux étudiants, les organisations, ainsi la Société française de pharmacologie a beaucoup hésité à refuser de participer à un symposium de Servier car la pharmacologie fondamentale a besoin de ses subventions pour les bourses des étudiants - le prix Servier attribué à un jeune pharmacologue clinicien atteint 3 500 euros.
M. François Autain , président . - Toutes les sociétés savantes ne sont donc pas indépendantes de l'industrie pharmaceutique ?
Mme Irène Frachon. - Elles le disent, tout le monde le sait très bien. Que faire ? Dans Le Cardiologue , un syndicat de cardiologie a publié en mars 2011 un éditorial annonçant que rien ne serait plus comme avant, que le « tsunami médiatique » provoqué par le fenfluorex avait modifié les approches. Mais comment modifier l'approche des conflits d'intérêts ? Une newsletter du même syndicat, publiée en 2010 à l'occasion d'un congrès aux Etats-Unis, consacrait un article à l'Ivabradine, des laboratoires Servier, dont il n'était pas question dans le congrès, et un mois après l'éditorial, à l'occasion d'un autre congrès américain, une autre newsletter faisait l'éloge de cette molécule.
Les institutions de recherche ne savent guère comment se passer des laboratoires. Il est cependant possible de résister. Une société savante de pathologie vasculaire a annulé sa participation à une journée organisée par Biogaran, une filiale des laboratoires Servier, qui avait refusé de séparer le message publicitaire du message scientifique.
M. François Autain , président . - Une saine réaction !
Mme Irène Frachon. - Cela signifie qu'organiser une autre réunion sera difficile...
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Nous sommes tous bouleversés par ces dossiers, de même que nous le sommes lorsqu'une employée du groupe Servier nous dit qu'un commerçant refuse de la servir en la traitant de « tueuse ». Nous ressentons beaucoup d'émotion. Notre mission concerne l'évaluation et le contrôle, nous ne sommes pas un tribunal.
J'observe qu'un laboratoire n'a aucun moyen légal pour s'opposer à un signalement de pharmacovigilance. Les pressions sont-elles exclusivement le fait des laboratoires Servier, ou bien d'autres laboratoires agissent-ils de la même manière ?
Mme Irène Frachon. - Je vous ai parlé du Ketum, ce gel pour lequel un autre laboratoire a exercé des pressions. Généralement, lorsqu'un effet secondaire est signalé, les laboratoires demandent des précisions et assurent un excellent travail de pharmacovigilance. J'ai mieux compris lorsque Jacques Servier a jugé saugrenu de revenir sur des médicaments sur le marché depuis trente ans.
La pression sur les victimes passe aussi par la durée de la procédure, sa violence pour des malades. Le distilbène a donné lieu à un combat sans fin face à un autre laboratoire. La méthode employée à l'égard des victimes était très proche. La victime d'un anti-parkinsonien de GSK provoquant une libido exacerbée...
M. François Autain , président . - ... Et une addiction au jeu...
Mme Irène Frachon . - ... et des comportements gênants a gagné en première instance, mais le laboratoire a fait appel : la procédure peut s'éterniser.
Quant aux praticiens, encore faudrait-il qu'ils puissent faire appel à un médiateur. M. Chiche aurait été content de pouvoir le faire.
M. François Autain , président . - N'est-ce pas le rôle de l'Afssaps ?
Mme Irène Frachon. - D'un côté, une victime est confrontée à une interminable procédure, de l'autre, les autorités de santé sont intimidées, le professeur Lucien Abenhaim et Didier Tabuteau ont fait état d'une ambiance stressante.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Pensez-vous que le Mediator aurait dû être interdit dans les années 90, comme l'a assuré l'Igas, ou en 2003, comme le dit le professeur Alexandre ?
Mme Irène Frachon. - En 1997, par précaution, en même temps que sa famille, les fenfluramines.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Le professeur Jean Acar a mis en cause votre étude et relevé des biais méthodologiques importants ainsi qu'une analyse peu rigoureuse de la cohorte des patients décédés.
Mme Irène Frachon. - Il vise non mon étude cas-témoins de Brest, mais celle de la Caisse nationale d'assurance maladie, qui a évalué un nombre de victimes. Les critiques du professeur Acar concernent seulement le décompte des décès.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Et le docteur Annick Alpérovitch ?
Mme Irène Frachon . - Il s'agit de quelques mots dans un mail. Je n'en ai pas débattu avec elle. Notre pourcentage de valvulopathies inexpliquées dues à l'exposition au Mediator (77 %) la choque car le professeur Christophe Tribouilloy a trouvé un chiffre de 40 %. Notre résultat m'avait interpellée, puis j'ai pensé aux 80 % de cancers du poumon qu'on explique aujourd'hui par le tabac, alors que ce pourcentage avait été contesté en son temps. Je pense qu'il en est de même et que le Mediator explique une large part des valvulopathies inexpliquées. J'ai parlé dans mon livre d'un « éléphant rose dans un couloir » ; en fait, chaque cardiologue voit peu de cas et ils sont dispersés dans le temps. Quant aux biais, je me suis appuyée sur la méthodologie du professeur Grégoire Le Gal. Les problèmes se posent quand les différences sont faibles mais, dans notre cas, les différences sont énormes, si bien que les biais ont moins d'importance.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - La mission est appelée à formuler des propositions concernant la politique du médicament. Lesquelles lui suggèreriez-vous ?
Mme Irène Frachon . - Je n'ai pas de compétence sur l'organisation de l'Afssaps, en revanche, j'ai été choquée de constater que le Conseil d'Etat puisse invalider une décision de santé publique afin de préserver les intérêts d'un industriel. La protection de la santé publique est-elle sur le même pied, ne devrait-on pas lui donner la prééminence ?
M. François Autain , président . - C'est aussi notre interrogation. Peut-on retirer du marché un médicament qui a de graves effets indésirables ? Certains nous répondent que ce n'est pas possible, le professeur Bernard Bégaud pense le contraire. J'ignore si cela peut se traduire par une réglementation ; cela relève plutôt de la pratique des experts, qui doivent privilégier l'intérêt des patients.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Les études post-AMM, quand elles sont effectuées, donnent parfois des résultats scientifiques douteux. L'on pense aussi au Vioxx, et à l'inadaptation souvent constatée entre les normes pasteuriennes qui décident de l'AMM et l'usage des médicaments contre des pathologies chroniques qui s'étalent dans le temps et touchent une large population.
Mme Irène Frachon. - L'Actos n'est pas de mon domaine de compétence ; j'ai pourtant été alerté par l'Afssaps par lettre et par mail des effets de la pioglitazone. Une telle démarche, si elle avait été engagée, aurait changé le cours de l'usage du Mediator. La transmission de l'information est-elle de nature à inquiéter ? Parlons aussi des bénéfices et des risques des médicaments sans infantiliser les patients. On peut prendre un risque raisonnable, en surveillant les effets d'un produit.
M. François Autain , président . - Ne trouvez-vous pas étonnant qu'on mette sous surveillance un médicament à ASMR V, donc sans intérêt, plutôt que le retirer du marché ?
Mme Irène Frachon. - Je comprends l'argument mais il y a des cas plus complexes.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - L'hypertension artérielle pulmonaire est-elle si facile à soigner ? Les médecins varient, les prescriptions aussi : vous aussi, vous procédez à des essais.
Mme Irène Frachon. - Il faut pouvoir partager l'incertitude. Cela peut constituer un choc pour les patients de constater que les médecins doutent. Je parle de confiance éclairée par rapport à la confiance aveugle. Le médecin doit expliquer les effets d'un médicament.
Mme Virginie Klès . - Faut-il le dire aux gens ? Il y a là une carte à jouer en signalant les effets secondaires de médicaments, car les Français sont les plus grands consommateurs de médicaments au monde. Les laboratoires, qui ont intérêt à vendre, n'y sont pas favorables, naturellement.
Mme Irène Frachon. - C'est dès l'école qu'il faut former à la santé. On insiste beaucoup sur la nutrition, un regard critique sur les dangers éventuels des médicaments serait bienvenu.
Mme Virginie Klès . - Le remboursement des médicaments n'est pas indifférent. Le vétérinaire que j'ai été sait que les médicaments vétérinaires, n'étant pas remboursés, sont mieux surveillés... Quand une vache meurt, on regrette l'argent dépensé. Le remboursement par la sécurité sociale peut gêner l'apprentissage du risque.
Mme Irène Frachon. - Il suffit de présenter sa carte Vitale pour repartir avec un sac plein de médicaments...
M. François Autain , président . - ... que le médecin a prescrits. Sa responsabilité est première, même si certains médicaments sont demandés par le patient et en quelque sorte coprescrits.
Mme Irène Frachon. - Ce fut le cas avec le Mediator. Des généralistes m'ont dit qu'ils avaient pensé aider des malades en surpoids en prescrivant un médicament sans risque.
Ma deuxième suggestion concerne les lanceurs d'alerte. Il faut une autorité.
M. François Autain , président . - Nous réfléchissons à un statut, à une protection du lanceur d'alerte.
Mme Irène Frachon. - Le signalement ?
M. François Autain , président. - Il y a des propositions en ce sens.
Mme Irène Frachon. - Les victimes, enfin. Quel déséquilibre énorme entre la puissance des industriels et l'impossibilité pour les victimes de former un contrepoids ! L'Isoméride a eu un coût élevé aux Etats-Unis pour les laboratoires, pas en France. On agit dans l'urgence de l'événement, on improvise un comité de suivi sans fonds, sans budget. Il y a eu d'autres affaires que le Mediator et il y en aura encore. Ne pourrait-on accomplir quelques progrès en anticipant ?
M. François Autain , président . - L'action de groupe améliorerait-elle les choses ?
Mme Irène Frachon. - Sans être juriste, je constate que le contrepoids est actuellement inexistant, et que le rapport de forces est très défavorable aux victimes.
J'ai, pour ma part, été soutenue par mon directeur d'hôpital. En revanche, des universitaires ont des engagements avec les industriels. Je ne voudrais pas que le professeur Grégoire Le Gal, qui est brillant, ait souffert dans cette affaire. Il a réuni des collègues pour présenter un projet à l'occasion du grand emprunt. Son projet a été refusé par un jury international composé d'universitaires - à l'exception des deux Français, l'un représentant les laboratoires Servier, l'autre Sanofi-Aventis. Cela m'a troublé et Gérard Bapt s'en est ému mais Mme Valérie Pécresse nous a rassurés : « La composition du jury reflète la complémentarité des compétences. ». Reste que les deux représentants français n'étaient pas présentés comme universitaires et que ce n'était le cas que d'une seule autre personne, un Américain.
M. François Autain , président . - Je vous remercie d'avoir répondu à nos questions.
Audition de M. Christian RICHÉ, professeur de pharmacologie, responsable du centre régional de pharmacovigilance de Brest, ancien président de la commission nationale de pharmacovigilance (1998-2001) (mardi 3 mai 2011)
M. François Autain , président . - Monsieur Riché, professeur de pharmacologie et responsable du Centre de pharmacovigilance de Brest, a exercé des fonctions importantes à l'Afssaps. Il a en effet présidé la commission nationale de pharmacovigilance (CNPV) durant les années cruciales où le Mediator a été maintenu sur le marché.
Je vous rappelle, monsieur le professeur, que notre audition est ouverte à la presse et fait l'objet d'un enregistrement audiovisuel qui pourra être diffusé sur la chaîne Public Sénat et figurera sur le site Internet du Sénat. Conformément à la législation en vigueur, je dois également vous demander si vous avez des liens d'intérêts avec l'industrie pharmaceutique ou avec des organismes de conseil intervenant dans ce domaine.
M. Christian Riché, professeur en pharmacologie, responsable du centre régional de pharmacovigilance de Brest . - Conformément à la réglementation, je dépose régulièrement une déclaration d'intérêts à l'Afssaps, où je suis expert externe et préside deux groupes. Dans cette déclaration d'intérêts, je précise que je fréquente des réunions de l'association des cadres de l'industrie pharmaceutique (Acip), mais je n'entretiens aucun lien avec un laboratoire en particulier. Je ne travaille pas avec l'industrie. Voici trois ou quatre ans, l'Afssaps s'est rendue en Catalogne pour rencontrer des responsables politiques, dans le cadre de la loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST). J'ai découvert ultérieurement que, curieusement, le voyage était financé par un laboratoire.
M. François Autain , président . - Pourquoi vous en étonnez-vous ?
M. Christian Riché . - Des représentants de la direction générale de l'offre de soins (DGOS) et de la Haute Autorité de santé (HAS) participaient à cette réunion où nous avons rencontré le vice-ministre de la santé de Catalogne. Or, j'estime que ce genre de déplacements devrait être à la charge de l'Etat !
M. François Autain , président . - En effet. Voilà une nouvelle démonstration de l'interdépendance entre les laboratoires et ceux qui sont chargés de les contrôler.
M. Christian Riché . - Ce lien d'intérêts devrait bientôt tomber, en raison du délai de prescription, mais il me gêne. Je réalise et signe un certain nombre d'expertises pour l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) dans le cadre européen. Or, cette situation m'a mis en porte-à-faux dans l'une de mes dernières expertises.
M. François Autain , président . - Tous vos collègues que nous avons l'occasion d'entendre nous déclarent que sans l'industrie pharmaceutique, ils ne pourraient participer aux voyages et congrès.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Qu'en est-il de l'Acip ?
M. Christian Riché . - Les réunions de l'association se tiennent à Paris. Mes déplacements ne sont pas pris en charge. Jusqu'au mois de décembre, j'avais un bureau à l'Afssaps. Je travaille également depuis mon centre hospitalier universitaire (CHU). Hier, j'ai participé à un groupe de travail de l'Afssaps. Ce matin, j'ai assisté à une réunion de concertation. Je me rends donc régulièrement à Paris. Il arrive que le Leem (Les entreprises du médicament) m'invite à des réunions. Mais, en aucun cas, mes frais d'hébergement ou de déplacement ne sont pris en charge. J'ai seulement la faiblesse d'accepter les petits fours...
Je rencontre parfois, à leur demande, des représentants des laboratoires. En effet, j'ai travaillé à la mise en place des observatoires du médicament, des dispositifs médicaux et de l'innovation thérapeutique (OMéDIT), créés par le professeur Cano alors qu'il présidait le Ceps (Centre économique des produits de santé), pour l'utilisation des médicaments onéreux. Avec quelques collègues et sous l'égide de deux agences régionales de santé (ARS), nous avons mis en place un OMéDIT interrégional expérimental, dans le cadre de la tarification à l'activité (TAA). Je me suis ainsi rendu en Catalogne en raison de mon expertise dans la gestion des médicaments onéreux. Les médicaments hors autorisation de mise sur le marché (AMM) peuvent être utilisés dans deux cadres : les autorisations temporaires d'utilisation (ATU) en cas d'intérêt véritable pour le patient, et les protocoles temporaires de traitement. J'ai rédigé le cahier des charges de ces OMéDIT avec Mme Dahan, dans le cadre d'une mission ministérielle. Ce cadre devrait être généralisé, pour éviter les utilisations débridées hors AMM. Cette possibilité d'utiliser les médicaments dans un cadre très précis et avec une surveillance particulière, est un avantage considérable pour les patients français.
M. François Autain , président . - Certes, mais ces dispositifs représentent un coût très important.
M. Christian Riché . - En effet. Cependant, d'aucuns estiment que si l'expérience actuellement conduite en Bretagne-Pays de la Loire était généralisée, l'économie réalisée pourrait atteindre 3 milliards d'euros.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Pouvez-vous nous expliquer en quoi consistent précisément les OMéDIT ?
M. Christian Riché . - Dans le cadre de la TAA, les malades sont pris en charge de façon globale. Or certains médicaments très onéreux sont exclus de cette prise en charge et leur utilisation doit être contrôlée : ils peuvent être utilisés dans le cadre de l'AMM ou dans celui des protocoles temporaires d'utilisation. Ces protocoles sont l'équivalent des ATU, qui portent sur les médicaments non encore commercialisés. Ce dispositif est une exception française.
M. François Autain , président . - Ce sujet n'est pas entièrement étranger à notre propos, mais je souhaite que vous interveniez plus spécifiquement sur les enseignements à tirer sur le Mediator et sur le rôle que vous avez joué en tant que président de la commission nationale de pharmacovigilance.
M. Christian Riché . - Je ne suis plus membre de cette commission.
M. François Autain , président . - Vous êtes en revanche sollicité par l'Afssaps en tant qu'expert externe.
M. Christian Riché . - Je suis actuellement membre titulaire de la commission d'AMM. Je préside également le groupe « Médicaments et sécurité routière » et le groupe « Qualifications », qui examine les protocoles temporaires d'utilisation et donne un avis au directeur général sur la validité du cadre réglementaire et scientifique d'utilisation.
Je n'ai pas préparé d'intervention liminaire, mais je souhaite effectuer deux rappels. J'ai été confronté en deux occasions au benfluorex, principe actif du Mediator, avec un contraste presque dramatique. La première fois, je présidais la commission nationale de pharmacovigilance - mon mandat s'est exercé entre 1998 et 2001. Dans le cadre des déclarations réglementaires, Mme Frachon nous avait demandé de travailler sur le benfluorex, auquel elle allait consacrer un article. Ma collaboratrice a contribué à la rédaction de cette publication. Nous avons constitué la bibliographie et interrogé le laboratoire à propos du métabolisme du produit. Les réponses de celui-ci étaient tout à fait rassurantes. Après la publication de l'article, nous avons géré les déclarations de Mme Frachon en utilisant le système d'interrogation du PMSI (programme de médicalisation des systèmes d'information). Grâce à cette méthode, très développée au CHU de Brest, Mme Frachon a pu suivre ses patients. Elle en a tiré vingt-deux dossiers, sur lesquels le centre a formulé onze observations qui ont été portées au comité technique de pharmacovigilance. Mes collaborateurs du CHU et moi-même avons apporté notre appui technique à Mme Frachon dans son parcours auprès de l'Afssaps, qui peut s'avérer complexe.
Une phase active correspond à la sortie du Mediator. Une deuxième phase, entre 1998 et 2000, a été marquée par une étonnante passivité, comme je l'ai expliqué à l'Igas (Inspection générale des affaires sociales). Le produit était conjointement et majoritairement suivi au niveau européen.
M. François Autain , président . - Pouvez-vous l'expliquer ?
M. Christian Riché . - Aujourd'hui, un Etat peut suspendre de manière temporaire l'autorisation d'un médicament, mais la décision définitive revient aux instances européennes. A l'époque, ce processus était facultatif. Nos collègues italiens avaient demandé une étude du dossier du benfluorex au niveau européen. Or les relations entre les autorités sanitaires françaises et européennes sont marquées par des dysfonctionnements. Dans mon rapport à l'Inspection générale des affaires sociales (Igas), j'ai résumé les enseignements que j'avais pu tirer de cette affaire, par des voies en partie étrangères à l'Afssaps : voici près d'un an, j'ai pris connaissance du rapport italien, que je n'avais pas reçu à l'époque.
M. François Autain , président . - Trouvez-vous cela normal ?
M. Christian Riché . - Je trouve naturellement tout à fait anormal que le rapport italien ne m'ait pas été communiqué.
M. François Autain , président . - Comment l'expliquez-vous ?
M. Christian Riché . - J'ai pris mes fonctions à la présidence de la commission nationale de pharmacovigilance de l'Afssaps en juillet 1998. On m'a dit que je n'avais pas besoin de me mettre au travail immédiatement. Lorsque je me suis enquis des textes que l'on m'avait donnés à signer dans un parapheur, on m'a répondu que ces textes étaient déjà partis. J'ai donc refusé de les signer. Je ne peux qualifier mes relations avec l'Afssaps de « tendues », car l'atmosphère était feutrée, mais nous avions un profond désaccord sur le contenu des fonctions de président. Mes prédécesseurs se contentaient de présider le comité technique mensuel et la commission nationale, et de s'enquérir de la préparation des séances. Or le président de la commission nationale est membre de droit de la commission d'AMM et de l'ensemble des groupes de travail. J'ai donc décidé d'assister aux réunions de tous les groupes, bien qu'un infarctus en mai 1999 m'ait écarté pendant quelque temps. J'ai ensuite repris ma participation, pour m'informer des discussions en cours. La vision de ma fonction qui prévalait à l'époque était très honorifique. J'étais alors le président le plus jeune que la commission ait jamais eu.
M. François Autain , président . - La fonction de président de la commission nationale de pharmacovigilance à l'Afssaps était donc honorifique...
M. Christian Riché . - En effet. L'époque est au mélange des genres. M. Lionel Benaïche, magistrat, avait été chargé par l'agence de mettre en place une réflexion sur les conflits d'intérêts. Les propos qu'il a tenus à l'ensemble des présidents de commission m'ont extrêmement surpris, car je ne me préoccupais pas de ces questions. Quatre ou cinq mois après mon accession à la présidence, un fonctionnaire du ministère de la santé m'a proposé de participer à des sessions sur la gestion des risques organisées par le Centre national de recherche scientifique (CNRS). Je m'y suis senti comme M. Jourdain, qui fait de la prose sans le savoir : j'étais considéré comme une personne compétente et, pourtant, j'ai eu l'impression d'apprendre mon métier. J'ai été très séduit par l'approche du risque présentée à ces sessions, par la prise en compte des « quasi-événements » dans l'aviation, et qui peut être transposée dans le domaine sanitaire. Or les habitudes de l'Afssaps rendaient très difficiles les changements d'approche.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Notre mission a un rôle d'information et de contrôle sur l'élaboration de la politique du médicament, à partir du cas du Mediator. Vous avez rédigé une note sur la notification spontanée, l'imputabilité et une première approche de l'utilisation des bases de données locales. A votre avis, quelle réflexion concrète et institutionnelle doit être engagée pour faire évoluer la politique de pharmacovigilance ? Lors de nos auditions, nous avons entendu de nombreuses critiques sur les conditions de travail des structures de pharmacovigilance, notamment leur manque de moyens et de réactivité face au risque. Cette réactivité dépend-elle exclusivement des moyens ou d'une meilleure approche de la notification et de l'imputabilité évoquée dans votre note ?
M. Christian Riché . - Depuis des années, je m'oppose à l'imputation dans sa forme classique et conventionnelle, qui conduit à des déclassements abusifs de signalements, comme dans le cas du Mediator, pour maintenir ces médicaments sur le marché. Il faut tenir compte des critères de nouveauté et de gravité.
Le problème est également de nature culturelle : j'ai écrit à de nombreuses reprises que le système s'était fixé sur la notification spontanée sans s'en donner les moyens ou la culture. La déclaration obligatoire des événements n'impliquait ni sanction ni contrôle. A mes yeux, c'était le pire des dispositifs possibles. Certes, nous ne pouvons nous dispenser de l'expérience médicale, qui conduit les médecins à s'interroger et effectuer des signalements. Néanmoins, nous devons habituer nos confrères à se préoccuper de la destination de leurs déclarations. Auparavant, la complexité de la déclaration au centre et l'absence de retour tendaient à décourager les médecins. L'informatisation du métier médical doit désormais permettre de détecter les interrogations de nos collègues. La survenue d'un accident nécessite un enchaînement de défaillances. La notification spontanée, l'imputabilité, les rapports avec l'Europe, les durées de réponse et de mise en pratique - il a fallu sept ans pour réaliser un essai - constituent autant de dysfonctionnements. C'est le phénomène du « fromage suisse », le gruyère : il faut de multiples dysfonctionnements pour que ceux-ci apparaissent. Néanmoins, à présent que les valvulopathies liées à ce médicament sont connues, il est plus aisé de les repérer. Si nos collègues cardiologues et cliniciens avaient pu signaler ces valvulopathies de manière régulière, malgré tout j'ai du mal à penser qu'une action n'aurait pas été déclenchée. Il peut s'avérer particulièrement intéressant de consulter les vidéos montrant la gestion par l'Afssaps d'un médicament comme l'Actos : la commission nationale de pharmacovigilance vient de s'exprimer, par ma voix, en faveur d'une suspension. Je n'ai probablement pas été convaincant.
M. François Autain , président . - Nous avons regardé ces vidéos, mais les protagonistes n'y sont pas identifiés.
M. Christian Riché . - Seuls quatre membres de la commission d'AMM se sont prononcés en faveur d'une suspension, ce qui constitue un échec retentissant. J'ai appris de cette affaire que quinze alertes et un avis de la commission nationale de pharmacovigilance suscitent une certaine indifférence. Nous devons mettre en place un système d'identification des événements. A Brest, nous interrogeons régulièrement la base PMSI en utilisant un certain nombre de codes sous lesquels les médecins rapportent les événements indésirables. Lorsque nous cherchons un élément précis, il nous est possible d'interroger directement les établissements. Il faut demander une autorisation au collège médical et respecter la confidentialité. Mme Irène Frachon avait procédé ainsi pour le Mediator.
Il faut donc améliorer le dossier médical informatisé à l'hôpital, ce qui est de toute façon une nécessité pour la gestion des établissements. En médecine libérale, la situation médicale est quelque peu différente. Vous avez probablement entendu parler de ce produit, le Ketum, que la France avait suspendu. Les autorités européennes ont ensuite déclaré qu'elles allaient étudier la question et prendre une décision dans trois ans. Voilà un véritable camouflet : l'Europe a fait peu de cas de la décision française. Comment devons-nous nous positionner en Europe ? Nous avons le droit de suspendre un médicament, mais l'Europe peut invalider cette décision, ce qu'elle a fait pour le Ketum. Aux Etats-Unis, pourtant plus intégrés que l'Europe, les Etats possèdent une certaine autonomie dans le domaine judiciaire. Dans le domaine de la sécurité, les Etats ne pourraient-ils se protéger en se réclamant d'une autonomie similaire ?
Il existe deux types d'événements indésirables. Les premiers sont dus aux caractéristiques des produits eux-mêmes, et je ne m'oppose pas à ce que les décisions en ce domaine soient prises au niveau européen, par exemple en harmonisant les résumés des caractéristiques du produit (RCP). Les seconds s'expliquent par la manière dont les médicaments sont utilisés par l'ensemble des acteurs : patients, praticiens, pharmaciens, médecins. Durant mon mandat de président, j'ai tenté de modifier les méthodes de l'Afssaps, avec l'aide de certains collègues : ainsi, avec Michel Biour, directeur du centre régional de pharmacovigilance de l'hôpital Saint-Antoine, nous avons cherché à identifier les populations à risque. Le produit sur lequel nous travaillons actuellement ne présente apparemment pas de risque, si l'on divise le nombre d'événements par le nombre d'unités de ce produit vendues depuis 1953. En revanche, si l'on prend pour référence les personnes à risque, l'incidence est tout à fait importante.
Voici un autre exemple : un anti-inflammatoire était utilisé comme antalgique en chirurgie. Or, il existe des difficultés de coordination de la prise en charge entre chirurgiens et anesthésistes. Nous avions diffusé un courrier précisant la méthode d'utilisation nécessaire pour éviter les accidents. Six mois après cette mise en garde, le nombre d'accidents n'avait pas diminué. J'ai demandé à mes collègues de la CNPV si une nouvelle lettre permettrait de changer la culture d'utilisation. Devant leur réponse négative, j'ai décidé de suspendre le produit. Si nous ne savons pas utiliser un produit, nous devons en suspendre l'utilisation. Je reviens à l'Europe ; si, dans un pays particulier, il existe un problème culturel d'utilisation d'un médicament et que la pédagogie ne suffit pas à le résoudre, ce pays doit avoir la possibilité d'en suspendre l'utilisation.
M. François Autain , président . - Est-ce possible à l'heure actuelle ?
M. Christian Riché . - Le pays ne peut décider qu'une suspension transitoire, en attendant que l'Europe prenne position. C'est ainsi que le Ketum a été réintroduit.
M. François Autain , président . - La réintroduction du médicament a été imposée par le Conseil d'Etat. La décision européenne n'est intervenue que par la suite.
M. Christian Riché . - Même en l'absence d'intervention du Conseil d'Etat, l'Europe aurait obtenu sa réintroduction.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Les désaccords entre la commission d'AMM et la commission nationale de pharmacovigilance ont entraîné le maintien du Mediator. Faut-il conserver la séparation des deux structures ? Comment améliorer l'appréciation globale de la balance bénéfices-risques dans l'architecture de la surveillance du médicament ? Doit-on tenir compte dès l'AMM de la notion de progrès thérapeutique ou faut-il conserver le concept de balance bénéfices-risques ?
M. Christian Riché . - Avec Charles Coulin, président de la commission d'AMM, j'avais commencé à mettre en place des commissions mixtes entre les deux instances que nous présidions. Nous pensions tous deux qu'il fallait raisonner en termes de bénéfices-risques. Après mon départ, cette pratique s'est interrompue faute du soutien des dirigeants du système. En quittant mes fonctions, j'ai demandé au directeur général de l'Afssaps de modifier le dispositif et de créer des groupes de travail. In fine , il est nécessaire de mettre en place une commission unique travaillant sur la balance bénéfices-risques, en prenant modèle sur le niveau européen. Nous ne pouvons maintenir ce système générateur de cacophonies incompréhensibles pour le public, comme dans le cas de l'Actos. Le président de l'Afssaps, M. Maraninchi, a le mérite d'avoir placé ce problème sur la place publique à travers la diffusion des réunions en vidéo.
M. François Autain , président . - Il faut donc fusionner la commission AMM et la CNPV ?
M. Christian Riché . - En effet. Combien de diabétologues siègent dans la commission d'AMM, qui a examiné le dossier du Mediator en 2007 ? Jacques Caron, président de la commission nationale, moi-même qui suis sensibilisé aux risques, un ou deux diabétologues et quelques toxicologues étaient présents. Quelle pouvait être la pertinence de l'avis de mes autres collègues présents sur ce dossier ? Lorsque de telles décisions sont en jeu, des groupes professionnalisés qui ont travaillé sur le dossier et représentent le bénéfice et le risque, doivent intervenir.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Il n'existe pas un modèle unique de diabétique. Lors des auditions sur le Vioxx, il nous avait été indiqué qu'un médicament mis sur le marché dans un modèle pasteurien pouvait être utilisé contre des maladies chroniques, sur une durée très longue, alors que la norme initiale ne correspond plus à la population qui l'utilise.
M. Christian Riché . - Je souhaite attirer votre attention sur les notions de population cible et population rejointe, développées par M. Lucien Abenhaïm. La population rejointe recouvre celle qui utilise effectivement le médicament tandis que la population cible renvoie aux personnes pour lesquelles le médicament est conçu. La qualité des soins repose sur le respect des normes et des référentiels. Il faut également s'interroger sur les raisons pour lesquelles les AMM n'évoluent pas, même si le directeur de l'Afssaps peut forcer les laboratoires à prendre une nouvelle AMM pour un produit. Le contrat de bon usage permet une utilisation dans l'AMM. Hors AMM, le cadre est soit, pour la médecine de ville, un protocole temporairement autorisé en vertu de l'article 56 du code de la sécurité sociale, soit, pour l'hôpital, un PTT (protocole temporaire de traitement). Nous devons nous défaire de la mauvaise habitude que constitue l'utilisation « sur mesure ». Le contrat de bon usage prévoit trois méthodes de prescription : suivant l'AMM, suivant les PTT, ou sur justification jointe au dossier du malade. Dans le dernier cas, le médecin doit joindre au dossier du malade les références des publications ou l'accord des sociétés savantes qu'il a consultées. Ces pratiques relèvent de la bonne médecine.
M. François Autain , président . - Elles ne sont pas appliquées en médecine libérale.
M. Christian Riché . - En Bretagne-Pays de la Loire, l'OMéDIT a suscité une adhésion totale des praticiens, médecins et pharmaciens du privé et du public.
M. François Autain , président . - Vous ne vous adressez qu'à des médecins hospitaliers, ce qui est moins difficile que de s'adresser à des médecins généralistes.
M. Christian Riché . - Nous pratiquons la « politique des petits pas » : avec Mme Podeur et M. Péricard, nous avons commencé avec un nombre très réduit de médicaments hors GHS (groupe homogène de séjours). Il s'agit de s'améliorer au fil du temps. Voici dix ans, un collègue suisse, inspecteur des systèmes d'assurance, m'a révélé que dans son pays, les généralistes et pharmaciens d'officine devaient se rencontrer au moins une fois par an pour examiner l'ensemble des prescriptions effectuées hors du cadre de l'AMM. Cet objectif ne me semble pas impossible à atteindre.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Estimez-vous que les bases de données des centres de pharmacovigilance ainsi que les rapports périodiques et les mesures de suivi national ou international doivent être accessibles en ligne ? Le codage des maladies prévu par la loi Teulade permettrait de limiter les mésusages. Le CHU de Brest, qui dispose d'un outil informatique adapté, pourrait-il effectuer ce rapprochement ?
M. Christian Riché . - Nous sommes en train de changer de système informatique, c'est pourquoi je ne connais pas les caractéristiques du futur outil. Le système précédent était primitif mais performant.
Je suis favorable à la transparence. M. Maraninchi nous a demandé de voter sur une ATU, sans nous communiquer certaines données détenues par des représentants de la France en Europe, car ces données étaient à la Food and drug administration (FDA). La transparence demande une éducation, une habitude. Notre pays doit acquérir cette culture. De leur côté, les médecins et pharmaciens doivent y contribuer.
M. François Autain , président . - Vous souhaitez que la commission d'AMM et la CNPV soient fusionnées de manière permanente. Cette fusion est-elle compatible avec la position que vous avez exprimée dans vos écrits, appelant à une séparation entre l'expertise pré-AMM et l'expertise post-AMM ? En fusionnant les commissions, on rendrait la séparation très difficile.
M. Christian Riché . - L'évaluation pré-AMM s'effectue dans le cadre européen. Nous avons donc besoin d'une expertise forte pour faire valoir la position de la France. Actuellement, à quelques exceptions près, nos dossiers ne sont jamais discutés en commission d'AMM. Je m'occupe de la phase IV d'un certain nombre de dossiers. Or je n'ai jamais rendu compte de ce travail, si ce n'est au groupe qui le synthétise pour les commissions européennes.
En revanche, la sécurité d'utilisation des médicaments commercialisés dans un pays relève d'une problématique différente. Bien que la France soit un grand pays d'expertise, nous ne sommes généralement que les destinataires de l'expertise européenne.
M. François Autain , président . - Pensez-vous qu'à terme, l'expertise pré-AMM ne devra plus être effectuée par la commission d'AMM ?
M. Christian Riché . - La commission AMM n'a aucun rôle dans ce domaine, qui relève de l'Europe.
M. François Autain , président . - Certains laboratoires continuent à utiliser la procédure de reconnaissance mutuelle. A terme, vous semblez considérer que la commission d'AMM n'aura plus de raison d'être.
M. Christian Riché . - Une partie des députés européens souhaite que l' European Medicines Agency (EMA) se donne les moyens de son expertise.
M. François Autain , président . - Dans cette optique, les agences nationales ne comporteront plus que des missions de pharmacovigilance ou d'évaluation post-AMM. Vous préconisez donc non pas une fusion entre la CNPV et la commission d'AMM mais une suppression pure et simple de la commission d'AMM.
M. Christian Riché . - Actuellement, le travail sur le bénéfice et le travail sur le risque sont séparés. Le terme même de commission d'autorisation de mise sur le marché est tout à fait dépassé.
M. François Autain , président . - Vous êtes le premier expert à s'exprimer de manière aussi franche sur cette question.
M. Christian Riché . - Nous devons jouer la carte de l'Europe. Cependant, en cas de problème d'utilisation lié à la culture locale, un pays doit avoir la possibilité de décider une suspension. L'effort de pédagogie auprès des populations est souvent long.
M. François Autain , président . - Vous préconisez également une séparation entre le recueil et l'expertise des données. Actuellement, l'Afssaps prend en charge ces deux tâches. Rejoignez-vous la position de ceux qui préconisent un transfert du recueil des données, voire de l'ensemble de la pharmacovigilance, à l'institut de veille sanitaire (InVS) ?
M. Christian Riché . - Nous conduisons actuellement une expérience dans quatre centres de pharmacovigilance en Bretagne-Pays de la Loire, à travers l'OMéDIT régional. Nos deux ARS nous ont demandé d'envisager les modalités d'un travail collectif. Pourquoi les données sur le Mediator ou le Ketum n'ont-elles pas été recueillies ? Les cliniciens ne savent pas à qui s'adresser. L'échelon régional ou interrégional est pertinent pour le recueil des données. Certes, il fonctionne pour le recueil des effets indésirables, mais les erreurs sont centralisées à l'Afssaps, tandis que d'autres problèmes sont traités par les OMéDIT ou l'InVS.
M. François Autain , président . - Où serait située cette structure de recueil ?
M. Christian Riché . - Elle serait située en région ou auprès des ARS. Les centres régionaux de pharmacovigilance (CRPV) sont des entités anciennes, performantes et pertinentes, même s'il existe des disparités.
M. François Autain , président . - Une centralisation est néanmoins nécessaire !
M. Christian Riché . - Les bases de données sont centralisées. Pour les OMéDIT, la centralisation est opérée par un organisme qui gère le PMSI. Pour un médicament, il s'agit de l'Afssaps. Nous avons besoin d'une structure de centralisation des données, car la même donnée peut servir à plusieurs « étages ». Un événement indésirable peut être lié à une erreur. L'arrêté sur le retour d'expérience (Retex) définit les modalités de travail sur les erreurs au niveau local. Plusieurs systèmes coexistent. L'affaire du Mediator doit entraîner une réflexion sur le recueil des données pour la politique de soins de l'établissement, la politique régionale, et la politique nationale de qualité des soins. La qualité des soins est toujours dans l'intérêt du patient. De plus, la prise en charge d'un événement indésirable est très coûteuse. Nous devons constituer des bases de données utilisables par différents systèmes, dont l'Afssaps.
M. François Autain , président . - Que préconisez-vous pour rendre effective l'obligation de notification des effets indésirables d'un médicament, qui n'est pas respectée par les prescripteurs ?
M. Christian Riché . - Nous disposons du contrat de bon usage et du PMSI.
M. François Autain , président . - Je fais référence aux médecins généralistes et non aux praticiens hospitaliers, pour lesquels cela semble plus facile.
M. Christian Riché . - Nos collègues médecins généralistes doivent prendre exemple sur les pharmaciens qui ont mis au point le dossier pharmaceutique.
M. François Autain , président . - Le Gouvernement a instauré le dossier médical personnalisé.
M. Christian Riché . - Les pharmaciens ont démontré la possibilité de mettre en place des outils facilement utilisables. Pour le dossier médical personnalisé, il faut passer outre un certain nombre de narcissismes et établir un pont entre les médecins et les pharmaciens, dans un cadre éthique rigoureusement défini. D'après les différentes enquêtes de pharmacovigilance, l'iatrogénie spontanée est aisément mesurable dans une population. Il est possible de quantifier les prescriptions des médecins et d'évaluer les variations.
M. François Autain , président . - Nous allons essayer de partager votre optimisme.
M. Christian Riché . - C'est ce que nous faisons en Bretagne-Pays de la Loire à travers l'OMéDIT.
M. François Autain , président . - Je vous remercie. Nous ferons le meilleur usage de vos propositions. Nous nous permettrons également de nous inspirer de vos écrits, notamment ceux que vous avez livrés aux Assises du médicament.
Audition de M. Eric GIACOMETTI, journaliste, chef de service au quotidien Le Parisien (mardi 3 mai 2011)
M. François Autain , président. - Monsieur Eric Giacometti est journaliste et auteur de l'ouvrage Les scandales du vaccin contre l'hépatite B , publié en 2001. Cette audition fera l'objet d'un enregistrement audiovisuel diffusé sur le site Internet du Sénat et, éventuellement, sur la chaîne Public Sénat. Vous avez eu une activité très importante dans le domaine de la santé au sein du quotidien Le Parisien , comme en témoigne le livre que vous avez publié. Nous souhaitons vous entendre à ce titre. Il vous est possible de faire une intervention liminaire.
M. Eric Giacometti, journaliste, chef de service au quotidien Le Parisien . - C'est un honneur et un privilège que d'être entendu par cette mission. Je suis actuellement chef du service Economie au Parisien - Aujourd'hui en France . En 1998, j'ai été embauché dans la cellule investigation du journal. Après l'affaire du sang contaminé, notre rédaction en chef pensait que d'autres affaires de santé publique allaient éclater. Or, les journalistes médicaux ne s'aventuraient pas souvent dans le domaine de l'investigation. Anne-Marie Casteret, qui travaillait pour l'Express , avait ouvert cette voie grâce à ses enquêtes sur le sang contaminé. J'ai donc été embauché pour traiter des affaires de santé publique. J'ai enquêté sur le sang contaminé, les hormones de croissance, l'amiante, le vaccin contre l'hépatite B, l'Isoméride, etc. J'ai une licence en biologie moléculaire, ce qui me permet, à un niveau modeste, de discerner le vrai du faux en matière médicale.
Je me suis progressivement intéressé aux laboratoires pharmaceutiques, en raison des problèmes d'effets indésirables. J'ai traité le vaccin hépatite B puis l'Isoméride, ainsi que les anxiolytiques et les psychotropes. Je concentrerai mon propos sur l'Isoméride.
Nous étions généralement contactés par une personne qui se disait victime d'un médicament ou d'un vaccin particulier. Pour l'Isoméride, j'ai ainsi entendu une personne en contentieux avec un laboratoire. Nous avons détecté un scandale potentiel, en raison de l'inaction des pouvoirs publics. J'ai ensuite contacté les laboratoires Servier, ainsi que l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps), le ministère de la santé et les spécialistes médicaux qui avaient connaissance du dossier. Initialement, j'y voyais une affaire d'effets indésirables comme les autres, car tout médicament peut avoir des effets indésirables. Au cours de mon enquête, j'ai découvert des faits curieux. Les laboratoires sont peu enclins à coopérer avec les enquêteurs. Or, j'ai été confronté à une véritable paranoïa des personnes que je rencontrais, dès que Servier était mentionné. On m'a conseillé de faire très attention, en soulignant que Servier n'était pas un laboratoire comme les autres. En 1998, l'Isoméride avait déjà été retiré du marché. Les spécialistes médicaux, les pouvoirs publics, les membres de l'Afssaps m'ont mis en garde. J'ai ensuite rencontré les membres de Servier, qui se sont montrés tout à fait charmants. Ils ont soutenu qu'ils étaient victimes d'une cabale et que rien ne prouvait le lien de causalité entre l'Isoméride et l'HTAP (hypertension artérielle pulmonaire). En enquêtant, j'ai découvert des problèmes réels. Mon enquête a été publiée en 1998 sous la forme d'un dossier intitulé « L'Isoméride : 20 morts » incluant le témoignage d'une victime, un rapport d'expert concluant à un lien de causalité entre l'Isoméride et l'HTAP et annonçant d'autres cas mortels imputables au médicament.
Une telle enquête, publiée dans un journal grand public comme Le Parisien , qui exerce une influence sur les autres médias, avait à l'époque un impact bien plus fort qu'un article de la revue Prescrire . Le laboratoire a engagé un procès en diffamation. De mon côté, j'ai continué à enquêter sur plusieurs affaires et publié d'autres articles sur l'Isoméride. J'ai par la suite été attaqué une nouvelle fois par le laboratoire.
Pour un journaliste, un procès en diffamation n'est pas anodin, car il risque de faire « plonger » le journal, et les éventuels dommages et intérêts ont un effet dissuasif sur les actionnaires. L'avocate des laboratoires Servier était Nathalie Carrère. J'ai été traité de « honte du journalisme », alors que les journalistes médicaux étaient présentés comme des professionnels sérieux qui ne traitaient pas ce genre d'informations racoleuses. Mon enquête était présentée comme un tissu d'insanités. L'actionnaire principal, Philippe Amaury, s'est rendu au procès pour m'assurer de son soutien. Nous avons gagné ce procès, ainsi qu'un deuxième.
M. François Autain , président. - Les autorités sanitaires ont-elles réagi à votre article ?
M. Eric Giacometti . - Dans des cas comme celui-ci, le ministère de la santé saisit l'Afssaps qui conduit sa propre analyse. Or, j'avais la sensation que nous gênions : en mettant ces informations sur la place publique, nous provoquions des débats en interne et des réunions de crise, alors que l'Afssaps est censée se situer en amont. J'avais l'impression d'une panique au sein de l'agence, à laquelle j'avais déjà eu affaire au moment de mon enquête sur le vaccin contre l'hépatite B. En 1998-2000, les effets indésirables étaient un sujet tabou dans la presse médicale.
M. François Autain , président. - La presse médicale n'est toujours pas encline à aborder les effets indésirables.
M. Eric Giacometti . - Depuis l'affaire du Mediator, l'Afssaps est en butte aux critiques. J'ai eu affaire à elle en tant qu'adversaire, pour ainsi dire. Cependant, j'ai été confronté à trois types de fonctionnaires. Les premiers faisaient bien leur travail, à l'Afssaps comme ailleurs. Les deuxièmes cherchaient à tout prix à éviter les ennuis et ne voulaient pas entendre parler de conflits d'intérêts ou d'effets indésirables. Ils considéraient que le grand public n'avait pas à avoir connaissance de ces affaires. Le fait même que je leur pose des questions semblait les choquer. Enfin, une troisième catégorie de fonctionnaires se contentait de faire leur travail correctement. Les fonctionnaires de la première catégorie n'étaient généralement pas ceux qui exerçaient les pouvoirs les plus importants.
J'avais une source à l'intérieur de l'Afssaps, qui m'a transmis des procès-verbaux de réunions de la commission nationale de pharmacovigilance (CNPV). Cette personne considérait la santé publique comme une véritable mission. C'est pourquoi je déplore de voir ces fonctionnaires courageux, qui veulent changer le système, payer pour les autres. Nos sources étaient horrifiées de constater que certains médecins liés à Servier donnaient, au sein de l'Afssaps, des avis sur les médicaments du laboratoire ! A l'époque, ces conflits d'intérêts intéressaient peu.
Dans certains cas, les informations partaient de l'Afssaps et passaient par la direction générale de la santé (DGS) pour arriver au ministère. Cette chaîne de transmission explique que des ministres ignorent certaines informations, comme j'ai pu le constater pour l'Isoméride. A un maillon de la chaîne, une personne ne fait pas son travail. Cette constatation est valable pour l'Isoméride, le vaccin contre l'hépatite B et le Mediator.
J'ai publié de nombreux articles sur les suites, notamment internationales, du scandale. Le Redux, apparenté à l'Isoméride et commercialisé aux Etats-Unis, a fait l'objet d'une class action mémorable.
M. François Autain , président. - L'Isoméride a été retiré du marché en France après l'affaire du Redux.
M. Eric Giacometti . - En effet, mais la class action a été lancée après l'interdiction en France. J'ai contacté les avocats et les associations de victimes pour mes articles. L'indemnisation globale a atteint le montant de 3,75 milliards de dollars.
M. François Autain , président. - Le laboratoire incriminé a dû constituer une réserve de 20 milliards de dollars, soit 15 milliards d'euros.
M. Eric Giacometti . - Nous avons ensuite suivi les actions en justice des victimes françaises de l'Isoméride, ce que j'appelle le « service après-vente » des effets indésirables. Nous les avons accompagnées en première instance, en appel, puis en cassation : le combat du pot de terre contre le pot de fer. Servier a toujours nié de manière monolithique.
M. François Autain , président. - Là encore, les similitudes avec le Mediator sont importantes.
M. Eric Giacometti . - J'ai quitté la cellule d'investigation en 2002. Je dois vous signaler que durant la période 1998-2002, où mon travail consistait à découvrir des affaires liées aux effets indésirables, je n'ai jamais entendu parler du Mediator. Pourtant, si j'avais découvert des éléments en ce sens, je les aurais publiés. Le Mediator ne figurait pas dans le « Top 5 » des effets indésirables de médicaments dans le bilan publié par l'Afssaps. Lorsque j'ai entendu parler de l'affaire, je me suis étonné d'être passé à côté. Je n'ai pas l'intention de dédouaner les responsables, mais soit il s'agit d'une faute professionnelle de ma part, soit mes sources ne m'ont pas informé sur cette affaire.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur. - A vos yeux, la presse médicale s'est-elle suffisamment emparée du débat scientifique sur les propriétés du benfluorex ? Servier met en avant le raisonnement suivant. Dans le cas de l'Isoméride, la fenfluramine est elle-même porteuse de l'activité pharmacologique, donc en partie responsable de l'effet anorexigène. La fenfluramine et la norfenfluramine sont toutes deux porteuses de l'activité pharmacologique. En revanche, pour le benfluorex, la norfenfluramine ne représente que 10 % de l'exposition plasmatique. En d'autres termes, le benfluorex ne donne pas naissance à la fenfluramine, au contraire de l'Isoméride. La presse médicale a-t-elle suffisamment expliqué ces processus chimiques au grand public et les désaccords exprimés à ce sujet par le professeur Lechat ?
M. Eric Giacometti . - Concernant la partie technique, je souscris entièrement à l'analyse du rapport remis par l'Inspection générale des affaires sociales (Igas).
M. François Autain , président. - Il s'agit du rapport du professeur Lechat.
M. Eric Giacometti . - J'ai de modestes lumières sur ce sujet grâce à ma formation en biologie moléculaire. L'argument selon lequel les familles de molécules actives dans l'Isoméride et le Mediator sont différentes me semble spécieux. Je trouve l'argumentation scientifique présentée par l'Igas tout à fait cohérente.
De son côté, la presse médicale a toujours pratiqué une véritable omerta sur les effets indésirables des médicaments, qu'il s'agisse de l'Isoméride, du Mediator, du vaccin contre l'hépatite B ou des anxiolytiques. Ce sujet est demeuré tabou jusqu'à l'arrivée d'Irène Frachon. Un partage des rôles malsain prévalait : pour se renseigner sur les effets indésirables des médicaments, il fallait lire la revue Prescrire . Le reste de la presse médicale se contentait de vanter leurs vertus. Prescrire livrait des analyses approfondies qui n'intéressaient qu'un nombre très réduit de lecteurs. La presse médicale ne vit que de la publicité de l'industrie pharmaceutique. Au moment de l'affaire de l'Isoméride, la presse médicale défendait systématiquement les laboratoires, jusqu'à la caricature. Le législateur n'est jamais intervenu sur ce point, alors que l'Afssaps était chargée de surveiller les pratiques de la presse médicale.
M. François Autain , président. - Désormais, ce travail relève de la Haute Autorité de santé (HAS), mais je ne suis pas sûr que la situation ait changé.
M. Eric Giacometti . - Durant mes enquêtes, je me suis constitué un réseau de médecins. J'ai découvert que les médecins de quartier étaient très peu informés. En premier lieu, ils manquent de temps. En second lieu, ils sont sceptiques à l'égard des scandales révélés par les médias. Leur information vient des visiteurs médicaux, qui appartiennent à l'industrie pharmaceutique, de la presse médicale, financée par l'industrie pharmaceutique, de la formation continue, assurée par l'industrie pharmaceutique et des colloques médicaux, financés par l'industrie pharmaceutique ! S'ils souhaitent se faire une opinion sur un médicament, ils dépendent de la presse médicale, qui offre une information de très haut niveau sur les pathologies mais ignore totalement le sujet des effets indésirables.
M. François Autain , président. - Il se peut que la presse médicale valorise les effets positifs des médicaments.
M. Eric Giacometti . - En effet. Le monde de la presse médicale est manichéen : les médicaments sont merveilleux et représentent le progrès ; ceux qui s'y attaquent sont considérés comme des obscurantistes. Cette opposition est primaire : un médicament a par définition des effets positifs et indésirables.
Le médecin de quartier est donc sous-informé. En revanche, la presse internationale spécialisée, que j'ai consultée lors de mes enquêtes, est d'un meilleur niveau. On peut y trouver des recensions des effets indésirables, mais cette presse est inaccessible au médecin de quartier, qui travaille en vase clos.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur. - Internet n'a-t-il pas contribué à améliorer l'information ?
M. Eric Giacometti . - Internet offre le pire comme le meilleur, y compris des positions caricaturales contre les médicaments en général. La puissance reste du côté des laboratoires pharmaceutiques. Sur l'Isoméride et le Mediator, le médecin de quartier sera enclin à minimiser les effets indésirables.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur. - Voyez-vous une différence de traitement entre la presse médicale française et étrangère ?
M. Eric Giacometti . - La différence est faible. Dès lors que le chiffre d'affaires d'un journal dépend presque entièrement de la publicité des laboratoires, ce journal doit taire certains sujets, ce qui m'a été confirmé en off .
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Existe-t-il une spécificité de la crise du Mediator ?
M. Eric Giacometti . - La spécificité de l'affaire est l'intervention d'un lanceur d'alerte, Irène Frachon. Dans le cas de l'Isoméride, le signalement est venu d'une équipe de l'hôpital Antoine-Béclère. Dans celui du vaccin contre l'hépatite B, l'alerte avait été lancée par la presse et des commissions d'enquête ont été réunies. Dans le cas du Mediator, si Irène Frachon n'avait pas été au-delà de son rôle de médecin, l'affaire aurait fait peu de bruit en dépit de sa gravité. J'ose espérer qu'il y aura un avant et un après Mediator.
M. François Autain , président. - La revue des entreprises du médicament (Leem) a qualifié l'affaire du Mediator de « crise médiatique », ce qui me laisse pantois. Les causalités sont renversées : la presse est responsable de la crise !
M. Eric Giacometti . - J'ai entendu les mêmes commentaires à propos du vaccin contre l'hépatite B et de l'Isoméride. L'affaire du sang contaminé avait suscité des réactions analogues dans les milieux médicaux. L'argument ne change pas. En revanche, s'il s'agit d'une crise purement médiatique, pourquoi Servier a-t-il quitté le Leem ? Au début de la crise, j'ai interviewé l'un des patrons du Leem. D'emblée, celui-ci a tenu à préciser qu'il n'était pas l'avocat de Servier. Quelques jours après, Servier a claqué la porte du Leem, qui n'a pas paru excessivement contrarié.
M. François Autain , président . - Cette attitude ne conforte-t-elle pas les propos que vous venez de tenir sur le caractère exceptionnel du comportement de Servier ?
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur. - Que s'est-il passé entre le Leem et Servier lors de l'affaire de l'Isoméride ?
M. Eric Giacometti . - L'affaire de l'Isoméride a donné lieu à une brouille passagère entre Servier et le Leem, mais non à un divorce comme aujourd'hui.
Concernant Servier, je suis partagé. Certes, ce n'est pas un laboratoire comme les autres. Il a été mêlé à d'autres affaires : l'existence d'une cellule chargée de « checker » les personnes embauchées par le laboratoire, l'entrisme de l'entreprise dans les sociétés savantes, etc. Servier se comporte de manière plus offensive que ses concurrents. En revanche, Servier ne saurait devenir le bouc émissaire servant à dédouaner les autres laboratoires. Les affaires d'effets indésirables ont mis en évidence des conflits d'intérêts majeurs. J'ai côtoyé certains laboratoires qui adoptaient un comportement éthique, tandis que d'autres ont des pratiques douteuses. Servier n'est pas seul dans son cas.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur. - Quels sont les liens entre la presse d'information générale et la presse médicale ? Qui est à l'origine de l'information sur les risques médicamenteux ?
M. Eric Giacometti . - Les scoops sont l'oeuvre de la presse généraliste. La presse médicale lui emboîte le pas, généralement pour donner la parole aux laboratoires pharmaceutiques. Lorsque nous mettions en cause un laboratoire, celui-ci refusait de nous recevoir mais s'exprimait dans le Quotidien du médecin , généralement pour délivrer le message suivant : face à l'agitation médiatique, les laboratoires sont des acteurs responsables et collaborent pleinement avec les autorités de santé ; les patients et les médecins doivent être respectés. Les journalistes médecins ont appris à obéir à leurs maîtres tout au long de leur formation. Ce ne sont pas des investigateurs, à l'exception d'Anne-Marie Casteret qui, je crois, avait reçu une formation scientifique. Ces journalistes ne remettent pas en cause le système. Lorsque je leur parlais des dégâts humains, certains reconnaissaient un taux de « casse ». Les associations de victimes de médicaments et de vaccins n'ont jamais été contactées par aucun journaliste de cette presse. Au Parisien , nous devons nous tenir à l'écoute de nos lecteurs. Les associations de victimes ont dû batailler pour se faire entendre de la presse médicale. J'ai été profondément choqué de cette attitude, qui m'a rappelé celle qui prévalait dans l'armée. A l'Afssaps aussi, aux yeux de certains fonctionnaires, les victimes ne sont pas des êtres humains mais des chiffres.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur. - Certains journalistes médecins ont créé des sociétés d'animation de conférences et d'événements. Quelles sont les conséquences sur l'information médicale ?
M. Eric Giacometti . - J'ai consacré un chapitre de mon livre à ces pratiques. On m'a proposé d'animer un séminaire de formation d'une journée et demie devant des visiteurs médicaux pour 35 000 francs nets. A l'époque, mon salaire s'élevait à 19 000 francs nets. J'ai refusé, mais on m'a assuré que la pratique était courante, en particulier parmi les journalistes audiovisuels. L'un de mes confrères a fondé une société qui réalisait un chiffre d'affaires d'un million de francs par an. Ces pratiques ne relèvent pas de la corruption, mais elles n'incitent pas à enquêter sur ceux qui vous rétribuent. Il suffirait de les interdire ou du moins d'imposer un signalement dans les articles consacrés aux laboratoires pour lesquels, par ailleurs, ils travaillent. Une loi, malheureusement non appliquée, impose aux médecins de déclarer leurs liens d'intérêts s'ils sont interrogés.
M. François Autain , président . - Il faut donc étendre cette loi aux journalistes.
M. Eric Giacometti . - En effet. Les journalistes sont des leaders d'opinion. Il sera probablement plus difficile de leur imposer cette déclaration qu'aux médecins. Certains prétendent qu'ils peuvent faire leur travail correctement tout en réalisant des prestations pour les laboratoires, ce qui me semble naïf et presque rousseauiste.
M. François Autain , président. - Les médecins s'expriment de manière analogue. Ils se prétendent insensibles à la publicité.
M. Eric Giacometti . - J'ai désormais un certain recul sur ces dossiers. Il existe peut-être une juste voie entre le scandale qui finit devant les tribunaux, au détriment du laboratoire, des victimes et des pouvoirs publics, et l'omerta. Les laboratoires pourraient financer, via l'Institut national scientifique d'études et de recherches médicales (Inserm), des pistes de recherche fondamentale pour comprendre pourquoi certains individus réagissent plus mal que d'autres aux médicaments. Si le Mediator était un poison, nous serions confrontés à une catastrophe sanitaire.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - De nombreuses personnes ont pris du Mediator pendant cinq ans sans souffrir d'effets indésirables. De même, j'ai pu rencontrer des cardiologues convaincus que la Cordanone ne pose pas de problèmes.
M. François Autain , président. - D'autres conseillent le Multaq, qui peut provoquer des hépatites fulminantes. Le choix est parfois difficile.
M. Eric Giacometti . - L'Isoméride n'a pas provoqué des hypertensions artérielles pulmonaires (HTAP) par milliers, et le vaccin contre l'hépatite B a produit un nombre limité de scléroses en plaques. Certains responsables de laboratoire me confient en off que la piste de la susceptibilité génétique est intéressante. Tout laboratoire sait qu'une molécule performante entraîne des effets indésirables. Pourquoi l'Etat n'ouvre-t-il pas une voie majeure de recherche dans ce domaine, à travers des financements ?
M. François Autain , président. - C'est la voie qu'a empruntée la génomique.
M. Eric Giacometti . - L'industrie pharmaceutique sait que l'omerta est terminée. J'ai dîné une fois avec un patron de laboratoire qui souhaitait savoir comment la presse généraliste travaillait. Il ne se fiait plus aux propos lénifiants de la presse spécialisée.
Je suggère également d'obliger les revues médicales à consacrer une demi-page aux effets indésirables et aux alertes de pharmacovigilance. Les médecins ne pourront plus arguer du manque d'information. La presse médicale assure un service public, au contraire, par exemple, de la presse automobile. Malheureusement, les journalistes médicaux les plus courageux que je connaisse sont bloqués dans leur action.
M. François Autain , président . - Nous avons entendu une journaliste dans ce cas, qui avait dû quitter la revue où elle travaillait.
Mme Marie-Christine Blandin . - Nous nous félicitons du rôle de révélateur de la presse. Vous avez détaillé votre travail d'écoute des victimes. Cependant, il n'est pas satisfaisant que la sécurité sanitaire fonctionne de cette manière. Avez-vous des suggestions pour favoriser l'écoute officielle des victimes et des signalements non professionnels ?
M. Eric Giacometti . - Il existe des médiateurs pour le gaz, l'eau, l'électricité. M. Jean-Paul Delevoye, dans son rôle de Médiateur de la République, a déployé une activité considérable. Je propose l'institution d'un Médiateur du médicament doté de pouvoirs véritables. Les personnes mêlées au scandale du Mediator à l'Afssaps sont toujours en place.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Deux femmes ont été écartées par l'Afssaps, le jour de la Journée de la Femme !
M. Eric Giacometti . - Ceux à qui j'ai été confronté sont toujours en poste.
Un médiateur issu de la société civile pourrait conseiller le pouvoir en place, quel qu'il soit - des gouvernements de droite comme de gauche ont été confrontés à des scandales - et alerter les autorités. Irène Frachon a pris de véritables risques. Pour ma part, j'étais soutenu par un actionnaire et un rédacteur en chef. Irène Frachon n'avait pas de soutien, si ce n'est celui de son directeur d'hôpital.
M. François Autain , président . - Nous envisageons la création d'un statut qui permettrait de protéger les lanceurs d'alerte.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Faut-il regrouper l'ensemble des institutions du médicament ou maintenir une séparation entre la HAS et l'Afssaps ?
M. Eric Giacometti . - Je ne me crois pas compétent sur ce sujet. Les structures sont moins en cause que les hommes ou les femmes. Un directeur général de la santé m'a particulièrement impressionné : le professeur Lucien Abenhaïm, qui a pourtant été mis sur la sellette lors de la canicule. Certains prennent des risques, d'autres les évitent, chez les journalistes comme chez les politiques.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - On peut aussi se demander pourquoi les journalistes n'ont pas mis en exergue les propositions que nous avions formulées dans un rapport sur le Vioxx, toujours d'actualité six ans après.
M. Eric Giacometti . - Quoi qu'il en soit, ce scandale est sans précédent.
M. François Autain , président . - Merci d'avoir répondu à nos questions.
Audition de M. Pierre CHIRAC, membre du collectif Europe et Médicament, vice-président de l'association Mieux Prescrire, membre de la rédaction de la revue Prescrire (mardi 3 mai 2011)
M. François Autain , président . - Nous accueillons monsieur Pierre Chirac, vice-président de l'association Mieux Prescrire qui édite la revue Prescrire , et membre du collectif Europe et Médicament. C'est à ce second titre que nous souhaitons aujourd'hui l'entendre. Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et qu'elle fera l'objet d'un enregistrement audiovisuel sur le site du Sénat et sera éventuellement diffusée sur la chaîne Public Sénat. Je vous invite à nous indiquer comment l'association Europe et Médicament a suivi l'affaire du Mediator, et quelles conclusions il faut en tirer au niveau européen.
M. Pierre Chirac, membre du collectif Europe et Médicament, vice-président de l'association Mieux Prescrire , membre de la rédaction de la revue Prescrire . - Je souhaite d'abord saluer le rapport du Sénat publié en 2006 à la suite du scandale du Vioxx ainsi que les travaux de la députée Catherine Lemorton qui en ont constitué un complément intéressant. Si les recommandations formulées avaient été prises en compte par l'exécutif, peut-être les dérives que nous découvrons aujourd'hui auraient-elles été évitées.
Le collectif Europe et Médicament, constitué en 2002 au moment de la révision de la directive « médicaments » (2001/83/CE), réunit des associations de patients, de consommateurs, de professionnels de santé et de mutuelles. Je souhaite attirer votre attention sur la dimension européenne du médicament : une agence européenne du médicament, l'European medicines agency (EMA), délivre des autorisations de mise sur le marché (AMM) valables dans tous les Etats membres, qui représente une part de plus en plus importante des AMM en Europe. La Commission européenne propose également dans le domaine du médicament des règlements, qui sont d'application directe, et des directives qui doivent être transposées dans les législations nationales. Depuis 1965, cette architecture structure l'ensemble du secteur : le médicament est considéré comme un produit industriel et, à ce titre, relève de la responsabilité de la Commission européenne. L'« après-Mediator » devrait entraîner des améliorations dans les textes européens et les pratiques de l'Agence européenne du médicament. Le Parlement français a la possibilité d'examiner les propositions de directives et de règlements plus en amont, sans attendre leur transposition dans les textes nationaux. Il est essentiel de participer aux consultations organisées par la Commission européenne, sans laisser ce soin aux seuls techniciens. En matière de médicament, la technique pure n'existe pas. Je me propose de passer en revue quelques dossiers européens actuels.
En matière de pharmacovigilance, une directive et un règlement ont été adoptés récemment. Nous sommes à présent dans la phase de transposition. La proposition initiale de la Commission était désastreuse, puisqu'elle consistait à alléger considérablement les exigences liées à l'AMM au profit des observations après commercialisation. Le recueil et l'analyse des effets indésirables étaient tout simplement confiés aux firmes pharmaceutiques. Grâce, entre autres, au collectif Europe et Médicament, le texte a été amélioré mais demeure insuffisant. Le premier effort sur la pharmacovigilance consiste à renforcer l'évaluation avant commercialisation, ce qui limite les risques pour la population. De plus, il faut inciter les professionnels de santé à notifier. Ce point n'est pas mentionné par la directive européenne. Intégrer des activités de pharmacovigilance dans le parcours professionnel continu pourrait inciter les professionnels à notifier. Cet acte doit être davantage valorisé. Nous préconisons également l'ouverture des bases de données sur les effets indésirables aux professionnels de santé, aux soignants et à toutes les équipes susceptibles de travailler sur ces données.
M. François Autain , président . - Actuellement, seuls les experts et les professionnels ont accès à ces bases de données.
M. Pierre Chirac . - Il est impossible à un acteur n'appartenant ni à l'industrie ni au système de pharmacovigilance d'accéder à la base Eudravigilance ou à la base OMS d'Uppsala en Suède, ce qui nous semble anachronique.
M. François Autain , président . - Vous souhaitez donc que tout citoyen ait accès à ces bases.
M. Pierre Chirac . - Il faut donner accès à des informations interprétables : un grand nombre de bases présentent peu d'intérêt. Nous réclamons par exemple la publication d'informations synthétiques par le centre de collaboration de l'OMS pour la surveillance internationale des médicaments d'Uppsala. Actuellement, même Prescrire n'y a pas accès.
M. François Autain , président . - Vous critiquez la façon dont ces éléments sont diffusés dans notre pays.
M. Pierre Chirac . - En effet. Prescrire a souvent qualifié la pharmacovigilance de « pharmacosomnolence », la comparant à une véritable boîte noire. L'accès à ces bases de tiers inciterait les autorités compétentes à prendre rapidement les décisions, au lieu de les repousser en commandant des études.
Concernant l'information des patients, la France, lors d'un conseil européen, a rejeté les propositions de la Commission européenne qui consistaient à autoriser les firmes pharmaceutiques à communiquer auprès du grand public sur les médicaments de prescription. En dépit de la quasi-unanimité au sein du Conseil et du Parlement européen contre le texte, la Commission a persisté dans sa position. Le 24 novembre 2010, le Parlement a considérablement amendé le texte, qui reste néanmoins trop favorable aux firmes. Le commissaire européen chargé de la santé, John Dalli, a annoncé une nouvelle proposition. A nos yeux, l'information du grand public sur les médicaments ne doit pas être exclusivement confiée aux firmes. D'autres sources plus pertinentes et plus fiables doivent être privilégiées.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Considérez-vous la communication autour d'un produit ayant reçu l'AMM comme une publicité indirecte ?
M. Pierre Chirac . - Nous la considérons comme une publicité directe. Une information réellement utile est une information critique et comparative. L'information comparative, pratiquée par Prescrire , est indispensable aux soignants pour faire les choix les plus appropriés mais elle doit également être accessible aux patients. Les usagers que nous sommes ont besoin, sans attendre d'être malades, d'une information comparative et critique que l'industrie pharmaceutique ne saurait nous proposer. Le projet de la Commission européenne évacue la dimension comparative. J'en appelle donc à la vigilance sur la nouvelle proposition.
Concernant les dispositifs médicaux, la Commission européenne a mis en place un groupe de travail pour préparer une directive qui devrait être présentée en 2012. Or, d'après nos informations, l'idée que les dispositifs médicaux puissent faire l'objet d'une AMM semble rejetée dès le départ. Nous espérons que le groupe 6 des Assises du médicament soutiendra cette modification.
Le quatrième sujet d'actualité est la transparence. La directive « Transparence » de 1988 doit être révisée. La Commission européenne a lancé en mars 2011 une consultation qui sera close le 27 mai. Un risque très important porte sur la régulation des dépenses et des possibilités d'action des Etats en matière de prescription. Cette directive qui, pour le moment, concernait surtout les remboursements et la fixation des prix, semble s'intéresser aux incitations à l'utilisation de génériques. La Commission européenne cherche à définir un certain nombre de critères en la matière. Nous craignons cependant un nivellement par le bas et une limitation des capacités des Etats à orienter les prescriptions de manière favorable à la collectivité.
Le cinquième sujet est celui des essais cliniques. Un projet de modification de la directive de 2001 fait l'objet d'une consultation qui doit s'achever le 13 mai. Les enjeux sont l'assouplissement de la directive sur les essais cliniques dans le domaine public et académique, et de la notion d'intervention. La Commission européenne semble privilégier des contrôles proportionnels aux risques. Nous ne pouvons que souscrire à ce principe, mais nous devrons nous montrer vigilants quant à sa déclinaison. La proximité entre les experts et les laboratoires peut faire peser un risque thérapeutique sur le patient. Le collectif Europe et Médicament défend une prise en compte de l'intérêt même de l'essai clinique : si aucun bénéfice n'est escompté, l'essai ne devrait pas avoir lieu.
Enfin, un grand nombre de mesures réglementaires sont adoptées au travers de la procédure dite de « comitologie » et échappent au contrôle démocratique des institutions représentatives. Il s'agit de sujets en apparence techniques mais comportant de très fortes implications. Le dernier texte proposé par l'Agence européenne du médicament sur le choix du comparateur dans les essais cliniques privilégie le placebo comme étalon ! Cette proposition va à l'encontre de tous les principes éthiques, notamment la déclaration d'Helsinki de l'Association médicale mondiale, mais aussi des standards scientifiques actuels et de ce que la France pourrait mettre en place dans l'après-Mediator.
M. François Autain , président . - Elle va également à l'encontre de la politique menée par le président Obama.
M. Pierre Chirac . - Il est surprenant qu'une agence de régulation fasse une proposition allant à l'encontre de la loi européenne. Les régulateurs dans le domaine du médicament ont oublié leur rôle, en France comme en Europe. Le fait de travailler quotidiennement au contact des firmes, en vase clos, voire les va-et-vient de certaines personnes entre les firmes et les agences, les ont éloignés à la fois des soignants et des patients.
Le rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) sur le Mediator souligne que « l'Afssaps se trouve à l'heure actuelle structurellement et culturellement dans une situation de conflit d'intérêts par une coopération institutionnelle avec l'industrie pharmaceutique qui aboutit à une forme de coproduction des expertises et des décisions qui en découlent » . Nous y voyons un problème-clé, en France comme en Europe, qui engendre des comportements étonnants. La coproduction sévit dans les groupes de travail des agences, mais aussi dans les think tanks , notamment les Journées de Giens.
M. François Autain , président . - Il existe de nombreux think tanks au niveau européen, exclusivement financés par l'industrie pharmaceutique, auxquels participent des fonctionnaires d'Etat. Ces pratiques sont totalement contraires à l'éthique.
M. Pierre Chirac . - Thomas Lönngren, après avoir dirigé l'Agence européenne du médicament, a fait scandale en rejoignant une firme pharmaceutique. L'EMA a par la suite mis des conditions à ses nouvelles activités. On a appris que M. Lönngren, alors même qu'il dirigeait l'agence, participait aux activités du Center for Medical Research (CMR), de Tapestry Networks et de l'Athenaeum Network, trois réseaux internationaux financés par les firmes pharmaceutiques, où se retrouvent les régulateurs ou supposés tels et les régulés.
M. François Autain , président . - On ne sait plus qui est qui ! Connaissez-vous la DIA ( Drug Information Association ), financée par l'industrie du médicament, où se retrouvent tous les directeurs d'agence du monde, mais aussi John Dalli ? Dans ces conditions, on comprend mieux la réceptivité de certains régulateurs aux doléances de l'industrie pharmaceutique.
M. Pierre Chirac . - Le CMR et Tapestry Networks sont des réseaux d'influence, des organisations de lobbying institutionnel pur et simple, dont les activités ne sont pas contrôlées et où les patients ne sont aucunement représentés. Ces organisations prétendent réfléchir à la régulation du marché du médicament. Le collectif Europe et Médicament intervient auprès des parlementaires européens, qui se trouvent en aval dans les processus de décision. Nous avons un impact assez limité sur le Comité des représentants permanents (Coreper) et aucun sur la Commission européenne, qui ne nous reçoit jamais. J'ai participé avec Médecins sans frontières à une unique réunion avec la Commission, au cours de laquelle le représentant de celle-ci a expliqué qu'il recevait les firmes toutes les semaines ! Notre collectif, qui représente la société civile, intervient au stade où les députés amendent les textes, alors que les firmes interviennent au moment de leur élaboration.
M. François Autain , président . - Vous n'ignorez pas que l'industrie pharmaceutique est représentée dans toutes les commissions et tous les groupes de travail de l'Agence française de sécurité sanitaire et des produits de santé (Afssaps), ce qui n'est pas prévu par la réglementation. Cette situation est la réplique au plan français de la situation européenne. Nous y avons mis fin, mais trop tard.
M. Pierre Chirac . - Les pouvoirs publics doivent réinvestir des domaines abandonnés aux firmes, comme la recherche clinique, la formation permanente des soignants et le fonctionnement des associations de soignants. Les firmes sont de véritables vaches à lait, car elles sont en mesure de répondre aux besoins de financement. La collectivité doit engager des dépenses dans ces domaines. Les médicaments étant remboursés à un niveau très élevé, l'argent des firmes vient en grande partie de la collectivité. Celle-ci doit définir des critères pour que cet argent soit utilisé dans l'intérêt général.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Marie-Christine Blandin et moi-même avons exercé le mandat de députés européens. Nous avons bien entendu vos propos sur l'action en amont des lobbies. Pensez-vous que le système d'agences français transpose au niveau national ce qui a été conçu au niveau européen ?
M. Pierre Chirac . - Les deux systèmes ont délégué un grand nombre de responsabilités publiques à des agences, qui sont peut-être indépendantes du politique mais certainement pas des firmes.
M. François Autain , président . - J'ai cru comprendre que vous préconisiez une nationalisation de l'Afssaps.
M. Pierre Chirac . - La représentation nationale doit définir les règles de fonctionnement des agences et fixer des objectifs. Le médicament a des répercussions importantes pour la société et ne doit pas être laissé à des techniciens qui fréquentent quotidiennement les firmes.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Poser la question en termes franco-français serait donc une erreur, car la majorité des AMM relèvent désormais de l'Europe. Vous nous incitez à porter un regard européen, notamment à l'égard des directives en cours. Pensez-vous, à l'instar de M. Christian Riché, que le concept d'AMM est dépassé au niveau national ?
M. Pierre Chirac . - Lorsque la directive européenne a été révisée, la Commission prévoyait que toutes les AMM seraient désormais délivrées au niveau européen. Les Etats membres s'y sont opposés, mais l'annexe 1 de la directive comporte une liste toujours croissante de médicaments devant être validés par l'EMA. Il faut donc travailler au niveau de l'élaboration des directives, des règlements et de la fameuse comitologie. L'Europe n'est pas seule responsable, mais il existe un certain désintérêt, en France, pour les procédures européennes. Initialement, l'EMA constituait un progrès par rapport à l'Agence française du médicament. Désormais, ce progrès est plus incertain. Des améliorations sont nécessaires aux deux niveaux.
M. Jean-Jacques Mirassou . - L'état sanitaire des pays membres est très variable : les intérêts des laboratoires se concentreront très rapidement sur les pays européens dont les marchés offrent le plus de perspectives. Au niveau européen, il faut mettre en place un dispositif valable à la fois pour les pays les plus évolués sur le plan de l'organisation sanitaire et pour ceux qui sont la cible privilégiée des laboratoires. Au niveau national, cette démarche doit trouver son pendant. L'expérience prouve que les dispositifs sont régulièrement contournés. J'estime que l'éducation des patients mais aussi celle des professionnels de santé, qui portent un regard peu critique sur les nouvelles molécules, mérite de franchir un palier pour rétablir le discernement dans la prescription et la consommation. Durant des années, le Mediator a fait figure de médicament à la mode. Certes, il existe un dispositif et des barrières prophylactiques, mais il faut offrir à la population et aux soignants les moyens de leur propre émancipation.
M. Pierre Chirac . - Notre collectif était favorable à un développement du rôle de l'EMA dans les AMM, car celle-ci était en avance sur les agences nationales, notamment à l'égard de la transparence des travaux et de la qualité des rapports d'évaluation. Néanmoins, le document de l'EMA sur les comparateurs montre que rien n'est assuré dans ce domaine. Il nous paraît indispensable de conserver des agences de régulation nationales. La possibilité de suspendre ou de retirer du marché un médicament et de communiquer sur ses dangers au niveau national nous paraît indispensable, d'autant que la France fait preuve d'une sensibilité particulière dans ce domaine. Les meilleures pratiques doivent se diffuser au niveau européen. A l'occasion de la directive proposée en matière d'information des patients, nous avons formulé des contre-propositions pour garantir un accès à des informations comparatives de qualité sur le contenu des dossiers et les effets indésirables. Nous avons également défendu une formation dès l'école à des réalités essentielles comme le caractère spontanément résolutif des maladies, la prévention ou la balance bénéfices-risques.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Les AMM conditionnelles sont-elles à vos yeux un sujet d'inquiétude ?
M. Pierre Chirac . - Oui, dans la mesure où ces AMM sont conditionnelles ad vitam aeternam . Certes, en cas de pathologie grave pour laquelle il n'existe pas de médicament satisfaisant sur le marché, on peut imaginer un accès rapide dans l'intérêt immédiat des patients, dans le cadre des autorisations temporaires d'utilisation (ATU). Ces ATU elles-mêmes n'ont pas vocation à se pérenniser. Il s'agit de concilier l'intérêt individuel des patients, qui ont besoin d'un accès précoce à des médicaments pas ou peu évalués, et l'intérêt à plus long terme de bien évaluer les médicaments. Soit les éléments d'évaluation justifiant un maintien sur le marché sont apportés, soit le médicament doit être retiré. Les firmes ne tiennent pas leurs engagements dans ce domaine. Les statistiques sont déplorables.
M. François Autain , président . - La directive de 2010 élargit ces dispositions.
M. Pierre Chirac . - Tout dépend du rôle des régulateurs. Les agences sont supposées agir dans l'intérêt du public. La collectivité doit s'assurer, par l'intermédiaire de ses représentants, que les agences de régulation utilisent le cadre juridique au mieux.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Que vous inspirent les propositions formulées dans le rapport Debré-Even de constituer des groupes réduits d'experts de haut niveau bien rémunérés et protégés par un statut, en lieu et place du recours actuel à une multitude d'experts internes et externes souvent en conflit d'intérêts ?
M. Pierre Chirac . - La transparence des débats constitue une avancée. Les vidéos de la commission d'AMM de l'Afssaps révèlent un fonctionnement fascinant. Les participants prendront graduellement conscience que leurs débats se déroulent sous les yeux des journalistes et de la société. Il faut reconnaître aujourd'hui qu'en l'absence d'argent public pour la recherche clinique, les experts se trouvent bien souvent en conflit d'intérêts par la force des choses. Plutôt que de payer le prix de décisions qui n'ont pas été prises dans l'intérêt public, la collectivité doit financer la constitution en amont d'un pool d'experts qui n'ont pas travaillé avec les firmes. Bien rémunérer les experts est essentiel, dans la mesure où ils évoluent dans un monde compétitif. La direction générale de la santé (DGS) a travaillé à la constitution d'un statut de l'expert, afin que celui-ci puisse faire valoir son expérience dans son parcours professionnel. Le nombre d'experts nécessaire dépend de leur implication. Certains experts régionaux se plaignent que les réunions de l'Afssaps, à Paris, commencent à 8 heures du matin. La pluridisciplinarité doit être assurée par un équilibre entre cliniciens, pharmacologues, prescripteurs spécialistes et généralistes, patients et infirmiers. Tous peuvent contribuer à enrichir les décisions. Enfin, il faut bien séparer le domaine de l'expertise de celui de la décision. Les règlements sur les conflits d'intérêts, et notamment la règle de sortie des salles, doivent être strictement appliqués. L'expert en situation de conflit d'intérêts peut présenter son analyse du médicament avant de quitter la salle pour la discussion préparatoire à la décision.
M. François Autain , président . - La constitution d'un corps d'experts internes normalement rémunérés, ce qui n'est pas le cas actuellement, est-elle compatible avec le maintien d'une expertise externe ?
M. Pierre Chirac . - Aux Etats-Unis, la Food and Drug Administration (FDA) possède un groupe important d'experts internes susceptibles de travailler sans influence extérieure. Le rôle des experts externes se limite à exposer leur dossier devant ce groupe. Actuellement, en France, il existe un déséquilibre en défaveur des compétences internes.
M. François Autain , président . - A la suite de l'affaire du Vioxx, le Leem (Les entreprises du médicament) s'était engagé à mettre à la disposition du public un registre des essais pré-AMM réalisés. Nous avons reçu un représentant du Leem, mais celui-ci n'a pas abordé le sujet. Il existe un portail sur le site de l'Afssaps, mais celui-ci ne fournit que des informations très parcellaires et ne liste que les essais intervenus depuis sa mise en place.
Un registre européen a récemment été mis en place. J'apprends également qu'une autre source d'information serait diffusée par un groupe économique financé à parts égales par l'Afssaps et le Leem. Cette multiplicité de sources me semble néfaste. Le seul portail que diffuse l'Afssaps ne répond pas à ce que l'on attendrait d'une base de données publique. Partagez-vous ce constat et avez-vous des propositions pour remédier à cette situation ?
M. Pierre Chirac . - Nous partageons votre avis. La littérature biomédicale internationale s'inquiète de plus en plus de la qualité des articles rendant compte des essais cliniques, qui comportent des biais méthodologiques, voire des manipulations. La solution pourrait consister en un enregistrement des protocoles prévus au moment du démarrage de l'essai, qui pourront être mis en regard des résultats. La démarche la plus prometteuse dans ce domaine est celle des grandes revues comme The Lancet ou le New England Journal of Medicine , qui obligent les contributeurs à prouver l'enregistrement de leurs essais cliniques. L'évolution sera progressive, puisque ces dispositions ne sont pas rétroactives. Il existe plusieurs registres internationaux tels que clinicaltrials.gov . Malheureusement, la multiplication des registres disperse l'information. Par ailleurs, les firmes refusent d'enregistrer les essais de phases I et II en pré-AMM. Le déroulement de l'essai, sa durée, sa publication, ses résultats doivent être publiés sur un même registre, ce qui n'est pas le cas actuellement.
M. François Autain , président . - Je vous remercie. Vous avez répondu par avance à la plupart de nos questions.
Audition de M. Bernard KOUCHNER, ancien ministre de la santé et de l'action humanitaire (1992-1993), ancien secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'emploi et de la solidarité, chargé de la santé (1997-1999), ancien ministre délégué à la santé auprès du ministre de l'emploi et de la solidarité (2001-2002) (mardi 3 mai 2011)
M. François Autain , président. - Nous recevons maintenant M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat puis ministre délégué à la santé entre 1997 et 2000. A ce titre, il a pu avoir à connaître du Mediator. Cette séance est ouverte à la presse et sera diffusée sur le site Internet du Sénat et éventuellement par la chaîne Public Sénat. Je dois également vous interroger, monsieur le ministre, sur vos liens d'intérêts éventuels avec l'industrie pharmaceutique, en application d'un article du code de la santé publique que vous avez vous-même fait voter en 2002.
M. Bernard Kouchner, ancien ministre de la santé et de l'action humanitaire (1992-1993), ancien secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'emploi et de la solidarité, chargé de la santé (1997-1999), ancien ministre délégué à la santé auprès du ministre de l'emploi et de la solidarité (2001-2002) . - Je n'ai pas de liens d'intérêts avec l'industrie pharmaceutique, mais je suis heureux que vous ayez cité cette loi, car la parution des décrets d'application n'a eu lieu que plusieurs années après son vote. Pendant bien longtemps, dans ce domaine comme dans d'autres, les liens d'intérêts des experts avec l'industrie pharmaceutique n'ont pas été suffisamment explorés. Au vu du nombre réduit de spécialistes, il est fréquent que les experts aient à la fois des liens avec une administration et avec l'industrie pharmaceutique. Voilà la raison d'être de la loi.
Je tiens à vous dire que j'ai ressenti cette affaire du Mediator, avec certains des membres de mes divers cabinets, comme un échec personnel. Nous avions créé l'Agence du médicament, devenue par la suite l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps), pour éviter des affaires comme celle du Mediator. A travers cette initiative, reproduite dans divers pays d'Europe, nous avons voulu faire en sorte que la santé publique et plus encore la « sécurité sanitaire » - expression que nous avons créée - soient assurées de la meilleure des manières. Nous sortions alors de la commotion provoquée par le drame du sang contaminé. Il fut difficile de faire évoluer le rapport médecin-malade d'une approche de soin individuel vers une conception générale, sociétale, de la sécurité sanitaire.
En prenant mes fonctions de ministre de la santé et de l'action humanitaire, j'ai constaté d'emblée l'indigence des moyens que l'Etat mettait à la disposition de la direction de la pharmacie et du médicament. Ses locaux consistaient en un corridor où s'entassaient de manière anarchique des piles de documents. Le linoléum était troué, l'équipement sommaire. C'est dans ces locaux qu'étaient délivrées les autorisations de mise sur le marché (AMM). Les dossiers attendaient en moyenne plusieurs années, souvent trois à quatre. Nous pouvions aisément concevoir que des influences extérieures pouvaient contribuer à accélérer le traitement des dossiers. Nous étions en 1991. J'ai réagi en demandant, et en obtenant, des moyens humains pour cette direction. Le Premier ministre de l'époque, le regretté Pierre Bérégovoy, s'est montré sensible à nos arguments. Les moyens d'administration et la direction générale n'existaient tout simplement pas. De manière tout à fait caractéristique, la direction générale de la santé (DGS) était localisée en dehors de Paris.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - C'est le cas actuellement en Italie : le ministère se trouve hors de Rome !
M. Bernard Kouchner . - La DGS est la direction la plus importante du ministère, le nerf de la guerre. Je l'ai donc fait revenir au sein des locaux du ministère et ai donné davantage de responsabilités, de techniques et de moyens aux agences spécialisées, en les éloignant d'une administration centrale insuffisamment moderne et réactive. Nous avons ainsi créé l'Agence du médicament, chargée de délivrer l'AMM, en lui donnant davantage de moyens de contrôle.
Alors, comment le Mediator a-t-il pu échapper à nos fourches caudines ?
Il n'est pas douteux que nous ayons fait preuve de rigueur avec l'industrie pharmaceutique, sans animosité aucune. Dans ce maelström des nouvelles molécules créées dans le monde entier, mais surtout dans le monde anglo-saxon, peut-être avons-nous prêté une attention trop exclusive à l'industrie française, qui était dominée à l'époque par le groupe Rhône-Poulenc et quelques laboratoires de taille moyenne. Nous avions peu de moyens, ce qui a pu jouer un rôle mineur.
J'attire votre attention sur les ouvrages de Didier Tabuteau, La sécurité sanitaire et Les Comptes de Ségur , qui résument notre approche. L'alerte a été donnée pour certains dérivés des amphétamines, pour la fenfluramine et la norfenfluramine, mais pas pour le benfluorex. En effet, aucun signalement ne nous a été transmis.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Pourtant, trois médecins-conseil de l'assurance maladie ont alerté à ce sujet, par lettre, le directeur général de l'Agence du médicament en 1998.
M. Bernard Kouchner . - La politique du laboratoire a consisté à séparer les dérivés « directs », avec un effet anorexigène précis, de ce qu'il définissait comme un médicament contre le diabète, avec une action sur le métabolisme des lipides et des glucides. Hélas, cela ne nous a pas alertés. Les alertes de l'Espagne et de l'Italie ne sont venues qu'ultérieurement, en 2003 et 2004. Le fait que nous n'ayons pas agi est sans doute répréhensible. Je désire néanmoins insister sur l'analyse pharmacologique. Qu'ont fait ou qu'ont dit les médecins, cardiologues, pharmacologues et divers spécialistes impliqués dans la pharmacovigilance sur ce sujet ?
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Lors de la journée de la femme, j'ai souligné que deux pharmacologues - deux femmes - ont été sanctionnées ! L'une d'elles avait construit le système français de pharmacovigilance.
M. Bernard Kouchner . - Les prescripteurs sont également en cause : il y aurait beaucoup à dire sur l'utilisation abusive du Mediator comme coupe-faim. Une réflexion s'impose sur la médecine générale et la médecine en général. J'ai tenté d'initier un travail sur la prescription aidée par les visiteurs médicaux. Je crois avoir dit, devant le Sénat, que je souhaitais diviser par deux le nombre de visiteurs médicaux et qu'on puisse les former en permanence, ce que l'industrie pharmaceutique a refusé.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Le nombre de visiteurs médicaux a été réduit depuis.
M. François Autain , président . - On arrivera à une division par deux de leur nombre.
M. Bernard Kouchner . - Enfin, les pharmaciens respectent la prescription du médecin. Néanmoins, après le retrait du commerce des amphétamines et anorexigènes, nous savions qu'il ne restait que deux ou trois de ces produits. Là encore, la surveillance a été défaillante.
Naturellement, je n'ai pas l'intention de m'exonérer de ma part de responsabilité. Nous avions créé l'Agence du médicament pour autonomiser le fonctionnement du système : si celle-ci rendait compte au directeur général de la santé, le ministre ne devait pas être directement responsable. Nous avons créé un bel instrument susceptible de livrer une expertise qui, même si elle n'est pas préservée des influences et surtout des habitudes, a bien rempli son rôle. Néanmoins, je me sens responsable, car j'ai créé une structure que je crois performante, mais qui a péché dans cette affaire.
M. François Autain , président . - Vous avez déclaré que vous vous sentiez « responsable ». Le ministre de la santé est toujours responsable de l'inscription dans la liste des médicaments remboursés par la sécurité sociale.
M. Bernard Kouchner . - Je n'en suis pas sûr.
M. François Autain , président . - Quoi qu'il en soit, le ministre de tutelle a cette responsabilité. La commission de la transparence émet un avis, mais une décision du ministre doit le rendre effectif. Or, le ministre de l'époque n'a pas répondu à la demande de déremboursement ou de réduction du taux de remboursement du Mediator, formulée par le directeur de la sécurité sociale. Certes, le médicament n'aurait pas été retiré du marché. Cependant, le médicament est resté remboursé au taux maximal, soit 65 %, jusqu'à son retrait du marché. Avez-vous conservé un souvenir de cet épisode ? Peut-être avez-vous interrogé votre directeur de cabinet au sujet de cette note, qui figure dans le rapport ?
M. Bernard Kouchner . - Je n'ai aucun souvenir concernant cette lettre. Néanmoins, quelques mois avant notre départ, une lettre a été adressée au membre de mon cabinet chargé des médicaments. Cette lettre n'a pas reçu de réponse et je le regrette. Lorsque le ministre de la santé est également responsable de la sécurité sociale, il possède une pleine autorité sur ce sujet. Malheureusement, les deux attributions n'ont été réunies qu'après les élections de 1993, lorsqu'Elisabeth Hubert a reçu une double tutelle sur la dépense - la sécurité sociale - et la recette - la santé.
M. François Autain , président . - Nous envisageons de proposer une inscription automatique sur la liste des médicaments non remboursés, ceux à service médical rendu insuffisant, sans intervention du ministre. Si tel avait été le cas, le Mediator aurait été déremboursé. Pensez-vous qu'une telle mesure serait envisageable et de nature à régler le problème ?
M. Bernard Kouchner . - Le problème des effets secondaires et des risques ne sera jamais entièrement réglé - nous ne pouvons que les réduire. La ministre des affaires sociales nous a transmis une liste de 835 médicaments dont le taux de remboursement devait être réduit, mais le Mediator a échappé au déremboursement. Voilà un autre mystère.
M. Jean-Jacques Mirassou . - Il est aisé d'expliquer a posteriori ce qui aurait dû être fait. Néanmoins, l'affaire du Mediator a été précédée du scandale de l'Isoméride, dont le protocole lui est très fortement apparenté. Et pourtant, le ministère s'est intéressé au déremboursement d'une longue liste de médicaments destinés aux « bains de bouche » ou au « confort digestif », en passant sous silence le Mediator. Ce sujet me préoccupe depuis le début des auditions : avant le Mediator, une molécule rigoureusement identique avait fait l'objet de signaux d'alerte.
M. Bernard Kouchner . - Le directeur de l'Agence du médicament a lutté contre les laboratoires Servier pour que l'Isoméride et le Pondéral, dont les effets centraux étaient nocifs, soient retirés. Notre attention n'a pas été attirée par le Mediator, parce que nous ne sommes pas pharmacologues et que ce médicament figurait sur une autre liste, celle des médicaments pour le diabète. Or, il semble que le Mediator n'avait pas d'effets antidiabétiques significatifs.
M. François Autain , président . - C'est en effet ce qu'ont découvert les experts.
M. Bernard Kouchner . - Les médecins ne lisent pas l'information scientifique. De plus, les visiteurs médicaux tendaient à accréditer la distinction entre le dérivé « immédiat » qu'est la fenfluramine et les dérivés moins immédiats, classés dans la catégorie des antidiabétiques. Nous n'y avons pas prêté attention, mais les pharmacologues ne nous l'ont pas signalé.
M. Bernard Cazeau . - Je m'interroge sur le fonctionnement du cabinet du ministère de la santé. Certes, le ministre n'est pas pharmacologue. Néanmoins, n'existe-t-il pas une cellule de liaison chargée d'informer le ministre sur ces questions ? Les laboratoires ou leurs intermédiaires n'exercent-ils pas une pression sur les ministres ou sur leur entourage ?
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Notre mission d'information a pour but d'exercer un contrôle et de faire évoluer la politique du médicament. De quelles procédures de remontée de l'information des agences et des administrations centrales disposiez-vous pour les alertes sanitaires ?
M. Bernard Kouchner . - Nous avions des rapports très étroits et périodiques avec toutes les agences, qui rendaient compte au directeur général de la santé. Par surcroît, des réunions de sécurité sanitaire se tenaient deux fois par mois, le mercredi matin, avant le conseil des ministres. Les représentants des agences, mais aussi des spécialistes, y participaient. Nous avons inventé l'expression même de sécurité sanitaire. Des cardiologues étaient présents. Or, je ne me souviens pas que l'un d'entre eux m'ait signalé des cas de valvulopathie liés au Mediator.
M. François Autain , président . - La première notification d'une valvulopathie liée au Mediator n'a eu lieu qu'en 1999, alors que vous aviez quitté le ministère de la santé.
M. Bernard Kouchner . - Si la pharmacovigilance, dirigée par un pharmacologue, ne prend pas ces éléments en compte, nous pouvons en effet nous interroger sur l'existence de pressions. Je ne crois pas que des pressions directes aient été exercées. Les conseils et rencontres de sécurité sanitaire se tenaient régulièrement à 8 heures du matin, même sans ordre du jour particulier. Jamais l'attention du ministre n'a été attirée sur le Mediator. Ce défaut de vigilance aurait pu s'expliquer par des pressions ou par une méconnaissance compréhensible, au vu de l'étendue des connaissances. Or, des spécialistes participaient à ces réunions.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Vous avez attiré notre attention sur votre action, qui a consisté à construire un dispositif d'agences similaire à celui qui existait au niveau européen. Or, les auditions précédentes ont mis en évidence une coproduction entre l'industrie pharmaceutique, via les lobbies, et l'Agence européenne. Ce système n'a-t-il pas été reproduit au niveau national ? Faut-il opérer une recentralisation ? La sécurité sanitaire n'a-t-elle atteint son niveau actuel qu'en raison des moyens financiers et techniques dont dispose l'Afssaps ?
M. Bernard Kouchner . - En effet, il est particulièrement important de disposer de moyens techniques et de laboratoires d'analyses. Ces moyens ont été mis en place grâce à la création de l'Agence du médicament. Auparavant, la situation était embarrassante pour le Gouvernement et la France. Il m'a paru opportun d'imposer aux laboratoires une participation financière dont ils récolteraient les fruits à travers l'AMM. Cependant, ceux-ci n'avaient pas pour autant accès à la direction, au fonctionnement et à l'administration. Ils versaient des taxes pour la prise en charge des trois stades de l'expertise menant à la décision, que l'AMM soit accordée ou non.
En procédant à une centralisation, nous retomberions dans les ornières qui ont porté du tort à notre industrie pharmaceutique, dont il ne faut pas oublier que les progrès considérables ont bénéficié aux patients. Le risque de scandales analogues à ceux du Stalinon, du Distilbène ou de la Thalidomide n'en serait qu'augmenté. L'Agence doit fonctionner avec des garde-fous et des contrôles plus renforcés dans chaque discipline.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Une nouvelle réforme institutionnelle est-elle nécessaire ou suffirait-il de procéder à une mise en coordination des institutions ?
M. Bernard Kouchner . - Une mise en coordination des institutions et surtout un audit externe permanent me semblent indispensables. Nous aurions dû prêter attention aux alertes de la revue Prescrire . Les habitudes de travail finissent par installer une forme de morgue scientifique analogue à la morgue médicale que nous avions combattue en créant cette agence. Je suis fier de la loi sur le droit des malades.
M. François Autain , président . - C'est à cette loi du 4 mars 2002, dite « loi Kouchner », que nous avons fait référence en introduisant cette audition.
M. Bernard Kouchner . - Nous avons voulu faire en sorte que les intéressés, en l'occurrence les médecins, soient en mesure de s'interroger sur leur propre compte. L'institution d'un champ intellectuel concurrentiel serait souhaitable : les responsabilités ne doivent pas s'exercer en circuit fermé. Peut-être un afflux critique venu de l'extérieur a-t-il manqué à l'Afssaps ?
M. François Autain , président . - Des progrès ont été réalisés, avec la retransmission de la commission d'AMM consacrée à l'Actos, à laquelle Le Figaro a consacré deux articles.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Jugez-vous possible et souhaitable d'interdire tout lien d'intérêts dans les commissions d'experts ?
M. Bernard Kouchner . - Nous avons rencontré ces problèmes dans le domaine de l'expertise psychiatrique. Les listes immuables d'experts doivent faire l'objet d'un véritable bouleversement. Le risque est d'orienter les meilleurs experts vers l'industrie pharmaceutique. Le fait d'avoir travaillé dans un laboratoire ne doit pas jeter le soupçon sur l'ensemble des travaux pharmacologiques d'un expert. Il s'agit d'une question complexe. Je vous conjure de ne pas recentraliser le dispositif, quitte à mettre en place une surveillance de l'Afssaps par une personnalité « politique ». Ne revenons pas à la situation antérieure.
M. Jean-Jacques Mirassou . - Un panel d'experts présentant toutes les garanties nécessaires au moment de leur désignation risque de voir son acuité s'étioler à force de fonctionner en vase clos. C'est pourquoi vous préconisez de faire appel à des experts extérieurs susceptibles de livrer une analyse sur un médicament particulier. Le problème consiste à s'assurer qu'ils agiront en toute indépendance, avec loyauté et honnêteté. Une évolution culturelle est nécessaire afin qu'un tel dispositif atteigne son seuil d'efficacité et d'opérabilité. Il me semble impossible de procéder ex abrupto . Il faut lisser le dispositif. Je me suis toujours étonné que la puissance publique ne possède pas les mêmes capacités que les laboratoires pour les recherches sur les molécules ou un jugement critique sur leurs effets secondaires.
Je crains qu'avec les progrès d'Internet, la loi Kouchner sur les droits des malades ne provoque de véritables ravages. En effet, les patients risquent de s'informer sur les effets indésirables des molécules avant d'en connaître les effets positifs. Seul le généraliste ou le prescripteur est en mesure de guider le malade en lui expliquant les effets du médicament, positifs et négatifs. En tant qu'ancien prescripteur, je suis particulièrement taraudé par la place croissante de l'information sur Internet. Auparavant, le médecin était le détenteur exclusif du savoir. Le scandale du Mediator risque d'avoir des effets délétères dans ce domaine. Pour ma part, je me suis abstenu de toute déclaration intempestive, car je m'interdis d'aller contre le contact privilégié entre le prescripteur et son malade. Il s'agit d'un débat de société.
M. Bernard Kouchner . - Voilà la philosophie des presque sept années que j'ai passées au ministère de la santé. Je ne puis vous donner tort, ni vous donner entièrement raison. Il était impossible de maintenir en l'état le rapport médecin-malade, qui reposait sur le mandarinat et la soumission. La société ne le voulait pas, et l'information du public fait des progrès. L'Internet, que nous vouons aux gémonies, rend bien des services : il permet d'apprendre, de connaître, de toucher le public.
Nous aurions dû prévenir le scandale du Mediator. Une enquête est nécessaire pour déterminer les responsabilités.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Il ne s'agit pas ici d'une commission d'enquête. Nous ne sommes pas des juges.
