B. UN « PLAFOND DE VERRE » OMNIPRÉSENT DANS LES INSTANCES DIRIGEANTES SPORTIVES ET INTERNATIONALES
Dans son rapport « Femmes et sport » , remis en 2004, Mme Brigitte Deydier 35 ( * ) , chargée d'émettre des propositions pour améliorer la place des femmes et renforcer leur rôle dans l'activité sportive, dressait un tableau relativement alarmant de la place des femmes aux fonctions dirigeantes sportives.
S'appuyant sur l'enquête réalisée en 2003 par Caroline Chimot 36 ( * ) , elle constatait que les femmes accédaient rarement aux responsabilités politiques dans le sport puisqu'elles représentaient seulement, à cette date, 3 % des présidents de comités régionaux, départementaux et de fédérations, 13,7 % des membres de bureaux, 3,5 % des présidents de fédérations, 3 % des directeurs techniques nationaux (DTN). Seules quatre fédérations sportives étaient, par ailleurs, présidées par des femmes.
Sept ans plus tard, les avancées restent très relatives : onze femmes sont aujourd'hui à la tête d'une fédération sportive 37 ( * ) . Elles représentent 15 % des cadres des fédérations 38 ( * ) , 15,5 % des conseillers techniques régionaux (CTR), 18,3 % des conseillers techniques nationaux (CTN), 11,1 % des entraîneurs nationaux et 5 % des DTN 39 ( * ) .
Même si, comme le soulignait Mme Catherine Louveau, « le sport est un monde où la sous-représentation des femmes est persistante, plus encore qu'en politique ou dans le monde du travail » , force est de reconnaître, à l'instar de Mme Edwige Avice, que « dans le domaine sportif, les choses ont évolué au même rythme que la société » .
Depuis 2004, un mouvement a été amorcé, notamment sous l'impulsion des préconisations du rapport Deydier précité et de la loi du 6 juillet 2000 40 ( * ) , qui a permis l'accession de femmes aux plus hautes instances de la gouvernance du sport.
M. Fernand Duchaussoy, président de la Fédération française de football, reconnaissait que le football avait « pris un virage historique quand une femme a accédé à la vice-présidence de la Ligue du football amateur » .
En dépit de cette évolution positive, briguer un poste à responsabilité dans une organisation sportive reste un parcours jonché d'obstacles pour une femme, aussi bien au niveau fédéral que dans les instances organisatrices des compétitions de haut niveau.
Comme l'indiquait M. Bertrand Jarrige, directeur des sports au ministère des sports, « l'accès des femmes aux responsabilités s'amenuise au fur et à mesure que l'on s'élève dans les fédérations » .
1. Les fédérations
Le mouvement fédéral a tout particulièrement fait l'objet des mesures légales ciblées définies à la suite des Assises femmes et sports et du rapport Deydier précité.
Les plus hautes responsabilités au sein des fédérations sont souvent occupées par des hommes, plutôt expérimentés et plutôt rétifs à l'entrée des femmes dans leurs comités, relativement fermés.
Ainsi, en 2008, seulement 12,3 % de femmes occupaient des postes à responsabilité au sein des fédérations sportives 41 ( * ) .
Après le renouvellement de 2009, la politique volontariste des pouvoirs publics a permis une relative progression de la féminisation des instances dirigeantes des fédérations, puisque 9,4 % (11 femmes sur 117) des présidents de fédérations sportives sont des femmes alors qu'elles n'en représentaient que 6,3 % aux élections de 2005 (6 femmes sur 117). Le nombre de femmes élues aux comités directeurs des fédérations a connu également une progression de 30 % entre les deux olympiades. Les femmes représentent désormais 24,6 % des élus dans les comités directeurs des fédérations sportives et 21 % des élus aux bureaux 42 ( * ) .
Le mouvement a été naturel dans certaines fédérations, très féminisées, comme la Fédération française d'éducation physique et de gymnastique volontaire (FFEPCV), dont la présidente, Mme Françoise Sauvageot, reconnaissait toutefois que les femmes n'avaient refait leur apparition à la présidence qu'il y a six ans.
Dans d'autres fédérations, plus « masculines », des dispositifs spécifiques ont été mis en place pour accompagner le changement, à l'image des actions engagées par la Fédération française de football (FFF) au sein de laquelle Mme Élisabeth Bougeard-Tournon a été nommée chef de projet du développement du foot féminin et de la féminisation du football.
Tout en prenant acte de ces avancées, la délégation constate que l'égalité d'accès des femmes et des hommes aux instances dirigeantes sportives est encore loin d'être assurée.
a) Rééquilibrer la règle de proportionnalité posée par le code du sport
Comme l'a rappelé M. Bertrand Jarrige devant la délégation, le ministère des sports mène une politique volontariste pour faciliter l'accès des femmes à la pratique du sport comme aux responsabilités. Pour la mettre en oeuvre, il s'appuie sur un certain nombre de dispositions légales et réglementaires. Ainsi, la loi du 6 juillet 2000 43 ( * ) a « précisé » que l'agrément des fédérations sportives serait dorénavant subordonné à la présence dans leurs statuts de dispositions garantissant notamment l'égal accès des femmes et des hommes à ses instances dirigeantes (article L.121-4 du code des sports). L'article R.121-3 du même code (issu du décret du 7 janvier 2004) 44 ( * ) prévoit que la représentation des femmes est garantie au sein de la ou des instances dirigeantes en leur attribuant un nombre de sièges en proportion du nombre de licenciées éligibles. L'article 22 du même décret prévoit que cette représentation doit intervenir, au plus tard, lors du renouvellement de la ou des instances dirigeantes qui suit les Jeux olympiques de 2008.
Le renouvellement en 2009 des instances dirigeantes des fédérations agréées a tenu compte pour la première fois de ces dispositions, permettant une certaine progression de la féminisation. Tout en reconnaissant avoir rencontré quelques réticences de la part de certaines fédérations 45 ( * ) , M. Bertrand Jarrige a considéré que ce mouvement devrait se poursuivre lors du renouvellement des instances dirigeantes qui interviendra après les Jeux de Londres.
La règle de proportionnalité ne présente cependant que très peu d'efficacité dans le cas des fédérations qui sont très masculinisées, ou très féminisées. Elle constitue même, alors, un obstacle à l'objectif de mixité. En effet, la règle ne serait efficace que si la mixité était une réalité dans l'ensemble des fédérations. Or, comme nous l'avons précédemment dit, c'est loin d'être le cas : ainsi, les femmes ne représentent-elles encore, en termes de licences, que 2,7 % de la fédération de football, 3,3 % de la fédération de l'aéromodélisme, 4,1 % de la fédération du rugby et 5,4 % de celle du motocyclisme.
Il s'ensuit que, dans les cas où la règle s'avèrerait être la plus nécessaire, elle ne trouve pas à s'appliquer.
Inversement, dans les fédérations très féminisées, l'application littérale de la loi aboutirait à la constitution d'instances dirigeantes quasi exclusivement féminines, en contradiction avec l'objectif de mixité de la loi.
Cette absence de mixité véritable dans les instances dirigeantes des fédérations soulève un problème dont seule une présidente de fédération féminisée semble avoir pris conscience.
Interrogée sur cette question, Mme Françoise Sauvageot, présidente de la Fédération française d'éducation physique et de gymnastique volontaire (FFEPGV), témoignait qu' « une application stricte de la loi du 6 juillet 2000 sur le sport et du décret du 7 janvier 2004 [...] aurait abouti à ce que nous n'ayons qu'un homme au comité directeur » . Consciente que cette surreprésentation féminine irait à l'encontre de l'équilibre recherché au sein de l'instance fédérale, elle a négocié avec le ministère une adaptation de la règle afin d'obtenir que, conformément aux recommandations du Comité international olympique (CIO), 20 % du genre le moins représenté siège au conseil d'administration, soit cinq hommes sur vingt-trois.