M. Bernard Kouchner . - Je le comprends. Le Mediator ne remet pas en question le rapport nouveau entre le soignant et le soigné - je me refuse à employer le terme de patient, qui dénote la souffrance. Si, au vu des contre-indications d'un médicament découvertes sur Internet, vous décidez de ne pas le prendre, cette décision vous appartient. Des rapports ouverts sont nécessaires avec celui qui détient une science dont le malade a besoin. Il faut préserver cette alchimie formidable qu'est le rapport médecin-malade. Le malade critique la médecine en général, le système de santé, mais jamais son médecin. Dans le scandale du sang contaminé, nous avons été pris en faute dans un domaine de sécurité sanitaire où nous étions pleinement informés. Dans le cas du Mediator, l'information faisait défaut. Si une personne de mon entourage connaissait la nocivité potentielle du benfluorex, alors nous sommes responsables. A l'époque, les décisions étaient prises par le cabinet, avant la création des agences. Cependant, je ne crois pas que l'information fût disponible.
M. François Autain , président . - La connaissance de la nature de la molécule progressait au fil du temps. Les autorités auraient pu agir plus tôt.
M. Bernard Kouchner . - En effet.
M. Bernard Cazeau . - A partir des années 1995-2000, la pratique consistant à réunir dans le même médicament deux corps chimiques dont l'action était différente a été progressivement abandonnée. Pendant longtemps, des médicaments à la fois antibiotiques et anti-inflammatoires ont été commercialisés. Le Mediator relevait de cette catégorie. Si les deux molécules avaient été séparées, les effets nocifs de la première auraient été identifiés beaucoup plus rapidement. C'est pourquoi je m'interroge sur d'éventuelles pressions, même si vous n'êtes pas concerné.
M. Bernard Kouchner . - A ma connaissance, aucune pression n'a été exercée. Deux cents molécules anorexigènes ont été synthétisées par les laboratoires Servier, suivant la méthode habituelle d'ajout de radicaux. Des trois médicaments issus de ce travail, le Pondéral, l'Isoméride et le Mediator, les deux premiers ont été interdits et le dernier a échappé à notre vigilance. Je ne me l'explique pas. J'exclus toute dissimulation de la part des membres de mon cabinet, dont je reste très proche.
Mme Marie-Christine Blandin . - Une instance ou des protocoles ne devraient-ils pas garantir aux citoyens l'application des lois, règles et règlements ? Vous avez indiqué que les décrets d'application de votre loi sur les droits des malades avaient été promulgués plusieurs années après le vote. Vous aviez également institué un médecin prescripteur référent par hôpital pour juguler la prescription abusive d'antibiotiques, or les mandarins en ont empêché la mise en place. Le Sénat a voté à l'unanimité, voici un an, la création d'une instance de garantie de l'indépendance de l'expertise. Rien n'a été mis en oeuvre. A l'Afssaps, les déclarations d'intérêts n'ont pas été remplies jusqu'au scandale du vaccin contre la grippe.
M. François Autain , président . - Certains experts qui siégeaient au comité technique de vaccination n'ont pas rempli leur déclaration d'intérêts avant fin 2009. Au contraire, l'application de cette disposition s'est améliorée au fil des années à l'Afssaps.
Mme Marie-Christine Blandin . - Les entreprises du médicament (Leem) siégeaient dans les commissions de l'Afssaps sans en avoir le droit. Le Parlement voit ses votes ignorés et les ministres portent des lois qui ne sont pas appliquées. Une certaine rigueur fait défaut.
M. Bernard Kouchner . - La santé n'est pas le seul domaine concerné ! Le Conseil d'Etat a mis cinq ans pour publier les décrets d'application de la loi sur les droits des malades. Une multiplicité d'intérêts et l'encombrement administratif entrent en jeu. Néanmoins, ce délai est inadmissible. Les dispositions sur les rapports d'intérêts entre les laboratoires et les experts ont été relativement, peut-être insuffisamment, respectées. Cependant, vous ne pouvez empêcher un expert de quitter l'administration pour aller travailler dans l'industrie pharmaceutique.
M. François Autain , président . - Le cas s'est déjà produit.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - En tant que ministre, quelles mesures avez-vous engagées à propos de la prescription hors AMM ?
M. Bernard Kouchner . - Le pharmacien a le droit de contacter le médecin en cas de prescription hors AMM. Il a été calculé que dans 20 % des cas, le Mediator était utilisé de façon abusive, pour son seul effet amaigrissant.
M. François Autain , président . - Cette proportion est estimée entre 10 % et 50 %.
M. Bernard Kouchner . - Vous n'ignorez pas que l'utilisateur reprend du poids dès l'arrêt du traitement... Nous revenons à Internet, où il est possible de trouver tous les types de médicaments. Comment réguler cette consommation ? L'abus d'usage est souvent causé par le bouche à oreille. Il fut un temps où les amphétamines étaient en vente libre. De grandes oeuvres ont été écrites sous leur influence. La société évolue.
Chaque année, on dénombre 400 000 nouveaux consommateurs de drogue. Il m'est difficile de faire entendre ma position, mais un changement d'état d'esprit s'impose. Nous n'avons pas encore trouvé le moyen de réduire la dépendance. Quels sont les procédés répressifs ? Nous avons souffert d'une forme de cécité causée par l'installation d'une culture de l'appareil. Les autorités régulatrices n'ont pas délibérément mal agi. Au moment de la création de l'Agence du médicament, 9 000 médicaments étaient en vente dans notre pays.
M. François Autain , président . - Aujourd'hui, ce nombre est évalué à 4 500.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Et, au Royaume-Uni, seuls 450 médicaments sont autorisés !
M. Bernard Kouchner . - D'autres scandales ont été autrement plus meurtriers que le Mediator. Je pense au Vioxx. Sans l'Agence du médicament, la situation aurait probablement été bien pire.
M. François Autain , président . - Il n'est pas dans notre intention de supprimer l'Afssaps !
M. Bernard Kouchner . - Je vous remercie de m'avoir permis de m'exprimer. Je reste le coeur gros de ne pas avoir repéré, avec mon cabinet, cette molécule nocive. Trop de patients en ont souffert.
M. François Autain , président . - Je vous remercie d'avoir répondu à nos questions.
Audition de Mme Corinne LEPAGE, députée européenne, ancien ministre de l'environnement (1995-1997) (jeudi 5 mai 2011)
M. François Autain , président . - Nous souhaitons vous entendre sur les expertises et la gestion des conflits d'intérêts.
Mme Corinne Lepage, députée européenne . - Ces questions me tiennent à coeur. Elles renvoient au fonctionnement du système démocratique ; je songe aussi à la confiance des patients dans des médicaments dont ils ont été finalement les victimes. J'évoquerai le travail mené au Parlement européen sur la pharmacovigilance. La législation européenne a été renforcée mais elle demeure insuffisante, en particulier sur les conflits d'intérêts. Le texte sur l'information des patients de fin 2008 était incompatible avec nos principes et l'Assemblée nationale s'en était fortement émue, elle avait voté un rapport très critique. Nous sommes revenus de loin par rapport à cette première mouture qui, il est vrai, avait le mérite de faire l'unanimité contre elle. Elle autorisait en effet les laboratoires à communiquer directement avec les patients ! Elle jouait sur les mots, information et publicité étaient habilement confondues. Le projet a été remanié en profondeur.
M. François Autain , président . - Tout ce qui était de la publicité déguisée a été écarté du texte. Nous parlons, je le précise, non pas de la directive de 2010 mais de celle qui est en préparation.
Mme Corinne Lepage . - Au Conseil européen du 6 décembre dernier, la Commission a fait part de sa volonté de modifier le texte.
On a refondu l'an dernier le texte sur la pharmacovigilance : ce fut aussi l'occasion d'un débat intense et nous avons obtenu des avancées en faveur des patients et de la transparence : exigences renforcées pour les demandes d'autorisation de mise sur le marché (AMM), meilleure identification des médicaments soumis à autorisation supplémentaire, renforcement d'Eudravigilance, possibilité de demander à la Commission l'évaluation de la lisibilité d'une notice. Il reste à améliorer le financement de l'Agence européenne du médicament, qui provient à 80 % de l'industrie pharmaceutique.
M. François Autain , président . - En France, c'est 100 % !
Mme Corinne Lepage . - M. Xavier Bertrand entend modifier ces règles : je le souhaite vivement ! Le contrôle de la gestion des fonds doit selon moi être confié aux autorités nationales. J'ai présenté à la commission de l'environnement un amendement tendant à ne prévoir que des financements essentiellement publics pour les activités liées à la pharmacovigilance ; je n'ai pas été suivie. Je connais la situation budgétaire des Etats mais je souhaitais au moins des financements majoritairement publics.
Il est pourtant manifeste que les résultats de l'expertise varient du tout au tout selon qui la paie.
M. François Autain , président . - Il en va de l'expertise comme des sondages d'opinion.
Mme Corinne Lepage . - Financement par le demandeur, par la puissance publique, par des associations : les résultats des études ne sont jamais les mêmes. Les parlementaires européens en ont fait l'expérience lors de l'épidémie de grippe H1N1. A l'été 2009, le European Centre for Diseases Prevention and control (ECDC), financé à 100 % par de l'argent public, nous a dit que l'épidémie n'était pas grave, qu'un vaccin en cours de test serait prêt à l'automne, réservé aux adultes en bonne santé - il fallait attendre le mois de janvier suivant pour vacciner les enfants, les femmes enceintes et les personnes à risque, d'autres tests étant nécessaires auparavant.
A quinze jours d'intervalle, l'Agence européenne du médicament (EMA), nous informe que l'épidémie est très grave, qu'il faut vacciner tout le monde... en commençant par les enfants, les femmes enceintes et les personnes à risque. Nous avons interrogé notre interlocuteur sur les tests, il nous a répondu : « Les tests sont inutiles, nous avons effectué une modélisation. » Dans notre rapport sur la gestion de l'épidémie de grippe H1N1, nous posons la question : pourquoi les autorités ont-elles retenu la version de l'EMA et non celle de l' European Centre for Disease Prevention and Control (ECDC) ?
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - On nous a signalé lors des auditions sur la grippe H1N1 que le vaccin pouvait entraîner des problèmes respiratoires. Les tests l'avaient montré mais on n'en a pas tenu compte !
Mme Corinne Lepage . - En outre, dans cette affaire, les risques secondaires ont été pris en charge par les Etats, non par les laboratoires. Et comme chaque Etat a négocié de son côté son approvisionnement en vaccins, les enchères ont monté. Au final, le coût a été démesuré, on a pris un risque sanitaire et la défiance s'est installée dans la population à l'égard de ce qu'affirment les autorités. Moi-même, comme députée, je ne savais plus quoi penser ! Sur quoi fonder notre décision ? C'est intolérable.
Le texte sur la pharmacovigilance n'a pas réglé tous les problèmes. L'EMA n'a recommandé officiellement qu'en 2009 le retrait du Mediator du marché européen. La décision a été prononcée le 14 juin 2010. L'agence estime qu'elle n'avait pas mandat pour évaluer ce médicament, elle précise qu'elle n'a jamais été saisie de cette affaire entre 2000 et 2009, mais le choix des dates n'est pas innocent, puisqu'elle avait été saisie en 1999 !
M. François Autain , président . - Mais aucun Etat n'a saisi l'EMA en appliquant la procédure de l'article 12 ! L'EMA était extérieure à cette affaire puisque le Mediator a été mis sur le marché selon des procédures nationales. L'agence n'intervient qu'à la demande des Etats membres, or ni la France ni l'Italie ne l'ont saisie.
Mme Corinne Lepage . - Effectivement, elle n'avait pas obligation d'intervenir. Et malheureusement, les récentes modifications ne changent rien à cela, l'affaire pourrait donc se reproduire ! Je rappelle que le Mediator a été retiré du marché en Suisse en 1998, en Espagne en 2003...
M. François Autain , président . - C'est le titulaire de l'autorisation qui a retiré le produit du marché espagnol...
Mme Corinne Lepage . - Il en a été de même en Italie. Le Mediator a été retiré au Luxembourg en 2006, l'AMM suspendue en 2009 ; il a été retiré en Grèce en 2008, où la commercialisation avait été arrêtée en 2005 ; il a été retiré au Portugal en 2009 après ce qui s'est passé en France.
Il est regrettable qu'un retrait à l'initiative du titulaire de l'AMM n'entraîne pas une saisine automatique de l'EMA. Je ne dis pas que l'Agence européenne soit responsable, mais que des modifications dans les règles actuelles seraient bienvenues. Lorsqu'un laboratoire retire discrètement son produit de la vente, pays après pays, il y a lieu de s'y intéresser, même en l'absence d'une saisine par un Etat. L'EMA, à mon avis, ne s'est pas donné beaucoup de mal, mais je reconnais que juridiquement elle n'est pas en tort.
Il serait nécessaire que le retrait d'un médicament à la demande du laboratoire soit suivi d'une information auprès des autorités nationales.
Autre problème : des organisations non gouvernementales (ONG), dont le Formindep, m'ont alertée fin janvier dernier sur le parcours de l'ancien directeur exécutif de l'EMA. J'ai immédiatement demandé des éclaircissements à l'agence ainsi qu'au commissaire européen à la santé, M. John Dalli. J'ai interrogé l'agence sur les règles déontologiques appliquées en cas de départ de ses dirigeants. En l'occurrence, le directeur exécutif a informé l'agence par un courrier du 20 décembre 2010 qu'il la quittait pour créer une société et mettre son expérience à disposition du public, des associations, des autorités...
M. François Autain , président . - Il n'a pas mentionné les laboratoires, bien sûr.
Mme Corinne Lepage . - Il indiquait qu'il gérerait scrupuleusement les éventuels conflits d'intérêts.
Et il devient tout de suite après le directeur scientifique et stratégique d'un laboratoire, qui ne se prive pas de communiquer largement sur ce recrutement - quel succès en effet et quelle publicité pour cette entreprise ! Or, le 17 janvier la réponse de l'EMA à son ancien collaborateur est laconique : puisque vous gérez vos conflits d'intérêts, tout va bien. Plus tard, au moment même où l'EMA m'adressait les courriers échangés entre elle et son ancien dirigeant, elle a écrit à nouveau à celui-ci, pour préciser les restrictions imposées à son activité future. Coïncidence ?
Quoi qu'il en soit, si les associations ne m'avaient pas informée, jamais je n'aurais su cela. Mais l'affaire a fait du bruit, au point que le Parlement, la semaine prochaine, reportera peut-être la décharge budgétaire de l'EMA à plus tard, en attendant que le fonctionnement de l'agence soit infléchi. Un vote en ce sens serait un acte fort : j'espère que l'Assemblée suivra la recommandation du rapporteur de la commission du contrôle budgétaire. Le Parlement commence à sortir l'artillerie lourde !
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - De tels votes se sont déjà produits dans le passé, mais rarement.
Mme Corinne Lepage . - Deux fois j'ai voté contre le quitus à l'EMA ou à l'Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa), la European Food Safety Authority , pour des raisons tenant à la manière dont ils gèrent les conflits d'intérêts. Nous n'étions pas nombreux à le faire...
La présidente du conseil d'administration de l'Efsa exerçait des fonctions au sein de l'International Life Sciences Institute (ILSI), l'organisme de lobby de l'agroalimentaire. L'ISLI regroupe 474 entreprises dont Nestlé, Coca-Cola, etc. Et l'Efsa est chargé d'instruire les demandes d'autorisation dans ce secteur ! La présidente a démissionné de l'ISLI, pas de l'Efsa. Quant au « panel OGM », son président fait aussi partie de l'ISLI ! Cela ne peut plus durer...
M. François Autain , président . - Les dirigeants de l'EMA ne se privent pas de participer à des think tanks financés par l'industrie pharmaceutique.
Mme Corinne Lepage . - C'est fréquent !
M. François Autain , président . - On y trouve aussi de hauts fonctionnaires français qui ont des responsabilités sensibles dans le domaine de l'évaluation des médicaments ou la fixation de leurs prix.
Mme Corinne Lepage . - Ces pratiques sont intolérables. Elles sont hélas très ancrées dans les moeurs, personne n'étant jamais allé y regarder de près. Ou plutôt, ceux qui l'ont fait ont été considérés comme des marginaux. Dans le rapport que j'avais remis à M. Jean-Louis Borloo sur la gouvernance écologique au début des discussions du Grenelle, début 2008, j'abordais les questions de l'information, l'expertise, la responsabilité dans les domaines des nanotechnologies et des organismes génétiquement modifiés (OGM). Je formulais des propositions sur les conflits d'intérêts. Aucune n'a été retenue dans les lois qui ont suivi.
Ce dont nous parlons n'est du reste que la partie émergée de l'iceberg. Il y a tout le reste. Par exemple, la pratique dite « des portes tournantes » : un cadre de laboratoire ou l'avocat de cette entreprise rejoint la commission d'expertise le temps nécessaire pour veiller à l'obtention d'une autorisation ; puis il revient à son poste antérieur. Mme Suzy Renckens a quitté l'Efsa et rejoint du jour au lendemain le groupe Syngenta. Chacun a le droit de changer de vie, mais de tels départs témoignent de contacts antérieurs et c'est cela qui me dérange. Voilà comment on peut aboutir à des catastrophes comme celle du Mediator.
Il faudrait parvenir à un système dans lequel on ne se prive pas de l'expertise privée, car la recherche y est de haut niveau, mais en nous dégageant du piège dans lequel nous nous sommes enferrés en abandonnant à l'expertise privée le soin d'orienter les choix publics. Je plaide pour une expertise contradictoire et pluraliste. Je suis avocate et je crois fermement au pouvoir des procédures contradictoires. Un panel neutre, ensuite, prend la décision.
M. François Autain , président . - Un panel composé de personnes qui n'ont pas de lien d'intérêts avec le laboratoire qui demande une autorisation.
Mme Corinne Lepage . - Tout le monde rirait si nous suggérions des experts « indépendants » : ceux-ci doivent à tout le moins ne pas être dépendants. Les experts du laboratoire exposeraient leurs arguments, les opposants diraient les leurs. Le processus de décision serait complètement différent. Certes, le secret industriel doit être respecté : mais il s'arrête là où commence la connaissance des données de santé, d'environnement, qui sont d'intérêt général. Les données doivent être publiques.
Il faut aussi un statut des experts, pour éviter, d'une part, le mélange des genres entre évaluation des risques et gestion des risques, d'autre part, le déni de responsabilité.
M. François Autain , président . - C'est la raison pour laquelle on a créé l'Afssaps.
Mme Corinne Lepage . - Experts et décideurs se renvoient trop souvent la balle lorsque l'on invoque leur responsabilité. Il est temps de fixer très clairement les droits et devoirs, les obligations et responsabilités, des uns et des autres.
M. François Autain , président . - Que penseriez-vous d'une autorité indépendante ?
Mme Corinne Lepage . - C'est ce que j'avais proposé à M. Jean-Louis Borloo : une entité chargée de définir les règles du jeu et de sanctionner les infractions. Le rapport Sauvé contient des propositions intéressantes.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Que pensez-vous des omissions dans les déclarations ?
Mme Corinne Lepage . - Elles sont graves ! En droit, le faux par omission existe.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Certains laboratoires manoeuvrent pour présenter une demande à tel moment plutôt qu'à tel autre pour des raisons de concurrence.
Mme Corinne Lepage . - Il est ici question des seuls experts, non des laboratoires. Dans le rapport d'initiative de Mme Michèle Rivasi, nous avions prévu des déclarations d'intérêts, publiées, contrôlées, sanctionnées. Or, à la demande du parti populaire européen (PPE), je dois le dire, contrôle et sanction ont été retirés de la résolution : nous avons lors du vote été minoritaires. La formulation qui demeure est presque un appel au meurtre : « Déclarez ce que vous voulez, peu importe ! »
M. François Autain , président . - Mais la législation nationale n'est pas obligée de se cantonner à cela.
Mme Corinne Lepage . - Heureusement qu'il n'est pas interdit de faire mieux !
Mme Marie-Thérèse Hermange . - Les modèles nationaux d'agences sont reproduits au niveau européen. La délégation du Sénat s'est penchée sur la question des agences. Le financement de l'Afssaps peut-il s'affranchir de tout lien avec les laboratoires ? On connaît les restrictions budgétaires actuelles. L'ancienne direction du médicament, qui occupait quelques mètres carrés du ministère et employait quelques personnes, est devenue une agence, dotée d'un personnel nombreux et de superbes locaux. Comment la financer ?
Mme Corinne Lepage . - On est pris entre deux feux. On souhaiterait une indépendance complète de l'aide à la décision publique par rapport au privé, mais en période de vaches maigres sur le plan budgétaire, on ne peut être trop naïf... Un financement majoritairement public serait déjà une avancée, avec des dotations fixées à trois, quatre ou cinq ans pour plus de visibilité. Afin d'éviter que les « donateurs » de fonds n'influent sur les résultats des études, peut-être faudrait-il adopter des montages financiers moins primaires. Aujourd'hui, le demandeur paie. Demain, qu'il soit laboratoire pharmaceutique, groupe agroalimentaire, chimiste ou autre, il pourrait verser sa contribution à un fonds global qui répartirait les dotations entre les agences. Disjoindre ainsi le lien entre allocation et utilisation des fonds ne pourrait nuire...
M. François Autain , président . - Il existe aujourd'hui onze taxes parafiscales sur l'industrie pharmaceutique. Elles sont versées au budget général, financent des agences ou vont à l'assurance maladie. Prenons conscience que l'argent des laboratoires est de l'argent public puisqu'il provient des remboursements de sécurité sociale. Les taxes n'ont rien de scandaleux. Nous n'avons pas achevé notre réflexion sur cette question. Mais il nous semblerait judicieux de réduire le nombre de taxes - par souci de simplification - et d'affecter celles qui restent soit vers le budget général, soit vers un fonds chargé de redistribuer les sommes entre agences.
Mme Corinne Lepage . - Au niveau européen cela se passe de la même façon, c'est le demandeur de l'autorisation qui finance l'étude. Cela ne peut fonctionner. Je présenterai un amendement pour écarter cette pratique.
M. Jacky Le Menn . - Votre vision me semble bien angélique. La concurrence économique de tous contre tous est exacerbée et les chercheurs savent d'où coule l'argent. La recherche publique est sous-dotée et il faudrait, dans le budget européen ou national, augmenter considérablement les crédits pour que les meilleurs chercheurs s'intéressent au public. Leur intérêt converge le plus souvent avec celui des firmes privées.
M. François Autain , président . - Pourtant le marché pharmaceutique français n'est pas un vrai marché, il n'y règne pas de vraie concurrence, puisque les prix y sont administrés. Pour les laboratoires, la situation est formidable : s'ils mettent en vente un nouveau médicament, identique à celui d'un concurrent, le prix sera le même - ils n'auront pas à le vendre moins cher pour qu'il se fasse une place. Les groupes profitent de tous les avantages d'une économie administrée sans en subir les inconvénients.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Le conflit d'intérêts ne se limite pas à l'intérêt financier et il serait utile de savoir d'où parle l'expert qui soutient une demande.
Mme Corinne Lepage . - Je ne suis pas naïve et j'ai suffisamment vécu pour avoir vu beaucoup de choses. La recherche publique n'a qu'un budget modeste et la conjoncture n'est pas à son augmentation. Au plan européen, pour financer les services diplomatiques ou d'autres nouveaux postes budgétaires, on en ponctionne d'autres. Le surcoût d'Iter, 1,4 milliard d'euros, a été financé par l'agriculture à hauteur de 400 millions d'euros, par la recherche pour 400 millions, etc.
Un système contradictoire aurait l'avantage de nous créer une obligation de financement : il faudrait bien payer les expertises ! On nous dit que des règles trop strictes chasseraient les groupes pharmaceutiques d'Europe. Que l'on se rassure, le marché reste avantageux pour eux, comme le soulignait à l'instant votre président.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Quelles mesures législatives pourraient améliorer encore la directive en préparation sur l'information ?
Mme Corinne Lepage . - Qui contrôle l'information donnée au patient ? Là se situe le point essentiel. Nous n'avons pas évoqué la fraude sur Internet, où des médicaments sont vendus hors de tout contrôle.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Le Sénat s'est saisi du sujet.
M. François Autain , président . - La France est moins touchée que les autres.
Mme Corinne Lepage . - Mais ce phénomène prend en Europe des proportions considérables. C'est sur Internet, bien sûr, que publicité et information sont le plus aisément mélangées. Il faut aussi parler du rôle du praticien dans l'information du patient. Enfin, nous devons nous pencher sur la façon dont sont gérées les alertes sur les effets secondaires. Les associations proposent que l'on instaure des forums de discussions. Il y a des progrès à faire sur les certificats de décès : aujourd'hui, si l'on ne meurt pas de cancer, on meurt d'un arrêt cardiaque... Mais a-t-on pris du Mediator durant les années récentes ? Y a-t-il ou non une valvulopathie ? Rien n'est précisé.
M. François Autain , président . - La pharmaco-épidémiologie gagnerait à de meilleurs certificats de décès.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Comment s'assurer de la pertinence des alertes ? Certains patients ont pris du Mediator pendant des années et n'ont eu aucun problème ; on nous a, du reste, conseillé d'explorer la piste de la prédisposition génétique.
La norme d'élaboration du médicament est pasteurienne, mais le médicament est ensuite utilisé pour des pathologies chroniques. La modélisation n'est plus adéquate.
Mme Corinne Lepage . - Dans mon rapport à M. Jean-Louis Borloo, sachant que des lanceurs d'alerte peuvent être mal intentionnés - concurrent sans scrupules, employé mécontent,... - je prévoyais leur protection, mais aussi des sanctions lorsque la démarche vise à nuire.
Quant à la modélisation, les événements de Fukushima remettent en cause notre approche probabiliste du risque. Si un accident n'est pas prévu dans les études de probabilité, il ne s'agit pas d'un risque mal évalué : on ne l'a pas évalué du tout ! Le début du XXI e siècle remet en cause les méthodes d'évaluation du risque en vigueur au XX e siècle. Il faut avoir l'humilité de reconnaître les limites de celles-ci.
De la même manière, telles études sur les rats, en matière de pesticides et d'OGM, ne comportent pas d'examen de l'effet dose : elles ne disent pas si le risque augmente avec la quantité de produit ingéré ou diffusé. Les études ne retiennent pas les effets différenciés : si les mâles réagissent en grossissant et les femelles en maigrissant, elles concluront à l'absence d'effet poids, en moyenne !
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Sur le benfluorex, les laboratoires Servier nous ont dit que les conséquences n'étaient pas les mêmes sur les rats et sur les hommes. Avec le type de règles que vous décrivez, je ne m'en étonne plus !
M. François Autain , président . - Je ne suis pas certain de pouvoir vous suivre : il ne s'agissait pas exactement de cela.
Mme Corinne Lepage . - Ceux qui ont mis en place ces règles y ont intérêt. Comment le politique peut-il reprendre la main sur ces sujets qu'il a abandonnés ? Voilà la question qui nous est posée.
M. François Autain , président . - Je vous remercie.
Audition de M. Philippe EVEN, professeur émérite à l'Université Paris-Descartes, président de l'Institut Necker, auteur d'un rapport avec M. Bernard Debré sur la refonte du système français de contrôle de l'efficacité et de la sécurité des médicaments (jeudi 5 mai 2011)
M. François Autain , président . - Monsieur le professeur, je vous souhaite la bienvenue. Professeur émérite à l'Université Paris Descartes et président de l'Institut Necker, vous êtes l'auteur d'un rapport avec M. Bernard Debré sur la refonte du système français de contrôle de l'efficacité et de la sécurité des médicaments.
Cette audition, publique et ouverte à la presse, fait l'objet d'un enregistrement audiovisuel en vue d'une diffusion sur le site Internet du Sénat et, éventuellement, sur la chaîne Public Sénat.
En application du code de la santé, pouvez-vous indiquer quels sont vos liens éventuels avec des entreprises produisant ou exploitant des produits de santé ou avec des organismes de conseil intervenant en ce domaine ?
M. Philippe Even, professeur émérite . - Je n'ai jamais eu aucun lien avec quelque industrie que ce soit et, en particulier, avec l'industrie pharmaceutique.
Début janvier, le Président de la République a chargé M. Bernard Debré et, par ricochet, moi-même d'une étude avec un objectif précis : proposer une réforme radicale de notre système de contrôle du médicament. Pour ma part, je n'ai jamais eu le sentiment de marcher sur les brisées des missions parlementaires. Celles-ci doivent d'abord fournir une analyse approfondie de l'affaire du Mediator ; nous devions formuler rapidement des propositions de réforme radicale dont le Gouvernement s'inspirera ou non ; et, ensuite, vogue la galère ! Initialement, il était question d'un projet de loi déposé en août ; j'ai cru comprendre qu'il avait deux mois de retard. M. Debré et moi-même travaillons à la rédaction d'un avant-projet de texte qui sera soumis au Gouvernement très prochainement. Le but n'est aucunement de gêner l'action des parlementaires.
M. François Autain , président . - Nous ne l'avons jamais pensé... Votre rapport n'est pas un obstacle ; il nous aidera à préciser notre position. Plus nous sommes nombreux, mieux c'est...
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Les sénateurs sont des sages, ils ont l'habitude de travailler avec détermination et dans la tranquillité...
Votre mission a débuté peu de temps après la publication du rapport de l'Igas. Pouvez-vous préciser son cadre ? M. Bernard Debré a-t-il reçu une lettre de mission ?
M. Philippe Even . - Non, car M. Debré préférait éviter d'être nommé parlementaire en mission pour, si j'ai bien compris, conserver son siège de député.
En bref, je crois le travail de votre mission et notre approche complémentaires.
Permettez-moi une mise au point : dans le cadre des missions parlementaires sur le Mediator, une personne a tenu des propos me concernant qui, sans être diffamatoires ou calomnieux, trahissent une complète ignorance de l'affaire de la ciclosporine. Le recours à la ciclosporine dans le traitement du Sida relève de la proposition double et simultanée de l'équipe de M. John Ziegler, alors directeur du National Cancer Institute aux Etats-Unis, et celle de M. Jean-Marie Adrien et moi-même. Depuis, plus de deux cents articles scientifiques ont validé cette hypothèse, défendue par les plus grands immunologistes et virologues du monde, dont M. Rolf Zinkernagel, lauréat du prix Nobel de médecine. La dernière étude, réalisée par le National Institute of Health aux Etats-Unis, montre que l'utilisation de la ciclosporine permet de réduire les doses d'antiviraux pour des résultats identiques ou supérieurs et, donc, la toxicité. Les arguments scientifiques sont donc solides dans cette aventure de la ciclosporine. Je parle d'ouverture car la ministre de la santé d'alors, mise en difficulté par le scandale du sang contaminé, déclencha un hourvari médiatique un an avant les élections de 1986...
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Ces propos n'ont pas été tenus au Sénat...
M. Philippe Even . - Aujourd'hui paraît Les leçons du Mediator . Ce livre reprend l'intégralité du rapport de M. Debré et moi-même ainsi que ses annexes, qui ne figuraient pas dans le rapport en ligne. Celles-ci comportent des données chiffrées intéressantes. Tout d'abord, une analyse de la valeur scientifique des personnes engagées dans la recherche médicale à partir du nombre de leurs publications et de la qualité des revues dans lesquelles elles interviennent. S'il existe une marge d'erreur, les écarts sont tels que se dégage une cartographie de la valeur des membres et experts des commissions de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (l'Afssaps). Ensuite, le nombre de contrats dont sont titulaires les experts, présidents et vice-présidents de commission de l'agence en distinguant clairement ce qui relève de la rémunération reçue pour leurs services aux laboratoires, celle pour participation à des congrès - elle est marginale - et leurs rémunérations personnelles. Certains, tenez-vous bien, cumulent jusqu'à 150 contrats avec l'industrie pharmaceutique ! Cela n'aurait rien de choquant s'ils n'étaient pas également juges de la valeur et des risques du médicament.
En outre, ce livre a le mérite d'aborder un point peu étudié : quid du rôle des médecins dans l'affaire Mediator ? Si j'ai tendance à exonérer les médecins généralistes, les médecins de terrain, de toute responsabilité compte tenu de leur formation insuffisante en la matière, je serai moins indulgent envers les praticiens universitaires. Ceux-ci ont une connaissance parfaite de la centaine de molécules qu'ils utilisent tous les jours. En revanche, il y a de quoi être surpris de leur ignorance des 12 000 formes thérapeutiques existantes dans les officines pour 1 500 principes actifs - cela vaut pour moi, comme pour les autres, avant que je ne tombe dans les problèmes du médicament à cinquante ans-, de leur naïveté ou de leur désintérêt à l'égard des procédures de découverte des médicaments, de la qualité des essais cliniques - malgré les progrès accomplis depuis vingt ans, ceux-ci sont souvent biaisés - et, enfin, des mécanismes d'action des médicaments. De fait, nous ignorons si le médicament n'agit pas aussi sur d'autres mécanismes physiologiques sains. D'où le risque d'accidents thérapeutiques.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Effectivement, cet élément est insuffisamment pris en compte ; nous serons amenés à élaborer des propositions en la matière.
M. Philippe Even . - Il y a un problème de formation, d'information et d'intérêt des enseignants pour le médicament. Pour y remédier, il faut en finir avec notre système d'évaluation des médicaments par des experts dont la valeur scientifique et l'expérience des malades sont extrêmement réduites dans plus de trois quarts des cas. Nous devons confier cette mission, à l'instar des Américains et des Anglais, à des universitaires libres de tout conflit d'intérêts qui auront fait la preuve de leur valeur scientifique et clinique, pour une délégation de trois ans. A l'issue de cette mission, rémunérée à la hauteur de son importance, ces médecins devront retrouver une place au moins équivalente à celle qu'ils occupaient dans le système hospitalo-universitaire avant de le quitter. En un mot, veiller à la sécurité et à l'efficacité du médicament deviendra la quatrième mission des médecins universitaires, en sus des soins, de l'enseignement et de la recherche.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Une quatrième mission ? N'ont-ils pas déjà fort à faire ? Les médecins universitaires, même les plus grands, peuvent se tromper...
M. Philippe Even . - Exact ! J'en reviens aux experts. On en répertorie 3 500 en France, dont 1 200 à l'Afssaps...
M. François Autain , président . - L'Afssaps nous a donné pour ce qui la concerne un chiffre différent hier...
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . -... celui de 1 528.
M. Philippe Even . - Dont acte. Toute la question est : qu'est-ce qu'un expert ? Est-ce celui à qui l'on a demandé d'étudier un dossier ou l'homme aguerri qui a déjà été confronté à un ensemble de données ? Ensuite, une quarantaine de personnes suffiraient amplement à la tâche quand une centaine de molécules nouvelles apparaissent sur le marché par an. Nul besoin de deux ou trois mois, de créer groupes et sous-groupes comme le pratique aujourd'hui l'Afssaps. Lorsque j'effectuai ce travail, il me fallait une semaine pour étudier une molécule. La clé est d'en finir avec les décisions collectives et anonymes, imparfaitement motivées, sans oublier les comptes rendus de réunions tronqués...
M. François Autain , président . - Cette situation est en train de changer...
M. Philippe Even . - « Nous sommes en train... » , « nous allons... » , « nous réfléchissons à... » Des antiennes du discours politique !
M. François Autain , président . - Il y a des faits : la dernière réunion de la commission d'autorisation de mise sur le marché (AMM) était entièrement filmée et retransmise sur Internet, avec établissement d'un verbatim .
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Le Sénat, dans son rapport sur l'affaire du Vioxx de 2006, avait proposé ces mesures. Si l'on avait adopté nos propositions, nous n'en serions peut-être pas là...
M. Philippe Even . - Un long délai peut s'écouler entre l'annonce et la mesure....
A notre sens, il faut confier l'étude d'un nouveau médicament à deux ou trois personnes réellement expertes. Après examen du dossier, celles-ci procéderont à des auditions publiques, auxquelles participera l'Union nationale de la caisse d'assurance maladie (Uncam). Elles entendront des médecins généralistes afin de recueillir le point de vue du terrain, mais aussi des représentants de patients ainsi que les industriels et leurs avocats, c'est-à-dire les médecins à leur service. La décision sera individuelle, et non noyée dans le collectif. L'Etat doit responsabiliser, reconnaître la valeur des personnes chargées de l'évaluation ; en un mot - pardonnez-moi de rêver -, déléguer véritablement l'évaluation à des personnes qu'il aura choisies. Certes, il y aura encore des erreurs - certains médecins universitaires se sont trompés et se tromperont -, mais ces erreurs seront infiniment moins nombreuses.
Voyez l'exemple des Etats-Unis : ce pays a connu des drames depuis vingt ans, dont celui du Vioxx sur lequel le Sénat a travaillé. La Food and Drug Administration (FDA) y dispose du seul pouvoir de mettre en garde, et non d'interdire un médicament. Pour autant, elle y dispose d'un magistère d'autorité : la presse, telle une chatte sur un toit brûlant, réagit à ses indications ; les conséquences juridiques et financières sont telles que les laboratoires préfèrent retirer leurs produits. Seule exception à ma connaissance depuis vingt ans, celle de la molécule Avandia, interdite en Europe, commercialisée par Glaxo. Après que la FDA a récemment averti la presse, le laboratoire a préféré résister et provisionner 3 milliards de dollars pour faire face à une éventuelle action de groupe.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Quel serait le statut de ce nouveau corps d'experts ? N'y a-t-il pas un risque de mandarinat ? Quelle sera la place des lanceurs d'alerte dans votre système?
M. François Autain , président . - Statisticiens et psychologues pourraient avoir une vision complémentaire, sans parler des praticiens de terrain, sans parler des usagers de la santé. Oui à l'indépendance des membres de commission, mais pourquoi se priver de l'expérience d'autres professionnels de la santé ?
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Une quarantaine d'experts est-ce suffisant pour remplir toutes les missions de l'Afssaps qui vont de la cosmétique à la thérapie cellulaire en passant par les produits thérapeutiques auxiliaires ?
M. Philippe Even . - Commençons par lever une hypothèque : contrairement à ce que l'on répète depuis trente ans, il n'est pas difficile de trouver des experts sans lien avec l'industrie pharmaceutique. Après avoir passé de longues années à évaluer les mérites des universitaires, j'ai dressé une liste de cinq à six cents personnes que je transmettrai au ministre.
Une coopération étroite entre les deux mondes est indispensable pour accomplir des progrès thérapeutiques. Les Etats-Unis, engagés dans cette voie depuis vingt ans, viennent de créer l'Institut de recherche translationnelle ; la France, après la Grande-Bretagne, prend depuis peu la mesure du phénomène. L'industrie a besoin des médecins, donc, et vice-et-versa. Mais on ne peut confier aux mêmes l'évaluation d'un nouveau médicament. En somme, il y a deux catégories d'universitaires : ceux qui travaillent avec l'industrie pour créer les médicaments de demain, ceux qui n'entretiennent aucun lien avec les laboratoires et peuvent assurer la sécurité des malades d'aujourd'hui. Elaborer des recommandations thérapeutiques, guider la profession médicale, ces deux volets de l'activité médicale doivent et peuvent être séparés, car ces deux catégories existent déjà.
Certes, il faut associer d'autres professionnels de santé, médecins et psychologues - en revanche, les statisticiens sont davantage utiles à l'industrie pharmaceutique. D'où les auditions publiques que nous proposons : il ne s'agit pas de réunions à la Comédie française, leur but est de prendre en compte l'avis du terrain. Après ces auditions, les experts devront revoir leur copie, la signer. Des erreurs étant possibles, il faudra une procédure d'appel. Seuls les scientifiques peuvent évaluer des médicaments aussi complexes que ceux utilisés aujourd'hui pour traiter le cancer ou le diabète. Le médecin généraliste est, lui, essentiel, pour recueillir les réactions des malades, assurer la pharmacovigilance, poser des questions ; mais il ne peut pas apporter des réponses. Un risque de mandarinat ? Non, cette mission est proche de celle de l'enseignement. J'ai rencontré des hommes de grande envergure qui l'ont remplie aux Etats-Unis. Ils ont rendu service aux malades, c'est-à-dire à tous les concitoyens, car nous sommes tous des malades qui nous ignorons...
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - On aurait des difficultés à trouver de nouvelles molécules pour certaines pathologies - je pense au diabète et à l'hypertension artérielle -, marquées par des prédispositions génétiques complètement différentes. Dans ces domaines, les laboratoires ne tâtonnent-ils pas ? Cela m'amène à vous interroger sur le service médical rendu (SMR), dont s'occupe la commission de la transparence, et l'amélioration du service médical rendu (ASMR), critère des propositions de remboursement. Ces notions ne sont-elles pas sources de confusion ?
M. Philippe Even . - Plutôt que de parler d'ASMR, employons le terme de valeur ajoutée...
M. François Autain , président . - ... ou de progrès thérapeutique !
M. Philippe Even . - Si vous voulez, le terme est peut-être moins marqué politiquement... Le ministre Xavier Bertrand a pris position clairement : l'époque où l'on jugeait d'un médicament par rapport à un placebo est révolue - au reste, la psychologie des laboratoires a profondément évolué depuis cinq ans avec l'évolution de la médecine. Le médicament sera désormais évalué par rapport aux produits antérieurs. Vous n'imaginez pas le nombre de nouveaux médicaments moins actifs, plus dangereux et souvent plus chers que les produits précédents. Raison pour laquelle on utilise les mêmes produits qu'il y a vingt ans dans la chimiothérapie pour traiter le cancer.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Je connais des contre-exemples.
M. Philippe Even . - Comme nous tous ! Pas moins de 200 000 cancéreux vivent sur le territoire français. Reste que les nouveaux traitements visent des catégories de tumeurs très particulières. L'exemple vaut également pour le diabète et l'asthme, que je connais bien en tant que pneumologue. Les corticoïdes inhalés restent la meilleure solution, malgré la campagne de désinformation fort opportune qui accompagna le lancement d'un nouveau produit, dix fois plus cher... ASMR, valeur ajoutée ou progrès thérapeutique doivent être le critère d'évaluation.
M. François Autain , président . - Dans votre rapport, vous citez des chiffres. Quelles sont vos sources ?
M. Philippe Even . - J'affirme que 40 % des médicaments sont non ou peu actifs. Je m'en explique dans un livre à paraître en octobre. J'ai étudié chacun des médicaments un par un... Le lecteur saura faire la part des choses. Pourquoi l'Etat devrait-il rembourser des molécules de confort ? Ce n'est pas à lui de prendre en charge les malades en déshérence psychologique, proies faciles des charlatans ; c'est le travail des médecins de terrain. Avez-vous vu le dossier d'AMM du Mediator ?
M. François Autain , président . - Il n'y avait rien dedans...
M. Philippe Even . - Il était rempli de mensonges ! C'est en travaillant pour la commission de l'AMM que j'ai compris...
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Quand avez-vous travaillé pour cette commission ? Pourquoi être revenu si tard au médicament ?
M. Philippe Even. - J'ai été nommé en 1981, en même temps qu'à l'Inserm. Je quitte la recherche pour m'occuper de clinique et des malades. A la fin de mon mandat, quand je suis prêt à m'engager, mes collègues me portent à la tête de la faculté. Je deviens leur mandataire pour faire de notre établissement un lieu d'excellence ; je ne vais donc pas en compromettre les moyens en heurtant le politique. Puis en 2000, je retourne à mes premières amours...
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Et vous écrivez le livre sur les scandales des hôpitaux de Paris et de l'hôpital Pompidou...
Les notions de rapport bénéfices-risques et l'amélioration du service médical rendu sont-elles substituables et peut-on faire l'économie d'une réflexion sur la législation européenne ?
M. Philippe Even. - Il faut violer l'Europe. Seule, elle ne fera que piétiner. Il faut lui poser les questions pertinentes lui soumettre des propositions de solutions. Xavier Bertrand semble décidé à modifier la législation.
La Haute Autorité de santé et l'Afssaps sont jalouses de missions qu'elles partagent, à commencer par la vigilance qui incombe à la première et qui se retrouve dans le nom des commissions de la seconde. Les informations circulent mal. Une agence, une mission. La Haute Autorité de santé doit être un organe de stratégie globale de la santé. A elle d'élaborer, sur les bases scientifiques et économiques, des recommandations sur les médicaments, les dispositifs médicaux, les établissements de santé, les parcours de soins, les programmes de prévention...
M. François Autain , président . - Et l'information des médecins ?
M. Philippe Even. - Elle ne le fait pas ou, quand elle le fait, le Conseil d'Etat annule sa recommandation...
En amont, on trouve l'évaluation des médicaments, des dispositifs médicaux, des « alicaments » de l'industrie alimentaire - les prochains Mediator porteront sur ces derniers produits et ceux de l'élevage.
M. François Autain , président . - Ce n'est plus le médicament ?
M. Philippe Even. - J'ai reçu trop de lettres sur ces sujets pour ne pas être inquiet.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Vous citez les dispositifs médicaux.
M. Philippe Even. - Bien sûr : pensez aux prothèses mammaires, mais aussi orthopédiques, aux sondes ou aux défibrillateurs. Quelles disparités de prix comme de qualité, et quelle stagnation de l'effort de création ! Johnson & Johnson vient de mettre 19 milliards sur la table pour les prothèses.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Lors du débat de la proposition de loi Fourcade, nous avons prévu la transparence sur les prothèses.
M. Philippe Even. - Sur les sondes thoraciques - cinq cents réinterventions sur cinq mille implantations -, seulement 18 % des hôpitaux ont informé les instances de vigilance, et encore avec six mois de retard. Ce décalage est inquiétant. Le politique est-il assez vigoureux dans ses initiatives ? Les hospitaliers et les médecins ne prennent pas suffisamment en compte les risques des gestes qu'ils accomplissent. De quelles études françaises dispose-t-on sur le risque dans les hôpitaux ? Medicare, aux Etats-Unis, a analysé un an d'hospitalisation sur 65 millions de personnes. La France pourrait s'inspirer de cet exemple.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Quinze jours après une stimulation pour une fécondation in vitro , on a déploré un accident cardiovasculaire. Le corps médical se tait sur les sujets qui concernent les femmes. S'agissant de l'agence...
M. François Autain , président . - ... Recommandez-vous d'en changer le nom ?
M. Philippe Even. - Il a été critiqué. Aux Etats-Unis, l'on débat de la séparation entre l'évaluation du médicament et la pharmacovigilance. Certains faisant remarquer que l'une a besoin des évaluations de l'autre, on les a séparées au sein de la FDA. Pour la France, il convient d'avoir une grande agence stratégique, et, en dessous, une agence du médicament. Regardez la commission d'autorisation de mise sur le marché et celle de la transparence voguer sur les mêmes eaux.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Et le ministre ?
M. Philippe Even. - Il décide !
M. François Autain , président . - Il s'agit d'une mission régalienne.
M. Philippe Even. - Dès lors, tout se clarifie. L'AMM disparaît. J'ai proposé de la remplacer par une ARM, une autorisation de remboursement du médicament, car le remboursement est le bras armé du politique.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Nous nous interrogions sur l'opportunité de réserver l'AMM à la procédure européenne.
M. Philippe Even. - Que le ministre français se réunisse avec ses collègues européens pour que l'Agence européenne, l'EMA, prenne les décisions, comme elle le souhaite. Il y a d'abord la France, l'Angleterre, la Suède, les Pays-Bas et, un peu, l'Italie, puis les autres. Xavier Bertrand se dit décidé à obtenir la disparition de l'AMM, ce n'est pas fait.
M. François Autain , président . - L'autorisation de mise sur le marché est un pari.
M. Philippe Even. - Il dépend de beaucoup de facteurs. L'on ne doit donc pas être excessif pour apprécier l'amélioration, mais l'on ne peut conserver 31 bétabloquants et 156 molécules pour l'hypertension, ou plutôt 25 déclinaisons de cinq molécules. Quand le Coversyl du laboratoire Servier est remboursé deux fois mieux que les autres, il rapporte plus, donc on le vend plus et l'on fait le forcing avec des visiteurs médicaux. Sans être meilleur que les autres médicaments, il se vend mieux et coûte plus cher...
M. François Autain , président . - Nous aurions voulu vous entendre plus longtemps. Votre rapport nous sera très utile.
M. Philippe Even. - Il m'a été reproché à l'Assemblée nationale d'avoir rédigé un livre et non un rapport. A cela, je réponds que, quand on connaît bien le sujet, on peut rédiger une synthèse, et qu'étant plongé dans le monde du médicament depuis 1981, j'étais particulièrement bien placé pour le faire.
M. François Autain , président . - Merci d'avoir répondu à nos questions.
Audition de Mme Catherine HILL épidémiologiste à l'Institut de cancérologie Gustave Roussy, MM. Philippe RICORDEAU et Alain WEILL du département des études sur les pathologies et les patients à la direction de la stratégie, des études et des statistiques de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (Cnamts) (jeudi 5 mai 2011)
M. François Autain , président . - Mme Catherine Hill, vous êtes épidémiologiste à l'Institut de cancérologie Gustave Roussy. Avec MM. Philippe Ricordeau et Alain Weill, du département des études sur les pathologies et les patients à la direction de la stratégie, des études et des statistiques de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (Cnam), vous êtes en quelque sorte à l'origine de l'affaire du Mediator. Votre audition va faire l'objet d'un enregistrement audiovisuel et pourra être diffusé sur Public Sénat.
Mme Catherine Hill, épidémiologiste à l'Institut Gustave Roussy. - Je suis mathématicienne et biologiste, pas médecin.
M. François Autain , président . - Je n'ai donc pas à vous interroger sur des conflits d'intérêts.
M. Alain Weill (Cnam). - Je suis médecin de santé publique et n'ai jamais eu de relation avec les laboratoires pharmaceutiques.
M. Philippe Ricordeau (Cnam) . - Je suis également médecin et n'ai jamais eu de relation avec un laboratoire.
En préambule, je voudrais dire ma peine car je sais les conséquences humaines de cette affaire pour les malades.
Mme Catherine Hill. - Je fais partie du comité scientifique de l'Afssaps et l'on m'avait proposé de participer au groupe de travail « Plan de gestion des risques et pharmaco-épidémiologie ». Le 3 juin 2009, lors de la première réunion à laquelle j'assistais, Irène Frachon a évoqué les cas-témoins brestois ; le centre de pharmacovigilance de Besançon a présenté les cas notifiés. J'ai alors été la seule à détecter un signal.
M. François Autain , président . - Vous avez été un lanceur d'alerte !
Mme Catherine Hill. - En fait, j'ai envoyé un mail le 10 juin 2009, disant qu'attendre pour agir n'était pas prudent, qu'aux Etats-Unis, le risque de procès serait très grand. J'ai reçu deux réponses, des bonnes paroles. Et Irène Frachon m'a contactée pour me dire qu'elle se sentait moins seule, et nous avons commencé à travailler. Je me suis rendu compte qu'il fallait faire des comparaisons. J'ai aidé l'équipe de Brest. Une nouvelle réunion de la commission de pharmacovigilance, en juillet 2009, a décidé de ne rien faire. Puis il y a eu l'étude Regulate et le retrait du Mediator, et j'ai rencontré Alain Weill à un colloque organisé par l'Institut du cancer et l'Institut de veille sanitaire.
M. François Autain , président . - Comment arrive-t-on à organiser un colloque sans financement de l'industrie pharmaceutique ?
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Avec l'aide des mutuelles ?
M. Alain Weill. - Je participe à de nombreux colloques organisés sans son concours.
M. François Autain , président . - Vous devriez transmettre votre recette aux sociétés savantes.
M. Alain Weill. - On ne se réunit pas au Palais des congrès de la Porte Maillot mais dans des salles universitaires ...
Mme Catherine Hill. - L'année d'après, en juin 2010, Irène Frachon a publié son livre. Comment estimer la mortalité attribuable au médicament qui venait d'être retiré ? Je saisis l'agence, qui demande un nouveau travail.
M. Alain Weill. - L'agence a demandé à l'assurance maladie si elle pouvait fournir des éléments complémentaires sur la mortalité.
M. Philippe Ricordeau. - Le 24 ou le 25 août 2010.
Mme Catherine Hill. - On n'avait jamais fait cela en France. En particulier, on ne l'avait pas fait pour le Vioxx.
M. François Autain , président . - On n'avait pas de base de données.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Il y a eu une étude américaine.
Mme Catherine Hill. - Les Américains ont réalisé une estimation, les Allemands également.
Je savais que la Cnam avait transmis des données à l'agence. Quand j'ai demandé à en disposer en octobre 2010, Mme Carmen Kreft-Jais m'a répondu qu'elles étaient confidentielles. Le 10 novembre au soir, Mme Anne Castot m'a proposé de présenter les estimations de mortalité à la commission nationale de pharmacovigilance prévue le 15 novembre au sein de laquelle je venais d'être nommée suppléante. C'était un défi ! On m'a faxé vos deux rapports de dix-huit pages, j'y ai travaillé le 11 novembre, j'ai récupéré les données le 12 et j'ai travaillé le 13 et le 14. Ce processus était bizarre.
M. François Autain , président . - Pourquoi ?
Mme Catherine Hill. - Une autre étude avait été demandée à M. Mahmoud Zureik et à Mme Agnès Fournier, que vous allez auditionner.
M. François Autain , président . - C'est curieux.
Mme Catherine Hill. - J'ai publié le résultat dans la presse médicale.
M. François Autain , président . - Et tout a été induit par cette publication.
Mme Catherine Hill. - J'ai dit 500 morts, Mme Agnès Fournier parle de 500 à 1 000.
M. François Autain , président . - C'est la fourchette que l'on reprend.
Mme Catherine Hill. - J'ai extrapolé les observations de la Cnam sur les 303 000 utilisateurs de 2006, suivis jusqu'au 1 er juillet 2010. Quel est le risque à plus long terme ? Je suis d'abord épidémiologiste du cancer.
M. François Autain , président . - L'étude de Mme Fournier est plus complète ?
Mme Catherine Hill . - J'ai pris la mortalité observée ; elle a retenu la surmortalité relevée dans une enquête américaine. Il n'y a pas de contradiction entre les 500 morts à court terme que je trouve, et les 1 000 à 2 000 morts à long terme qu'elle calcule.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - C'est une estimation. Or les gens qui écoutent la radio reprendre une information du Figaro la comprennent mal. Pour eux, il y a eu entre 500 et 2 000 morts.
Mme Catherine Hill. - C'est le cas ! Si le médicament multiplie le risque par trois et qu'il y a trois décès chez ceux qui le prennent, alors deux sont dus au médicament. Il y a eu au moins 500 morts, peut-être mille...
M. François Autain , président . - ...depuis l'origine.
Mme Catherine Hill. - En 1985, en 1990 ou en 1995... Il y a eu 500 morts sur cinq millions d'utilisateurs, c'est une réalité, que le généraliste ne peut détecter. Je ne puis vous dire le nombre exact de personnes décédées, mais je donne une approximation de la réalité.
M. Alain Weill. - Le 12 octobre 2009, Catherine Hill nous a parlé de la division des experts. Nous avons choisi d'étudier l'association entre benfluorex et valvulopathie.
M. François Autain , président. - Vous avez été saisis par ?
M. Alain Weill. - Par Catherine Hill. On a, dans le cas espagnol, constaté une lésion sur trois valves chez une femme de cinquante ans qui avait pris le benfluorex pendant un an, lésion comparable à celle provoquée par l'Isoméride et le Pondéral. Il y avait aussi Toulouse et les cas d'Irène Frachon. En outre, le générique était disponible depuis octobre 2009. Les remboursements ont commencé le 7 octobre 2009. Nous avons étudié dans le PMSI une cohorte de cas de fuite des valves cardiaques chez des personnes initialement indemnes, selon une méthode d'observation différente de celle des cas-témoins. Nous avons travaillé sur des diabétiques, en raison des indications de l'AMM, et sur des bases de données anonymisées, avec un million de patients non exposés et 44 000 exposés. Le risque était significatif en cas d'exposition au benfluorex. Le risque relatif (trois d'hospitalisations, quatre pour le remplacement valvulaire) ne doit pas faire oublier le risque absolu qui représente 8/10 000, ce qui est sévère mais limité. L'excès de risque se situe à 5 pour 10 000 pour les autres. Dans ces conditions, il est normal qu'un généraliste ne remarque rien du tout : pour lui, il ne se passe rien. Il y a eu des critiques sur la méthode, mais en termes de risque absolu, pour la chirurgie cardiaque, le risque était de 3/10 000 dans le groupe exposé contre 1/10 000 dans le groupe non exposé. Il y avait en outre une relation dose-effet. A une moindre prise de benfluorex, correspond un moindre risque. C'est très important pour établir la causalité. Nous avons immédiatement alerté le directeur général, qui, le 27, a décidé d'adresser le jour même le rapport préliminaire aux directeurs généraux de la santé et celui de l'Afssaps.
M. François Autain , président . - A-t-il reçu une réponse ?
M. Alain Weill. - Bien sûr !
Mme Catherine Hill. - Le retrait était déjà prévu, mais une deuxième réunion a été nécessaire faute de quorum pour l'AMM. Ce travail, très important, est très convaincant et n'a pas été contesté.
M. François Autain , président . - Même pas par le laboratoire.
Mme Catherine Hill. - L'agence avait très peur d'une procédure.
M. Alain Weill. - Nous l'avons publié dans Pharmacoepidemiology and Drug Safety . Nous n'avons soumis cette étude qu'à une seule revue, dont les deux lecteurs-experts ont simplement demandé des précisions.
M. Philippe Ricordeau. - Nous avons, à la demande de l'agence, travaillé en 2010 sur l'étude Cnam 2.
M. François Autain , président . - Le professeur Lechat vous a adressé un mail en août 2010.
M. Philippe Ricordeau. - Nous avons travaillé sur nos bases de données et transmis en toute transparence les résultats aux experts de l'Afssaps.
M. Alain Weill. - Un sous-groupe de 133 patients présentait des atteintes plurivasculaires comme dans le cas espagnol. C'est une des caractéristiques de cette maladie.
Me Catherine Hill. - Comment mesurer le risque ? Un dix millième, ce n'est pas facilement détectable. Il y aura toujours un effet indésirable retardé et un antihypertenseur légèrement différent le multiplie peut-être.
M. François Autain , président . - L'on vérifie la balance bénéfices-risques.
Mme Catherine Hill. - Si les risques n'apparaissent qu'au bout de dix ans, vous ne pouvez pas le savoir au moment de la mise sur le marché : il y aura toujours des retraits. On ne peut pas attendre quarante ans d'expérimentation pour mettre un médicament sur le marché.
M. François Autain , président. - Moins on met de médicaments sur le marché, et moins l'on a de risque.
Mme Catherine Hill. - L'espérance de vie augmente de trois mois par an. Cela prouve l'efficacité des médicaments, mais les effets indésirables apparaissent peu à peu. On commence à voir apparaître ceux des antirétroviraux.
M. François Autain . - Le Sida était mortel. On est plus exigeant quand la maladie ne l'est pas.
Mme Catherine Hill. - Vous pensez que, si un médicament n'est pas efficace, il ne peut être mis sur le marché.
M. François Autain , président . - Il y a 150 hypertenseurs.
Mme Catherine Hill. - Si son mécanisme est un peu différent, un médicament peut se révéler meilleur en raison de ses effets à long terme. Votre système est un peu rétrograde.
M. François Autain , président . - Il faut donc continuer à avoir autant de médicaments ?
Mme Catherine Hill. - Leur action peut être différente.
M. François Autain , président . - On a des centaines de médicaments insuffisants ; 60 % des médicaments sont pas ou peu efficaces.
Mme Catherine Hill. - La poudre de perlimpinpin existe ...
M. François Autain , président . - Continue-t-on comme avant ?
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - La question n'est-elle pas de savoir comment améliorer les études épidémiologiques en tenant compte de l'effet différencié des médicaments en fonction des données inhérentes à chacun ?
Mme Catherine Hill. - Commençons par réaliser les études, ce qu'on n'avait pas fait jusqu'en juin 2009 pour le Mediator.
M. Philippe Ricordeau. - Le système national d'informations inter-régions d'assurance maladie (Sniiram) est une base de données anonymes, fortement sécurisée et rassemblant la consommation médicale de l'ensemble de la population. Anonymisée, elle l'est doublement car on ne peut retourner au dossier des patients. Elle est aussi fortement sécurisée puisqu'en plus de l'anonymat, la Cnil a voulu un environnement d'accès sécurisé et une traçabilité des requêtes, ce qui est lourd mais justifié. Elle contient l'ensemble de la consommation de soins médicaux, chaînée par des statisticiens...
M. François Autain , président . - Intégrez-vous les certificats de décès ?
M. Philippe Ricordeau. - On intègre la date du décès depuis août 2009, mais pas la cause - c'est une limite. Nous avons connaissance d'un examen, mais pas de son résultat et ignorons si un patient fume.
M. François Autain , président . - Depuis la canicule, l'Inserm met à notre disposition des formulaires de décès. Ne les utilise-t-on pas ?
M. Philippe Ricordeau . - Je ne puis répondre à votre question. Les données traitées par l'Inserm sont disjointes de notre base.
M. Alain Weill. - Les tests de faisabilité laissent penser à une jonction dans trois ans.
M. François Autain , président . - C'est souhaitable.
M. Alain Weill. - Pour la collectivité scientifique.
M. Philippe Ricordeau. - Cela pose toutefois un problème de confidentialité. Permettez-moi de revenir sur la chronologie. L'avis de la Commission nationale informatique et libertés (Cnil) est d'octobre 2001, l'entrepôt des données de la Cnam pour les soins de ville est de 2003 ; le chaînage entre ville et hôpital, remontant à 2006, se réalise en 2007 ; les analyses commencent en 2008 et notre première publication avec chaînage entre ville et hôpital intervient le 2 avril 2009 - c'était nécessaire pour l'étude présentée par Alain Weill.
M. François Autain , président . - C'était exclu pour le Vioxx.
M. Philippe Ricordeau. - Nous avons publié un travail le 2 avril. L'intégration de la date des décès a été opérée au début de l'été 2009. Là encore, il n'était pas possible à l'époque de répondre à cette question.
M. François Autain , président . - Il n'y a eu qu'une étude Cadeus pour le Vioxx.
Mme Catherine Hill. - Si on avait voulu mesurer la mortalité attribuable au Vioxx, l'on aurait pu faire une estimation à partir du nombre d'utilisateurs.
M. François Autain , président . - On peut regretter que cela n'ait pas été fait car, sans votre étude sur le Mediator, il ne se serait rien passé, et les morts n'auraient pas laissé de trace.
Mme Catherine Hill. - L'affaire a pris une ampleur extraordinaire alors que l'on ne parle que du tabac qui tue la moitié de ses consommateurs.
M. François Autain , président . - Il n'est pas remboursé par la sécurité sociale après avoir été prescrit par un médecin. Les fumeurs, eux, sont prêts à payer cher pour continuer. Je déplore cela, mais la comparaison n'est pas possible.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Vous n'avez pas interrogé l'ensemble des personnes qui ont pris du Mediator - j'en connais, pourtant, qui en ont consommé pendant cinq ans sans effet préjudiciable.
M. Philippe Ricordeau. - La Cnam n'a pas l'autorisation de conserver les informations nominatives au-delà des deux années qui précèdent l'année en cours.
M. François Autain , président . - On peut espérer que cela va changer. Je souhaiterais proposer qu'on porte cette durée à quinze ans.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Cette situation a-t-elle des raisons budgétaires ?
M. Philippe Ricordeau. - Les données n'existent plus au-delà de deux ans.
M. Alain Weill. - Nous avons dans nos bases les victimes dont parle Mme Frachon, mais cachées derrière des identifiants anonymes. Nous observons l'exposition aux médicaments, l'hospitalisation sur des personnes réelles. C'est la réalité anonymisée.
Mme Catherine Hill. - Il y a bien eu 303 000 personnes qui se sont fait rembourser du Mediator en 2006 ; certaines ont bien été hospitalisées, et ont bien subi une intervention chirurgicale. C'est une réalité objective, ainsi que le fait que soixante-quatre sont mortes après hospitalisation pour valvulopathie.
M. Philippe Ricordeau. - Le Sniiram n'est pas aisé à interroger. Ses données occupent un volume considérable. Avec soixante millions d'assurés, sur deux ans plus l'année en cours, nos statisticiens travaillent sur des milliards de lignes. La gestion des données exige une grande qualification. Et comme les bases sont strictement adaptées au code de la santé et à la réglementation, il nous faut aussi des personnes qui maîtrisent cette réglementation de la sécurité sociale. Nous avons pu répondre rapidement sur le Mediator, parce que nous avions la chance de disposer d'un échantillon déjà constitué. En règle générale, une telle étude demande plutôt trois ou quatre mois et l'échantillon « généralistes » mobilise cinq à six personnes.
M. François Autain , président . - Mais avec le temps et des moyens, vous atteignez vos objectifs et répondez aux demandes de l'Afssaps. Je souhaite que les autres agences puissent, de façon automatique, formuler des demandes similaires et que vous soyez saisis le plus souvent possible. C'est déjà le cas pour l'Avandia et l'Actos, ce qui va dans le bon sens.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Etes-vous favorable à la création d'une unité nationale de pharmacologie clinique qui pourrait réaliser des essais post-AMM et pensez-vous opportun de donner un rôle plus important à l'InVS ?
M. Philippe Ricordeau. - L'utilisation de telles bases de données nécessite une étroite collaboration entre gestionnaires de bases, spécialistes de la réglementation ou encore de la méthodologie. Nous faisons appel à des compétences extérieures. Il ne nous appartient pas de répondre à la question sur l'InVS, mais la piste semble intéressante.
Mme Catherine Hill . - L'évaluation du bénéfice et l'évaluation des risques doivent être confiées à des gens qui travaillent ensemble. La réévaluation est permanente, les risques apparaissent à la longue. La Haute Autorité de santé, l'Agence du médicament, sont suffisamment séparées : mieux vaudrait essayer de rapprocher les équipes que de les couper encore plus. L'inefficacité du benfluorex aurait-elle été connue plus vite, que l'on aurait examiné de plus près les risques du Mediator. De la même façon, on utilise lors des transplantations pulmonaires un antifongique qui augmente le risque d'apparition d'un cancer cutané très méchant. Il serait donc intéressant de savoir quelle est son utilité par rapport aux autres et quelles sont les alternatives, de connaître s'il est administré à titre thérapeutique ou prophylactique, etc. Sans ces données, comment réfléchir sur la sécurité du produit, les effets indésirables ?
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - L'amélioration de la pharmacovigilance passe-t-elle pour vous par la réunion de ces deux compétences ?
M. François Autain . - Un rapprochement avec la commission d'AMM...
Mme Catherine Hill . - Bien sûr car les problèmes sont liés. Les malades du Sida absorbent des antirétroviraux, dont le bénéfice est immense mais les effets secondaires non négligeables. En tout cas, il ne faut pas éloigner encore l'Institut de veille sanitaire, ce serait une grave erreur !
M. François Autain , président . - Vous songez à la proposition d'un transfert à l'InVS ?
Mme Catherine Hill . - Cela serait dangereux. L'Afssaps est sous-dotée en épidémiologistes qui pourraient faire des enquêtes - même de petites enquêtes rapides, qui montreraient tout de suite ce qui se passe. Dans le cas du Mediator, si l'on avait étudié les polyvalvulopathies chez les moins de cinquante ans, on aurait vite compris ! Mais l'Afssaps n'a pas cette culture. Je le constate en me reportant à la séance de la commission d'AMM, mise en ligne dernièrement, qui portait sur la pioglitazone et le risque de cancer de la vessie. La présentation ne se focalise pas sur les personnes qui ont pris beaucoup et longtemps le produit. C'est pourtant là que l'on trouvera quelque chose éventuellement ! La meilleure façon de brouiller un signal, est de mêler ces cas avec tous ceux où des patients ont pris le médicament pendant une semaine une fois dans leur vie !
M. François Autain , président . - C'est la démarche proactive.
Mme Catherine Hill . - Oui, l'épidémiologiste recherche les patients les plus concernés. Sinon, cela revient à noyer le poisson.
M. François Autain , président . - Pensez-vous que l'Afssaps ait voulu noyer le poisson ?
M. François Autain , président . - Pour Actos, rien ne presse... Il faut bien réfléchir avant de retirer un médicament du marché.
Vous pensez que plus on a de médicaments, mieux cela vaut...
Mme Catherine Hill . - Non, je crois, au plan individuel, qu'il ne faut prendre que les médicaments dont on a besoin. Mais une diversité des produits disponibles n'est pas mauvaise, en tout cas sur la variété, la question reste ouverte.
M. Philippe Ricordeau . - Il est important que l'expertise publique soit indépendante et dispose de moyens suffisants. Elle doit avoir la capacité de refuser un protocole financé par les industriels et de se montrer impartiale !
M. François Autain , président . - Je vous remercie.
Audition de M. Dominique DUPAGNE, médecin généraliste (mardi 17 mai 2011)
M. François Autain , président . - Nous recevons Dominique Dupagne, que j'avais déjà eu l'occasion d'auditionner, l'année dernière, dans le cadre d'une commission d'enquête sur le virus de la grippe A (H1N1)v.
Vous êtes, monsieur Dupagne, médecin généraliste. Quelles sont vos autres fonctions ?
M. Dominique Dupagne, médecin généraliste . - Je suis membre d'un groupe de travail de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps).
M. François Autain , président . - Je dois vous informer, pour la forme, que cette audition, ouverte à la presse, fait l'objet d'un enregistrement audiovisuel. Elle pourra être ultérieurement diffusée sur le site Internet du Sénat, voire sur la chaîne Public Sénat.
Il me reste à vous demander de signaler, conformément à la législation en vigueur, vos liens d'intérêt avec l'industrie pharmaceutique.
M. Dominique Dupagne. - Je n'ai pas de liens avec l'industrie pharmaceutique. Je suis cependant consultant permanent pour le Vidal et actionnaire d'une société familiale commercialisant des matériels médico-chirurgicaux.
Comme j'ai commencé à vous le dire, je participe par ailleurs aux réunions d'un groupe de travail de l'Afssaps. Constitué de généralistes, il doit aider l'agence à définir sa stratégie de communication.
M. Dominique Dupagne. - Je vous remercie d'abord de me donner la parole. Avec quelques autres personnes déjà auditionnées par le Sénat, je défends, depuis plusieurs années, une information indépendante. Cette audition participera à la réalisation de cet objectif.
Je préférerais cependant que vous me posiez sans plus attendre vos questions.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Je vous remercie de votre présence. Nous vous avions effectivement déjà reçu dans le cadre de la commission d'enquête menée sur le virus de la grippe A (H1N1)v.
Vous avez créé, monsieur Dupagne, le site www.atoute.org ., qui reçoit plus de 1,45 million de visites mensuelles. Vous y avez publié, je crois, plusieurs articles sur le Mediator. A partir de quelle date a-t-il exactement commencé à en parler ? Comment percevez-vous les réactions de l'opinion publique face aux controverses actuelles, notamment celles concernant la responsabilité des différents acteurs du circuit du médicament ?
M. Dominique Dupagne. - Mon site est un forum. Il y a encore quelque temps, je répondais moi-même très souvent directement aux questions posées. J'ai été interrogé la première fois sur le Mediator en 2004. Les traces de la question sont d'ailleurs sans doute toujours présentes.
Dès cette époque, je décrivais le Mediator comme un coupe-faim. Cette description correspondait du reste à la réalité scientifique. Au regard du sort réservé aux autres produits de sa classe, les raisons de la mise sur le marché de ce médicament me paraissaient tout à fait mystérieuses.
A l'époque, les risques de valvulopathie auxquels pouvait exposer la prise du Mediator n'étaient certes pas encore connus. Ses effets anorexiques étaient en revanche déjà pointés.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Vous avez déploré la position de la Haute Autorité de santé (HAS), qui, dans un communiqué de presse du 1 er décembre 2010, déclarait ne pas avoir d'autre mission que de donner un avis aux pouvoirs publics pour le remboursement des médicaments. Quels ont été, selon vous, les principaux dysfonctionnements de la chaîne de contrôle publique du médicament ?
M. Dominique Dupagne. - J'ai en effet considéré que la Haute Autorité de santé (HAS) faisait preuve d'une surprenante amnésie, en déclarant qu'elle avait pour seule responsabilité d'apporter des informations ou des avis. Elle n'a pas souhaité corriger sa position.
Je ne relèverai pas l'intégralité des très nombreux dysfonctionnements qui ont conduit à l'affaire du Mediator. Je ne suis pas sûr d'être le plus à même d'en dresser la liste. Ils ont de toute façon déjà été longuement passés en revue.
Il me semble évident, cela dit, que le système ne pouvait pas fonctionner correctement. Les experts sollicités étant également décisionnaires, la survenue de dysfonctionnements était malheureusement inévitable.
Lorsque je vois aujourd'hui la façon dont a été évalué le pioglitazone, je reste malheureusement très sceptique. La nature cancérigène de cette molécule utilisée pour le traitement du diabète a récemment été prouvée. Il n'a pourtant toujours pas été retiré du marché.
Le fait d'imposer une certaine transparence a constitué finalement la seule évolution positive : la séance de la commission d'autorisation de mise sur le marché (AMM) au cours de laquelle ce maintien a été décidé a été filmée. Nous pouvons ainsi mieux comprendre comment dysfonctionne ce type d'institution. Dans le cas d'espèce cité, les acteurs ont paru incapables de réagir.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Pourriez-vous être plus concret ? A quels niveaux ces dysfonctionnements interviennent-ils ?
M. Dominique Dupagne. - Je répondrai à votre question en pointant plutôt les exigences que nous devrions observer.
A mon sens, les expertises devraient être séparées des processus décisionnels. Les experts que vous auditionnez ne peuvent décider des lois. Ils apportent simplement un savoir. La même relation devrait être observée dans le domaine de la médecine.
Or, la décision et l'expertise sont bien confondues au sein de nos institutions sanitaires. Dans l'immense majorité des cas, les experts sollicités dépendent de fait de l'industrie pharmaceutique. De très nombreux autres pays ont entrepris de séparer strictement les fonctions. La France gagnerait à suivre leur exemple.
L'organisation hiérarchique est elle-même problématique. Les autorités compétentes dans les domaines de la médecine devraient être, comme dans les domaines judiciaire et législatif, indépendantes des pouvoirs en place. Il est primordial que les décideurs soient protégés.
A l'instar des magistrats, tous très attachés à leur indépendance, les personnes décidant des mises sur le marché des médicaments ne devraient jamais être nommées, ni par un gouvernement ni par des organismes financés par l'industrie pharmaceutique.
Je ne trouverais pas injustifiée, au regard de ces principes, la constitution d'un corps de décideurs, de commissaires élus par différents collèges (un collège de patients, un collège de soignants). L'élection constituerait une garantie forte contre la survenue de conflits d'intérêts.
Le système parlementaire bicaméral offre un premier modèle. La magistrature pourrait nous en offrir un second : le pays gagnerait à mettre en place, sur le modèle de l'Institut supérieur de la magistrature, une école indépendante, formant des décideurs et des évaluateurs professionnels, sans liens avec l'industrie pharmaceutique.
La séparation des fonctions et l'affirmation de l'indépendance des décideurs me paraissent constituer deux conditions de la restauration de l'efficacité de notre système d'agences.
M. François Autain , président . - La séparation des fonctions aurait effectivement d'indéniables avantages. N'enlèverait-elle pas, cependant, toute utilité à la commission d'AMM ? Elle serait alors tenue de suivre strictement les avis qui lui seraient présentés.
M. Dominique Dupagne. - Le fonctionnement de cette dernière me paraît en tout cas aujourd'hui problématique. Dans le cas que je citais précédemment, elle a décidé d'ignorer une décision de la commission nationale de pharmacovigilance.
M. François Autain , président . - Il est vrai que la commission d'AMM décide en dernier recours dans le système actuel.
Quels qu'ils soient, les avis remis doivent être confirmés par le directeur général de la santé, lequel arrête ses décisions au nom de l'Etat.
M. Dominique Dupagne. - Le problème des décisions de la commission d'AMM réside sans doute dans leur caractère binaire. Seules deux sont finalement possibles : soit la mise sur le marché du médicament est autorisée, soit elle n'est pas autorisée. Elle n'envisage pas de positions médianes. L'étude des rapports bénéfices-risques l'autoriserait pourtant à apporter bien d'autres informations.
J'ai analysé le fonctionnement de la navette parlementaire. Je l'ai trouvé très intéressant. Nous pourrions imaginer de l'adapter au monde du médicament. L'instauration d'une « navette sanitaire » permettrait d'identifier et de rectifier plus rapidement les éventuelles erreurs commises.
M. François Autain , président . - Vous êtes favorable, en somme, à l'instauration d'une procédure d'appel.
M. Dominique Dupagne. - Oui. L'idée n'est évidemment pas nouvelle. L'ancêtre du Sénat, le Conseil des Anciens, a été créé en 1795. Ses promoteurs avaient compris que seule l'instauration de contre-pouvoirs permettrait d'éviter les dérives des pouvoirs.
Ce système bicaméral pourrait être appliqué au domaine sanitaire. Il est nécessaire de s'appuyer sur des mécanismes de double lecture.
M. François Autain , président . - Cette navette relierait-elle les agences ?
M. Dominique Dupagne. - Dans mon esprit, la Haute Autorité de santé (HAS) serait amenée à contrôler la qualité des décisions de l'Afssaps. Elle jouerait, en quelque sorte, le rôle jadis dévolu au Conseil des Anciens.
M. François Autain , président . - Qui trancherait en cas d'avis contradictoires ?
M. Dominique Dupagne. - Dans le domaine judiciaire, les cours d'appel tranchent en second ressort. Dans le domaine législatif, le décisionnaire in fine est l'Assemblée nationale, laquelle se prononce alors après réunion de la commission mixte paritaire (CMP). Il faut s'inspirer des exemples que ces acteurs nous offrent. Dans leur très grande majorité, les pays démocratiques ont trouvé à cette aune des solutions satisfaisantes.
M. François Autain , président . - Vous avez proposé, pour la constitution du conseil qui serait chargé de rendre les avis, le recours à un corps électoral. Comment, concrètement, serait-il constitué ?
M. Dominique Dupagne. - Je serais favorable à l'instauration d'une chambre de sages élus par les soignants.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - A quelles populations faites-vous précisément référence ?
M. Dominique Dupagne. - Les soignants sont l'ensemble des prescripteurs : les médecins, mais aussi les infirmières ou les sages-femmes.
M. François Autain , président . - Les pharmaciens, eux, ne prescrivent pas.
M. Dominique Dupagne. - Il serait souhaitable qu'ils soient néanmoins également associés.
Ce conseil aurait en tout cas pour mission d'évaluer les décisions prises dans les domaines de la santé.
Les patients devraient bien entendu avoir également voix au chapitre. Actuellement, ceux-ci sont malheureusement défendus par des associations non indépendantes, financées soit par l'industrie pharmaceutique, soit par le Gouvernement. Le maintien de ces liens n'est pas compatible avec des expressions démocratiques.
Je suis persuadé que l'instauration de ces corps électoraux serait appréciée par les premiers intéressés. Elle leur permettrait de se sentir concernés par les processus décisionnels engagés.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Comment s'organiseraient ces conseils au sein de la HAS et de l'Afssaps ?
M. Dominique Dupagne. - Je verrais la HAS abriter une sorte d'assemblée sénatoriale, qui serait composée de « sages » : des personnes expérimentées, connaissant bien le monde de la santé et les problématiques relatives à la mise sur le marché des médicaments.
Au niveau de l'Afssaps, je préconiserais plutôt l'installation de commissions multipartites, représentatives de la diversité du monde : des prescripteurs, jeunes ou expérimentés ; des pharmaciens ; des patients.
M. François Autain , président . - Qu'adviendrait-il de la commission de la transparence ?
M. Dominique Dupagne. - Ce « conseil des sages » en serait l'équivalent.
M. François Autain , président . - Il serait à la fois chargé de rendre des avis et de hiérarchiser les décisions.
M. Dominique Dupagne. - Le titre de cette commission n'a de toute façon aujourd'hui plus guère de signification.
M. François Autain , président . - Nous pouvons en tout cas comprendre que cette instance n'aurait pas sa place dans le système que vous proposez.
M. Dominique Dupagne . - Je propose, il est vrai, une refonte globale.
J'insiste de nouveau sur la nécessaire séparation des fonctions : l'évaluateur ne peut être également le décisionnaire.
M. François Autain , président . - Cette dissociation pourra être assez rapidement mise en oeuvre.
Je ne vois par ailleurs pas d'objection à ce que des patients soient également sollicités. Ils devront cependant alors être représentatifs.
M. Dominique Dupagne. - Il faudrait certes faire appel à des personnes volontaires, ouvertement désireuses de représenter les intérêts des Français.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Soyez plus précis encore : qui composerait le collège des patients ?
M. Dominique Dupagne. - Les électeurs seraient là, tout simplement, les assurés sociaux.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Vous proposez un collège électoral extrêmement large.
M. François Autain , président . - Là réside peut-être le point faible de votre projet.
M. Dominique Dupagne. - L'instauration d'un système électoral à deux niveaux est envisageable. Seuls certains assurés seraient alors déclarés votants.
M. François Autain , président . - Quelle place réserveriez-vous à la commission nationale de pharmacovigilance de l'Afssaps ?
M. Dominique Dupagne . - Cette commission s'est négativement illustrée en décidant de ne pas retirer du marché le pioglitazone, cette molécule cancérigène utilisée pour le traitement du diabète. Dans sa forme actuelle, cette instance est une commission technique, chargée d'alerter, preuves à l'appui, de l'existence de risques pour la santé. En position d'experte, elle ne devrait pas être amenée à prendre elle-même des décisions.
M. François Autain , président . - Qui, dans le cas que vous citez, pourrait dès lors les assumer ?
M. Dominique Dupagne. - La responsabilité devrait être confiée à une nouvelle commission d'autorisation de mise sur le marché (AMM).
M. François Autain , président . - Serait-elle notamment responsable des AMM ?
M. Dominique Dupagne. - A mon sens, la forme choisie devra en tout cas empêcher les experts de se retrouver dans des situations de conflits d'intérêts. Je vois aujourd'hui trop de spécialistes prétendument indépendants prendre des décisions concernant des médicaments devant être utilisés dans des domaines auxquels ils ont consacré trois ans de leur vie. A l'évidence, ils ne sont alors pas en mesure de prendre des décisions objectives.
Les conflits d'intérêts prendraient un tout autre sens si l'expertise était strictement séparée de la décision. Une commission qui serait composée de décideurs indépendants par principe pourrait se permettre de recevoir des experts travaillant ouvertement pour des industriels. L'évolution requerrait certes l'octroi d'un important budget. Mais l'effort serait normal : la Nation doit se donner les moyens d'écouter ses forces vives.
M. François Autain , président . - A vos yeux, cette commission pourrait-elle être présidée par un magistrat ?
M. Dominique Dupagne. - Je n'y verrais évidemment aucun inconvénient.
Je ferai ici un parallèle avec le conseil de l'Ordre des médecins. Cette instance, qui doit prendre des décisions extrêmement lourdes, est elle-même présidée depuis quelques années par un magistrat professionnel. Le changement a rendu difficiles les décisions de connivence. La qualité des avis s'en est évidemment trouvée améliorée.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Le système de pharmacovigilance ne met sans doute pas suffisamment en avant les effets indésirables des médicaments. Comment pallier ce défaut ? Faudrait-il rémunérer les médecins qui notifient les effets indésirables pour le temps qu'ils consacrent à cette tâche ? Cette rémunération devrait-elle alors être fixée dans les conventions signées avec les médecins ?
M. Dominique Dupagne. - Le sujet que vous évoquez à été très bien étudié. Une abondante bibliographie pourrait être consultée.
Les personnes les plus à même de réaliser des alertes de pharmacovigilance sont certainement les patients. Ils prendraient le temps, pourvu qu'on leur offre des moyens de déclaration, de transmettre des informations sur l'état des terrains. Ces renseignements donnés, les centres de pharmacovigilance pourraient se retourner vers les médecins pour corriger leur déclaration.
Sauf à leur offrir une gratification financière conséquente, nous ne pourrons en revanche pas espérer des médecins une pharmacovigilance correcte. Il leur est de fait difficile de critiquer des produits qu'ils prescrivent.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Si je vous ai bien compris, vous préconisez la mise à disposition de fiches à l'intention des patients.
M. Dominique Dupagne. - Oui. Ces fiches pourraient être renseignées via un site Internet dédié.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Vous jugez indispensable une amélioration du contrôle de la déclaration des conflits d'intérêts. Considérez-vous qu'il faille retirer cette compétence à l'Ordre des médecins ? Dans ce cas, à qui devrait-elle être confiée ? Au service central de prévention de la corruption (SCPC) ? A une commission de déontologie ad hoc constituée au sein de la Haute Autorité de santé (HAS) ?
M. Dominique Dupagne. - Les personnes déclarant le mieux les conflits d'intérêts sont les industriels. Ils observent en la matière depuis longtemps des procédures très strictes. Elles mériteraient d'être appliquées également par les médecins.
Je préconiserais également, pour favoriser l'enregistrement des déclarations d'intérêts réalisées par ce corps, le recours à un site Internet dédié. Même parfaitement remplies, celles-ci ne seraient d'aucun intérêt si elles devaient finir dans un tiroir du conseil de l'Ordre.
M. François Autain , président . - Comment serait géré ce site ?
M. Dominique Dupagne. - Son utilisation ne requerrait pas des infrastructures lourdes. Deux ou trois personnes suffiraient à l'administrer correctement.
M. François Autain , président . - Si ces évolutions sont actées, le lieu de rattachement - l'Afssaps, la HAS - des experts rémunérés restera à préciser.
M. Dominique Dupagne. - Il est heureusement plus facile d'identifier les personnes ayant travaillé pour tel ou tel organisme de santé que de répertorier les personnes invitées à tel ou tel congrès organisé par un grand industriel.
La réalisation de déclarations d'intérêts complètes, selon le modèle américain, ne résoudra sans doute pas tous les problèmes. Au nom de la transparence, elle n'en demeurera pas moins nécessaire.
M. François Autain , président . - La vérification des données figurant dans de telles déclarations relève actuellement de la responsabilité de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Ne faudrait-il pas confier à une entité spécialisée le soin d'alerter cette direction en cas de doutes ?
M. Dominique Dupagne. - Ce rôle pourrait revenir à la HAS. La mission, finalement assez simple, ne requerrait heureusement pas non plus d'importants moyens humains ou matériels.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Comment expliquez-vous les réticences manifestées par vos collègues pour le codage des maladies ? Comment pourrions-nous rendre cette mesure effective ? Il faut rappeler qu'elle est prévue par la loi Teulade de 1993.
M. Dominique Dupagne. - Quel sens donnez-vous à l'expression « codage des maladies » ?
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Elle se réfère à la réalisation des actes médicaux.
M. François Autain , président . - Selon la loi Teulade, le codage doit permettre à la Cnam de réaliser le lien entre le médicament et la maladie.
M. Dominique Dupagne. - Je suis moi-même plutôt opposé à la démarche. La réalisation de compartimentages débouche in fine sur des médecines déshumanisées. Elle serait en outre certainement un facteur de surcoûts. L'application de codages à la médecine ambulatoire aboutirait ainsi certainement à un doublement de son budget.
M. François Autain , président . - Le codage n'aurait-il pas pu nous permettre d'éviter les drames que nous avons connus avec la commercialisation du Mediator ?
M. Dominique Dupagne. - Je ne le crois pas.
Ces drames ne sont pas dus à un dévoiement des conditions de prescription mais à un défaut d'information imputable à l'industriel. Le médicament comptait un vice originel caché. Personne ne peut cependant reprocher aux prescripteurs de s'être fiés à l'information officielle apportée sur le sujet.
M. François Autain , président . - Le Mediator a été présenté, et reste souvent ainsi présenté, comme un antidiabétique mal étudié. Telle est d'ailleurs la position défendue par les laboratoires Servier et le professeur Jean-Michel Alexandre. Or, prescrit comme un anorexigène, il a de fait été utilisé comme un substitut à l'Isoméride et au Pondéral, médicaments qui venaient d'être retirés du marché. Cette présentation a eu des effets désastreux.
M. Dominique Dupagne. - Je ne le nie pas. Je persiste néanmoins à considérer que les drames causés par le Mediator ne sont pas liés à sa prescription hors AMM. La qualité déficiente du produit est malheureusement en cause. Autrement dit, sa prise aurait causé des décès même en l'absence de prescription hors AMM.
M. François Autain , président . - Je suis assez d'accord avec vous.
M. Dominique Dupagne. - La réalisation d'une prescription hors AMM a sans doute amplifié les problèmes. Mais leur cause principale est bien la durable désinformation organisée par les Laboratoires Servier sur les dangers intrinsèques du produit. Il suffisait pourtant de se pencher sur sa composition pour comprendre que le Mediator présentait pratiquement les mêmes risques que l'Isoméride.
M. François Autain , président . - Dans ces conditions, les prescriptions hors AMM sont-elles à vos yeux problématiques ?
M. Dominique Dupagne. - Je serai avec vous très clair.
Les laboratoires ont progressivement cessé de développer des programmes de recherche concernant des produits dont la commercialisation a été autorisée. C'est pourquoi le champ des prescriptions AMM se rétrécit chaque année un peu plus. Un retrait des prescriptions hors AMM porterait par voie de conséquence un coup fatal à la médecine.
Pour obtenir une AMM, un laboratoire doit réaliser un dépôt, quand bien même le produit serait déjà dans le domaine public. La procédure est sans doute lourde. La chute des demandes résulte cependant largement de l'actuelle incapacité de l'Afssaps à valider directement les mises sur le marché en fonction des données de la science.
En l'absence de demandes d'AMM, nous ne disposons que des indications initiales des produits mis sur le marché. Or, des découvertes majeures suivent très souvent leur commercialisation. Faute d'extension d'AMM, les informations les plus récentes concernant les contre-indications cardio-vasculaires liées à la prise d'aspirine ne sont ainsi pas signalées dans la notice dudit médicament.
M. François Autain , président . - Quelle solution préconisez-vous ?
M. Dominique Dupagne. - Le système d'autorisation dans son ensemble mériterait d'être revu.
Il faudrait à mon sens permettre à la commission d'AMM de formuler des avis scientifiques indépendamment des demandes que lui soumettent les industriels. L'évolution, si elle était entérinée, serait une petite révolution.
M. François Autain , président . - Je déduis de vos propos que l'Afssaps ne pourrait pas aujourd'hui s'autosaisir afin de modifier telle ou telle AMM.
M. Dominique Dupagne . - La possibilité ne lui est effectivement pas aujourd'hui offerte. La mission était naguère dévolue au Bureau d'enregistrement des demandes industrielles. Mais le développement des produits génériques a entraîné sa disparition.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Jugez-vous dépassé le concept même d'AMM ?
M. Dominique Dupagne . - Oui. Je suis surtout gêné, je vous l'ai déjà dit, par le caractère binaire de l'actuel système, manifestement hérité d'une culture jacobine. Nous avons besoin, plus que de décisions autoritaires, d'informations claires.
M. François Autain , président . - Les médicaments, vous n'en disconviendrez pas, ne sont cependant pas des produits comme les autres. Ils ne sont pas choisis mais prescrits. Leurs utilisateurs bénéficient en contrepartie d'une couverture sociale. Ces particularités rendent nécessaires la réalisation de contrôles.
M. Dominique Dupagne . - Vous m'interrogiez précédemment sur la relation entre le remboursement et l'autorisation. Elle n'est pas systématique. Nous pourrions fort bien imaginer que la communauté, jugeant ses bienfaits discutables ou peu évidents, s'oppose au remboursement de tel produit sans pour autant en empêcher la commercialisation.
M. François Autain , président . - Je comprends votre propos.
Le médicament non remboursé pourrait en contrepartie faire l'objet d'une publicité auprès des patients.
M. Dominique Dupagne . - Vous évoquez là un autre problème.
M. François Autain , président . - Les patients, prenant connaissance de ce produit, pourraient finir par obtenir eux-mêmes, grâce à leur pression, le remboursement du produit.
M. Dominique Dupagne . - Les autorités chargées d'émettre les avis en matière de remboursement doivent résister aux pressions. De ce point de vue, elles se montrent heureusement déjà assez fortes.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Il est vrai que l'actuel système d'autorisation confère au médicament une dimension essentiellement économique.
M. Dominique Dupagne . - Je ne suis pas d'accord avec vous. Le système de remboursement répond effectivement à des impératifs économiques. Les décisions de mise sur le marché des produits sont cependant arrêtées au regard du rapport bénéfices-risques. La commission d'AMM doit chercher à savoir, autrement dit, si les produits qui lui sont soumis ont un intérêt dans le cadre d'une politique de santé publique.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Vous vous êtes retiré des Assises du médicament, non sans avoir publiquement rappelé que votre participation n'avait été financée par aucun lobby. Vous avez considéré, je présume, que cette institution ne remplissait finalement pas les conditions minimales de transparence que nous pouvions exiger d'elle. Quelles mesures, en dehors de celles que vous nous avez déjà indiquées, préconiseriez-vous d'appliquer aujourd'hui pour empêcher la survenue d'autres « Mediator » ?
M. Dominique Dupagne . - J'éprouve quelques difficultés à établir un lien entre les Assises du médicament et votre question.
Cet événement devait effectivement nous permettre d'étudier les réformes susceptibles d'être appliquées pour éviter de nouveaux drames sanitaires. Cette réflexion me paraît cependant fort bien assurée par les commissions parlementaires.
A mon sens, les ateliers de ces Assises regroupent un trop grand nombre de débatteurs pour déboucher sur la formulation de propositions concrètes, portées par des personnalités indépendantes des lobbys.
Le vice-président des Assises, Alain-Michel Ceretti, que j'apprécie beaucoup à titre personnel, a heureusement décidé de recevoir les personnalités une par une. C'était une décision sage, qui aura finalement sans doute permis une certaine productivité. Mais, alors qu'elles ont d'emblée été marquées par une controverse futile sur l'enregistrement audiovisuel des débats, il paraît somme toute peu probable que ces Assises débouchent sur des réformes révolutionnaires.
J'ai constaté, concernant ces Assises, que certaines personnalités indépendantes, comme le journaliste Stéphane Horel, n'ont pas été conviées aux débats. Dans le même temps, les industriels ont pourtant été accueillis à bras ouverts. J'ai trouvé cette disparité de traitement assez choquante.
M. François Autain , président . - Elle est probablement dans la nature des choses.
M. Dominique Dupagne . - Je dois m'entretenir, dans le courant du mois de juin, avec les responsables de la cellule de communication de l'Afssaps. J'envisagerai avec eux les conditions de ma participation à la réalisation de travaux. Il n'est pas sûr qu'elle celle-ci revête un sens.
J'ai été très désagréablement surpris par le visionnage de cette séance au cours de laquelle la commission d'AMM a décidé de ne pas retirer du marché le pioglitazone. J'ai par la suite été encore plus choqué par la lettre que la commission a adressée aux prescripteurs pour justifier sa décision : cette molécule n'aurait entraîné que « quelques » cancers de la vessie. Selon toute vraisemblance, ils ont malheureusement été très nombreux.
M. François Autain , président . - Au moins une cinquantaine de décès auraient été causés par cette molécule.
M. Dominique Dupagne . - L'étude commandée ne permettra malheureusement pas de réaliser une évaluation beaucoup plus précise. Le caractère cancérigène de la molécule est cependant déjà certain.
M. François Autain , président . - Le principe de précaution n'a en l'espèce pas été appliqué.
M. Dominique Dupagne . - Il a été parfaitement ignoré par la commission d'AMM. Les débats ayant conduit aux décisions discutables de cette autorité ont cependant été filmés. La transparence a été au moins assurée.
M. François Autain , président . - Nous pouvons effectivement nous réjouir de ce progrès, même s'il a été constaté à l'occasion d'une triste décision.
M. Dominique Dupagne . - L'enregistrement audiovisuel est évidemment d'une toute autre puissance que le compte rendu écrit. Il sera bénéfique.
M. François Autain , président . - Le directeur général de l'Afssaps, que nous avons déjà reçu, entend désormais proposer des verbatim des réunions de ces commissions.
M. Dominique Dupagne . - Il faut des verbatim et des enregistrements audiovisuels. Les deux outils sont complémentaires.
M. François Autain , président . - J'aimerais que vous nous parliez de votre collaboration avec l'éditeur spécialisé Vidal.
Dans l'imaginaire public, le Vidal est l'organe de référence des médecins. Dépendant de la bonne volonté des laboratoires, ses informations ne sont pourtant pas exhaustives. Ne serait-il pas pertinent de permettre aux médecins de disposer en sus d'un répertoire officiel, qui émanerait de la HAS ?
L'information et la formation des médecins font somme toute également partie des missions de cette autorité. Elle dispose cependant, pour assurer ces rôles, de moyens autrement plus faibles que ceux des laboratoires pharmaceutiques.
M. Dominique Dupagne . - Je dois d'abord préciser que je ne m'exprime pas ici au nom de Vidal.
M. François Autain , président . - Nous l'avions bien compris.
M. Dominique Dupagne . - La précision n'en était pas moins nécessaire.
Vous me placez face à un conflit d'intérêts majeur. Concernant des personnes avec qui je travaille depuis vingt ans, les positions que je défends sont forcément sujettes à caution.
Le Vidal n'est que le support de l'information officielle. Comme pour les autres médicaments, le seul travail d'auteur réalisé par l'éditeur à propos du Mediator a été reproduit dans un livre de recommandations thérapeutiques, Le Vidal Recos. L'une de ses sections est dédiée au traitement du diabète, Recos diabète.
M. François Autain , président . - La consultation de ce second ouvrage est-elle payante ?
M. Dominique Dupagne . - Oui. Il est commercialisé à la fois en librairie et sur le site Internet de l'éditeur.
Les auteurs de l'ouvrage affirmaient, dans cette section consacrée au diabète, que le Mediator ne faisait pas partie des médicaments recommandés pour le traitement du diabète.
Je vous redis qu'il m'est cependant difficile de porter ici un jugement sur le fonctionnement de cet éditeur.
M. François Autain , président . - Nous vous encourageons néanmoins, comme nous le ferions avec tout autre expert, à nous dire ce qu'il vous inspire.
M. Dominique Dupagne . - Je considère, compte tenu des éléments que je vous ai communiqués, ne pas avoir à rougir de mes relations avec le groupe Vidal. Son comportement ne peut être mis en cause : il a apporté d'un côté une information officielle, de l'autre une information d'auteur non critiquable.
M. François Autain , président . - De nombreux médecins n'ont malheureusement eu accès qu'à l'information officielle. Il est dommage que l'accès à l'information d'auteur n'ait pas été facilité.
M. Dominique Dupagne . - L'information de qualité a un coût. J'étais moi-même assez bien informé des risques liés au Mediator grâce à mon abonnement à la revue Prescrire . La souscription est d'au moins 200 euros par an.
M. François Autain , président . - Votre observation est sans doute juste. Nous aurions cependant pu espérer que les autorités sanitaires se fassent le relais de cette information non critiquable.
M. Dominique Dupagne . - Les autorités sanitaires publient les résumés des caractéristiques du produit (RCP) des médicaments. Elles sont certes maladroites dans leur démarche. Les fiches correspondantes, du moins sur Internet, demeurent en effet souvent introuvables. Elles sont néanmoins publiées.
M. François Autain , président . - Les RCP figurent en principe au moins dans le Vidal.
M. Dominique Dupagne . - Vous avez raison.
M. François Autain , président . - Les bases les plus pratiques ne sont ainsi souvent pas les plus complètes.
Ne serait-il donc pas judicieux, compte tenu de ces difficultés, de confier à la HAS l'édition d'un « Vidal d'auteur », qui serait adressé aux médecins à titre gracieux ?
M. Dominique Dupagne . - Il n'est pas certain qu'une autorité publique serait plus efficace que cet éditeur privé. La réalisation de recueils médicaux requiert un véritable savoir-faire. C'est un métier à part entière, ce qu'attestent finalement les difficultés rencontrées pour l'élaboration du Vidal électronique.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - L'édition de ces recueils est aussi complexe, nous dites-vous, que l'édition d'annuaires téléphoniques.
M. Dominique Dupagne . - L'exercice est sans doute plus complexe encore.
Mme Christiane Kammermann . - Vous avez dénoncé le maintien sur le marché d'un médicament cancérigène. Pouvez-vous nous rappeler son nom ?
M. Dominique Dupagne . - Je faisais référence à l'Actos, dont la molécule est le pioglitazone. Cancérigène, son efficacité dans le cadre du traitement du diabète reste de surcroît à démontrer.
M. François Autain , président . - L'Actos est un cousin de l'Avandia, médicament retiré en raison des risques d'infarctus du myocarde auxquels il exposait les patients.
Mme Christiane Kammermann . - Depuis quand l'Actos est-il prescrit ?
M. Dominique Dupagne . - Ce produit est prescrit depuis une dizaine d'années. Je ne saurais en revanche vous dire depuis quand son caractère cancérigène est connu.
M. François Autain , président . - Lors de son audition, le professeur Montastruc avait déjà attiré notre attention sur la nature cancérigène de ce médicament.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Rappelons, pour conclure, vos deux principales propositions : la dissociation des expertises des processus décisionnels ; l'instauration d'un système de double délibération, conçus selon les modèles parlementaires et reposant sur l'élection des décisionnaires.
M. Dominique Dupagne . - Votre résumé est fidèle. L'élection constitue l'un des moyens de garantir l'indépendance et la respectabilité des décisionnaires. L'idée n'est cependant évidemment pas nouvelle : pour l'essentiel, les centres de décisions, qu'ils soient judiciaires ou parlementaires, fonctionnent déjà sur ces principes.
M. François Autain , président . - La réforme ne serait révolutionnaire que pour le secteur de la santé.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Je me permets de souligner, Monsieur Dupagne, que cette mission d'information ne s'inscrit évidemment pas dans une procédure judiciaire. Nous avons simplement cherché à comprendre des faits. Nous n'avons souhaité en aucun cas vous mettre en difficulté.
M. François Autain , président . - Nous ne sommes de fait ni des juges, ni des procureurs.
M. Dominique Dupagne . - Ce n'est pas ainsi que je vous ai vus. Je dois cependant vous dire que beaucoup d'autres personnes auditionnées ont répondu à votre convocation avec le sentiment de devoir défendre leur honneur.
M. François Autain , président . - Je vous remercie.
Audition de M. Lionel BENAÏCHE, secrétaire général du service central de prévention de la corruption (SCPC) (mardi 17 mai 2011)
M. François Autain , président . - Nous accueillons M. Lionel Benaïche, actuellement secrétaire général du service central de prévention de la corruption (SCPC).
Nous vous informons que l'audition, ouverte à la presse, est filmée. Elle pourra être ultérieurement diffusée sur le site Internet du Sénat, voire sur la chaîne Public Sénat.
Compte tenu de vos fonctions, je présume que vous n'entretenez pas de liens avec l'industrie pharmaceutique. Je vous passerai donc la parole sans plus attendre.
Nous vous avions déjà auditionné, monsieur Benaïche, pour la présentation d'un rapport du SCPC qui reste aujourd'hui d'actualité. Vos recommandations, si l'on excepte celles concernant la publicité des débats, n'ont pour la plupart pas encore été mises en oeuvre. Je crois que vous avez cependant récemment actualisé ce travail. J'ai lu, dans un récent article, que vous l'aviez même complété d'un document de onze pages.
M. Lionel Benaïche, secrétaire général du SCPC . - Le document de onze pages auquel vous faites référence est la modeste contribution que j'ai proposée dans le cadre des Assises du médicament.
M. François Autain , président . - Pourrez-vous nous la remettre ?
M. Lionel Benaïche . - Je vous la transmettrai dès demain.
J'ai exposé, dans cette note, comme lors de réunions de ces Assises, les raisons pour lesquelles j'ai rejoint en 1997 l'Agence du médicament. Didier Tabuteau, qui en a été en 1993 le premier directeur, avait édicté une première série de règles déontologiques, visant principalement les experts externes - les collaborateurs extérieurs du service public selon la jurisprudence du Conseil d'Etat.
Ces experts se sont notamment vu imposer, dans une circulaire interne, la réalisation de déclarations d'intérêts. Pour la première fois, une typologie des différents intérêts pouvant donner lieu à déclaration était présentée.
Même si elle existait déjà dans le droit français, de façon certes marginale, la notion d'intérêt était encore peu discutée. En tant que tel, le conflit d'intérêts n'avait en tout cas pas d'existence juridique. Il n'était évoqué que sous le prisme de l'obligation de loyauté et d'impartialité.
L'évolution a requis un important effort de pédagogie. A cette fin, des sessions de sensibilisation furent programmées à l'intention des experts. Ils devaient comprendre que la réalisation de déclarations d'intérêts était aussi imposée dans leur intérêt.
J'ai rejoint l'Agence du médicament pour présider la cellule de veille déontologique qu'elle venait d'installer. Cette structure, strictement indépendante des autres entités (entités scientifiques et techniques, entités opérationnelles), devait dire les liens et affiliations susceptibles d'être reconnus comme des intérêts déclarables. A sa présidence, je me suis imposé, en tant que magistrat, comme un gardien de la norme.
La fiche de poste devait reprendre l'ensemble des déclarations d'intérêts des experts. A l'époque, celles-ci n'étaient pas encore immédiatement rendues publiques. Elles n'étaient présentées que sur demande expresse. Elles peuvent être aujourd'hui consultées via des sites Internet dédiés.
Comme vous le savez, l'Agence du médicament est devenue en 1999 l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps).
M. François Autain , président . - A ma connaissance, le changement date de 1998.
M. Lionel Benaïche . - Il s'agit en tout cas d'un organisme qui a connu des taux de croissance exceptionnels. En quelques années, son effectif est ainsi passé de 300 à 1 100 personnes. Le nombre d'experts extérieurs a cependant crû encore davantage. Nous en comptions en 2004 près de 3 000. Je ne saurais pas vous dire si cet effectif a depuis de nouveau augmenté.
M. François Autain , président . - Je crois qu'il se situe dans une fourchette plus basse. L'effectif n'excède peut-être pas 2 000 personnes.
M. Lionel Benaïche . - Toujours est-il qu'il a fallu recueillir, pour chacun de ces experts, une déclaration publique d'intérêts. Une majorité rechignait initialement à s'atteler à l'exercice. Les réticences étaient cependant d'abord d'ordre psychologique.
Mon travail a d'abord consisté à rassurer les personnes interrogées. Il fallait les persuader que la démarche ne participait pas d'une politique de fichage policier. La déclaration d'intérêts est un simple instrument technique devant permettre aux agences, quel que soit leur domaine d'intervention (la santé, la défense, le nucléaire), de s'assurer de l'indépendance du processus de consultation. Un expert négligeant de réaliser la déclaration d'intérêt qui lui est demandée s'expose tout comme il expose l'administration.
En devenant l'Afssaps, l'agence s'est vu reconnaître de nouvelles compétences. Elle a intégré, pour les développer, de nouveaux agents et experts externes, spécialistes de domaines qu'elle ne connaissait pas encore, telle la cosmétique. Avec le temps, elle a notamment été amenée à créer une commission de vigilance sur les matériaux - domaine très éloigné de son domaine de compétence historique, le médicament.
Cette évolution a conduit l'organisme à se réorganiser en profondeur. Les experts étant généralement nommés par arrêtés ministériels, l'instauration de nouvelles commissions a nécessité l'engagement de lourdes démarches administratives. Les nominations doivent être publiées au Journal officiel ou au Bulletin officiel du ministère des affaires sociales (Bomas).
J'ai été chargé d'identifier le nombre d'experts extérieurs collaborant à la réalisation des travaux de l'Afssaps. L'identification des experts sollicités pour siéger au sein des commissions - la commission d'autorisation de mise sur le marché (AMM), la commission chargée du contrôle de la publicité et de la diffusion des recommandations sur le bon usage des médicaments ou la commission de la pharmacovigilance - n'a pas posé de problèmes majeurs. Le recensement des experts participant aux groupes de travail a en revanche pu se révéler difficile.
J'ai exposé à chaque expert ainsi recensé les raisons nous conduisant à demander des déclarations publiques d'intérêts. Je n'ai pas rencontré d'oppositions excessivement nombreuses. C'est sur la base de ces entretiens que j'ai développé ma propre doctrine, déjà exposée dans un rapport remis en 2004 au ministre de l'économie et au Garde des sceaux.
M. François Autain , président . - Vous n'avez d'ailleurs pas hésité à citer nommément des personnes.
M. Lionel Benaïche . - C'est juste.
Une clarification du rôle des experts était souhaitée et demandée de toutes parts. Le nom même « d'expert » renvoie à une assez grande variété de situation. Il peut simplement désigner le vice-président d'une commission ou un rapporteur.
La démarche de déclaration doit permettre, par-delà cette clarification, une sécurisation juridique. C'est aussi l'objectif que j'avais assigné à la cellule, qui a directement aidé les experts à remplir leur déclaration publique d'intérêts. Aujourd'hui encore, à l'image de l'administration fiscale, elle doit certainement tenir des permanences dans cette optique.
Cet effort de pédagogie, qui a débouché sur la programmation de sessions de formation et de sensibilisation, a bien entendu été adapté aux populations. J'ai réfléchi, parallèlement, à l'impartialité de l'expertise interne. La question avait été initialement négligée.
Afin d'assurer cette expertise, il fallait imposer à ces experts les obligations imposées à tout fonctionnaire : l'obligation de réserve, l'obligation de discrétion et surtout l'obligation de désintéressement. Des experts liés à une firme, ou intéressés par le développement d'un produit, ne pouvaient ainsi prétendre travailler au sein de l'agence.
M. François Autain , président . - Sur ces sujets-là, des progrès ont-ils été réalisés depuis 2004 ? Je crois que les experts internes de l'Afssaps sont désormais soumis aux mêmes obligations que les experts extérieurs, dont l'obligation de déclaration.
M. Lionel Benaïche . - Pour avoir conservé quelques contacts au sein de l'Afssaps, je puis vous dire que les évolutions constatées concernant le recensement des experts internes ont en tout cas été progressives. Je ne sais pas ce qu'il en est, en revanche, de la formalisation des règles.
M. François Autain , président . - Selon une loi votée en 1998, les personnes travaillant au sein de commissions ou d'agences sont, je crois, toutes soumises à cette obligation de désintéressement.
M. Lionel Benaïche . - L'obligation ne pèse que pour les membres des commissions.
M. François Autain , président . - Nous vérifierons ce point.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Approuveriez-vous la création d'un système unique de déclaration publique d'intérêt géré par le SCPC ? Ou seriez-vous davantage favorable à ce que la responsabilité soit confiée à une commission de déontologie qui verrait le jour au sein de la Haute Autorité de santé (HAS) ?
L'intégralité du parcours professionnel de l'expert devrait dans tous les cas pouvoir être visualisée au moyen de cette déclaration.
M. Lionel Benaïche . - Je dois préciser que les propositions que vous me soumettez ne sont pas les nôtres. Elles ont été formulées par Didier Tabuteau dans une tribune publiée par un quotidien du soir, Le Monde .
Avant de répondre à votre sollicitation, je souhaiterais terminer l'exposé que j'ai initié sur la question de l'expertise interne.
Je comprends, avec le recul que me donnent les années, qu'il est extrêmement difficile de surveiller de façon fine les conflits.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - D'autant que ces conflits sont parfois simplement d'ordre intellectuel.
M. Lionel Benaïche . - Nous sommes d'accord.
Afin de pallier les éventuels déficits d'experts, j'avais proposé en mon temps l'instauration, selon le modèle appliqué par l'agence fédérale américaine, la Food and Drug Administration ( FDA), d'un système de dérogation. Nous avons été confrontés à de tels déficits lors de l'émergence de la thérapie génique ou l'apparition de l'ESB.
Il serait absurde de se priver, dans ce genre de situations, des compétences d'un expert mondialement reconnu au seul motif qu'il entretiendrait des relations avec l'industrie pharmaceutique. Il est en revanche primordial de lui demander de faire état de ses intérêts à travers une consignation par procès-verbal.
Je souhaiterais discuter ici de la proposition que j'avais formulée en 2005 avec le sénateur Claude Saunier. Nous avions suggéré, constatant qu'il était difficile de gérer ces conflits en interne, l'instauration d'une autorité spécialisée. Appelée « Haute Autorité de l'expertise publique », elle aurait notamment été chargée de la gestion des conflits d'intérêts concernant les agences publiques.
A l'évidence, une entité abritant à la fois des décideurs et des experts ne peut pas gérer elle-même ces conflits.
M. François Autain , président . - Vous considérez donc indispensable l'installation d'une autorité extérieure.
M. Lionel Benaïche . - Plus que d'une autorité extérieure, nous avons besoin, pour la gestion de ces conflits, d'une autorité indépendante. L'instauration d'une bureaucratie lourde et procédurière constituera cependant un écueil à éviter. Claude Saunier et moi-même avons déjà pointé le risque. Il est certes important, mais il ne doit pas nous faire perdre de vue les avantages de l'extériorisation de la mission.
M. François Autain , président . - Nous avons sans doute intérêt à éviter une multiplication des autorités. Voyez-vous une autorité déjà susceptible d'assumer cette compétence ?
M. Lionel Benaïche . - Le Service central de prévention de la corruption (SCPC) pourrait certainement l'exercer. J'ai du reste déjà avancé l'idée lors de mon audition, en début d'année, par la commission de prévention des conflits d'intérêts - commission installée pour formuler des propositions concernant cette fois les ministres, les secrétaires d'Etat ou les directeurs d'établissements publics.
M. François Autain , président . - Ne craignez-vous pas, le SCPC devant d'abord traiter de problèmes de corruption, que le rattachement ne soit mal interprété ?
M. Lionel Benaïche . - Le risque de confusion ne serait certes pas nul. Le conflit d'intérêts portant les germes de la corruption, l'évolution me paraîtrait cependant légitime.
Afin d'éviter tout malentendu, un changement de nom pourrait, cela dit, être proposé.
M. François Autain , président . - J'avais également envisagé l'idée. Proposeriez-vous, par exemple, de remplacer le terme de « corruption » par celui de « dérégulation » ?
M. Lionel Benaïche . - Je le remplacerais plutôt par celui de « régulation ».
M. François Autain , président . - Le SCPC deviendrait ainsi « le Service central de prévention de la régulation » ?
M. Lionel Benaïche . - D'autres termes, bien entendu, pourraient être in fine proposés.
Parmi les autres titres envisageables, je vous soumets celui-ci : « l'Agence de la régulation de l'expertise ».
M. François Autain , président . - Si je vous ai bien compris, l'exercice de la compétence vous paraîtrait en tout cas compatible avec les missions actuelles du SCPC.
M. Lionel Benaïche . - Vous m'avez bien compris. Dans la mesure où le SCPC peut déjà être consulté par de nombreuses autorités administratives ou judiciaires, le rattachement serait même assez naturel.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Selon vous, l'examen des dossiers d'hospitalité et des conventions liant les médecins à l'industrie du médicament pourrait-il encore relever de la responsabilité du Conseil de l'Ordre des médecins ?
M. Lionel Benaïche . - L'extériorisation de la gestion des conflits ne serait peut-être pas dans ce cas pertinente. La question a fait l'objet de débats lors des Assises du médicament. Je crois qu'une majorité se déclarerait aujourd'hui favorable au statu quo .
M. François Autain , président . - Le Conseil de l'Ordre ne dispose pourtant pas de la capacité d'exercer lui-même des contrôles. Les déclarations réalisées dans les départements ne lui parviennent pas toujours.
M. Lionel Benaïche . - Je n'ignore pas le problème.
Si elle était finalement proposée, une éventuelle extériorisation devrait en tout cas reposer sur un système permettant des délais de traitement courts.
M. François Autain , président . - Il existe, il est vrai, un délai administratif. Faute de réponse dans un laps de temps de deux mois, une convention est réputée validée.
Quelle structure pourrait se substituer aux conseils de l'Ordre ?
M. Lionel Benaïche . - Je n'ai pas d'avis tranché sur la question, qui ne nous est pas apparue prioritaire.
M. François Autain , président . - Les conseils de l'Ordre n'envisagent de toute façon pas eux-mêmes un abandon de la mission.
M. Lionel Benaïche . - C'est vrai. Ils soulignent cependant manquer de moyens pour examiner les demandes qui leur sont soumises.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - D'après vous, pourquoi les représentants des entreprises pharmaceutiques ont-ils continué à siéger, jusqu'au début de cette année, au sein de la commission d'autorisation de mise sur le marché (AMM) de l'Afssaps ?
M. François Autain , président . - Selon un rapport publié par l'Igas et l'Inspection des finances en 2001, la cellule de veille déontologique a rappelé, dans deux notes respectivement datées du 24 juillet 2000 et du 11 juillet 2001, les risques contentieux auxquels s'exposait un agent en acceptant une participation systématique du syndicat national de l'industrie pharmaceutique (Snip). Il semblerait que ces rappels n'aient jamais été pris en compte.
M. Lionel Benaïche . - Le Snip a, en tout cas, continué de siéger pendant longtemps au sein de la commission d'AMM.
M. François Autain , président . - Oui. Cela nous a d'ailleurs été confirmé par le successeur de Didier Tabuteau, Philippe Duneton. Il a parfaitement assumé cette situation.
Selon les textes, l'industrie pharmaceutique ne pouvait siéger qu'au sein de deux commissions de l'Afssaps, la commission de la transparence et la commission nationale de pharmacovigilance. Réglementairement, elle ne pouvait pas siéger au sein de la commission d'AMM. Vos alertes n'ont malheureusement pas été entendues.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Dans un article paru la semaine dernière, un grand quotidien du soir affirmait que les Laboratoires Servier connaissaient au moins depuis 1995 les effets indésirables du Mediator. Comment qualifieriez-vous, si elle était avérée, la non-transmission de cette information aux autorités sanitaires ? L'industriel a lui-même depuis répondu à l'accusation.
M. Lionel Benaïche . - C'est une question à laquelle je ne peux pas répondre. Deux informations judiciaires ont été ouvertes sur ce dossier. L'Igas a diligenté dans le même temps sa propre enquête. Il me paraît important que nous laissions ces procédures suivre leur cours.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Je comprends votre position.
M. François Autain , président . - Nombre de responsables d'autorités sanitaires sont parallèlement membres de clubs de réflexions ( think tanks ) financés par l'industrie pharmaceutique. Je citerai un exemple particulièrement révélateur de cette tendance.
La Drug Information Association (DIA), association par définition financée par l'industrie pharmaceutique, organise annuellement un congrès à Genève. D'éminents responsables, comme John Dalli, l'actuel commissaire européen chargé de la santé et de la politique de consommation, et les directeurs généraux de la plupart des agences de médicament, ont participé à la dernière édition de l'événement.
Certains, dont les directeurs successifs de l'évaluation de l'Afssaps, ont même été distingués par la DIA, en raison « des services exceptionnels qu'ils ont rendus à l'industrie pharmaceutique ». Or ces personnes devraient d'abord se positionner, en tant que fonctionnaires, au regard des intérêts liés à la santé publique.
En acceptant les invitations et gratifications de la DIA, ces experts se placent à l'évidence au coeur de graves conflits d'intérêts. Il n'est pas question pour nous de remettre en cause leur intégrité. Nous devons cependant constater que leur proximité avec l'industrie pharmaceutique jette au moins le doute sur la réalité de leur indépendance lorsqu'ils prennent des décisions pour le compte des pouvoirs publics.
Je pourrais aussi vous parler des rencontres nationales de Giens et de Lourmarin. J'y ai vu des experts irrités par les interrogations dont je vous fais part.
Les hauts fonctionnaires exerçant des responsabilités au sein de nos autorités de santé ne devraient-ils pas être amenés à choisir entre la sphère publique et la sphère privée ? Un expert de l'Afssaps peut-il raisonnablement continuer à entretenir des liens avec l'industrie pharmaceutique ?
Je vous invite à répondre à ces questions au regard des textes relatifs au fonctionnement des agences, à la déontologie et au statut du fonctionnaire.
M. Lionel Benaïche . - Vos questions sont particulièrement complexes. Elles traitent fondamentalement des limites du lobbying.
Le problème peut être certainement reformulé ainsi : jusqu'à quel point l'industrie du médicament peut-elle entretenir des relations, d'ordre institutionnel ou non, avec des fonctionnaires de l'Afssaps ? Je suis partisan de leur maintien. Je sais la richesse que peuvent apporter ces contacts.
J'ai entendu, de la part de représentants des entreprises du médicament (Leem) - à l'époque, le Snip - des points de vue extrêmement pertinents sur le besoin de régulation : des règles claires, comprises et acceptées par tous, doivent être édictées. Lorsque je travaillais moi-même pour l'Afssaps, la confusion régnait. Les codes étant peu intériorisés, les experts peinaient sans doute à établir des frontières claires entre le légal et l'illégal, entre le licite et l'illicite. Les travers pouvaient aussi être assez nombreux.
Je crois nécessaire le maintien de liens institutionnels entre les pouvoirs publics et les industries de la santé. Je reconnais cependant que le non-affichage de ces liens peut devenir problématique lorsqu'ils concernent des agents exerçant une autorité, même à un niveau hiérarchique intermédiaire. Telles qu'elles sont actuellement rédigées, les déclarations d'intérêts n'en font pas état. La participation à un congrès financé par l'industrie pharmaceutique devrait normalement faire l'objet d'une mention dans cette même déclaration. Par défaut, toutes les actions non officielles ou para-officielles risquent de faire l'objet de suspicions, voire d'interprétations malveillantes.
M. François Autain , président . - Jugez-vous normal, par exemple, que le responsable de la politique des prix du médicament en France soit également membre d'un think tank international financé par l'industrie pharmaceutique ?
M. Lionel Benaïche . - Je ne suis pas sûr que nous puissions interdire aux hauts fonctionnaires d'intégrer des groupes de réflexion.
M. François Autain , président . - Il faudrait a minima que leur participation aux travaux de ces groupes soit connue.
M. Lionel Benaïche . - Cette information s'impose effectivement, du moins lorsque lesdits think tanks sont financés par l'industrie pharmaceutique.
M. François Autain , président . - L'implication de ces fonctionnaires n'est en tout cas aujourd'hui guère connue. Généralement, leurs liens ne sont révélés qu'au hasard de recherches sur Internet.
M. Lionel Benaïche . - Je considère pour ma part que le dialogue avec l'industrie doit être constant. Parmi les laboratoires stigmatisés, certains ont développé des centres de réflexion de haut niveau. Il serait dommage de les ignorer purement et simplement.
M. François Autain , président . - Permettez-moi de reposer la nature du problème en posant un cas d'école qui concernerait une autre industrie.
Un juge appelé à instruire des affaires impliquant le groupe Total devrait-il entretenir des relations avec l'industrie pétrolière pour conduire correctement son instruction ? A cette question, ne devons-nous pas répondre par la négative ?
M. Lionel Benaïche . - L'absence de liens entre le juge et l'industrie faisant l'objet de ses instructions est évidemment nécessaire. Nous parlons cependant d'un domaine distinct de celui que vous évoquez : l'expertise, dans un secteur historiquement marqué par une culture endogamique.
M. François Autain , président . - Vous conviendrez que ce n'est pas là une culture saine pour une industrie.
M. Lionel Benaïche . - Nous pouvons évidemment nous rejoindre sur ce constat.
Les agences publiques pourraient maintenir d'autant plus librement des liens avec l'industrie pharmaceutique si elles pouvaient s'appuyer sur des expertises internes plus largement valorisées, menées par des personnalités désintéressées, conduites à fréquenter les colloques ou congrès organisés ou financés par l'industrie que dans le cadre de mandats univoques.
Les raisons de la participation des fonctionnaires des agences à ces événements privés ne sont aujourd'hui généralement pas précisées. Le plus souvent, ils ne sont de fait mandatés ni par un ministre, ni par le directeur général de la santé. La participation est envisagée à titre personnel.
De façon générale, il serait certainement souhaitable de limiter le nombre d'experts sollicités. Les conditions de leur audition seraient en contrepartie renforcées. La façon dont la justice a recours à ses propres experts pourrait être prise pour modèle. Les candidatures soumises aux tribunaux font l'objet d'examens des plus sérieux. Ils peuvent par ailleurs décider de solliciter des experts additionnels.
De telles possibilités ne sont pas offertes actuellement dans le cadre des expertises scientifiques consultatives. Il convient de proposer, en somme, une meilleure valorisation du corps professionnel constitué par les experts du médicament et de l'aliment - les secteurs s'interpénètrent comme ailleurs.
Nous devons certes traiter ce problème au regard des conventions de l'Organisation des Nations unies (Onu) ou de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) engageant la France à constituer des partenariats publics-privés (PPP). Une clarification de la position de ces chercheurs ou hauts fonctionnaires au sein de ces instances de travail - elles ne sauraient s'apparenter seulement à des lieux de divertissement ou de promotions - me semble en tout état de cause s'imposer.
M. François Autain , président . - Je vous confirme que nous ne discutons pas de lieux de divertissement. Lors d'autres auditions, certains experts nous ont au contraire dit voir leur participation au sein de telle ou telle commission comme un devoir.
M. Lionel Benaïche . - Je soulignais qu'il ne s'agissait pas d'instances de divertissement par opposition à des congrès.
Je suis d'accord pour dire que le statut de l'expert au sein de ces organismes publics en charge de la santé reste à régler. La difficulté du problème tient beaucoup au fait que l'expert n'est pas un fonctionnaire comme les autres. Son statut lui permet finalement de contracter.
La clarification des rôles des différents acteurs constituera cependant une condition de toute refondation.
M. François Autain , président . - Vous critiquez, dans votre rapport, les modalités de désignation des experts. A ce sujet, vous remarquez que certains n'apprennent leur nomination qu'à la lecture de la presse professionnalisée, voire du Journal officiel .
Dans son livre, Irène Frachon nous apprend elle-même qu'un expert avait eu connaissance de sa nomination grâce à ses liens avec l'industrie pharmaceutique. Cet exemple illustre malheureusement l'existence de liens de consanguinité tenaces entre l'Afssaps et les entreprises privées. Il nous autorise en tout cas à nous interroger sur la responsabilité du pouvoir de nomination. L'exercice dépend-il réellement des pouvoirs publics ? Ne résulte-t-il pas plutôt d'un jeu de connivences ?
M. Lionel Benaïche . - Des connivences demeurent certes possibles. Un renforcement des procédures régissant les commissions et groupes de travail permettrait d'éviter cet écueil. Je l'appelle de mes voeux.
Ces conflits se poseraient sans doute avec une moins forte acuité si les agences s'appuyaient exclusivement sur des experts internes. La FDA, dont j'ai personnellement pu apprécier l'organisation pendant plusieurs semaines, fonctionne selon ce principe. L'agence canadienne compétente dans les domaines de la santé s'appuie, elle, sur des déontologues. Appelés « superviseurs », ils sont d'anciens avocats ou magistrats.
Nous pourrions proposer, selon ces modèles, une internalisation des experts des agences. Ils y travailleraient à plein temps, dans le cadre de détachements ou de mises à disposition. Leur statut leur offrirait des garanties de réintégration au sein de leur secteur d'origine.
M. François Autain , président . - Vous précisez, dans votre rapport, les différentes voies susceptibles d'être suivies en la matière. Vos propositions, je dois le reconnaître, sont très concrètes.
M. Lionel Benaïche . - La nomination doit en tout cas être reconnue comme un acte formel.
M. François Autain , président . - A ce sujet, j'ai noté dans votre rapport la considération suivante : « La nomination des experts de base apparaît répondre à des critères plus politiques que professionnels. »
M. Lionel Benaïche . - Je souhaitais souligner, avec cette phrase, le poids prépondérant des réseaux dans les processus de désignation. Les systèmes de sélection n'y ont historiquement guère eu leur place.
Il faudrait toutefois analyser de plus près les évolutions à l'oeuvre depuis mon départ de l'Afssaps.
M. François Autain , président . - Les progrès n'ont pas dû être très importants. Rappelons ici que vous n'êtes pas parti de l'Afssaps de votre plein gré. Vous en avez été évincé.
Seriez-vous favorable à la constitution, au sein de chaque agence, en sus de la structure de contrôle de l'expertise indépendante, d'une cellule de veille déontologique ?
M. Lionel Benaïche . - Oui. Ces cellules contribuent indiscutablement à sensibiliser les experts aux risques de conflits. Il serait cependant souhaitable qu'elles ne soient pas alors utilisées comme « des abris ».
Comme je vous l'ai rappelé au début de mon intervention, l'Afssaps a été la première à constituer ce type de cellule. Son modèle a depuis largement essaimé.
M. François Autain , président . - Vous conviendrez qu'il s'est cependant développé de façon très inégale.
M. Lionel Benaïche . - Il est vrai que ses promoteurs ont généralisé ce modèle sans se donner les moyens de vérifier l'effectivité de son application. Or, sans capacité de sanction, ces cellules ne pouvaient avoir qu'une efficacité très limitée. Il serait sans doute préférable, dans ce contexte, de changer tout simplement de système.
M. François Autain , président . - Dans votre rapport, vous avez également dénoncé la bureaucratie pléthorique des agences. Sur quoi cette critique se fonde-t-elle ? Selon vos informations, la situation a-t-elle, de ce point de vue, évolué depuis votre départ de l'Afssaps ?
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - A ces questions, j'en ajouterai deux. Le SCPC ne risquerait-il pas de pâtir à son tour d'une bureaucratisation excessive en assumant les fonctions de contrôle des liens d'intérêts ? Pourrons-nous toujours solliciter de nouveaux experts ?
M. Lionel Benaïche . - Je m'attacherai d'abord à justifier la critique que je formulais naguère à propos de l'organisation administrative des agences.
Je recevais, comme directeur de la cellule de veille, tous les experts internes, par définition tous fonctionnaires, exprimant le désir de travailler, pour des motifs divers, au sein d'entreprises privées. Nombre d'entre eux me disaient vouloir partir en raison même du fonctionnement hiérarchique de l'Afssaps, qu'ils ne comprenaient pas ou ne supportaient pas. Le nombre de contrôles était, il est vrai, extrêmement important. L'imposition d'une plus grande souplesse était certainement souhaitée.
Je puis vous confirmer que certains départements de l'Afssaps, notamment du fait de la diversité des contrôles imposés, se trouvaient de mon temps en situation de sureffectifs. Ce que montrait du reste le temps moyen d'instruction des dossiers.
M. François Autain , président . - Vous avez proposé, je crois, que la présidence de certaines commissions soit dorénavant assurée par des magistrats. Ceux-ci pourraient-ils selon vous davantage garantir que des médecins l'indépendance des processus décisionnels ? Nous pouvons imaginer qu'ils pourraient au moins oeuvrer, comme présidents, en faveur d'un plus grand respect des textes.
M. Lionel Benaïche . - Cette proposition n'est pas de moi. Je me suis en réalité contenté de reprendre les propos du professeur Labrousse Riou, qui avait elle-même discuté du sujet avec le professeur Drago. Aux Etats-Unis, les agences ont-elles-mêmes recours à des magistrats dans le cadre de procédures d'appel. C'est le système dit du misconduct .
Selon le professeur Labrousse Riou, l'appel à des présidents non issus des mondes de la médecine ou de la recherche - magistrats de la justice civile, magistrats de la justice administrative, magistrats de la Cour des comptes - est un élément de pacification. Garants de la bonne application d'une procédure, ces présidents savent aussi mieux que d'autres dédramatiser les conséquences d'éventuelles annulations.
Vous me demandez par ailleurs quelle serait l'évolution la plus souhaitable en termes d'effectifs. Nous pourrions aisément envisager, je crois, une réduction de moitié du nombre actuel d'experts employés par l'Afssaps.
M. François Autain , président . - Si je vous suis bien, la population passerait ainsi de 1 100 à 600 ou 500 individus.
M. Lionel Benaïche . - Votre évaluation est juste.
Internes, ces experts seraient par nature désintéressés. Afin de gérer au mieux leurs éventuels conflits, l'agence pourrait reprendre à son compte les propositions de la commission Sauvé. Ces dernières seraient finalement assez simples à mettre en oeuvre. Il est notamment envisagé d'obliger les experts nouvellement nommés à confier la gestion de leurs intérêts à des tiers. Ils éviteraient, ce faisant, leur cession pure et simple.
Malgré l'importance de son réseau, l'Afssaps a sans doute parfois peiné à s'appuyer, dans certains domaines, sur des personnes compétentes. Cette difficulté pourrait être aisément à l'avenir palliée grâce à la mise en place de véritables procédures d'appels à candidatures.
Gageons qu'une agence parviendra de toute façon toujours, en cas de déficit interne, à solliciter des personnalités extérieures en contact avec le terrain. Pour elle, cette ouverture, notamment préconisée par le professeur Bidet, ne pourra être que positive.
M. François Autain , président . - Vous faites référence, avec cette dernière observation, à un rapport sur le principe de précaution. Nous ne vous avons pas interrogé sur ce sujet, que vous avez cependant assez longuement traité dans votre propre rapport.
Dans le cas d'espèce qui nous préoccupe, le principe de précaution n'a sans doute pas été pris en compte. Selon le rapport de l'Igas, il n'a été appliqué « qu'à rebours ». Pour ses auteurs, ce principe a de fait davantage bénéficié au laboratoire qu'aux patients.
Les conditions dans lesquelles ce principe est interprété, notamment au sein de l'Afssaps, devront certainement être revues. La notion peut, il est vrai, prêter à confusion. Comme nous l'avons vu l'année dernière lors de la crise de la grippe A, nous tendons certainement parfois à confondre prévention et précaution.
M. François Autain , président . - Je vous remercie.
Audition de M. Jean ACAR, cardiologue, ancien chef de service de cardiologie à l'hôpital Tenon, fondateur du groupe valvulaire de la Société française de cardiologie, M. Mahmoud ZUREIK, directeur de recherche et Mme Agnès FOURNIER, épidémiologiste, à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) (mardi 17 mai 2011)
M. François Autain , président . - Nous accueillons pour cette audition trois personnalités : le professeur Jean Acar, cardiologue, ancien chef du service de cardiologie de l'Hôpital Tenon et fondateur du groupe de travail sur les valvulopathies de la société française de cardiologie ; Agnès Fournier, épidémiologiste à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) ; Mahmoud Zureik, directeur de recherche et épidémiologiste à l'Inserm.
Vous êtes tous trois au coeur d'une controverse. Chaque partie sera ici invitée à exposer sa thèse.
Avant de vous laisser la parole, je dois cependant vous signaler que cette audition est publique. Ouverte à la presse, elle est également filmée. Elle pourra être ultérieurement diffusée sur le site Internet, voire la chaîne Public Sénat.
Conformément à la législation en vigueur, je dois par ailleurs vous demander si vous entretenez des liens avec l'industrie pharmaceutique ou des structures conseillant l'industrie pharmaceutique.
M. Jean Acar, cardiologue . - Je n'entretiens aucune relation avec les laboratoires pharmaceutiques. Je précise n'avoir notamment jamais travaillé pour les laboratoires Servier. Je n'ai d'intérêts ni personnels, ni professionnels, ni politiques, ni financiers dans l'affaire du Mediator. Ma position est totalement indépendante. Je vous remercie de m'offrir l'occasion de l'exprimer.
M. Mahmoud Zureik, épidémiologiste . - J'entretiens des relations avec un laboratoire étranger - Bohringer - et un laboratoire français - Biocodex. Je n'ai en revanche aucun lien, direct ou indirect, avec les laboratoires Servier. J'ai également entretenu, par le passé, des liens avec le groupe suisse Novartis.
M. François Autain , président . - Vous êtes parallèlement directeur d'études au sein de l'Inserm. Avez-vous également des fonctions au sein de l'Afssaps ou de la Haute Autorité de santé (HAS) ?
M. Mahmoud Zureik . - Oui. Je suis notamment membre de la commission de la transparence de la HAS.
Mme Agnès Fournier, épidémiologiste . - Epidémiologiste à l'Inserm, je suis également membre du groupe de travail « plans de gestion des risques et pharmaco-épidémiologie » de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps). Je n'entretiens en revanche aucun lien avec l'industrie pharmaceutique.
M. François Autain , président . - Nous vous laissons exposer les termes de la controverse qui vous oppose.
Mme Agnès Fournier . - Je dirai d'abord quelques mots du contexte dans lequel nous avons été amenés, Mahmoud Zureik et moi-même, à calculer le nombre de décès par valvulopathie attribuables au Mediator.
Cette question - Combien de morts ? - est le sous-titre, initialement censuré, du livre d'Irène Frachon. Elle a été relayée dans les médias pour la première fois durant l'été 2010. S'appuyant sur une thèse en pharmacie de Flore Michelet, le député Gérard Bapt estimait alors, dans une tribune restée fameuse, entre cinq cents et mille le nombre de décès provoqués par le médicament. L'Afssaps a alors immédiatement commandé à la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam) une étude devant permettre d'obtenir « un début de documentation [sur] l'impact du benfluorex sur la mortalité » .
En octobre 2010, l'Afssaps nous a elle-même sollicités pour examiner le rapport finalement remis par la Cnam. Après nous être entretenus, au cours de conférences téléphoniques, avec les responsables de l'assurance maladie, nous avons nous-mêmes évalué entre mille et deux mille le nombre de décès imputables au Mediator. Une de nos consoeurs, Mme Catherine Hill, a de son côté estimé à cinq cents le nombre minimal de décès.
La seconde estimation ne comptabilise cependant que des traitements observés sur des périodes de cinq ans. Or le sur-risque de mortalité chez une personne atteinte de valvulopathie existe bien au-delà. Nous nous sommes efforcés, de notre côté, d'intégrer cette donnée.
Ces estimations ont été remises en question par le professeur Jean Acar dans deux notes publiées sur Internet. Ses critiques portent plus particulièrement sur la méthodologie des études de la Cnam que nous avons utilisées pour nos évaluations.
Nous devons reconnaître que la controverse qui nous oppose, qui peut s'apparenter de prime abord à une simple querelle de chiffres, est assez technique. J'espère qu'elle ne parasitera pas la compréhension des questions de fond posées concernant les dysfonctionnements de notre système d'évaluation.
La fixation de l'ordre de grandeur des décès imputables au Mediator nous a semblé constituer un préalable à la qualification de ces dysfonctionnements. Sommes-nous confrontés à un drame sanitaire ? Si oui, de quelle ampleur est-il ? Il serait cependant illusoire, et finalement inutile, de vouloir arrêter une estimation très précise.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - L'affaire implique évidemment d'abord des femmes et des hommes. Pour nous, la connaissance des différentes bases méthodologiques sur lesquelles vous vous êtes fondés n'en demeure pas moins primordiale.
L'évaluation du nombre de décès dus au Mediator ne fait effectivement pas l'objet de constats unanimes. Selon certains, seuls dix-sept morts seraient d'ailleurs véritablement imputables au médicament. Nous estimons cependant, en tant que parlementaires, que le médicament demeurerait un problème de santé s'il était prouvé que sa prise n'avait finalement causé que le décès d'un seul patient.
Comme nous l'avons compris en étudiant les conditions de prescription du Vioxx, les médicaments comme le Mediator sont mis sur le marché à partir de normes pasteuriennes. Prescrits pour le traitement de pathologies chroniques, leur prise entraîne très souvent des effets indésirables.
M. Mahmoud Zureik . - Les chiffres que vous citez, madame le rapporteur, proviennent très probablement du système d'enregistrement des notifications. Or celui-ci n'offre aucun moyen d'évaluation du nombre de victimes.
Chacun sait que le nombre de notifications est très largement sous-estimé - dans des proportions de un à vingt - et que le nombre réel de victimes est malheureusement beaucoup plus élevé que le nombre de personnes portant effectivement plainte.
L'histoire du Mediator avait débuté il y a trente-trois ans. Elle a sans doute déjà été marquée par de très nombreux décès. La réalisation des imputations des cas de valvulopathie n'est cependant pas évidente. Dans le cas d'espèce, l'examen individuel des notifications ne nous paraît pas adéquat. Or, l'adéquation est, avec la fiabilité, une condition sine qua non de la réalisation d'évaluations fiables.
La question fondant toute étude peut être ainsi formulée : la prise du Mediator peut-elle être une cause de valvulopathie ? Pour notre part, nous y répondons sans ambiguïté par l'affirmative. Cette première question posée, nous nous devons de comparer le taux de mortalité des personnes sous traitement par rapport au taux de mortalité des personnes n'étant pas sous traitement. Les calculs afférents sont d'une extrême simplicité. Ils reposent finalement sur des méthodes couramment utilisées, valant souvent également pour l'évaluation de l'exposition à d'autres médicaments, tel le Vioxx.
M. Jean Acar . - Je peux me présenter, je crois, comme un spécialiste des valvulopathies. Je suis certes retraité depuis 1996. Mais j'ai exercé, pendant vingt-cinq ans, des fonctions de chef de service et ce, dans deux hôpitaux (Créteil, Tenon). En 1977, j'ai parallèlement créé, au sein de la Société française de cardiologie, un groupe de travail sur le problème des maladies valvulaires. Pendant quatre ans, j'ai également été responsable du groupe de travail Heart diseases, l'équivalent européen de cette société.
Je suis persuadé du caractère potentiellement pathogène, pour les valves cardiaques comme pour le réseau pulmonaire, du principe actif du Mediator, le benfluorex. Ce point fait certainement l'unanimité. Les divergences ne portent finalement que sur le degré de dangerosité de la molécule.
Je peux convenir que le benfluorex aurait dû être retiré du marché bien avant novembre 2009. Je ne peux pour autant approuver les évaluations réalisées de part et d'autre. C'est sur cette question précise que je m'expliquerai.
Je suis intervenu sur ce dossier sous la pression de deux groupes de personnes : des familles dont l'un des membres s'était vu prescrire le Mediator ; d'anciens élèves cardiologues me disant ne pas bien comprendre les résultats des études produites par la Cnam.
Je dirai quelques mots concernant ces études. La première, appelée Cnam 1, a mis en évidence, chez des diabétiques exposés au Mediator, un sur-risque d'hospitalisation.
M. François Autain , président . - Cette étude a d'ailleurs été publiée dans la presse internationale.
M. Jean Acar . - Oui. Le travail a été mené sous la responsabilité d'une équipe dirigée par M. Weill. Cette dernière comptait dans ses rangs d'éminents épidémiologistes. Elle n'intégrait en revanche aucun cardiologue.
L'étude devait quantifier, à travers le suivi d'une population témoin, les risques d'hospitalisation pour insuffisance valvulaire ou chirurgie cardiaque. Nous pouvons cependant aujourd'hui nous demander si les groupes constitués étaient comparables. D'autant que certains facteurs confondants n'ont pas été analysés : les caractères du diabète ; l'indice de poids corporel ; l'hypertension artérielle, phénomène fréquent qui peut favoriser, voire causer, la régurgitation valvulaire.
La deuxième étude, appelée Cnam 2, a analysé les causes des décès survenus au sein d'une population de patients exposés au Mediator - population composée pour une moitié de diabétiques et pour une autre moitié de non-diabétiques, de tous âges, hospitalisés pour des lésions valvulaires, suivis durant quatre ans à cinq ans et demi. Elle n'a cependant pas intégré de groupe témoin.
La troisième étude a consisté en une extrapolation des résultats obtenus à l'ensemble de la population française. A l'époque, ses auteurs estimaient couvrir ainsi 2,6 millions de personnes. D'autres estimations ont pu être données par la suite.
Le 15 novembre 2010, lors d'une séance exceptionnelle, l'Afssaps a repris à son compte l'estimation de Catherine Hill : 465 décès peuvent être imputés au Mediator sur une période de cinq ans et demi, ainsi que 3 500 hospitalisations et 1 750 remplacements valvulaires sur une période de quatre ans. Les médias ont accordé une très large publicité à ces premières informations.
Avant que mes collègues épidémiologistes n'établissent leur propre estimation, Catherine Hill avait elle-même très rapidement refixé à cinq cents le nombre de décès imputables au médicament.
Menées par des épidémiologistes reconnus, ces enquêtes de la Cnam, nationales, ont constitué un véritable tournant dans l'histoire du Mediator. En tant que cardiologue spécialiste des valves, je conteste cependant leurs résultats. Mes réserves portent sur trois points : la méthodologie, l'analyse des décès et les extrapolations.
J'en profite pour souligner que les méthodologies critiquées ont été utilisées pour la première fois pour l'évaluation de la dangerosité d'un médicament.
M. François Autain , président . - Je crois que personne ne conteste ce constat.
M. Jean Acar . - Il serait en tout cas intéressant de tester la crédibilité de ces résultats avec d'autres molécules.
Je discuterai d'abord de la méthodologie. Les enquêtes reposent finalement sur deux sources, le système national d'information inter-régimes de l'assurance maladie (Sniiram) et le programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI).
Outil de travail précieux pour la réalisation des allocations budgétaires, le PMSI permet de classer les patients au sein de groupes homogènes, établis selon les codes de l'American Society of International Medicine (Asim) et de l'OMS. Cette méthode a cependant des limites en matière d'épidémiologie. A l'évidence, son application est une cause d'erreurs et d'approximations. En 2005, l'Assistance publique des hôpitaux de Paris (AP-HP) estimait elle-même entre 15 % et 20 % les erreurs de classification dues aux difficultés de codage. La proportion était déjà assez importante.
Sur le fond, je dois rappeler que les enquêtes de la Cnam avaient pour objet la sélection des valvulopathies liées au benfluorex. Elles devaient pointer des insuffisances valvulaires pures, organiques et restrictives. Faute de code applicable aux valvulopathies médicamenteuses, les auteurs des enquêtes ont tenté de convoquer toutes les insuffisances valvulaires indépendamment de leurs causes. Ils ont ainsi eu recours à un code binaire, pointant soit des insuffisances valvulaires rhumatismales, soit des insuffisances non rhumatismales. Or, comme dans les autres pays industrialisés, les secondes sont en France devenues rares. Les maladies dégénératives en constituent de loin les causes les plus fréquentes. Cette classe, non individualisée dans les bases, est cependant forcément sous-représentée.
La réalisation d'erreurs était sans doute inévitable avec le type de codage utilisé. Prenons l'exemple des polyvalvulaires, ces malades souffrant de lésions au niveau de plusieurs valves. Dans deux cas sur trois, les valvulopathies médicamenteuses entraînent ce type de lésions.
Deux codages ont été utilisés pour cette population. L'un d'entre eux fait appel à un code spécifique regroupant, sous la même appellation - « atteintes valvulaires » - les trois grands types de dysfonctionnement des valves : un rétrécissement ; une insuffisance ; l'association d'un rétrécissement et d'une insuffisance.
Comme la lecture des tableaux et des textes de Cnam 2 permet de le comprendre, le rétrécissement aortique et le rétrécissement mitral ne peuvent cependant être causés par l'action du benfluorex. Sur les 165 patients suivis, le lien a pourtant été établi quarante et une fois, soit pour un quart des polyvalvulaires. La sélection des patients a ainsi souffert d'importants biais méthodologiques.
Je m'interroge par ailleurs sur l'analyse réalisée des soixante-quatre cas de décès pointés. Agées en moyenne de soixante-neuf ans au moment de leur disparition, les personnes du groupe souffraient de multiples pathologies, dont des insuffisances coronariennes, des hypertensions artérielles et des insuffisances respiratoires. Il est difficile de ne pas penser qu'elles n'ont pas, en l'occurrence, joué un rôle.
La réalisation d'études individuelles montre qu'un fait étranger à l'action du benfluorex - et souvent également au système cardiaque - était en l'espèce en cause dans un cas sur trois : une hémorragie cérébrale, une tumeur, un cancer. Dans les deux tiers des cas, le benfluorex pourrait donc certes être l'agent responsable de la mort, mais au même titre que toute autre cause d'insuffisance valvulaire.
Malheureusement, les dossiers des quarante-six personnes hospitalisées - deux tiers des soixante-quatre cas étudiés - n'ont pas été consultés. L'on y aurait trouvé les échocardiogrammes, les comptes rendus opératoires ou les comptes rendus anatomiques. Ces pièces auraient permis aux auteurs de Cnam 2 de faire état d'opinions plus fortes. Ces analyses au cas par cas ont cependant été négligées. Elles ont peut-être été jugées superflues ou incompatibles avec la réalisation d'études épidémiologiques.
Les auteurs de ces enquêtes ont dû penser pouvoir s'appuyer sur de seuls calculs statistiques. Les vérités ainsi obtenues ne correspondent cependant pas aux vérités cardiologiques.
Ma dernière réserve concerne, je vous l'ai dit, les extrapolations statistiques. Catherine Hill a réalisé l'exercice en se fondant sur les enquêtes de la Cnam. Il lui a inspiré un article récemment publié dans la presse médicale.
Ces extrapolations reposent sur les postulats suivants : le nombre d'hospitalisations pour insuffisances valvulaires chez les malades exposés au benfluorex est multiplié par trois dans une cohorte de diabétiques de quarante à soixante-neuf ans (cf. étude Cnam 1) ; les mêmes règles peuvent s'appliquer pour le calcul de la fraction de décès attribuables au benfluorex.
Je conteste pour ma part le second de ces deux postulats. De l'aveu même de Catherine Hill, l'extrapolation du nombre de décès au regard du nombre d'hospitalisations ne peut se réaliser qu'à deux conditions : le facteur 3 de sur-risque s'applique à la population générale de tout âge, qu'elle soit diabétique ou non ; le même taux de mortalité doit être affiché parmi les patients atteints de valvulopathies causées par l'action du benfluorex et parmi les patients atteints d'autres maladies valvulaires. Ces présupposés se heurtent également aux réalités cardiologiques.
Si ces enquêtes montrent un lien entre l'apparition de valvulopathies et l'action du benfluorex, elles ne permettent pas, en revanche, de quantifier le degré de dangerosité de la molécule. A cet égard, les statistiques de morbidité annoncées manquent certainement de crédibilité ; elles reposent de fait sur l'extrapolation de données de base partiellement erronées.
La réalisation d'une nouvelle évaluation serait souhaitable. L'exercice serait confié à un comité d'experts élargi, qui rassemblerait des épidémiologistes, mais aussi des cardiologues spécialisés et des chirurgiens cardiaques.
M. Mahmoud Zureik . - Le professeur Acar essaie de réduire le débat à une confrontation entre cardiologues et épidémiologistes. Nous ne nous situons pas dans cette optique : les épidémiologistes ont toujours travaillé avec les cardiologues.
Les épidémiologistes ont joué un rôle majeur dans la compréhension des problèmes qui nous occupent. Il y a soixante ans, l'étude de Framigan était publiée. Depuis, de multiples autres études de cohortes ont été menées, telles les études prospectives Parisien 1 et Parisien 2.
La méthode employée par les épidémiologistes de la Cnam pour pointer le sur-risque de valvulopathie chez les personnes diabétiques ayant pris le Mediator ne nous paraît pas problématique. Ils ont d'abord limité leurs analyses à des diabétiques d'un certain âge. Ils ont ensuite scrupuleusement intégré les affections de longue durée cardio-vasculaires (ALD), ainsi que l'âge et le sexe des patients. Il est vrai qu'ils n'ont en revanche pas intégré l'indice de masse corporelle. L'élément n'était pas disponible. Dans la mesure où il ne constitue pas un facteur de formation des valvulopathies, son intégration n'aurait cependant rien changé.
Concernant la méthode employée par nos confrères, le professeur Acar met largement en avant les considérations liées à l'âge, observant que les personnes décédées étaient pour la plupart déjà assez âgées. Il a sans doute raison de rappeler que des personnes âgées atteintes de valvulopathies ont plus de risques de mourir que des personnes jeunes et en bonne santé.
L'une des études compare le principe actif du Mediator à une autre molécule utilisée pour le traitement des diabétiques, la pioglitazone.
M. François Autain , président . - Une molécule que nous retrouvons dans la composition d'un autre médicament, l'Actos.
M. Mahmoud Zureik . - Oui.
Dans l'une des deux études de la Cnam, 55 % des patients traités avec le Mediator souffraient d'anomalies valvulaires avant même le début du suivi. L'âge moyen des personnes observées, divisées en deux groupes, était de soixante ans. Sur une période de traitement d'un an, vingt-six d'entre elles ont connu des anomalies supplémentaires.
La dégénérescence est sans doute le facteur principal de l'apparition de la pathologie. Au regard de l'étude, le Mediator a cependant constitué, au même titre que l'âge, un facteur aggravant.
Mme Agnès Fournier . - Les études de la Cnam, reposant sur des registres de remboursements de médicaments, ne sont pas particulièrement originales. Elles sont en tout cas très courantes dans d'autres pays, notamment d'Europe du Nord. Les méthodes employées, standard, sont largement reconnues et validées.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Vous semblez confondre l'utilisation et la validation.
Mme Agnès Fournier . - Ce sont des méthodes utilisées internationalement parce qu'elles ont été validées.
Ce que le professeur Acar qualifie d'insuffisances méthodologiques constitue en réalité des caractéristiques propres aux études commentées. En tant que méthodologistes, nous savons fort bien les intégrer. Elles ne constituent pas un handicap.
Autrement dit, le fait que le PMSI ne repose pas sur des codes très détaillés ne nous empêche pas de comptabiliser les cas en excès attribuables au Mediator. Sur le fond, nous considérons que le surcroît de mortalité constaté parmi les personnes les plus âgées n'est pas de nature à invalider les résultats des études Cnam. Le professeur Acar a pointé une évidence qui ne devrait étonner personne.
La comparabilité des groupes au sein de Cnam 1 a été discutée. Je considère que les auteurs de cette première étude ont fait un choix très pertinent en décidant de n'étudier que les personnes diabétiques. Ce focus leur a permis de lisser les caractéristiques des patients des deux groupes et de les rendre comparables, notamment en termes d'hypertension artérielle.
Nous avons constaté, à l'étude d'une autre cohorte, que les caractéristiques des femmes ayant pris du Mediator étaient comparables à celles de femmes qui n'en avaient pas consommé. Cette comparabilité permet d'éviter un biais de confusion, qui invaliderait le ratio de risque mis en évidence.
Nous estimons, au regard de ces éléments, que l'étude Cnam 1 a été réalisée de la façon la plus sérieuse possible.
Deux estimations de la population exposée au Mediator ont été données. Elles varient du simple au double. La fourchette basse - 2,5 millions de personnes - repose sur une durée d'utilisation surestimée. La fourchette haute - 5 millions de personnes - nous paraît aujourd'hui autrement plus crédible.
Certaines des pathologies polyvalvulaires ont effectivement été identifiées au moyen d'un code susceptible de déceler à la fois les rétrécissements et les insuffisances. Il concerne cependant assez peu de patients. Selon nous, son incidence sur les estimations est extrêmement marginale.
M. François Autain , président . - Cette incidence est-elle difficile à quantifier ?
Mme Agnès Fournier . - Sur un total de 597 cas de polyvalvulopathies, seulement quarante ont été identifiés, je crois, grâce à ce code. Sur ces derniers cas, quelques-uns étaient bien dus à des insuffisances. Il serait cependant aujourd'hui difficile de les compter très précisément.
Le professeur Acar se demande pourquoi les auteurs de la première étude Cnam n'ont pas consulté les dossiers médicaux des patients. Il y a sans doute à cela deux raisons. Sur le fond, la consultation n'était sans doute guère utile ; nous pouvions déjà, en appliquant des méthodes épidémiologiques adaptées, évaluer le nombre de cas en excès attribuables au Mediator. Elle se heurtait cependant surtout à des obstacles pratiques insurmontables. Les données de la Cnam étant anonymes, la sollicitation des dossiers était tout simplement impossible. Quand bien même nous aurions pu les obtenir, ceux-ci se seraient certainement révélés incomplets. Faute d'informations suffisantes, notamment sur la réalisation des opérations, nous n'aurions pas pu confirmer ou infirmer l'imputabilité de la pathologie au Mediator.
Dans ce cas d'espèce, la démarche épidémiologique apparaît bien comme la plus adaptée. Son suivi nous a permis de nous appuyer sur des estimations assez précises.
M. Jean Acar . - Je ne m'étendrai pas sur le fait que les personnes âgées atteintes de valvulopathie ont plus de risques de décéder que des personnes jeunes et bien portantes. La critique n'était de toute façon pas fondamentale. Je reprendrai en revanche les autres points discutés.
M. Zureik affirme que les cardiologues travaillent fréquemment avec les épidémiologistes. Au regard de la liste des signataires des deux études de la Cnam, nous pouvons en douter : elles ne comptent aucun nom de cardiologue. S'agissant de domaines aussi pointus que les cardiopathies valvulaires ou les insuffisances valvulaires, il aurait pourtant été utile de solliciter des cardiologues ou des chirurgiens cardiaques.
Dans l'étude Cnam 1, qui porte sur des patients âgés de quarante à soixante-neuf ans, les affections de longue durée sont beaucoup moins fréquentes que dans l'étude Cnam 2. Mais c'est là un détail. Il est un autre point qui est au contraire fondamental : l'hypertension artérielle favorise le développement des régurgitations valvulaires. Une augmentation des résistances périphériques suffit à entraîner une augmentation de la régurgitation aortique. L'évolution, en entraînant des insuffisances ventriculaires gauches, peut alors créer des insuffisances mitrales. Des statistiques ont même montré qu'elle favorisait toutes les régurgitations valvulaires aortiques.
Malheureusement, les auteurs de cette première étude ne traitent pas de l'hypertension artérielle. Le diabète peut provoquer cette hypertension. Il est un facteur, plus généralement, de complications cardio-vasculaires et de maladies coronariennes. Cependant, la surcharge pondérale peut elle-même également provoquer une hypertension artérielle. Selon toutes les statistiques, la pathologie est plus fréquente chez des personnes obèses que chez des personnes affichant un indice pondéral normal.
L'étude Regulate a été menée, elle, par Mme Derumeaux, une cardiologue et échocardiographiste renommée. Son travail, prospectif, a cependant porté sur des patients totalement asymptomatiques. Selon cette étude, la prise du traitement, sur une période d'un an, peut certes entraîner des anomalies mineures. Celles-ci ne sont cependant pas suffisantes pour déboucher sur des manifestations cliniques.
M. François Autain , président . - Ces anomalies sont certainement également susceptibles de disparaître avec l'arrêt du traitement.
M. Jean Acar . - Vous avez raison. C'est là l'une des particularités des valvulopathies médicamenteuses : une fois le traitement arrêté, les insuffisances ne s'aggravent que très rarement ; au contraire, elles régressent dans un tiers des cas.
Mme Fournier minimise l'importance de la formation de rétrécissements mitraux, soulignant qu'ils ne concernent que quarante et un des patients dits polyvalvulaires. La proportion est tout de même d'un quart. Parmi ces derniers, certains sont sans doute atteints d'insuffisances. Mais les insuffisances pures sont beaucoup plus rares que les sténoses et les doubles sténoses.
Les autres objections que j'ai formulées concernant la méthodologie restent, je crois, parfaitement valables. Vous ne les avez d'ailleurs pas contestées.
Vous avez toutefois jugé inutile la consultation des dossiers, arguant que celle-ci était de toute façon dans la pratique impossible et que la vérité pouvait être obtenue par d'autres voies. En l'espèce, la convocation de données statistiques ne me paraît en tout cas guère pertinente. Les chiffres mis en évidence ne reflètent pas la réalité.
Permettez-moi de vous faire part d'une expérience menée par le service de cardiologie de l'Hôpital Tenon. Nous avons publié, dans les Archives des maladies du coeur , un bilan des valvulopathies opérées entre 1970 et 1990. Les recherches étiologiques ont mobilisé toute mon équipe pendant des mois.
Nous pouvions nous appuyer, pour l'occasion, sur une base de 2 600 dossiers. Ils nous ont permis, dans l'immense majorité des cas, de déceler précisément les facteurs d'apparition des valvulopathies. La consultation des dossiers était pour nous la meilleure façon de nous rapprocher de la vérité. Une seconde méthode pouvait cependant être employée à raison : l'échocardiographie.
Je suppose que vous avez également auditionné, monsieur Autain, des chirurgiens cardiaques.
M. François Autain , président . - Je vous invite à préciser votre question. Feriez-vous référence à l'équipe de l'Hôpital Béclère ?
M. Jean Acar . - Non. Je pensais au service de chirurgie cardiaque de la Pitié-Salpêtrière. Ses membres sauraient compléter mon intervention.
M. François Autain , président . - Nous n'avons pas reçu vos collègues. Nous avons en revanche déjà prévu d'auditionner les professeurs Humbert et Simonneau.
M. Jean Acar . - Ces derniers sont des spécialistes des hypertensions pulmonaires.
Dans les domaines de la chirurgie cardiaque, l'Assemblée nationale a entendu le professeur Gandjbakhch. Il a parfaitement décrit, je crois, le fonctionnement des valvulopathies médicamenteuses. Des diagnostics peuvent être établis sur la seule base d'analyses de coupes et de comptes rendus opératoires.
M. Mahmoud Zureik . - Nous acceptons évidemment l'existence de différences de raisonnements. Certains des constats formulés par le professeur Acar ne nous paraissent cependant pas recevables.
Alors que le risque absolu de maladies graves susceptibles d'être entraînées par la prise du Mediator est faible - 3 pour 10 000 personnes - la base de 850 patients prise en compte dans telle étude contestée était manifestement insuffisante. Malgré l'étroitesse de ce groupe, trois cas de polyvalvulaires multiples ont été décelés. C'est une donnée significative.
Un problème de fond mérite par ailleurs ici d'être posé. Les auteurs des études Cnam ont étudié les valvulopathies constatées chez les patients traités avec le Mediator. Contrairement à ce qui a été affirmé par ailleurs, il ne leur était en revanche pas demandé de s'intéresser aux valvulopathies liées à l'action du benfluorex.
Les résultats de cette évaluation sont univoques : toutes valvulopathies confondues, trois fois plus de cas ont été constatés au sein du groupe sous traitement avec le Mediator que dans le groupe non soumis à ce traitement. La proportion des valvulopathies liées à l'action du benfluorex est a fortiori encore plus importante.
Nous réaffirmons le caractère scientifique des méthodes utilisées pour la réalisation des études Cnam. Elles étaient reconnues avant l'affaire du Mediator. Celle-ci ne les a pas remises en cause. Des outils adaptés à l'évaluation des expositions d'une population d'un million d'individus devaient être proposés. Ce souci a bien été observé.
Pour l'appréciation des expositions négatives causées par la prise de l'Avandia - un autre médicament utilisé pour le traitement du diabète -, nos collègues anglo-saxons ont adopté les mêmes méthodes : d'un côté, ils ont suivi des patients traités avec ce médicament ; de l'autre, des patients traités avec les autres médicaments concurrents.
M. François Autain , président . - Rappelons que le principe actif de l'Avandia est la rosiglitazone.
M. Mahmoud Zureik . - Les résultats de l'étude sont en tout cas là aussi apparus sans appel : ils ont permis de démontrer qu'un patient diabétique traité avec l'Avandia avait 1,5 fois plus de risques de souffrir à terme de pathologies cardio-vasculaires qu'un patient non traité de la sorte. La commercialisation du médicament a été suspendue.
M. François Autain , président . - Il reste commercialisé aux Etats-Unis.
M. Mahmoud Zureik . - Vous avez raison. La suspension n'a été décidée qu'en Europe. L'étude n'a cependant pas causé la controverse que nous avons vu se développer par la suite à propos des évaluations des effets du Mediator.
Vous le voyez, l'absence d'analyses au cas par cas ne prouve pas l'absence de sur-risque.
M. Jean Acar . - La bonne méthode est celle qui nous rapproche de la vérité. Les chiffres ne nous aident pas forcément à l'atteindre.
Je peux évidemment convenir avec Mme Fournier et M. Zureik que la réalisation d'analyses au cas par cas n'est d'aucune utilité pour la conduite de certaines enquêtes nationales. Dans des circonstances bien précises, pour un nombre d'observations limitées, celles-ci doivent en revanche s'imposer.
M. François Autain , président . - La consultation n'est probablement pas toujours possible. Il en va sans doute ainsi des dossiers de patients décédés depuis quinze ou vingt ans.
M. Jean Acar . - Je puis vous assurer que ces consultations sont possibles dans la plupart des cas. Certes, des exceptions existeront toujours.
En l'absence de dossiers, les auteurs d'une étude doivent au moins pouvoir s'appuyer sur des comptes rendus opératoires.
M. François Autain , président . - Vous convenez cependant que l'exercice peut être parfois rendu très difficile.
M. Jean Acar . - Oui. Il faut cependant s'assurer de l'existence de ces difficultés avant de les dénoncer.
M. François Autain , président . - L'anonymat des données constitue sans doute, le cas échéant, l'un des plus importants obstacles.
M. Jean Acar . - Vous avez peut-être raison.
M. Zureik assure que le nombre d'hospitalisations et d'opérations chirurgicales pour remplacement valvulaire est multiplié par trois, par rapport à l'autre cohorte, chez les patients exposés à l'action du benfluorex.
Cette règle est cependant appliquée quelle que soit la population prise en compte. Or, la population suivie dans Cnam 1 n'est pas celle suivie dans Cnam 2. Ni les tranches d'âges, ni la répartition des patients par sexe ne sont les mêmes. La proportion de femmes est ainsi de 75 % dans l'une et de 52 % dans l'autre.
Les indications sont elles-mêmes également distinctes. Les patients suivis dans l'une des deux études sont de ce point de vue divisés en deux groupes : certains, constituant la moitié du groupe, prenaient le Mediator comme un coupe-faim ; les autres l'utilisaient effectivement comme un antidiabétique. Les taux d'ALD et de maladies cardio-vasculaires associées divergent aussi profondément.
Il n'est pas possible, dans ces circonstances, d'extrapoler d'un cas à l'autre.
Contrairement à Catherine Hill, je crois cependant primordial le critère de l'âge. Pour ce type de calcul, ce qui est valable à un certain âge, nous dit cependant cette épidémiologiste, reste valable à un autre âge de la vie. Imaginons alors deux populations d'âge différent : d'une part, une population âgée de cinquante-huit à soixante-cinq ans, soit la tranche retenue dans Cnam 1 ; d'autre part, une population âgée de soixante-six à soixante-quatorze ans.
Concernant ce critère, les auteurs de Cnam 1 ont malheureusement négligé d'intégrer dans leurs calculs une relation majeure : la prévalence ou la fréquence des valvulopathies non liées à l'action du benfluorex - le plus souvent des valvulopathies dégénératives (insuffisances aortiques, insuffisances mitrales) - augmente régulièrement avec l'âge ; elle augmente même brusquement à partir d'un certain âge.
Un récent article, paru dans la revue The Lancet , était intitulé « Le fardeau des valvulopathies pour la société ». Il était bien entendu question du fardeau économique. Les auteurs du travail ont étudié la prévalence des valvulopathies et, de façon plus secondaire, leur suivi. Ils ont montré que leur prévalence s'était fortement accrue au cours des deux dernières décennies.
Pour appuyer leurs propos, ces scientifiques ont eux-mêmes mis en avant deux études : d'un côté, une étude portant sur la population générale ; de l'autre, une étude focalisée sur une communauté basée près de Rochester. Ils ont constaté que les prévalences de l'insuffisance mitrale et de l'insuffisance aortique étaient respectivement six et deux fois plus importantes au sein de la population la plus âgée.
Nous verrons nous-mêmes les cas d'insuffisances valvulaires non liés à l'action du benfluorex croître de façon très conséquente au cours de la prochaine décennie. Autrement dit, le poids du benfluorex sera à l'avenir d'autant moins important que la population prise en compte sera âgée.
Au vu de ces explications, j'admets volontiers le sur-risque retenu dans le cadre de l'étude Cnam 1. Il est là de niveau 3. Le sur-risque appliqué à des populations âgées dans le cadre de l'étude Cnam 2 me paraît en revanche nettement surestimé.
M. François Autain , président . - Je laisserai la parole à la défense. Les critiques se concentrant sur votre étude, l'expression n'est pas inappropriée. Nous pouvons peut-être l'intituler, pour plus de simplicité, « Cnam 3 ».
Mme Agnès Fournier . - Ce titre ne nous dérange pas.
L'augmentation avec l'âge de la prévalence des insuffisances mitrales signifie simplement que l'âge est un facteur de risque d'insuffisance mitrale. Mais le fait n'a rien d'exceptionnel : l'âge est un facteur de risque dans de nombreuses pathologies.
Lorsque nous affirmons que le risque est multiplié par trois, le critère de l'âge a déjà été pris en compte : à âge égal, le risque est multiplié par trois. Cela poserait un problème si l'âge n'était pas seulement un facteur de risque mais un facteur de modification. Si, autrement dit, le benfluorex multipliait par trois le facteur de risque chez les personnes les plus jeunes et par dix le facteur de risque chez les personnes les plus âgées. Dans les cas d'espèce étudiés, ces relations ne se vérifient pas.
M. Jean Acar . - Vous admettez, dès lors, que les statistiques mises en avant sont fausses.
Mme Agnès Fournier . - Non. Nous observons, au sein de tel groupe de mille personnes jeunes, dix valvulopathies chez des individus non exposés et trente chez des individus exposés. Le différentiel est de vingt. Au sein d'un groupe de mille personnes assez âgées, nous observons parallèlement cent valvulopathies chez des individus non exposés et trois cents chez des individus exposés. Le différentiel est de deux cents.
Le risque de base n'étant pas le même, le différentiel ne peut être le même. La relation est à la fois classique et normale.
M. Jean Acar . - Je ne peux admettre cette conclusion.
M. Mahmoud Zureik . - Si elles sont réalisées correctement, les évaluations statistiques reflètent la réalité.
Vous pensez, monsieur Acar, que le Mediator était finalement moins dangereux pour des personnes âgées que pour des diabétiques. L'affirmation est pour le moins curieuse.
Permettez-moi de préciser à mon tour le sens de l'emploi de l'expression « facteur 3 » : après application de tests statistiques visant l'identification d'interactions, nous constatons une relation de cet ordre à âge égal et à sexe égal.
Le facteur 3 a été incorporé dans d'autres études. Citons, parmi celles-ci, l'étude Regulate et l'étude menée par l'équipe du professeur Jung. Cette dernière, basée à l'Hôpital Bichat, a réalisé des analyses détaillées de quarante-cinq dossiers. Sur la population prise en compte, elle a estimé que deux décès sur trois étaient dus au Mediator. Cette proportion induit également un risque relatif de 3.
Repris par de nombreuses équipes, les résultats de l'étude Cnam 1 peuvent être difficilement mis en doute.
M. Jean Acar . - M. Zureik cite une étude menée par le professeur Bernard Jung. C'est un cardiologue compétent et honnête, avec qui j'ai moi-même longtemps travaillé.
M. François Autain , président . - Son discours n'est cependant pas aujourd'hui des plus clairs.
M. Jean Acar . - Le professionnalisme de ce cardiologue n'est en tout cas pas en cause.
M. François Autain , président . - Je n'ai pas affirmé cela.
M. Jean Acar . - Son étude ne permet en tout cas pas d'établir un risque relatif. Les laboratoires Servier ont envoyé au professeur Jung une liste de quarante-cinq observations, en précisant qu'elles émanaient de médecins français voyant de possibles relations entre la prise du Mediator et l'apparition de valvulopathies. Il a été invité à exprimer sa propre opinion, en se fondant sur les dossiers des patients cités.
Conduit à réaliser une véritable étude de pharmacovigilance, le professeur Jung a estimé que le principe actif du Mediator était dans un certain nombre de cas nocif. La probabilité pour qu'il ait entraîné des affections valvulaires est de fait très forte. Il n'est pas pour autant possible d'évaluer sur cette base un risque relatif.
Sur les dix-sept patients opérés pris en compte dans le cadre de ce dernier travail, la relation de cause à effet est apparue très probable dans six cas, possible dans six cas et improbable dans cinq cas.
M. François Autain , président . - Les proportions varient de fait relativement peu d'une étude à l'autre.
M. Jean Acar . - Ne portant que sur dix-sept patients, le travail du professeur Jung ne peut de toute façon pas à proprement parler prétendre au rang d'étude.
M. Mahmoud Zureik . - Nous n'affirmons pas que cette étude pointe un risque relatif. Nous maintenons en revanche que les résultats mis en évidence ne contredisent pas les estimations présentées par ailleurs.
M. François Autain , président . - Nous vous remercions de vos présentations. Je laisserai maintenant Mme le rapporteur vous adresser ses observations et questions.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Nous sommes confrontés à deux types d'expertise : l'une exprime une vérité statistique, l'autre une vérité clinique. Au vu de ces échanges, vos points de vue paraissent malheureusement irréconciliables. Rien ne vous empêcherait pourtant de chercher à proposer conjointement des simulations alternatives susceptibles de convenir à toutes les parties.
M. Mahmoud Zureik . - Je puis vous assurer qu'il n'existe pas deux vérités.
Permettez-moi de vous faire remarquer que le débat que nous avons tenu ici est très franco-français.
M. François Autain , président . - L'affaire du Mediator concernant d'abord la France, cela n'est pas particulièrement étonnant.
M. Mahmoud Zureik . - Ce débat aurait pu avoir eu lieu avec l'Avandia. Or il n'en a finalement rien été. L'exception française ne devrait en tout cas pas exister dans le domaine de la science. Les vérités scientifiques valent de la même façon en France et à l'étranger.
Au vu de l'importance de la population exposée au Mediator, nous considérons que la réalisation d'études par approche statistique s'imposait. J'étaierai cette opinion au moyen de quelques exemples précis.
Pendant la canicule de l'été 2003, la France a connu pendant quinze jours une surmortalité de 15 000 personnes. Nous n'avons cependant évidemment pas été en mesure de dresser la liste exacte des causes de chaque décès. Ceux pour lesquels un lien direct avec les effets de la chaleur (coup de soleil, déshydratation) a été établi n'ont même pas excédé deux cents. Dans la plupart des cas, le décès a en réalité simplement été anticipé. Ledit taux s'appliquait donc plutôt à la mortalité prématurée.
De même, à l'issue de vaccinations de masse programmées pour prévenir les cas de méningite, personne ne peut désigner avec certitude les personnes non atteintes du fait de leur adhésion à telle ou telle campagne.
Le ministre de l'Intérieur signalait, il y a quelques jours, que 23 000 vies avaient été épargnées grâce aux mesures prises en faveur de la sécurité routière. Il serait bien entendu également illusoire de prétendre obtenir une liste précise des individus dont la vie a été sauvée.
Dans ces différents cas, l'approche statistique peut offrir une vision de la réalité. Nous nous sommes efforcés de la valoriser.
M. Jean Acar . - Je formulerai une observation et une interrogation.
Ma remarque porte sur le calcul réalisé par Catherine Hill à propos de la mortalité immédiate. Son évaluation, qui porte à 465 le nombre de décès attribuables au Mediator, est certainement erronée. Cela s'explique très simplement : l'ensemble des décès de la population a été pris en compte, alors que seulement 330 méritaient d'être comptabilisés. Parmi ceux-ci, l'action du benfluorex sur l'insuffisance valvulaire ne pouvait être en cause que dans quarante-six cas.
Je m'interroge par ailleurs sur les modalités de calcul retenues par Mme Fournier et M. Zureik. Leur évaluation, qui porte à deux mille le nombre potentiel de décès imputables au Mediator, me laisse sceptique.
M. Mahmoud Zureik . - Catherine Hill et nous-mêmes avons en réalité abouti à la même estimation. Nous avons recensé 3 500 patients hospitalisés pour des valvulopathies, modérées ou sévères, dues à l'action du benfluorex. Parmi ceux-ci, 1 750 ont été opérés.
Nous avons considéré que ces valvulopathies exposaient les patients à un risque de mortalité de 40 %. L'affection entraîne notamment des insuffisances cardiaques et des endocardites. Appliqué à la population étudiée, ce taux nous permet d'estimer à 1 500 le nombre de décès imputables aux valvulopathies.
Je pense que nous pouvons tous nous accorder sur le fait qu'une valvulopathie est une pathologie grave et mortelle. A cette aune, le taux de 40 % proposé ne paraît pas déraisonnable.
M. Jean Acar . - D'où tirez-vous ce taux ?
M. Mahmoud Zureik . - Nous l'avons repris d'une étude publiée dans la revue The Lancet en 2006.
Dans la mesure où nous avons nous-mêmes sous-estimé la proportion de valvulopathies sévères, il est malheureusement hautement probable que le taux de 40 % constitue la fourchette basse de l'évaluation du nombre de décès imputables au Mediator.
M. Jean Acar . - Je reste bien évidemment en désaccord avec mes contradicteurs. L'étude parue dans la revue The Lancet est sans doute de qualité. Mais elle ne peut s'appliquer dans le cas d'espèce.
Les auteurs de ce travail ont considéré, au sein d'une population générale, quatre formes de valvulopathies (des insuffisances mitrales, des insuffisances aortiques, des rétrécissements mitraux, des rétrécissements aortiques). Sur celles-là, seulement deux sont cependant représentées dans les cohortes des études Cnam 1 et Cnam 2. Les valvulopathies polyvalvulaires n'ont, elles, pas du tout été étudiées.
Peut-il exister, au demeurant, une mesure commune de la sténose aortique sévère et de l'insuffisance aortique modérée ? En tant que cardiologue, je puis vous assurer que la réalisation de pronostics globaux communs à ces deux formes de valvulopathie n'est pas possible.
Il n'est d'ailleurs sans doute guère plus pertinent de comparer des valvulopathies normales et des valvulopathies sévères. Les secondes peuvent entraîner le décès en quelques jours, voire subitement.
Il ne me paraît donc pas judicieux de tirer des conclusions sur la base de cette statistique. Ce point étant posé, je dois demander à M. Zureik des précisions sur le groupe de six cents malades pris en compte dans les études de la Cnam. Combien de patients étaient atteints de chacune des formes de valvulopathie ? Quel était l'état, par ailleurs, des personnes qui devaient être opérées ?
Vous savez comme moi que les patients les plus exposés connaîtront dans la décennie à venir de sévères complications. Il est couramment estimé que ces malades sont aussi fragiles que les populations ayant réalisé un infarctus du myocarde.
M. François Autain , président . - Nous sommes obligés, je crois, de nous quitter sur ces constats de désaccord. Nous espérons cependant que le débat se poursuivra en dehors de cette enceinte.
M. Jean Acar . - Avant que vous nous laissiez prendre congé, je souhaitais exprimer mon accord avec la proposition de Mme le rapporteur. Comme elle, je pense qu'aucune partie ne détient la vérité absolue. Je reconnais d'ailleurs qu'une plus forte collaboration entre cardiologues et épidémiologistes serait normale et souhaitable.
M. François Autain , président . - Vous pourriez au moins vous rejoindre sur quelques constats simples. Il est finalement assez normal que des épidémiologistes pointent des décès que les cardiologues ne peuvent voir dans l'exercice de leurs fonctions.
La première identification réalisée dans ces domaines doit être mise au crédit du docteur Chiche, cardiologue au sein d'un établissement marseillais. Ses observations, qui datent de 1999, ont été cependant fortement contestées. Informé de la lettre qu'il avait adressée sur le sujet à l'Afssaps, les laboratoires Servier l'avaient assez rapidement sollicité. Ce qui prouvait au moins l'existence d'une forte proximité entre cette agence publique et les industriels.
Depuis, les conditions de traitement des valvulopathies sont somme toute assez bien connues. L'imputation du Mediator a pourtant été assez rarement évoquée par les cardiologues.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Avez-vous identifié, dans le cadre de l'enquête étiologique que vous avez menée sur la période 1970-1990, des cas de décès imputables au Mediator ?
M. Jean Acar . - Non.
Je vous invite toutefois à ne pas culpabiliser les cardiologues français.
M. François Autain , président . - Il ne faut pas non plus culpabiliser les épidémiologistes français. Vous ne les avez pas aujourd'hui ménagés. Votre profession n'a-t-elle pas elle-même fait preuve d'une faible réactivité ?
M. Jean Acar . - J'accepte bien volontiers vos critiques.
Je souhaitais apporter une précision sur l'Isoméride. Alors que ce médicament a été commercialisé à partir de 1973, la première étude ayant pointé les risques liés à sa prescription ne date que de 1997.
M. François Autain , président . - Vous faites référence à une étude publiée sous la responsabilité de la clinique Mayo. Le professeur Abenhaïm avait lui-même auparavant plusieurs fois alerté la communauté scientifique des risques liés à ce médicament.
M. Mahmoud Zureik . - Ce dernier est en réalité un épidémiologiste.
M. Jean Acar . - L'évolution du benfluorex peut être suivie au regard du sort réservé à l'Isoméride. Pendant les quinze premières années de la commercialisation de cette molécule, seulement 20 % des boîtes ont été effectivement mises en circulation. Dans les quinze années suivantes, le taux est monté à 80 %.
M. François Autain , président . - Comment expliquez-vous que le produit ait été au début si faiblement diffusé ? N'a-t-il pas souffert de la concurrence de l'Isoméride ? Je crois que nous pouvons répondre à cette question par l'affirmative.
M. Jean Acar . - Je ne saurais avancer une raison sûre et précise.
M. Jean-Louis Lorrain . - Je peux peut-être vous apporter une explication, qui n'aura toutefois pas la rigueur scientifique que vous pourriez lui donner.
A l'époque, j'exerçais moi-même comme médecin généraliste. Je me suis installé en 1974. Je voyais alors le benfluorex comme un produit hybride, dans lequel nous ne pouvions avoir totalement confiance. Sa moindre consommation initiale s'explique ainsi peut-être par un excès de prudence.
M. Jean Acar . - La molécule, principe actif du Mediator, a sans doute souffert de la concurrence de deux médicaments, l'Isoméride et le Pondéral. Son essor a finalement été rendu possible par le retrait de ces produits utilisés comme coupe-faim.
M. Mahmoud Zureik . - Je peux aussi bien entendu défendre l'action des cardiologues sur ces dossiers.
Nous recensons 3 500 patients hospitalisés pour des valvulopathies. Ainsi pouvons-nous considérer qu'un cardiologue a constaté, en l'espace de trente-trois ans, au moins un cas de valvulopathie imputable au benfluorex, produit dont il ne connaissait pas le danger et qui portait sur un médicament qu'il n'avait pas prescrit.
Cet exemple me permet de rappeler que le risque absolu, même si le Mediator a été utilisé par de très nombreux patients, est finalement extrêmement faible.
M. François Autain , président . - Les cardiologues ne pouvaient donc pas le voir, contrairement aux épidémiologistes, qui sont dotés d'une sorte de double vue.
M. Jean Acar . - Faute d'informations définitives, une question importante reste aujourd'hui encore sans réponse : au bout de combien de temps une valvulopathie sévère se révèle-t-elle à travers des signes cliniques ? Comme l'a notamment montré l'étude du professeur Lewin, cette durée oscille dans la plupart des cas entre six et neuf ans. La durée d'un an, constatée par exemple dans le cadre de l'observation du professeur Ribera, est finalement très rare.
M. François Autain , président . - Je vous remercie de votre participation. Cette audition, marquée par des débats de haute tenue, nous permettra certainement de nous forger une opinion.
Au moins une conclusion s'impose : les études pharma-épidémiologiques seront à l'avenir de plus en plus utilisées. Les autorités y ont eu recours pour la première fois dans le cadre de l'affaire du Mediator. Alors qu'elles auraient été utiles dans le cadre d'autres affaires comme le Vioxx, nous ne manquerons plus de les invoquer, par exemple pour préciser la réalité de la nocivité de l'Avandia.
Ces études sont d'autant plus importantes qu'elles mettent en avant des données que les meilleurs cardiologues ne pourraient pas nous fournir. Ce constat nous conduit de nouveau à vous encourager à oeuvrer pour la réalisation de travaux communs.
M. Mahmoud Zureik . - Je confirme que les bases de données pharma-épidémiologiques sont d'une extraordinaire richesse.
Je dois cependant souligner que la réalisation d'expertises publiques requiert de très importants moyens financiers et matériels, ainsi que des compétences particulières extrêmement pointues. Les agences publiques auraient tout intérêt à mutualiser leurs forces au sein d'une structure ad hoc .
M. François Autain , président . - Cette attente est connue. Elle motivera certainement la présentation de nouveaux projets.
Nous restons assez confiants pour l'avenir. Nous disposerons en effet bientôt des moyens de suspendre les autorisations de mise sur le marché (AMM) des médicaments présentant un risque pour la santé. Je vous remercie.
Audition de M. Edouard COUTY, président du conseil d'administration de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (Oniam), rapporteur des Assises du médicament (mardi 17 mai 2011)
M. François Autain , président . - Nous recevons Edouard Couty, président du conseil d'administration de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (Oniam) et, accessoirement, rapporteur des Assises du médicament.
Nous vous informons que cette audition, ouverte à la presse, est filmée. Elle fera ultérieurement l'objet d'une diffusion sur le site Internet du Sénat, voire sur la chaîne Public Sénat.
Conformément à la législation en vigueur, je dois vous demander si vous avez des liens d'intérêts avec l'industrie pharmaceutique.
M. Edouard Couty, président du conseil d'administration de l'Oniam . - Je n'entretiens aucune relation avec l'industrie pharmaceutique.
Malgré les fonctions qui m'ont été confiées au sein des Assises éponymes, je ne suis pas à proprement parler un spécialiste du médicament et de son économie. Pour y avoir travaillé pendant plus de trente ans, je connais néanmoins assez bien les acteurs du monde de la recherche et de la santé.
M. François Autain , président . - Vous avez, en effet, travaillé au sein d'hôpitaux.
M. Edouard Couty . - C'est exact. J'exerce cependant aujourd'hui, et depuis six ans, au sein d'une chambre de la Cour des comptes spécialisée dans le contrôle des instituts d'enseignement supérieur et de recherche.
M. François Autain , président . - Souhaitez-vous faire une intervention liminaire ?
M. François Autain , président . - Nous vous adresserons donc directement nos questions.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Comment voyez-vous le dispositif d'indemnisation proposé par le Gouvernement ? Il doit être prochainement discuté dans le cadre du projet de loi de finances rectificative.
M. Edouard Couty . - Vous évoquez, je présume, le dispositif d'indemnisation qui pourrait être mis en place pour indemniser les victimes du Mediator.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Oui.
M. Edouard Couty . - Le Gouvernement a proposé, pour l'indemnisation de ces victimes, la création d'un fonds spécialisé, qui serait géré par l'Oniam. La proposition doit être effectivement actée dans la loi de finances rectificative.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Elle sera soumise au Sénat le 20 juin.
M. Edouard Couty . - La solution proposée s'avérera des plus pertinentes si l'objectif du Gouvernement est d'assurer une indemnisation rapide des victimes.
Comme son titre l'indique, l'Oniam gère l'indemnisation des victimes d'accidents médicaux. Il fait preuve d'un réel savoir-faire, tant au niveau des commissions régionales qu'au niveau central. Il est reconnu à la fois pour la qualité de ses expertises, son efficacité et sa réactivité.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - L'Association nationale des avocats de victimes de dommages corporels (Anadavi) a critiqué les conditions d'indemnisation observées par l'Oniam. Ses griefs peuvent être ainsi résumés : l'imposition de restrictions dans l'évaluation des préjudices, limites clairement formulées dans les livrets rédigés à l'intention des experts ; l'observation d'un référentiel d'indemnisation relativement modique au regard des sommes effectivement allouées par les juridictions civiles et d'autres dispositifs de règlement amiable.
Ces critiques vous paraissent-elles fondées ? L'Oniam est-il réellement, à cette aune, l'organisme le plus à même de gérer le système d'indemnisation ?
M. Edouard Couty . - Je ne souhaiterais pas m'ériger ici en juge. En ma qualité de président de l'Oniam, vous me permettrez cependant de ne pas juger fondés ces différents griefs. Ils sont peut-être l'expression d'une méconnaissance du fonctionnement de l'organisme.
Avec le vote de l'avant-dernière loi de financement de la sécurité sociale, l'Oniam s'est doté d'un conseil d'orientation, que je préside également. Cette instance soumet au conseil d'administration des propositions raisonnables concernant la nomination des experts ou l'élaboration des guides, chartes et référentiels (guide de l'expertise, charte de l'expert). La révision du référentiel d'indemnisation figure parmi ses travaux les plus récents.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Les sommes versées en vertu de ce référentiel ne sont donc pas modiques à vos yeux?
M. Edouard Couty . - Non. Il s'agit de sommes conséquentes.
M. François Autain , président . - Elles sont en tout cas inférieures aux sommes attribuées par les tribunaux civils.
M. Edouard Couty . - Je ne nie pas l'existence d'écarts, ni même l'existence d'écarts importants. Je nie en revanche toute systématicité dans leur formation. Je crois pouvoir dire que le référentiel de l'Oniam est globalement pris en considération par la jurisprudence, au niveau des juridictions tant administratives que civiles.
Je vous rappelle que les propositions formulées par l'Oniam ne sont en aucun cas définitives. La victime demandeuse peut à tout moment décider d'engager une procédure contentieuse.
M. François Autain , président . - Les victimes ont-elles cependant la possibilité de contester devant les tribunaux les dédommagements qui leur sont proposés ?
M. Edouard Couty . - Oui, je viens de vous le confirmer. Cette contestation est possible à tout moment de la procédure. Seule la signature de la proposition d'indemnisation rend finalement impossible la réalisation de recours.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Quelle appréciation portez-vous sur la façon dont a été composé le collège d'experts chargé d'évaluer le préjudice des victimes ?
M. Edouard Couty . - Les instances de l'Oniam sont souveraines. Je n'ai pas de jugement à porter sur leurs choix, qu'ils concernent l'Oniam central ou la commission régionale de conciliation et d'indemnisation (CRCI).
Je puis ici simplement vous confirmer que la rédaction du guide de l'expertise a fait l'objet de longues délibérations. La parole a été offerte à chaque partie : l'Etat, qui nomme un administrateur sur deux ; les professionnels ; les patients ; les représentants des victimes.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - La question n'était pas anodine. Nous avons entendu dire ici ou là que certaines victimes envisageaient de choisir elles-mêmes leurs experts.
M. Edouard Couty . - Je n'ai pas eu connaissance de telles intentions.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - L'Oniam s'interdira-t-il à l'avenir de se retourner contre des médecins prescripteurs se refusant à formuler une offre d'indemnisation ?
M. Edouard Couty . - L'Oniam a toujours mis un point d'honneur à appliquer strictement la loi. Quelles que soient les dispositions législatives adoptées par ailleurs, il continuera de faire sienne cette position de principe.
M. Jacky Le Menn . - L'Oniam s'appuie-t-il sur un référentiel d'indemnisation-type qu'il adapte ensuite en fonction des situations particulières rencontrées ?
M. Edouard Couty . - Oui. Comme je l'ai indiqué précédemment, notre référentiel de base a été révisé l'année dernière. Il ne l'avait plus été depuis quatre ou cinq ans.
Je précise que l'actualisation réalisée a bien entendu été approuvée par les autorités de tutelle de l'Oniam.
M. Jean-Louis Lorrain . - Il n'est pas inutile de rappeler que la création de l'Oniam, qui date de 2002, a été impulsée par le Sénat. Nous étions d'abord motivés, à l'époque, par le désir de raccourcir les délais d'indemnisation.
M. Edouard Couty . - Conformément à la loi et à sa constitution, l'Oniam est tenu de présenter au Parlement des rapports semestriels sur son activité. Avant d'être soumis à la représentation nationale, ils sont débattus et approuvés par le conseil d'administration.
Vous m'interrogez sur les délais. La durée moyenne de traitement d'un dossier - entre la date d'expertise d'une demande et celle du versement effectif de l'indemnisation - n'a cessé d'augmenter depuis l'installation de l'Oniam. Sur ce plan, l'Office a cependant parfaitement répondu aux objectifs qui lui ont été fixés.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Pour le Sénat, comme pour l'Assemblée nationale, cette mission d'information est d'abord une occasion d'évaluer et de contrôler la politique du médicament. Ce constat a motivé les questions que je vous poserai ici.
Selon vous, les Assises du médicament pourront-elles déboucher sur des propositions de réforme du système d'agences ? Si oui, quelles pourraient être les pistes privilégiées ?
M. Edouard Couty . - Je répondrai à votre question en donnant d'abord quelques repères chronologiques.
Les Assises du médicament ont été ouvertes par le ministre de la santé, Xavier Bertrand, le 17 février. Elles regroupent entre 300 et 340 personnes.
M. François Autain , président . - La question des effectifs est assez épineuse. Tandis que des personnes invitées se sont déclarées dans l'incapacité de participer aux débats, d'autres ont décidé de s'y rendre malgré l'absence d'invitation.
Je m'appuie notamment, pour formuler ce constat, sur un récent article paru dans la revue Témoignage chrétien , article qui critiquait sévèrement le fonctionnement des Assises. Nous vous offrons l'occasion de démentir les accusations dont elles font l'objet. Elles sont certainement mensongères.
Il est vrai que beaucoup de personnalités - comme le docteur Dupagne - ou d'organismes - comme le collectif pour une formation médicale indépendante (Formindep) - ont rapidement annoncé leur retrait. Au moins une personnalité importante, assez critique, a au contraire publiquement fait part de son regret de ne pas avoir été invitée. Elle n'a malheureusement pas souhaité que nous l'auditionnions. Il n'est pas aisé pour nous de comprendre ces oppositions.
L'Agence de presse médicale (APM) a elle-même constaté que de nombreux participants ne figuraient pas sur la liste d'invitation. Elle a notamment cité le cas de Pascal Le Guyader, l'actuel directeur des affaires sociales du syndicat des entreprises du médicament (Leem). Ces faits sont-ils avérés ?
M. Edouard Couty . - Il faut savoir que le ministère a lui-même invité un certain nombre de personnalités pour l'installation des Assises. Elles ont toutes répondu présentes.
Parmi les participants aux débats quotidiens, il convient de distinguer au moins deux groupes : les représentants des institutions (le Leem, l'Ordre des médecins, l'Académie de médecine, les organisations syndicales des personnels de santé) ; les personnalités présentes ès qualités, comme Irène Frachon.
Par définition, les « institutionnels » ne représentent que leur institution d'origine, laquelle peut être représentée successivement par deux personnes différentes. C'est pourquoi nous n'avons pas jugé utile l'inscription de leur nom dans les listes d'invités. Nous notons simplement à la place le nom de leur organisme.
Nous avons cependant souhaité stabiliser la composition des groupes. La signature d'une feuille de présence a été imposée à cette fin. Nous veillons, sur cette base, au maintien de représentations équitables. Certains institutionnels ont déjà tenté, il est vrai, d'imposer de fortes délégations. Nous sommes intervenus, le cas échéant, afin de permettre des rééquilibrages.
M. François Autain , président . - A quels institutionnels vous référez-vous ?
M. Edouard Couty . - Je pense plus particulièrement au Leem.
M. François Autain , président . - Vous me surprenez. Je ne pensais pas que le Leem se mobiliserait massivement pour un tel événement. Comment expliquez-vous l'intérêt manifesté par cette fédération ?
M. Edouard Couty . - Je ne me l'explique pas. Je peux simplement constater qu'il a été soudain et général : le Leem s'est, du jour au lendemain, retrouvé surreprésenté au sein de tous les groupes auxquels il était convié. Nous lui avons indiqué, par lettre, qu'il ne pouvait ainsi revoir unilatéralement le poids de sa délégation. Celle fixée à l'ouverture des Assises vaut pour toutes les journées.
Je vous confirme par ailleurs que deux personnalités ont renoncé à participer à nos travaux. Je regrette évidemment leur départ. Je leur ai fait remarquer que les Assises du médicament étaient un lieu de libre expression, qui ne pouvait que servir leurs intérêts.
Pour justifier son retrait, l'un d'entre eux a mis en avant le préjudice que lui faisait subir, en l'absence d'indemnisation, une participation assidue aux débats. J'ai reconnu que je ne pouvais à mon niveau qu'obtenir le remboursement des frais de transport supportés pour l'occasion. En tant que simple rapporteur, je ne saurais en effet octroyer des indemnités susceptibles de couvrir des absences professionnelles.
M. François Autain , président . - Nous pouvons supposer que les institutionnels n'ont pas rencontré des contraintes de cet ordre.
M. Edouard Couty . - A l'image des associations de patients, ils ont sans doute rencontré quelques obstacles. Tous ont cependant consenti les efforts requis par leur participation.
M. François Autain , président . - Vous ont-ils pour autant demandé le versement d'indemnités complémentaires ?
M. François Autain , président . - Leur comportement est admirable.
M. Edouard Couty . - J'ai souligné, lors de mon discours d'ouverture, que je serais disposé à m'entretenir personnellement avec chaque membre pour discuter des difficultés pratiques qu'il pouvait rencontrer. Pour ces deux personnalités, la discussion n'a malheureusement pas été fructueuse.
M. François Autain , président . - Nous avons nous-mêmes prévu de les auditionner. Elles diront certainement ici ce qu'elles n'ont pas pu dire aux Assises.
Pour nous, le fonctionnement des Assises reste cependant assez opaque.
M. Edouard Couty . - Les séances sont pourtant filmées.
M. François Autain , président . - Vous nous l'apprenez. Selon des dépêches, les Assises souffrent d'un déficit de moyens techniques, qui compromet in fine la transparence.
Faites-vous également rédiger des comptes rendus des séances ?
M. Edouard Couty . - Oui. Comme les contributions volontaires des membres, ces rapports peuvent être consultés sur le site Internet des Assises. Les enregistrements audiovisuels sont également proposés en accès libre.
M. François Autain , président . - Le biologiste Jacques Testart s'est plaint de ne pas avoir pu s'inscrire. Dit-il la vérité ?
M. Edouard Couty . - Je ne saurais répondre à cette question. Je puis cependant vous confirmer n'avoir reçu aucune requête de sa part. Toutes les personnalités qui ont pris la peine de me solliciter ont reçu des cartons d'invitation.
M. François Autain , président . - Publiez-vous les listes de présence ?
M. Edouard Couty . - Oui. Elles figurent dans chaque compte rendu.
M. François Autain , président . - Vous m'avez globalement rassuré. Je relaisserai la parole à Mme le rapporteur.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Je vous repose donc mes questions initiales. Selon vous, les Assises du médicament aboutiront-elles à des propositions de réforme du système d'agences ? Quelles pistes pourraient être privilégiées ?
M. Edouard Couty . - Alors que trois des six groupes constitués doivent encore tenir au moins une réunion, ces questions me paraissent prématurées.
Selon le calendrier que nous avons initialement établi, les comptes rendus des groupes doivent être présentés pour le mardi 31 mai. Nous aurons auparavant tenu deux journées de « regroupement ».
La première, consacrée aux questions internationales, se tiendra le 26 mai. Le matin, nous accueillerons un représentant de l'Institute of medicine . Il présentera notamment un bilan de la prescription du Vioxx et un exposé sur le Sunshine act . Un débat sera par la suite organisé avec deux représentants de la direction générale de la santé de la Commission européenne, un responsable de la politique du médicament et un autre des dispositifs médicaux. L'après-midi, une table ronde réunira les directeurs généraux d'administration nationale en charge de la santé - un Allemand, un Anglais, un Espagnol, un Français, un Italien et un Néerlandais. Le débat pourra notamment s'engager avec la salle.
Le 31 mai, le président et le rapporteur de chaque groupe rapporteront les travaux de leur groupe en assemblée plénière. Je présenterai et soumettrai ensuite à la discussion les orientations prévisionnelles d'un rapport de synthèse. Les quatre ou cinq jours qui suivront seront consacrés à la rédaction du rapport de synthèse définitif.
M. François Autain , président . - Ce rapport sera-t-il rendu public ?
M. Edouard Couty . - Je peux l'imaginer.
M. François Autain , président . - L'assemblée plénière que vous entendez tenir le 31 mai sera-t-elle filmée ?
M. Edouard Couty . - Oui. Nous remettrons, outre un rapport de synthèse, les rapports des six groupes de travail, les contributions complémentaires, ainsi qu'une note signalant les points de divergence. Ces pièces formeront une documentation conséquente, qui reflètera assez fidèlement nos débats.
Les groupes travaillent encore sur des questions importantes : la formation et l'information des prescripteurs, des dispensateurs, des patients ou du public ; les conditions d'autorisation de mise sur le marché ; l'articulation entre la législation européenne et les législations nationales ; la pharmacovigilance ; la réalisation des expertises ; la coordination entre les différents interlocuteurs. Les questions relatives à la gouvernance sont traitées dans un groupe de travail spécifique présidé par Claude Huriet.
Les Assises auront au moins incité les acteurs, même les plus rétifs à toute forme d'échanges, à s'écouter les uns les autres. Malgré l'existence de sérieux motifs de divergence, les travaux se déroulent de fait dans la sérénité. Prétendre atteindre un consensus absolu serait cependant illusoire.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Estimez-vous que l'accès aux données de la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam) devrait être systématisé lors du déclenchement d'alerte concernant un médicament ?
M. Edouard Couty . - C'est une question centrale. Chargé des réflexions relatives à la pharmacovigilance, le groupe de travail 2, présidé par Dominique Costagliola, y a consacré une séance entière. Il a débattu, pour l'occasion, avec des représentants de sociétés savantes et de l'assurance maladie.
En la matière, la base de données système national d'information interrégimes de l'assurance maladie (Sniiram) est peut-être la plus connue. Mais d'autres sont sans doute utilisées.
Nous devons effectivement nous interroger sur l'accès aux données, mais aussi sur la hiérarchisation de celui-ci au regard de la protection des personnes. De l'accès aux bases de données dépend la réalisation des études. Par-delà le traitement des problèmes strictement techniques, les opérations menées dans ce domaine doivent cependant surtout permettre de garantir la transparence générale du système.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - En tant que directeur d'un hôpital, vous avez également dirigé la direction des hôpitaux du ministère de la santé. Le référentiel programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI) doit-il à vos yeux être pris en considération dans son intégralité ? Devons-nous au contraire considérer qu'il intègre des marges d'erreurs ?
M. Edouard Couty . - Il est pour moi également difficile de répondre à cette question.
Dans les hôpitaux, la qualité du codage - opération déterminante pour la remise de l'information finale - s'est considérablement améliorée, grâce au développement des programmes de formation et à la diffusion des guides. L'Agence technique d'information hospitalière a largement contribué à cette évolution positive.
Des erreurs de codage sont certainement encore commises. Elles sont cependant en nombre très limité. D'autant que l'assurance maladie réalise désormais des contrôles systématiques. Ceux-ci pouvant être sanctionnés par de très lourdes pénalités financières, les établissements hospitaliers ont eux-mêmes un grand intérêt à soigner la qualité du codage.
M. François Autain , président . - Concernant l'établissement des certificats de décès, l'Institut de veille sanitaire (InVS) a instauré, à la suite de la canicule de l'été 2003, une formule standard. Les données ne sont pas pour autant toujours bien renseignées. Les défauts constatés compromettent in fine la réalisation des études pharmaco-épidémiologiques.
M. Edouard Couty . - Je ne saurais vous apporter plus de précisions sur ce sujet.
Je n'occupe plus de fonctions au sein des hôpitaux depuis 1998. A partir de cette année et jusqu'en 2005, j'ai travaillé directement au sein du ministère de la santé. Je m'intéressais alors effectivement au système hospitalier. Je ne traitais pas pour autant de telles questions. Depuis 2005, affecté au sein d'une chambre de la Cour des comptes, je ne suis même plus du tout concerné par les problèmes de santé publique.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Nous avons assisté, lors de la précédente audition, à un débat opposant les tenants de deux types d'expertise. Tandis qu'un cardiologue défendait une vérité clinique, reposant sur des analyses au cas par cas, deux épidémiologistes défendaient une vérité statistique. J'ai été frappée par la relative incapacité de chaque camp à intégrer les priorités de l'autre.