La délégation recommande d'assurer une représentation plus équilibrée des hommes et des femmes au sein des instances dirigeantes des fédérations et des associations sportives en précisant que l'obligation pour la composition du conseil d'administration de refléter la répartition des licenciés entre les deux sexes ne doit pas conduire à attribuer moins de 20 % des sièges au sexe le moins représenté.
La mise en oeuvre de ce dispositif serait facilitée par la substitution du scrutin de liste au scrutin uninominal actuellement en vigueur pour faciliter l'élection de candidates. Ce mode de scrutin, plus favorable à la parité, permettrait en outre aux femmes de surmonter les réticences qu'elles éprouvent à se présenter aux élections fédérales .
b) Créer un réseau officiel de femmes et parrainer les nouvelles dirigeantes
Outre que les femmes cumulent souvent des contraintes familiales, professionnelles et sociales qui leur laissent peu de temps pour s'engager dans le mouvement associatif, il ressort du témoignage de plusieurs d'entre elles que, la plupart du temps, elles « n'osent pas » se présenter. Pour Mme Françoise Sauvageot, « tout se passe comme si les femmes avaient besoin de se prouver à elles-mêmes leur compétence » .
Si, depuis 2004, la prise de conscience collective et les mesures incitatives ont quelque peu amélioré la place des femmes dans le mouvement sportif, il n'en reste pas moins que « dans les comités directeurs des associations, elles occupent souvent des postes en retrait - secrétaire, trésorière - où elles ne risquent pas de faire d'ombre à quiconque ! » , comme le reconnaît Mme Françoise Sauvageot.
Parce qu'assumer une responsabilité dans une instance sportive suppose la maîtrise des outils dans les domaines juridiques, fiscaux, des assurances, mais aussi en matière de gestion des ressources humaines, les femmes candidates à ces postes doivent pouvoir bénéficier de formations adaptées.
Les femmes susceptibles de briguer des postes de dirigeantes sont, le plus souvent, déjà impliquées au sein de la fédération. Le parcours de Mme Élisabeth Bougeard-Tournon, chef de projet du développement du foot féminin et de la féminisation du football, est représentatif : entrée à la Fédération française de football en tant que salariée en 1988, elle a occupé différentes fonctions avant que le président Duchaussoy la nomme pour piloter la commission féminisation.
La délégation juge essentiel d'encourager et d'accompagner cette dynamique fédérale, en recommandant de créer un réseau officiel de femmes dirigeantes et de mettre en place un système de parrainage des nouvelles dirigeantes sportives .
En 2004, déjà, Mme Brigitte Deydier estimait que la mise en oeuvre d'un réseau officiel de femmes dirigeantes était de nature à soutenir les responsables en place, à leur permettre d'échanger et de se sentir moins isolées.
La délégation considère que la constitution de ce réseau, dont l'objectif est de partager les expériences, doit être un point d'appui pour des échanges et des débats ; le pôle « ressources » national, installé au CREPS d'Aix-en-Provence pourrait servir de chef de file pour l'animation de ce réseau.
S'agissant du parrainage, cette responsabilité relève des responsables associatifs, chargés de mettre en place un système d'accompagnement ou de tutorat qui permettrait aux nouvelles élues d'être conseillées au cours de la première année.
Puisque la négociation des conventions d'objectifs avec les fédérations est l'occasion de soumettre le bénéfice de certaines subventions à la mise en place d'actions d'accompagnement des dirigeantes et des entraîneures, le ministère pourrait encourager, lors du renouvellement de ces conventions, la mise en place de tels dispositifs.
c) Rééquilibrer les priorités en faveur des pratiques d'entretien, qui correspondent aujourd'hui à de véritables enjeux de santé publique
La présence des femmes dans les instances de direction et de régulation du sport n'est pas un but en soi. Les échanges qu'a pu avoir la délégation à ce sujet, tant avec les responsables aux plus hauts niveaux qu'avec les sportifs, a conforté sa conviction : le regard différent que les femmes portent sur la pratique sportive, moins tourné vers la compétition, mais associé à la recherche du bien-être et à l'amélioration du « mieux vivre ensemble », modifie les modes de gestion des instances sportives. C'est le cas dans le sport-santé ou le sport de nature, comme l'a rappelé Mme Edwige Avice, qui témoigne que la présence des femmes a permis une meilleure prise en compte des marginalités liées au handicap, à l'âge, à la vie des banlieues...