Dans le cadre des Assises, avez-vous cherché à favoriser la rencontre de ces différents regards ? Ce croisement des points de vue me paraît d'autant plus important que les médicaments sont mis sur le marché selon un modèle pasteurien, bien qu'ils soient généralement prescrits pour le traitement de pathologies chroniques à long terme.
M. Edouard Couty . - Je ne me suis pas spécialement penché sur la question que vous m'adressez. Elle repose cependant sur un postulat qui ne m'étonne pas.
Nous évoluons dans des mondes extrêmement cloisonnés. Les praticiens et les cliniciens éprouvent d'indéniables difficultés à intégrer les discours de santé publique portés par les épidémiologistes. Mais la relation se vérifie de la même façon dans l'autre sens : les épidémiologistes comprennent assez mal le discours et la pratique des praticiens et cliniciens.
Nous devons oeuvrer à cette compréhension mutuelle. Elle ne va certes pas de soi. Elle n'en est pas moins indispensable.
Vous évoquiez le problème de la mise sur le marché des produits. Il pose la question des études cliniques post-AMM. Elles devraient davantage être valorisées.
M. François Autain , président . - Pour l'heure, ces études ne sont souvent même pas encore réalisées.
M. Edouard Couty . - Leur réalisation devra être effectivement au préalable encouragée.
Actuellement, nombre d'études sont cependant aujourd'hui simplement commandées. Le cas échéant, les conséquences de cette situation devraient être tirées.
M. François Autain , président . - Vous souhaitez sans doute souligner que les responsables de leur non-réalisation ne sont actuellement pas sanctionnés, malgré la récente présentation d'un projet de sanction.
M. Edouard Couty . - Oui. Les conditions d'évaluation, pendant tout le processus, de l'autorisation de mise sur le marché (AMM) constituent à l'évidence une question centrale. C'est sur ce point que s'opposent les approches épidémiologiques et cliniques.
M. François Autain , président . - Si j'en crois le texte de la dernière directive européenne publiée sur le sujet, nous avons de plus tendance à privilégier les études post-AMM - par rapport aux études pré-AMM. L'urgence commanderait cette préférence.
Notre confiance dans des études post-AMM non réalisées pose d'inévitables problèmes de sécurité pour les patients. La problématique est cependant encore trop peu étudiée.
M. Edouard Couty . - Au sein des Assises, deux groupes de travail réfléchissent sur ces questions, dont le groupe de travail « prescription hors AMM ». Ils soumettront, je n'en doute pas, des propositions de réforme.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Nous nous apprêtons à conclure notre mission commune d'information. Nous ne pouvons cependant toujours pas garantir que nous ne connaîtrons pas de nouveaux Mediator. D'autres médicaments, commercialisés depuis de nombreuses années, sont en effet susceptibles de révéler des effets indésirables de grande ampleur.
A l'heure même où nous nous exprimons, la prescription de certains de ces médicaments a malheureusement sans doute causé d'autres décès. Ceux-ci sont pour l'heure tus. Mais ils pourraient bientôt faire l'objet de nouvelles controverses. Parmi les produits sujets à de nouveaux scandales figurent la RU 486 et les produits thérapeutiques annexes (PTA).
M. Edouard Couty . - Un de nos groupes de travail, parfaitement transversal, se consacre à la question des dispositifs médicaux. Son traitement impose également l'intégration des problématiques de sécurité sanitaire.
M. Jean-Louis Lorrain . - Comme l'a souligné Mme le rapporteur, nous pourrions élargir la discussion à de très nombreux autres médicaments. J'aborderai ici le problème posé par le Subutex.
Ce médicament, prescrit dans des conditions difficiles, a été détourné de sa vocation. Il serait souhaitable que cette situation fasse l'objet de communications.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - La prescription d'un médicament pour une durée de trois mois entraîne normalement une alerte de la sécurité sociale. Dans quelques cas, celle-ci n'est malheureusement pas activée. L'exception concerne notamment le Subutex. La Cour des comptes s'est elle-même penchée sur ce dysfonctionnement.
M. Edouard Couty . - C'est exact. Elle avait d'ailleurs aussi formulé des interrogations sur le Mediator.
Vous abordez, à travers cette question, le problème de la prescription hors AMM. Au sein des Assises, celui-ci est au coeur des réflexions du groupe présidé par le professeur Hubert Allemand, le médecin conseil national de l'assurance maladie. Ses travaux déboucheront certainement sur des propositions de réformes assez conséquentes.
Pour nombre de médicaments, la proportion des prescriptions hors AMM est prépondérante.
M. François Autain , président . - Les chiffres présentés varient souvent en fonction des interlocuteurs. Dans l'affaire du Mediator, cette proportion a oscillé entre 10 % et 70 %.
M. Edouard Couty . - Selon les informations que j'ai obtenues au sein des Assises, la vérité est actuellement plus proche de la fourchette supérieure.
M. François Autain , président . - Le taux de 10 % a été donné, via les laboratoires Servier, par IMS Health.
Il est difficile de démêler- nous pouvons de nouveau le constater- le vrai du faux.
Nous aurions aimé vous donner l'occasion d'exposer les conclusions des Assises. Nous aurons cependant terminé nos auditions lorsque vous serez amené à présenter votre rapport de synthèse. Nous ne devons donc pas avoir de regrets.
M. Edouard Couty . - Le rapport des Assises vous sera certainement transmis dans le courant du mois de juin. Vous pourrez en réaliser une analyse critique.
M. François Autain , président . - Espérons que nos différents travaux permettront au Gouvernement de prendre les mesures susceptibles de prévenir de nouvelles crises sanitaires majeures. Je vous remercie.
Audition de M. Philippe FOUCRAS, médecin généraliste, président, et Mme Anne Chailleu, membre, du Formindep (Pour une formation et une information médicales indépendantes) (jeudi 19 mai 2011)
M. François Autain , président . - Nous poursuivons nos auditions, ce matin, avec M. Philippe Foucras, médecin généraliste et président du Formindep, une association pour la formation et l'information indépendantes des médecins. Nous entendrons aussi Mme Anne Chailleu, membre de cette association. Cette audition est ouverte à la presse et fera l'objet d'une diffusion sur le site Internet du Sénat et, éventuellement, sur la chaîne Public Sénat. Je dois vous demander si vous avez des liens d'intérêts, même si vous avez déclaré, hier soir sur France Inter, que vous n'en aviez « toujours pas » alors que le grand professeur, placé en face de vous, en était « perclus » jusqu'au 1 er janvier.
M. Philippe Foucras, médecin généraliste, président du Formindep . - Je n'ai toujours pas de liens d'intérêts avec des entreprises commercialisant des produits de santé.
M. François Autain , président . - Chacun votre tour, je vous propose de procéder à une déclaration liminaire avant que Mme le rapporteur vous pose les questions qu'elle souhaite.
M. Philippe Foucras . - Je suis médecin généraliste en exercice et préside le Formindep, pour une formation et une information médicales indépendantes de tout autre intérêt que celui des patients. Je préciserai en quelques minutes cette notion de conflit d'intérêts dont nous sentons bien qu'elle se trouve au coeur du problème dans l'affaire du Mediator. Notre association travaille sur cette question depuis sept ans qu'elle existe, en se fondant sur les données de la littérature internationale, très riche en la matière, depuis vingt à vingt-cinq ans. En 2009, l'Institute of Medicine aux Etats-Unis a publié un rapport de plus de 300 pages sur les conflits d'intérêts en médecine et sur la façon de les traiter. Cette problématique importante répond aujourd'hui à des définitions relativement claires, que je souhaiterais rappeler pour écarter toute dimension morale présente dans le discours commun. Le conflit d'intérêts n'est pas une question de bien ou de mal, d'honnêteté ou de malhonnêteté mais une question d'influence. Tout être humain peut être influencé. La définition publiée en 1993 dans le New England Journal of Medicine indique qu'un conflit d'intérêts intervient quand le jugement d'un professionnel sur un sujet d'intérêt principal - l'intérêt du patient pour un professionnel de santé - est influencé et altéré par un intérêt secondaire (gain financier, rivalités de personnes, carrière, convictions philosophiques ou religieuses, croyances, passions intellectuelles, etc.). Ces conflits modifient les jugements voire les résultats des travaux de recherche. Quand ils sont financés par l'industrie pharmaceutique, les résultats des travaux de recherche sont cinq fois plus fréquemment positifs que les résultats de travaux financés par le secteur public, comme le montre une étude récente. Il en est de même des documents scientifiques visant à informer et former les médecins.
C'est l'une des raisons pour lesquelles nous avons introduit un recours devant le Conseil d'Etat en vue du retrait de recommandations élaborées en contradiction avec les règles internes de la Haute Autorité de santé (HAS) en termes de conflit d'intérêts. Le Conseil d'Etat nous a d'ailleurs donné raison pour la première recommandation. Des conflits d'intérêts mal gérés ou omniprésents influencent de façon négative ou biaisent le travail des experts et représentent un facteur de risque sanitaire, comme le sont la vitesse pour les accidents de voiture, le tabac pour les cancers ou l'alcool pour les cirrhoses. Un conflit d'intérêts, lorsqu'il influence négativement, ne rend pas obligatoirement caduque la décision mais la soumet à ces risques clairement identifiés en termes, à la fois, de qualité des soins mais aussi de surcoût.
M. François Autain , président . - Vous avez indiqué qu'un essai financé par l'industrie pharmaceutique avait cinq fois plus de chances d'être positif. Quelles sont vos sources ? J'ai sous les yeux un article publié dans la Tribune Santé par M. Benkimoun. Une analyse de plus de 1 500 études dans le domaine du cancer, parue en 2006 dans les revues de haut niveau, montre que celles dans lesquelles les auteurs ont déclaré des intérêts obtiennent deux fois plus de résultats favorables au médicament que celles où aucun conflit d'intérêts n'est déclaré. Le volume avancé se trouve donc nettement inférieur. Pourrez-vous nous communiquer votre source ultérieurement ?
M. Philippe Foucras . - La différence tient probablement au fait que votre étude évoque les auteurs qui ont déclaré un intérêt. J'ai plutôt cerné les études qui ont bénéficié d'un financement privé. Je vous communiquerai la référence.
Il importe de sortir de la notion morale du conflit d'intérêts pour l'appréhender comme un facteur de risque pouvant influencer de façon néfaste les décisions et recommandations et les soins qui en découlent.
M. François Autain , président . - La parole est donnée à Mme Chailleu.
Mme Anne Chailleu, membre du Formindep . - Je souhaiterais aborder la question des conflits d'intérêts pour les fonctionnaires et les experts permanents des agences, souvent passée sous silence. On pourrait s'attendre en effet que les experts des agences soient libérés de tout lien d'intérêts. Les agences, comme l'Agence française pour la sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps), ou la HAS ne publient d'ailleurs pas les déclarations de leurs permanents dès lors qu'ils sont fonctionnaires et embauchés par l'Agence.
M. François Autain , président . - Ceci me paraît très important. Vous semblez dire que les experts internes ne sont pas contraints de publier leurs liens d'intérêts.
Mme Anne Chailleu . - Apparemment. Rien n'est publié. L'expert, dès lors qu'il est embauché par l'Agence, disparaît des listes diffusées par celle-ci.
M. François Autain , président . - Ce point devra être vérifié.
Mme Anne Chailleu . - On pourrait penser qu'un fonctionnaire est a priori libéré de tout lien d'intérêts puisque sa situation est légalement plus encadrée, un dispositif permettant même de le condamner pénalement en cas de prise illégale d'intérêts. Il existe cependant des processus plus subtils qui permettent d'établir de tels liens avec des fonctionnaires. J'en détiens quelques illustrations qui démontrent la possibilité d'influencer très nettement un fonctionnaire et de lui faire prendre des positions en faveur de l'industrie.
M. François Autain , président . - Pouvez-vous citer ces exemples ?
Mme Anne Chailleu . - Il ne s'agit pas de cibler une personne mais de pointer un problème de système, qui correspond à la théorie de la capture décrite par le prix Nobel d'économie Georges Stigler. Ce dernier a formalisé le processus par lequel un secteur économique réglementé par l'Etat va peu à peu capturer les agents chargés de son contrôle. Cela repose sur des mécanismes spectaculaires comme le pantouflage. Ce mécanisme fonctionne notamment lorsqu'une personne quitte une agence de réglementation pour aller dans le privé. Il en est ainsi de Philippe Lamoureux, passant de l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (Inpes) à la direction des entreprises du médicament (Leem).
M. François Autain , président . - Il n'est pas passé de l'administration à une entreprise mais à un syndicat, ce qui apparemment change tout.
Mme Anne Chailleu . - Faire échapper les associations à but non lucratif à tout contrôle constitue une faille du système. Il en est également ainsi, très récemment, du directeur général de l'Agence européenne du médicament Thomas Lönngren qui, au lendemain de la fin de son mandat, le 31 décembre 2010, exerçait auprès de cinq entreprises privées, dont celle qu'il avait fondée. L'absence de contrôle sur ce type de mouvement suscite l'étonnement. Un code de conduite a été institué dans le cadre de l'Agence européenne du médicament (EMA), précisant les démarches à suivre pour le passage d'un poste au sein de l'EMA à un emploi dans une entreprise pharmaceutique. Durant deux ans, l'ancien agent ne peut ainsi exercer des activités pouvant entrer dans le périmètre de contrôle de l'agence. Une procédure est prévue avec un contrôle a priori et l'accord d'une commission paritaire interne puis du conseil d'administration de l'Agence. Pour Thomas Lönngren, un simple échange de mails avec Patrick O'Mahony, le président du conseil d'administration, a suffi, en contradiction avec toutes les procédures. L'expression anglaise de revolving door illustre davantage le phénomène, en prenant en compte les deux dimensions de cet échange de personnel, qui peut se produire dans un sens comme dans l'autre puisque des personnes issues de l'industrie pharmaceutique accèdent à de hauts niveaux de décision. En France, l'exemple le plus frappant reste le docteur Eric Abadie, recruté à l'Afssaps après avoir représenté, durant huit ans, le syndicat national de l'industrie pharmaceutique dans toutes les commissions de cette agence.
M. François Autain , président . - Ce dernier a reçu une distinction de l'industrie pharmaceutique pour services exceptionnels rendus !
Mme Anne Chailleu . - J'ai noté dans les auditions précédentes que vous portiez une attention toute particulière à la Drug Information Association (DIA). La DIA est une association fondée dans les années 1960 par les professionnels de l'industrie pharmaceutique. Aujourd'hui, elle compte 18 000 membres dans le monde entier auxquels s'ajoutent les membres des agences de réglementation. Dans son audition, le docteur Abadie a commis une erreur. Il ne s'agit pas d'une association paritaire puisque, selon mes vérifications, sur les treize directeurs qui composent le management board, une seule personne ne fait pas partie de l'industrie mais représente le College ter Beoordeling van Geneesmiddelen (acronyme anglais : MEB), l'agence néerlandaise du médicament. Cette association n'a jamais eu la prétention d'être une organisation paritaire mais elle a reçu de l'EMA le monopole de la formation sur les systèmes d'eudravigilance, qui permettent la déclaration des effets secondaires des médicaments. Ceci pose des problèmes, la DIA étant uniquement financée par les cotisations de ses membres, tous issus de l'industrie. Les membres des agences de réglementation ne sont qu'invités et, lorsqu'ils participent à des forums, leurs travaux sont toujours accompagnés d'une étude contradictoire réalisée par l'industrie afin de « ne pas manipuler l'auditoire ».
Figure aussi parmi les exemples de pantouflage retour le cas de la directrice de l'Institut de veille sanitaire (InVS), Mme Françoise Weber, qui a travaillé au sein de l'industrie pharmaceutique. Sans préjuger de la qualité des personnes et de leur engagement au sein de l'agence, une telle démarche contrevient aux règles fixées par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Le pantouflage constitue en effet l'une des premières sources de la corruption. Actuellement, force est de constater que la fonction publique française se prémunit très mal contre ce type de transfert. Peut-être faudrait-il renforcer les contrôles en les confiant à un service indépendant, comme le service central de prévention de la corruption, qui détient les outils juridiques pour émettre des avis indépendants.
La théorie de la capture comprend, outre le pantouflage, un processus d'acculturation des fonctionnaires qui, à force de contacts informels ou amicaux avec les entités qu'ils sont censés contrôler, finissent par intégrer les idées et défendre les intérêts de l'industrie pharmaceutique. Ce phénomène apparaît dans tous les secteurs de contrôle. Il constitue même, pour les entreprises, un investissement rentable. Ainsi, le recrutement de Thomas Lönngren par CBio, bien qu'à un poste quasi honorifique, a fait grimper de 27,6 % le cours de l'action de ce laboratoire australien.
En matière d'acculturation, je citerai l'exemple d'une tribune parue dans le New England Journal of Medicine le 2 avril 2009 intitulée « Des médicaments sûrs et le coût des bonnes intentions » . Cette tribune comporte des idées qui font froid dans le dos. En voici quelques extraits : « Certains observateurs ont conclu que le système réglementaire dans son entier devait être revu car les régulateurs avaient échoué à appliquer un contrepoids suffisant aux compagnies. » S'ensuit une démonstration tendant à prouver que l'on en fait trop en matière de pharmacovigilance. Le développement des outils informatiques va augmenter les possibilités de réaliser des études de pharmaco-épidémiologie. Les quatre signataires listent plusieurs craintes : « Le nombre de faux signaux va augmenter ; un tel scénario va entraîner la perte de la confiance du public et va même endommager la santé publique en obérant l'utilisation de médicaments et vaccins qui sauvent potentiellement des vies. Si les décisions réglementaires sont prises sur la base de signaux douteux, nous finirions par refuser à des patients atteints de maladies mortelles l'accès à des soins même si le rapport bénéfices-risques restait favorable. (...) La couverture médiatique peut, de façon disproportionnée, augmenter la visibilité publique des effets secondaires et induire des jugements biaisés. » En conclusion, les auteurs indiquent que « nous pourrions assister à une spirale de la connaissance du risque dans laquelle de meilleurs outils de pharmacovigilance détecteront plus de signaux de sécurité qui attireront plus l'attention sur les mauvais côtés des médicaments, lesquels, en retour, vont créer une pression sur les autorités réglementaires pour plus de sécurité et plus d'outils de pharmacovigilance et ainsi de suite » . La conclusion me paraît claire « L'opposé du bien est la bonne intention. »
M. François Autain , président . - Et nous savons que l'enfer est pavé de bonnes intentions !
Mme Anne Chailleu . - « Bien que des appels à assurer la sécurité des médicaments soient probablement dus à de bonnes intentions, ils pourraient faire plus de mal que de bien. » Le plus inquiétant vient du fait que cette tribune a été signée non par des représentants de l'industrie pharmaceutique, mais par quatre fonctionnaires de l'Agence européenne du médicament ou d'agences nationales. Ces craintes semblent constituer de purs fantasmes. A-t-on jamais connu de retrait prématuré d'un médicament ?
M. François Autain , président . - Tel n'est pas le cas de l'Actos. Je crois savoir que le docteur Abadie était présent à cette séance et n'a pas poussé au retrait de ce médicament, bien au contraire, pour des raisons qui, à mon sens, ne sont pas liées à la sécurité.
Mme Anne Chailleu . - Pour moi, cela illustre le risque de voir des hauts fonctionnaires adopter le point de vue des entités qu'ils sont censés contrôler.
M. François Autain , président . - Par quels moyens pouvons-nous remédier à une telle situation ?
Mme Anne Chailleu . - Il convient d'abord de s'assurer de l'existence de règles internes. Cela ne suffit cependant pas car l'EMA dispose d'un code de conduite très précis, qui interdit notamment à un fonctionnaire de l'Agence de participer à un événement si le but de celui-ci est d'établir un contact pour, in fine , influer sur les décisions publiques.
M. François Autain , président . - En principe les agents ne devraient donc pas participer aux réunions de la DIA.
Mme Anne Chailleu . - Non. Il est également prévu dans le règlement qu'un fonctionnaire ne doit pas recevoir une distinction, titre honorifique et cadeau.
M. François Autain , président . - Les agents violent donc les statuts ?
Mme Anne Chailleu . - Le Formindep a demandé à l'EMA, via la directive 1049 de 2001, l'accès aux documents par lesquels Thomas Lönngren aurait obtenu l'autorisation préalable de recevoir les deux distinctions de la DIA.
M. François Autain , président . - Il est rare d'être distingué deux fois. Pourrez-vous nous communiquer la liste des récipiendaires ? Tous les directeurs de l'évaluation de l'Afssaps ont obtenu cette distinction.
Mme Anne Chailleu . - Tous les signataires de la tribune que je viens de vous citer y figurent. Il n'existe sans doute pas de lien de causalité immédiat. Etre distingué par la DIA représente un signe que l'industrie vous considère comme une personne influente, qui peut être utile à l'industrie et réceptive aux positions de celle-ci. Si vous acceptez cet honneur, vous confirmez que vous l'êtes. Il me semble qu'accepter la participation aux activités de la DIA constitue une erreur pour un fonctionnaire car elle représente un préalable à des contacts de plus en plus étroits. Des forums encore plus inquiétants sont en place, faisant participer les représentants de la HAS, du comité économique des produits de santé (Ceps), de l'Afssaps ou de l'EMA.
M. François Autain , président . - Pouvez-vous nous en dire plus sur ceux-ci ? S'agit-il bien de think tanks financés par l'industrie auxquels participent des hauts fonctionnaires de l'administration française ?
Mme Anne Chailleu . - Tout à fait.
M. François Autain , président . - Pourtant rien n'interdit leur participation.
Mme Anne Chailleu . - Il existe clairement une faille. La moindre des choses serait d'informer les agences de telles activités. La HAS et le Ceps ne communiquent pas sur la participation de leurs membres à ces réseaux. Le Tapestry network est une société qui organise des réunions informelles public-privé sur des sujets qui intéressent les financeurs. Cette société a passé contrat avec trois laboratoires, AstraZeneca, Johnson&Johnson et GlaxoSmithKline, pour mettre en place le réseau européen des leaders pour l'innovation en santé. Ce réseau balaie une série de sujets qui viennent profondément modifier le marché du médicament en Europe dans les années à venir, abordant notamment les questions de la médecine stratifiée ou personnalisée, le remboursement des outils de diagnostic, notamment les outils à validité scientifique douteuse comme ceux de la maladie d'Alzheimer. Ce forum prétend, par exemple, obtenir le remboursement de tests qui prédiraient la maladie d'Alzheimer trente ans avant qu'elle se produise alors qu'elle ne peut être diagnostiquée que post mortem .
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Estimez-vous que la théorie de la capture peut fonctionner lorsqu'un mois et demi, trois semaines, puis une semaine avant le vote d'une loi, des publications médiatiques paraissent pour ouvrir, d'un certain point de vue, les yeux du législateur ? Je pense à ce que nous avons vécu voilà un mois et demi s'agissant du projet de loi sur la bioéthique. Ce mouvement a été conforté par un colloque mis en place par les entreprises du médicament (Leem) à l'Assemblée nationale sur un type de cellules souches. J'ai interrogé le Leem sur l'objectivité d'un tel sujet, porté six mois auparavant aux Etats-Unis par la société Gerton, qui avait vu sa cotation en bourse augmenter suite à cette « information ». Pouvons-nous considérer que la théorie de la capture fonctionne aussi en ce sens, vis-à-vis de fonctionnaires hospitaliers et d'universitaires ?
Mme Anne Chailleu . - La théorie de la capture s'applique à tous les contrôles de l'Etat qui pourraient influencer d'un point de vue économique l'activité d'un secteur donné. Elle se superpose en grande partie aux activités de lobbying qui opèrent à 360 degrés. Des rencontres informelles permettent d'influencer directement les fonctionnaires mais le relais médiatique, en mettant à la « une » des thèmes de société ou en publiant des sondages, fait naître aussi une pression sur le législateur.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Il s'agit donc bien du phénomène d'acculturation que vous évoquiez.
Mme Anne Chailleu . - Tout à fait. L'ouverture de l'Agence européenne du médicament à la société civile, par l'intégration d'associations de patients et de soignants, constitue un échec total en termes de respect de l'indépendance de la décision publique. En effet, suivant la règle des « 3P » du lobbying - placer les bonnes personnes, aux bonnes positions, selon les bonnes procédures -, les associations de patients nommées au management board de l'EMA sont financées à plus de 99 % par l'industrie. Ainsi en est-il de la Fédération européenne des associations neurologiques (EFNA), proposée par la Commission pour participer au management board de l'EMA, de même que l' European patients' forum , créé à la demande de la commission pour pallier l'absence d'interlocuteur fédérant les patients au niveau européen, qui n'est financé que par l'industrie.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Au cours de nos auditions, nous avons pointé le fait que lors de la mise sur le marché d'un médicament, la balance bénéfices-risques n'était pas forcément bien fondée. La théorie que vous énoncez fournit des exemples de messages, véhiculés par la presse qui, à partir d'un certain nombre de publications sur des pathologies chroniques, mettant en cause la personne elle-même mais aussi son entourage, engendrent une confusion entre espoir et thérapie.
Je souhaiterais vous interroger sur la théorie de la capture face à un essai clinique. Une personne se trouve confrontée à un cancer très difficile. Après un traitement de chirurgie et de chimiothérapie, il lui est proposé une nouvelle molécule. Le patient accepte d'entrer dans le protocole et signe une décharge puisqu'il peut lui être administré soit la molécule, soit le placebo. Ce système dans lequel le patient entre, et sur lequel il n'a aucune maîtrise, ne s'apparente-t-il pas à la théorie de la capture ?
Mme Anne Chailleu . - Peut-être le docteur Foucras serait-il plus à même de répondre à cette question précise car je ne suis pas une professionnelle de santé.
M. Philippe Foucras. - Cette question correspond davantage à la problématique du consentement éclairé. Il importe avant tout de déterminer les éléments factuels précis, eu égard à la gravité de la maladie et aux possibilités thérapeutiques, qui ont été fournis à un patient se trouvant, par ailleurs, dans un état de faiblesse. Même si la loi a mis en place des protocoles formalisés, la question du consentement éclairé dans ce type de situation reste, de mon point de vue, posée. Le patient doit avoir compris qu'il entre dans un protocole d'étude et qu'il peut recevoir un placebo ou le produit testé, de façon aléatoire. Il doit également être établi que ce patient ne subira pas de perte de chance. J'ignore néanmoins si cela entre dans le processus d'acculturation décrit par Mme Chailleu.
M. Jean-Jacques Mirassou . - Il me semble surréaliste, dans le cadre d'une pathologie évolutive, d'administrer la molécule ou le placebo au patient. Il faut bien que quelqu'un interfère pour interdire l'utilisation d'un placebo dans un tel cas.
M. François Autain , président . - D'un point de vue éthique, j'en conviens tout à fait.
M. Jean-Jacques Mirassou . - La question du consentement éclairé ne doit pas, à mon sens, concerner des pathologies aussi évoluées que celle décrite dans l'exemple.
Mme Anne Chailleu . - Néanmoins, l'Agence européenne du médicament a fait paraître une consultation dans laquelle elle propose d'étendre les essais contre placebo alors que la tendance actuelle s'oriente davantage vers les essais comparatifs contre principe actif. Cette proposition, problématique d'un point de vue éthique, est directement issue d'un think tank , l' Athenium group .
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Nous avons reçu M. Edouard Couty, rapporteur des Assises du médicament. Pourquoi avez-vous quitté cette instance ? L'avez-vous prévenu ? Avez-vous conservé une possibilité de dialogue ?
M. François Autain , président . - Le rapporteur regrette que vous ne soyez plus là car votre absence déséquilibre ces Assises.
M. Philippe Foucras. - Nous n'avons eu aucun contact avec M. Edouard Couty. Il n'a, semble-t-il, pas réussi à nous joindre ! L'affaire du Mediator, comme toutes les affaires de santé publique, mérite d'être traitée avec sérieux, rigueur et compétence, compte tenu du risque sanitaire que cela entraîne. Or, les conditions d'élaboration des conclusions restent pour l'instant floues. J'ai reçu un coup de fil, une semaine avant la tenue des Assises, du cabinet du ministre pour y être invité. Nous nous sommes répartis dans des groupes qui devaient, soi-disant, respecter un cahier des charges du ministre, cahier que je n'ai jamais trouvé. Les groupes ont été constitués et se sont étoffés de façon importante sans que l'on sache comment, le nombre de participants passant de 150 à 300. L'enregistrement des débats nous a été refusé, faute de moyens. J'ai débloqué 100 euros du budget du Formindep pour acheter une caméra mais, lorsque j'ai filmé, on m'a menacé. Aujourd'hui les débats sont filmés dans des conditions décrites comme médiocres par l'Agence de presse médicale (APM). Les déclarations d'intérêts ne sont pas toutes mises à jour. Lorsque je me suis enquis de leur contrôle, il m'a été demandé de faire confiance au sens des responsabilités de chacun. Or, dans le contexte du Mediator, ce type de questions se doit d'être posé. Le mode de fonctionnement de ces Assises reste très flou. J'ai trouvé un courrier du ministre du 17 février, rappelant à M. Edouard Couty la nécessité de contrôler la présence des firmes. J'estime que la gravité de la question mérite un traitement de meilleure qualité. Les rapports Even-Debré ou de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) sont intervenus, des missions d'information ont été mises en place au Sénat et à l'Assemblée nationale. L'affaire du Mediator pose les questions du fonctionnement démocratique et de la transparence de l'information. Il me semble que les instances existantes permettent de faire un travail de qualité, en fonctionnant selon des règles claires et transparentes. Je continue de penser que les Assises du médicament ne permettront pas d'en faire de même et resteront surabondantes par rapport au travail déjà engagé par les instances parlementaires et l'Igas. Ces Assises donnent l'impression d'avoir été instituées pour « embrouiller » le système plus que pour l'éclaircir, avec la présence incontrôlée ou difficilement contrôlée des firmes, qui s'inscrit dans ce processus de capture et d'acculturation que nous avons décrit.
M. François Autain , président . - Lors de son audition, M. Couty s'est ému de la surreprésentation des firmes.
M. Philippe Foucras. - La journaliste Stéphane Horel, qui a écrit Les Médicamenteurs , s'était inscrite. Elle a reçu un coup de fil de M. Couty, l'enjoignant de ne pas venir. La Fondation science citoyenne n'a pas été retenue. Le communiqué de l'Agence de presse médicale (APM) a montré que des représentants de firmes venaient sans être invités. Ils se sont auto-inscrits. Ce n'est pas ainsi, selon nous, qu'il convient d'aborder la question.
M. François Autain , président . - Les Assises n'ont donc pas apporté d'évolution par rapport à la situation qui régnait au sein de l'Afssaps avant l'affaire du Mediator, les industriels continuant d'agir à leur guise, sans qu'aucune autorité ne vienne réglementer leur participation.
M. Philippe Foucras. - Le fonctionnement des Assises ne montre assurément pas, à nos yeux, la volonté de procéder à une modification des pratiques et des comportements. Ce sont les raisons qui ont présidé à notre retrait. Nous regrettons de ne pas avoir été suivis.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Auriez-vous préféré que les conclusions de la mission parlementaire et des rapports de l'Igas interviennent avant l'institution des Assises du médicament, pour mettre en pratique les recommandations ?
M. Philippe Foucras. - Pourquoi court-circuiter, par cette « foire aux médicaments », des travaux parlementaires sereins, bénéficiant d'une légitimité d'élus ? Il est possible ensuite de se saisir de vos travaux et de les affiner pour en tirer des propositions mais il me semble que les Assises constituent un mauvais outil.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Nous tentons d'élaborer des propositions. Quelles seraient vos recommandations pour améliorer la formation initiale et continue des médecins et professionnels de santé en pharmacovigilance et thérapeutique ?
M. Philippe Foucras. - Notre postulat de départ repose sur le fait qu'il n'incombe pas aux fabricants de médicaments d'apprendre aux médecins leur métier. Ils doivent être présents pour fournir de bons produits et aider à les prescrire mais ils n'ont pas à intervenir dans notre métier. Chacun doit rester fidèle à l'intérêt de son métier. Il faut donc trouver les moyens de mettre en place, à l'université et en formation continue, les outils de l'indépendance de cette formation. L'indépendance n'est pas qu'un concept. Une culture de l'indépendance doit être fixée. Toute cette connaissance se révèle fondamentale pour arriver à prendre conscience de la réalité des influences et apprendre à s'en défendre. Un apprentissage à la pensée critique devrait être dispensé dès les premières années d'étude de médecine et tout au long de la formation médicale continue. L'Université de Stanford aux Etats-Unis fut l'une des premières, en 2006, à mettre en place une politique drastique de formation des étudiants en médecine aux conflits d'intérêts et à la gestion des relations avec les industries. L'université a analysé les pratiques de formation et de bourses de recherche et l'ensemble de son fonctionnement à la lecture des conflits d'intérêts en santé sur plusieurs années. De cette analyse ont été déduits des éléments pragmatiques d'enseignement à destination des étudiants, chercheurs et universitaires pour se prémunir de ces problématiques. Il s'agit d'un travail très intéressant qui se généralise aux Etats-Unis.
En France, sauf situation extrêmement ponctuelle, cela n'existe pas. Tous les éléments de pharmacovigilance sont aujourd'hui insuffisamment pris en compte dans la formation. Notre première attente tient dans la formation à l'esprit critique, qui vise à apprendre à gérer les relations avec les entreprises privées. Il faut aussi mettre en place, en pratique, les outils de l'indépendance, tant dans la formation initiale que dans la formation continue, avec le critère clair d'un financement libéré de toute influence. Ces objectifs me paraissent véritablement incontournables, compte tenu du facteur de risque sanitaire que représentent ces influences.
M. Jean-Jacques Mirassou . - Je suis séduit par ces concepts d'esprit critique qui peuvent permettre, au cours de la formation initiale comme continue, d'armer le praticien afin qu'il puisse prescrire dans de meilleures conditions. Je ferai cependant deux observations. La pharmacologie évolue de façon exponentielle. Un praticien armé à un moment donné, le sera beaucoup moins dix ans plus tard, malgré toute la pertinence de la formation continue. Il faut donc instituer un référent en interface pour que, en cas de question, une réponse puisse être formulée qui permette au praticien d'adopter la bonne position. Outre la relation avec le laboratoire, la relation entre le praticien et le malade influe de plus en plus. Le malade n'est plus aujourd'hui dans le même état d'esprit qu'il était voilà vingt ans, souvent « pollué » par des informations et des affaires comme le Mediator.
M. Philippe Foucras. - J'en suis tout à fait d'accord.
M. François Autain , président . - Je souscris pleinement à ce commentaire. Nous évoquons l'information et la formation des médecins. Je souhaiterais maintenant aborder la question de la visite médicale. A l'heure actuelle, les laboratoires ont tendance à considérer que la visite médicale ne constitue pas la meilleure façon de distribuer leurs produits. Le nombre de visiteurs médicaux tend d'ailleurs à diminuer. Nous avons envisagé, à plusieurs reprises, de créer un corps de visiteurs médicaux qui ne dépendraient plus de l'assurance maladie mais qui seraient pris en charge par une autorité indépendante comme la Haute Autorité de santé. Qu'en pensez-vous ?
M. Philippe Foucras. - La visite médicale existe parce qu'elle représente l'un des outils marketing les plus efficaces pour convaincre les praticiens de prescrire un produit. Le jour où cet outil n'emportera plus aucun retour sur investissement, les firmes en changeront. Les firmes ont ainsi constaté une perte de son efficacité, surtout chez les généralistes. Elle garde cependant toute sa pertinence dans les établissements hospitaliers et sur les leaders d'opinion. Le rapport de l'Igas de 2007 sur la formation des généralistes appelait à un désarmement de la formation. L'industrie ne désarme pas mais réduit le nombre de visiteurs médicaux pour les redéployer là où ils se révéleront plus efficaces et plus pertinents. Ils sont aujourd'hui dirigés davantage vers les leaders d'opinion des hôpitaux universitaires qui, par leur autorité et leur expérience, sont à même d'influencer, à plus ou moins grande échelle, le marché. La visite médicale représente un outil très efficace qui procède d'un dialogue de pair à pair, entre deux personnes de même niveau scientifique, très performant pour convaincre. La visite médicale s'inscrit aussi dans un environnement et dépasse le cadre strict de la rencontre professionnelle. S'y ajoutent les outils et cadeaux, les formations, les congrès, les campagnes d'information, soit tout un ensemble accompagnant la visite médicale, et qui constitue un environnement marketing extrêmement performant. Je ne suis pas sûr qu'un visiteur médical « officiel » soit plus performant car la visite n'a d'efficacité qu'entourée de cet environnement marketing. Il faut d'abord s'assurer de son indépendance totale. Or la HAS n'est pas, en la matière, exempte de défauts. Elle fait néanmoins des efforts. Elle a ainsi décidé de réexaminer toutes ses recommandations. La visite médicale officielle ne sera pertinente que si les recommandations qu'elle propose s'avèrent elles-mêmes exemptes de biais et d'influences. Il importe donc que celles-ci soient élaborées sans conflits d'intérêts au sein de la HAS. Un article du 3 mai, publié dans le British Medical Journal , précise que le National Institute of Health (NIH), aux Etats-Unis, ne gère pas les conflits d'intérêts car il a mis en place les moyens nécessaires pour disposer d'un panel d'experts totalement indépendants. Les visites médicales officielles ne conviendront que si les documents qu'elles fournissent sont « nettoyés » des risques de biais. A défaut, cela pourrait constituer une catastrophe. Des verrous importants doivent être posés sur la pertinence et l'efficacité de cette visite.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Quelles solutions pourraient être retenues pour réduire leur influence dans la prescription médicale ? La charte de la visite médicale a-t-elle eu les effets escomptés ?
M. Philippe Foucras. - La charte de la visite médicale n'a eu aucun effet. Elle constitue un outil marketing et de crédibilisation du discours. La HAS l'a reconnu elle-même malgré la bonne intention de départ. La visite médicale doit rester ce qu'elle est, c'est-à-dire un outil marketing, mais doit être identifiée par les professionnels comme telle. Les tentatives pour la crédibiliser ne vont pas dans ce sens-là. Il faut pouvoir en revanche inciter les professionnels à recevoir une information par des outils autres que marketing. La visite médicale ou les outils marketing ne devraient pas être autorisés dans un développement professionnel continu qui comporterait des critères d'accréditation. Si un professionnel veut recevoir un visiteur, il le peut mais cette rencontre ne doit pas être perçue comme un outil de formation.
M. François Autain , président . - Que pensez-vous de la proposition de M. Hirsch, lors de son audition, de supprimer purement et simplement la visite médicale des laboratoires pharmaceutiques ?
M. Philippe Foucras. - Dans une économie de marché, les firmes ont besoin de vendre et promouvoir leurs produits. Si les visites leur sont interdites, elles trouveront d'autres moyens, notamment en agissant auprès des leaders d'opinion, dont le retour sur investissement se révèle deux fois supérieur en termes de prescriptions que celui d'un visiteur médical. Il est possible d'interdire les outils les plus évidents mais les firmes utiliseront sans doute des outils plus insidieux et encore plus difficiles à appréhender. Laissons vivre les visiteurs médicaux mais formons les professionnels de santé et les autorités pour leur faire comprendre l'objectif de ces visites.
M. Jean-Jacques Mirassou . - Cette problématique est aussi liée au nombre de spécialités mises à disposition sur le marché. L'augmentation du nombre de spécialités implique-t-elle l'inflation des visites médicales des laboratoires ?
M. Philippe Foucras. - La liste des médicaments essentiels de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) regroupe environ trois cents médicaments, dont certains ne sont pas efficaces. Un médecin généraliste n'a pas besoin d'un volume important de médicaments pour faire face à la plupart des situations. Moi-même j'utilise des médicaments plus anciens car, selon les données fiables, les nouveaux médicaments n'apportent pas de service supplémentaire. Quelques centaines de molécules seulement constituent le « panier » qui sert à soigner la plupart des pathologies que nous rencontrons. Le reste est constitué de copies, de produits commercialisés sous deux marques différentes, de génériques, dont la place augmente sur le marché, etc. Sur l'hypertension, par exemple, j'utilise quatre à cinq molécules.
M. François Autain , président . - Il existe 150 médicaments hypertenseurs !
M. Jean-Jacques Mirassou . - Dire que la visite médicale sert à « justifier » les médicaments se trouvant en dehors du panier n'est donc pas loin de la vérité.
M. Philippe Foucras. - On n'en est pas loin en effet.
M. François Autain , président . - Etes-vous favorables à la création d'un corps de visiteurs médicaux dépendant de la HAS, dès lors que ceux-ci délivreraient une information objective et délivrée de tout conflit d'intérêts ?
M. Philippe Foucras. - Il est possible d'avoir accès à une formation fiable et de qualité sans ce corps.
M. François Autain , président . - Il existe aujourd'hui les délégués de l'assurance maladie (Dam).
M. Philippe Foucras. - Les Dam revêtent quand même une dimension économique. Lorsque je les reçois, ils ressortent souvent avec plus d'informations qu'ils ne m'en ont fourni ! Je pense qu'il est possible d'avoir aujourd'hui accès à une formation de qualité, pertinente, pour effectuer des soins avec le moins d'influence possible. Si ce corps peut apporter une amélioration, j'y suis favorable mais à la condition que les moyens d'assurer son efficacité soient mis en place. Les firmes consacrent 25 000 euros par médecin pour la visite médicale, selon un rapport de l'Igas de 2007. Les pouvoirs publics pourraient-ils consacrer ne serait-ce qu'un milliard d'euros par an pour disposer d'un outil aussi pertinent ?
M. François Autain , président . - Si les pouvoirs publics estiment que les dépenses des autorités sanitaires consacrées à l'information sur les produits doivent être équivalentes aux dépenses de l'industrie pharmaceutique pour la promotion de ses produits, il serait possible d'imaginer une taxe d'un tel montant, qui revêtirait, en outre, un caractère vertueux.
M. Philippe Foucras. - Cela me paraît effectivement vertueux. Le prix du médicament remboursé par le budget public comprend en partie le budget marketing. Restituer cet argent public pour le redistribuer à une formation médicale indépendante, finançant des organismes dont les formateurs comme le contenu des formations sont indépendants, ne viendrait pas imputer les comptes des firmes, qui auraient moins de dépenses de marketing à assumer. Des études ont été réalisées sur le surcoût. L'UFC-Que choisir a ainsi estimé que, sur quatre classes de médicaments, 650 millions d'euros d'économie étaient possibles. Une étude du Journal of the American Medical Association (JAMA), en 2004, estimait que, aux Etats-Unis, si les prescriptions pour l'hypertension, se gardant de toute influence, suivaient les critères scientifiques, 1,2 milliard d'euros pourraient être économisés par an. Imaginez les bénéfices en termes de coûts de cette redistribution d'une partie du budget marketing sur une formation indépendante. Cela constituerait un cercle vertueux.
M. François Autain , président . - Nous partons quand même de très loin. Au-delà de la problématique des visiteurs médicaux, l'information dont disposent les médecins se révèle tout sauf indépendante. Le Vidal papier représente un document publicitaire mais il existe un Vidal payant qui, semble-t-il, se révèle beaucoup plus élaboré et comporte plus de recommandations fiables. Le problème actuel provient de l'absence de bases de données critiques des médicaments dont pourraient disposer les médecins. Les seuls logiciels d'aide à la prescription qu'utilisent les médecins sont financés directement ou indirectement par l'industrie pharmaceutique. Le seul logiciel agréé par la HAS n'est pas du tout utilisé par les praticiens. La personne en charge de ce dossier à la HAS se trouve impuissante face à cette réalité, dépassée par la création de cette base de données. Au-delà d'un problème de moyens, se pose aussi un problème de volonté politique et de professionnel, cet exercice se révélant particulièrement complexe.
M. Philippe Foucras. - Le Vidal est à la fois de la publicité et autre chose que de la publicité, puisqu'il comprend les seuls résumés des caractéristiques des produits pour lesquels les firmes paient. C'est pour cela que les médecins le reçoivent gratuitement. La question de la base de données revient à une solution une fois le problème passé. Il est effectivement nécessaire de gérer les quatre mille ou cinq mille spécialités. Si les prescriptions se limitent, en revanche, aux deux cents ou trois cents produits réellement efficaces, la base de données s'avère moins complexe à réaliser. Quand les patients se présentent à mon cabinet avec des médicaments que je ne connais pas, je consulte la bibliothèque électronique de Prescrire et le Vidal. Ces deux outils m'apportent une information relativement fiable. Il s'agit donc d'identifier l'outil à fournir au professionnel pour qu'il dispose d'une information officielle et d'une lecture critique sur le médicament en fonction du service médical fourni. Cette base n'existe pas mais elle s'avère peu complexe à mettre en place si la volonté existe et si les moyens sont institués. Toutes les briques existent. Il reste à les agréger pour en faire un outil pertinent. En revanche, cet outil ne doit pas venir nous apprendre à utiliser des médicaments que l'on ne peut gérer, sous peine d'un nouveau risque d'influence.
M. François Autain , président . - Vous attendez donc la mise en place d'un répertoire critique qui ne porterait pas sur tous les médicaments ?
M. Philippe Foucras. - Si, car tout médecin se trouve confronté à un médicament qu'il ne connaît pas. Le répertoire se doit d'être exhaustif mais il doit surtout aider à bien prescrire, pour réduire le champ de la prescription à ce qui est vraiment utile.
M. François Autain , président . - Ceci me semble quelque peu contradictoire.
M. Jean-Jacques Mirassou . - Nous sommes au coeur du problème. Force est de constater l'actuelle inflation des prescriptions. Il me semble qu'il doit exister une marge de manoeuvre entre le Vidal et le Quotidien du médecin . Je serais favorable à l'établissement d'une base de données critique incontestable et incontestée.
M. Philippe Foucras. - Il s'agirait de mettre en place une base des données médicamenteuses permettant de disposer d'un avis critique pour savoir si l'on peut prescrire un médicament ou s'en passer.
M. François Autain , président . - Pourrions-nous imaginer une alternative au Vidal, qui, adressée chaque année aux praticiens, émanerait de la HAS, comme cela existe en Belgique, où un petit document, adressé aux médecins, est édité par le service national de la pharmacie ?
M. Philippe Foucras. - Il importe que la HAS puisse se protéger des influences pour établir de tels documents.
M. François Autain , président . - Il existe aujourd'hui trois bases de données : Thériaque, la Banque Claude Bernard et Thesorimed. Or les médecins généralistes ne les utilisent pas, sans doute du fait de leur inadaptation, privilégiant de plus en plus des logiciels d'aide à la prescription.
M. Philippe Foucras. - C'est tout à fait cela. L'intégration de pages de publicité dans ces logiciels représente d'ailleurs un enjeu majeur pour les firmes.
M. François Autain , président . - La HAS se contente pour l'heure de certifier des logiciels utilisés.
M. Philippe Foucras. - Elle pourrait fournir des outils, à condition de prendre des mesures drastiques pour fournir des données critiques et fiables.
M. François Autain , président . - Sa mission devrait donc, selon vous, aller au-delà de la certification.
M. Philippe Foucras. - Peut-être. La HAS est une haute autorité qui doit, par définition, venir rassurer les professionnels. Aujourd'hui nous nous battons pour que la HAS devienne digne de confiance. Elle fait des efforts qui sont cependant loin d'être suffisants. Le jour où ils le seront, les outils qu'elle mettra à disposition se révéleront pertinents.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Hier, nous avons auditionné l'Afssaps, dans le cadre de la mission d'information sur les toxicomanies. Celle-ci évoquait 270 décès par overdose par an dont 53 % pouvant être attribués à des drogues illicites et 47 % à des drogues licites. Nous parlons actuellement du Mediator ou du Vioxx, mais comment prendre également en compte les phénomènes d'addiction à un médicament de substitution, comme la morphine, qui peut à la fois soulager et devenir une drogue dans certains cas ? Cela ne participe-t-il pas de la théorie de la capture ?
M. Philippe Foucras. - J'ignorais ces chiffres. Je les rapporte aux dix mille décès par iatrogénie par an.
M. François Autain , président . - On va même au-delà puisque le professeur Abenhaïm évoquait 18 000 morts par an.
M. Philippe Foucras. - La proportion se révèle beaucoup plus importante. Pour la population marginalisée des toxicomanes, qui éprouve des difficultés plus grandes à se soigner, créer des dépendances aux médicaments constitue un risque. Il n'existe pas cependant un tel risque de dépendance pour la morphine. Sans nier cette réalité, dans le contexte de l'iatrogénie médicamenteuse, ce phénomène ne me paraît pas essentiel. Les produits de substitution aident à passer d'une dépendance illégale à une dépendance légale et contrôlée. Il me semble évident que cette population, très difficile à soigner, ne présente pas un taux de réussite à 100 %. Ce risque lié aux médicaments de substitution ne me paraît donc pas contrebalancer le rapport bénéfices-risques en santé publique
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - La France est le second producteur licite d'opiacés, via la production d'une filiale de Sanofi-Aventis, placée sous le contrôle de l'Afssaps.
Quelle autorité vous semblerait la mieux adaptée pour contrôler la fiabilité des déclarations d'intérêts des experts ?
M. Philippe Foucras. - Je formulerai deux remarques préliminaires. Nous sommes dans un autre paradigme. Dans les pays anglo-saxons, ces déclarations sont effectuées sur la base de la confiance ou dans le cadre d'un contrôle citoyen, sans autorité de contrôle. En France, la mise en place d'un outil de contrôle me semble utile car nous fonctionnons de manière différente. Cet outil doit néanmoins être totalement indépendant. Peut-être doit-il relever d'une structure supplémentaire ? L'outil citoyen qu'opère notamment le Formindep, me paraît aussi intéressant, dès lors qu'il a accès aux données. Cette transparence doit être favorisée pour permettre un contrôle citoyen plus efficace et réactif que celui d'une institution. Enfin, l'idéal serait qu'aucun contrôle ne soit nécessaire dans les structures décisives, telles l'Afssaps ou la HAS, leurs agents ne devant présenter aucun lien d'intérêts, cette absence étant contrôlée, en amont, dans le choix des professionnels.
M. François Autain , président . - Je souhaiterais vous interroger sur les conditions dans lesquelles est ou n'est pas appliquée la disposition de la loi de 2002 sur le droit des malades concernant l'obligation des professionnels de santé d'indiquer leurs liens d'intérêts lorsqu'ils s'expriment publiquement. Avant-hier, dans Les Echos , est parue une tribune signée par trois grands professeurs, défendant l'industrie pharmaceutique. Je pense que leurs arguments auraient plus de poids s'ils faisaient suivre leur nom de la mention d'une absence de liens avec l'industrie. Force est de constater que cette réglementation n'est pas respectée.
M. Philippe Foucras. - Nous connaissons bien cette législation dont nous avons obtenu les décrets d'application lors d'un premier recours auprès du Conseil d'Etat en 2006-2007. Nous avons constaté avec la revue Que choisir que cette disposition n'était pas appliquée. La revue a donc porté plainte auprès des ordres professionnels chargés de la faire appliquer. Des citoyens peuvent écrire à l'ordre des médecins pour quérir des renseignements sur les liens d'intérêts et, à défaut de déclaration, porter plainte. Une loi qui n'est pas sanctionnée est une loi qui n'est pas appliquée. J'ai suggéré hier sur France Inter de nous montrer pionniers en la matière. Les décrets sont parus depuis maintenant trois ou quatre ans. Des journaux ont commencé à procéder à ces déclarations. Nous devons continuer le combat en faveur de son application.
M. François Autain , président . - Aujourd'hui la loi ne prévoit pas de sanctions.
M. Philippe Foucras. - Des sanctions peuvent être décidées par les ordres, mais elles s'avèrent peu dissuasives.
M. François Autain , président . - Les ordres ont-ils pris des sanctions suite à vos actions ?
M. Philippe Foucras. - Non. Un entretien de conciliation a été organisé durant lequel les professionnels ont pris des engagements. Je pense que si l'ordre ne fait pas respecter cette législation, c'est qu'il n'en saisit pas l'importance.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Comment mettre en place un politique d'essais cliniques qui ne soit pas financée par un laboratoire ? Nous ne pouvons pas instituer un système totalement binaire.
M. Philippe Foucras. - Les professionnels peuvent tout à fait travailler avec des firmes dans le cadre de recherches mais ils ne doivent pas, dans ce cas, être mis en situation de décider de la mise sur le marché du médicament qu'ils ont testé.
M. François Autain , président . - Madame Chailleu, souhaitez-vous ajouter quelque chose ?
Mme Anne Chailleu . - J'insisterai, pour conclure, sur la nécessité d'éviter les conflits institutionnalisés. Des agences se sont vu confier des missions contradictoires. Ainsi, l'Agence européenne du médicament, à partir de 2004, a été chargée du conseil scientifique aux entreprises sur la conduite des essais alors qu'elle doit par ailleurs juger de la pertinence et des résultats de ces essais, dans le cadre de la mise sur le marché de la molécule. Ces deux missions qui devraient être confiées à deux institutions différentes créent donc un conflit d'intérêts.
M. François Autain , président . - Cela existe aussi à l'Afssaps.
Mme Anne Chailleu . - Tout à fait. D'ailleurs le soutien à l'innovation représente la première mission mentionnée sur le portail de l'Agence alors qu'elle n'est pas explicitée dans les textes.
M. François Autain , président . - Il nous a été affirmé que cette mission n'est pas rémunérée par les laboratoires.
Mme Anne Chailleu . - Je l'ignore mais elle fait partie du contrat de performance que l'Afssaps signe avec l'Etat. Cette mission est en revanche rémunérée dans le cadre de l'Agence européenne du médicament, à des montants quasiment comparables à ceux d'une AMM. L'Agence fournit près de quatre cents conseils scientifiques par an. Or ceci constitue structurellement un conflit d'intérêts, qui risque de se développer encore davantage puisqu'il est prévu de mettre en place, via un think tank , une étude pilote entre la HAS et deux laboratoires sur l'étude très en amont de molécules contre le diabète de type 2. L'objectif, exposé en juin 2010 par Thomas Lönngren, consiste à ce que les organismes d'évaluation de la qualité des prestations thérapeutiques doublonnent et disparaissent au profit de l'Agence européenne du médicament, dont les dysfonctionnements sont patents, comme le démontre largement le récent rapport parlementaire. Or la HAS garde le plus grand silence sur cette étude pilote.
M. François Autain , président . - Le budget de l'EMA a-t-il été voté ?
Mme Anne Chailleu . - La commission de contrôle budgétaire a voté contre la décharge pour le budget 2009.
M. François Autain , président . - En particulier à cause des problèmes de conflits d'intérêts.
Mme Anne Chailleu . - Ainsi que de problèmes de passation de marchés en dehors de toutes règles. Je conclurai enfin sur la nécessité de disposer d'outils citoyens, dès lors que les agences sont dans l'incapacité de se contrôler elles-mêmes. Nous utilisons beaucoup la directive 1049 de 2001 qui nous donne accès aux documents administratifs. Elle nous a ainsi permis d'obtenir les documents sur le pantouflage de Thomas Lönngren. Or, en France, la transposition qui en a été faite se révèle très restrictive. Il serait bien d'élargir le droit d'accès aux documents administratifs, notamment les déclarations des dons des laboratoires aux sociétés savantes, des déclarations obligatoires qui ne sont pas aisément accessibles au public.
M. François Autain , président . - Aujourd'hui, les laboratoires déclarent les sommes qu'ils versent aux associations.
Mme Anne Chailleu . - Cette obligation porte sur les dons versés aux associations de patients mais pas aux sociétés savantes. Nous avons introduit un recours auprès de la commission d'accès aux documents administratifs (Cada) pour obtenir ces déclarations, qui nous sont parvenues expurgées des noms des laboratoires.
M. François Autain , président . - Nous vous remercions.
Audition de M. Pierre BORDRY, président, et Mme Axelle HOVINE, secrétaire générale, de la Commission paritaire des publications et agences de presse (CPPAP) (jeudi 19 mai 2011)
M. François Autain , président . - Nous poursuivons nos auditions avec M. Pierre Bordry, président de la commission paritaire des publications et agences de presse et Mme Axelle Hovine, secrétaire générale. Cette audition est ouverte à la presse et sera retransmise sur le site du Sénat. Elle pourra éventuellement être diffusée sur la chaîne Public Sénat. Peut-être souhaitez-vous procéder à une intervention liminaire avant que Mme le rapporteur vous pose ses questions ?
M. Pierre Bordry, président de la CPPAP . - Je peux vous rappeler, en préambule, la fonction de cette commission paritaire. La collectivité publique contribue à la liberté d'expression en accordant un régime économique spécifique à la presse écrite. Pour prétendre aux dispositifs d'allègements fiscaux ou aux tarifs préférentiels pour l'acheminement postal des publications, les journaux, écrits périodiques, voire la presse en ligne, doivent remplir des conditions légales et réglementaires et être inscrits à ce titre sur les registres de la commission paritaire des publications et agences de presse. Aujourd'hui, dix mille publications bénéficient d'un numéro de commission paritaire. Cette commission est chargée d'émettre un avis sur l'application aux journaux et écrits périodiques des textes législatifs et réglementaires qui prévoient ces allègements de taxe fiscale, notamment définis par les articles 72 et 73 de l'annexe III du code général des impôts et les articles D. 18 et suivants du code des postes et des communications électroniques. Pour la presse écrite, la décision de la commission devient une obligation pour l'Etat et peut faire l'objet d'un recours devant le Conseil d'Etat. Pour les agences de presse - 250 d'entre elles sont reconnues par la CPPAP - la commission émet un avis au Gouvernement mais l'administration n'est pas tenue de le respecter. Le secrétariat de la commission est dirigé par la secrétaire générale, qui dépend de la direction du ministère de la culture chargée des questions d'information. La commission paritaire a été classée par le Conseil d'Etat comme une autorité « quasi indépendante » car son président dispose d'un double vote pour départager ses vingt-deux membres, choisissant de se prononcer en faveur de la presse ou de l'Etat. L'avis favorable de la commission paritaire donne lieu à la délivrance d'un certificat valable pour seulement cinq ans depuis 1997, opposable à l'Etat et à la Poste pour les avantages fiscaux et postaux.
Les principales conditions d'admission sont les suivantes :
- la publication doit satisfaire aux obligations de la loi du 29 juillet 1881 et ses modifications sur la liberté de la presse, en particulier s'agissant des mentions légales, du dépôt et de la responsabilité du directeur de la publication ;
- la publication doit présenter un lien direct avec l'actualité et un rapport éditorial significatif ;
- la publication doit présenter un caractère d'intérêt général quant à la diffusion de la pensée et contribuer de ce fait à l'instruction, l'éducation, l'information ou la récréation du public ;
- la surface consacrée à la publicité et aux assurances classées ne doit pas être supérieure aux deux tiers de la surface totale de la publication ;
- la publication ne doit pas relever d'un genre éditorial listé par la CPPAP (guide, catalogue, publication de modèles, instrument de communication simple, instrument de publicité ou toute publication apparaissant comme l'instrument d'une entreprise pour des fins commerciales) ;
- la publication doit obéir à une périodicité régulière, au moins trimestrielle ;
- la publication doit faire l'objet d'une vente effective au public, au numéro ou par abonnement, à un prix présentant un lien réel avec le coût de fabrication de cette publication. Le nombre d'exemplaires effectivement vendus doit représenter au moins 50 % du tirage total de la publication, total duquel sont retirées les publications détruites. Sont admis au titre des ventes les abonnements collectés, c'est-à-dire souscrits par une société extérieure, à condition qu'ils soient adressés à des abonnés individuels. Sont en revanche assimilés à des prestations gratuites des abonnements achetés en nombre par une seule structure pour les offrir à des personnes physiques. Exception est faite dans le secteur médical pour les sociétés savantes.
A titre d'exemple, le laboratoire pharmaceutique qui achèterait à des conditions préférentielles la moitié du tirage d'une publication de presse dont il serait l'un des principaux annonceurs, pour distribuer ces exemplaires gracieusement lors des rendez-vous accordés par les praticiens à ses visiteurs médicaux se verrait refuser le qualificatif d'abonnement collectif.
M. François Autain , président . - Ceci constitue une situation tout à fait hypothétique.
M. Pierre Bordry . - Tout à fait.
M. François Autain , président . - Recherchez-vous de tels cas ?
M. Pierre Bordry . - Absolument.
M. François Autain , président . - L'avez-vous déjà trouvée ?
M. Pierre Bordry . - Pour l'instant, non.
Mme Axelle Hovine . - Si nous la trouvons, nous l'excluons de la vente.
M. Pierre Bordry . - La presse médicale bénéficiant d'un numéro de commission paritaire est composée pour l'essentiel de titres de presse professionnelle se déclinant par spécialités médicales. Nous comptons environ 335 titres majoritairement édités par de grands groupes, souvent étrangers (Kluwer, Springer, Elsevier, etc.). Ces titres sont réservés à des publics professionnels à des fins d'information, de formation et de recherche et participent ainsi à l'obligation de publication des chercheurs. Ces publications appartiennent au syndicat de la presse médicale, qui fait lui-même partie de la Fédération de la presse spécialisée. L'enjeu du bénéfice du régime économique de la presse se révèle important pour ces titres diffusés exclusivement par voie d'abonnement. A ces titres s'ajoutent cent à deux cents titres de presse « grand public », publications de vulgarisation scientifique ou plus spécifiquement dédiées aux sciences parallèles ou occultes.
Il existe deux principaux motifs de refus à l'accès au régime économique de la presse, tenant, en premier lieu, à une part inférieure à 50 % des ventes effectives compte tenu du nombre d'exemplaires distribués gratuitement auprès des médecins. Les publications médicales ont fait en particulier l'objet d'un réexamen catégoriel entre 2001 et 2002 qui a conduit à refuser 25 % d'entre elles.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Combien comptez-vous d'agréments et de refus ?
M. Pierre Bordry . - En 2001-2002, lors de ce réexamen de la presse médicale, nous comptions 540 publications médicales. Elles sont environ 300 aujourd'hui. Nous en avons exclu alors 25 %, considérant qu'elles n'étaient pas vendues. Le Conseil d'Etat a confirmé cette radiation de la liste de la commission paritaire par une décision Réalité clinique du 3 décembre 2003. Le second critère d'intérêt général est aussi examiné avec attention et peut amener la commission à se prononcer défavorablement, notamment lorsque la publication peut présenter un danger pour la santé. Aujourd'hui, si la commission paritaire éprouve des doutes sur l'intérêt général d'une publication qu'elle doit examiner, elle requiert l'avis de la direction générale de la santé (DGS). L'avis de celle-ci s'avère souvent très laconique, indiquant, par exemple, que le contenu rédactionnel de la publication ne correspond pas aux préconisations thérapeutiques en vigueur. La commission paritaire peut en tenir compte ou non, si la publication apporte un correctif.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - La commission paritaire compte-t-elle des médecins en son sein ?
M. Pierre Bordry . - Non. Nous ne procédons à aucune vérification de la qualité du fond éditorial sauf à demander son avis à la direction générale de la santé. La Haute Autorité de santé - HAS - a également institué récemment un service d'analyse de la presse médicale. Mon intention est donc, à l'avenir, de saisir la HAS pour obtenir un avis plus précis que celui de la DGS car il est arrivé que les avis de cette dernière, que nous avions suivis, soient considérés par le Conseil d'Etat comme insuffisamment motivés. Ceci est d'autant plus important que nous avons aujourd'hui compétence sur les publications en ligne.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Quel contrôle exercez-vous sur la presse médicale en ligne ?
M. Pierre Bordry . - Le dossier est instruit par les services de la commission paritaire selon les mêmes critères que pour la presse écrite. La DGS peut, s'il y a lieu, être sollicitée pour avis. Les publications en ligne sont soumises à l'examen de tous les membres de la CPPAP. Des garanties doivent être fournies sur l'actualité, le renouvellement du site, sa périodicité. La publicité fait l'objet d'une analyse attentive, de même que le caractère éditorial et la présence de journalistes dans la publication. Même pour la presse en ligne, nous étudions le caractère d'intérêt général. Nous avons refusé certains sites comme lanutrition.fr , sur la DHEA et les compléments alimentaires, estimant notamment qu'il ne contenait pas suffisamment de précautions d'usage ni d'informations du lecteur sur les risques encourus du fait de la prise de ces produits. Pour l'instant, le nombre de publications médicales en ligne se révèle limité à une dizaine.
M. François Autain , président . - Votre mission recoupe finalement l'une des missions de la HAS, qui examine aussi les publications ?
M. Pierre Bordry . - Elle effectue aussi une analyse mais seule la commission paritaire peut décider d'accorder un certificat à une publication.
M. François Autain , président . - Vous pouvez cependant porter des jugements très proches de ceux de la HAS alors que vous ne disposez pas des moyens de le faire.
M. Pierre Bordry . - Nous examinons l'intérêt général et le caractère éditorial de la publication. Le Parlement s'intéresse beaucoup à la publicité des laboratoires sur la presse médicale et lorsqu'un laboratoire veut diffuser une publicité ou un communiqué sur un médicament, la loi, conformément aux dispositions du code de la sécurité sociale, offre à ce laboratoire des réductions de taxe, renforçant logiquement la publicité sur ces publications.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Vous avez répondu à mes trois questions sur les agréments et les refus. Quel contrôle exercez-vous sur le respect du nombre de revues distribuées gratuitement pour bénéficier des exonérations ?
M. Pierre Bordry . - Notre contrôle, très précis, peut s'opérer sur place au besoin. Il se fonde sur une déclaration du directeur de la publication mais des organismes de distribution comme la Poste, extérieurs à la publication, peuvent nous confirmer la réalité de la vente.
Mme Axelle Hovine . - Nous demandons des chiffres certifiés par des experts-comptables et, le cas échéant, des bordereaux d'abonnement ou des copies de chèques. Nos contrôles peuvent donc se révéler très poussés.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - M. Eric Giacometti indiquait que les éléments sur les effets indésirables des médicaments n'étaient pas toujours publiés dans la presse médicale. Serait-il possible de demander voire d'imposer à cette presse de produire des articles réguliers sur cette question ?
M. Pierre Bordry . - La commission paritaire est issue d'un dispositif ancien, fondé sur l'ordonnance de 1944 dont l'objectif visait à permettre au citoyen d'avoir accès à la publication de son choix dans le respect du pluralisme. Nous sommes donc très attentifs à ne pas porter de jugement sur le contenu éditorial d'un journal. Il n'entre pas dans le rôle de la commission paritaire d'évaluer le caractère éditorial d'une publication car, outre l'absence de compétence, nous ne souhaitons pas et ne devons pas être une commission de censure, d'autant que la décision de la commission paritaire de ne pas retenir une publication entraîne souvent la mort de celle-ci. Il convient que l'Etat en débatte avec la profession car ceci offre un certain nombre de garanties et constitue l'esprit de la législation et de la réglementation de la presse depuis 1944.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Pensez-vous que la presse médicale se soit suffisamment emparée du débat scientifique sur le Mediator ? Réalisez-vous des lectures a posteriori pour vérifier que les publications présentent bien un caractère d'intérêt général ?
M. Pierre Bordry . - Je ne suis pas qualifié pour répondre à la question sur le Mediator. Je peux rappeler une publication et la réexaminer s'il apparaît qu'elle ne présente pas un caractère d'intérêt général. Je le fais régulièrement, en mon pouvoir de président.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - S'agissant des articles sur les effets indésirables, il s'agit donc selon vous d'une négociation entre l'Etat et la presse médicale ?
M. Pierre Bordry . - Je n'ai rien dit de tel. Si cette question se posait devant la commission paritaire, nous demanderions au préalable l'avis de la DGS et de la HAS pour y répondre de manière qualifiée.
M. François Autain , président . - Merci d'avoir répondu à nos questions.
Audition de M. Paul BENKIMOUN, journaliste en charge des questions de santé et de médecine au quotidien Le Monde (jeudi 19 mai 2011)
M. François Autain , président . - Nous poursuivons nos auditions avec M. Paul Benkimoun, médecin et journaliste en charge des questions de santé et de médecine au quotidien Le Monde . Avez-vous des liens d'intérêts avec l'industrie pharmaceutique ?
M. Paul Benkimoun, journaliste en charge des questions de santé et de médecine au quotidien Le Monde . - Je n'ai aucun lien et ne reçois aucune subvention de quelque nature que ce soit de la part d'un industriel de la pharmacie. J'ai dû procéder à une déclaration de même nature pour la revue britannique British Medical Journal à laquelle je collabore périodiquement.
M. François Autain , président . - Vous n'êtes pas sans savoir qu'il existe une loi de 2002 qui oblige les professionnels de santé qui s'expriment dans la presse ou participent à un colloque à indiquer, au préalable, leurs liens d'intérêts avec l'industrie pharmaceutique. Or, force est de reconnaître que cette législation est mal, sinon pas, appliquée. Quelle en est la raison selon vous ?
M. Paul Benkimoun . - Je répondrai d'autant plus volontiers que nous avons, en interne, réfléchi à cette question, constatant que nous figurions parmi les premiers à déplorer les manquements à ce type d'obligations légales alors que nous-mêmes ne l'appliquions pas, citant un expert médical sans faire état, comme nous le devrions, de ses liens ou de l'absence de liens d'intérêts avec l'industrie pharmaceutique. Il existe une contrainte à procéder à cette mention de manière systématique, surtout si ces experts ont des liens d'intérêts multiples. Nos réflexions actuelles nous conduisent à envisager aujourd'hui d'inviter le lecteur à se référer à notre site Internet pour trouver des informations plus complètes, en mentionnant simplement que l'expert déclare ou pas des liens d'intérêts. A cela s'ajoute le fait que les experts ne nous déclarent pas spontanément leurs liens d'intérêts. Or nous ne pouvons nous référer à aucune instance. Aux Etats-Unis, des initiatives ont émergé pour rassembler les données existant en la matière, les experts comme les industriels étant légalement tenus de déclarer les sommes perçues ou versées.
M. François Autain , président . - Aux Etats-Unis, le dispositif n'est pas encore en application.
M. Paul Benkimoun . - Les institutions ne l'ont effectivement pas mis en place mais certains sites Internet ont commencé à mettre en ligne des données de ce type. Des efforts doivent, à mon sens, être accomplis pour trouver des solutions « praticables » qui offrent au public la possibilité d'être informé des liens d'intérêts éventuels.
M. François Autain , président . - L'intérêt serait de savoir si l'expert détient ou non des liens d'intérêts. Cette mention n'exige pas beaucoup d'espace. L'inapplication du texte actuel ne provient donc pas d'une méconnaissance de celui-ci mais d'une difficulté technique d'application.
M. Paul Benkimoun . - Je le pense, d'autant que certains médias seraient plutôt enclins à faire preuve d'une plus grande transparence, en s'appuyant sur la loi. Sans doute les rédactions doivent réfléchir à une solution intelligente pour appliquer cette disposition légale.
M. François Autain , président . - Le texte actuel, s'il était amélioré, pourrait-il être mieux appliqué ?
M. Paul Benkimoun . - J'ignore s'il faut modifier le texte de loi ou, par décret, venir préciser les options permettant de satisfaire cette obligation légale. Peut-être faut-il seulement que certains médias se lancent, incitant les autres à faire de même.
M. François Autain , président . - Avez-vous l'intention de vous lancer ?
M. Paul Benkimoun . - Aucune décision n'a été prise. J'avais entrepris cette discussion avec l'ancienne direction de la rédaction. Je dois l'engager aujourd'hui avec la nouvelle direction.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Si, avant la deuxième lecture de la loi de bioéthique, apparaît une nouvelle découverte médicale, publierez-vous les liens d'intérêts ?
M. Paul Benkimoun . - J'y suis favorable. Il convient de se montrer binaire et d'appliquer la loi ou ne pas l'appliquer. Il ne s'agit pas d'en faire application au gré des affinités et opportunités. Le même régime doit être appliqué à tous les experts.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Nous avons vécu trois phénomènes consécutifs assez étonnants !
Mme Janine Rozier . - Comme vous le savez, je m'intéresse depuis longtemps aux établissements Servier, qui représentent un fleuron de mon département depuis cinquante ans et emploient de nombreux administrés. Vous avez fait paraître dans Le Monde du 17 novembre 2010 un article intitulé « Mediator responsable d'au moins 500 décès » , dans lequel vous indiquez avoir sollicité, le 15 novembre, les établissements Servier qui vous ont précisé qu'ils n'étaient pas informés de l'annonce de l'Afssaps. Vous-mêmes étiez informés de cette annonce. Comment l'avez-vous su ? A quelle date ? Qui a rendu publique cette information ? Quels sont, dans ce cas, les liens d'intérêts ?
M. Paul Benkimoun . - Le Figaro avait publié une information sur une étude réalisée par la Cnam, à la demande de l'Afssaps, estimant la mortalité attribuable au Mediator à cinq cents personnes. S'en est suivie une période très confuse. La Cnam a publié un communiqué annonçant la mise en ligne d'une étude. Or celle-ci portait sur les hospitalisations attribuables à la prise du Mediator et non sur la mortalité. Mes consoeurs du Figaro m'ont confirmé l'existence d'une étude sur la mortalité, existence niée dans un premier temps par la Cnam avant d'être confirmée par son médecin conseil national, le professeur Hubert Allemand. Nous avons « rebondi » après la publication par Le Figaro d'informations qui se sont avérées exactes, s'appuyant sur l'étude de Mahmoud Zureik et l'analyse qu'en avait tirée Catherine Hill. J'ignore comment Le Figaro a obtenu cette information et je n'interroge jamais mes collègues sur leurs sources. Ces informations étaient tout à fait conformes à ce que j'ai pu constater une fois l'étude accessible au grand public. Je ne sais si la « fuite » provenait d'une personne qui avait un intérêt matériel ou moral et, selon moi, cela importe moins que le fait que, dans un premier temps et peut-être de bonne foi, le laboratoire ait indiqué ne détenir aucune information en la matière. Le laboratoire a ensuite réagi par des communiqués relativement perturbants, répondant uniquement à l'étude sur les hospitalisations et omettant totalement l'étude sur la mortalité.
Mme Janine Rozier . - Je suis surprise que vous ayez été informés de l'existence de cette étude avant même le principal intéressé.
M. Paul Benkimoun . - C'est la réponse que m'a faite le laboratoire. Elle ne prouve en rien qu'il était ou n'était pas informé.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Lors d'une récente audition, nous avons identifié une pensée binaire, sans relais, entre l'outil statistique et une approche épidémiologique populationnelle, comme l'a souligné le professeur Acar, un spécialiste incontesté en la matière. J'ai été frappée, lors de cette audition, de l'impossible rencontre entre deux formes de pensée, les statisticiens éprouvant des difficultés à prendre en compte un certain nombre d'éléments cliniques.
M. François Autain , président . - D'autant que cela est anonyme.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Cette réflexion sur les éléments cliniques, que l'on oublie souvent aujourd'hui dans la pratique médicale, ne tend-elle pas à se généraliser ? Quelles sont les spécificités de cette crise sanitaire par rapport à toutes celles que vous avez pu suivre ?
M. Paul Benkimoun . - Il existe une difficulté permanente autour des questions de l'épidémiologie et, plus généralement, de l'utilisation des données chiffrées dans l'espace public. Tous les médecins ont reçu un enseignement de statistiques médicales, qui ne met pas en avant toutefois l'intérêt de pouvoir lire des résultats, analyser une étude et faire la distinction entre ce que l'on veut décrire, les limites de ce que l'on peut conclure à partir de cette description et la correspondance ou non avec l'observation clinique. Cette affaire donne l'impression de se trouver face à des parallèles qui ne se rencontrent pas puisque le travail des épidémiologistes a consisté à dire que, compte tenu des données sur la consommation du produit et sur la pathologie, telles qu'elles sont reflétées par l'activité hospitalière, il est possible d'effectuer une estimation et de fournir un élément mathématique permettant d'apprécier la précision. Ainsi, lors de la crise de la vache folle et l'émergence de cette nouvelle forme de maladie de Creutzfeldt-Jakob chez l'homme, les épidémiologistes britanniques ont avancé une donnée sur le nombre de victimes humaines de cette variante, leur fourchette étant comprise entre 63 000 et 132 000 victimes. Cette fourchette peut paraître vague mais les épidémiologistes se sont montrés rigoureux, ne cherchant pas à affiner leur résultat pour le rendre médiatiquement attractif. Telles sont les limites de l'exercice, qui constitue parfois le seul outil disponible.
M. François Autain , président . - Ils ne se sont d'ailleurs pas trompés.
M. Paul Benkimoun . - Absolument. Le rapport du professeur Acar, de son côté, cherche à déterminer si, dans le cas précis d'un individu et en se référant à son expérience, l'on se trouve en présence d'une valvulopathie pouvant être expliquée par la prise de Mediator ou par d'autres causes. Ce positionnement ne converge pas avec celui des statisticiens. Nous devons nous montrer humbles et reconnaître que les appréciations ne portent pas sur le même sujet et ne jugent pas selon la même logique.
Quant à la spécificité de cette crise, celle-ci a montré ses effets avec un certain retard. Le retrait du Mediator en novembre 2009 est en effet passé totalement inaperçu. Ce n'est qu'avec l'enchaînement, les mois suivants, de la publication du livre d'Irène Frachon et du procès en référé intenté par les laboratoires Servier pour en empêcher la parution, que cette affaire s'est déclenchée, soit seulement au deuxième semestre de l'année 2010, voire à la fin de l'année. Cet effet retard diffère de la crise immédiate que nous avons pu connaître sur le retrait d'autres produits ou lors de la canicule. Par ailleurs, la présence d'aspects relevant subjectivement du scandale ne suffit pas. Il faut une certaine conjonction de phénomènes. Je ne crois pas que, dans le milieu médical, les laboratoires Servier soient perçus comme un laboratoire comme un autre. Il s'agit en effet d'un laboratoire français, non coté en bourse comme beaucoup d'autres et incarné par son président fondateur, avec une personnalité forte.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Il existe trois laboratoires de ce type en France.
M. Paul Benkimoun . - Ce laboratoire présente quand même un profil particulier. Par ailleurs, en 1999, a été publiée dans la presse l'existence d'une « police » interne enquêtant sur les candidats au-delà des standards des ressources humaines, en particulier sur les opinions religieuses ou les orientations sexuelles. J'ai rencontré à l'époque un salarié, ancien militaire, ayant travaillé dans ce service et attestant de ces pratiques.
Mme Janine Rozier . - Je connais de nombreux salariés qui travaillent chez Servier, de toute catégorie et de toute opinion. Je n'ai jamais entendu parler de l'existence d'une enquête de moralité.
M. Paul Benkimoun . - J'ai conduit une enquête à l'époque. Une crise comme celle d'aujourd'hui a incité certains à s'exprimer alors qu'ils ne l'avaient pas fait jusque-là. Ces éléments sont présents dans les esprits et la réputation de ce laboratoire ne fait pas l'objet d'une appréciation très positive, d'autant qu'il mène une communication très serrée, élaborée en interne, donnant l'impression d'une maison qui fait corps pour se défendre d'attaques venues de l'extérieur ou, comme Jean-Philippe Seta l'avait évoqué devant vous, de multinationales malintentionnées.
M. François Autain , président . - Tout à fait. Celui-ci avait évoqué l'idée d'un complot venant de l'étranger.
M. Paul Benkimoun . - Dans l'entretien réalisé par Marie-Pierre Subtil et Yves Mamou, Jacques Servier indiquait d'ailleurs que cette affaire constituait une fabrication totalement invraisemblable. Il me semble que la manière de communiquer sur le mode « tout est faux » prête davantage à une exacerbation de la crise. Ce rejet de toute responsabilité, outre qu'il ne montrait pas une compassion extrême pour les victimes potentielles, donnait une impression de « bunker ». Je pense que cet élément marque une différence avec les autres crises sanitaires.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Quelle serait votre position si Servier demandait un droit de réponse sur votre article du 13 mai relatif à la filiale britannique du groupe ?
M. Paul Benkimoun . - Le droit de réponse est prévu par la loi. S'il est réalisé dans les formes prescrites, nous nous conformerons à la loi.
M. François Autain , président . - Avez-vous reçu une demande en ce sens ?
M. Paul Benkimoun . - Pas à ce jour.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Quels sont les liens entre la presse d'information générale et la presse médicale ?
M. Paul Benkimoun . - Il existe, d'abord, des liens humains puisque j'ai travaillé dix ans dans la presse médicale avant de rejoindre la rédaction du Monde en 1999. De tels parcours existent.
M. François Autain , président . - Sont-ils fréquents ?
M. Paul Benkimoun . - Il existe peu de médecins journalistes. Sandrine Cabut, journaliste au Figaro , est médecin et a travaillé dans le même groupe médical que moi.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Martine Perez, au Figaro , est aussi médecin.
M. Paul Benkimoun . - J'ignore cependant si elle avait travaillé dans la presse médicale avant de rejoindre la rédaction du Figaro .
M. François Autain , président . - C'est plutôt l'exception.
M. Paul Benkimoun . - Cela se révèle en effet peu fréquent. Des contacts professionnels existent aussi puisque nos activités professionnelles nous amènent à nous fréquenter. Je connais un certain nombre de personnes travaillant dans la presse médicale aujourd'hui. Or elles ont éprouvé une certaine difficulté à traiter de l'affaire avant la publication du rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas). Le Panorama du médecin et son site Egora.fr ont évoqué l'affaire au préalable mais d'autres journaux se sont montrés plus timides.
M. François Autain , président . - Nous l'avons également constaté.
M. Paul Benkimoun . - Cela ne me paraît pas étonnant. Si, dans la presse générale, les recettes publicitaires se révèlent diversifiées, elles proviennent uniquement, dans la presse médicale, de l'industrie pharmaceutique. Le quotidien Impact Médecin Hebdo avait ainsi été sanctionné par le laboratoire Synthélabo après avoir publié une manchette sur le retrait du marché d'un produit psychotrope.
M. François Autain , président . - Je crois que ce quotidien l'a compris puisqu'il envoie désormais son article, avant de le publier, au laboratoire.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Il existe également un lien avec les politiques mises en place. Hier, dans le cadre de notre mission d'information sur la toxicomanie, nous avons auditionné M. Maraninchi, qui nous a indiqué que l'on pouvait estimer à 270 cas par an le nombre de décès par overdose dont 57 % étaient attribués à des drogues illicites, le reste provenant de l'utilisation de médicaments licites, soutenus par une politique de substitution et sur lesquels le silence est gardé. N'existe-t-il pas un lien ?
M. Paul Benkimoun . - Je n'en ai pas la conviction. Je me rappelle avoir évoqué les détournements d'usage, notamment du Subutex, car les acteurs de lutte contre la toxicomanie, associatifs ou institutionnels, s'en préoccupaient et avaient pris une position commune visant à rechercher, avec l'industriel, comment rendre insolubles ces comprimés afin qu'ils ne servent pas en injection. La toxicomanie représente un secteur aujourd'hui plutôt en déshérence sur le plan médiatique et je crains que vous ne trouviez moins d'articles consacrés aux questions de toxicomanie qu'il y a cinq ans.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Pensez-vous que vos articles peuvent influencer les autorités sanitaires ?
M. Paul Benkimoun . - Il faut se garder à la fois d'être présomptueux et de renoncer, pensant que cela ne sert à rien. Il faut être conscient que nous avons un devoir d'information, à mener avec la plus grande intégrité possible. A défaut, mieux vaut s'arrêter. Pour autant, nous ne faisons/défaisons pas les politiques et il ne suffit pas d'un article pour causer la mort d'une entreprise. Personne n'est cependant indifférent à un article. L'effet « Dracula », utilisé pour une directive européenne portée à la connaissance du public par des opposants au texte, me semble illustrer ce phénomène. Exposé en pleine lumière, le texte a montré les difficultés qu'il entraînait et a été abrogé. Ce n'est pas pour rien que les lois sur la transparence, aux Etats-Unis, sont appelées Sunshine Act . La presse contribue, à côté des institutions elles-mêmes, à exposer des faits.
M. François Autain , président . - Je souhaiterais vous interroger sur un article que vous avez publié dans la Tribune de la santé , à l'automne 2010, où vous recensez de manière exhaustive les effets pervers que peut avoir la logique commerciale sur la qualité de la recherche clinique. Vous mettez en contradiction la logique d'un système qui recherche le retour sur investissement et la logique qui met en avant l'intérêt du patient et la santé publique, deux logiques qui ne coïncident pas toujours, comme le démontre notamment l'affaire du Mediator. Vous citez en particulier un professeur mexicain, le directeur de l'Institut national de neurologie et neurochirurgie de Mexico, qui propose davantage d'indépendance en matière de recherche clinique sur les médicaments. Pourriez-vous exposer ces recommandations, dont nous pourrions tirer profit ?
M. Paul Benkimoun . - Il s'agit d'une préoccupation de plus en plus présente dans la presse médicale anglo-saxonne. Ainsi, récemment, dans le British Medical Journal , des chercheurs ont évoqué la difficulté d'obtenir des données auprès de l'Agence européenne du médicament, qui se montre extrêmement réticente. Aux Etats-Unis, la Food and Drug Administration se fait communiquer les données brutes très en amont, puisqu'un médicament qui va faire l'objet d'essais cliniques doit obtenir un statut particulier auprès de l'Agence, un statut qui implique que le protocole des essais cliniques lui soit présenté.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Cela n'a pas empêché le Vioxx.
M. Paul Benkimoun . - La législation a évolué en 2007, venant renforcer le système, probablement suite au « raté » sur le Vioxx.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Le Sénat regrette que son rapport de 2006 et les propositions qu'il contenait n'aient pas été suivis d'effet au niveau institutionnel.
M. Paul Benkimoun . - L'agence américaine présente des avancées par rapport aux agences européennes mais elle ne constitue pas un système parfait. Les acteurs et la transparence jouent dans le désamorçage de tels dérapages. Outre les difficultés d'accès aux données brutes, la loi américaine, notamment, prévoit seulement que le médicament doit être efficace et sûr. Les études contre placebo suffisent et point n'est besoin de démontrer qu'il apporte plus que le médicament existant. Des revues publient de plus en plus d'articles en faveur des études d'efficacité comparée par rapport à un traitement de référence. Le rôle des revues a par ailleurs fait l'objet de réserves. Une étude qui n'a pas fait l'objet de publications, en effet, n'existe pas. Je citais dans mon article des analyses démontrant que le bénéfice de financements privés constitue un facteur influant statistiquement sur les chances d'être publié, de même que le fait de produire des résultats favorables au produit. J'évoquais enfin les préoccupations concernant la délocalisation des essais cliniques, citant la proportion croissante d'essais impliquant des centres situés en dehors des grands pays industrialisés.
M. François Autain , président . - Nous connaissons les raisons de ce phénomène : les essais s'y révèlent beaucoup plus faciles.
M. Paul Benkimoun . - Certains pourront dire qu'il s'agit d'un procès d'intention mais l'on peut quand même s'interroger sur la rigueur avec laquelle le consentement éclairé est obtenu et sur le respect des règles éthiques.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - J'ai en tête l'exemple d'un médicament en cancérologie refusé aux Etats-Unis mais utilisé en France, qui représente une véritable bombe atomique. Les Etats-Unis demandent aussi à un certain nombre de pays industrialisés de pratiquer des essais cliniques pour étendre ou non l'utilisation du produit.
M. Paul Benkimoun . - D'autant que les mêmes produits appliqués à des populations différentes n'ont pas forcément les mêmes effets. Des exemples démontrent les effets différents entre les populations d'Europe du Nord et d'Europe du Sud. Les essais délocalisés ont pris une place prépondérante pour des questions plus économiques que de prise en compte de populations plus larges. De ce point de vue, l'administration américaine a reconnu la difficulté à pouvoir contrôler ce qui se passait dans ces centres, ignorant même parfois les centres participants. Des propositions ont été formulées par la rédactrice en chef et le médecin mexicain en vue de mettre en place une instance distincte, indépendante de l'essai lui-même et de l'agence, c'est-à-dire distincte du processus de l'essai et du contrôle de celui-ci. Ceci pose d'emblée, cependant, la problématique de la disponibilité des experts compétents et entièrement indépendants en ce domaine. Il ne faut pas penser qu'il existe une solution miracle en termes de structures. L'on peut trouver des procédures qui vont renforcer la clarté et éviter certains biais mais les décisions humaines entrent aussi en jeu.
M. François Autain , président . - Nous vous remercions pour cette audition, dont nous tirerons le meilleur profit.
Table ronde sur la pharmacovigilance en France :M. Jacques CARON, responsable du centre de pharmacovigilance de Lille, Mme Françoise HARAMBURU, responsable du centre de pharmacovigilance de Bordeaux, M. Jean-Pierre KANTELIP, responsable du centre de pharmacovigilance de Besançon, Mme Marie-Christine PÉRAULT, responsable du centre de pharmacovigilance de Poitiers, présidente de l'Association française des centres de pharmacovigilance (mardi 24 mai 2011)
M. François Autain , président . - Nous allons poursuivre nos travaux avec l'audition de M. Jacques Caron, responsable du centre de pharmacovigilance de Lille, Mme Françoise Haramburu, responsable du centre de pharmacovigilance de Bordeaux, M. Jean-Pierre Kantelip, responsable du centre de pharmacovigilance de Besançon, et Mme Marie-Christine Pérault, responsable du centre de pharmacovigilance de Poitiers, présidente de l'Association française des centres de pharmacovigilance.
Nous avons souhaité vous auditionner ensemble afin d'évoquer les nombreux dysfonctionnements de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) en général, et de la pharmacovigilance en particulier par rapport au Mediator.
Vous aurez l'occasion chacun d'intervenir, puis vous répondrez aux questions posées par le rapporteur et nos collègues. Cette audition est ouverte à la presse. Elle fera l'objet d'un enregistrement audiovisuel en vue de sa diffusion sur le site du Sénat et éventuellement sur la chaîne Public Sénat. Etant donné que cette audition est soumise à l'article L. 4113-13 du code de la santé publique, pourriez-vous présenter vos liens avec des entreprises produisant ou exploitant des produits de santé, ou des organismes de conseil intervenant sur cette production ? Monsieur Jean-Pierre Kantelip, pouvez-vous vous présenter ?
M. Jean-Pierre Kantelip, responsable du centre de pharmacovigilance de Besançon . - Je suis le directeur du centre régional de pharmacovigilance de Besançon. Je n'ai ni conflit d'intérêts ni lien avec ces sociétés.
Mme Françoise Haramburu, responsable du centre de pharmacovigilance de Dijon . - Je n'ai pas de conflit d'intérêts. Je tiens à préciser que je suis membre d'Arme-pharmacovigilance, association de recherche méthodologique en pharmacovigilance. Je fais également partie d'un groupe de travail sur l'actualisation de la méthode d'imputabilité. Comme plusieurs d'entre nous, je participe à plusieurs groupes de travail sur l'amélioration des bonnes pratiques en matière de pharmacovigilance.
M. François Autain , président . - Avez-vous d'autres liens d'intérêts ? Nous avons parlé de cette association lors de l'audition du docteur Bernard Bégaud.
Mme Marie-Christine Pérault, responsable du centre de pharmacovigilance de Poitiers, présidente de l'Association française des centres de pharmacovigilance . - Je suis la présidente de l'association française des centres régionaux de pharmacovigilance. J'ai aussi été élue au conseil d'administration de la Société française de pharmacologie. A ce titre, j'ai côtoyé un salarié du groupe Servier, que vous avez par ailleurs auditionné.
M. François Autain , président . - Je crois savoir de qui vous parlez. Je ne sais si on peut considérer ce lien comme un conflit d'intérêts.
M. Jacques Caron, responsable du centre de pharmacovigilance de Lille . - Je n'ai aucun lien avec des sociétés pharmaceutiques.
M. François Autain , président . - Je vous remercie. J'invite Jean-Pierre Kantelip à intervenir en préambule.
M. Jean-Pierre Kantelip . - Je propose d'expliquer ma situation. Je suis professeur de pharmacologie à la faculté de médecine de Besançon, et chef de service de pharmacologie et toxicologie du CHU de Besançon. Je suis également le directeur du centre régional de pharmacovigilance de Franche-Comté.
Ma carrière s'est déroulée en deux périodes. J'ai été formé à la pharmacologie à Clermont-Ferrand, puis je me suis installé à Besançon en 1988. J'ai été nommé professeur en 1991. Il y avait à l'époque deux structures de pharmacologie à Besançon, dont une avait en charge la pharmacovigilance. J'ai été recruté puis nommé sur la partie hospitalière, dans un service que le recteur dirigeait à l'époque. Je suis venu à Besançon pour lui succéder. Il s'occupait d'exploration fonctionnelle.
Suite au départ de MM. Magnin et Bechtel, les deux services ont été fusionnés. Les explorations fonctionnelles ont été redistribuées. A partir de septembre 1999, je suis devenu le directeur du centre régional de pharmacovigilance. J'ai pris la suite des travaux de M. Bechtel que j'ai supervisés. Ils étaient menés par son adjointe qui est devenue mon adjointe des travaux de la pharmacovigilance.
M. François Autain , président . - Cette personne est-elle signataire avec le professeur Bechtel des rapports sur l'Isoméride et le Mediator ?
M. Jean-Pierre Kantelip . - Oui.
M. François Autain , président . - Nous aurions souhaité convier le professeur Bechtel à nos débats, mais il n'a pas souhaité venir.
M. Jean-Pierre Kantelip . - Je n'ai plus de relation avec cette personne depuis longtemps, mais j'ai pris en charge la suite de ses dossiers. En ce qui concerne l'histoire de la pharmacovigilance à Besançon, j'ai pris la direction du centre en septembre 1999. Le centre de pharmacovigilance a changé de lieu. Il y a deux hôpitaux dans cette ville. Le centre de pharmacovigilance a été déménagé dans l'hôpital central. J'ai commencé à participer aux travaux du comité technique à partir de septembre 1999.
Mon travail a surtout consisté à implanter des correspondants de pharmacovigilance dans les hôpitaux de la région. J'ai été investi de la mission sur le Mediator à partir de 2004, en association avec Mme David-Laroche qui poursuivait les enquêtes confiées en 1998 sur les effets indésirables du Mediator. J'ai cosigné avec elle les rapports qu'elle a instruits et rédigés en 2005, 2007 et 2009. A la suite des travaux et de l'enquête sur les anorexigènes et l'Isoméride, l'enquête sur le Mediator a été confiée au centre de pharmacovigilance.
Ensuite, l'enquête a progressivement évolué avec des mises au point, initialement sur les effets addictogènes éventuels du Mediator, puis sur les cas d'hypertension artérielle pulmonaire, enfin sur les valvulopathies. Mme David-Laroche a instruit ces cas. Pour les cas d'hypertension artérielle pulmonaire imputables au Mediator, elle a demandé à un service, qui avait expertisé les cas relatifs aux anorexigènes et à l'Isoméride, de poursuivre son étude. Ces cas ont par la suite été présentés au sein du comité technique et à la commission nationale de pharmacovigilance.
Je suis intervenu après le départ à la retraite de Mme David-Laroche en juillet 2009, après un long congé maladie qui était terminé lors de la relance de l'enquête sur les hypertensions artérielles pulmonaires.
M. François Autain , président . - Faisons-nous intervenir chaque personne ?
Mme Françoise Haramburu . - Je n'ai pas prévu d'intervenir.
Mme Marie-Christine Pérault . - Moi non plus.
M. Jacques Caron . - J'ai dirigé la commission nationale de pharmacovigilance de 2001 à 2004, puis lors d'un second mandat de 2004 à 2007. Je suis de nouveau le président de la commission nationale de pharmacovigilance.
M. François Autain , président . - C'est aussi à ce titre que nous vous avons invité.
M. Jacques Caron . - J'ai déjà été auditionné par le Sénat lors de la mission d'information sur les médicaments. Nous nous sommes déjà rencontrés à cette occasion.
M. François Autain , président . - Voulez-vous intervenir sur le Mediator ?
M. Jacques Caron . - Nous sommes venus pour répondre aux questions. Je pensais que vous mettiez en situation les différentes interventions.
M. François Autain , président . - Cette interprétation est tout à fait légitime. Madame le rapporteur, vous avez la parole.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - J'ai posé les mêmes questions à l'ensemble des participants à cette table ronde : comment expliquez-vous qu'aucun signal de pharmacovigilance n'ait été enregistré sur le Mediator avant 1999 ? Certains considèrent que la pharmacovigilance française s'est montrée trop prudente dans l'analyse des cas signalés, notamment au regard de la problématique énoncée en Italie. Quelle est votre analyse de la situation ? Comment la pharmacovigilance s'est-elle comportée ? Monsieur Caron, vous étiez directement concerné par cette question.
M. Jacques Caron . - J'ai été surtout concerné à partir de la fin de l'année 2001 et du début de l'année 2002. Je vais répondre aux deux questions. Tout d'abord, je souhaiterais rappeler que le premier signal a été détecté tardivement dans notre pays. Vous faites remonter ce signal à 1999, date de la première notification d'hypertension artérielle pulmonaire. Les centres de pharmacovigilance recueillent des informations de manière correcte sur le territoire français. Dans le dossier du Mediator, la relation entre le médicament et la norfenfluramine a été mise en évidence tardivement, alors qu'elle était présente depuis longtemps. Nous savions que la norfenfluramine était un métabolite du Mediator.
Pour quelle raison n'y a-t-il pas eu de notification ? Il y a douze ans, nous attendions la notification spontanée en pharmacovigilance des cas d'hypertension artérielle pulmonaire. La notification n'a pas eu lieu en 1999 alors que le produit était anciennement commercialisé dans notre pays. Quelle en est la raison ? Nous n'avons pas communiqué suffisamment tôt les préoccupations concernant le Mediator aux prescripteurs de ce pays. C'est le point de départ important de l'affaire.
M. François Autain , président . - Le Mediator est-il un anorexigène ? J'invite les quatre intervenants à répondre à cette question. Je parle de la situation actuelle, puis nous envisagerons la situation telle qu'elle était en 1995-2000, lorsque les premiers problèmes sont apparus.
M. Jacques Caron . - La dénomination commune internationale nous permettait de penser que ce produit était classé parmi les anorexigènes. En revanche, la classification clinique de ce produit en anorexigène est plus difficile à statuer. En tout cas, le produit a été utilisé dans ce but.
Mme Marie-Christine Pérault . - Actuellement, je vous répondrais positivement : cette molécule est un anorexigène. Il était plus difficile de tenir cette affirmation de façon aussi certaine il y a quelques années. Un certain nombre de doutes perduraient.
M. François Autain , président . - Pour quelle raison peut-on dire qu'il s'agit d'un anorexigène, ce qu'on ne pouvait pas faire dans les années 90 ?
Mme Marie-Christine Pérault . - Au niveau des études cliniques, le développement n'ayant pas été effectué dans le but de fixer l'anorexigène, nous avons mis en évidence un effet thérapeutique qui n'est pas le principal effet du médicament, celui sur lequel nous aurions dû nous attarder.
M. François Autain , président . - Il eût été utile de s'intéresser à cette époque à la littérature qui paraissait sur le Mediator. J'ai noté dans le rapport de l'Igas qu'il existait des publications qui remontaient aux années 70, indiquant clairement que le benflluorex était un puissant anorexigène. Les publications de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) ou de l'Agence du médicament à propos de ce médicament sont frustrantes. Qu'est-ce qui interdit à un pharmacologue de faire appel à ceux qui ont déjà expérimenté ce produit ? Pourquoi ne l'a-t-on pas fait ? Est-ce que ça ne se fait pas ? J'ai l'impression que nous nous sommes limités à la thèse du laboratoire, qui n'a toujours pas changé, alors que vous donnez l'impression d'avoir évolué. Comment peut-on expliquer cette évolution ?
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Les non-médecins prétendent que le Mediator est un anorexigène sans connaître toutes les propriétés de ce type de médicament.
M. François Autain , président . - M. Caron n'est pas un spécialiste des anorexigènes.
M. Jacques Caron . - La structure chimique du benflluorex le rattachait aux anorexigènes. Nous le savions de très longue date.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Quelles sont ces propriétés ?
M. Jacques Caron . - Je rappelle que l'on s'intéressait plus au versant négatif du médicament.
M. François Autain , président . - Cela signifierait qu'il aurait des versants positifs. Pourriez-vous les décrire ? Il ne nous est pas apparu que le Mediator en avait de nombreux.
M. Jacques Caron . - Je n'ai pas tenu un tel propos. Il est apparu dans des études que le Mediator diminuait l'hémoglobine glyquée dans un pourcentage non négligeable, même si ce n'était pas extraordinaire. La structure et les effets secondaires très indésirables du Mediator l'ont rattaché à sa classe pharmacologique initiale, à savoir que c'est un produit anorexigène et amphétaminique. C'est un anorexigène dans le sens où il coupe la faim, même s'il est difficile d'être affirmatif sur cette question.
M. François Autain , président . - Je suis troublé par vos hésitations. Avez-vous lu ce rapport ?
M. Jacques Caron . - Bien entendu.
M. François Autain , président . - L'Inspection générale des affaires sociales (Igas) indique dans son rapport que la revue Psycho-pharmacologia , qui est peut-être une revue de référence, mais que je ne connais pas, publie les résultats d'une étude financée par les laboratoires Servier en 1974, indiquant que le benflluorex est un anorexigène très puissant. Déjà en 1974, on considérait que ce médicament avait cet effet. Je veux bien qu'on ait des hésitations aujourd'hui, mais il faut les motiver. Cette étude n'était pas opposée au produit, mais financée par Servier. Avez-vous eu connaissance de cette étude ?
M. Jacques Caron . - Nous en avons eu connaissance très tardivement.
M. François Autain , président . - Je suis dans la même situation, sauf que je ne travaillais pas dans la pharmacovigilance. Comment expliquez-vous que des médecins généralistes aient pu identifier avec précision la nature de ce produit dès 1974 ? Comment expliquer que des médecins a priori non compétents puissent déterminer la nature exacte d'un produit, alors que l'Afssaps et les centres régionaux ne soient pas parvenus à émettre un raisonnement différent de celui des laboratoires ? Madame Haramburu, le Mediator est-il ou non un anorexigène ?
Mme Françoise Haramburu . - Le Mediator est d'abord une amphétamine. Un effet coupe-faim est constaté, mais il est peu utile en thérapeutique car il fait maigrir ponctuellement, avant de faire reprendre des kilos, ce qui est plus dangereux en termes de risque cardio-vasculaire que le surpoids. Nous avons beaucoup parlé de sa structure. Or je ne sais pas ce que cela signifie. Cet argument est présenté par les laboratoires Servier pour le distinguer des amphétamines.
M. François Autain , président . - Pourquoi la DCI du Mediator n'est-elle pas reliée au segment-clé des amphétamines ?
Mme Françoise Haramburu . - Je ne sais pas répondre à cette question. Ce produit a été volontairement distingué des amphétamines. Le point commun des effets indésirables des médicaments à base de norfenfluramine est l'hypertension pulmonaire. Nous avons, il y longtemps à l'hôpital à Bordeaux, utilisé le benflluorex dans la lutte contre le diabète. Les effets immédiats sont ceux d'une amphétamine : mauvaise tolérance, vertiges, etc. Ces symptômes rattachaient le Mediator aux amphétamines. Ceci dit, au tout début, nous ne pouvions pas imaginer le développement de valvulopathies, qui ont été découvertes aux Etats-Unis. Nous ne connaissions en Europe que des cas d'hypertension artérielle pulmonaire.
M. François Autain , président . - La valvulopathie est apparue en raison de l'association de médicaments ?
M. Jacques Caron . - Elle est effectivement liée à une interaction de ces deux produits au niveau pulmonaire.
M. François Autain , président . - Nous avons observé cette situation aux Etats-Unis. Comment expliquez-vous que la pharmacovigilance ou la pharmacologie de l'Afssaps n'aient pas été capables de développer un raisonnement autonome qui soit différent de celui du laboratoire ? Pourquoi, jusqu'à une date récente, l'Afssaps tenait-elle le même discours que le laboratoire alors que ce point de vue n'était pas scientifique ?
Mme Françoise Haramburu . - Je n'ai pas de réponse à cette question importante. J'ai découvert l'existence du rapport italien du professeur Pimpinella en lisant le rapport de l'Igas en janvier 2011.
M. François Autain , président . - N'aviez-vous pas connaissance de l'étude italienne ? Ne faisiez-vous pas partie du comité technique ou de la commission de pharmacovigilance ?
Mme Françoise Haramburu . - J'ai été membre suppléant de la commission nationale de pharmacovigilance mais je n'ai pas entendu parler de cette étude italienne jusqu'au rapport de l'Igas.
M. François Autain , président . - Quelle en est la raison ?
Mme Françoise Haramburu . - Je n'ai pas d'explication.
M. François Autain , président . - Il est anormal qu'un rapport établi à la demande du centre de spécialités pharmaceutiques (CSP), c'est-à-dire l'autorité européenne de l'époque, qui passe par la structure de pharmacovigilance présidée par Mme Castot, comprenne deux volets, l'un réalisé par l'Italie, l'autre par la France. Il apparaît étonnant que la France n'ait pas eu connaissance de l'autre étude. Vous vous étonnez, mais vous êtes incapable de nous dire ce qui aurait pu se passer.
Mme Françoise Haramburu . - J'ai eu jusqu'à récemment très peu de retour sur les débats européens sur le Mediator.
M. François Autain , président . - Vous n'avez pas de retour sur les débats au niveau national ?
Mme Françoise Haramburu . - Non, sur les débats au niveau européen.
M. François Autain , président . - Jean-Pierre Kantelip, le benflluorex est-il un anorexigène ou un antidiabétique ?
M. Jean-Pierre Kantelip . - C'est un anorexigène. En se référant à son métabolisme principal qui est la norfenfluramine, et en retraçant la bibliographie de cette molécule, celle-ci entre dans la catégorie des dérivés amphétaminiques. Elle peut être classée dans les manuels de pharmacologie anciens. En effet, les manuels de pharmacologie actuels ne comportent plus de chapitre sur les anorexigènes. Les documents des années 80 évoquent ces métabolites. Elle est classée parmi les anorexigènes. Sur ce point, je peux donner mon opinion sur l'action de ce médicament utilisé par les collègues comme un coupe-faim, donc comme un anorexigène.
M. François Autain , président . - Est-ce un anorexigène ?
M. Jean-Pierre Kantelip . - Oui.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Partagez-vous les propos du docteur Emmanuel Canet des laboratoires Servier ? Celui-ci a déclaré à la mission que « la fenfluramine et la dexfenfluramine sont tous deux porteurs de l'activité pharmacologique, alors que pour le benflluorex, la norfenfluramine ne représente environ que 10 % de l'exposition plasmatique de l'ensemble des métabolites qui sont d'une autre nature. Le benflluorex ne donne pas naissance à la fenfluramine. »
Le rapport de l'Igas rappelle que l'état anorexigène a été rapporté dans les études de pharmacologie chez l'animal, mais il y a une différence majeure entre le métabolisme du rat et celui de l'homme pour ce qui concerne le benflluorex. Chez le rat, après administration du benflluorex, la norfenfluramine est le métabolite principal. Elle est retrouvée en quantité très supérieure au métabolite S1475, qui est le métabolite principal retrouvé après administration du benflluorex chez l'homme. Nous sommes donc à un niveau d'exposition à la norfenfluramine différent, et un ratio de composés circulants totalement inverse selon que la pharmacologie est faite chez le rat ou chez l'homme. Cela permet de comprendre pourquoi chez le rat, on est capable de mettre en évidence des taux d'exposition élevés de norfenfluramine d'une activité de type anorexigène, que l'on ne constate pas chez l'homme.
M. Emmanuel Canet ajoute « qu'un certain nombre d'autres antidiabétiques ont un effet bénéfique sur le poids. Je pense à la metformine, aux agonistes du GPL-1, et même à l'insuline qui a un effet central sur la prise alimentaire. Pour autant, on ne dit pas que ce sont des produits de type anorexigène. »
Je ne suis ni médecin, ni pharmacien. En tant que pharmacologues, partagez-vous cette analyse ?
M. Jacques Caron . - C'est plutôt au rapporteur du dossier qui connaît bien le dossier pharmacocinétique d'y répondre. Nous ne sommes pas des spécialistes de pharmacocinétique ou de pharmacodynamique, mais des effets indésirables du médicament. Dans ce domaine, notre discipline est partagée entre pharmacologues expérimentaux, pharmacologues cliniciens dont je fais partie, pharmacogénéticiens, etc. Je ne possède pas le dossier pharmacocinétique contrairement à un pharmacogénéticien. L'exposition en norfenfluramine du benflluorex chez l'homme était identique en partie à l'exposition entraînée par exemple par l'Isoméride. Nous nous sommes effectivement égarés en 1999. Quelques années plus tard, nous nous sommes aperçus que l'exposition pouvait être identique en norfenfluramine chez les sujets soumis à 450 milligrammes de benflluorex ou à 30 ou 60 milligrammes d'Isoméride.
Mme Marie-Christine Pérault . - Je ne peux que confirmer les propos de M. Caron, raison pour laquelle je ne comprends pas les propos de M. Canet sur le rat. La norfenfluramine ne peut être négligée même avec une quantité faible chez l'homme.
Mme Françoise Haramburu . - Je suis d'accord avec mes collègues.
M. François Autain , président . - Avec qui êtes-vous d'accord ?
Mme Françoise Haramburu . - Je suis d'accord avec les explications de Jacques Caron. Par ailleurs, la metformine fait baisser le poids dans le diabète de type 2. L'objectif est de savoir si un résultat similaire peut être obtenu par un régime, ou plutôt par une modification complète du comportement alimentaire, dans une société où la perte de poids est souhaitée, où le mode de vie de l'industrie alimentaire favorise la prise de poids, donc l'évolution du diabète. La réponse au surpoids ne se trouve pas forcément dans un médicament.
M. Jean-Pierre Kantelip . - D'anciennes études sur le métabolisme révélaient des discordances entre les concentrations plasmatiques et les concentrations en norfenfluramine. A ma connaissance, il n'y a pas eu d'autres vérifications pour expliquer cette discordance. Le taux de concentration en norfenfluramine après administration de 450 milligrammes de benflluorex était identique dans les autres produits qui comprenaient la même molécule. Le reste est constitué d'hypothèses. Nous ne pouvons pas comparer les études chez le rat avec celles menées chez l'homme. En outre, il conviendrait d'avoir des précisions sur la manière dont ces études métaboliques ont été menées, en précisant leur méthodologie et les techniques datant du passé.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - La pharmacologie française s'est-elle montrée trop prudente dans l'analyse des cas ? Pouvez-vous nous répondre ? Cette question est régulièrement posée dans le cadre de la mission d'information. Un certain nombre de médicaments est mis sur le marché selon un modèle pasteurien. Lorsque ces médicaments sont appliqués pour des pathologies chroniques, le dysfonctionnement pour la population prise en charge génère des effets indésirables en raison d'une inadéquation du modèle par rapport à la population. Est-ce pour cette raison que la pharmacovigilance se montre parfois prudente ? Prenez-vous cette donnée en considération ?
M. Jacques Caron . - Certainement, mais ce dossier a été établi par les successions fréquentes d'anorexigènes qui sont des amphétaminiques. Dans les cas qu'il nous a été donné d'examiner, la prescription d'Isoméride et de Pondéral a été suivie de prescription de benflluorex. En pharmacovigilance, nous raisonnons en termes de critères chronologiques. Les valvulopathies apparaissaient sous Isoméride puis étaient confirmées bien plus tard, alors que le patient avait été transféré de l'Isoméride au benflluorex. Il y a eu un chevauchement de ces dossiers relatifs aux anorexigènes. Le benflluorex a été identifié comme une amphétamine à juste titre par les pharmacologues.
M. François Autain , président . - Le Mediator était-il considéré par le pharmacologue comme une amphétamine dans les années 90 ?
M. François Autain , président . - Je suis très surpris par cette affirmation. M. Bechtel, lors de la rédaction de son rapport de 1998 sur le benflluorex, indiquait en conclusion de son analyse pharmacocinétique et du métabolisme du médicament : « nous rappellerons que malgré la production de norfenfluramine, la propriété pharmacodynamique d'anorexigène n'a jamais été attribuée au benflluorex » . En 1998, les pharmacologues étaient d'accord avec le laboratoire. Je me permets de vous rappeler que M. Bechtel et Mme David-Laroche tenaient un propos similaire à celui des laboratoires Servier.
M. Jacques Caron . - J'ai argumenté sur la notion de structure amphétaminique du Mediator.
M. François Autain , président . - A cette époque, les pharmacologues tenaient le même propos, malgré un rapport rendu public en 1999 ou 2000. La nature anorexigène du benflluorex n'était pas reconnue par les pharmacologues de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps).
M. Jacques Caron . - Il faut interroger les personnes qui connaissent bien le sujet : chimistes, toxicologues, etc. Nous ne pouvons parler pour l'Afssaps dans sa globalité. Des personnes de l'Afssaps connaissaient bien mieux que moi la structure et les propriétés pharmacodynamiques du Mediator.
M. François Autain , président . - Je me permets de citer un rapport confidentiel résultant d'une enquête officielle. M. Bechtel et Mme David-Laroche s'expriment au nom de l'Afssaps, car ils ont été chargés de l'enquête par cette agence. Nous n'allons pas interroger l'ensemble des parties. Il faut simplement se fonder sur les faits. Le rapport démontre que ces pharmacologues désignés par l'Afssaps estimaient que le benflluorex n'était pas un anorexigène.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - J'ai posé une question sur l'inadéquation du modèle par rapport à la population qui prend un médicament. Vous avez précédemment employé deux mots, d'une part le besoin de signal potentiel, d'autre part le recueil de données. Vous ajoutez le critère chronologique. Cette inadéquation joue-t-elle pour que vous ayez une collecte suffisante de données avant de déclencher un signal réel ? Comment travaillez-vous à partir du recueil des données ? Nous voulons comprendre votre méthode. Nous menons une mission d'évaluation de contrôle de la politique sanitaire. Nous avons besoin de comprendre pour faire évoluer les institutions. Ce sujet est-il un élément important ?
Mme Marie-Christine Pérault . - Je propose de décrire comment nous travaillons. Nous vérifions la chronologie des faits lorsque nous recevons une observation : le médicament a-t-il été pris ? Un effet indésirable est-il survenu ? Lorsqu'un effet indésirable est nouveau, il est porté à la connaissance des centres régionaux de pharmacovigilance afin de vérifier que le même effet n'est pas survenu. La collecte d'un ou deux signaux déclenche une alerte pour faire que l'on s'intéresse précisément à ce produit. Un nombre limité de signaux est suffisant. Un ou deux signaux suffisent pour déclencher une enquête et surveiller le produit de façon très stricte. Nous n'avons pas besoin de nombreux cas, mais d'un cas bien documenté et d'une observation médicale qui tienne la route, à savoir un diagnostic clinique.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Comment l'enquête se déroule-t-elle ?
Mme Marie-Christine Pérault . - Nous étudions désormais tous les cas survenus sur le territoire français. Nous pouvons dorénavant demander des précisions à l'Europe et analyser la bibliographie parue sur le sujet. Vous avez évoqué une analyse bibliographique.
M. François Autain , président . - Ce n'est apparemment pas une bonne bibliographie, la revue que j'ai citée n'ayant pas une bonne cote.
Mme Marie-Christine Pérault . - La cote des revues n'a pas d'importance. Nous avons besoin en pharmacovigilance de cas publiés pour nous mettre en alerte. L'impact factor n'a pas de rapport avec la gravité des effets indésirables d'un médicament. Ce qui est important pour la bibliographie est que vous avez pris l'époque des années 90. Or nous disposions dans les années 90 de moyens réduits pour effectuer une recherche bibliographique. Nous recevions des livrets une fois par semaine sur la littérature internationale que nous devions éplucher. Il est possible que notre vigilance n'ait pas été maximale et que nous soyons passés à côté d'éléments importants. Actuellement, nous disposons d'outils plus performants. L'abstract que vous avez cité, publié en 2003, était un résumé de publications qui étaient très difficiles à trouver à cette époque. Je ne prétends pas que nous n'avons pas commis d'erreurs, mais il faut se replacer dans le contexte de l'époque. Nous avons besoin de l'appui de professionnels pour nous aider dans notre tâche.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Comment voyez-vous l'articulation entre les études épidémiologiques à partir de données de la Cnam et la pharmacovigilance ? Le dispositif français manque-t-il d'une structure adaptée pour mener à bien ces études ?
Mme Françoise Haramburu . - Les études sont très utiles, mais nous ne pouvions certainement pas les faire à l'époque du Mediator, en 1999 ou au début des années 2000. Les bases de données de la Cnam n'étaient pas disponibles à l'époque. Elles sont utiles dans certains cas, mais elles n'apportent pas toujours de réponse. Une étude pharmaco-épidémiologique n'apporte pas tous les éléments. Il ne faut pas s'en priver pour autant dans certains dossiers où elles sont indispensables.
M. François Autain , président . - Votre propos est très important. Vous indiquez que l'étude pharmaco-épidémiologique rétrospective n'est pas suffisante pour déterminer les effets indésirables d'un produit. L'étude pharmaco-épidémiologique rétrospective sur le Mediator qui donne des estimations de cinq cents à deux mille morts est-elle insuffisante ?
Mme Françoise Haramburu . - Ce n'est pas ce que je prétends. Cette étude a emporté la conviction. De nombreuses personnes étaient convaincues du risque, mais il a fallu cette étude pour entraîner la décision d'interdire le médicament. Je ne suis pas certain qu'elle apportera des informations nouvelles. Je pense qu'une décision devra être prise même si l'étude n'est pas concluante.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Les éléments qui ont entraîné l'interdiction du Mediator sont-ils liés à des critères cliniques ?
Mme Françoise Haramburu . - Nous disposons de faits expérimentaux et cliniques, c'est-à-dire de nombreux éléments réunis. Dans l'éventualité où l'étude de la Cnam n'apportait pas de nouvelles informations, nous devons tout de même nous demander s'il convient de donner la prééminence à l'étude pharmaco-épidémiologique ou à l'ensemble des éléments pharmacologiques et toxicologiques réunis.
M. François Autain , président . - Vous indiquez que les études pharmaco-épidémiologiques ne sont pas suffisantes.
Mme Françoise Haramburu . - Je dis plutôt qu'elles n'apportent pas de réponse dans tous les cas.
M. François Autain , président . - Certes, mais le seul fait que le Mediator ait des effets indésirables ne suffit pas à emporter la conviction. L'observation en 1999 de deux cas cliniques, dont l'un est contesté et l'autre concerne une insuffisance aortique de Marseille. Un cas est incontestable, l'hypertension artérielle pulmonaire survenue en 1999. Cet élément était donc insuffisant, sans quoi le Mediator aurait été retiré. Il n'a pas été possible de prendre une telle décision à cette époque. Si nous avions pu faire une étude pharmacologique rétrospective, nous aurions pu détecter un certain nombre de cas. Une étude rétrospective permet de compléter la recherche. Je ne pense pas qu'une étude pharmaco-épidémiologique puisse démentir des faits cliniques. Que voulez-vous dire en affirmant que ce type d'étude peut être insuffisant ? Elle vient compléter les observations effectuées d'un point de vue clinique.
Mme Françoise Haramburu . - En 1999 et 2000, il n'était pas possible d'effectuer ce type d'étude sur le benflluorex. Nous aurions emporté la conviction si nous avions pu le faire. Nous n'avons souvent pas besoin de mener des études longues d'une dizaine d'années pour obtenir des résultats probants. Les études pharmaco-épidémiologiques sont très utiles dans certaines situations, mais il ne faut pas retarder la décision pour autant.
M. François Autain , président . - Je partage votre point de vue. Le rapport de l'Igas évoque l'article du professeur Bernard Bégaud dans le traité de pharmacologie du professeur Giroud : « un seul cas peut, à la limite, suffire à démontrer la capacité que possède un médicament de produire un effet donné ». Un cas est-il suffisant pour retirer un médicament ? Faut-il un grand nombre de cas ? Si oui, combien de cas ? Y a-t-il des normes ? S'agissant d'Actos, l'étude pharmaco-épidémiologique n'est qu'un moyen de retarder le retrait de ce médicament qui provoque des cancers de la vessie en nombre suffisant pour l'interdire. Il semble intéressant d'effectuer une étude pharmaco-épidémiologique après le retrait du médicament pour en évaluer les dégâts. Est-ce concevable ?
Mme Françoise Haramburu . - Oui.
M. François Autain , président . - La pharmacovigilance est confrontée à un problème de sous-notification. L'apparition d'un cas signifie qu'il y en a peut-être vingt. Vous comprenez la problématique. Pouvez-vous répondre ou faire des commentaires sur ce point ?
Mme Françoise Haramburu . - Il n'y a pas de cas général. Dans certains moments, même l'absence de cas est suffisante pour interdire un médicament. Par exemple, nous n'allons pas attendre d'avoir un doute sur la toxicité du parabène en attente d'un désastre pour le retirer. Ce n'est pas un médicament, mais il peut être utilisé comme conservateur de certains médicaments. Tout dépend du cas de figure. Très peu de cas suffisent pour prendre une décision susceptible de sauver des milliers de vies.
M. François Autain , président . - La pharmacovigilance doit-elle être préventive pour être efficace ?
Mme Françoise Haramburu . - Oui.
M. François Autain , président . - Nous devrions lancer moins de médicaments sur le marché, et nous aurons moins de problèmes, ou plutôt nous aurions des médicaments efficaces qui amèneront moins de difficultés. Ou encore ces difficultés concerneraient des médicaments inefficaces, ce qui générerait moins de difficultés pour prendre des décisions.
Vous avez évoqué un médicament inutile qui a été classé ASMR V par la commission de la transparence. Cela signifie qu'il n'aurait pas dû être mis sur le marché ou pris en charge par la sécurité sociale. C'est un problème en amont, davantage qu'en aval. La commission de pharmacovigilance a fait son travail dans ce domaine. Vous avez demandé la suspension de ce médicament, mais cette demande n'a pas été suivie, ce qu'on peut regretter.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Je souhaite revenir sur la relation entre les études épidémiologiques et les données cliniques. Quelle est la robustesse des études pharmacologiques rétrospectives ? Un certain nombre de cardiologues qui se sont exprimés devant la commission prétendent que la méthodologie de la Cnam utilise le PMSI, outil économique précieux, mais qui a des insuffisances. Les cardiologues expliquent que la Cnam n'a pas de code pour les valvulopathies médicamenteuses. Les auteurs de l'étude ont tenté de recenser toutes les insuffisances, quelles qu'en soient les causes. Ils ont fait appel à un code binaire, alors qu'en France les valvulopathies sont rarement d'origine rhumatismale. Les épidémiologistes et les médecins, qui disposaient de données cliniques pour s'accorder, ont eu un dialogue de sourds.
En tant que pharmacologues, vous avez besoin d'éléments de plus en plus robustes pour mener vos enquêtes. Vous pouvez agir auprès de la Cnam pour que les éléments et les codes soient modifiés, ou pour rencontrer un certain nombre de données cliniques. Comment répondez-vous à ce que disait le professeur Acar par rapport à toutes ces insuffisances ? Quelle est la robustesse des études pharmaco-épidémiologiques de manière rétrospective ?
M. Jacques Caron . - Il faut être très prudent. Une étude pharmaco-épidémiologique présente ses limites : elle est rétrospective. De nombreux biais sont possibles. Deux études aux résultats concordants plutôt qu'une sont plus pertinentes. En ce qui concerne le traitement hormonal de la ménopause, des dizaines d'études pharmaco-épidémiologiques rétrospectives ont été additionnées. Elles concluaient toutes que le traitement était coronaro-protecteur. Une étude bien faite, prospective, menée aux Etats-Unis, prouvait l'inverse. Il faut accepter cette situation.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Vous aurez bientôt le RU 486. Il y a eu au moins un cas.
M. Jacques Caron . - Je n'ai pas compris votre allusion. Les études pharmaco-épidémiologiques sont un outil extrêmement important qui va se développer, dont la finesse va s'améliorer, mais il faut les accepter avec cette logique et le bon sens requis. Il était extrêmement difficile de statuer sur un cas en 1999. Le bruit de fond de l'hypertension pulmonaire est permanent. La distinction entre le bruit de fond et un cas réel est extrêmement difficile.
M. François Autain , président . - Pensez-vous que l'on pouvait suspendre le médicament dès cette époque ? Sinon, que pouvions-nous faire qui ne l'a pas été ? Imaginez que l'on ai préconisé pour le Mediator une enquête équivalente à celle commandée pour l'Isoméride du type International Primary Pulmonary Hypertension Study (IPPHS). Etait-ce envisageable ? Pourquoi ne l'avez-vous pas fait ?
M. Jacques Caron . - Le benflluorex n'a-t-il pas été inclus dans l'IPPHS ?
M. François Autain , président . - Non. C'est justement le problème. J'ai interrogé plusieurs personnes sur ce sujet, notamment le professeur Lucien Abenhaïm. Je ne comprends pas que l'on ait pu étudier l'impact des fenfluramines sans s'occuper du Mediator. En outre, certains cas analysés concernaient des malades qui prenaient de l'Isoméride, mais aussi du Mediator. Nous enregistrons quatre ou cinq cas dans le rapport de 1994 sur l'Isoméride. Le rapport Bechtel relève le nombre d'hypertensions artérielles pulmonaires consécutives à la prise d'Isoméride. Quatre ou cinq patients prenaient de l'Isoméride, mais aussi du Mediator.
Nous aurions pu nous poser une question à partir de ces cas. Nous aurions dû nous demander pourquoi ce médicament produit par Servier aurait pu avoir un rôle dans l'apparition de l'hypertension artérielle. Nous aurions pu commander une étude sur le benflluorex. Cela n'a pas été fait. Nous avons simplement commandé une étude qui n'a donné des résultats qu'au bout de sept ou huit ans. Avez-vous des réponses à apporter à cette question ? Pourquoi avoir tant attendu ? Quelqu'un souhaite-t-il répondre ?
Mme Françoise Haramburu . - Le benflluorex n'est pas le seul médicament pour lequel des études ont été longues à produire.
M. François Autain , président . - Est-ce une consolation ?
Mme Françoise Haramburu . - Lorsqu'un médicament n'a pas une grande utilité, c'est, selon moi, une perte de temps et d'argent de mener des études. Il aurait fallu le retirer en 1999.
M. François Autain , président . - Vous étiez sans doute très isolée à tenir cette position, sans quoi le médicament aurait été retiré.
Mme Françoise Haramburu . - Je m'en veux de ne pas l'avoir dit assez fort.
M. François Autain , président . - Que pense le président de la commission nationale de pharmacovigilance de cette question ?
M. Jacques Caron . - Le signal existait à cette époque. Il était extrêmement difficile de l'interpréter en l'état. Face à la faible efficacité de ce produit, nous pouvions nous interroger sur l'opportunité de le laisser sur le marché. Je lui reconnais une petite efficacité au niveau de l'hémoglobine glyquée. Mon objectivité s'arrête sur ce point.
M. François Autain , président . - Je n'ai pas d'avis personnel. Je m'en remets à l'avis de la commission de la transparence, qui considère que ce médicament n'était pas suffisamment efficace pour que nous puissions recommander son remboursement par la sécurité sociale. Cet avis émis en 1999 a été rappelé en 2006.
M. Jacques Caron . - La position du comité technique de pharmacovigilance a évolué car nous avons demandé la réévaluation du rapport bénéfices-risques du Mediator en 2005. Nous étions beaucoup plus précis en 2007 lorsque nous nous sommes fermement interrogés sur l'intérêt de ce produit et en se prononçant pour un rapport bénéfices-risques défavorable.
M. François Autain , président . - Cette procédure a été particulièrement longue.
M. Jacques Caron . - Je ne le nie pas.
M. François Autain , président . - Quelle en est la raison ?
M. Jacques Caron . - L'Europe s'est emparée du dossier du benflluorex. A ce moment, nous avons le sentiment que le dossier s'éloigne, que le problème doit être transposé au niveau européen, ce qui est bien entendu une erreur. L'Europe a eu besoin de temps pour réagir. Elle n'a même pas réagi concernant ce dossier, puis les observations sont arrivées de façon lente et fragmentée. En 2005, nous nous sommes aperçus que des cas d'hypertension artérielle pulmonaire étaient évidents, ce qui nous a amené à réévaluer le rapport bénéfices-risques du médicament en 2007.
M. François Autain , président . - Ce problème pourrait perdurer aujourd'hui sans l'intervention d'Irène Frachon. Cette situation est désespérante.
Mme Virginie Klès . - Comme vous le rappelez souvent, au-delà de comprendre ce qui s'est passé, l'objectif des travaux de cette mission est que ce que nous avons connu avec le Mediator ne se reproduise pas et d'améliorer l'avenir. Je souhaiterais revenir sur le sujet des études épidémiologiques rétrospectives et prospectives. Je partage le point de vue sur les études pharmaco-épidémiologique rétrospectives, dans la mesure où un outil statistique doit être adapté a priori à ce que l'on cherche à démontrer, jusque dans la construction des échantillons ou la construction expérimentale du recueil des données.
La méthodologie rétrospective peut ne pas apporter de réponses proches de la vérité ou des éléments dont nous sentons pourtant qu'ils sont pertinents. La méthode n'est pas idéale car nous récupérons des données prouvées pour les manipuler et les adapter à l'outil statistique. Cette approche est nécessairement négative. Nous n'avons pas effectué systématiquement des études épidémiologiques prospectives. Lorsque l'efficacité d'un médicament n'est pas prouvée, il ne faut pas le commercialiser plutôt que de perdre de l'argent en effectuant une étude.
Sur un médicament qui a une efficacité, vous semble-t-il possible d'établir des critères simples permettant d'enclencher une étude épidémiologique prospective adaptée à vos besoins sur le médicament ? Comment peut-on faire pour mettre en place cette étude épidémiologique prospective sans attendre la survenue d'effets indésirables du médicament ?
Mme Françoise Haramburu . - La difficulté des études prospectives est liée au fait que l'on travaille souvent sur un risque très faible en pharmacovigilance qui nous oblige à suivre des dizaines de milliers, voire des centaines de milliers de patients. Avec trois mille patients, vous êtes certain de trouver un cas ayant une incidence d'1 sur 3 000. Or nous travaillons sur des incidences faibles d'1 sur 10 000 ou 1 sur 100 000. Des études prospectives supposent de suivre beaucoup de patients pour évaluer un impact.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Malgré les difficultés des études prospectives, de quoi auriez-vous besoin ?
Mme Marie-Christine Pérault . - Nous aurions besoin en France de bases qui nous permettent de travailler correctement. Certains critiquent l'Internet protocol multicast standards initiative (IPMSI). Ce système n'était pas idéal, mais il nous a permis de progresser. Il comporte quelques atouts malgré toutes les erreurs envisagées. Nous avons besoin d'effectuer des études rétrospectives et de travailler sur des études cas/non-cas qui nous permettent de valider nos idées. La France doit se doter de moyens conséquents si nous devons mener des études prospectives. Il y a très peu de cohortes en France par rapport aux pays scandinaves ou du Nord. Il est fondamental de constituer ces grandes cohortes qui nous permettent de construire une étude scientifique sérieuse. Nous avons pu le faire concernant la cohorte E3N, mise en place par des chercheurs de l'Institut national de la santé et de la rechercher médicale (Inserm).
M. François Autain , président . - En quoi consiste une cohorte, s'il vous plaît ?
Mme Marie-Christine Pérault . - La cohorte est liée au fait d'inclure à un moment donné tous les patients présentant une caractéristique homogène et de les suivre au cours du temps : exposition ou non à un médicament, mise en évidence d'une exposition, etc.
M. François Autain , président . - Les cohortes remplacent-elles les études ?
Mme Marie-Christine Pérault . - Certes, mais nous n'avons pas d'expérience de la cohorte en France.
M. François Autain , président . - Nous n'avons pas non plus la culture de l'étude pharmaco-épidémiologique prospective. Nous ne pouvons pas trouver un langage commun. Ce sont deux approches différentes.
Mme Marie-Christine Pérault . - Etant donné que nous évoquons les données épidémiologiques, je souhaiterais rappeler que les professionnels de santé britanniques disposent de la base GPRD. Il serait aisé d'implanter quelques données médicales supplémentaires dans la base de la sécurité sociale. La construction de ce genre de base dépend de la volonté des pouvoirs publics.
M. François Autain , président . - S'agit-il davantage d'une base que d'une cohorte ?
Mme Marie-Christine Pérault . - Il y a plusieurs possibilités. Nous étudions dans les plans de gestion de risque si nous avons besoin de certains types d'étude pour une molécule donnée. Ce type de réflexion est basée sur le fait, quand nous suivons des médicaments pour une mise sur le marché européenne, d'effectuer des études pharmaco-épidémiologiques. Or, ces études sont généralement prévues dans d'autres pays que la France, ce qui est regrettable. En effet, cela ne permet pas de voir à quoi la population française est exposée.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Vous affirmez que l'étude comporte un certain nombre d'erreurs. Aurait-il été possible de les démasquer pour avoir une étude plus fine ? Sinon, pourquoi cela n'a-t-il pas été fait ? Nos entreprises pharmaceutiques ont-elles la faculté de limiter les signaux de pharmacovigilance ? Cela fut-il le cas sur le Mediator ? Pourquoi ces erreurs n'ont-elles pas été dénoncées ? Les estimations portent sur une base de 500 à 2 000 morts. Une erreur dans l'évaluation serait dramatique.
Mme Marie-Christine Pérault . - Catherine Hill estime que le Mediator a causé près de 500 décès. C'est une estimation. Elle a expliqué dans son article les biais qu'elle a rencontrés au cours de son étude. L'étude de Mme Fournier et M. Zureik est construite différemment. L'objectif de ces études consistait à estimer le nombre de patients et décès, sans autre vocation. Catherine Hill a été très précise sur ce sujet : elle n'avait pas d'autre objectif que de conforter une hypothèse établie.
M. François Autain , président . - Catherine Hill a été très précise lorsqu'elle est venue au Sénat, en indiquant qu'il s'agissait d'une estimation de la réalité. Son estimation est l'outil qui permet de se rapprocher le plus de ce qui s'est passé dans la réalité. Je ne pense pas que l'on soit en mesure de produire une étude qui permette d'approcher de plus près de ce qui s'est passé dans la réalité. Il sera très difficile de procéder à cet examen. Il est parfois nécessaire d'avoir recours à ce type d'outil pour approcher la réalité. Vous êtes d'accord avec cette affirmation ?
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Les entreprises pharmaceutiques tentent-elles de limiter la pharmacovigilance ?
Mme Marie-Christine Pérault . - Oui. Tout dépend de quelle manière la firme enregistre le signal qu'elle reçoit. Nous reprochons beaucoup aux entreprises pharmaceutiques de ne pas tenir compte des entités cliniques. Le codage MedDRA permet d'« exploser » une entité clinique. Un syndrome est divisé en de nombreux symptômes. Lorsqu'on interroge la base de données pour identifier des événements similaires, par exemple pour le Drug reaction with eosinophilia and systemic symptoms (Dress Syndrome), notre recherche s'effectue à plusieurs niveaux. L'arborescence MedDRA impose de reconstituer a posteriori une entité clinique, ce qui est difficile pour nous.
M. Jacques Caron . - Cela peut nous amener à interpréter un cas différemment selon la recherche que nous effectuons dans la base. Globalement, nous parlons un même langage de pharmacovigilance industrielle. L'objectif de l'enquête est de nous réunir, c'est-à-dire de confronter nos données afin de parvenir à un consensus. L'enquête nous offre un aperçu assez exact de la réalité.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Le Mediator a-t-il été prescrit dans les hôpitaux ?
M. Jean-Pierre Kantelip . - A ma connaissance, il n'a pas été prescrit dans les hôpitaux où je travaille et que je connais.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Sur l'évaluation et le contrôle du médicament, faut-il fusionner la commission nationale de pharmacovigilance (CNPV) et la commission de l'AMM ? Comment éviter que la première soit subordonnée aux réunions de la seconde ? La CNPV doit-elle disposer d'un pouvoir de suspension d'un médicament présentant des risques ? Quelle procédure proposeriez-vous dans ce cas ?
M. François Autain , président . - Que proposez-vous pour améliorer la procédure ? Nous avons un avant-goût d'une réunion commune avec celle que nous avons visionnée sur le site de l'Afssaps. Considérez-vous que cela constitue un progrès ou que nous devions créer un meilleur dispositif ? M. Jacques Caron, qu'en pensez-vous en tant que président de l'Association nationale de pharmacovigilance ?
M. Jacques Caron . - L'augmentation des prérogatives de la commission nationale de pharmacovigilance me semble nécessaire. Je ne sais si les instances doivent continuer de fonctionner de manière parallèle ou fusionner. Nous apprenons toujours au contact des uns et des autres. La commission d'AMM confie des informations importantes à la CNPV. Encore faut-il que nous puissions confronter nos données de manière paritaire. Encore faut-il que le président de la CNPV ne se présente pas seul au sein de la commission d'AMM pour défendre un dossier.
La stricte parité serait nécessaire si nous mettions en place des réunions mixtes, commission d'AMM et CNPV. Par ailleurs, nous pouvons imaginer que la commission nationale de pharmacovigilance puisse statuer sur un médicament de façon ferme et définitive afin qu'un problème soit très rapidement réglé. Ce projet peut être rapidement mis en application.
Je ne pense pas qu'il faille détacher le post-AMM du pré-AMM.
Nous tirons en partie nos informations du pré-AMM. Nous en avons besoin, et encore plus actuellement. Nous ne sommes pas des spécialistes de toxicologie ou de pharmacocinétique. Nous maîtrisons mal certaines informations en raison du manque de spécialistes qui nous permette d'appréhender ces informations de manière claire, didactique et efficace. J'ai toujours été étonné que la commission nationale de pharmacovigilance ne contienne pas de toxicologue, qu'il existe un groupe PGR/PPI qui se réunisse sans intégrer officiellement des représentants de la commission nationale de pharmacovigilance. Je suis favorable à une restructuration de la CNPV.
M. François Autain , président . - Votre propos est inquiétant car le groupe PGR/PPI assure la prise en considération des plans de gestion des risques et de l'examen des études post-AMM, dont nous constatons qu'elles ne sont pas réalisées comme il se doit. Je suis étonné que vous ne soyez pas partie prenante de ce groupe.
M. Jacques Caron . - Ce groupe de travail donne des avis sans avoir des représentants officiels au niveau de la CNPV.
M. François Autain , président . - Souhaiterez-vous qu'il soit présent dans la commission ?
M. Jacques Caron . - Oui. Je souhaite que ce groupe soit représenté au sein de la commission. Nous nous nourrissons des données du pré-AMM. Les deux instances ne doivent pas fonctionner en parallèle. Nous avons besoin d'informations. La création d'une commission paritaire avancée par notre nouveau directeur général est une solution qui me paraît à envisager.
M. François Autain , président . - S'agit-il de la commission qui s'est réunie dernièrement à propos de l'Actos ?
M. Jacques Caron . - Cette commission n'était pas composée de manière paritaire car elle regroupait trois ou quatre personnes de la CNPV. Nous étions noyés au sein de la commission d'AMM.
M. François Autain , président . - Le rapport de force vous était défavorable.
M. Jacques Caron . - En 2007, nous étions convaincus de l'importance de retirer le Mediator. Nous nous sommes retrouvés isolés au sein de la commission d'AMM.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - La présence de cardiologues est-elle souhaitable en raison des types de pathologies ?
M. Jacques Caron . - Bien entendu.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Faut-il élargir les compétences de la pharmacovigilance pour une meilleure prise en compte du risque lié au médicament ?
Mme Marie-Christine Pérault . - Le champ de compétence de la pharmacovigilance doit évoluer avec la directive européenne sur ce point. Il conviendra de veiller à ce que la pharmacovigilance soit davantage intégrée à la gestion de risques médicamenteux.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - La France a-t-elle influencé Bruxelles ?
M. François Autain , président . - La Commission européenne sera vraisemblablement influencée avec retard.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - J'ai siégé dix ans au Parlement européen. J'ai constaté que nous ne prenions pas, contrairement aux Anglo-Saxons, les discussions en amont. Avez-vous envie d'élargir le champ de la pharmacovigilance ?
Mme Marie-Christine Pérault . - Nous avons participé aux travaux de l'association des centres régionaux de pharmacovigilance. Nous avons alerté les représentants français de divers sujets qui nous paraissaient problématiques. Le cabinet de Mme Roselyne Bachelot a accepté de nous recevoir pour discuter de ce problème. Il nous paraissait déraisonnable que la pharmacovigilance doive être assurée uniquement par les industries du médicament.
M. François Autain , président . - Cette évolution a failli avoir lieu !
Mme Marie-Christine Pérault . - Nous avons revendiqué une pharmacovigilance forte. Nous avons reçu des soutiens pour qu'une pharmacovigilance forte, financée par les Etats, soit maintenue. Nous étions initialement menacés de disparition. Je ne suis plus informée de ce qui se passe. Le champ de compétence de la pharmacovigilance sera élargi. L'erreur médicamenteuse doit intégrer notre champ de compétence, ce qui nous ouvrira vers des collègues pharmaciens en vue d'accroître la culture de la pharmacovigilance.
Nous avons essayé de défendre au mieux les intérêts de la pharmacovigilance publique, mais nous n'avons pas été entendus sur certains points. Nous voyons que dorénavant une commission donnera les AMM et une autre commission donnera un avis sur la pharmacovigilance. En cas de désaccord, l'équivalent de la commission d'AMM devrait justifier pour quelle raison elle ne suit pas l'avis de la seconde. Pour la première fois, cette décision reconnaît à la pharmacovigilance une existence et un rôle dans la décision. Le fait que les membres de la commission d'AMM doivent justifier leur décision est une évolution importante.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Faut-il renforcer le contrôle des prescriptions hors AMM ?
M. François Autain , président . - Quel degré d'autonomie doit-on accorder à la commission de pharmacovigilance ? La commission nationale de pharmacovigilance n'est pas une instance majeure. Tout avis qu'elle émet doit transiter par la commission d'AMM. Les avis relatifs à la suspension des médicaments ou sur les effets indésirables d'un médicament ne devraient pas transiter par la commission d'AMM, mais être confiés directement au directeur général qui alors prendrait sa décision.
En conclusion, je serais favorable à ce que la commission nationale de pharmacovigilance prenne plus de poids qu'actuellement. Cela éviterait de vous retrouver en situation minoritaire comme vous l'étiez à propos de l'Actos, alors que vous disposez de tous les éléments pour prendre la bonne décision. Pour ma part, je défendrais plutôt ce type de proposition dans le cadre de notre mission. Je voudrais votre avis sur ce sujet.
M. Jacques Caron . - Cette deuxième solution est envisageable. Une troisième solution consiste à réunir cette commission paritaire en cas de désaccord entre la CNPV et la commission AMM. Les différents scénarii présentent des avantages et des inconvénients. Je pense qu'il faut accorder davantage de prérogatives à la commission nationale de pharmacovigilance. Cependant, il ne faut pas la couper de l'AMM afin de favoriser un échange indispensable entre ces deux instances.
M. François Autain , président . - Certains prétendent que la commission d'AMM éprouve quelques difficultés à retirer les médicaments qu'elle met sur le marché, alors que la commission nationale de pharmacovigilance en a moins.
Mme Françoise Haramburu . - Je pense que l'on peut donner un avis favorable sur un médicament, puis changer d'avis. Il n'y a aucune honte à changer d'avis. En outre, les membres de la commission d'AMM sont renouvelés tous les trois ans.
M. François Autain , président . - Une commission paritaire vous aurait-elle permis de retirer l'Actos ?
M. Jacques Caron . - Je ne veux pas préjuger, mais il y a eu une opposition très claire entre la CNPV et la commission d'AMM sur ce point.
M. François Autain , président . - L'opposition était identique à celle rencontrée sur le Mediator.
M. Jacques Caron . - La confrontation des arguments de la CNPV et de l'AMM au sein d'une commission paritaire aurait permis de prendre une décision plus structurée.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Nous pouvons également imaginer plusieurs scénarii susceptibles de fonctionner selon les problématiques auxquelles nous sommes confrontés.
Faut-il renforcer le contrôle des prescriptions en dehors de l'AMM ? Dans l'affirmative, de quelle manière cela peut-il avoir lieu ? En ce qui concerne les signalements de pharmacovigilance, le signalement direct par les patients doit-il être encouragé ?
M. Jacques Caron . - Bien entendu, il faut mieux appréhender et évaluer la prescription en dehors de l'AMM. La prescription peut être parfois justifiée. Il faut le rappeler dans les hôpitaux où 30 % des prescriptions sont effectuées en dehors de l'AMM. Nous explorons un domaine peu connu qui mérite une attention particulière. Les données de l'assurance maladie et les évaluations sont de plus en plus importantes dans nos dossiers de pharmacovigilance. Une prescription en dehors de l'AMM ne peut être acceptée sur un grand nombre de produits. Ce motif doit modifier notre raisonnement face à un problème de pharmacovigilance.
Le second point que je veux souligner est la nécessité de se doter d'un outil de communication qui puisse toucher l'ensemble des praticiens. En informant les praticiens sur les risques potentiels avérés, nous pourrions infléchir une prescription en dehors de l'AMM. Nous ne disposons pas actuellement d'un outil de communication adapté des enjeux auxquels nous serons confrontés dans quelques années. Nous devons pouvoir intéresser les praticiens à notre démarche, sans les inonder d'informations, mais en leur donnant les informations qui permettent d'identifier un cas par l'intermédiaire d'un bilan de pharmacovigilance qui leur est fourni.
Si nous ne nous dotons pas de cet outil de communication, nous manquerons une des actions importantes de pharmacovigilance et favoriserons un mauvais usage du médicament. Ils reçoivent actuellement un document au milieu d'un grand nombre de courriers et qui finit malheureusement souvent à la poubelle sans être lu. Combien de médecins s'intéressent-ils à la documentation de l'Afssaps ?
M. François Autain , président . - L'Afssaps doit-il être « prescripteur » du système dont vous recommandez la mise en place ?
M. Jacques Caron . - Oui. C'est une action extrêmement importante, également en termes de remontée d'informations.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - A propos de remontée d'informations, il existe un problème spécifique concernant les outils de pharmacovigilance liés aux médicaments destinés aux enfants. Les médicaments pédiatriques sont rarement mis sur le marché. Ils donnent parfois lieu à des erreurs de dosage. Cette problématique spécifique sur la pédiatrie risque de se poser également pour la population gériatrique. Est-ce une préoccupation actuelle de la pharmacovigilance d'avoir un regard spécifique sur la pédiatrie et la gériatrie ? Nous avons malheureusement peu parlé des enfants et des personnes âgées au cours de notre mission.
M. Jean-Pierre Kantelip . - Je voudrais revenir sur la pharmacovigilance de terrain, que l'on est obligé de mener avec nos moyens. Concernant le premier point sur la pédiatrie, je confirme que peu d'études sont faites par les firmes. Cette situation traduit un manque important pour juger de l'efficacité, mais surtout de la sécurité des médicaments destinés aux enfants. Le système est balbutiant. Je le vois dans mon établissement. En revanche, ce système se développe davantage avec le milieu gériatrique. Nous pouvons commencer notre étude avec les centres de long séjour, mettre en place une formation continue et faire apparaître une surveillance des effets indésirables.
A la base, la pharmacovigilance est un travail relationnel, personnel, qui nécessite des moyens humains. Il est difficile de mener une pharmacovigilance régionale exhaustive. Nous menons des missions d'enquête, des missions de santé publique au niveau du terrain. Je suis très impliqué personnellement sur ce sujet. Chaque centre de pharmacovigilance souffre de difficultés de fonctionnement car les petits centres sont amenés à se renouveler régulièrement, avec des missions complexes et des perspectives dans des domaines peu explorés comme la pédiatrie et des domaines actuellement plus explorés comme la gériatrie.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Cette situation est-elle davantage liée au problème des centres de pharmacovigilance qu'au fait qu'il n'y a pas de dosage spécifique des médicaments pédiatriques ? Le nombre limité de médicaments pédiatriques est-il lié à un problème de moyens des centres de pharmacovigilance ?
M. Jean-Pierre Kantelip . - Non, cela vient aussi de l'industrie qui lance peu de médicaments pédiatriques.
M. Jacques Caron . - Deux centres de pharmacovigilance à Tours et à l'hôpital Cochin de Paris consacrent leur activité à la pharmacovigilance pédiatrique. Les deux représentants remplissent leur rôle au niveau du CRPV en se chargeant des dossiers pédiatriques. Quant à la gériatrie, nous gérons beaucoup de dossiers. Certains centres se sont spécialisés, et la pharmacovigilance est souvent à destination de sujets âgés, insuffisants rénaux, etc.
En conclusion, nous manquons effectivement de moyens. A Lille, nous disposons d'1,3 équivalent temps plein (ETP) pour assurer une pharmacovigilance régionale de plus de 4 millions d'habitants. C'est dérisoire !
M. François Autain , président . - L'essentiel est fait une fois que les médicaments sont vendus. Le reste est « à la fortune du pot ».
Mme Marie-Christine Pérault . - Une circulaire de la direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins (Dhos) de 2005 prévoyait une modélisation du nombre de praticiens hospitaliers nécessaire à la CNPV. Nous sommes en 2011. Nous sommes loin d'avoir atteint le modèle préconisé par cette circulaire de la Dhos.
M. François Autain , président . - Nous pourrions rappeler ce modèle.
Mme Marie-Christine Pérault . - Il serait bon que vous puissiez constater la différence entre les préconisations et la réalité pour faire fonctionner correctement les commissions de pharmacovigilance. En ce qui concerne le signalement des patients, nous avons travaillé sur une fiche pour que les patients puissent déclarer les effets indésirables. Cette fiche est théoriquement en cours de relecture ou validation. Il serait important que cette possibilité officielle du patient de déclarer les effets indésirables d'un médicament soit mise en oeuvre.
M. François Autain , président . - Cette modalité est offerte. Vous n'avez pas besoin d'attendre la transposition de la directive. Nous attendons simplement les décrets d'application. Leur publication prend un certain temps. Nous ferons le nécessaire pour rappeler au Gouvernement la nécessité que ces décrets paraissent le plus rapidement possible.
Mme Marie-Christine Pérault . - Ces informations très intéressantes nous apportent une autre vue que celle apportée par les professionnels de santé.
M. François Autain , président . - Je partage votre point de vue. Mesdames, messieurs, mes chers collègues, nous disposons encore d'une minute pour clore nos débats.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur . - Nous sommes en mai 2011. Avez-vous aujourd'hui dans vos dossiers de pharmacovigilance un certain nombre de médicaments qui vous inquiètent à part l'Actos ? En dehors de ceux connus médiatiquement, d'autres pourraient-ils nous préoccuper, en admettant que nous remettions notre rapport le 28 juin ?
M. Jacques Caron . - Je dois prendre la parole sur ce sujet. Je n'ai jamais connu dans le secteur de la pharmacovigilance de période où il n'y a pas eu plusieurs dossiers qui nous inquiétaient très régulièrement. Depuis vingt-cinq ans que je travaille sur ce sujet, il n'y a jamais de période durant laquelle nous avons eu le sentiment qu'il n'y avait pas de problème.
M. François Autain , président . - Merci mesdames, messieurs, mes chers collègues. La séance est close.
Audition de M. André CICOLELLA, président du Réseau Environnement Santé (mardi 24 mai 2011)
M. François Autain , président . - Nous accueillons M. André Cicolella, président du Réseau Environnement Santé. Nous avons souhaité vous auditionner car la publication de votre livre Un air de santé vous a amené à établir des propositions sur le statut du lanceur d'alerte. Nous allons déborder de ce cadre, mais c'est essentiellement ce problème qui nous intéresse. Nous envisageons d'émettre des propositions allant dans ce sens. Nous souhaitons vous entendre pour présenter des propositions dans ce domaine. Vous savez que cette audition est ouverte à la presse. En ce qui concerne vos liens d'intérêts, je n'ai pas à vous poser la question traditionnelle car vous n'êtes pas médecin. Nous pouvons passer au coeur du sujet. Je vous transmets la parole.
M. André Cicolella, président du Réseau Environnement Santé . - Je vous remercie de m'avoir invité. La question des lanceurs d'alerte, je pense y avoir contribué par ce livre, ayant été moi-même en situation de lanceur d'alerte sur les éthers de glycol. Je travaillais à l'époque à l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS). A cette occasion, j'ai piloté un grand programme de recherche européen avec une quinzaine d'équipes. Quelques jours avant le colloque international censé dresser le bilan de cette étude, j'ai été licencié pour faute lourde et le colloque a été annulé. A l'étranger, le Whistleblower Protection Act donne une certaine protection aux lanceurs d'alerte.
Je suis à l'origine de la première jurisprudence sur la protection des lanceurs d'alerte, qui a reconnu aux salariés le droit de désobéir, c'est-à-dire de ne plus être soumis au principe de subordination hiérarchique en cas de risque pour la santé publique. La première jurisprudence a été prononcée par la Cour de cassation en l'an 2000, basée sur un jugement de la Cour d'appel de Nancy rendu en 1998 sur mon cas. Cela m'a amené à créer la fondation science citoyenne, qui a initié une proposition de loi. Il est important de comprendre le lien entre alerte et expertise qui n'est pas nécessairement compris immédiatement.
C'est une fausse bonne idée de raisonner en termes de statut du lanceur d'alerte. En effet, le lanceur d'alerte n'est pas un métier, mais une situation dans laquelle on se trouve. Il faut protéger l'alerte, ce qui suppose de protéger l'expertise et le processus d'expertise. Il n'est pas souhaitable de gérer le problème en aval. Il faut le gérer en amont en dehors de toute situation de crise en vue de protéger la santé publique. Pour ce faire, il faut, dans tous les lieux de production de connaissance et d'expertise, avoir des dispositifs qui permettent de gérer les contradictions autour de l'expertise et de l'alerte. Comment s'expriment-elles sans que cela se traduise par des mesures de sanction ? Je l'ai vécu directement en ayant été licencié pour avoir organisé un colloque sur les éthers de glycol.
Le lien entre alerte et expertise suppose de comprendre correctement l'enjeu de la déontologie de l'expertise. L'analyse de la littérature scientifique amène à se poser un certain nombre de questions. Il faut étudier les conflits d'intérêts et traiter cette question. Un autre aspect est encore plus important : la déontologie de l'expertise. Sur quels critères prend-on une décision sur les parabènes, pour reprendre l'actualité récente ? J'ai été interviewé abondamment sur ce sujet, notamment dans le quotidien Le Monde . Les données chez l'animal montrent une remise en cause des mécanismes de reproduction chez le rat après l'exposition orale au parabène, ou la consommation de produits alimentaires utilisant les parabènes comme conservateur.
En février 2011, une étude parue dans la meilleure revue de santé environnementale, Environnemental Health Perspectives, a analysé une population d'hommes ayant consulté dans un centre de fertilité. Cette étude a mis en évidence une relation entre l'imprégnation du parabène et l'atteinte du sperme, et notamment de l'acide désoxyribonucléique (ADN). Les données sur l'animal existent depuis plusieurs années. Nous avons la première confirmation de cette atteinte du parabène chez l'homme.
A partir de quel moment une agence doit-elle statuer ? Il y a un conflit sur cette question. Il faut prendre une décision à partir du moment où nous disposons des données expérimentales chez l'animal. Tout ce qui est acquis pour le rongeur doit être considéré comme ayant une implication pour l'homme. Nous avons de nombreux points communs avec le rat. Le fait d'être des mammifères est une proximité importante. Or nous disposons des données sur les animaux. A partir de ces données expérimentales, on aurait dû considérer un risque pour l'homme. Nous avons eu confirmation en février 2011 du risque constitué par le parabène pour l'homme. Or je n'avais pas noté de réaction immédiate des autorités compétentes à cette question.
M. François Autain , président . - Rien ne s'est passé avant l'article paru dans le quotidien Le Monde .
M. André Cicolella . - Cette situation est relativement courante mais je continue à la considérer comme anormale. Une agence doit se baser sur le fait non pas que des articles paraissent dans la presse, mais que des données scientifiques sont publiées. Je comprends qu'il n'y ait pas de réaction dans les vingt-quatre heures, mais un délai de trois mois est excessif. En outre, j'ai reçu la version électronique des conclusions de cette étude quelques mois avant février 2011. Nous avions posé la question des parabènes en octobre 2008, d'ailleurs juste avant la création du Réseau environnement santé, une population fragile, en posant la question des nourrissons pour lesquels on utilise des lingettes qui contiennent les cinq parabènes induisant un risque de pénétration cutanée. En effet, la peau est la principale voie d'exposition de cette substance. L'Afssaps ne nous a pas répondu. Il a fallu attendre quelque temps pour qu'il soit répondu qu'elle se préoccupait du problème. Nous n'avions pas jusqu'à présent considéré que les parabènes présentaient un tel risque. Les études récentes ont présenté un risque de cancer du sein lié au parabène. Enfin, les études récentes ont complété le tableau des risques liés au parabène.
A qui s'adresser si nous estimons que l'agence ne réagit pas dans les délais impartis ? L'agence peut défendre son point de vue. Pour le moment, la seule manière de gérer cette question est de s'adresser à la presse et aux médias. Le Réseau environnement santé a aujourd'hui suffisamment de crédibilité pour être écouté, mais ce fonctionnement est anormal.
M. François Autain , président . - Cet article dans Le Monde n'est-il paru qu'à la suite de l'intervention de votre réseau ?
M. André Cicolella . - Non. L'article fait référence à un rapport de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps), mais la question des perturbateurs endocriniens est liée à notre action menée depuis quelques mois. Le Sénat a voté à l'unanimité l'interdiction du bisphénol dans les biberons. C'est la première décision politique importante considérant qu'il y a suffisamment de données scientifiques pour prendre des décisions, alors que l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa), devenue l'Agence nationale chargée de la sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) n'a toujours pas pris de décision officielle sur cette question.
M. François Autain , président . - Le Sénat est un lanceur d'alerte !
M. André Cicolella . - Vous aurez l'occasion de récidiver sur le parabène, le bisphénol et les phtalates. En effet, les députés ont voté l'interdiction de ces molécules. Le message politique consiste à dire que nous avons suffisamment de données, que nous poursuivons la veille systématique sur un certain nombre de substances. Il y a eu trente études, au cours des derniers mois, sur les phtalates. Nous avons suffisamment de données pour prendre des décisions. Le vote des députés dans ce domaine me semble totalement justifié.
En réponse à votre question sur les perturbateurs endocriniens, le colloque que nous avons organisé à l'Assemblée nationale le 14 septembre portait sur le thème suivant : « Perturbateurs endocriniens, changement de paradigme pour l'évaluation des risques sanitaires et environnementaux ».
Nous avons organisé un second colloque au mois d'avril 2011, au Museum d'histoire naturelle, sur le thème « Biodiversité et perturbateurs endocriniens ». Sur le plan scientifique, nous avons suffisamment d'informations aujourd'hui pour considérer que les substances classées comme perturbateurs endocriniens ne peuvent plus être analysées comme des substances chimiques. Nous assistons à un changement de paradigme résumé en cinq points aux Etats-Unis.
Le premier point est lié au fait que c'est la période qui fait le poison, et non la dose, c'est-à-dire la période d'exposition, pendant la gestation, qui induit des effets sanitaires.
Le second point vient d'un effet différé du produit. L'exposition au distilbène, même courte, a été très dangereuse. L'exposition de quelques semaines à ce médicament a eu des impacts sur la première génération (cancers du sein, malformations génitales), et la seconde génération (malformation génitale liée au fait que leur grand-mère a pris un médicament cinquante ans auparavant), alors que la vision pharmacologique portait uniquement sur la durée de la vie de la personne qui avait pris le médicament.
Le troisième point est l'effet cocktail. L'étude publiée en février montre que lorsqu'il y a co-exposition chez les hommes entre butylparabène et bisphénol qui sont deux perturbateurs endocriniens, il y a un effet de synergie. Des essais ont révélé, par exemple pour les effets anti-androgéniques, selon une interview de Gordon Kemp dans un documentaire, que « 0+0+0 = 60 » est une caractéristique des perturbateurs endocriniens.
Le quatrième point concerne la dose. La relation dose/effet du perturbateur endocrinien suit une courbe en cloche : l'effet grandit au fur et à mesure que la dose diminue. En effet, la forte dose induit une suppression des récepteurs qui annule l'effet.
Le cinquième point est l'effet transgénérationnel que j'ai évoqué dans le cas du distilbène : il y a une exposition durant la gestation à la génération F0 et des effets aux générations en F1, F2, F3. Nous disposons de données sur l'impact sur l'arrière-petit-fils d'une consommation de bisphénol au niveau de l'arrière-grand-mère. Nous avons une illustration de la nécessité de réfléchir à la déontologie de l'expertise, puisqu'il révèle un véritable problème de dysfonctionnement lorsqu'une agence ne tient pas compte de cette question.
Mme Marie-Thérèse Hermange . - Je vous remercie pour cette analyse et le fait de ne pas opposer expertise au lancement d'alertes. Pensez-vous qu'à un moment donné, avant d'aller devant les médias, il serait opportun qu'un lanceur d'alerte qui a découvert un dysfonctionnement puisse en informer les institutions comme la commission nationale de pharmacovigilance ? Nous avons évoqué plusieurs scénarii qui donnent la possibilité aux institutions d'auditionner des personnes sur tel ou tel médicament. En cas de découverte, pourrait-il y avoir une relation automatique entre le lanceur d'alerte et la commission nationale de pharmacovigilance ?
M. André Cicolella . - Oui, il faut envisager ce cas de figure.
Mme Marie-Thérèse Hermange . - Dans les réformes qui seraient à apporter, quelles seraient vos suggestions ?
M. André Cicolella . - J'insiste beaucoup sur la déontologie de l'expertise. Il faut que nous puissions saisir une instance. Ce pourrait être une Haute Autorité de l'expertise, une sorte de commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) de l'expertise, qui dispose d'une autorité pour définir la déontologie de l'expertise et la faire respecter. A l'heure actuelle, il n'existe aucune instance qui puisse être saisie pour prendre en considération votre désaccord. En cas de refus, votre insubordination s'accompagne d'une sanction, avec une gradation d'effets pour la carrière personnelle sans aller jusqu'au licenciement, par exemple une mise au placard, une perte de moyens, une absence de promotion, etc.
D'une manière générale, il est important qu'une instance puisse être saisie en cas de conflits tant interne qu'externe. Prenons l'exemple, des médicaments qui comportent de l'aspartame. Il est extraordinaire qu'une substance consommée par 200 millions de personnes, non seulement dans l'alimentation, mais aussi incluse dans les médicaments pour enfants, soit associée à une dose journalière admissible (DJA) sur la base d'études datant de 1973 et 1974 qui n'ont jamais été publiées dans une revue scientifique. Or, ces études sont totalement fausses. Nous disposons des témoignages de toxicologues de la Food and Drug Administration (FDA) de l'époque devant le Sénat américain. Ils affirment que des tumeurs retirées chez des animaux étaient replacées dans l'expérience. Cette procédure est tout à fait anormale. Ces études ont néanmoins servi de base à la DJA en 1980.
En 2011, trois études ont été faites depuis sur la cancérogénicité par l'Institut Ramazzini, centre de recherche toxicologique dont les travaux sont reconnus par l'ensemble de la communauté scientifique. Nous avons invité le directeur scientifique de l'Institut Ramazzini à la faculté de médecine en 2011. Les trois études n'ont pas été retenues, et nous continuons d'utiliser des études manifestement véreuses pour justifier une DJA. Qui saisir aujourd'hui, à part les médias ?
Mme Marie-Thérèse Hermange . - Pourrait-on saisir les instances sanitaires, la Haute Autorité de santé, les agences sanitaires et les présidents de la commission des affaires sanitaires de l'Assemblée nationale et du Sénat ? En Italie, chaque année, les présidents de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale et du Sénat présentent leurs réflexions. Ne pourrait-on pas déclencher une alerte si l'on était saisi officiellement ?
M. François Autain , président . - Il ne faut pas trop saisir.... Qui trop embrasse, mal étreint.
M. André Cicolella . - Le rôle des commissions des Parlements est important pour le contrôle de la Haute Autorité de santé. J'imagine difficilement que les parlementaires aient un avis sur chaque problème afférent à la déontologie de l'expertise.
Mme Marie-Thérèse Hermange . - Une copie pourrait leur être transmise.
M. André Cicolella . - La Haute Autorité de santé a des comptes à rendre, notamment aux parlementaires. Mais c'est un échelon différent. Nous avons besoin d'un échelon qui n'existe pas aujourd'hui. J'entends d'avance les critiques que ce serait une usine à gaz, mais cela simplifierait au contraire le dispositif. Actuellement, des comités font fonction de commissions de déontologie, mais ils n'ont aucun compte à rendre. Ils définissent eux-mêmes leur déontologie. En cas de conflit, personne n'analyse le conflit. Nous avons besoin d'une instance qui dispose d'une vision d'ensemble et doive rendre des comptes dans un rapport annuel au Parlement. Si les élus étaient saisis en permanence de toutes ces questions, ils seraient submergés.
Mme Marie-Thérèse Hermange . - Oui, par exemple un rapport annuel montrant l'évolution de l'état de la science. Dans le domaine des cellules souches, je lis tous les quinze jours une revue scientifique sur le sujet. Nul ne le fera si nous ne le faisons pas. Si une instance donnait l'état de la science, nous pourrions alors peut-être saisir les autorités.
M. André Cicolella . - Ce point relève d'un autre sujet. La veille scientifique n'est aujourd'hui pas effectuée correctement par les agences sanitaires. Nous effectuons de la veille scientifique sur le bisphénol au niveau de notre réseau pour prouver qu'il y a un dysfonctionnement. Enfin, la Haute Autorité de santé devrait superviser cette activité.
M. François Autain , président . - Il existe une fonction de veille à l'Institut national de veille sanitaire.
M. André Cicolella . - Il s'agit d'une veille sanitaire qui a vocation à produire des connaissances sur la situation sanitaire de la population, localement et nationalement. La veille scientifique d'une agence consiste à étudier le contenu de la littérature scientifique et à l'analyser en vue de produire des résumés disponibles en fonction de l'évolution des connaissances.
M. François Autain , président . - Cette veille devrait normalement exister.
M. André Cicolella . - Des organismes comme l'Anses sont en charge de produire des rapports, mais dans des délais assez longs. Et surtout, quelles conséquences en sont tirées ? Le bulletin de veille de l'Anses est intéressant, mais il ne permet de ne tirer aucune conséquence. L'Anses devrait réagir à partir du moment où une publication confirme que l'impact du parabène chez l'homme est identique à celui notifié chez le rat. Nous avons l'impression qu'il faut que les données s'accumulent pour avoir une certitude absolue et agir.
Mme Marie-Thérèse Hermange . - La situation est-elle identique pour l'aspartame ?
M. André Cicolella . - L'aspartame est la quintessence du dysfonctionnement de la veille scientifique, avec des conflits d'intérêts évidents, et les résultats des études varient en fonction des financements. Cette situation est malheureusement commune.
M. François Autain , président . - L'aspartame relève du périmètre de l'Anses et non de l'Afssaps.
M. André Cicolella . - Pour partie, car l'aspartame est utilisé dans les médicaments et l'alimentation, comme le parabène qui est un conservateur également utilisé dans l'alimentation.
M. François Autain , président . - Existe-t-il d'autres médicaments que le distilbène dans cette situation ?
M. André Cicolella . - Je n'ai pas de connaissance d'ensemble. Je remarque un dysfonctionnement sur deux sujets.
M. François Autain , président . - Vous avez évoqué les phtalates.
M. André Cicolella . - Ce sujet concerne aussi les cosmétiques.
M. François Autain , président . - Les phtalates interviennent-ils dans la composition de certains médicaments ?
M. André Cicolella . - Ce n'est, à ma connaissance, pas le cas.
M. François Autain , président . - Je retire ma question.
Mme Marie-Thérèse Hermange . - Lors de la commission d'enquête parlementaire du Sénat sur la grippe A (H1N1)v, il nous avait été dit que des études auraient été faites sur le vaccin induisant des problèmes respiratoires. Avez-vous été informés de la conséquence de la grippe A (H1N1)v sur l'homme ?
M. André Cicolella . - Non. Je n'ai pas d'élément sur ce sujet.
Mme Marie-Thérèse Hermange . - Pensez-vous qu'il soit préférable de créer une instance plutôt que d'ouvrir les commissions sanitaires (autorisation de mise sur le marché, transparence, pharmacovigilance) aux seules associations de patients sans lien d'intérêts avec l'industrie pharmaceutique ?
M. André Cicolella . - Cette proposition est difficile à mettre en oeuvre car elle suppose une grande disponibilité et des moyens. Ce sujet soulève la question du financement des associations, car il serait impossible de fonctionner sans moyens. Les membres des associations doivent pouvoir venir siéger en faisant avancer le débat. Le mouvement associatif ne dispose pas d'une manière générale de cette capacité. Nous le vivons très concrètement en tant que réseau : nous n'allons pas nous positionner comme une contre-agence. Le fait d'être présent dans ces commissions supposerait une capacité de financement bien supérieure à celle du mouvement associatif. Par ailleurs, nous sommes confrontés à un problème plus général de financement des experts et des centres de recherche.
Mme Marie-Thérèse Hermange . - Avez-vous des propositions pour l'expertise ? L'essentiel est-il de créer une veille scientifique pourvue d'une dimension déontologique ?
M. André Cicolella . - Il faut faire en sorte que l'ensemble des disciplines scientifiques soient représentées dans l'expertise. J'ai travaillé sur d'autres dossiers qui recoupaient les questions du médicament, en particulier les éthers de glycol. A cette occasion, j'ai constaté des dysfonctionnements similaires. La seconde expertise de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) sur les éthers de glycol pour actualiser les connaissances a été publiée en 2006. Le comité d'experts réunissait cinq personnes dont deux provenaient du même laboratoire. Cette situation était problématique. En outre, il y avait un conflit d'intérêts dans ce comité car l'Afssaps, directement impliquée dans une intoxication mortelle liée à une autorisation donnée pour un médicament utilisant l'éther de glycol, était présente dans ce comité. Il faut aussi veiller à ce que ce type de conflit d'intérêts soit pris en considération. Le problème de la composition du comité en matière de diversité des disciplines scientifiques fait partie de la déontologie de l'expertise.
Mme Marie-Thérèse Hermange . - Comment constituer une base publique centralisant toutes les données sur le médicament, ne dépendant pas du financement de l'industrie ? Est-ce le sujet majeur ou la veille scientifique est-elle plus importante ?
M. André Cicolella . - Ce n'est pas contradictoire. Les observations concernent le domaine de la pharmacovigilance, qui constitue un autre aspect du problème. Ma compétence ne porte pas précisément sur ce champ.
Mme Marie-Thérèse Hermange . - Que pensez-vous de l'introduction dans le droit français des actions de groupe dans le domaine sanitaire ?
M. André Cicolella . - Une telle décision permettra évidemment de faire progresser la santé publique en France.
M. François Autain , président . - Je souhaite poser une dernière question concernant la création de cette Haute Autorité que vous préconisez pour vérifier l'authenticité d'une alerte. Nous souhaiterions créer une autorité indépendante chargée de contrôler l'expertise. Or cette autorité pourrait être en charge du contrôle des lanceurs d'alerte.
M. André Cicolella . - Cette autorité pourrait aussi être chargée de faire le tri dans les alertes. La création de ce dispositif peut attirer un certain nombre de gens qui lanceront des alertes pour exister. Cela ne signifie pas qu'une alerte même en apparence folklorique ne présente aucun intérêt.
M. François Autain , président . - Le temps imparti est révolu. Je vous remercie monsieur Cicolella, pour votre intervention.
Mme Marie-Thérèse Hermange . - Quels médicaments contiennent des parabènes ?
M. André Cicolella . - Le quotidien Le Monde dresse une liste impressionnante de ces médicaments, comprenant notamment la Biafine, le Primpéran, la Josacine, le Zinnat et le Sargenor.
M. François Autain , président . - Merci d'avoir répondu à nos questions.
Audition de Mme Patricia BRUNKO, chef d'unité, et Mme Irène SACRISTAN-SANCHEZ, chef d'unité adjoint « produits pharmaceutiques », au sein de la direction générale de la santé et des consommateurs de la Commission européenne (mardi 24 mai 2011)
M. François Autain , président . - Je vous rappelle que cette mission est ouverte à la presse et qu'elle fait l'objet d'un enregistrement en vue d'une éventuelle diffusion sur la chaîne Public Sénat. Vous avez la parole.
Mme Patricia Brunko, chef d'unité « produits pharmaceutiques » à la direction générale de la santé et des consommateurs de la Commission européenne . - Je vous remercie de nous donner l'occasion de vous présenter une brève description du cadre européen sur les médicaments. Si vous le permettez, nous interviendrons en deux parties. J'interviendrai tout d'abord en décrivant le système d'autorisation de mise sur le marché et de pharmacovigilance, puis Irène Sacristan-Sanchez interviendra plus précisément sur le « stress-test » de la nouvelle directive relative à la pharmacovigilance, appliqué au cas du Mediator, ainsi que sur la proposition relative à l'information des patients.
La réglementation pharmaceutique européenne est issue d'une longue évolution, la première directive datant de 1965. Celle-ci comportait deux aspects principaux : le principe d'une autorisation de mise sur le marché (AMM) pour les médicaments et l'harmonisation des conditions de cette mise sur le marché, selon trois critères, la qualité, la sécurité et l'efficacité des médicaments, sur lesquels sont encore aujourd'hui basées toutes les évaluations.
Le système a évolué. Durant les années quatre-vingt-dix, nous nous sommes dotés d'une architecture institutionnelle et procédurale qui a introduit des mécanismes plus structurés que par le passé.
Le premier point très important a été la création de l'Agence européenne des médicaments (EMA) qui a un rôle de coordination. Les autorités sanitaires nationales mettent leur expertise à la disposition de l'Agence. Celle-ci s'appuie donc sur les ressources scientifiques des Etats membres, pour bâtir son avis sur la qualité, la sécurité et l'efficacité des médicaments. Les compétences de l'Agence sont encadrées par la législation et varient selon la procédure d'AMM. Il existe en effet deux voies pour l'autorisation du médicament. La procédure centralisée vaut pour une autorisation du médicament au niveau européen, sur la base d'un avis scientifique de l'Agence, en vue d'une diffusion du produit dans tous les Etats membres de l'Union européenne.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - A quelle sanction s'exposerait un Etat qui refuserait la commercialisation sur son territoire d'un médicament bénéficiant de l'AMM européenne ?
Mme Patricia Brunko . - Le cadre réglementaire européen s'applique à tous les Etats membres. S'il s'agit d'un médicament qui passe par la procédure centralisée, les Etats membres sont tenus d'en accepter la mise sur le marché sur leurs territoires.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Parfois, l'ensemble des vingt-sept Etats membres ne votent pas de façon unanime, comme nous l'avons vu dans le cas de l'Arcoxia.
Mme Patricia Brunko . - La procédure se déroule en deux étapes. La première est l'étape scientifique qui correspond à l'élaboration de l'avis rendu par l'Agence à la Commission européenne. La seconde est l'étape décisionnelle, qui associe la Commission européenne et les Etats membres. Chaque projet de décision de la Commission européenne est soumis au « comité permanent », dans lequel tous les Etats membres qui y sont représentés peuvent demander un débat. Un tel débat a lieu dès lors qu'un Etat le demande. Les « opinions » du comité permanent sont adoptées à la majorité qualifiée, selon une pondération attribuée à chaque Etat membre. Ce n'est qu'en cas d'avis positif que la Commission européenne peut conclure le processus décisionnel. L'Etat membre décide s'il souhaite poser ou non la question au comité permanent.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Un Etat européen qui agirait comme un lanceur d'alerte s'expose-t-il à une sanction ?
Mme Patricia Brunko . - Il est rarissime qu'un Etat membre vote négativement au sein du comité. La décision s'applique à tous les Etats membres dès lors que le comité s'exprime en faveur de l'autorisation à la majorité qualifiée. J'insiste sur le fait qu'il est rarissime qu'un Etat membre s'oppose à une décision de la Commission.
Il faut aussi savoir qu'il existe des procédures nationales en matière d'AMM. A partir de 1998, la reconnaissance mutuelle des autorisations de mise sur le marché est devenue obligatoire pour tous les médicaments mis sur le marché selon une procédure nationale. On dénombre trois types de procédures sur les AMM : la procédure centralisée, la procédure nationale suite à une reconnaissance mutuelle, et la procédure purement nationale (valable pour les médicaments commercialisés avant 1998).
M. François Autain , président . - En quoi consiste la procédure décentralisée ? S'agit-il d'une quatrième possibilité ?
Mme Patricia Brunko . - C'est une question de terminologie. Les autorisations sont centralisées ou décentralisées.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Quelles raisons ont motivé la suppression du renouvellement quinquennal des AMM à partir de 2004 ?
Mme Irène Sacristan-Sanchez, chef d'unité adjoint « produits pharmaceutiques » au sein de la direction générale de la santé et des consommateurs de la Commission européenne . - Je me propose de répondre à cette question. Tout d'abord, nous n'avons pas complètement supprimé ce système. Nous avons maintenu une procédure de renouvellement. Lorsque le premier renouvellement intervient au bout de cinq ans, il appartient aux autorités de décider si un renouvellement ultérieur est nécessaire. L'objectif des révisions de 2004 et 2010 était de concentrer les ressources des autorités compétentes sur des évaluations plus importantes.
M. François Autain , président . - Considérez-vous que le renouvellement d'AMM n'est pas important ?
Mme Irène Sacristan-Sanchez . - Nous avons constaté que lors du renouvellement, nous reproduisions les évaluations menées durant l'autorisation de mise sur le marché. Les entreprises pharmaceutiques doivent soumettre des rapports périodiques de sécurité sur leurs médicaments. Il arrive un moment où nous connaissons le profil de sécurité et d'efficacité d'un médicament de manière approfondie, les obligations de pharmacovigilance se poursuivant durant toute la vie de l'AMM. Dans la mesure où le renouvellement n'ajoute pas nécessairement de nouvelles données, il n'apparaît pas nécessaire d'en maintenir la systématicité. De cette manière, l'autorité compétente peut décider, au cas par cas, de demander un renouvellement. De plus, le fait de ne pas demander un renouvellement n'empêche pas l'autorité de suspendre ou retirer à tout moment un médicament.
M. François Autain , président . - Dans quelles conditions un Etat peut-il retirer un médicament avant même que la Commission européenne n'ait pris cette décision ? Nous avons observé par le passé que certains médicaments ont été retirés de certains pays sans l'être au niveau européen. Dans quelles conditions cette situation est-elle envisageable ?
Mme Irène Sacristan-Sanchez . - Il convient préalablement de distinguer les médicaments autorisés nationalement de ceux qui sont autorisés de manière centralisée. La Commission est chargée de retirer les médicaments autorisés de manière centralisée, notamment lorsqu'elle est alertée par un Etat membre qui constate un problème sur le terrain. Votre question vise plutôt les médicaments autorisés nationalement.
M. François Autain , président . - Je me suis sans doute mal exprimé. Nous pourrions trouver des médicaments mis sur le marché par l'Agence européenne, puis retirés par l'Agence d'un Etat. Cette situation est-elle possible ? A-t-elle jamais eu lieu ? Un Etat qui prend cette décision encourt-il une sanction de la part de la Commission européenne ?
Mme Irène Sacristan-Sanchez . - Un Etat membre ne peut adopter l'acte administratif de retrait - cette prérogative appartient à la Commission européenne -, mais il peut retirer immédiatement des produits de son marché s'il juge qu'ils présentent des risques. A cette occasion, il saisit l'Agence européenne, qui entame une évaluation au niveau de l'Union européenne. La Commission retire l'autorisation à l'issue de la procédure. Dans l'attente, je le répète, l'Etat peut décider de suspendre la commercialisation d'un produit sur son marché.
M. François Autain , président . - Je vous invite à poursuivre votre présentation.
Mme Patricia Brunko . - La majorité des autorisations sont, au final, données au niveau national. Pour ces médicaments, le suivi est effectué par les Etats membres, notamment le suivi de pharmacovigilance. Cela changera en 2012 avec la mise en place de la nouvelle législation de pharmacovigilance. L'Agence européenne n'intervient pour des médicaments autorisés au niveau national que lorsqu'elle est saisie par un Etat membre, la Commission ou le titulaire d'une AMM. Les conditions de ces saisines sont définies dans la législation.
Je vous ai présenté un résumé très schématique des procédures d'autorisation. L'autre point qui nous intéresse est la pharmacovigilance. C'est en 1993 que nous avons introduit pour la première fois des dispositions de pharmacovigilance dans une directive communautaire, même si les conditions de retrait étaient déjà prévues par ailleurs. Ma collègue l'a déjà expliqué, un Etat membre a toujours eu la possibilité de suspendre une autorisation nationale à tout moment ou de suspendre la commercialisation d'un produit autorisé au niveau central. En conclusion, les Etats membres ont toujours eu les moyens d'agir à leur niveau.
La pharmacovigilance a été introduite progressivement dans la législation communautaire. Nous avons d'abord imposé aux Etats membres de surveiller les médicaments sur le marché, sans prévoir de procédure de coordination. Les mécanismes formels de coordination ont été introduits en 2004. Je rappelle toutefois qu'il existait déjà auparavant au sein de l'EMA, le groupe de travail de pharmacovigilance qui avait un rôle formel dans le cas des médicaments autorisés de façon centralisée. Pour les autres médicaments, ce groupe était utilisé de manière informelle par les Etats membres comme une plate-forme pour échanger des informations.
A la faveur de la révision de 2004, le rôle de coordination joué par l'EMA en ce qui concerne les produits autorisés nationalement a été accru. Ce rôle a encore été renforcé en 2010. Cette évolution récente représente véritablement un bond en avant pour l'Agence en matière de pharmacovigilance.
Je propose de livrer quelques exemples pour vous expliquer à quel point cette évolution est significative. A présent, les effets indésirables sont pris en compte dans l'évaluation globale du médicament non seulement lorsque le médicament est utilisé selon les termes de l'autorisation, mais aussi dans des conditions dites « hors AMM ».
M. François Autain , président . - S'agit-il d'un changement radical par rapport à aujourd'hui ?
Mme Patricia Brunko . - Oui, car aujourd'hui, au sens de la définition européenne, un effet indésirable est un effet observé dans l'utilisation normale d'un médicament.
M. François Autain , président . - Je n'avais pas le sentiment qu'on écartait les effets indésirables qui étaient liés à un médicament prescrit en dehors de son AMM. Par exemple, le Mediator a été utilisé en dehors de son AMM. Or, il me semble qu'on ne fait pas le tri entre les effets indésirables en fonction de l'usage qui a été fait de ce médicament.
Mme Patricia Brunko . - Jusqu'à présent, l'obligation de notifier les effets indésirables ne concernait que les utilisations dans le cadre normal de l'AMM. A présent, un fabricant informé d'un effet indésirable qui se produit même en dehors de l'AMM doit le notifier.
M. François Autain , président . - Je pensais plutôt aux usagers et aux professionnels de santé.
Mme Patricia Brunko . - L'obligation de notifier des effets indésirables repose sur le titulaire de l'AMM qui collecte les données, et aussi sur les Etats membres qui ont la responsabilité de répercuter l'information au niveau européen.
M. François Autain , président . - Le laboratoire est-il le seul à collecter ces données ? En France, nous avons des centres de pharmacovigilance chargés de collecter les effets indésirables en France. Les laboratoires n'ont pas le monopole de la collecte.
Mme Patricia Brunko . - Ce sont les titulaires de l'AMM et les Etats membres qui ont cette responsabilité. Le fait que l'obligation de notification soit étendue à présent à toute utilisation du médicament constitue une évolution importante.
M. François Autain , président . - Cela me semble une évolution normale.
Mme Irène Sacristan-Sanchez . - Cette évolution semble aller de soi, mais elle est pourtant très importante car elle a des conséquences sur l'évaluation du rapport bénéfices-risques et sur les motifs de retrait d'un médicament du marché. La législation actuelle permet de retirer ou suspendre une autorisation dès lors qu'un Etat considère que ce rapport est négatif dans les conditions prévues de l'utilisation du médicament. A partir de 2012, il sera possible de faire de même pour des constats faits dans le cadre d'une utilisation hors AMM. Cette décision est très importante car elle offre de nouveaux moyens aux Etats membres et à l'EMA, en ce qui concerne les produits centralisés, en cas de problème de sécurité sur un médicament.
Mme Patricia Brunko . - Il est important de savoir également que la nouvelle législation donne la possibilité aux patients et aux médecins de notifier directement les effets indésirables. Jusqu'à présent, il n'était écrit nulle part que le patient pouvait signaler ces effets.
M. François Autain , président . - Cette possibilité est prévue dans le droit français.
Mme Irène Sacristan-Sanchez . - Nous tentons de nous assurer à la fois que cette possibilité existe dans tous les Etats membres et de mettre en place des voies de notification plus directes.
M. François Autain , président . - Pourquoi pas une communication des effets indésirables plus directe, mais selon moi, elle doit continuer de passer par l'Etat.
Mme Irène Sacristan-Sanchez . - Le rôle des Etats reste essentiel pour effectuer le lien avec le patient et le médecin, pour s'assurer de la qualité de l'information, pour éviter les doubles notifications, etc.
M. François Autain , président . - Nous sommes d'accord : les Etats membres ne sont pas court-circuités par cette directive ?
Mme Irène Sacristan-Sanchez . - Non.
Mme Patricia Brunko . - Le but de la législation européenne est de procéder à une harmonisation. Certains Etats membres s'inscrivent éventuellement déjà dans la perspective tracée par la nouvelle législation mais il n'en demeure pas moins qu'un effort d'harmonisation est nécessaire.
Un autre élément important en matière de pharmacovigilance est la création du comité consultatif pour l'évaluation des risques en matière de pharmacovigilance qui remplacera en 2012, au sein de l'Agence européenne du médicament, l'actuel groupe de travail de pharmacovigilance. Ce comité devra apporter son assistance et son expertise dans la prise de décision au comité des médicaments à usage humain, chargé de rendre des avis sur la qualité, la sécurité et l'efficacité des médicaments dans le cadre des procédures d'autorisation centralisées, et au groupe de coordination des Etats membres, compétent dans le domaine des procédures d'autorisation nationales. Les conclusions de ce comité devront être suivies d'effets.
D'autres outils sont introduits dans la législation, notamment les plans de gestion des risques pour tous les nouveaux médicaments et la possibilité d'assortir une autorisation de certaines conditions liées à la sécurité du médicament, y compris la réalisation de certaines études post-AMM, qui peuvent être assorties de conditions de délais. En cas de dépassement du délai, il sera possible d'agir de manière proportionnée...
M. François Autain , président . - Prendrez-vous des sanctions contre les laboratoires ?
Mme Patricia Brunko . - Nous reconsidérons l'AMM, mais un règlement autorise l'application de pénalités.
M. François Autain , président . - S'agit-il de sanctions financières ?
Mme Patricia Brunko . - Les sanctions financières peuvent être élevées dans ce cas. Lorsque nous demandons des études post-autorisation, nous devons solliciter un outil pour nous assurer que cette étude est réalisée.
M. François Autain , président . - Que se passe t-il actuellement ?
Ce qui est important de retenir, c'est que les études post-AMM demandées devront être effectivement réalisées dans le délai imparti et ne pas être reportées indéfiniment.
Mme Patricia Brunko . - Non, mais il est important de disposer d'un système qui permette de prendre des sanctions.
M. François Autain , président . - En France, nous observons que ces études post-AMM ne sont pas réalisées.
Mme Patricia Brunko . - Cet outil permet de fixer un délai pour la réalisation de ces études.
M. François Autain , président . - Nous espérons que cela sera de nature à favoriser la mise en place de ces études qui ne sont pour le moment pas réalisées dans des délais acceptables.
Mme Patricia Brunko . - Cet outil vise à résoudre ce problème. Un délai est désormais imparti. Nous verrons quelles mesures doivent être prises si le délai n'est pas respecté.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Les dispositifs de contrôle post-AMM incluent les rapports périodiques actualisés de sécurité, les plans de gestion de risques (PGR), ainsi que les études de sécurité post-autorisation. Quelle est la différence entre ces dispositifs ?
Mme Irène Sacristan-Sanchez . - Le plan de gestion des risques accompagne l'AMM. Il expose la manière dont le laboratoire va assurer le suivi du produit en matière de pharmacovigilance. Les laboratoires pharmaceutiques mettent en place des systèmes de pharmacovigilance qui s'appliquent à certains voire à tous leurs produits. Le plan de gestion des risques est spécifique à chaque produit. Le degré de complexité du PGR est variable selon les produits.
Le rapport périodique de sécurité est un document qui doit être soumis régulièrement aux autorités sanitaires compétentes et qui propose une évaluation des effets indésirables qui ont été recensés par le laboratoire. L'enjeu, ici, n'est pas de savoir comment assurer le suivi en matière de pharmacovigilance, mais de faire connaître les événements indésirables qui se sont produits depuis le dernier rapport dans le cadre de l'utilisation d'un médicament.
Mme Patricia Brunko . - L'Agence centralisera désormais, dans une base de données, EudraVigilance, l'ensemble des informations relatives à la pharmacovigilance.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Pourquoi les professionnels de santé n'auront-ils qu'un accès limité à cette base de données ?
Mme Irène Sacristan-Sanchez . - La législation ne précise pas pour l'instant l'accès des professionnels de santé.
M. François Autain , président . - Ce serait tout de même important.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - J'ai cru comprendre que seules les autorités compétentes et les titulaires de l'AMM pourraient bénéficier d'un accès total à EudraVigilance.
Mme Irène Sacristan-Sanchez . - La Commission européenne, l'EMA, et les Etats membres bénéficieront d'un accès illimité à EudraVigilance. Les titulaires de l'AMM disposeront d'un accès à la base de données limité à leurs seuls produits. Par ailleurs, il convient de définir pour l'avenir, l'accès du public, y compris des professionnels de santé. Ce point relève d'une question de protection des données personnelles. Il n'est pas possible de donner un accès total à une base de données qui contient des données personnelles.
M. François Autain , président . - Ces données ne sont-elles pas anonymisées ?
Mme Irène Sacristan-Sanchez . - L'accès du public, des professionnels de santé, ne peut se faire que sur la base de données anonymisées.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Si tel est le cas, elles devraient donc être accessibles aux professionnels de santé..
Mme Irène Sacristan-Sanchez . - Je ne sais pas si ces données sont anonymisées. La législation impose de prévoir des accès appropriés tenant compte des exigences en matière de protection des données personnelles. Au-delà, la nouvelle législation vise, d'une manière générale, à améliorer la transparence en matière de pharmacovigilance.
M. François Autain , président . - D'expérience, nous savons que la transparence de l'EMA est loin d'être complète. Nous éprouvons parfois des difficultés à obtenir des informations de sa part. Nous sommes donc assez sceptiques sur ce sujet.
Mme Patricia Brunko . - Nous avons renforcé la transparence avec la nouvelle législation. Les travaux du comité de pharmacovigilance seront publics, au même titre actuellement que les résultats de ses évaluations pour la mise sur le marché. Cette évolution constitue un progrès par rapport à la situation qui prévaut à l'heure actuelle. Il est important de mesurer le chemin parcouru.
Je voudrais encore souligner que la centralisation de toute l'information sur les effets indésirables dans EudraVigilance offrira une meilleure photographie de la situation. Nous pouvons imaginer des effets de basse fréquence qui ne ressortent pas au niveau d'un seul pays. En revanche, avec vingt-sept Etats membres, nous verrons apparaître de manière plus visible certains effets indésirables. Je vous ai donné une image schématique mais complète de l'évolution de la pharmacovigilance et de ses améliorations avec la législation de 2010. Ma collègue va vous présenter les résultats d'une analyse plus fine menée à la suite du problème du Mediator.
M. François Autain , président . - Je vous donne la parole.
Mme Irène Sacristan-Sanchez . - Il y a quelques mois, le commissaire chargé de la santé, M. John Dalli, nous a demandé d'effectuer une évaluation du nouveau dispositif de pharmacovigilance, adopté en décembre 2010, à la lumière du cas du Mediator. Les résultats ont été présentés par M. Dalli aux ministres de la santé des Etats membres au début du mois d'avril.
L'évaluation ne portait pas sur le cas Mediator en soi, mais sur la nouvelle législation. Nous avons tenu compte des éléments liés au Mediator en relation avec la législation européenne. Tout d'abord, cela nous a donné la confirmation que les systèmes de pharmacovigilance et les outils associés ont été grandement améliorés. Nous avons identifié toutefois trois points qui pourraient être encore améliorés.
Le premier point porte sur les procédures européennes de pharmacovigilance concernant les médicaments autorisés nationalement. Vous vous rappelez peut-être que lorsque la France a suspendu l'autorisation du Mediator en 2009, cela a déclenché automatiquement une procédure européenne qui a mené au retrait de l'autorisation du médicament dans les quatre pays où il était encore utilisé. Cette procédure s'est appliquée conformément aux dispositions introduites en 2004 dans la législation. D'après ces dispositions, lorsqu'un Etat membre envisage de suspendre, retirer ou modifier une autorisation pour des raisons de pharmacovigilance, cela déclenche automatiquement une évaluation européenne. Cela permet de signaler les problèmes de pharmacovigilance détectés à l'ensemble des pays où le médicament est autorisé.
Cette procédure est maintenue dans la nouvelle législation, mais son automaticité n'est plus de mise. Désormais, une évaluation européenne ne peut être déclenchée que si la Commission européenne ou un Etat membre jugent que des mesures urgentes sont nécessaires. En pratique, cela signifie que si un Etat membre décide de retirer un médicament, tout en estimant qu'il n'y a pas de caractère d'urgence, la procédure européenne n'est pas mise en oeuvre. Les signaux de pharmacovigilance détectés passeraient donc inaperçus dans d'autres Etats membres où le produit est autorisé. Il convient d'améliorer ce point de la législation pour revenir à l'automatisme.
Le deuxième point concerne les actions volontaires des laboratoires. Le Mediator a révélé que des signaux de pharmacovigilance peuvent échapper lorsque le laboratoire retire volontairement un médicament du marché. La nouvelle législation ne résout pas ce problème. Pour le moment, en ce qui concerne la procédure centralisée, nous avons l'instruction du commissaire John Dalli, en cas de retrait volontaire d'interroger le laboratoire sur les motifs de cette décision.
Le troisième point est lié à notre propos sur la transparence. Nous sommes confrontés à une demande accrue de transparence de la part du public concernant le suivi des médicaments. La nouvelle législation y répond au moyen de plusieurs dispositions, notamment en prévoyant de publier une liste des médicaments soumis à une surveillance renforcée. Pourtant, la nouvelle législation n'assure pas que tous les produits qui sont soumis à des conditions de sécurité renforcées seront intégrés dans cette liste. Il reviendra aux autorités compétentes de décider, au cas par cas, de faire figurer certains produits sous surveillance sur ladite liste.
Ce point pourrait être amélioré en permettant au public d'avoir une vue d'ensemble des produits soumis à une surveillance renforcée.
La Commission réfléchit actuellement aux moyens de traduire dans la législation européenne les résultats de son étude.
M. François Autain , président . - Vous indiquez qu'un certain nombre de médicaments seront soumis à des contrôles renforcés. Or, nous n'avons pas d'intérêt à multiplier ces médicaments sous surveillance. La prise de risque sur des médicaments efficaces est logique, alors que nous pouvons nous poser des questions concernant des médicaments dont nous n'avons pas la preuve qu'ils sont supérieurs à ceux qui existent. A l'heure actuelle, les médicaments sur le marché n'ont pas été comparés au préalable avec ceux de la même famille. Or, s'ils ne sont pas plus efficaces, il n'y a aucune raison de les mettre sur le marché. Je suis d'accord avec des contrôles renforcés mais dans la mesure où l'on effectue des tests comparatifs en amont pour ne pas mettre n'importe quel médicament sur le marché.
Une note d'orientation indique que la Commission est en train de remettre en cause ces essais pré-AMM avec des comparateurs et d'encourager des essais versus placebo, qui n'offrent pas de garanties sur l'efficacité du nouveau médicament. Tout médicament comporte des risques, mais je considère que ceux-ci ne sont acceptables que dans la mesure où nous avons affaire à des médicaments qui apportent véritablement un progrès thérapeutique. Or, les orientations de la Commission européenne sur ce sujet ne nous tranquillisent pas.
Mme Irène Sacristan-Sanchez . - J'aimerais apporter des précisions. En ce qui concerne la procédure d'autorisation des médicaments, le fait d'avoir introduit dans la législation des possibilités nouvelles pour assortir les AMM de conditions ne signifie pas que l'on a diminué les exigences dans l'évaluation du rapport bénéfices-risques.
M. François Autain , président . - Il sera nécessaire d'apporter les preuves de votre propos dans les semaines et mois qui viennent.
Mme Irène Sacristan-Sanchez . - La manière dont les autorités compétentes évaluent les médicaments n'a pas changé sur ce point. Cependant, dans la législation européenne relative à l'autorisation des médicaments, et plus généralement dans toute législation sur les médicaments, on s'attache à évaluer la qualité, la sécurité, l'efficacité des médicaments, mais sans exiger une comparaison avec d'autres médicaments.
M. François Autain , président . - C'est exact, et c'est très regrettable.
Mme Irène Sacristan-Sanchez . - Cependant, la Commission n'encourage pas les placebos plus que d'autres types d'essais.
M. François Autain , président . - La Commission a tort de ne pas le faire.
Mme Irène Sacristan-Sanchez . - La législation européenne se limite à établir la procédure d'autorisation des essais cliniques mais ne détermine pas la façon dont ils sont conduits.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Il nous a été dit que l'Agence européenne du médicament conseillerait de privilégier le placebo dans les essais cliniques.
Mme Irène Sacristan-Sanchez . - En Europe, il faut une autorisation pour effectuer un essai clinique. Or, cette autorisation est nécessairement nationale. L'Agence européenne est incompétente dans ce domaine.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Pourquoi une directive sur les essais cliniques dans ces conditions ?
Mme Irène Sacristan-Sanchez . - Cette directive vise simplement à harmoniser au niveau européen la manière dont les essais cliniques sont autorisés, mais elle n'octroie aucune compétence à la Commission européenne en la matière.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - La directive invitera nécessairement les Etats membres à modifier leur législation sur les essais cliniques.
Mme Irène Sacristan-Sanchez . - La directive prévoit que l'essai clinique soit systématiquement examiné par un comité éthique national. Les exigences éthiques des divers Etats membres ne seront pas harmonisées. Le comité national doit déterminer dans chaque cas s'il est éthiquement justifié de comparer le médicament avec le placebo.
Il existe également des lignes directrices ( guidelines) en matière d'éthique pour les essais cliniques. Par exemple, la déclaration d'Helsinki qui est le standard international et qui n'exclut pas les placebos. Il y a aussi les lignes directrices du comité des médicaments à usage humain de l'EMA qui, par pathologie, et en fonction des cas, décrivent parfois les conditions dans lesquelles les placebos sont éthiquement justifiés ou non. Mais la décision finale revient toujours aux comités nationaux.
M. François Autain , président . - Ce n'est pas un problème d'éthique !
Mme Irène Sacristan-Sanchez . - La législation européenne n'impose pas la comparaison. Un essai clinique est basé sur la procédure d'autorisation nationale. La Commission européenne n'intervient pas dans ce domaine.
M. François Autain , président . - J'aurais préféré que la Commission européenne estime que le placebo constitue une procédure d'exception, ce qui éviterait de mettre sur le marché des médicaments qui n'apportent aucune amélioration.
Mme Patricia Brunko . - Je voudrais donner un complément d'information. Le problème du comparateur est lié au fait que la législation prévoit que chaque médicament est évalué pour son propre mérite. Ce point est important car il permet une plus grande diversité de médicaments pour traiter certaines pathologies.
M. François Autain , président . - Dans certaines pathologies, on n'en manque pas ! 150 antihypertenseurs. C'est plus qu'il n'en faut pour guérir.
Mme Patricia Brunko . - Certains peuvent être plus indiqués que d'autres dans des sous-groupes de population. Dans l'éventualité où nous commencerions à comparer et que l'on n'autoriserait que le meilleur, ce ne serait pas nécessairement le meilleur pour chaque sous-groupe. De plus, cela évite les problèmes de monopole.
M. François Autain , président . - La procédure centralisée n'est peut-être pas la bonne méthode dans ces conditions. Il faudrait laisser les agences nationales adapter les médicaments à leurs différents groupes de population.
Mme Patricia Brunko . - Il ne s'agit pas de groupes de population par Etat membre, mais de facteurs intrinsèques à certaines personnes. Il existe une logique dans le fait de ne pas toujours comparer. Ce système est pensé de manière très sérieuse.
M. François Autain , président . - Nous vous remercions pour votre intervention.
Audition de MM. Pierre AUCOUTURIER, Alain TRAUTMANN et Mme Angélica KELLER, membres de l'Association Sauvons la recherche (mardi 24 mai 2011)
M. François Autain , président . - Je vous rappelle que cette audition est enregistrée en vue d'une diffusion sur le site Internet du Sénat. Elle pourra aussi être diffusée sur la chaîne Public Sénat. Je ne pense pas que vous ayiez à déclarer de conflits d'intérêts, puisque vous n'êtes pas médecins. Nous sommes intéressés par l'évolution de la recherche dans notre pays. J'ai été sensibilisé à vos publications, en particulier sur votre site Internet, où vous êtes très critique sur les orientations que prend actuellement la recherche, notamment dans le domaine pharmaceutique. J'aimerais vous entendre sur ce sujet.
M. Alain Trautmann, membre de l'Association Sauvons la recherche . - Je vous remercie de nous avoir invités.
M. Alain Trautmann . - Nous représentons l'association Sauvons la Recherche. Je suis chercheur d'immunologie et d'hématologie à l'hôpital Cochin. Mon voisin Pierre Aucouturier est professeur de médecine à l'hôpital Saint-Antoine.
M. Pierre Aucouturier, membre de l'Association Sauvons la recherche . - Je n'ai aucun conflit d'intérêts.
M. Alain Trautmann . - Il est professeur de médecine, mais non médecin. Angélica Keller est chercheur en biologie, jeune retraitée. Nous ne sommes pas spécialistes de pharmacovigilance, mais nous sommes des chercheurs dans des structures publiques. J'aimerais parler brièvement de deux points en relation avec le Mediator. Pourquoi le centre national de la recherche scientifique (CNRS) et l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) sont-ils des institutions importantes en matière de santé publique ? Dans quelle mesure les évolutions récentes de ces établissements publics à caractère scientifique et technologique (EPST) sont inquiétantes, y compris par rapport à ces questions de santé publique ?
Ces institutions fournissent un vivier d'experts dans toutes les disciplines, tous les domaines de santé publique, y compris sur les questions qu'ils ne se sont jamais posées. Lors de l'épidémie de syndrome respiratoire aigu sévère (Sras), nous avons trouvé des spécialistes de cette question dans les EPST. Il est nécessaire que des scientifiques puissent travailler dans tous les domaines, y compris ceux dont on ne perçoit pas l'utilité immédiate.
Les EPST sont également importants car ils donnent un cadre pour effectuer des recherches indépendantes des intérêts privés, notamment dans le domaine épidémiologique Nous avons discuté avec Pierre Meneton de l'Inserm qui a travaillé sur le sel. Il s'est heurté à de nombreuses personnes lors de ses recherches. Il a publié un bref article dans lequel il a montré l'influence des sources de financement sur les conclusions des articles scientifiques.