Comme l'affirmait Mme Françoise Sauvageot devant la délégation, « le sport au féminin progresse et ne pourra continuer de le faire que si des femmes sont présentes au sein des instances dirigeantes, pour défendre l'équité et proposer des aménagements au système » .
Ainsi, les femmes ont imposé dans certaines fédérations des pratiques associant mères et enfants. Mme Brigitte Deydier citait en exemple la Fédération française de course d'orientation dont la présidente a fait organiser des crèches au départ des courses, pour inciter les femmes à y participer au lieu d'être chargées de garder les enfants. D'autres idées innovantes ont été évoquées, tel le développement de pratiques croisées familiales en organisant, par exemple, des cours de gymnastique pour les mères pendant l'entraînement des enfants.
A l'heure où les risques de santé publique liés à de mauvaises habitudes alimentaires et à une sédentarité accrue, en particulier chez les enfants, sont pointés du doigt par les pouvoirs publics, la présence des femmes aux responsabilités est particulièrement importante pour le développement des pratiques multisports et d'entretien physique, devenues essentielles dans une société où l'obésité, notamment, progresse.
A l'instar de la présidente de la FFGV, la délégation considère que, en ce domaine, dans la prise de conscience des fédérations, les femmes ont un rôle essentiel à jouer.
* 35 Par lettre de mission présentée le 16 octobre 2003, M. Jean-François Lamour, ministre de la jeunesse, des sports et de la vie associative et Mme Nicole Ameline, ministre de la parité et de l'égalité professionnelle, ont demandé à Brigitte Deydier de piloter le groupe de travail chargé d'émettre des propositions pour améliorer la place des femmes et renforcer leur rôle dans l'activité sportive.
* 36 Ancienne membre de l'équipe de France de gymnastique rythmique, elle est 4 ème par équipe aux Jeux olympiques d'Atlanta en 1996.
* 37 Femmes à la tête d'une fédération sportive aujourd'hui (information fournie par le ministère des sports) : Marie-Claude Feydeau (FF de Parachutisme), Noune Marty (FF de Danse), Claude Hüe (FF de Randonnée pédestre), Laurence Tanguille( FF de Spéléologie), Françoise Sauvageot (FF d'Education physique et Gymnastique volontaire), Brigitte Linder (Fédération nationale du Sport en milieu rural), Lydia Martins Viana (Fédération sportive Gymnique du travail), Françoise Bouvier (Union nationale sportive Léo Lagrange), Hélène Martini (Fédération sportive de la Police française), Bernadette Guy (Fédération française de la Retraite sportive), Thérèse Salvador (Fédération des Internationaux du Sport français).
* 38 D'après les informations fournies par Mme Brigitte Deydier.
* 39 Selon le site du ministère des sports.
* 40 Loi n° 2000-627 du 6 juillet 2000 modifiant la loi n° 84-610 du 16 juillet 1984 relative à l'organisation et à la promotion des activités physiques et sportives.
* 41 Ce chiffre est issu du rapport sur la féminisation du sport en 2009, précité.
* 42 Ces données sont issues des « chiffres clés » de l'égalité entre les hommes et les femmes de 2010, publiés par le Service des droits des femmes et de l'égalité de la Direction générale de la cohésion sociale.
* 43 Article 5 de la loi n° 2000-627 du 6 juillet 2000 modifiant la loi n° 84-610 du 16 juillet 1984 relative à l'organisation et à la promotion des activités physiques et sportives.
* 44 Annexe I-5, point 2.2.2.2.1.
* 45 Notamment, le Conseil d'État a refusé les statuts d'une association reconnue d'utilité publique.