M. François Autain , président . - Pourriez-vous donner la référence de votre article ?
M. Alain Trautmann - Cet article est paru dans un numéro récent de Biofutur . Pierre Meneton distingue les articles qui informent des dangers du tabac, de l'amiante, de l'alcool, du sucre et des phtalates de ceux qui ne prévoient aucun danger. Or, les articles qui disent qu'il n'y a pas de danger sont financés par des industries privées. Prenons un autre exemple : la moitié des articles prétendent que les abeilles disparaissent en raison du Gaucho, l'autre moitié des articles sont d'un avis contraire. Cependant, les articles qui disent que cette situation n'a rien à voir avec le Gaucho sont financés par Monsanto. Dans les agences comme l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps), les experts peuvent travailler honnêtement sans tenir compte de ce facteur et être leurrés. Il est extrêmement important que des structures puissent effectuer des études sur des questions de santé publique sans dépendre d'un financement par des intérêts privés.
Pour l'ensemble de ces raisons, les EPST doivent être considérés comme des structures à protéger. L'évolution récente de ces établissements est-elle satisfaisante ? Pour moi et d'autres, elle est inquiétante. Nous nous apercevons qu'une part croissante du financement des laboratoires publics provient du privé. Ce n'est pas important quantitativement, les laboratoires privés finançant de petites opérations au bon endroit, ce qui crée un effet de levier leur permettant d'influer, surtout dans les laboratoires dont les crédits de base diminuent et sont à l'affût de tout complément de financement.
Les laboratoires privés peuvent être influents dans la recherche publique sans investir beaucoup d'argent. Sanofi-Aventis a effectué d'énormes économies en matière de recherche en licenciant près de 20 % de ses effectifs, et en préférant sous-traiter la recherche dans le public. Ils investissent quelques millions d'euros correspondant à 1 % ou 0,1 % de ce qu'ils ont économisé en licenciant les chercheurs. De plus en plus de laboratoires sont financés par Sanofi-Aventis. Ils perdront immanquablement leur autonomie. Les faits sont là : on sait que l'influence de la source de financement sur les résultats est très importante.
J'ai assisté à une réunion de directeurs d'unité du CNRS. Le programme action thématique et incitative sur programme (ATIP) du CNRS, qui concerne des postes de jeunes chercheurs, est financé en grande partie par Sanofi-Aventis. Cette situation est anormale. Le CNRS devrait avoir suffisamment de fonds sans devoir faire appel aux entreprises privées. C'est clairement l'une des évolutions récentes du système de la recherche en France. Dans de plus en plus d'endroits, le privé s'insinue dans le fonctionnement normal des laboratoires publics. Le portail du site Internet de l'Agence nationale de la recherche (ANR) décrit les entreprises privées qui proposent des contrats de trois à six mois, assortis de sommes d'argent conséquentes. Cette évolution me semble parfaitement malsaine.
M. François Autain , président . - Cette évolution est-elle particulière à la France ou l'observe-t-on dans les autres pays européens et aux Etats-Unis ?
M. Alain Trautmann - Je ne sais vous répondre en ce qui concerne l'évolution récente. L'idée selon laquelle la recherche aux Etats-Unis serait largement soutenue par les entreprises est fausse. Le National Institutes of health (NIH), équivalent de l'Inserm en France, dispose de moyens très conséquents. Le budget du NIH est vingt-cinq fois supérieur à celui de l'Inserm, ce qui signifie que les Etats-Unis investissent massivement dans la recherche publique même en considérant que la population américaine est cinq fois plus importante qu'en France. En outre, le NIH est financé par le privé et le mécénat. En France, les mécènes investissent dans l'art et non dans la recherche. Aux Etats-Unis, Howard Hugues a investi une fortune dans des laboratoires entièrement libres de leurs travaux. La Fondation Howard Hugues est libre de toute pression aux Etats-Unis. En conclusion, les systèmes de recherche français et américain sont très différents. Le NIH a néanmoins eu à se préoccuper de conflits d'intérêts, un certain nombre de ses chercheurs travaillant pour des laboratoires privés.
M. François Autain , président . - Les financements mixtes génèrent un conflit d'intérêts permanent.
M. Alain Trautmann - Les évolutions récentes du système de recherche en France sont liées aux pressions politiques. Des choix de plus en plus importants et détaillés, qui relèveraient normalement de la communauté scientifique, sont effectués au niveau des ministères.
M. François Autain , président . - Pensez-vous que les choix effectués par les politiques ne correspondent pas à l'attente ou aux besoins de la population ?
M. Alain Trautmann - Les choix majeurs dans le domaine de la recherche consistent à financer, par exemple, les grandes installations de physique. Pour ces projets, il est naturel que les gouvernements et les représentants élus au Parlement prennent la décision. En revanche, le politique est nécessairement incompétent dans le détail de l'activité de recherche. Il ne sait pas dans mon domaine, l'immunologie, s'il vaut mieux travailler sur les maladies infectieuses ou la relation entre immunologie et cancer. Aucun homme politique n'est compétent dans ce domaine. Ce choix doit être laissé à la communauté scientifique qui sait où il convient d'accentuer les efforts. Ce niveau de détail de l'activité scientifique doit être laissé aux scientifiques. Or, nous constatons une intrusion de plus en plus grande du politique dans la recherche. Un nombre croissant de choix scientifiques est effectué par le politique.
L'ANR est la seule agence de recherche au monde dépourvue de conseil scientifique. Les choix sont effectués par le ministère au sein duquel tous les lobbies peuvent essayer de s'exprimer. Nous serons confrontés à de graves dérives si nous laissons les politiques choisir sur la base de quelques experts qui sont leurs amis. Il y a quelques années, le financement de la recherche, qui correspondait pour une large part à celui de bases de données des EPST, le CNRS et l'Inserm, provenait de ces organismes pour 40 % à 60 %. Désormais, 15 % à 20 % des fonds viennent du CNRS et de l'Inserm, le reste étant versé par des fonds comme l'ANR dont le profil a été défini très largement par des non-scientifiques. C'est une intrusion du politique à un niveau où il ne devrait pas intervenir. Le politique doit intervenir au niveau global et non à ce niveau. Or, il le fait de plus en plus en lien avec l'industrie.
Dans le dernier contrat d'objectifs de l'Inserm, la direction souligne qu'il est important de travailler pour la prochaine période sur divers sujets. J'ai consulté un document des entreprises du médicament (Leem) qui représentent l'industrie du médicament. Or, ce document stipulait qu'il était important de créer des biobanques, d'effectuer de l'e-médecine, etc. L'ensemble de ces axes de travail définis par l'industrie du médicament figuraient dans le contrat d'objectifs de l'Inserm.
M. François Autain , président . - Le Leem dispose d'un membre dans le conseil d'administration de l'Inserm.
M. Alain Trautmann - Les lobbies sont autant de pouvoirs retirés à la communauté scientifique. Il existe un conseil scientifique à l'Inserm, au CNRS, etc. Or, l'avis des conseils scientifiques qui peut s'y exprimer est de moins en moins pris en compte. L'un des derniers conseils scientifiques de l'Inserm devait donner son avis sur le contrat d'objectifs qui était auparavant un contrat d'objectifs et de moyens, et qui est maintenant, dirais-je, un contrat d'objectifs sans moyens. Le conseil scientifique de l'Inserm, qui n'est pas composé de « gauchistes », a voté à l'unanimité contre ce contrat d'objectifs. Une semaine plus tard, le document a été proposé au conseil d'administration de l'Inserm qui l'a adopté. L'avis unanime du conseil scientifique n'a servi à rien. Les EPST reçoivent chaque année moins d'argent pour les crédits de fonctionnement de base, avec une diminution de 15 % en 2010 et 2011. Et quand les scientifiques s'expriment, on s'assoit sur leur avis. Cette évolution n'est pas saine pour la recherche.
M. François Autain , président . - Les ressources consacrées par l'Etat à la recherche diminuent-elles ?
M. Alain Trautmann - En écoutant Mme Valérie Pécresse, les ressources augmentent de façon impressionnante. Or, les statistiques de l'Observatoire des sciences et techniques révèlent que les fonds consacrés à la recherche n'ont pas augmenté depuis 2000. Cependant, cette enveloppe inclut le crédit d'impôt-recherche, qui augmente considérablement, pour atteindre 5 ou 6 milliards d'euros par an. Il peut avoir de l'utilité pour les petites et moyennes entreprises (PME), mais n'a aucune utilité incitative pour les grandes entreprises comme Saint-Gobain ou plus encore Sanofi-Aventis qui licencie et perçoit simultanément le crédit d'impôt-recherche (CIR). Le montant du CIR est dix fois supérieur au budget de fonctionnement des laboratoires du CNRS. La diminution du CIR de 10 % pour doter le CNRS doublerait le budget de ses laboratoires.
A ma connaissance, les moyens de la recherche stagnent en France, alors que l'Allemagne et les pays nordiques constatent une augmentation importante des crédits. Cette évolution est difficile à constester dans la mesure où le discours officiel est lié à l'idée qu'il y a une forte augmentation. Cette augmentation n'est pas réelle.
Enfin, des pressions politiques peuvent être exercées au niveau des choix, ce qui pose la question de la santé publique et de la vigilance. Une enquête a été récemment demandée à l'Inserm sur les perturbateurs endocriniens ou phtalates. Le rapport d'enquête a mené à la conclusion que ces molécules étaient dangereuses. Or quelqu'un a demandé aux experts de se taire. Il s'agit d'Arnold Munnich.
M. François Autain , président . - Cette personne m'a récemment invité avec le laboratoire Novartis. Je ne pouvais malheureusement pas y aller. Il est très connu.
M. Alain Trautmann - C'est le conseiller du président Nicolas Sarkozy en matière de recherche biologique. Ces pressions deviennent problématiques.
M. François Autain , président . - Je comprends.
M. Pierre Aucouturier . - Je m'exprimerai très brièvement pour apporter des précisions sur le fonctionnement des agences qui sont impliquées dans l'évaluation de la recherche. Comme Alain Trautmann vient de le préciser, les résultats de la politique de la recherche en France sont liés à une perte de pouvoir des EPST, de leur capacité de décision et d'orientation de la politique scientifique du pays. En outre, il y a eu la mise en place des agences d'évaluation que sont l'Agence nationale de la recherche, chargée de proposer des appels d'offres pour des financements de projets financés à court terme, de deux à quatre ans, et l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur, chargée de l'évaluation des structures.
Nous avons le sentiment que cette décision vise à démontrer la force et l'autonomie du CNRS et de l'Inserm, impliqués dans la recherche publique. Le Gouvernement avait mis en avant la volonté de recentrer la recherche autour de structures d'évaluation qui permettraient de simplifier l'évaluation et de la rendre plus objective, indépendante et transparente, comme annoncé dans le pacte de la recherche en 2006. Le résultat est exactement le contraire. L'Agence nationale de la recherche n'a effectivement pas de conseil scientifique mais elle fonctionne au moyen de comités thématiques. Chaque appel d'offres comprend un comité d'évaluation et un comité de pilotage. Ces comités sont composés de membres non connus de la communauté scientifique au moment des appels d'offres, c'est-à-dire dont l'identité n'est révélée qu' a posteriori . En outre, l'ensemble des membres des comités sont nommés par le directeur de l'ANR.
Le détail du fonctionnement de l'évaluation, sujet sur lequel nous pouvons faire l'analogie avec les agences sanitaires, n'est jamais rendu public. Les comités ne rendent public qu'un résumé extrêmement bref des conclusions effectuées à l'issue de leurs délibérations. Enfin, il n'y a aucune mémoire des décisions prises au fil du temps alors que les comités sont renouvelés. Il n'y a pas de possibilité de réponse, contrairement au NIH dont les projets sont par ailleurs développés pour cinq ans, et non deux ou trois ans comme pour l'ANR.
Tel est le constat du fonctionnement de l'évaluation de la recherche, l'ANR a aussi vocation à piloter les orientations scientifiques. Un certain nombre d'appels d'offres sont cités avec des moyens fléchés pour chaque thème. Le système se met en place de manière pyramidale. L'organisation des appels d'offres s'effectue au niveau de la direction des agences. Il s'agit de recherches sur projet pour lesquelles on nous demande d'annoncer ce que nous comptons trouver. Or, chacun sait qu'aucune grande découverte n'émerge à partir d'un programme qui connaît les découvertes qu'il est susceptible de faire.
M. François Autain , président . - Nous trouvons souvent ce qu'on ne cherche pas, comme le prouvent toutes les grandes découvertes.
M. Pierre Aucouturier . - Cela ne signifie pas qu'il ne faut pas structurer les programmes de recherche. Les financeurs nous demandent de prédire les retombées sociétales des projets. L'un des problèmes majeurs ressentis par la communauté des chercheurs est que le système actuel demande avant tout aux chercheurs de produire. Aucune découverte ne se fera pas dans les domaines où l'on ne sait pas dire quelles seront les retombées et la rentabilité investie.
Une idée simple passe très facilement auprès du grand public : la recherche doit servir à quelque chose. Pour le grand public, il faudrait que les chercheurs puissent par leur travail donner accès à des retombées immédiatement palpables. Bien évidemment, le fait de favoriser l'innovation et la recherche appliquée s'effectue au détriment de la démarche d'acquisition des connaissances fondamentales. Cette situation est extrêmement préjudiciable à l'avenir, car les retombées des progrès de la connaissance se mesurent en décennies.
En conclusion, je souhaitais livrer l'exemple de la maladie d'Alzheimer, à laquelle des sommes importantes sont consacrées. En effet, ce sujet intéresse particulièrement les pays développés. Cette maladie constitue un enjeu extrêmement important pour toutes les grandes industries pharmaceutiques. Or, c'est une maladie devant laquelle nous sommes totalement démunis d'un point de vue thérapeutique. Les médicaments utilisés dans ce domaine, comme les anticholinestérases, sont discutés. Les entreprises pharmaceutiques se tournent vers l'immunothérapie qui consiste à comprendre et utiliser les éléments du système de défense immunitaire pour combattre la maladie, par des approches vaccinales consistant à susciter des éléments de réponse contre les dépôts de protéine nocifs dans le cerveau.
Si l'idée de départ est assez pertinente, l'enjeu financier de la découverte de soins contre la maladie d'Alzheimer étant considérable, compte tenu de sa fréquence dans les pays riches, les premiers essais ont été lancés extrêmement rapidement. Un premier essai multicentrique international a été mis en place en 2001 par une société importante, Elan Pharmaceuticals. Il a dû être arrêté rapidement en raison de complications inflammatoires du cerveau chez 6 % des patients. L'essai a été immédiatement interrompu, alors que les résultats étaient prometteurs chez la souris.
M. François Autain , président . - La maladie d'Alzheimer existe chez la souris ?
M. Pierre Aucouturier . - La maladie n'existe pas chez la souris, mais des souris génétiquement modifiées expriment un transgène et développent une maladie qui ressemble à Alzheimer. La question se pose de la pertinence de ces modèles par rapport à la maladie naturelle. Les essais vaccinaux ont bien marché chez la souris, mais ceux qui ont été entrepris très rapidement chez l'homme, ont constitué un échec. De la même manière, d'autres essais d'immunothérapie ont été lancés par les grandes entreprises pharmaceutiques dans le monde, basés sur une approche visant à éviter les complications inflammatoires. Les premiers résultats décrivent un effet quasiment nul, mais en revanche il y a moins d'effets secondaires.
Finalement, à cause de cette incitation à obtenir des résultats à tout prix, on oublie qu'on ne connaît rien de l'interaction entre le système immunitaire et la maladie d'Alzheimer. Il faudrait financer dans la perspective d'un vaccin dans dix ou vingt ans des recherches cognitives sur la connaissance de l'évolution de cette pathologie. Or il est extrêmement difficile avec le système actuel de la recherche d'obtenir des moyens pour effectuer ce genre de recherches.
M. François Autain , président . - Il faut un retour sur investissement rapide. La recherche fondamentale n'est pas compatible avec le mode de financement actuel de notre recherche. A terme, compte tenu de l'évolution que nous observons, nous pouvons imaginer qu'il n'y aura plus qu'une recherche appliquée qui sera mise en oeuvre.
M. Pierre Aucouturier . - C'est illusoire de croire qu'il ne peut y avoir qu'une recherche appliquée.
M. François Autain , président . - C'est une des raisons pour lesquelles les laboratoires ne font plus aucune découverte, suite à quoi ils ferment leurs centres de recherche plutôt que de les développer. Mais c'est vrai qu'on les attend dans le domaine de la recherche publique. Il apparaît un certain nombre de convergences entre les intérêts des parties.
Mme Angélica Keller, chargée de recherches au CNRS . - Je voudrais intervenir sur le CNRS. J'ai été chercheur du CNRS après avoir été formée à l'étranger. Le CNRS était auparavant envié à l'étranger, non pour des salaires mirobolants en comparaison avec les Etats-Unis et l'Allemagne, mais pour son indépendance. Nous avions des crédits récurrents qui permettaient aux laboratoires de faire de la recherche fondamentale et de fonctionner sans objectif de rendement et d'application dans les deux ou quatre ans. Nous sommes en train de perdre cette indépendance. Le fait que la recherche soit financée principalement par une agence comme l'ANR fait que les chercheurs formés, qui ont une thèse, ne disposent que de contrats de deux à quatre ans.
De cette manière, les jeunes chercheurs se trouvent dans des situations extrêmement précaires. Comment peut-on mener des projets de recherche fondamentale dans une telle situation ? En outre, la révision générale des politiques publiques (RGPP) est en train d'être mise en place au niveau du CNRS. Par exemple, j'ai pris ma retraite il y a un an. Je n'ai évidemment pas été remplacée. Le vivier des chercheurs qui ont développé des techniques très complexes durant des années disparaît. Nous perdons un savoir-faire important par ces suppressions de postes à long terme.
M. François Autain , président . - Merci pour cette contribution. Vous avez répondu lors de votre intervention aux questions que nous souhaitions vous poser. Vous n'oublierez pas de nous transmettre l'article auquel vous avez fait référence. Nous tirerons sûrement le meilleur profit de vos contributions. Je vous remercie.
Audition de MM. Pierre JOLY, président, et Patrice QUENEAU, membre, de l'Académie de médecine (jeudi 26 mai 2011)
M. François Autain , président . - Nous recevons ce matin M. Pierre Joly, président de l'Académie de médecine, et M. Patrice Queneau, auteur d'un rapport publié en 1998 sur « La iatrogénie médicamenteuse et sa prévention » et qui motive sa présence aujourd'hui.
Cette séance est ouverte à la presse et fera l'objet d'une publication sur le site du Sénat et éventuellement d'une diffusion sur la chaîne Public Sénat.
En vertu de l'article L. 4113-13 du code de la santé publique, je dois vous demander si vous avez des liens d'intérêts avec l'industrie pharmaceutique ou si vous avez des liens avec des organismes de conseil intervenant sur ces produits.
M. Pierre Joly, président de l'Académie de médecine . - Jusqu'en 1993, j'étais le président de la Fédération internationale des industries du médicament. Depuis lors, j'ai cessé toute activité dans ce domaine.
M. Patrice Queneau, membre de l'Académie de médecine. - Un de mes fils est cadre dans les laboratoires Servier et il travaille dans un service qui achemine des produits de base à l'étranger.
En outre, je possède quelques actions dans une entreprise familiale qui vend des bandes élastiques et de contention. En revanche, je n'ai jamais été salarié d'une entreprise pharmaceutique.
M. François Autain , président . - Lorsqu'un médecin s'exprime ou quand il publie un article, il devrait préciser ses liens d'intérêts mais la législation n'est pas respectée. Pourquoi ?
M. Pierre Joly . - L'année dernière, j'ai fait approuver un règlement en matière de conflit d'intérêts par l'Académie de médecine. Je me suis rendu compte que si ces règles n'étaient pas appliquées, c'était par manque d'habitude. Désormais, un membre du conseil de l'Ordre est chargé de veiller à la bonne application de cette règle.
M. Patrice Queneau . - Je me réjouis d'être reçu par le Sénat sur un thème qui dépasse largement celui du seul Mediator. L'enseignement initial et continu fait peu de place à la thérapeutique. Cette discipline passionne, ou du moins, passionnait, assez peu.
Les universités, les jurys d'agrégation, certaines sociétés scientifiques n'accordent à la thérapeutique qu'une place mineure par rapport au diagnostic.
En 1992, grâce à l'Académie de médecine, j'ai publié un rapport intitulé : « Accidents médicamenteux : fréquence, nature et prévention » . Je n'arrivais pas à le faire paraître ailleurs.
L'Académie de médecine m'a chargé d'un rapport d'étape sur la sécurité du médicament et la pharmacovigilance. Or, la bibliographie française est très pauvre sur le sujet. Heureusement que l'Académie a écouté le professeur Paul Lechat, père de Philippe Lechat, directeur de l'évaluation des médicaments de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps).
Pendant des années, j'ai essayé de convaincre les ministres et les élus de tous bords de la nécessité d'un enseignement de qualité en matière thérapeutique. En fin de cursus, les professeurs ne consacraient en effet que très peu de temps à la thérapeutique, « les cinq dernières minutes ». Je veux rendre hommage aux personnes qui m'ont aidé à me faire entendre. J'ai ainsi réussi à rencontrer M. Jacques Barrot lorsqu'il était ministre : il m'a donné une mission sur la iatrogénie. J'ai auditionné une cinquantaine de personnalités avant de publier le rapport de 1998 que vous avez évoqué et qui reste d'actualité.
M. Pierre Joly . - La formation des médecins face aux médicaments pourrait effectivement être améliorée.
Je voudrais revenir sur la position de l'Académie face au Mediator.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Notre mission a pour but d'évaluer et de contrôler les politiques mises en place par les pouvoirs publics. D'autres instances sont chargées de l'aspect judiciaire. Je le dis d'autant plus que certains prétendent que les missions parlementaires n'ont pas respecté la présomption d'innocence.
M. François Autain , président . - Un article du Figaro ne doit pas vous troubler. Les chiens aboient, la caravane passe.
M. Pierre Joly . - L'Académie a estimé qu'elle n'avait pas à se prononcer sur les aspects judiciaires du dossier. L'affaire du Mediator a cependant fait apparaître un certain nombre de dysfonctionnements qui nous ont amenés à réagir immédiatement. Dès la fin de l'année dernière, nous avons confié au doyen Patrice Queneau le soin de réfléchir sur les dysfonctionnements qui intéressent le Mediator, mais aussi l'ensemble des médicaments.
La publication de la liste de soixante-dix sept médicaments sous surveillance a eu un effet calamiteux et l'Académie a essayé de rassurer les malades : à l'époque, trois malades sur dix ont renoncé en partie ou en totalité à leurs traitements. Parfois des diabétiques ont cessé de prendre leur insuline !
M. François Autain . - Renoncer à l'Actos n'est pas grave ...
M. Pierre Joly . - Les pharmaciens, et il faut leur rendre hommage, ont réussi à convaincre un tiers de ces personnes à reprendre leurs traitements, mais environ 20 % des malades ont encore refusé leur traitement. Nous avons réagi vivement et le conseil de l'Ordre des médecins a relayé notre point de vue en rappelant que la prise de médicament n'était jamais anodine et qu'il ne fallait pas interrompre un traitement sans en parler préalablement à son prescripteur.
M. Patrice Queneau présentera la semaine prochaine à l'Académie son premier rapport d'étape et nous allons vous faire part de l'essentiel de nos préoccupations.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Pouvez-vous nous donner les principales préconisations ? A l'occasion du rapport sur le Vioxx de 2006, nous avions proposé un certain nombre de pistes. Si elles avaient été suivies, nous n'en serions peut-être pas là aujourd'hui.
M. Pierre Joly . - Nous proposons tout d'abord des « recommandations relatives à la réglementation actuelle et sa mise en application ». Nous préconisons le développement de la notification des effets indésirables par l'ensemble des professionnels mais aussi par les patients. Pour le Mediator, le système de pharmacovigilance n'a pas bien fonctionné pour diverses raisons pratiques, alors que le principe était excellent. La procédure est en effet compliquée, les médecins qui ont signalé des faits ne sont pas tenus au courant des suites données à leur intervention et ils craignent d'éventuelles suites judicaires en cas de problème thérapeutique.
Nous faisons également des recommandations sur la notification des effets indésirables par le médecin prescripteur et sur la formation du prescripteur en pharmaco-thérapeutique : depuis des années, l'Académie déplore la modestie de l'enseignement que reçoit le corps médical en matière de thérapeutique et de pharmacologie. Les médecins doivent être vraiment formés pour comprendre les effets des médicaments. Or, certaines facultés consacrent plus de temps à l'enseignement de l'anglais qu'à celui de la pharmacologie. Pourtant, l'un des actes médicaux les plus importants, c'est la prescription. Il faut arrêter de former à demi les médecins !
M. Patrice Queneau . - Nous nous sommes interrogés sur les raisons qui expliquent la considérable sous-notification.
M. François Autain , président . - Le taux de déclaration est de 5 %.
M. Patrice Queneau . - Tout à fait.
Quand le médecin prescripteur constate un accident chez un de ses patients, il craint d'être mis en cause. En outre, les formulaires de premières notifications sont beaucoup trop compliquées alors qu'il ne s'agit que d'un « peut-être ». Mais ce premier recueil de données est indispensable. Faut-il indemniser dès la première notification ou à partir de la deuxième notification, qui prend beaucoup plus de temps ?
En outre, il va falloir enseigner la notification et imposer le retour d'information statistique mais aussi individuel auprès des notificateurs.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Comment passer de la notification à l'imputabilité ? Un médicament est mis sur le marché à partir d'une norme pasteurienne alors qu'il est utilisé pour soigner des pathologies chroniques.
M. Pierre Joly . - Il y a trois éléments fondamentaux : la vigilance, l'imputabilité, qui est une étape essentielle, et l'épidémiologie qui, dans notre pays, est aussi mal enseignée que la pharmacologie.
Une fois le médicament découvert, des études sont menées sur des cohortes de quatre à cinq mille personnes. Les mailles du filet sont serrées, mais pas assez. Une fois le médicament mis sur le marché, il va en effet être consommé par 100 000, voire 1 million de personnes : la dimension change complètement. Des patients avec de petits dérèglements pathologiques, qui pouvaient ne pas figurer dans le panel de départ, vont être concernés par les effets du médicament mis sur le marché. C'est pourquoi nous souhaitons, après la mise sur le marché, une autre étude qui porterait sur un grand nombre de malades pour obtenir des données statistiques bien plus fiables.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Vous souhaitez donc une étude après l'AMM mais avant l'étude post-AMM.
M. Pierre Joly . - Il faut que cette étude soit menée une fois le médicament mis sur le marché. La pharmacovigilance est certes nécessaire, mais il faut aussi que la puissance publique demande une véritable expérimentation épidémiologique au laboratoire, même si cela coûtera un peu d'argent aux laboratoires.
M. François Autain , président . - L'assurance maladie remboursera !
M. Pierre Joly . - Ce n'est pas si simple...
M. François Autain , président . - Ne serait-il pas plus rationnel de mettre moins de médicaments sur le marché, d'autant qu'un médicament inutile peut quand même se révéler toxique ? Une telle méthode serait révolutionnaire mais permettrait de lutter contre les effets indésirables. Malgré tous les moyens dont elle dispose, la pharmacovigilance ne parvient pas à déterminer tous les effets indésirables, tant ils sont nombreux et parfois masqués. Au cours de cette mission, nous avons très peu parlé de iatrogénie médicamenteuse.
M. Pierre Joly . - En ce qui concerne le nombre de médicaments, la situation est complexe : le médicament n'a pas un effet identique pour tout le monde. Les effets varient en fonction des individus.
M. François Autain , président . - Il existe cent cinquante hypertenseurs : est-ce vraiment nécessaire ?
M. Pierre Joly . - Des structures étatiques sont là pour y veiller, comme l'Afssaps.
M. François Autain , président . - Mais elles ne jouent pas leur rôle ! Il faudrait ne rembourser que les médicaments qui apportent un véritable progrès thérapeutique.
M. Pierre Joly . - Cette proposition en elle-même n'a rien de choquant. Certaines structures ne jouent sans doute pas tout leur rôle. Cela dit, les choses, dans la pratique, sont complexes. Qu'est-ce que le progrès thérapeutique ? Un exemple : depuis 1945, l'efficacité des antibiotiques s'est considérablement améliorée, mais grâce à de petites évolutions successives.
Interne, juste après la guerre, j'ai été dans un service de phtisiologie, comme on disait alors, qui traitait les tuberculeux. Nous n'arrivions pas à l'époque à sauver les jeunes femmes qui faisaient des méningites tuberculeuses : neuf sur dix mouraient, pour ne pas dire dix sur dix, dans des conditions affreuses, après trépanation, perte des cheveux, cachexie. La streptomycine est arrivée : cet antibiotique était parfaitement efficace, mais il rendait sourd de façon irréversible. En y ajoutant trois fois rien, nous avons disposé du jour au lendemain d'un médicament qui ne provoquait que de légères surdités. Un autre médicament, l'isoniazide était très efficace, mais il s'oxydait très rapidement au contact de l'air et il se révélait inefficace lorsqu'il était ingéré. Un confrère a eu l'idée de le mettre sous forme liquide et c'est ainsi qu'est né le PAS. En dix mois, nous avons inversé le pronostic : neuf jeunes femmes sur dix guérissaient. Il faut bien avoir à l'esprit que les améliorations des médicaments sont le plus souvent progressives. Il est donc toujours dangereux de vouloir être plus sélectif.
M. François Autain , président . - Il ne s'agit pas de sélectivité mais de privilégier les médicaments qui apportent un véritable progrès thérapeutique.
M. Pierre Joly . - Il faut faire attention à ne pas juger la thérapeutique sur les médicaments de l'instant.
M. François Autain , président . - Il ne s'agit pas des médicaments de l'instant mais de ceux qui sont sur le marché depuis des années ! Pour l'hypertension, les diurétiques restent les médicaments les plus efficaces. Ce n'est pas parce qu'un médicament est vieux qu'il n'est pas efficace.
M. Pierre Joly . - Certes ! Mais il ne faut pas mettre de freins à la capacité d'innovation des chercheurs. Quand nous sommes devant un éventail de produits, il faut bien évidemment ne prendre que ceux qui sont les plus efficaces.
M. Patrice Queneau . - Un nouveau médicament fait l'objet d'évaluations qui aboutissent à un service médical rendu. Il n'acquiert sa commercialisation que pour autant qu'il améliore le service médical rendu (SMR). Mais je regrette que l'on ne procède pas à une réévaluation régulière des médicaments. Une chose est de disposer d'une gamme variée de médicaments, une autre de multiplier à l'excès leur déclinaison.
L'ancienneté ne préjuge pas de l'efficacité, mais sur les cent cinquante hypertenseurs, il convient sans doute d'en supprimer quelques-uns.
M. François Autain , président . - Surtout, il faut cesser d'en ajouter !
M. Patrice Queneau . - C'est plus discutable. Il ne faut en ajouter que si l'amélioration du service médical rendu (ASMR) est prouvée. Lorsqu'il y a pléthore et qu'un nouveau médicament est mis sur le marché, il faut réévaluer ceux qui sont sur le marché et en supprimer certains.
M. François Autain , président . - Vous avez proposé en 1998 de créer un observatoire national de la iatrogénie et de la vigilance thérapeutique. Est-ce toujours d'actualité ?
M. Patrice Queneau . - Oui, car il faut développer la pharmaco-épidémiologie. Quand on se trouve face à un accident probablement imputé à un médicament, on essaye de voir dans quelles conditions il survient. Dans ce cas, les signaux sont très importants
Il est indispensable d'observer le médicament après qu'il a obtenu son autorisation de mise sur le marché (AMM) dans telle ou telle région ou tel ou tel pays de l'Union pendant plusieurs années, sur une large population. Ces études permettraient de repérer l'accident exceptionnel, tardif ou inattendu. Il ne s'agit pas de récuser la pharmacovigilance, mais d'aborder la question d'une autre manière.
L'imputabilité est une question délicate : les médicaments sont évalués initialement sur des populations âgées de vingt à soixante-cinq ans, qui prennent lesdits médicaments en monothérapie. Mais la majorité des médicaments sont prescrits chez des malades à risque, souvent âgés, à qui l'on a prescrit d'autres médicaments. D'où des interactions difficiles à maîtriser.
L'imputabilité est un problème qui, à ce jour, n'est pas réglé. Mon étude sur le bon usage de l'automédication m'a amené à interroger des chefs de services d'urgence qui voient des malades ayant subi des accidents médicamenteux. Il devient extrêmement difficile d'imputer un accident dès que l'on quitte la monothérapie. Les méthodes d'imputabilité sont beaucoup trop centrées sur l'épure du malade « parfait ». Comment savoir à quoi est due une perte de conscience chez un malade qui prend trois hypertenseurs, trois psychotropes et un traitement pour la prostate ? Il faudrait disposer de méthodes d'imputabilité qui prendraient en compte non pas le médicament, mais le malade.
M. François Autain , président . - Prescrire trois hypertenseurs et trois psychotropes, est-ce raisonnable ?
M. Patrice Queneau . - Il convient en effet de pratiquer « l'art de prescrire », mais les trois hypertenseurs peuvent être nécessaires.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Les résultats des méthodes d'imputabilité qui ont une source épidémiologique exclusive ne sont valables qu'en monothérapie. Il faut donc croiser ces résultats avec des données cliniques.
M. Patrice Queneau . - Ce qui n'est pas suffisamment le cas à l'heure actuelle.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Dans le cas du Mediator, les patients étudiés étaient-ils en monothérapie ? Nous nous sommes rendu compte qu'il était impossible de croiser les données épidémiologiques avec les données cliniques.
M. Patrice Queneau . - Nous avons besoin de médecins cliniciens dans les structures d'évaluation, surtout que l'imputabilité n'a rien de mathématique. Tous les paramètres doivent être pris en compte.
M. François Autain , président . - Dans son livre, Mme Irène Frachon parle de la lettre de l'Académie nationale de médecine que les médecins reçoivent et dans laquelle figurait une pleine page de publicité pour les laboratoires Servier. Je ne conteste pas le fait qu'une société savante puisse utiliser la publicité d'un laboratoire, mais est-il possible de parler d'indépendance, de liberté d'esprit ? Les finances de l'Académie dépendent-elles des laboratoires ?
M. Pierre Joly . - Les ressources de l'Académie frisent le ridicule : une dotation de l'Etat de 300 000 euros, qui suffit tout juste à payer le chauffage, l'électricité et les autres frais de base. Je ne vois pas d'inconvénient à ce que l'Académie soit sollicitée pour des partenariats portant sur des actions strictement culturelles. J'ai instauré l'an dernier un contrat de coopération culturelle : ainsi le rôle de chacun sera clair et l'autonomie de notre institution respectée. Vous évoquez un passé lointain...
M. François Autain , président . - Pas si lointain, un an seulement.
M. Pierre Joly . - Nous ne sommes pas stipendiés pour trois francs et six sous ! Un de mes prédécesseurs a accepté que les laboratoires Servier prennent en charge les frais de routage de notre Lettre, que nous ne pouvions assumer.
M. François Autain , président . - Les laboratoires Servier seraient-ils philanthropes ?
M. Pierre Joly . - Ils ont comme les autres le droit d'être un mécène. Je souhaite pour ma part des collaborations culturelles avec des fonctions bien définies pour chaque partenaire, consignées dans des contrats rendus publics.
M. François Autain , président . - Avez-vous signé beaucoup de contrats ? Quelle somme représentent-ils ?
M. Pierre Joly . - Moins de 50 000 euros. C'est accessoire. Je le répète, personne au sein de l'Académie ni du conseil n'a jamais ressenti la moindre gêne à l'égard de Servier. Le livre que vous citez nous fait un procès d'intention. Que dire ? C'est le style moderne... Mais quand, dans un congrès, les pochettes distribuées aux participants portent le logo d'une banque, personne ne se sent otage de cette banque !
M. François Autain , président . - Les contrats et leurs montants seront prochainement en ligne ?
M. Pierre Joly . - Oui. Le contrat avec Servier est du reste en cours de signature, car ce mécénat n'était pas auparavant formalisé, ce qui est malsain. Cette contractualisation me tient à coeur.
L'Académie remplit bien son rôle scientifique, ses fonctions de santé publique. Mais nos médecins enseignent aussi à l'étranger, nos chirurgiens opèrent à coeur ouvert en Chine, notre médecine a dans le monde une aura très grande : lorsque le patron de l'Institut Pasteur arrive au Brésil on déroule le tapis rouge, ce que l'on ne fait pas pour le ministre de la santé. Il faut exploiter cela, c'est un moyen peu coûteux de s'implanter dans un pays, quitte à créer des petites structures avec des sponsors.
Je vous assure les yeux dans les yeux que les laboratoires ne sont pas notre problème.
M. François Autain , président . - Il est heureux pour vous que les laboratoires considèrent l'Académie de médecine comme leur problème.
M. Pierre Joly . - Ils trouvent certes leur intérêt, mais lorsque vous faites un don à la Croix rouge, vous êtes heureux de rendre service, sans en retirer d'autre profit !
M. François Autain , président . - Les laboratoires font-ils des dons à la Croix rouge ? Je n'en suis pas certain. Je prends note du fait que, pour vous, ce sont des philanthropes.
M. Pierre Joly . - Ils peuvent avoir une vocation de mécènes.
M. Gilbert Barbier . - Combien d'heures seraient nécessaires dans la formation initiale pour former valablement les étudiants à la pharmacologie et à la thérapeutique ? Comme ces disciplines évoluent constamment, quelle formation continue pourrait-on envisager, afin que les médecins soient vraiment responsables et informés ?
M. Patrice Queneau. - Est-ce le nombre d'heures qui importe ? Je crois que l'enseignement initial dans cette matière doit viser à sensibiliser les étudiants. Il y a lieu de renforcer l'enseignement en pharmacologie là où il est faible - car il y a entre facultés une grande hétérogénéité. Entre soixante et quatre-vingts heures d'enseignement me sembleraient suffisantes pour constituer un socle solide. Quant à la thérapeutique, elle ne se résume pas aux seuls médicaments, il faut aussi prendre en compte la conduite, la décision, le choix d'une prescription : tout cela s'apprend à la faculté, mais aussi au pied du lit du malade. Le suivi est également fondamental : tolérance du médicament, observance par le patient...
Les étudiants apprennent par intérêt pour la matière, mais aussi pour réussir les épreuves : or l'examen de fin de deuxième cycle a des modalités discutables et je plaide depuis toujours pour un « permis de prescrire », délivré après une épreuve comportant des questions techniques et des cas concrets et complexes... et un oral. Cela existe dans de nombreux pays. Il est crucial d'évaluer ainsi la compétence à devenir médecin, d'autant que dès l'entrée en troisième cycle on attend des étudiants une compétence en matière de soins : je trouve inadmissible qu'en première année d'internat, de futurs médecins soient désemparés s'il leur faut prendre une décision durant leur garde à l'hôpital.
M. François Autain , président . -Je vous remercie.
Audition de MM. Gérald SIMONNEAU, professeur des universités, chef de service de pneumologie et réanimation respiratoire, coordinateur du Centre de référence national pour l'hypertension artérielle pulmonaire sévère et Marc HUMBERT, professeur des universités, praticien hospitalier dans le service de pneumologie et réanimation respiratoire, à l'hôpital Antoine Béclère (jeudi 26 mai 2011)
M. François Autain , président . - Nous recevons MM. Gérald Simonneau, professeur des universités, chef de service de pneumologie et réanimation respiratoire, coordinateur du Centre de référence national pour l'hypertension artérielle pulmonaire sévère et Marc Humbert, professeur des universités, praticien hospitalier dans le service de pneumologie et réanimation respiratoire, à l'hôpital Antoine Béclère.
D'abord la question rituelle : avez-vous des liens avec l'industrie pharmaceutique ?
M. Marc Humbert, professeur des universités . - Oui, car dans le cadre de nos recherches, et de l'innovation thérapeutique en particulier, nous procédons à des essais thérapeutiques de concert avec les laboratoires Actélion, Bayer, GSK, Novartis, Pfizer, United Therapeutics et Lilly. Mais nous n'avons aucun conflit d'intérêts avec Servier.
M. Gérald Simonneau, professeur des universités . - Un petit historique de l'Isoméride, d'abord : l'hypertension pulmonaire est une maladie rare qui peut être idiopathique - sans cause connue - ou due à des maladies ou des médicaments. L'hypertension pulmonaire (HP) idiopathique représente deux cas par million d'habitants par an, soit cent cinquante cas en France. L'hypertension pulmonaire est aussi associée aux risques causés par les anorexigènes. Dans les années soixante a été observée une épidémie due à l'aminorex, un coupe-faim amphétaminique voisin du benfluorex, vendu en Suisse, Autriche et Allemagne. Le nombre de cas d'hypertension pulmonaire a brutalement augmenté après la mise sur le marché de ce médicament, et chuté après le retrait, au bout de trois ans, en 1967.
A la fin des années 80, nous avons été alertés sur une relation de cause à effet entre les coupe-faim et des hypertensions artérielles pulmonaires (HTAP). Nous avons dès lors interrogé les malades : 25 % d'entre eux prenaient de la fenfluramine, contre un risque d'HTP de 5 % dans le total de la population saine. Servier a été obligé de réaliser une étude cas-contrôles pour étudier ce lien : il en a chargé le Professeur Abenhaïm, lequel en 1995 est arrivé au même résultat que nous dans nos observations cliniques, un risque multiplié par cinq en cas de prise de médicament à base de benfluorex, par vingt-cinq en cas d'exposition prolongée. Le produit n'est pas retiré mais on considère alors qu'il doit être encadré et réservé aux diabétiques, etc. Or, moins de six mois après, en 1996, la Food and Drug Administration autorise sa mise sur le marché ! Nous étions en mauvaise posture, Servier a contre-attaqué. Mais nous avons été sauvés, si je puis dire, par les valvulopathies, car un an après, le groupe de Rochester à la Mayo Clinic met en évidence des valvulopathies cardiaques chez les patients exposés à l'Isoméride. Le produit a donc été retiré du marché mondial en 1997 comme tous les amphétaminiques. Comme beaucoup de coupe-faim étaient préparés en cocktails par les pharmaciens, l'Afssaps a interdit le benfluorex dans les préparations magistrales, dosées par les pharmaciens, mais les comprimés n'ont pas été retirés du marché.
M. François Autain , président . - Quelle en est l'explication ?
M. Gérald Simonneau . - Je ne me l'explique pas.
M. François Autain , président . - Comment avez-vous réagi ?
M. Gérald Simonneau . - Nous n'étions pas au courant ! En 1999, un médecin de Saint-Antoine nous adresse un patient qui souffre d'hypertension idiopathique et nous indique que ce patient a pris du benfluorex, substance que le cardiologue pense proche de l'Isoméride. Cette molécule ne faisait à l'époque l'objet d'aucune information dans le Vidal. Mais le dictionnaire critique des médicaments d'Henri Pradal expliquait, dés 1978, que le benfluorex était très proche de l'Isoméride. Je préviens l'Afssaps et apprends que onze cas étaient déjà décelés, parmi des patients atteints d'HTAP et qui prenaient du Mediator. Une expertise a été menée en 1998.
M. François Autain . - Vous faites allusion au rapport Bechtel ?
M. Gérald Simonneau . - Oui. Les cas examinés en 1998 étaient compliqués : tous ces patients avaient pris de l'Isoméride, puis du Mediator, aucun cas n'était pur. Mais la plupart des patients qui prenaient dans le passé de l'Isoméride étaient passés au Mediator : il avait bien fallu que quelqu'un informe les médecins de la parenté entre les deux médicaments !
M. François Autain , président . - Personne n'a de souvenirs à ce sujet...
M. Gérald Simonneau . - En tout cas ce relais systématique suscite chez moi une suspicion forte.
M. François Autain , président . - Oui, on se pose des questions.
M. Gérald Simonneau . - Entre 1999 et 2005, il y a eu peu de cas d'hypertension pulmonaire médicamenteuse, sans doute parce que la consommation de Mediator n'a augmenté que progressivement : 150 000 malades en 1999, 450 000 en 2005. L'Afssaps n'a délivré aucune information aux médecins et rien n'a été dit sur le Mediator. Il est vrai qu'une alerte aurait consisté à dire : « ce produit est similaire à un autre déjà retiré du marché ; et selon les diabétologues il ne sert à rien ». Bref, l'alerte aurait tué le produit. Il fallait soit le retirer, soit ne rien dire.
M. François Autain . - On pouvait retirer à ce moment-là, selon vous.
M. Gérald Simonneau . - Dès que j'ai su que le métabolite actif était la norfenfluramine, j'ai pensé que le produit n'avait plus sa place. Du reste, il était retiré des préparations magistrales ! Quoi qu'il en soit, un effet toxique médicamenteux rare, en l'absence d'alerte et d'information des médecins, est presque impossible à découvrir.
M. Marc Humbert . - La structuration en centre de référence et centre de compétence nous permet d'interroger l'ensemble des centres spécialisés dans l'hypertension pulmonaire, recenser les cas et les analyser. Rien n'est simple, les causes sont nombreuses et chaque cas exige un examen très détaillé. Début avril, nous avons pu établir un premier rapport portant sur quatre-vingt-cinq cas. Une mise à jour sera effectuée régulièrement. Un cathétérisme cardiaque est systématiquement effectué lorsqu'une HTAP est identifiée, pour déterminer si les causes de la pression élevée proviennent d'une maladie pulmonaire ou cardiaque - il existe aussi des cas mixtes. Sur ces quatre-vingt-cinq cas, soixante-dix se sont révélés pré-capillaires, autrement dit relevant purement de causes pulmonaires, deux post-capillaires - causes cardiaques - et treize mixtes. La durée moyenne d'exposition est de quarante-neuf mois en moyenne, un temps plus long que dans le cas de l'Isoméride. Les atteintes pulmonaires se rencontrent chez les patients les plus exposés. Le délai entre l'exposition et le diagnostic est de huit ans et demi. Il apparaît que 24 % au moins des patients ont été exposés à l'Isoméride avant le Mediator.
L'effet de l'alerte est évident, et instructif pour l'avenir : en 1999, nous entamons les investigations, à partir du premier cas dans notre centre, mais c'est seulement entre 2006 et 2008 que le nombre de cas a commencé à augmenter, et à cette période les rumeurs et les interrogations commençaient à se répandre, avant l'alerte. Certains cas avaient été considérés comme idiopathiques en 2002 ; ils ont été réexaminés après l'alerte Mediator.
Les patients exposés au Mediator sont des gens plus âgés que ceux qui prenaient des anorexigènes dans les années quatre-vingt : soixante ans en moyenne. Ils sont plus « ronds », la proportion d'hommes est un peu plus élevée, et dans 80 % des cas il existe un facteur de risque cardio-vasculaire - diabète, hypertension artérielle - qui n'est pas un facteur de risque d'HTAP, je le précise, et qui pourrait correspondre éventuellement à une partie de l'indication du Mediator.
La plupart des malades que nous voyons présentent une pathologie sévère, ils marchent deux fois plus lentement que la moyenne de la population, leur pression artérielle est trois fois supérieure à la normale, la pompe cardiaque a un débit de 2,4 en moyenne et non de 3. Le coeur souffre. Sur ces soixante-dix patients, huit sont décédés, deux ont subi une transplantation pulmonaire, mais l'un d'eux est décédé des suites de l'opération. Dans les années 80, les personnes qui prenaient des anorexigènes n'étaient pas toujours des obèses, elles étaient seulement soucieuses de rentrer dans leur maillot de bain l'été suivant. La durée de l'exposition est de trente mois pour le benfluorex, six pour la fenfluramine. Il se peut qu'il y ait des différences entre les produits, plus de valves et quelques HTAP pour le Mediator, plus de HTAP et moins de valves avec l'Isoméride, du moins en France car les observations ne sont pas les mêmes aux Etats-Unis.
M. François Autain , président . - A cause d'une association avec un autre médicament.
M. Marc Humbert . - Oui, le fen-phen. C'est aussi que les malades sont beaucoup plus obèses.
Une circonstance rend l'analyse parfois complexe : la combinaison, liée à l'âge, entre maladie vasculaire et maladie cardiaque. Pour la première fois valvulopathie et HTAP coexistent chez les mêmes patients. Cela concerne 28 % des patients - 23 % chez les pré-capillaires. C'est une particularité de l'épisode Mediator.
J'en viens à la pharmacovigilance. Entre 1999 et 2007, il y a eu seulement quatre déclarations ; ensuite, plus de cinquante. Après l'alerte et la prise de conscience, le questionnaire a été adapté, on a demandé aux patients quels médicaments ils prenaient et pourquoi. Pour poser ces questions, il faut une motivation. Le lanceur d'alerte joue un rôle moteur.
M. Gérald Simonneau . - Et encore tous les cas ne sont-ils pas déclarés ! Certains centres régionaux disent qu'ils n'en ont pas encore eu le temps, que tout est trop compliqué. Il serait utile de simplifier les formalités, une réflexion est en cours...
M. Marc Humbert . - En dépit de l'alerte et de la médiatisation, nous n'en sommes qu'à 70 % de déclarations. Il y a un décalage de plusieurs mois.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - N'y a-t-il jamais eu de publications scientifiques ?
M. Marc Humbert . - Si ! Le CHU de Brest et l'hôpital Antoine Béclère-Paris Sud ont publié cinq cas en 2009, le New England Journal of medecine a publié de très beaux papiers sur les coupe-faim...
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - ... et sur la présence de norfenfluramine dans le métabolite du benfluorex ?
M. Gérald Simonneau . - Il y a eu une revue générale en 2007 dans la plus grande revue de cardiologie américaine.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Mais rien entre 1967 et 2007 ?
M. Gérald Simonneau . - Si. M. François Brenot avait fait une publication en 1993, le New England Journal a publié l'étude du docteur Abenhaïm, la revue Chest a publié tous nos cas, il y a eu aussi en 2002 une étude sur le fenfluoramine, plus particulièrement sur les cas retardés, une publication en 2007 sur l'atteinte des valves cardiaques et sur l'hypertension pulmonaire due au benfluorex. Et bien sûr, il y a eu la publication du docteur Frachon sur les valvulopathies.
M. Marc Humbert . - Il y a toujours eu des papiers anglais sur les anorexigènes. Le cas benfluorex était plus complexe, parce qu'il n'avait pas clairement une indication d'anorexigène.
M. Gérald Simonneau . - Le congrès mondial de 1973 à Genève avait été organisé en raison de l'épidémie liée à l'aminorex.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Avez-vous collaboré avec les équipes de Servier ?
M. Gérald Simonneau . - Jusqu'à l'étude confiée par Servier au docteur Lucien Abenhaïm, le déni était total au sein de ce laboratoire et une collaboration avec les équipes de chercheurs était impensable. De nombreux cas leur ont été signalés, une vingtaine par an, en même temps qu'ils l'étaient auprès de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps). Mais ce n'est qu'après de multiples pressions que l'agence a ordonné une étude en 1992. Ce fut difficile à obtenir !
M. Marc Humbert . - Les cas nous remontent, certains sans facteur de risque associé autre que médicamenteux. Sur les soixante-dix cas purement pré-capillaires, quarante-neuf étaient dans ce cas.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Les patients prenaient exclusivement ce médicament ?
M. Marc Humbert . - J'ai précisé que 24 % des patients avaient pris de l'Isoméride avant de prendre du Mediator.
M. Gérald Simonneau . - Ce qui signifie que 76 % des patients n'en avaient pas pris.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Mais prenaient-ils d'autres médicaments ?
M. Marc Humbert . - Dans une population de soixante ans présentant des risques cardio-vasculaires, on prend forcément des médicaments, mais seul le Mediator émerge comme facteur de risque de l'HTAP.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Quid des interactions entre médicaments ?
M. Marc Humbert . - Elles sont scientifiquement difficiles à démontrer.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Les essais réalisés par les laboratoires sont-ils publiés, qu'ils soient positifs ou négatifs ? Doit-on imaginer une base de données de tous les essais, qu'ils aient ou non abouti à une AMM ?
M. Gérald Simonneau . - Il existe un registre international de tous les essais. Et un essai ne peut donner lieu à une publication s'il n'a pas été déclaré au début. Par ailleurs, la toxicité - qui n'est pas l'inefficacité - n'est pas détectable sur quelques centaines de patients, lorsque les effets secondaires sont rares - pour l'Isoméride par exemple, ils apparaissent dans un cas sur 10 000. En revanche, pour l'hypertension pulmonaire, lorsque la molécule déclenche la maladie sur un terrain prédisposé, une prise de quelques semaines suffit. Le médicament déclenche la maladie - dans un cas sur 10 000, certes, mais c'est beaucoup pour un médicament qui ne sert à rien...
M. François Autain , président . - Que pensez-vous des études telles que celle de Mme Catherine Hill ? Etes-vous d'accord avec son évaluation du nombre de morts ?
M. Gérald Simonneau . - Il s'agit des valvulopathies et je ne peux me prononcer sur le nombre de morts, d'autant que pour un médicament qui ne sert à rien, un mort est un mort de trop.
M. François Autain , président . - Je suis d'accord avec vous.
M. Gilbert Barbier . - Pour prouver la responsabilité du médicament, un examen anatomo-pathologique est-il le seul argument concret que l'on puisse apporter à ceux qui nient le danger du médicament ?
M. Gérald Simonneau . - Pour les valvulopathies, l'examen montre des signes spécifiques.
M. Gilbert Barbier . - Et pour l'hypertension idiopathique, on ne recherche pas des explications ?
M. Gérald Simonneau . - Dans notre réseau, 40 % des cas sont inexpliqués. Il y a les causes génétiques, les coupe-faim, certes.
M. Gilbert Barbier . - Recherche-ton une réceptivité particulière à l'Isoméride ?
M. Gérald Simonneau . - Quand le facteur de risque entraîne la maladie dans 1 cas sur 10 000, c'est qu'il y a d'autres facteurs de risque. Des patients atteints du virus VIH, seul 0,5 % développe la maladie. Quand la toxicité est directe, 100 % des patients sont théoriquement touchés.
M. Gilbert Barbier . - A quel stade aurait-il fallu agir ? En 1998, après l'expertise du professeur Bechtel de Besançon ? En 1999, après les premières alertes auprès de l'Afssaps ? En 2001, lorsque l'Agence italienne du médicament a dit la nocivité du médicament ?
M. Gérald Simonneau . - Les laboratoires Servier ont longtemps caché aux cliniciens que le métabolite actif du Mediator était la norfenfluramine, dont la toxicité était connue ! Ensuite, des erreurs sont intervenues à tous les niveaux ; il n'y a pas un responsable, c'est tout le système qui a dysfonctionné. Les premiers cas analysés, en 1995, avaient pris de l'Isoméride, il était impossible de conclure.... En 1999, on rapportait un cas de valvulopathie, un cas de HTAP, tout le monde savait que le produit dégageait de la norfenfluramine, les diabétologues estimaient que le Mediator était un mauvais produit : la messe aurait dû être dite ! Le retrait du produit des préparations magistrales était preuve que sa toxicité était identifiée !
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - En Italie, il n'a pas été retiré des préparations magistrales.
M. Marc Humbert . - Le 17 juin 1999, nous avons envoyé un mail à notre collègue de Bologne pour l'informer de nos problèmes avec le benfluorex. Il nous a répondu n'avoir pas connaissance de cas semblables, mais n'avoir pas posé la question sur ce produit, qui n'était pas présenté comme un anorexigène. Le Mediaxal, le Mediator italien, n'a été qu'à moitié retiré du marché ; il est resté autorisé dans les préparations magistrales jusqu'en 2005.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Comment améliorer la notification des effets indésirables et mieux prendre en compte les notifications directes par les patients, le cas échéant avec le concours d'un médecin généraliste ou spécialiste ? Les urgences sont-elles un bon relais ?
M. Marc Humbert . - Mon service a recruté, sur ses fonds propres, une pharmacienne, responsable des interrogatoires médicamenteux. Elle est chargée d'interroger cent patients consécutifs sur tous les médicaments qu'ils ont pris au cours des années précédentes, car il faut tenir compte du temps de latence.
Nous avons décidé que tous les médicaments suspects seraient déclarés : on peut donc s'attendre à une explosion du nombre d'alertes de pharmacovigilance. Il faut distinguer les complications rares entraînées par des médicaments prescrits de façon rare comme le dasatinib, qui a fait l'objet d'une alerte ; les complications rares entraînées par un médicament prescrit fréquemment ; les complications fréquentes d'un médicament prescrit fréquemment.
M. François Autain , président . - Le professeur Queneau préconise de créer à l'hôpital des comités de lutte contre la iatrogénie médicamenteuse (Cli). Est-ce ce que vous mettez en place ?
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - N'est-ce pas au service de pharmacie de l'hôpital de dédier les moyens nécessaires pour l'ensemble des services ?
M. Gérald Simonneau . - Ce serait possible, mais compliqué. Mieux vaut réfléchir, tester différentes méthodes, avant de multiplier les comités...
M. Marc Humbert . - Cette pharmacienne a été recrutée en accord avec la pharmacie de l'hôpital.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Le professeur Queneau souhaitait que les patients puissent notifier les effets indésirables de médicaments.
M. François Autain , président . - La loi le permet déjà !
M. Marc Humbert . - Nous pouvons être des lanceurs d'alerte, mais il y a sept mille maladies rares... L'imputabilité est difficile à établir, car on nous dit qu'il n'y a pas de lien de causalité ! Il faut lancer les alertes, de façon raisonnable. L'hôpital est-il le lieu idéal ? Pour les complications rares, oui ; pour les complications fréquentes, c'est le cabinet.
M. Gérald Simonneau . - Le « lien de causalité » est délicat à démontrer, même dans le rapport entre tabac et cancer du poumon. On sait que cela augmente le risque. Mais en disant qu'il n'y a pas de lien de causalité, on laisse entendre qu'il n'y a pas de relation de cause à effet : « circulez, il n'y a rien à voir » ! Attention au langage employé.
M. Gilbert Barbier . - Quid du rapport bénéfices-risques ?
M. Marc Humbert . - Il est déterminant. Pour la HTAP, le Mediator ne servait à rien. Le dasatinib, en revanche, peut sauver des vies. Si le rapport bénéfices-risques est intéressant, il faut l'intégrer dans la réflexion.
M. Gérald Simonneau . - Dans le cas du Mediator, le bénéfice était faible, et le risque fort !
M. François Autain , président . - Je vous remercie.
Audition de M. Michel POT, ancien secrétaire général de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) (2004-2011) (jeudi 26 mai 2011)
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Vous avez déclaré que l'affaire du Mediator relevait d'une « banale incompétence du service public ». Pourriez-vous nous expliquer cette assertion ? L'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps), agence qui dispose d'une certaine indépendance, fait-elle partie de ce service public ?
M. Michel Pot, ancien secrétaire général de l'Afssaps - A cette seconde question, je réponds oui sans hésitation : l'Afssaps est le bras armé du service public.
Permettez-moi de revenir sur la déclaration que vous citez. J'ai été pendant sept ans secrétaire général chargé des fonctions d'appui : finances, ressources humaines, informatique. Je ne m'occupais pas de sécurité sanitaire, ce n'est pas mon métier. J'ai découvert les informations concernant le Mediator en novembre 2010, comme beaucoup ; j'ai appris dans la presse que des signaux existaient mais n'avaient pas été reçus par l'Agence.
Lorsque l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) a conduit sa mission à l'Afssaps en janvier, elle n'a pas jugé bon de m'interroger. Elle s'est attachée à l'aspect scientifique et historique du Mediator. Ma crainte était que l'on oublie l'importance du management : l'Agence est dirigée par des hommes, et le management compte beaucoup dans le bon et le mauvais fonctionnement d'une institution. Je pensais avoir quelque chose à dire à ce sujet.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Avez-vous demandé à être auditionné par l'Igas ?
M. Michel Pot. - Non, l'Igas décide en toute liberté de son champ d'intervention. Dans ces documents, qui n'étaient pas adressés à l'Igas mais dont les inspecteurs ont eu connaissance avant la publication de leur rapport, je notais quelques dysfonctionnements dans la chaîne hiérarchique du service de surveillance du marché et de la pharmacovigilance. J'y disais que la non-réceptivité des signaux et la mauvaise gestion du système méritaient investigation. Je ne visais que ce secteur particulier, et suis navré de voir l'opprobre retomber sur l'Agence dans son ensemble, où l'on fait un travail sensationnel.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Comment articuler pharmacovigilance, AMM et transparence ? Quelles réformes de structure proposez-vous ? Quel rôle devrait jouer le ministre dans le dispositif de sécurité du médicament ?
M. Michel Pot. - Je m'inquiète de voir que cette affaire conduit à remettre en cause les structures existantes. Pour ma part, c'est le management seul que je mets en cause. Il est certes surprenant d'avoir, d'un côté, une commission d'AMM, de l'autre une commission de transparence qui ne s'exprime pas pour ne pas empiéter sur le domaine de la première...
J'ai trouvé dans le rapport de l'Igas confirmation de ce que j'avais présupposé en lisant la presse. Les dysfonctionnements du service chargé de recueillir les signaux et de les faire exploiter sont impressionnants. L'étude demandée aux laboratories Servier à la fin des années 1990 a mis neuf ans à être réalisée ! Preuve qu'il y avait bien un problème de compétence au sein du service de surveillance du marché, qui n'a pas suivi le déroulement de l'opération.
M. François Autain , président . - Il s'agit de l'étude Regulate ?
M. Michel Pot - Il s'agit de l'étude sur les conséquences, notamment cardiologiques, du Mediator, qui est devenue par la suite l'étude Regulate . Le rapport l'évoque page 9 et page 71. Sans ce délai, on aurait connu les conséquences cardiologiques du Mediator dès 2001-2002 !
M. François Autain , président . - Pourquoi a-t-on autant tardé ?
M. Michel Pot - Je ne sais, mais c'est une question secondaire. Le problème n'est pas la structure, mais les personnes en charge.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Le directeur général de l'Afssaps était-il en position de surmonter les contradictions entre la commission de pharmacovigilance et la commission d'AMM ?
M. Michel Pot - Le rapport de l'Igas souligne que les deux commissions ont en effet rendu des avis contradictoires. Etonnamment, l'affaire semble avoir été traitée par e-mail par le directeur général, qui s'est rangé à l'avis de la commission d'AMM, la dernière à avoir parlé... Le rôle des responsables est pourtant d'apprécier et de départager les avis des experts. Il n'y a pas de vérité scientifique absolue. A la lecture du rapport de l'Igas, la manière dont a été traitée l'affaire laisse perplexe.
L'information des experts par l'administration de pharmacovigilance a également été défaillante. Le comité de pharmacovigilance n'a pas été informé des cas de pharmacovigilance, des échanges au niveau européen, du retrait du médicament en Espagne après un cas de valvulopathie. Il faut en tirer les leçons.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Comment concilier la nécessité pour l'Afssaps de participer aux travaux de l'EMA (European Medicines Agency) et ses missions propres ?
M. Michel Pot - Le partage de compétences est assez clair. L'Europe voit son champ de compétences s'élargir progressivement ; le reste de la gestion relève du plan national. Sur le long terme, il y a une montée en puissance du fait européen.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Comment doit être financée l'Afssaps ?
M. Michel Pot - Le financement de l'Agence, lui, pose un problème d'image. J'étais en charge, avec l'agent comptable, de percevoir les impôts prélevés sur les laboratoires ; nous n'avions aucune relation avec les laboratoires, et étions d'ailleurs strictement contrôlés. Je n'ai donc pas d'états d'âme à ce que l'Afssaps soit financée à 80 % ou 100 % par ces taxes parafiscales. Nous avons expliqué que ce mode de financement ne compromettait pas l'Agence, sans être entendus. Peut-être, faut-il un autre circuit de financement pour laver l'Afssaps de tout soupçon.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Par exemple ?
M. Michel Pot - On peut imaginer que les laboratoires versent leur contribution au budget général, et qu'elle soit ensuite rapatriée à l'Afssaps, sous forme de subvention. Attention toutefois à ce que ce rapatriement se fasse bien à l'euro près ; sinon, l'Agence aura plus de mal à investir et à s'équiper, notamment en systèmes d'information et en matériel de laboratoire.
M. François Autain , président . - Si le nombre de dossiers instruits par l'Afssaps devait baisser, ses ressources diminueraient également. Elle serait alors contente d'avoir une autre source de financement ! Aujourd'hui, les taxes parafiscales acquittées par les laboratoires financent des actions qui devraient relever de l'Etat, comme la veille ou le contrôle. La participation de l'Etat est passée de 50 % à 20 % puis à 0 %. Il faut nuancer les jugements sur le mode de financement actuel.
M. Michel Pot - Sans doute. Reste que le financement était contrôlé par l'agent comptable et moi-même, et n'avait aucun impact sur l'action opérationnelle.
Je saisis cette occasion pour demander aux parlementaires que vous êtes, de nous aider à améliorer le contrôle de ces services publics. Pendant mes sept années à l'Afssaps, le contrôle parlementaire sur l'Agence s'est limité à la fixation d'indicateurs, dans le cadre de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf) - en l'occurrence, le délai de l'AMM - et à des questionnaires parlementaires sur l'exécution, le budget et les grands événements de l'Agence.
L'Afssaps avait été contrôlée par la Cour des comptes en 2006 ; celle-ci, dont ce n'est pourtant pas le métier, avait attiré l'attention sur la pharmacovigilance, citant le Mediator. J'ai été choqué de voir que tout le monde l'avait oublié ! Si je ne l'avais pas signalé à l'Igas, cela ne figurerait même pas dans son rapport !
M. François Autain , président . - Il s'agit bien du fameux rapport de la Cour des comptes où le directeur de l'Afssaps disait que le Mediator était retiré du marché ?
M. Michel Pot - Il s'agissait d'une erreur de plume, qui a été corrigée. Tout le monde avait oublié ce rapport. Les établissements comme l'Afssaps ne sont pas suffisamment audités, et les audits ne sont pas exploités. Le service de pharmacovigilance a fait l'objet d'un audit en 2002, qui portait essentiellement sur les fonctions centrales. La Cour des comptes a repris en 2006 les critiques de la revue Prescrire .
Un service essentiel comme la pharmacovigilance devrait être audité tous les trois ou quatre ans. Les parlementaires devraient demander à connaître la date du dernier audit, ses conclusions, son suivi.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - J'ai dit lors de notre réunion avec l'Agence en Seine-Saint-Denis, qu'il est dommage que nous n'exercions notre mission de contrôle qu'en période de crise.
En 2006, le Sénat a publié un rapport sur le Vioxx. Si ses préconisations avaient été prises en compte, nous n'en serions peut-être pas là, sept ans plus tard ! En Italie, le président de la commission parlementaire chargée de la santé conduit chaque année une mission de contrôle des institutions ou de la politique sanitaire.
M. Gilbert Barbier . - L'Afssaps prend des décisions souveraines. Le travail du rapporteur pour avis du budget de l'Agence ne porte en rien sur les décisions techniques et scientifiques. La responsabilité du directeur de l'Afssaps devrait-elle être modulée par l'obligation d'informer l'exécutif, ou le Parlement ? J'ai été étonné d'entendre le ministre Jean-François Mattei dire ne pas avoir été au courant des problèmes relatifs au Mediator...
Par ailleurs, le circuit de l'Afssaps paraît assez fermé par rapport aux agences européennes ou mondiales ; on l'a vu avec cette affaire du Mediator.
M. Michel Pot - Loin de moi l'idée que les parlementaires devraient exercer un contrôle sur les aspects scientifiques : je parlais du contrôle sur le fonctionnement administratif. Même les comités techniques de pharmacovigilance n'étaient pas au courant des informations dont disposait le service ! Vous avez les moyens de contrôler les services-cibles, leur management, via les questionnaires parlementaires.
M. François Autain , président . - Je vous remercie.
Audition de Mme Anne PRIGENT, directeur des rédactions d'Impact Médecine et de Prescriptions Santé (jeudi 26 mai 2011)
M. François Autain , président . - En auditionnant l'une de vos consoeurs, madame, nous avons appris que vous étiez l'auteur de plusieurs articles relatifs aux laboratoires Servier, signés du pseudonyme « Dr Claire Bonnot ». Un responsable de la presse médicale que nous avons entendu a estimé anormal que le pseudonyme d'un journaliste ne figure pas dans l'ours.
Mme Anne Prigent, directeur des rédactions d' Impact Médecine et de Prescriptions Santé . - Cela m'étonne. Les noms de journalistes ne figurent pas tous dans les ours.
Docteur en pharmacie, j'ai d'abord exercé en officine. Les médecins connaissent peu le médicament. Souhaitant transmettre l'information, je me suis orientée vers la presse pharmaceutique : j'ai ainsi écrit dans Le Quotidien du pharmacien , Le Quotidien du médecin , Le Moniteur des Pharmacies . J'ai été embauchée par le groupe Impact il y dix ans. Depuis trois ans, je dirige la rédaction d' Impact Médecine.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Quelle place tient la publicité dans le modèle économique des publications pour lesquelles vous travaillez ?
Mme Anne Prigent. - Les abonnements représentent le quart du chiffre d'affaires du groupe.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Avez-vous déjà subi des pressions de la part des annonceurs ? La publicité a-t-elle une influence sur le contenu rédactionnel ? Comment y remédier ?
Mme Anne Prigent. - La publicité n'influe nullement sur le contenu rédactionnel. Il s'agit d'un journal professionnel à destination des médecins généralistes, auxquels nous apportons des informations professionnelles pour les aider à exercer au mieux leur profession. Nous sommes donc conduits à traiter plus souvent d'affections fréquentes, comme le diabète, que de maladies rares, même si nous ne les oublions pas.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Comment Impact Médecine et Prescriptions Santé ont-ils rendu compte de l'affaire du Mediator ? Disposez-vous d'un comité de lecture ? Les articles sont-ils signés par des journalistes ou des scientifiques ? Des règles déontologiques spécifiques s'appliquent-elles aux auteurs d'articles ?
Mme Anne Prigent. - Prescriptions Santé est un mensuel qui s'adresse aux équipes marketing de l'industrie pharmaceutique : c'est un cas à part.
Impact Médecine a évoqué le Mediator au moment de son retrait, en 2009. Nous n'avons pas parlé du livre d'Irène Frachon, qui expliquait rétrospectivement les circonstances du retrait : cela ne relevait pas de l'information pratique du médecin. La presse grand public a commencé à parler du Mediator en octobre 2010, avec les études Cnam 1 puis 2. Que pouvait répondre le médecin aux patients ? Il n'y avait pas d'éléments tangibles. Nous avons immédiatement rendu compte de la conférence de presse de l'Afssaps, qui évaluait le nombre de décès entre cinq cents et mille : il fallait que les médecins rappellent les patients ayant pris du Mediator. Nous avons ensuite rendu compte du rapport de l'Igas, dont la conférence de presse se tenait le samedi ; nous bouclions le mardi, pour une parution le jeudi. Je me souviens avoir titré : « Xavier Bertrand, Reformator ».
Nos règles déontologiques sont celles de la presse et de la santé publique. Nous avons comme journalistes à la fois des scientifiques et des non-scientifiques. Des médecins et des pharmaciens contribuent, comme pigistes. Le directeur de la rédaction des revues spécialistes est médecin. Nous n'avons pas de comité de relecture.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Avez-vous des attentes vis-à-vis des pouvoirs publics en matière de réglementation ou de soutien à la presse médicale ? Les laboratoires ont-ils une attitude particulière à votre égard ?
Mme Anne Prigent. - Les pratiques se sont assainies, généralement en réaction à des crises sanitaires, comme l'affaire du Vioxx. Il y a eu la création de l'Agence du médicament en 1993, des retraits de médicaments, la charte de la visite médicale...
M. François Autain , président . - La Haute Autorité de santé (HAS) juge que cette charte ne sert à rien. Relativisons.
Mme Anne Prigent. - Nous avons toujours participé aux débats, par exemple en 2010, sur la grippe H1N1, avec la HAS et l'Afssaps. De telles relations me semblent claires et normales.
M. François Autain , président . - A quelle occasion Impact médecin est-il devenu Impact médecine ?
Mme Anne Prigent . - J'ai commencé mon travail à Impact médecin . Lorsque la dénomination a changé, j'étais simple journaliste, éloignée de la rédaction générale. Pour autant que je me souvienne, nous avons perdu le bénéfice de la commission paritaire, celle-ci ayant des doutes sur les abonnements payants, mais nous avons été réintégrés deux mois plus tard, après avoir apporté les preuves de leur effectivité.
M. François Autain , président . - Mme Virginie Bagouet m'a fait parvenir un courriel d'où il ressort que les industriels concernés relisaient avant publication ce qui les concernait. Je citerai l'exemple d'un article consacré à l'ivabradine, un bradycardisant commercialisé par les laboratoires Servier sous le nom de Procoralan. Mme Bagouet vous a transmis son texte, que vous avez adressé aux laboratoires Servier pour correction. Alors que vous l'avez publié dans la rédaction, après approbation par le laboratoire, vous n'avez pas informé le lecteur de cette relecture. Pourquoi ? M. Gérard Kouchner nous a dit il s'agissait là d'une obligation éthique. Vous en être abstenue correspondait-il à une pratique habituelle de votre publication, ou s'agissait-il d'un traitement de faveur réservé à Servier ?
Mme Anne Prigent . - L'article traitait de l'étude Systolic heart failure treatment with the inhibitor ivabradine trial (SHIFT-ivabradine), dont tout le monde parlait à l'époque, même à la radio. La hot line mise en place à Stockholm par la Société européenne de cardiologie était en anglais, rapide et orale. Nous devions donc éviter tout retard dans la publication. L'étude en question était coordonnée par le professeur Komajda, qui présidait la Société française de cardiologie. N'ayant pu le joindre, je me suis tournée vers les laboratoires Servier, pour validation des chiffres. Il ne s'agissait que d'une vérification.
M. François Autain , président . - Consulter le laboratoire ne semble pas vous poser problème.
Mme Anne Prigent . - J'aurais été bien plus gênée par la publication d'une erreur. Au demeurant, la seule rectification opérée par le laboratoire était désavantageuse pour le médicament, puisque le rédacteur initial de l'article avait surestimé la baisse de la fréquence cardiaque procurée par l'ivabradine.
Au demeurant, nous nous sommes adressés à la seule direction médicale.
M. François Autain , président . - C'est tout de même le laboratoire !
Mme Anne Prigent . - Comme rédacteur en chef, je vérifie les données avant de les publier.
M. François Autain , président . - Vous auriez tout de même pu faire savoir aux lecteurs que l'article avait été corrigé par le laboratoire, dont la publicité ne manque pas dans votre publication.
Mme Anne Prigent . - Je ne suis pas certaine qu'il aurait été utile d'indiquer la modification d'un chiffre...
J'ai pour devoir de recouper les informations publiées dans mon journal. Etre en contact avec une direction scientifique ne me semble pas choquant.
M. François Autain , président . - Est-il exact que vous publiez surtout des articles portant sur les produits des laboratoires Servier ou de ses filiales ? Telle semble être la spécialité de « Claire Bonnot ».
Mme Anne Prigent . - Non. « Claire Bonnot » n'écrit pas spécifiquement sur Servier. Symétriquement, elle ne dispose d'aucun monopole au sujet de ce laboratoire.
M. François Autain , président . - Mme Bagouet m'a communiqué le texte de plusieurs articles, corrigés puis publiés sous son nom. L'un d'eux comportait in fine le paragraphe suivant : « Par ailleurs, une étude de quarante cas de valvulopathie chez des patients ayant été traités avec du benfluorex, publiée en ligne le 31 décembre dans European Journal of Echocardiography , montre que 40 % des patients présentaient également une hypertension artérielle pulmonaire. Jusqu'à présent, la pharmacovigilance n'avait pas permis de mettre en évidence un excès de risque d'hypertension artérielle pulmonaire chez les patients ayant pris les traitements contenant du benfluorex, contrairement à ceux traités avec du chlorhydrate de dexfenfluramine (Isoméride). »
Pourquoi avoir supprimé ce paragraphe ?
Mme Anne Prigent . - Impact médecine a pour fonction d'apporter des informations pratiques aux généralistes. L'article dont vous parlez annonçait la mise en place d'un numéro vert par l'Afssaps. Nous appliquons le principe « un papier, une idée ».
M. François Autain , président . - Il s'agissait, en l'occurrence, d'une information nouvelle et importante. Pourquoi en avoir privé les médecins ?
Mme Anne Prigent . - L'article ne portait pas sur les hypertensions artérielles pulmonaires.
M. François Autain , président . - L'information rendait pourtant le recours au numéro vert encore plus indispensable.
Mme Anne Prigent . - Les médecins savaient déjà que le benfluorex avait des effets secondaires.
M. François Autain , président . - Avez-vous publié cette information par la suite ?
Mme Anne Prigent . - Je ne sais pas.
M. François Autain , président . - Pour vous, elle n'était pas très importante...
Je sais bien que vos rapports avec les laboratoires Servier se bornent strictement à la sphère scientifique, mais, pour être crédible, vous auriez dû publier aussi des informations qui ne soient pas systématiquement favorables à ses médicaments.
Mme Anne Prigent . - Nous en avons publié !
M. François Autain , président . - Pas celle-là !
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Je précise que notre mission n'est pas judiciaire.
M. François Autain , président . - C'est exact : nous devons comprendre et nous informer, pas condamner.
Mme Anne Prigent . - Notre hebdomadaire s'accompagne d'un site mis à jour quotidiennement. Je ne peux tout me rappeler. Je vais donc vérifier ce que nous avons publié.
M. François Autain , président . - Je vous remercie.
Audition de M. Jean-Hugues TROUVIN, conseiller scientifique auprès du directeur général pour les produits biologiques, ancien directeur de l'évaluation (2001-2007), à l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) (mercredi 1er juin 2011)
M. François Autain , président . - Nous poursuivons nos travaux avec l'audition du professeur Jean-Hugues Trouvin, conseiller scientifique auprès du directeur général pour les produits biologiques, ancien directeur de l'évaluation de 2001 à 2007, à l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps).
Je vous rappelle que cette audition est ouverte à la presse et pourra être diffusée sur le site Internet du Sénat ainsi que sur la chaîne Public Sénat. En application de la législation, je vous demanderai si vous avez des liens d'intérêts avec des entreprises produisant ou exploitant des produits de santé ou des organismes de conseil intervenant sur ces produits.
M. Jean-Hugues Trouvin, conseiller scientifique auprès du directeur général pour les produits biologiques, ancien directeur de l'évaluation à l'Afssaps . - Je suis praticien hospitalier, professeur des universités et, à ce titre, je n'ai pas de liens d'intérêts avec l'industrie pharmaceutique. En revanche, je dois déclarer un lien familial : mon épouse exerce comme pharmacien responsable dans une filiale française d'un groupe pharmaceutique américain. Ce lien familial, bien antérieur à ma prise de fonctions dans le domaine de l'évaluation du médicament, a été systématiquement déclaré auprès des directeurs généraux de l'Agence du médicament puis de l'Afssaps, alors que les procédures de déclaration n'étaient pas encore en place. Par la suite, bien que les liens familiaux ne figurent pas parmi les motifs de déclaration, je les ai toujours signalés dans la case « autre ».
M. François Autain , président . - Qu'est-ce que la Drug Information Association (DIA) ? J'ai eu connaissance que vous aviez été décoré par cette association pour « services exceptionnels rendus à l'industrie pharmaceutique ». Puisque vous travaillez pour le compte de l'Etat dans une agence qui, à mon sens, défend en priorité les patients et la santé publique, je m'étonne de vous voir décoré par cette association.
M. Jean-Hugues Trouvin . - Je comprends votre étonnement. Je pondérerais toutefois la notion de « décoration ».
M. François Autain , président . - Il s'agit d'un « award » !
M. Jean-Hugues Trouvin . - Nous pourrions la qualifier plutôt de récompense ou de distinction.
M. François Autain , président . - Je vous prie de m'excuser. Une distinction n'est pas une décoration.
M. Jean-Hugues Trouvin . - Il s'agit en réalité d'un remerciement. La Drug Information Association (DIA) est une association non-profit qui réunit des autorités réglementaires et des industriels pharmaceutiques.
M. François Autain , président . - Comment est-elle financée ?
M. Jean-Hugues Trouvin . - Elle est financée par des adhésions. Cette association internationale a pour but de partager les informations.
M. François Autain , président . - L'Afssaps verse-t-elle une cotisation à cette association ? En fait-elle partie ?
M. Jean-Hugues Trouvin . - A ma connaissance, non. J'y ai présenté les résultats des travaux que nous menions dans le cadre de la conférence internationale d'harmonisation.
M. François Autain , président . - S'agit-il de l'International Conference on Harmonisation (ICH) ?
M. Jean-Hugues Trouvin . - Il s'agit effectivement de l'ICH qui réunit les industriels en parité avec les autorités réglementaires.
M. François Autain , président . - Les patients n'y ont donc pas leur place, ni les représentants des professionnels.
M. Jean-Hugues Trouvin . - Il me semble que l'ICH compte désormais des observateurs, notamment parmi les associations de patients et les professionnels. A l'époque, sous le couvert de mes activités à l'Agence européenne du médicament dans le domaine du médicament et des produits biologiques, j'ai contribué aux réunions de l'ICH. Une convention avait été passée entre la DIA et l'ICH, afin que les participants aux réunions de l'ICH puissent assister régulièrement aux réunions de la DIA pour présenter les résultats des travaux. Ces réunions étaient donc extrêmement ouvertes, à la fois aux industriels et aux autorités de santé.
M. François Autain , président . - Ne croyez-vous pas que vous exagérez un peu ? Ces réunions étaient plutôt consanguines. L'ICH comprenait les mêmes interlocuteurs que la DIA. De plus seuls le Japon, les Etats-Unis et l'Europe étaient représentés. Nous pouvons regretter que l'Organisation mondiale de la santé (OMS) n'ait pas pris en charge cette institution qui concerne pourtant tous les pays de la planète. Les laboratoires commercialisent pourtant leurs produits également dans les pays solvables du tiers-monde. Nous pourrions penser que l'une des missions de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) est de porter les études de l'association et de l'ICH à la connaissance de ces pays.
M. Jean-Hugues Trouvin . - Je dois avouer que je ne connais pas l'organisation de l'ICH. J'y étais en tant que responsable de la participation pour la partie européenne réglementaire, dans le cadre des groupes de travail et d'expertise sur les développements des médicaments biologiques et biotechnologiques. Les travaux des groupes d'experts ne permettent pas à l'ensemble des participants d'être informés de ces travaux puisque ces groupes étaient en nombre limité : quatre représentants pour la Food and Drug Administration (FDA), quatre pour le système européen, quatre pour le Japon et le même nombre pour la partie industrielle. Il fallait communiquer les résultats des travaux à l'extérieur ainsi que les justifications des décisions ou des recommandations élaborées par le système ICH dans les guidelines .
M. François Autain , président . - Pouvez-vous nous exposer les circonstances dans lesquelles vous avez obtenu de haute lutte cette distinction ?
M. Jean-Hugues Trouvin . - L'organisation DIA a dû prendre en compte le fait que j'avais accepté de participer à quelques réunions pour présenter les résultats des travaux des groupes d'experts, ce que je faisais à chaque fois avec le plein accord soit de l'autorité réglementaire européenne, soit du directeur général de l'Agence à qui j'annonçais cette mission de représentation auprès de la DIA.
M. François Autain , président . - En tant que membre de l'Afssaps, l'obtention de cette distinction vous a donc paru normale. Dès 2004, la DIA a reconnu vos mérites.
M. Jean-Hugues Trouvin . - Mon activité auprès d'ICH a commencé en 1996.
M. François Autain , président . - C'était donc avant que vous ne deveniez directeur de l'évaluation.
M. Jean-Hugues Trouvin . - C'est exact.
M. François Autain , président . - A quel titre aviez-vous débuté votre activité auprès d'ICH ?
M. Jean-Hugues Trouvin . - J'y étais alors en tant que représentant français aux groupes de travail biologie/biotechnologies puisque mon activité auprès de l'Agence européenne - et avant cela auprès du comité des spécialités pharmaceutiques à Bruxelles - a commencé bien avant ma fonction de directeur de l'évaluation.
M. François Autain , président . - Cette distinction ne vous a donc pas posé de problème.
M. Jean-Hugues Trouvin . - Il s'agissait pour moi d'une récompense « à la façon américaine », à l'image des brevets remis pour participation à des travaux ou à un meeting. Il me semble que je n'étais d'ailleurs pas présent lors de la remise de cette récompense.
M. François Autain , président . - Vous comprenez qu'à l'heure où l'on accuse - à tort ou à raison - l'Afssaps d'avoir des liens structurels et culturels avec l'industrie pharmaceutique, découvrir que tous les directeurs de l'évaluation de cette institution ont été distingués par l'industrie pharmaceutique renforce cette accusation. Il existerait des collusions et des connivences dont cette distinction pourrait être l'une des manifestations objectives.
M. Jean-Hugues Trouvin . - Je n'avais pas envisagé cette récompense comme émanant de l'industrie pharmaceutique. A mon sens, cette récompense était plutôt une reconnaissance de ma participation à l'échange d'informations sur les travaux notamment de l'ICH, l'élaboration des guidelines et des recommandations pour le développement des médicaments. Cette récompense émanait de la DIA qui est une organisation non-profit et n'est pas, à ma connaissance, sponsorisée par l'industrie pharmaceutique.
M. François Autain , président . - Ce sont uniquement les firmes pharmaceutiques qui financent cette association.
M. Jean-Hugues Trouvin . - Je vous avouerai qu'à l'époque, je ne m'étais pas intéressé de près à la question.
M. François Autain , président . - Comprenez-vous qu'aujourd'hui, nous nous intéressions à ces questions ?
M. Jean-Hugues Trouvin . - Oui, je peux le comprendre. Néanmoins dans le domaine de l'évaluation et du développement des médicaments, je pense qu'il est nécessaire de communiquer avec les industriels qui développent les médicaments.
M. François Autain , président . - Vous savez très bien que les industriels siégeaient dans toutes les commissions de l'Afssaps. Plus que de la communication, il s'agissait d'une porosité, voire d'une confusion. Il a en effet fallu que Mme Bartoli mette un terme à cela en février. Jusqu'à présent, personne n'avait relevé cette anomalie. Vous aviez considéré comme normal que les membres et les représentants des entreprises du médicament (Leem) participent de façon permanente aux réunions des groupes et commissions de l'Afssaps, alors que la réglementation ne l'autorisait pas. Il s'agissait d'un véritable problème, ne pensez-vous pas ?
M. Jean-Hugues Trouvin . - Lorsque j'étais en charge de la direction de l'évaluation, nous avions souvent soulevé cette question. Nous avions d'ailleurs rencontré, avec les directeurs généraux qui se sont succédé à l'Agence, le Leem à maintes reprises pour en discuter.
M. François Autain , président . - Vous communiquiez donc avec le Leem ?
M. Jean-Hugues Trouvin . - Les arguments avancés à l'époque pour justifier la participation du Leem aux groupes de travail et à la commission d'autorisation de mise sur le marché (AMM) étaient notamment la transmission de l'information. A l'époque où j'assurais l'organisation des commissions d'AMM, c'est-à-dire de 2001 à 2006, nous avions considéré que le Leem était présent en tant qu'invité et à titre d'information. Il ne participait évidemment pas aux débats. Dès qu'un sujet devait faire l'objet d'une discussion en vue d'une proposition de décision, comme par exemple des retraits d'AMM, le Leem était invité à quitter la salle.
M. François Autain , président . - Les rapports récemment rendus publics par l'Igas démontrent pourtant qu'en 2007, 90 % des experts en commission avaient des conflits d'intérêts graves mais n'étaient pas obligés de quitter la séance.
J'observe qu'à la différence des associations de patients, les représentants des laboratoires avaient le droit de participer à toutes les commissions et tous les groupes de travail de l'Afssaps. Le rapport de l'Igas indique que même la présence muette d'un représentant d'une firme ou d'un syndicat de firme pharmaceutique est de nature à influer sur le cours de la réunion. C'est pourquoi ce rapport préconise - et cela vient d'être fait - que les représentants des industries pharmaceutiques ne participent plus à ces commissions et à ces groupes. Jusqu'en février dernier, il a toujours existé une intrication entre l'industrie pharmaceutique et l'Afssaps. Plus qu'un partenariat, il s'agissait véritablement d'une coproduction.
Si vous le voulez bien, nous allons aborder le problème du Mediator. Quand en avez-vous entendu parler pour la première fois ?
M. Jean-Hugues Trouvin . - Lorsque je suis arrivé en 2001, le Mediator figurait sur la liste des produits en enquête de pharmacovigilance. J'ai donc entendu parler du Mediator en 2001. J'ai également entendu parler à l'époque des dérivés de fenfluramine et norfenfluramine. En effet, lorsque j'étais à l'Agence du médicament puis à l'Afssaps - non en charge de la direction de l'évaluation mais au titre de mes compétences dans le domaine des médicaments biologiques et biotechnologiques - j'étais l'un des deux représentants français au comité des spécialités pharmaceutiques au niveau européen et notamment à l'Agence européenne du médicament. A cette époque, l'ensemble des membres du comité votaient pour les décisions de retrait ou pour répondre aux questions posées par l'industrie pharmaceutique. J'ai donc entendu parler de l'Isoméride, du Pondéral puis du Mediator.
M. François Autain , président . - A cette époque-là, aviez-vous eu l'occasion d'examiner la pharmacologie de ce produit ? Pensiez-vous qu'il s'agissait d'un anorexigène ou d'un « antidiabétique mal étudié », selon la formule de l'un de vos prédécesseurs ?
M. Jean-Hugues Trouvin . - A mon sens, ce médicament était un dérivé proposé dans le traitement adjuvant du diabète mais n'était pas présenté comme un anorexigène.
M. François Autain , président . - Ce médicament n'a-t-il pas aiguisé la curiosité du service d'évaluation, en vue d'adopter une démarche proactive ? Ne vous êtes-vous pas comporté comme une véritable agence de contrôle du médicament ? N'avez-vous pas tenté d'effectuer des recherches dans la bibliographie mondiale pour vérifier s'il existait une information partiale ou partielle concernant la nature de ce médicament ? Etes-vous resté passif ?
M. Jean-Hugues Trouvin . - A chaque fois que ce produit était mentionné, notamment au sein des comités techniques de pharmacovigilance, nous avons probablement manqué de réactivité. Avec le recul, nous pouvons aujourd'hui dire qu'il y a probablement eu une erreur d'interprétation qui a sans doute été alimentée pour partie par une certaine faiblesse des signaux. Il convient de rappeler que les cas de pharmacovigilance, qui sont le plus souvent les éléments permettant de déclencher l'enquête puis la prise de décisions d'évaluation ou de réévaluation, étaient particulièrement peu nombreux.
M. François Autain , président . - Ces cas étaient tout de même graves.
M. Jean-Hugues Trouvin . - Ils étaient effectivement graves. Il était probablement difficile de déterminer rétrospectivement les facteurs déclenchants. Nous étions en 1999. Le médicament était parfois consommé ou avait été consommé en association avec des molécules comme la fenfluramine. Il y a probablement eu une non-discrimination suffisamment importante dès l'origine pour le Mediator. Ce produit n'était pas classé parmi les anorexigènes.
M. François Autain , président . - Il était classifié par l'OMS comme un anorexigène puisqu'il a été retiré des préparations magistrales.
M. Jean-Hugues Trouvin . - La classification de l'OMS en dénomination commune internationale (DCI) ou en International Nonproprietary Names (INN) repose sur la structure chimique et la parenté chimique de la molécule. La classification INN ou DCI de l'OMS ne préjuge en rien de l'usage médical ou pharmaceutique qui pourra être fait de cette molécule. C'est lors du dépôt de la demande d'autorisation de commercialisation ou éventuellement lors de l'octroi de l'AMM - au cours duquel sont attribuées les indications thérapeutiques - que peut être donnée une autre classification : la classification anatomique, thérapeutique et chimique (ATC), qui repose sur les propriétés thérapeutiques attendues de la molécule. L'INN anatomique, thérapeutique et chimique ne permettait pas de déduire les propriétés anorexigènes que l'on pouvait attendre de cette molécule, d'autant plus que les données cliniques initiales, voire les données expérimentales sur l'animal telles qu'elles ont été transmises lors du dépôt des dossiers, ne permettaient pas d'identifier une activité sur la prise de poids.
M. François Autain , président . - J'imagine que vous avez eu connaissance du rapport de l'Igas faisant référence à des études publiées dans les années 70 qui démontrent que le benfluorex est un anorexigène puissant. En outre, bien que le benfluorex ne puisse pas être considéré comme un anorexigène selon vous, il a été classé comme tel et retiré à ce titre des préparations magistrales en 1995. Vous ne pouvez pas le nier. Il est grave que l'on n'ait pas procédé de la même manière pour les spécialités pharmaceutiques. Je ne comprends pas cette incohérence. Certes, vous n'étiez pas directeur de l'évaluation à cette époque. Considérez donc qu'il s'agit d'une observation et non d'une question.
M. Jean-Hugues Trouvin . - En 2004 ou 2005, après l'accident avec les préparations magistrales à base de dérivés thyroïdiens, ceux-ci ont aussi été retirés des préparations magistrales pour usage anorexigène. Ils n'ont cependant pas fait l'objet d'un retrait d'AMM puisque leur usage dans la correction des hypo ou des hyperthyroïdies a été conservé parmi les spécialités pharmaceutiques.
M. François Autain , président . - Nous n'allons pas comparer les extraits thyroïdiens au benfluorex.
M. Jean-Hugues Trouvin . - Je pense que c'est sur la base des mêmes raisonnements qu'en 1995, le benfluorex a été retiré des préparations magistrales. Il existait alors un risque de mésusage du benfluorex compte tenu probablement de sa parenté chimique et du libellé de l'indication de l'AMM.
M. François Autain , président . - Pourquoi le benfluorex n'a-t-il pas été retiré des spécialités pharmaceutiques ?
M. Jean-Hugues Trouvin . - A l'époque, cette spécialité était présentée comme un antidiabétique.
M. François Autain , président . - Lorsque nous avons supprimé l'Isoméride, nous avons pourtant observé une augmentation de la consommation de benfluorex dans des proportions considérables. Même s'il n'était pas présenté comme un anorexigène, dans les faits il était prescrit comme tel.
M. Jean-Hugues Trouvin . - Ce produit a fait l'objet d'une enquête de pharmacovigilance.
M. François Autain , président . - Combien de temps l'enquête a-t-elle duré ? Ce n'est pas sérieux.
M. Jean-Hugues Trouvin . - La charge de la preuve d'une action pouvant conduire jusqu'au retrait de l'AMM est le plus souvent, pour ne pas dire toujours, axée sur la mise en évidence d'un risque et de cas notifiés de pharmacovigilance. Dès 1995 ou 1998, puis lorsque j'ai pris mes fonctions en 2001, il y a probablement eu une erreur d'interprétation qui s'est maintenue dans le temps. Compte tenu de la faiblesse et de la rareté des signaux, je crois que non seulement l'Agence, mais aussi les experts qui travaillaient au sein des comités techniques de pharmacovigilance et des centres régionaux de pharmacovigilance, n'ont peut-être pas eu la perspicacité suffisante pour pousser plus loin les analyses.
M. François Autain , président . - Comment expliquez-vous qu'à aucun moment, la cardio-toxicité n'ait figuré parmi les effets indésirables ? Pour que les médecins puissent songer à imputer une valvulopathie au benfluorex, encore faut-il que cet effet indésirable soit signalé dans le résumé des caractéristiques du produit (RCP). Or nous recevions quelques jours auparavant le professeur Simonneau qui nous a indiqué que cet effet indésirable n'était pas mentionné sur le Vidal, à sa grande surprise, lorsque le premier cas de valvulopathie a été signalé. Je peux comprendre que cet effet indésirable ne soit pas signalé en 1999. En revanche, je ne peux pas comprendre qu'il ne soit toujours pas mentionné en 2009 ! J'ai interrogé plusieurs personnes de l'Afssaps. Personne n'a été capable de m'expliquer cela. Peut-être pourrez-vous nous fournir une réponse.
M. Jean-Hugues Trouvin . - Lorsque le RCP est octroyé après une AMM ou une révision de l'AMM, il peut être modifié à tout moment si des informations nouvelles apparaissent. Les demandes de modification de l'information sont souvent le résultat de l'analyse des rapports périodiques de pharmacovigilance. Nous avons une absence de notification ou des cas extrêmement rares.
M. François Autain , président . - En 2007, une soixantaine de cas avaient tout de même été relevés. Or la cardio-toxicité ne figurait toujours pas parmi les effets indésirables.
M. Jean-Hugues Trouvin . - Jusqu'à ce que je quitte la direction de l'évaluation fin 2006, sachant que j'ai exercé une période d'intérim au premier semestre 2007, le nombre de cas restait relativement limité.
M. François Autain , président . - L'existence d'une soixantaine de cas était pourtant suffisante pour que la cardio-toxicité figure parmi les effets indésirables, ne serait-ce que pour informer les médecins. Vous leur demandez d'être proactifs et de déclarer les effets indésirables mais vous ne les aidez pas.
Par ailleurs, nous nous sommes aperçus que la modification d'un RCP était précédée d'une demande d'avis auprès du laboratoire. L'avis du laboratoire était souvent suivi. Il est vrai qu'en l'occurrence vous n'avez pas demandé l'avis du laboratoire mais je trouve cela profondément regrettable et inexplicable. Je pense que les patients ne le comprennent pas non plus. Il s'agit d'un dysfonctionnement grave.
M. Jean-Hugues Trouvin . - Les procédures relatives à la modification du RCP prévoient une période contradictoire avant que le directeur de l'Agence puisse notifier la décision d'un changement d'AMM. Nous avons systématiquement appliqué cette procédure contradictoire.
M. François Autain , président . - Vous trouvez donc normal que la cardio-toxicité du benfluorex n'ait figuré à aucun moment parmi les effets indésirables, compte tenu des procédures en cours. Si vous pensiez que cela était normal, il n'y avait donc aucune raison de modifier les procédures.
M. Jean-Hugues Trouvin . - Je pense qu'il est temps aujourd'hui de proposer des modifications de procédure.
M. François Autain , président . - Trouvez-vous normal que la cardio-toxicité du benfluorex n'ait pas figuré parmi les effets indésirables et ce jusqu'à la suspension de ce produit ?
M. Jean-Hugues Trouvin . - Je ne peux pas me souvenir.
M. François Autain , président . - Je ne vous demande pas si vous vous souvenez mais si cela vous paraissait normal.
M. Jean-Hugues Trouvin . - Il me semble que si les cas avaient été déclarés, reconnus et imputés par le groupe de pharmacovigilance puis par la commission de pharmacovigilance, la demande de modification de l'information aurait dû suivre la logique de cette évaluation.
M. François Autain , président . - Nous allons maintenant parler de Regulate . C'était encore une fois extraordinaire mais vous allez sans doute me dire que l'on ne pouvait pas faire autrement. Cet essai Regulate correspond à votre présence à la direction de l'évaluation.
M. Jean-Hugues Trouvin . - En 1999 ou 2000, ce produit est évoqué à plusieurs reprises au sein des comités techniques voire au sein du groupe de travail de pharmacovigilance de l'Agence européenne. Une demande complémentaire d'étude auprès de la firme a alors été déposée. Le professeur Jean-Michel Alexandre était alors directeur de l'évaluation.
Le médicament était placé sous enquête. Une série de questions a été posée à la firme pharmaceutique exploitant le produit. Ce médicament était également en discussion au niveau européen. A mon sens, il était donc entre les mains des groupes de travail et des groupes d'experts. Il était alors en revue régulière.
M. François Autain , président . - Vous ne vous en occupiez donc pas.
M. Jean-Hugues Trouvin . - Je ne dirais pas cela. Ce médicament ne faisait pas partie des priorités absolues de la direction de l'évaluation, qui devait par ailleurs mettre en place un certain nombre d'autres procédures. J'avais délégué ma compétence en la matière à l'unité de pharmacovigilance, devenue par la suite le département de pharmacovigilance. A cette époque, je dois reconnaître que j'ai suivi les procédures. Je trouve effectivement dommage - il s'agit là de mon point de vue d'ancien responsable et directeur de l'évaluation - que compte tenu des procédures en place, nous n'ayons pas de moyens de gestion supplémentaires et suffisamment proactifs pour obtenir des réponses à des questions que nous posions à l'industrie pharmaceutique. Aujourd'hui, des procédures vont être mises en place. Elles envisagent même des pénalités de retard.
M. François Autain , président . - A quel point de législation faites-vous référence lorsque vous évoquez les pénalités de retard ?
M. Jean-Hugues Trouvin . - Il s'agit du nouveau règlement sur la pharmacovigilance et de la directive de décembre 2010.
M. François Autain , président . - Vous parlez des essais post-AMM qui peuvent être demandés à tout moment par l'Afssaps.
M. Jean-Hugues Trouvin . - Absolument. En 2001, la demande d'étude tarde à être réalisée. Les études sont souvent retardées à cause de difficultés méthodologiques. Il faut d'abord s'entendre sur un protocole. Nous nous heurtons parfois à un manque de compliance de l'industriel à se plier à nos exigences.
M. François Autain , président . - S'agit-il seulement d'un manque de compliance de l'industriel ou d'un manque de fermeté de l'Afssaps ? Pensez-vous que les autorités sanitaires savent faire preuve de l'autorité qui devrait être la leur pour contraindre le laboratoire à effectuer dans des délais raisonnables des études qui conditionnent le retrait ou la suspension d'un produit ? Il est étonnant que les autorités sanitaires n'aient fait preuve d'aucune autorité. Le laboratoire faisait ce qu'il voulait. Cela a manifestement toujours été le cas. Avez-vous des objections à formuler ?
M. Jean-Hugues Trouvin . - Je pense que la fermeté ou l'autorité est aussi fonction du niveau d'alerte et de sensibilité d'un sujet. En 1999, 2000 puis 2001, le niveau d'alerte sur la cardio-toxicité de ce produit (les notifications) était relativement faible, pour ne pas dire trop faible, pour susciter une pression trop importante.
M. François Autain , président . - Il vous appartenait d'exercer la pression, dès lors qu'une étude avait été décidée avec l'accord du laboratoire et à l'initiative de l'Afssaps. Il était du devoir de l'Afssaps de faire en sorte que cette étude soit menée le plus rapidement possible, d'autant plus qu'elle nécessitait moins d'un an. Or il a fallu dix ans pour ce faire.
M. Jean-Hugues Trouvin . - Lorsqu'on formule des questions à un industriel, l'attente est fonction du niveau d'inquiétude relatif au sujet.
M. François Autain , président . - Vous n'étiez donc pas inquiets.
M. Jean-Hugues Trouvin . - Jusqu'à ce que le taux de notification augmente et soit constitutif d'une véritable alerte nous conduisant à reconsidérer nos raisonnements, je n'ai pas eu l'impression que le potentiel risque de cardio-toxicité n'ait été le sujet de priorité.
M. François Autain , président . - Cette étude a donc été prescrite prématurément.
M. Jean-Hugues Trouvin . - Non.
M. François Autain , président . - J'estime qu'une étude n'est jamais prescrite à la légère. Il y avait des raisons à ce que cette étude soit prescrite.
M. Jean-Hugues Trouvin . - Cette étude visait à obtenir des compléments d'information sur ce produit.
M. François Autain , président . - Il a pourtant fallu attendre dix ans pour obtenir une réponse. Vous êtes extrêmement patients. Les laboratoires Servier doivent vous remercier.
Mme Virginie Klès . - Vous venez de nous dire que cette étude n'était pas prioritaire. Pouvez-vous préciser quelles étaient les priorités ?
M. Jean-Hugues Trouvin . - Nous avions des procédures en cours sur les cerivastatines, le Vioxx, les immunostimulants, les antibiotiques par voie locale, qui ont consommé beaucoup d'énergie et de temps de la part de la commission nationale de pharmacovigilance et des groupes d'évaluation.
M. François Autain , président . - Recourir au niveau européen n'a pas de sens ; il s'agit d'une affaire purement française. Plus de 80 % du benfluorex étaient écoulés en France. Depuis 2003 ou 2005, le benfluorex n'était plus commercialisé en Italie.
M. Gilbert Barbier - En supposant que vous n'ayez pas été alerté par la cardio-toxicité du produit, un autre problème se posait, à savoir celui de son efficacité en tant qu'antidiabétique. Cela ne vous a-t-il pas alerté ?
En outre, il semble que des études parallèles aient été conduites à partir de 1998. En 2001, le professeur Pimpinella a clairement dit que ce produit était toxique et inefficace. Les études concomitantes entre la France et l'Italie ont été brusquement suspendues par l'Afssaps en 2001. Aviez-vous été saisi de ce problème à l'époque ? Avez-vous des explications à nous fournir ?
M. Jean-Hugues Trouvin . - C'est le laboratoire qui a retiré ce médicament du marché italien, comme il l'avait fait en Espagne, peut-être pour ne pas éveiller davantage l'attention des systèmes de santé sur son produit.
M. François Autain , président . - C'est votre opinion personnelle.
M. Jean-Hugues Trouvin . - A cette époque, cette information n'a pas été communiquée au comité technique de pharmacovigilance.
M. François Autain , président . - La barrière des Pyrénées... Même en 2003.
M. Gilbert Barbier . - Et des Alpes !
M. Jean-Hugues Trouvin . - Ce sont d'autres facteurs qui viennent s'accumuler.
M. François Autain , président . - Vous êtes bien d'accord avec moi que tout ceci n'est pas sérieux. Personne ne vous croira.
M. Jean-Hugues Trouvin . - Je ne pense pas que l'on ne puisse pas me croire lorsque je dis que l'information n'a pas été communiquée.
M. François Autain , président . - Vous pouviez aussi chercher l'information dans la littérature disponible.
M. Jean-Hugues Trouvin . - Encore une fois, le niveau d'alerte n'était pas suffisant. J'ai vraiment la conviction que les moyens dont nous disposions à l'époque ne nous ont pas permis d'être aussi réactifs et vigilants que ce vous nous proposez aujourd'hui d'être.
M. Gilbert Barbier . - Qu'avez-vous à répondre au sujet de l'efficacité du produit en tant qu'antidiabétique ?
M. Jean-Hugues Trouvin . - Dans les années 2000, l'étude Moulin montre que l'hémoglobine glyquée - qui est le premier critère d'efficacité sur le diabète de type 2 - ne faisait pas plus mal que la metformine ou l'acarbose qui étaient alors les produits de référence.
M. François Autain , président . - Monsieur le professeur, j'attire votre attention sur le fait qu'en 1999, la commission de la transparence, dans le cadre d'une réévaluation de 4 000 médicaments, a considéré que le benfluorex faisait partie, comme 835 autres produits, des médicaments ne présentant pas de service médical rendu suffisant et qu'à ce titre il ne devait plus être pris en charge par la sécurité sociale. Or, c'est en 2000 que la commission d'AMM de l'Afssaps valide une indication pour laquelle la commission de la transparence avait estimé que le benfluorex n'était pas efficace. Cette absence de communication manifeste est regrettable. Avez-vous des explications à nous fournir ?
M. Jean-Hugues Trouvin . - Le jugement de la commission de la transparence se fonde sur l'évaluation d'un service médical rendu. En revanche, le jugement de la commission d'AMM se fonde sur les indications d'un bénéfice dans un symptôme clinique donné. Les services médicaux rendus (SMR) ou ASMR sont parfois très bas pour des médicaments qui ont pourtant obtenu une AMM. De même, des médicaments qui ne font pas l'objet d'un remboursement conservent leur AMM. A l'époque des déremboursements, il me semble qu'il aurait fallu préciser qu'une absence de SMR ne signifiait pas une absence d'efficacité. Le jugement et les critères d'évaluation de la commission de la transparence se fondent sur des comparaisons éventuelles d'efficacité relative de tel produit par rapport à un autre (ASMR) mais ne se fondent pas sur l'efficacité intrinsèque d'un produit.
M. François Autain , président . - Par conséquent tout est possible.
M. Jean-Hugues Trouvin . - Non. Il existe une complémentarité des évaluations. Nous pouvons parfaitement admettre que certains médicaments soient déremboursés parce que la commission de la transparence a considéré que les gains thérapeutiques et l'importance de l'effet obtenu par de nouveaux produits commercialisés dans la classe thérapeutique concernée pouvaient être supérieurs à ceux de médicaments plus anciens. La commission de la transparence procède probablement à une réévaluation permanente du SMR ou de l'ASMR, comme il doit y avoir une réévaluation constante du rapport bénéfices-risques.
M. François Autain , président . - En 2007, la commission nationale de la pharmacovigilance et la commission d'AMM ont rendu des avis contradictoires sur le benfluorex. En effet, la commission nationale de pharmacovigilance (CNPV) était plutôt favorable à une suspension ou à un retrait, contrairement à la commission d'AMM. Ne serait-il pas préférable de donner la priorité à l'avis de la commission nationale de pharmacovigilance, sans qu'il soit absolument nécessaire que cet avis transite par l'Afssaps ? Le directeur général a finalement opté pour l'avis transmis par la commission d'AMM, à savoir le maintien du produit, ce qui nous a encore fait perdre deux ans. Il est vrai que Regulate n'avait pas encore été réalisée.
Avez-vous eu à intervenir à ce moment-là où avez-vous encore laissé les choses évoluer d'elles-mêmes ?
M. Jean-Hugues Trouvin . - Ces avis ont été rendus en mars et avril 2007. J'étais alors entre l'Agence et mes fonctions hospitalo-universitaires. Il y a eu à ce moment-là un manque de communication entre la commission nationale de pharmacovigilance et la commission d'AMM ; il aurait probablement fallu une réunion commune. Au cours des six ans de direction que j'ai assumés, j'ai organisé régulièrement - ceci figurera parmi les propositions pour l'amélioration du système de santé - tant avec le président de la commission d'AMM qu'avec le président de la commission nationale de pharmacovigilance, des réunions bipartites pour proposer une décision commune au directeur général de l'Agence. Compte tenu de cette période intérimaire, je regrette de ne pas avoir eu l'opportunité de réunir ces deux commissions pour proposer une décision au directeur général, qu'il aurait suivie ou non. Au plan purement réglementaire, je rappelle que c'est la commission d'AMM qui doit avoir le dernier mot.
M. François Autain , président . - Nous pouvons changer cette disposition.
M. Jean-Hugues Trouvin . - Il faudrait, en effet, proposer la réunion d'un comité plus élargi, réunissant à la fois les spécialistes de l'évaluation du bénéfice et les spécialistes de l'évaluation du risque, pour mener une véritable évaluation voire une réévaluation du bénéfice-risque.
M. François Autain , président . - Monsieur le professeur, je vous remercie.
Audition de M. Alain-Michel CERETTI, conseiller santé auprès du Médiateur de la République, auteur d'un rapport sur le bilan et les propositions de réforme de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé (mercredi 1er juin 2011)
M. François Autain , président . - Nous poursuivons nos auditions avec M. Alain-Michel Ceretti, conseiller santé auprès du Médiateur de la République et auteur d'un rapport relatif aux droits des malades et à la qualité du système de santé, dont je vous recommande la lecture. Ce rapport est très intéressant car il fait le bilan de l'application de la loi relative aux droits des malades et propose des réformes. Nous aurons l'occasion de vous poser des questions à ce sujet.
Je vous rappelle que cette audition est ouverte à la presse et fera l'objet d'une diffusion sur le site Internet du Sénat et éventuellement sur la chaîne Public Sénat. Puisque vous n'êtes pas médecin, je n'ai pas à vous demander si vous avez des liens d'intérêts avec l'industrie pharmaceutique. Souhaitez-vous intervenir sur ce point ?
M. Alain-Michel Ceretti, conseiller santé auprès du Médiateur de la République . - Je tiens à préciser que Xavier Bertrand m'a confié la présidence du groupe 4 dans le cadre des Assises du médicament. J'ai remis mon rapport hier au rapporteur général, à l'occasion d'une rencontre devant une centaine de personnes dans l'amphithéâtre de la Salpêtrière. Les propositions de réforme du système du médicament suite à l'affaire du Mediator ont fait l'objet d'une présentation détaillée à l'ensemble de la profession.
M. François Autain , président . - Pourra-t-on obtenir ce document ?
M. Alain-Michel Ceretti . - Oui. Nous sommes en train de finaliser l'écriture sur des points de détail. Les présidents des groupes de travail rendent leur rapport aujourd'hui à Edouard Couty qui est le rapporteur général. Celui-ci doit rendre une synthèse de ces rapports aux ministres courant juin.
M. François Autain , président . - Nous souhaitons uniquement obtenir le rapport que vous avez remis à M. Couty.
M. Alain-Michel Ceretti . - Nous pourrons en parler. Les échanges d'hier ont été filmés.
M. François Autain , président . - Souhaitez-vous faire une intervention liminaire ?
M. Alain-Michel Ceretti . - Non.
M. François Autain , président . - J'ai une question à vous poser concernant les actions de groupe. Vous proposez d'autoriser les actions de groupe dans le domaine sanitaire. Une mission d'étude sénatoriale sur ce sujet a récemment préconisé les actions de groupe à l'exclusion du domaine de la santé. Cela me paraît regrettable. J'aimerais donc entendre les raisons pour lesquelles vous faites cette proposition.
M. Alain-Michel Ceretti . - Mes raisons sont d'abord personnelles. Il convient de rappeler mon parcours professionnel. Je suis chef d'entreprise dans l'industrie électronique, sans lien avec le médicament. Mon épouse a malheureusement fréquenté la Clinique du Sport. Elle a été opérée en 1991. Une infection vertébrale l'a paralysée. L'établissement ne l'a pas prise en charge. Il a fallu presque sept ans pour qu'un diagnostic soit posé. En 1997, ma femme et moi avons établi le lien de causalité entre l'opération initiale et l'infection. D'autres personnes avaient été touchées ; elles fréquentaient le même établissement à Paris. La question d'une action judiciaire collective s'est donc posée rapidement. Nous avons créé l'association des victimes du xénopi, du nom de la bactérie. Puis cette association s'est transformée, en lien avec les infections nosocomiales.
Ma première démarche, en tant que président de l'association, a été d'obtenir des pouvoirs publics qu'ils mettent en place des moyens permettant de retrouver les malades. Nous avons dépisté 15 000 personnes et retrouvé 60 contaminées. La deuxième étape a été de trouver une solution d'indemnisation rapide avec les compagnies d'assurance. J'ai une formation personnelle et presque familiale en matière d'assurance. Axa, qui était l'assureur principal de l'établissement, a rapidement accepté le principe de l'indemnisation de l'ensemble des victimes et par la suite de se rembourser auprès des autres assureurs en fonction des responsabilités établies. Les plaintes ont été déposées en 1997. La première instance a eu lieu fin 2009, avec des condamnations de prison ferme en mars 2010. Aujourd'hui nous attendons l'appel.
Les personnes qui n'ont pas pu bénéficier de l'accord que j'ai signé avec Axa pour l'ensemble des victimes, volontairement ou involontairement, sont en cours d'indemnisation pour des préjudices survenus entre 1990 et 1993.
La class action n'existant pas, nous avons proposé à un avocat de mutualiser les coûts pour prendre en charge l'ensemble des dossiers pour les personnes qui le souhaitaient. Nous avons trouvé un avocat qui a porté à lui seul 90 % des affaires. Il avait le sens de l'intérêt général pour les victimes. Cet avocat est devenu familier des magistrats, des compagnies d'assurance et des experts judiciaires. Cette intimité a permis de faire progresser les dossiers très rapidement.
Les affaires sanitaires sont les plus compliquées. Lorsque j'ai plaidé pour la loi du 4 mars 2002, j'ai rencontré un certain nombre de vos collègues et confrères médecins. Nous avions beaucoup parlé des infections nosocomiales. A l'époque, la jurisprudence était extrêmement favorable puisque le doute profitait à la victime. En effet, il n'appartenait plus à la victime de démontrer la faute mais il appartenait à l'établissement privé de démontrer qu'il n'avait pas commis de faute. Dans tous les autres domaines, il fallait que le lien de causalité soit certain et la faute prouvée. Lorsque le lien de causalité est incertain, il ne profite pas à la victime.
Dans le cadre du Mediator, nous n'allons pas opérer les personnes uniquement pour démontrer que les complications cardiaques sont bien liées à ce médicament. Cette question s'était posée pour le xénopi. Certaines personnes avaient été opérées de nouveau pour reconstruire les vertèbres. Pour d'autres personnes, en revanche, les antibiotiques ont suffi. Cependant nous ne disposions pas de la preuve bactériologique. Elle nécessite d'effectuer un prélèvement de l'os de la colonne vertébrale pour le mettre en culture. La présomption ne suffisait pas aux compagnies d'assurance.
M. François Autain , président . - Il est d'ailleurs possible que le prélèvement n'apporte pas la preuve.
M. Alain-Michel Ceretti . - Il est même possible, en effet, que ce prélèvement crée des complications supplémentaires ; qui en serait alors responsable : le juge, l'expert ?
In fine , le doute a profité à la victime. La loi du 4 mars 2002 était claire : il faut un lien de causalité certain et une faute démontrée. On peut avoir une pathologie cardiaque et avoir pris du Mediator sans qu'il n'existe un lien entre les deux, sachant que 100 % des patients qui ont pris du Mediator ne vont pas développer une pathologie cardiaque. A l'inverse, 100 % des personnes qui ont pris du Mediator et développé une pathologie cardiaque ne peuvent pas affirmer à 100 % ce lien de causalité.
C'est pourquoi les victimes ont besoin d'avocats compétents sur ces questions très techniques. Nous avons donc intérêt à ce que l'avocat gère un maximum de dossiers pour augmenter ses compétences. L'affaire de la Clinique du Sport l'a démontré. De ce point de vue, l'action collective protège surtout ceux qui n'ont pas les moyens de se payer ce type d'avocat. Elle aide les plus faibles en termes de compétences et de revenus ; ce sont souvent les mêmes.
M. François Autain , président . - Vous plaidez ainsi en faveur de l'action collective.
M. Alain-Michel Ceretti . - Je ne savais pas que le Sénat s'intéressait à ce sujet tout en excluant le domaine sanitaire. Cela me rappelle une disposition de la loi Kouchner permettant aux associations agréées de santé de se porter partie civile au nom de l'intérêt public. Or, les parlementaires ont introduit une modification interdisant le bénéfice de cette disposition aux affaires de santé. Ils proposaient que seules les associations agréées puissent se porter partie civile dès lors qu'elles se fondaient sur une plainte d'une victime, avec l'accord de celle-ci. Il ne s'agissait donc plus d'une action directe mais indirecte.
Dans l'affaire de l'Hôpital Pompidou en 2001 (épidémie de légionnelle), une personne avait perdu son mari. C'était la seule partie civile. Aujourd'hui, le dossier de cette personne est entre les mains du pôle santé du tribunal de grande instance de Paris. Cette dame est venue me demander que l'association se porte partie civile en son nom. Je lui ai répondu que la loi l'interdisait. En réalité, j'indique dans mon rapport qu'il n'existe pas une seule affaire dans laquelle une association agréée se soit portée partie civile. Or les personnes adhèrent à l'association en espérant que cette association se porte partie civile.
Le Parlement a simplement voulu protéger la caste médicale. Les médecins parlementaires n'ont pas protégé l'intérêt général ; ils ont protégé leurs confrères.
M. François Autain , président . - Ne pensez-vous pas qu'il existe des préoccupations d'un autre ordre, par exemple le lobbying de l'industrie pharmaceutique ?
M. Alain-Michel Ceretti . - L'industrie pharmaceutique n'a pas développé d'arguments lors de ces échanges.
Nous sommes face à l'un des premiers grands scandales relatifs au médicament. J'ai suivi beaucoup d'affaires sanitaires. Je n'ai pas le souvenir que l'affaire du Vioxx ait eu un fort retentissement en France.
M. François Autain , président . - Le Vioxx a simplement été retiré du marché.
M. Alain-Michel Ceretti . - Je pense que non seulement l'industrie du médicament, mais plus largement le monde médical, ne souhaitent pas voir se développer l'action collective dans le domaine sanitaire. Une affaire du type de celle des irradiés d'Epinal serait de nature à faire exploser les indemnisations. Si l'accès à l'indemnisation devient presque gratuit grâce à l'action collective, personne ne refusera de se rallier à l'action collective pour des raisons économiques. Aujourd'hui la question pécuniaire en constitue le frein principal.
M. François Autain , président . - Votre position est extrêmement claire. Nous en tiendrons compte dans notre rapport pour faire une proposition qui aille dans ce sens.
M. Alain-Michel Ceretti . - Si le législateur estime que les actions de groupe ne sont toujours pas justifiées malgré l'affaire du Mediator, nous ne pourrons rien changer à la législation pendant vingt-cinq ans.
M. François Autain , président . - Il ne suffit pas qu'on propose l'action collective pour qu'elle soit mise en application. Néanmoins je vais tout mettre en oeuvre pour la proposer.
J'aimerais connaître votre avis sur la proposition actuelle du Gouvernement en matière d'indemnisation des victimes du Mediator. Je souhaiterais également savoir votre opinion sur cet empilement de fonds créés à l'occasion de drames sanitaires (Sida, hépatite C, amiante, Mediator, demain peut-être pour le lactose...). Ne faut-il pas réfléchir à un fonds permanent vers lequel orienter les victimes, leur permettant ainsi d'être dédommagées beaucoup plus rapidement ?
M. Alain-Michel Ceretti . - Nous disposons d'un bel outil : l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (Oniam). La situation des victimes d'accidents sanitaires est en effet meilleure depuis l'Oniam. Toutefois, l'Oniam n'a pas été construit pour gérer des problèmes sériels mais des situations individuelles (une difficulté opératoire, une infection nosocomiale). Par la suite, l'Oniam a récupéré le contrôle et le pilotage des fonds antérieurs à son existence. Grâce à la compétence, à l'intelligence et à la vivacité de son directeur actuel, l'Oniam a bien fonctionné dans l'affaire sérielle des irradiés d'Epinal. Il s'agissait de commencer à indemniser les personnes avant d'obtenir les expertises nécessaires pour les indemniser de façon définitive et donc d'effectuer une avance à la place de l'assureur.
Il faut conserver cet outil. Le personnel de l'Oniam est compétent car habitué à régler des sinistres corporels. En revanche la dotation financière de l'Oniam doit être à géométrie variable. Toutes les règles applicables aux accidents médicaux (seuils de gravité etc.) doivent être mises de côté pour envisager un traitement particulier. Nous devons abonder avec de l'argent frais - souvent issu de l'assurance maladie - l'Oniam, qui commence à indemniser pour récupérer ses fonds plus tard. Contrairement aux victimes, l'administration a le temps. N'oublions pas que le grand cynisme des compagnies d'assurance est de jouer sur le temps. Plus la victime vieillit, moins cela devient rentable pour elle de jouer sur le temps pour améliorer son indemnisation.
M. François Autain , président . - Vous ne m'avez pas dit ce que vous pensiez de la mise en place d'un éventuel fonds pérenne destiné à indemniser toutes les victimes des accidents médicamenteux de produits commercialisés par n'importe quelle firme pharmaceutique.
M. Alain-Michel Ceretti . - Parlez-vous d'un fonds public ?
M. François Autain , président . - Non, j'imagine un fonds alimenté par des cotisations de la part des laboratoires, sur le mode du système existant pour les accidents du travail dans les entreprises accidentogènes. Ce système préventif exonérerait peut-être les laboratoires de rendre des comptes devant la justice, sauf en cas de faute. Cela permettrait de créer une structure capable d'intervenir en urgence, sans qu'il soit besoin de recourir à des dispositions exceptionnelles. Un tel système impliquerait un changement de paradigme.
M. Alain-Michel Ceretti . - Si l'on évoque uniquement les problèmes de santé, se pose en filigrane la question de la responsabilité. C'est l'affaire du Mediator qui nous amène à réfléchir à ces questions. Dans le cadre du Mediator, nous avons tout lieu de penser à l'existence d'une faute.
M. François Autain , président . - Pensez-vous que la faute incombe seulement aux laboratoires Servier ?
M. Alain-Michel Ceretti . - Non. D'une manière générale, des responsabilités seront établies, qu'il s'agisse de Servier ou de responsabilités publiques peut-être. Il est difficile de considérer que le Mediator serait un accident sans faute. D'ailleurs, que serait un accident sans faute dans le domaine du médicament ?
M. François Autain , président . - Prenons l'exemple des médicaments qu'on utilise dans la goutte. Ces médicaments peuvent générer le syndrome de Lyell. Nous savons qu'il y aura un certain nombre de victimes, sans que nous puissions pour autant en imputer la responsabilité à une disposition génétique particulière. C'est inévitable.
M. Alain-Michel Ceretti . - L'Oniam indemnise ces cas.
M. François Autain , président . - Il semblerait que l'imputabilité ne soit pas toujours admise par les tribunaux saisis. Il faut faire quelque chose.
M. Alain-Michel Ceretti . - L'Oniam est compétent en matière de produits de santé. Il indemnisera au titre de la solidarité nationale dès lors qu'il n'y a pas de faute et que les conséquences de l'accident sont d'un certain niveau de gravité. Nous avons abaissé les seuils très récemment ; nous pourrions encore les baisser. Il faut que le lien de causalité soit parfait et démontré.
Créer un fonds qui indemnise sur une présomption d'imputabilité revient à sortir du champ légal de la responsabilité - médicale ou non - pour remettre en cause les règles d'assurance et faire supporter une présomption de lien de causalité comme celle qui pèse sur les infections nosocomiales. C'est pourquoi les assureurs ont menacé en 2003 de ne plus assurer. Dans le cadre de la loi du 30 décembre 2002, il a été proposé que seule une partie des infections nosocomiales soit de la responsabilité des assurances. En effet, les assureurs ont estimé qu'ils ne pouvaient pas payer les conséquences d'un risque incertain, ce qui est compréhensible.
Vous proposez aux victimes d'avoir un niveau d'exigence très inférieur à ce qui serait demandé dans un tribunal par un juge ou un expert, ou à l'amiable par une compagnie d'assurance. Je trouve qu'il s'agit d'une bonne proposition.
M. François Autain , président . - Cette proposition émane d'une association de victimes du syndrome de Lyell et de Stevens Johnson. Je la teste auprès de vous qui êtes un spécialiste.
M. Alain-Michel Ceretti . - Il faudra nécessairement faire une sélection à l'entrée. Or, cela va nourrir des sentiments d'injustice. Faut-il indemniser les personnes pour lesquelles le lien de causalité n'est pas établi ? A quel titre ?
M. François Autain , président . - Ce problème se posera quelle que soit la nature du fonds. Nous ne pouvons évidemment pas résoudre tous les problèmes.
M. Alain-Michel Ceretti . - L'accord que j'avais conclu avec Axa dans le cadre de l'affaire de la Clinique du Sport était satisfaisant. Le lien de causalité était clair. Nous avions une liste établie par le ministère de la santé. Nous n'avions pas déterminé de seuil de gravité. Or, tant que les expertises ne sont pas menées, l'indemnisation ne peut pas être faite. Nous avions donc sélectionné deux types de malades sur la base de deux critères : la reprise chirurgicale réparatrice ou l'antibiothérapie longue. Les victimes qui ont bénéficié de l'antibiothérapie longue ont touché 10 000 euros. Les personnes qui ont bénéficié de l'antibiothérapie longue et de la chirurgie lourde ont vu doubler leur indemnisation. Cela a permis aux victimes de bénéficier immédiatement d'une somme importante pour un lien de causalité établi. La part variable de l'indemnisation a été déterminée en fonction des résultats de l'expertise. Les conséquences d'un même accident médical peuvent être très différentes d'un cas à l'autre. Quels que soient le fonds et sa formule de financement, nous n'échapperons donc pas à une expertise qui déterminera les conséquences exactes pour chacune des victimes.
M. François Autain , président . - Nous allons maintenant aborder les Assises du médicament. Pouvez-vous nous résumer les conclusions auxquelles est parvenu votre groupe à l'issue de quatre mois de réflexion ? Je rappelle que votre groupe est intitulé « développer l'information sur les produits de santé ».
M. Alain-Michel Ceretti . - Sept thèmes ont été abordés :
- la formation initiale des médecins sur le médicament ;
- la formation médicale continue ;
- la visite médicale ;
- la prescription en dénomination internationale commune (DCI) ;
- l'information médicale disponible pour le médecin (bases de données) ;
- l'information disponible pour le grand public ;
- l'information médicale en temps de crise.
Mme Irène Frachon a participé activement à ce groupe. La présence des laboratoires était très importante.
M. François Autain , président . - C'est ce que nous a dit votre président, M. Couty.
M. Alain-Michel Ceretti . - Je vais vous exposer ce qui m'a surpris en tant que citoyen non médecin et qui a d'ailleurs été rappelé hier par Michel Chassang, qui a souhaité prendre la parole sur la question de l'AMM et de la prescription hors AMM. Nous avons évoqué la formation initiale et l'information sur le médicament durant l'activité médicale. La question des logiciels de prescription s'est posée.
J'ai été abasourdi de constater que la formation initiale en pharmacologie était absente, voire ténue. J'ai utilisé un terme hier qui n'a pas plu aux représentants du Conseil de l'Ordre. Ce terme n'est pas méchant ; il est simplement la conséquence de cette incompétence, incompétence voulue semble-t-il puisqu'en faisant en sorte que la pharmacologie soit presque absente des études de médecine, l'on reporte la compétence sur le pharmacien. Nous observons ainsi une « porosité » de la promotion du médicament auprès des médecins et notamment des médecins isolés dans leur cabinet, pour qui l'information sur le médicament est issue à 90 % de la visite médicale et à 10 % éventuellement de la revue médicale qu'ils lisent. D'ailleurs l'indépendance de la presse médicale à l'égard de l'industrie n'est pas démontrée.
M. François Autain , président . - C'est une litote à laquelle je souscris.
M. Alain-Michel Ceretti . - Cela fait partie de mes propositions. Dès lors que ces revues veulent être reconnues dans le cadre du développement professionnel continu ou de la formation continue, elles devront répondre à un strict cahier des charges en matière de publicité, dont la part devrait être limitée à 10 % ou 15 % maximum.
M. François Autain , président . - Vous voulez leur mort !
M. Alain-Michel Ceretti . - Les syndicats de ces revues revendiquent 20 %. Ils sont inquiets.
S'agissant de la prescription hors AMM, Michel Chassang a dit hier : « Les médecins savaient-ils au moins ce qu'est l'AMM ? »
La formation initiale ne donne pas aux médecins les outils nécessaires à l'exercice d'un esprit critique à l'égard d'une industrie omniprésente, laquelle « surfe » allègrement sur cette compétence à géométrie très variable. La promotion des médicaments est souvent la seule information dont dispose le médecin, lequel est par ailleurs demandeur d'information sur les médicaments.
J'ai en outre été surpris que l'Afssaps exerce un contrôle a priori de l'information à destination du public mais un contrôle a posteriori sur l'information à destination des médecins.
M. François Autain , président . - Cela fait partie des propositions que j'avais formulées en 2005 dans le rapport sénatorial Restaurer la confiance . Je vous souhaite bien du courage. Nous allons le proposer à nouveau.
M. Alain-Michel Ceretti . - Monsieur le sénateur, j'ai appris très récemment que la commission de la publicité à l'Afssaps avait un retard de près de deux mille dossiers, soit un temps de traitement d'un an à un an et demi. Cela signifie qu'elle se prononce une fois la campagne publicitaire passée. Si les médecins sont imperméables à la publicité, ils n'ont pas fait de mauvaises prescriptions hors AMM. Or ce n'est pas du tout ce que nous avons démontré lors de ces Assises.
M. François Autain , président . - Les médecins seraient bien les seules personnes totalement imperméables à la publicité. Ce seraient des surhommes !
M. Alain-Michel Ceretti . - Lorsque j'ai auditionné M. Gilles Bouvenot, il m'a dit en souriant qu'il recevait parfois des visiteurs médicaux, dans un cadre professionnel. Le dernier visiteur médical lui a vanté les mérites d'une molécule à ASMR V, en lui rappelant que V était la meilleure note. Gilles Bouvenot a beaucoup ri mais combien de médecins l'ont pris pour argent comptant ? Tant que les compétences des médecins en matière de pharmacologie ne seront pas renforcées, nous devons être vigilants à l'égard de la publicité et de la visite médicale. L'industrie pharmaceutique se comporte un peu comme Tartuffe.
J'ai reçu de nombreux visiteurs médicaux ; certains m'ont été envoyés par le Leem. Entre les deux, les discours n'étaient pas les mêmes. Au cours des vingt dernières années, leur métier a changé de par la capacité de leur employeur à disposer d'informations de plus en plus précises sur les habitudes de prescription des médecins de leur région. En tant que citoyen français, j'ai été extrêmement choqué que ces informations puissent non seulement être disponibles mais aussi commercialisées. Il s'agit ni plus ni moins des prescriptions de nos médecins transmises par les pharmacies de ville à une société américaine de surcroît Health pharmaceutical intelligence (IMS). Un tiers de confiance anonymise ces données, les renvoie vers l'IMS qui les vend à prix d'or sans doute aux laboratoires.
M. François Autain , président . - Je vous signale que l'Institut de recherche et documentation en économie de la santé (Irdes) utilise aussi les données de l'IMS.
M. Alain-Michel Ceretti . - Ces données sont pertinentes ; tout dépend de l'usage qu'on en fait. Lorsqu'on les utilise pour cibler des médecins qui ne prescrivent pas assez de molécules inefficaces, je ne vois pas où se situe l'intérêt général !
Nous devons donc rendre les laboratoires un peu myopes. Je propose d'interdire non pas cette commercialisation, mais qu'elle ne descende pas en dessous du département, de sorte que l'employeur d'une équipe de visiteurs médicaux n'ait pas les chiffres de prescription officine par officine au sein d'un même arrondissement. Les visiteurs médicaux considèrent d'ailleurs que leur métier a été dénaturé : il consiste à fournir de l'information aux médecins mais on leur demande aujourd'hui de réaliser du chiffre.
Le Leem a admis qu'il est problématique que la part variable des visiteurs médicaux soit exclusivement liée à la vente de boîtes. Comment admettre la moralité de la visite médicale si la part variable des visiteurs médicaux tient non à des indicateurs de qualité mais à des résultats commerciaux ? La visite médicale représente le « quart monde » de l'industrie du médicament : ils ne sont pas bien payés ni toujours bien traités. Il faut que ces personnes voient leur métier revalorisé, si ce n'est sur le plan financier. C'est pourquoi je propose que la part variable de leur rémunération (20 % de la rémunération globale) soit assise sur des critères de qualité. Les Etats-Unis ont bien mis en place un programme d'amélioration de la qualité de la visite médicale. Il s'agit de mesurer la qualité de la visite médicale et de sanctionner fortement les dérives. Il est demandé aux médecins de participer à l'information sur les dérives. Un numéro vert ainsi qu'un site Internet dédié ont ainsi été mis en place pour qu'ils puissent témoigner de la mauvaise qualité de la visite médicale qu'ils viennent de recevoir. La Food and Drug Administration (FDA) applique des amendes très lourdes.
Les laboratoires ont demandé au centre de gestion, de documentation, d'informatique et de marketing (CeGeDIM) de mettre en place un programme d'évaluation de la visite médicale à partir de médecins sentinelles chargés de noter les visiteurs médicaux.
M. François Autain , président . - Une opération de ce type avait déjà été lancée par la revue Prescrire . Elle a été abandonnée il y a quelques années.
M. Alain-Michel Ceretti . - Le Leem a officiellement fait une proposition écrite aux Assises du médicament pour demander la mise en place d'un observatoire de la qualité de la visite médicale et remettre en cause la part variable de la rémunération des visiteurs médicaux exclusivement fondée sur les volumes de ventes de boîtes. J'ai eu une altercation avec M. Lajoux car il estimait scandaleux d'évoquer l'hypothèse même d'une part variable qui ne soit pas liée au moins en partie à un volume de boîtes. Or ce n'est que la démonstration de ce qu'est la visite médicale, sinon elle n'existerait pas ! Il a demandé un statut de la promotion et de la publicité du médicament.
Comme nous nous apercevons que l'information sur les médicaments dont disposent les médecins provient pour l'essentiel de la visite médicale, nous essayons de lui donner un enrobage satisfaisant. Cependant nous n'y arriverons jamais : c'est de la publicité.
Mme Virginie Klès . -Vous avez beaucoup parlé des médecins mais très peu des pharmaciens. Ils font tout de même partie de la chaîne du médicament. J'ai le sentiment que leur formation en pharmacologie est meilleure que celle des médecins. Ils ont des responsabilités au moins théoriques puisqu'ils sont censés vérifier les ordonnances qu'ils reçoivent et peuvent vendre un certain nombre de médicaments sans ordonnance. Ils reçoivent aussi des visiteurs médicaux. Ne devons-nous pas juridiquement élargir leur rôle, tant en sentinelle qu'en contrôle au regard de la vente de médicaments ?
M. Alain-Michel Ceretti . - Je vous renverrai vers mon rapport. Les pharmaciens étaient très présents dans les Assises du médicament et notamment dans le groupe IV, pharmaciens d'officine compris.
Le groupe propose, sauf si le malade ne le souhaite pas, que l'affection figure sur l'ordonnance, pour que le pharmacien puisse détecter les aberrations éventuelles. Cela permet aussi d'effectuer un suivi du lien entre la pathologie et le médicament. Le Conseil de l'Ordre des médecins s'est montré très défavorable à cette proposition. En fait, je ne pense pas qu'il s'agisse de la position du Conseil de l'Ordre mais de celle de la personne qui s'est exprimée, le Conseil de l'Ordre n'ayant pas débattu avec nous sur cette affaire. Il faut que l'information figure dans le dossier pharmaceutique. Ce dossier doit pouvoir jouer un rôle de sentinelle ; la pharmacovigilance en découle. Alors que j'ai représenté pendant plus de dix ans les usagers, me dire qu'il s'agit d'un retour en arrière sur le secret médical, c'est faire une insulte à l'intelligence des patients.
Mme Virginie Klès . - Le pharmacien n'est pas stupide. Neuf fois sur dix, il sait pour quelle affection l'ordonnance a été prescrite.
M. Alain-Michel Ceretti . - Il y a parfois plusieurs affections.
M. François Autain , président . - Je dois interrompre cette audition qui a été particulièrement intéressante. Je vous en remercie.
M. Alain-Michel Ceretti . - Merci de m'avoir reçu.
Audition de MM. Didier DELMOTTE et Jérémie SÉCHER, membres titulaire et suppléant de la commission de déontologie (formation spécialisée compétente pour la fonction publique hospitalière) (mercredi 1er juin 2011)
M. François Autain , président . - Nous poursuivons nos auditions avec MM. Didier Delmotte et Jérémie Sécher, membres titulaire et suppléant de la commission de déontologie (formation spécialisée compétente pour la fonction publique hospitalière). Je vous signale que cette audition est ouverte à la presse et qu'elle sera diffusée sur le site Internet du Sénat et éventuellement sur la chaîne Public Sénat. Nous avons souhaité vous auditionner pour évoquer le problème que peut poser le passage de fonctionnaires dans l'industrie pharmaceutique et inversement, et connaître votre pratique sur ce sujet. Vous pouvez commencer par une déclaration liminaire.
M. Jérémie Sécher, membre suppléant de la commission de déontologie . - Je tiens à vous remercier de votre invitation à cette audition. Nous représentons la Fédération hospitalière de France (FHF) au sein de la commission de déontologie. C'est donc à ce titre que je me permets de souligner que nous allons nous exprimer sur le sujet qui est le nôtre aujourd'hui.
La commission de déontologie est compétente pour se prononcer dans le champ de la fonction publique hospitalière sur l'appréciation d'un certain nombre de conflits d'intérêts lorsqu'un fonctionnaire de la fonction publique hospitalière est amené à envisager une activité dans une organisation privée, qu'elle soit à temps complet ou à temps partiel. L'hôpital public est évidemment concerné par les préoccupations de transparence et de régulation en la matière. Les hôpitaux publics emploient environ un million de professionnels, dont 800 000 fonctionnaires. Chaque année, 13 milliards d'euros sont dépensés pour des prestations médicales ou des services. Ces établissements sont des acteurs économiques importants pour la santé et ont des relations régulières avec les industriels, organisations et entreprises variés qui interviennent dans le champ de la santé.
Pour apprécier ces situations, il convient de se poser deux questions différentes. La première concerne les fonctionnaires et la deuxième les agents publics, en l'occurrence les médecins. Si vous le voulez bien, je traiterai le premier sujet et M. Delmotte évoquera le second dans le cadre de cette audition.
S'agissant du premier sujet, la commission de déontologie a eu une appréciation constante des situations qui lui sont proposées. Elle examine les relations qui ont eu lieu ou ont pu avoir lieu depuis trois ans entre un professionnel et une organisation donnés. Il est ensuite possible de déterminer la compatibilité ou non d'exercer soit un cumul d'activité, soit une activité par voie de détachement ou de disponibilité auprès d'une organisation privée. La commission de déontologie applique donc le critère des trois ans d'exercice apurés de tout lien avec une organisation privée. Les professionnels plus spécifiquement concernés par ce type de question sont d'une part, les décideurs, d'autre part, les acheteurs publics puisque la fonction achat public est assez importante dans les hôpitaux.
Concernant les décideurs publics, la question posée est celle du dirigeant hospitalier qui est amené à passer un certain nombre de marchés avec des entreprises privées ou des laboratoires. De ce point de vue, la Fédération hospitalière de France souscrit parfaitement aux propositions qui ont été effectuées par la mission de prévention des conflits d'intérêts. Il nous semble qu'au-delà des dispositions existantes que je viens d'évoquer - l'examen de la compatibilité de la fonction envisagée par rapport aux trois ans d'exercice passés - il convient d'adopter une logique de déclaration préalable d'intérêts, notamment pour les chefs des plus gros établissements tels que les emplois fonctionnels et les directeurs généraux de CHU.
La deuxième catégorie professionnelle plus spécifiquement concernée par la question des conflits d'intérêts est celle des acheteurs publics au sein des hôpitaux. Chacun doit garder à l'esprit que la fonction publique hospitalière a été très fortement professionnalisée ces dernières années et fait l'objet d'un encadrement très strict en vertu du code des marchés publics. Cet encadrement contribue largement en pratique à la prévention des difficultés, même si cela n'empêche pas les professionnels concernés d'être examinés assez régulièrement par la commission de déontologie sous l'angle de la compatibilité de leurs fonctions.
M. Didier Delmotte, membre titulaire de la commission de déontologie . - Pour le corps médical, deux types de problèmes se posent. Le premier est celui de l'installation. Jérémie Sécher pourra peut-être continuer à en parler car il a suivi le sujet du départ d'un médecin de l'hôpital et de son installation dans le secteur privé. Une nouvelle jurisprudence de la commission de déontologie s'applique désormais à ce sujet. Le second type de problème est celui du lien avec l'industrie pharmaceutique, que j'évoquerai plus particulièrement.
M. Jérémie Sécher . - La commission de déontologie est amenée depuis quelques mois à se prononcer sur des situations relatives au personnel médical, ce qui n'était pas son habitude, pour étudier les situations dans lesquelles un médecin hospitalier est amené à quitter l'établissement hospitalier pour aller travailler dans une clinique privée. La jurisprudence récente de la commission de déontologie sur le sujet est néanmoins constante. Si le départ du praticien hospitalier vers une clinique privée de l'agglomération ou de la commune a des conséquences de nature à déstabiliser le service public et à être appréciées de façon défavorable sous l'angle de la déontologie, la commission considère que l'avis de compatibilité ne peut être rendu que sous réserve d'une non-installation dans la commune ou l'agglomération des établissements de santé pour une période de trois ans. Nous retrouvons donc cette périodicité qui prévaut de manière plus générale pour les personnels fonctionnaires.
M. Didier Delmotte . - Si vous le permettez, je vais surtout évoquer les problématiques de l'expertise scientifique médicale et de la transparence de cette expertise médicale. J'étais encore directeur général de CHU il y a quelques jours. Les établissements hospitaliers sont très concernés par ce sujet car les experts sont des hospitalo-universitaires, qui sont des hospitaliers la plupart du temps. Or nous devons assurer la transparence et l'indépendance de l'expertise, à la fois lorsque l'expertise a lieu dans l'établissement universitaire et lorsqu'elle a lieu dans les différentes agences.
Les CHU jouent un rôle important en termes de soins mais également d'enseignement et de recherche. Ils sont principalement tournés vers la recherche clinique et les essais cliniques. C'est dans ce cadre que nous retrouvons la problématique des conflits d'intérêts. La problématique est celle du lien direct qui s'établit entre l'expérimentateur - que l'on appelle souvent le leader d'opinion - et le laboratoire pharmaceutique. Cela pose des problèmes d'indépendance, de transparence et de liberté d'action.
Les lois de 1993 reprises par M. Kouchner ont veillé à ce que la rupture du lien entre l'industrie pharmaceutique et l'expert scientifique soit assurée. Or cela s'avère très difficile à mettre en oeuvre au sein d'un établissement. Je vous parle d'expérience, pour l'avoir vécu pendant des années. Nous avons du mal à faire passer le message auprès des investigateurs. Nous intervenons dans la commission médicale d'établissement avec un juriste pour expliquer que la loi existe et que les protagonistes pourraient être poursuivis. Nous expliquons aux médecins qu'ils peuvent être responsables de gestion de fait si leurs associations ne sont pas reconnues officiellement et qu'ils pourraient être poursuivis fiscalement concernant les recettes de ces associations.
Nous avons proposé de verser les fonds des essais cliniques à l'hôpital, nous engageant à les reverser intégralement, sans charge de gestion, aux équipes. Un certain nombre de pôles acceptent ce challenge. Une autre solution consiste à constituer une association externe, indépendante de l'industrie pharmaceutique, pour recueillir les fonds avant de les reverser aux investigateurs. A Lille, cette association s'appelle Adrinord (Association pour le développement de la recherche et de l'innovation dans le Nord-Pas-de-Calais). Pour autant, parvenons-nous à couvrir l'ensemble du champ et à éviter le lien direct ? Ce n'est pas simple. J'avais par exemple essayé de négocier avec un grand laboratoire une sorte de garantie de chiffre d'affaires sur une année. Je m'engageais à ce que des moyens d'investigation soient mis en place à cet effet. Cependant le laboratoire a refusé. En effet, les laboratoires veulent conserver ce lien direct avec l'investigateur principal.
M. François Autain , président . - Je pense que cela ne vous étonne pas. Vous en comprenez sans doute les raisons.
M. Didier Delmotte . - J'en comprends les raisons mais trouve cela fort dommageable. L'industrie pharmaceutique devrait y réfléchir.
M. François Autain , président . - L'industrie pharmaceutique réfléchit beaucoup à ces questions actuellement.
M. Didier Delmotte . - Hormis le problème de l'investigation, se pose aussi celui de la formation. Vous l'avez d'ailleurs bien relevé dans votre mission puisque j'ai lu la déclaration de Martin Hirsch, que vous avez auditionné en mars. Il considère la formation initiale pour les médecins généralistes et la formation continue pour les hospitaliers comme une problématique de fond. Nous le comprenons. Puisque les ressources de l'industrie pharmaceutique résultent du prix du médicament et sont donc portées par la sécurité sociale, Martin Hirsch a proposé que ces ressources alimentent un fonds spécifique - qui pourrait d'ailleurs être géré, paritairement, avec la possibilité pour l'industrie pharmaceutique d'être observateur ou décideur - et indépendant. Les CHU sont incapables de payer les congrès et les déplacements de nos professeurs. Actuellement, le fonds de formation médicale à l'hôpital est insuffisant. Nous devons être réalistes et adopter un autre mécanisme.
Une dépêche du 27 mai 2011 d'AstraZeneca indique clairement qu'il va cesser de financer les déplacements des médecins dans le cadre des congrès médicaux. Nous avons ainsi l'impression que cette problématique est en train d'entrer dans la culture des laboratoires et des médecins. Je rejoins tout à fait cette proposition de Martin Hirsch. La FHF propose d'ailleurs d'être à l'initiative de la création de ce fonds. Un dispositif existe pour les personnels non médicaux : l'Association nationale pour la formation hospitalière (ANFH), qui est un organisme paritaire (syndicats et employeurs représentés). Nous pouvons imaginer un dispositif de ce type. L'ANFH est candidate pour recevoir les fonds du développement professionnel continu (DPC) et assurer l'alimentation des formations continues. La Fédération hospitalière de France (FHF) a déjà engagé des négociations avec les syndicats médicaux.
Il convient d'aborder à présent le sujet des agences. Nos professionnels sont dans les agences : HAS, Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) etc. J'ai lu récemment la position que vient de prendre la Haute Autorité de santé (HAS) sur les recommandations concernant la maladie d'Alzheimer. Je les ai lues avec attention puisque l'un des professionnels du CHU de Lille est concerné par la problématique des conflits d'intérêts. Je peux cependant témoigner que cette personne n'a reçu aucun fonds personnel. J'avais même reçu sa déclaration d'intérêts. Les recommandations sur la maladie d'Alzheimer portent pour une part très réduite sur le médicament, dans la mesure où les trois quarts des recommandations portent sur l'attitude que le médecin généraliste doit adopter lorsqu'il reçoit un patient ayant des signes de cette maladie. Le généraliste ne peut pas ordonner les médicaments.
M. François Autain , président . - A ma connaissance, cette disposition n'a pas encore été annulée mais l'HAS l'a retirée avant même de connaître l'avis du Conseil d'Etat.
M. Didier Delmotte . - Vous voyez que les sociétés savantes considèrent que le généraliste va être sans filet lorsqu'il reçoit un malade dans son cabinet. En 2010, après la grippe, le comité d'animation du système d'agences (Casa) avait pris l'initiative de mettre en place une charte nationale de l'expertise scientifique. Je crois que nous devons adopter une telle démarche.
M. François Autain , président . - Cette charte a, semble-t-il, été établie par le Casa en janvier 2010 mais n'a malheureusement pas encore été publiée. Il en est fait état dans les rapports de l'Igas sur l'expertise sanitaire.
M. Didier Delmotte . - Le Conseil national de l'Ordre n'a pas vraiment envie que les publications de conflits d'intérêts soient rendues publiques. Je pense qu'il faudrait suivre les recommandations du rapport Sauvé qui demande la création d'une Haute Autorité de la déontologie de la vie publique, qui pourrait comporter un département « expertise médicale ». Cet organisme recevrait les déclarations d'intérêts et les mettrait en ligne ou au moins répondrait aux utilisateurs. Toutefois tant que nous n'aurons pas déterminé le destinataire de ces déclarations, elles resteront dans les tiroirs des agences ou du Conseil de l'Ordre. La mise à disposition de ces déclarations au public pose un véritable problème.
J'ai également relevé les propositions des Assises du médicament qui se tiennent actuellement sous la présidence de M. Edouard Couty. Il me semble important de renforcer l'expertise interne professionnelle, c'est-à-dire d'avoir des experts à temps plein, mis à disposition ou détachés de leurs fonctions.
M. François Autain , président . - Il en existe encore mais en nombre insuffisant.
M. Didier Delmotte . - Je crois qu'il faut un corps d'experts dans pratiquement toutes les disciplines. Il faut aller vers une professionnalisation.
Enfin j'ai retenu un élément très important : la collégialité des avis. Lorsque l'avis est pris, il est procédé à un vote officiel. Les avis contraires sont relevés. En cas de débat, ces avis peuvent ainsi être consultés.
J'ai souhaité vous apporter mon éclairage en tant que directeur d'un CHU. Le directeur d'un CHU est chargé d'assurer une partie de cette déontologie au niveau de son établissement. Nous devons assurer la rupture du lien. Une initiative intéressante a été prise par les entreprises du médicament (Leem) avec le centre national et des centres régionaux de gestion des essais des produits de santé (CeNGEPS). Il s'agit d'un groupement d'intérêts public (Gip) regroupant les CHU à 51 % et le Leem à 49 % pour promouvoir les essais cliniques en recrutant mieux des personnels pour accompagner ces essais, de manière mutualisée. Le Parlement avait voté une taxe sur l'industrie pharmaceutique pour instituer un fonds chargé de créer ce centre. Nous avons ainsi développé les essais cliniques de façon plus transparente puisque c'est le CeNGEPS et non un laboratoire qui finance le réseau d'expertise.
M. François Autain , président . - Vous rendez publics les essais.
M. Didier Delmotte . - Il existe effectivement un registre public.
Je retiens aussi du rapport Sauvé la proposition de créer un réseau de déontologues. Chaque CHU pourrait avoir un tiers référent pour veiller à la bonne application des règles de déontologie sur chaque site.
M. François Autain , président . - J'ai encore une question à vous poser. Sur quelle base fondiez-vous les autorisations de départ d'un fonctionnaire au profit de l'industrie ?
M. Jérémie Sécher . - Dans ces cas de figure, la commission de déontologie interroge l'établissement et le professionnel concerné pour étudier sa situation au travers de deux critères. Le premier est celui de l'absence de relation dans les trois années précédentes avec l'organisation d'accueil. Le deuxième critère, qui fait souvent l'objet d'une réserve dans l'avis de compatibilité émis par la commission de déontologie, est celui de l'engagement à ne pas avoir de contact direct, au sein de l'établissement d'accueil, avec les professionnels en charge de l'achat public dans l'hôpital d'origine.
M. François Autain , président . - Je ne parle pas seulement de l'hôpital mais aussi des fonctionnaires qui exercent dans des autorités sanitaires et qui ont l'intention de travailler dans l'industrie pharmaceutique ou avec des organes liés à cette industrie.
M. Didier Delmotte . - Je n'ai pas eu de dossier de ce type.
M. Jérémie Sécher . - Ce ne sont effectivement pas des questions que nous ayons été amenés à traiter en tant que représentants des hospitaliers à la commission de déontologie.
M. François Autain , président . - Cette question devra donc s'adresser à ceux qui traitent de la fonction publique d'Etat. Nous vous remercions.
Audition de M. Jacques POIRIER, lanceur d'alerte, ancien responsable de Sanofi-Aventis chargé des approvisionnements biologiques du Lovenox (mercredi 1er juin 2011)
M. François Autain , président . - Nous allons terminer cette matinée d'auditions avec M. Jacques Poirier, lanceur d'alerte, ancien responsable de Sanofi-Aventis chargé des approvisionnements biologiques du Lovenox ainsi que son fils, Emmanuel Poirier. M. Didier Levieux, chercheur à l'Institut national de la recherche agronomique (Inra) n'a pu être présent à cette audition pour des raisons personnelles.
Je vous signale que cette audition est ouverte à la presse et sera diffusée sur le site Internet du Sénat et éventuellement sur la chaîne Public Sénat. Monsieur Poirier, puisque vous êtes docteur vétérinaire, je dois vous demander si vous avez des liens d'intérêts avec l'industrie pharmaceutique.
M. Jacques Poirier, ancien responsable de Sanofi-Aventis chargé des approvisionnements biologiques du Lovenox . - J'ai travaillé de 1980 à 2003 pour le compte de Rhône-Poulenc, qui est devenu Aventis et s'appelle maintenant Sanofi-Aventis. Depuis que j'ai quitté cette entreprise, je n'ai plus de lien d'intérêts avec l'industrie pharmaceutique.
M. François Autain , président . - Merci. Monsieur Emmanuel Poirier, avez-vous des liens d'intérêts avec l'industrie pharmaceutique ?
M. Jacques Poirier . - Je ne suis pas médecin mais je travaille pour une compagnie d'assurances qui défend les médecins.
M. François Autain , président . - Souhaitez-vous faire une intervention liminaire pour expliquer à nos collègues en quoi votre affaire a un lien indirect avec celle du Mediator et nous exposer les difficultés que vous avez rencontrées pour vous faire entendre en tant que lanceur d'alerte ?
M. Jacques Poirier . - Je propose de faire une exposition liminaire du contexte pour montrer cette évolution à travers un certain nombre d'irrégularités observées pendant vingt ans. Rien n'a pu se faire sans la mansuétude de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps). En répondant à vos questions, je prouverai que mes affirmations sont basées sur des faits.
Le Lovenox s'appelle l'enoxaparine en dénomination commune internationale. C'est une héparine, c'est-à-dire une substance anticoagulante obtenue de façon biologique, à partir de tubes digestifs de porc. Il faut un tube digestif de porc pour fabriquer une dose de produit, ce qui représente la mise à disposition d'environ 600 millions de porcs annuellement pour 600 millions de doses, soit un chiffre d'affaires supérieur à 3,2 milliards d'euros aujourd'hui - le quasi-équivalent du chiffre d'affaires annuel de la société Servier.
En 1991, la haute direction de Rhône-Poulenc me demande urgemment de mettre en oeuvre un système destiné à sécuriser les approvisionnements en enoxaparine qui à l'époque représente un chiffre d'affaires de 2 milliards de francs. J'indique à mes supérieurs et mes collègues commerciaux qu'il faut être extrêmement vigilant au regard des tubes digestifs de porcs importés de Chine. En effet, en avril 1991, la Commission européenne venait de produire un document, qui a toujours force de loi, concernant les risques de transmission de maladie de la vache folle, variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Ce n'est que cinq ans plus tard que des morts seront observées en Grande-Bretagne. Ces mesures de précaution de l'administration européenne étaient d'autant plus pertinentes que cinq ans plus tard, à partir d'une cohorte de dix jeunes adultes, nous avons pu démontrer que la variante de cette maladie était transmise de l'animal à l'homme simplement par voie orale, via la consommation de viande bovine.
Le Lovenox est administré par voie parentérale et non orale. La production de plusieurs dizaines de médicaments d'origine bovine, ovine ou caprine, c'est-à-dire provenant de ruminants, a été arrêtée. Mon rôle était de coordonner un certain nombre de réflexions et d'actions sur l'ensemble de la chaîne de production de l'enoxaparine. Dès cette époque, j'avais alerté qu'il fallait assurer la traçabilité d'origine animale et géographique. Il fallait être vigilant à l'égard des approvisionnements en provenance de la Chine, qui représentaient alors plus de 25 % des approvisionnements, cette part étant aujourd'hui supérieure à 50 %. J'ai aussi souligné qu'il faudrait mettre au point des méthodes analytiques susceptibles de déceler la présence de matières interdites dans les lots de fabrication. Des essais, non concluants, sont conduits en interne. En mars 1996, alors qu'éclate la crise de la vache folle, j'ai enfin été autorisé à prendre contact avec la recherche publique (l'Inra), en la personne du docteur vétérinaire Didier Levieux. En quelques semaines, ce dernier met alors au point une première méthode pour déceler les fraudes dans les lots de fabrication.
Le docteur Levieux s'aperçoit que la société refuse de mettre en oeuvre ces méthodes. Progressivement - parce qu'elle est acculée - elle les applique en France dans les abattoirs de porcs. Or, dans les abattoirs français de porcs, ne peuvent être abattus que des porcs. Par conséquent ces méthodes n'ont été mises en oeuvre que dans des endroits où l'on savait parfaitement que l'on allait obtenir de bons résultats. Parallèlement, il s'avère que l'enoxaparine était - et est toujours - largement exportée aux Etats-Unis. La Food and Drug Administration (FDA) a exigé qu'aucun produit obtenu à partir de matières premières en provenance de Chine ne soit autorisé à pénétrer sur le territoire américain. Elle a également exigé que la première méthode établie par Didier Levieux et l'Inra, financée par Sanofi-Aventis, soit systématiquement mise en oeuvre. C'était une deuxième protection pour s'assurer que les tubes digestifs soient bien « pur porc ».
On pourrait se demander pour quelle raison la précaution de la FDA n'était absolument pas prise par les autorités françaises. Didier Levieux a adressé des courriers de plus en plus fermes, dans lesquels il s'indignait de la manière avec laquelle Sanofi-Aventis, qui avait financé ces études, ne les mettait pas en oeuvre alors que le concurrent de l'époque, Sanofi-Synthélabo, avait décidé d'interdire les importations de matières premières en provenance de Chine sur un produit voisin de l'enoxaparine, la Fraxiparine. J'essayais alors d'alerter la direction de ma société en interne.
En 2003, je suis vraiment à bout. Je prends acte de la rupture de mon contrat de travail avec la société Sanofi-Aventis et me trouve d'une certaine façon « libéré » de cette obligation de réserve. C'est à cette époque que les écarts se sont élargis entre le règlement, ce qu'affichait l'Afssaps et ce que faisait la société. Je vous remettrai des publications diverses de la presse médicale, comme La Recherche , ce sujet faisant aussi l'objet d'un chapitre complet de l'ouvrage Alerte santé d'André Cicolella.
En 2008, des morts en série surviennent aux Etats-Unis suite à l'administration d'héparine à des patients dialysés. L'enquête montre qu'il s'agit de produits commercialisés par le laboratoire américain Baxter, sur quelques lots, tous d'origine chinoise. Cela ne pouvait pas être un produit de chez Sanofi-Aventis puisque les Américains avaient pris la précaution de commander de l'enoxaparine uniquement à partir de porcs français. Nous nous sommes aperçus quelques jours plus tard qu'un produit avait été ajouté frauduleusement : la chondroïtine sulfate, pour reproduire en quelque sorte les effets anticoagulants de l'héparine. Selon les dires de l'Afssaps, il n'y aurait pas - ce qui est faux - suffisamment de porcs à la surface du globe pour répondre à la demande en héparine. La tentation est donc grande de faire appel à des procédés prohibés. Il y a eu plus de quatre-vingts morts aux Etats-Unis suite à l'administration de ces produits frelatés et environ huit cents chocs qui auraient pu se terminer de façon aussi dramatique. En Allemagne, au moins cinq morts ont été homologués.
L'Afssaps a recherché la présence de ce produit ajouté frauduleusement sur des lots d'enoxaparine provenant de Chine. Onze lots étaient contaminés. Ces produits ont été consignés. Je vous exposerai le devenir de ces lots si vous me posez la question.
M. François Autain , président . - Je vous pose la question.
M. Jacques Poirier . - Devant le risque de pénurie, l'Afssaps a finalement libéré ces lots au motif que la substance létale était en quantité bien moindre que celle qui avait tué aux Etats-Unis et avec la recommandation d'administrer l'enoxaparine par voie sous-cutanée.
L'Afssaps modifie la réglementation en matière d'approvisionnements en matières premières le 25 avril 2008. Je vous communiquerai ce document intitulé Exigences de l'Afssaps pour les héparines du marché national . La méthode permettant de détecter la chondroïtine sulfate est rendue obligatoire et rapidement mise en oeuvre. Cela sous-entend - j'en ai d'ailleurs la confirmation et Didier Levieux aussi - que cette méthode existait auparavant mais n'avait pas été rendue obligatoire.
M. François Autain , président . - Ces mesures ont peut-être été prises car elles correspondent à la prise de fonctions du professeur Lechat.
M. Jacques Poirier . - C'est vous qui le dites.
M. François Autain , président . - Veuillez poursuivre.
M. Jacques Poirier . - Je lis : « Il est demandé de justifier de la capacité du procédé de fabrication à éliminer les contaminants ovins, bovins ou caprins. »
M. François Autain , président . - Le porc n'est pas mentionné.
M. Jacques Poirier . - Il a en effet été omis !
Plus fort encore, je lis : « En cas de pénurie globale, il pourra être envisagé de s'écarter de ces exigences dans certaines limites, après concertation avec l'Afssaps et de distribuer les lots concernés. » Autrement dit, on passe outre les décisions de la commission d'autorisation de mise sur le marché (AMM). Par un document du 10 juin, puis un autre en date du 24 juillet 2008, l'Afssaps rend possible la fabrication d'enoxaparine à partir de tissus de ruminants (« tubes digestifs de ruminants »). La Commission européenne, à travers sa direction générale chargée de l'emploi et des affaires sociales, avait pourtant édicté une classification en fonction de la dangerosité des tissus de ruminants, comprenant quatre classes avec les niveaux de parité croissants de la classe 4 à la classe 7, et dans lesquelles on retrouve :
- en classe 1 : oeil et système nerveux ;
- en classe 2 : tubes digestifs.
Contre toutes les réglementations européennes et internationales, l'Afssaps autorise donc la fabrication d'héparine à partir de produits prohibés et qui n'existent d'ailleurs pas puisqu'ils doivent être détruits. Didier Levieux dit régulièrement : « Lorsque je demande un échantillon de 10 centimètres de longueur d'un tube digestif de ruminant pour effectuer des analyses, je suis obligé de remplir plusieurs demandes d'autorisation . »
On est en droit de s'interroger sur la manière dont on est arrivé à de telles irrégularités. Au début, seule la société essayait de s'arranger avec la réglementation. Didier Levieux dispose d'échanges de courriers avec les responsables de Sanofi-Aventis. Le relais est pris par l'Afssaps.
Il y a un mois, vous receviez Philippe Lechat qui est directeur de l'évaluation du médicament d'origine biologique à l'Afssaps. Vous avez commencé par parler de l'enoxaparine.
M. François Autain , président . - C'était à propos de ses liens d'intérêts.
M. Jacques Poirier . - Je vous remettrai un courriel dans lequel M. Lechat explique les raisons pour lesquelles il a pris des libertés par rapport à la réglementation internationale, dont la réglementation européenne.
Aucun de ces documents n'est confidentiel.
M. François Autain , président . - Il est étonnant que cette affaire n'ait eu qu'un écho médiatique relativement faible. Avez-vous un bilan chiffré à nous communiquer ?
M. Jacques Poirier . - Je n'en ai aucun. Ce n'est pas de mon domaine de compétences.
Il suffit de taper sur Google « héparine chinoise ». Vous verrez que M. Lechat s'est félicité de la manière dont s'étaient déroulés les événements en France. Il avait oublié de mentionner ce conflit d'intérêts auprès de l'EMA qui est l'Agence européenne du médicament. Or, il s'agit d'une infraction. M. Lechat a pourtant fait partie de la commission ad hoc qui, en 2008, a laissé à la discrétion de chaque Etat membre l'utilisation des lots contaminés.
La plupart des journalistes font remarquablement leur travail. Cependant il faut croire que des pressions s'effectuent sur les directions.
M. François Autain , président . - En tant qu'ancien expert de l'Agence française de sécuritaire sanitaire des aliments (Afssa), dans quelle mesure estimez-vous que l'expertise des agences sanitaires est dépendante des laboratoires ?
M. Jacques Poirier . - Excusez-moi si je ne réponds pas directement à votre question. Vous pouvez vous reporter à une lettre du pharmacien responsable de Sanofi-Aventis, M. Alain Saint-Pierre, destinée à la rédactrice en chef de La Recherche . Il lui explique qu'elle prend un grand risque et l'invite à prendre contact avec l'Afssaps car cette agence connaît très bien le dossier. Nous pouvons donc subodorer l'existence de liens.
M. François Autain , président . - Comment expliquez-vous que ce procédé n'ait apparemment pas provoqué de victimes en France ?
M. Jacques Poirier . - L'utilisation des anticoagulants se fait préférentiellement par voie intra-veineuse aux Etats-Unis alors que la France privilégie la voie sous-cutanée. Les résultats obtenus sur les onze lots frelatés d'enoxaparine contenaient des concentrations significativement plus faibles. En outre depuis 2008, nous mettons systématiquement en oeuvre une méthode de détection de la présence de chondroïtine sulfate.
M. François Autain , président . - Ces précautions ne vous semblent pas suffisantes pour éliminer tout risque.
M. Jacques Poirier . - Cela n'a rien à voir avec l'opinion. J'ai été licencié sur des motifs inavoués. Mes échanges avec Sanofi-Aventis sont suffisamment clairs à cet égard, de même que les témoignages de Didier Levieux. On voulait m'impliquer dans des approvisionnements en Chine que je considérais comme dangereux. De plus la société ne gérait pas la sécurité comme un « bon père de famille ». Nous observions une divergence entre le traitement destiné au marché américain et celui destiné au marché français, entre le comportement de la société Aventis et celui de la société Sanofi, qui étaient alors concurrentes.
Ce sujet est hautement d'actualité. Aujourd'hui le fait que l'administration française ne soumette pas la Chine aux mêmes obligations drastiques - alors que ce sont des produits que nous recevons -, autrement dit le fait que l'Afssaps autorise des produits interdits, qui ne doivent même pas exister, prouve que les irrégularités perdurent, alors que l'Afssaps s'érige à la fois en juge et partie. En effet, il est régulièrement demandé à la Commission européenne, notamment à la direction générale compétente, de réévaluer le risque. Or, en ce qui concerne l'alimentation humaine, cette direction a récemment confirmé les interdictions d'utiliser les « produits à risque spécifié », c'est-à-dire classifiés par ordre de dangerosité.
M. Emmanuel Poirier . - Depuis 1991, une réglementation très stricte interdit l'utilisation de toute muqueuse d'intestin de boeuf. Il faut les détruire. Dans les hôpitaux, des mesures extrêmement drastiques visent à prévenir tout risque de transmission de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Malgré tout, en 2008, l'Afssaps, de sa propre autorité, décide qu'à partir de maintenant des intestins de bovins peuvent être injectés par voie sous-cutanée chez des êtres humains alors que la provenance de ces produits est par ailleurs incertaine. Je me demande comment, de sa propre autorité, une autorité sanitaire peut s'affranchir des règles d'interdiction européennes, de surcroît après la survenue d'un accident.
M. François Autain , président . - C'est une bonne question que nous poserons à l'Afssaps.
Cette contribution est très intéressante même si elle peut sembler éloignée du Mediator. Les mêmes causes peuvent produire les mêmes effets. Nous pouvons imaginer qu'une liberté prise dans l'application de certaines réglementations puisse conduire à terme à des dommages qu'il sera très difficile de prendre en charge. Dans ce domaine, il vaut mieux prévenir que guérir.
Nous vous remercions.
Audition de M. Pierre BOISSIER, chef de l'Inspection générale des affaires sociales, Mme Anne-Carole BENSADON, MM. Etienne MARIE et Aquilino MORELLE, membres de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) (lundi 6 juin 2011)
M. François Autain , président . - La mission commune d'information entend aujourd'hui M. Pierre Boissier, chef de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas), Mme Anne-Carole Bensadon, MM. Etienne Marie et Aquilino Morelle, inspecteurs de l'Igas, auteurs du rapport d'enquête sur le Mediator. L'un des inspecteurs auteurs du rapport de l'Igas étant médecin, je suis obligé de poser la question des liens d'intérêts, d'autant qu'il a été mis en cause par M. Seta, président opérationnel du groupe Servier. M. Boissier, chef de l'Igas, a répondu par lettre à cette accusation. M. Morelle souhaite-t-il ajouter quelque chose ?
M. Aquilino Morelle, inspecteur de l'Igas. - M. Pierre Boissier vous a répondu du point de vue juridique. J'ai pour ma part confié cette affaire à mon avocat, et je me réserve, à titre personnel, le droit éventuel de poursuivre, car les faits de diffamation professionnelle sont constitués. Ce serait toutefois accorder beaucoup de crédit à ces accusations. Ce qui nous importe, ce sont les résultats de notre travail et les suites qui lui seront données.
M. Pierre Boissier, chef de l'Igas. - Je souhaite apporter trois précisions à propos de notre travail.
En ce qui concerne nos pouvoirs : la loi du 28 mai 1996 donne à l'Igas compétence sur les organismes publics. Elle n'était donc pas habilitée à contrôler ou à auditionner les laboratoires Servier.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Vous n'aviez donc aucune possibilité de les auditionner ?
M. Pierre Boissier. - Non, car il s'agit d'un organisme privé, qui ne bénéficie pas de fonds publics.
En ce qui concerne nos méthodes de travail : nous interrogeons les personnes concernées, mais tous les éléments du rapport sont adossés sur des preuves et investigations écrites, annexées au rapport. Les auditions ne donnent pas lieu à des comptes rendus signés.
Enfin, nos rapports sont élaborés en toute indépendance par les inspecteurs, sous leur responsabilité personnelle, et ne sont jamais modifiés, ni par le chef de service, ni par le ministre.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Comment réagissez-vous à l'hypothèse des laboratoires Servier selon laquelle il y aurait un « faisceau d'indices » à l'origine de ce qu'ils considèrent comme un « acharnement médiatique » à leur encontre, qu'il faut selon eux resituer dans un contexte de concurrence internationale accrue entre les grands groupes pharmaceutiques ?
M. Aquilino Morelle. - Je ne commenterai pas les déclarations des laboratoires Servier. Quiconque a lu le rapport de l'Igas aura compris que, si la responsabilité des laboratoires Servier apparaît, selon les termes du ministre, « première et directe » , les autorités sanitaires ne sont pas pour autant dédouanées ! Il n'y a pas eu d'acharnement de la part de l'Igas : nous travaillons en toute indépendance, en nous efforçant à la plus grande objectivité. Pour le reste, cela regarde les laboratoires Servier et la presse...
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - De quelles études dispose-t-on pour mesurer les propriétés anorexigènes du benfluorex ?
M. Aquilino Morelle. - J'aimerais en disposer moi-même ! Quand nous avons enquêté sur le benfluorex, nous avons exhumé des études dans des publications scientifiques, dont 90 % avaient été réalisées et financées, dans les années 1960-1970, par les laboratoires Servier. Elles établissent toutes que le benfluorex est un anorexigène parmi les plus puissants, que les laboratoires Servier cherchaient à identifier, à une époque où le traitement du surpoids apparaissait comme un marché important aux Etats-Unis. Ils ont ainsi mis à jour 280 composés anorexigènes issus des amphétamines, dont cinquante très puissants : la fenfluramine et le benfluorex en font partie. Nulle surprise donc : ces documents, signés par des chercheurs de Servier, sont publics. Si ces papiers avaient été exhumés à l'époque où des interrogations se faisaient jour sur le benfluorex, on aurait sans doute raisonné autrement...
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Comment le mésusage du médicament comme anorexigène peut-il être mesuré ? Quelles mesures auraient pu être prises pour prévenir ce mésusage ? Fallait-il modifier les indications figurant dans le résumé des caractéristiques du produit (RCP), et si oui, à partir de quelle date ?
M. Aquilino Morelle. - Les indications du benfluorex sont claires : adjuvant au régime dans le traitement de l'hyperlipidémie et de l'hypertriglycéridémie.
Le médicament a été progressivement dévoyé de ces deux indications pour être utilisé comme coupe-faim : à la fin des années 1990, 80 % des prescriptions correspondaient à un « mésusage », c'est-à-dire à une prescription hors autorisation de mise sur le marché (AMM).
Comment le corriger ? Ce sera, entre autres, l'objet du second rapport que nous préparons, et dont nous réservons les conclusions au ministre.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Un rapport du centre régional de pharmacovigilance de Besançon, présenté à la commission nationale de pharmacovigilance le 10 mai 1994, est consacré aux hypertensions artérielles pulmonaires (HTAP) sous Pondéral et Isoméride et fait apparaître dès cette date quatre cas d'hypertensions artérielles pulmonaires (HTAP) sous Mediator. Comment expliquez-vous n'avoir pas disposé de ce document ? Quelles conclusions en tirez-vous ?
M. Aquilino Morelle. - Ce n'est pas le seul document dont nous n'avons pas disposé. Peut-être est-ce à imputer, pour une part très relative, à nos délais de travail très courts. Il reste qu'on ne nous a pas communiqué ce document en temps utile, alors que l'enquête était publique. Idem pour une note du 23 octobre 1995. Je rappelle que le délit d'entrave aux travaux de l'Igas est réprimé par la loi.
M. François Autain , président . - Un document du 9 mai 1995 sur l'enquête International Primary Pulmonary Hypertension Study (IPPHS), qui reprend ce document du 10 mai 1994, figure dans l'annexe du rapport. Il n'est toutefois pas complet : il y manque les pages où est mentionnée la prise de Mediator... Est-ce le fruit du hasard ?
M. Aquilino Morelle. - Je ne peux l'attribuer qu'à une main invisible.
M. François Autain , président . - Avez-vous constaté qu'il manquait des pages en recevant le document ?
M. Aquilino Morelle. - Non, c'est par la suite que nous avons constaté qu'il manquait en effet une page sur deux. Je vous rappelle les conditions très difficiles dans lesquelles nous avons travaillé.
M. François Autain , président . - Elles étaient très difficiles, et votre travail n'en est que plus remarquable.
M. Aquilino Morelle. - Beaucoup des documents que nous avons obtenus l'ont été au prix d'une longue lutte, nos demandes ayant souvent dû être renouvelées. Devant la masse de documents à traiter, cette anomalie nous a échappé.
M. François Autain , président . - L'enquête IPPHS a déterminé l'imputation des fenfluramines dans les HTAP. Mais ces prises de fenfluramine étaient associées avec des coupe-faim classiques ou avec le Mediator, anorexigène fenfluraminique.
Comment expliquer que des experts aussi compétents soient passés à côté du Mediator lorsqu'ils enquêtaient sur les fenfluramines ? Le Mediator n'a jamais fait l'objet d'une alerte, alors que des malades avaient pris ce médicament... Partagez-vous notre étonnement ?
M. Aquilino Morelle. - Vous avez lu notre rapport : il est émaillé d'épithètes comme « inintelligible » , « incompréhensible » .... Nous n'avons aucun pouvoir de coercition. On peut s'interroger sur le cas que vous citez, comme sur dix autres ! Ainsi, l'administration française refuse de changer le nom du benfluorex, mais un an plus tard accorde une autorisation de mise sur le marché (AMM) pour cette même molécule, pour deux indications qui n'ont rien à voir !
M. François Autain , président . - L'administration française ou l'Organisation mondiale de la santé (OMS) ?
M. Aquilino Morelle. - Plus précisément, le service central de la pharmacie et du médicament. Des courriers prouvent l'étonnement de l'administration et son refus d'accéder à la demande des laboratoires Servier sur le maintien de l'appellation en dénomination commune internationale : elle a donc saisi l'OMS, qui a décidé de maintenir l'appellation. Mais un an plus tard, cette même administration, qui s'était pourtant montrée lucide, accordait l'AMM comme adjuvant aux régimes de traitement de l'hyperlipidémie et de l'hypertriglycéridémie... Il y a une incohérence dès le départ. D'où la perplexité dont nous faisons état dans le rapport !
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Selon les professeurs Giuseppe Pimpinella et Renato Bertini Malgarini, experts italiens en charge du suivi du benfluorex au sein du Committee for Medicinal Products for Human use (CHMP), la France faisait partie des pays qui estimaient moins élevé le signal de pharmacovigilance, alors que la demande d'études complémentaires et de modification du résumé des caractéristiques du produit (RCP) faisait consensus parmi les experts. Comment réagissez-vous ?
Mme Anne-Carole Bensadon, inspecteur de l'Igas . - Les rapports d'évaluation italiens ont fait l'objet d'échanges entre la France et l'Italie. Le premier rapport préconise une étude approfondie sur le benfluorex, et réclame une expertise au niveau européen. Les rapports suivants soulèvent des faits graves - le dernier date du 12 octobre 1999. Toutefois, il conclut simplement à l'envoi d'une liste de questions, et non plus à une demande d'arbitrage. Par ailleurs, le cas de valvulopathie, établi par le docteur Chiche à cette date, n'est pas mentionné dans le rapport.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Etes-vous surpris que le médicament ait été retiré plus tôt du marché en Italie qu'en France, alors qu'il demeurait autorisé dans les préparations magistrales ?
M. François Autain , président . - Ce sont les laboratoires qui ont retiré le médicament en Italie.
Mme Anne-Carole Bensadon . - Les laboratoires l'ont retiré car ils savaient que les autorités allaient le faire : c'est une technique courante.
M. François Autain , président . - Ce n'est pas la version des laboratoires Servier !
M. Aquilino Morelle. - C'est en effet une technique usuelle. Aux Etats-Unis, la Food and Drug Administration (FDA) n'a pas la capacité juridique de retirer un médicament du marché : elle émet une alerte et le laboratoire retire son produit, proprio motu .
M. François Autain , président . - N'oublions pas non plus le rôle de la Bourse !
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - M. de Tournemire, conseiller pour les industries de santé auprès du ministre de la santé, M. Jean-François Mattei, a justifié l'absence de suites données aux propositions de la direction de la sécurité sociale sur la baisse du taux de remboursement, entre 2001 et 2003, par la faiblesse des enjeux financiers. Qu'en pensez-vous ?
M. Etienne Marie, inspecteur de l'Igas . - Au cours de cette séquence temporelle, la baisse du taux de remboursement du Mediator a été proposée par la direction de la sécurité sociale, mais n'est pas intervenue, bien que le sujet ait été rappelé aux ministres successifs. Deux explications à ceci, outre celle avancée par M. de Tournemire : d'une part, l'on s'intéressait plutôt à des classes thérapeutiques ; d'autre part, on préparait le premier grand plan de déremboursement de médicaments, et il s'agissait de ne pas polluer un débat global.
M. François Autain , président . - A votre avis, le recul du Gouvernement en 2001 est-il imputable aux pressions exercées par l'industrie pharmaceutique française, face au risque de chômage si les ventes de médicaments devaient chuter, ou plutôt à celles des associations de malades et des syndicats ?
M. Etienne Marie . - A la suite du travail de réévaluation du service médical rendu (SMR) ayant porté sur environ 4 500 spécialités, initié par Mme Aubry et M. Kouchner, il est apparu que 25 % des médicaments avaient un service médical rendu (SMR) insuffisant. Ce fut une surprise, qui posait un vrai problème politique, vis-à-vis des patients, des professionnels et de l'industrie. L'année 2001 a par ailleurs été marquée par une flambée des dépenses de médicament ; d'où le choix de mesures financières plus rentables que le déremboursement, comme la baisse des prix.
M. Aquilino Morelle. - Il résulte de nos auditions que dès 1999, lorsque la politique de réévaluation du SMR a été initiée, toute une batterie d'instruments était envisagée : déremboursement, mais aussi baisse des prix et du taux de remboursement. La surprise fut grande pour le ministre lui-même : pas moins de 835 médicaments ayant un SMR insuffisant furent identifiés. C'était le quart de la pharmacopée de l'époque !
M. François Autain , président . - Selon le rapport Even, il y a toujours autant de médicaments inutiles aujourd'hui - peut-être même plus !
M. Aquilino Morelle. - Absolument.
M. François Autain , président . - Mieux vaut donc éviter d'en mettre de nouveaux sur le marché...
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - M. de Tournemire s'est également interrogé sur l'absence du Mediator lors de la première vague de déremboursements en 2003, qui visait les médicaments n'ayant pas leur place dans la stratégie thérapeutique, alors que les services avaient consigne d'établir la liste la plus exhaustive possible. Comment l'expliquez-vous ?
M. Etienne Marie . - Le débat juridique sur le déremboursement a été acharné, et a donné lieu à de très nombreuses contestations. Comment définir un médicament « qui n'a pas sa place dans la stratégie thérapeutique » ? Le critère juridique retenu a été la motivation de la commission de la transparence en 1999-2000. Or, sa motivation du service médical rendu insuffisant du Mediator ne retenait pas formellement l'existence d'alternative économique. Pour éviter tout risque de contentieux, c'est une interprétation stricte qui a été retenue. Le Mediator a donc fait partie de la troisième vague, et non de la première.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Comment réagissez-vous aux débats sur le nombre de victimes de Mediator, au vu notamment des observations du professeur Jean Acar ? On a l'impression d'un dialogue de sourds entre cliniciens et épidémiologistes.
M. François Autain , président . - Ils ne parlent pas de la même chose !
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Ne pourra-t-on pas un jour croiser données cliniques et épidémiologiques ?
Mme Anne-Carole Bensadon . - Notre premier rapport se concluait sur le retrait du Mediator ; le temps a manqué pour mener des investigations sur le nombre de décès. Néanmoins, le sujet est évoqué. Attentifs au débat entre épidémiologistes et cardiologues, nous avons recommandé, pour compléter les premières études réalisées dans l'urgence, le lancement d'une étude de causalité. Compte tenu de la sensibilité de la question, cet exercice complexe nécessiterait la formation d'un comité scientifique qui se prononcerait sur la méthodologie utilisée.
M. Aquilino Morelle. - Notre mission n'avait ni le temps ni les compétences épidémiologiques pour se prononcer sur le nombre de décès. « Quel est le nombre exact de morts imputables au Mediator ? » En tant que citoyen, je trouve cette question indécente. A partir de combien de morts faut-il commencer à s'indigner ? Tout cela est de la rhétorique au vu des faits : des centaines de Français sont gravement malades, vont mourir ou sont morts à cause de ce médicament. Ensuite, parvenir à une estimation rétrospective du nombre de décès est important, mais contingent.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Le retrait d'un médicament doit-il se fonder sur les preuves de sa dangerosité ? Selon nombre de personnes auditionnées, ce système expliquerait le maintien du Mediator durant de si longues années.
M. Aquilino Morelle. - Evaluer le rapport entre le bénéfice et le risque est parfois délicat ; tout est fonction de la gravité de la maladie. S'agissant du Mediator, cette question, encore une fois, relève de la rhétorique. Le bénéfice de ce médicament était extrêmement modeste. Jamais ce médicament n'a été envisagé dans une stratégie thérapeutique, comme le rappelait encore le professeur Grimaldi la semaine dernière. Son risque était connu par parenté avec le benfluorex, interdit dans les préparations magistrales, tandis que les cas de valvulopathie cardiaque ainsi que d'HTAP s'accumulaient. Dans ces circonstances, il est impossible de parler d'une difficulté tenant à une appréciation fine du rapport entre bénéfices et risques ; il s'agissait d'une erreur grossière ou, pour reprendre les termes du Conseil d'Etat, d'une erreur manifeste d'appréciation.
M. François Autain , président . - En ce domaine, a-t-on progressé ?
M. Aquilino Morelle. - Les conclusions de notre rapport sont claires : le principe de précaution n'est pas appliqué au bénéfice des patients et de la santé publique.
M. François Autain , président . - Mieux vaudrait donc décider le retrait de l'Actos ?
M. Aquilino Morelle. - N'ayant pas étudié ce médicament, je ne peux pas me prononcer.
M. François Autain , président . - La seule chose que l'on puisse dire est : ceux qui peuvent se prononcer ne le retirent pas.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - L'affaire du Mediator révèle-t-elle un manque de coordination entre la commission d'AMM, la commission de la transparence et la commission nationale de pharmacovigilance ?
M. Aquilino Morelle. - Le fonctionnement segmenté, cloisonné de ces institutions aboutit à une forme d'irresponsabilité collective, avons-nous écrit dans notre rapport. Quoique certains éléments soient singuliers à l'affaire du Mediator - je les ai évoqués à demi-mot -, les anomalies sont structurelles ; d'où le second rapport que nous a confié le ministre pour tenter d'y remédier.
M. François Autain , président . - Quand publierez-vous vos travaux ?
M. Aquilino Morelle. - L'information est confidentielle. Si le Parlement est libre, l'administration est ancillaire.
M. François Autain , président . - Dans tous les cas, l'histoire du Mediator illustre le manque de coordination entre les structures : en novembre 1999, la commission de la transparence recommande le déremboursement de ce médicament dont elle constate l'inutilité ; un an plus tard, la commission de d'AMM rétablit l'indication du médicament dans le traitement du diabète qui figurait dans le RCP bien qu'elle ait été supprimée en 1987... Cela laisse perplexe d'autant qu'il y a eu coordination entre les deux structures en 2006. Dans ce dernier cas, la commission de la transparence a refusé de statuer car la commission d'AMM procédait à la réévaluation de l'indication du médicament dans l'hypertriglycéridémie. Faut-il en conclure que l'échange d'informations est facultatif ? Ne faut-il pas le rendre obligatoire ?
M. Etienne Marie . - L'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) et la commission de la transparence se connaissent bien...
M. François Autain , président . - Elles ont d'ailleurs partagé les mêmes locaux jusqu'en 2004 !
M. Etienne Marie . - Les membres de l'Afssaps sont des anciens de la commission de la transparence et vice versa. L'information circule donc, bien que les échanges ne soient pas formalisés.
Chacune de ces institutions défend sa spécificité : la commission d'AMM évalue le médicament en soi tandis que la commission de la transparence l'évalue par rapport aux autres produits dans une perspective de stratégie thérapeutique.
Fait incompréhensible, inexplicable : le Mediator est le seul médicament de la troisième vague de déremboursement pour lequel la commission de la transparence a reporté sa décision dans l'attente de la décision de la commission d'AMM qui, elle-même, attendait les conclusions de la contre-expertise menée par le professeur Moulin.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Pensez-vous, à l'instar du professeur Bégaud, qu'une des raisons de la crise du Mediator réside dans l'affaiblissement de la commission nationale de la pharmacovigilance ? Celle-ci a perdu beaucoup de ses prérogatives pour ne plus délivrer que des avis.
Mme Anne-Carole Bensadon . - Tenons-nous-en aux faits. En mars 2007, la commission nationale de pharmacovigilance défend, devant la commission d'AMM, à l'aide de transparents, l'idée que le rapport bénéfices-risques du Mediator est défavorable. Ses considérants sont étayés : ils rappellent les études européennes, la parenté avec le benfluorex, les cas d'HTAP et de valvulopathies ainsi que le retrait du Mediator en Espagne et en Italie. En d'autres termes, la commission remet en question les conclusions du groupe de travail Diabétologie-Endocrinologie-Urologie-Gynécologie (Deug) sur les indications du Mediator. Elle a donc joué son rôle, mais elle n'a pas été suivie.
En 2009, elle modifie complètement sa position, malgré de nouveaux cas de malades signalés. Quel dommage ! A cette date, elle demande des études supplémentaires pour réévaluer le rapport entre bénéfices et risques.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - La composition de cette commission avait-elle évolué ?
Mme Anne-Carole Bensadon . - Non, si ce n'est que son président avait changé.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Comment évaluer le coût du traitement des effets secondaires, qui n'est pas pris en compte dans le calcul des dépenses pour l'assurance maladie et les assurances complémentaires ?
M. Aquilino Morelle. - Nous n'avons pas abordé ce sujet.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Quel rôle doit jouer le ministre en matière de sécurité sanitaire ?
M. Aquilino Morelle. - La sécurité sanitaire est une compétence régalienne ; on ne peut pas la déléguer, que ce soit au niveau infranational ou supranational. La meilleure preuve : en cas de crise, vers qui les Français se tournent-ils ? Vers le ministre ! Sa place est centrale, pour ne pas dire exclusive. Tant qu'il y aura une Nation, une République, un Etat, la responsabilité de la sécurité sanitaire devra être assumée avec clarté et efficacité par le ministre.
M. François Autain , président . - Il existe pourtant une agence chargée de la sécurité sanitaire dont le directeur général est habilité à demander le retrait ou la suspension d'un médicament. Encore que ses avis soient parfois contestés par le Conseil d'Etat.
M. Aquilino Morelle. - Tout dépend du contexte. J'ai le sentiment que celui-ci a changé après la crise du Mediator.
M. François Autain , président . - Imaginons que le ministre veuille retirer l'Actos.
M. Aquilino Morelle. - Rien ne l'empêche de le faire ! Il peut même demander aux préfets de saisir les stocks. Dès qu'il s'agit de la protection de la santé des Français, le ministre a toute liberté de prendre les mesures nécessaires. Il n'est point besoin de dispositions législatives, cette compétence du ministre découle des principes généraux de notre droit, de la Constitution. La sécurité sanitaire, je le répète, est une prérogative régalienne ; la logique est la même par rapport à l'Europe.
J'en reviens à la sécurité sanitaire. La tyrannie parfois évoquée du principe de précaution, pour aller vers une société du risque zéro, n'existe pas ; le principe de précaution est systématiquement bafoué. Il faut, hélas, une crise sanitaire pour rappeler à chaque fois toute son importance et sa robustesse.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Quel dommage que l'on n'ait pas suivi les recommandations du Sénat après la crise du Vioxx ! Sinon, pensez-vous que le financement de l'Afssaps par des taxes affectées soit source de conflit d'intérêts ?
M. Aquilino Morelle. - L'Afssaps se trouve « structurellement et culturellement » dans une situation de conflit d'intérêts, avons-nous écrit dans notre rapport, non en raison de son financement, mais parce que l'industrie pharmaceutique est associée à toutes ses décisions. On a pu parler de « coproduction » .
M. François Autain , président . - Vous avez cité le chiffre de 80 % de mésusage du Mediator à la fin des années 90. Quelles sont vos sources ? Les chiffres vont de 10 % d'après les laboratoires Servier à 70 % selon l'assurance maladie.
M. Aquilino Morelle. - Ce chiffre, qui m'a été confié lors d'une récente audition, correspond aux prescriptions hors AMM durant les derniers mois précédant la suspension du Mediator.
M. Etienne Marie . - Le chiffre a explosé après le retrait d'une des deux indications en 2007. Auparavant, le taux de mésusage était plutôt de 25 % à 30 % (cela montre que le retrait d'une indication peut avoir des conséquences).
Mme Anne-Carole Bensadon . - D'après le centre régional de pharmacovigilance de Marseille, le mésusage du Mediator atteignait déjà 50 % en 1998.
M. François Autain , président . - Pour Mme Derumeaux, votre rapport « laisse planer une ambiguïté » . On y lit que les laboratoires Servier, représentés par le professeur Ravaud et le professeur Derumeaux, proposent une modification du RCP. Je la cite : « A aucun moment je n'ai proposé une modification de RCP ! Dès que nous avons pris connaissance des résultats préliminaires, nous avons immédiatement arrêté tout traitement par Mediator dans le service du docteur Moulin à Lyon, et mis en place un contrôle d'échographie. »
Mme Anne-Carole Bensadon . - Notre rapport est exact : à la suite des présentations des professeurs Derumeaux et Ravaud - des documents fort intéressants -, les laboratoires Servier ont demandé une modification du RCP.
M. François Autain , président . - Votre rapport comporte de volumineuses annexes. Peut-être y manque-t-il le compte rendu de la réunion de la fameuse commission d'AMM de novembre 2000 qui a décidé de rétablir l'indication du Mediator dans le diabète après avis rendu par un groupe de travail ? Je me le suis procuré avec difficulté. Ne faut-il pas prévoir un statut pour ces groupes de travail ?
M. Aquilino Morelle. - C'est une suggestion.
M. François Autain , président . - Pourquoi n'avoir pas évoqué cette réunion dans votre rapport ?
M. Etienne Marie . - L'indication pour le diabète est contestée dès 1987, mais demeure. De fait, l'Agence n'a pas le pouvoir de modifier d'elle-même l'AMM. Elle peut seulement réagir à une proposition de la firme, un problème juridique majeur !
Dans notre rapport, nous nous sommes davantage attachés à l'année 1999. C'est à ce moment qu'est prise la décision de refuser l'extension du Mediator comme médicament antidiabétique de premier rang. En contrepartie, est validée l'ancienne indication d'adjuvant. L'année 2000 est consacrée à l'examen du recours gracieux de la firme.
M. François Autain , président . - La validation de l'ancienne indication ne se fonde donc pas sur des faits scientifiques ; elle est de l'ordre de la négociation.
M. Etienne Marie . - Il y a des échanges sans ambiguïté que nous avons mentionnés dans notre rapport.
M. François Autain , président . - La note de Didier Tabuteau figurait-elle dans les archives de l'Afssaps ?
M. Aquilino Morelle. - Elle ne nous a pas été communiquée. Quoi qu'il en soit, les deux notes précédentes montraient toute l'incohérence du système : on exclut le benfluorex des préparations magistrales, mais on autorise sa commercialisation dans les spécialités pharmaceutiques. C'est aberrant.
Mme Janine Rozier . - Vous avez qualifié l'administration d'ancillaire, puis évoqué une irresponsabilité collective. Est-ce à dire que l'administration ancillaire a fait preuve d'une irresponsabilité collective ?
M. Aquilino Morelle. - Dans le rapport, nous parlons plutôt de dilution des responsabilités. Quant à l'administration, elle est ancillaire parce qu'au service de la représentation nationale. Notre second rapport apportera, je l'espère, des solutions raisonnables aux dysfonctionnements constatés.
M. François Autain , président . - Nous attendons de le lire avec impatience ! Pour conclure, l'affaire du Mediator représente-t-elle une nouvelle défaite de la santé publique ?
M. Aquilino Morelle. - Oui, par elle-même et parce que certaines des anomalies qu'elle a révélées sont connues depuis vingt ans, notamment à la suite de l'affaire du sang contaminé.
M. François Autain , président . - Merci d'avoir répondu à nos questions.
Audition de M. André SYROTA, président-directeur général de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), Mme Cécile THARAUD, présidente du directoire de l'Inserm, M. Victor DEMARIA-PESCE, chargé des relations avec les Parlements français et européen, et M. Arnaud BENEDETTI, directeur du département de l'information scientifique et de la communication (mardi 7 juin 2011)
M. François Autain , président . - Mesdames et messieurs, mes chers collègues, nous allons terminer cette série d'auditions en accueillant M. André Syrota, président-directeur général de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), accompagné de Mme Cécile Tharaud, présidente du directoire de l'Inserm, de M. Victor Demaria-Pesce, chargé des relations avec les Parlements français et européen, et de M. Arnaud Benedetti, directeur du département de l'information scientifique et de la communication. Cette audition est ouverte à la presse et fera l'objet d'une diffusion sur le site du Sénat.
En application de l'article L. 4113-13 du code de la santé publique, je vous demande de nous faire connaître vos éventuels liens d'intérêts avec des entreprises produisant ou exploitant des produits de santé ou des organismes intervenant sur ces produits.
M. André Syrota, président directeur général de l'Inserm . - Je n'en ai aucun.
M. François Autain , président . - N'en avez-vous aucun depuis plus de cinq ans ?
M. François Autain , président . - Je vous donne la parole afin que vous fassiez une intervention liminaire.
M. André Syrota . - Monsieur le président, depuis plus de trois ans, nous proposons une coordination de l'ensemble des organismes, des universités et des centres hospitalo-universitaires (CHU), qui forment désormais l'Alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé (Aviesan). Celle-ci vise à développer une vision commune de l'ensemble des problèmes scientifiques, politiques, etc., dans le domaine de la recherche
Cette alliance, qui a préfiguré les quatre autres alliances qui se sont développées par la suite, fonctionne désormais de manière routinière. Il s'agit d'un ensemble de dix instituts thématiques, depuis les questions génomiques jusqu'à l'Institut de santé publique, en passant par les thématiques de la nutrition et du diabète. Ces instituts sont composés d'une quinzaine d'experts chacun, provenant des universités et des CHU. Ces derniers sont représentés par la conférence de leurs directeurs généraux et les universités par la conférence des présidents d'université.
Nous nous réunissons tous les mois pour discuter de l'ensemble des problèmes qui se posent dans le domaine des sciences de la vie et de la santé.
M. François Autain , président . - Nous nous trouvons face à deux réalités contradictoires. D'une part, on constate les faibles performances des laboratoires pharmaceutiques en matière de recherche. Cette situation se traduit par un nombre toujours plus faible de médicaments présentant une efficacité majeure. L'ensemble des statistiques le prouvent, d'où qu'elles émanent (commission de la transparence, revue indépendante comme Prescrire , etc.) ;
D'autre part, il faut souligner un coût exorbitant chiffré par les laboratoires pour chaque médicament. Il est question de 800 millions de dollars, qui sont ensuite devenus 800 millions d'euros, pour la découverte d'une molécule.
Un prix énorme est donc payé pour des performances médiocres. Curieusement, nous assistons au désinvestissement des laboratoires d'un domaine où ils auraient un rôle prioritaire à jouer. De par le monde, nous constatons en effet des fermetures de centres de recherche, notamment celui de Pfizer en Angleterre. En France, le laboratoire Sanofi-Aventis va procéder à des licenciements.
Ces performances médiocres en matière de recherche devaient s'accompagner d'une augmentation de l'effort des laboratoires dans ce domaine pour parvenir à des résultats, d'autant plus que ces acteurs sont aidés par le Gouvernement. En particulier, avec l'instauration du crédit impôt-recherche, les laboratoires peuvent bénéficier de sommes substantielles. Or, c'est le contraire que nous observons.
Je m'en inquiète d'autant plus que vous semblez vous réjouir de cette situation, si j'en juge par les déclarations que vous avez faites dans le journal La Tribune il y a quelques jours. A propos de la fermeture du plus important centre de recherche de Pfizer, vous affirmez : « C'est bien la preuve que les laboratoires pensent que même avec des centaines de chercheurs, ils ne pourront trouver seuls les informations leur permettant de découvrir de nouvelles cibles. »
Selon vous, si les laboratoires ferment, c'est donc parce qu'ils savent qu'ils peuvent trouver dans la recherche publique une aide leur permettant de réaliser des économies en la matière, ceci dans le but de préserver les dividendes versés à leurs actionnaires.
Je souhaiterais que vous nous éclairiez à ce sujet. Il y a sans doute des contradictions dans mes propos. Vous avez la parole.
M. André Syrota . - Je maintiens ce que j'ai affirmé dans La Tribune , dans Le Figaro et dans Les Echos . En réalité, il n'existe pas de contradiction, mais un changement considérable de politique.
Nous avons pensé avoir résolu l'ensemble des problèmes lors du séquençage du génome. Nous savions ainsi qu'il existait 13 000 gènes et que, lorsque des gènes étaient anormaux, ils donnaient lieu à des maladies. Nous pensions que, si l'on modifiait les gènes, on pourrait lutter contre les maladies et que nous obtiendrions des médicaments correspondant à chaque maladie. Le séquençage du génome visait, en outre, à obtenir une connaissance complète de l'ensemble du fonctionnement du vivant.
Le dogme dominant associait un gène à une protéine et à une fonction. Nous nous sommes aperçus que la réalité était bien plus complexe. Un gène peut participer à la synthèse de plusieurs protéines. De même, les mécanismes de fonctionnement des tissus, des organes et donc des maladies, obéissent à des règles complexes. Des réseaux de gènes entraînent des signalisations cellulaires très compliquées, que l'on tente à présent de modéliser par la biologie des systèmes. Il existe par ailleurs des interactions essentielles entre les gènes ainsi qu'entre l'environnement et les gènes, ce qu'étudie l'épigénétique. L'espoir que nourrissaient les industriels est devenu hors de portée, d'autant plus que ceux-ci étaient structurés selon différentes spécialités en différents lieux.
Nous nous sommes aperçus que les mêmes voies de signalisation pouvaient expliquer une ischémie myocardique, une maladie d'Alzheimer ou une arthrose. Par conséquent, les laboratoires ont compris que même avec 30 000 chercheurs, ils n'avaient aucune chance de trouver une cible thérapeutique nouvelle. Qui plus est, les autorités de régulation européennes apparaissent de plus en plus exigeantes : elles demandent que les médicaments soient totalement innovants ou qu'il soit prouvé qu'ils rendent un service médical plus important.
Il est donc apparu une toute nouvelle problématique pour les industriels. Dans les milieux académiques, nous développons la recherche, de la recherche fondamentale à la recherche clinique.
M. François Autain , président . - Effectuez-vous beaucoup de recherche fondamentale ?
M. André Syrota . - Oui. Il ne peut y avoir de recherche clinique sans recherche fondamentale. Au sein de l'Aviesan, nous travaillons tous ensemble : Inserm, Centre national de la recherche scientifique (CNRS), Institut scientifique de recherche agronomique (Inra), Commissariat à l'énergie atomique (CEA), Institut national de recherche en informatique et en automatique (Inria) pour la télémédecine, universités, hôpitaux, Institut Pasteur, etc. Nous discutons avec les industriels au nom d'Aviesan même si par la suite, le laboratoire peut se trouver à l'Institut Pasteur, à l'Inserm, etc. D'ailleurs, les laboratoires sont de plus en plus mixtes ; c'est le cas notamment de celui de l'Inserm.
M. François Autain , président . - Les laboratoires financent-ils la recherche fondamentale ?
M. André Syrota . - C'est là où je souhaite en arriver. Les laboratoires ont besoin de la recherche fondamentale.
M. François Autain , président . - Dans ce cas, pourquoi ne se lancent-ils pas dans ce domaine ?
M. André Syrota . - Le budget de l'Institut de santé américain, National Institutes of Health (NIH) représente 32 milliards de dollars auxquels s'ajoutent les 10 milliards de dollars du plan de stimulus du président Obama. Aucun laboratoire ne peut faire de même.
M. François Autain , président . - Est-ce à dire que la recherche fondamentale n'est pas rentable ?
M. André Syrota . - Ce n'est pas la question. Le socle de recherche fondamentale nécessaire pour aboutir à de nouvelles cibles est tel qu'il ne peut que s'agir d'une recherche menée à l'échelle mondiale.
M. François Autain , président . - Le NIH que vous évoquez dispose de fonds publics beaucoup plus importants que l'Inserm. La situation n'est donc pas comparable.
M. André Syrota . - La recherche fondamentale demande au plan mondial un investissement considérable. Désormais, les industriels ne s'intéressent plus aux molécules, mais souhaitent disposer d'informations. Il s'agit d'un financement de type « semi-mécénat ».
M. François Autain , président . - C'est la première fois que j'entends qualifier les industriels de mécènes. Sont-ils des philanthropes ?
M. André Syrota . - Ce n'est pas ce que j'affirme. Les industriels ont besoin d'obtenir des informations relevant de la recherche fondamentale. Ils sont prêts à les financer sans obtenir en retour la moindre molécule. Ils estiment qu'avec ces connaissances, leur recherche, plus en aval, leur permettra de disposer de nouvelles cibles pour de nouveaux médicaments.
Il s'agit donc d'un paradigme totalement nouveau. Les industriels l'ont compris et développent les mêmes problématiques. Ils nous demandent de travailler avec les meilleurs laboratoires.
Contrairement à ce que certains ont affirmé, la recherche française dans les sciences de la vie et de la santé se situe entre le troisième et le cinquième rang mondial, soit une place excellente. C'est la raison pour laquelle les industriels nous demandent de collaborer avec eux.
Nous tentons également d'attirer de jeunes chercheurs, par les dispositifs des contrats avenir et des actions thématiques et incitatives sur programme (Atip), que nous avons fusionnés. Les industriels sont prêts à financer des contrats de ce type, sans lien avec leur projet, destinés à former les nouveaux post-doctorants de laboratoires. Ceci montre leur inquiétude. Cette année, en effet, seuls 21 médicaments ont été validés à la Food and Drug Administration (FDA). Ils se trouvent dans une impasse totale.
Néanmoins, je pense qu'un nouveau champ va s'ouvrir dans le domaine de la santé, qui résultera des nouvelles technologies que nous mettons en place en post-génomique : en particulier, l'obtention des génomes individuels de chaque sujet, de l'ensemble de ses protéines (le protéome) et de ses voies métaboliques (le métabolome).
Pour un seul sujet, nous recueillons des milliards de données, ce qui nécessite un travail multidisciplinaire entre biologistes, chimistes, informaticiens, mathématiciens et physiciens. Cette visée se situe au-delà de ce que peut accomplir l'industrie pharmaceutique.
M. François Autain , président . - Pour l'industrie pharmaceutique, qui n'est pas capable de faire cela, il est donc assez rentable d'avoir recours à vos services.
M. André Syrota . - Chacun s'y retrouve.
M. François Autain , président . - Bénéficiez-vous de retombées financières ?
M. André Syrota . - Evidemment.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Nous avons auditionné les représentants du collectif « Sauvons la recherche » qui ont souligné le biais du financement des publications. Partagez-vous le constat selon lequel des financements privés favorisent la publication d'études aux résultats favorables, tant en matière de bénéfices que de risques des médicaments ? Si oui, comment y remédier ?
Par ailleurs, la recherche fondamentale aurait été sacrifiée au profit de la recherche appliquée, qui demande de prévoir les résultats attendus en matière de retombées sociales. Elle privilégierait ainsi des travaux, par exemple sur la maladie d'Alzheimer, sans connaissance suffisante des mécanismes fondamentaux. Que pouvez-vous répondre à cela ?
M. André Syrota . - On ne peut comprendre la maladie d'Alzheimer sans recherche fondamentale. Depuis trois ans, je m'efforce de montrer que nous avons besoin d'une recherche fondamentale forte. Il existe un continuum de la recherche fondamentale et de la recherche appliquée. La recherche effectuée à l'Inserm est la même que celle qui est réalisée au CNRS. Nous allons d'ailleurs aboutir à un dispositif identique des commissions et des sections du CNRS dans les sciences de la vie. Nos chercheurs font partie d'unités mixtes. L'idée selon laquelle la recherche fondamentale privilégierait une recherche finalisée est datée.
M. François Autain , président . - Cette distinction est dépassée.
M. André Syrota . - Non, il existe un continuum. On ne peut effectuer une recherche finalisée sans recherche fondamentale en amont.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Jugez-vous normal que les objectifs du syndicat Les entreprises du médicament (Leem) soient repris dans le contrat d'objectifs de l'Inserm ?
M. André Syrota . - Les objectifs du Leem n'y sont pas repris. Dans le cadre d'Aviesan, nous avons mis en place un plan stratégique, inédit dans le domaine des sciences de la vie et de la santé en France.
Les industriels, dispersés, ne pouvaient donner aucune vision d'ensemble des industries de santé. Le conseil stratégique des industries de santé qui s'est tenu fin 2008 a décidé de mettre en place une alliance des sciences de la vie et de la santé, d'une part, et des industriels, d'autre part.
Cette dernière alliance est l'Ariis (Agence pour la recherche et l'innovation des industries de santé). L'Ariis est membre associé d'Aviesan et le président d'Aviesan est membre du conseil d'administration de l'Ariis. Le Leem se trouve au conseil d'administration de l'Ariis, mais au même titre que l'Inserm. Aviesan a pour fonction de trouver de nouveaux marqueurs et d'être à l'origine de nouveaux médicaments, des progrès sur les détecteurs d'imagerie, etc.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Je souhaite revenir sur le Leem et le contrat d'objectifs. Avant le débat du projet de loi sur la bioéthique, les échanges avec le Leem étaient biaisés. Un interlocuteur nous invitait par exemple à une rencontre une semaine avant un débat, intitulée « Cellules souches » , alors que le Leem n'y traitait que des cellules souches embryonnaires.
On peut se demander si l'ensemble des objectifs d'une institution telle que l'Inserm correspond à l'ensemble de la réalité des problèmes, si les objectifs du Leem sont systématiquement repris dans le contrat d'objectifs de votre institut.
M. André Syrota . - Ne connaissant pas les objectifs du Leem, je ne vois pas comment ils auraient pu être repris dans notre contrat d'objectifs. Dans ce contrat ne figurent donc pas les objectifs du Leem. En revanche, l'institut d'immunologie et d'hématologie virtuel d'Aviesan s'occupe de toutes les cellules souches, quelles qu'elles soient.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Pour adopter ce contrat d'objectifs, un conseil scientifique se réunit. Le vote du contrat d'objectifs est-il validé par le conseil d'administration après le vote du conseil scientifique ?
M. André Syrota . - Evidemment. Le plan stratégique a été élaboré par le conseil scientifique, après un travail des commissions. Les experts d'Aviesan y ont également collaboré. C'est cette démarche d'ensemble qui a abouti au plan stratégique.
M. François Autain , président . - Le conseil scientifique a-t-il émis un vote à ce sujet ?
M. André Syrota . - Le conseil n'avait pas émis de vote unanime pour des raisons internes, et non liées au plan stratégique.
M. François Autain , président . - C'est vous qui le dites. D'autres témoignages font état des réalités différentes. Me confirmez-vous que le vote du conseil scientifique était différent de celui du conseil d'administration ?
M. André Syrota . - Oui. Encore une fois, cela a eu lieu dans une période particulière.
M. François Autain , président . - Toutes les périodes sont particulières...
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Revenons à la question du financement des publications.
M. François Autain , président . - Le responsable du financement n'influe-t-il pas sur le résultat des publications ?
M. André Syrota . - S'agissant des publications dans les revues internationales (les seules qui comptent pour moi), il ne me semble pas qu'il y ait financement par l'industrie, quelle qu'elle soit.
M. François Autain , président . - Des articles peuvent être financés non seulement par des laboratoires pharmaceutiques mais également par les industriels de tabac, des fabricants de pesticides, etc. Dans un article paru dans Biofutur , M. Meneton, un chercheur issu de votre institution, révèle l'influence des sources de financement sur les conclusions des articles scientifiques. Il cite à l'appui de sa thèse les articles qui informent sur les dangers du tabac, de l'amiante, de l'alcool, du sucre et des phtalates, en les différenciant de ceux qui ne prévoient aucun danger.
Les articles qui affirment qu'il n'existe pas de danger sont exclusivement financés par des industries privées. Par exemple, les articles qui affirment que la disparition des abeilles n'est pas liée à l'utilisation du Gaucho sont financés par Monsanto. L'auteur en déduit qu'il existe un lien entre la conclusion des articles et leur financeur. Si j'ai bien compris, telle n'est pas votre perception.
M. André Syrota . - A l'Inserm, nous n'étudions pas les abeilles.
M. François Autain , président . - Ceci dit, vos champs de compétences s'élargissent.
M. André Syrota. - Nous avons effectué une étude sur les perturbateurs endocriniens, que nous avons récemment évoquée : dans ce cas, l'expertise collective d'un groupe d'experts indépendants a été demandée à l'Inserm, qui se fonde sur une analyse exhaustive des publications. Les conclusions émises à cette occasion ont d'ailleurs agité certains milieux.
Cette expertise collective s'avère totalement indépendante. Vous pouvez vous fier aux travaux de l'Inserm. Ils comptent une cinquantaine de publications à l'heure actuelle, totalement indépendantes d'une quelconque influence (qu'elle provienne du milieu de l'industrie ou de tout autre secteur).
M. François Autain , président . - Vous faites référence à l'enquête qui a été récemment demandée à l'Inserm sur les perturbateurs endocriniens et les phtalates. A-t-elle été rendue publique ?
M. André Syrota . - Absolument. Les études sont toutes rendues publiques. C'est ainsi que fonctionne l'Inserm. Les personnes présentes dans les commissions doivent signer une clause d'absence de conflits d'intérêts.
Au niveau d'Aviesan, nous avons élaboré une charte d'intégrité scientifique : il est du rôle de cet organisme de veiller à ce que la recherche s'exerce dans la plus totale indépendance, celle-ci étant évaluée par les pairs. Tel est mon objectif.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Pensez-vous qu'il est important d'améliorer la qualité des essais cliniques ? Certains seraient conduits dans des pays tiers, où le contrôle public est plus faible qu'en Europe et en Amérique du Nord.
Pensez-vous qu'il convient de créer un registre public unique d'essais précliniques et cliniques répertoriant l'ensemble des données pour permettre l'appropriation publique sous condition de molécules, dont l'exploitation commerciale n'offre qu'une faible rentabilité malgré leur intérêt au regard des objectifs de santé publique ?
M. André Syrota . - Il est évident que la recherche clinique reste un objectif prioritaire de l'Inserm. Nous exerçons cette recherche dans les centres d'investigation clinique, qui nous sont enviés par de nombreux pays. Il s'agit de cinquante-quatre structures mixtes (Inserm et hospitalières), certaines étant situées en Guyane et à la Réunion, ce qui s'est avéré important pour la grippe.
M. François Autain , président . - Les enseignements tirés de ce cas n'ont pas été perceptibles ici.
M. André Syrota . - C'est pourtant le cas. Dans ce domaine, Aviesan vient de faire connaître à la presse le portail « Epidémiologie France », qui constitue une première mondiale : toutes les banques de données, publiques et privées, peuvent y être consultées. Cette base concerne tous les acteurs de santé publique, y compris la caisse nationale d'assurance maladie (Cnam). Les industriels ont mis en ligne 115 bases de données privées sur ce site public, notamment des banques de données qu'ils ont financées concernant des suivis de médicaments, les comportements de malades, etc.
Depuis le 31 mai, 330 bases de données sont ouvertes sur ce site Internet, ce qui constitue une ouverture considérable de la recherche clinique vis-à-vis du public.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - S'il était proposé de créer un registre public unique d'essais précliniques et cliniques, comment l'envisageriez-vous ?
M. François Autain , président . - Il faudra que nous envisagions les modalités d'établissement d'une telle base de données. L'étude doit être clarifiée sur le site. La Cnam a également ouvert sa banque.
Elle n'est pas de même nature.
M. André Syrota . - 115 études industrielles sont réalisées à l'initiative des entreprises du médicament, dont 78 sont entièrement décrites dans le portail. Les principales enquêtes santé du champ de la statistique publique y figurent. Elles englobent notamment les travaux de l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee).
M. François Autain , président . - Certes, mais ces essais ne sont pas liés aux demandes d'autorisation de mise sur le marché (AMM).
M. André Syrota . - Ce portail constitue toutefois une ouverture considérable. Il est étonnant que les industriels aient accepté d'y participer.
M. François Autain , président . - Ils font preuve d'une grande souplesse. Dès 2005, à la suite de l'affaire du Vioxx, ils ont même proposé de mettre en ligne les essais cliniques et précliniques. Ce système n'est donc pas nouveau.
M. André Syrota . - Si. C'est la première fois que l'on trouve sur un site commun 115 études privées et 330 études globales publiques.
M. François Autain , président . - Des registres de ce type, incluant de la recherche publique, existaient déjà.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Le rapport récent de deux professeurs de médecine, MM. Bernard Debré et Philippe Even, a proposé la création d'experts publics indépendants disposant d'un statut attractif en termes de carrière et de rémunération. Partagez-vous cette proposition ? Si oui, comment définir ce statut ? Faut-il réserver des places dans les promotions universitaires en tenant compte de l'autonomie des universités ? Etes-vous favorable à rendre publics les liens d'intérêts des professeurs et intervenants dans les universités ?
En tant que président-directeur général de l'Inserm, vous orientez-vous vers la création d'experts publics indépendants ?
M. André Syrota . - Je ne crois pas à la notion d'expert public indépendant. En effet, pour être expert, il faut être spécialiste d'un certain domaine.
M. François Autain , président . - A l'heure actuelle, on compte pourtant quatre cents experts indépendants à l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps).
M. André Syrota . - Je répondais à la première partie de la question. Je ne crois pas au métier de l'expertise : l'expertise doit être réalisée par des chercheurs et des médecins qui exercent une activité et peuvent apporter leur expertise. Evidemment, ils doivent être totalement indépendants de l'industrie. Les liens d'intérêts doivent être publiés. A l'Inserm, les liens d'intérêts sont ainsi rendus publics, dans un souci de transparence.
M. François Autain , président . - Il ne s'agirait pas de former des experts à l'Université, qui n'exerceraient que cette fonction tout au long de leur vie. Toutefois, est-il inenvisageable d'imaginer qu'un expert, par exemple un praticien hospitalier personnel universitaire (PH-PU), qui accomplit souvent bénévolement une mission d'expertise à l'Afssaps, puisse être considéré dans un autre système comme un acteur essentiel ?
Il pourrait être rémunéré pour cette fonction, qu'il exercerait pendant plusieurs années, soit à mi-temps, soit à plein temps. La carrière d'un PH-PU pourrait ainsi comprendre un certain nombre d'années d'exercice comme expert dans des agences de santé. Il ne faudrait pas que ce choix soit considéré comme un handicap par rapport aux fonctions qu'il exerce à l'hôpital.
M. André Syrota . - A mon sens, dans l'évaluation d'un PH-PU, on doit tenir compte des services rendus en dehors des recherches propres, du travail clinique et du travail d'enseignement. A l'Inserm, nous en tenons compte. Il peut y avoir un intérêt collectif à participer à un conseil scientifique, à des commissions et à des expertises. Nous devons prendre en compte cet aspect, tout comme la prise de brevets, dans la carrière de ces personnes et pour les recrutements. L'expertise doit être prise en compte dans la carrière d'un PH-PU.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Etes-vous favorable à la constitution d'un corps d'une vingtaine d'experts publics indépendants ?
M. André Syrota . - Non. L'expertise est fondée sur un savoir-faire clinique et de recherche, qui évolue au cours du temps.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Que pensez-vous de la proposition de créer une unité nationale de pharmacologie clinique pour procéder à des essais comparatifs, réaliser des essais post-AMM et réévaluer les médicaments déjà commercialisés ? Si tel était le cas, quels seraient son rattachement, son financement et son positionnement par rapport à l'Inserm ? Comment pourraient être définies ses priorités en matière d'essais et de recherche ? Enfin, dans le dossier du Mediator, avez-vous une proposition à formuler à la mission sénatoriale en matière de pharmacovigilance ?
M. André Syrota . - L'Inserm devrait occuper une place plus importante dans la recherche pharmacologique et toxicologique. J'ai souhaité que le directeur de l'institut Aviesan santé publique, qui s'avère être un professeur d'économie, s'occupe d'économie de la santé, de santé publique, d'économie du développement.
De la même façon qu'il existe une médecine basée sur les preuves ( evidence based medicine ), une santé publique basée sur la recherche doit être développée. Le politique ne doit pas seulement se fonder sur des éditoriaux de presse quotidienne. La recherche est insuffisante en France, par rapport à l'Angleterre et aux Etats-Unis, où se sont développés des courants importants d'économie de la santé.
Les moyens devraient être donnés à l'Inserm pour développer non seulement la recherche clinique, mais également des aspects pharmacologiques et de réflexion sur les politiques de santé.
M. François Autain , président . - Il s'agirait d'une sorte de recherche fondamentale.
M. André Syrota . - Oui, comme il en existe dans la génétique ou l'immunologie.
M. François Autain , président . - Dans ce cas, vous ne pouvez obtenir de secours de la part des laboratoires.
M. André Syrota . - Certainement pas. Grâce à une alliance, qui se ferait non avec la biologie du CNRS, mais avec les sciences humaines et sociales du CNRS (Sciences Po, les écoles d'économie de Paris, de Toulouse, etc.).
Mme Marie-Christine Blandin . - Vous avez évoqué la recherche sur le mode « un gène-un effet » , développé il y a dix ans, puis l'évolution actuelle, plus systémique. Au sein d'Aviesan, l'Inserm effectue-t-elle de la recherche en santé-environnement, notamment sur les contaminations préalables en dehors des expertises collectives ?
Par exemple, les neurotoxiques et la maladie d'Alzheimer font l'objet d'interrogations. S'agissant du Mediator, la question de l'amphétamine transformée ne se serait pas posée avec une telle intensité si autant de personnes ne se trouvaient pas en surcharge pondérale. Est-ce bien votre rôle ?
M. André Syrota . - C'est totalement notre rôle. Nous allons même créer un institut de recherche en santé et en environnement à Rennes. Ce sont des laboratoires de l'Inserm qui ont mené l'étude sur les perturbateurs endocriniens.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Vous avez commencé votre audition en évoquant la politique de thérapie génique et la nécessité d'une réorientation par rapport aux espoirs fondés à l'origine (un gène-une protéine-une fonction).
Lors d'un changement de politique, est-il facile d'affecter les crédits qui étaient dédiés à cette politique, tant au niveau public qu'au niveau privé, pour les réorienter vers d'autres politiques ? Ou cela nécessite-t-il un certain temps ?
M. André Syrota . - La thérapie génique existe pour des maladies rares. Quant aux maladies complexes, elles sont, comme leur nom l'indique, plus compliquées. Nous modifions en permanence, en fonction des évolutions, les moyens que nous leur consacrons.
Grâce à cette alliance, nous sommes au fait des dernières découvertes et de tendances non encore publiées, ce qui nous permet de diriger nos moyens. Je vous rappelle que ce n'est pas l'Inserm ni le CNRS qui détiennent les moyens, mais l'Agence nationale pour la recherche (ANR).
L'Agence a pour rôle d'alerter l'ANR sur les nouveautés en cours. C'est nous qui proposons la programmation à l'ANR, qui dispose des fonds et organise par la suite les appels d'offres.
M. François Autain , président . - S'agissant des statistiques de l'observatoire des sciences et des techniques, sur lesquelles vous vous fondez pour évaluer l'état de la recherche, le crédit impôt-recherche est-il inclus ou exclu dans les sommes mesurant cet effort ?
Je vous pose cette question car M. Trautmann, que nous avons auditionné, a tenu les propos suivants : « Les statistiques de l'observatoire des sciences et techniques révèlent que les fonds consacrés à la recherche n'ont pas augmenté depuis 2000. Cependant, cette enveloppe inclut le crédit impôt-recherche, qui augmente considérablement pour atteindre 5 ou 6 milliards d'euros par an. »
M. André Syrota . - Nous avons déjà mené des échanges à ce sujet. Globalement, le budget de la recherche a augmenté, mais de façon différente par rapport aux quatre dernières années.
Depuis quatre ans, le budget des organismes n'a guère évolué, même si le budget de l'Inserm a progressé de 3,4 %. En revanche, le budget de l'ANR, soit 800 millions d'euros, est venu s'ajouter à ces moyens. Par ailleurs, les investissements d'avenir, qui constituent une autre nouveauté, ont permis d'obtenir 22 milliards d'euros pour la recherche, dont 2,5 milliards pour les sciences de la vie et de la santé. Je viens encore de signer ce matin les protocoles d'accord avec l'ANR. Les fonds arrivent désormais dans les laboratoires, qu'il s'agisse des équipements d'excellence ou de financement d'études de cohorte.
Si le budget des organismes peut ne pas laisser percevoir de changements, le budget global affecté à la recherche dans les sciences du vivant et de la santé a connu depuis trois ans une augmentation considérable, due à l'ANR, d'une part, et aux investissements d'avenir, d'autre part.
M. François Autain , président . - Le crédit impôt-recherche n'a-t-il rien à voir avec cela ?
M. François Autain , président . - Je vous remercie de l'attention que vous avez prêtée aux questions que nous vous avons posées.
Audition de M. Georges CHICHE, cardiologue à Marseille (mardi 7 juin 2011)
M. François Autain , président . - Nous reprenons nos travaux avec l'audition de M. Georges Chiche, cardiologue à Marseille, très présent dans le rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas). Il est l'un des premiers médecins à avoir détecté une valvulopathie aortique imputable au Mediator. Cette valvulopathie a d'ailleurs été plus ou moins contestée par les autorités sanitaires. Peut-être pourrons-nous l'évoquer.
Je vous rappelle que cette audition est ouverte au public. Je dois également vous demander si vous avez des liens d'intérêts avec les laboratoires.
M. Georges Chiche, cardiologue . - Je n'en ai aucun. C'est un principe que je m'applique depuis la fin du siècle dernier, ayant été malmené par l'industrie lorsque j'étais en école de médecine. En devenant médecin et en prenant de l'âge, je me suis rendu indépendant. Par exemple, je n'accepte pas de repas gratuit. Cette manière d'agir devrait être étendue, car le comportement du corps médical doit être réformé.
M. François Autain , président . - Souhaitez-vous vous présenter au préalable ?
M. Georges Chiche . - Je souhaite détailler ma présentation et revenir dix ans en arrière.
Je vais vous présenter le cas que j'ai observé en février 1999 et qui remontait à fin 1998. Je vous montrerai également les différentes pièces originales du dossier et l'argumentaire que j'avais élaboré. J'avais transmis ces pièces à l'Igas et avais conservé le dossier dans ma bibliothèque. Le centre régional de pharmacovigilance (CRPV) de Marseille avait accusé réception de mon dossier. Puis j'ai reçu deux curieux accusés de réception de l'arrivée du dossier à Paris.
Lorsque j'étais étudiant, j'ai eu la chance d'avoir un professeur qui nous avait parlé d'une « épidémie d'hypertension pulmonaire autour du lac Léman ». Cette idée m'était restée en tête. J'avais alors retenu le nom d'« aminorex ». Par la suite, j'ai effectué une reconstruction syllabique et lorsque j'ai vu le mot « benfluorex » dans le Vidal, j'ai compris qu'il s'agissait de l'« oncle Ben ».
Voici les documents que j'ai adressés au centre régional de pharmacovigilance en février 1999 et la lettre que j'ai écrite à la responsable du centre, avec laquelle j'étais interne :
« Chère Marie-Jo,
« Voici enfin les documents attendus. L'insuffisance aortique ne peut être attribuée à la coronaropathie. »
Tout étudiant en médecine en rirait. Or, dans les rapports de l'agence sécuritaire, de grands experts en médecine ont affirmé que l'on pouvait établir un rapport entre la coronaropathie du patient et la valvulopathie aortique.
« Ce n'était pas noté sur les examens réalisés depuis 1992. Cette IAO est volumineuse et peut cadrer avec la prise du Mediator prolongée (plus d'un an). Quoi qu'il en soit, il serait correct que le Vidal mentionne l'appartenance du benfluorex au groupe des amphétamines. Il note la possibilité de réactions positives à la recherche de produits dopants en cas de sport. Le benfluorex est d'ailleurs sur la liste que je joins de l'Agence du médicament en 1995, qui l'interdisait dans les préparations magistrales. »
J'avais constitué mon propre dossier, par une formation médicale non biaisée.
Je connaissais ce patient depuis 1992 : je l'avais recueilli chez lui alors qu'il faisait un infarctus. Avec le Samu, nous l'avions thrombolysé (en procédant à l'injection par voie intraveineuse d'un produit qui fait fondre le caillot) sur place, puis déplacé vers le centre hospitalo-universitaire (CHU)-Nord de Marseille. Dans la lettre de sortie de l'hôpital, on m'a alors signalé la séquelle d'infarctus. Le patient a été revascularisé grâce à la thrombolyse. La coronarographie montrait que tout était reperméabilisé, avec de petites lésions.
L'assistant qui avait reçu ce patient est désormais professeur et chef de service. La coronarographie et la ventriculographie indiquaient la cicatrice d'infarctus, mais pas de valvulopathie nette. Dans le compte rendu d'échographie de sortie, j'ai indiqué une petite influence mitrale, normale pour un infarctus inférieur, mais il n'était pas question de régurgitation aortique. A aucun moment en 1992, ce patient, expertisé dans le CHU marseillais, n'a été classé comme ayant une valvuopathie aortique.
J'ai revu ce patient à mon cabinet le 6 février 1992, son infarctus ayant eu lieu fin janvier. Sur ce papier, il n'est pas noté de fluttering (tremblement de la valve mitrale). Même les vieux cardiologues qui connaissaient l'échographie, sans doppler et sans couleur, diraient qu'il n'y a pas de régurgitation aortique sur ce document.
J'avais fait une déclaration pour obtenir la prise en charge à « 100 % » dans le cadre d'une affection de longue durée (ALD). A aucun moment dans l'expertise, il n'était question de souffle cardiaque ni de valvulopathie. Le médecin-conseil de la sécurité sociale a validé cette ALD.
En 1993, j'ai revu le patient pour une épreuve d'effort. A l'époque déjà, je faisais des échographies pendant l'effort. Je n'ai pas alors constaté de régurgitation.
En haut du document qui vous est présenté, j'ai inscrit : « Opril ; 1 Aspégic ; 1,5 Tenormin ; 1 Vasten et 2 Mediator ». Le patient était médecin ; il s'était prescrit lui-même du Mediator car il avait un syndrome métabolique (augmentation du tour de taille, glycémie haute, triglycérides hauts, etc.), susceptible de se transformer en diabète. Le Mediator visait donc à empêcher le patient en surpoids de devenir diabétique.
M. François Autain , président . - Néanmoins, vous n'en avez vous-même jamais prescrit.
M. Georges Chiche . - Si, j'en prescrivais à l'époque. En 1993, je n'ai pas incité ce patient à arrêter de prendre du Mediator, ce que j'ai fait à partir de 1997.
Je n'ai pas revu le patient jusqu'en 1998. Il semblait aller bien, était bien équilibré aux niveaux coronarien, tensionnel et métabolique. Cependant, à l'auscultation, j'ai entendu un souffle que je ne connaissais pas. J'ai alors constaté un tremblement de la valve mitrale, qui témoigne d'un fluttering , qui n'était pas noté en 1992 et en 1993.
J'ai alors inscrit dans ma déclaration : « L'auscultation est impressionnante ; prise de Mediator de plusieurs mois ; régurgitation grade 2 ; petite régurgitation mitrale. » On y visualise le flux de régurgitation aortique. J'ai joint à ma déclaration le communiqué de l'Agence du médicament de mai 1995.
M. François Autain , président . - Cela concernait alors l'Isoméride.
M. Georges Chiche . - Non, cela concernait toute la famille, y compris le benfluorex.
En 1995, logiquement, les experts de l'Agence ont demandé de stopper l'Isoméride, affirmant que désormais, seul un endocrinologue ou un spécialiste hospitalier ferait la première ordonnance et qu'en l'absence de cette première ordonnance, celle-ci ne serait pas renouvelée.
Par ailleurs, les coupe-faim ne seraient plus intégrés aux préparations magistrales. Je signalerai qu'à Marseille, la queue commençait dès 6 heures devant certaines pharmacies qui, en entente avec des médecins, fabriquaient des pilules spéciales qui contenaient n'importe quoi, y compris de la thyroxine.
L'Agence a également interdit de prescrire sans ordonnance réglementée tous les anorexigènes : Isoméride, Pondéral, etc. Le benfluorex ne figurait pas dans la liste. Il figurait en revanche dans les préparations magistrales qu'il était interdit de prescrire.
Si le benfluorex n'était pas réglementé dans la prescription en capsules en pharmacie, il était interdit en préparations magistrales. Cet état de fait me paraît surprenant.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - L'Italie a fait l'inverse.
M. Georges Chiche . - J'ai joint à ma déclaration une publicité du Mediator, où il est écrit : « contient un principe actif pouvant induire une réaction positive aux tests pratiqués lors des contrôles antidopage » . Il s'agissait donc a priori d'une amphétamine. On retrouvait les mêmes indications sur la publicité de l'Isoméride.
M. François Autain , président . - Cette mention a-t-elle figuré sur les publicités jusqu'à la fin de la commercialisation ?
M. Georges Chiche . - Oui, les publicités que j'ai jointes sont les dernières sur l'Isoméride. S'agissant du Mediator, j'ai par la suite cessé de regarder les publicités. Il faudra le vérifier. Je n'ai pas vérifié si cela était encore inscrit dans le Vidal en 2009.
La responsable du CRPV de Moselle a accusé réception de mon envoi et m'a remercié. Elle m'a également transmis la déclaration qu'elle avait envoyée au niveau national. L'agence marseillaise a fait une légère erreur dans le document qu'elle a transmis : « insuffisance mitrale » a été corrigée à la main en « insuffisance aortique ».
Ce lapsus a été bien venu, car tous les grands experts qui se trouvaient dans la pyramide centrale ont estimé que l'insuffisance mitrale était liée à l'infarctus et s'en sont par conséquent peu souciés. Cette erreur a arrangé nombre de personnes.
M. François Autain , président . - Ne l'avez-vous pas découverte en 1998 ?
M. Georges Chiche . - Si, je l'ai découverte en novembre 1998, dans mon cabinet. Je l'ai déclarée en 1999. En février 1999, en face d'« imputabilité probable », il est inscrit : « médicament suspect : benfluorex ». Je remercie pour cela l'agence de Marseille.
Je n'ai reçu aucune autre nouvelle en dix ans. En revanche, très tôt après ma déclaration, j'ai compris, par la réception de deux accusés de réception insolites, qu'elle était parvenue en haut de la pyramide. Le premier de ces accusés de réception est la visite d'un directeur technique de Servier de Paris, peu après ma déclaration.
M. François Autain , président . - A-t-il demandé à vous voir ?
M. François Autain , président . - Je sais que s'il est venu, c'est parce qu'il a été informé par l'Afssaps.
M. Georges Chiche . - Je ne le savais pas. A cette époque, je ne recevais plus les visiteurs médicaux depuis des années. Il m'a « secoué » ; je l'ai écouté sans m'énerver.
Le deuxième accusé de réception est un appel téléphonique de la mairie de Marseille, qui m'a transféré à un professeur. Ce professeur m'a reproché les observations que j'avais formulées, me demandant de les retirer. Lorsque mon associé a entendu le nom de la personne qui m'appelait, il a mis le haut-parleur pour entendre la conversation téléphonique. J'ai donc un témoin audio de cette scène.
Qui a informé ces deux personnes de ma déclaration confidentielle à la pharmacovigilance ? Je souhaiterais que vous puissiez répondre à ma question.
M. François Autain , président . - Nous ne pouvons malheureusement pas vous apporter de réponse.
M. Georges Chiche . - Je suis monté à Paris pour effectuer une déclaration à l'Igas. L'experte de l'Igas m'a demandé de pouvoir appeler mon associé, qui lui a confirmé par téléphone cette communication spectaculaire.
La même situation s'est réitérée avec la gendarmerie nationale. Une brigade d'enquête de santé m'a auditionné en début d'année. Mon associé a encore une fois confirmé la communication devant les gendarmes.
Je souhaiterais comprendre comment cette situation, qui apparaît inquiétante, est possible. Il me paraît stupéfiant qu'un déclarant d'effets indésirables soit nommé auprès du laboratoire du produit en question.
En 1999, j'ai constitué le dossier en me souvenant d'aminorex. Lorsque j'ai appris le nom chimique de l'Isoméride, la dexfenfluramine ou la fenfluramine, j'ai reconstitué de manière syllabique le benfluorex. Cela m'est resté en mémoire. J'ai retrouvé l'article publié par le professeur de thérapeutique que j'avais eu la chance d'avoir étudiant.
En 1996, dans une revue, nous avons lu les travaux d'un groupe polyvalent du Professeur Lucien Abenhaïm, sur les risques d'hypertension artérielle pulmonaire liés aux anorexigènes. En 1997, les valvulopathies induites par l'Isoméride se sont multipliées. A partir de 1997, lorsque je rencontrais des cas de valvulopathies qui n'étaient ni connues ni explicables par un rhumatisme articulaire aigu ou une ischémie évidente, je demandais aux patients s'ils avaient pris de l'Isoméride et du Mediator. Dans les quartiers nord de Marseille où je pratique, j'ai influencé les médecins généralistes, qui sont tous au courant de la toxicité de ces produits depuis 1997.
En janvier 1999, dans la revue Circulation , je mentionnais une épidémie prédictible. Il a fallu attendre novembre 2009 pour mettre fin à cette affaire. A l'époque, dans la littérature médicale, j'avais trouvé des travaux français de l'équipe du professeur Simonneau : dès 1993, il mettait déjà en lien le Pondéral (fenfluramine) et l'hypertension pulmonaire.
En 2011, l'ensemble des revues étrangères se moquent de nous. Elles refont un historique des cas, notamment ceux qui ont été publiés en 1999, qui auraient dû stopper l'affaire.
Je me pose un certain nombre de questions.
Tout d'abord, y aura-t-il un « avant » et un « après » ? En tant que praticien de terrain, je perçois un « après » de cette affaire. Lorsque je rédige une ordonnance, les patients me demandent à quoi servent les médicaments que je leur prescris. J'en suis très satisfait, car cela permet de retirer certains médicaments des ordonnances et de refaire la liste avec les patients.
Dans la littérature américaine, nous assistons à une multiplication des articles qui s'interrogent sur la question de l'« après ». Dans une enquête de mai 2011, des épidémiologistes interviewent des médecins américains qui ont suivi une formation médicale continue. A la question « Pensez-vous qu'une formation médicale continue qui est sponsorisée par l'industrie est biaisée ? » , ils ont répondu oui à 80 %. A la question : « Etes-vous prêts à payer les frais d'hébergement, de restauration, d'amphithéâtres, etc. ? » , ils ont répondu négativement. Nous nous trouvons dans un cercle vicieux : les médecins savent que leur formation sponsorisée est biaisée, mais ne veulent pas pour autant l'assumer.
M. François Autain , président . - Certains laboratoires, notamment Astra Zeneca, refusent de financer les congrès et les « hospitalités ». Sans doute d'autres suivront-ils.
M. Georges Chiche . - Je les remercie et les félicite. Les revues gratuites, qui constituent une intoxication mentale du monde médical, représentent un autre problème. Le Canadian Medical Association Journal (CMAJ) a publié une étude des différences constatées selon les abonnements libres ou gratuits et sponsorisés par les publicitaires.
M. François Autain , président . - Qu'entendez-vous par revues gratuites ?
M. Georges Chiche . - Je veux parler des revues que je reçois par la Poste tous les matins.
M. François Autain , président . - Nous avons interrogé les directeurs de ces publications, qui affirment que celles-ci ne sont pas gratuites, mais diffusées selon des abonnements. Si vous ne payez pas votre abonnement, quelqu'un doit donc le faire pour vous.
M. Georges Chiche . - Effectivement, je pense que quelqu'un le fait pour moi. J'apprécie beaucoup ces revues, car elles comportent de très belles iconographies. Lorsque je dois présenter une étude américaine du New England à des médecins généralistes, je scanne souvent une photographie d'une revue gratuite.
M. François Autain , président . - Quelles sont ces revues ?
M. Georges Chiche . - Il en existe de nombreuses ne serait-ce qu'en cardiologie (La lettre du cardiologue, etc) . Mais il y a plus grave encore. Dans un numéro spécial des archives internes de médecine, la littérature de recommandation officielle américaine de 2004 à 2008 a été reprise, avec un focus sur le paragraphe « liens d'intérêts ». La modification de la rédaction des liens d'intérêts que vous évoquiez plus tôt a été demandée.
Les conférences d'experts qui vantent les produits d'un laboratoire doivent être considérées comme des conférences publicitaires. Il faudrait que ce soit le nom du médicament qui soit inscrit et non celui du laboratoire.
J'en ai assez des repas gratuits. No more free lunches . L'article auquel je fais référence remonte à 2003. Il m'a fait plaisir car j'avais alors déjà édicté cette maxime « plus de repas gratuits ». Il faut « dégorger » la relation médecins-industrie. Les étudiants américains jurent dans le serment d'Hippocrate qu'ils ne recevront pas d'argent, de cadeaux ou de frais d'hospitalisation. Je pense aux jeunes en formation, qui sont livrés à l'industrie pharmaceutique. La faculté fait partie du monde public : il n'est pas normal que les étudiants en médecine stagiaires dans les hôpitaux, dès la troisième année, aient l'habitude de bénéficier de repas offerts par les laboratoires. Cette pratique est d'ailleurs interdite dans certaines universités.
M. François Autain , président . - La commission pourrait prévoir un codicille au serment d'Hippocrate.
M. Georges Chiche . - Le combat sera âpre pour vous sur le plan législatif.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Avez-vous été informé de la requalification du cas que vous aviez signalé au centre régional de pharmacovigilance ? Estimez-vous que le cas de valvulopathie aortique que vous aviez notifié était suffisamment probant pour conduire dès l'époque au retrait du Mediator, comme l'estime le rapport de l'Igas ? Quels sont, selon vous, les principaux dysfonctionnements du système de pharmacovigilance en France mis en évidence par le dossier du Mediator ?
M. François Autain , président . - Mme Geneviève Derumeaux, que vous connaissez, nous a affirmé qu'elle n'avait été informée de la valvulopathie de Marseille qu'à partir du retrait du Mediator, soit en septembre 2009. Le sort réservé à ce dossier est étonnant.
M. Georges Chiche . - A l'époque, je n'ai pas été vexé de ne recevoir aucun accusé de réception. Toutefois, ne voyant rien venir, je n'ai fait aucune déclaration des autres effets secondaires indésirables de médicaments.
Quant à ce cas, je ne peux le déterminer de manière formelle, car en tant que médecin, rien n'est formel pour moi. La valvulopathie de ce patient a régressé après l'arrêt du produit. Il lui restait une régurgitation minime, ce qui est prévisible d'après les études sur ce sujet.
J'ai déclaré ce cas mais pas d'autres. J'ai empêché des patients dont les valvulopathies étaient volumineuses d'être opérés à coeur ouvert. J'ai dû retarder certaines opérations. Ces personnes nourrissent des regrets à présent, car une prothèse métallique aurait pu leur être posée.
A posteriori , je validerais ce cas de valvulopathie.
M. François Autain , président . - Il est donc des valvulopathies imputables au benfluorex que vous n'avez pas déclarées, d'où la sous-notification.
M. Georges Chiche . - Evidemment. C'est pour cette raison que le rapport de la Cnam ne me fait pas rire. Heureusement, la Cnam a pu recroiser les fichiers. Il faut comprendre l'inertie du monde médical.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Vous n'avez pas répondu au sujet des principaux dysfonctionnements du système.
M. Georges Chiche . - La déclaration des effets secondaires ne donne pas lieu à des retours. En France, on ne déclare pas, car le poids médico-légal n'est pas le même qu'aux Etats-Unis. Récemment, à l'occasion du scandale de santé mondial lié aux farines contaminées en Chine, les Etats-Unis ont déclaré l'ensemble des morts qu'ils ne comprenaient pas en dialyse et ont ainsi pu faire le lien entre ces morts et les farines. En Italie et en Espagne, les farines ont été suspendues.
La France, quant à elle, a réagi en affirmant avoir reçu une lettre du laboratoire évoquant une rupture de stock, ce qui a donné lieu au report vers d'autres molécules. Sur le site de l'Afssaps, on trouvait le même énoncé. Cet exemple caricatural date de 2008-2009.
M. Gilbert Barbier . - En cardiologie, une contamination importante est liée à la prescription des pacemakers. Comment faites-vous le choix d'un appareil par rapport à un autre, sans connaissance des appareils des laboratoires ?
M. Georges Chiche . - Je suis cardiologue de terrain. Ce n'est pas moi qui choisis les appareils. Dans les conflits d'intérêts, les pilules ne sont pas seules en cause. C'est le cardiologue interventionnel qui choisit le stent . Quant aux liens, ils nous dépassent totalement.
Le deuxième lien que vous évoquez est le soutien de l'industrie à la recherche à l'université. Les universitaires ont besoin de ce soutien pour leurs élèves.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Le cas du Mediator a montré une sous-notification des effets indésirables. Comment améliorer les signalements de pharmacovigilance, notamment par les professionnels de santé ? Faut-il rémunérer les médecins pour le temps passé à signaler les effets indésirables ? Comment mieux prendre en compte les notifications directes par les patients ?
M. Georges Chiche . - Un système de formation médicale continue obligatoire devait être lancé. Si ce système était valide, vous pouvez imaginer que des points de formation médicale continue auraient été attribués pour toute déclaration valide ou correctement effectuée. Il aurait alors fallu réformer l'Agence du médicament, car celle-ci aurait croulé sous les déclarations.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Avez-vous besoin d'une notification directe par les patients ?
M. Georges Chiche . - Evidemment. Depuis cette affaire médiatique, les rapports entre médecins et patients ne sont plus les mêmes : les patients parlent et les médecins écoutent.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Les prescriptions hors AMM doivent-elles être mieux encadrées et surveillées ?
M. Georges Chiche . - Oui. J'effectue encore des prescriptions hors AMM lorsqu'un dossier est assez solide. Je l'explique alors au pharmacien dans mon ordonnance. Cela est assez rare et concerne essentiellement les nouveaux anticoagulants mis sur le marché mais non validés pour la fibrillation auriculaire. Je n'en veux que modérément aux personnes qui prescrivaient du Mediator pour le diabète.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Avant toute procédure de retrait, il est important de disposer d'un certain nombre de certitudes. Quels doivent être, selon vous, les signaux pertinents en matière de pharmacovigilance ? Faut-il octroyer davantage de place aux lanceurs d'alerte ? Si oui, comment ?
M. Georges Chiche . - Oui. Si un médecin est félicité par l'Afssaps, il fera d'autres déclarations et construira ses dossiers de mieux en mieux.
Mme Virginie Klès . - Le remboursement du médicament est lié à l'argent public. Imagineriez-vous un système de séparation entre un prescripteur et un contrôleur délivreur (rôle que peut jouer le pharmacien aujourd'hui) ?
M. Georges Chiche . - Il est vrai que les ordonnances françaises sont surréalistes. Nous passons beaucoup de temps à décoder certaines ordonnances, qui comprennent un nombre de médicaments très important. Le pharmacien peut certes intervenir, mais quel pouvoir a-t-il ? Il s'agit également d'une question d'éducation. J'ai attendu 1998 pour raisonner en termes de dénomination commune internationale (DCI) : il est toujours question du Mediator, mais il faut parler de benfluorex.
M. François Autain , président . - Je rappelle que la prescription en DCI est obligatoire.
M. Georges Chiche . - Dans la pratique, elle n'est pas appliquée.
M. François Autain , président . - Je vous remercie infiniment de ces informations très intéressantes.
Audition de M. Xavier BERTRAND, ministre du travail, de l'emploi et de la santé (mardi 7 juin 2011)
M. François Autain , président . - Mes chers collègues, nous avons l'honneur d'auditionner aujourd'hui pour notre quatre-vingt-septième et dernière audition, M. Xavier Bertrand, ministre du travail, de l'emploi et de la santé.
Monsieur le ministre, cette audition est ouverte à la presse. Elle fera l'objet d'une diffusion sur le site du Sénat. Comme vous n'êtes pas médecin, je n'ai pas à vous demander vos liens d'intérêts. Souhaitez-vous faire une intervention liminaire ?
M. Xavier Bertrand, ministre du travail, de l'emploi et de la santé . - Même si je ne suis pas médecin, vous auriez pu me demander mes liens d'intérêts.
M. François Autain , président . - Dans ce cas, je vous les demande.
M. Xavier Bertrand, ministre . - Je vous dis cela car, anticipant les recommandations du rapport Sauvé, j'avais fait des déclarations d'intérêts pour moi-même et l'ensemble des membres de mon cabinet avant que la règle ne soit imposée à l'ensemble des membres du Gouvernement. Je vous affirme donc que je n'ai pas de liens d'intérêts parce que je l'avais rendu public.
M. François Autain , président . - Je me contentais d'appliquer la législation existante.
M. Xavier Bertrand, ministre . - C'est la première fois que je me présente devant le Sénat pour répondre à vos questions. Je l'ai déjà fait à deux reprises devant l'Assemblée nationale. Cette étape est pour moi importante, car il faut qu'il existe un « avant » et un « après » Mediator.
Nous devons apporter des garanties pour que la police du médicament soit profondément améliorée. Il faut redonner confiance dans le système du médicament. Cependant, les mots ne suffiront pas : des changements de comportement, de règles législatives et réglementaires, d'organisation et de refonte de l'Afssaps doivent survenir. Cette exigence de transparence a toujours été la nôtre avec Nora Berra, dès le lendemain de notre prise de fonctions.
Lorsque nous avons appris le drame du Mediator, nous avons demandé à l'Igas que toute la lumière soit faite. Nous avons ensuite reçu son rapport le 15 janvier dernier. Celui-ci montre qu'un faisceau d'indices pointe clairement la responsabilité première et directe des laboratoires Servier. C'est bien ce médicament, produit par les laboratoires Servier, qui a causé ces victimes.
Pour le reste, je ne méconnais pas le rôle de chacun : la mission de l'Igas, les missions d'information et la justice. L'Igas ne pouvait interroger le laboratoire, car elle devait se limiter à la sphère administrative.
S'agissant de la partie administrative de l'enquête, le rapport de l'Igas a établi des défaillances graves dans le fonctionnement de notre système du médicament. La police du médicament, qui relève de la sphère publique, a failli à sa mission. Le principe de précaution a profité au laboratoire et non aux patients.
Aujourd'hui, nous devons tirer tous les enseignements de ce drame afin de rebâtir notre système de pharmacovigilance. Ceci passera par des mesures radicales et rapides. Le nouveau système doit être effectif dès cette année, pour être appliqué sans tarder. Cela vaut notamment pour le fonctionnement de l'Afssaps, les procédures d'AMM et leur éventuel retrait. Il nous faut davantage explorer et sécuriser ce dernier point. Se pose également la question des alertes, du suivi des alertes et des déclarations de conflits d'intérêts. Sans transparence totale, il n'y aura pas de confiance totale.
J'ai lancé les Assises du médicament, qui ont réuni l'ensemble des acteurs (plus de 300 participants pour près de 50 réunions). La restitution de chaque groupe de travail s'est tenue le 31 mai dernier. Le rapport de synthèse, préparé par Edouard Couty, me sera remis avant la fin du mois de juin.
Avec le rapport Couty, les Assises du médicament, les missions parlementaires à l'Assemblée nationale et au Sénat, nous mènerons un travail qui ne peut qu'être convergent. Nous mettrons en place une réforme d'ensemble, qui nous permettra de mener une action efficace et rapide.
Les Assises se déroulent dans une totale transparence. Les débats sont enregistrés et disponibles sur le site du ministère, comme les contributions et les comptes rendus des groupes.
Dans le même temps, j'attends le deuxième rapport de l'Igas, qui est chargé de me proposer des recommandations sur l'optimisation de la pharmacovigilance, prévu au cours de la deuxième quinzaine de juin.
Quand votre restitution aura-t-elle lieu ?
M. François Autain , président . - La publication est fixée au 4 juillet. Le rapport sera examiné et débattu vers le 28 juin.
M. Xavier Bertrand, ministre . - Ces rapports nous permettront d'écrire la réforme, qui ne sera pas uniquement législative. Par ailleurs, j'ai demandé des déclarations de conflits d'intérêts à l'ensemble des membres de mon cabinet, afin d'éviter toute éventuelle confusion.
Nous souhaitons également prendre des mesures sur les médicaments actuellement commercialisés sur le marché français (« liste des 76 »). En effet, j'estime que ce n'est pas dans la presse qu'ils doivent être publiés, mais sur le site de l'Afssaps. Il nous faut dresser un bilan transparent des médicaments qui font l'objet d'un suivi national de pharmacovigilance et déclencher des processus de réévaluation du rapport bénéfices-risques.
Par ailleurs, j'ai demandé à Dominique Maraninchi d'assumer la fonction de nouveau directeur de l'Afssaps. Je pense qu'il en a pris totalement la mesure. J'ai également demandé qu'il soit auditionné par les commissions compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Nous avons passé une après-midi à l'Afssaps et un moment à la HAS.
M. Xavier Bertrand, ministre . - S'agissant de l'indemnisation, nous avons pensé qu'il n'était pas possible de discuter avec les laboratoires Servier. Leurs propositions se sont avérées inacceptables : ils choisissaient les victimes, ne les indemnisaient pas toutes et pas suffisamment. La réparation intégrale n'était pas consacrée. Ils avaient par ailleurs établi que les personnes qui accepteraient la transaction perdraient la possibilité d'intervenir au pénal et au civil.
Puis ils ont changé leur attitude : Mme Favre, que nous avons missionnée avec M. Mercier, Garde des sceaux, a obtenu des avancées de leur part. Nous pensions être près de conclure, mais de façon inexplicable, les laboratoires Servier ont refusé de garantir la réparation intégrale et a abandonné l'idée qu'en cas de transaction, il n'est plus possible de faire valoir ses droits devant une juridiction civile. Cette proposition n'était acceptable ni par les associations de victimes, ni par le Gouvernement. Je n'avais pas la garantie que l'ensemble des victimes serait indemnisé.
Un fonds Mediator créé par la loi est en cours de discussion (article 22 du projet de loi de finances rectificative qui sera présenté cette semaine à l'Assemblée Nationale, puis au Sénat). Ce n'est toutefois pas à la solidarité nationale, et donc au contribuable, de payer, mais au laboratoire Servier. Nous aurons l'occasion de revenir sur les modalités de ce fonds lorsque vous le souhaiterez.
Nous avons pour impératif de redonner de la confiance. Le système doit être plus sûr, plus transparent et plus réactif. Nous plaçons la barre assez haut. Cette action est nationale, mais aussi européenne.
Lors d'une rencontre avec le commissaire Dalli, j'ai obtenu qu'une rencontre informelle des ministres de la santé traite de ce sujet, en Hongrie, début avril. Des réformes doivent également être menées au niveau européen. Après ce préambule, je me tiens à votre entière disposition pour répondre à vos questions.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Monsieur le ministre, nous partageons vos propos sur la police du médicament, d'autant plus que le Sénat avait proposé des réformes en 2005, dans un souci de transparence et de réactivité accrues. Nous avons le sentiment de ne pas avoir été écoutés suite à l'affaire du Vioxx.
Vous étiez ministre de la santé entre 2005 et 2007. Avez-vous été informé de la nocivité du Mediator ? Rétrospectivement, comment appréciez-vous le manque d'information des ministres successifs et de leurs cabinets ? A la suite de ce dossier, le rôle du ministre concerné dans le domaine de la sécurité sanitaire doit-il évoluer ? Quelle gouvernance préconisez-vous au niveau des agences ? Etes-vous favorable à une refonte du système d'agences, éventuellement sur un modèle étranger (Etats-Unis, Royaume-Uni, Espagne, Italie) ? Le ministre doit-il être responsable ?
M. Xavier Bertrand, ministre . - Le ministre est responsable ; la responsabilité politique ne se délègue pas. Le 15 janvier, lorsque j'ai reçu le rapport de l'Igas, j'étais ministre de la santé. Les trente-trois ministres de la santé ont nécessairement une part de responsabilité, car pendant que nous étions ministres, il y a eu des victimes du Mediator. Entre 1995 et 1998, la commercialisation était sur le point d'être interdite ; cette interdiction n'a finalement pas eu lieu.
Aucun des ministres, qu'il soit de droite ou de gauche, s'il avait eu connaissance d'une nocivité, n'aurait laissé faire. Aucune décision de déremboursement du Mediator ne m'a été proposée. Les relations entre l'Afssaps et la HAS sont très complexes. Cet état de fait pose plusieurs problèmes.
Avec l'affaire du sang contaminé, nous avons vécu un changement en profondeur. Avant cette affaire, la responsabilité et nombre d'informations revenaient directement au ministère, et donc au ministre. Après l'affaire, comme d'autres pays européens, la France a transféré certaines agences à des autorités indépendantes. Alors que tout revenait vers le politique, le politique a passé la main aux experts dans les domaines de l'évaluation, de l'expertise et de la décision. Je pense que ce système n'apporte pas toutes les garanties nécessaires.
Il convient de trouver un équilibre entre les informations utiles et nécessaires. Ce sont les responsables publics, et donc politiques, qui sont décisionnaires, à moins que nous en décidions autrement. Ma demande de publication de la « liste des 76 », malgré les critiques de professionnels de terrain, vise à ce que les ministres ne puissent plus affirmer ne pas être au courant qu'un médicament était mis sous surveillance. S'ils ne prennent pas les décisions adéquates, ils devront en assumer les conséquences.
La place du politique doit être revisitée. Certaines informations doivent nécessairement revenir au plan politique. Charge pour lui d'exercer la vigilance nécessaire. J'ai conscience que cette tâche s'avère difficile et que les cabinets ministériels ont de moins en moins d'effectifs. Qui plus est, les effectifs des ministères ne permettent pas de faire face aussi largement que nous le souhaiterions à toutes les charges de travail qui nous sont soumises.
Etant donné le nombre de décisions qui doivent être prises chaque année en raison de l'échelon européen, des priorités doivent être fixées. Dans le cas contraire, nous n'aurons pas la garantie que les accidents ne se reproduiront pas.
J'ai été interrogé par la mission parlementaire du député Yves Bur sur les agences sanitaires ce matin. Nous devrons prendre en compte l'articulation entre les différentes agences sanitaires ; la question de la transparence se posera pour chacune d'entre elles (et pas seulement pour l'Afssaps). Nous l'affirmons aujourd'hui pour l'industrie de la santé, mais cette industrie ne recouvre pas seulement l'industrie du médicament.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Tout à fait. Les dispositifs médicaux et l'agroalimentaire sont également concernés.
M. Xavier Bertrand, ministre . - Oui. Lors des débats sur l'expertise de l'aspartame, la question de l'indépendance des experts s'est posée. Cette problématique ne doit pas uniquement porter sur la question du médicament.
Sur l'ensemble des sujets, nous devrons donner une définition du conflit d'intérêts.
M. François Autain , président . - Vous avez préconisé d'octroyer davantage de responsabilités au ministre. Cela me paraît assez difficile à envisager. Prenons le cas de l'Actos, qui ressemble à bien des égards au Mediator. Il a été mis sur le marché il y a une dizaine d'années. La pioglitazone a été classée en ASMR V : en d'autres termes, elle n'apporte aucune amélioration du service médical selon la commission de la transparence. Qui plus est, l'Actos a été classé parmi la « liste des 76 ». Par conséquent, non seulement il n'a aucune utilité, mais il nécessite une surveillance renforcée en raison de sa dangerosité. Je ne comprends donc pas pourquoi ce médicament est maintenu sur le marché.
Hier encore, M. Aquilino Morelle de l'Igas, insistant sur les responsabilités du ministre en matière de sécurité sanitaire, a évoqué le pouvoir régalien. Il s'agit peut-être d'un futur Mediator. Vous devriez avoir la possibilité de remettre en cause la décision de maintien de l'Actos sur le marché prise par le directeur général. Peut-être conviendrait-il d'octroyer davantage de pouvoir au ministre.
Si une affaire similaire à celle du Mediator apparaît concernant l'Actos, ce sera, en effet, certainement le ministre qui sera davantage responsable que le directeur général de l'Afssaps.
J'ai repris ici la proposition que vous avez formulée de revisiter le rôle du politique. L'Actos représente la parfaite illustration de la situation dans laquelle nous nous trouvons. Elle répète le Mediator. Sur ce plan, nous n'avons pas progressé.
L'Actos n'est pas seul concerné. Vingt-cinq médicaments de la « liste des 76 » sont actuellement considérés comme inutiles, mais bénéficient d'une surveillance renforcée car ils sont dangereux.
Je ne comprends pas pourquoi des médicaments inutiles et dangereux sont maintenus sur le marché, au risque qu'une affaire similaire à celle du Mediator survienne dans les années à venir. Sans doute avez-vous une réponse à nous apporter, monsieur le ministre ?
M. Xavier Bertrand, ministre . - Monsieur le président Autain, je reconnais là votre constance et votre cohérence. Vous m'obligez à être très précis. Je ne crois pas que nous soyons restés inactifs. Le 19 avril dernier, l'Afssaps a utilisé une procédure très rare en appelant les médecins à la prudence, notamment sur l'utilisation de l'Actos. L'Afssaps s'est notamment adressée aux médecins qui traitent des patients diabétiques par un traitement chronique.
Une étude de l'assurance maladie doit être publiée, dont nous commençons à connaître les résultats. Une décision sera prise lors d'une réunion d'AMM jeudi prochain. Les risques encourus consistent principalement en des cancers de la vessie.
Je me suis entretenu avec le directeur général de l'Afssaps pour déterminer si nous devions renvoyer à une décision européenne ou attendre les résultats de l'étude de l'assurance maladie. Si les résultats de cette étude devaient être connus dans six mois ou dans un an, peut-être aurions-nous pris une décision différente. Etant donné qu'ils seront connus dans les jours à venir, nous avons estimé que nous pouvions attendre fin mai-début juin pour prendre une décision.
Lorsque ce médicament a été mis sur le marché, la question du rapport bénéfices-risques se posait. Des médecins m'ont interrogé sur le retrait éventuel de l'Actos, eu égard aux patients pour lesquels ce médicament présentait une véritable avancée et qui ne développaient pas de cancer de la vessie.
M. François Autain , président . - Le cas de figure était strictement semblable pour le Mediator.
M. Xavier Bertrand, ministre . - Non. Il aurait fallu attendre nombre de réunions de pharmacovigilance avant que cela soit inscrit au procès-verbal de la commission nationale. C'était le cas du Mediator, mais pas celui de l'Actos. Ce n'est pas la première fois que je m'exprime sur ce sujet, loin s'en faut.
Il est nécessaire de communiquer sur les traitements de substitution. L'Actos apportant un soulagement à certains patients, nous devons laisser le temps aux professionnels de santé de s'organiser pour trouver un substitut.
Si les études de l'assurance maladie laissent entrevoir le moindre doute, je n'attendrai pas la décision de l'Europe et prendrai mes responsabilités. J'ai évoqué la question avec Dominique Maraninchi qui a adopté la même position.
Dans des cas précis, une opposition pourra être constatée entre l'Afssaps et le ministère. Dans le cadre de la réforme, nous devrons alors déterminer qui est le décisionnaire en dernier recours.
Nous avons connaissance de ces faits, car des mesures de transparence ont été mises en place, tant au niveau national qu'européen. Des responsables en fonction à l'Afssaps au moment du Mediator ont par la suite pris des responsabilités à l'Agence européenne du médicament.
Je retire des stress tests, réalisés à l'Agence européenne, sur le Mediator l'enseignement selon lequel les réformes en matière de transparence devront s'appliquer de la même façon. Je n'affirmerai donc pas que l'Actos ne constitue pas un sujet.
M. François Autain , président . - L'Actos n'est pas seul concerné.
M. Xavier Bertrand, ministre . - Tout à fait : 76 médicaments le sont. Il est toutefois difficile d'expliquer que le fait de prendre un médicament ne constitue pas un acte anodin. Pour chaque médicament, il existe des bénéfices et des risques. La question du rapport bénéfices-risques ne s'entend pas de la même façon pour chacun des patients. Certains ont même besoin de prescriptions hors AMM ou d'ATU.
J'ai constaté que des personnes avaient pu être sauvées pour avoir bénéficié d'une ATU, alors que selon le rapport bénéfices-risques commun, elles n'y avaient pas droit. L'Actos fait partie des médicaments pour lesquels les responsabilités seront prises, sans qu'il soit nécessaire d'attendre un drame dans quelques années.
M. François Autain , président . - Etant donné qu'il est si difficile, une fois qu'un médicament a été mis sur le marché, de le retirer, ne pensez-vous pas qu'un médicament ASMR V ne devrait pas être remboursé ? Chaque année, 90 % des médicaments commercialisés sont ASMR V. Pourquoi les rembourser ?
M. Xavier Bertrand, ministre . - A mon sens, les AMM ne doivent plus être établis de la même façon. Les médicaments en question sont mis en balance avec le placebo : s'ils sont plus efficaces que l'absence d'un véritable traitement, ils sont retenus. Une dimension européenne entre également en compte. On me demande s'il ne s'agit pas d'une entorse au principe de concurrence. Pour ma part, je pense que non.
Nous devons mener une étude par rapport aux comparateurs. Si cela s'avère impossible ou long au niveau européen, je prendrai mes responsabilités en France de la manière suivante : en fonction du prix, si le service médical rendu n'est pas jugé par rapport à un comparateur, nous ne l'admettrons plus au remboursement.
S'agissant de la « liste des 76 », nous devons faire preuve de pédagogie. Certains patients qui prennent ces médicaments s'inquiètent de leur dangerosité. Les médecins sur le terrain se demandent comment agir. La « liste des 76 » sera amenée à être modifiée.
M. François Autain , président . - La liste comptait d'ailleurs 77 médicaments.
M. Xavier Bertrand, ministre . - Elle va être amenée à changer en permanence désormais. Certains médicaments seront retirés de la liste, car des études montreront que le rapport bénéfices-risques reste satisfaisant et que les effets indésirables peuvent être qualifiés et calibrés. D'autres entreront dans cette liste.
Nous souhaitons faire en sorte qu'une fois un médicament mis sur le marché, les études post-AMM soient renforcées. Pour cela, nous devons certainement nous servir davantage des études et des renseignements transmis par l'assurance maladie. Celle-ci nous permet d'obtenir des cohortes beaucoup plus importantes que les seuls essais cliniques avant l'AMM.
Aux Etats-Unis, il semble plus facile d'engager une étude post-AMM. Je m'en inspirerai donc. Il est également possible de faire remonter des effets indésirables plus rapidement. Les patients, les médecins et les lanceurs d'alertes ont un statut protégé, ce qui les met à l'abri. Ces sujets doivent faire l'objet d'une part importante de la réforme.
Cela semblait auparavant difficile, car c'était aux laboratoires que l'on demandait de mener des études. S'ils ne respectaient pas les délais, ceux-ci étaient prorogés. Il faudra donc procéder à des encadrements dans des délais précis. Si les délais ne sont pas tenus, il conviendra de suspendre l'AMM.
Parallèlement, les prescripteurs, voire le grand public, devront être informés de l'engagement de la procédure et du fait qu'en l'absence de procédure, il y aura retrait du marché. Ainsi, les prescripteurs ne se trouveront pas désemparés du jour au lendemain.
M. François Autain , président . - Vous envisagez donc de réaliser des essais comparatifs avant qu'un médicament soit examiné par la commission de la transparence. Lorsqu'un médicament sera considéré comme inutile, c'est-à-dire comme n'apportant pas d'améliorations du service médical rendu (ASMR V), il ne sera pas pris en charge par la sécurité sociale.
Ceci dit, dans la réglementation actuelle, il ne devait pas être pris en charge. En réalité, il l'a pourtant été. Il s'agit d'un des mystères que je n'ai pas réussi à percer. La commercialisation des médicaments ASMR V était suspendue au fait qu'ils permettent de réaliser des économies à la sécurité sociale. Or j'observe que tous ces médicaments ont été mis sur le marché à des prix quatre à six fois plus élevés que l'équivalent sur le marché.
La réglementation des ASMR V n'a donc pas été respectée. S'ils étaient retirés du marché, peut-être personne ne s'en plaindrait.
M. Xavier Bertrand, ministre . - Lorsqu'un médicament est pris en charge, un prix lui est fixé. Le marché répond à deux logiques : le prix et le volume. Si certains médicaments peuvent être admis au remboursement malgré cela, c'est aussi parce qu'ils peuvent avoir un effet sur d'autres prix. Je n'excuse pas par là le moindre comportement. J'ai des exemples à ce sujet.
M. François Autain , président . - Moi aussi. Ainsi, l'Actos est cinq fois plus cher qu'un traitement avec de la metformine génériquée. Je ne vois pas comment, dans ce cadre, des économies sont possibles.
M. Xavier Bertrand, ministre . - Je ne parlais pas de l'Actos.
M. François Autain , président . - Dans ce cas, prenons l'exemple du Multaq, ASMR V, qui coûte 41 euros par mois, alors qu'un traitement à même visée thérapeutique, tel que le Tegretol, coûte 13 euros. Le Lyrica vaut 49 euros, alors qu'un traitement à même visée thérapeutique s'élève à 13,56 euros. Quant au Nexen, il s'élève à 0,76 euro par jour, alors qu'un anti-inflammatoire non stéroïdien (AINS) génériqué coûte 0,212 euro.
Ces médicaments ASMR V ont été mis sur le marché, alors qu'ils n'auraient pas dû l'être à ce prix. Je n'ai pas élucidé ce mystère et vous ne semblez pas pouvoir le faire non plus.
M. Xavier Bertrand, ministre . - Le responsable du Ceps a-t-il répondu clairement à cette question lors de votre audition ?
M. François Autain , président . - Nous avons pu l'interroger sur le Multaq : il nous a affirmé que l'avis qui avait été émis par la commission de la transparence n'était pas correct et qu'il avait été amené à le modifier. En conséquence, il a pu fixer un prix bien supérieur à ce qu'il aurait dû être.
M. Xavier Bertrand, ministre . - Si tout allait bien, je ne modifierai pas le système. Le Figaro a publié une étude sur Avastin et Lucentis. Néanmoins, la réalité s'avère plus complexe que l'article le laisse penser, les formes n'étant pas les mêmes.
M. François Autain , président . - Pour l'Avastin, on note une différence de 1 à 40.
M. Xavier Bertrand, ministre . - Certes, mais on ne parle pas de la même chose.
Le Ceps répond à un principe de prix-volume. Certains jugent que la question est discutée de manière insuffisamment transparente. Un rapport est rendu chaque année aux assemblées parlementaires. J'ignore si une audition des responsables a lieu dans le même temps.
M. François Autain , président . - Non, il n'y en a pas.
M. Xavier Bertrand, ministre . - C'est dommage. Yves Bur affirme notamment qu'il les reçoit en audition chaque année. Si je souhaite une réforme en profondeur, c'est parce que certaines réponses ne me satisfont pas.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Quel bilan tirez-vous des mesures de régulation du prix du médicament en France et du rôle joué par le Ceps ? Selon vous, la procédure du dépôt de prix ne conduit-elle pas au renchérissement de médicaments innovants ?
M. Xavier Bertrand, ministre . - S'agissant du Ceps, j'attends de savoir ce que vous nous proposerez en la matière et de prendre connaissance du rapport que rendra Edouard Couty.
A l'étranger, le mode de régulation des prix est présenté comme un atout du système. En France, nous disposons de l'accès à l'innovation et au médicament. Notre système n'est pas mauvais en matière de fixation des prix, mais il nécessite davantage de réactivité et de transparence, même si des accords ont été noués avec l'industrie, notamment sur le prix-volume.
MM. Johanet et Renaudin, avec lesquels nous travaillons, sont de vrais serviteurs de l'Etat. Leur travail prend à la fois en compte les impératifs économiques et thérapeutiques (faire partager l'innovation).
Enfin, je n'ai pas le sentiment que les médicaments innovants soient plus chers en France qu'à l'étranger.
M. François Autain , président . - Il semblerait pourtant que ce soit le cas. C'est l'inverse pour les produits ASMR V, qui s'avèrent globalement moins chers.
M. Xavier Bertrand, ministre . - Vos propos sont contraires à ceux que me tient ma conseillère du médicament. Cela fait des années que vous nous affirmez que le système doit être modifié, ce que j'entends. Il ne faut toutefois pas que nous donnions le sentiment que le système est détestable.
M. François Autain , président . - Je n'ai pas dit cela.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Revenons à la question des agences. Faut-il renforcer les contrôles administratifs qui s'exercent sur le fonctionnement interne des services des agences sanitaires ? Comment ? Des bilans réguliers de ces contrôles qui pourraient être adressés au Parlement doivent-ils être effectués ? Le Parlement doit-il exercer une mission de contrôle ? En me rendant à l'Afssaps, j'ai regretté de constater que nous assumions notre mission de contrôle en période de crise.
Le mode de financement des agences sanitaires doit-il être réformé ? Le financement de l'Afssaps par une dotation budgétaire représente-t-il une solution crédible dès lors que l'Etat a progressivement réduit sa contribution existante à néant ?
M. Xavier Bertrand, ministre . - L'Etat a réduit sa contribution, car il avait décidé d'un autre choix, celui de solliciter l'industrie. Même s'il s'agit de simples contributions, il y aura toujours des personnes pour affirmer que l'Afssaps est financée par l'industrie. Je suis persuadé que le raccourci sera fait.
Tant que l'Afssaps sera directement financée par l'industrie, on lui reprochera de ne pas être indépendante. Personne n'effectuera de travail de pédagogie. En effet, ceux qui tenteraient de le faire se heurteront à un système bien-pensant.
J'ai proposé le versement d'une taxe à l'Etat, qui garantira le financement de l'Afssaps.
M. François Autain , président . - Il pourrait également s'agir d'un fonds.
M. Xavier Bertrand, ministre . - Je ne suis pas certain que ceci soit préférable. Tel est le choix que je ferai.
Chaque année, le ministre de la santé devra se montrer très vigilant et efficace pour garantir le fonctionnement complet de l'Afssaps.
Nous ferons ce choix car dans le cas contraire, on nous reprochera de ne pas être indépendants. Les arbitrages budgétaires devront être effectués avec la plus grande vigilance.
Par ailleurs, il a manqué à l'Afssaps des contrôles internes des agences. Seuls des contrôles internes efficaces et des contrôles externes réguliers garantissent une réelle efficacité. Nous examinons actuellement la maturité des dispositifs de contrôle internes.
Il convient également que nous étudiions la gouvernance et le pilotage de la maîtrise des risques au sein de chaque établissement, ainsi que la maîtrise des risques par rapport aux objectifs opérationnels de chaque agence.
Je souhaite que les parlementaires soient davantage représentés dans les conseils des agences. Cela induira des responsabilités supplémentaires.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - En nous rendant en Italie, nous avons été étonnés de constater que la commission de la santé du Sénat italien assumait chaque année une mission de contrôle des services de santé et de l'Etat à partir d'une thématique particulière. Nous nous devons d'assumer cette mission de contrôle.
S'agissant de l'expertise, des propositions ont déjà été formulées, relatives à la mise en place d'un corps d'experts professeurs des universités-praticiens hospitaliers (PU-PH) restreint. L'expertise doit-elle être réservée aux PU-PH ? Doit-il comporter un corps d'experts très restreint de quinze à vingt personnes, s'appuyant sur une expertise externe en fonction des domaines à traiter ? Comment réagissez-vous aux propositions du rapport Debré-Even en la matière ?
M. Xavier Bertrand, ministre . - Ce rapport, intéressant, me donne un éclairage complémentaire sur le travail des missions. Je n'ai jamais eu le sentiment qu'il existait une concurrence par rapport à ce travail. Il faut s'attacher au concept de compétence et d'indépendance des experts avant même de s'intéresser au statut.
Si la proposition a du sens, je ne suis pas certain qu'il faille la réserver uniquement à des PU-PH. En revanche, il convient de renforcer l'expertise interne. Cela nous engagera d'ailleurs dans des dépenses supplémentaires.
Comme pour la pharmacovigilance, la qualité et la quantité de la formation seront d'importance. La discipline de la pharmacovigilance nécessite d'être valorisée. Pour certaines pathologies nouvelles, il sera compliqué de trouver des experts indépendants.
Quelles sont les personnes qui peuvent parler le mieux d'un nouveau traitement ?
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Ce sont celles qui se trouvent dans les centres d'investigation clinique.
M. Xavier Bertrand, ministre . - Par qui ces centres sont-ils financés ?
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Leur financement s'effectue en liaison avec les laboratoires.
M. Xavier Bertrand, ministre . - Tout à fait. Les centres d'investigation clinique sont financés par l'industrie.
M. François Autain , président . - L'industrie paie-t-elle le temps passé par les professeurs, les infirmières, etc. ?
M. Xavier Bertrand . , ministre - Il ne s'agit pas de cela, mais d'une nouvelle pathologie. Pour disposer d'une réelle expertise, il est nécessaire de faire appel à des personnes ayant travaillé sur le sujet depuis quelque temps. Or les centres d'investigation sont en partie financés par l'industrie.
Dans ce cas, il faut définir clairement les rôles, le niveau d'indépendance et faire la différence entre l'expertise et la décision. L'expert sur ces questions ne doit pas participer à la décision. Toutefois, en prenant la décision, on doit garder à l'esprit que celui qui a éclairé a un lien.
La notion de conflit d'intérêts devra être définie très clairement. Ainsi, il sera possible d'établir les liens d'intérêts. Cependant, dans certains cas, le fait de ne pas vouloir entendre parler de ceux qui ont le moindre lien avec l'industrie pourra engendrer des difficultés. Sur ce plan, les marges de progrès s'avèrent très importantes.
Par ailleurs, les commissions sont trop nombreuses et comprennent trop de membres. Il convient de resserrer ces effectifs, ce qui permettra aux experts indépendants d'avoir davantage de place et de poids.
Mme Marie-Christine Blandin . - Entre les experts « sachants », qui ont des liens très étroits du fait de leur travail d'investigation, et les personnes extérieures, qui ne maîtrisent pas le sujet, il existe un niveau d'expertise indépendant intermédiaire qui vérifie la qualité des protocoles. Ainsi, dans des expertises sur d'autres sujets, ils peuvent pointer des lacunes d'investigation : ils n'ont pas besoin d'être spécialistes du sujet, mais vérifient la qualité des protocoles.
M. Xavier Bertrand, ministre . - Je ne suis pas opposé à cela. La mise en place d'une transposition (forme de Sunshine Act ) apportera davantage de garanties. J'appelle à beaucoup de pédagogie en la matière. Ce n'est pas parce qu'une personne effectue des travaux dans un centre d'investigation clinique qu'elle est disqualifiée pour parler du reste.
M. François Autain , président . - Il faut effectivement effectuer une distinction entre les commissions qui décident ou émettent des avis et les groupes de travail qui instruisent un dossier, qui sont au nombre d'une trentaine sur le médicament à l'Afssaps. Ces groupes de travail fonctionnent comme devraient fonctionner les commissions, en veillant à ce qu'il n'y ait pas de conflit d'intérêts. Lorsque le conflit d'intérêts ne peut être évité, il faut accepter que l'expert instruise le dossier et en donner les raisons.
S'agissant des commissions, au nombre de quatre (AMM, pharmacovigilance, publicité et transparence), il est concevable que les experts qui y participent n'aient pas de lien d'intérêts. Ceux-ci se déterminent en fonction de dossiers qui ont été préparés par des experts ayant des liens d'intérêts, mais particulièrement compétents.
Récemment, le professeur Vittecoq, président de l'AMM, s'est prononcé sur les hormones de croissance. Il n'est pas spécialiste du domaine, mais doit néanmoins formuler un avis, tout à fait recevable et autorisé.
M. Xavier Bertrand, ministre . - Vos propos font très plaisir à un ministre de la santé qui n'est pas médecin : il n'est pas nécessaire d'avoir une expertise médicale pour être ministre de la santé.
M. François Autain , président . - Oui. J'ai d'ailleurs proposé que les présidents de ces commissions ou des groupes de travail ne soient pas issus du milieu médical. Cette proposition avait reçu l'agrément du professeur Degos. Nous l'avons donc intégrée dans le rapport. Cette recommandation n'a malheureusement pas reçu d'application.
Nous souhaitons également que ces commissions soient ouvertes non seulement aux PU-PH, mais également aux professionnels de santé non PU-PH, à des scientifiques non-médecins et à des membres de la société civile.
Ces propositions sont d'ailleurs conformes à celles qui figurent dans les cinq rapports thématiques qui ont été récemment rendus publics par l'Igas.
M. Xavier Bertrand . , ministre - Vous évoquez la place de la société civile, la question du statut des lanceurs d'alertes et la place des représentants des usagers. A l'Afssaps, on compte plus d'une cinquantaine de groupes de travail : leur nombre, ainsi que le nombre de leurs membres, sont trop importants. Il ne faut pas développer un sentiment de dilution de la responsabilité. Je souhaite que nous puissions parler de ces sujets pour développer une vision commune.
Ce nombre doit être réduit pour réaffirmer des objectifs et des priorités. Par ailleurs, il sera ainsi plus facile de faire respecter les textes. Nous ne partons pas de rien en matière de déclaration d'intérêts.
Rappelez-vous de l'épisode cité par le rapport de l'Igas : un professeur de Saint-Louis, qui n'était jamais venu à une réunion, s'y est rendu le jour de l'examen du médicament. Ceci était tellement outrancier qu'on lui a demandé de partir. Dans combien de cas la réunion commence-t-elle alors même que quelqu'un est frappé par un conflit d'intérêts potentiel ? Faire adopter un texte est une chose, le faire respecter est au moins aussi important.
Tant que les groupes seront aussi nombreux, la question sera compliquée. Le Sunshine Act , déclaration annuelle, donnera certes davantage de visibilité. Toutefois, il conviendra également de procéder à des vérifications.
M. François Autain , président . - Peut-être faudra-t-il prévoir des sanctions le cas échéant.
M. Xavier Bertrand, ministre . - Dans le financement d'associations de patients, on ne déclare pas le montant versé sans qu'il y ait de sanction ; il ne faut pas s'étonner que cela ne soit pas respecté. Le Sunshine Act comprend déclaration et sanction.
M. François Autain , président . - Dans les réunions de la commission d'AMM, 30 % des experts se trouvent en situation de conflit d'intérêts et ne quittent pas la séance. La situation s'est toutefois améliorée, puisqu'il y a trois ans, ils étaient 90 %.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Monsieur le ministre, le cadre européen de mise sur le marché des médicaments vous paraît-il garantir suffisamment la sécurité sanitaire ? Doit-il évoluer ? Si oui, quelles sont les propositions de la France dans le cadre de l'élaboration de la nouvelle directive en la matière ? Allez-vous formuler des propositions au niveau européen ? Incitez-vous les parlementaires européens à se mobiliser en la matière ?
M. Xavier Bertrand, ministre . - Je souhaite rencontrer les parlementaires européens chargés de la politique du médicament afin d'expliquer quels sont nos buts avec les Assises du médicament. J'attends de rendre le rapport des Assises pour pouvoir les rencontrer. Le commissaire Dalli se montre très allant sur les réformes à venir.
Nous sommes pionniers dans l'application de certaines mesures de la directive européenne sur la pharmacovigilance. La notification des effets indésirables auprès des autorités de santé et la publication des listes font également partie des aspects importants. Le commissaire Dalli se présente comme très volontaire sur ces questions.
Les laboratoires ne doivent pas nous donner le sentiment qu'ils choisissent entre l'AMM au niveau national et au niveau européen. Nous devons éclairer ce point afin de donner davantage de garanties aux patients.
Ma logique n'est pas franco-française. Lors de la réunion informelle des ministres en Hongrie, j'ai constaté beaucoup d'attention dans la salle. Peu de gens pensent que le sujet du Mediator n'est que franco-français et qu'il ne pourrait pas survenir dans un autre pays. Il est vrai que les Italiens et les Espagnols ont réagi autrement. Les laboratoires Servier allèguent que c'est pour des raisons commerciales. Nous devons faire la lumière à ce sujet.
Lorsque c'est un laboratoire qui retire un produit du marché, et non les autorités de santé, tout doit être officiellement notifié à tous.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Un rapport vous a été remis par M. Alain-Michel Ceretti et Mme Laure Albertini, qui préconise l'introduction des actions de groupe en matière sanitaire dans notre législation. Quels en seraient les avantages et les inconvénients ?
M. Xavier Bertrand, ministre . - L'introduction des actions de groupe ne se pose pas seulement en matière sanitaire. Dans le domaine sanitaire, un fonds Mediator spécifique créé par la loi apporterait davantage de garanties d'une indemnisation juste et rapide. Même une class action ne donne pas la garantie d'une plus grande rapidité.
M. François Autain , président . - Sauf si l'on ne va pas jusqu'au procès, comme c'est le cas aux Etats-Unis.
M. Xavier Bertrand, ministre . - Cela dépend de l'interlocuteur. Dans certaines cultures judiciaires, la transaction constitue un élément clé. La logique française est différente.
L'indemnisation par le fonds Mediator laissera toutefois la possibilité de mener une action en justice.
Par ailleurs, nous pouvons davantage renforcer la protection des consommateurs. S'agissant des actions de groupe en matière sanitaire, je souhaiterais que l'on me fasse la démonstration d'une plus grande rapidité d'indemnisation.
M. François Autain , président . - Dans ce cas, un fonds pérenne devrait être mis en place, qui ne soit pas seulement affecté au Mediator, mais destiné à faire face à toutes les futures affaires (en espérant qu'il n'y en aura pas).
M. Xavier Bertrand, ministre . - Monsieur le ministre, c'est à cela que répond l'Oniam.
M. François Autain , président . - Certes, mais peut-être faudrait-il imaginer un complément. Je pense à un fonds qui soit alimenté par les laboratoires, en fonction de critères qui tiendraient au caractère accidentogène de médicaments ou de spécialités. Nous pourrions imaginer le versement d'une cotisation par les laboratoires, qui permettrait de créer un fonds pérenne et de faire face à tous les accidents médicamenteux. Cela rendrait alors peut-être inutiles les class actions .
M. Xavier Bertrand, ministre . - D'un autre côté, en cas d'accident médical du fait d'un hôpital...
M. François Autain , président . - Je fais ici référence au médicament.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Oui, mais comment différencier un accident médical médicamenteux d'un accident hospitalier ou d'une infection nosocomiale ?
M. Xavier Bertrand, ministre . - Je n'ai rien à ajouter à ce que vient de dire Mme Hermange.
M. François Autain , président . - Cela mérite toutefois débat.
M. Xavier Bertrand, ministre . - Il convient de réexaminer la place de l'Oniam, car il apporte une réelle solution. Faut-il lui octroyer davantage de moyens ? Heureusement que l'Oniam et la loi Kouchner existent. D'ailleurs, contrairement à ce que pensent certains, il ne s'agit pas d'une loi d'exception, mais d'une loi de la République. Si nous ne mettons pas en place ce fonds, je ne vois pas quelles garanties d'indemnisation nous pouvons apporter.
M. François Autain , président . - Créons un fonds du médicament.
M. Jacky Le Menn . - Monsieur le ministre, vous avez affirmé que la place du politique devait être revisitée. Je suis assez d'accord avec cette position. Nous avons toutefois assisté à d'autres auditions de ministres qui ne se trouvaient pas sur cette ligne. Ils opposaient des objections, notamment sur les modalités de saisine du ministre, sur le cabinet du ministre, etc.
Pouvez-vous être plus précis sur ces questions afin que nous comprenions comment cette réimplication sous l'angle politique peut être mise en place ?
Par ailleurs, comment la place du politique par rapport aux agences est-elle envisagée dans les autres pays européens ?
M. Xavier Bertrand, ministre . - Les autres pays estiment que la France a une situation satisfaisante. Quant à nous, nous portons un regard nécessairement plus critique sur notre pays, en particulier à cause du drame du Mediator. Lors de la réunion informelle sur la santé en Hongrie, j'ai rarement constaté un tel niveau d'attention, en particulier lorsque j'ai expliqué ce qui s'était produit, les défaillances et les propositions nécessaires : ceci prouve bien que personne ne peut penser qu'il n'a rien à changer. Les pays scandinaves ont une culture plus ancienne concernant les agences.
Je pense qu'un comité stratégique de la politique des produits de santé devrait être mis en place, sous l'égide du ministre de la santé. Par ailleurs, davantage d'informations doivent lui être officiellement destinées, qu'elles soient publiques ou non. Il vaut mieux connaître les informations et prendre les décisions qui s'imposent plutôt que de laisser les informations circuler.
Pour l'Actos, M. Maraninchi m'a fait une proposition. Parce qu'il connaît le sujet, nous avons pu prendre la décision de diffuser une information le 19 avril ; nous n'avions pas à attendre plus d'un mois et demi. A partir de six ou neuf mois, je décide de ne pas attendre la décision de l'Europe ; cette décision relève de ma responsabilité.
Il nous faut bâtir un système qui, parce qu'il remonte l'information aux ministres, protège davantage les politiques. Il ne doit pas dépendre autant du degré de vigilance d'hommes politiques ou de responsables de la santé. Dans le cadre de la réforme, il nous faudra modéliser les systèmes d'alerte et la manière de demander des avis extérieurs.
La crise du Mediator est en train de transformer la relation des Français avec le médicament. Nous sommes le premier pays en Europe dans la consommation de médicaments par habitant. Ce changement ne se réalise pas sur des bases idéales. Les gens ont pris un réflexe de méfiance vis-à-vis de certains médicaments. Je souhaite que nous modifiions les rapports des Français aux médicaments sur des bases saines. Nous devons également dépasser les clivages politiques.
M. François Autain , président . - Je me reconnais dans votre intervention. Le 15 janvier, vous avez repris des propositions que nous faisons depuis des années.
M. Xavier Bertrand, ministre . - Nous devons à présent agir. Un retour d'expérience est nécessaire sur tous les sujets. Lorsque la pression médiatique retombe, les responsables font une sorte de « zapping ». Je l'ai dit tout à l'heure à l'Assemblée nationale au sujet de la bactérie. C'est la deuxième ou troisième fois qu'il en est question : lorsque l'affaire sera terminée, il ne faut pas que notre intérêt retombe. Je souhaite que nous lancions un programme de recherche avec l'OMS et l'Union européenne pour ne pas être pris au dépourvu lorsque le cas se présentera à nouveau.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe . - Sur ce sujet, il sera difficile de mettre en place un système qui ne soit pas trop bureaucratique.
Je souhaite revenir sur l'Oniam, qui récupère environ 70 % des dépenses faites sur les risques médicaux. Ne pourrions-nous pas imaginer, plutôt que la réparation, un système de mutualisation (faire payer peu, mais sur tous les médicaments, une assurance pour les risques encourus par leur usage) ?
M. Xavier Bertrand, ministre . - Je comprends votre idée, mais je ne souhaite pas que nous donnions le sentiment que la responsabilité peut être dissoute. Nous devons pouvoir mieux faire que les 70 %.
L'Oniam occupe une place de plus en plus importante. Je ne suis pas certain qu'un problème de ressources se pose à ce sujet.
Toutefois, une mutualisation qui concernerait l'ensemble des médicaments reviendrait à occulter ce qui a trait aux établissements et donnerait le sentiment que tous devraient participer. Or, selon l'idée développée par l'Oniam, c'est le responsable qui doit payer.
M. François Autain , président . - Auprès de vous, monsieur le ministre, on compte un grand nombre de commissions (25) dans le domaine de la santé. Or, nous avions observé l'an dernier que même si les experts de ces commissions devaient faire des déclarations publiques d'intérêts, ils ne les faisaient pas dans la pratique.
Si j'en crois le récent rapport de l'Igas sur l'expertise, paru en avril 2011, les experts de ces commissions ne rendent toujours pas publiques leurs déclarations d'intérêts. Pour quelles raisons cela n'est-il pas encore effectif ?
M. Xavier Bertrand, ministre . - En cas de manquement à l'obligation, il faut qu'il y ait sanction. Nous ne pouvons plus transiger à ce sujet.
M. François Autain , président . - La législation n'est pas appliquée. Allez-vous faire le nécessaire ?
M. Xavier Bertrand, ministre . - Oui. Soit le système s'applique partout et pour tous, soit il est inutile.
M. François Autain , président . - Pensez-vous que les conseillers de la présidence de la République doivent faire une déclaration publique d'intérêts ?
M. Xavier Bertrand, ministre . - Je pense effectivement qu'ils doivent le faire.
M. François Autain , président . - Le professeur Munnich doit-il ainsi faire une déclaration publique d'intérêts ?
M. Xavier Bertrand, ministre . - Si la circulaire s'applique à lui, je ne vois pas pourquoi il en serait autrement. Vous avez certainement des raisons de le cibler.
M. François Autain , président . - Je l'ai cité car peu de médecins figurent parmi les conseillers du Président de la République.
M. Xavier Bertrand, ministre . - Oui. Vous m'avez posé cette question avec un sourire. Il est bon d'avoir un conseiller pour l'enseignement supérieur et la recherche qui soit PU-PH. J'en ai d'ailleurs un à mon cabinet. Souhaitez-vous qu'il n'y ait plus de PU-PH dans les cabinets ?
M. François Autain , président . - Si je parle de ce professeur, c'est parce qu'il m'a invité à une réunion qu'il organisait la semaine dernière avec le laboratoire Novartis. Je n'ai pas pu ou voulu m'y rendre, c'est pourquoi ce nom est sorti ; je vous prie de m'en excuser.
M. Xavier Bertrand, ministre . - Je ne crois pas au hasard vous concernant. Etait-ce lui l'organisateur de cette manifestation ?
M. François Autain , président . - C'est sans doute Novartis qui en est l'organisateur et qui a invité le professeur.
M. Xavier Bertrand, ministre . - Si le professeur Munnich s'engage au cabinet, c'est parce qu'il pense qu'il peut faire oeuvre utile.
M. François Autain , président . - Je n'ai pas dit le contraire. Je n'ai pas pris n'importe quel nom : il s'agit du conseiller à la présidence de la République.
M. Xavier Bertrand, ministre . - Selon vous, le professeur en viendrait à coorganiser un événement avec Novartis ?
M. François Autain , président . - Il faut le vérifier. Quoi qu'il en soit, il existe bel et bien une collaboration entre Novartis et lui à l'occasion de cette grande réunion.
M. Xavier Bertrand, ministre . - Revenons aux PU-PH. Un article du Canard enchaîné affirmait qu'au cours de mes précédentes fonctions, deux collaborateurs qui travaillaient au cabinet de Philippe Bas avaient mené en tant que PU-PH des programmes de recherche avec le laboratoire Servier. Ce n'était pas qu'avec le laboratoire Servier, mais avec sept laboratoires.
Comme par hasard, en pleine affaire Mediator, seul Servier a été cité. J'ai donc décidé d'anticiper les recommandations et de demander à mes collaborateurs de remplir des déclarations d'intérêts, afin que la situation soit clarifiée. Je l'ai fait pour éviter ce type de confusions. Je suis preneur d'une copie de votre invitation.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Monsieur le ministre, des PU-PH doivent-ils avoir des centres d'investigation clinique ? Ils sont en effet tenus d'effectuer des essais cliniques.
Mme Virginie Klès . - Il est beaucoup question du conflit d'intérêts positif, mais qu'en est-il du conflit d'intérêts indirect ou négatif ? Je pense par exemple au cas d'une personne travaillant dans une entreprise concurrente, notamment en matière de pathologies nouvelles et de médicaments innovants, qui aura intérêt à ce qu'un médicament réellement innovant ne soit pas pris pour ce qu'il est ou dévalorisé. Peut-être assisterons-nous à une guerre des laboratoires, qui mènera à une confusion totale.
Le problème du conflit d'intérêts étant extrêmement complexe à résoudre, pourquoi ne pas mettre en place un ordre d'experts indépendants, fonctionnarisés le cas échéant, qui analyseront les expérimentations en toute indépendance ? Je pense qu'il n'est pas nécessaire qu'ils soient très nombreux.
M. Xavier Bertrand, ministre . - La question de la création d'un organisme supplémentaire portant sur les conflits d'intérêts devra être tranchée avant l'été. S'agira-t-il d'un organisme de centralisation ou demandera-t-on à chaque autorité de centraliser des informations et de les rendre publiques sur son site ? Cela signifierait que les personnes qui sont censées procéder à une analyse pourraient aussi examiner qui siège et quels sont les liens.
L'analyse du produit et des compétiteurs doit être retenue. Il faudra également examiner la question des liens avec d'autres laboratoires, susceptible de fonder leurs décisions dans un sens ou un autre.
L'Assemblée nationale souhaite se doter d'un déontologue. Faut-il le faire dans le domaine de la santé ? Pour pouvoir tout valider, leur nombre devra être important.
Des éléments vont faciliter les procédures, notamment la diffusion de verbatims, et non de comptes rendus très synthétiques. La décision avait posé problème à l'Afssaps, notamment au moment où le nombre de victimes avait été évoqué. Le chiffre de 2 000 avait été donné verbalement. Le compte rendu n'avait alors pas été établi en temps et en heure, et ce ne sont pas les verbatims qui étaient repris. A l'époque, il n'était pas question d'enregistrement audio et vidéo.
Plus nous serons précis, transparents et immédiats, moins ce type de problèmes se posera. Je suis d'accord avec vous : la question du conflit d'intérêts positif et négatif doit être prise en compte. J'ignore en revanche si cela doit avoir lieu dans un organisme séparé ou dans chaque organisme, avec des modalités renforcées et une transparence totale.
M. François Autain , président . - Nous vous ferons des propositions, monsieur le ministre.
M. Jean-Louis Lorrain . - Ma réaction est quelque peu épidermique à l'évocation du mot « déontologue ». Ce type de profession m'inquiète, étant donné que nous souhaitons depuis longtemps que l'éthique soit reconnue comme une matière universitaire. Malheureusement, ceci s'avère très difficile. Ce sont les grandes entreprises qui fabriquent les déontologues ; je m'inquiète que l'on modélise l'éthique.
Avons-nous suffisamment évoqué le rôle des personnes qui prescrivent hors AMM ?
Par ailleurs, s'agissant de la formation continue des médecins, nous souhaiterions une distanciation des laboratoires, même s'il convient de tenir compte du rôle qu'ils jouent.
M. Xavier Bertrand, ministre . - J'ai retenu les décrets sur le développement professionnel continu (DPC), qui étaient presque finalisés lorsque je suis arrivé. Je jugeais incohérent de favoriser le développement professionnel des médecins tout en souhaitant établir les Assises du médicament. J'ai donc tout bloqué et prorogé les systèmes existants.
Par ailleurs, que faire pour la visite médicale ? Le nombre de visiteurs médicaux a singulièrement baissé ; leur rôle était très encadré depuis l'établissement d'une charte.
M. François Autain , président . - Vous exagérez : selon la HAS, cette charte n'a été d'aucune utilité.
M. Xavier Bertrand, ministre . - Ce n'est pas l'avis qui m'a été donné par la HAS. Je prendrai connaissance de vos auditions. Nous devons veiller à ce que les visiteurs médicaux appliquent la politique décidée par les entreprises elles-mêmes.
Le hors AMM doit obéir à des règles précises. Je n'ai pas l'intention de le supprimer, en raison des maladies rares ; ce ne sera pas sans poser certains problèmes.
La HAS doit améliorer la qualité des recommandations hors AMM. Nous devons lutter contre les prescriptions hors AMM non justifiées. Pour cela, il faut jouer sur les logiciels d'aide à la prescription.
Nous pourrions mettre en place davantage de contrôles et de sanctions : les prescriptions hors AMM non protocolisées ou non encadrées pourraient ainsi être examinées en priorité. Les recommandations non protocolisées ou non encadrées ne donneraient pas lieu à une recommandation de la HAS.
Le fait de les interdire complètement pourrait s'avérer gênant pour les patients dans certains cas. Dans l'affaire du Mediator, le système est allé très loin. Qui est véritablement responsable ?
M. François Autain , président . - Les prescriptions avérées, reconnues et encadrées ne pourraient-elles faire l'objet de la part de l'Afssaps d'une modification de l'AMM contre l'avis du laboratoire ? Ainsi, on ne pourrait pas prendre n'importe quelle prescription hors AMM.
M. Xavier Bertrand, ministre . - Le produit appartient au laboratoire ; dans ce cas, il faudrait changer l'indication post-AMM. Le laboratoire pourrait-il s'y opposer juridiquement, eu égard au droit de propriété ?
Par ailleurs, qu'en est-il de la responsabilité de la pharmacovigilance dans la nouvelle indication ? Est-ce la responsabilité liée au produit, qui est celle du fabricant, ou celle de l'Afssaps ?
M. François Autain , président . - Nous allons en rester là sur ce sujet. J'ai appris en lisant les rapports thématiques de l'Igas qu'il existait une charte de l'expertise en santé publique, adoptée le 28 juillet 2010 par le Casa, qui serait en cours en validation dans le cabinet du ministre. Pouvez-vous me le confirmer ? Avez-vous l'intention de rendre cette charte publique ?
M. Xavier Bertrand, ministre . - Serait-elle en validation depuis mars 2010 ?
M. François Autain , président . - Le 28 janvier 2010, elle a été adoptée par le Casa ; la mission indique qu'au moment où elle a réalisé son enquête (soit fin 2010-début 2011), on lui a répondu que la charte était en cours de validation au cabinet. Il serait intéressant que cette charte soit rendue publique. Peut-être attendez-vous, de la même manière que pour les décrets.
M. Xavier Bertrand, ministre . - Non. Cette charte de validation ne m'a pas encore été présentée. Je vérifierai ce point en rentrant afin que nous puissions vous en informer.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Monsieur le ministre, j'ai une dernière question à vous poser, sur un sujet annexe, mais qui m'a préoccupée à partir d'un cas concret. Il a été dit à une personne en phase terminale d'un cancer, à laquelle un traitement très puissant avait été appliqué, qu'il existait une nouvelle molécule en essai clinique. Faut-il prendre en compte, dans ces conditions, le risque du placebo ? La famille s'interroge et se demande si c'est la molécule ou le placebo qui lui a été donné ; elle a signé un consentement. Faut-il prendre en compte le risque placebo ?
M. Xavier Bertrand, ministre . - Seul un clinicien peut vous répondre, non un ministre.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Il s'agit d'un réel sujet pour des personnes en phase terminale, ou du moins pour leur famille.
M. Xavier Bertrand, ministre . - Etant donné qu'il s'agit d'un choix de la famille, qui intègre la responsabilité du clinicien, en quoi un ministre devrait-il figer des mesures ?
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Je souhaitais soulever cette question, car elle m'a été posée il y a quinze jours. Elle a pour but de vous interpeller sur une situation qui peut s'avérer gênante. Je vous transmettrai le cas.
M. Xavier Bertrand, ministre . - On m'a parfois demandé de m'assurer que l'Afssaps avait bien reçu une demande d'ATU. Ces cas sont toujours traités très rapidement. J'ai été témoin de cas qui ont permis d'obtenir des effets spectaculaires sur les patients ; le clinicien n'a jamais envisagé de le faire contre placebo.
La décision « régalienne » ne relève pas du ministre, mais du clinicien. Même s'il existe des protocoles, des recommandations et des indications, il n'y a pas deux médicaments qui produisent le même effet.
Par ailleurs, un clinicien sait pertinemment qu'un médicament, dans certaines phases terminales, peut également s'avérer dangereux pour le patient ; il peut alors opter pour le placebo. Toutefois, la plupart du temps, il tente plutôt la dernière chance de guérison.
Ceci ne relève pas de ma responsabilité, mais de celle, parfois plus importante et plus exigeante que celle du ministre, du clinicien.
M. Jean-Louis Lorrain . - Je précise que tout essai thérapeutique doit être volontaire, accepté, éclairé, et peut être arrêté à tout moment. La question du placebo ne doit pas être cachée au malade. Le malade doit en être informé, et ce dernier doit avoir la capacité d'accepter ou de refuser.
M. Xavier Bertrand, ministre . - Merci beaucoup.
M. François Autain , président . - C'est nous qui vous remercions, monsieur le ministre.
M. Xavier Bertrand, ministre . - Eu égard à la date de remise du rapport, nous serait-il possible de travailler ensemble en parallèle ? Je souhaiterais que nous examinions la manière dont les pièces du rapport du Sénat s'intégreront dans la réforme d'ensemble. Avez-vous également travaillé avec les députés ?
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Non. Nous avons procédé à quatre-vingt-sept auditions.
M. Xavier Bertrand, ministre . - Il ne s'agissait pas d'une question inconvenante.
Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur . - Merci, monsieur le ministre.
M. François Autain , président . - Merci.